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N° 856

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 avril 2018.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création dune commission denquête
sur le respect des engagements internationaux de la France au regard des autorisations dexportations darmes, munitions, formations, services et assistance accordées ces trois dernières années aux belligérants du conflit au Yémen,

(Renvoyée à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sébastien NADOT, Sonia KRIMI, Bertrand BOUYX, Annie CHAPELIER, Pierre HENRIET, Cécile RILHAC, Stéphane TESTÉ, Nicole TRISSE, Nicole DUBRÉCHIRAT, Laurence VANCEUNEBROCKMIALON, Anne BLANC, Martine WONNER, Carole GRANDJEAN, Éric BOTHOREL, Grégory GALBADON, Jennifer De TEMMERMAN, Yves DANIEL, Bérangère COUILLARD, Frédérique TUFFNELL, Paul MOLAC, Yannick KERLOGOT, JeanFrançois CESARINI, Christophe AREND, Catherine KAMOWSKI, Delphine BAGARRY,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Yémen, pays de 27,4 millions d’habitants, vit la guerre depuis plus de trois ans.

Mi‑janvier 2018, le bilan de l’ONU estimait que 10 000 personnes, à majorité des civils, avaient déjà été tuées dans ce conflit. On décompte au minimum 40 000 blessés et 2,5 millions d’individus déplacés.

Mark Lowcock, coordonnateur des secours d’urgence des Nations unies, exprimait le 23 janvier 2018 sa profonde préoccupation face à la détérioration de la situation humanitaire au Yémen, estimant à 22,2 millions le nombre de personnes ayant besoin d’assistance à travers le pays, soit 3,4 millions de plus qu’un an auparavant.

Plusieurs violations du principe de distinction – qui impose le fait de distinguer les populations civiles des combattants lors des attaques – et du principe de précaution – qui implique que les attaques soient menées en veillant constamment à épargner les populations civiles – ont été recensées par le groupe d’experts de l’ONU et diverses organisations internationales depuis mars 2015 : hôpitaux, écoles, bâtiments ouverts au public, lieux de prière ont été pris pour cible lors de frappes aériennes de la coalition réunie autour de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

Le jeudi 15 mars 2018, le Conseil de sécurité de l’ONU a de nouveau dénoncé la forte dégradation de la situation humanitaire dans le pays, à cause du conflit, de l’effondrement des services de base et du déclin économique. Le système de santé, d’approvisionnement en eau et d’assainissement s’est effondré en raison des combats. Un chaos que le blocus ne fait qu’aggraver en privant des millions de personnes de l’alimentation et des médicaments dont ils ont besoin pour survivre.

Le patrimoine culturel et naturel du Yémen est également très menacé. Inscrits sur la Liste du patrimoine mondial, l’ancienne ville de Shibam et son mur d’enceinte, la vieille ville de Sana’a, et la ville historique de Zabid sont en grand péril du fait des bombardements. Patrimoine naturel exceptionnel, l’Archipel de Socotra est aussi source d’inquiétude : le comité du patrimoine mondial de l’UNESCO considère que les projets de développement sur Socotra (y compris avec des fonds humanitaires) et les opérations militaires présumées qui s’y tiennent pourraient affecter sa valeur universelle exceptionnelle.

Les pays de la coalition réunis autour de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis ne sont pas seuls responsables de la situation dramatique au Yémen. Les États qui fournissent armes, munitions, formation et assistance sont également parties au sens du droit international.

En la matière, la France est engagée par deux textes, l’un sous l’égide de l’Union européenne, l’autre étant un traité de l’Organisation des Nations unies :

 La position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires stipule que chaque État membre de l’UE évalue, au cas par cas, les demandes d’autorisation d’exportation qui lui sont adressées pour des équipements militaires : « Après avoir évalué l’attitude du pays destinataire à l’égard des principes énoncés en la matière dans les instruments du droit humanitaire international, les États membres refusent l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à commettre des violations graves du droit humanitaire international » (Article 2.2). Après examen de « la situation intérieure dans le pays de destination finale (existence de tensions ou de conflits armés), les États membres refusent l’autorisation d’exportation de technologie ou d’équipements militaires susceptibles de provoquer ou de prolonger des conflits armés ou d’aggraver des tensions ou des conflits existants dans le pays de destination finale » (Article 2.3). Les États membres tiennent compte, entre autres, des antécédents du pays acheteur dans le respect de ses engagements internationaux, notamment (…) et du droit humanitaire international (Article 2.6). Les autorisations d’exportation ne sont accordées que sur la base d’informations préalables fiables en ce qui concerne l’utilisation finale dans le pays de destination finale (Article 5).

 Le Traité sur le commerces des armes (TCA), ratifié par la France en 2014, stipule qu’ « un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie » (Article 6.3). « Chaque État Partie exportateur, avant d’autoriser l’exportation d’armes classiques relevant de sa compétence et conformément à son dispositif de contrôle national, évalue, de manière objective et non discriminatoire, en tenant compte de tout élément utile, notamment de l’information fournie par l’État importateur, si l’exportation de ces armes ou biens contribuerait ou porterait atteinte à la paix et à la sécurité́ ; pourrait servir à commettre une violation grave du droit international humanitaire ou à en faciliter la commission ; pourrait servir à commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme ou à en faciliter la commission » (Article 7.1). Si, à l’issue de cette évaluation et après avoir examiné les mesures d’atténuation des risques disponibles, l’État Partie exportateur estime qu’il existe un risque prépondérant de réalisation d’une des conséquences négatives prévues au paragraphe 1, il n’autorise pas l’exportation (Article 7.3).

Par ailleurs, le contrôle des exportations d’armements français est défini par un cadre législatif et réglementaire rigoureux, qui prend en compte les impératifs nationaux de souveraineté et de sécurité ainsi que les engagements internationaux en matière de maîtrise des armements, de désarmement et de non‑prolifération.

Le dispositif de contrôle a été modifié à la suite de la transposition de la directive européenne n° 2009/43/CE du 6 juin 2009. Le Rapport au Parlement 2017 sur les exportations darmement de la France explique que la France a profité des travaux de transposition de cette directive pour mener une vaste réflexion aboutissant à une réforme d’ensemble des processus de contrôle des exportations de matériels de guerre et assimilés. La réforme s’est achevée en juin 2014. Les dispositions du code de la défense précisent que les opérations d’exportation de matériels de guerre font désormais l’objet d’une licence unique délivrée par le ministre chargé des douanes, après avis du Premier ministre, des ministres chargés de l’économie, des affaires étrangères et de la défense, dans le cadre de la commission interministérielle pour l’étude des exportations des matériels de guerre (CIEEMG). La CIEEMG est présidée par le secrétaire général de la Défense et de la sécurité nationale et composée d’un représentant du ministère des armées, du ministère des affaires étrangères et du ministère de l’économie.

Ce nouveau dispositif comprend également un contrôle a posteriori ayant pour but de vérifier, après délivrance de la licence, que les opérations réalisées sont bien conformes aux autorisations accordées.

Depuis le début de la guerre au Yémen en mars 2015, la France a régulièrement octroyé des licences de vente d’armes à des entreprises françaises qui ont ensuite servi aux belligérants du conflit (Annexes au Rapport au Parlement 2017 sur les exportations darmement de la France).

Aussi, il convient à la fois :

– de se pencher sur le respect par la France des traités, conventions, instruments ou forums internationaux auxquels elle adhère ou est partie prenante en matière d’exportations d’armements ;

– d’évaluer l’efficacité du nouveau dispositif de contrôle en vigueur depuis 2014 – octroi d’une licence et contrôle a posteriori – à la mesure de la situation au Yémen.

La création d’une commission d’enquête répond à ces objectifs dans la mesure où l’article 6 de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 comprend des dispositions garantissant l’obligation de déférer à une commission d’enquête, des garanties quant à la protection des personnes auditionnées et des règles sur la confidentialité tout en permettant au Parlement d’exercer son rôle de contrôle démocratique de l’action du Gouvernement tel qu’il est consacré par la Constitution.


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée Nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres, chargée d’étudier le respect des engagements internationaux de la France au regard des autorisations d’exportations d’armes, munitions, formations, services et assistance que notre pays a accordées pendant ces trois années aux belligérants du conflit au Yémen.