Compte rendu

Mission d'information
de la conférence des présidents
sur la résilience nationale

– Audition, à huis clos, du général Yves Métayer, chef de la division « Emploi des forces-protection » de l’état-major des armées 2

 Présences en réunion.................................14


Mercredi
15 décembre 2021

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 58

session ordinaire de 2021-2022

 

Présidence de
M. Alexandre Freschi,

Président de la mission d’information
 


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉSILIENCE NATIONALE

Mercredi 15 décembre 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures cinquante

(Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la mission d’information)

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M. le président Alexandre Freschi Nous recevons, à huis clos, le général Yves Métayer, chef de la division « Emploi des forces-protection » de l’état-major des armées.

Après avoir auditionné de nombreux représentants du ministère des armées et du monde militaire – direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), commandement Terre pour le territoire national, Agence de l’innovation de défense, service de santé des armées, commandement du service militaire volontaire, direction des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale… –, il nous importait, dans cette phase conclusive, d’entendre un représentant de l’état-major des armées.

Nous souhaitons tout d’abord faire le point sur la participation des militaires aux travaux en cours sur la résilience nationale, tant à l’Assemblée nationale qu’au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il s’agit également de nous informer sur l’évolution de la réflexion stratégique au sein de l’état-major des armées quant à la réponse à apporter aux menaces hybrides et aux crises pouvant affecter directement le territoire national – conflit de haute intensité, rupture brutale affectant des sites ou des activités d’importance vitale pour la nation.

Général Yves Métayer, chef de la division « Emploi des forces-protection » de l’état-major des armées. Je suis accompagné par le colonel Jean-Côme Journé, chef du bureau « Territoire national » à la division « Emploi des forces-protection ».

Forte d’une trentaine de personnes, principalement des officiers supérieurs, cette division est chargée de théoriser la doctrine d’emploi des armées et d’assurer la cohérence entre l’ambition opérationnelle, déclinée dans Livre blanc, et la capacité des armées, à travers le référentiel que constituent les contrats opérationnels des armées. Elle est également chargée de conduire des travaux d’études et de prospective, et d’interagir avec les commandements de la chaîne des opérations interarmées. Le dialogue est permanent : nous sommes le point d’entrée pour ces commandements au sein de l’état-major des armées, sans pour autant traiter de la conduite des opérations, laquelle relève du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO).

Le bureau « Protection » lui a été rattaché il y a environ trois ans. Il traite essentiellement de la politique de protection du personnel et des activités des armées, ainsi que de ce qui relève de l’information classifiée. Sa mission est très particulière et très différente de tout ce que l’on traite habituellement au sein de la division « Emploi ». Il a été décidé de le positionner dans cette division plutôt que dans la sphère vraiment opérationnelle, celle du CPCO, afin de lui donner une assise.

En adoptant le nom de Résilience pour l’opération militaire d’appui à la réponse de l’État dans la crise sanitaire hors norme que nous traversons depuis mars 2020, les autorités françaises ont souhaité mettre en lumière l’apport important des armées dans un tel contexte. Ce nom de baptême souligne en creux une forme d’interdépendance fondamentale pour l’avenir du pays, à savoir la résilience des armées au profit de la nation, et inversement.

Après avoir exposé notre compréhension de la résilience et ses mécanismes internes, j’évoquerai les principaux enjeux de la résilience des armées, avant d’inverser la perspective en vous présentant en quoi elle dépend assez fortement de la résilience de la nation.

Sur l’échiquier des fonctions stratégiques, la résilience consiste en l’aptitude des armées à agir même lorsque les autres organismes d’État fonctionnent de façon dégradée ou ont cessé de fonctionner, à affronter les conséquences d’une crise traumatique et à rebondir en intervenant avec efficacité, en dépit d’un environnement détérioré et des préjudices humains, organisationnels et techniques qu’elle aurait elle-même subis.

Cette définition recouvre deux mouvements bien distincts. Le premier est subi puisqu’il consiste à encaisser un choc, ce qui suppose une capacité de résistance. Le second est une action déterminée – rebondir –, ce qui nécessite une organisation, des mesures et des ressources associées. Une phase déterminante précède ce double mouvement : celle de l’anticipation et de la préparation. La notion de résilience est de conceptualisation relativement récente : elle apparaît dans le Livre blanc de 2008. L’histoire de notre pays est jalonnée d’épisodes où elle s’est exprimée sans être forcément théorisée, en particulier lors des deux conflits mondiaux du XXe siècle.

Le premier temps de la résilience, celui de l’encaissement du choc d’une crise traumatique, souligne le lien existant avec la fonction stratégique de protection, qui doit permettre d’amortir le mieux possible les agressions. Cette perception s’est renforcée à la suite des attentats de 2015, puis de la crise du covid. Les armées ont été amenées à développer une fonction « protection-résilience » afin de donner de la profondeur temporelle et structurelle à nos dispositifs de protection.

La résilience doit opposer une résistance à une gamme très variée de menaces et de risques qui pèsent sur notre pays et ses intérêts, allant des velléités des États-puissances aux catastrophes naturelles ou technologiques. Nous pouvons être l’objet d’agressions directes, comme lors des attentats de 2015, mais aussi d’atteintes plus discrètes à nos intérêts, dans le cadre de stratégies dites hybrides, plus difficilement attribuables. Le rôle des armées est d’imaginer le pire ou le plus complexe en matière de menace militarisée, afin d’éviter, autant que faire se peut, la surprise.

Au sein des armées, on distingue trois grands domaines constitutifs de la résilience : l’humain, l’organisationnel et les ressources techniques.

Dans le domaine de l’humain, le statut militaire est en soi un atout, en ce qu’il implique une prédisposition à la disponibilité. Le conditionnement au combat en est un autre, en particulier au combat de haute intensité, qui n’est pas aujourd’hui une hypothèse de science-fiction. Cela nécessite un effort considérable et même un changement de paradigme, si l’on compare avec nos engagements récents. En préparant les individus et les entités collectives à cette perspective, on augmente leur capacité de résilience. En tant que centre de gravité des armées, la fonction ressources humaines (RH) a également un rôle à jouer dans cette résilience en veillant à préserver l’attractivité du métier et les conditions de son exercice, le statut, en particulier au regard des risques associés à la directive européenne sur le temps de travail, et les facteurs familiaux.

Dans le domaine de l’organisation, les atouts des armées résident dans le collectif commandé. Outre la force reconnue du collectif, la structuration verticale du commandement contribue directement à la résilience. Dans nos travaux d’adaptation de l’outil militaire aux nouvelles menaces, nous nous intéressons tout particulièrement à la supériorité cognitive, c’est-à-dire au fait de comprendre mieux avant l’adversaire, de décider plus vite et de façon plus adaptée, et de diffuser des ordres que chacun comprend rapidement, afin d’engager des effets parfaitement intégrés. La plupart de nos études ramènent à la structuration de la chaîne de commandement, que l’on considère comme absolument déterminante compte tenu de la nature des conflits auxquels nous sommes confrontés. En outre, le commandement militaire est naturellement tourné vers l’anticipation : il cherche toujours, de façon presque réflexe, à imaginer ce qui peut se produire, en particulier le pire. Nous avons donc structurellement la capacité et la volonté de nous projeter dans l’avenir pour imaginer les différentes hypothèses de dégradation de situation.

En matière d’organisation, nous appréhendons la résilience selon trois axes : la maîtrise des risques, qui relève de l’anticipation ; la gestion de crise, qui est plutôt de l’ordre de la réaction ; la continuité d’activité, dans le registre du rétablissement des conditions les plus proches du nominal.

Cette organisation peut être fragilisée par un ensemble de forces tendant à éroder le primat du collectif ou le principe d’autorité. On voit bien aujourd’hui que, même aux plus bas échelons du commandement, la revendication de certains droits individuels et la remise en question de la spécificité militaire de la chaîne de commandement et de contrôle, dite chaîne C2, peuvent brouiller les cartes et rendre le commandement plus complexe et moins cohérent. Le danger n’est pas immédiat mais ce sont des points d’attention au regard de notre capacité de résilience. Nous devons adapter notre façon de commander, c’est une certitude.

S’agissant du troisième aspect constitutif de la résilience, le domaine technique, l’atout des armées réside dans leur autonomie d’action logistique, leur autonomie en systèmes de communication durcis ainsi que dans les perspectives en matière d’aide à la décision, notamment l’intégration de l’intelligence artificielle.

Nos principales vulnérabilités ont été particulièrement mises en lumière lors de la crise du covid, singulièrement notre forte dépendance à la logistique et à la technique. L’abandon d’une logique de stocks au profit d’une logique de flux nous a engagés dans un mouvement d’externalisation important qui nous a posé quelques difficultés lorsque toute la société a été affectée par la crise sanitaire mondiale. Depuis une trentaine d’années, les armées se sont construites sur l’efficience, qui s’oppose souvent à la résilience – celle-ci suppose de la masse et des stocks qui, tant qu’ils ne sont pas utilisés, sont considérés comme inefficients. La pénurie de masques, qui n’a pas épargné les armées au début de la pandémie, a bien illustré cette problématique.

La prise de conscience de l’ampleur de nos dépendances nous amène à faire évoluer notre doctrine, notamment par le biais d’une formalisation stratégique. Nous avons annexé une stratégie de résilience des armées au plan stratégique des armées, de façon à irriguer l’ensemble de nos réflexions et de nos structures. Toutefois, cela ne sera pas suffisant pour affronter un véritable choc traumatique, car nous dépendons avant tout de la résilience de la nation.

L’enjeu majeur est la consolidation réciproque de la résilience de la nation et de celle des armées. Dans certaines configurations de crise, les armées représentent la toute dernière solution, l’ultima ratio. À l’inverse, la consolidation de la résilience de la nation, notamment des services publics, recule le seuil d’engagement des armées. Il convient donc de réfléchir par anticipation aux conséquences d’un engagement qui serait trop précoce, trop massif ou trop durable dans une crise. L’illustration en a été fournie par l’apport du service de santé des armées au dispositif de réponse à la crise sanitaire, alors qu’il ne représente que 1 % de l’offre de santé du pays : les services de réanimation des hôpitaux des armées se sont retrouvés en situation très délicate et il a parfois fallu se livrer à de véritables acrobaties pour reprojeter des équipes de médecins-réanimateurs et d’infirmiers-réanimateurs sur les théâtres d’opérations extérieures, en particulier en Afrique. On peut également s’interroger sur les conséquences que peut avoir sur leur fonctionnement le recours fréquent aux armées pour renforcer, appuyer voire suppléer les forces de sécurité intérieure ou d’autres entités lors de pics d’activité – opération Sentinelle, grands événements de type G7, et peut-être demain la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). Plutôt que de solliciter les armées pour accomplir des tâches qui pourraient l’être par des opérateurs privés, on pourrait envisager de contractualiser avec ceux-ci.

La RH étant le centre de gravité des armées, la nation, qui en constitue la source, est un socle essentiel pour la résilience des armées. Au-delà du seul recrutement, la réflexion doit porter en toute objectivité sur l’ensemble des ressources que la nation doit consolider pour sa défense : esprit de défense, adhésion à l’effort budgétaire de défense, ressources scientifiques, industrielles et logistiques. Cela est d’autant plus vrai dans l’optique d’un affrontement de haute intensité, dont il faudrait supporter à la fois les effets d’attrition et les attaques de toute nature au cœur même de notre population, sur le territoire national. Dans la modélisation de ce conflit symétrique, l’adversaire ne manquerait pas de chercher à nous atteindre de cette façon ; il faudrait donc produire une série de mesures de réaction, y compris au cœur de la cité. Si nous estimons cette perspective plausible à moyen terme, il nous faut envisager une montée en gamme de la résilience nationale, sachant que ce ne sera pas simple, notre société n’appréciant guère la perspective de lendemains difficiles.

Sur ce point, le concept suédois de défense totale est intéressant. Sous l’effet d’une prise de conscience liée pour l’essentiel aux événements de Crimée, la Suède a engagé une réflexion et une modification de structure assez profonde, sur la base de préconisations émises par une commission de la défense concernant tant le domaine militaire que tous les éléments de la société. La modélisation ainsi élaborée de ce que doit être la réaction de la nation suédoise constitue un bel exemple de structuration de la résilience.

Pour conclure, la résilience est un domaine très vaste, dont il est parfois difficile de déterminer les dimensions les plus fondamentales. S’il est illusoire de vouloir tout prévoir et tout maîtriser – une tendance de l’époque qui constituerait plutôt un frein structurel à la résilience, en tout cas à la réactivité –, il est possible de se conditionner à cette réactivité, de s’organiser collectivement pour affronter les défis qui s’amoncellent et menacent la vie de la cité. Selon Thucydide, « la force de la cité ne réside pas dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens ». Développer une vision réciproque de la résilience entre la nation et ses armées me paraît être un axe de travail fondamental pour progresser dans cette voie.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Je prends ce propos liminaire comme un acte d’humilité et presque d’adhésion à notre mission d’information puisque, finalement, vous nous avez dit en filigrane qu’il ne faut plus croire que l’armée a les capacités de faire face aux situations les plus difficiles. En trente ans, d’armée de masse – au temps de la guerre froide, il y avait 3 millions de réservistes –, elle est progressivement devenue une armée de projection. C’est un discours que nous devons tenir collectivement, car on entend encore parfois que l’on pourra recourir à l’armée en cas de grève de la RATP ou des éboueurs.

Nous avons lancé la mission précisément dans le but de réactiver l’esprit de l’ordonnance de 1959 d’une défense globale qui, outre un volet militaire, donne l’impulsion nécessaire à une politique interministérielle. Nous voulons même aller plus loin en cherchant comment, au-delà de l’action de l’État, associer les collectivités territoriales et les citoyens à l’instauration d’une véritable culture de la résilience. Nous en tirerons des conclusions sur le bon niveau de sollicitation des forces. Dans un rapport sur l’armée de terre, j’ai déjà eu l’occasion de souligner combien le suremploi lors de l’opération Sentinelle avait affecté durablement les niveaux de préparation opérationnelle. Une baisse soudaine de la fréquentation des camps d’entraînement avait été constatée en 2015, qui a pu affecter les capacités sur le long terme.

Vous mettez en exergue la notion de résilience réciproque des armées et de la nation. J’espère que la crise sanitaire nous a tous éclairés sur ces fragilités dont nous n’avions pas forcément conscience, aussi bien à l’échelle de la nation qu’à celle de l’armée. Celle-ci, au gré des décisions prises depuis trente ans, telle la révision générale des politiques publiques (RGPP), est de plus en plus dépendante de son environnement.

Par rapport au concept de défense totale et à l’exemple suédois, la dissuasion nucléaire, au cœur de la conception française, nous a maintenus dans un sentiment de sécurité alors qu’elle ne répond pas à l’ensemble des scénarios. Si les Scandinaves ou les pays de l’est de l’Europe sont un peu réactifs à ce sujet, c’est parce qu’ils n’ont pas la dissuasion et qu’ils doutent de plus en plus du parapluie américain.

Concernant la stratégie française, je m’interroge sur les contrats opérationnels. L’hypothèse d’engagement majeur (HEM) table sur 24 000 hommes en six mois, ce qui montre la faiblesse du dispositif par rapport aux centaines de milliers d’hommes que nous étions en mesure de déployer précédemment. Est-ce qu’un ennemi ou une crise nous laissera six mois pour nous adapter ? Ne serait-il pas temps de concevoir un scénario d’engagement maximum, brutal, si notre pays devait en avoir besoin ?

Général Yves Métayer. L’hypothèse d’engagement majeur repose sur un engagement en coalition : nous n’imaginons pas intervenir seuls. La montée en puissance sur six mois est liée au fait que nous estimons que des signaux faibles nécessiteraient, à un moment donné, une décision politique. Dans la construction des contrats opérationnels, la situation opérationnelle de référence (SOR) sollicite les capacités des armées ; si nous devions passer en HEM, il faudrait des ressources complémentaires très importantes. La notion d’efficience, qui repose sur des flux tendus, ne nous permet pas d’avoir en stock de quoi engager l’HEM avec autant de réactivité que l’échelon national d’urgence (ENU). Nous avons estimé qu’il nous faudrait six mois pour monter en puissance les ressources logistiques. Entre la SOR et l’HEM, il y a tout un panel de capacités de réaction. L’ENU permet de mobiliser 5 000 militaires dans un délai de quarante-huit heures à dix jours. C’est un dispositif opérationnel en permanence, mais, pour entretenir un ENU à 5 000 hommes, il faut des ressources assez considérables.

Quant à savoir si nous disposerions de six mois pour déclencher l’HEM, il faudra être capable de réduire le délai de montée en puissance à mesure que grandit la conscience que les menaces se rapprochent. C’est une réflexion qui implique aussi nos partenariats, car nous nous inscrivons dans le cadre de l’Alliance atlantique : l’HEM est la pierre française dans cet édifice. Dans la mesure où nous ne serions pas seuls à supporter l’effort, nous considérons pouvoir disposer de ce temps de latence. Mais je suis d’accord avec vous, plus la perspective d’une crise se rapproche, plus il faut réfléchir à des réponses intermédiaires.

La réponse coercitive n’est pas la seule solution. L’HEM, en tant que bras armé de la nation, est une réponse de nature coercitive à une menace avec, en arrière-plan, l’ombre du seuil nucléaire. Entre la SOR et l’HEM, il existe tout un panel d’attaques que nous pourrions subir et qui nécessiteraient, notamment en cas de stratégies hybrides, des réponses de tout type ne mobilisant pas uniquement des capacités militaires ou de coercition. Nous devons réfléchir à une autre articulation de nos moyens, notamment ceux qui sont prépositionnés, dans le cadre d’une fonction stratégique de prévention repensée.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Vous ne répondez que partiellement à ma question.

J’ai bien conscience que l’HEM serait extrêmement compliquée, alors même que TN 10 000 l’est déjà. Il est bon que nous puissions dialoguer franchement, car la résilience suppose de connaître « la vérité des prix » et ce dont on dispose ou non. Rien ne serait pire, en effet, qu’une autorité politique croyant qu’elle n’a qu’à appuyer sur un bouton pour mobiliser 10 000 hommes dont elle ne disposerait pas.

Néanmoins, je trouve dommage de ne pas avoir conceptualisé un engagement plus important, y compris en intégrant des capacités civiles. Lors de leur audition, les transporteurs routiers se sont étonnés de ne plus avoir à remplir les documents relatifs au nombre de camions qu’ils pourraient mettre à disposition de la défense nationale, comme ils le faisaient il y a encore une dizaine d’années.

Selon mon interprétation, on n’a pas pensé le scénario d’un engagement plus important des forces parce que l’on considère que le cliquet suivant l’HEM, à partir de x milliers de soldats morts, c’est la dissuasion. C’est une conception qui fonctionne dans le cadre d’un emploi symétrique des forces, mais dans un contexte où l’hybridité des conflits est de plus en plus fréquente, HEM et dissuasion doivent être envisagées en parallèle. Il serait intéressant de réfléchir à un exercice de planification de défense totale. Qu’impliquerait-il pour les opérateurs civils, pour les OIV, et quel serait le rôle de la gendarmerie nationale ?

Un certain nombre de plans existent concernant des engagements sur le territoire national dans des situations très particulières, par exemple le plan Neptune en cas de crue importante de la Seine. Peut-être pourriez-vous en dire un mot.

Par ailleurs, travaillez-vous sur des scénarios que l’on vous demande de taire, la tradition française d’un État fort impliquant parfois de ne pas assumer certains risques afin de ne pas inquiéter les citoyens ?

Général Yves Métayer. Certains engagements des armées sous réquisition, en appui des forces de sécurité intérieure, sont en effet codifiés dans l’instruction interministérielle n° 10100. Son annexe, qui fait état de quatre hypothèses d’engagement, est en revanche classifiée, afin d’éviter de donner des idées à certaines personnes ou organisations criminelles. Il est parfois utile de se montrer un rien ambigu alors que notre préparation à l’engagement opérationnel apparaît souvent, pour les observateurs et nos compétiteurs, comme un grand livre ouvert.

Colonel Jean-Côme Journé. Les scénarios évoqués dans cette annexe reposent en effet sur les différentes hypothèses qui pourraient justifier l’engagement de nos armées sur le territoire national.

Général Yves Métayer. Parmi celles-ci figurent certes la menace terroriste, mais aussi la crise majeure qui se traduirait par des difficultés de fonctionnement de l’Etat, hypothèse qui peut être politiquement sensible. Lors de la crise des gilets jaunes, de pseudo-spécialistes des questions de défense ont ainsi fait un certain nombre de sorties médiatiques assez maladroites et imprudentes concernant un engagement de l’armée qui relevait du fantasme. Si l’on veut réfléchir à ces questions d’une manière aussi objective et sereine que possible, il faut rester à l’écart de toute polémique et de toute instrumentalisation politique.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Je suis d’accord avec vous. Ces questions peuvent enflammer les esprits.

Ce matin, le fonctionnaire de liaison du ministère allemand de l’intérieur à Paris nous a fait part de l’interdiction constitutionnelle d’un engagement des armées sur le territoire de son pays. Notre perspective me semble meilleure, tant on ne sait pas de quoi demain sera fait.

Quel serait le cadre d’emploi des forces armées sur le territoire national dans une situation de chaos ? Le centre interministériel de crise (CIC) de Beauvau gère certes de telles situations – avec, d’ailleurs, la contribution des militaires qui, en off, déplorent souvent d’être considérés comme de simples effecteurs – mais, si un seuil était franchi, qu’en serait-il d’une gestion prioritairement sous pilotage du ministère des armées ? Quel est l’état du droit ? Comment la gestion du chaos, quelle que soit l’origine de celui-ci, s’organiserait-elle ?

Général Yves Métayer. Le CIC de Beauvau gère en effet les situations de crise civile mais, dans le cadre d’une menace militarisée, le Gouvernement peut décider d’appliquer des mécanismes de défense militaire. La limite est donc très claire.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Aucune crise non militaire ne peut donc justifier une intervention de l’armée, par exemple une pénurie de pétrole qui impliquerait l’utilisation de nos stocks stratégiques et un remodelage complet de l’organisation sociale – rationnement, etc. ?

Général Yves Métayer. Le cadre juridique d’engagement des armées repose sur trois points : la réquisition administrative d’un préfet, une demande de concours ou l’utilisation d’un certain nombre de protocoles ; l’article 16 de la Constitution, qui autorise le Président de la République à prendre des mesures exceptionnelles, y compris l’emploi des armées ; enfin, l’état de siège. Je rappelle que, dans le cas d’une menace militarisée, celui-ci permet au Gouvernement de confier à une autorité militaire des opérations militaires de résistance sur un secteur déterminé et de coordonner les actions d’ordre public.

En 2015 et 2016, des réflexions ont eu lieu sur ces questions, en particulier dans le cadre du rapport au Parlement sur les conditions d’emploi des armées lorsqu’elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, visant à consolider l’assise constitutionnelle de l’opération Sentinelle et à montrer qu’elle n’était en rien une opération de police militaire. La notion d’état de siège, liée aux crises de la fin du XIXe siècle, a été maintenue sans doute par prudence, tant la situation actuelle ne sera peut-être plus du tout la même dans vingt ou trente ans. La défense opérationnelle du territoire permet également de prendre de telles dispositions qui, sur un plan symbolique, sont très fortes mais ne me semblent pas forcément nécessaires pour atteindre les objectifs de défense recherchés.

En effet, face à une menace militarisée sur le territoire national, il n’est pas nécessairement utile et adapté de confier à l’autorité militaire la détermination de mesures d’ordre public. Nous considérons plutôt qu’il conviendrait de maintenir le plus longtemps possible l’ensemble des autorités compétentes, dont les forces de sécurité intérieure. Ce sont elles qui connaissent les enjeux et les techniques de maintien de l’ordre public. Un basculement de cette responsabilité vers l’autorité militaire tel qu’il est prévu dans nos lois soulèverait de nombreuses questions. Nous n’avons aucune pratique en la matière et nous veillons le plus possible à n’en pas avoir, notamment dans le cadre de l’opération Sentinelle : telle n’est pas notre vocation. Pour autant, en cas de chaos absolu et d’agression militarisée sur le territoire national, il ne faudra pas s’interdire d’apporter une réponse militaire. Ce choix relèvera des autorités gouvernementales et du chef des armées.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Malgré une architecture institutionnelle qui reste forte, avec le SGDSN et les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS), les préoccupations de l’ensemble des ministères relèvent plutôt du court terme. Le ministère de l’agriculture s’inquiète-t-il de la possibilité d’alimenter les Français en cas de crise ? L’assurance maladie veille-t-elle à proposer tel ou tel équipement en cas d’isolement du pays ?

Comment faire en sorte que les enjeux liés à la défense nationale soient plus présents dans les ministères ? Plus encore, comment promouvoir une véritable culture de défense dans la société ? Le service national universel (SNU) pourrait-il jouer un rôle dans l’acquisition par les citoyens des réflexes de base en cas de crise grave ?

Général Yves Métayer. La sensibilisation des ministères relève en particulier du SGDSN. Les travaux qu’il mène sur la notion de résilience de la nation en sont l’occasion : comment l’appréhender, s’y préparer, l’anticiper ? Néanmoins, les différents acteurs publics ne suffiront pas à garantir une telle résilience. Les acteurs privés devront y être sensibilisés.

Le SNU peut être en effet un vecteur de sensibilisation à la défense totale dès lors que l’ensemble d’une classe d’âge est concerné, y compris, par exemple, dans la formation aux gestes de premier secours. Toutefois le modèle actuel, qui repose sur deux périodes de douze jours, laisse peu de marges de manœuvre pour former et sensibiliser. De ce point de vue, il demeure assez « cosmétique ».

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Selon le fonctionnaire de liaison que j’ai déjà cité, le gouvernement allemand demande aux citoyens de conserver des stocks d’eau et de nourriture. En Suède, le livret En cas de crise ou de guerre explique même aux citoyens suédois qu’ils ne doivent pas croire quelque demande de reddition que ce soit, car la Suède ne se rendra jamais. La résilience, en l’occurrence, a presque un effet dissuasif !

Que penseriez-vous si nous diffusions de tels messages, si nous expliquions aux citoyens que les forces publiques, au sens large, peuvent être dépassées dans certaines situations et qu’ils doivent cultiver une forme de résilience individuelle ? Cela pourrait-il être perçu comme une faillite de l’État ? Nous nous sommes rendus dans la vallée de la Vésubie où, après le drame d’octobre 2020, il n’y avait plus ni téléphone, ni électricité, ni nourriture, ni eau potable – une maire nous a dit ne disposer que de 30 centilitres par jour et par personne – ; il a fallu plusieurs jours pour rétablir certaines voies de communication.

Général Yves Métayer. L’État ne peut pas tout faire. Sans doute conviendra-t-il de procéder par paliers pour sensibiliser la population, tant on constate, lorsqu’une crise survient, qu’elle est plutôt encline à mettre en cause les services publics et l’État. L’omnipotence de l’État est dénoncée ou un l’État peut être jugé trop policier, mais une plus grande sécurité et des interventions toujours plus rapides de l’État sont sans cesse réclamées. La résilience de la nation passe par la modification de cet état d’esprit.

Avant que les citoyens puissent se prendre eux-mêmes en charge pour survivre et résister, les armées ont besoin que la population adhère à l’esprit de défense. C’est pour nous le socle indispensable sur lequel nous nous appuyons, y compris lorsque nous sommes en opération loin de la métropole. Il serait désastreux que les Français se désintéressent de leur pays et de ce qu’il représente dans le concert des nations, au point de ne pas vouloir le défendre, non plus que ses valeurs et son modèle. Ce serait très difficile d’être soldat de ce pays-là.

L’étape suivante consisterait, en effet, comme le font les Scandinaves – qui sont pragmatiques –, à demander aux Français de pouvoir tenir seuls par exemple pendant une semaine, en cas de cataclysme, avant que l’État puisse les secourir. Aujourd’hui, un tel discours me semble assez inaudible.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Il est toujours difficile, psychologiquement, de penser la catastrophe, car nul ne veut qu’elle advienne. Nos concitoyens se concentrent plus sur la fin du mois que sur la fin du monde ! Les nouvelles générations n’ont pas connu de périodes très difficiles et bien des choses leur semblent acquises. Le sentiment de sécurité est très vif. Sans doute conviendrait-il que nos concitoyens prennent conscience que nous vivons dans un monde instable.

La dépendance technologique est également de plus en plus prégnante et ils devraient se préparer psychologiquement, en cas de rupture, à ne pas se retrouver en état de sidération. Le maire de Saint-Martin-Vésubie nous a fait part de ce phénomène de sidération lorsque, à 6 heures de l’après-midi, il n’y avait plus de téléphone, ni d’eau ni d’électricité. Il nous a confié qu’il se devait de rester debout alors que le cataclysme était aussi dans sa tête : « Quand un chef met un genou à terre, c’est toute la troupe qui se couche… » En tant qu’autorité, il a dû faire preuve de résilience. La vallée a été également sauvée par un fort sentiment d’appartenance et une cohésion sociale très puissante qui confèrent à ses habitants une grande force morale et une grande solidarité.

Comment promouvoir une telle force morale et l’adhésion non forcée à un projet collectif ? Ne pourrait-on pas permettre aux maires qui le souhaitent d’inscrire un tel projet pédagogique dans les écoles ? L’uniforme, les traditions n’ont-t-ils pas un rôle à jouer pour consolider l’appartenance à un collectif et favoriser ce que l’ancien chef d’état-major des armées appelait l’« esprit guerrier » ? Les pays asiatiques, qu’ils soient démocratiques ou autoritaires, ne résistent-ils pas d’ailleurs mieux que nous à la crise sanitaire ? Leur rapport au collectif est très différent du nôtre et leurs habitants, sans qu’il leur soit imposé quoi que ce soit, sont capables de se discipliner.

Général Yves Métayer. C’est l’exemple assez incroyable qu’a montré la population japonaise après la catastrophe de Fukushima : alors qu’ils vivaient un cataclysme et se trouvaient en état de sidération, les gens sont restés très calmes, patients et disciplinés, notamment dans les centres de distribution d’aide. Les Japonais n’étaient ni dans la polémique ni dans la mise en cause de l’État, mais réagissaient à la crise par la solidarité. Ce qui s’est passé à Fukushima est un exemple de résilience.

Pour sensibiliser la population, le meilleur vecteur est certainement l’éducation. Sans vouloir conditionner les esprits, on peut faire en sorte que les enfants apprennent très tôt qu’un cataclysme peut survenir, sans qu’on puisse en tirer ni sentiment d’injustice ni motif de révolte, et acquièrent les réflexes individuels et collectifs. C’est le cas dans les pays qui subissent régulièrement des catastrophes naturelles. Mais quand on rate le coche de l’éducation, la sensibilisation est plus difficile.

Je rebondis sur l’exemple des mesures préconisées en Allemagne et j’essaye d’imaginer : si, demain soir, le Premier ministre invitait les Français à préparer des réserves pour une semaine en prévision d’une aggravation soudaine de la crise sanitaire, je ne suis pas persuadé que la réaction des médias et de la population serait la même qu’en Allemagne !

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Si cela peut vous rassurer, le fonctionnaire de liaison allemand a indiqué que les réactions avaient été très contrastées. Selon moi, la barrière, dans les mentalités, se situe plus au nord, au niveau du Danemark – voyez la propreté des rues, les drapeaux aux fenêtres, le rapport à l’autorité, le respect de la règle. Une fois cette barrière franchie, en Allemagne ou dans le nord de la France, on observe une dégradation. Les Allemands, qu’on présente souvent comme hyper-rigoureux, ne sont finalement pas si éloignés de nous !

J’en reviens à l’efficience et à la résilience des armées. L’armée n’a pas suffisamment réfléchi à sa capacité de remonter en puissance. Le système a été organisé autour de la projection – 8 000 militaires en opérations extérieures : c’est un chiffre qui ne bouge pas depuis trente ans –, sans que l’on pense la nécessité de disposer de matériels en masse. Ainsi, on préfère acheter un camion tous les cinq ans plutôt que deux camions tous les dix ans – or ils dureraient davantage car on les userait moins. La politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP) repose sur l’idée qu’il faut disposer de moins de matériels mais les utiliser jusqu’au bout. De la même manière, on ne réfléchit pas à la réversibilité des capacités civiles de transport. Tout comme les municipalités pourraient transformer de simples camions en chasse-neige, une fois tous les cinq ans, en y fixant une lame, il faudrait que la défense puisse combiner efficacité et résilience : une armée hypertechnologique mais qui pourrait aussi avoir une action de masse.

Général Yves Métayer. C’est la question, en effet, de l’équilibre entre masse et haute technologie. Pour avoir la maîtrise et la supériorité dans un certain nombre de milieux, nous sommes entrés dans la compétition technologique. Stimulés par nos adversaires, nous avons nous-mêmes développé des capacités pour pouvoir rivaliser. Il peut y avoir aussi un effet d’emballement. La volonté de soutenir notre BITD peut inciter à choisir une solution de haute technologie alors que des solutions plus simples existent.

Nous nous attachons à rechercher le point d’équilibre entre le nombre d’unités qui peuvent être opposées à une agression ou envoyées simultanément sur plusieurs théâtres d’engagement – ce qui confère une forme de crédibilité militaire – et les technologies nécessaires pour surpasser, à effectifs réduits, l’adversaire. Cette équation, assez complexe, est au cœur de nos réflexions.

Si on a limité les parcs, c’est aussi parce que le coût du maintien en condition opérationnelle a augmenté à mesure que les matériels gagnaient en technologie. Il est devenu impossible de maintenir en condition suffisamment de matériels pour équiper 100 % d’une unité. On a donc imaginé des systèmes de rotation de matériels, telle la PEGP, pour réduire au maximum les coûts d’acquisition et de maintenance. Mais cette logique de flux a trouvé ses limites et on suit désormais une démarche inverse. Il s’agit de retrouver une réactivité immédiate des unités, même hors alerte de l’échelon national d’urgence, pour répondre sur-le-champ à une crise, quelle qu’en soit la nature. En termes de matériels, de ressources, de stocks logistiques, ce n’est pas simple et cela prend du temps.

J’espère que, dans le sillage des travaux du SGDSN sur la résilience de la nation, nous pourrons conduire une réflexion sur la réversibilité des capacités civiles. Mais il ne faut pas perdre de vue que, dans la négociation avec l’État, les opérateurs privés demanderont des compensations financières dont il n’est pas certain qu’elles soient soutenables.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Les dirigeants de Sanofi m’ont expliqué qu’ils parvenaient, sur le modèle des États-Unis, à cofinancer de la capacité, soit de stockage de doses de vaccins, soit de production, en prévision d’une nouvelle crise. Pour l’État, c’est mieux que d’avoir à remplir ses propres armoires, mais financer cette capacité demande des investissements.

Il faudrait aussi réfléchir à l’étalement des commandes dans le temps – cela suppose une bonne prévisibilité. Cet étalement permettrait de maintenir les compétences : on voit bien qu’on n’est plus capable de fabriquer un char Leclerc et que, dans le nucléaire civil, des soudeurs doivent à nouveau être formés car aucune centrale n’a été construite ces vingt dernières années.

Quel est votre point de vue sur la dimension interministérielle des questions de défense et sur la façon de lui donner un nouveau tour ? Je pense notamment aux contacts, qui pourraient être renforcés, entre les élèves des grandes écoles – commerce, administration – et la défense. Édouard Philippe a souvent parlé de l’importance de ses relations avec son binôme à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), le général Benoît Durieux. Je pense aussi à la mobilité des militaires au sein de l’administration d’État, qui pourrait être favorisée. Ils pourraient ainsi défendre les politiques de défense, apporter leur vision et leur culture à d’autres corps.

Enfin, le Premier ministre a chargé le SGDSN d’une mission sur la résilience quelques jours après que notre mission d’information a été créée. Nous nous en réjouissons, car nous pourrons ainsi travailler en parallèle et échanger. Avez-vous des attentes particulières à l’égard de ces missions ? Préparer la nation à faire face à un choc majeur prend du temps : avez-vous des propositions quant à la trajectoire à privilégier ?

Général Yves Métayer. Il existe déjà des partenariats avec les grandes écoles : certains de leurs élèves peuvent y effectuer un semestre complet – l’immersion doit être suffisamment longue pour que l’enseignement produise ses effets – à Coëtquidan.

La mobilité externe fonctionne très bien et apporte autant aux intéressés qu’aux administrations dans lesquelles ils travaillent. Mais il s’agit de quelques officiers seulement. Nous faisons déjà face à des difficultés pour constituer nos propres états-majors : les structures de commandement sont très gourmandes en ressources humaines et les emplois de colonel, de capitaine de vaisseau, de lieutenant-colonel et de capitaine de frégate sont déficitaires.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Une piste pourrait être l’emploi par les ministères de réservistes RO1 ou RO2 de la réserve opérationnelle. Cela ne coûterait rien à l’armée et il y aurait des ressources disponibles.

Général Yves Métayer. La réserve opérationnelle de premier niveau pourrait être une piste mais il faut atteindre la cible des trente-sept jours annuels pour conserver les compétences militaires nécessaires à un engagement sur d’autres secteurs. Je ne suis pas certain que le réserviste, à moins qu’il ne soit ancien militaire d’active, soit le profil idoine pour la mobilité extérieure.

L’IHEDN est un laboratoire civilo-militaire sur les questions de défense. Le brassage y est très enrichissant – en dépit du faible nombre d’auditeurs à l’échelle de la nation – et produit une autre réflexion sur ces problématiques.

Les travaux du SGDSN peuvent permettre d’aller au fond des choses. C’est essentiel. Il faut regarder ce qu’ont fait les États scandinaves, s’interroger sur les ressorts de la résilience et les mesures à prendre. J’espère surtout, car c’est le plus important, que ces travaux donneront lieu à une mise en œuvre dynamique des propositions. C’est en effet là où l’on pèche : on a de bonnes idées, mais on manque de structures d’animation interministérielles pour ancrer les résultats dans la durée.

Il faudrait, en matière de résilience, qu’une structure conduise le changement, évalue les réalisations et leurs effets, sans tomber dans le travers du pilotage. Il est nécessaire de sensibiliser les ministères, les acteurs publics, une partie de la société civile et les acteurs privés. Il faut reconstituer les capacités de façon très pragmatique. Il ne s’agit pas de se rassurer en remplissant des indicateurs tous les six mois. On sait vers quel désastre l’esprit « Il ne manque pas un bouton de guêtre ! » a mené la France.

 

La réunion se termine à dix-neuf heures dix.


Membres présents ou excusés

Mission d'information sur la résilience nationale

Présents. - M. Alexandre Freschi, M. Thomas Gassilloud