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N° 1941

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1 décembre 2023.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’évaluation des financements publics pour des infrastructures de transport ferroviaire visées par les articles L. 1511-2 et R. 1511-1 du code des transports et sur l’absence de réalisation et de publication des bilans des résultats économiques et sociaux accompagnés de l’avis de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable prévus aux articles R. 1511-9 et R. 1511-10 du code des transports,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Gabriel AMARD, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, M. Hendrik DAVI, M. Sébastien DELOGU, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, Mme Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mme Raquel GARRIDO, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Mathilde HIGNET, Mme Rachel KEKE, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, Mme Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, Mme Pascale MARTIN, M. William MARTINET, M. Frédéric MATHIEU, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Adrien QUATENNENS, M. Jean-Hugues RATENON, M. Sébastien ROME, M. François RUFFIN, M. Aurélien SAINTOUL, M. Michel SALA, Mme Danielle SIMONNET, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER, M. Léo WALTER,

députées et députés.

 


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Nous avons pu identifier 8 infrastructures de transports n’ayant fait l’objet d’aucune publication de bilans des résultats économiques et sociaux contrairement au code de l’environnement. Alors que l’ensemble de ces travaux représentent plus de 17 milliards d’euros d’investissements publics, nous nous étonnons qu’une transparence totale sur l’utilisation de ces fonds ne soit pas faite.

Depuis le 30 décembre 1982 et la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) et son Décret n° 84‑617 du 17 juillet 1984 relatif à l’application de l’article 14 de la LOTI, les maîtres d’ouvrage sont tenus de réaliser un bilan des résultats économiques et sociaux des infrastructures financées par de l’argent public.

Ces bilans doivent être soumis à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) précédemment CGEDD et initialement Conseil Général des Ponts et Chaussées pour être publiés accompagnés de l’avis de l’IGEDD.

La liste des avis émis par l’IGEDD est publiée sur son site Internet.

Le Conseil d’État a considéré dans sa Décision n° 403537 que «…le refus de réaliser et de rendre public à l’expiration du délai prévu par l’article L. 1511‑6 du code de transports le bilan des résultats économiques et sociaux d’un grand projet d’infrastructure constitue, eu égard à l’objet de ces dispositions, une décision susceptible de recours qui peut être contestée par toute personne devant le juge de l’excès de pouvoir… »

Conformément aux dispositions des articles L.15111, L15115, L15116, L.15117, R.15111, R.15112, R.15114, R.15113, R.15117, R.15118, R.15119, R.151110 du code des transports, il appartient au Ministre de la transition écologique et au ministre délégué chargé des transports de faire publier tous les bilans des résultats économiques et sociaux accompagnés des avis de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) portant sur des infrastructures de transport visées par ces articles.

Ces bilans concernent toutes les infrastructures de transport dont le coût est supérieur à 83 084 715 € et doivent être établis cinq ans au plus tard après la mise en service.

La réalisation des bilans économiques et sociaux et leur publication accompagnée de l’avis de l’IGEDD a paru indispensable lors de la discussion de la loi d’orientation des mobilités, de sorte que lors de la précédente législature notre Assemblée a voté une modification de l’article L. 1511‑1 du code des transports permettant au ministre chargé des transports de faire réaliser ces bilans à la charge du maître d’ouvrage en cas de défaillance de ce dernier à l’établir dans le délai légal.

Plusieurs décisions de la juridiction administrative ont dû être rendues avec injonction au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de faire établir ces bilans obligatoires.

Pourtant à une question écrite de notre collègue Florence Lasserre (Question publiée au JO le : 25/12/2018, Réponse publiée au JO le : 27/10/2020 page : 7554) demandant au ministre les raisons pour lesquelles le bilan des résultats économiques et sociaux de l’infrastructure dite « Perpignan‑Figueras » n’était pas établi, le ministre a répondu deux ans plus tard : « Dans ces conditions, réaliser le bilan LOTI ne répondrait pas à l’esprit de l’article L. 1511‑6 du code des transports. » dans une interprétation erronée de la loi au regard de la jurisprudence, alors que l’exploitant concessionnaire a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire résultant de l’insuffisance de trafic au regard des prévisions annoncées.

Il ressort de la consultation de la liste des bilans des résultats économiques et sociaux, dits bilans loi LOTI, établie et publiée par l’IGEDD qu’un certain nombre de ces bilans des résultats économiques et sociaux n’ont pas été réalisés ou qu’ils ne sont pas publiés accompagnés de l’avis de l’IGEDD.

Parmi ces infrastructures de transport qui auraient dû faire à ce jour l’objet d’une publication du bilan loi LOTI accompagné de l’avis de l’IGEDD, nous avons identifié les infrastructures suivantes :

– la LGV Tours Bordeaux, dont les travaux représentent un coût de 7,7 milliards d’euros et dont la publication du bilan LOTI accompagné de l’avis IGEDD aurait dû intervenir depuis le 2 juillet 2022 ;

– la LGV Bretagne Pays de Loire, dont les travaux représentent un coût de 3,3 milliards d’euros et dont la publication du bilan LOTI accompagné de l’avis IGEDD aurait dû intervenir depuis le 2 juillet 2022 ;

– le Contournement ferroviaire de Nîmes et de Montpellier, dont les travaux représentent un coût de 2,3 milliards d’euros et dont la publication du bilan LOTI accompagné de l’avis IGEDD est donc exigible depuis le 10 décembre 2022 ;

– la LGV Est Européenne Phase 2, dont les travaux représentent un coût de 2 milliards d’euros et dont la publication du bilan LOTI accompagné de l’avis IGEDD aurait dû intervenir depuis le 11 décembre 2021 ;

– la mise au gabarit GBI et la modernisation du tunnel du Mont‑Cenis, dont les travaux représentent à minima un coût de 110 millions d’euros et dont le bilan des résultats économiques et sociaux accompagné de l’avis IGEDD aurait dû intervenir au plus tard en septembre 2016

– le « Sillon Alpin Sud », dont les travaux représentent un coût de plus de 540 millions d’euros et dont la publication du bilan des résultats économiques et sociaux accompagné de l’avis de l’IGEDD aurait dû intervenir au plus tard le 15 décembre 2018

– la section internationale Perpignan‑Figueras, dont les travaux représentent un coût de 1,2 milliards d’euros et dont la publication du bilan des résultats économiques et sociaux accompagné de l’avis IGEDD aurait dû intervenir au plus tard en décembre 2015 ;

– le « Rhônexpress », dont les travaux représentent un coût de 120 millions d’euros et dont la publication du bilan LOTI accompagné de l’avis IGEDD aurait dû intervenir au plus tard le 9 août 2015 ;

Ce sont donc plus de 17 milliards d’euros d’investissements financés par la contribution publique qui ne font pas l’objet d’évaluation a posteriori malgré une obligation datant de plus de quarante années, alors qu’il est demandé à nos concitoyens des efforts pour réduire la dette publique.

Malgré une nouvelle injonction du tribunal administratif de Paris le 14 avril 2023, le ministre ne respecte pas son obligation de faire réaliser et de publier ces bilans indispensables à l’évaluation de la dépense publique et la prise de décision pour de nouvelles infrastructures

Notre collègue Gabriel Amard a également alerté Monsieur le ministre délégué chargé des transports Clément Beaune de cette situation à travers une lettre envoyée le 20 juillet 2023 et l’a appelé à agir au plus vite. Ce courrier a été laissé sans réponse. Le 26 septembre 2023, c’est le PDG de SNCF Réseau, Matthieu Chabanel, principal maître d’ouvrage de ces travaux d’infrastructures qui n’avait, sur cette question, aucune réponse à apporter à notre collègue Gabriel Amard lors d’une audition en commission développement durable et aménagement du territoire. Le 11 octobre 2023 puis le 17 octobre 2023, ce sont les ministres de la transition écologique, Christophe Béchu, puis le ministre délégué chargé des transports Clément Beaune qui ont esquivé les questions de notre collègue Gabriel Amard et n’ont apporté aucune réponse.

Suite à l’incapacité de SNCF Réseau ou des maîtres d’ouvrage concessionnaires de travaux à réaliser les bilans des résultats économiques et sociaux de ces infrastructures en infraction au code des transports, alors que leur mise en service remonte à plus de cinq ans, il en va de la responsabilité du ministre de la transition écologique et du ministre délégué chargé des transports de les faire réaliser en appliquant les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 1511‑1 du code des transports.

Le refus d’agir des deux ministres est d’autant plus inacceptable que la SNCF affiche une dette colossale qui a dû être rachetée à hauteur de 35 milliards d’euros par l’État et que l’entreprise est toujours endetté à hauteur de 24,4 milliards d’euros en fin d’année 2022. Les contribuables et les usagers du service public sont ainsi en droit de savoir comment sont conduits les travaux de la SNCF.

La transparence totale sur l’utilisation de l’argent public est un fondement essentiel de la République.

Par ailleurs, l’utilité sociale, économique et écologique des travaux réalisés est indispensable pour évaluer la pertinence des projets futurs.

Face à l’inaction du gouvernement, nous sommes contraints de demander l’organisation d’une commission d’enquête visant à comprendre les raisons pour lesquelles ces bilans des résultats économiques et sociaux ne sont pas réalisés, ne sont pas évalués par l’IGEDD et pourquoi la SNCF ou les maîtres d’ouvrages concessionnaires ne respectent pas la loi.

La Commission d’enquête devra également identifier les raisons pour lesquelles le gouvernement ne fait pas respecter la loi LOTI et ne la respecte pas lui‑même malgré les évolutions législatives qu’il a approuvées.

De tels bilans des résultats économiques et sociaux des infrastructures de transport sont évidemment essentiels pour les décisions que l’Assemblée nationale est amenée à prendre.

 


proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres, chargée de :

– Recenser l’ensemble des travaux d’infrastructures de transport pour lesquels un bilan des résultats économiques et sociaux accompagnés d’un avis de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable n’a pas été réalisé et n’a pas été rendu public ;

– Interroger les différents maîtres d’ouvrage et notamment les différents services de la Société nationale des chemins de fer français responsables de la réalisation de ces travaux et des bilans qui les accompagnent sur leur incapacité à respecter la loi ;

– Interroger les différents ministres de la transition écologique et les ministres des transports responsables, depuis au moins 2015, de la publication de ces bilans et comprendre pourquoi ils n’ont pas appliqué la loi ;

– Entendre toute personne pouvant éclairer la commission d’enquête ;

– Proposer un mécanisme contraignant de réalisation de ces bilans par le maître d’ouvrage.