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N° 3493

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 octobre 2020.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

inscrivant la notion de développement durable dans la Constitution,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jennifer De TEMMERMAN, Martine WONNER, FrançoisMichel LAMBERT, Annie CHAPELIER, Frédéric REISS, Sandrine JOSSO, Cathy RACONBOUZON,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi constitutionnelle est issue d’une réflexion approfondie sur la société dans laquelle nous souhaitons vivre. Construite autour de la notion de développement durable telle que définie dans Notre avenir à tous (Our Common Future), publication de 1987 plus communément connue sous le nom de rapport Brundtland. « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de “besoins”, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir. ». Cette notion de développement durable va bien plus loin qu’un seul engagement environnemental auquel elle est trop souvent réduite, car elle comporte des aspects certes environnementaux, mais également sociaux et économiques.

Alors que la pandémie de covid‑19 est toujours présente sans que l’on sache pour combien de temps encore, la question n’est pas de savoir quand de nouvelles catastrophes se produiront, mais comment réunir toutes les conditions pour éviter au maximum des situations similaires. Le choc de la pandémie nous a montré que nous pouvons faire les choses autrement. Pendant le confinement, les émissions de CO2 et les pollutions ont chuté. La faune a repris ses droits parfois jusque dans nos villes. La reprise économique sur les mêmes bases qu’avant n’est pas un remède durable au changement climatique ni à l’effondrement de la biodiversité. Une relance aveugle pour revenir à la « normalité » rattrapera rapidement les tonnes d’émissions polluantes évitées, creusera à nouveau les inégalités et nous replongera encore dans nos travers.

Le confinement a exacerbé les inégalités entre ceux qui doivent tenir les professions essentielles à la vie et ceux qui peuvent télétravailler, entre ceux qui sont surchargés par les tâches ménagères et le suivi des enfants confinés et ceux qui peuvent vaquer à leurs occupations, entre les habitants des centres‑villes ou des quartiers favorisés et ceux des quartiers populaires ou les habitants ruraux, entre les salariés encore couverts par la protection sociale et les précaires laissés à l’abandon, entre ceux disposant d’outils numériques et les maîtrisant et les laissés‑pour‑compte, entre la métropole et l’outre‑mer, entre les différentes parties du monde. En même temps, dans les campagnes et les quartiers, ancrées dans les réseaux associatifs et de sociabilité ; ont émergé d’innombrables initiatives de solidarité et d’entraide qui préfigurent les mondes de demain.

Cet élan de solidarité initié par nos concitoyens, nous le retrouvons dans les Objectifs de développement durable. Maintenant plus que jamais, ces objectifs ont besoin d’un portage politique de haut niveau afin de donner un signal fort à nos concitoyens et de jeter les bases de la construction d’une société résiliente. À l’heure où nous nous interrogeons sur l’avenir que nous souhaitons avoir en commun, il apparaît primordial de s’appuyer sur ce plan équilibré et juste que constitue les Objectifs de développement durable.

Ces Objectifs de Développement Durable ont été adopté en septembre 2015 par 193 pays aux Nations Unies, à la suite des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) à travers l’Agenda 2030. déclinés en 169 cibles, ils constituent une vision et une grammaire commune pour notre avenir, un avenir plus juste, équitable, pacifique, écologique et social. Un avenir où chaque être humain trouve sa place en harmonie avec la planète.

La résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, encourage les États membres à se fixer leurs propres cibles en tenant compte des spécificités nationales ; à articuler leur action autour de stratégies nationales de développement durable et à procéder à des examens réguliers des progrès accomplis en tirant parti des contributions de la société civile, du secteur privé, du parlement et des autres institutions.

C’est ainsi que, dans notre pays, une feuille de route a été présentée le 20 septembre 2019, dessinant les grandes transformations à mener. Cette feuille de route propose de faire évoluer notre société vers un modèle plus prospère, plus inclusif et plus respectueux de l’environnement, afin que la France soit au rendez‑vous des Objectifs de développement durable.

Cette proposition de loi constitutionnelle va dans ce sens. La notion de développement durable apparaît certes dans la charte de l’environnement de 2004, à valeur constitutionnelle, mais cette inscription a le défaut de la réduire aux seuls aspects environnementaux dans l’esprit du grand public. L’ajouter dans la Constitution française est un signal fort envoyé à nos citoyens comme à l’ensemble du monde. Pour cela, l’article 1 de cette proposition de loi, vient inscrire dans le premier article de la Constitution l’ensemble des valeurs que doit porter la République Française afin de tenir ses engagements en faveur du développement durable.

Une des principales difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de l’Agenda 2030 est que son application reste essentiellement au niveau administratif, au sein des ministères, sans réelle coordination, malgré les efforts entrepris par quelques hauts fonctionnaires convaincus. L’Agenda 2030 a besoin d’un portage politique de haut niveau, et pour cela, il ne peut rester cantonné aux seuls ministères de la transition écologique et solidaire et des affaires étrangères. Comme au Bangladesh, en Biélorussie, au Costa Rica ou au Nigeria, la responsabilité de la mise en œuvre des Objectifs De Développement Durable doit revenir au Premier ministre et au gouvernement dans son ensemble, et pas seulement lors de rares réunions du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). L’article 2 propose donc d’inscrire dans la constitution que le gouvernement doit mener une politique en accord avec les principes du développement durable.

Les principales fonctions parlementaires, à savoir l’élaboration et le vote des lois, le contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques, sont essentielles pour la mise en œuvre effective des Objectifs de Développement Durable. En effet, si l’adoption d’une loi n’est pas la seule réponse politique nécessaire pour atteindre les Objectifs de Développement Durable, il s’agit souvent d’une première étape ou d’une composante essentielle de l’action. Par ailleurs, toute politique publique ne peut être menée sans sa traduction budgétaire.

Enfin, la fonction de contrôle est un moyen pour le parlement de mesurer l’efficacité de la mise en œuvre par le gouvernement des engagements relatifs aux Objectifs de Développement Durable en s’appuyant sur les indicateurs de suivi de l’INSEE. Il apparaît donc nécessaire à la fois de préciser que l’évaluation des politiques publiques doit se faire au regard de leur compatibilité avec les Objectifs de Développement Durable et de faire figurer cette notion dans la liste des principes fondamentaux régis par la loi. C’est l’objet des articles 3 et 4 de la présente loi.

La réalisation de l’ensemble des Objectifs de Développement Durable nécessite une synergie d’action entre chacun des Objectifs de Développement Durable. Une politique sectorielle, mise en place pour atteindre un Objectif De Développement Durable, pourrait aboutir à une régression inacceptable au regard d’autres Objectifs de Développement Durable. Il est donc indispensable de tenir compte de ses effets potentiels sur d’autres secteurs. Cela passe par une vision dans globale, une cohérence et une harmonie des politiques publiques mises en œuvre dans ce cadre. Il est donc nécessaire d’introduire la notion d’irrecevabilité par rapport au « développement durable » afin de veiller à la prise en compte de tous les impacts des textes proposés au Parlement. L’article 5 tend ainsi à compléter l’article 40 de la Constitution.

Contribuer à l’engagement de la France pour l’atteinte des Objectifs de Développement Durable tels que définis dans l’Agenda 2030 porté par les Nations Unies, tel est l’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, sont insérées quatre phrases ainsi rédigées : « La République veille à un usage économe et équitable des ressources naturelles, garantit la préservation de la diversité biologique et lutte contre les changements climatiques dans le cadre des limites planétaires. Elle promeut un modèle de croissance et de prospérité en adéquation avec la notion de développement durable, respectueux des besoins sociaux tout autant que de la protection de l’environnement. Elle assure la solidarité entre les générations. Une génération ne peut assujettir les générations futures à des lois moins protectrices de l’environnement que celles en vigueur. »

Article 2

Le premier alinéa de l’article 20 de la Constitution est complété par les mots : « en accord avec les principes et objectifs qui fondent le développement durable ».

Article 3

La troisième phrase du premier alinéa de l’article 24 de la Constitution est complétée par les mots : « et leur compatibilité avec les objectifs de développement durable. »

Article 4

Après le quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« – des objectifs du développement durable de notre Nation ; ».

Article 5

L’article 40 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence une régression de l’un des objectifs de développement durable et le non‑respect de la trajectoire visant à atteindre lesdits objectifs tels que fixés par la France. »