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N° 1851

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

pour une stratégie nationale de prévention sur le chemsex,

 

présentée par

Mme Brigitte LISO, M. Éric ALAUZET, M. Arthur DELAPORTE, Mme Fanta BERETE, Mme Pascale BOYER, M. Guy BRICOUT, Mme Anne BRUGNERA, M. Steve CHAILLOUX, Mme Émilie CHANDLER, M. Paul CHRISTOPHE, Mme Fabienne COLBOC, Mme Claire COLOMB-PITOLLAT, Mme Bérangère COUILLARD, Mme Laurence CRISTOL, Mme Christine DECODTS, Mme Julie DELPECH, Mme Ingrid DORDAIN, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Olivier DUSSOPT, M. Olivier FALORNI, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, M. Philippe FREI, Mme Maud GATEL, M. Raphaël GÉRARD, M. Joël GIRAUD, Mme Olga GIVERNET, M. Jérôme GUEDJ, M. Philippe GUILLEMARD, M. Yannick HAURY, Mme Laurence HEYDEL GRILLERE, Mme Sandrine JOSSO, Mme Chantal JOURDAN, M. Andy KERBRAT, Mme Virginie LANLO, M. Michel LAUZZANA, Mme Christine LE NABOUR, M. Vincent LEDOUX, M. Didier LEMAIRE, Mme Delphine LINGEMANN, Mme Jacqueline MAQUET, Mme Alexandra MARTIN (GIRONDE), M. Éric MARTINEAU, Mme Lysiane MÉTAYER, M. Bruno MILLIENNE, M. Philippe NAILLET, Mme Charlotte PARMENTIER-LECOCQ, Mme Maud PETIT, M. Stéphane PEU, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRES BEAUNE, Mme Cécile RILHAC, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, Mme Claudia ROUAUX, M. Fabien ROUSSEL, M. Lionel ROYER-PERREAUT, M. Benjamin SAINT-HUILE, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, M. Charles SITZENSTUHL, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Mélanie THOMIN, M. David VALENCE, M. Boris VALLAUD, M. Roger VICOT, Mme Corinne VIGNON, Mme Juliette VILGRAIN, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, Mme Caroline YADAN, M. Jean-Marc ZULESI,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le « chemsex », comportement qui associe sexualité et usage de substances psychoactives stimulantes ([1]), semble se propager à une célérité inédite et inquiétante en France, en particulier chez les jeunes.

Cette pratique a pour principaux objectifs de faciliter, prolonger, et améliorer les rapports sexuels grâce aux effets psychoactifs des molécules consommées.

En France, on estime que le « chemsex » concernerait a minima 100 000 à 200 000 personnes ([2]).

Si elle est apparue il y a une quinzaine d’années, cette pratique se développe aujourd’hui de manière croissante, exposant les consommateurs à des dangers le plus souvent méconnus.

Les risques liés au « chemsex » sont multiples et sévères pour la santé physique et psychologique : psychoses, dépression, addiction, dépendance, incontinence temporaire ou définitive, etc.

Tout au long de la vie, ces comportements peuvent entraîner des pathologies aiguës ([3]) et chroniques ([4]).

Lorsqu’elles ne sont pas prises par voie nasale ou en cachet, ces drogues de synthèse peuvent également être consommées par voie intraveineuse, entraînant parfois des abcès et plaies, des risques bactériens, ou encore une détérioration des veines, favorisant l’apparition de nécroses.

Certains des dommages sont irréversibles et peuvent même, lors de consommations en quantité importante, entraîner la mort.

Si la tragique et médiatique « affaire Palmade » a récemment fait connaître ce phénomène au grand public, les associations de lutte contre les infections transmises sexuellement (IST) et les médecins (addictologues, infectiologues et urgentistes) sont confrontés régulièrement et de plus en plus fréquemment aux dommages induits par la pratique du « chemsex » depuis plus de 10 ans.

Ces dernières années, on a pu penser que ces comportements ne concernaient qu’une catégorie isolée de Français urbains et favorisés.

Néanmoins et malgré des données incomplètes, force est de constater que la pratique du « chemsex » s’installe au sein de publics de plus en plus jeunes, venus de tous milieux et de tous les territoires.

L’accès à ces produits est facilité par la grande visibilité que leur offre Internet ([5]). Ainsi nos concitoyens, parfois mineurs, se procurent facilement les substances désirées en ligne ou dans des milieux festifs, sans en connaître la moindre composition, leur provenance ou les risques encourus.

Les substances utilisées appartiennent principalement à la famille des cathinones (3MMC, 4MEC, etc.) et celle des méthamphétamines (Vrystal, Met, Tina, etc.). En outre, il a été observé certaines de ces drogues sont en réalité des produits du quotidien et bon marché, détournés de leur usage par les consommateurs.

C’est le cas, par exemple, du GBL (gamma‑butyrolactone), un décapant chimique pour les jantes utilisé dans les garages. Coupé avec de l’eau, il devient un puissant euphorisant.

Si le « chemsex » se concentre encore dans les grandes métropoles, les villes moyennes et communes rurales sont désormais également concernées en raison d’une diversité des substances accessibles un clic. L’usage des applications de rencontre fait également de ces sites une nouvelle plateforme de diffusion du « chemsex », et isole d’autant plus les consommateurs en détresse ([6]).

L’étendue du phénomène est telle que certains jeunes ne conçoivent plus leur sexualité en dehors du « chemsex ».

Par ailleurs, alors que cette pratique était principalement localisée chez les hommes ayant des rapports sexuels avec un ou d’autres hommes (HSH) ([7]), elle, s’est, en quelques années étendue progressivement aux personnes hétérosexuelles ([8]).

Compte tenu de la diversité des cas rencontrés et souvent par manque de temps ou de moyens humains, les centres de dépistage et centres d’addictologie n’ont pas la capacité de gérer et prendre en charge les « chemsexers » en souffrance en proposant des parcours de soin adaptés.

Avec le « chemsex », la France fait face à un problème de santé publique. En témoignent les signaux inquiétants recueillis par les services de maladies infectieuses ou services d’addictologie, et les centres d’addictovigilance ([9]). En outre, le manque d’études et de recul scientifique sur l’ampleur du phénomène, notamment sur les particularités des différentes populations et milieux touchés et le caractère tabou et la méconnaissance du sujet limitent les possibilités d’intervention des décideurs publics.

Sans intervention résolue de l’État en la matière, la situation risque de devenir incontrôlable et poser un problème de santé publique majeur.

Dans ce contexte, la présente proposition de résolution appelle les pouvoirs publics à construire une politique nationale permettant de lutter efficacement contre les dangers sanitaires et sociétaux (risque épidémiques VIH/VHC et désinsertion sociale) et les risques individuels du « chemsex ».

Il s’agit donc d’identifier le phénomène dans ses formes actuelles, informer le grand public des risques pour la santé, en particulier les jeunes, et soutenir l’ensemble des acteurs de terrain impliqués dans la prise en charge des « chemsexers ».

La feuille de route santé sexuelle 2021 – 2024 du ministère de la santé avait pour ambition de mettre en place une série de mesures de prévention et de formation au sein des structures sanitaires.

Pour autant, l’étendue et la dangerosité du phénomène appelle à une action plus rapide et résolue de l’État, sur le plan logistique, humain et financier.

Une politique nationale devra être déclinée dans chaque territoire avec l’appui des agences régionales de santé et des collectivités, afin de construire les réponses les plus adaptées, selon les besoins locaux.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la stratégie nationale de santé sexuelle 2017‑2030 et la feuille de route établie pour son application de 2021 à 2024,

Vu le rapport portant sur l’usage de drogue dans le cadre du « chemsex », remis au ministre de la santé le 17 mars 2022,

Considérant que, depuis 2020, les remontées de terrain font part d’une explosion des pratiques sexuelles sous drogues, ou « chemsex », sans qu’aucune étude ne permette à ce jour d’évaluer précisément le nombre de personnes concernées ;

Considérant que les rendez‑vous de suivi des risques liés au virus de l’immunodéficience humaine permettent également de sensibiliser aux risques associés au « chemsex », en identifiant de potentielles situations à risque en les prenant en charge le cas échéant ;

Considérant que des villes comme Paris ont mis en place de manière autonome leur propre parcours de prévention et qu’il appartient à l’État d’en évaluer l’efficacité et de proposer des expérimentations dans d’autres villes afin de renforcer l’agilité dans la conduite des politiques publiques sur le « chemsex » ;

Invite le Gouvernement à :

– Établir un état des lieux épidémiologique précis du « chemsex », afin de mieux comprendre les déterminants et les conséquences sanitaires et sociales d’un phénomène en expansion et y répondre de manière adaptée et ciblée.

– Sensibiliser, informer largement et développer, en lien avec les associations, une offre de formation à destination de l’ensemble des personnels appelés à être en contact avec les « chemsexers », en premier lieu les professionnels de santé incluant les pharmaciens d’officine, les acteurs médico‑sociaux et associatifs, mais également les personnels judiciaires, scolaires et universitaires.

– Pleinement intégrer l’enjeu du « chemsex » aux différents dispositifs et actions de prévention combinée. La prescription de la prophylaxie pré‑exposition ou des traitements comme prévention, les rendez‑vous de suivi des risques virus de l’immunodéficience humaine, tout comme les différents dépistages et campagnes de vaccination devront permettre de délivrer des informations et conseils de prévention en santé sexuelle intégrant l’usage de « chemsex », d’identifier de potentielles situations à risque, et les prendre en charge, le cas échéant. La prévention et la sensibilisation au « chemsex » pourront être abordées pendant la consultation gynécologique proposée aux 15‑18 ans ainsi qu’à l’occasion des bilans de prévention mis en place aux âges clefs de la vie.

– Accompagner les associations et les structures de terrain en première ligne tels que les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic, les centres de santé communautaires, les consultations de prescription PreP les centres addictologie, les équipes de liaison et de soins en addictologie et maisons des adolescents pour renforcer l’accessibilité à des prises en charge globales des « chemsexers », dans une logique d’« aller‑vers ».

– Encourager les parcours de prévention dans des villes volontaires, en lien avec les collectivités locales, sur le modèle, par exemple, de ce qui a été initié à Paris.

– Mettre en place des campagnes de prévention « hors les murs » (lieux de fête, espaces publics, lycées, universités, grandes écoles…) et intégrer le « chemsex » aux campagnes, de promotion de la santé sexuelle en soutenant Santé publique France et les associations.

– Collaborer avec les plateformes, sites et applications de rencontre afin de bâtir avec elles une stratégie de prévention des infections sexuellement transmissibles et sensibiliser les utilisateurs aux risques du « chemsex », en proposant des outils de repérage précoce des usages à risque et des liens associatifs ou gouvernementaux facilitant l’orientation au sein des parcours de prises en charge.

 

 


 

 

 

 

 


([1])  Les effets recherchés sont l’euphorie, la désinhibition, l’empathie, l’augmentation de la sensualité, la performance sexuelle.

([2])  Rapport « chemsex » rendu le 17 mars 2022, par le Pr A. Benyamina, au ministre chargé de la santé.

([3])  Risques de décompensation délirante psychiatrique grave, risques traumatiques liées à certaines pratiques, risques infectieux liés à la pratique d'injections Intraveineuses responsable d'abcès locaux, de contamination par une IST aggravée par le non usage de moyens de protections (Syphilis, Chlamydiae, Gonocoque, VHC, VIH)

([4])  Le risque addictif est important car les substances consommées sont dérivées de psychostimulants ayant un caractère hautement addictogène. Une des particularités de ces addictions est qu'elles entrainent, relativement rapidement (12-36 mois) un « décrochage » socio-professionnel aussi brutal qu'intense (isolement, perte d'emploi, précarité…).

([5])  https://www.ofdt.fr/produits-et-addictions/de-z/nouveaux-produits-de-synthese/

([6])  Comme l’a pointé l’étude « Apaches, Attentes et PArcours liés au CHEmSex » publiée en mai 2019 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, « le chemsex est aussi porté par l’usage croissant des nouvelles modalités de rencontre (sites internet et applications de rencontres géolocalisées), (…) ces changements favorisent la diffusion potentielle du chemsex à des publics diversifiés et renforcent l’invisibilité des personnes potentiellement en difficulté ».

([7])  Les études estiment que la pratique du chemsex concernerait 20 à 30% des HSH.

([8])  L’étude sur les facteurs de risques addictologiques dans le cadre du chemsex intitulée « Sea, Sex & Chems » révèlait en 2021 que, sur 1 100 personnes pratiquant le chemsex, 16,5 % sont des femmes et 5,4 % des hommes hétérosexuels.

([9])  https://ansm.sante.fr/page/liste-des-centres-devaluation-et-dinformation-sur-la-pharmacodependance-addictovigilance-ceip-a