Compte rendu
Mission d'information
de la conférence des présidents
sur la résilience nationale
– Audition de Mme Virginie Schwarz, présidente-directrice générale de Météo France, et de M. Samuel Morin, directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRM) 2
– Présences en réunion..................................9
Mercredi
13 octobre 2021
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 31
session ordinaire de 2021-2022
Présidence de
Mme Sereine Mauborgne,
Vice-présidente de la mission d’information
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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE
Mercredi 13 octobre 2021
La séance est ouverte à dix-sept heures trente
(Présidence de Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente de la mission d’information)
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Mme la présidente Sereine Mauborgne. Mes chers collègues, nous accueillons Mme Virginie Schwarz, présidente-directrice générale de Météo France, et M. Samuel Morin, directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRM). La connaissance du réchauffement climatique et des événements météorologiques extrêmes qui en résultent est sans doute l’enjeu le plus vital de la recherche du XXIe siècle. C’est pourquoi cette audition a une importance toute particulière pour notre mission d’information, qui s’intéresse à la résilience nationale. Elle sera l’occasion de faire le point sur l’état de la connaissance de l’évolution globale du climat et de ses implications locales, sur l’évolution des capacités de prévision de l’opérateur national et de la communauté internationale mais aussi sur la place et le rôle de Météo France dans les dispositifs de prévention des risques et de gestion des crises.
Mme Virginie Schwarz, présidente-directrice générale de Météo France. La première mission de Météo France, à travers ses prévisions météorologiques, est la sécurité des personnes et des biens. Météo France est chargée de missions institutionnelles à la fois en matière de défense et de trafic aérien et dans son activité sur le changement climatique : nous gardons la mémoire du climat et modélisons les évolutions futures du changement climatique afin de guider les politiques.
Nous menons trois grands types d’activité dans le domaine du changement climatique. Nous observons, mesurons et constatons l’évolution des changements du climat à travers des bases de données. Nous comptons parmi les organismes de recherche de référence internationale et contribuons aux travaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Nos modélisations sont incorporées dans les rapports du GIEC et nous participons à l’élaboration des rapports et aux relectures. M. Samuel Morin a personnellement participé à l’un des rapports du GIEC. Cet exercice de projection climatique s’opère également de manière ciblée sur les territoires français : la régionalisation climatique permet de livrer un diagnostic précis à l’échelle du territoire. Enfin, à partir de ces éléments, nous construisons des services climatiques pour informer, accompagner et appuyer les stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Dans ce cadre, nous avons livré en 2020 un nouvel exercice de projection climatique territorialisée, le projet DRIAS –donner accès aux scénarios climatiques régionalisés français pour l'impact et l'adaptation de nos sociétés et environnements – , qui donne la vision la plus à jour des effets du changement climatique en métropole. Cet exercice propose des projections avec une hausse continue des températures annuelles, entre 2,1 et 3,9 degrés selon les scénarios. L’impact du changement climatique dépendra en effet de nos actions d’atténuation et des politiques menées dans les années à venir à l’échelle du globe. En matière de précipitations, le diagnostic montre une évolution probablement limitée en termes de cumul annuel mais marquée par des contrastes saisonniers très importants.
Concernant les événements climatiques extrêmes, le diagnostic montre une augmentation entre trois et dix jours par an du nombre de jours de chaleur extrême. Les journées de gel pourraient voir leur nombre divisé par deux ou disparaître. Les épisodes extrêmes de précipitation et la sécheresse au sol devraient augmenter. Le diagnostic ne présente pas de signal fort concernant les tempêtes mais de grandes incertitudes demeurent. Ces éléments généraux de projection climatique ont été complétés en septembre 2021 par des données ciblées sur les ressources en eaux, obtenues par de nouvelles simulations hydroclimatiques. Publiées sur le portail DRIAS, ces données montrent des évolutions contrastées des débits des rivières, selon la localisation géographique et les saisons.
Face à ces événements météorologiques extrêmes et à leur évolution dans le cadre du changement climatique, Météo France porte la responsabilité de contribuer à la sécurité des personnes et des biens. Elle remplit cette mission d’information anticipée et précise notamment à travers la carte de vigilance météorologique, qui couvre neuf phénomènes climatiques avec un code de quatre couleurs. Pour améliorer ce dispositif, des actions sont menées sur tous les volets de la chaîne de prévision. Nous faisons des progrès en amont, sur les modèles de prévision, les moyens de calcul et l’expertise humaine, et en aval, sur les services qui traduisent ces prévisions auprès de nos utilisateurs. Parmi ces progrès, nous pouvons citer la mise en service de nouveaux satellites, l’émergence de nouveaux types d’observation grâce à l’internet des objets et aux observations participatives, et l’utilisation de l’intelligence artificielle. Nous avons cherché à améliorer nos modèles numériques de prévision pour mieux représenter les phénomènes extrêmes et la résolution géographique de nos prévisions. Nous développons également l’approche ensembliste ou probabiliste, qui consiste à envisager un ensemble de scénarios possibles au lieu de ne privilégier que la prévision la plus probable, ce qui nous permet d’alerter les autorités sur l’ensemble des scénarios possibles.
Afin de rendre nos prévisions utiles à nos utilisateurs, nous proposons également des indicateurs en termes d’impact, comme le risque de givrage d’un câble pour les opérateurs électriques ou ferroviaires. L’un de nos axes de travail porte sur la communication de ces données aux services de l’État et au grand public. Dans ce cadre, nous avons besoin de moyens de calculs coûteux.
La résilience de Météo France elle-même est très liée aux réseaux de télécommunication. La mise en œuvre de notre chaîne de production nécessite des échanges pour recueillir des observations issues de satellites et de capteurs situés sur l’ensemble du territoire. Cette dépendance représente un maillon faible en cas de panne ou d’incident technique. En aval, l’information est diffusée via internet ou des applications mobiles vers la sécurité civile, l’aviation, la direction générale de l’aviation civile (DGAC), la défense, les secteurs économiques et le grand public. Notre dépendance concerne également l’accès à l’électricité, car nous utilisons des supercalculateurs très consommateurs d’électricité. L’enjeu est la mise en place de mesures techniques et organisationnelles pour assurer la continuité de notre activité et préserver notre fonctionnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cette continuité est plus importante que la confidentialité des données elles-mêmes, car ces dernières sont publiques et très rapidement périmées. Des coûts importants résultent de la nécessaire duplication des réseaux de communication et de l’approvisionnement en énergie.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Météo France est un outil quotidien pour les Français mais aussi pour les acteurs opérationnels. Lors d’un séjour sur le porte-avions Charles de Gaulle, la présence d’un météorologue militaire m’a surpris au premier abord. J’ai cependant rapidement compris l’intérêt de la météo pour la bonne exécution des opérations militaires stratégiques de l’ensemble du groupe aéronaval.
Notre mission cherche à définir s’il existe des cas de figure qui pourraient porter gravement atteinte au fonctionnement de la nation et à réfléchir aux moyens d’y remédier. Dans vos prévisions, vous mettez en avant les changements concrets que peut entraîner le dérèglement climatique. Existerait-il des phénomènes météorologiques qui porteraient gravement atteinte à la résilience nationale, sur l’ensemble du territoire ou sur un territoire donné ?
Mme Virginie Schwarz. Les tempêtes de décembre 1999, qui avaient mis à bas notre système électrique et d’autres infrastructures, sont l’exemple le plus frappant d’atteinte grave à la résilience nationale. À une plus petite échelle géographique, la tempête Alex a montré les impacts des phénomènes météorologiques extrêmes sur le bon fonctionnement de l’activité d’un territoire.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. À l’issue d’une audition des opérateurs de la gestion de l’eau, l’un des participants nous a indiqué que nous devrions nous préoccuper des dômes de chaleur susceptibles d’entraîner des difficultés d’accès à l’eau. Une sécheresse prolongée pourrait-elle causer des problèmes d’accès à l’eau dans de vastes régions ?
Mme Virginie Schwarz. Nos projections sur les sécheresses montrent une augmentation de la température, une sécheresse du sol, et un impact fort sur le cycle de l’eau. La manière de considérer l’accès à l’eau doit tenir compte de ces prévisions.
M. Samuel Morin, directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRM). L’expression « dôme de chaleur » a été employé à l’occasion de la canicule exceptionnelle en Colombie britannique, à l’été 2021. Ce terme est en réalité peu utilisé en météorologie. Il désigne un anticyclone très intense qui conduit à des conditions chaudes et durables. Cela entraîne deux effets antagonistes en rapport avec le cycle de l’eau. Premièrement, l’atmosphère peut contenir davantage de vapeur d’eau, ce qui peut entraîner des précipitations plus intenses. En outre, l’évaporation des sols est plus efficace. Les sécheresses et les précipitations intenses sont donc favorisées. Nous avons déjà assisté à des situations de sécheresse de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois ; elles pourraient augmenter en intensité et en fréquence.
Cependant, les conditions météorologiques restent très variables d’une année à l’autre. Ces tendances climatiques s’observent sur plusieurs décennies. Les conditions deviennent graduellement de plus en plus défavorables, mais alternent selon les années. Le changement climatique ne crée pas de nouveaux risques mais accentue certains d’entre eux, ainsi que leurs conséquences.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Nous disposons d’un recul historique important sur les phénomènes météorologiques, et j’entends, à travers vos paroles, que nous ne risquons pas d’être confrontés un jour à un phénomène radicalement nouveau. La météo s’intéresse à l’espace atmosphérique, mais avez-vous un point de vue sur les phénomènes de l’espace exo-atmosphérique ? Des chercheurs américains de l’université de Californie ont évoqué l’existence de tempêtes solaires dans des conditions de météorologie spatiale défavorable, qui pourraient entraîner une déflagration électromagnétique et perturber des appareils. Que pensez-vous de cette question ? J’ai conscience qu’elle est peut-être en dehors de votre champ de compétence.
Mme Virginie Schwarz. Nous réalisons certaines prestations de surveillance de ce type d’événements pour la DGAC.
M. Samuel Morin. Le terme de « météo de l’espace » est impropre. Il n’existe de lien significatif ni entre l’activité solaire et l’évolution du climat sur terre ni entre l’évolution climatique sur terre et les perturbations solaires. En revanche, il est avéré que les variations d’intensité de l’activité solaire ont des incidences sur les réseaux de télécommunication. Des prestations de Météo France contribuent à ce suivi de « météorologie spatiale » mais il ne s’agit pas d’une activité de recherche traitée dans nos centres de recherche météo.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Je voulais surtout évoquer l’idée que la nature peut encore nous surprendre, avec des phénomènes que nous n’aurions pas imaginés.
Mme Virginie Schwarz. C’est surtout l’intensité, la localisation et la périodicité des phénomènes qui peuvent nous surprendre. Les nouveaux risques liés au changement climatique résident dans leur possible occurrence dans des lieux et à des périodes totalement inhabituels. Le rapport du GIEC sur la cryosphère a mis en évidence des risques nouveaux en montagne, notamment.
M. Samuel Morin. Nous adoptons une approche humble vis-à-vis des phénomènes et de leur amplification liée au changement climatique. Nous ne prétendons pas tout prévoir. Mais nous anticipons surtout que des phénomènes déjà observés sur terre vont se manifester de manière différente. Le record de température maximale au Canada a été battu avec une marge de 3 degrés, ce qui n’était pas impensable mais reste surprenant. Des phénomènes plausibles peuvent survenir alors que nous ne les soupçonnions pas.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Notre mission s’intéresse aux événements improbables. J’ai participé à un échange avec des futurologues de la Red Team du ministère des armées. L’un d’entre eux envisageait l’hypothèse qu’une puissance adverse parvienne un jour à manipuler la météo pour provoquer des sécheresses ou des événements climatiques intenses. Des évolutions technologiques pourraient le permettre dans les années à venir. L’armée russe déploie une arme atomique pour déclencher des tsunamis. Vous semble-t-il plausible qu’un pays puisse disposer de technologies lui permettant de modifier la météo dans une région de la planète ?
M. Samuel Morin. L’humanité a prouvé qu’elle pouvait modifier les conditions météorologiques : car les émissions de gaz à effet de serre sont responsables du changement climatique. Depuis longtemps, des pays ont tenté de modifier la météo pour faire tomber la pluie ou éviter des phénomènes intenses. D’ores et déjà, les modifications du régime de certains fleuves entraînent des conflits entre États sur l’allocation des ressources en eau. Je ne serais pas surpris que les situations que vous évoquez puissent un jour se produire. Des modifications de la composition chimique de l’atmosphère, par l’injection de particules ou par des modifications de nature électromagnétique, pourraient avoir des conséquences sur la formation ou l’évaporation des particules et conduire à des précipitations. Ce domaine n’est pas nouveau dans la science météorologique. Ce n’est cependant pas mon domaine d’expertise.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. À l’inverse, existe-t-il des mesures correctives du changement climatique ?
Mme Virginie Schwarz. De nombreux chercheurs en géo-ingénierie y réfléchissent avec un spectre très large, allant de la plantation d’arbres à l’envoi de boucliers dans l’espace pour renvoyer le rayonnement solaire. La crédibilité de ces différentes méthodes est variable. Des solutions partielles pour limiter le changement climatique existent, avec les propositions autour de la biomasse et du stockage de carbone dans les sols. Mais le risque serait d’envisager ces solutions comme un argument pour ne pas tout mettre en œuvre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Un éventail très large d’actions devra être mobilisé pour limiter le changement climatique, et certaines seront tirées de la géo-ingénierie. Aucune ne suffira à elle seule.
M. Samuel Morin. Il s’agit d’un sujet débattu dans les commissions scientifiques. Le rapport du GIEC sur les bases physiques du changement climatique, paru en août 2021, traite explicitement de cette question sous deux angles différents. La capture et le stockage de dioxyde de carbone font partie du portefeuille d’options inclus dans les scénarios climatiques. Les Solar Radiaton Management (SRM) sont également évoqués pour renvoyer une partie des rayonnements solaires vers l’espace en plaçant des boucliers fixes ou en injectant des particules dans l’atmosphère.
Je ne serais pas surpris de voir des individus ou des États se livrer à des expériences plus ou moins maîtrisées en la matière, par exemple en tentant de lancer des particules ou des miroirs dans l’espace. À ma connaissance, ce domaine ne fait pas l’objet d’une règlementation internationale. Mais si nous nous lançons dans ce type de manœuvre, il ne sera plus possible de nous arrêter. En outre, si nous injectons des particules sulfatées dans l’atmosphère, cela pourrait induire des effets en cascade catastrophiques, par exemple sur l’ozone ou sur d’autres composants. Le CNRM s’est saisi de ce sujet afin de nourrir la réflexion.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Le sujet est périlleux, car il pourrait pousser certains à se dispenser des efforts nécessaires pour agir sur le dérèglement climatique. Vous livrez une parole de grande humilité quant à la prévision des phénomènes météorologiques futurs.
Compte tenu de la typologie de notre pays, comment parvenez-vous à maintenir votre effort sur l’ensemble du territoire, y compris dans les outre-mer ?
Mme Virginie Schwarz. La prise en compte de l’outre-mer représente un défi pour l’ensemble des activités de Météo France. Les enjeux météorologiques dans les territoires ultramarins supposent, proportionnellement au nombre d’habitants, un effort plus intense qu’en métropole. De nombreuses équipes sont spécialement mandatées pour effectuer des prévisions climatiques et conduire des travaux spécifiques d’adaptation pour ces territoires. Des travaux de ce type démarrent actuellement en Polynésie française ; ils permettront d’obtenir des projections et un accompagnement spécifique au bénéfice de territoires qui n’ont pas les moyens de conduire des travaux de modélisation approfondis sur le changement climatique mais en subissent les impacts.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Lors de sa dernière visite en Polynésie française, le Président de la République a employé le terme de « résilience » pour qualifier les abris de prévention de submersion d’eau.
Météo France ne cesse d’alerter au moindre risque. Comment dimensionner le niveau d’alerte, au regard de la grande incertitude qui demeure malgré la qualité des prévisions et les progrès réalisés ?
Mme Virginie Schwarz. Les niveaux de vigilance sont définis par Météo France en lien avec les pouvoirs publics, le comité interministériel de la vigilance, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, la direction générale de la prévention des risques et, selon les risques, la direction générale de la santé ou celle des outre-mer. Ce travail collectif repose sur un débat avec les élus en cas de phénomène très localisé. La vigilance suit un code couleur appliqué au niveau départemental. Son avantage est de fournir une information simple, facilement communicable à l’ensemble des Français. Cependant, ce système effectue une moyenne sur un département, et les seuils des critères peuvent amener à ne pas placer un département menacé par un événement très localisé en vigilance rouge, pour éviter de décrédibiliser le système de vigilance. Cette logique peut être difficile à comprendre pour le maire de la commune qui sera touchée. Nous travaillons à la mise en place d’une information infra-départementale. Nos bulletins suivent cette logique infra-départementale pour la vigilance de vagues subversives sur les littoraux. Notre objectif est que nos cartes ciblent des zones infra-départementales d’ici le milieu de l’année 2022, afin d’attirer l’attention sur les phénomènes localisés très intenses. Cependant, tous les phénomènes ne pourront pas être analysés à cette échelle, sinon les cartes deviendraient illisibles.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Un dispositif infra-départemental se justifie pour éviter les effets de cassure. La météo est un dégradé : elle ne s’arrête pas aux frontières administratives. Le déclenchement des alertes fait l’objet d’une gouvernance collégiale. Ne disposez-vous pas de critères objectifs, en dehors d’une intervention humaine, pour déclencher l’alerte ? En tant que maire, je recevais ces messages d’alerte sous forme de messages vocaux. Étaient-ils émis par Météo France ou par la préfecture ? Un dispositif d’alerte par SMS pourrait-il être intéressant ?
Mme Virginie Schwarz. Les critères de déclenchement de l’alerte ne sont pas totalement automatiques, car il faut tenir compte de situations particulières dans les territoires, qui peuvent les fragiliser. Si des pluies intenses ont eu lieu dans les jours précédant un événement météorologique, les sols sont gorgés d’eau et ne réagissent pas de la même manière que s’il s’agit de la première pluie de la saison. Des rassemblements de population sur une zone doivent également être pris en compte. Malgré toute notre expertise, la météo n’est pas une prévision totalement automatique. Nos prévisionnistes s’appuient sur une variété de modèles, notamment ceux de nos collègues européens, pour établir un classement.
L’alerte des maires en situation de crise relève des autorités de la sécurité civile. Météo France communique l’information aux préfets qui décident ensuite de lancer l’alerte. Météo France communique aussi sur le niveau de vigilance en envoyant des notifications aux personnes qui s’inscrivent sur le site internet. L’APIC – avertissement pluies intenses à l’échelle des communes – est un service d’avertissement en temps réel pour les précipitations, auquel les communes peuvent s’inscrire. Nous nous orientons de plus en plus vers des outils comme les SMS et l’envoi automatique d’informations aux utilisateurs.
Mme la présidente Sereine Mauborgne. Avez-vous des préconisations sur la résilience face aux événements climatiques ? Devrait-on davantage éduquer à l’école sur l’écoute des prévisions météorologiques, ou introduire des notions de climatologie plus poussées dans les programmes ?
Mme Virginie Schwarz. Les programmes scolaires ont beaucoup progressé dans la sensibilisation au changement climatique et ses effets, dès le plus jeune âge. L’effort doit désormais se concentrer sur les conseils de comportement. En cas de déplacement des phénomènes météorologiques, il est important que les populations connaissent les bons gestes. Dans les régions actuellement concernées par le risque cévenol, les populations ont les bons réflexes. Mais ces phénomènes de précipitations intenses pourraient survenir dans des régions où ces habitudes et cette culture sont absentes. Le dispositif de vigilance météo est accompagné de conseils de comportements définis avec les pouvoirs publics, mais ils sont peu connus. Les décès liés à des événements météorologiques s’expliquent en général par une méconnaissance de ces conseils de comportement.
Les réseaux de télécommunications constituent une autre vulnérabilité. Nous en sommes très dépendants et des incidents peuvent conduire à des ruptures de fonctionnement sur de longues périodes.
M. Thomas Gassilloud, rapporteur. La crue centennale de la Seine a plusieurs fois été évoquée dans cette mission. Comment appréhendez-vous cet événement ? Vos modèles permettent-ils de prédire à quelques jours ou semaines l’occurrence d’une telle crue ?
Mme Virginie Schwarz. Ce phénomène devrait pouvoir être annoncé avec plusieurs jours d’avance. Il s’agit d’un phénomène à cinétique lente, en partie surveillé par des dispositifs de contrôle autour de Paris. Mais il ne pourra pas être annoncé avec plusieurs semaines d’avance. Sous nos latitudes, les prévisions mensuelles manquent de fiabilité. Il s’agit davantage de grandes tendances.
M. Samuel Morin. Nos outils de prévision ont progressé d’environ un jour tous les dix ans ; mais ils atteindront tôt ou tard un plafond. Il ne paraît pas possible de prévoir un événement à plus d’une ou deux semaines. Météo France a récemment mis en œuvre une carte d’anticipation des phénomènes dangereux. Elle fournit aux autorités avec deux et sept jours d’avance un aperçu par quart de pays ou à l’échelle de la France de phénomènes météorologiques susceptibles d’être dangereux. Dans le cas d’une crue centennale en région parisienne, qui résulterait de pluies à grande échelle, j’ose croire que nous anticiperions ce phénomène de quelques jours. Cependant, l’ampleur des évènements est toujours difficile à déterminer.
Je conclus sur les deux grands défis de l’action climatique. Le premier est l’atténuation des gaz à effet de serre, pour limiter l’ampleur du changement climatique futur. Le message a manqué de clarté ces dernières années, avec l’idée d’une inertie dans le système climatique. L’inertie est dans les scénarios. Le réchauffement futur dépend des émissions futures.
Le second défi est l’adaptation. L’éducation, la connaissance des phénomènes météorologiques à fort impact, la culture du risque et l’anticipation constituent des leviers d’adaptation. La prévision météorologique fait partie de l’arsenal permettant de limiter les dégâts liés au changement climatique. Elle permet de relier les différentes échelles de temps dans lesquelles se situe notre action. En anticipant un phénomène intense de quelques jours ou de quelques heures, on peut réduire considérablement son impact.
Mme Virginie Schwarz. Je précise que nos anticipations à sept jours sont à la disposition du grand public sur internet depuis le mois d’août 2021.
La réunion se termine à dix-huit heures quarante.
Mission d'information sur la résilience nationale
Présents. - M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne
Excusé. - M. Alexandre Freschi