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N° 5262

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2022.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à mettre en place une mission d’enquête ministérielle sur les adoptions illégales d’enfants au Sri Lanka ayant eu lieu entre 1973 et 1997,

 

 

 

présentée par

Mme Valérie RABAULT,

députée.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours des dernières années, plusieurs témoignages ont mis à jour les dysfonctionnements de l’adoption internationale dans plusieurs pays, notamment au cours des années 1970 à 1990.

Le Sri Lanka est particulièrement concerné par cette problématique. Dans les années 1970 à 1990, ce sont ainsi entre 11 000 et 14 000 enfants sri lankais qui ont été adoptés, dont environ 1 500 en France.

Bien entendu, ceci ne signifie pas que l’ensemble des adoptions internationales réalisées au Sri Lanka à cette période sont illicites. Mais il est désormais avéré, comme le gouvernement sri lankais l’a lui-même reconnu en 2017, que de nombreux abus et manquements ont émaillé les procédures d’adoption dans le pays, à l’insu des familles adoptives : faux documents dans les dossiers, mères de substitution engagées pour donner le consentement à l’adoption devant le tribunal, existence de « fermes à bébés ».

Tous les pays accueillant des enfants adoptés sont aujourd’hui concernés par ces questions. Face à cette situation, plusieurs d’entre eux ont lancé leur propre enquête pour faire toute la lumière sur ces pratiques illégales.

Ainsi, la Suisse a mené une enquête conséquente sur les adoptions effectuées au Sri Lanka entre 1973 et 1997. Elle a mis à jour les « méthodes douteuses voir illégales pour répondre à la demande d’enfants de couples européens souhaitant adopter. Ces activités hautement lucratives n’étaient guère encadrées par les autorités du Sri Lanka, qui ont tenté à plusieurs reprises mais sans succès de mettre fin aux adoptions ([1]) ». Elle a également été le premier pays à reconnaître, en décembre 2020, sa part de responsabilité, en affirmant que les autorités suisses, « informées dès 1981 par des articles de presse et des informations de la représentation Suisse à Colombo, n’ont semble-t-il pas envisagé de stopper les adoptions en provenance du Sri Lanka, estimant ne pas avoir de preuves suffisantes. Diverses mesures ont été prises […] mais elles n’ont clairement pas suffi à contrer les problèmes soulevés ([2]) ».

En février 2021, les Pays-Bas ont également reconnu leur part de responsabilité, pointant que « dans certains cas, le gouvernement néerlandais était au courant d’abus, mais n’est pas intervenu efficacement ([3]) ». En conséquence, le pays a pris la décision de suspendre temporairement toutes les adoptions internationales.

En octobre 2021, la Suède a pour sa part annoncé le lancement d’une enquête sur les adoptions internationales depuis les années 1950.

Dans ce contexte, il est regrettable que la France n’ait à ce jour pas suivi ce mouvement de transparence. Le 15 décembre 2021, le secrétaire d’État chargé de l’Enfance s’est pourtant engagé, devant le Sénat, à « mettre en place, au premier trimestre de 2022, avec le ministère des affaires étrangères et le ministère de la justice, une mission interministérielle inspirée du modèle de la Commission d’information et de recherche sur les enfants de la Creuse ([4]) » pour enquêter sur ces adoptions illicites. Néanmoins, cette mission n’a pour l’heure pas été formellement mise en place.

La France est la patrie des droits de l’Homme. Sur ces questions, elle ne peut rester sans agir. Il est donc de notre devoir impérieux de permettre à ces enfants adoptés, aujourd’hui devenus adultes, de connaître la vérité sur leurs origines. Il est également primordial d’apporter des réponses aux familles françaises concernées qui pensaient avoir adopté en toute légalité.

Ce devoir de vérité passe par la mise en place d’une mission d’enquête ministérielle afin que toute la lumière soit faite sur ces pratiques illégales et sur les mécanismes qui les ont rendues possibles.

Dans ce but, nous estimons que ses travaux devront notamment permettre de :

‒ Présenter des données statistiques sur le nombre précis ainsi que le profil des enfants adoptés en France en provenance du Sri Lanka ;

‒ Décrire précisément le déroulement des procédures d’adoption, en indiquant le rôle et la pratique des autorités françaises ainsi que des intermédiaires ;

‒ Déterminer à quel moment sont survenus les premiers soupçons d’irrégularités dans les procédures, à qui ces soupçons ont été communiqués, quelle a été la réaction des autorités concernées et pourquoi ces révélations n’ont pas conduit un arrêt préventif immédiat des adoptions en provenance du Sri Lanka ;

‒ Déterminer le type de pratiques qui ont alors été dénoncées et les acteurs impliqués ;

‒ Déclassifier les archives françaises relatives à ces adoptions ;

‒ Engager un travail de coopération avec les services sri lankais compétents pour permettre l’accès aux archives sri lankaises ;

‒ Étudier la question de la requalification pénale du « trafic d’enfants en vue de l’adoption » en crime, conformément à l’article 3 a) du protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ;

‒ Formuler des recommandations sur les mesures de réparation à mettre en œuvre.

Cette mission d’enquête constituera la première étape indispensable vers la reconnaissance officielle par la France de l’illégalité de ces procédures d’adoption et du statut de victime de ces enfants, ouvrant ainsi droit à leur réparation.

Enfin, au-delà de la situation sri lankaise, il conviendra bien entendu de mener ce travail dans l’ensemble des pays pour lesquels de telles pratiques en matière d’adoption sont avérées ou soupçonnées.

C’est l’objet de la présente résolution.

 

 

 


proposition de rÉsolution

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que l’État a le devoir d’assurer à chacun l’accès à ses origines personnelles ;

Considérant que les enfants, en particulier, doivent se voir garantir ce droit pour pouvoir se constituer en tant qu’adultes ;

Considérant qu’il est avéré que des abus et manquements ont émaillé les procédures d’adoption au Sri Lanka entre 1973 et 1997, à l’insu des familles adoptives ;

Considérant que d’autres pays européens ont engagé une démarche de transparence pour faire la lumière sur ces pratiques illégales ;

Considérant que le 15 décembre 2021, par la voix du secrétaire d’État à la protection de l’enfance, l’État s’est engagé devant le Parlement à lancer une mission interministérielle sur ces adoptions illicites, et ce dès le premier trimestre de l’année 2022 ;

Constatant qu’au 8 juin 2022, cette mission interministérielle n’a toujours pas été mise en place ;

Demande à ce que toute la transparence soit faite sur ces pratiques illégales et sur les mécanismes qui les ont rendues possibles ;

Invite pour cela le Gouvernement à mettre en place une mission interministérielle sur les adoptions réalisées au Sri Lanka entre 1973 et 1997 ;

Invite le Gouvernement à étendre le périmètre d’intervention de cette mission interministérielle à l’ensemble des pays pour lesquels des pratiques illégales en matière d’adoption sont avérées ou soupçonnées ;

Demande à ce que, dans ce cadre, tout soit mis en œuvre pour permettre aux enfants, ainsi qu’à leurs familles adoptives, d’accéder à la vérité afin de reconstituer leur histoire personnelle.


([1])  https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/gesellschaft/adoption/illegale-adoptionen.html

([2])  Ibid.

([3])  https://www.tdg.ch/les-pays-bas-suspendent-ladoption-denfants-a-letranger-155131527835

([4])  https://www.senat.fr/seances/s202112/s20211215/s20211215.pdf