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N° 1948

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 décembre 2023.

PROPOSITION DE LOI

portant sur la responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis des soustraitants, des emplois et des territoires,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Catherine COUTURIER, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Joël AVIRAGNET, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Mickaël BOULOUX, M. Idir BOUMERTIT, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, M. Hendrik DAVI, M. Arthur DELAPORTE, M. Stéphane DELAUTRETTE, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Charles FOURNIER, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Chantal JOURDAN, M. Sébastien JUMEL, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Tematai LE GAYIC, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jean-Paul LECOQ, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Benjamin LUCAS, M. Frédéric MAILLOT, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. Stéphane PEU, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, Mme Christine PIRES BEAUNE, M. Thomas PORTES, M. Dominique POTIER, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, Mme Valérie RABAULT, M. Jean-Hugues RATENON, M. Jean-Claude RAUX, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Davy RIMANE, M. Sébastien ROME, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Fabien ROUSSEL, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, M. Nicolas SANSU, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, M. Jean-Marc TELLIER, Mme Mélanie THOMIN, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Boris VALLAUD, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER, M. Jiovanny WILLIAM, M. Hubert WULFRANC,

députées et députés.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi a été initiée par des salarié.es et les représentant.es du personnel de l’entreprise sous‑traitante creusoise d’équipementier automobile, GM&S La Souterraine.

Mise en liquidation judiciaire en mai 2017, l’entreprise ‑ désormais renommée LSI (La Souterraine Industry) ‑ a été reprise en septembre 2017 par GMD, un groupe industriel composé de 26 sites dont 11 à l’étranger et qui emploie 4 800 personnes dont 3 900 en France.

Cette reprise du site creusois par GMD s’est effectuée au prix d’un plan de sauvegarde de l’emploi pour plus de la moitié de ses salarié.es (157 sur 277) et sur l’engagement, devant l’État, des deux principaux donneurs d’ordre, PSA et Renault Nissan, de commandes permettant d’asseoir sur les cinq années à venir un chiffre d’affaires annuel de 22 millions d’euros.

Pourtant, à l’heure actuelle, l’entreprise ne fonctionne plus qu’à 30 % de son potentiel. PSA et Renault n’ont pas honoré leurs engagements, commandant à eux deux pour seulement 13,9 millions d’euros en 2019, 8,6 millions d’euros en 2020 et 9,39 millions d’euros en 2021. Enfin, depuis septembre 2017, seule une cinquantaine de salariés ont retrouvé un contrat à durée indéterminé (CDI) dans le cadre de la cellule de reclassement mise en place à l’automne 2017.

Sans dédouaner les actionnaires et les directions successives de leurs responsabilités, ce contexte éprouvant jette une lumière crue sur la dépendance démesurée des sous‑traitants vis‑à‑vis des donneurs d’ordre. Une dépendance visible dans l’organisation, la structuration et la gestion des sites, avec la complicité des directions successives. C’est pourquoi, les salarié.es de la GM&S La Souterraine ainsi que leurs représentant.es ont rédigé une première proposition de loi pour contraindre les donneurs d’ordre à assurer socialement et financièrement les conséquences de leur désengagement auprès de leurs sous‑traitants.

Ce travail a donné lieu au dépôt d’une proposition de loi le 12 mai 2020 à l’Assemblée nationale par les groupes parlementaires de la France Insoumise et de la Gauche Démocrate et Républicaine. En juillet 2021, le sénateur Gay a rencontré les salarié.es de la GM&S La Souterraine, et le groupe Communiste républicain citoyen et écologiste du Sénat a entamé des réflexions qui ont abouti à la rédaction de cette proposition de loi, en s’appuyant sur de nombreuses contributions d’organisations syndicales et de personnalités ayant participé à la lutte au côté des salariés.

Le régime de la sous‑traitance industrielle est défini en France par la loi de 1975, initialement mise en place pour le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) et étendue à l’ensemble des secteurs. Si les dispositions de la loi de 1975 ont permis une première avancée, face à l’extension du recours à la sous‑traitance par les entreprises, les règles sont insuffisantes pour protéger les sous‑traitants dans la relation déséquilibrée qui les lie aux donneurs d’ordre. Tous les rapports sur la relation sous‑traitants et donneurs d’ordre pointent notamment la nécessité de définir la sous‑traitance industrielle et de la doter d’un cadre plus protecteur pour les sous‑traitants.

Par ailleurs, depuis février 2017, les entreprises transnationales sont tenues de mettre en œuvre des plans de vigilance pour prévenir les atteintes graves à l’environnement et à la santé, et donc d’identifier les risques sur toute leur chaîne de fournisseurs afin de préserver la société et les consommateurs.

C’est aussi le sens du décret n° 2022‑607 du 22 avril 2022 modifiant le décret n° 2021‑844 du 29 juin 2021 relatif au fonds exceptionnel d’accompagnement et de reconversion des salariés licenciés de la filière automobile, édicté suite à la lutte des salariés‑es de la SAM, sous‑traitant automobile de Renault.

Il est désormais temps d’élargir ce devoir de vigilance aux risques sociaux et économiques que ces grandes entreprises font peser sur leurs sous‑traitants et sur leurs salarié.es. Leur responsabilité doit en effet s’étendre aux impacts de leurs choix stratégiques sur l’ensemble de la filière. Cet appel à responsabilité a pris plusieurs formes mais reste sur le fond soit un simple accompagnement des stratégies des entreprises sans prise en compte de la problématique territoriale, soit des déclarations de bonnes intentions telles qu’en 2010, la charte de la Médiation du crédit et de l’Association des acheteurs de France (CDAF) régissant les relations entre grands donneurs d’ordre et petites et moyennes entreprise (PME), ou encore à la fin de l’année 2009, les États généraux de l’Industrie qui ont débouché sur les Chartes automobiles puis sur le Fond de modernisation des équipementiers automobiles.

Plus récemment, la question de la responsabilité des donneurs d’ordre a été évoquée par le rapport d’information du 26 juin 2019 concluant les travaux de la mission d’information présidée par le député Denis Sommer sur les relations entre grands donneurs d’ordre et sous‑traitants dans les filières industrielles. Là aussi sans suite.

Parce que la relation entre les donneurs d’ordre et les entreprises sous‑traitantes est une relation asymétrique, la présente proposition de loi vise à prendre en compte la dépendance structurelle des entreprises sous‑traitantes et à réduire ses effets, notamment par la mise en place de contrats‑types. Dans un objectif de protection des sous‑traitants et de lutte contre les mauvaises pratiques, il est nécessaire de promouvoir la mise en place de contrats types adaptés au niveau de chaque filière ou secteur par une négociation entre les acteurs concernés.

La responsabilité des donneurs d’ordre doit être à la hauteur du pouvoir qu’ils ont sur leurs sous‑traitants et les salarié.es des sous‑traitants qui doivent bénéficier d’une protection. De surcroît, il est nécessaire de responsabiliser les donneurs d’ordre vis‑à‑vis des décisions qu’ils peuvent prendre non seulement pour les sous‑traitants, pour les salarié.es mais aussi pour les territoires. La proposition de loi vise à renforcer la responsabilité économique et environnementale de l’entité donneuse d’ordre vis‑à‑vis de ses sous‑traitants.

L’organisation de la sous‑traitance conduit à séparer la production en entités faussement indépendantes. Aujourd’hui, les intérêts des sous‑traitants et de leurs salarié.es ne sont pas pris en compte dans la gestion de l’entreprise donneuse d’ordre. La proposition de loi entend y remédier en les intégrant dans les comités de groupe des donneurs d’ordre de façon à recevoir une information complète, identique et simultanée sur les implications et les conséquences socio‑économiques de leurs choix.

L’enjeu de la politique d’achat va au‑delà de la rentabilité de la seule entreprise donneuse d’ordre. Elle a un impact sur la bonne santé de tout le tissu industriel et sur les bassins de vie. La proposition de loi complète la liste des critères à prendre en compte par la proximité, les enjeux territoriaux et la durabilité de la relation sur les trois dernières années.

Les donneurs d’ordre doivent assumer une responsabilité environnementale au regard des dégâts environnementaux que leurs choix stratégiques génèrent. La proposition de loi étend cette responsabilité aux entreprises sous‑traitantes. Les fermetures d’entreprise génèrent des friches industrielles dont la réhabilitation doit être à la charge des décideurs.

Enfin, face à l’explosion de la pratique de la sous‑traitance en cascade où les entreprises sous‑traitantes font elles‑mêmes appel à d’autres entreprises pour réaliser tout ou partie d’un projet pour lequel elles ont été sollicitées, la proposition de loi entend limiter ce recours à la sous‑traitance en cascade.

L’article 1er permet de qualifier la relation entre donneur d’ordre et sous‑traitant dans le droit, afin que la nature de la relation commerciale inégale qui les unit soit reconnue et donne lieu à une responsabilité sociale économique, juridique et environnementale.

Cette relation est établie en fonction de deux critères alternatifs :

– de la taille du périmètre du donneur d’ordre : une entreprise d’au moins 1 000 salariés en son sein ou dans ses filiale directes ou indirectes

– ou dont la relation avec le sous‑traitant représente au moins 30 % du chiffre d’affaires de ce dernier sur les trois dernières années.

Nous reprenons en cela les préconisations du rapport d’évaluation de l’Assemblée nationale de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, du 24 février 2022.

De plus, le seuil de 1 000 salariés est déjà repris par de nombreuses dispositions telles l’obligation de revitalisation du bassin d’emploi, le congé de reclassement, l’obligation de rechercher un repreneur ou la mise en place d’un comité d’entreprise ou de groupe européen.

Enfin, elle s’inscrit dans les pas de la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance qui impose une obligation de vigilance aux entreprises de plus de 500 salarié.es en moyenne ayant réalisé un chiffre d’affaires net mondial de plus de 150 millions d’euros au cours du dernier exercice ainsi qu’aux entreprises qui emploient entre 250 et 500 salarié.es en moyenne et ayant réalisé un chiffre d’affaires net mondial de plus de 40 millions d’euros au cours du dernier exercice, à condition qu’au moins 50 % de ce chiffre d’affaires ait été réalisé dans un ou plusieurs des secteurs identifiés à haut risque, tels que le textile, l’agriculture ou les matières premières.

L’article 2 prévoit d’une part, l’intégration des entreprises sous‑traitantes, ainsi que leurs représentant.es du personnel, dans le Comité de groupe des donneurs d’ordre afin de permettre l’implication conjointe et solidaire de l’entreprise donneuse d’ordre au côté de la sous‑traitante dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Nous proposons, enfin, de créer une institution représentative du personnel spécifique aux relations de sous‑traitance regroupant les salariés des sous‑traitants, considérés comme formant une même communauté de travail avec des intérêts communs. Le comité de groupe se réunit au moins une fois par semestre sur convocation de son président ou si au moins l’un des représentant.es d’une entreprise sous‑traitante en fait la demande expresse et motivée.

L’article 3 prévoit d’associer les sous‑traitants aux décisions stratégiques du donneur d’ordre permettant ainsi un meilleur accès aux informations afin de les mettre en situation de mieux définir leur stratégie industrielle. Les entreprises sous‑traitantes ou prestataires, ainsi que leurs institutions représentatives du personnel reçoivent ainsi des informations sur la réalité et la projection d’activité, d’évolution des effectifs, le besoin en qualification et compétences, et les évolutions technologiques.

Enfin, cet article prévoit de rendre obligatoires les informations sur la sous‑traitance et de permettre aux représentant.es des sous‑traitants d’être présent.es avec voix consultative lorsque ce point est à l’ordre du jour du Comité de groupe.

L’article 4 prévoit la réalisation obligatoire et préalable d’une étude d’impact lorsqu’intervient un changement d’orientation technique, normatif ou économique ayant un impact sur l’activité d’un sous‑traitant dans le cadre du plan de vigilance prévu par la loi du 12 juillet 2017. Actuellement, les entreprises donneuses d’ordre qui procèdent à des licenciements collectifs affectant l’équilibre d’un bassin d’emploi sont exonérées de toute responsabilité à l’égard des salarié.es de leurs sous‑traitants.

L’article 5 responsabilise les donneurs d’ordre en mettant en place lors d’une restructuration ou d’une réduction d’effectifs conduisant à des licenciements collectifs pour motif économique par le sous‑traitant, une négociation préalable et obligatoire avec les entreprises sous‑traitantes. En l’absence d’accord, le donneur d’ordre contribue à hauteur de ses moyens au plan de reclassement visé à l’article L. 1233‑62 du code du travail. Le document unilatéral définissant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi est apprécié au regard des moyens de l’ensemble formé par le donneur d’ordre.

Le comité de groupe de sous‑traitance est informé et consulté pour avis sur les mesures envisagées par le donneur d’ordre pour contribuer au contenu du Plan de sauvegarde de l’emploi du sous‑traitant en cas de licenciements collectifs pour motif économique du donneur d’ordre.

L’article 6 prévoit qu’en cas de licenciement collectif affectant, par son ampleur, l’équilibre du ou des bassins d’emploi dans lesquels elles sont implantées, un ou des donneurs d’ordre, seront personnellement débiteurs de l’obligation de contribuer à la création d’activités et au développement des emplois et d’atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le ou les bassins d’emploi.

L’article 7 prévoit la création d’un groupe de reclassement au sein duquel les possibilités de reclassement des salarié.es du sous‑traitant doivent être recherchées. Cet article n’a pas la volonté de dédouaner les donneurs d’ordre de leurs responsabilités sociale et envers les territoires, il ouvre simplement une possibilité de proposer de reclassement aux salariés qui le souhaiteraient.

La négociation collective d’entreprise ou inter‑entreprises serait en matière de gestion des emplois et des parcours professionnels (G.E.P.P.) en faveur des salariés des sous‑traitants. En effet, mener cette négociation collective au niveau inter‑entreprises permettrait d’associer à la négociation les sous‑traitants et syndicats représentatifs des salariés des sous‑traitants dans la définition de mesures de G.E.P.P. Elle permettrait de prévenir d’éventuels licenciements économiques chez les sous‑traitants en accompagnant le changement notamment à la suite de la définition de nouvelles orientations stratégiques du donneur d’ordre.

L’article 8 prévoit que les donneurs d’ordre, informés du non‑paiement partiel ou total du salaire minimum légal ou conventionnel dû au salarié de son co‑contractant, d’un sous‑traitant direct ou indirect ou d’un co‑contractant d’un sous‑traitant, enjoint aussitôt, par écrit, à ce sous‑traitant ou à ce co‑contractant de faire cesser sans délai cette situation, et ce quelques soient les conditions d’effectifs, de volume, et d’ancienneté de la relation de la sous‑traitance.

L’article 9 élargit au donneur d’ordre la responsabilité au titre du principe pollueur payeur. Il instaure un principe de co‑responsabilité du donneur d’ordre pour les dégâts environnementaux créés par l’activité du sous‑traitant. Il s’agit d’ajouter au principe pollueur payeur cette responsabilité solidaire. La relation de sous‑traitance tend à déresponsabiliser les donneurs d’ordre y compris vis‑à‑vis de l’environnement.

Mais le déséquilibre entre les parties peut conduire celui‑ci à imposer des conditions ne laissant que peu de choix au sous‑traitant de prendre des risques environnementaux. Le sous‑traitant en est déjà pleinement responsable en application du principe pollueur payeur. Il s’agit d’encourager les pratiques vertueuses des donneurs d’ordre dans leur politique d’achat et leur rapport à leur sous‑traitant en les coresponsabilisant à l’égard des éventuels dommages causés à l’environnement.

L’article 10 s’inspire de la proposition n° 10 du rapport sénatorial « Les relations entre donneurs d’ordre et sous‑traitants dans le domaine de l’industrie » de mai 2013, préconisant la rédaction d’un contrat écrit définissant les rapports entre les parties à partir d’un montant fixé par décret. À défaut de clauses–types par filières, le contrat écrit signé entre les parties, les conditions générales de vente s’appliqueraient de plein droit aux relations commerciales entre donneurs d’ordre et sous‑traitants.

L’article 11 oblige les entreprises donneuses d’ordre de recourir à une assurance pour couvrir le risque de non‑paiement à leur sous‑traitant et fournisseurs. Aujourd’hui, cela ne s’applique en l’état qu’aux grandes entreprises (article 14‑2 de la loi 1975) et calqué sur le modèle des AGS pour les salariés.

L’article 12 souhaite lutter contre les mauvaises pratiques, c’est‑à‑dire faire obstacle aux pratiques qui consistent à localiser le lieu de facturation à l’étranger afin de rendre inapplicable la loi française en matière de délais de paiement en affirmant le caractère d’ordre public de l’article et la localisation du sous‑traitant comme critère unique de détermination de la loi applicable.

L’article 13 propose d’interdire à une entreprise sous‑traitante ou à une entreprise principale, au sens de la loi de 1975 sur la sous‑traitance, de sous‑traiter plus d’un tiers du travail qui lui est confié sans l’autorisation du donneur d’ordre et/ou du maître d’ouvrage.

L’article 14 vise à intégrer la pondération de ces différents critères dans leurs bases de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). En effet, les donneurs d’ordre prennent leur décision d’achat au regard d’une multiplicité de critères : prix, certifications qualité de la profession, certifications environnementales, proximité géographique, ancienneté de la relation d’achat.

Il a aussi pour objet de formaliser dans la loi les expériences de médiation jusqu’à présent embryonnaires entre entreprises donneuses d’ordre et sous‑traitants pour prendre en compte les contraintes des sous‑traitants et des territoires dans lesquels ils interviennent

 


proposition de loi

Article 1er

La section 1 du chapitre III du titre III du livre II du code de commerce est complétée par un article L. 233‑5‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 23352. – La relation entre un donneur d’ordre et un sous‑traitant est établie, en présence d’une relation commerciale établie de caractère stable, suivie et habituelle, dès lors que le donneur d’ordre est une entreprise qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes, quel que soit le lieu de leur siège social, ou dont la relation avec le sous‑traitant représente au moins 30 % du chiffre d’affaires du sous‑traitant sur les trois dernières années.

« Le changement de capital social, de forme juridique ou de dénomination du sous‑traitant est sans effet sur l’appréciation de la condition de durée lorsque le site de production est inchangé. »

Article 2

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Avant le dernier alinéa du II de l’article L. 2331‑1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Un comité de groupe de sous‑traitance est constitué au sein du groupe formé par une entreprise appelée donneur d’ordres au sens de l’article L. 233‑5‑2 du code de commerce, dont le siège social est situé sur le territoire français, et les entreprises sous‑traitantes au sens du même article L. 233‑5‑2. »

2° L’article L. 2334‑2 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, le mot : « an » est remplacé par le mot : « semestre » ;

b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les membres du comité bénéficient d’heures de délégation, dont le contingent annuel est fixé par voie d’accord de branche ou, à défaut, par décret. » ;

c) Est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le comité se réunit également sur demande expresse et motivée d’au moins l’un des représentants d’une entreprise sous‑traitante lorsque celui‑ci estime que l’entreprise à laquelle il appartient est susceptible de rencontrer des difficultés en raison de décisions prises par le donneur d’ordre. »

Article 3

Le code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 2332‑1 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Après avoir consulté le comité social et économique sur les orientations stratégiques à moyen et long terme en application de l’article L. 2312‑24, l’entreprise donneuse d’ordre communique immédiatement au comité de groupe de sous‑traitance les conséquences de ses orientations sur le recours à la sous‑traitance.

« Si un projet de développement, de restructuration ou de suppression d’activité est de nature à affecter le volume de chiffre d’affaires ou d’emploi d’une entreprise sous‑traitante, l’entreprise donneuse d’ordre en informe immédiatement le comité de groupe de sous‑traitance. Le comité de groupe procède, le cas échéant, à une étude d’impact financée par l’entreprise donneuse d’ordre. »

2° L’article L. 2334‑2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les représentants des sous‑traitants au sens de l’article L. 233‑5‑2 du code de commerce participent également avec voix consultative à la réunion du comité de groupe pour l’examen des éléments mentionnés au troisième alinéa de l’article L. 2332‑1 du présent code. »

Article 4

Après le 5° du I de l’article L. 225‑102‑4 du code de commerce, il est inséré un 6° ainsi rédigé :

« 6° Lorsqu’un changement d’orientation technique, normatif ou économique ayant un impact sur l’activité d’un sous‑traitant est envisagé par le donneur d’ordres direct ou indirect, une étude d’impact est réalisée en amont, rendue publique et communiquée au comité de groupe. »

Article 5

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 1233‑62, il est inséré un article L. 1233‑62‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1233621. – Lorsqu’à la suite de la restructuration ou de la compression d’effectifs du donneur d’ordre mentionné à l’article L. 233‑5‑2 du code de commerce, des licenciements collectifs pour motif économique sont envisagés par le sous‑traitant, une négociation collective inter‑entreprises s’engage sur la contribution du donneur d’ordre au contenu du plan de sauvegarde de l’emploi du sous‑traitant.

« En l’absence d’accord, le donneur d’ordre contribue à la hauteur de ses moyens au plan de reclassement mentionné à l’article L. 1233‑62 du présent code. Le comité de groupe est informé et consulté pour avis sur les mesures envisagées par le donneur d’ordres pour contribuer au contenu du plan de sauvegarde de l’emploi du sous‑traitant, même si l’entreprise sous‑traitante est en redressement ou en liquidation judiciaire. »

2° L’article L. 1233‑57‑3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsqu’à la suite de la restructuration ou de la compression d’effectifs du donneur d’ordre mentionné à l’article L. 233‑5‑2 du code de commerce, des licenciements collectifs pour motif économique sont envisagés par le sous‑traitant, le document unilatéral définissant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi est apprécié au regard des moyens de l’ensemble formé par le donneur d’ordres et le sous‑traitant. »

Article 6

Le premier alinéa de l’article L. 1233‑84 du code du travail est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans tous les cas, un ou des donneurs d’ordre au sens de l’article L. 233‑5‑2 du code de commerce sont personnellement débiteurs de cette obligation. »

Article 7

Après le deuxième alinéa de l’article L. 1233‑4 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’ensemble formé par le donneur d’ordres mentionné à l’article L. 233‑5‑2 du même code et les sous‑traitants constitue un groupe de reclassement au sein duquel les possibilités de reclassement du salarié doivent être recherchées, dès lors que des possibilités de permutation entre tout ou partie du personnel existent. »

Article 8

Au premier alinéa de l’article L. 3245‑2 du code du travail, après le mot : « ordre », sont insérés les mots : « , quelles que soient les conditions d’effectif, de volume et d’ancienneté de la relation de sous‑traitance, lorsqu’il est ».

Article 9

L’article L. 160‑1 du code de l’environnement est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque l’activité d’un exploitant dépend d’un donneur d’ordres, au sens de l’article 14‑2 de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous‑traitance, ce dernier est solidairement responsable des dommages causés à l’environnement par l’exploitant sous‑traitant, si le dommage causé avait pu raisonnablement être évité avec un plan de vigilance effectif.

« Cette responsabilité solidaire s’adresse aux seules entreprises donneuses d’ordre au sens du même article 14‑2, qui sont soumises au titre VI du présent code. »

Article 10

Après le titre III de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous‑traitance, il est inséré un titre III bis ainsi rédigé :

« TITRE III BIS

« DES CONTRATS DE SOUS‑TRAITANCE INDUSTRIELS

« Art. 142. – La relation de sous‑traitance industrielle est caractérisée lorsque le donneur d’ordres direct ou indirect est une entreprise d’au moins 1 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes, quel que soit le lieu de leur siège social, ou dont la relation avec le sous‑traitant représente au moins 30 % du chiffre d’affaires du sous‑traitant sur les trois dernières années.

« Le changement de capital social, de forme juridique ou de dénomination du sous‑traitant est sans effet sur l’appréciation de la condition de durée consécutive de trois ans lorsque le site de production est inchangé.

« Art. 143. – À peine de nullité, les contrats de sous‑traitance dont le montant de la commande dépasse un certain seuil fixé par décret sont conclus par écrit et signés par les parties qui fixent :

« 1° L’objet du contrat, les obligations respectives des parties, notamment un montant minimal de commandes auquel s’engage le donneur d’ordre ;

« 2° Les garanties et responsabilités respectives des parties ;

« 3° Le prix convenu ou les critères permettant de le déterminer, ainsi qu’une clause de renégociation en cas de variation significative du prix de certaines matières premières ou composants clés ;

« 4° Les conditions de facturation et de règlement dans les limites fixées par la loi ;

« 5° Une clause de réserve de propriété jusqu’à complet paiement du prix, y compris en cas d’incorporation ou de transformation du bien ;

« 6° Une clause garantissant le plein respect des droits de propriété intellectuelle du sous‑traitant ;

« 7° La durée du contrat, ses modalités de reconduction et de rupture. Un délai de préavis raisonnable est fixé entre les parties ;

« 8° Une clause prévoyant les modalités de la prise en charge par le donneur d’ordres des investissements réalisés par le sous‑traitant en cas de rupture brutale ou anticipée des relations commerciales ;

« 9° Une clause de médiation en cas de différend ;

« 10° Une clause aux termes de laquelle le donneur d’ordre s’engage à prendre en compte les spécificités du territoire auquel appartient l’entreprise sous‑traitante et à exclure toute limitation de ses commandes dans les secteurs où l’emploi est précaire.

« Art. 144. – I. – À défaut de contrat écrit entre les parties s’applique un contrat type de sous‑traitance établi au sein de chaque filière.

« II. – Ces contrats types de sous‑traitance sont négociés au sein de chaque filière et établis avant le 1er janvier 2025. Ils ne peuvent comporter que des dispositions plus favorables aux entreprises sous‑traitantes que celles des lois et règlements en vigueur. Ils sont publiés par décret sur proposition des organismes professionnels du secteur concerné et des comités stratégiques de filières.

« À défaut de contrat type publié le 1er janvier 2025, un contrat type applicable au secteur ou à la filière défaillante est publié par arrêté du ministre chargé de l’économie.

« Art. 145. – À défaut de contrat écrit et de contrat type, les conditions générales de vente s’appliquent de plein droit aux relations commerciales entre donneurs d’ordre et sous‑traitants.

« Art. 146. – Est nul tout contrat reprenant intégralement les conditions générales d’achat du donneur d’ordre. »

Article 11

I. – Le titre Ier de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous‑traitance est complété par un article 3‑1 ainsi rédigé :

« Art. 31. – Toute entreprise ou personne morale ayant recours à un contrat de sous‑traitance assure le sous‑traitant contre le risque de non‑paiement des sommes qui lui sont dues en exécution du contrat à la date de la décision prononçant le règlement judiciaire ou la liquidation des biens. »

II. – Le régime d’assurance prévu à l’article 3‑1 de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous‑traitance, dans sa rédaction issu de la présente loi, est mis en œuvre par une association créée, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, par les organisations nationales professionnelles représentantes des secteurs et des filières professionnelles.

Article 12

L’article L. 441‑16 du code de commerce est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article sont d’ordre public. Elles s’appliquent à tous les contrats de sous‑traitance quel que soit le lieu de facturation du donneur d’ordre dès lors que l’activité du sous‑traitant est située sur le territoire national. »

Article 13

Au premier alinéa de l’article 3 de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous‑traitance, après le mot : « tenu », sont insérés les mots : « de faire accepter ses sous‑traitants au maître de l’ouvrage et au donneur d’ordre lorsque la part sous‑traitée représente plus du tiers du contrat ou de la partie de marché dont il est chargé et ».

Article 14

I. – L’article L. 2312‑21 du code du travail est ainsi modifié :

1° Au quatrième alinéa, après le mot : « propres », sont insérés les mots : « , la politique d’achat » ;

2° Après le même quatrième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Figurent dans la base au titre de la politique d’achat la pondération des différents critères guidant la politique d’achat ainsi que les critères définissant la rémunération variable de leurs acheteurs et le poids de ces primes variables dans leur rémunération, ainsi que le pourcentage d’acheteurs ayant suivi une formation de sensibilisation à la pondération des critères guidant la politique d’achat. »

II. – Le deuxième alinéa du II de l’article L. 225‑102‑1 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Elle comprend en outre des informations relatives aux conséquences de sa politique d’achat. »

III. – L’article 15‑1 de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous‑traitance est ainsi rétabli :

« Art. 151. – Au sein des entreprises donneuses d’ordre ou d’organismes professionnels, des correspondants peuvent être désignés pour offrir une médiation qui prenne en compte les contraintes des sous‑traitants et des territoires dans lesquels ils sont implantés. »