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N° 3894

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation
de l’environnement ( 3787)

PAR M. Pieyre-Alexandre ANGLADE

Député

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Voir les numéros : 3787

 

 


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  SOMMAIRE

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Pages

Avant-Propos.............................................. 5

I. l’incription À l’article 1er de la constitution de la prÉservation de l’environnement et de la diversitÉ biologique et de la lutte contre le changement climatique : une rÉponse forte À l’urgence environnementale

A. l’urgence environnementale

1. Le dérèglement climatique

2. La diversité biologique

B. des initiatives multiples en faveur de l’environnement mais qui se rÉvÈlent encore insuffisantes

1. Au niveau international

2. Au niveau national

II. d’une initiative citoyenne au rÉfÉrendum, une rÉvision constitutionnelle inÉdite

A. la convention citoyenne pour le climat, un exercice démocratique nouveau

B. une adoption définitive par recours au référendum

1. Les révisions constitutionnelles depuis 1958

2. Un recours rare à la procédure référendaire

3. La pertinence du choix du référendum

examen de l’ARTICLE unique

Article unique (art. 1er de la Constitution) Consécration de la préservation de l’environnement

AUDITION DE m. Éric dupond-moretti, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

Compte rendu des dÉbats

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

 

« Le moment est venu. La coalition mondiale qui s’est engagée à réduire les émissions nettes à zéro d’ici 2050 est en train de se développer, au sein des gouvernements, des entreprises, des investisseurs, des villes, des régions et de la société civile. Les plans de relance post-COVID-19 offrent la possibilité de reconstruire plus vert et plus propre. Les décideurs doivent joindre le geste à la parole. Les engagements à long terme doivent s’accompagner d’actions immédiates pour lancer la décennie de transformation dont la population et la planète ont si désespérément besoin », a souligné le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, lors de la présentation du rapport de synthèse sur les contributions déterminées au niveau national le 26 février 2021.

Ainsi, le moment est venu pour la France d’inscrire au sein de l’article 1er de la Constitution une phrase aux termes de laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Déposé sur le bureau de l’Assemblée le 20 janvier 2021, le présent projet de loi constitutionnelle a la particularité de prolonger deux précédentes révisions constitutionnelles en matière environnementale tout en portant une ambition plus forte et en suivant une procédure renouvelée.

Il s’inscrit en effet dans la continuité de la Charte de l’environnement au sujet de laquelle, Mme Nathalie Kosciuzko-Morizet, rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, avait indiqué que « loin d’apporter une solution définitive, intégrale et préfabriquée, [elle] inaugure un vaste mouvement politique et lance un défi juridique » ([1]). Il la complète donc utilement.

Il porte toutefois une ambition plus forte. Il consacre tout d’abord la préservation de l’environnement et, en son sein, la protection de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique, comme un principe constitutionnel plein et entier. Il introduit ensuite un principe d’action positif pour les pouvoirs publics. Il affirme enfin, en faisant de la France le premier État européen et l’un des premiers pays au monde à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa loi fondamentale, sa volonté de poursuivre son action, notamment internationale, contre les changements climatiques.

Il suit par ailleurs une procédure inédite. Fruit des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, composée de 150 citoyens tirés au sort et représentatifs de la diversité de la société française, il participe de la volonté de construire une démocratie délibérative qui ne s’oppose pas à la démocratie parlementaire mais la complète et l’enrichit. Comme l’a indiqué le Président de la République le 29 juin 2020 s’adressant aux membres de la Convention citoyenne, « vous avez montré qu’il était possible sur un sujet difficile, inflammable même, de créer du consensus, de prendre des mesures courageuses en cherchant de la concorde et de l’apaisement. C’est cela dont notre pays, notre démocratie ont besoin, savoir rester ensemble même quand nous ne sommes pas d’accord, savoir avoir de l’ambition tout en étant apaisés ». Cet exercice démocratique nouveau va trouver sa consécration dans le recours au référendum, auquel il n’a été fait appel, réserve faite du recours à l’article 11 de la Constitution en 1962 et en 1969, qu’une fois, en 2000, pour l’adoption définitive de la révision constitutionnelle.

Aucun des phénomènes préoccupants observés aujourd’hui – qu’il s’agisse du dérèglement climatique, de la disparition de la diversité biologique, de la pollution de l’air ou de l’eau – n’est le résultat de la fatalité. Si l’homme a sa part de responsabilité dans ces évolutions, il a aussi la capacité de les prévenir et de les corriger avant qu’elles ne deviennent irréversibles.

C’est le défi que la France doit relever. Consciente des enjeux liés à la présente révision de la loi fondamentale, qui pourrait être la vingt-cinquième depuis 1958, la Commission n’a pas souhaité modifier l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

 


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I.   l’incription À l’article 1er de la constitution de la prÉservation de l’environnement et de la diversitÉ biologique et de la lutte contre le changement climatique : une rÉponse forte À l’urgence environnementale

Depuis l’adoption de la Charte de l’environnement en 2005, la multiplication et l’intensification des phénomènes climatiques, l’accélération de la désertification et de la montée du niveau des mers et des océans, le développement des catastrophes naturelles et la disparition d’un nombre croissant d’espèces végétales et animales changent la donne et appellent une réponse forte, qui repose notamment sur l’inscription dans la loi fondamentale, après un processus démocratique inédit, de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique.

A.   l’urgence environnementale

Alors qu’une véritable prise de conscience des enjeux liés à l’environnement a émergé avec les grandes catastrophes locales aux conséquences désastreuses qu’ont été les explosions industrielles accidentelles ([2]), les grandes marées noires ([3]) ou, encore, l’assèchement de la mer d’Aral puis avec l’apparition de phénomènes plus généraux (désertification, déforestation, érosion et salinisation des sols, contamination des eaux, stockage de déchets nocifs, urbanisation massive de régions fragiles, pluies acides, etc.), nous sommes aujourd’hui confrontés à des phénomènes globaux et, pour partie, interdépendants, qui affectent la planète dans son ensemble.

Aussi, le programme de développement durable à l’horizon 2030 adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2015, qui constitue le cadre actuel du développement mondial, repose-t-il sur 17 objectifs de développement durable déclinés en 169 cibles dans les domaines de l’économie, du développement social et de la protection de l’environnement afin d’éradiquer la pauvreté, de protéger la planète et de garantir la prospérité pour tous.

Ce programme est plus ambitieux que les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) car il s’adresse à tous les pays, qu’ils soient développés ou en développement, et prévoit non seulement d’atteindre ces 17 objectifs mais également de répondre aux difficultés croissantes découlant de l’interdépendance entre les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement.

Parmi ces objectifs, plus de la moitié ([4]) relèvent du domaine environnemental, témoignant ainsi de la prise de conscience générale de l’urgence environnementale.

1.   Le dérèglement climatique

L’ampleur du dérèglement climatique et la gravité de ses conséquences sont mises en évidence par de nombreux rapports scientifiques.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a ainsi souligné, dans son cinquième rapport d’évaluation publié en 2014, qu’en l’absence d’efforts destinés à limiter les émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement, dû principalement à l’activité humaine, pourrait atteindre 3,7 °C en 2100 par rapport à la période préindustrielle (1861‐1880). Afin de maintenir le réchauffement global sous les 2°C par rapport à la période 1861‐1880, les émissions mondiales de CO2 devraient être réduites entre 40 % et 70 % d’ici à 2050 et être ramenées à un niveau proche de zéro d’ici à 2100.

Il ressort également des derniers rapports spéciaux publiés par GIEC ([5]) que l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre, de l’ordre de 1°C par rapport à l’époque préindustrielle, est d’ores et déjà responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques et qu’afin de limiter ce réchauffement à 1,5°C, il convient de réduire, d’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre de 45 % par rapport à 2010 et d’atteindre la neutralité carbone au plus tard en 2050.

Les grandes lignes des rapports spéciaux du GIEC de 2018 et 2019

Principalement due aux émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique, la hausse de la température a déjà provoqué l’accélération de la fonte des glaces continentales et du pergélisol et le réchauffement des océans, qui ont pour conséquence l’élévation du niveau de la mer – la montée du niveau de la mer est deux fois plus rapide qu’il y a 10 ans et le réchauffement de l’océan a plus que doublé depuis 1993 –, ainsi que la désertification et la dégradation des sols dans de nombreuses régions du monde.

Ce phénomène se combine avec l’augmentation, en fréquence et en gravité, des phénomènes climatiques extrêmes, l’acidification des océans et l’atteinte des écosystèmes, qui ont des conséquences graves et irréversibles sur les activités humaines telles que la pêche et les cultures, ainsi que sur les ressources en eau, et entraînent des risques croissants d’insécurité alimentaire et de dégradation des ressources en eau, avec des conséquences néfastes sur la santé humaine et la croissance économique.

Si les émissions anthropiques de gaz à effet de serre continuent d’augmenter au rythme actuel, le réchauffement global atteindra 1,5°C entre 2030 et 2052. Même si ces émissions diminuent, le réchauffement durera plusieurs siècles compte tenu de la persistance dans l’atmosphère des gaz à effet de serre. Un réchauffement de 2°C plutôt qu’1,5°C augmenterait gravement ces différents phénomènes et leurs conséquences.

Chaque demi-degré supplémentaire de réchauffement global renforce très significativement les risques associés, en particulier pour les écosystèmes et les populations les plus vulnérables. La limitation de ce réchauffement à 1,5°C nécessite de réduire, d’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre de 45 % par rapport à 2010 et d’atteindre la neutralité carbone au plus tard en 2050.

Les bouleversements dus au réchauffement climatique auront des conséquences majeures pour les écosystèmes naturels mais aussi pour les populations humaines et la stabilité des sociétés. Ils entraîneront en effet des risques pour les systèmes naturels et humains – auxquels les populations les plus fragiles seront davantage exposées – comme la disparition de nombreuses espèces, une insécurité alimentaire et des conséquences négatives sur la santé, la croissance économique et la réduction de la pauvreté.

S’agissant plus précisément de la France, l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique a mis en évidence que l’augmentation de la température moyenne, qui s’élève, pour la décennie 2000-2009, à 1,14°C par rapport à la période 1960-1990, provoque l’accélération de la perte de masse des glaciers, en particulier depuis 2003, l’aggravation de l’érosion côtière, qui affecte un quart des côtes françaises, et des risques de submersion. Elle fait peser de graves menaces sur la biodiversité des glaciers et du littoral, entraîne l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, comme les canicules, les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans et, enfin, contribue à l’augmentation de la pollution à l’ozone et à l’expansion des insectes vecteurs d’agents infectieux ([6]).

Le 1er février 2021, Météo France a rappelé, à l’occasion de la publication de ses nouvelles projections climatiques relatives aux régions métropolitaines, que, compte tenu du fait que la hausse des températures depuis 1900 atteint 1,7 °C, si « nous ne renforçons pas assez nos actions de lutte contre le changement climatique, le réchauffement pourrait être encore plus fort en seconde moitié de siècle » avec des conséquences inéluctables sur les phénomènes météorologiques.

Le nouveau diagnostic de l’évolution du climat

Météo France a retenu trois scénarios d’émissions de gaz à effet de serre :

– le premier prévoit des rejets carbonés qui diminuent rapidement pour atteindre la neutralité carbone vers 2070, maintenant le réchauffement à 1 °C d’ici à 2100 ;

– le deuxième prévoit des émissions de gaz à effet de serre qui continuent d’augmenter avant de diminuer à partir de 2050, conduisant à une hausse moyenne de la température de 2,2°C en 2100 ;

– le troisième repose sur l’hypothèse d’une augmentation ininterrompue des émissions de gaz à effet de serre, portant le réchauffement à 3,9°C d’ici à 2100.

Dans le deuxième scénario, les conséquences seraient, en hiver, un raccourcissement de la période de neige significative en moyenne montagne et une division par deux du nombre de jours de gelée et, en été, une fréquence accrue des canicules (trois à quatre fois plus de jours de vagues de chaleur) et un allongement de 30 % des périodes de sécheresse.

Dans le troisième scénario, les conséquences seraient, en hiver, la quasi-absence de neige en moyenne montagne et de gelées dans les régions de la moitié ouest de la France et, en été, une quasi-permanence des canicules (cinq à dix fois plus de jours de vagues de chaleur) et un allongement de 50 % des périodes de sécheresse.

Le Haut conseil pour le climat, dans son rapport annuel pour 2020, dresse un bilan de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre et des politiques climatiques dans lequel il constate certes des progrès dans la gouvernance et une multiplication des annonces mais aucune avancée structurelle dans le rythme de baisse des émissions ([7]).

2.   La diversité biologique

La plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques a mis en évidence que « la nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier ». Devant le constat de l’insuffisance de la réponse mondiale actuelle, elle estime que des « changements transformateurs » sont nécessaires pour restaurer et protéger la nature ([8]).

Le constat dressé par la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques

Parmi les 8 millions d’espèces animales et végétales présentes sur la Terre, 1 million d’entre elles environ sont menacées d’extinction.

Depuis 1900, l’abondance moyenne des espèces locales dans la plupart des grands habitats terrestres a diminué, en moyenne, d’au moins 20 %. Plus de 40 % des espèces d’amphibiens, près de 33 % des récifs coralliens et plus d’un tiers de tous les mammifères marins sont menacés.

Les cinq facteurs directs de changement affectant la nature sont, par ordre décroissant : les changements d’usage des terres et de la mer, l’exploitation directe de certains organismes, le changement climatique, la pollution et les espèces exotiques envahissantes.

Le changement climatique a déjà un impact sur la nature qu’il s’agisse des écosystèmes ou de la diversité génétique. Cet impact devrait augmenter au cours des décennies à venir et, dans certains cas, surpasser les effets du changement d’usage des terres et de la mer et des autres facteurs de pression.

Les objectifs mondiaux visant à conserver et exploiter durablement la nature pour 2030 et au-delà ne pourront être atteints que par un « changement transformateur » dans les domaines de l’économie, de la société, de la politique et de la technologie. Avec seulement quatre des vingt objectifs d’Aichi pour la biodiversité présentant des progrès réels dans leurs déclinaisons, il est probable que la plupart d’entre eux ne seront pas atteints d’ici à l’échéance de 2020. Les tendances négatives actuelles relatives à la biodiversité et aux écosystèmes vont freiner les progrès en vue d’atteindre les objectifs de développement durable.

Il importe d’adopter une gestion intégrée et des approches intersectorielles qui prennent en compte les compromis entre la production alimentaire et celle de l’énergie, les infrastructures, la gestion de l’eau douce et des zones côtières, ainsi que la conservation de la biodiversité.

Pour ce qui concerne plus particulièrement la France, l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique a mis en évidence qu’avec 10 % de la biodiversité mondiale, la France fait partie des dix pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées, principalement en raison des pressions exercées par l’activité humaine. Malgré les efforts menés pour préserver la nature à travers l’adoption de politiques ambitieuses de conservation, de gestion durable et de restauration des écosystèmes, la biodiversité française métropolitaine et outre-mer est déjà touchée par le changement climatique et continuera de l’être pendant encore plusieurs décennies compte tenu de l’inertie du système climatique ([9]).

Loin d’être un slogan, l’urgence environnementale est donc une réalité qui concerne l’ensemble de l’humanité. Compte tenu de ses conséquences sur les écosystèmes et sur les populations – que ce soit en matière de sécurité alimentaire, de dégradation du niveau et de la qualité de vie, de déplacements de populations ou de développement des conflits armés –, la question environnementale appelle des réponses fortes.

B.   des initiatives multiples en faveur de l’environnement mais qui se rÉvÈlent encore insuffisantes

Depuis le début des années 1970, les initiatives en faveur de l’environnement se multiplient, que ce soit au niveau international ou national. De plus en plus fortes et, pour certaines d’entre elles, contraignantes, elles appellent une mise en œuvre plus effective.

1.   Au niveau international

En matière environnementale, les organisations internationales jouent un rôle actif et souvent initiateur, que ce soit au sein de l’Organisation des Nations unies, de l’OCDE ou du Conseil de l’Europe.

Leurs initiatives sont à l’origine de quelques dates marquantes : en 1972, la Déclaration de Stockholm adoptée par la Conférence des Nations unies sur l’environnement dont l’article 1er proclame que « l’homme a un droit fondamental (…) à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être » et qui crée la Conférence des Nations unies sur l’environnement ; en 1992, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement qui énonce que « les êtres humains ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature » ; en 2002, la Déclaration de Johannesburg du sommet mondial sur le développement durable. Ce dernier aura été marqué par le discours du Président Jacques Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l’admettre (...). La terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables (...). Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d’un crime de l’humanité contre la vie. »

Dans toutes les régions du monde, des conventions internationales ont été conclues pour consacrer la protection de l’environnement, par exemple en Afrique (charte africaine des droits de l’homme et des peuples, convention africaine de Maputo sur la conservation de la nature et des ressources naturelles et protocole de Maputo sur le droit des femmes en Afrique), en Amérique (protocole de San Salvador additionnel à la convention américaine des droits de l’homme, convention interaméricaine sur la protection des droits humains des personnes âgées, accord régional d’Escazu), au Moyen Orient (charte arabe des droits de l’homme) ou encore en Europe (convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement).

Dans le domaine de la lutte contre le dérèglement climatique, le premier instrument conventionnel juridiquement contraignant est la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), signée le 9 mai 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro([10]). Elle fixe comme objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique et crée une Conférence des parties chargée d’en suivre la mise en œuvre. Le Protocole de Kyoto, adopté le 11 décembre 1997, pose une limite aux grandes économies mondiales sur le rejet total des émissions de gaz à effet de serre avec une première période d’engagements allait de 2008 à 2012 et une seconde s’étendant de 2013 à 2020.

Symbole d’une prise de conscience accrue des dangers liés au dérèglement climatique, la Conférence de Paris a abouti à un nouvel accord international sur le climat. Entré en vigueur le 4 novembre 2016, l’Accord de Paris poursuit trois objectifs : maintenir le réchauffement mondial en-deçà du seuil de 2° C voire tendre vers l’objectif de 1,5° C par rapport à l’ère préindustrielle, renforcer les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et promouvoir la résilience à ces changements et, enfin, rendre les flux financiers compatibles avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques.

Ambitieux, évolutif et universel, cet accord contient les engagements de chaque pays pour réduire les gaz à effet de serre, des règles pour contrôler les efforts entrepris, des solutions pour financer la lutte contre le changement climatique des pays en voie de développement et un agenda regroupant les initiatives des acteurs non gouvernementaux. Sa mise en œuvre repose notamment sur des cycles d’actions climatiques d’une durée de cinq ans, au terme desquels les États doivent présenter des objectifs plus ambitieux.

Le 26 février 2021, la CCNUCC a publié un premier rapport de synthèse initial sur les contributions déterminées au niveau national – c’est-à-dire les engagements climatiques pris par les parties qui doivent être révisés tous les cinq ans de manière à parvenir à la neutralité carbone au milieu du siècle –, qui mesure les progrès des plans d’action nationaux sur le climat, dans la perspective de la vingt-sixième session de la Conférence des parties (COP26) qui se tiendra en novembre 2021 à Glasgow.

Il en ressort qu’au 31 décembre 2020, soixante-quinze pays – dont les membres de l’Union européenne –, représentant 30 % des émissions mondiales ont déposé leurs nouveaux objectifs auprès de l’ONU et que deux des dix-huit plus grands émetteurs, le Royaume-Uni et l’Union européenne, ont présenté une contribution actualisée présentant une progression forte de leurs objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Les autres grands émetteurs ont présenté des contributions présentant une faible augmentation de leurs ambitions ou n’en n’ont pas encore présenté. La CCNUCC a estimé que l’impact combiné de ces nouveaux plans climat entraînerait une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 0,5 % d’ici à 2030, comparé à 2010, soit un niveau très en-deçà des 45 % nécessaires pour ne pas dépasser 1,5 °C de réchauffement. Les nouveaux plans éviteraient à peine 3 % d’émissions à l’horizon 2030 par rapport aux précédents objectifs fixés en 2015. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a souligné que ce rapport était « une alerte rouge pour notre planète. Il montre que les gouvernements sont loin d’avoir atteint le niveau d’ambition nécessaire pour limiter le changement climatique à 1,5 degré et atteindre les objectifs de l’Accord de Paris » avant d’ajouter que « les principaux émetteurs doivent se fixer des objectifs de réduction des émissions beaucoup plus ambitieux pour 2030 dans leurs contributions nationales bien avant la conférence des Nations unies sur le climat qui se tiendra en novembre à Glasgow ».

Le « retour » des États-Unis, le 19 février 2021, dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris apparaît en revanche comme de nature à contribuer à son application effective.

Au total, la multiplication des traités internationaux concernant en tout ou partie l’environnement depuis les années 1970 est telle que le professeur Michel Prieur a pu parler de « déferlement » ([11]). Il en a ainsi dénombré plus de 500, auxquels s’ajoutent quelque 900 traités bilatéraux. Ces conventions ne sont cependant pas toutes, ni dans toutes leurs stipulations, d’effet direct dans les ordres juridiques nationaux.

2.   Au niveau national

L’émergence du droit international de l’environnement à partir des années 1970 a contribué à l’essor, dans les constitutions nationales, de dispositions relatives à la protection de l’environnement. « La symbiose entre droit interétatique et droit national est réelle dans de nombreux domaines, mais il en est peu où elle est aussi forte et rapide et surtout où le contenu du droit constitutionnel a été aussi clairement modifié » comme le soulignent la professeure Marie-Anne Cohendet et la maître de conférence Marine Fleury ([12]).

Si la constitution italienne est la première à faire, dès 1947, référence à la protection des paysages naturels, il n’y est toutefois question que d’un aspect particulier de l’environnement.

À partir des années 1970 et plus particulièrement de la Déclaration de Stockholm de 1972, plusieurs constitutions – la première ayant été celle de Pennsylvanie aux États-Unis en 1971 – reconnaissent la notion de protection de l’environnement dans son ensemble.

En l’espace de cinquante ans, le « constitutionnalisme environnemental » est devenu un phénomène général puisque, en 2019, 140 constitutions comprennent des objectifs environnementaux ([13]). 85 reconnaissent expressément le droit à un environnement de qualité et 15 consacrent des droits environnementaux comme faisant partie intégrante des droits fondamentaux constitutionnels, tel que le droit à la vie.

Comme le met en évidence la professeure Christel Cournil : « Aujourd’hui, le constitutionnalisme environnemental présente une grande diversité de par la forme, les droits, les objectifs et les obligations reconnus : plus d’une centaine de constitutions imposent des obligations de protection de l’environnement et plus d’une trentaine ont consacré des droits procéduraux particuliers en matière environnementale » ([14]).

Au sein de l’Union européenne, tous les États membres, à l’exception de Chypre et du Danemark, ont inscrit des dispositions relatives à la protection de l’environnement et de la biodiversité.

En revanche, l’action climatique fait l’objet d’une reconnaissance constitutionnelle expresse plus récente et moins unanime. Ainsi, depuis moins d’une dizaine d’années, dix pays ont inséré la lutte contre le dérèglement climatique dans leur loi fondamentale. Il s’agit de la Bolivie, la République Dominicaine, la Tunisie, l’Équateur, le Venezuela, le Viêt Nam, le Népal, la Côte d’Ivoire, la Thaïlande et la Zambie.

Ainsi, en adoptant le présent projet de loi constitutionnelle, la France deviendrait l’un des premiers pays au monde et le premier État de l’Union européenne à reconnaître l’importance de la lutte contre le dérèglement climatique.

II.   d’une initiative citoyenne au rÉfÉrendum, une rÉvision constitutionnelle inÉdite

La révision constitutionnelle qui est proposée se distingue de celles qui ont été entreprises jusqu’à présent par l’association des citoyens tout au long de son processus d’adoption, de la convention citoyenne à l’origine du projet au recours au référendum pour son adoption définitive.

A.   la convention citoyenne pour le climat, un exercice démocratique nouveau

Ce projet de loi constitutionnelle présente l’originalité d’être le fruit des travaux d’une convention citoyenne.

Certes, la précédente grande révision constitutionnelle dans le domaine environnemental a été marquée par la même préoccupation d’associer les citoyens à son élaboration mais selon des formes moins originales et moins poussées. La Charte de l’environnement a en effet été l’objet d’une longue maturation accompagnée d’une volonté de concertation. Débuté par la constitution, le 26 juin 2002, d’une commission d’experts présidée par M. Yves Coppens ([15]) avec comme mission de préparer un projet de charte, le processus d’élaboration s’est ensuite caractérisé par la volonté d’engager un large débat sur les orientations retenues avec l’organisation d’un colloque de plus de 400 experts ainsi que de quatorze assises territoriales, qui ont permis, entre la fin janvier et la fin février 2003, la participation et l’expression de plus de 8 000 personnes et, enfin, d’un questionnaire adressé aux acteurs locaux qui a reçu près de 14 000 réponses.

Allant plus loin dans l’association des citoyens aux choix de la Nation en matière environnementale, la Convention citoyenne pour le climat constitue une expérience démocratique inédite en France. Comme l’a souligné le Président de la République, le 29 juin 2020, à l’occasion de la présentation par ses membres de leurs propositions : « Tout, dans cette aventure démocratique et humaine, constitue une première mondiale, autant par son ambition que par son ampleur. Il y avait eu des expériences comparables sur des sujets beaucoup plus limités pour essayer de démêler des divergences dans une société ; jamais sur un sujet aussi large ».

C’est en effet à l’issue du grand débat national qui a succédé au mouvement des « gilets jaunes » que le Président de la République a proposé, le 25 avril 2019, la création de la Convention citoyenne pour le climat, afin, après le rejet et la colère suscités par la mise en place de la taxe carbone, de mieux associer les Français aux décisions qui les concernent et, plus généralement, de répondre à leur demande en faveur de plus de participation et de plus d’écologie.

Composée de 150 citoyens tirés au sort et représentatifs de la diversité de la société française et dotée d’un mandat clair – à savoir proposer des mesures pour réduire, dans un esprit de justice sociale, les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990 –, cette convention citoyenne traduit un changement de méthode et de gouvernance pour accélérer la transition écologique et, surtout, participe de la volonté de construire une démocratie délibérative qui ne s’oppose pas à la démocratie parlementaire mais la complète et l’enrichit.

Ayant vocation à mobiliser l’intelligence collective pour passer, ainsi que l’appelait de ses vœux le Premier ministre dans une lettre adressée au président du Conseil économique, social et environnemental le 2 juillet 2019, d’un consensus sur le diagnostic à des compromis sur les solutions et à impliquer l’ensemble de la société dans la transition écologique et la transformation des modes de vie qui en résultera, la Convention a présenté, à l’issue des sept sessions qui se sont tenues entre le 4 octobre 2019 et le 21 juin 2020, 149 propositions, parmi lesquelles le Président de la République s’est engagé à en mettre en œuvre 146.

Parmi ces propositions figurent deux modifications de la Constitution. La première a pour objet d’ajouter au sein du Préambule un alinéa aux termes duquel : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité ». Toutefois, cet ajout aurait conduit, en plaçant la protection de l’environnement au-dessus des droits et libertés publiques, à instaurer une hiérarchie entre les normes fondamentales qui aurait été contraire à la tradition constitutionnelle. Elle n’a donc pas été retenue.

La seconde consiste à compléter l’article 1er de la Constitution afin d’y inscrire, après la troisième phrase du premier alinéa, une phrase selon laquelle : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique » et, ainsi, de renforcer la responsabilité de la France en matière environnementale.

Alors que, parmi les membres de la Convention qui se sont prononcés sur cette modification de l’article 1er, 81 % ont voté pour, le projet de loi constitutionnelle en reprend, à trois modifications de forme près – remplacer la République par la France, placer en tête la préservation de l’environnement et substituer à la biodiversité la diversité biologique –, la formulation.

Inédit, ce processus démocratique va trouver sa consécration dans le recours au référendum pour l’adoption définitive de la révision constitutionnelle.

B.   une adoption définitive par recours au référendum

Alors qu’il n’a été, jusqu’à présent, pour un projet de révision constitutionnelle, recouru au référendum qu’à trois reprises – les deux premières toutefois, en 1962 et en 1969, par le recours contesté à la procédure prévue par l’article 11 de la Constitution –, ce dernier devrait se distinguer des précédents en ce que son organisation reviendrait à soumettre au vote populaire un texte élaboré par des citoyens tirés au sort et approuvé par les deux assemblées.

1.   Les révisions constitutionnelles depuis 1958

Depuis 1958, il a été procédé à vingt-quatre révisions constitutionnelles.

Les révisions constitutionnelles depuis 1958

  1. Loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960 tendant à compléter les dispositions du titre XII de la Constitution, adoptée selon une procédure dérogatoire applicable aux dispositions relatives à la « Communauté » associant la France à ses anciennes colonies d’Afrique (procédure abrogée par la loi constitutionnelle du 4 août 1995).
  1. Loi constitutionnelle n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, adoptée par référendum en application de l’article 11 de la Constitution.
  2. Loi constitutionnelle n° 63-1327 du 30 décembre 1963 portant modification des dispositions de l’article 28 de la Constitution (date des sessions parlementaires), adoptée par le Congrès.
  3. Loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l’article 61 de la Constitution (extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou 60 sénateurs), adoptée par le Congrès.
  4. Loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976 modifiant l’article 7 de la Constitution (règles de la campagne électorale des élections présidentielles en cas de décès ou d’empêchement d’un candidat), adoptée par le Congrès.
  5. Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre « Des Communautés européennes et de l’Union européenne » (préalable à la ratification du traité de Maastricht), adoptée par le Congrès.
  6. Loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et modifiant ses titres VIII, IX, X et XVI (création de la Cour de justice de la République), adoptée par le Congrès.
  7. Loi constitutionnelle n° 93-1256 du 25 novembre 1993 relative aux accords internationaux en matière de droit d’asile, adoptée par le Congrès.
  8. Loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 portant extension du champ d’application du référendum, instituant une session parlementaire ordinaire unique, modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire et abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions transitoires, adoptée par le Congrès.
  9. Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale, adoptée par le Congrès.
  10. Loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie (mise en œuvre de l’Accord de Nouméa du 5 mai 1998), adoptée par le Congrès.
  11. Loi constitutionnelle n° 99-49 du 25 janvier 1999 modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution (transferts de compétences à l’Union européenne en matière de libre-circulation des personnes, préalable à la ratification du traité d’Amsterdam), adoptée par le Congrès.
  12. Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2 (adhésion de la France au Statut de Rome) et relative à la Cour pénale internationale, adoptée par le Congrès.
  13. Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes, adoptée par le Congrès.
  14. Loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la réduction de la durée du mandat du Président de la République, adoptée par référendum.
  15. Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen, adoptée par le Congrès.
  16. Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, adoptée par le Congrès.
  17. Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution (préalable à ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe et recours au référendum pour les adhésions à venir), adoptée par le Congrès.
  1. Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement, adoptée par le Congrès.
  2. Loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 modifiant l’article 77 de la Constitution (corps électoral de la Nouvelle-Calédonie), adoptée par le Congrès.
  3. Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution (statut pénal du Président de la République et création d’une procédure de destitution), adoptée par le Congrès.
  4. Loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort, adoptée par le Congrès.
  5. Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution (préalable à la ratification du traité de Lisbonne), adoptée par le Congrès.
  6. Loi constitutionnelle n° 2008724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République (rôle du Parlement et question prioritaire de constitutionnalité), adoptée par le Congrès.

Deux révisions constitutionnelles ont eu une dimension environnementale : celle de 2005 relative à la Charte de l’environnement et celle de 2008 qui a reconnu au Conseil économique et social une compétence en matière environnementale.

2.   Un recours rare à la procédure référendaire

Parmi ces vingt-quatre révisions constitutionnelles, seules deux d’entre elles ont été adoptées par référendum.

• Il s’agit tout d’abord de l’institution de l’élection au suffrage universel direct du Président de la République par la loi constitutionnelle n° 62-1292 du 6 novembre 1962 adoptée en application de l’article 11 de la Constitution. Ce dernier prévoit la possibilité de recourir au référendum dans des cas limitativement énumérés : organisation des pouvoirs publics, autorisation de la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions et, depuis la révision constitutionnelle de 1995 ([16]), réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent. Néanmoins, cette procédure n’a plus été utilisée depuis l’échec du référendum du 27 avril 1969 relatif à la régionalisation et à la suppression du Sénat ([17]).

• Il s’agit ensuite de la réduction de la durée du mandat du Président de la République à cinq ans instaurée par la loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 en application de l’article 89, qui fixe les règles de révision de la Constitution.

L’initiative de la révision appartient soit au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, soit aux membres du Parlement. Toutefois, aucune des révisions constitutionnelles ayant abouti depuis 1958 n’a eu pour origine une initiative parlementaire.

La procédure de révision prévue par l’article 89 présente la caractéristique de requérir l’accord des deux assemblées.

Les particularités de l’examen des projets ou propositions de loi constitutionnelles

L’examen des projets ou propositions de loi constitutionnelle se déroule devant chaque assemblée selon la procédure législative de droit commun. Toutefois, une des règles nouvelles introduites par la révision constitutionnelle de juillet 2008 ne s’applique pas : la discussion d’un projet de loi constitutionnelle porte sur le texte initial du projet ou, en navette, sur le texte transmis par l’autre assemblée et non sur le texte adopté par la commission.

En revanche, est applicable le délai, introduit par la même révision, de six semaines entre le dépôt du projet ou de la proposition de loi et sa discussion en séance, sans que le Gouvernement puisse s’en affranchir par l’engagement d’une procédure accélérée. Est également applicable le délai de quatre semaines entre la transmission du texte par la première assemblée saisie et sa discussion devant la seconde.

Deux autres particularités de la discussion des projets et propositions de loi constitutionnelles peuvent être relevées :

– les projets de loi constitutionnelle ne sont pas accompagnés d’une étude d’impact, par dérogation expresse à la règle établie par la loi organique du 15 avril 2009 ([18]) ;

– la procédure du temps législatif programmé instituée à l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 44 de la Constitution par la réforme de son Règlement de mai 2009 ne peut être utilisée pour cette discussion.

La navette se poursuit jusqu’à ce que le texte soit voté dans les mêmes termes par les deux assemblées qui ont, en matière constitutionnelle, les mêmes pouvoirs. Le Gouvernement ne peut, en particulier, pas demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement.

L’adoption définitive du projet ou de la proposition de loi constitutionnelle est subordonnée à son approbation par référendum. Toutefois, le Président de la République peut écarter le recours au référendum en ce qui concerne les projets de loi constitutionnelle et les soumettre à l’approbation des deux assemblées réunies en Congrès, à la majorité des 3/5ème.

Si, depuis 1958, la procédure prévue à l’article 89 a abouti à vingt-deux reprises, le Président de la République n’a fait le choix du recours au référendum qu’une seule fois, en 2000.

Avec ce projet de loi constitutionnelle, ce serait donc la quatrième fois qu’il serait recouru à la procédure référendaire depuis 1958, dont la deuxième fois sur le fondement de l’article 89 de la Constitution. Cependant, cette procédure revêtirait un aspect inédit puisque le projet de texte qui serait, sous réserve d’un accord des deux assemblées, soumis au peuple devrait fortement s’inspirer de la proposition initiale faite par la Convention citoyenne pour le climat, composée de citoyens tirés au sort.

3.   La pertinence du choix du référendum

                            Le choix de la procédure référendaire pour l’adoption définitive de cette réforme constitutionnelle a été très largement approuvé par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. 85 % des membres qui se sont exprimés ont en effet voté pour le recours à un référendum.

Le référendum est un outil majeur pour permettre d’avoir un débat de fond sur la protection de l’environnement et du climat dans notre pays et d’entraîner l’ensemble des Français dans la transition écologique. Selon les membres de la Convention citoyenne qui ont été auditionnés par le rapporteur, nombre de nos concitoyens n’ont pas encore eu l’opportunité de se saisir des enjeux liés au climat, à la biodiversité et à la préservation de l’environnement.

Or, la réponse à l’urgence environnementale implique une mobilisation de l’ensemble des citoyens puisqu’elle passe par une transformation en profondeur de notre société. Cette urgence est l’affaire de tous les Français. En ce sens, le recours au référendum est essentiel, à la fois pour permettre à nos concitoyens de se prononcer sur la modification de leur Constitution et de s’approprier ces enjeux.

    


—  1  —

   examen de l’ARTICLE unique

Article unique
(art. 1er de la Constitution)
Consécration de la préservation de l’environnement

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article prévoit que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 1er de la Constitution a été modifié, en dernier lieu, par l’article 1er de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République afin d’y consacrer et de regrouper les dispositions relatives à l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions politiques, professionnelles ou sociales.

       Position de la Commission

La Commission n’a pas modifié cet article.

I.   une reconnaissance croissante de l’exigence de prÉservation de l’environnement dans le droit constitutionnel et conventionnel en vigueur

A.   Le cadre conventionnel

1.   Les engagements internationaux en matière d’environnement et de climat

Dès 1972, la Conférence mondiale sur l’environnement de Stockholm, organisée dans le cadre de l’Organisation des Nations-Unies, a adopté une déclaration qui, bien que dépourvue de force obligatoire, affirme que « l’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ».

Au-delà des déclarations de principe qui définissent la ligne de l’action des États en matière d’environnement et des programmes d’action ([19]), dont la portée symbolique et l’influence sur les opinions publiques ne sont pas négligeables mais dont l’introduction en droit positif dépend de la volonté des États, de nombreux engagements internationaux participent de la préservation de l’environnement ([20]).

Ces traités et conventions internationales peuvent être à vocation universelle, c’est-à-dire ouverts à l’adhésion de l’ensemble des États, avoir une vocation plus régionale – ils sont alors conclus entre des États ayant des intérêts communs – ou procédurale.

On peut ainsi citer l’exemple de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information et la participation du public du 25 juin 1998. Entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002, la Convention d’Aarhus occupe une place à part en raison du caractère général de ses stipulations. Celles-ci peuvent s’imposer au législateur dans une large gamme d’hypothèses. Son article 1er dispose en effet qu’« afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque partie garantit les droits d’accès à l’information sur l’environnement, de participation du public au processus décisionnel et d’accès à la justice en matière d’environnement conformément aux dispositions de la présente Convention ». L’apport de cette convention est en outre relayé par l’application de directives européennes plus contraignantes encore pour le législateur.

Par ailleurs, le premier instrument conventionnel juridiquement contraignant propre au climat est la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), signée le 9 mai 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro ([21]) et entrée en vigueur le 21 mars 1994.

Les parties – 196 États et l’Union européenne – reconnaissent l’existence et s’engagent à lutter contre les changements climatiques, qui sont définis comme « les changements de climat qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables » ([22]).

La Convention fixe comme objectif « de stabiliser (…) les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d’atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable » ([23]). Elle crée une conférence des parties (COP) chargée d’en suivre la mise en œuvre.

Le protocole de Kyoto, adopté à l’occasion de la troisième conférence des parties en 1997, et entré en vigueur en 2005, a fixé aux pays industrialisés, entre 2008 et 2012, un objectif moyen de réduction de 5,2 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990.

Lors de la conférence de Copenhague, en 2009, les États se sont engagés à limiter le réchauffement climatique à 2 °C, sans toutefois fixer d’objectifs contraignants pour y parvenir.

La conférence de Paris ou COP 21 a permis, en décembre 2015, d’aboutir à un nouvel accord international sur le climat. Signé le 22 avril 2016 et entré en vigueur le 4 novembre 2016, l’Accord de Paris poursuit trois objectifs :

– maintenir le réchauffement mondial en-deçà du seuil de 2 °C, voire de tendre vers l’objectif de 1,5 °C, par rapport à l’ère préindustrielle ;

– renforcer les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et promouvoir la résilience à ces changements ;

– rendre les flux financiers compatibles avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques.

Ratifié par 182 États et l’Union européenne à la fin de l’année 2020 et rejoint par les États-Unis au mois de février 2021, l’Accord de Paris contient les engagements de chaque pays pour réduire les gaz à effet de serre, des règles de contrôle de ces engagements, des solutions pour financer l’adaptation au changement climatique des pays en voie de développement et un agenda des initiatives des acteurs non gouvernementaux. Sa mise en œuvre repose sur des cycles d’actions climatiques d’une durée de cinq ans, au terme desquels les États doivent présenter des objectifs nationaux plus ambitieux.

Dans ce cadre, l’Union européenne et ses États membres se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport à 2005 d’ici à 2030, un objectif de 37 % étant assigné à la France ([24]). En outre, la France s’est fixé, par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, un objectif plus ambitieux de réduction de 40 % de ses émissions en 2030 par rapport à 1990 ([25]) .

Bien que dépourvus d’effet direct, la CCNUC et l’Accord de Paris ont vu leur portée dans l’ordre juridique interne récemment précisée par le juge administratif.

Dans une décision du 19 novembre 2020 ([26]), le Conseil d’État, saisi d’un recours de la commune de Grande Synthe contre le refus implicite de l’État de prendre des mesures supplémentaires pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre, a en effet admis la recevabilité de la requête compte tenu des caractéristiques physiques et géographiques de la commune, qui l’exposent à des « conséquences concrètes du changement climatique » dont le caractère est « inéluctable ». Sur le fond, le Conseil d’État a considéré que bien que « dépourvues d’effet direct » les stipulations de la CCNUCC et de l’Accord de Paris doivent néanmoins être « prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national qui ont pour objet de les mettre en œuvre ». Il a relevé que les plafonds fixés avaient été régulièrement dépassés et, afin de pouvoir statuer définitivement, il a demandé au Gouvernement de produire dans un délai de trois mois les éléments et motifs permettant d’établir la compatibilité du refus de prendre des mesures complémentaires avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dans un jugement du 3 février 2021, relatif à l’« Affaire du Siècle » ([27]), le tribunal administratif de Paris, après avoir établi un lien de causalité entre l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et les manquements de l’État à ses engagements internationaux, a considéré que la carence partielle de l’État à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engageait sa responsabilité. Afin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’État pour tendre à « la réparation du préjudice ainsi constaté ou à prévenir, pour l’avenir, son aggravation », le juge a prononcé un supplément d’instruction, assorti d’un délai de deux mois.

Outre qu’elles témoignent de la prise en compte croissante par le juge administratif des préoccupations liées à l’environnement et au climat, ces récentes décisions laissent penser qu’en matière de pollution de l’air une carence fautive de l’État de nature à engager sa responsabilité pourrait être recherchée.

2.   Les engagements européens

a.   La Convention européenne des droits de l’homme

Si la Convention européenne des droits de l’homme ne contient pas de dispositions propres à l’environnement, la Cour européenne s’appuie sur les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) ainsi que sur l’article premier du premier protocole (droit au respect des biens) pour se prononcer sur la protection de l’environnement, en particulier le droit à un environnement sain ([28]). La Cour a par ailleurs reconnu que la protection du littoral pouvait justifier des atteintes à la propriété ([29]).

Le Conseil de l’Europe est en outre à l’origine de conventions importantes comme celle sur la protection de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe, conclue à Berne en 1979, ou celle sur la responsabilité civile pour les dommages résultat d’activités dangereuses pour l’environnement, signée à Lugano en 1993.

b.   Le droit de l’Union européenne

L’environnement est devenu une composante des politiques de l’Union à partir de 1987, avec l’entrée en vigueur de l’Acte unique. Les traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne ont renforcé cette intégration.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclame, en son article 37, qu’« un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

Le traité sur l’Union européenne affirme, dans son préambule, que les États membres sont déterminés « à promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, compte tenu du principe du développement durable et dans le cadre de l’achèvement du marché intérieur, et du renforcement de la cohésion et de la protection de l’environnement, et à mettre en œuvre des politiques assurant des progrès parallèles dans l’intégration économique et dans les autres domaines ». Dans son article 3, il précise que l’Union « œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ».

Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit, en son article 4, que l’environnement est une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres et consacre, aux articles 191 à 193, un titre entier – le titre XX – à l’environnement. Il définit les objectifs poursuivis et encadre les actions à entreprendre, qui doivent être fondées sur les « principes de précaution et d’action préventive », sur le « principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement » et sur le « principe du pollueur-payeur ».

Ces dispositions ont permis l’approfondissement du droit dérivé en matière environnementale. Il existe ainsi plus de 250 directives ou règlements ([30]) sur l’eau, la nature, le bruit, les déchets, les substances dangereuses et l’air ([31]).

Il y a lieu de souligner, s’agissant de ce dernier domaine, que les juridictions européennes et nationales ont été amenées à reconnaître la méconnaissance, par la France, de ses obligations en matière de qualité de l’air. Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne a-t-elle constaté que la France avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu de la directive n° 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ([32]).

Avec le même objectif de faire respecter la directive du 21 mai 2008, le Conseil d’État a enjoint au Gouvernement d’élaborer et de mettre en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air afin de ramener, dans plusieurs zones du territoire français, les concentrations de dioxyde d’azote et de particules fines en dessous des valeurs limites fixées par la directive européenne ([33]) avant de lui ordonner de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air sous astreinte de 10 millions d’euros par semestre ([34]). Le Conseil d’État a, en outre, pour la première fois, jugé que si l’État ne prenait pas les mesures nécessaires dans un délai de six mois, le montant de l’astreinte pourrait être versé aux associations requérantes mais également à des personnes publiques disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions ont un lien avec la qualité de l’air ou à des personnes privées à but non lucratif menant des actions d’intérêt général dans ce domaine.

Il convient enfin de relever que le droit international et le droit européen s’inspirent et se renforcent mutuellement, comme le montre l’exemple cité plus haut de la politique de réduction des gaz à effet de serre.

B.   le cadre constitutionnel

1.   La préservation de l’environnement et de la diversité biologique

Les premières tentatives d’affirmation dans la Constitution de principes relatifs à la protection de la nature et à la préservation de l’environnement remontent aux années 1970.

Les premières propositions d’inscription dans la Constitution de principes relatifs à la préservation de l’environnement

Alors que l’idée d’inscrire dans un texte à valeur constitutionnelle le droit à un environnement sain et équilibré figurait déjà dans les cent mesures pour l’environnement du rapport remis au Premier ministre par M. Louis Armand ([35]) en 1970, l’Assemblée nationale, a été saisie, en décembre 1975, de trois propositions de loi constitutionnelle ([36]) tendant à réformer les libertés publiques dont chacune prévoyait des dispositions en matière d’environnement.

Ces propositions de loi ont été envoyées pour examen à une commission spéciale pour les libertés, présidée par le président Edgar Faure, qui a adopté le 15 septembre 1977 un texte dont l’article 10 disposait que : « tout homme a droit à un environnement équilibré et sain et a le devoir de le défendre. Afin d’assurer la qualité de la vie des générations présentes et futures, l’État protège la nature et les équilibres écologiques. Il veille à l’exploitation rationnelle des ressources naturelles ».

La proposition de loi, débattue à l’Assemblée nationale du 5 octobre au 14 décembre 1977, n’a finalement pas été soumise au vote.

Il s’en est suivi une longue série d’initiatives parlementaires, parmi lesquelles certaines proposaient de modifier le Préambule de la Constitution tandis que d’autres avaient pour objet de compléter la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et que d’autres, encore, suggéraient de compléter le corps même de la Constitution.

Toutefois, ce n’est qu’en 2005 que le droit à un environnement sain a été consacré.

La loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement a ainsi complété le premier alinéa du Préambule de la Constitution, afin de déclarer que « le peuple français proclame solennellement son attachement (…) aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 » ([37]) et a inscrit la préservation de l’environnement dans le domaine de la loi défini à l’article 34 de la Constitution.

a.    La Charte de l’environnement

La Charte est rattachée au Préambule de la Constitution de 1958, et non inscrite dans la Constitution elle-même, à l’instar de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946. « Aux yeux du chef de l’État, cette présentation, dont on ne retrouve l’équivalent dans aucune constitution étrangère, présentait l’avantage de souligner que le droit à un environnement sain est un droit de troisième génération, différent, par sa nature, tant des libertés traditionnelles de 1789 que des principes économiques et sociaux de 1946, mais d’une importance à peu près équivalente », comme l’a noté le professeur Francis Hamon ([38]).

Il s’agit du premier texte constitutionnel qui reconnaît un certain nombre de droits, de devoirs et de principes d’action destinés à protéger l’environnement.

« La Charte propose l’inscription d’une autre génération de droits de l’homme, dont le motif est le respect de l’autre par l’ouverture d’un chantier juridique qu’aucun gouvernement n’avait encore osé entreprendre, celui d’une requalification des responsabilités individuelles et collectives face aux drames écologiques en ce début de XXIe siècle », ainsi que l’a souligné Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure du projet de loi constitutionnelle en 2004 ([39]).

Précédée de sept considérants, la Charte est composée de dix articles, dont certains définissent des droits (l’article 1er pose le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et l’article 7 le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement), d’autres des devoirs (articles 2, 3, 4 et 5) et d’autres, enfin, regroupent des objectifs généraux comme la promotion du développement durable ou l’éducation et la formation à l’environnement (articles 6, 8, 9 et 10).

La Charte de l’environnement de 2004

Le peuple français,

Considérant :

Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité ;

Que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ;

Que l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;

Que l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;

Que la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ;

Que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;

Qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins,

Proclame :

Article 1er - Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Article 2 - Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.

Article 3 - Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4 - Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi.

Article 5 - Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Article 6 - Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.

Article 7 - Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.

Article 8 - L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.

Article 9 - La recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l’environnement.

Article 10 - La présente Charte inspire l’action européenne et internationale de la France.

Dans la tradition de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946, cette Charte se veut universaliste. Elle a également une valeur pédagogique forte mise en valeur par son préambule qui justifie les contraintes imposées en soulignant l’importance que revêt pour l’homme la protection de son environnement naturel. Il s’agit enfin d’un texte normatif, doté d’une valeur juridique constitutionnelle.

Comme l’a souligné le professeur Yves Jégouzo, « il n’aura fallu que trois ans pour que la Charte – ou tout au moins certaines de ses dispositions – reçoive pleine valeur constitutionnelle, que certains de ses articles soient considérés comme opposables directement et que la portée de la Charte soit étendue à des domaines de plus en plus nombreux » ([40]).

Le Conseil constitutionnel a en effet considéré, dès 2008, alors qu’il était interrogé sur la portée du principe de précaution posé à l’article 5 de la Charte, que « l’ensemble des droits et devoirs définis par la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle » et « s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif » ([41]).

Le Conseil a par la suite précisé que le respect des droits et devoirs énoncés en termes généraux par les articles 1er et 2 de la Charte s’impose non seulement aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leur domaine de compétence respectif mais également à l’ensemble des personnes et qu’il en résulte que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité ([42]). Ce devoir de vigilance constitue une obligation de moyens qui ne saurait imposer la garantie de toute atteinte à l’environnement.

Dans la même décision, le Conseil a également indiqué que, s’il est loisible « au législateur de définir les conditions dans lesquelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation », il ne saurait, dans l’exercice de cette compétence, restreindre le droit d’agir en responsabilité dans des conditions qui en dénaturent la portée. Comme le relève le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, le Conseil reconnaît ainsi une marge d’appréciation importante au législateur pour définir les conditions dans lesquelles la protection des exigences posées par la Charte est assurée et n’exerce qu’un contrôle de la dénaturation de ces exigences constitutionnelles.

Le Conseil a précisé sa jurisprudence en indiquant que si l’ensemble des dispositions de la Charte ont valeur constitutionnelle, toutes n’instituent pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit et ne peuvent donc être invoquées à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ([43]). Il en va ainsi des sept alinéas qui précèdent les dix articles de la Charte de l’environnement ([44]) et de l’exigence de promotion du développement durable affirmée à l’article 6 de la Charte ([45]). En revanche, les articles 1er à 4               ([46]) ainsi que l’article 7 de la Charte peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité ([47]).

Récemment, le Conseil constitutionnel a, par deux décisions rendues en 2020, conféré une importance accrue aux effets de la Charte.

•                                                         Dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 ([48]), le Conseil a consacré l’existence d’un nouvel objectif à valeur constitutionnelle.

La protection de l’environnement est de longue date prise en compte dans le contrôle de constitutionnalité des lois au titre des atteintes qu’elle justifie de porter à des droits ou libertés constitutionnellement protégés tels que la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété. Elle était jusqu’à récemment prise en compte, à cet égard, comme un motif d’intérêt général de nature à justifier de telles atteintes, pourvu que ce motif soit jugé d’une intensité suffisante ([49]).

Dans sa récente décision de janvier, le Conseil constitutionnel en a doublement renforcé la portée dans cette logique. D’une part, il a érigé ce qui était jusqu’alors un simple motif d’intérêt général en objectif à valeur constitutionnelle, ce qui lui confère un plus grand poids à l’égard des droits et libertés auxquels il est confronté, le Conseil constitutionnel se bornant dès lors à s’assurer que la conciliation n’est pas manifestement déséquilibrée. D’autre part, le contenu même de cet objectif a été étendu, le Conseil ayant déduit de la qualification de l’environnement par le préambule de la Charte comme patrimoine commun des êtres humains que le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger.

• Alors qu’il s’était contenté jusqu’à présent de consacrer une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement ([50]), le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 ([51]), renforcé le contrôle qu’il exerce au regard du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé affirmé par l’article 1er de la Charte.

Le Conseil a en effet jugé que le législateur « ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement ». « Ce droit bénéficie ainsi, à l’instar d’autres exigences constitutionnelles, d’une protection qui interdit au législateur de le vider de tout contenu : la législation doit comporter un noyau minimal de garanties assurant l’effectivité du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. », comme le souligne le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel.

Le Conseil a ajouté que « les limitations portées par le législateur à l’exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi », reprenant ainsi une formulation applicable à d’autres droits et libertés comme le droit de propriété, la liberté contractuelle ou la liberté d’entreprendre.

Le Conseil d’État a également consacré la valeur juridique de « l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement » dès 2008, dans l’arrêt d’assemblée Commune d’Annecy ([52]).

Depuis, le Conseil d’État a précisé la portée de plusieurs dispositions de la Charte. S’agissant de l’article 3, il a précisé la répartition des compétences entre la loi et le règlement ainsi que les limites du contrôle du juge administratif dans ce domaine ([53]). De même, il a contrôlé le respect du principe de participation qui figure à l’article 6 de la Charte ([54]) comme celui du principe de précaution posé par l’article 5 dont il a jugé qu’il était d’application directe ([55]).

La Cour de cassation a été plus longue à suivre cette voie, la nature du contentieux qu’elle a à connaître expliquant ce retard. Mais, dès 2011, elle a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux articles 1er à 4 de la Charte de la théorie du trouble anormal de voisinage ([56]).

b.   L’inscription de la préservation de l’environnement dans le domaine de la loi

La loi constitutionnelle du 1er mars 2005 a également modifié l’article 34 de la Constitution afin de prévoir qu’il revient à la loi de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement.

C’est à l’initiative de la commission des Lois de l’Assemblée nationale qui a adopté, sur l’avis favorable de la rapporteure Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, l’amendement déposé par M. Francis Delattre, que le domaine de la loi a été étendu à la préservation de l’environnement.

Il s’est ainsi agi de confier expressément au législateur la compétence pour intervenir dans le domaine de l’environnement.

2.   La lutte contre le réchauffement climatique

Le Conseil constitutionnel a certes eu l’occasion de reconnaître le caractère d’intérêt général de l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique. Dans sa décision de 2009 relative à la taxe carbone ([57]), il a ainsi admis la possibilité pour le législateur d’établir des impositions spécifiques ayant pour objet d’inciter les redevables à adopter des comportements conformes à cet objectif. Il a même censuré, comme créant une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques, les régimes d’exemption totale contraires à cet objectif. Mais un objectif d’intérêt général n’a pas la même portée qu’un objectif de valeur constitutionnelle.

De même, le Conseil constitutionnel a tiré de l’article 7 de la Charte de l’environnement l’exigence que le législateur prévoit non seulement le principe de la participation du public à l’élaboration des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie et des schémas éoliens qui en constituent une annexe, mais aussi les conditions et les limites dans lesquelles doit s’exercer le droit de toute personne de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ([58]).

II.   une exigence renforcÉe par sa consÉcration à l’article 1er de la constitution

Le projet de loi constitutionnelle s’inscrit dans la continuité des deux précédentes tentatives d’inscription de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique dans la Constitution ([59]).

Les précédentes tentatives d’inscription dans la Constitution de la protection de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique

En juillet 2018, l’Assemblée nationale a adopté, à l’initiative des rapporteurs de la commission des Lois, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Richard Ferrand et M. Marc Fesneau, et du groupe LaREM ainsi que de Mme Sylvia Pinel, deux amendements identiques qui avaient pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques. Le projet de loi constitutionnelle prévoyait, dans sa version initiale, de modifier l’article 34 de la Constitution afin de confier au législateur la détermination des principes fondamentaux relatifs à la lutte contre le changement climatique. Cependant, l’examen de ce projet de loi constitutionnelle a été interrompu et le texte a été retiré de l’ordre du jour.

Déposé le 29 août 2019 sur le bureau de l’Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique prévoyait, parmi ses treize dispositions, d’inscrire à l’article 1er que la France favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques. Toutefois, ce projet de texte n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Toutefois, l’article unique est plus ambitieux. Directement inspiré de la proposition formulée par la Convention citoyenne pour le climat, il prévoit d’inscrire, à l’article 1er de la Constitution, que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique.

A.   l’inscription À l’article 1er de la constitution

Repris de l’article 1er de la Constitution du 27 octobre 1946, issu du premier alinéa de l’article 2 de la Constitution dans sa rédaction de 1958 ([60]) et complété par les lois constitutionnelles de 2003 ([61]) et de 2008 ([62]), l’article 1er rappelle les grands principes sur lesquels est fondée la République française.

Son premier alinéa pose en effet que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, qu’elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion et qu’elle respecte toutes les croyances, avant d’ajouter que son organisation est décentralisée.

Son second alinéa prévoit que la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.

Cet article revêt une portée symbolique et juridique forte. Placé entre le Préambule et le titre premier de la Constitution, il relève en effet de ce que René Cassin a appelé un « préambule prolongé » ([63]). Ainsi, le principe d’égalité fait-il l’objet des articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et des troisième, douzième et treizième alinéas du préambule de 1946 tandis que le principe de non-discrimination est mentionné par l’article 10 de la Déclaration de 1789 et par le cinquième alinéa du préambule de 1946 et que la laïcité est visée par le treizième alinéa du même préambule.

Aussi, l’article unique du présent projet de loi constitutionnelle, en proposant d’ajouter la préservation de l’environnement, qui est affirmée par la Charte de l’environnement, après la troisième phrase du premier alinéa de l’article 1er s’inscrit dans la même logique tout en respectant la cohérence de notre loi fondamentale.

À cet égard, le Conseil d’État, reprenant les termes de son avis rendu sur le projet de réforme constitutionnelle de juin 2019, a estimé, dans son avis sur le présent projet de loi constitutionnelle, que « si l’article 1er de la Constitution n’a pas, en principe, vocation à accueillir l’énoncé de politiques publiques, (…) le caractère prioritaire de la cause environnementale, s’agissant d’un des enjeux les plus fondamentaux auxquels l’humanité est confrontée, justifie qu’elle prenne place à cet article aux côtés des principes fondateurs de la République ».

Toutefois, cette inscription à l’article 1er n’emporte aucune prééminence d’ordre juridique sur les autres normes constitutionnelles, comme l’a également souligné le Conseil d’État. D’ailleurs, lors de la réception des membres de la Convention citoyenne pour le climat le 29 juin 2020 au palais de l’Élysée, le Président de la République s’est engagé à reprendre la proposition de placer l’environnement au cœur des autres principes constitutionnellement garantis sans prévoir, comme cela avait été également proposé, de placer dans le Préambule la protection de l’environnement au-dessus des libertés publiques.

B.   le choix de termes ambitieux

Le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, qui a vocation à accueillir la modification proposée par l’article unique du projet de loi constitutionnelle, fait référence à la France. Cette référence ne vise pas seulement l’État mais recouvre, ainsi que l’a indiqué le Conseil d’État dans son avis « les pouvoirs publics nationaux et locaux » à tous les niveaux de l’action qu’ils conduisent – internationale, nationale et territoriale.

Par ailleurs, si la notion d’environnement fait toujours l’objet de débats sur son acception anthropocentrique ou non, la préservation de l’environnement englobe la diversité biologique et le dérèglement climatique ([64]). Cependant, il apparaît justifié de mentionner, à la suite de la préservation de l’environnement, la diversité biologique et le dérèglement climatique car ces deux notions ont pris une place essentielle dans la société. Elles font en outre l’objet d’un certain consensus et sont au cœur de plusieurs engagements internationaux de la France.

À cet égard, il convient de souligner que le placement de la préservation de l’environnement en tête du triptyque de la nouvelle phrase de l’article 1er confirme que le législateur se voit confier, à l’article 34 de la Constitution, avec la détermination des principes fondamentaux de la préservation de l’environnement celle des principes fondamentaux de la préservation de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique. La modification des termes de l’article 34 n’apparaît donc pas nécessaire.

1.   Garantir la préservation de l’environnement et de la diversité biologique

a.   Garantir

L’article unique propose de privilégier le verbe « garantir » plutôt que ceux de « favoriser », comme suggéré par le Conseil d’État et repris dans le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique présenté en 2019, ou d’« agir », comme adopté par l’Assemblée nationale en 2018.

Ce choix trouve une triple justification.

Plus fort et plus prescriptif que les expressions « favoriser » ou « agir pour », qui figuraient dans les précédents projets de loi constitutionnelle et qui faisaient davantage référence à des objectifs, l’emploi du verbe « garantir » a pour objet de poser un principe d’action positif à destination de tous les pouvoirs publics.

Ce verbe figure déjà dans le bloc de constitutionnalité. Au troisième alinéa du Préambule de 1946 et à l’article 4 de la Constitution, « la loi garantit », respectivement, « à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » et « les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ». Ces formules s’imposent directement au législateur.

Tel que proposé par le projet de loi constitutionnelle, le terme « garantir » s’inscrit plus particulièrement dans la continuité des onzième, treizième et dix-huitième alinéas du Préambule. Ceux-ci prévoient que « la Nation garantit » d’une part, « à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs » et d’autre part « l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture » et que la France garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques. Ainsi, la formule selon laquelle la Nation garantit la protection sociale et l’éducation s’impose à tous les pouvoirs publics, et non au seul législateur. Elle est donc moins directement prescriptive pour ce dernier mais constitue le support de notre droit social et de notre système éducatif.

En créant une garantie à la charge des pouvoirs publics, l’article unique complète utilement l’article 2 de la Charte de l’environnement qui prévoit le devoir, pour toute personne, de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.

Cette garantie aura pour effet de créer une obligation de moyens renforcée ou une « quasi-obligation de résultat » à la charge des pouvoirs publics, ainsi que l’a relevé le Conseil d’État dans son avis du 14 janvier 2021.

S’inscrivant dans le mouvement jurisprudentiel actuel ([65]), elle sera de nature à étendre la responsabilité des acteurs publics en matière environnementale et aura certainement un effet accélérateur sur l’engagement de la responsabilité pour faute des acteurs publics, notamment en cas d’inaction, pour autant toutefois que soit démontré un lien de causalité entre cette inaction fautive et le dommage allégué.

La consécration de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique au statut de garantie constitutionnelle devrait en renforcer le poids dans la conciliation qu’opère le Conseil constitutionnel.

Certes, le Conseil constitutionnel a récemment reconnu que la protection de l’environnement est un objectif de valeur constitutionnelle, qui est de nature à justifier des limitations apportées par la loi à d’autres exigences constitutionnelles, notamment à la liberté d’entreprendre.

Toutefois, un tel objectif, à la différence d’un principe constitutionnel, nécessite, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur et a surtout pour fonction de permettre des atteintes à d’autres droits et libertés.

Le principe constitutionnel permet quant à lui de censurer une loi qui porte atteinte à ce principe.

Cette consécration pourrait donc avoir plusieurs conséquences. Tout d’abord, ces exigences pourraient être invocables contre une disposition législative dont la finalité ne serait pas d’assurer la préservation de l’environnement ou de la diversité biologique, comme l’autorisation de certaines activités économiques. Ensuite, elles pourraient constituer le support d’actions en carence contre le législateur ou le Gouvernement pour ne pas avoir prévu de mesures de restriction ou d’interdiction de nature à assurer une protection suffisante de l’environnement ou de la diversité biologique.

Sous réserve de ce que jugera le Conseil constitutionnel, ces principes devraient être par ailleurs invocables à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité.

En revanche, cette rédaction ne consacre pas un principe constitutionnel de non-régression. Ce principe est déjà reconnu au niveau législatif par le 9° de l’article L. 110-1 du code de l’environnement qui dispose que « Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Au niveau constitutionnel, le Conseil constitutionnel a seulement jugé que « S’il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement et ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement » ([66]).

Il convient de ne pas aller au-delà car le législateur doit pouvoir préserver efficacement d’autres principes constitutionnels comme celui de la protection de la santé par exemple.

b.   La préservation de l’environnement et de la diversité biologique

L’article unique fait le choix de consacrer la préservation de l’environnement plutôt que son amélioration, cette notion apparaissant trop ambiguë et faisant référence au principe de non-régression.

Par ailleurs, la diversité biologique, bien que comprise dans la notion d’environnement, mérite d’être explicitement mentionnée à l’article 1er de la Constitution.

Elle est définie au troisième alinéa de l’article L. 110-1 du code de l’environnement qui établit également sa synonymie avec la biodiversité. Aux termes de cet article, « On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants ».

Elle est en outre déjà mentionnée au cinquième considérant du préambule de la Charte de l’environnement.

2.   Lutter contre le dérèglement climatique

Bien que l’environnement puisse être entendu de façon suffisamment large pour couvrir les questions climatiques et que le climat, sans être explicitement visé dans la Charte de 2005 ni dans son préambule, soit incontestablement une de ses premières sources d’inspiration, l’article unique entend mentionner expressément la lutte contre le dérèglement climatique. Ainsi, la France, qui serait l’un des premiers pays au monde et le premier pays européen à consacrer la lutte contre le dérèglement climatique dans sa Constitution, confirmerait son ambition en matière de combat contre le réchauffement climatique.

Le choix du verbe « lutter » s’inscrit dans la logique de la plupart des textes nationaux, en particulier le code de l’environnement, européens et internationaux.

L’emploi de ce verbe d’action fort emporte les mêmes conséquences en termes de garantie constitutionnelle que l’usage du verbe « garantir ». Il convient toutefois de noter que la lutte contre le changement climatique n’est aujourd’hui considérée par le Conseil constitutionnel que comme un objectif d’intérêt général : sa consécration en tant que principe constitutionnel n’en aura que plus d’impact.

La notion de « changement climatique » est celle à laquelle se réfèrent la CNUCC et le droit de l’Union européenne ainsi que l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Cependant, l’expression « dérèglement climatique » apparaît plus justifiée dans la mesure où elle fait référence au changement climatique en tant qu’il est imputable à des phénomènes humains.

C.   Les effets sur la conclusion d’accords internationaux

Ces nouvelles dispositions devraient avoir des conséquences sur la ratification de conventions internationales qui leur seraient contraires, en application de l’article 54 de la Constitution, aux termes duquel « si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après la révision de la Constitution ».

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs estimé qu’il pouvait être à nouveau saisi, sur le fondement de l’article 54 de la Constitution, de la conformité à la Constitution d’une convention internationale « s’il est inséré dans la Constitution une disposition nouvelle qui a pour effet de créer une incompatibilité avec une ou des stipulations du traité dont s’agit » ([67]).

III.   La position de la commission

La Commission n’a pas modifié l’article unique.

 


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   AUDITION DE m. Éric dupond-moretti, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

Lors de sa réunion du lundi 15 février 2021, la Commission auditionne, avec la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et procède à une discussion générale sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’article 1er de la Constitution et à la protection de l’environnement (n° 3787) (M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur).

Lien vidéo :
http://assnat.fr/c9sbd0

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mme la présidente de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire et moi-même avons souhaité procéder conjointement à l’audition de M. le garde des Sceaux, ainsi qu’à la discussion générale sur le projet de loi.

Il est de tradition que le garde des Sceaux présente les projets de révision constitutionnelle. Monsieur le ministre, nous sommes particulièrement impatients de vous entendre sur celui-ci, qui est la concrétisation de l’une des propositions phares de la Convention citoyenne pour le climat, dont nous avons suivi attentivement le déroulement car elle constitue un exercice démocratique particulièrement innovant et intéressant. J’ai souvent eu l’occasion de rappeler que de tels exercices sont parfaitement complémentaires avec nos travaux et qu’ils ne nous placent pas en concurrence avec nos concitoyens. Cette complémentarité prend notamment forme en ce moment tant attendu par les parlementaires, qui ouvre la phase de l’examen parlementaire.

Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, présidente de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent parmi nous pour entamer l’examen de ce projet de loi.

La commission du développement durable a naturellement souhaité se saisir du texte pour avis, comme elle l’a fait du précédent projet de révision constitutionnelle, au mois de juin 2018. Nous avions eu à cette occasion un débat nourri, au sein de notre commission, puis au sein de la commission des Lois, sur les moyens juridiques de renforcer la préservation de l’environnement, en agissant directement sur la norme constitutionnelle. Ces débats ont permis de trancher un point important : la nécessité d’inscrire nos exigences environnementales à l’article 1er de la Constitution. Tel est le choix du Gouvernement dans le présent projet, ce dont nous nous réjouissons.

Il ne s’agit pas de procéder ainsi à une modification cosmétique ou symbolique, mais de dépasser le débat technique sur la modification de l’article 34 de la Constitution, visant à déterminer la répartition des compétences d’élaboration des normes. Il s’agit de poursuivre une évolution engagée par l’adoption de la Charte de l’environnement, pour faire de l’environnement et, désormais, des enjeux climatiques, de véritables objets juridiques, créateurs de droits et de devoirs. Il s’agit de placer la préservation de l’environnement à un rang constitutionnel, ce qui permet d’en assurer l’effectivité, sans la subordonner systématiquement à d’autres principes de même rang, tels que la liberté d’entreprendre, qui devront désormais être conciliés avec cet impératif. Il s’agit d’inscrire l’urgence climatique et environnementale au cœur de nos politiques publiques et de notre droit, en fixant un objectif constitutionnel à la France, comprise comme sujet international de droit et comme État responsable devant les citoyens.

Le présent projet de loi constitutionnelle marque une avancée majeure. Je ne doute pas que nos débats permettront de lever les interrogations soulevées par la rédaction proposée, qui est très proche de celle à laquelle nous avions abouti lors de nos précédentes discussions mais en diffère légèrement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant les membres de la Convention citoyenne pour le climat, qu’il a reçus le 29 juin 2020, le Gouvernement a déposé devant le Parlement un projet de réforme constitutionnelle qui vise à inscrire, à l’article 1er de la Constitution, la garantie de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.

Ce projet est le fruit d’un long travail de consultation inédite de nos concitoyens, dans le cadre du grand débat national, puis de la Convention citoyenne pour le climat. Cette dernière a formulé 149 propositions, parmi lesquelles la révision de l’article 1er de la Constitution pour y faire figurer la préservation de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique. Cette proposition a été retenue par le Président de la République qui s’est engagé, si le présent texte est adopté en des termes identiques par les deux chambres, à la soumettre au référendum.

Le projet de loi qui vous est soumis est la traduction de cet engagement. Il comporte une disposition unique ayant pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe selon lequel la France garantit la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique, et lutte contre le dérèglement climatique. Il vise deux objectifs essentiels : rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution et y inscrire un véritable principe d’action des pouvoirs publics à cette fin.

S’agissant de l’inscription de la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels, je rappelle que notre loi fondamentale comporte d’ores et déjà des dispositions relatives à la préservation de l’environnement. Ce principe est inscrit dans la Charte de l’environnement, issue de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Mentionnée dans le préambule de la Constitution, elle fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité. De surcroît, le Conseil constitutionnel, par deux décisions récentes, a conféré une importance accrue à la protection de l’environnement promue par la Charte.

En premier lieu, dans sa décision du 31 janvier 2020, il a jugé que la préservation de l’environnement, « patrimoine commun des êtres humains », constitue un objectif à valeur constitutionnelle et non, comme il le jugeait auparavant, un objectif d’intérêt général. En second lieu, dans sa décision du 10 décembre 2020, il a jugé que les limitations portées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, droit consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement, « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Le Gouvernement n’en nourrit pas moins l’ambition de renforcer encore la place de la protection de l’environnement dans notre texte constitutionnel.

L’inscription de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la Constitution présente une valeur symbolique forte, voulue par les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Désormais, ce principe figurera au cœur des grands principes qui guident notre République. Ce positionnement dans notre Constitution exprime la volonté de la Nation tout entière de placer le combat contre le dérèglement climatique au cœur de notre action et donnera une nouvelle impulsion à notre engagement.

Je tiens à préciser que « rehaussement » ne signifie pas « hiérarchie ». Le Gouvernement n’entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. La force nouvelle que nous lui conférons trouvera sa traduction, en premier lieu, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Je tiens à préciser également qu’il ne s’agit pas davantage d’introduire un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière d’environnement qui, s’il existe dans la loi, n’a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement souhaite laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, telle la protection de la santé, ce qui peut s’avérer particulièrement important, par exemple dans un contexte de crise sanitaire tel que celui que nous connaissons.

Le second objectif du projet de loi est d’introduire un véritable principe d’action des pouvoirs publics nationaux et locaux en faveur de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. Le Gouvernement entend insuffler dans chaque politique publique la préoccupation environnementale, dont il estime qu’elle doit innerver son action à l’échelle nationale et internationale. Dans cette optique, le projet qui vous est soumis prévoit que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l’environnement ainsi que de la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

L’emploi du verbe « garantir » exprime la force de cet engagement. Certes, il ne constitue pas une innovation dans notre Constitution. L’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose : « [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». Toutefois, la formulation retenue dans le projet de loi constitutionnelle lui donne pour sujet la France et non la loi, contrairement à l’article 4 de la Constitution et à l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, relatifs respectivement au pluralisme politique et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette formulation est à la fois plus large, car elle s’impose à tous les pouvoirs publics de la République et non au seul législateur, et moins rigide pour celui-ci, qui n’est pas le seul débiteur de cette obligation garantie.

Il n’en reste pas moins que les conséquences de l’emploi de ce verbe ne sont pas neutres. Telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des conséquences qui peuvent en résulter s’agissant de l’engagement de sa responsabilité en matière environnementale. D’ores et déjà, l’action des pouvoirs publics est conditionnée à la préservation de l’environnement et la responsabilité de l’État peut être engagée à ce titre. Pour s’en tenir à deux exemples récents, citons l’arrêt du Conseil d’État du 10 juillet 2020, décidant d’une astreinte à l’encontre de l’État afin que le Gouvernement prenne des mesures pour réduire la pollution de l’air, et le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 dans l’« affaire du siècle », reconnaissant l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique et considérant que la carence partielle de l’État français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Le projet de loi constitutionnelle que nous proposons consacre davantage encore la responsabilité des pouvoirs publics, auxquels il tend à imposer, en promouvant la protection de l’environnement au rang de garantie constitutionnelle, une quasi-obligation de résultat.

À l’heure où nous assistons à la sixième extinction de masse, qui est la première due à l’action humaine, il importe que notre loi fondamentale traduise le choix de la Nation de mener le combat contre le dérèglement climatique, qui est le combat de notre siècle. Désormais, il incombe au Parlement de débattre du projet de révision constitutionnelle. S’il est adopté par les deux chambres dans les mêmes termes, il sera soumis aux Français par voie de référendum, conformément à l’engagement du Président de la République.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Au cours des deux dernières semaines, nous avons mené, avec mon collègue M. Christophe Arend, de très nombreuses auditions sur le présent projet de révision constitutionnelle.

Si les avis divergent sur certains aspects, tous se rejoignent sur un point : il y a urgence. Il est urgent d’agir, d’adapter notre droit et de prendre des mesures écologiques fortes. Au mois de décembre dernier, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies a appelé les dirigeants du monde à déclarer l’état d’urgence climatique. Ces propos font suite à une multitude de rapports, dont chacun ici a entendu parler, notamment ceux du GIEC – le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, de Météo France et du Haut Conseil pour le climat. Ces études sont toutes alarmantes. Elles estiment que d’ici la fin du siècle, la hausse de la température moyenne serait de quatre degrés Celsius, voire de six degrés dans les pires scénarios.

Malheureusement, l’urgence écologique ne se limite pas à la seule question climatique. Nous le savons : la sixième extinction de masse a commencé. Un million d’espèces animales et végétales sont menacées de disparition, soit une espèce sur huit. Il s’agit d’un désastre sans précédent. Si nous n’agissons pas rapidement, nous exposerons notre planète et les générations futures à de graves et inexorables menaces.

Ces constats alarmants dictent des actions d’urgence et étayent le présent projet de révision constitutionnelle. Il ne s’agit pas de la première révision consacrée à la préservation de l’environnement. Toutefois, cette révision est unique dans l’histoire de la Ve République : elle est le fruit d’un exercice démocratique inédit, la Convention citoyenne pour le climat, elle-même aboutissement du grand débat national voulu par le Président de la République. Le projet de loi que nous examinons reprend fidèlement, quasi textuellement, l’une des propositions formulées par les 150 membres de la Convention. Pour la première fois, le Parlement est amené à se prononcer sur un texte écrit par des citoyens tirés au sort. Son adoption définitive sera soumise, selon la volonté du Président de la République, à la procédure référendaire prévue par l’alinéa 2 de l’article 89 de la Constitution, c’est-à-dire à la consultation directe du peuple français.

L’équilibre entre démocratie directe et démocratie représentative constitue le deuxième enjeu de cette révision. Si nous parvenons à l’assurer, la France sera non seulement l’un des premiers pays au monde à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa Constitution, mais se placera en outre à l’avant-garde de la démocratie participative. Notre objectif est clair : nous souhaitons que nos concitoyens puissent s’exprimer par référendum sur le texte proposé par la Convention citoyenne pour le climat, adopté par ses membres à une écrasante majorité.

Enfin, le troisième enjeu réside dans la portée juridique de la réforme. L’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés légitime l’inscription de la préservation de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique dans notre ordre juridique, en les dotant d’une force accrue. Si nous voulons être au rendez-vous des enjeux écologiques cruciaux qui se présentent à nous et répondre aux aspirations de la société française, alors nous devons graver dans le marbre de l’article 1er de la Constitution, qui rappelle les grands principes sur lesquels est fondée notre République, la protection de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi que la lutte contre le dérèglement climatique.

Tel est précisément l’objet de l’article unique du présent projet de loi, qui propose une rédaction à la fois ambitieuse et équilibrée.

La rédaction est ambitieuse, car les termes choisis ne sont pas neutres. Nous n’énonçons pas de simples intentions de principe ; nous utilisons des verbes d’action, tels que « garantir » et « lutter ». Ces mots, au fond, nous obligent. Ma conviction est la suivante : faute d’un principe constitutionnel fort, affirmant avec force que l’objectif environnemental est un fondement de l’action de la France, nous passerons à côté de l’essentiel. Une formulation insuffisamment engageante rendrait la réforme purement symbolique. En choisissant de tels termes, nous renforçons, dans l’ordre juridique, l’enjeu environnemental, tout en consolidant les principes de la Charte pour l’environnement promulguée le 1er mars 2005, dont je rappelle qu’elle ne mentionne pas la question climatique.

La rédaction est équilibrée, car elle n’instaure aucune hiérarchie entre les normes de valeur constitutionnelle. Je rappelle que la Convention citoyenne pour le climat avait également proposé de réécrire le préambule de la Constitution afin de donner à l’environnement la prééminence sur nos autres valeurs fondamentales. Le Président de la République n’a pas souhaité reprendre cette proposition, qu’il considère comme contraire à nos textes constitutionnels et à l’esprit de nos valeurs. Le juge continuera donc de placer les principes de valeur constitutionnelle sur un même plan, qu’il s’agisse de la protection de l’environnement, de la liberté d’entreprendre ou du droit de propriété.

Tout au long de nos auditions, des interrogations ont été exprimées de façon récurrente. Tous les avis s’accordaient sur l’existence d’une urgence écologique, mais nous avons aussi entendu des doutes, parfois des réserves. J’aimerais donc connaître, Monsieur le garde des Sceaux, votre analyse sur les points suivants : quelles sont les conséquences juridiques attendues de l’emploi des mots « garantir » et « lutter »? Quel sera l’apport de la présente révision par rapport à la Charte de l’environnement, et comment s’articuleront ces deux textes ?

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis. C’est avec la conscience de la responsabilité qui nous incombe que je vous présente les conclusions de nos travaux. Nous avions travaillé sur cet enjeu en 2018, hélas sans aboutir. Saluons donc le fait que la Convention citoyenne pour le climat en ait fait une priorité et que le Président de la République s’en soit pleinement saisi ! Inscrire la préservation de l’environnement dans notre loi fondamentale est un geste fort, qui exprime la volonté de la communauté nationale. Cette prise de conscience et cette envie d’agir excèdent la seule volonté de la puissance publique, ce dont il faut se réjouir.

L’organisation de nos travaux a été la suivante : nous avons commencé par vérifier que la formulation proposée par le Gouvernement répond le mieux possible aux aspirations exprimées par les citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat. Les auditions que nous avons menées ont confirmé l’importance et l’utilité de chaque mot retenu, notamment « environnement », « diversité biologique » et « dérèglement climatique ». Ce faisant, le texte permet d’aller plus loin que la Charte de l’environnement, d’une part en étant plus précis, d’autre part, en rehaussant l’importance de chacune de ces notions dans la hiérarchie des normes constitutionnelles.

Ensuite, nous nous sommes assurés, grâce à de nombreuses auditions, que le texte proposé ne crée aucune difficulté juridique majeure, voire impossible à résoudre. Les auditions ont démontré qu’il procède à un apport significatif et équilibré. En raison de l’introduction d’une obligation de moyens renforcée, le législateur et le pouvoir réglementaire devront développer un réflexe environnemental. Il en résultera notamment des exigences accrues en matière d’études d’impact et de mesures compensatoires en cas d’atteinte avérée à l’environnement.

Notre loi fondamentale dicte des principes généraux. Des mesures législatives et réglementaires complémentaires sont indissociables du présent projet de révision constitutionnelle, pour fixer concrètement les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre à cette fin. Ainsi, le juge disposera d’une vision plus précise que celle offerte par la Charte de l’environnement, dont il pourra exploiter tout le potentiel. Il aura également la possibilité de sanctionner l’inaction des pouvoirs publics. Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il pourrait même sanctionner une loi antérieure incompatible avec ce nouveau cadre juridique.

Enfin, nous avons vérifié que le projet de révision constitutionnelle constitue bien un apport juridique en faveur de la préservation de l’environnement au sens large et qu’il offre la possibilité d’une réponse équilibrée, dans l’hypothèse où plusieurs principes ou objectifs de valeur constitutionnelle seraient mis en balance, par exemple un objectif environnemental, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Je ne doute pas que Monsieur le ministre, dans les débats qui suivront, précisera l’appréciation du Gouvernement sur les conséquences du projet de révision constitutionnelle.

Quant à la méthode de révision constitutionnelle choisie, consistant à recourir au référendum, elle est conforme au souhait exprimé par la Convention citoyenne pour le climat. Les débats que suscitera le référendum permettront d’amplifier, dans le débat public français, les enjeux relatifs à la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, ainsi qu’à la lutte contre le dérèglement climatique.

En conclusion, le texte proposé par le Gouvernement répond aux aspirations de la Convention citoyenne pour le climat. Il répond de façon satisfaisante et équilibrée au but recherché. Il ne nous semble ni utile ni souhaitable de le modifier. Dans le même esprit que la Convention citoyenne pour le climat, les auditions ont démontré que le présent projet de révision constitutionnelle atteindra son plein potentiel si – et seulement si – il est complété par des mesures législatives et réglementaires définissant des objectifs quantifiables, ainsi que les moyens nécessaires pour les atteindre. Il constituera alors une véritable injonction à l’action, en précisant le droit et en l’améliorant. Toute la hiérarchie des normes s’en trouverait renforcée, sans menacer le nécessaire équilibre entre les principes et objectifs de valeur constitutionnelle.

M. Jacques Krabal. Le projet de loi constitutionnelle que nous examinons s’inscrit dans un contexte tout à fait novateur. À l’issue du grand débat national, le Président de la République a pris l’initiative de convoquer une Convention citoyenne pour le climat au mois d’octobre 2019. Cette démarche innovante de démocratie participative est sans précédent. Elle n’enlève rien au rôle du Parlement au sein de l’architecture institutionnelle, au contraire. Pour nous, parlementaires, elle offre l’occasion d’une réforme constitutionnelle qui est un rendez-vous démocratique important.

La modification de l’article 1er de la Constitution est l’une des mesures les plus emblématiques adoptées, le 21 juin 2020, par 81 % des participants à la Convention citoyenne. Ce chiffre montre à quel point l’attente est forte parmi nos concitoyens ; il nous oblige. La commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire a décidé de se saisir pour avis du projet de loi constitutionnelle. Cette décision nous honore collectivement. Sur ce sujet fondamental, nous devons démontrer notre capacité à dépasser les clivages partisans et à nous rassembler autour d’une expression commune.

Le texte que nous examinons reprend la proposition, sans modification substantielle. Son article unique permettra d’affirmer la nature prioritaire de la cause environnementale, aux côtés des principes fondamentaux de la République. Après la proclamation, en 1789, des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, après la reconnaissance, à la Libération, de ses droits économiques et sociaux, l’heure est venue d’inscrire dans la loi fondamentale la dimension écologique de notre contrat social.

La constitutionnalisation progressive des principes environnementaux n’est pas un acte isolé ou marginal. L’excellent rapport de M. Christophe Arend démontre que cette démarche a été entreprise dans d’autres pays. La France a été à l’origine de l’accord de Paris sur le climat, conclu le 12 décembre 2015. Elle doit continuer à être à la pointe de ce combat. Si la Charte de l’environnement a constitué une grande avancée en droit interne, elle est désormais insuffisante. Il est donc temps de sécuriser le rehaussement – je préfère ce mot, que je vous emprunte, Monsieur le ministre, à celui d’« élévation », que j’ai écrit – de la préservation de l’environnement au rang des principes à valeur constitutionnelle.

Le présent projet de révision constitutionnelle nous en donne l’occasion. Il vise à inscrire l’urgence climatique dans la norme fondamentale. Il va plus loin que le droit en vigueur, car il introduit un principe d’action des pouvoirs publics. Une réforme constitutionnelle est tout sauf un acte anodin. Il s’agit d’un acte fondateur, par lequel la Nation affirme sa cohésion et rappelle ce qui est prioritaire à ses yeux, ainsi que d’un exercice exigeant, auquel on ne se livre « que d’une main tremblante », comme le rappelait Montesquieu. Plusieurs interrogations ont été formulées, ainsi que des réserves, notamment sur le principe de précaution, l’utilisation du verbe « garantir » et le principe de non-régression. J’invite tout un chacun à lire le rapport de M. Pieyre-Alexandre Anglade, rédigé à l’issue de nombreuses auditions. Sur chacune de ces questions, il apporte des clarifications précises et rassurantes.

Oui, nous sommes prêts. Faut-il ajouter que 85 % des membres de la Convention citoyenne pour le climat souhaitent l’organisation d’un référendum ? Alors, écoutons-les. « En toute chose il faut considérer la fin », écrit, dans sa fable Le Renard et le Bouc, Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry et dont nous fêterons en 2021 le quatre-centième anniversaire de naissance.

Quelle est la finalité ? Ensemble, nous pouvons, d’une part, accélérer la lutte contre le dérèglement climatique et préserver la biodiversité, d’autre part, redonner des couleurs à la démocratie, en donnant la parole au peuple. Cette révision est l’émanation de la volonté du peuple. Les constituants que nous sommes doivent la porter avec conviction. Elle mérite d’être adaptée pour que nous soyons armés face au plus grand défi que nous ayons connu. C’est pourquoi, avec conviction, avec confiance, les députés du groupe La République en Marche soutiendront pleinement ce projet de loi constitutionnelle.

M. Julien Aubert. En préambule de mon intervention, rappelons que la famille politique que je représente n’a pas à rougir pour ce qui est des initiatives en faveur de la protection de l’environnement. Georges Pompidou a créé le premier ministère chargé de l’environnement, qui fête d’ailleurs ses cinquante ans cette année. C’est sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing que le législateur s’est intéressé à la protection du littoral, notamment face à l’urbanisation croissante et massive, puisqu’il a créé, par la loi du 10 juillet 1975, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. C’est sous la présidence de Jacques Chirac que fut adoptée la Charte de l’environnement. C’est enfin sous la présidence de Nicolas Sarkozy que fut conduit le Grenelle de l’environnement qui a permis de traiter de nombreux sujets relatifs à la protection de l’environnement et qui a été suivi de deux lois.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé vise à ajouter au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. C’est ce que vous appelez une protection rehaussée dans la Constitution, aux côtés des autres principes essentiels de la République. Selon l’exposé des motifs du projet de loi, cette inscription lui donne une force particulière, ce que vous avez d’ailleurs rappelé, Monsieur le ministre. Ce projet est issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, adoptées en juin dernier. Contrairement à ce que prétend M. Krabal, ce projet n’émane pas du peuple mais bien de quelques citoyens tirés au sort.

En l’examinant attentivement, force est de constater, toutefois, que cette réforme est, au mieux, inutile et, au pire, dangereuse. Elle est inutile, en effet, car une place importante est déjà accordée à la protection de l’environnement dans le droit existant, normes constitutionnelles comprises. En termes parlementaires, on vous dirait que votre amendement est déjà satisfait, chers collègues ! Ainsi, la Charte de l’environnement de 2004, qui fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité, prévoit dans son article 1er et son article 2 des mesures fortes en la matière. Le Conseil d’État relève, dans son avis sur le présent projet de loi, que le principe de protection de l’environnement occupe déjà la plus haute place dans la hiérarchie des normes et que la cause environnementale fait l’objet d’un contrôle juridictionnel de plus en plus poussé de la part de tous les juges. Il relève d’ailleurs deux récentes décisions du Conseil constitutionnel qui confèrent une importance plus grande aux effets de la Charte de l’environnement. Du coup, quel serait l’apport ? Sauf à ce que le juge constitutionnel, qui ne manquera pas d’être saisi régulièrement à ce sujet, cherche à donner une interprétation contraignante à votre nouvelle disposition, celle-ci relève d’un artifice de communication. Rappelons tout d’abord que son inscription à l’article 1er ne lui confère pas plus de valeur que les dispositions des autres articles. D’ailleurs, Monsieur le ministre, l’autorité judiciaire apparaît péniblement à l’article 64 de la Constitution, après les traités de commerce qui figurent à l’article 53, ce qui ne veut pas dire que vous soyez moins important que le ministre chargé du commerce…

Vous avez également déclaré que cette inscription aurait une valeur symbolique forte, ce qui donnerait plus de poids à ce principe tout en le maintenant à égalité avec les autres. Il suffit de relire l’article 6 de la Charte de l’environnement : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » Ce que vous avez dit en est l’exacte paraphrase. D’ailleurs, le sujet de l’environnement dépasse largement le seul dérèglement climatique. L’un de mes collègues évoquait une étude d’impact : je le renvoie à l’article 5 de cette même Charte qui prévoit des procédures d’évaluation.

Cette réforme est également dangereuse. La Constitution est là pour établir des règles, pas pour donner des objectifs. On ne va pas commencer à inscrire dans la Constitution que le Gouvernement lutte contre le désendettement, contre l’immigration ou pour la sauvegarde des baleines, sinon notre Constitution se trouvera rapidement très alourdie. De plus, le Conseil d’État a relevé qu’en prévoyant que la France « garantit » la préservation de la biodiversité et de l’environnement, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Le Conseil d’État suggère le terme « préserve ». Ce serait d’ailleurs plus prudent pour vous puisque vous fermez les centrales nucléaires qui concourent à la lutte contre le réchauffement climatique…

S’agissant de la protection de l’environnement, certains juristes, comme M. Arnaud Gossement, estiment au contraire que cette disposition, en cas d’interprétation contraignante, opérerait un retour en arrière. L’article 2 de la Charte serait plus protecteur en ce qu’il dispose que toute personne a le devoir de prendre part à la préservation de l’environnement.

Ce projet de loi comporte d’importantes incertitudes et, M. Krabal l’a rappelé, une réforme constitutionnelle n’est pas un acte anodin. Il conviendrait de revoir la formulation pour éviter toute instrumentalisation de l’enjeu.

Jean de La Fontaine vient d’être cité. Napoléon, quant à lui, disait qu’il ne faut jamais interrompre un ennemi qui est en train de faire une erreur. Pour le coup, nous voterons sans doute contre.

M. Jimmy Pahun. Les nations se sont engagées, en signant l’accord de Paris, à limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2 degrés Celsius. Pourtant, selon le tout récent rapport de Météo France, les rapports du GIEC et le rapport du Haut Conseil pour le climat, cette température moyenne pourrait augmenter de 4 degrés en France d’ici 2100. Il faudra donc s’attendre à des événements climatiques extrêmement plus fréquents et plus violents, à la destruction d’écosystèmes entiers et à la disparition massive d’espèces. On le sait et on agit. Que les membres de la Convention citoyenne pour le climat n’oublient pas ce que nous faisons depuis près de quatre ans : la loi « Egalim », relative à l’alimentation, la programmation pluriannuelle de l’énergie, la loi d’orientation des mobilités, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, le plan de relance qui consacre 30 milliards d’euros à la transition écologique, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets... Du concret, du quotidien, du structurant, du long terme : voilà ce dont le pays a besoin, à l’opposé d’une écologie des grands mots qui dit parfois plus qu’elle n’agit. Nul besoin de parler plus fort pour agir avec détermination. C’est ce même souci qui nous guide dans l’examen du présent projet de loi constitutionnelle visant à inscrire la protection de l’environnement à l’article 1er de la Constitution.

Nous voulons hisser au plus haut sommet de l’ordre constitutionnel la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. Les termes exacts et précis du projet de loi comptent peut-être moins que cette volonté que nous aurons exprimée avec force et clarté. Oui, la protection de l’environnement compte autant que les libertés et les droits les plus fondamentaux reconnus et garantis par la République. Le socle de notre République se renforce d’un nouveau pilier, ce dont je me félicite au nom de mon groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés. Nous attendons de cette réforme des effets concrets et substantiels pour être à la hauteur du double défi climatique et démocratique puisque, in fine, cette question sera soumise au référendum. Ce référendum marquera la France de l’après-covid. Nous aurons vu, nous aurons réfléchi à ce que nous sommes et faisons, nous dirons collectivement notre volonté de changement. Je vous remercie, Monsieur le ministre, d’être également attentif à tout cela.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je reviendrai sur l’articulation entre la nouvelle rédaction qui nous est proposée de l’article 1er de la Constitution et la Charte de l’environnement. Le choix d’inscrire le mot « garantit » dans la Constitution est extrêmement important. Dès lors qu’il ne figure pas dans la Charte, il n’aurait pas pour seul effet de consacrer l’état actuel de la protection constitutionnelle de l’environnement et de l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. En effet, en prévoyant que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement. Certaines personnes que nous avons auditionnées nous ont mis en garde contre le risque que « la créature échappe à son créateur ». Qu’en pensez-vous, Monsieur le ministre ?

M. Gérard Leseul. Je salue une nouvelle fois les travaux réalisés par la Convention citoyenne pour le climat, qui témoignent de l’ampleur du défi climatique auquel nous faisons face. Elle a proposé un ensemble de mesures ambitieuses, dont la modification de notre Constitution. Si les citoyens, après plusieurs parlementaires, en particulier mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, par la voix de Mme Cécile Untermaier, ont proposé de modifier la Constitution, ce n’est pas un hasard, mais bien parce que nous constatons tous un manque dans notre loi fondamentale. Je reprendrai simplement une phrase de la conclusion des travaux de la convention qui doit rester le fil rouge de notre engagement et de nos discussions : « Nous ne sommes pas uniquement devant le choix d’une politique économique pour faire face à une crise économique, sociale et environnementale, nous devons agir sans plus attendre pour stopper le réchauffement et le dérèglement climatique qui menacent la survie de l’humanité. »

Je remercie les rapporteurs MM. Pieyre-Alexandre Anglade et Christophe Arend, avec qui nous avons mené les auditions pour préparer l’examen de ce projet de loi constitutionnelle. Nous avons ainsi reçu des constitutionnalistes, des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) ou d’associations, ou encore des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat.

Pour la quasi-totalité des constitutionnalistes interrogés, la modification de notre Constitution, telle qu’elle est envisagée, n’emportera sans doute aucune obligation nouvelle pour le législateur, malgré sa forte portée symbolique. De même, le juge ne sera pas plus éclairé en l’absence de notions et de cadre plus précis qui devraient être énoncés dans notre Constitution. Notre Constitution est nourrie et inspirée par la libre propriété. Elle a été conçue dans une période d’après-guerre et de reconstruction du pays, sacralisant les libertés et droits individuels fondamentaux. Cependant, certains principes comme le droit de propriété et la liberté d’entreprendre, appliqués de manière absolue, peuvent sembler en contradiction avec la protection des biens communs, donc avec la préservation de l’environnement. Ainsi, certaines notions fondamentales qui ont permis autrefois l’émancipation des hommes face à l’arbitraire peuvent se retourner contre l’intérêt général. C’est ce qu’avait justement rappelé mon collègue M. Dominique Potier lors de l’examen d’une proposition de loi constitutionnelle déposée en mai 2020. Lutte contre le changement climatique, lutte contre la fraude fiscale, lutte contre l’accaparement des terres agricoles : autant de propositions de réformes censurées, vidées de leur substance ou avortées ces dernières années, suite à des avis ou des décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel, rendus au nom de la défense du droit de propriété et de la liberté des entreprises.

L’urgence environnementale nous pousse, aujourd’hui, à revoir la nécessaire conciliation des libertés individuelles avec les droits humains, la protection de la nature et l’amélioration de l’environnement qui conditionnent la vie humaine sur Terre. Bien sûr, le Conseil constitutionnel est déjà capable de faire preuve d’initiative pour protéger l’environnement et le vivant. Ainsi, dans une décision rendue le 31 janvier dernier, il a reconnu pour la première fois que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Le conseil des sages, parfois très inspiré, sait manier le clair-obscur et l’estompe mais est-ce suffisant pour faire face à l’urgence climatique ? Le Conseil d’État, dans un avis rendu le 21 janvier dernier, prévient quant à lui que le mot « garantir », qui est proposé pour la préservation de la biodiversité, de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique, imposerait une quasi-obligation de résultat aux pouvoirs publics, ce que nous souhaitons vivement. Le 3 février, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour ne pas avoir tenu ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Si une obligation de moyens semble découler de cette décision, l’obligation de résultat est encore loin d’être garantie, de notre point de vue.

Si l’adoption de la Charte a permis une première prise de conscience des défis environnementaux et climatiques, il reste à formaliser l’urgente action climatique. En effet, à la lecture des travaux préparatoires de la Charte, on constate que les changements climatiques, leur existence, leur manifestation mais surtout les moyens pour y faire face, n’ont été que peu soulignés ou n’apparaissent qu’incidemment.

Pourtant, l’objectif de la neutralité carbone est désormais fixé par le Gouvernement à travers sa stratégie nationale bas carbone. Il ne pourra être atteint sans gros efforts dans certains secteurs, ce qui risque de conduire à d’importants imbroglios juridiques si les cadres normatifs ne sont pas adaptés et précisés. Le cas récent des néonicotinoïdes, à nouveau autorisés pour au moins deux ans, en est la parfaite illustration. Dès lors, ne faut-il pas profiter de l’occasion qui nous est donnée par le Président de la République de modifier la Constitution pour intégrer des notions structurantes déjà évoquées, comme les limites planétaires ? Contrairement à ce que dit le ministre, il me semble important d’inscrire des principes de non-régression et des mesures d’impact.

M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI et Indépendants souhaite rappeler en préambule que les citoyens de la Convention citoyenne pour le climat, tirés au sort, ne représentent pas les Français, même si leur travail mérite d’être souligné. Seuls les députés peuvent y prétendre, aussi le dernier mot doit-il leur appartenir dans le cadre de nos institutions.

Nous regrettons que les tentatives de réforme institutionnelle ou constitutionnelle sur d’autres sujets tout aussi importants n’aient pas abouti depuis 2017, qu’il s’agisse de la reconnaissance du vote blanc, de l’introduction d’une dose de proportionnelle ou de la différenciation territoriale, aussi tenterons-nous d’y remédier par voie d’amendement.

Notre groupe n’a pas d’opposition de principe à cet ajout dans la Constitution. Le changement climatique est le défi des prochaines générations et la formation à l’écologie, une priorité. Cependant, des actes seraient bien plus efficaces pour la planète qu’une révision constitutionnelle. Fermer une centrale nucléaire en laissant fonctionner les centrales à charbon est l’un des mauvais exemples de notre situation énergétique actuelle.

Le Gouvernement n’est pas clair sur les effets concrets du projet de loi. Beaucoup de professionnels, en particulier des juristes et des universitaires, considèrent que cette modification constitutionnelle ne changera rien. Nous sommes sceptiques et nous craignons que l’inscription de cette nouvelle règle à l’article 1er de la Constitution n’ait pas plus de valeur que l’introduction de la Charte de l’environnement dans le préambule de la Constitution. Le Conseil d’État relève ainsi que cette inscription revêt surtout une portée symbolique et qu’elle ne lui confère aucune prééminence juridique sur les autres normes constitutionnelles. Si cette mesure devait avoir de réelles conséquences, notamment pour les décisions de justice, une étude d’impact aurait dû être fournie aux parlementaires ; nous l’attendons toujours. Le Conseil d’État avait également appelé l’attention du Gouvernement sur les conséquences de l’emploi du terme « garantit » et avait demandé des précisions. Nous ne les avons pas reçues avant ce soir. Appliquons déjà le droit existant et améliorons son contrôle. Qui plus est, l’approche des élections nous fait douter de la possibilité d’organiser un référendum avant la fin de ce quinquennat, sans parler du report prévu des élections locales en juin.

Parmi les réformes envisagées, Monsieur le ministre, vous aviez évoqué celle du parquet, que vous vous étiez engagé à mener avant la fin du quinquennat, ce qui semble compliqué. Confirmez-vous cet engagement ? N’aurait-il pas été possible de profiter de cette réforme pour prévoir l’inscription d’autres principes dans la Constitution ? Qu’apporte cette réforme par rapport à la Charte de l’environnement ? Quand pourrait-elle être définitivement adoptée ? Pensez-vous pouvoir organiser le référendum envisagé par le Président de la République ?

M. François-Michel Lambert. La manœuvre politique qui se cache derrière ce projet de réforme de notre Constitution soulève de nombreuses questions. Beaucoup a déjà été dit des débats entre constitutionnalistes ou de l’articulation avec la Charte de l’environnement mais j’y reviens tout de même.

Monsieur le ministre, admettons que cette réforme aille à son terme : dans quelles proportions permettra-t-elle de réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Quels bénéfices pourrons-nous en attendre pour le climat, l’environnement, la biodiversité, les ressources ? Je ne vois rien, dans la réforme constitutionnelle, qui pourrait permettre une telle transformation. Cette réforme aurait-elle permis d’éviter que l’usage des néonicotinoïdes soit à nouveau autorisé, l’accord économique et commercial global (le CETA) ratifié, l’accord avec le Mercosur signé ? On pourrait multiplier les exemples. Vous me répondrez que je ne suis pas un constitutionnaliste mais, fort de mon expérience dans le domaine de l’environnement, je constate que les objectifs sont toujours lointains et rarement contraignants. Qui plus est, les moyens pour atteindre ces objectifs sont rarement à la hauteur. Ce quinquennat ne déroge pas à cette habitude. Je me souviens encore des annonces, mi-mandat, d’un virage, d’une accélération écologique ! Que reste-t-il aujourd’hui ? J’ai l’impression que tous les écologistes sont partis à la suite de Nicolas Hulot.

Lorsque le Président de la République, qui n’avait plus d’écologistes dans sa majorité, a convoqué 150 citoyens, nous avons espéré franchir une nouvelle étape dans la lutte contre le dérèglement climatique. Hélas, la présentation du projet de loi dit « climat et résilience », la semaine dernière, a confirmé nos craintes et, d’un projet de loi qui aurait repris l’intégralité des propositions, nous sommes passés à un texte lacunaire.

Il n’est pas interdit de se demander si la révision constitutionnelle ne servirait pas à camoufler d’autres renoncements. Les Français ne s’y trompent pas, d’ailleurs, puisqu’ils sont 64 % à y voir une manœuvre politique. Nous ne sommes pas dupes de la portée symbolique d’une telle réforme et l’absence d’engagement nous angoisse pour l’avenir. Une vision plus ambitieuse du droit de l’environnement suffirait. J’espère que nous progresserons en matière de justice climatique. L’« affaire du siècle » est la preuve que l’on peut aller de l’avant. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a également évolué puisqu’elle a reconnu en 2020, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, que la protection de l’environnement constituait un objectif de valeur constitutionnelle qui pouvait justifier des atteintes à la liberté d’entreprendre. Cette position est suffisamment claire pour rendre inutile une modification de la Constitution. Notre justice est parfaitement capable de relever ces enjeux. En revanche, notre Constitution présente quelques lacunes. Par exemple, l’inscription du principe de non-régression aurait empêché que l’on autorise à nouveau l’usage des néonicotinoïdes. Autrement dit, quel est l’intérêt d’ajouter une phrase à l’article 1er de la Constitution puisque la Charte de l’environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité ? Des spécialistes parlent de garantir, d’agir, de favoriser, mais où sont les résultats ?

Les débats autour de la modification de la Constitution nous donneront l’occasion de réaffirmer collectivement notre volonté de faire face aux défis écologiques. Pour ma part, je crains que cette réforme tienne surtout de la diversion politique et de l’opération de communication. J’aurais préféré que le Gouvernement et la majorité reprennent la proposition de Nicolas Hulot de créer un poste de vice-Premier ministre chargé du développement durable. M. Emmanuel Macron avait inscrit cette mesure dans son programme de candidat à la présidentielle de 2017 mais il en aurait été empêché, par la suite, en raison de la Constitution. Il aurait fallu une réforme de la Constitution pour nommer ce vice-Premier ministre du temps long. Ces considérations nous dépassent, nous, politiques du temps court. Cette réforme-là nous aurait permis d’agir et de contrebalancer la politique d’un Premier ministre davantage préoccupé par la gestion du quotidien que par la préparation du temps long.

Pour conclure, je ne résiste pas au plaisir de citer Jean de La Fontaine qui écrivait dans une lettre à Jean Racine : « Un sot plein de savoir est toujours plus sot qu’un autre homme ». Sommes-nous sots au point de préférer la communication à l’action alors que nous savons l’urgence ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Depuis 2017, les gouvernements ont beaucoup fait pour l’écologie et nombre des mesures qu’ils ont prises sont à inscrire à leur actif. J’aurai sans doute l’occasion de le rappeler au banc car j’entends bien les regrets de certains députés : les actions seraient insuffisantes, il aurait fallu créer un poste de vice-Premier ministre – ce poste serait d’ailleurs peut-être vacant. Nous en reparlerons le moment venu.

Dans ce domaine, le débat parlementaire est essentiel et je n’entends pas substituer la réflexion de 150 de nos concitoyens à la vôtre. Cependant, gardons-nous d’opposer les uns aux autres. Le mot « urgence » est fréquemment revenu. Nombre d’entre vous avez aussi évoqué, à juste titre, l’exemplarité de la France dans ce domaine. La France, en effet, a un rôle à jouer au plan international et elle a déjà démontré à quel point elle pouvait être à la pointe sur ces sujets.

Monsieur Julien Aubert, vous dites que la Convention citoyenne pour le climat ne représente pas le peuple. Rappelons qu’elle rassemble 150 de nos concitoyens, aussi pardonnez-moi de penser qu’elle le représente tout de même un peu. Certes, ils ont été tirés au sort, mais ils ont beaucoup travaillé, ils ont été entourés d’experts et ils ont consulté toutes les associations. Pour avoir vécu ce débat à propos du Conseil économique, social et environnemental (CESE), je pense qu’on ne peut pas opposer 150 de nos concitoyens de bonne volonté à la représentation nationale. Ce serait même légèrement condescendant. Dans le registre de la saillie drolatique, vous avez ajouté, Monsieur Aubert, qu’on n’allait pas réformer la Constitution pour tout, sinon pourquoi ne pas y inscrire les baleines. Je suis bien d’accord avec vous, il serait difficile de réserver un article aux baleines dans la Constitution, mais surtout ce serait inutile car, si cette réforme aboutit, la garantie de la diversité biologique permettra de lutter contre la disparition de certaines espèces, en particulier des baleines. J’espère vous avoir ainsi rassuré…

Plus sérieusement, la préservation de l’environnement ne sera plus un objectif à valeur constitutionnelle mais un principe à valeur constitutionnelle à part entière. Vous semblez le craindre. Moi, pas du tout. Vous avez rappelé que les lois en faveur de l’environnement n’avaient pas manqué depuis cinquante ans. Le résultat est-il satisfaisant ? Avons-nous remarqué une amélioration pour l’environnement ? Sûrement pas. Il faut donc aller plus loin et c’est à ce défi que le Gouvernement entend répondre en donnant une force nouvelle à la protection de l’environnement dans la Constitution. Voilà en quoi réside l’utilité de cette réforme : l’obligation d’agir.

Quant au mot « garantir », que vous craignez tant, je rappelle qu’il figure déjà à quatre reprises dans la Constitution. En rendrait-il les dispositions concernées inutiles ? Dangereuses ? L’enjeu de l’urgence écologique nous impose de dépasser les positions politiciennes.

Merci, Monsieur Anglade, pour la qualité de votre travail et de votre réflexion. On ne peut pas opposer le travail de 150 citoyens et celui de la représentation nationale. Vous n’allez pas prendre pour argent comptant ce qu’a dit la Convention citoyenne : vous allez examiner les mots choisis. Vous avez, bien sûr, un véritable rôle à jouer.

Il y a eu récemment une condamnation de l’État, c’est vrai. Je ne vais pas la commenter, puisque je suis le garde des Sceaux. L’environnement est l’affaire de tout le monde – de ces 150 concitoyens et de chacun d’entre nous. Ne plus jeter les mégots de cigarette par terre, ne pas polluer quand on est un industriel, aller de l’avant avec ce texte, c’est notre responsabilité compte tenu du constat que l’environnement se dégrade. Nos enfants, nos adolescents le savent parfaitement. Ils ont très souvent fait leur ce combat.

La Charte de l’environnement, qui date en réalité de 2004, a donné à la protection de l’environnement une valeur constitutionnelle. Cela permet au législateur de prendre des mesures importantes. Dans la Charte, la protection de l’environnement est un objectif vers lequel nous devons tendre. Par le présent texte, nous vous proposons d’en faire une obligation constitutionnelle, à la charge des pouvoirs publics. C’est ce que signifie l’emploi des termes « garantir » et « lutter » que nous voulons introduire à l’article 1er de la Constitution.

Je me déplace d’habitude avec un code pénal et un code de procédure pénale ; j’irai en séance publique avec un dictionnaire. Je rappellerai à ceux qui l’ont oublié, ou qui feignent de ne plus le savoir, que « garantir » revient à assurer sous responsabilité l’exécution de quelque chose dans des conditions parfaitement définies. C’est le mot juste et cela ne doit pas susciter je ne sais quels fantasmes ou je ne sais quelles peurs.

Je voudrais simplement vous remercier, Messieurs Arend, Krabal et Pahun, pour votre enthousiasme et votre envie d’aller de l’avant – vos interventions ne comportaient pas de questions. Vous avez parfaitement compris l’importance de cette réforme, pourquoi et comment elle doit être menée. Il a été question à plusieurs reprises de l’urgence et de l’exemplarité de la France : je reprends ces termes à mon compte. Ce texte – ce qu’il est actuellement et ce que vous en ferez – nous honorera. Il résulte de l’engagement du Président de la République et du choix de citoyens français. La représentation nationale existe, mais il y a aussi le peuple et on ne peut pas le négliger.

Il y a une toute petite modification, il faut le souligner, par rapport aux propositions de la Convention citoyenne : il est question de préservation non pas de la « biodiversité » mais de la « diversité biologique », car c’est le terme le plus adéquat. Le reste est inchangé : il s’agit, par ailleurs, de garantir la préservation de l’environnement et de lutter contre le dérèglement climatique, ce qui n’est prévu, jusqu’à présent, nulle part – certains d’entre vous m’ont interrogé sur l’apport du texte. Nous savons à quel point c’est essentiel : il suffit de regarder les dernières inondations pour comprendre qu’il y a un dérèglement. On ne peut plus être climatosceptique. Les preuves, cela a été dit, ont été apportées sur le plan scientifique.

La question que vous avez posée, Madame Jacquier-Laforge, est extrêmement importante. La Charte de l’environnement énumère précisément les principes constitutionnels en la matière, en particulier le droit de vivre dans un environnement sain, l’obligation de participer à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, ainsi que les principes de responsabilité environnementale, de précaution et de participation à l’élaboration des décisions publiques. Le projet de révision constitutionnelle n’ajoute pas d’autres principes à cette liste. En revanche, il donnera une force plus grande à la préservation de l’environnement dans la Constitution. Le contenu des exigences constitutionnelles en matière environnementale ne sera pas modifié : c’est leur portée qui le sera.

Selon vous, Monsieur Leseul, ce texte n’irait pas assez loin. Il ne placera pas la protection de l’environnement au-dessus des autres principes constitutionnels mais il lui donnera une force nouvelle dont le Conseil constitutionnel tiendra compte dans sa jurisprudence. Il ne s’agit pas davantage, je le confirme, de créer un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière environnementale. Un tel principe existe dans la loi mais il n’a pas sa place dans la Constitution : il est indispensable de laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, comme celui de la protection de la santé, par exemple dans un contexte de crise sanitaire.

Monsieur Zumkeller, ce projet de loi constitutionnelle n’a pas vocation à se substituer à toutes les mesures concrètes en matière environnementale. Je rappelle qu’un projet de loi a été préparé en parallèle pour reprendre les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Le présent texte a pour vocation de créer un principe d’action positive des pouvoirs publics : ils seront appelés à intégrer la préservation de l’environnement dans les politiques qui sont menées. À défaut, la quasi-obligation de résultat que nous proposons de créer pourra avoir des conséquences sur le plan de leur responsabilité.

Monsieur Lambert, vous m’avez questionné sur les économies qui seront réalisées en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Dois-je vous rappeler qu’il s’agit d’une réforme constitutionnelle ? Ses effets ne se mesurent en kilos de CO2… Une révision constitutionnelle impose des obligations générales – ce qui ne signifie pas qu’elles n’ont pas d’effet.

Vous dites que le référendum prévu est une manœuvre politique et qu’il n’y a pas d’engagement du Gouvernement dans la lutte contre le dérèglement climatique. Vous oubliez tout ce que ce gouvernement et le précédent ont fait depuis 2017. J’aurai l’honneur de rappeler, grâce aux débats qui auront lieu, le bilan de l’action engagée par le Président de la République en la matière.

Enfin, le principe de non-régression figure déjà à l’article L. 110-1 du code de l’environnement mais il n’y a pas lieu de le constitutionnaliser, je l’ai dit.

M. Gabriel Serville. Que l’on soit favorable ou non à cette réforme, tout le monde est d’accord sur le fait que la révision de l’article 1er de la Constitution que vous proposez n’aura aucun effet juridique immédiat sur la protection de notre environnement, contrairement à d’autres textes qui ont détricoté notre droit en la matière – je pense notamment à la récente loi d’accélération et de simplification de l’action publique.

On ne saurait parler d’atteintes à l’environnement sans évoquer l’écocide que constitue le pillage des ressources aurifères de la Guyane. Voilà des années que nous déplorons l’inadaptation totale du cadre pénal à ces crimes très spécifiques, même si nous avons réussi à faire adopter sous la précédente législature quelques améliorations, comme l’adaptation des conditions de garde à vue et la création du délit de possession d’or natif ou de matériel minier sans autorisation.

L’article 21 du projet de loi « climat et résilience », qui a été présenté mercredi dernier au conseil des ministres, habilite le Gouvernement à prendre toutes mesures susceptibles de renforcer et d’adapter le dispositif pénal de répression de l’orpaillage illégal en Guyane. Si on ne peut que déplorer le recours à une ordonnance, je dois vous dire mon enthousiasme sur le fond, alors que la commission d’enquête sur l’orpaillage illégal, dont je suis membre, doit commencer ses travaux après-demain. Pouvez-vous nous en dire plus, Monsieur le garde des Sceaux, sur le renforcement du dispositif pénal ? Vous avez là une belle occasion de conduire une réforme qui aura vraiment un effet très positif sur notre environnement.

M. Paul-André Colombani. Vous êtes sûrement familier, Monsieur le garde des Sceaux, du concept des « limites planétaires », qui sont au nombre de neuf : ce sont les limites physiques que l’humanité doit s’astreindre à respecter afin de préserver les conditions favorables dans lesquelles elle a pu se développer. D’après un rapport du ministère de la Transition écologique, la France dépasse actuellement six de ces limites, notamment celles concernant les émissions de CO2, toujours trop élevées, ou encore l’érosion de la biodiversité. Cela menace de saper les bases physiques des systèmes socio-économiques et de mener à une réduction importante du niveau de vie et à une augmentation des inégalités. Il est urgent de sanctuariser le respect de ces limites, et le présent projet de loi constitutionnelle en est l’occasion.

Il a été démontré à l’échelle de la planète que les dispositions constitutionnelles favorables à l’environnement sont directement corrélées à une baisse des émissions nationales de gaz à effet de serre. La constitutionnalisation des limites planétaires conduirait à faire évoluer le droit et la pratique législative en direction de l’approche systématique qui est indispensable pour assurer la cohésion de toutes les politiques publiques et pour accélérer la transition écologique. Avec la Charte de l’environnement adoptée en 2005, la France était l’un des derniers pays industriels à faire entrer cette question dans sa Constitution. Êtes-vous prêt à faire de la France un leader de la transition écologique en faisant de notre pays le premier à intégrer le respect des limites planétaires dans sa Constitution ?

M. Erwan Balanant. Nos collègues de la majorité ont dit que ce texte était l’émanation d’une réflexion des citoyens et qu’il ne faudrait peut-être pas trop toucher à leur travail. Je suis en partie d’accord avec cette idée. Les citoyens ont très bien travaillé et je les en félicite : un débat démocratique extrêmement important a eu lieu. Néanmoins, la Constitution fait de nous des constituants. Nous devons avoir un débat et nous poser certaines questions. C’est utile et même nécessaire. Le sujet dont nous parlons dépasse la sphère de la politique, puisqu’il est d’essence philosophique.

Le Conseil d’État a formulé dans son avis des observations que je trouve extrêmement pertinentes. Pourriez-vous revenir sur l’articulation entre notre droit de l’environnement et la rédaction qui nous est proposée ?

J’aimerais, par ailleurs, qu’on profite de cette révision constitutionnelle pour renforcer certains outils. Il faudrait en particulier avoir une véritable évaluation climatique des lois. Une telle boussole nous permettrait d’éviter des querelles stériles.

Mme Cécile Untermaier. La préservation de l’environnement est un enjeu vital pour les générations présentes et futures. Un pas en avant doit être effectué grâce à l’inscription, à l’article 1er de la Constitution, de la nécessité de protéger l’environnement et la diversité biologique et de lutter contre les changements climatiques. Ce n’est pas anodin de le faire dans un article qui consacre les grands principes de la République et qui est la clef de voûte de notre loi fondamentale.

L’article unique de ce texte, voulu par la Convention citoyenne pour le climat, correspond peu ou prou à ce qui était proposé dans le cadre de la révision constitutionnelle du début du quinquennat. Je ne sais pas si c’est un motif de satisfaction, de regret ou d’exaspération… Faut-il en conclure que nul n’est prophète en son pays et qu’il fallait passer par une Convention citoyenne pour être entendu ? Je laisse chacun en juger. Nous avions beaucoup débattu du verbe qu’il fallait utiliser – « garantir » ou « agir ». Nous avions, pour notre part, milité pour l’emploi du premier terme. M. Nicolas Hulot avait obtenu que la Constitution soit révisée, ce qui représentait un grand pas en avant, mais en utilisant le verbe « agir ». Ne boudons pas notre plaisir aujourd’hui.

Nous allons déposer des amendements, notamment au sujet du principe de non-régression que nous avions eu du mal à inscrire dans la loi dite « Biodiversité » de 2016. Nous pensons qu’il serait utile de l’insérer dans la Constitution, en prévoyant une amélioration constante, une action en continu en faveur de l’environnement.

Ceux qui s’inquiètent toujours de telles dispositions doivent savoir qu’elles ne sont ni inutiles ni dangereuses : ce serait une bonne chose de faire évoluer en ce sens l’article 1er de la Constitution. Si la révision échoue au Sénat, tant pis : nous aurons quand même travaillé sur cette question et il n’en restera pas rien.

J’aimerais vous demander, Monsieur le garde des Sceaux, sous la forme d’une plaisanterie, s’il faut passer par une Convention citoyenne pour faire aboutir, enfin, la réforme du parquet que nous souhaitons depuis un certain temps ? (Rires sur plusieurs bancs).

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Nous venons de créer, Monsieur Serville, à l’occasion du projet de loi relatif à ce qu’on a appelé le parquet européen, des juridictions spécialisées en matière d’environnement. J’étais tout à fait favorable à ce qu’il ne s’agisse pas d’une juridiction ayant compétence nationale et installée à Paris. Lorsque nous avons travaillé sur ces questions, nous avons évidemment pensé à la Guyane et à la question de l’orpaillage. Il fallait que les juridictions soient au plus près des pollutions spécifiques, dans les régions. Il y aura donc une juridiction spécialisée en matière d’environnement par cour d’appel. Cet outil nouveau sera mis en place à compter du mois d’avril.

J’ajoute que la convention judiciaire d’intérêt public est un outil extraordinairement efficace sur le plan pénal.

Il y aura certainement d’autres textes de nature pénale, notamment en réponse aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat, même s’il est encore un peu tôt pour en parler. Compte tenu du sujet, cela entrera naturellement dans le périmètre du ministère de la Justice.

Vous voyez grand, Monsieur Colombani, si vous me permettez d’utiliser cette expression. Il va de soi que la protection de l’environnement a une dimension régionale – je viens de le rappeler – mais aussi nationale et planétaire. Néanmoins, la notion de « limites planétaires » ne fait pas l’objet d’un consensus et n’a pas un degré de précision tel qu’on pourrait l’inclure dans notre loi fondamentale. Vos propos sont extrêmement intéressants mais il serait un peu compliqué de leur donner une traduction dans la Constitution. Restons-en, pour le moment, à quelque chose d’un peu plus modeste, tout en veillant à préserver notre exemplarité dans le monde – nous avons été à la pointe dans ce domaine.

Je me souviens, Monsieur Balanant, que vous avez été rapporteur du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental. Des écueils ont été évités. Vous faites partie de ceux qui savent qu’on ne peut pas opposer les citoyens et les parlementaires – des craintes s’étaient déjà exprimées à cette époque.

La question de l’évaluation est importante. J’ai vu que vous aviez déposé un amendement visant à modifier l’article 24 de la Constitution en ce qui concerne l’évaluation des politiques publiques. Puis-je vous dire dès à présent que j’y serai sans doute défavorable ? Des outils d’évaluation existent déjà. L’exécutif dispose de moyens en la matière, comme le Parlement. Mon sentiment est qu’il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution sur ce point.

Je suis ravi que le verbe « garantir » vous fasse plaisir, Madame Untermaier. J’ai toujours plaisir à vous faire plaisir – et à travailler avec vous.

Vous avez demandé, en disant que c’était en souriant, s’il fallait une Convention citoyenne en ce qui concerne le parquet. C’est à la main du Président de la République. Voilà ce que je peux vous répondre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci beaucoup, Monsieur le garde des Sceaux.

J’ajoute qu’une mission flash relative à la création d’un référé spécial en matière environnementale, dont les rapporteures sont Mmes Cécile Untermaier et Naïma Moutchou, rendra ses conclusions le 10 mars prochain. Cette mission pourra éventuellement avoir des suites législatives dans le cadre du projet de loi issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

 

 

 


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   Compte rendu des dÉbats

Lors de ses réunions du mercredi 17 février 2021, la Commission examine le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement (n° 3787) (M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur).

1.   Première réunion du mercredi 17 février 2021 à 9 heures 30

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Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, pour l’examen en première lecture du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement. M. Pieyre-Alexandre Anglade a été désigné rapporteur par notre commission.

La commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire s’est saisie du texte pour avis et son rapporteur est M. Christophe Arend.

L’audition du garde des Sceaux commune à nos deux commissions, qui s’est tenue lundi après-midi, valait discussion générale, chacun des groupes ayant pu s’exprimer ; nous pouvons donc en venir à l’examen des amendements, qui sont au nombre de soixante-dix-sept.

Avant l’article unique

La Commission examine l’amendement CL39 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Je vous remercie de m’accueillir au sein de cette commission des Lois, qui bénéficie d’une belle salle : c’est toujours un plaisir, lorsqu’on arrive de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, dont la salle est en sous-sol, de retrouver la lumière. Les lois sont peut-être des lumières, mais le développement durable ne doit pas rester dans l’ombre.

Cet amendement vise justement, en parfaite cohérence avec la modification que vous voulez introduire à l’article 1er de la Constitution, à ajouter, au septième alinéa de la Charte de l’environnement, le mot « climat » après le mot « biologique ». Puisqu’il sera désormais question du dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution, il convient d’y faire référence aussi dans la Charte.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Cher collègue, vous proposez de mentionner le climat au cinquième considérant du préambule de la Charte de l’environnement. Je rappelle que cet alinéa a une portée déclaratoire et qu’il n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; il ne peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette inscription aurait donc une portée purement symbolique.

Avec l’article unique, nous vous proposons d’aller bien au-delà, puisque nous inscrivons comme principe constitutionnel plein et entier, à l’article 1er de la Constitution, la lutte contre le dérèglement climatique, ce qui entraînera une quasi-obligation de résultat pour les pouvoirs publics.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vais essayer d’être clair, et même lumineux, sur cette question, monsieur le député. Le Gouvernement est défavorable à votre amendement, parce que le projet de loi constitutionnelle introduit la notion de lutte contre le dérèglement climatique à l’article 1er de la Constitution, ce qui complète le préambule de la Charte de l’environnement. Nous estimons qu’il n’est pas nécessaire d’introduire une référence au climat dans cette charte.

M. Matthieu Orphelin. Notre collègue a raison d’envier cette belle commission, pas seulement pour la lumière, mais aussi parce qu’on y traite de sujets très intéressants. Cet amendement nous fait entrer dans le vif du sujet et nous aurons d’autres débats importants, à propos de la non-régression ou des limites planétaires, par exemple.

Comme vous nous avez promis d’être lumineux, monsieur le garde des Sceaux, j’aimerais que vous éclaircissiez un point que je n’ai pas compris : pouvez-vous nous dire quand le référendum aura lieu ? Il y a quelques jours, notre commission a étudié le rapport Debré, au sujet du report des élections régionales et départementales. Il est apparu qu’aucun scrutin national ne pourrait avoir lieu en septembre, parce qu’il serait ridicule de faire campagne durant l’été, ni entre octobre et décembre, du fait des risques sanitaires, pas plus qu’entre janvier et avril 2022, pour des raisons de comptes de campagne – il ne faudrait pas en outre qu’il y ait un mélange des genres avec la campagne présidentielle. Monsieur le garde des Sceaux, quand ce référendum aura-t-il lieu ? Ne me dites pas que vous ne pouvez pas me répondre : je peux l’entendre d’un rapporteur, pas du ministre. Si nous sommes ici pour discuter du sexe des anges, cela ne m’intéresse pas. C’est parce que je pense que ce référendum n’aura pas lieu que je souhaite que cette réforme soit examinée en Congrès, le 13 juillet.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Monsieur le député, ma parole est aussi libre que la vôtre, elle n’est pas contrainte, et je n’ai pas à recevoir d’injonctions. Je ne crois pas que nous soyons en train de débattre du sexe des anges, mais nous pouvons commencer par discuter de la chronologie, car avant d’organiser un référendum, il faut que l’Assemblée nationale, puis le Sénat, vote le texte. Je vous rappelle que le Président de la République s’est engagé très clairement sur cette question. Mais si vous voulez une date, je suis incapable de vous la donner.

M. Julien Aubert. Notre collègue François-Michel Lambert a trouvé la martingale. Nous estimons que ce projet de loi est inutile dans la mesure où, depuis 2004, il existe une Charte de l’environnement, qui est annexée à la Constitution et qui fait partie du bloc de constitutionnalité. Vous nous avez répondu qu’elle ne parlait pas du climat. La proposition de M. Lambert pourrait nous épargner une longue procédure, qui va coûter de l’argent et qui pose bien des questions – M. Orphelin a eu raison de les poser. En inscrivant le climat dans la Charte, nous aboutirions au même résultat, et nous aurions un consensus.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit qu’on ne pouvait pas, dans une QPC, invoquer les principes constitutionnels, ce qui me surprend. Je suis sans doute moins bon constitutionnaliste que vous, mais j’aimerais des précisions à ce sujet. Que l’on ne puisse pas invoquer la Charte de l’environnement dans une QPC me semble étonnant.

La question de M. Orphelin est tout à fait légitime. Nous estimons que vous posez mal le problème, mais nous pensons aussi qu’il est toujours bon de consulter les Français, car c’est le peuple qui est souverain. C’est pourquoi, contrairement à M. Orphelin, je ne suis pas favorable à la convocation du Congrès, qui changerait la donne. Ce n’est pas tout à fait la même chose de faire avaliser une réforme constitutionnelle par le peuple ou par ses représentants. Monsieur le ministre, pour nous éviter de perdre du temps, pouvez-vous nous confirmer que c’est bien vers un référendum que nous nous dirigeons ?

M. Jean-Luc Warsmann. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pouvez-vous, s’il vous plaît, revenir sur cette question de la QPC ? J’ai besoin d’être rassuré sur les conséquences de cette révision constitutionnelle, puisqu’elle concernera tout le stock législatif : l’idée qu’on pourrait revoir des lois des années 1950, 1960 ou 1970 à travers ce prisme-là me paraît inquiétante.

M. Erwan Balanant. J’aimerais rappeler le processus qui a mené à cette révision constitutionnelle. Tout a commencé avec la décision du Président de la République d’organiser la Convention citoyenne pour le climat. Celle-ci a fait un certain nombre de propositions et il est tout à fait normal que nous en débattions – c’est dans l’ordre de nos institutions – mais je ne vois pas d’autre issue, à terme, que le référendum. Dans la mesure où tout est parti de la Convention citoyenne, la légitimité de la réforme ne peut venir, à la fin, que du peuple lui-même. Je m’étonne un peu, monsieur Orphelin, de votre idée de convoquer le Congrès.

Mme Delphine Batho. J’attends les précisions du ministre et du rapporteur au sujet des QPC, parce que ce qui a été dit est totalement faux. Une décision QPC de janvier 2020 est fondée sur les considérants de la Charte de l’environnement : c’est la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution la loi interdisant le stockage et la fabrication en France de pesticides interdits par l’Union européenne. Les considérants de la Charte ont donc bien une valeur constitutionnelle.

Par ailleurs, si le principe de non régression n’est pas intégré dans cette réforme constitutionnelle, celle-ci présentera peu d’intérêt au regard des dispositions de la Charte de l’environnement. Je suis plutôt favorable à la convocation d’un Congrès. Le référendum, du fait de sa nature plébiscitaire dans les institutions de la Ve République, se retournerait à coup sûr contre la cause de l’écologie. Cela me semble donc être une très mauvaise idée, et pas seulement pour des questions de calendrier.

Mme Émilie Guerel. Je tiens à rappeler que nous sommes réunis pour débattre du projet de loi constitutionnelle, et non du référendum, qui est une promesse présidentielle, M. Balanant l’a rappelé : nous tenons tous à ce qu’il ait lieu et il aura lieu. Nous avons beaucoup de travail et il serait bon que nous ayons un débat apaisé sur le fond du sujet, c’est-à-dire sur les soixante-dix-sept amendements en discussion, sans dévier de notre route.

M. Matthieu Orphelin. Je vais vous faire gagner du temps en retirant tous mes amendements. Je suis pour cette révision de l’article 1er : j’aimerais qu’il n’y ait aucune ambiguïté à ce sujet. J’ai été parmi les premiers à la proposer, il y a trois ans, quand cette question n’intéressait personne. (Exclamations.)

Dire que ce référendum peut avoir lieu avant mai  est un mensonge : on voit bien que ni les députés, ni le ministre, ne peuvent le confirmer. Je suis désolé, madame Guerel, mais ce référendum, c’est le fond du sujet. Voulons-nous, oui ou non, que cette réforme constitutionnelle aboutisse ? Si la réponse est oui, alors dites-moi quand ce référendum peut avoir lieu. Notre commission a auditionné M. Jean-Louis Debré, il y a quelques semaines, qui nous a expliqué qu’aucun scrutin national ne pourrait être organisé après le mois de septembre. Et un référendum pourrait avoir lieu, comme par magie ? Cela ne tient pas debout. Je ne doute pas que vous vouliez faire aboutir cette révision mais ni le ministre, ni les députés ne peuvent donner une idée de la date. Et il y a une bonne raison à cela : c’est parce que c’est tout simplement impossible. M. Balanant, qui sait combien je l’estime, le sait aussi bien que moi. C’est un simple exercice de communication, qui peut se retourner contre l’écologie, comme Delphine Batho l’a très bien dit.

Je vous laisse débattre du sexe des anges. Faire croire aux 150 citoyens qui ont pris part à la Convention qu’un référendum aura lieu avant le mois de mai, c’est les mener en bateau. Monsieur Balanant, vous m’expliquiez, il y a une semaine encore, que le vote par anticipation n’était pas possible : j’espère que l’amendement déposé hier par le Gouvernement vous a plu… Nous ne sommes pas d’accord et nous sommes précisément ici pour débattre.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Je maintiens ce que j’ai dit : l’alinéa, qui a une portée déclaratoire, n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; il ne peut donc être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Seuls peuvent être invoqués, en QPC, les articles 1er à 4 et l’article 7 de la Charte.

Monsieur Warsmann, pour répondre à votre question, tout dépendra de la manière dont le Conseil constitutionnel interprétera les dispositions de l’article 1er lorsqu’il sera invoqué.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je crois devoir apporter quelques précisions. D’abord, monsieur le député Aubert, dans le cadre d’une QPC, on doit invoquer des droits et libertés que la Constitution garantit – c’est ce que prévoit l’article 61-1. Or tous les principes constitutionnels ne sont pas des « droits et libertés que la Constitution garantit ». C’est le Conseil constitutionnel qui précise quels sont les principes constitutionnels invocables en QPC.

À la suite d’une QPC du 7 mai 2014, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui nous rappelle que les alinéas introductifs du préambule ne peuvent être invoqués dans une QPC, même s’ils ont valeur constitutionnelle. Des articles de la Charte sont en revanche invocables.

M. François-Michel Lambert. Ce tour de table a conduit au détournement de mon amendement, mais je crois que ce débat était nécessaire. D’après ce que vous dites, monsieur le ministre, il me semble que c’est donc bien dans la Charte de l’environnement qu’il faut mentionner le climat, dans l’optique d’une QPC. Mais peut-être vous ai-je mal compris, étant novice en commission des Lois. Ce que j’ai bien compris, en revanche, après neuf ans de mandat, c’est que la symbolique peut avoir son importance. Elle a très souvent été utilisée dans la loi, par cette majorité comme par les précédentes. Je songe à une loi que nous avons examinée il y a peu, et qui modifiait le code pénal : on nous a expliqué que la loi ne changerait rien, mais qu’elle avait une dimension symbolique.

Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, le climat n’est pas un symbole, c’est une angoisse pour l’humanité. L’inscrire dans la Charte de l’environnement me semble être à la hauteur de l’enjeu.

M. Jean-Luc Warsmann. Sur les quatre derniers référendums qui ont eu lieu en France, trois ont été organisés en fin d’année : le 6 novembre 1988, sur l’autodétermination de la Nouvelle Calédonie ; le 20 septembre 1992, sur le traité de Maastricht ; et le 24 septembre 2000, sur le quinquennat. Cela montre que des référendums peuvent être organisés douze mois sur douze, y compris en hiver.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, je propose d’ouvrir une discussion thématique sur la question de la non-régression, puisque plusieurs amendements lui sont consacrés.

La Commission examine les amendements CL69 de M. Erwan Balanant, CL37 de M. François-Michel Lambert et CL9 de Mme Delphine Batho.

M. Erwan Balanant. Cet amendement, travaillé avec l’avocat Arnaud Gossement, vise à inscrire le principe de non régression dans la Charte de l’environnement en rédigeant la fin de son article 2 de la manière suivante : « ainsi qu’à l’amélioration de l’environnement et de veiller, en application du principe de non régression, à ce que le niveau de protection de l’environnement assuré par le droit, fasse l’objet d’un progrès constant, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »

On ne peut pas garantir qu’il n’y aura plus de catastrophes naturelles. Mais ce que l’on peut garantir, c’est la non-régression du droit : nous pouvons décider que notre droit ne régressera jamais sur les ambitions environnementales. Ce débat excède un peu l’objet de notre discussion, mais il est essentiel.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. C’est effectivement une question qui est souvent revenue au cours de nos auditions et qui mérite que l’on s’y arrête.

J’émettrai un avis défavorable sur votre amendement, pour plusieurs raisons.

D’abord, le principe de non-régression est déjà reconnu, depuis 2016, au niveau législatif, à l’article L. 110-1 du code de l’environnement. Il s’impose donc au pouvoir réglementaire. Avant d’envisager de l’élever au rang constitutionnel, il vaut mieux attendre que la jurisprudence du Conseil d’État en la matière s’enrichisse.

Au niveau constitutionnel, ensuite, le Conseil constitutionnel a, plutôt que de consacrer un principe de non-régression, préféré souligner qu’il revient au législateur de prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, mentionné à l’article 2 de la Charte de l’environnement. Je crois qu’il convient de ne pas aller au-delà car le législateur doit pouvoir préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, comme celui de la protection de la santé, par exemple.

Enfin, il faut avoir conscience qu’inscrire dans le bloc de constitutionnalité le principe de non-régression diminuerait significativement le pouvoir du législateur avec un principe dont la portée est incertaine et aurait pour conséquence de confier aux juges le soin d’en apprécier la réalité.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement n’est pas favorable à l’intégration de la notion de non-régression au niveau constitutionnel. Si ce principe existe déjà dans la loi, il n’a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement veut laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d’autres principes constitutionnels, comme la protection de la santé. Dans un contexte de crise sanitaire comme celui que nous connaissons actuellement, cela peut être particulièrement important.

M. François-Michel Lambert. Je propose, moi aussi, de donner à cette notion de non-régression une valeur constitutionnelle, en prenant la précaution d’ajouter : « compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Cela permet d’intégrer le fait que des progrès scientifiques ou technologiques pourraient nous amener à corriger des décisions prises par le passé s’il s’avère que d’autres stratégies seraient préférables, par exemple sur la question du climat. L’intérêt de cet amendement, c’est qu’il adosse le principe de non régression à la prise en compte des évolutions scientifiques et technologiques.

Monsieur le rapporteur, peut-être vous ai-je mal compris, mais vos propos m’ont étonné. On ne peut pas à la fois inscrire à l’article 1er de notre Constitution qu’il est essentiel de lutter contre le dérèglement climatique et accepter que les parlementaires qui nous succéderont puissent revenir en arrière. Vous dites qu’il faut laisser leur liberté aux parlementaires mais je pense, moi, que le principe de non-régression est supérieur à cette liberté : il ne faut pas qu’ils puissent un jour, peut-être dans dix-huit mois, revenir sur les avancées que nous avons introduites et détruire l’avenir de nos enfants.

Mme Delphine Batho. Mon amendement a le même objet que celui d’Erwan Balanant, mais je propose de faire cet ajout ailleurs dans la Charte.

Monsieur le garde des Sceaux, je ne suis pas surprise que vous ayez dit que le Gouvernement n’était pas favorable à l’inscription du principe de non régression dans la Constitution, puisque cela correspond à la pratique du gouvernement actuel, qui a fait adopter la loi autorisant le retour des néonicotinoïdes, la plus grave régression en matière de protection de l’environnement de ces dernières années.

L’inscription du principe de non-régression, ou de progression constante – je préfère d’ailleurs cette formulation – serait le minimum pour que cette réforme constitutionnelle ait un intérêt réel, c’est-à-dire pour qu’elle apporte réellement quelque chose à l’état du droit constitutionnel concernant la biodiversité, le climat et l’environnement. C’est le seul principe qui ne figure pas dans la Charte de l’environnement. On aurait pu considérer qu’il figurait déjà à l’article 2, où il est question de l’« amélioration de l’environnement », mais la décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre dernier, qui a considéré comme constitutionnel le retour des néonicotinoïdes, a montré qu’il est absolument indispensable d’inscrire dans la Constitution le principe de non-régression. Ce recul majeur est intervenu après que la Convention citoyenne pour le climat a formulé ses propositions. Il est certain, parce que c’est une question de bon sens, que si la Convention avait rendu ses propositions en décembre ou en janvier, elle aurait demandé l’inscription du principe de non-régression dans la Constitution.

Je n’ai pas bien compris, monsieur le garde des Sceaux, l’opposition que vous faites entre environnement et santé humaine. Si je sais pourquoi de très grandes entreprises polluantes sont contre le principe de non-régression, si je sais pourquoi les fabricants de pesticides sont contre le principe de non-régression, en revanche, je dois dire que l’opposition entre environnement et santé humaine m’échappe totalement, tant les deux choses me semblent liées.

Nos amendements ne visent pas à rendre les lois intangibles. Ce que nous demandons, c’est que le législateur ait désormais l’obligation d’accroître, et en tout cas de maintenir, le niveau de protection de l’environnement. Que les moyens et le cadre juridique puissent varier, c’est ce que nous voulons signifier en ajoutant : « compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Il ne s’agit pas de dire que les lois ne pourront plus changer ; il s’agit d’introduire une obligation, non seulement de moyens, mais de résultats, l’obligation, pour la Nation, de marcher en avant.

M. Julien Aubert.  Qu’est-ce qu’une régression ? Ce mot, en lui-même, a quelque chose de subjectif. Une régression, ce n’est jamais bon, mais ce qui constitue une régression pour quelqu’un peut être considéré par un autre comme, disons, une adaptation pragmatique. Nous n’allons pas rouvrir le débat sur les néonicotinoïdes – même s’il faudra un jour qu’on m’explique comment on fabrique du miel de betterave –, alors prenons plutôt l’exemple de la centrale de Fessenheim. Sa fermeture est une régression puisque, en l’état actuel des technologies, le nucléaire est une industrie décarbonée. Mais je ne suis pas certain que les écologistes qui se sont exprimés avant moi qualifieraient la fermeture de Fessenheim de régression. Un concept juridique qui est fondé sur une évaluation politique me semble très mauvais : il aboutira, soit à politiser la justice, soit à ouvrir des débats sans fin, soit, enfin, à transformer des instances judiciaires en juges techniques. Au lieu d’analyser le droit, les juges devront se pencher sur des débats techniques et se faire experts des insecticides ou des technologies nucléaires, ce qui n’est pas, à l’origine, le rôle du Conseil constitutionnel, ni des juges en général.

Surtout, je trouve que ce principe est une insulte à l’intelligence. Les propos de M. Lambert, comme ceux de Mme Batho, fleurent bon la méfiance vis-à-vis de la démocratie. Mme Batho nous a expliqué que, compte tenu du caractère plébiscitaire des référendums, il était préférable de ne pas poser de questions sur l’environnement au peuple, parce qu’il serait capable de voter contre son propre intérêt. M. Lambert, quant à lui, nous a expliqué qu’il fallait se méfier de la liberté des parlementaires et qu’il serait préférable de les enserrer dans des principes, comme si nous n’étions pas capables, intelligemment, de chercher l’intérêt général. Je doute qu’il y ait, parmi les parlementaires, des gens qui souhaitent une régression environnementale ou qui soient des adversaires de l’environnement.

Je suis contre cette dictature de l’expert qui passe par le gouvernement des juges. Elle consiste à dire qu’il faut se méfier des politiques, qui sont élus, et faire confiance aux juges, qui sont nommés, et qui, sur la base de principes nébuleux, vont décider pour nous. Voilà ce j’appelle une régression démocratique !

M. Matthieu Orphelin. Je voterai ces amendements. Je me réjouis, monsieur Balanant, que nous soyons d’accord sur certains points ! L’avocat Arnaud Gossement avait déjà écrit des choses très intéressantes au moment de l’examen de la loi sur les néonicotinoïdes. Il est vrai que notre débat paraît un peu surréaliste, quelques mois après l’adoption de cette loi… Monsieur Aubert, je crois qu’il faut que vous réécoutiez l’intervention de Delphine Batho, car ce n’est pas du tout ce qu’elle a dit – peut-être votre décodeur n’était-il pas bien branché ce matin.

Mme Aina Kuric. Je comptais défendre, un peu plus tard, un amendement de Maina Sage qui propose également de conférer au principe de non-régression une valeur constitutionnelle, mais je préfère intervenir maintenant.

En inscrivant le principe de non-régression dans notre Constitution, nous affirmons que la protection de l’environnement doit connaître une progression constante. C’est nécessaire pour que le Conseil constitutionnel puisse, non seulement se saisir de ce principe, mais préciser son sens et sa portée. Il lui sera ainsi possible de concilier ce principe constitutionnel avec d’autres lois et libertés du bloc de constitutionnalité. Ce principe s’évalue en fonction des informations que nous avons au moment où nous prenons nos décisions. Je souhaite toutefois nuancer les propos qui ont été tenus sur les néonicotinoïdes. Sans vouloir rouvrir ce débat, leur réintroduction ne concerne que la culture de la betterave, pour laquelle nous avions constaté que les techniques utilisées pour compenser leur disparition constituaient une régression plus grave encore.

Mme Danièle Obono. Je voterai moi aussi ces amendements, qui ont le mérite de mettre en lumière le caractère assez superficiel de ce projet de loi, où il n’est pas question de conférer au principe de non-régression, ou de progression constante, une valeur constitutionnelle.

Monsieur Aubert, nous sommes en train de parler de la Constitution, un texte fondamental qui s’impose à nous et auquel nous sommes, par définition, tenus. Ce que nous y écrivons doit donc s’imposer à nous, comme à ceux qui nous succéderont. Ou alors nous n’accordons plus d’importance aux principes constitutionnels et nous entrons dans un autre régime… C’est bien de cela qu’il s’agit, et c’est pourquoi nous tenons à inscrire ce principe dans le texte fondamental.

Pour notre part, nous pensons qu’il faudrait convoquer une Assemblée constituante, mais l’adoption de ces amendements serait au moins un signal, et un symbole. Votre refus de les adopter montre malheureusement que le Président de la République et la majorité ne sont pas sérieux sur ce sujet.

M. Gérard Leseul. Le groupe Socialistes et apparentés avait déjà pris position en faveur de cette disposition en 2018 et je ne peux donc que soutenir ces amendements. Je préfère, moi aussi, à la notion de « non-régression », celle de « progression constante ». La Constitution a vocation à protéger et à encadrer l’ensemble de notre dispositif législatif et il convient donc de préciser ce que nous y inscrivons.

Par ailleurs, la prise en compte de l’état des connaissances, qui est une marque de modestie, est une manière de préserver l’avenir.

Enfin, comme ma collègue Delphine Batho, je ne comprends pas pourquoi, monsieur le garde des Sceaux, vous opposez la progression constante de la protection de l’environnement à la santé. Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ?

M. François-Michel Lambert. Je n’ai toujours pas compris pourquoi l’introduction d’un principe de non-régression dans la Constitution poserait problème.

Prenons l’exemple des néonicotinoïdes. En 2016, nous avons voté leur interdiction au 1er janvier 2021. Mais à l’été 2020, les meilleures connaissances scientifiques ont permis d’établir qu’il était impossible de ne pas en autoriser l’usage dans un cas très précis. Le Gouvernement a donc présenté un projet de loi à cet effet, que la majorité a adopté. Ni mon amendement ni ceux de nos collègues n’empêcheront de procéder ainsi, au contraire : ils consolident politiquement le choix de ceux qui voudront revenir sur un vote. Inscrire dans la Charte de l’environnement le principe de non-régression en l’adossant aux connaissances scientifiques et techniques du moment permet en effet de consolider une démarche telle que celle consistant à surseoir en 2020, sur la base d’éléments probants, à l’interdiction des néonicotinoïdes décidée en 2016.

Cela faciliterait même son acceptation politique, qui pour l’heure est inexistante, ce qui suscite à l’égard de chacun d’entre nous, que l’on ait voté pour, contre ou que l’on se soit abstenu, une défiance accrue parmi nos concitoyens. L’inscription dans la Charte de l’environnement du principe de non-régression, adossé aux « connaissances scientifiques et techniques du moment », pour reprendre la formulation de mon amendement, renforce l’esprit dans lequel nous nous inscrivons : refuser tout recul, sans entraver la liberté, voire la force, de l’action du parlementaire amené à modifier une loi du passé.

M. Erwan Balanant. Il y a une incompréhension sur ce qu’est le principe de non-régression et sur ce que nous devons porter. Nous avons, à l’égard de l’environnement, un devoir de protection, et, dans certains territoires, d’amélioration, voire de reconquête. Ce travail relève de l’action des pouvoirs publics et des acteurs privés – il faut cesser de penser que l’État peut tout sur ces questions. Le principe de non-régression s’applique, quant à lui, à la loi. Il doit permettre d’obtenir des effets de cliquet, consolidant les seuils atteints dans la loi. C’est là que réside l’incompréhension : si les industriels, une fois les néonicotinoïdes interdits, mettent au point une substance qui est pire, le principe de non-régression n’est pas respecté.

Il faut donc assurer l’amélioration de l’environnement d’un côté, et prévoir la non-régression de nos règles au sein du bloc de constitutionnalité de l’autre. Notre Constitution a évolué en trois temps : l’adoption des libertés en 1789, du bloc social en 1946 et du bloc environnemental en 2005. Notre société repose sur ces trois piliers, sachant que le troisième doit être renforcé. Mais le principe de non-régression n’a pas pour objet d’introduire une obligation de résultat s’agissant de l’interdiction d’un produit donné ou de la fermeture d’une centrale nucléaire. Il s’applique au droit. Notre société doit s’engager à ne pas réduire son niveau d’exigence juridique. Tel est l’objet de mon amendement.

Mme Delphine Batho. L’introduction d’un principe de progression constante dans la Charte de l’environnement ne porte nullement atteinte au fait que toute loi doit respecter les objectifs à valeur constitutionnelle dans leur diversité, et donc procéder à leur conciliation.

Par ailleurs, je suis obligée de répondre à notre collègue Julien Aubert. Moi, j’aime la France, et ne regrette pas de ne pas vivre en Suisse. Je n’en constate pas moins que le référendum, dans les institutions de la Ve République, est un plébiscite – un certain Charles de Gaulle en avait du reste tiré les conséquences. En tant qu’écologiste, non seulement je suis favorable à la modification des institutions de la Ve République, pour y introduire la votation citoyenne et supprimer l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, mais je refuse que l’on joue à la roulette russe d’un plébiscite l’avenir de décisions importantes en matière écologique. Ma position n’a donc rien à voir avec la question du suffrage populaire.

M. Sébastien Huyghe. L’introduction du principe de non-régression dans la Charte de l’environnement pose problème. Elle pourrait nous placer bien souvent dans des situations où nous dépendrions d’appréciations davantage subjectives qu’objectives. Le débat que nous avons ce matin montre que la subjectivité l’emporte dans les différentes interventions.

Par ailleurs, je réponds à M. Balanant qu’il ne suffit pas de s’en remettre aux connaissances scientifiques. Bien souvent, les scientifiques sont divisés et se contredisent entre eux.

M. Erwan Balanant. Je viens de dire le contraire !

M. Sébastien Huyghe. Au cours de la crise sanitaire, il est arrivé que plusieurs autorités médicales reconnues ne soient pas sur la même ligne et tiennent des discours contradictoires. La modification proposée posera davantage de problèmes qu’elle n’apportera de solutions. L’adopter serait une grave erreur.

M. Philippe Gosselin. La constitutionnalisation du principe de non-régression me paraît bien délicate. Certes, ce ne serait pas la première fois qu’un principe constitutionnel serait créé ex nihilo – les grandes étapes de la progression des droits de l’Homme et de la liberté le rappellent. Mais la rédaction des amendements me semble emporter une conséquence fâcheuse : la soumission, sinon au diktat, du moins à l’appréciation des connaissances scientifiques et techniques du moment.

Il en résulte deux inconvénients. D’abord, leur point d’équilibre fait l’objet de bien des divergences, d’autant que toutes ne sont pas également fiables. Cette variabilité peut introduire des mouvements de yo-yo, de va-et-vient, qui peuvent être fâcheux pour la sécurité juridique des dispositions adoptées. Ensuite, donner le primat aux aspects scientifiques et techniques me pose problème. Je revendique au contraire le primat du politique. Nous pouvons nous opposer au sujet de démarches volontaristes et défendre des visions différentes de la société, mais ce point devrait nous réunir. C’est au politique, responsable devant les citoyens et devant la République, qu’il revient in fine de faire des choix.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Ce n’est pas à vous que je le rappellerai, dans une grande démocratie, quel que soit le sujet que l’on aborde, il y a toujours les pour et les contre. Prenons comme exemple la réforme de la partie législative du code de justice pénale des mineurs : certains disent que c’est un progrès, d’autres que c’est une régression. Il en va de même pour le projet de loi confortant le respect des principes de la République.

M. Julien Aubert. Nous sommes d’accord sur ce constat !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Pour une fois !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Si je ne reprends pas à mon compte tout votre discours, sur le point très précis du caractère aléatoire de l’appréciation de ce qu’est une régression, je ne peux qu’être d’accord avec vous. Si je demandais à l’instant aux membres de cette commission de se prononcer sur la fermeture des centrales nucléaires, certains diraient que c’est un progrès, d’autres que c’est une régression. De toute évidence, on ne peut pas modifier un texte constitutionnel avec un tel degré d’incertitudes.

Mme Batho a parlé de roulette russe, et M. Aubert de martingale : j’y vois un double signe sémantique. La phrase que le texte propose d’introduire est courte, claire, et comporte des verbes forts, ce qui me semble plus efficace qu’une formulation aux effets aléatoires. En l’espèce, comment définir une régression ? Qui jugera qu’une régression est avérée ? Les scientifiques seront-ils d’accord ? La communauté scientifique sera-t-elle divisée ?

Madame Batho, je vous entends claquer des doigts, mais je n’ai pas achevé mon propos. La Constitution, dont je suis le garant en ma qualité de garde des Sceaux, ne peut pas inclure une disposition aux effets aléatoires. Que vous le vouliez ou non, la notion même de régression relève de notre subjectivité, laquelle n’a pas sa place dans un texte constitutionnel.

La Commission rejette successivement les amendements CL69, CL37 et CL9.

Puis elle examine l’amendement CL41 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Il prévoit de compléter l’article 6 de la Charte de l’environnement par la phrase suivante : « Elles sont conformes à l’objectif de lutte contre le changement climatique ». Il procède du même esprit que mes amendements précédents. L’exigence demeure inchangée : il s’agit de parvenir à un équilibre entre la Charte de l’environnement et la modification de l’article 1er de la Constitution.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. J’émets un avis défavorable pour les raisons exposées précédemment. En outre, il ne semble pas opportun de nous lancer dans une modification de la Charte de l’environnement, qui est intégrée au bloc de constitutionnalité. Cela pourrait ouvrir la voie à de nombreuses modifications. Le projet de loi qui nous est soumis à vocation à être adopté directement par le peuple français, par voie référendaire. Dans sa version initiale, il est clair et compréhensible par tous. Il ne me semble pas nécessaire de le rendre complexe.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

Mme Delphine Batho. Bien entendu, le garde des Sceaux est libre de ses propos. Les parlementaires, quant à eux, sont en droit d’obtenir des réponses s’ils posent une question précise. J’ai posé une question précise : comment pouvez-vous opposer l’écologie et la santé ? Je n’ai pas eu de réponse.

Par ailleurs, veuillez me pardonner d’avoir bondi, monsieur le garde des Sceaux, mais je suis au regret de dire que les réalités du changement climatique et de l’extinction du vivant ne sont ni aléatoires ni subjectives, et qu’elles font l’objet d’un consensus implacable au sein de la communauté scientifique. La question de savoir s’il y a régression ou non se tranche à cette aune.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Madame Batho, ce procédé n’est pas correct. Vous ne ferez pas de moi un climatosceptique au motif que j’ai dit que la notion de régression est aléatoire. Voyez-vous, les mots ont un sens. Introduisons le débat sur le nucléaire, vous constaterez que les députés ne sont pas tous d’accord ! Il en ira de même au sujet de la notion de régression. Pour ne pas heurter votre sensibilité, j’ai pris d’autres exemples ; j’ai ainsi fait observer que la réforme de la partie législative du code de justice pénale des mineurs était pour certains un immense progrès, et pour d’autres une régression. Sur le terrain économique, je suis assez fier de ce que fait le Gouvernement, j’en suis même très fier, mais d’autres considèrent qu’il ne fait pas ce qu’il faudrait faire. En démocratie, il n’existe pas un seul sujet qui ne fasse pas l’objet de divergences. Tel sera donc le cas de la notion de régression. Or je dis que la Constitution ne peut se permettre l’aléatoire. Vous avez repris frénétiquement la parole pour dire qu’on ne pouvait pas contester certaines choses, que d’ailleurs je n’ai pas contestées – ne faites pas de moi un climatosceptique, je n’en suis pas un.

Quant à votre question, vous avez raison de dire que je n’y ai pas répondu. Imaginons qu’une crise sanitaire inédite et dévastatrice nous frappe demain. Il serait alors nécessaire que le législateur prenne des mesures de protection immédiate des populations, telles que la décontamination du territoire à grande échelle. Ne pensez-vous pas qu’elles auraient des effets sur l’environnement à long terme ? Voulez-vous museler le législateur et le Gouvernement par des positions trop rigides ? C’est un exemple – je pourrais en citer bien d’autres. Bien entendu, il ne s’agit pas d’opposer environnement et protection de la santé ; ces deux notions vont même de pair. Mais, dans certaines situations, le législateur et le Gouvernement doivent pouvoir recouvrer toute leur liberté.

M. Matthieu Orphelin. Soyons attentifs, les uns et les autres, aux mots que nous utilisons. Monsieur le garde des Sceaux, j’ai été un peu choqué de vous entendre dire que Delphine Batho parle « frénétiquement ». D’après le dictionnaire, la frénésie désigne un état d’exaltation violente ou une violence extrême. Rien de tel en l’espèce.

Par ailleurs, nous allons examiner soixante-dix-sept amendements, ce matin. L’un d’entre eux fera-t-il l’objet d’un avis favorable de la Commission ou du Gouvernement ?

M. François-Michel Lambert. J’aimerais revenir sur le fond de l’amendement, après ces quelques passes d’armes et ces jolis claquements de doigts.

Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas la position consistant à dire qu’il ne faut absolument pas toucher à la Charte de l’environnement. Vous semblez considérer que les Français prendront la mesure de la modification de l’article 1er de la Constitution, alors même qu’il serait extraordinaire d’en trouver un sur cent qui le maîtrise dans sa forme actuelle, et qu’ils ne comprendraient pas que l’on modifie la Charte de l’environnement. Ou bien j’ai mal compris votre réponse, ou bien il faut conserver l’équilibre trouvé dans la construction de la Constitution. Si l’article 1er évolue et inclut désormais la lutte contre le changement climatique, la Charte de l’environnement doit évoluer à l’unisson. À défaut, le texte sera bancal, ce qui me laisse sceptique sur la façon dont les juges se prononceront.

M. Julien Aubert. Je rappelle que l’écologie n’est pas une religion. On ne peut pas aborder la lutte contre le réchauffement climatique comme s’il s’agissait d’un dogme du Vatican. Même si nous avons une croyance partagée, l’écologie est une politique comme les autres. Les moyens pour parvenir à un résultat doivent faire l’objet d’une discussion, sans que l’expression d’un désaccord avec la pensée officielle vous expose à être traité de païen, comme au Moyen-Âge, et traîné sur un bûcher médiatique. Telle est parfois l’impression que j’éprouve en entendant dire qu’il faut se méfier de la démocratie, et que les Français ne sont pas capables de répondre à une question. Je rappelle que nous avons bâti la démocratie, depuis les Lumières, pour échapper à des gens qui, en chaire, affirmaient qu’il y a une vérité révélée et vous faisaient finir au cachot en cas de désaccord. Ne nous livrons pas à une régression démocratique. Sur ce point, je suis d’accord avec M. le ministre, une fois n’est pas coutume.

En revanche, nos opinions divergent sur l’amendement dont nous débattons. M. François-Michel Lambert règle le problème auquel nous nous sommes heurtés au tout début de ce débat. Vous nous aviez expliqué qu’on pouvait invoquer les articles mais pas les considérants de la Charte de l’environnement dans une question prioritaire de constitutionnalité. Or l’amendement porte sur l’article 6 de la Charte de l’environnement. Nous pouvons donc très bien atteindre l’objectif de lutter contre le changement climatique en l’adoptant. Faute d’argument juridique à lui opposer, M. le rapporteur et M. le ministre se sont contentés d’exprimer un avis défavorable. Circulez, il n’y a rien à voir !

Monsieur le garde des Sceaux, en quoi la solution que vous proposez apporte-t-elle une plus-value ?

M. Rémy Rebeyrotte. Je partage les propos de M. le garde des Sceaux. Il n’est pas climatosceptique, moi non plus. Je soutiens le présent projet de loi qu’il présente. La Charte de l’environnement est un texte important, qui fait partie du bloc de constitutionnalité.

Toutefois, si nous rouvrons la discussion à son sujet, quid du débat que nous devrions avoir sur le maintien du principe de précaution ? Depuis quinze ans, son application, prévue à l’article 5, soulève de vraies questions, dans une société qui doit forcément innover, prendre des risques, chercher et rechercher, notamment pour réussir sa transition écologique. On ne peut pas réussir une telle mutation de notre économie et de notre société sans innover ni prendre des risques.

Je suis de ceux qui demandent un réexamen rapide du principe de précaution, pour innover et faire avancer à nouveau notre pays. Récemment encore, nous avons eu l’exemple d’innovations venues d’ailleurs, ce qui m’exaspère profondément. Je préférerais que la France soit à l’origine d’innovations compatibles non seulement avec la transition écologique, mais aussi avec le progrès.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, si j’ai bien compris, vous avez répondu à notre collègue François-Michel Lambert qu’il fallait s’en tenir à une formulation simple et que, si nous amendons trop le texte, les gens ne s’y retrouveraient plus. Je rappelle que nous avons ce débat parce que le Président de la République a décidé de l’ouvrir. Vous ne pouvez donc pas faire grief aux parlementaires que nous sommes de vouloir le mener à son terme, et de ne pas se contenter de l’ajout de trois mots. Par ailleurs, les citoyens et les citoyennes ont démontré à plusieurs reprises qu’ils pouvaient s’emparer de textes très complexes, dès lors que l’enjeu était clair et la décision suivie d’effet. Tel a été le cas, par exemple, lors du référendum de 2005.

Monsieur le ministre, il ne s’agit pas de vous qualifier de climatosceptique, mais de rappeler que les enjeux climatiques reposent non sur des éléments aléatoires, mais sur un consensus scientifique construit depuis plusieurs décennies et très largement partagé, même s’il y a toujours des scientifiques pour le remettre en cause. Ce qui est vrai, c’est que le principe de non régression, comme tous les principes, y compris ceux qui figurent dans la Constitution, est subjectif. Ainsi, la façon dont nous considérons la notion de liberté ou les droits sociaux, qui sont inscrits dans la Constitution, est aléatoire, au sens où elle dépend de notre sensibilité politique. Cela n’a pas empêché leur inscription dans la Constitution, qui est une question de rapport de force politique. Par conséquent, votre objection selon laquelle l’adoption de certains amendements mettrait en péril la solidité du socle constitutionnel ne tient pas. En fonction du rapport de force dans lequel nous sommes, nous irons vers une véritable transition écologique ou vers un simple effet de communication à visée électoraliste, comme nous craignons que le Président de la République et la majorité n’en aient l’intention.

M. Christophe Euzet. Ce débat est important et sensible. Il porte sur un sujet crucial. La perception de ce projet de loi peut être différente. Pour ma part, j’y vois une avancée significative dans la préservation de l’environnement et dans la poursuite des objectifs que nous visons. Il serait préjudiciable et risqué de surcharger le texte.

Par ailleurs, je souscris aux propos de Rémy Rebeyrotte. Lorsque l’on est constitutionnaliste, ce qui est mon cas, et qu’on a travaillé avec un tant soit peu d’attention sur le principe de précaution depuis son intégration dans l’ordre normatif, on est conscient de la menace assez significative de paralysie de l’action publique que l’introduction du principe de non-régression dans la Constitution aurait indubitablement pour effet de renforcer, en renouvelant l’incertitude du droit positif.

Plusieurs d’entre nous se sont inquiétés de la confiance que l’on peut avoir dans le peuple. Je considère quant à moi qu’il a fait preuve d’une grande sagesse dans la rédaction qu’il a proposée, selon laquelle la République française « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Cette formulation me semble raisonnable. Je ne partage pas l’inquiétude de ceux qui s’émeuvent, comme notre collègue Aubert, des difficultés de définition qu’elle peut poser. Le juge est appelé à faire une interprétation circonstanciée des textes, dans un domaine donné. En revanche, je le rejoins sur un point : il y a un risque à poser des dogmes indépassables au respect desquels nous serions irrémédiablement tenus, et les générations futures après nous.

M. Matthieu Orphelin. Faut-il inscrire la référence au changement climatique dans la Charte de l’environnement, où elle ne figure pas, ou à l’article 1er de la Constitution ? Le débat est ouvert puisque les deux ont valeur constitutionnelle. Ce qui m’a fait opter pour la seconde possibilité c’est le risque que certains tentent de profiter d’une introduction dans la Charte de l’environnement pour l’amoindrir. Cela relève de positions politiques que je respecte, mais que je ne partage en rien. Il en est ainsi de celle exprimée par notre collègue Rebeyrotte et saluée par beaucoup d’autres. Voilà les menaces auxquelles nous sommes confrontés !

Nombreux ont été ceux qui ont tenté de faire échouer la Charte de l’environnement mise en œuvre par une majorité de droite. Je déduis des propos de notre collègue Rebeyrotte que beaucoup vont essayer d’affaiblir le principe de précaution, au motif qu’il entrave l’innovation. Je suis radicalement opposé à cette vision, comme à celle qui consiste à dire qu’il menace l’action publique. Il ne faut donc pas rouvrir le débat sur la Charte de l’environnement pour éviter d’affaiblir le principe de précaution, qui n’est en rien incompatible avec l’innovation et l’action publique, mais constitue bel et bien une nouvelle ligne de fracture idéologique avec les députés LaREM. Les propos que j’ai entendus à ce sujet me font froid dans le dos.

M. Sylvain Waserman. J’aimerais faire part de ma perspective personnelle sur notre débat. Il y a, me semble-t-il, quelque chose de fondamental et de vertigineux, au sens positif du terme, dans le texte que nous examinons.

Nous nous apprêtons à affirmer que la France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique – autant de sujets qui nous tiennent à cœur. Le mérite de l’innovation qu’a été la Convention citoyenne pour le climat réside dans la clarté et la simplicité. Nous débattons de l’inscription, dans notre loi fondamentale, de ce principe. Nous allons droit au but !

À la lecture du texte, mes cours de légistique me sont revenus en mémoire, et l’entreprise m’a semblé vertigineuse. Ce que nous faisons n’est pas anecdotique. Il s’agit d’un saut kantien, et non d’un peaufinage ou d’un habillage. Pour ce faire, nous modifions l’article 1er de la Constitution. Certains orateurs, notamment M. Aubert, considèrent que la modification de la Charte de l’environnement suffirait. Tel n’est pas le cas.

Nous nous apprêtons à franchir une étape majeure. Faisons-le dans la clarté et la simplicité ! N’essayons pas de trouver des voies détournées en convoquant le principe de non-régression ou en proposant l’ajustement de quelques passages de la Charte de l’environnement ! Faisons ce saut, certes vertigineux, mais qui s’impose ! Il est majeur et déterminant. Allons droit au but !

M. François-Michel Lambert. Belle tirade de notre collègue Rebeyrotte, qu’il a achevée en suggérant que le progrès ne peut être contesté ! Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez affirmé avec force, à grand renfort d’arguments, que la définition du principe de non régression dépendait du point de vue où l’on se place, et qu’elle n’était pas toujours solide du point de vue juridique et constitutionnel.

Le progrès est-il un élément de force et de puissance indépassable ? Tel qu’il est défini par certains, est-il par essence positif ? Cher collègue Reyberotte, je vous invite à lire ou à relire Ravage, publié par René Barjavel en 1943. Vous y trouverez des notions sur le progrès. Il est indéniable que nous devons être attentifs, en commission des Lois, s’agissant de la modification de la Constitution, à ne pas utiliser de tels arguments.

Je ne comprends pas qu’il soit impossible d’ouvrir le débat sur la Charte de l’environnement et de la mettre en conformité avec nos objectifs. Pour ma part, je n’ai jamais critiqué la modification de l’article 1er. L’amendement CL41 vise uniquement à la renforcer, en prévoyant la même disposition dans la Charte de l’environnement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je remercie M. Waserman, qui a remis les pendules à l’heure. Nous allons débattre, et c’est bien normal, mais qui ici peut affirmer que le présent projet de loi ne constitue pas une avancée majeure ? L’État s’engage comme il ne l’a jamais fait.

Pour répondre à M. Orphelin – mais il est parti –, j’ai craint, en l’entendant citer le dictionnaire, d’être allé trop loin. Certes, nous ne sommes pas à l’Académie française, mais j’ai moi aussi consulté le dictionnaire en ligne, et constaté que « frénétiquement » a pour synonyme « passionnément », ce qui me convient parfaitement. J’aurais choisi cette définition si l’on m’avait permis de m’expliquer plus avant sur ce choix de vocabulaire. Je m’apprêtais à présenter des excuses, mais il me semble que l’adverbe « passionnément » ne devrait choquer personne. Nous avons raison d’être passionnés sur ces sujets.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques CL10 de Mme Delphine Batho et CL33 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Delphine Batho. Avec passion, donc, mais en déplorant que les débats de vocabulaire portent sur les interventions des députées et non sur celles de leurs collègues masculins !

Soyons clairs : le projet de loi, en l’état, ne permet pas de progrès significatif du droit constitutionnel en matière de lutte contre le changement climatique ou de préservation de l’environnement. Le vrai progrès consisterait à inscrire dans la Constitution le principe d’amélioration constante. À ce sujet, il faut lever une incompréhension : l’amélioration constante s’entend par rapport à l’état des connaissances scientifiques. Il s’agit donc d’une obligation de résultat et non d’une obligation de moyens, qui rendrait intangible la législation.

L’amendement CL10 vise à modifier l’article 1er de la Constitution, qui caractérise la République française comme « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », en précisant qu’elle est aussi « écologique ». Cette affirmation politique est importante s’agissant de la définition de la nation française au XXIe siècle.

M. Gérard Leseul. L’amendement CL33 a déjà été proposé par mon groupe dans le cadre de l’examen du projet de réforme constitutionnelle de 2018. Je ne ferai pas référence aux débats pseudo-scientifiques sur la vaccination ni aux débats théologiques que mes collègues évoquaient tout à l’heure. Mais, dans un texte que vous souhaitez court et dans ce monde où tout est subjectif et symbole, il semblerait utile de renforcer la portée symbolique du texte, pour y introduire très clairement cette dimension écologique. Ce serait une avancée majeure et une affirmation politique forte qui donnerait un sens à l’ensemble de la proposition de modification constitutionnelle. Il faut rester dans la clarté et la simplicité, comme le souhaite le Gouvernement dans cet article. Notre proposition est simple et claire et mérite d’être adoptée.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Je comprends l’objectif et la philosophie de vos amendements. L’idée que la France serait non seulement « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » mais également « écologique » est philosophiquement et politiquement très forte. Au fond, c’est ce que nous faisons dans le texte que nous examinons aujourd’hui, en garantissant la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et la lutte contre le changement climatique. Le problème de votre proposition, c’est que vous introduisez un terme qui est symboliquement très fort mais qui n’emporte aucun contenu. Je préfère intégrer dans la Constitution un véritable engagement de la France à garantir ces principes plutôt que d’avoir une déclaration sans réel contenu. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement ne souhaite pas changer la définition de la République. Puis comment définir ce qu’est la « République écologique » ?

Madame Batho, souvent à l’Assemblée nationale, je tiens des propos assez durs à l’encontre de députés hommes – n’est-ce pas, monsieur Aubert ? – mais toujours courtois. Vous n’êtes pas l’arbitre des élégances et je ne veux pas me laisser enfermer là où vous le souhaiteriez. J’aurais pu dire à n’importe quel autre député homme qui claquait des doigts que c’était frénétique. Aussi, arrêtons avec ce sujet. Nous ne nous connaissons pas, je le regrette. La porte de la Chancellerie est ouverte. Mais pas de préjugés, madame, sûrement pas ! Cela suffit. Je ne suis pas climatosceptique. Je n’ai aucune opposition contre les femmes ni contre les femmes en politique. Le débat que nous avons aujourd’hui mérite autre chose que cela. Je me suis simplement permis de répondre à M. le député Orphelin, qui vient de revenir, que j’avais fait comme lui et que j’avais vu, dans un dictionnaire, que l’un des synonymes proposés pour « frénétiquemement » était « passionnément ». C’était un petit clin d’œil que je vous adressais et en aucun cas une agression.

Avis défavorable.

M. Julien Aubert. Nous ne sommes pas à l’Académie française et, monsieur le ministre, vous venez de le réaliser. Néanmoins, le débat sémantique que nous avons montre bien le travers du texte : à force de débattre des mots, on en oublie l’action. C’est ce qui me gêne dans cet amendement. J’ai l’impression que, à défaut d’avoir une emprise sur le réel et au lieu de se demander comment nous pourrions financer six EPR ou garantir la stabilité du réseau électrique ou encore pourquoi nous avons des myriades d’études promettant 100 % d’énergies renouvelables, alors que ce n’est pas possible techniquement, on se fait plaisir en donnant dans le symbole. On mouline du symbole. Ce n’est pas tant la République écologique que celle du sens qu’on veut donner. Je ne suis pas certain que changer les mots ait un véritable effet sur la réalité. Au contraire, nous devrions plutôt agir sur le réel, à la suite de quoi les mots viendraient. Nous pouvons, nous aussi, jouer au jeu du plus grand symbole ! Pourquoi ne pas modifier la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour dire que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits et protègent et garantissent l’environnement » ? Est-ce que cela réduirait d’un iota nos émissions de CO2, lesquelles tendent, certaines années, à augmenter malgré nos efforts ? Non. Le Parlement vote des lois pour avoir des résultats. Ce n’est pas une commission de l’Académie française pour discuter de la variation des mots.

M. Arnaud Viala. La question posée par l’amendement ouvre un champ infini. Si la République doit être écologique, elle doit aussi être économique, agricole, et ainsi de suite. Notre réflexion doit porter sur les moyens d’atteindre un objectif de préservation de l’environnement. On ne peut pas caricaturer ceux, parmi lesquels je me trouve, qui ne veulent pas que l’on introduise ce terme à l’article 1er de la Constitution, en disant qu’ils ne veulent pas agir en faveur de l’environnement. C’est déplacer le débat là où il ne doit pas être.

Mme Delphine Batho. Je souhaite faire un rappel au règlement, parce que cela devient franchement inconfortable et gênant ! (Exclamations.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il n’y a pas de rappel au règlement en commission.

Mme Delphine Batho. En tant que femme politique, en tant que députée, je voudrais que l’on parle de ce que je dis, de mes arguments, et qu’il n’y ait pas de commentaires sur des comportements ou des attitudes. Monsieur le garde des Sceaux, cela fait plus de dix ans que je suis députée de la République française. Il est de coutume, dans l’hémicycle, comme en commission, de claquer des doigts simplement pour appeler l’attention de la présidence, lorsque l’on demande la parole. (Exclamations.)

Deuxièmement, monsieur le ministre, c’est la première fois de ma vie de parlementaire que j’ai ce type d’échange sur des éléments de vocabulaire me concernant avec un membre du Gouvernement. Vous avez le droit au respect, j’ai le droit au respect aussi. J’ai donc le droit d’exposer mes arguments sans qu’ils soient qualifiés de frénétiques. Cela revient, en gros, comme à chaque fois pour les femmes politiques, à être traitée d’hystérique.

Sur le fond…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous n’avez plus que vingt secondes pour le fond, madame Batho, malheureusement.

Mme Delphine Batho. J’aurai vingt secondes pour le fond, madame la présidente, mais c’était un rappel au règlement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il n’y a pas de rappel au règlement en commission, madame Batho.

Mme Delphine Batho. Bien sûr que si !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Et en commission des Lois, on ne claque pas des doigts !

Mme Delphine Batho. Madame la présidente, j’ai été membre de votre commission bien avant que vous n’en soyez présidente ! (Exclamations.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mais aujourd’hui vous n’en êtes pas membre, madame Batho. Et c’est effectivement moi qui préside. Les collègues pourront vous expliquer qu’en commission des Lois il n’y a pas de rappel au règlement et que personne ne claque des doigts, parce que je suis attentive et que je donne la parole à tout le monde, ainsi que je le fais depuis neuf heures et demie, avec dix ou quinze intervenants par amendement et des dépassements systématiques de temps, notamment de votre part. Ne vous plaignez pas d’être mal traitée en commission des Lois, car ce n’est pas le cas et que j’y veille particulièrement !

Mme Delphine Batho. Votre intervention était une grande preuve de sororité, madame la présidente !

Sur le fond, l’argument du garde des Sceaux selon lequel on ne pourrait pas compléter l’identité de la République française ne me paraît pas recevable. Cette identité s’est construite dans l’Histoire, avec des étapes. Aujourd’hui, il faut en franchir une nouvelle, ce qui n’enlève rien à la définition mais la complète et la prolonge.

M. Matthieu Orphelin. Merci, monsieur le garde des Sceaux, d’avoir eu la délicatesse et l’élégance de signaler que je m’étais absenté cinq minutes. (Exclamations.) Vous n’avez pas répondu à ma question : combien d’amendements vont recevoir un avis favorable du Gouvernement et du rapporteur ? La réponse, nous le savons, c’est zéro. Je crois, comme vous, qu’il faut changer l’article 1er de la Constitution. Néanmoins, la méthode n’est pas bonne. Étant donné qu’aucun amendement ne sera adopté aujourd’hui, je vous propose que le Gouvernement entame des concertations avec le Sénat pour savoir ce qu’il est prêt à accepter dans cette réforme, afin d’envisager sereinement la suite. Nous n’allons pas entrer dans votre stratégie politique. Quel intérêt de pouvoir dire que l’Assemblée a voté un « super » texte, mais que les « méchants » du Sénat n’en ont pas voulu et qu’ils sont contre l’environnement ? Nous n’avons pas de temps à perdre. Changez de méthode, si vous voulez que cette réforme aille au bout.

M. Erwan Balanant. Je suis assez triste de la teneur de nos débats, qui sont assez inhabituels dans notre Commission, où nous menons habituellement un travail de fond, serein, parfois agité mais jamais sur les personnes et toujours sur le sujet. Il est dommage que nous en soyons là aujourd’hui. C’est aussi un manque de respect vis-à-vis des 150 citoyens qui ont travaillé et à l’égard du débat que nous devons à cette question très importante. Je respecte le texte des citoyens. Je l’amende parce que je suis parlementaire et que j’ai un certain nombre de préoccupations sur plusieurs de ces sujets. Alors que les débats partent dans tous les sens, j’aimerais que nous essayions de retrouver un peu de sérénité et de travailler sur le fond au lieu d’être dans l’invective. Il est regrettable que les effets de la période électorale se fassent sentir dans notre débat.

M. Gérard Leseul. Nous avons en effet besoin de discuter sur le fond. Mais puisque cela, comme certains collègues en ont le sentiment, nous conduit à ne changer aucune virgule et à ne pouvoir ajouter ni soustraire le moindre qualificatif de cette phrase, la tenue de nos débats s’en ressent. Au-delà du symbole, ce sont des mesures concrètes qui ont été refusées, concernant la non‑régression, par exemple. Vous ne voulez pas de mesures concrètes. Nous vous proposons une affirmation politique forte, conforme à l’objet de vos discussions et de votre projet. Je ne comprends pas pourquoi vous vous obstinez à le refuser.

M. François-Michel Lambert. J’ai dit au tout début de notre réunion que je venais dans la « commission des lumières ». J’ose espérer que cet instant n’est qu’un nuage esseulé et un peu perdu qui, comme un navire sur les océans, vogue et ne fait que passer. Que ce serait positif si nous étions capables d’inscrire dans la Constitution « sociale et écologique » ! Contrairement à ce que disent certains, « écologique » n’est pas au même niveau que « agricole » ou « économique ». C’est l’essence même de notre vie. C’est l’essence même de ce que nous sommes, de ce que nous touchons, de ce que nous respirons. Avancer, faire ce progrès que d’autres ont fait serait un message d’une dimension autre que ce qui nous est proposé dans cet article.

Mme Émilie Guerel. Monsieur Orphelin, je vous rappelle que nous ne sommes pas là pour régler des comptes. En grand défenseur de la démocratie que vous êtes, laissez vivre un débat primordial, notamment pour notre jeunesse. Vous verrez bien à son issue quels amendements auront été adoptés. Madame Batho, je tiens à vous rassurer : votre proposition est très forte. Mais nous y sommes défavorables car ce que nous faisons en complétant l’article 1er de la Constitution, c’est garantir un véritable engagement de la France en matière de préservation de l’environnement, ce qui n’a jamais été fait par un gouvernement. Je vous invite donc à voter avec nous pour cette réforme constitutionnelle, qui satisfera, je l’espère, une passionnée d’écologie comme vous.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine l’amendement CL6 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. Dans la révision constitutionnelle qui n’est pas allée à son terme, en 2018, un amendement avait été adopté à l’unanimité, visant à supprimer le mot « race » de l’article 1er de la Constitution et à ajouter « sans distinction de sexe ». Même si ce n’est pas l’objet initial du projet de loi, cela me semble pertinent dans la mesure où, d’une part, on est en train de réformer l’article 1er de la Constitution et, d’autre part, l’amendement équivalent à celui que je présente avait été adopté à l’unanimité et qu’il apparaissait à l’ensemble des groupes comme un changement nécessaire. Ce changement n’empêche nullement de combattre le racisme et ne remet nullement en cause toutes les lois qui font du racisme un délit.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Cet amendement avait en effet trouvé un assentiment assez large en 2018. Mais, comme chacun a pu le mesurer, nous ne sommes pas ici pour mener à nouveau la réforme constitutionnelle de 2018. Nous sommes convoqués pour un objectif extrêmement précis : donner suite à la proposition de la Convention citoyenne pour le climat, qui vise à réviser l’article 1er de la Constitution dans des termes bien spécifiques. Ce n’est pas le moment de multiplier les combats, si légitimes soient‑ils. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement n’est évidemment pas favorable à cet amendement, dès lors que l’objet du projet de loi constitutionnelle est la protection de l’environnement, comme vous l’avez dit, madame la députée.

Je voudrais dire, une fois pour toutes, un petit mot sur les débats qui nous ont animés. Le Président de la République s’est engagé pour la protection de l’environnement comme personne ne l’a fait et on comprend que cela puisse gêner. Mais de là à s’en prendre à la méthode... Je ne suis pas responsable de la méthode, monsieur Orphelin. Je suis devant la commission des lois, où je réponds aux questions que vous me posez. Sans doute n’êtes-vous pas toujours satisfait de mes réponses, mais on ne va pas remettre en cause la méthode. Pardonnez-moi de vous dire que si vous avez la liberté d’amender un texte, j’ai celle de ne pas être d’accord avec un amendement, deux amendements voire tous les amendements. Le débat fera naître un certain nombre de choses, j’en suis convaincu. Je suis un homme de discussion. Mais prétendre que nous avons choisi la méthode et qu’elle serait fort peu démocratique ! Il y a des gens qui nous écoutent et que ce débat passionne. Je leur dis deux choses : le Président de la République s’est clairement engagé, ce qui gêne politiquement un certain nombre de ses opposants ; nous n’avons pas choisi une méthode particulière – je suis souvent venu devant la commission des lois et j’y serai chaque fois qu’un texte sera présenté.

M. Matthieu Orphelin. Monsieur le ministre, je ne m’en prends pas à la méthode. Tant mieux si nous y arrivons. On applaudira tous ceux qu’il faut applaudir, ne vous inquiétez pas. Ce texte passera en séance les 9, 10 et 11 mars. Je vous suggère donc – mais je sais bien que c’est vous qui êtes aux manettes – de faire une concertation avec le Sénat, dès la semaine prochaine, pour savoir ce qu’ils sont prêts à accepter. Je ne m’en prends pas à votre méthode, mais je vous en propose une alternative pour faire en sorte que cette réforme aboutisse. Si jamais le Sénat vous dit la semaine prochaine qu’il est prêt à adopter le texte, dans ce cas-là, on peut accélérer. De grâce, sortons de cette caricature selon laquelle à l’Assemblée il y aurait des gentils et au Sénat des méchants. Ce que je veux, c’est que cette réforme aille au bout – nous nous sommes battus avec Nicolas Hulot et d’autres parlementaires pour cela – et non pas faire de l’affichage avec l’écologie.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Il y a des gens qui nous regardent et que ce sujet passionne – je reprends ce verbe qui n’est en rien délétère ou péjoratif. Vous dites « changez votre méthode », mais ce n’est pas ma méthode. C’est bien comme cela que l’on présente un projet de loi constitutionnelle. Il faut être clair. Notre président a pris des engagements extrêmement forts et je sais que cela peut déplaire, je le redis, pour des raisons politiciennes qui, à mon avis, n’ont aucun intérêt au regard de l’apport du texte. Arrêtons avec l’idée qu’il s’agirait de la méthode du Gouvernement ! Si j’ai bien compris, vous avez le don de lire l’avenir, puisque vous savez déjà ce que nous allons faire de tous les amendements et que vous avez déjà une vision globale des choses.

Il faut d’abord débattre à l’Assemblée nationale, puis au Sénat. C’est la règle et non pas la méthode du Gouvernement. Les gens qui nous écoutent n’ont pas forcément comme vous la connaissance des procédures. C’est pourquoi je veux être clair : je ne veux pas que l’on pense que nous aurions escamoté quoi que ce soit, ou que notre méthode aurait à voir avec un quelconque tripatouillage. Je suis devant la commission des lois dans le cadre d’un débat démocratique. Ce « votre méthode » n’est pas digne de notre intérêt et peut être mal interprété. C’est la méthode ordinaire prévue par les textes pour présenter un projet de réforme constitutionnelle.

M. Julien Aubert. Je voudrais d’abord revenir sur la forme. Vous avez de drôles de manières, monsieur Orphelin, pour accélérer le débat ! Si vraiment vous êtes un allié du fond, votre technique est particulièrement fine, parce que je n’ai pas encore compris votre point d’arrivée. Vous avez fait preuve d’une très grande innovation constitutionnelle, avec l’autocensure préventive. (Sourires.) Jusqu’ici on connaissait le parlementaire qui ne vote pas la loi parce qu’il a peur d’être censuré par le Conseil constitutionnel. Vous introduisez une deuxième disposition : désormais, on ne vote plus la loi de peur de ne pas être suivi par le Sénat. (Sourires.) Monsieur le ministre, je pense que vous auriez dû commencer par déposer le texte au Sénat. On aurait peut-être gagné du temps ! Les débats de début de mandat à La République en marche devaient être vifs… Moi qui ai longtemps cru que Les Républicains étaient une famille composite, vous battez tous les records.

Sur le fond, j’entends bien les débats sur les mots. Mais nous avons eu le même débat tout à l’heure. En 2018, année au cours de laquelle nous avons débattu de la suppression du mot « race » dans la Constitution, 496 actes à caractère raciste et xénophobe ont été constatés en France. En 2019, il y en a eu 1 142. Dans le même temps, en 2018, il y a eu 541 faits à caractère antisémite ; en 2019, 687. La réalité, c’est que pendant que le Parlement discute des mots, les actes sont en augmentation. Aucune modification de mot ne viendra prévenir cette montée. Je ne dis pas qu’elle est inutile, mais que nous ferions mieux de consacrer du temps parlementaire à trouver les moyens d’endiguer cette progression du racisme plutôt que de nous faire plaisir en ayant l’impression de résoudre le problème en modifiant quelques mots.

M. Philippe Gosselin. On ne refait pas le match de 2018. Même si le sujet est d’importance, personne ne peut se satisfaire de la progression des actes de racisme. Mais il faudrait être bien naïf pour croire qu’il suffirait de retirer quelques mots de la Constitution pour que, par magie, les faits eux-mêmes disparaissent. Je ne fais de procès en naïveté à personne. Appliquons peut-être une autre politique pénale ou d’autres mesures. Mais ce n’est pas le changement de Constitution, accompagné d’une pétition de principe, qui résoudra la situation.

Revenons au principe de l’entonnoir. La révision constitutionnelle, certes, ne lie pas le pouvoir constituant – et c’est heureux. Il n’y a pas d’irrecevabilité possible et on ne peut pas parler de cavalier. Mais cet amendement ramène une écurie complète ! Ici, on est un peu à cheval sur les principes. Mieux vaut donc en rester aux questions environnementales, qui présentent de nombreuses nuances et subtilités. Hâtons-nous lentement, mais n’ajoutons pas d’autres sujets pour lesquels il y aura d’autres quinquennats.

M. François-Michel Lambert. Monsieur le ministre, sur le fond, nous avions adopté ces évolutions extrêmement symboliques à l’unanimité en 2018. Pour quelle raison l’unanimité et l’urgence qui prévalaient en 2018 n’auraient-elles plus de valeur en 2021 ? Par ailleurs, nous attendons toujours le point d’orgue de la grande cause du quinquennat autour de l’égalité femme‑homme, et peut-être était-ce d’inscrire ces quelques mots dans la Constitution.

Sur la forme, autant je comprends que M. le ministre soit dans son rôle lorsqu’il défend son projet de loi, autant je ne comprends pas, monsieur le rapporteur, que vous ne permettiez pas aux parlementaires d’ouvrir les champs qu’ils souhaitent face au texte du Gouvernement. Vous ne pouvez pas dire, d’un côté, que nous sommes libres et, de l’autre, que nous n’avons pas les marges, que nous autorise la Constitution, pour intervenir comme nous l’entendons. Le Gouvernement est à sa place ; nous sommes à la nôtre.

Mme Delphine Batho. Je n’ai jamais prétendu que mon amendement allait régler les problèmes de racisme. Faut-il changer la deuxième phrase de l’article 1er de la Constitution pour supprimer le mot « race » et ajouter « sans distinction de sexe » ? La réponse est oui. Nous l’avions voté à l’unanimité. Il se trouve que nous sommes en train d’examiner un projet de loi constitutionnelle qui ajoute une phrase après la troisième phrase du même article 1er. Le garde des Sceaux nous dit que l’objet de la révision constitutionnelle, c’est la Convention citoyenne et rien d’autre. Mais cette révision proposait trois changements de nature constitutionnelle : le défenseur de l’environnement, l’article 1er de la Constitution et le Préambule. Un choix a donc été opéré par le Gouvernement, qui a trié parmi les propositions de changement constitutionnel. De la même façon, le Parlement est libre de se dire que, puisque nous sommes en train de réformer l’article 1er de la Constitution, on procède aussi à ce changement. Même si on ne va pas reprendre toute la réforme de 2018, il nous semble que l’on peut en profiter pour faire ce changement consensuel et important.

M. Christophe Euzet. Soyons sérieux ! Il ne s’agit pas de méthode, monsieur Orphelin, mais de procédure de révision de la Constitution. L’Assemblée nationale vote, le Sénat aussi, et si le texte est voté en termes identiques, le Président de la République décidera s’il veut ou non convoquer le référendum ou soumettre le texte aux représentants du peuple en Congrès à Versailles. Il y a une procédure qui suit son cours et qui ne mérite même pas d’être discutée. Il n’est pas question d’introduire quoi que ce soit relevant d’une méthode individuelle.

Sur le fond, il ne faudrait pas qu’il reste de cette réunion que la commission des lois a refusé de supprimer le mot « race » de la Constitution. Il faut exprimer notre accord avec cet amendement sur le fond. En revanche, sur la forme, ce serait un « cavalier constitutionnel ».

J’aurai aussi un mot un peu critique à l’égard de nos collègues écologistes. Je les attendais sur ce texte et je pensais qu’ils allaient faire des propositions ambitieuses et pointues, alors qu’ils ne font que suivre banalement leur idéologie. Je les attendais sur l’aventure extraterrestre de l’humanité, puisqu’il est question de grands enjeux, sur le problème des nanotechnologies, sur le transhumanisme. Mais leurs dispositions sont très convenues : ajouter du texte au texte et un verbiage qui n’apporte rien.

M. Erwan Balanant. Je partage une partie des propos de M. Euzet – un peu moins ceux relatifs à la conquête spatiale. Mais j’ai du mal à comprendre la logique de Mme Batho. Tout à l’heure, elle nous disait que la question serait trop compliquée pour être tranchée par un référendum, qui a un aspect plébiscitaire. C’est précisément pour cela que l’on se tient, dans ce cadre, à la proposition des citoyens. Mes amendements concernent seulement le droit de l’environnement. Moi aussi j’ai défendu avec fougue cet amendement sur la suppression du mot « race » en 2018, mais ce n’est plus la question. Ajouter de nouveaux sujets risque de troubler le débat et de provoquer une mauvaise surprise lors du référendum. Restons-en au référendum initial.

M. Sylvain Waserman. Notre situation est paradoxale : nous sommes tous d’accord sur le fond avec cet amendement, et pourtant nous serons nombreux à voter contre. Mais nous n’en sommes pas à un paradoxe près : j’entends depuis ce matin des collègues en accord sur le fond et favorables à la méthode déclarer qu’ils vont voter contre car ils pensent que nous n’irons pas au bout de la méthode…

Le garde des Sceaux l’a clairement rappelé : nous sommes dans le cadre de la procédure législative qui s’impose. Ce qui fait la spécificité de la situation, c’est l’innovation démocratique : la Convention citoyenne a fait une proposition et nous sommes amenés, dans notre liberté souveraine et dans le respect des procédures, à faire un choix. Le mien sera de rester fidèle à la proposition des citoyens, mais chacun peut faire un choix différent – le fait majoritaire s’imposera. En tout cas, peut-être qu’au terme de ce processus, nous aboutirons à un changement de la Constitution.

Cela signifie qu’au plus haut niveau, nous aurons établi des circuits courts entre les citoyens et la décision publique. Comme le fait un maire de village lorsqu’il consulte à propos de la réfection de son trottoir, ou un député quand il travaille sur un texte de loi en associant les citoyens de sa circonscription. Nous essayons de rapprocher le citoyen de l’élaboration de la loi, ce qui entraîne une modification profonde du rôle de l’élu. Au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, nous permettons à une voix citoyenne qui s’est exprimée de faire le parcours qui s’impose pour aboutir à une modification de la Constitution. C’est une véritable avancée démocratique.

Mme Danièle Obono. Je ne pense pas qu’ajouter ou retirer des mots de la Constitution fasse apparaître ou disparaître les problèmes par magie. Lors des débats constitutionnels, la proposition de supprimer le terme de « race » sans introduire l’interdiction fondamentale des discriminations racistes ou raciales avait créé un trouble, car on aurait ainsi retiré de la Constitution l’interdiction des discriminations.

Il est légitime de saisir l’opportunité offerte par ce débat de réforme constitutionnelle pour présenter d’autres modifications. Mais alors l’ensemble des propositions qui avaient été discutées doivent être réintroduites et il faut inscrire dans la Constitution l’interdiction fondamentale des discriminations, ainsi que des distinctions de sexe et de genres.

Je ne partage pas l’idée que le consensus était total. En effet, la suppression du terme de race, au motif qu’il était daté et problématique, aurait dû s’accompagner de l’interdiction fondamentale des discriminations raciales et racistes. Ne pas l’avoir fait, malgré les discussions en commission qui allaient en ce sens, a posé un problème. Si la discussion est rouverte, elle doit l’être dans son ensemble. Cette réforme constitutionnelle nous en offre l’occasion, nous sommes libres de le faire en tant qu’assemblée parlementaire.

Cet amendement me semble donc légitime sur le fond comme sur la forme, mais j’invite à reprendre le débat que nous n’avions pas mené jusqu’à son terme en 2018.

M. Pacôme Rupin. Le groupe de La République en marche est d’accord sur le fond de cet amendement, puisque nous l’avons voté à l’unanimité en 2018. Je rappelle que les oppositions ont tout fait pour que cette réforme constitutionnelle n’aboutisse pas, alors que l’objectif initial était de la faire adopter par le Congrès.

Aujourd’hui, nous sommes vigilants à maintenir l’intention de ce projet de loi constitutionnelle : demander aux Français, par référendum, s’ils veulent élever la préservation de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique au rang de principes constitutionnels, en les faisant figurer à l’article 1er.

Le choix des parlementaires de la majorité est de nous en tenir à cette question, et de faire en sorte que l’intention du Président de la République soit respectée. Le débat lors de la campagne référendaire doit uniquement porter sur les travaux de la Convention citoyenne sur le climat.

M. Matthieu Orphelin. Le feu nourri contre les écologistes de la part des groupes Les Républicains et La République en marche n’est pas inhabituel. Mais, monsieur le garde des Sceaux, j’ai été près de mal prendre votre remarque me prêtant des attitudes politiciennes. C’est certainement parce que nous ne nous connaissons pas suffisamment. Nous devons d’ailleurs nous rencontrer pour évoquer la prison d’Angers, car nous attendons que vous concrétisiez toutes les promesses que vos prédécesseurs ont faites depuis dix ans.

Vous avez raison, monsieur le garde des Sceaux, beaucoup de gens écoutent nos débats ce matin et souhaitent savoir si cette réforme va aller au bout. Il est bon de leur expliquer comment les choses se passent. Le rapporteur a sous les yeux un tableau, établi à l’issue d’une réunion de balayage réunissant les rapporteurs de la majorité et le Gouvernement, comme il s’en tient avant chaque discussion d’un projet de loi et c’est tout à fait normal. Vous savez donc, l’un et l’autre, quel avis sera donné sur chacun des amendements – d’où ma question précédente.

Par ailleurs, je crois qu’une incompréhension factice, utilisée pour forcer le clivage, est entretenue sur ce que j’entends par : « changer de méthode ». Je vais donner un exemple très simple qui concerne cette commission des lois : le Gouvernement a engagé une concertation sur la date des élections départementales et régionales avec toutes les forces politiques et a retenu le mois de juin après avoir constaté un consensus.

Oui, il est possible d’engager une concertation, de demander à tous les responsables des groupes politiques du Sénat jusqu’où ils peuvent aller, et s’ils sont prêts à reprendre la proposition des 150 citoyens. Ensuite, en fonction de cette réponse, vous pouvez présenter un texte à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est la méthode qui a été retenue pour le projet de loi relatif à la date des élections régionales et départementales, et elle a permis de trouver un compromis.

Vous préférez alimenter le clivage, mais ne me reprochez pas d’être politicien à propos de la modification de l’article 1er de la Constitution : je défends ces positions depuis 2017.

M. Sacha Houlié. M. Orphelin connaît bien la méthode puisque nous l’avons suivie ensemble. Une version dégradée de ce texte a été rédigée en juin 2018 dans le bureau de Nicolas Hulot, où nous étions présents M. Orphelin et moi. Nous avions écrit : « La France agit pour la protection de l’environnement, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique. »

La réforme constitutionnelle n’a pas été à son terme, pour les raisons que l’on sait. Le deuxième texte proposé, en 2019, a repris la formule sur laquelle nous nous étions accordés avec le ministre de la transition écologique et solidaire de l’époque.

C’est la Convention citoyenne pour le climat qui a établi la formule dont nous discutons aujourd’hui. Lorsque nous les avions reçus, en présence d’autres députés, ses membres s’étaient inquiétés du sort de cette formule. Elle a été reprise, intégralement. Pourquoi ne pas s’en réjouir, monsieur Orphelin, et pourquoi ne pas participer aux discussions avec les sénateurs pour contribuer à l’adoption de cette formule ? Le blocage n’est pas à l’Assemblée nationale, puisque nous allons voter le texte comme le propose la Convention citoyenne. Nous pouvons difficilement trouver meilleur gage de notre bonne volonté, sinon de notre bonne foi.

Mme Delphine Batho.  Le projet de loi du Gouvernement a modifié le texte proposé par la Convention citoyenne. On peut considérer qu’il ne s’agit que d’une modification rédactionnelle, elle existe néanmoins. De plus, le Gouvernement a trié entre les trois propositions de révision constitutionnelle présentées par la Convention citoyenne.

Nous pouvons donc considérer, en tant que parlementaires, que nous sommes libres d’améliorer encore le travail de la Convention.

La Commission rejette l’amendement.

Article unique

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL47 de M. Loïc Prud’homme, CL11 de Mme Delphine Batho, CL2 de Mme Jennifer de Temmerman, et CL49 et CL48 de Mme Mathilde Panot.

Mme Danièle Obono. Nous souhaitons poser les fondamentaux indispensables pour nous engager dans la bataille écologique contre le changement climatique. Ceux-ci manquent encore même si, depuis trois ans, nous avons proposé un certain nombre d’amendements en ce sens et une résolution sur la question de la bifurcation écologique et solidaire.

Ce débat constitutionnel, même si nous doutons de la postérité du présent texte et de son impact, offre l’occasion de revenir sur ce qui nous semble fondamental : la planification de la bifurcation écologique. Il est nécessaire d’adopter une grande loi-cadre pour mettre en cohérence les enjeux environnementaux, démocratiques et sociaux des transformations que nous devons engager.

Nous devons faire évoluer en profondeur l’ensemble de nos modes de production, de consommation et d’échanges, pour faire face au changement climatique et nous y adapter, puisqu’il est d’ores et déjà engagé de manière irréversible. Il est absolument nécessaire de planifier ces changements en partant des réalités locales et en nous appuyant sur l’implication citoyenne des associations et des acteurs économiques et sociaux que sont les agriculteurs et agricultrices.

Afin de permettre cette stratégie d’ampleur, nous proposons d’inscrire un nouveau titre dans la Constitution sur la planification écologique.

Mme Delphine Batho. L’amendement CL11 propose une réécriture de l’article unique pour y mentionner la République écologique et le principe d’amélioration constante, dont nous avons déjà discuté.

J’aimerais que le garde des Sceaux et le rapporteur nous donnent leur interprétation de la phrase, notamment son sujet. Je propose la rédaction suivante : « La loi garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique, et assure leur amélioration constante. » En l’état, le sujet de la phrase est : « La France », ou « La République ». Hier, le rapporteur pour la commission du développement durable déclarait que ces termes signifiaient « les pouvoirs publics ». Dans la Charte de l’environnement, les droits et devoirs s’appliquent à « toute personne », donc les personnes publiques nationales ou locales, les personnes privées et les personnes morales. Monsieur le garde des Sceaux, quel sens donnez-vous au pronom « Elle » prévu par la rédaction actuelle, et quelles conséquences juridiques y attachez-vous ?

M. François-Michel Lambert. L’amendement CL2 propose d’ajouter un alinéa qui s’appuie sur les dix-sept objectifs pour le développement, adoptés par l’Organisation des Nations Unies (ONU), et renforce la portée de ce projet de loi constitutionnelle.

J’entends bien que nous ne serions que le relais de décisions prises par 150 citoyens comme les autres. Certes, ils ont travaillé et fait des propositions, mais nous sommes 577 députés, représentant plusieurs dizaines de millions d’électeurs. Nous pourrions renforcer le projet de loi du Gouvernement, qui s’apparente à une simple boîte à lettres, au lieu de construire ce que nous devrions inscrire dans la Constitution.

Mme Danièle Obono.  Nous souhaitons souligner l’importance de la cohérence aux niveaux national et international de notre stratégie de bifurcation écologique. Nous proposons que tout traité de commerce ayant des incidences sociales et environnementales soit ratifié par référendum.

La tâche civilisationnelle devant nous consiste en un changement complet de paradigme à propos du fonctionnement de notre système économique, notamment ses règles d’échange. Les accords de libre-échange font partie de ce que nous devons fondamentalement changer, car ils contribuent à l’émission de gaz à effet de serre. Ainsi, des groupes d’experts évoquent, à propos de l’accord avec le Mercosur, une hausse de 5 % de la déforestation en raison de l’accroissement de la production bovine, sans parler de la déstabilisation de marchés agricoles déjà saturés.

Avec un collègue du groupe La République en marche, j’ai conduit une mission d’information au sujet de l’impact des accords de libre-échange sur les stratégies de développement durable au niveau européen. Nous avons conclu qu’il était contradictoire de conclure ce type d’accords.

En juin 2020, le Président de la République a affirmé aux membres de la Convention citoyenne qu’il avait mis un terme aux négociations sur l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Or nous avons appris que des négociations continuent en catimini, à l’encontre de ces engagements. Nous voulons placer le Président de la République en cohérence avec ses déclarations en inscrivant ce principe dans l’article unique du texte.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Les amendements présentés par Mme Obono s’inscrivent dans la volonté d’instaurer une VIe République et proposent notamment d’introduire un nouveau titre dans la Constitution, consacré à la planification écologique. Or je ne partage pas cette vision de l’évolution de notre République et de notre Constitution. Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec la conception évoquée du droit de propriété, ni avec les objectifs qui doivent être poursuivis par la recherche scientifique.

J’ai été attentif aux travaux que Mme Obono a produit avec M. Patrice Anato, qui apportent un éclairage utile, mais je ne pense pas souhaitable d’inscrire dans la Constitution que la ratification de l’ensemble des accords commerciaux sera soumise à référendum. Nous nous trouverions dans l’impossibilité de conclure des accords commerciaux avec qui que ce soit.

Madame Batho, le pronom « Elle » se rapporte à la France, donc l’ensemble des pouvoirs publics nationaux et locaux. Le texte du projet de loi est suffisamment clair.

Enfin, l’amendement CL2 prévoit qu’une génération ne peut assujettir les générations futures à des lois moins protectrices de l’environnement, ce qui revient à instaurer un principe de non-régression, dont nous ne voulons pas.

Avis défavorable à l’ensemble des amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis, les arguments du rapporteur me semblent pertinents et clairs.

M. Julien Aubert. Ce concours Lépine trahit une confusion entre la loi et la Constitution. C’est dommageable. La Constitution définit l’organisation des pouvoirs publics, si nous commençons à y mentionner toutes les politiques que nous voudrions mener, que nous aurions pu mener ou que nous allons mener, elle va rapidement ressembler à un arbre de Noël très alourdi.

L’amendement de Mme Obono a un aspect positif, il inscrit dans la Constitution le droit de propriété, actuellement garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Passée mon agréable surprise, j’ai réalisé que ce droit inaliénable et sacré dans la Déclaration des droits de l’homme devenait un droit relatif. Il serait plus clair d’écrire que la République n’est plus seulement écologique, mais aussi communiste.

L’amendement CL2 mentionne les limites planétaires, un concept de 2009 que les Nations unies ont renoncé à mentionner dans des textes internationaux en raison de son caractère récent. Il mérite un débat. Ainsi, des économistes ont proposé d’instaurer également la notion de plancher, pour permettre à l’homme de subvenir à ses besoins.

Enfin, écrire qu’une génération ne peut pas assujettir les générations futures à des lois moins protectrices est juridiquement faux : la prochaine génération ne vous demandera pas votre avis pour modifier la loi ou la Constitution. Et qu’adviendrait-il si nous appliquions ce principe à la dette financière que nous léguons aux générations futures ? Tout le monde se préoccupe de la dette environnementale, ce n’est pas la seule à mériter notre attention.

M. François-Michel Lambert. En effet, l’amendement CL2 semble réintroduire le principe de non régression. Il est possible de supprimer la dernière phrase et de s’en tenir à un socle, d’autant que celui-ci est propre, non pas seulement à la France ou à l’Union européenne, mais à l’humanité. Il reprend l’Agenda 2030 et les objectifs du Millénaire pour le développement, que nous défendons.

Contrairement à l’avis de Julien Aubert, ils ne sont pas étrangers à l’esprit de la Constitution. Ils ancrent la France dans une dimension planétaire, ces sujets étant traités au sein de l’ONU, par l’Agenda 2030 et les dix-sept objectifs du millénaire pour le développement.

M. Erwan Balanant. Faire de « La France » le sujet de la phrase fait pression sur les pouvoirs publics, qui correspondent à une responsabilité collective. Mais nous pourrions nous interroger aussi sur la notion de responsabilité individuelle. L’amendement CL68, que je devais défendre plus tard, impose à toute personne le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.

En nous concentrant sur « La France », nous renvoyons toutes les questions climatiques sur l’État et les pouvoirs publics. Or ces devoirs pourraient s’imposer à toutes les personnes, morales et physiques. Imposer aux sociétés de prendre part à la préservation me semble important. C’est pourquoi la rédaction que je propose me semble plus pertinente.

Mme Danièle Obono.  Je veux insister sur l’amendement CL48, et la nécessité de protéger les biens communs. C’est un enjeu crucial face à l’urgence climatique et écologique. Les biens communs correspondent à l’ensemble des ressources limitées que nous considérons comme essentielles à la vie. Elles doivent être protégées, c’est-à-dire gérées collectivement et démocratiquement afin d’en user dans des conditions saines et durables. Ces biens doivent être sortis de la sphère marchande et ces ressources n’ont pas vocation à générer des profits.

Nous sommes mobilisés depuis trois ans sur la question de l’accès à l’eau, qui nous semble particulièrement prégnant. L’accès à l’eau potable est menacé par la pollution grandissante issue des rejets de l’industrie et de l’agriculture productiviste. Son accès doit être garanti et ne devrait en aucun cas faire l’objet d’un commerce. Il ne devrait également pas être possible de faire des bénéfices sur l’accès à l’eau potable. Son coût ne devrait pas dépasser le prix du fonctionnement de l’infrastructure qui la rend disponible. La résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 28 juillet 2010 va dans ce sens, mais le droit français n’est pas suffisamment ambitieux.

Nous proposons donc d’inscrire dans la Constitution que l’eau, l’air, le vivant, l’énergie, l’alimentation et la santé sont des biens communs gérés démocratiquement et ne peuvent être privatisés.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Avis défavorable. Cette proposition est intéressante et mérite un débat, mais la définition du concept n’est pas suffisamment aboutie ni consensuelle. Or la Constitution doit employer des termes partagés par tous. Tel n’est pas le cas.

Sur le plan conceptuel, la question des biens communs est liée à celle de la coopération et de la gouvernance internationale : il s’agit de faire en sorte que chacun prenne ses responsabilités. Or votre proposition semble faire reposer la protection des biens communs uniquement sur la France, ce qui est disproportionné.

Enfin, la constitutionnalisation de ce principe n’est probablement pas nécessaire dans la mesure où notre système législatif favorise déjà une consommation équitable de ces ressources.

M. Philippe Gosselin. La liste mentionnée par cet amendement peut sembler longue, elle est en réalité limitative. Pourquoi se limiter à protéger « l’eau, l’air, le vivant, l’énergie, l’alimentation et la santé » ? Il doit être possible d’ajouter d’autres éléments pour renforcer son efficacité.

Par ailleurs, cet amendement traduit une conception messianique de notre pays :  nous serions quasiment les sauveurs du monde avec cette seule modification de la Constitution !

Enfin, je ne comprends pas bien comment nous pourrions privatiser le vivant. Est-ce que chaque individu relève d’une propriété étatique ? Bien que n’étant pas particulièrement progressiste sur certaines questions de société, je signale qu’en interdisant la privatisation du vivant, nous risquons de bloquer quelques recherches médicales. C’est un amendement anti-GPA. Qui trop embrasse, mal étreint !

Mme Danièle Obono. Je rappelle que la France a été à l’avant-garde pour déclarer de grands principes. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 précède de plus d’un siècle la déclaration universelle, à laquelle la France a adhéré en 1948. Il n’y a pas à avoir honte ou à nourrir de complexes.

À propos des biens communs, nous n’avons pas été les premiers à réfléchir à cette question. Un certain nombre de pays d’Amérique latine, comme la Bolivie, ont beaucoup avancé sur cette notion. Nous pourrions nous en inspirer, sans ethnocentrisme ni mépris, car il y a matière à enrichir notre propre réflexion et nos travaux de réforme constitutionnelle.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL12 de Mme Emmanuelle Ménard, CL13 de Mme Emmanuelle Anthoine et CL14 de Mme Valérie Bazin-Malgras ; les amendements identiques CL15 de Mme Valérie Bazin-Malgras et CL16 de Mme Emmanuelle Anthoine ; ainsi que les amendements CL17 de M. Martial Saddier, CL23 et CL22 de M. Gérard Leseul, CL68 de M. Erwan Balanant, CL50 de M. Stéphane Peu, CL21 de M. Philippe Gosselin et CL19 de M. Emmanuel Maquet.

M. Philippe Gosselin. Nous ne sommes pas les seuls à pointer certaines difficultés, le Conseil d’État l’a fait lui aussi.

La préservation de l’environnement est une ardente obligation – comme le Plan à une époque. Tout le monde a bien compris les enjeux environnementaux planétaires et les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Je rappelle également l’antériorité de certaines prises de position. Le Président de la République n’a pas l’apanage de la protection de l’environnement : les actions de Georges Pompidou ou Valéry Giscard d’Estaing, la charte de l’environnement souhaitée par Jacques Chirac ou le Grenelle de l’environnement sous Nicolas Sarkozy sont dans tous les esprits.

Si nous partageons la volonté de protéger l’environnement et de lutter contre le réchauffement climatique, les mots ont cependant un sens. Le Conseil d’État, dans son avis, nous alerte sur les difficultés qui pourraient naître d’une telle révision de la Constitution. Veillons à ne pas éteindre toute capacité d’initiative dans notre pays. Certes, la liberté d’entreprendre n’a jamais été absolue et mon propos n’est pas de la défendre à tout prix, mais nous devons prendre garde à ne pas faire du mieux l’ennemi du bien. Nous risquons de bloquer l’innovation avec de bons arguments.

Je m’associe aux remarques juridiquement fondées du Conseil d’État : ne piégeons pas la vie économique et sociale de notre pays. Il faut concilier les objectifs.

M. Gérard Leseul. À l’inverse de notre collègue Gosselin, je pense nécessaire de maintenir le verbe garantir, mais il faut sans doute préciser le sujet. Les députés du groupe Socialistes et apparentés proposent d’écrire : « Ses politiques publiques garantissent le respect » Ce sont bien les politiques menées par l’État qui sont visées.

L’amendement CL23 intègre dans la Constitution la notion de biens communs, et l’impérieuse nécessité de les préserver. La nature et les biens communs méritent plus que jamais d’être protégés des intérêts privés et des spoliations. Malheureusement, c’est bien au nom de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété que le Conseil constitutionnel a validé, dans sa décision du 10 décembre 2020, la loi autorisant à nouveau l’utilisation des néonicotinoïdes, qui traduit une régression de la protection de l’environnement en France.

M. Philippe Gosselin. Le débat sur la valeur juridique de la Charte de l’environnement a été tranché : elle a bien une valeur constitutionnelle. Il me paraît important de concilier la révision qui nous est proposée avec les termes employés dans cette charte et d’assurer sa coordination avec l’ensemble des textes constitutionnels, afin d’éviter toute contradiction.

Les verbes engagent forcément. Si nous partageons clairement l’ambition de protection de l’environnement et de la biodiversité, et de la lutte contre le réchauffement climatique, il nous paraît qu’en gravant ces termes dans le marbre de notre charte, et à l’instar de ce qu’a fait remarquer le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi constitutionnelle, nous prenons des risques. Que la protection de l’environnement soit une ardente obligation, c’est une chose, mais cela ne doit pas aboutir à limiter l’initiative, qu’elle soit publique ou privée. Elle ne doit pas avoir pour conséquence de mettre notre pays sous cloche – c’est un risque –, alors même que d’autres pays ne le font pas. Il y a une nécessité d’actions croisées, sauf à nous tirer une balle dans le pied. La France sait se montrer bonne élève, mais c’est parfois au détriment des autres objectifs des politiques publiques. Il faut donc en tout garder l’équilibre, réaffirmer des principes, sans doute, mais en prenant garde que cela ne conduise pas à une forme de paralysie, qui serait l’inverse du but recherché.

M. Arnaud Viala. La terminologie a son importance, particulièrement lorsqu’il s’agit de modifier la Constitution. Le choix des mots sera lourd de conséquences, non seulement dans l’application de la loi mais aussi lors du vote de nouvelles lois. Cela me préoccupe car nous allons prochainement examiner un projet de loi organique visant à simplifier les expérimentations, ainsi que la fameuse loi 4D – décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification –, dont le but est justement de permettre l’adaptation locale la plus intelligente et la plus pragmatique possible d’un certain nombre de dispositions nationales.

La rédaction de l’article, telle qu’elle nous est proposée, remet en cause la possibilité de faire ces expérimentations. Je ne veux pas dire que celles-ci doivent pouvoir être contraires à la préservation de l’environnement, mais les fonctionnaires chargés d’appliquer les textes en faisant parfois une lecture très littérale, cela risque de provoquer un blocage total. Il faut prendre garde aux conséquences sur le très long terme, d’autant que l’on ne touche pas à la Constitution tous les quatre matins.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Il s’agit là de l’un des points sensibles du texte. Les termes que nous allons inscrire dans la Constitution auront en effet des implications fortes : il faut donc bien les mesurer. J’ai lu attentivement les avis du Conseil d’État sur le sujet, qui fluctuent en fonction des circonstances. J’ai la conviction que si nous n’inscrivons pas, dans les termes les plus forts, les principes de préservation de l’environnement, de lutte contre le dérèglement climatique et de protection de la biodiversité, nous passerons à côté de l’essentiel de la réforme. Les juristes et les constitutionnalistes que nous avons auditionnés ne s’accordent tous pas sur la portée et les conséquences d’une telle rédaction. Il reste que, in fine, ce sera le juge qui interprétera nos intentions, en ne hiérarchisant pas les différents principes constitutionnels mais en les conciliant. L’adoption de ce nouveau principe constitutionnel ne viendra donc pas en écraser d’autres. D’ailleurs, lorsque les citoyens avaient proposé d’inscrire ces notions dans le préambule, le Président de la République avait écarté ce choix, craignant justement que la préservation de l’environnement l’emporte sur les autres normes. En l’inscrivant à l’article 1er, nous en faisons un fondement de l’action de la France, un principe qui doit guider son action au niveau national et au niveau local, mais sans écraser les autres libertés fondamentales, telles que la liberté d’entreprendre ou le droit de propriété. Nous recherchons un équilibre, tout en prenant des engagements extrêmement forts eu égard à l’urgence climatique et à la nécessité de protection de l’environnement et de la biodiversité. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable sur tous ces amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement a repris le verbe « garantit » proposé par la Convention citoyenne et retenu par le Président de la République. C’est un véritable principe d’action à la charge des pouvoirs publics, ainsi qu’une quasi-obligation de résultat. L’avis du Conseil d’État appelle en effet l’attention du Gouvernement sur l’importance des changements juridiques introduits par ce verbe. Mais le Gouvernement assume ce choix car il entend donner une véritable force juridique à l’obligation de protéger l’environnement. S’il crée une obligation juridique, ce mot ne crée pas de hiérarchie entre les principes constitutionnels. Pour vous rassurer complètement, je rappelle qu’il existe d’autres occurrences du mot « garantit » dans la Constitution – il apparaît ainsi à quatre reprises dans le préambule de la Constitution de 1946. Dans ces conditions, et pour les raisons évoquées par M. le rapporteur, que je fais miennes, le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements.

M. Sylvain Waserman. J’adhère au début du propos de mon collègue LR, tout en arrivant à la conclusion inverse : oui, les mots ont un sens ; oui, le mot « garantit » est fort. Le risque existe, et ce n’est pas confortable. Oui, il y aura peut-être des questions prioritaires de constitutionnalité. Oui, les juges seront peut-être saisis. Mais le choix politique est déterminant. Nous sommes à un moment de notre histoire où nous devons franchir ce pas, malgré le risque. Nous devons avoir, avec les juristes, les mêmes réflexes qu’avec les scientifiques : il faut les entendre, mais la décision ne peut être que politique. Nous ne donnons pas dans la facilité ; il était plus confortable pour M. Hulot, lorsqu’il était au Gouvernement, de proposer que la France « agisse » pour la préservation de l’environnement : tout le monde agit ! En l’occurrence, nous faisons un choix fondamentalement politique, que nous assumons, même s’il comporte une dose de risque.

M. Julien Aubert. C’est un sujet juridique. Dire que « les politiques publiques garantissent le respect des droits », ce n’est pas la même chose que d’affirmer que « la France garantit la préservation de l’environnement ». Lorsqu’on utilise le verbe garantir, cela concerne soit des principes, soit des droits. La particularité de l’amendement socialiste qui a été proposé, à juste titre, est qu’il garantit un droit. Dans la Constitution, et notamment dans le préambule de la Constitution de 1946, on garantit à la femme des droits, on garantit à l’enfant l’accès à l’instruction. Selon son onzième alinéa, « elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », ce qui pourrait aller dans votre sens, parce qu’il ne garantit pas seulement des droits ou une capacité, mais bel et bien une politique. Néanmoins, le texte insiste sur le fait que c’est bien « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence » qui est ainsi visé.

Nous devons donc nous montrer très prudents. Vous n’offrez pas une protection juridique accrue : vous créez une obligation de résultat. « Garantir », cela veut dire assumer sa responsabilité à l’égard de quelqu’un. Or vous ne précisez pas vers qui la garantie est tournée. Chaque fois que la Constitution utilise ce terme, elle précise qui en est le bénéficiaire. En ouvrant totalement cette disposition, d’un point de vue juridique, on permet à n’importe quelle partie prenante, n’importe quelle association de demander la mise en jeu de cette garantie. Si l’on garantit la préservation de l’environnement, et non pas le droit à avoir un environnement préservé, je crains que l’on ne quitte le domaine juridique pour entrer dans un domaine matériel. Cela sera source de contentieux et entraînera un dévoiement du mot « garantit » puisque l’on passera du domaine du droit à celui de l’effectivité d’une politique, ce qui n’est pas la même chose. Dire que le Gouvernement garantit aux Français « le droit d’avoir des finances saines », ce n’est pas la même chose que d’affirmer que le Gouvernement « garantit que les finances seront saines ». C’est en cela que nous divergeons. Je crains que cela ne provoque une explosion des contentieux dans le domaine environnemental, déjà très importants. Au lieu d’agir plus vite, cela fera comme pour les éoliennes : cela ralentira l’action. Vous obtiendrez l’inverse de ce que vous visiez.

Mme Delphine Batho. S’il n’y a plus le verbe garantir dans le texte, cela voudra dire qu’il ne reste rien de la proposition de la Convention citoyenne. Je suis donc totalement opposée à tous les amendements qui viennent d’être présentés.

Monsieur le garde des Sceaux, j’aimerais que vous explicitiez la notion de « quasi-obligation de résultat ». Le Conseil d’État souhaitait que le constituant précise les effets juridiques attendus de sa formulation, afin de guider la jurisprudence future du Conseil constitutionnel. La question ne porte pas sur la prise de risques – aucun constituant n’a envie de jouer aux dés les conséquences juridiques d’une disposition. Pour prendre un exemple, la loi autorisant le retour des néonicotinoïdes est clairement contraire à la garantie de la préservation de l’environnement et de la diversité biologique telle qu’elle serait rédigée à l’article 1er de la Constitution. Nous avons besoin d’explications plus développées du rapporteur et du Gouvernement sur les effets juridiques précis attendus de cette rédaction.

M. Philippe Gosselin. Quand le rapporteur nous dit que le Président de la République a voulu viser l’article 1er de la Constitution et non pas le préambule, c’est faire un distinguo subtil que même le Conseil constitutionnel ne fait pas ! Le bloc de constitutionnalité est composé de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, du préambule de la Constitution de 1946, de la Constitution de 1958, des principes fondamentaux, etc. L’appréciation de la constitutionnalité se fait sur l’ensemble et non en distinguant entre l’article 1er ou le préambule.

Certes, il n’y a pas de hiérarchie entre les principes mais le Conseil constitutionnel opère leur conciliation, qui se révèle parfois très délicate. Deux principes, le droit de grève et la continuité du service public, sont souvent cités en exemple – le télescopage des deux est parfois bien compliqué et pose de vraies difficultés – mais il y en a d’autres. Plus nous serons précis, plus l’interprétation sera stricte. Si vous pensez qu’il appartient aux juridictions et notamment au Conseil constitutionnel de se saisir du sujet, alors vous reconnaissez une latitude très grande au Conseil constitutionnel, ouvrant la voie à un gouvernement des juges – je sais que le terme paraîtra outrancier. Je considère que c’est plutôt le peuple souverain, le constituant, qui doit préciser les choses – autrement dit, pour ce qui nous concerne, la commission des lois et la commission du développement durable et, en séance, l’ensemble de la représentation nationale.

La majorité assume de créer une quasi-obligation de résultat. C’est un choix politique respectable, même si nous ne partageons pas nécessairement la même approche – l’objectif final, oui, mais pas les moyens pour y parvenir. Toutefois, vous risquez de fonder, avec cette rédaction, une responsabilité sans faute de l’État, des collectivités et de l’ensemble des acteurs privés, qui sera recherchée dès lors qu’un dommage environnemental survient, puisque l’État est censé « garantir » – si l’on constate un résultat négatif, c’est donc que les moyens n’étaient pas suffisants. La responsabilité sans faute a d’ailleurs tendance à prospérer, ce qui pose de vraies questions car cela peut, à terme, entraîner la paralysie de l’État et mettre l’ensemble du pays sous cloche, à l’encontre de l’objectif recherché.

Mme Émilie Guerel. Il s’agit d’un des points sensibles du texte. Sachez que le Gouvernement est bien conscient des effets que pourra avoir ce projet de loi constitutionnelle sur les conditions de mise en jeu de sa responsabilité en matière environnementale. Il souhaite avant tout marquer l’engagement des pouvoirs publics dans ce combat qui nous est très cher.

Nous ne sommes pas là pour faire du bavardage symbolique. La réforme que nous défendons a une très forte charge normative. En cas de contentieux, l’État pourrait ne pas être la seule personne publique visée car l’obligation pèse non seulement sur lui, mais également sur l’ensemble des acteurs, tant nationaux que locaux, susceptibles de prendre des décisions publiques. Pour cette raison, nous souhaitons le maintien de ce verbe, les autres nous paraissant plus faibles et moins prescriptifs.

M. Sacha Houlié. Le juge administratif vérifie toujours l’intérêt à agir des personnes qui vont en justice. Ce fut le cas pour « l’affaire du siècle », récemment jugée au tribunal administratif : toutes les associations ont fait l’objet d’un contrôle de leurs statuts et de leur objet pour que leur requête puisse être admise.

Concernant la responsabilité sans faute, quand le juge administratif recherche la responsabilité de la France, il examine si l’État a commis une faute au regard des engagements qu’il a pris, notamment des conventions internationales qu’il a signées. Il recherche ensuite un lien de causalité avec le dommage. Si ce lien est établi, alors des réparations pourront être déterminées.

Par ailleurs, s’agissant des effets juridiques, l’État a signé des engagements internationaux qu’il appliquera demain dans d’autres textes législatifs, notamment le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Les pouvoirs publics seront directement intéressés à la réduction des gaz à effet de serre. Ainsi, les agglomérations de plus de 150 000 habitants pourront créer des zones de faibles émissions pour réguler la circulation automobile ; les régions auront la possibilité d’instaurer des taxes sur le transport routier. Tous seront concernés par l’obligation constitutionnelle qui leur incombera de garantir la préservation de l’environnement et de la biodiversité. L’objet du présent texte est bien défini ; il conserve la responsabilité pour faute et préserve l’intérêt à agir de ceux qui iront en justice, y compris lors de l’examen de la recevabilité d’une QPC par la Cour de cassation ou le Conseil d’État.

M. Sylvain Waserman. M. Aubert l’a dit, nous faisons un choix important en fixant une obligation de résultat – cela n’avait pas été fait jusqu’à présent. Mme Batho a souligné que la suppression du verbe « garantit » rendrait cette disposition moins efficace. La démonstration est faite qu’avec ce choix politique différent, nous ouvrons la voie à une obligation de résultat, et non de moyens, qui ne repose pas sur un dogme et n’autorisera pas les retours en arrière ou les régressions. Nous prônons une pensée politique de l’écologie de résultat, et nous devons l’affirmer haut et fort.

M. François-Michel Lambert. Au-delà de ces quelques amendements, nous débattons de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons construire. Pour certains, il ne faut pas toucher à une ligne de ce qui est proposé parce que cela provient des 150 personnes engagées dans la Convention citoyenne pour le climat ; ils s’inquiètent même que l’on n’aboutisse jamais et s’érigent en défenseurs de ces 150 personnes. Est-il permis à 577 députés, travaillant en bonne intelligence avec le Gouvernement, de bouger une virgule du projet qui leur est présenté ? Nous verrons à la fin des débats dans l’hémicycle ce qu’il en est, mais il n’y a pas de construction, à tel point que certains députés défendent, en lieu et place du Gouvernement, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.

M. Raphaël Schellenberger. Nous sommes en train de discuter d’une modification du texte constitutionnel qui, si elle n’est pas certaine, compte tenu du processus que le Président de la République a choisi pour y parvenir, nous impose un peu de modestie dans nos échanges. La question est à la fois politique et juridique : il faut parfois faire coller le discours politique à la réalité de l’action juridique que nous sommes en train de construire.

Une garantie a pour objet d’assurer un droit constitutionnel à une personne ; or, dans votre rédaction, cette personne n’existe pas. À qui garantissez-vous ce droit ? Votre stratégie revient en fait à déresponsabiliser les individus, qui demandent à l’État de faire ce qu’ils ne sont pas prêts à faire eux-mêmes. Ce n’est pas ainsi que l’on parviendra à agir concrètement pour l’environnement, la préservation de nos ressources et de nos paysages ou encore la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. La cause environnementale est suffisamment importante pour que chacun se mobilise et fasse preuve de responsabilité. Je suis donc opposé à l’emploi de la notion de garantie, qui conduit à une déresponsabilisation.

M. Philippe Gosselin. Je ne conteste pas le choix politique – il est respectable – de la majorité de vouloir entraîner le pays dans une écologie de résultat. Toutefois, en déposant un amendement d’amélioration et non de suppression, l’opposition a fait preuve de responsabilité. Notre famille politique partage cette préoccupation depuis des générations ; nous n’avons pas envie, pour paraphraser le président Chirac, de regarder ailleurs alors que le monde brûle.

Nous appelons cependant votre attention sur les conséquences qui découleront de cette inscription dans la Constitution. Il ne s’agit pas de faire joli ou de se faire plaisir : la responsabilité sans faute est en train de se développer, et les tribunaux judiciaires et administratifs ont dégagé une jurisprudence un peu plus abondante ces dernières années sur le sujet. Je crains que nous ne renforcions cette tendance. Notre collègue Sacha Houlié a évoqué l’intérêt à agir : j’aurais dû commencer par là puisque cela concerne la légalité externe de l’acte, qui est examinée en premier. Or celle-ci est appréciée assez largement par les tribunaux administratifs : l’intérêt à agir est devenu une pseudo-condition car, en pratique, il est reconnu à presque tout le monde. Ces dernières années, quelques lois ont même quasiment présumé l’intérêt à agir de certaines associations. Mettons donc cela de côté, car l’intérêt à agir n’épouvante plus personne.

Reste un élément solide et sérieux : la responsabilité sans faute. J’entends bien l’argument sur le lien de causalité, mais il est parfois bien ténu. Je maintiens donc qu’il existe un risque de blocage, de paralysie. La France sera peut-être le premier pays au monde à s’être auto-piégé. Or nous devons non pas nous recroqueviller sur nos propres certitudes environnementales ou constitutionnelles, mais continuer au contraire à travailler dans le concert des nations. Nous ne devons pas faire des règles uniquement pour nous car elles risquent d’attenter dangereusement à l’initiative qui doit exister dans un pays s’il veut rester dynamique, y compris pour lutter contre le réchauffement climatique et agir pour la biodiversité.

M. Gérard Leseul. Je ne peux pas partager la vision libérale qui vient d’être décrite – cela ne vous étonnera pas. Nous sommes partis de rien en matière d’environnement : quand René Dumont s’est présenté à l’élection présidentielle en 1974, il n’y avait pas de conscience environnementale. Nous sommes ensuite progressivement passés à une écologie facultative, reposant sur les bonnes actions, puis à une écologie déclarative, avec les bilans de gaz à effet de serre, les reportings extra-financiers ou encore la taxonomie, qui est en cours de discussion au niveau européen. À chaque fois, c’est l’État qui a fixé le cadre. On peut le regretter. L’État s’est d’ailleurs montré intelligent en fixant des obligations progressives dans un cadre qu’il avait préalablement défini. Nous devons désormais passer à une étape supplémentaire, à savoir l’écologie du résultat. Pour cela, il faut absolument maintenir le mot « garantit ».

M. Erwan Balanant. Le débat est extrêmement intéressant et je me félicite que l’on ait retrouvé un peu de sérénité. Nous devons passer à une écologie de résultats – c’est notre philosophie politique –, une écologie humaniste. Mais nous ne pouvons pas tout faire reposer sur l’État, même si celui-ci joue un rôle primordial dans ce domaine. Je vous invite à relire mon amendement : il propose que la France « impose le respect par toute personne du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration ». Cette formulation vise les pouvoirs publics, et donc l’État, mais aussi les citoyens, les entreprises, les collectivités locales. Ce serait à la fois plus englobant et plus protecteur de la nature, parce que cela donnerait à chacun une part de responsabilité dans la préservation de l’environnement.

M. Éric Ciotti. Le mot « garantit » me paraît extraordinairement dangereux. Nous partageons, sans doute à l’unanimité, la volonté de mieux protéger et préserver notre environnement face aux enjeux climatiques, que personne ne doit contester. Mais je veux souligner le chemin périlleux que nous sommes en train d’emprunter avec ce terme. Il signifie que toute action publique, toute procédure publique, voire quasiment toute activité humaine pourra subir une judiciarisation constante, laquelle nous fera entrer dans une société d’impuissance permanente. Le Conseil constitutionnel aura une interprétation vraisemblablement très extensive de cette notion, ce qui paralysera l’action législative et conduira à des contentieux majeurs dans tous les domaines de l’action publique. La construction d’une route décidée par un conseil départemental ou par une métropole garantira-t-elle le respect de l’environnement ? La construction d’une prison dans une zone pourra-t-elle préserver l’environnement ? On réévalue la hiérarchie des normes juridiques dans la Constitution de façon extrêmement dangereuse. Cette notion sera-t-elle supérieure aux principes de liberté et d’autonomie des collectivités locales ? Je le redoute. Vous cherchez sans doute à nous rassurer, mais les jurisprudences qui pourront découler de cette notion nous feront entrer dans l’ère de la dangerosité juridique et de l’impuissance publique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. J’espère que si j’avais l’intention de construire une prison pour Nice dans le beau domaine du Mercantour, je serais interdit de le faire ! Je pense d’ailleurs que c’est déjà le cas.

Monsieur le député Gosselin, je sais que vous êtes un fin juriste, j’ai déjà eu à maintes reprises l’occasion de le constater, et ce ne sont pas des propos de circonstance. En réalité, il ne s’agit pas d’une obligation de résultat mais d’une quasi-obligation de résultat, ce qui change un peu la donne. Dans le texte, « elle garantit » désigne la France, sans la moindre ambiguïté : la France garantit non pas l’environnement mais la préservation de l’environnement. On pourra ainsi nous reprocher une loi qui ne respecterait pas cet engagement fort du Président de la République et du Gouvernement, à savoir garantir la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

Je prends un exemple simple concernant la responsabilité, parce que ce mot a résonné à plusieurs reprises dans cette enceinte. Le législateur sera tenu d’adopter les garanties suffisantes pour assurer une protection effective de l’environnement. À défaut, le Conseil constitutionnel pourrait juger la loi inconstitutionnelle. Le juge administratif, quant à lui, pourrait juger que l’administration a manqué à son obligation d’agir pour protéger l’environnement. En cas de dommages, il n’y aura rien de systématique car il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais d’une quasi-obligation de résultat. Un grand pas a été franchi dans la préservation de l’environnement, de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique avec la décision prise par le Président de la République. C’est un choix politique, audacieux, courageux. Je ne dis pas que rien n’a été fait jusque-là, mais le Président de la République a voulu marquer une véritable rupture. Maintenant, la parole est aux actes !

Par ailleurs, je ne vois pas en quoi l’État qui serait exemplaire nous inciterait à en faire moins. Croyez-vous que si, demain, ce texte va au bout, je jetterai mon mégot au sol alors que je ne le fais plus depuis quelques années ? Pensez-vous que les industriels pollueront davantage parce que l’État s’engage fortement ? Je ne comprends pas bien ce raisonnement. Pour ma part, j’ai toujours appris que l’exemple venait d’en haut.

Enfin, et j’espère que c’est la dernière fois qu’on en parle, vous voudriez, monsieur Lambert, que je me dise favorable à un amendement dont je n’ai pas envie : je ne comprends pas bien la mécanique. Je n’aime pas votre amendement, je demande à la représentation nationale de ne pas le voter : c’est comme ça que ça marche ! Si un amendement trouve grâce aux yeux du Gouvernement, il saura le dire, je vous le promets ! Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que je change d’avis, même ici, en commission.

La Commission rejette successivement tous les amendements en discussion commune.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL29 de Mme Cécile Untermaier, CL30 de M. Gérard Leseul et CL46 de M. Loïc Prud’homme.

M. Gérard Leseul. Nous pensons nécessaire d’introduire dans le texte modifiant la Constitution la notion d’amélioration. C’est une manière de dire qu’il faut une progression, sans dire qu’il faut une non-régression. Cette sémantique est peut-être plus acceptable. Je souhaite, monsieur le garde des Sceaux, que vous entendiez cet argument.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’introduire dans l’article unique le principe de non régression ou d’amélioration constante, ainsi que la règle verte. Tant qu’à faire, autant inscrire dans le marbre de la loi constitutionnelle un cap, une incitation, une stratégie positive. Il faut rompre avec la règle d’or de l’austérité pour adopter la règle verte écologique, qui résume l’exigence qui devrait être celle de la communauté nationale et internationale, à savoir mettre un terme à la dette écologique et revoir l’ensemble de notre système économique.

Je rappelle le principe de la règle verte : ne pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer ni produire plus que ce qu’elle peut supporter. Le consensus scientifique rappelle, année après année, que la catastrophe écologique s’accélère. Le garde des Sceaux parlait de passer de la parole aux actes mais, pour cela, il faut se donner un cadre, une ligne de conduite. Celle de la règle verte est fondamentale et permettrait de guider, de façon positive, l’ensemble des politiques mises en œuvre par la suite.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Avis défavorable à ces trois amendements. Nous avons déjà eu une discussion extensive sur le principe de non-régression. C’était très utile et cela a permis de poser un certain nombre de principes, que le garde des Sceaux a rappelés à de nombreuses reprises dans ses interventions. En ce qui concerne la règle verte, si ce concept peut nous paraître intéressant philosophiquement et mérite discussion, une réforme constitutionnelle vise à la clarté. En l’occurrence, cet objectif, avec votre proposition, ne semble pas être atteint : l’avis est donc défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. La règle verte est claire et peut être comprise très aisément : il ne faut pas prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer, ni produire plus que ce qu’elle peut supporter. Depuis un certain nombre d’années, nous commémorons de plus en plus tôt le jour du dépassement, qui marque l’exploitation de toutes les ressources de la planète et l’augmentation de la dette écologique. L’inscrire dans la Constitution traduirait la nécessaire prise de conscience individuelle et collective. Sans cela, on se paye de mots et on brasse du vent – pas du tout écologique, pour le coup !

La Commission rejette successivement les amendements.

 

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2.   Seconde réunion du mercredi 17 février 2021 à 14 heures 30

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Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous poursuivons la discussion des amendements à l’article unique du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement.

Article unique (suite)

La Commission examine l’amendement CL31 de M. Dominique Potier.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL73 de Mme Élodie Jacquier-Laforge et CL75 de Mme Maina Sage.

M. Jimmy Pahun. Je reviens sur les débats de qualité que nous avons eus ce matin, simplement pour espérer qu’à la fois les parlementaires et le peuple français sauront s’approprier ces verbes très forts que sont « garantir » la préservation de l’environnement et « lutter » contre le dérèglement climatique.

S’il y a une chose sur laquelle les scientifiques sont d’accord, c’est bien la nocivité des gaz à effet de serre, qui sont responsables du réchauffement climatique. Il est donc essentiel de les réduire. Il ne faut jamais oublier qu’une respiration sur deux vient de l’océan : il faut en prendre soin. Le rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne les risques liés à l’acidification de l’océan, à la montée des eaux ou encore à la fonte des glaces. C’est pourquoi nous proposons, après le mot « biologique », d’insérer les mots : « terrestres et marins ».

Mme Aina Kuric. Il importe de préciser que la biodiversité est à la fois terrestre et marine. On fait de plus en plus référence à l’ « environnement », de façon globale, et cela n’est pas suffisant. Il convient de ne pas s’enfermer dans un seul élément mais, au contraire, de souligner le caractère indissociable des diverses politiques menées en la matière. La France, en tant que grande puissance littorale et seconde puissance maritime mondiale, joue un rôle éminent. Ces qualités lui confèrent une responsabilité particulière, celle d’être à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique et de la préservation de la diversité biologique terrestre et marine.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. La France est effectivement une grande puissance maritime. Vos amendements me semblent toutefois satisfaits, puisque la préservation de l’environnement et, en son sein, celle de la diversité biologique, recouvre déjà les dimensions terrestres et maritimes. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice. On m’a longuement vanté, monsieur Pahun, votre attachement à la mer. Cela étant, convenez avec moi que l’environnement, c’est la terre et la mer, que la biodiversité, c’est la terre et la mer. Si le Gouvernement était favorable à vos amendements, on se dirait qu’il n’avait pas pensé à la mer, ni à la biodiversité marine, ce qui n’est évidemment pas le cas. Je ne puis donc qu’être défavorable à vos amendements.

L’amendement CL73 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL75.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL18 de M. Martial Saddier, CL72 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL74 de Mme Maina Sage, et l’amendement CL20 de M. Emmanuel Maquet.

Mme Aina Kuric. L’amendement CL74 vise à substituer au mot « lutte » le mot « agit », dans un souci de cohérence avec le terme « garantit », utilisé au début de l’alinéa.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Nous avons déjà eu ce matin un débat sur le sens de ces verbes et les nuances qui peuvent exister entre eux. J’avais déjà émis un avis défavorable sur une proposition du même ordre et je reste du même avis.

La Commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, elle rejette l’amendement CL8 de Mme Delphine Batho.

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL7 de Mme Delphine Batho et les amendements CL34 et CL35 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Nos amendements visent à inscrire, de deux manières différentes – au choix –, dans la Constitution le principe de non-régression, que nous avons acté, non sans mal, dans la loi de 2016. L’amendement CL34 propose la phrase suivante : « Une génération ne peut assujettir les générations futures à des lois moins protectrices de l’environnement que celles actuellement en vigueur. » ; l’amendement CL35 : « Elle assure un niveau de protection de l’environnement élevé et en constante progression. »

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Nous avons déjà longuement débattu de cette question ce matin. Malgré le choix que vous nous offrez, avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable. Nous avons effectivement longuement débattu ce matin de ces notions de « régression », de « progression » ou d’« amélioration », si subjectives qu’elles ne peuvent pas entrer dans la Constitution.

M. Gérard Leseul. Monsieur le ministre, il ne vous aura pas échappé que ma collègue a présenté ces amendements avec fraîcheur parce qu’elle n’était pas présente ce matin. Je comprends que vous ressentiez un certain agacement à notre égard, mais la notion d’ « amélioration », qui est fondamentale, mériterait d’être introduite dans ce texte, d’une manière ou d’une autre. Or vous avez refusé toutes nos propositions rédactionnelles, et nous le regrettons.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Ce n’est pas de l’agacement, cher collègue, simplement j’ai veillé ce matin à ce que chacun puisse s’exprimer pleinement sur ce sujet.

M. Guillaume Larrivé. Je vous prie de m’excuser d’avoir été absent ce matin et d’intervenir peut-être en différé, moi aussi.

Je comprends parfaitement qu’en 2016, on ait voulu inscrire dans la loi ce principe de non-régression, en tant qu’il a pour conséquence d’interdire à l’administration de dégrader le niveau de protection de l’environnement. Qu’un principe législatif contraigne le règlement et l’administration me paraît assez sain et cela a d’ailleurs été confirmé par un jugement du Conseil d’État, voici quelques mois.

En revanche, l’inscrire dans le texte constitutionnel nous exposerait, comme le garde des Sceaux vient de le dire, à une appréciation subjective du Conseil constitutionnel. Le débat de fond, nous devons l’avoir sur ce terrain-là. Nous qui sommes provisoirement constituants, qui souhaitons-nous investir de la responsabilité de dire, au bout du bout, le droit en ces matières ? Voulons-nous vraiment cadenasser, verrouiller, la marge d’appréciation du législateur d’une manière telle qu’on renverra au délibéré collégial du Conseil constitutionnel l’appréciation concrète sur un texte ?

Le vrai sujet est là. Constitutionnaliser le principe de non-régression, m’apparaîtrait, pour le coup, comme une immense régression démocratique, et je ne suis pas sûr que ce serait, pour autant, une progression écologique.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CL61 de Mme Aina Kuric.

Mme Aina Kuric. Il s’agit de compléter l’article par la phrase suivante : « Elle assure et promeut un développement durable. » et ainsi de consacrer la notion de développement durable dans notre Constitution, conformément à la proposition de résolution que nous avions adoptée en séance publique, en novembre dernier, à l’initiative du groupe Agir ensemble.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Votre amendement risque d’introduire une confusion avec l’article 6 de la Charte de l’environnement, qui dispose que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. » Cela contredirait l’exigence de clarté qui s’impose au pouvoir constituant. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis, pour les mêmes raisons : la notion de développement durable est déjà présente dans la Charte de l’environnement. Dès lors, il n’est pas utile de l’inscrire dans la Constitution.

Mme Aina Kuric. La Charte de l’environnement n’est pas un cadre adapté à la notion de développement durable. C’est pourquoi nous avions déposé la proposition de résolution. Par cohérence avec le vote qui est intervenu en séance publique dans le cadre de l’examen de celle-ci, je maintiens cet amendement mais je retire tous les autres, qui ont trait à la notion de développement durable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article unique sans modification.

Après l’article unique

La Commission examine l’amendement CL55 de M. Paul Molac.

M. François-Michel Lambert. Il vise à compléter la dernière phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution par les mots : « selon le principe de subsidiarité » afin d’accroître l’efficacité de ce que nous voulons mettre en œuvre.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur.  Il s’agit du premier amendement d’une série de propositions qui n’ont pas de lien direct avec notre sujet. Je suis partisan de ne pas multiplier les thèmes et de ne pas se lancer dans une entreprise de réécriture, comme ce fut le cas en 2018. J’ajoute que le principe de subsidiarité figure déjà au titre XII et à l’article 72 de la Constitution. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Gouvernement n’entend pas, par ce projet de loi constitutionnelle, traiter d’autre chose que de la question environnementale. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement CL5 de Mme Delphine Batho.

Elle est saisie de l’amendement CL40 de M. Julien Ravier.

M. Julien Aubert. Il s’agit de faire de la langue des signes française une langue à part entière.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, elle rejette successivement les amendements CL60, CL58 et CL56 de M. Jean-Christophe Lagarde.

La Commission examine l’amendement CL38 de M. François-Michel Lambert.

M. François-Michel Lambert. Cet amendement vise à instituer un vice-Premier ministre en charge du développement durable, comme le proposait, en 2006, Nicolas Hulot dans le cadre du Pacte écologique. Alors que beaucoup de ceux qui l’avaient signé ont, par la suite, oublié les engagements qu’ils avaient souscrits, le candidat Emmanuel Macron – qui lui ne l’avait pas signé – s’est engagé, en 2017, à envisager cette création. L’idée lui paraissait bonne, car elle permettait d’avoir une vision sur le temps long et d’améliorer les arbitrages avec le Premier ministre, mais la Constitution l’empêchait. Voici donc un amendement pour aider le Président de la République à réaliser son engagement.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Chacun de nous est conscient de l’urgence environnementale, c’est pourquoi nous proposons cette réforme constitutionnelle. Pour autant, je ne crois pas que le constituant doive graver dans le marbre de la loi fondamentale la nature des portefeuilles ministériels ou leurs attributions. Il revient au chef de l’exécutif de définir les priorités de son gouvernement, l’action qu’il entend mener. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis.

M. Rémy Rebeyrotte. Pour rappeler les mots de Talleyrand, ce serait bien le seul vice qui nous manquerait !

M. Julien Aubert. Pauvre Ve République, qui fonctionnait très bien jusqu’à ce que l’on passe au quinquennat et que l’on transforme petit à petit l’autorité judiciaire en pouvoir judiciaire ! Voici maintenant une nouvelle novation constitutionnelle, avec le vice-Premier ministre. Pourquoi pas, d’ailleurs,  un vice-président ? Cela aurait été plus conforme à votre logique, puisqu’il aurait plus de poids qu’un vice-Premier ministre – d’autant plus si l’on considère l’affaiblissement dont a souffert le Premier ministre au fil de la Ve République.

Rien n’empêche le Président de la République de nommer un Premier ministre qui serait en charge de l’écologie. Sous la IIIe République, plusieurs présidents du Conseil ont également occupé les fonctions de ministre des Affaires étrangères. Je ne vois pas grand-chose dans la Constitution qui s’y opposerait.

Vous pensez que cela améliorerait les arbitrages. Quel serait alors le rôle du ministre de l’Environnement dans votre gouvernement ? Quant à inscrire l’action dans le temps long, tout dépend du Premier ministre : j’en ai connu d’assez courts, à tout point de vue !

M. François-Michel Lambert. Je n’ai fait que relayer une prise de position exprimée par le candidat Emmanuel Macron quelques semaines avant d’être élu Président de la République : la création de la fonction de vice-Premier ministre était une initiative positive, dont la Constitution empêchait la réalisation.

Lorsqu’il a claqué la porte du Gouvernement, Nicolas Hulot n’avait remporté, malgré son titre de ministre d’État et sa place de numéro deux du Gouvernement, que 10 arbitrages sur un peu plus de 300 dans les réunions interministérielles. Les blocages auxquels il s’était heurté lui avaient confirmé la nécessité de remonter le rang au niveau du Premier ministre. J’ignore si la Constitution autoriserait le Premier ministre à cumuler ses fonctions avec celles de ministre de la Transition écologique. Je comprends de nos débats que c’est possible et on peut aussi le penser dans la mesure où Édouard Philippe a été également ministre de l’Intérieur pendant près de deux semaines. On pourrait donc envisager de faire passer cette novation par une autre voie que celle de la révision constitutionnelle. J’aimerais entendre, à ce sujet, ceux qui entendent donner plus de poids à l’écologie au sein du Gouvernement.

Talleyrand parlait de vice. Pour ma part, j’ai étudié non pas la Constitution mais le génie mécanique. Je peux dire que lorsqu’il manque une vis, tout peut partir de travers.

M. Arnaud Viala. Vous venez d’apporter la démonstration de l’inutilité de cette mesure. Si un ministre d’État chargé de l’écologie, numéro deux du Gouvernement, a dû partir parce qu’il n’avait pas les moyens d’agir, je ne vois pas en quoi être vice-Premier ministre l’aurait aidé à faire aboutir ses projets. Cela n’aurait rien enlevé au fait que l’application des politiques qu’il appelait de ses vœux était conditionnée à la volonté présidentielle et au vote par le Parlement de dispositions législatives. Un vice-Premier ministre n’aurait pas davantage de moyens, à moins de lui attribuer des pouvoirs exorbitants.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL65 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Il a trait à un sujet qui m’est cher et sur lequel je travaille depuis le début de la législature : l’évaluation climatique des textes et des normes. Nous n’avons pas les moyens de bien évaluer l’impact des lois au regard des objectifs que nous nous sommes fixés. L’amendement vise à préciser que les modalités d’application de l’article 10 de la Constitution seraient fixées par une loi organique, afin de disposer in fine d’une loi ordinaire permettant de créer des outils d’évaluation de l’impact climatique des textes.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Votre proposition est revenue dans certaines auditions. Je comprends ce qui la motive, mais j’y suis défavorable pour plusieurs raisons. D’abord, les études d’impact que le Gouvernement doit déposer en même temps que le projet de loi constituent une source d’information déjà suffisamment importante. Ensuite, l’étude d’impact ex post, comme vous la proposez, serait lourde à formaliser. Quant à l’étude d’impact ex ante, elle a pour objectif d’améliorer la qualité de la loi et de lutter contre l’inflation législative. Je ne suis donc pas convaincu de l’utilité d’une étude d’impact, dès lors qu’elle serait publiée après la loi. L’important, pour le Parlement, est de contrôler l’application de la loi et de mener sa mission d’évaluation dans les meilleures conditions possible.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même position.

M. Erwan Balanant. Je comprends votre position. Mais je voulais à tout prix amener le débat, parce que l’évaluation est une question essentielle, en particulier l’évaluation climatique. Il suffit de voir les polémiques auxquelles ont donné lieu les études d’impact sur le texte de la Convention citoyenne. Nous n’avons pas les outils. Or avec une telle boussole, nous pourrions notamment éviter du contentieux, car elle nous permettrait de respecter les objectifs fixés, plus particulièrement ceux de l’article unique que nous venons d’adopter.

Dans des textes aussi importants que la loi d’orientation des mobilités (LOM), la loi EGALIM ou la loi PACTE, certains amendements peuvent changer considérablement le texte qui avait fait l’objet de l’étude d’impact. C’est pourquoi il me semble nécessaire de redéfinir les évaluations après le vote. En l’absence de ces outils, nous aurons une boîte à contentieux.

Mme Cécile Untermaier. Je trouve cet amendement tout à fait intéressant et approprié. Il pose la question de l’articulation de la garantie et du principe législatif de non‑régression – comment s’assurer de celle-ci sans étude d’impact ? Cela fait des années que nous essayons de dire que l’étude d’impact doit traduire les effets que le texte va produire, sans y parvenir. Je comprends l’exaspération de mon collègue. C’est d’autant plus important que, de plus en plus, pour les textes de loi, qui sont des outils de souveraineté nationale, l’étude d’impact est confiée à un bureau extérieur sans qu’on en sache bien l’identité. Cela fait courir le risque de conflits d’intérêts et pose des problèmes de fiabilité et de complétude. Je comprends que cette disposition ne soit pas dans la Constitution, mais il est essentiel de s’interroger sur de telles questions. L’engagement du ministre sur ce sujet serait bienvenu.

M. Gérard Leseul. Nos amendements CL24 et CL25 portent sur le même sujet. Nous souhaitons inscrire à l’article 39 de la Constitution la nécessité d’avoir une évaluation sérieuse, sincère et complète des conséquences des textes sur l’environnement ou sur sa préservation. Comme Erwan Balanant et Cécile Untermaier, je pense qu’il est indispensable d’introduire cette notion dans la loi.

M. François-Michel Lambert. Cet amendement est primordial, d’autant qu’il renvoie à des travaux qui ne viendront pas gêner la réforme constitutionnelle.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL66 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. C’est la même logique. Il vise à compléter nos outils, en précisant que l’évaluation des politiques publiques se fait « notamment au regard des grands objectifs environnementaux ».

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Une telle précision ouvrirait le champ à des précisions sans fin. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même position.

M. Erwan Balanant. Je suis d’accord mais ne retire pas l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CL45 de M. François-Michel Lambert, CL70 de M. Erwan Balanant et CL71 de Mme Élodie Jacquier-Laforge.

M. François-Michel Lambert. Si plusieurs amendements identiques ont été déposés, c’est qu’il y a un sujet. Afin de suivre les recommandations du Conseil d’État dans le cadre de son analyse du projet de loi constitutionnelle, l’amendement vise inscrire à l’article 34 de la Constitution que la loi fixe les règles relatives au « droit » de l’environnement et non pas à sa « préservation ». En l’état, cette disposition introduirait un doute sur la compétence du législateur en matière de préservation de la diversité biologique et d’action contre le dérèglement climatique, inscrites à l’article 1er et qui doivent être au cœur de notre action. Il y a les phrases et il y a la réalité : nous sommes bel et bien là pour agir dans ce domaine. C’est un amendement de cohérence.

M. Erwan Balanant. Il s’agit de reprendre le point 11 de l’avis du 21 janvier 2021 du Conseil d’État. En tant que parlementaires, nous aurions tout intérêt à le voter, au risque de voir le Parlement dessaisi de ce sujet, ce qui n’a rien d’anodin.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Avis défavorable. Ces amendements ne semblent pas nécessaires. Placer la préservation de l’environnement en tête du triptyque de la nouvelle phrase de l’article 1er confirme que le législateur se voit confier, à l’article 34 de la Constitution, avec la détermination des principes fondamentaux de la préservation de l’environnement, celle des principes fondamentaux de la préservation de la biodiversité et de la lutte contre le dérèglement climatique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je partage totalement cette analyse. Avis défavorable.

M. François-Michel Lambert. J’ai fait génie mécanique, donc je m’appuie sur les avis du Conseil d’État pour proposer des amendements. Il est tout de même question, comme le disait Erwan Balanant, de nous permettre de continuer à être pleinement législateur.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL53 de M. Stéphane Peu et CL76 de Mme Maina Sage.

Mme Aina Kuric. Notre amendement vise à inscrire pour la première fois dans la Constitution les mots « mer » et « océan ». Après la refondation historique d’un ministère de la Mer, cette inscription dans la Constitution permettait de reconnaître la part maritime, plus que de notre environnement, de notre existence.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Je comprends la philosophie de votre amendement, mais mon avis est défavorable. Si l’on ajoute « mer » et « océans », on peut ouvrir la liste et inscrire dans la Constitution tout ce qui relève de l’environnement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Ce serait tellement beau effectivement de mettre la mer et les océans dans la Constitution ! Mais la notion d’environnement les englobe déjà. La Constitution ne peut pas être bavarde. Avis défavorable.

M. Jimmy Pahun. Je voudrais partager avec vous un beau souvenir : celui d’un soir de juillet 2018 où nous avions réussi à inscrire à l’article 34 de la Constitution les mers et océans. Et puis, dès le lendemain, patatras !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il y avait eu une forte mobilisation de nos collègues ultramarins sur de cette question, à l’initiative de Maina Sage notamment.

M. Julien Aubert. J’ai, moi-même, un autre souvenir : celui du jour où vous avez permis aux éoliennes en mer d’échapper au droit de la mer. Normalement, un équilibre est préservé entre les différentes utilisations du littoral que l’on souhaite protéger, par exemple la pêche et le tourisme. Or vous avez donné à la politique énergétique, à travers les éoliennes en mer, une place prédominante, avec un droit spécifique contredisant, d’une certaine manière, le reste du droit de la mer. Défendre la mer, ce n’est pas forcément défendre le développement durable. Dans le cas d’espèce, la forme de production énergétique dont je parle est mauvaise pour le fond des océans, pour la pêche et pour la protection de la biodiversité.

La Commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, elle rejette successivement les amendements CL77 de Mme Maina Sage et  CL32 de M. Dominique Potier.

La Commission examine l’amendement CL36 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul. Il vise à introduire, à l’article 34 de la Constitution, la phrase suivante : « La loi détermine le crime d’écocide ainsi que les grands équilibres interdépendants qui représentent les limites planétaires à ne pas dépasser pour assurer l’habitabilité de la Terre. »

Certains collègues diront que nous sommes dans le symbole, voire dans le verbiage. Pour ma part, j’ai souvenir, monsieur le garde des Sceaux, que vous nous avez dit il y a quelques semaines que le terme d’écocide posait difficulté mais qu’il était intéressant et qu’il conviendrait d’en rediscuter. Je voudrais donc savoir où en est votre réflexion quant à la possibilité d’appréhender cette notion autrement que par un délit.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. L’amendement est déjà satisfait par le quatrième alinéa de l’article 34. Celui-ci dispose que la loi fixe les règles concernant « la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». J’ajoute qu’il est question, dans votre amendement, des « grands équilibres interdépendants », des « limites planétaires », de « l’habitabilité de la Terre » – autant de notions qui ne sont pas suffisamment précises pour être inscrites dans la Constitution. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Nous parlerons de l’écocide le moment venu. S’agissant plus précisément de votre amendement, j’y suis défavorable pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être très justement exprimées par M. le rapporteur.

M. Julien Aubert. Je suis opposé à cet amendement. D’abord, la rédaction de l’article 34 est assez claire sur le plan juridique. Ensuite, cet amendement reflète la fameuse conception punitive de l’écologie, dont les Français ne veulent plus. Cette conception consiste à aborder un sujet qui devrait faire consensus, à savoir la protection de l’environnement, uniquement à travers l’enjeu de la judiciarisation, de la recherche de coupables et de responsables. Il y a pourtant, me direz-vous, des gens qui portent atteinte à l’environnement, et qui donc sont responsables. Certes, mais je trouve assez singulier qu’une partie importante de la discussion soit consacrée à cette question, d’autant que l’articulation avec le projet de loi issu de la Convention citoyenne pose problème : ce second texte prévoit déjà de créer le délit d’écocide. Ce serait fromage et dessert !

M. François-Michel Lambert. Fromage et dessert, peut-être ; en attendant, il faut combattre les écocides. Nous devons renforcer notre corpus législatif sur ce point, en commençant par la Constitution.

Il est vrai que le Gouvernement et la majorité sont maîtres des horloges : ils choisissent quand on peut aborder tel ou tel sujet. En l’occurrence, il me semble dommageable d’attendre l’autre projet de loi : il est beaucoup plus dense et complexe, ce qui ne permettra peut-être pas de traiter la question en profondeur comme le souhaitent les citoyens. Je soutiens donc pleinement cet amendement.


M. Gérard Leseul. De notre point de vue, le droit de l’écologie ne doit pas être plus punitif que le droit social, celui de la propriété, celui de la concurrence ou celui régissant l’activité des banques. L’enjeu est de faire en sorte qu’il soit tout aussi protecteur que punitif.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL67 M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. L’article 39 de la Constitution dispose : « La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. » L’amendement vise à inclure dans cette disposition les propositions de loi. La loi organique visée pourrait ensuite être modifiée à son tour pour rendre les études d’impact possibles, parfois obligatoires pour certaines propositions de loi. En plusieurs occasions, l’absence d’étude d’impact s’est, en effet, révélée très dommageable pour le débat parlementaire. Les enjeux manquent également de visibilité pour les citoyens. C’est donc un ajustement cosmétique de notre Constitution que je propose, permettant ensuite d’affiner la loi organique.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Cet amendement n’a rien de cosmétique : contraindre le législateur à réaliser une étude d’impact pour chaque proposition de loi ferait peser sur lui une contrainte très lourde. De surcroît, nos moyens sont déjà limités. Votre proposition me semble donc irréaliste. Avis défavorable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Étant donné la pratique de certains groupes consistant à inscrire au programme de leur ordre du jour réservé un nombre de textes si grand que certains ne sont même pas débattus en séance, on peut se demander, en effet, comment nous nous en sortirions s’il fallait produire une étude d’impact pour chacun d’entre eux…

Mme Cécile Untermaier. Ce serait peut-être justement le moyen d’avoir moins de textes…

Cela dit, on ne peut pas continuer à considérer que les études d’impact doivent être limitées aux projets de loi. Une proposition de loi, parfois même un amendement peuvent se révéler beaucoup plus destructeurs qu’un projet de loi présenté par le Gouvernement. Nous devons être extrêmement vigilants sur ce point. Des progrès sont nécessaires. Cet amendement vise à nous éclairer.

M. Erwan Balanant. Mme Untermaier a bien résumé les choses. Les études d’impact sont définies et réglées par une loi organique. Je veux simplement ouvrir la possibilité d’aborder, dans cette loi, la question des études d’impact se rapportant aux propositions de loi. Il ne faut pas voir cette démarche comme quelque chose de punitif, au contraire. Il serait très important, pour l’auteur d’une proposition de loi, que son texte soit accompagné d’une étude d’impact. Je ne dis pas qu’il faut la rendre obligatoire ; il reviendrait à la loi organique de régler la question, tout en proposant les dispositifs adéquats.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, elle rejette successivement les amendements CL24, CL25 et CL27 de M. Gérard Leseul.

Les amendements CL62 et CL63 de Mme Aina Kuric sont retirés.

La Commission examine l’amendement CL59 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Cet amendement a pour objet de supprimer la Cour de justice de la République. Je n’en dirai rien sur le fond, mais je m’autorise tout de même un constat : cette question est assez éloignée, vous en conviendrez, de nos préoccupations environnementales…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Lors de la précédente révision constitutionnelle soumise à notre assemblée, nous partagions le souhait de supprimer la Cour de justice de la République afin de permettre une procédure commune pour toutes les personnes poursuivies dans un même dossier. Malheureusement, cette réforme n’est pas allée à son terme ; notre souhait n’en reste pas moins entier.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements CL26 et CL28 de M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul. Nous ne parvenons pas à étendre le champ des études d’impact. Celles-ci, créées en 2008, ont pourtant constitué un vrai progrès dans la construction de la législation. Peut-être, alors, pourrions-nous faire en sorte que le Conseil économique, social et environnemental, saisi par un groupe ou s’autosaisissant des textes, émette un avis sur le caractère sérieux, sincère et complet des évaluations qui les accompagnent. Il pourrait même formuler ses propres évaluations.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, rapporteur. Avis défavorable. La rédaction de l’article 70 de la Constitution – « Le Conseil économique, social et environnemental peut être consulté par le Gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental. » – me semble mieux à même de répondre à nos préoccupations environnementales que celle que vous proposez, qui reviendrait à lui confier la mission de vérifier le caractère sincère et complet des études d’impact.


M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis.

M. Erwan Balanant. Sans vouloir être méchant, les amendements ne sont pas très pertinents. Ils témoignent d’une méconnaissance du travail du CESE, car le Conseil fait d’ores et déjà ce que vous proposez. Je vous invite, par exemple, à consulter l’évaluation très intéressante qu’il a produite sur le projet de loi faisant suite à la Convention citoyenne pour le climat.

Cette réforme, dites-vous, ne doit pas se réduire à une simple promesse. Ce ne serait pas un commentaire très agréable de votre part s’agissant de celle du CESE, car force est de constater que nous avons fait du très bon travail : le CESE est maintenant armé pour atteindre les objectifs qui lui sont fixés.

M. Gérard Leseul. Cet amendement ne traduit pas une méconnaissance du travail du CESE. Il vise simplement à rendre plus systématique sa saisine pour qu’il ne soit pas amené à donner son avis uniquement sur les textes qui auraient des conséquences immédiates et évidentes pour l’environnement.

Mme Cécile Untermaier. Je n’ai jamais été opposée à la réforme du CESE, Gérard Leseul non plus. Par ailleurs, cet amendement tend à ce que le CESE puisse s’autosaisir afin d’émettre un avis, sans attendre d’être saisi, ce qui est bien différent de son mode de fonctionnement actuel, et particulièrement intéressant en ce que le CESE rendrait son avis en toute indépendance et autonomie. Nous pourrions y réfléchir ultérieurement, lorsque le CESE sera recomposé.

M. Julien Aubert. Cette idée selon laquelle, en sollicitant des organismes extérieurs, on importerait de la connaissance, me surprendra toujours. Pourquoi ne pas, tout simplement, renforcer le Parlement ? Pourquoi ne pas donner des moyens supplémentaires à l’Assemblée nationale, à travers l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) ? Peut-être même pourrions-nous trouver un arrangement : dissoudre le CESE pour réaliser des économies, au profit de l’OPECST. Pourquoi pas ? Vous envisagiez bien de supprimer la Cour de justice de la République ! Je suis certain que les Français ne seraient pas hostiles à ma proposition. L’alternative macroniste consiste à demander au cabinet McKinsey de le faire, mais ce n’est pas ma philosophie de l’action publique.

La Commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, elle rejette l’amendement CL57 de M. Jean-Christophe Lagarde. 


TITRE

Suivant l’avis du rapporteur et du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement CL4 de Mme Delphine Batho. 

L’amendement CL64 de Mme Aina Kuric est retiré.

La Commission adopte le projet de loi constitutionnelle sans modification.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, vous demande d’adopter le projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la protection de l’environnement (n° 3787) sans modification.


—  1  —

   Personnes entendues

—  Mme Christelle Hilpert, conseillère affaires civiles et prospectives au cabinet du ministre

—  M. Guillem Gervilla, conseiller parlementaire au cabinet du ministre

—  M. Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du sceau

—  Mme Aude Richard, cheffe du bureau du droit constitutionnel et du droit public général à la direction des affaires civiles et du sceau

—  M. Thomas Lesueur, commissaire général au développement durable

—  Mme Aurélie Bretonneau, directrice des affaires juridiques

—  M. Victor Costar, membre du groupe de travail « se loger »

—  Mme Mélanie Blanchetot, membre du groupe de travail « se nourrir »

—  M. Kisito Ondongo, membre du groupe de travail « se nourrir »

—  M. Guy Kulitza, membre du groupe de travail « se nourrir »

—  M. Pierre Fraimbault, membre du groupe de travail « consommer »

––  Mme Valérie Masson-Delmotte, co-présidente du groupe de travail n° 1 chargé des aspects scientifiques du système climatique et de l’évolution du climat

––  M. Jean Jouzel, paléoclimatologue, ancien membre du GIEC

—  Mme Clara Gonzales, juriste

—  M. Samuel Leré, responsable du plaidoyer

—  Mme Marine Yzquierdo, juriste

 

—  M. Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville, président de l’Association des maires de Seine-et-Marne

—  M. Jean Révéreault, vice-président

—  M. Arnaud Merveille, vice-président du département de la Meuse chargé de la transition énergétique et du développement durable

—  M. Jules Nyssen, directeur général

 

 


([1])              Rapport n° 1595 fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 992) relatif à la Charte de l’environnement, par Mme Nathalie Kosciuzko-Morizet, 12 mai 2004, XIIe législature, Assemblée nationale.

([2])              On peut citer notamment l’explosion d’un réacteur chimique de production d’herbicides qui a émis un nuage de dioxine cancérigène à Seveso en Italie en 1976, l’éclatement d’un réservoir dans une usine de pesticides à Bhopal en Inde en 1984, la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 ou plus récemment celle de Fukushima en mars 2011.

([3])              Le Torrey Canyon en 1967, l’Amoco Cadiz en 1978, l’Exxon Valdez en 1989 ou encore, plus récemment, l’Erika en 1999, le Prestige en 2002 et le Wakashio en 2020.

([4])              Il s’agit des objectifs 2 (Fin de la faim, réaliser la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable), 6 (Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau), 7 (Accélérer l’accès à une énergie abordable, fiable, durable et moderne pour tous), 9 (Construire une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation inclusive et durable et favoriser l’innovation), 11 (Rendre les villes et les établissements humains inclusifs, sûrs, résilients et durables), 12 (Assurer des modes de consommation et de production durables), 13 (Prendre des mesures urgentes pour lutter contre le changement climatique et ses impacts), 14 (Conserver et utiliser durablement les océans, les mers et les ressources marines pour le développement durable) et 15 (Protéger, restaurer et promouvoir l’utilisation durable des écosystèmes terrestres, la gestion durable des forêts, la lutte contre la désertification et stopper et inverser la dégradation des terres et la perte de la biodiversité).

([5])              GIEC, Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C, octobre 2018, Rapport spécial sur le changement climatique et les terres émergées, août 2019 et Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère, septembre 2019.

([6])              Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, Les événements météorologiques extrêmes dans un contexte de changement climatique, La documentation française, décembre 2018.

([7])              Haut conseil pour le climat, Deuxième rapport Neutralité carbone 2020, « Redresser le cap, relancer la transition », 8 juillet 2020.

([8])              Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, Évaluation mondiale de la biodiversité et les services écosystémiques, mai 2019.

([9])              Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, Des Solutions fondées sur la Nature pour s’adapter au changement climatique, La documentation française, décembre 2019.

([10])              Outre la CCNUCC, deux conventions ont été adoptées à Rio en 1992 : la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD).

([11])              Michel Prieur, Droit de l’environnement, Dalloz, 8e édition, 2019.

([12])              Marie-Anne Cohendet et Marine Fleury, Droit constitutionnel et droit international de l’environnement, Revue française de droit constitutionnel, 2020, n° 122.

([13])              Erin. Daly et James May, Global Environmental Constitutionalism, Cambridge University Press, June 2016 ; J.-C. Gellers, Explaining the Emergence of Constitutional Environmental Rights : A Global Quantitative Analysis, Journal of Human Rights and the Environment, 2015, 6 (1).

([14])              Christel Cournil, Du prochain « verdissement » de la Constitution française à sa mise en perspective au regard de l’émergence des procès climatiques, Énergie, environnement, infrastructures, n° 12, décembre 2018.

([15])              Un comité scientifique présidé par M. Robert Klapisch, un comité juridique présidé par le professeur Yves Jégouzo, ainsi que d’autres comités plus spécialisés (éthique, évaluation), ont permis d’associer à ses travaux de nombreux experts.

([16])              La loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 a en effet substitué les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent à l’approbation d’un accord de Communauté.

([17])              Cette voie de révision de la Constitution, empruntée en 1962 et en 1969, est juridiquement très contestée compte tenu de ce que la procédure de révision est définie à l’article 89. Depuis que le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent (décisions « Hauchemaille » des 25 juillet, 23 août et 6 septembre 2000) pour contrôler les décrets relatifs à la convocation et à l’organisation d’un référendum, elle pourrait donner lieu à un contentieux tranché par le Conseil s’il y était à nouveau recouru.

([18])              Article 11 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

([19])              Parmi les principales déclarations figurent la Déclaration de Stockholm adoptée par la Conférence des Nations-Unies sur l’environnement de 1972, la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 ou, encore, la Déclaration de Johannesburg de 2002 sur le développement durable. Elles s’accompagnent d’un type d’instrument plus original dans le droit international : les programmes d’action qui définissent les tâches à mener par les États et les méthodes à suivre.

([20])              Les traités multilatéraux entièrement ou partiellement relatifs à l’environnement dépasseraient le nombre de 500, auxquels s’ajouteraient environ 900 traités bilatéraux, selon le décompte réalisé par Michel Prieur dans son ouvrage Droit de l’environnement, Dalloz, 8e édition, 2019.

([21])              Outre la CCNUCC, deux conventions ont été adoptées à Rio en 1992 : la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD).

([22])              Article 1er, § 2 de la CCNUC.

([23])              Article 2 de la CCNUC.

([24])              Règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat. En septembre 2020, la Commission européenne a proposé, dans le « pacte vert pour l’Europe », de renforcer encore ces objectifs, en augmentant la part des énergies renouvelables et en améliorant l’efficacité énergétique. La proposition de règlement établissant un cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999, telle que modifiée en septembre 2020, détermine la neutralité climatique en 2050, fixe à 55 % le nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990 et prévoit, d’ici à 2030, l’amélioration de l’efficacité énergétique de 32,5 % et l’augmentation de la part des énergies renouvelables de telle sorte qu’elle représente 32 % dans le mix énergétique européen.

([25])              Article L. 100-4 du code de l’énergie.

([26])              Conseil d’État, 19 novembre 2020, Commune de Grande Synthe et autre, n° 427301.

([27])              Tribunal administratif de Paris, 3 février 2021, Association Oxfam France, Association Notre Affaire À Tous, Fondation Pour la Nature et l’homme, Association Greenpeace France, n°s 1904967, 1904968, 1904972, 1904976/4-1.

([28])              Voir notamment CEDH, 9 décembre 1994, López Ostra c. Espagne, 16798/90 et CEDH, 18 juin 2002, Öneryildiz c. Turquie, n° 48939/99.

([29])              CEDH, 29 mars 2010, Depalle c. France, 34044/02.

([30])              Selon le décompte présenté par Michel Prieur, op. cit.

([31])              Voir, par exemple, le règlement (CE) n° 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), et instituant une agence européenne des produits chimiques, , la directive 92/43/CEE du Conseil concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (dite « Natura 2000 »), la directive 2008/98/CE relative aux déchets et abrogeant certaines directives et la directive 2009/147/CE concernant la conservation des oiseaux sauvages.

([32])              CJUE, 24 octobre 2019, C-63618 (PJ).

([33])              Conseil d’État, 12 juillet 2017, n° 394254.

([34])              Conseil d’État, 10 juillet 2020, n° 428409.

([35])              Pour une politique de l’environnement, Louis Armand, 1970.

([36])              Ces propositions de loi constitutionnelle avaient été déposées respectivement à l’initiative du groupe socialiste, du groupe communiste et enfin de MM. Jean Foyer, Claude Labbé, Roger Chinaud et Max Lejeune.

([37])              Adoptée le 24 juin 2004, la Charte de l’environnement a été « adossée » au Préambule par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Le président de la République avait en effet décidé de retarder de quelques mois son adoption définitive pour la soumettre au Congrès en même temps que le projet de révision qui tendait à lever les obstacles à la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

([38])              La Constitution de la République française, ouvrage sous la direction de François Luchaire, Gérard Conac et Xavier Prétot, 3e édition, Economica, 2009.

([39])              Rapport n° 1595 fait au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 992) relatif à la Charte de l’environnement, par Mme Nathalie Kosciuzko-Morizet, 12 mai 2014, XIIe législature, Assemblée nationale.

([40])              Yves Jégouzo, La Charte de l’environnement, dix ans après, in dossier intitulé « Charte de l’environnement : l’âge de raison ? », AJDA, n° 9/2015.

([41])              Conseil constitutionnel, décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés.

([42])              Conseil constitutionnel, décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre.

([43])              Conseil constitutionnel, décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B., épouse D., et autres.

([44])              Conseil constitutionnel, décision n° 2014-394 QPC du 7 mai 2014, Société Casuca.

([45])              Conseil constitutionnel, décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012, M. Antoine de M.

([46])              Conseil constitutionnel, décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre.

([47])              Conseil constitutionnel, décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, Association France Nature Environnement.

([48])              Conseil constitutionnel, décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes.

([49])              Sur ce sujet, voir notamment Conseil constitutionnel, décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013, Société Schuepbach Energy LLC, décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019, Société Total raffinage France.

([50])              Cf. décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011 précédemment citée.

([51])              Conseil constitutionnel, décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières.

([52])              Conseil d’État, Ass., 3 octobre 2008, n° 297931.

([53])              Conseil d’État, Ass., 12 juillet 2013, n° 344522.

([54])              Conseil d’État, 17 octobre 2013, Commune d’Illkirch-Graffenstaden, n° 370481.

([55])              Sur ce sujet, cf. Conseil d’État, 19 juillet 2010, Association du quartier « Les Hauts de Choiseul », n° 328687 et Conseil d’État, Ass., 12 avril 2013, Stop THT, n° 342409.

([56])              Cass. civ. 3e, 27 janvier 2011, n° 10-40.056.

([57])              Conseil constitutionnel, décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010.

([58])              Conseil constitutionnel, décision n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014.

([59])              En juillet 2018, l’Assemblée nationale a adopté, à l’initiative des rapporteurs de la commission des Lois, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Richard Ferrand et M. Marc Fesneau, et du groupe LaREM ainsi que de Mme Sylvia Pinel, deux amendements identiques qui avaient pour objet d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques alors que le projet de loi constitutionnelle initiale prévoyait de modifier l’article 34 de la Constitution afin de confier au législateur outre la détermination des principes fondamentaux relatifs à la lutte contre le changement climatique. Cependant, l’examen de ce projet de loi constitutionnelle a été interrompu et le texte a été retiré de l’ordre du jour. Déposé le 29 août 2019 sur le bureau de l’Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique prévoyait, parmi ses treize dispositions, d’inscrire à l’article 1er que la France favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques. Toutefois, ce projet de texte n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée.

([60])              L’ancien texte de l’article 1er instituait une Communauté entre la France et les peuples d’outre-mer. Il fut décidé en 1995 d’abroger toutes les dispositions constitutionnelles relatives à la Communauté disparue en 1961.

([61])              Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.

([62])              Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

([63])              Cité par le code constitutionnel Litec.

([64])              Aux termes de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage. (…) L’objectif de développement durable (…) est recherché, de façon concomitante et cohérente, grâce aux cinq engagements suivants :

1° La lutte contre le changement climatique ;

2° La préservation de la biodiversité, des milieux, des ressources ainsi que la sauvegarde des services qu’ils fournissent et des usages qui s’y rattachent ;

3° La cohésion sociale et la solidarité entre les territoires et les générations ;

4° L’épanouissement de tous les êtres humains ;

5° La transition vers une économie circulaire ».

([65])              Cf. supra (partie I.A.) les récentes décisions du Conseil d’État.

([66])              Décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, op. cit.

([67])              Dans sa décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992, Traité sur l’Union européenne, le Conseil constitutionnel a en effet indiqué, dans le considérant n° 5 que « lorsque le Conseil constitutionnel, saisi en application de l’article 54 de la Constitution, a décidé que l’autorisation de ratifier en vertu d’une loi un engagement international est subordonnée à une révision constitutionnelle, la procédure de contrôle de contrariété à la Constitution de cet engagement (…) ne peut être à nouveau mise en œuvre, sauf à méconnaître l’autorité qui s’attache à la décision du Conseil constitutionnel conformément à l’article 62, que dans deux hypothèses ; d’une part, s’il apparaît que la Constitution, une fois révisée, demeure contraire à une ou plusieurs stipulations du traité ; d’autre part, s’il est inséré dans la Constitution une disposition nouvelle qui a pour effet de créer une incompatibilité avec une ou des stipulations du traité dont il s’agit  ».