N° 1863

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 novembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les dysfonctionnements de nos institutions, et notamment de l’aide sociale à l’enfance, dans la détection des cas de maltraitance,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Béatrice ROULLAUD, Mme Bénédicte AUZANOT, M. José BEAURAIN, M. Pierrick BERTELOOT, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Annick COUSIN, M. Frédéric FALCON, M. Thibaut FRANÇOIS, Mme Stéphanie GALZY, M. Yoann GILLET, M. José GONZALEZ, M. Daniel GRENON, Mme Marine HAMELET, Mme Catherine JAOUEN, M. Alexis JOLLY, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Katiana LEVAVASSEUR, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. Matthieu MARCHIO, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Serge MULLER, Mme Mathilde PARIS, M. Kévin PFEFFER, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, M. Jérôme BUISSON, M. Jordan GUITTON, M. Christian GIRARD,

députés et députées.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

D’après l’association « l’enfant bleu » (antenne de Lyon), deux enfants décèderaient par jour en France, des suites de maltraitance.

C’est le professeur Bernard HOERNI, président de l’Ordre national des médecins qui signalait la mort de deux enfants chaque jour en France des suites de maltraitance.

D’autres estimations moins élevées sont parfois avancées, d’un enfant décédé tous les cinq jours dans notre pays, mais c’est déjà beaucoup trop.

Ces chiffres font froid dans le dos.

Comment estil possible qu’en France un enfant soit si maltraité qu’il finisse par en mourir, sans que les adultes, les institutions, les élus, les enseignants, l’Aide sociale à l’enfance (ASE), les hôpitaux, n’agissent à temps pour prévenir et écarter ces enfants de leurs bourreaux ?

On garde en mémoire l’affaire monstrueuse en Seine‑et‑Marne du petit Bastien, 3 ans, que son père avait mis dans une machine à laver pour le punir et qui en est mort.

Comment ce drame a‑t‑il pu se produire alors que l’auteur avait été condamné pour violences conjugales et que neuf signalements « d’informations préoccupantes » et trois signalements de « mineurs en danger » avaient été effectués par divers intervenants avant le drame ?

Est‑il possible que les services sociaux aient minimisé le calvaire qu’endurait cet enfant, face à des parents qui ne venaient jamais le chercher à la garderie avant 20 heures/21 heures alors qu’elle fermait à 19 heures, et qu’ils étaient suivis depuis 2006 par ces mêmes services ?

Comment se fait‑il que le procureur de la République n’ait pas poursuivi le père pour maltraitance ? A‑t‑il été informé ? Pourquoi cet enfant n’a‑t‑il pas été retiré de sa famille ? Le juge des enfants a‑t‑il été informé de la gravité des sévices ? Sinon pourquoi l’information n’est‑elle pas remontée jusqu’à lui ?

Où se situe la faille, quel a été le dysfonctionnement ? Par où le système atil pêché ?

Car le cas du petit Bastien n’est hélas pas isolé.

Il y a plus d’un enfant par semaine (et peut être même deux par jour) qui meurt de pas avoir été sorti des griffes de son bourreau ou de son environnement toxique et violent.

Il est donc temps de « mener l’enquête » pour mieux analyser les failles, trouver des solutions et ainsi pouvoir éviter des décès d’enfants.

Dans le cas du petit Bastien, comme dans bien d’autres, si les services sociaux, enseignants, directeurs d’établissements, avocats, magistrats, médecins avaient agi plus tôt, l’enfant aurait pu être sauvé.

C’est tout un système qu’il faut repenser.

Et même en l’absence de mort, les enfants violentés peuvent être détruits à vie. Il est donc nécessaire de détecter le plus rapidement possible les maltraitances infantiles où qu’elles se logent (famille d’origine, famille d’accueil, ASE…).

Or le droit en vigueur, les dispositifs publics mis en œuvre ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux.

Certes la loi Taquet du 7 février 2022 a déjà apporté quelques améliorations, comme l’emploi d’un référentiel unique pour les signalements, mesure réclamée par les associations et le Rassemblement national, donnant la possibilité d’établir un diagnostic fiable et de détecter les maltraitances plus en amont (ce qui permet de réagir, quand il est encore temps).

Mais cette loi reste encore très en deçà ce que les enfants sont en droit d’attendre : d’ailleurs, à ce jour, seuls quinze décrets ont été publiés et quatorze restent en attente de publication.

Ni les départements - compétents depuis la décentralisation de 1983 pour la prise en charge des mineurs en danger - ni l’État - ne sont suffisamment réactifs pour détecter les situations qui nécessitent une intervention au profit d’enfants victimes de leurs parents ou de leur entourage.

Ainsi, si le nombre d’enfants bénéficiant d’une mesure de protection ne cesse de progresser (plus de 300 000 enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance), de fortes disparités de prise en charge existent entre les territoires.

Le fait qu’il y ait 101 politiques différentes de l’ASE (une par département) rend la coordination avec la protection judiciaire de la jeunesse quasi impossible alors qu’ils ont besoin de travailler étroitement ensemble.

Ces fortes disparités territoriales rendent indispensable un pilotage national de la politique de protection de l’enfance.

La prise de décision en matière de protection de l’enfance se caractérise par un empilement de délais qui se cumulent, retardant d’autant le moment de la prise en charge. Outre ces délais particulièrement longs de prise en charge des enfants en danger, il est à déplorer qu’une fois le placement effectué, le contrôle extérieur et régulier des établissements, associations et familles d’accueil hébergeant ces enfants placés soit bien insuffisant.

Certes la protection de l’enfance est une compétence confiée aux conseils départementaux, mais le contrôle de la qualité de prise en charge de l’ASE suppose un renforcement des services de l’État qui doit garantir une protection exemplaire aux enfants placés. Car il n’est pas rare non plus que des enfants soient maltraités en foyers, ou violentés ou même violés par d’autres enfants.

Absence de contrôles des antécédents judiciaires pour l’embauche des éducateurs spécialisés et des familles d’accueil, adolescents déscolarisés et atteints de troubles psychiques, placés dans des hôtels sociaux sordides où ils sont livrés à eux‑mêmes, prostitution, abus sexuels : le scandale de certaines dérives choquantes et intolérables au sein de l’ASE fait régulièrement l’objet de reportages édifiants.

Or, la maltraitance a des effets pervers qu’il faut combattre dans l’intérêt de la société.

Ainsi est‑il clairement établi que 70 % des enfants placés n’obtiendront aucun diplôme et que 40 % des sans domicile fixe de moins de 25 ans ont été placés lorsqu’ils étaient mineurs.

En outre, on sait maintenant – comme l’a démontré Mme Karen Sadlier, docteure en psychologie clinique, dans son ouvrage « L’enfant face à la violence dans le couple » – que les enfants exposés jeunes à la violence, ont des risques de devenir à leur tour des bourreaux.

Il est donc de notre devoir de protéger ces enfants vulnérables, et il est essentiel d’agir bien en amont pour éviter que ces fragilités sociales, ces blessures infligées et ce manque de repères ne soient fatales pour eux ou pour la société.

L’objet de cette proposition de résolution est de mettre en place une commission d’enquête afin de faire la lumière sur les dysfonctionnements de notre système juridique et de l’aide sociale à l’enfance et plus globalement de notre politique de la protection de l’enfance.

Cette commission d’enquête s’efforcera d’apporter des solutions aux défaillances constatées et de rendre ainsi plus efficace le dispositif de protection de l’enfance. Elle établira dans son rapport, à la suite des auditions qu’elle aura menées, des préconisations.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête, composée de trente membres, afin de mettre en lumière les dysfonctionnements de nos institutions et notamment de l’aide sociale à l’enfance, dans la détection des cas de maltraitance et leur aptitude ou inaptitude à sauver les enfants maltraités de la mort ou des griffes de leur bourreaux afin de rendre plus efficace le dispositif de protection de l’enfance, éviter ainsi le décès d’enfants et la non‑assistance à enfant en danger.

Cette commission est notamment chargée de :

– chiffrer et lister les cas de maltraitance ayant conduit au décès de l’enfant ;

– chiffrer et lister les cas de maltraitance ayant conduit à des séquelles graves, voire irréversibles ;

– décrire dans chaque cas, les maltraitances ;

– décrire, dans chaque cas, le dysfonctionnement ayant conduit à ne pas retirer l’enfant à temps de sa famille, de sa famille d’accueil, du foyer ;

– lister et décrire les raisons pour lesquelles des signalements n’ont pas été suivis d’effets ;

– lister et décrire les signalements et informations préoccupantes qui auraient dû être faits et qui ne l’ont pas été, les raisons de cette absence ;

– décrire et pointer les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance, notamment dans le département de Seine‑et‑Marne où le petit Bastien a trouvé la mort, ainsi que les disparités d’un département à l’autre en les comparant pour lister ceux où le plus de décès et sévices graves sont enregistrés ;

– décrire le rôle des éducateurs sociaux et services sociaux et les dysfonctionnements s’il y a lieu ;

– décrire le rôle des cellules départementales de recueil de traitement et d’évaluation et leurs dysfonctionnements s’il y a lieu ;

– lister et décrire sur une période donnée de maximum cinq ans, les contrôles qui ont été effectués tant en famille d’accueil, qu’à l’aide sociale à l’enfance, des enfants placés ;

– décrire les contrôles, s’ils existent des professionnels chargés de l’enfance et notamment des services sociaux et cellules départementales de recueil de traitement et d’évaluation ;

– lister et décrire ce qui n’a pas été mis en place depuis la loi n° 2022‑140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants dite « loi Taquet », et qui aurait dû l’être ;

– décrire si l’évaluation objective de la situation de l’enfant avec le recours systématique du référentiel d’évaluation des situations des enfants en danger, est réellement mise en place et dans quelles proportions et indiquer les raisons si ce n’est pas le cas ;

– entendre les professionnels de l’enfance, la protection judiciaire de la jeunesse, les associations pour la protection de l’enfance, les services sociaux, les cellules départementales de recueil de traitement et d’évaluation, le corps judiciaire, les avocats spécialistes de l’enfance, les directeurs d’établissements scolaires, les enseignants, les médecins, les directeurs de services hospitaliers, l’Ordre des médecins, l’Ordre des avocats, afin d’établir un état des lieux de la situation et d’écouter leurs préconisations ;

– déterminer les solutions qui pourraient à l’avenir aboutir à :

– Se prononcer sur :