Description : LOGO

N° 3365

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

visant à sauvegarder et valoriser le patrimoine français,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bernard PERRUT, Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Julien AUBERT, Édith AUDIBERT, Valérie BAZINMALGRAS, Émilie BONNIVARD, Ian BOUCARD, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, JeanLuc BOURGEAUX, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Dino CINIERI, Pierre CORDIER, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Claude de GANAY, Rémi DELATTE, Charles de la VERPILLIÈRE, Fabien DI FILIPPO, Patrick HETZEL, Brigitte KUSTER, Marc LE FUR, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Didier QUENTIN, Robin REDA, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Bernard REYNÈS, Martial SADDIER, JeanMarie SERMIER, Nathalie SERRE, Robert THERRY, Laurence TRASTOURISNART, Isabelle VALENTIN, Arnaud VIALA, Michel VIALAY, JeanPierre VIGIER,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France possède une offre culturelle exceptionnelle et chaque année, le succès des Journées européennes du patrimoine témoigne de notre engouement collectif pour les monuments nationaux emblématiques. Témoins de l’Histoire de France qui permettent de comprendre le présent, nous ne pouvons qu’être sensibles à ces monuments, à leur dimension culturelle et mémorielle, mais aussi au rôle essentiel qu’ils occupent pour notre identité nationale et locale.

La richesse du patrimoine français c’est plus de 45 000 monuments historiques dont 15 000 monuments religieux, près de 100 monuments gérés par le centre des monuments nationaux, 186 villes et pays d’art et d’histoire, 212 maisons des illustres, des services d’archives et plus de 800 sites patrimoniaux remarquables, 42 sites inscrits au patrimoine mondial par l’UNESCO, 3 400 parcs et jardins protégés…

Mais le patrimoine français est plus vaste encore que les seuls monuments classés et protégés. Notre patrimoine culturel, c’est aussi : le patrimoine rural avec les maisons typiques de nos campagnes, les moulins, les fontaines, les lavoirs, les pigeonniers et les phares, le patrimoine religieux, avec les églises et les chapelles de nos villages, le patrimoine industriel, avec d’anciennes usines emblématiques… Ces « trésors des humbles », pour reprendre l’expression de l’écrivain Maurice Maeterlinck, sont l’âme de nos régions. Ils témoignent d’un art de vivre à la française et d’une architecture locale. Fruits de l’histoire économique et sociale de nos territoires, ils sont la mémoire de la vie quotidienne des générations précédentes.

La sauvegarde et la valorisation du patrimoine revêt par ailleurs des implications culturelles, économiques et sociales fortes.

Avec plus de 90 millions de visiteurs étrangers en 2018, la France reste le pays le plus visité au monde ; une attractivité qu’elle doit en partie à son patrimoine exceptionnel. Près de 45 millions d’entrées ont été enregistrées en 2018 dans les musées et monuments nationaux. La fréquentation des seuls monuments nationaux a franchi en 2018 et pour la première fois un record en dépassant les 10 millions d’entrées.

Ainsi, le patrimoine porte en effet une dimension économique et sociale importante, puisqu’il génère 21 milliards d’euros de retombées économiques et représente près de 500 000 emplois dans notre pays. Ces emplois, qui ne sont pas délocalisables, répondent souvent aux attentes des jeunes générations. C’est en effet en préservant notre patrimoine que nous transmettons aux générations futures ce que nous avons reçu en héritage. Dans un monde en évolution constante, le patrimoine est un facteur de stabilité et d’identité.

Sauvegarder le patrimoine, c’est aussi favoriser l’attractivité des territoires. Chaque chantier de restauration crée des emplois directs et indirects (au moins 45 postes dans le seul secteur du bâtiment, pour chaque 1,5 million d’euros engagés dans des travaux sur le bâti ancien). Valoriser le patrimoine, c’est aussi revitaliser les territoires et renforcer leur attractivité via les impacts touristiques et culturels. Toutes les zones rurales françaises, riches en patrimoine architectural, culturel et naturel, disposent donc de facteurs de développement significatifs.

Enfin, protéger le patrimoine assure la transmission des savoir‑faire et des techniques traditionnelles du bâti ancien (taille de pierre, torchis, lauze, etc.). Par ce biais‑là, de nombreux projets donnent lieu à des chantiers d’insertion, le patrimoine étant un excellent support de réinsertion sociale et professionnelle.

Or, avec la crise sanitaire violente que notre pays vient de traverser et la crise économique et sociale inédite qui en découle, il devient d’autant plus nécessaire de pouvoir se rattacher à ce qui est connu, rassurant, à ce qui incarne la stabilité, la permanence, la pérennité. A cet égard, le patrimoine, en ce qu’il a de durable et rassurant, joue un rôle irremplaçable pour la cohésion et le bien‑être des Français. Il importe donc de soutenir celles et ceux qui font vivre, entretiennent et rendent accessibles au public les trésors de notre patrimoine.

Si certains édifices sont classés et protégés, le manque de moyens met toutefois en danger beaucoup de nos trésors patrimoniaux, qui se retrouvent délaissés voire menacés.

D’après la Fondation du Patrimoine, dont la mission depuis plus de vingt ans est d’identifier, de sauvegarder et de valoriser le patrimoine de proximité, près de 3 500 monuments sont en péril, avec 2 000 bâtiments historiques en péril absolu, et un quart du patrimoine total qui mériterait des travaux.

A contrario, de récentes décisions du Gouvernement, telles que la suppression de la réserve parlementaire qui permettait de soutenir les communes et les associations culturelles qui travaillent à la restauration de petits monuments, ou encore la non‑compensation des taxes prélevées par l’État sur les recettes du loto du patrimoine ont eu des effets néfastes sur la préservation du patrimoine ; sans compter la baisse cette année de 5 % (7 millions d’euros) du montant des subventions aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés pour la protection des monuments historiques. Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, l’État n’investit, en 2020, que 506 millions d’euros pour le patrimoine alors qu’un soutien renforcé et des mesures de simplification sont nécessaires.

Notre responsabilité collective est donc de préserver ce patrimoine culturel français. Il s’agit même d’un enjeu essentiel pour nos politiques publiques et pour l’identité de notre nation.

C’est pour l’ensemble de ces raisons qu’il est primordial de répondre à ce besoin de sauvegarde et de valorisation du patrimoine français, alors que les incendies de la cathédrale Saint‑Pierre‑et‑Saint‑Paul de Nantes, comme de Notre‑Dame de Paris ont ému tous les Français, dont les voix se sont élevées pour dénoncer le manque d’entretien de ces édifices et la mise en péril de notre patrimoine culturel.

Cette présente proposition de loi s’attache ainsi à agir sur plusieurs aspects de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine français.

Dans un premier temps, larticle 1er invite le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport dressant un état des lieux exhaustif de l’état du patrimoine culturel français indispensable à toute mesure de sauvegarde et de valorisation. Ce rapport devra esquisser des solutions pour permettre la préservation de ce patrimoine et fera des propositions pour permettre durablement le maintien d’un bon état de conservation de ces édifices. Il étudiera également les mesures qui permettraient de soutenir les collectivités territoriales qui protègent le patrimoine.

Larticle 2 vise ensuite à exonérer le loto du patrimoine des contributions et prélèvements habituellement dus sur les sommes misées, dans le cadre des jeux organisés et exploités par la Française des jeux, afin d’encourager et d’accompagner cette initiative. La Française des jeux aura ensuite la charge d’attribuer les sommes ainsi disponibles à la vocation initiale du tirage additionnel et des jeux de grattage créés à la suite de la mission sur le patrimoine en péril confiée à Stéphane Bern, qui rencontre un succès qu’il faut encourager.

Sans avoir pu connaître d’ouverture ni d’accueil du public à cause de la crise sanitaire pendant de nombreuses semaines, les gestionnaires et propriétaires de monuments historiques privés restent très inquiets pour la pérennité du patrimoine français, en particulier ceux dont la détention et la gestion s’effectuent essentiellement en nom propre ou par des sociétés civiles immobilières. Les annulations de séminaires, rassemblements festifs (comme les mariages) ou festivals pour cause de situation sanitaire post‑covid 19 ont de lourds impacts pour de nombreux propriétaires de châteaux, et demeures historiques. Plusieurs monuments historiques du patrimoine français sont en sursis, les charges nombreuses liées à l’entretien de ces monuments se trouvent d’autant plus alourdies par la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière qui a directement pénalisé les propriétaires de biens immobiliers, fussent‑ils historiques, injustement considérés comme « improductifs ».

C’est pourquoi larticle 3 reprend le principe d’une exonération de l’imposition sur la fortune immobilière pendant deux ans pour les propriétaires privés de monuments historiques ouverts au public, et qui tirent de cette ouverture une part significative de leurs revenus. Ce délai permettra de voir les conséquences de la crise et d’évaluer la pertinence de ce dispositif fiscal.

Par ailleurs, au regard de la complexité et de la longueur de l’instruction des demandes d’exonération de droits de mutation à titre gratuit des immeubles classés ou inscrits sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques et des meubles, larticle 4 propose d’en simplifier la procédure afin d’éviter de laisser des successions ouvertes, et ce, au détriment de la mise en valeur du patrimoine. La procédure d’instruction des demandes de convention est donc ici portée à un an maximum.

Dans ce contexte, larticle 5 invite à maintenir un cadre fiscal incitatif pour les particuliers qui souhaitent donner aux fondations et aux associations à travers le relèvement du plafond actuel de déduction au titre de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) de 50 000 à 80 000 euros et du taux de 66 à 75 % de déductibilité pour tous les dons des particuliers au‑delà de 2 500 euros par an.

Larticle 6 propose d’adapter à l’évolution du mécénat d’entreprise et de le stimuler pour les petites et moyennes entreprises, mais aussi, pour les entreprises de taille intermédiaire, en aménageant spécifiquement le régime de déductibilité des dons.

Larticle 7 du texte a enfin pour vocation d’enraciner nos enfants dans leurs territoires grâce à la mise en place d’un enseignement pour transmettre le patrimoine de proximité en éveillant le regard des élèves sur le patrimoine matériel qui se trouve dans leur environnement immédiat. Sans toujours relever du patrimoine national connu de tous, ce patrimoine n’en constitue pas moins un patrimoine commun, à connaître et à préserver : ancienne cité minière, phare, moulin, église communale, château en ruine, ancienne usine, jardin médiéval ou pittoresque... Autant de lieux divers qui, même lorsqu’ils semblent modestes, méritent d’être explorés et qui, le plus souvent, s’y prêtent et permettent de faire l’expérience de la beauté dans son environnement immédiat. À titre d’exemple, en Russie, les enfants reçoivent des cours sur l’histoire de leur ville ou de leur village. Cet enseignement pourrait prendre la forme d’un projet tout au long de l’année qui saurait susciter, chez les élèves, l’envie de participer bénévolement à des initiatives de restauration du patrimoine grâce à cette réappropriation.

 


proposition de loi

Article 1er

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport dressant un état des lieux exhaustif de l’état du patrimoine culturel français. À cet égard, ce rapport établit un diagnostic complet du patrimoine rural, du patrimoine religieux, et du patrimoine industriel de nos territoires, quelle que soit la taille de l’édifice et que celui‑ci soit inscrit ou non au patrimoine historique ou au patrimoine mondial de l’édifice.

À l’issue de cette étude approfondie, le rapport esquisse des solutions pour permettre la sauvegarde de ce patrimoine et formule des propositions pour permettre durablement le maintien d’un bon état de conservation de ces édifices, afin de leur assurer un meilleur avenir, garantir leur sécurité ainsi que celle des personnes qui les fréquentent, pour enfin le valoriser.

Ce rapport présente également des pistes de soutien de l’État aux collectivités territoriales qui protègent le patrimoine, et étudie la possibilité d’augmenter la contribution de l’État au fonds incitatif et partenarial pour les monuments historiques situés dans les communes à faibles ressources.

Article 2

Les jeux dédiés au patrimoine organisés par la Française des jeux ne sont pas soumis :

1° À la contribution sociale généralisée prévue par les articles L. 136‑7‑1 et L. 136‑8 du code de la sécurité sociale ;

2° À la contribution prévue par l’article 18 de l’ordonnance n° 96‑50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ;

3° Au prélèvement prévu par l’article 1609 novovicies du code général des impôts ;

4° À la taxe sur la valeur ajoutée au taux en vigueur applicable en vertu du 2° de l’article 261 E du même code.

Article 3

Après le premier alinéa du I de l’article 975 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À compter du 1er janvier 2020 pour une durée de deux ans, les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques sont exonérés lorsqu’ils sont affectés, en tout ou partie, à l’une des activités mentionnées à l’alinéa précédent, ou à la visite, et que le propriétaire s’engage à les conserver pendant au moins quinze ans. »

Article 4

Le premier alinéa de l’article 795 A du code général des impôts est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Le délai maximal d’instruction des demandes de conventions mentionnées au présent alinéa est fixé à un an. Au‑delà de ce délai, le silence gardé par l’administration vaut décision d’acceptation ».

Article 5

Le code général des impôts est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa du 1 de l’article 200, le taux : « 66 % » est remplacé par le taux : « 75 % » ;

2° Au premier alinéa du I de l’article 978, le montant : « 50 000 € » est remplacé par le montant : « 80 000 € ».

Article 6

Le premier alinéa du 1 de l’article 238 bis du code général des impôts est ainsi rédigé :

« 1. Les versements effectués par les entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés, pris dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires, ou lorsque cette limite est dépassée, 10 000 €, et sans pouvoir dépasser 30 millions d’euros, sauf lorsque l’organisme bénéficiaire est l’un de ceux mentionnés au b du présent 1, ouvrent droit à une réduction d’impôt de 60 % lorsqu’ils sont effectués au profit : »

Article 7

L’article L. 312‑15 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dans le cadre de l’enseignement moral et civique, les élèves sont sensibilisés à la richesse du patrimoine culturel français et sa nécessaire sauvegarde. Une information sur le patrimoine matériel de proximité est délivrée. Les élèves sont incités à participer à un projet bénévole de restauration de patrimoine local au sein d’une association ou à travers des initiatives des collectivités territoriales. »

Article 8

I. – La perte de recettes pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale de l’exonération de la contribution sociale généralisée et de la contribution relative au remboursement de la dette sociale pour les jeux dédiés au patrimoine est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

III. – La perte de recettes résultant pour l’Agence nationale du sport chargée de la haute performance et du développement de l’accès à la pratique sportive de l’exonération de prélèvement pour les jeux dédiés au patrimoine est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.