RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

Ministère de l’Europe

et des affaires étrangères

 

 

 

 

 

 

 

 

Projet de loi

autorisant la ratification du protocole n° 16 à la convention de sauvegarde

des droits de l’homme et des libertés fondamentales

NOR : EAEJ1729498L/Bleue-1

ÉTUDE D’IMPACT

 

I-                   Situation de référence

La convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[1] (ci‑dessous la « convention ») du 4 novembre 1950 a institué une Cour européenne des droits de l’homme (ci-dessous la « CEDH »), qui exerce un contrôle du respect par les Etats qui en sont parties des droits et libertés garantis par cette convention.

Le processus d’élargissement du Conseil de l’Europe, qui comprend désormais 47 Etats membres, et l’afflux massif de requêtes individuelles[2], à la fois à l'encontre d'anciens et de nouveaux Etats membres, a nécessité de modifier la structure du contrôle juridictionnel (protocole n° 11 à la convention[3], entré en vigueur le 11 novembre 1998) ainsi que les conditions de l’exercice de ce contrôle (protocole n° 14 à la convention[4], entré en vigueur le 1er juin 2010), afin de permettre à la CEDH de faire face efficacement au nombre croissant de requêtes dont elle est saisie.

Le nombre de requêtes n’a cependant pas cessé de croître[5]. Des mesures complémentaires sont donc apparues nécessaires pour que le système de la convention reste efficace à long terme. La conférence de haut niveau qui s’est tenue à Brighton les 18-20 avril 2012 entre les 47 Etats parties à la convention a examiné les mesures qui pourraient être prises en ce sens.

Un certain nombre des mesures retenues dans la déclaration de Brighton[6] ont nécessité des amendements à la convention et ont donné lieu à l’adoption du protocole n° 15[7]. Celui-ci poursuit l’objectif d’assurer un contrôle juridictionnel effectif du respect des droits et libertés garantis par la convention. Ainsi, il introduit une référence au principe de subsidiarité dans le préambule de la convention, réduit le délai dans lequel le requérant doit saisir la CEDH et supprime l’une des conditions permettant de rejeter une requête comme étant irrecevable en présence d’un préjudice peu important. Il supprime en outre le droit des parties à une affaire de s’opposer au dessaisissement d’une chambre au profit de la Grande chambre[8]. La loi n° 2015‑1714 du 22 décembre 2015 a autorisé la ratification du protocole n° 15 portant amendement à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales[9]. Ratifié par la France le 3 février 2016, le protocole n°15 n’est pas encore entré en vigueur et n’a donc pas encore été publié au Journal officiel. En effet, l’entrée en vigueur du protocole est soumise à la ratification de l’ensemble des 47 Etats parties à la convention. A ce jour, 45 Etats parties l’ont signé et 36 d’entre eux, dont la France, l’ont ratifié.

La déclaration de Brighton invitait également le comité des ministres du Conseil de l’Europe à rédiger le texte d’un protocole facultatif à la convention, en vue de confier à la Cour le pouvoir supplémentaire de rendre sur demande des avis consultatifs sur l’interprétation de la convention. Ces travaux ont donné lieu à l’adoption du protocole n° 16.

 

 

II-                Historique des négociations

La conférence de haut niveau sur l’avenir de la CEDH, organisée par la présidence suisse du comité des ministres, s’est tenue à Interlaken, en Suisse, les 18-19 février 2010. La conférence a adopté un plan d’action[10] et invité le Comité des ministres à donner mandat aux organes compétents en vue de préparer, d’ici juin 2012, des propositions spécifiques de mesures nécessitant des amendements à la convention. Les 26-27 avril 2011, une seconde conférence de haut niveau sur l’avenir de la CEDH a été organisée par la présidence turque du Comité des ministres à Izmir, en Turquie. Cette conférence a adopté un plan de suivi[11] destiné à examiner et poursuivre le processus de réforme.

Dans le prolongement de ces deux conférences, le Comité des ministres a donné mandat au comité directeur pour les droits de l’homme et à ses instances subordonnées (notamment le comité d’experts sur la réforme de la Cour « DH-GDR »), pour 2012-2013, d’élaborer un projet de rapport au Comité des ministres, contenant notamment des propositions spécifiques nécessitant des amendements à la convention.

Parallèlement à ce rapport, le comité directeur pour les droits de l’homme a présenté une contribution à la conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour, organisée par la présidence britannique du Comité des ministres à Brighton, Royaume-Uni, les 19-20 avril 2012. La CEDH a également présenté un avis préliminaire[12] établi en vue de la conférence de Brighton et contenant un certain nombre de propositions spécifiques.

Afin de donner effet à certaines dispositions de la déclaration adoptée lors de la conférence de Brighton, le Comité des ministres a ensuite chargé le comité directeur pour les droits de l’homme, qui avait commencé à se pencher sur ces questions, de préparer un projet de protocole d’amendement à la convention (qui allait devenir le protocole n° 15 précité) et un projet de protocole facultatif à la convention, portant sur les avis consultatifs (qui allait devenir le protocole n° 16)[13]. Ces travaux se sont d’abord tenus au cours de deux réunions d’un groupe de rédaction à composition restreinte (le GT-GDR-B), avant d’être examinés par le comité plénier d’experts sur la réforme de la Cour (DH-GDR). Le projet a ensuite été examiné de manière approfondie et adopté par le CDDH lors de sa 77ème réunion (19-22 mars 2013) pour le soumettre au comité des ministres. La France, qui a soutenu le projet de protocole facultatif dès le début, a activement participé à l’ensemble de ces travaux.

Au cours des travaux portant sur le projet de protocole n° 16, les discussions ont principalement porté sur la délimitation de la compétence consultative de la Cour ainsi que sur le caractère contraignant ou non de l’avis rendu (le courant majoritaire optant pour son caractère non contraignant, conforme au principe de subsidiarité précité).

Concernant la portée de la compétence consultative, le choix a été fait de la limiter aux questions de principe, mais pas uniquement aux affaires faisant apparaître des problèmes structurels ou systémiques, afin de réserver la procédure aux affaires susceptibles de concerner tous les Etats membres sans pour autant prendre le risque de surcharger la Cour.

Ont également fait l’objet de débats la détermination des juridictions habilitées à saisir la Cour, la nécessité de fixer ou non un délai à la Cour pour rendre son avis, le choix d’accorder ou non un pouvoir discrétionnaire à la Cour d’examiner les demandes d’avis ainsi que les contraintes linguistiques.

Le projet adopté par le comité directeur des droits de l’homme a été, à l’invitation du Comité des ministres, soumis à la CEDH qui a rendu, le 16 mai 2013, un avis favorable[14]. Ce projet rejoint en grande partie les propositions qu’elle avait elle-même formulées dans un document de réflexion[15] en mars 2012. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a également émis un avis favorable au projet le 5 juin 2013 (avis n° 285 2013[16]). Enfin, lors de sa 1176ème réunion du 10 juillet 2013, le Comité des ministres a examiné et décidé d’adopter le projet en tant que protocole n°16 à la convention.

 

 

 

 

 

 

III-            Objectifs du protocole

 

Visant à renforcer le dialogue entre les juges de la CEDH et les juridictions nationales, le protocole institue un mécanisme permettant aux plus hautes juridictions nationales de saisir la Cour, pour avis, sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la convention ou ses protocoles. La juridiction qui procède à la demande ne peut solliciter un avis consultatif que dans le cadre d’une affaire pendante devant elle. Aux termes du rapport explicatif relatif au protocole n° 16, la notion de « questions de principe » vise la situation dans laquelle « l'affaire soulève une question grave relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention ou de ses protocoles, ou encore une question grave de caractère général »[17].

 

Ce mécanisme a ainsi vocation à faciliter l’application de la jurisprudence de la CEDH au niveau national et de résoudre en amont les difficultés d’interprétation de la convention.

 

A terme, l’objectif poursuivi est de réduire le nombre de requêtes portées devant la CEDH, dès lors que des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application de la convention auront pu être éclairées par l’avis de la Cour et ainsi réglées par les juridictions nationales conformément au principe de subsidiarité.

 

 

IV-             Conséquences estimées de la mise en œuvre du protocole

 

Aucune conséquence économique, financière, sociale ou environnementale notable n’est attendue de la mise en œuvre du présent protocole. Il ne porte pas atteinte aux droits des femmes, ni n'aggrave les inégalités entre les femmes et les hommes. Il n’a pas non plus d’impact particulier sur la jeunesse. En revanche, des conséquences juridiques et administratives méritent d’être soulignées.

 

4.1 Conséquences juridiques

4.1.1 Articulation avec le droit de l’Union européenne

4.1.1.1 Si le droit de l’Union européenne et le droit de la CEDH ont été produits dans des systèmes répondant à des logiques juridiques différentes, la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l'État de droit et le respect des droits de l'homme sont des valeurs partagées. Le traité de Lisbonne a précisé les valeurs de l’Union (article 2 du traité sur l'Union européenne[18]). Ces valeurs ont été confirmées et complétées par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[19], adoptée en 2000 et devenue juridiquement contraignante pour tous les États membres en 2009 : « L’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit ».

L’objectif commun de la CJUE et de la CEDH reste l’harmonisation des règles sur un périmètre donné. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les deux juridictions sont appelées à se prononcer sur le respect des droits fondamentaux dans les États membres de l’Union européenne (28 membres dans un système intégré) et du Conseil de l’Europe (47 membres dans un système conventionnel). Certes, la convention ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union. Cependant, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. En outre, l’article 52, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[20] impose, lorsqu’elle contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, de leur donner le même sens et la même portée que ceux que leur confère la convention (voir CJUE, 26 février 2013, Åklagaren c. Hans Åkerberg Fransson, C-617/10, §44[21]). Ainsi, en pratique, il ressort des arrêts des deux cours que celles-ci tendent à veiller à la cohérence de leurs jurisprudences respectives[22].

4.1.1.2 Les stipulations du protocole n° 16 à la convention (premier paragraphe de l’article 1er) prévoient que « les plus hautes juridictions d’une Haute partie contractante (…) peuvent adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la convention ou ses protocoles ». Même si la portée et les conditions procédurales diffèrent, ce dispositif peut être rapproché des règles relatives aux questions préjudicielles posées à la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) sur le fondement de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[23]. Cette procédure est ouverte aux juges nationaux des États membres qui peuvent saisir la CJUE afin de l’interroger sur l’interprétation ou la validité du droit européen dans une affaire en cours.

Ces deux procédures de demandes d’avis sont donc de nature à favoriser une coopération active entre les cours de justice nationales et la CJUE d’une part (avec le renvoi préjudiciel), et la CEDH d’autre part (protocole n° 16).

Les stipulations du présent protocole sont ainsi de nature à contribuer à un enchevêtrement plus important du système de la CEDH et du droit de l’Union européenne, non pas institutionnel, mais normatif. Cette dynamique est à double sens, le droit de l’Union européenne influençant la CEDH et inversement. Toutefois, il convient de rappeler que l’adhésion de l’Union européenne à la CEDH, prévue par l’article 6 du traité sur l’Union européenne, achoppe notamment, ainsi qu’il résulte de l’avis 2/13 de la CJUE, sur le problème de l’articulation entre le mécanisme institué par le protocole n° 16 et la procédure de renvoi préjudiciel prévue à l’article 267 TFUE (voir avis 2/13 du 18 décembre 2014 EU:C:2014:2454 , points 196 à 200[24]).

 

4.1.2 Articulation avec le droit interne

A titre liminaire, il convient de noter que le protocole n° 16, en réservant la possibilité de saisir la CEDH aux « plus hautes juridictions d’une haute partie contractante », laisse une liberté de choix aux Etats quant aux juridictions qu’ils entendent habiliter à en faire usage. Le protocole a ainsi entendu, en se référant aux juridictions placées au sommet du système judiciaire national, principalement renvoyer aux juridictions suprêmes des Etats et aux cours constitutionnelles, mais sans se limiter à celles-ci. Dans la mesure où la CEDH n’est, s’agissant des requêtes individuelles, saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, il paraît particulièrement cohérent de réserver l’usage de la procédure consultative à ces juridictions. Ce faisant, le protocole n° 16 permet également de limiter le nombre de demandes d’avis qui seront présentées, afin de garantir la viabilité du système et de préserver sa visée préventive.

La désignation des juridictions habilitées à saisir la CEDH est faite à l’occasion du dépôt de l’instrument de ratification. Il revient au Gouvernement d’adresser à cet effet une déclaration au Secrétaire général du Conseil de l’Europe. La liste des juridictions désignées peut être modifiée par le Gouvernement à tout moment, conformément à l’article 10 du protocole.

Le Gouvernement prévoit de désigner le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Si la jurisprudence du Conseil constitutionnel sépare nettement le contrôle de constitutionnalité de la loi, qui relève du seul juge constitutionnel, et le contrôle du respect des engagements internationaux, qui relève des juridictions ordinaires, la désignation du Conseil constitutionnel lui permettra d’obtenir un éclairage de la CEDH sur l’interprétation des droits protégés par la convention, lorsque le Conseil constitutionnel le jugera utile, en raison notamment de la proximité avec les questions dont le juge constitutionnel peut être saisi. Consulté par le Gouvernement, le président du Conseil constitutionnel a indiqué qu’il était favorable à cette désignation qui permettra au Conseil constitutionnel de participer aux nouvelles perspectives d’échanges, ouvertes par le protocole, entre les plus hautes juridictions chargées de la protection des droits fondamentaux en Europe. Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont pour leur part vocation, en leur qualité de juridictions suprêmes des ordres juridictionnels administratif et judiciaire, à être désignés au titre de l’article 10 du protocole.

 

4.1.2.1 Absence de modification juridique de nature législative ou réglementaire

Le protocole n° 16 n’implique aucune modification juridique de nature législative ou réglementaire dans l’ordre interne.

En effet, la procédure régissant le dépôt et l’instruction des demandes d’avis est intégralement prévue par le protocole n° 16 et le règlement de la Cour, tel qu’il a été modifié par la Cour plénière le 19 septembre 2016.

Pour une bonne administration de la justice, les hautes juridictions nationales devraient surseoir à statuer lorsqu’elles adresseront une demande d’avis à la Cour.

La situation est de ce point de vue comparable à celle concernant les questions préjudicielles adressées à la Cour de justice de l’Union européenne, dont la mise en œuvre n’a nécessité aucune modification des règles de procédure internes.

 

4.1.2.2 Conséquences sur l’articulation du rôle respectif des juridictions nationales et de la CEDH

La procédure d’avis consultatif prévue par le protocole n° 16 présente la caractéristique principale d’être, à trois égards distincts, facultative :

En premier lieu, les juridictions nationales ont le choix de recourir ou non à cette procédure d’avis consultatif. A cet égard, les stipulations du premier paragraphe de l’article 1er du protocole diffèrent des règles relatives aux questions préjudicielles posées à la Cour de justice de l’Union européenne sur le fondement de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[25] par les juridictions suprêmes, qui ont un caractère obligatoire.

La décision de solliciter l’avis consultatif de la CEDH appartient à la seule juridiction concernée, et non aux parties au litige. Cette demande, qui pourra être rédigée en français, langue officielle de la CEDH, doit être motivée. L’esprit du dispositif n’est pas de transférer le litige à la CEDH mais de solliciter auprès de celle-ci les moyens pour garantir le respect des droits de la convention. C’est pourquoi le règlement de la Cour prévoit, à l’article B de son chapitre X[26], que la demande doit préciser l’objet de l’affaire interne ainsi que le contexte juridique et factuel pertinent, les dispositions juridiques internes pertinentes, les questions pertinentes relatives à la convention, en particulier les droits ou libertés en jeu, le cas échéant, un résumé des arguments des parties à la procédure interne sur la question et, si cela est possible et opportun, un exposé par la juridiction dont émane la demande de son propre avis sur la question, y compris toute analyse qu’elle a pu faire de la question.

En deuxième lieu, la CEDH dispose, en vertu de l’article 2 du protocole, d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter ou non d’examiner les demandes qui lui sont présentées.

La procédure suivie est la suivante : la demande d’avis est analysée par le collège de la Grande chambre de la CEDH qui vérifie notamment que la demande répond aux conditions de recevabilité prévues par l’article 1er du protocole. Il appartient au collège de la Grande chambre de motiver ses refus d’examen. Aussi, comme l’indique le rapport explicatif du protocole[27], l’on peut légitimement penser que la CEDH ne refusera pas d’examiner des demandes remplissant les critères définis à l’article 1er. En cas d’acceptation de la demande, la Grande chambre de la CEDH rend l’avis. L’examen par cette formation supérieure, composée de dix-sept juges, se justifie par la nature des questions posées. En effet, la Grande chambre est déjà compétente, en vertu de l’article 31 de la convention, pour examiner les affaires les plus importantes qui sont portées devant la CEDH : les requêtes interétatiques, les requêtes individuelles soulevant une question grave relative à l’interprétation de la convention ou de ses protocoles, les questions relatives à l’exécution de ses arrêts dont la CEDH est saisie en vertu du paragraphe 4 de l’article 46, ainsi que les demandes d’avis consultatifs formulées par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe en vertu de l’article 47 de la convention. Le choix de l’examen par la Grande chambre est en outre conforme à l’objectif du dispositif, qui est d’éclairer le juge national en lui garantissant un avis qui soit le reflet d’une jurisprudence non susceptible d’être remise en cause.

Si le protocole n° 16 ne prévoit pas lui-même de délai d’examen des demandes d’avis, l’article C du chapitre X du règlement de la CEDH précise que ces demandes doivent se voir réserver un traitement prioritaire. L’allongement de la procédure interne qui résultera de la saisine de la CEDH devrait donc être limité.

En dernier lieu, l’article 5 du protocole affirme le caractère non contraignant de l’avis pour la juridiction nationale qui l’a sollicité. C’est ainsi à la juridiction qui a procédé à la demande de décider des effets qu’elle entend conférer à l’avis sur la procédure interne engagée devant elle. Il importe néanmoins de souligner que les parties à l’affaire restent dans tous les cas libres d’exercer par la suite leur droit de recours individuel devant la CEDH en vertu de l’article 34 de la convention, ce qui leur permettrait alors, dans l’hypothèse où l’avis n’aurait pas été suivi, de s’en prévaloir.

L’objectif principal de la procédure consultative est de prévenir en amont les violations de la convention et d’éviter que de nombreuses requêtes soulevant les mêmes questions soient portées devant la CEDH en renforçant le dialogue des juges. Ainsi, les demandes d’avis consultatifs doivent porter sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la convention ou ses protocoles. Elles sont donc réservées aux affaires les plus importantes, soulevant a priori une question inédite, ou invitant la Cour à opérer un revirement de jurisprudence, ou encore concernant un contentieux systémique voire structurel. Elles ne peuvent être formées qu’à l’occasion d’un litige pendant devant la juridiction nationale et doivent dès lors avoir un lien direct avec ce litige. Il ne s’agira donc pas pour la CEDH de procéder à un examen abstrait d’une législation nationale, mais bien d’en apprécier la conformité aux droits et libertés définis par la convention ou par ses protocoles à l’occasion de son application concrète aux faits de l’espèce.

 

4.2 Conséquences administratives

Conformément à l’article 3 du protocole, l’Etat dont relève la juridiction qui a sollicité l’avis est en droit d’adresser à la CEDH des observations écrites. Aussi, le règlement de la Cour, tel qu’adopté le 19 septembre 2016, prévoit au point 5 de l’article C que tant le rejet que l’acceptation de la demande d’avis par le collège de la Grande chambre sont notifiés à l’Etat dont relève la juridiction qui a soumis la demande.

Il résulte de ces textes que le Gouvernement ne sera pas informé au moment où l’une des juridictions nationales saisit la CEDH pour avis, mais uniquement après le filtrage effectué par le collège de la Grande chambre. Ce point ne paraît pas être de nature à poser de difficultés, le Gouvernement étant en mesure de communiquer ses éventuelles observations dès lors que la demande d’avis est acceptée. On peut toutefois noter, à titre de comparaison, que devant la CJUE, toutes les questions préjudicielles reçues par la Cour sont communiquées à l’ensemble des Etats membres de l’Union pour qu’ils présentent, le cas échéant, leurs observations.

Le suivi des demandes d’avis ainsi que la présentation des observations écrites incomberont à la sous-direction des droits de l’homme de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui est l’agent du Gouvernement devant la CEDH et qui traite donc d’ores et déjà le contentieux relatif à la convention. Il est à ce stade difficile d’anticiper le surcroît d’activité que cette nouvelle procédure pourrait engendrer. Dans la mesure où elle répond à des critères précis et où elle n’est réservée qu’aux seules cours suprêmes, à savoir le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, ainsi qu’au Conseil constitutionnel, le nombre de saisine devrait rester limité.

Enfin, le paragraphe 3 de l’article 4 du protocole prévoit que la CEDH transmet l’avis rendu non seulement à la juridiction qui l’a sollicitée mais également à l’Etat dont cette juridiction relève. Cet avis sera donc transmis à la sous-direction des droits de l’homme susmentionnée.

Pour les juridictions nationales habilitées à saisir la CEDH, la mise en œuvre de la faculté ouverte par le protocole n° 16 ne devrait pas entraîner de modification de leur organisation interne. En effet, la faculté de saisir la Cour concernera indifféremment toutes les formations juridictionnelles de ces juridictions, puisque la question de l’opportunité d’en faire usage pourra se poser à l’occasion de chaque litige. La mise en œuvre du protocole n’appellera donc aucune réorganisation interne. Par ailleurs, les demandes d’avis pourront être rédigées en français (cf supra). Si les juridictions ayant recours à la saisine de la CEDH seraient amenées à surseoir à statuer dans l’attente de l’avis de cette dernière, il a déjà été indiqué que cela ne nécessitait aucune modification des dispositions législatives ou règlementaires. Enfin, ces juridictions pourront être amenées à choisir de communiquer au Gouvernement, pour information, leur jugement avant dire droit.

 

V – Etat des signatures et ratifications

 

Le protocole n° 16 a été ouvert à la signature le 2 octobre 2013. Il a été signé, au 16 octobre 2017, par 18 Etats membres du Conseil de l’Europe et ratifié par 8 d’entre eux[28].

 

Il entrera en vigueur dès lors que dix Etats signataires auront déposé auprès du Secrétariat général du Conseil de l’Europe leur instrument de ratification. Il est à noter que, pour deux Etats signataires, la ratification pourrait intervenir prochainement (Pays-Bas et Grèce).

Le protocole pourrait ainsi prochainement entrer en vigueur.

 

VI -  Déclarations ou réserves

 

Le protocole exclut, à son article 9, la formulation de réserve.

 

Conformément à l’article 10, la France assortira son instrument de ratification d’une déclaration indiquant les hautes juridictions habilitées à saisir pour avis la CEDH en application du protocole n° 16, à savoir le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation.


[1] Décret n° 74-360 du 3 mai 1974 portant publication de cette convention :

https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000886019

Texte : https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680063776

Pour mémoire, la convention est entrée en vigueur le 3 septembre 1953.

[2] Ainsi pour 2008, le nombre de nouvelles requêtes s’élevait à 49 850, soit une augmentation de 20% par rapport à l’année précédente. En 2009, il s’agissait de 57 100 nouvelles requêtes, soit une augmentation de 15%. En 2010, le nombre de nouvelles requêtes s’élevait à 61 300, soit une augmentation de 7% par rapport à l’année précédente (source : site de la Cour)

[3] Décret n° 98-1055 du 18 novembre 1998 portant publication du protocole n° 11 :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000574613&categorieLien=id

Texte : https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168007cdb5

[4] Décret n° 2010-711 du 28 juin 2010 portant publication du protocole n° 14 CEDH

https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2010/6/28/MAEJ1014169D/jo/texte

[5] Ainsi en 2011, le nombre de nouvelles requêtes s’élevait à 64 500, soit une augmentation de 5% par rapport à l’année précédente. En 2012, il s’agissait de 65 150 nouvelles requêtes, soit une augmentation de 1% par rapport à l’année 2011. Pour l’année 2013, le nombre de nouvelles requêtes s’élevait à 65 900, soit une augmentation de 2% par rapport à l’année précédente. Au premier janvier 2013, la Cour était saisie de 128 100 requêtes pendantes  (source : site de la Cour).

[6] http://www.echr.coe.int/Documents/2012_Brighton_FinalDeclaration_FRA.pdf

[7] Loi n° 2015-1714 du 22 décembre 2015 autorisant la ratification du protocole n° 15 portant amendement à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

 https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000031672304

Ratifié par la France le 3 février 2016, le protocole n° 15 n’est pas encore entré en vigueur et n’a donc pas encore été publié au JORF.

[8] Il a été ouvert à la signature le 24 juin 2013. A ce jour 45 Etats parties l’ont signé et 36 d’entre eux, dont la France, l’ont ratifié. Le protocole n° 15 entrera en vigueur lorsque l’ensemble des 47 Etats parties à la convention l’auront ratifié.

[9] Loi n° 2015-1714 du 22 décembre 2015 autorisant la ratification du protocole n° 15 portant amendement à la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000031672304

[10] http://www.echr.coe.int/Documents/2010_Interlaken_FinalDeclaration_FRA.pdf

[11] https://rm.coe.int/1680593727

[12] http://www.echr.coe.int/Documents/2012_Brighton_Opinion_FRA.pdf

[13] Décision prise par le Comité des ministres lors de sa 122ème session (23 mai 2012)

[14] http://www.echr.coe.int/Documents/2013_Protocol_16_Court_Opinion

[15] http://www.echr.coe.int/Documents/2013_Courts_advisory_jurisdiction_FRA.pdf

[16]http://semantic-pace.net/tools/pdf.aspx?doc=aHR0cDovL2Fzc2VtYmx5LmNvZS5pbnQvbncveG1sL1hSZWYvWDJILURXLWV4dHIuYXNwP2ZpbGVpZD0yMDAxNSZsYW5nPUZS&xsl=aHR0cDovL3NlbWFudGljcGFjZS5uZXQvWHNsdC9QZGYvWFJlZi1XRC1BVC1YTUwyUERGLnhzbA==&xsltparams=ZmlsZWlkPTIwMDE1

[17] Paragraphe 9 du rapport  http://www.echr.coe.int/Documents/Protocol_16_explanatory_report_FRA.pdf

[18] Article 2 du Traité sur l'Union européenne (TUE) :

« L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes. »

[19] http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12016P/TXT&from=FR

[20] Article 52 , paragraphe 3 : «  Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. »

[21] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=9ea7d0f130d560ed1e2393004b49aaa08be1b36fd208.e34KaxiLc3eQc40LaxqMbN4PaNaNe0?text=&docid=134202&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=1458943

[22] Lorsque les Etats parties à la convention mettent en œuvre les obligations qui résultent de l’appartenance à l’Union européenne, la CEDH présume que la protection des droits fondamentaux offerte par le droit communautaire est équivalente à celle assurée par le mécanisme de la convention (Bosphorus Airways c. Irlande, 30 juin 2005, n°45036/98 [GC]). Pour une application récente de la présomption de protection équivalente à la question de la confiance mutuelle, voir l’arrêt de Grande chambre Avotins c. Lettonie du 23 mai 2016 (17502/07)

[23] « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : / a) sur l'interprétation des traités ; / b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. / (…) Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. »

[24] http://curia.europa.eu/juris/document/document_print.jsf;jsessionid=9ea7d2dc30d6e2e9f19263a04db1927f922ae5b0f7e0.e34KaxiLc3qMb40Rch0SaxyMbN50?doclang=FR&text=&pageIndex=0&part=1&mode=DOC&docid=160882&occ=first&dir=&cid=766306

[25] « La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : / a) sur l'interprétation des traités ; / b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union. / (…) Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour. »

[26] Article B. Introduction d’une demande d’avis consultatif :

1. En vertu de l’article 1 du Protocole n° 16 à la convention, certaines juridictions des parties contractantes à ce protocole peuvent adresser à la Cour des demandes d’avis consultatif sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la convention ou ses Protocoles. Toute demande d’avis consultatif est à adresser au greffier de la Cour.

2.1 La demande doit être motivée et exposer :

a) l’objet de l’affaire interne ainsi que le contexte juridique et factuel pertinent ;

b) les dispositions juridiques internes pertinentes ;

c) les questions pertinentes relatives à la convention, en particulier les droits ou libertés en jeu ;

d) si cela est pertinent, un résumé des arguments des parties à la procédure interne sur la question ;

e) si cela est possible et opportun, un exposé par la juridiction dont émane la demande d’avis consultatif de son propre avis sur la question, y compris toute analyse qu’elle a pu faire de la question.

2.2 La juridiction dont émane la demande soumet tous autres documents pertinents au regard du contexte juridique et factuel de l’affaire pendante.

2.3. La juridiction dont émane la demande notifie le greffier en cas de retrait de sa demande. À réception de pareille notification, la Cour clôt la procédure.

[27] http://www.echr.coe.int/Documents/Protocol_16_explanatory_report_FRA.pdf

[28] http://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/214/signatures?p_auth=rLfPJ5dl