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Nos 3939

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 mars 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,

DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT
 

 

visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (n° 3796)

 

 

 

PAR Mme Alexandra LOUIS

Députée

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 3796

 


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  SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS............................................ 5

Examen des articles

Article 1er (art. 222231 à 222233 et 222292 [nouveaux] du code pénal) Création de trois nouvelles infractions sexuelles sur mineur

Article 1er bis A (art. 222221 du code pénal) Contrainte morale en cas de différence d’âge entre l’auteur des faits et la victime mineure

Article 1er bis B (art. 22725, 22726, 22727 et 227273 du code pénal) Coordinations et nouvelle dénomination des atteintes sexuelles

Article 1er bis (supprimé) (art. 222221 du code pénal) Notion de contrainte et de surprise pour un mineur de quinze ans

Article 2 (supprimé) (art. 22725 du code pénal) Articulation avec le délit d’atteinte sexuelle sur mineur

Article 3 (art. 22224, 222-25 et 222-26 du code pénal) Coordinations pour les crimes de viol

Article 4 (supprimé) (art. 2272721 et 227283 du code pénal) Coordinations

Article 4 bis (art. 22223 du code pénal) Élargissement de la définition du viol aux actes bucco-génitaux

Article 4 ter (art. 8 du code de procédure pénale) Règles de prescription du délit de non-dénonciation d’infraction sur mineur

Article 4 quater (art. 7 et 8 du code de procédure pénale) Prescription glissante des crimes sexuels sur mineur

Article 5 (art. 70647 du code de procédure pénale) Infractions entraînant une inscription au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes

Article 6 (art. 706532 du code de procédure pénale) Inscription automatique dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes lorsque la victime est mineure

Article 7 (art. 222484 et 227311 [nouveaux] du code pénal) Peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité au contact des mineurs

Article 8 (supprimé) (art. 70647 du code de procédure pénale) Procédure applicable à la nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur

Article 9 (nouveau) (art. 7111 du code pénal ; art. 804 du code de procédure pénale) Application outre-mer

Compte rendu des débats

1. Première réunion du mercredi 3 mars 2021 (matin)

2. Seconde réunion du mercredi 3 mars 2021 (après-midi)

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Il y a près de trois ans, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. De l’avis général, ce texte a considérablement amélioré la situation des victimes d’infractions sexuelles. Il marquait une évolution de la société française, transcrite dans le droit français, dans la bonne direction : vers une meilleure considération des femmes et des enfants, vers une protection plus efficace contre les viols et les agressions sexuelles, vers une répression plus stricte des actes dont la fréquence effraie tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté.

Aujourd’hui, l’occasion se présente au Parlement d’accomplir un nouveau pas. Alors que les débats de 2018 s’étaient conclu sur l’impossibilité juridique de présumer un viol ou une agression sexuelle sur la seule base du jeune âge de la victime, c’est-à-dire de tenir l’infraction pour constituée sans qu’il faille établir une violence, une contrainte, une menace ou une surprise, le Parlement avait dû se borner à adopter des dispositions interprétatives, certes utiles, mais aux effets directs limités. Les réflexions des juristes, des praticiens et des parlementaires se sont heureusement poursuivies pour aboutir à une solution compatible avec nos principes constitutionnels et fondamentaux : la création d’infractions autonomes réprimant, per se, l’acte sexuel commis par un majeur sur un mineur.

Accompagnées par les parties prenantes et le monde associatif, quatre propositions de loi ont été déposées devant le Parlement – deux au Sénat ([1]) et deux à l’Assemblée nationale ([2]). Ces initiatives ont reçu, sur le principe, le soutien du Gouvernement. Pour sa part, le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale a pris la décision, au regard de l’importance du sujet, de privilégier le texte le plus avancé dans la procédure parlementaire, le plus susceptible d’être promulgué dans les meilleurs délais. Ainsi, bien que les députés aient adopté à l’unanimité, le 18 février dernier, la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles ([3]), c’est la proposition de loi de Mme la sénatrice Annick Billon, adoptée par le Sénat dès le 21 janvier 2021, que l’Assemblée nationale a inscrite à son ordre du jour à compter du 15 mars prochain.

Il y a lieu de saluer ce bel exemple d’initiative parlementaire et de coopération entre les deux assemblées. Les objectifs sont convergents : la volonté est partagée d’établir une infraction autonome réprimant les actes sexuels commis sur un mineur par un majeur et dispensant les juridictions d’interroger le consentement de la victime, partant du principe qu’un enfant ne saurait valablement le formuler. Mais il existe une divergence importante entre les positions du Sénat et de l’Assemblée nationale : la fixation de l’âge à partir duquel ledit consentement à un acte sexuel peut être donné par un mineur à un majeur.

Les délibérations des sénateurs les ont conduits à retenir un âge de treize ans. Pour votre rapporteure et pour la commission des Lois, il s’agit d’un progrès insuffisant : un consensus existe, à l’Assemblée nationale, pour retenir un seuil de droit commun de quinze ans et, dans le cas particulier de l’inceste, un seuil spécifique de dix-huit ans. Ces deux positions ont reçu, avant même l’examen de la proposition de loi, le soutien du Gouvernement.

 Le texte adopté par le Sénat comportait d’autres avancées, comme l’élargissement de la définition du viol aux actes bucco-génitaux et l’amélioration du fonctionnement du fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes.

Les travaux de la commission des Lois ont apporté de nouveaux progrès, notamment la définition d’une infraction autonome de viol incestueux, et ils ont permis d’ouvrir de nouveaux débats qui pourront aboutir en séance publique, comme la nécessité de sanctionner plus durement les prédateurs qui utilisent internet pour forcer les mineurs à accomplir sur eux-mêmes les actes les plus dégradants.

Dans l’entreprise de protection des enfants, il n’existe au Parlement aucune forme de rivalité : c’est l’œuvre commune à laquelle tous doivent concourir qui oriente les positions de chacun. L’examen en séance publique par l’Assemblée nationale offrira, une nouvelle fois, l’opportunité de constater l’unité de la Nation dans un même mouvement.

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   Examen des articles

Article 1er
(art. 222231 à 222233 et 222292 [nouveaux] du code pénal)
Création de trois nouvelles infractions sexuelles sur mineur

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi qualifie de crime tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de treize ans.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes comportait des dispositions interprétatives destinées aux juridictions pénales, afin que celles-ci prennent en compte la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, l’autorité de droit ou de fait dont celui-ci dispose sur sa victime et la vulnérabilité du mineur ne disposant pas du discernement nécessaire pour l’accomplissement d’un acte sexuel.

       Modifications apportées par le Sénat

Le Sénat a apporté deux précisions à la définition des éléments constitutifs de l’infraction. En commission des Lois, un amendement de la rapporteure a précisé que le crime était constitué que la pénétration soit prodiguée ou reçue par le majeur de façon à réprimer, comme c’est le cas en matière de viol, les fellations imposées. En séance publique, un amendement de Mme Esther Benbassa, adopté avec le soutien de la commission et en dépit de l’opposition du Gouvernement, a intégré à l’infraction les actes buccogénitaux.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté, avec l’avis favorable de la rapporteure, un amendement du Gouvernement procédant à une réécriture globale de l’article 1er, ainsi que dix-neuf sous-amendements. Le dispositif adopté institue trois nouvelles infractions dont la constatation ne nécessite pas d’établir une violence, une contrainte, une menace ou une surprise : un crime de viol sur mineur de quinze ans, un crime de viol incestueux sur mineur, et une agression sexuelle sur mineur de quinze ans ou, lorsqu’un élément d’inceste est présent, sur mineur jusqu’à dix-ans.

1.   L’état du droit

a.   Les infractions réprimant les actes sexuels infligés à un mineur par un majeur

i.   Les règles spécifiques applicables aux relations sexuelles avec un mineur

Le fait, pour un majeur, de se livrer à une relation sexuelle avec un mineur n’est pas forcément réprimé par le droit pénal. Le principe d’interdiction qui prévaut doit être interprété en fonction des circonstances de l’espèce, de sorte que les faits peuvent être de nature criminelle ou délictuelle, voire conformes à la légalité.

La règle fondamentale en la matière est formulée à l’article 227‑25 du code pénal : « Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. » Ces peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en présence de circonstances aggravantes ([4]).

Cette rédaction a pour conséquence directe de fixer à l’âge de 15 ans la capacité légale à engager une relation sexuelle avec un adulte ou, plus justement, l’âge à partir duquel un adulte peut engager une relation sexuelle avec une personne réputée consentante ([5]). Les termes retenus par le législateur impliquent que :

– les relations sexuelles entre deux mineurs sont libres, sans condition d’âge ;

– la loi laisse toute liberté aux mineurs âgés de plus de quinze ans de consentir à une relation sexuelle avec un majeur ([6]) ;

– les relations sexuelles entre un mineur de quinze ans et un majeur sont interdites sans considération des pratiques en cause. La loi ne prévoit notamment aucune aggravation en présence d’une pénétration.

Ces dispositions de principe sont destinées à la protection des mineurs. Elles figurent à ce titre dans une section du code pénal réprimant « la mise en péril des mineurs » ([7]). Elles ne sauraient exclure l’application des articles du code pénal réprimant le fait d’imposer à autrui une relation sexuelle contre sa volonté. L’article 227-25 précité précise bien s’appliquer seulement « hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle » ; l’article 227‑27 réprime plus explicitement encore « les atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise ».

ii.   Les règles générales réprimant les agressions sexuelles

L’article 222-22 du code pénal dispose que « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Ces quatre éléments sont désignés sous le terme d’adminicules. Si un acte sexuel entre deux personnes est normalement licite, la présence d’un adminicule suffit ainsi à le qualifier pénalement d’agression sexuelle.

Par ailleurs, le code pénal distingue deux types d’agressions sexuelles qui font l’objet d’un régime répressif différent :

– le viol est caractérisé en présence d’une pénétration sexuelle, de quelque nature qu’elle soit, que l’auteur des faits exige que la victime la commette ou la subisse. Constituent l’infraction la pénétration d’un sexe masculin dans un vagin, dans un anus ou dans une bouche, ainsi que la pénétration d’un doigt ou de tout autre élément dans un vagin ou un anus ([8]). Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle ([9]) et, quand il est commis sur un mineur de quinze ans, de vingt ans de réclusion criminelle ([10]) ;

– les agressions sexuelles autres que le viol, communément désignées « agressions sexuelles », sont caractérisées par l’absence d’une pénétration sexuelle. Elles sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende ([11]) et, quand elles sont commises sur un mineur de quinze ans, de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende ([12]).

b.   La difficile question du consentement des mineurs

Les dispositions en vigueur permettent donc de solliciter trois infractions pour sanctionner le majeur qui a imposé un acte de nature sexuelle à un mineur de quinze ans : l’atteinte sexuelle par principe, l’agression sexuelle en présence d’un adminicule, le viol lorsque la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ont été l’occasion d’une pénétration.

Les régimes répressifs de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et de l’agression sexuelle aggravée sont très proches. Dans les deux cas, l’auteur des faits répond du délit commis devant le tribunal correctionnel et il encourt des peines, sinon identiques, du moins relativement proches. La question de la présence, ou de l’absence, des adminicules, revêt donc une faible importance dès lors que les actes imposés au mineur de quinze ans n’ont pas comporté une pénétration sexuelle.

Sanction encourue par un majeur imposant une atteinte sexuelle à un mineur de quinze ans

 

Sans pénétration sexuelle

Avec pénétration sexuelle

Avec violence, contrainte, menace ou surprise

Agression sexuelle aggravée

10 ans d’emprisonnement

Viol aggravé

20 ans de réclusion criminelle

Sans violence, contrainte, menace ni surprise

Atteinte sexuelle

7 à 10 ans d’emprisonnement

Source : code pénal.

Il en va très différemment dans l’hypothèse inverse puisque le viol aggravé est une infraction criminelle dont connaît la cour d’assises ou, dans les départements où elle est instituée, la cour criminelle départementale ([13]). L’existence d’une coercition et sa démonstration emportent des conséquences juridiques fortes. Elle soulève également des interrogations de principes : jusqu’à quel point, même en l’absence de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, un mineur de moins de quinze ans ne ressent-il pas l’autorité de l’adulte et de se soumettre à sa décision comme à son désir ? En qualifiant de simple délit des faits qui ne sont pas librement consentis, et qui devraient relever de la seule responsabilité du majeur, n’en fait-on pas porter le poids à la victime ?

La Cour de cassation a partiellement comblé le silence de la loi en admettant, en 2005, « que l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » ([14]). Cette jurisprudence a depuis été confirmée à plusieurs reprises ([15]). Sa portée est cependant limitée aux bébés et aux très jeunes enfants, le juge refusant pour l’heure de présumer l’absence de discernement des victimes à des âges plus avancés.

Cet état du droit est régulièrement source d’affaires judiciaires qui défraient la chronique et qui, légitimement, heurtent l’opinion publique, puisqu’elles amènent à sous-entendre qu’un enfant a consenti à des actes sexuels qui ne sont manifestement pas de son âge et qui lui ont été, en réalité, imposés par un adulte, fût-ce par une persuasion et une manipulation dénuées de violence directe et de contrainte explicite ([16]).

c.   Les avancées notables de la loi du 3 août 2018

Depuis le début de la législature, le Parlement a montré qu’il suivait avec attention cette problématique, à laquelle il a d’ores et déjà apporté un certain nombre de correctifs à l’occasion de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa ». Ces modifications ont porté tant sur le droit pénal de fond que sur des mécanismes procéduraux, de façon à sanctionner plus efficacement les auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs ([17]) :

– des dispositions relatives à la contrainte morale et à la surprise ont été ajoutées à l’article 222-22-1 du code pénal pour une meilleure prise en compte de la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, de l’autorité de droit ou de fait exercée sur la victime, et de la vulnérabilité du mineur ne disposant pas du discernement nécessaire pour les actes commis ([18]). De nature interprétative, elles présentaient l’avantage d’être d’application immédiate et de concerner les affaires en cours ;

– la sanction du délit d’atteinte sexuelle a été alourdie, passant de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende ;

– dans les affaires criminelles pour lesquelles la juridiction écarte la qualification de viol aggravé sur mineur de quinze ans, la loi fait obligation au président de poser la question subsidiaire de l’atteinte sexuelle ([19]) ;

– enfin, le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs a été porté de vingt à trente ans à compter de la majorité de la victime, de sorte qu’elle puisse valablement agir jusqu’à son quarante-huitième anniversaire. Cette évolution ne remet cependant pas en cause les prescriptions acquises, qu’il n’appartient pas à la loi de rouvrir.

d.   Un cadre constitutionnel strict

Les dispositions de la loi du 3 août 2018 ont tiré les conclusions de longs débats préalables sur l’opportunité d’une présomption de non-consentement des mineurs à des rapports sexuels avec des majeurs.

Un temps envisagée par le Gouvernement, cette option s’était finalement heurtée au principe de la présomption d’innocence, qui implique qu’il revienne à l’accusation de prouver ce qu’elle avance, et non à l’accusé de s’en défendre. Les doutes les plus sérieux avaient été émis concernant la constitutionnalité de cette proposition en matière d’infraction sexuelle. En effet, le Conseil constitutionnel apprécie avec rigueur l’opportunité d’une présomption en droit pénal, et encore ne l’a-t-il admise que dans des domaines très limités ([20]).

2.   Les dispositions initiales de la proposition de loi

L’article 1er de la proposition de loi crée dans la section du code pénal réprimant « la mise en péril des mineurs » un nouvel article 227-24-2 relatif à l’infraction de crime sexuel sur mineur. Cette infraction réprime tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’elle soit, commis sur un mineur de treize ans par un auteur majeur.

a.   Le choix d’une infraction autonome

Prenant acte de la probable inconstitutionnalité d’une présomption de contrainte en cas de relation sexuelle d’un majeur et d’un mineur, notamment dans le cas où ledit mineur viendrait déposer à la barre en faveur de l’auteur des faits, l’article 1er privilégie l’option de la création d’une infraction autonome consistant à criminaliser le délit d’atteinte sexuelle lorsque celui-ci est commis sur un mineur de moins de treize ans.

Dans son avis sur la loi précitée du 3 août 2018 ([21]), le Conseil d’État a souligné les conditions dans lesquelles cette ambition pourrait être menée à bien dans l’hypothèse d’un seuil de consentement fixé à quinze ans :

– en prévenant le risque de double incrimination des mêmes faits, c’est-à-dire en distinguant les situations relevant de l’atteinte sexuelle et de l’infraction nouvelle ;

– en respectant l’exigence d’un élément moral de l’infraction, qui requiert que l’auteur des faits ait pleinement conscience des actes qu’il accomplit. Cette condition est déjà remplie par l’actuel délit d’atteinte sexuelle, et elle ne saurait être liée aux motivations de l’auteur ;

– en aménageant le droit applicable dans les cas où un adulte âgé d’à peine plus de dix-huit ans a une relation sexuelle avec un mineur âgé d’à peine moins de quinze ans, notamment dans l’hypothèse où ces rapports auraient légalement commencé alors que tous deux se trouvaient mineurs.

b.   Le choix d’un âge de consentement de treize ans

Les auteurs de la proposition de loi estiment avoir tenu compte de ces lignes directrices en retenant pour élément constitutif du crime créé un âge de treize ans. L’écart d’âge avec un jeune majeur devient effectivement significatif – au minimum cinq ans – et la probabilité d’une relation consentie et innocente s’en trouve fortement réduite.

La nouvelle infraction est bâtie sur des éléments factuels, qui se veulent objectivement vérifiables :

– l’élément matériel de l’infraction est l’acte de pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, sur le modèle de la définition actuelle du viol figurant à l’article 222‑23 du code pénal. Elle pourrait ainsi concerner tout rapport vaginal ou anal et les actes de fellation ;

– à la différence du viol, aucun adminicule n’est recherché. La constitution de l’infraction se déduit du seul jeune âge de la victime, à la condition toutefois que l’auteur des faits n’ait pu l’ignorer. Il s’agit d’un point qu’il revient à l’accusation de prouver si l’apparence de la victime ne suffit pas à l’établir évidemment ;

– enfin, l’auteur des faits est majeur, de sorte qu’une pénétration sexuelle sur un mineur de treize ans commise par un mineur ne pourrait être sanctionnée, comme aujourd’hui, qu’à travers l’incrimination de viol et la preuve d’une violence, d’une contrainte, d’une menace ou d’une surprise.

Il résulte du dispositif présenté que le majeur ayant des relations sexuelles avec un mineur commettrait un crime sexuel sur mineur si la victime est âgée de moins de treize ans, un délit d’atteinte sexuelle si elle a entre treize et quinze ans.

c.   Des peines calquées sur le droit existant

Le crime sexuel sur mineur est réprimé de vingt ans de réclusion criminelle, soit la peine encourue aujourd’hui en cas de viol aggravée par la qualité de mineur de quinze ans de la victime.

Deux circonstances aggravantes sont envisagées. L’infraction serait punie de trente ans de réclusion criminelle lorsqu’elle a entraîné la mort de la victime, et de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle a été précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou d’actes de barbarie. Ces dispositions sont conformes au droit en vigueur dans les affaires de viol ([22]).

Les peines complémentaires prévues pour la répression de l’atteinte sexuelles sont également applicables : privation des droits civiques, civils et de famille ; suspension ou annulation du permis de conduire ; interdiction de quitter le territoire ; interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec les mineurs ([23]).

3.   Des dispositions précisées par le Sénat

a.   En commission des Lois

La commission des Lois du Sénat a approuvé les choix effectués à l’article 1er de la proposition de loi. Elle a considéré que les débats et les réflexions menés lors de la discussion de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, en 2018, trouvaient leur aboutissement dans la création d’une infraction autonome de crime sexuel sur mineur. Cette solution est apparue plus sage et plus respectueuse des principes constitutionnels que l’introduction d’une présomption de non-consentement dans la définition du viol, bien que cette dernière option conserve des partisans. Son effet dissuasif devrait renforcer la protection des mineurs, même s’il conviendra toujours de prouver l’existence d’une pénétration et de démontrer que l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime.

En ce qui concerne le choix d’un seuil d’âge de treize ans, la rapporteure a souligné qu’il rend « le dispositif plus solide sur le plan constitutionnel » ([24]). Par ailleurs, ce choix fait écho à celui effectué dans le code de justice pénale des mineurs pour poser une présomption simple de discernement ([25]). Dans le code civil, l’âge de treize ans est celui du consentement à l’adoption et au changement de nom. Il marque donc bien, selon la rapporteure, « une étape importante dans le développement du mineur, comme une limite entre l’enfance et l’adolescence ».

La commission des Lois a amendé l’article 1er en deux points à l’initiative de la rapporteure :

– elle a supprimé la précision selon laquelle l’auteur des faits doit connaître ou ne pouvoir ignorer l’âge du mineur, considérant cette mention superflue dès lors que l’élément moral de l’infraction consiste précisément dans la conscience qu’a l’auteur de la jeunesse de la victime. Le respect des droits de la défense impose nécessairement qu’il puisse se défendre en avançant l’ignorer ou avoir été conduit à une mauvaise interprétation ;

– elle a conformé l’élément matériel du crime créé à celui du viol, dans sa rédaction issue de la loi du 3 août 2018 précitée, en indiquant l’infraction constituée que l’acte de pénétration soit subi ou prodigué par l’auteur. L’adulte qui réalise une fellation sur un mineur serait ainsi coupable du nouveau crime sexuel sur mineur.

b.   En séance publique

En séance publique, le Sénat a adopté un amendement de Mme Esther Benbassa bénéficiant du soutien de la commission, en dépit de l’opposition du Gouvernement. Il a inclus dans la définition matérielle du crime sexuel le rapport bucco-génital commis par une personne majeure sur un mineur.

Cette évolution apparaît comme une conséquence de l’élargissement de la définition du viol également votée par le Sénat à l’article 4 bis de la présente proposition de loi.

4.   Des dispositions profondément modifiées par la commission des Lois

La commission des Lois a examiné le dispositif adopté par les sénateurs en étant animée par la même ambition : garantir une meilleure protection des mineurs et faciliter la répression des infractions sexuelles perpétrées à leur encontre par des auteurs majeurs. La conviction selon laquelle, d’une part, le consentement de l’enfant ne doit pas être recherché par la justice et, d’autre part, la responsabilité pénale d’un acte sexuel repose exclusivement sur l’adulte, a été unanimement partagée.

Plusieurs divergences sont cependant apparues avec les sénateurs quant aux conséquences à tirer de ces considérations. Notre commission a souhaité réaffirmer les principes unanimement adoptés par l’Assemblée nationale, quelques jours auparavant, lors du vote de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles ([26]) .

En premier lieu, les députés de la commission des Lois, rejoints par le Gouvernement, ont considéré que le seuil d’âge fixé par le Sénat à treize ans ne correspondait ni aux attentes de la société, ni aux capacités de discernement d’un mineur en matière sexuelle. Dans ce domaine, le législateur a retenu, depuis l’ordonnance précitée du 2 juillet 1945, un seuil de quinze ans en deçà duquel l’atteinte sexuelle par un majeur constitue une infraction délictuelle. Il est donc cohérent de conserver cet âge pour limite en-deçà de laquelle il n’y a pas lieu de rechercher une violence, une contrainte, une menace ou une surprise pour caractériser un comportement répréhensible.

Par ailleurs, les députés ont également considéré que les faits commis à l’encontre d’enfants et présentant une dimension incestueuse devaient constituer une infraction autonome pour laquelle, par exception au droit commun, la protection accordée aux mineurs serait étendue jusqu’à leurs dix-huit ans.

En conséquence, la commission des Lois a adopté, avec l’avis favorable de la rapporteure, un amendement du Gouvernement procédant à une réécriture globale de l’article 1er et créant trois nouvelles infractions au sein du chapitre II du titre II du livre II du code pénal :

– un nouvel article 222‑23‑1 réprimant tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, même si ces actes ne lui ont pas été imposés par violence, contrainte, menace ou surprise. Ce crime, puni de vingt ans de réclusion criminelle, ne nécessite donc aucun adminicule. L’élément moral de l’infraction résulte uniquement de la volonté de commettre une pénétration sexuelle et de la connaissance de l’âge inférieur à quinze ans de la victime. Cependant, l’infraction n’est pas constituée lorsque la différence d’âge entre l’auteur et le mineur est inférieure à cinq ans, de façon à ne pas criminaliser les histoires sincères que peuvent vivre de très jeunes majeurs et des mineurs proches de l’âge de quinze ans, comme le recommandait l’avis précité du Conseil d’État du 3 août 2018 ;

– un nouvel article 222-23-2 punissant, là encore de vingt ans de réclusion criminelle, tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur d’au moins quinze ans, même si ces actes ne lui ont pas été imposés par violence, contrainte, menace ou surprise, lorsque l’auteur des faits est un ascendant. Le crime est constitué en l’absence d’adminicule et, pour des raisons évidentes, quelle que soit la différence d’âge entre la victime mineure et l’auteur majeur ;

– un nouvel article 222‑29‑2 qualifiant d’agression sexuelle toute atteinte sexuelle autre qu’un viol commis par un majeur sur la personne d’un mineur, toujours en l’absence d’adminicule, les deux situations précédentes dans lesquelles l’auteur ne se rend pas coupable d’une pénétration. Les peines encourues sont de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

La commission des Lois a approuvé ce nouveau régime, dans lequel les peines prévues aujourd’hui en répression du viol aggravé sur mineur, du viol aggravé par ascendant et de l’agression sexuelle aggravée sur mineur sont encourues ([27]), dans le cadre des nouvelles infractions, sans qu’il y ait à établir une violence, une contrainte, une menace ou une surprise. Elle a souhaité préciser le dispositif présenté par le Gouvernement sur quatre points :

– six sous-amendements identiques de Mmes Isabelle Florennes et Albane Gaillot ainsi que de MM. Jean Terlier, Dimitri Houbron, Aurélien Pradié et Pascal Brindeau ont intégré dans les nouvelles définitions du viol les actes bucco-génitaux infligés à la victime, comme l’avait souhaité le Sénat ;

– cinq sous amendements identiques de la rapporteure, de Mmes Laetitia Avia et Isabelle Florennes, et de MM. Jean Terlier et Dimitri Houbron, ont précisé que le viol créé au nouvel article 222‑23‑2 devait être qualifié d’incestueux ;

– deux sous-amendements identiques de MM. Aurélien Pradié et Pascal Brindeau ont précisé que la répression du viol incestueux devait s’opérer sur une base légale identique, le nouvel article 222‑23‑2, et non sur deux bases légales distinctes selon l’âge de la victime comme le prévoyait la rédaction présentée par le Gouvernement, dans laquelle les faits relevaient du viol sur mineur de droit commun jusqu’aux quinze ans de la victime et du viol incestueux au-delà ;

– six sous-amendements identiques de la rapporteure, de Mme Isabelle Florennes et de MM. Jean Terlier, Dimitri Houbron, Aurélien Pradié et Philippe Dunoyer ont modifié les nouvelles définitions du viol incestueux et de l’agression sexuelle incestueuse pour préciser que ces infractions pouvaient être commises non seulement par un ascendant, mais aussi par toute personne mentionnée à l’article 222‑31‑1 exerçant sur le mineur une autorité de fait ou de droit ([28]).

Il résulte de ces dispositions et des modifications apportées au régime de l’atteinte sexuelle par l’article 1er bis B de la proposition de loi un régime répressif complet. Votre rapporteure considère que les objectifs assignés par la commission des Lois se trouvent remplis par cette rédaction : un âge de consentement de droit commun est fixé à quinze ans et un âge spécifique, dans les situations d’inceste, est établi à dix-huit ans.

Toutefois, la complexité du régime répressif qui en résulte pourrait apparaître excessive. Les nouvelles infractions cohabitent avec les incriminations actuelles, sans que leur caractère opérationnel soit parfois évident – ainsi la nouvelle agression sexuelle de l’article 222‑29‑2 pourrait-elle être contenue tout entière dans l’actuelle atteinte sexuelle de l’article 227‑25, qui ne s’en distingue que par sa capacité à sanctionner les jeunes majeurs séparés de leur victime par une différence d’âge inférieure à cinq ans. De plus, cette atteinte sexuelle est renommée « abus sexuel », ce qui trouble davantage encore la compréhension du dispositif d’ensemble en introduisant un vocable inspiré de l’anglais qui supposerait, en français, l’usage excessif d’un droit dont on ne trouve trace dans les situations concernées.

Des améliorations demeurent donc possibles, lors de l’examen en séance publique par l’Assemblée nationale comme au cours des prochaines lectures, puisque la présente proposition de loi est examinée suivant la procédure législative de droit commun.

Régime répressif des infractions sexuelles sur mineur

Victime

Mineur de moins de 15 ans et cinq ans au moins plus jeune que l’auteur

Mineur
de 15 ans et moins de cinq ans de différence d’âge avec l’auteur

Mineur
de 15 à 18 ans

Violence, contrainte, menace ou surprise

Pénétration
ou acte bucco-génital

Viol aggravé

(art. 222-24)

20 ans

Viol

(art. 222-23)

15 ans

Ni pénétration
ni acte bucco-génital

Agression sexuelle aggravée

(art. 222-29-1)

10 ans

Agression sexuelle
(art. 222-27)

5 ans

Ni violence, ni contrainte, ni menace ni surprise

Pénétration
ou acte bucco-génital

Viol

(art. 222‑23‑1)

20 ans

Abus sexuel

(art. 227-25)

7 ans

Pas d’infraction

Ni pénétration
ni acte bucco-génital

Agression sexuelle

(art. 222‑29‑2)

10 ans

Pas d’infraction

Auteur ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait sans violence, ni contrainte, ni menace ni surprise

Pénétration ou acte bucco-génital, qualifié d’incestueux par la PPL ([29])

Viol incestueux

(art. 222‑23‑2)

20 ans

Ni pénétration ni acte bucco-génital, qualifié d’incestueux par la PPL (2)

Agression sexuelle

(art. 222‑29‑2)

10 ans

Pénétration ou acte bucco-génital, non qualifié d’incestueux par la PPL (2)

Viol

(art. 222‑23‑1)

20 ans

Abus sexuel aggravé

(art. 227-26)

10 ans

Abus sexuel aggravé

(art. 227-27)

5 ans

Ni pénétration ni acte bucco-génital, non qualifié d’incestueux par la PPL (2)

Agression sexuelle

(art. 222‑29‑2)g

10 ans

Source : texte adopté par la commission des Lois.

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Article 1er bis A
(art. 222221 du code pénal)
Contrainte morale en cas de différence d’âge entre l’auteur des faits et la victime mineure

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis A de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Claudine Lepage et de plusieurs de ses collègues, adopté en séance publique par le Sénat avec le soutien de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement. Il procède à une modification rédactionnelle dans la définition de la contrainte morale, considérant que le code pénal énonce systématiquement ([30]) qu’un auteur « a » – et non « exerce » – une autorité sur sa victime.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a inscrit dans le code pénal que la contrainte morale et la surprise constitutives d’une agression sexuelle pouvaient découler de la différence d’âge existant entre la victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté l’article 1er bis A sans modification.

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Article 1er bis B
(art. 22725, 22726, 22727 et 227273 du code pénal)
Coordinations et nouvelle dénomination des atteintes sexuelles

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis B de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Marie-Pierre de La Gontrie et de plusieurs de ses collègues, adopté en séance publique par le Sénat avec le soutien de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement. Il porte à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende les peines encourues en cas d’atteinte sexuelle incestueuse sur mineur de quinze ans.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a porté la sanction de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté un amendement du Gouvernement coordonnant le régime de l’atteinte sexuelle avec le dispositif adopté à l’article 1er, ainsi qu’un sous-amendement de précision de Mme Laetitia Avia.

1.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Adopté en séance publique par le Sénat avec le soutien de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement, l’article 1er bis B de la proposition de loi poursuit l’alourdissement des peines prévues en répression de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Fixées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende avant la loi du 3 août 2018 précitée, elles sont ainsi portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

Ces sanctions sont identiques à celles que le législateur attache à l’agression sexuelle sur mineur de quinze ans ([31]). Or, contrairement à l’atteinte sexuelle, l’agression sexuelle suppose l’emploi par l’agresseur de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. À l’inverse, il est vrai que l’atteinte sexuelle peut comporter une pénétration sexuelle, ce que l’agression sexuelle exclut expressément.

2.   Des dispositions modifiées par la commission des Lois

L’adoption d’un nouveau dispositif à l’article 1er de la proposition de loi, notamment la création de deux infractions criminelles de viol et d’un délit d’agression sexuelle puni de dix ans d’emprisonnement, ont réduit l’intérêt de l’aggravation de la peine encourue en cas d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans, prévue par le Sénat à l’article 1er bis B.

Par ailleurs, il convient de souligner que les peines de sept ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende prévues à l’article 227‑25 du code pénal sont d’ores et déjà portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende dans les circonstances aggravantes définies à l’article 22726 du même code. Or, si la pluralité d’auteurs, la commission au moyen d’un abus d’autorité ou la consommation de stupéfiants justifient évidemment une peine plus lourde, votre rapporteure considère très facilement établie la circonstance aggravante de mise en contact au moyen d’un réseau électronique. Cette dernière disposition est issue de la loi n° 98‑468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, à une époque où le législateur jugeait dangereuse la perspective d’une rencontre sentimentale sur internet : cette situation est désormais généralisée, particulièrement pour les jeunes générations, et elle trouve ainsi à s’appliquer à un grand nombre des rencontres susceptibles de recevoir la qualification pénale d’atteinte sur mineur de quinze ans. L’aggravation des peines souhaitée par le Sénat est donc, bien plus souvent que par le passé, d’ores et déjà acquise.

 Enfin, la création d’infractions autonomes de viol et d’agression sexuelle sur mineur dans un cadre incestueux impose un certain nombre de coordinations, la qualification d’atteinte sexuelle par l’un des auteurs visés par ces dispositifs se trouvant de fait évincée par les nouvelles incriminations.

En conséquence, la commission des Lois a adopté, avec l’avis favorable de la rapporteure, un amendement du Gouvernement ainsi qu’un sous-amendement de précision de Mme Laetitia Avia. L’article 1er bis B de la proposition de loi a ainsi fait l’objet d’une réécriture globale prévoyant que :

– l’atteinte sexuelle par un majeur sur mineur de quinze ans prévue à l’article 227‑25 du code pénal s’applique exclusivement hors les cas de viol et d’agression sexuelle. Elle présente un caractère subsidiaire et elle n’a vocation à être sollicitée que dans les cas non couverts par ces incriminations, soit dans les seules hypothèses dans lesquelles l’auteur des faits majeur et la victime mineure sont séparés par une différence d’âge inférieure à cinq ans. Cette option rédactionnelle présente l’avantage majeur de laisser subsister l’incrimination délictuelle, de sorte que les faits commis avant la promulgation de la présente loi pourront toujours faire l’objet de poursuites et de condamnations. Par ailleurs, le délit se trouve renommé « abus sexuel » dans une volonté de précision, qui emploie malheureusement un terme issu d’une traduction anglaise dans un sens éloigné de sa signification en français juridique ([32]) ;

– les circonstances aggravantes prévues à l’article 227‑26 excluent désormais les cas de commission par un ascendant, cette hypothèse étant intégralement couverte par les nouvelles incriminations de viol incestueux et d’agression sexuelle sur mineur créées à l’article 1er ;

– l’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans, soit après le seuil d’âge de consentement de droit commun, prévue à l’article 227‑27, fonctionne également de façon subsidiaire aux nouvelles incriminations réprimant l’inceste. Le délit est désormais commis par toute personne ayant autorité sur le mineur ou abusant de l’autorité conférée par des fonctions, à l’exclusion d’un ascendant, d’un membre de la fratrie, d’un oncle ou d’une tante, ou du conjoint de l’une de ces personnes. Il est désormais également renommé « abus sexuel » et se trouve sanctionné de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, contre trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende aujourd’hui ;

– comme à l’article 1er pour les viols et les agressions sexuelles, la surqualification pénale d’inceste prévue à l’article 227‑27‑2‑1 du code pénal ne recouvre pas le même périmètre que celui caractérisant le viol incestueux ou l’agression pénale incestueuse. Il reste donc possible que certaines atteintes sexuelles demeurent qualifiées d’incestueuses, notamment dans l’hypothèse de faits commis au sein d’une même fratrie où aucun membre n’aurait d’autorité sur les autres. En cohérence avec les modifications précédentes, ces atteintes sont également renommées « abus sexuels ».

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Article 1er bis (supprimé)
(art. 222221 du code pénal)
Notion de contrainte et de surprise pour un mineur de quinze ans

Supprimé par la commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis de la proposition de loi découle de l’adoption d’un amendement de la rapporteure par la commission des Lois du Sénat. Il précise dans le code pénal les notions de contrainte et de surprise, éléments constitutifs des infractions de viol et d’agression sexuelle, en ce qui concerne les mineurs de quinze ans.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a inscrit dans le code pénal que la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, de l’autorité de droit ou de fait exercée sur la victime, et de la vulnérabilité du mineur ne disposant pas du discernement nécessaire pour les actes commis 

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté trois amendements de suppression de Mmes Emmanuelle Ménard, Albane Gaillot et Marie-George Buffet.

1.   L’état du droit

Dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa », l’article 222‑22‑1 du code pénal prévoit que la contrainte permettant de caractériser une agression sexuelle peut être physique ou morale.

Lorsque les faits sont commis sur un mineur, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur.

Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.

Ces dispositions, de nature interprétative, ne modifient ni les éléments constitutifs des infractions concernées, ni les peines qu’encourent leurs auteurs. Elles sont donc immédiatement applicables par les juridictions, y compris aux affaires en cours.

2.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 1er bis de la proposition de loi est issu d’un amendement de la rapporteure adopté par la commission des Lois du Sénat. Il résulte de la crainte que l’introduction dans le code pénal d’un nouveau seuil d’âge à treize ans, à l’article 1er de la proposition de loi, n’affaiblisse la protection des mineurs âgés de treize à quinze ans. La rapporteure écrit redouter que la fixation d’un seuil à treize ans puisse « signifier, dans l’esprit du juge, que les jeunes de plus de treize ans sont finalement capables d’un certain discernement et peuvent consentir à un acte sexuel avec un adulte » ([33]).

Cette considération a conduit la commission des Lois à reprendre un dispositif adopté par le Sénat dans le cadre de l’examen de la loi du 3 août 2018, mais qui n’avait pas trouvé place dans la version définitive du texte. Il complète l’article 222-22-1 du code pénal pour indiquer que la contrainte morale ou la surprise peuvent également résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Il s’agirait ainsi d’orienter « l’action des tribunaux en les incitant à examiner avec une attention redoublée la question du consentement chez le mineur de quinze ans, en analysant la question de son discernement à la lumière de la notion de maturité sexuelle, concept propre à l’adolescence ». Il appartiendrait au juge d’apprécier cet élément en fonction des circonstances de l’espèce.

L’article 1er bis n’a fait l’objet d’aucune modification lors de l’examen de la proposition de loi en séance publique.

3.   Des dispositions supprimées par la commission des Lois

La commission des Lois a pris acte de la volonté du Sénat d’accompagner la création du crime sexuel sur mineur de treize ans de dispositions interprétatives destinées à limiter l’incidence de cette nouvelle infraction sur la répression des infractions sexuelles commises sur des mineurs âgés de treize à quinze ans. Toutefois, l’âge du consentement ayant été relevé de treize à quinze ans dans les articles précédents, ces dispositions interprétatives sont devenues sans objet.

Trois amendements identiques de Mmes Emmanuelle Ménard, Albane Gaillot et Marie-George Buffet ont donc été adoptés, supprimant l’article 1er bis.

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Article 2 (supprimé)
(art. 22725 du code pénal)
Articulation avec le délit d’atteinte sexuelle sur mineur

Supprimé par la commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 de la proposition de loi articule les dispositions de l’article 1er avec le délit d’atteinte sexuelle sur mineur.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a porté la sanction de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

       Modifications apportées par le Sénat

Cet article a été adopté sans modification par le Sénat, tant en commission des Lois qu’en séance publique.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté, avec l’avis favorable de la rapporteure, deux amendements de suppression du Gouvernement et de Mme Emmanuelle Ménard.

1.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 2 de la proposition de loi modifie l’article 227-25 du code pénal qui punit de sept ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait, par un majeur, d’exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans.

Ce délit s’appliquerait désormais à condition que les éléments constitutifs du crime sexuel sur mineur créé à l’article 1er ne soient pas réunis.

2.   Des dispositions supprimées par la commission des Lois

Les nécessaires coordinations à l’article 227‑25 du code pénal ayant déjà été apportées à l’article 1er bis B de la présente proposition de loi, la commission des Lois a supprimé l’article 2. Elle a adopté à cette fin deux amendements identiques du Gouvernement et de Mme Emmanuelle Ménard.

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Article 3
(art. 22224, 222-25 et 222-26 du code pénal)
Coordinations pour les crimes de viol

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 de la proposition de loi articule les dispositions de l’article 1er avec le crime de viol.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a prévu que le viol soit constitué que la pénétration sexuelle ait été commise ou subie par l’auteur des faits, de façon à couvrir les cas dans lesquels la victime se voit imposer une fellation.

       Modifications apportées par le Sénat

Cet article a été adopté sans modification par le Sénat, tant en commission des Lois qu’en séance publique.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté un amendement du Gouvernement, avec l’avis favorable de la rapporteure, pour adapter les coordinations figurant à l’article 3 au nouveau dispositif adopté à l’article 1er.

1.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 3 de la proposition de loi précise que l’infraction de viol aggravé par la qualité de mineur de quinze ans de la victime ne s’applique pas lorsque sont réunis les éléments constitutifs du crime sexuel sur mineur.

En effet, en cas d’acte de pénétration sexuelle sur un mineur de treize ans, il reviendrait à l’accusation de poursuivre sur le fondement de l’infraction créée à l’article 1er, ce qui la dispenserait d’établir devant la juridiction d’existence d’une violence, d’une contrainte, d’une menace ou d’une surprise.

2.   Des coordinations actualisées par la commission des Lois

En cohérence avec la décision de créer une nouvelle infraction de viol sur mineur de quinze ans, en lieu et place du crime sexuel sur mineur de treize ans privilégié par le Sénat, la commission des Lois a considéré sans objet les coordinations prévues à l’article 3.

Cependant, le dispositif adopté à l’article 1er nécessitant à son tour des coordinations, la commission des Lois a choisi de les inclure à l’article 3 en adoptant en ce sens un amendement du Gouvernement bénéficiant de l’avis favorable de la rapporteure.

Il est ainsi précisé par le , à l’article 222‑24 du code pénal, que le viol susceptible d’être commis avec les circonstances aggravantes prévues audit article est le seul crime prévu à l’article 222‑23 du même code, soit le viol existant en droit positif, pouvant être commis sur des victimes de tous âges et nécessitant pour sa qualification une violence, une contrainte, une menace ou une surprise. Cette précision est logique puisque les nouvelles infractions créées à l’article 1er incluent, parmi leurs éléments constitutifs, certaines de ces circonstances aggravantes ([34]).

En revanche, le précise que toutes les incriminations de viol, y compris les nouvelles infractions de viol sur mineur de quinze ans et de viol incestueux, sont susceptibles d’aggravation :

– lorsque les faits ont entraîné la mort de la victime, la peine encourue se trouvant portée à trente ans de réclusion criminelle ([35]) ;

– lorsque les faits sont précédés, accompagnés ou suivis de tortures ou d’actes de barbarie, la réclusion criminelle à perpétuité étant alors encourue ([36]).

Cette précision apparaît tout à fait nécessaire dans l’hypothèse où le viol sur mineur ou le viol incestueux aboutit au décès de la victime, dans la mesure où l’acte sexuel peut provoquer sur le corps de la victime des dommages que l’auteur des faits ne souhaite pas délibérément infliger.

La disposition sanctionnant les tortures et les actes de barbarie semble plus équivoque : les incriminations créées à l’article 1er de la proposition de loi ne nécessitent pas d’établir l’usage de la violence ou de la contrainte, mais l’une et l’autre seraient automatiquement démontrées par la preuve de la circonstance aggravante de tortures ou d’actes de barbarie. L’intérêt de la nouvelle définition du viol spécifique aux mineurs de quinze ans apparaît ici minimal puisque les infractions existantes permettent déjà de saisir l’ensemble des situations possibles et de les réprimer de la réclusion criminelle à perpétuité ([37]).

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Article 4 (supprimé)
(art. 2272721 et 227283 du code pénal)
Coordinations

Supprimé par la commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 de la proposition de loi procède à deux mesures de coordinations des dispositions de l’article 1er avec la surqualification pénale d’inceste et l’infraction d’incitation à commettre un crime ou un délit contre un mineur.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2016‑297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a créé la surqualification pénale d’inceste.

       Modifications apportées par le Sénat

Cet article a été adopté sans modification par le Sénat, tant en commission des Lois qu’en séance publique.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a supprimé cet article sur proposition du Gouvernement et de Mme Emmanuelle Ménard.

1.   La surqualification pénale d’inceste

Le code pénal prévoit que les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sur mineur sont qualifiées d’incestueuse lorsqu’elles sont commises par un ascendant, un frère ou une sœur, un oncle ou une tante, un neveu ou une nièce. Il en va de même des faits commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité de l’une des personnes précitées, à condition qu’il exerce sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Cette disposition est dépourvue d’effet répressif, de sorte qu’on parle de surqualification pénale. Ses effets sont cependant notables du point de vue civil puisque, lorsque l’infraction est commise par une personne titulaire de l’autorité parentale sur la victime, la juridiction de jugement se prononce sur le retrait de cette autorité, le cas échéant en ce qu’elle concerne les frères et sœurs mineurs de la victime.

L’article 4 de la proposition de loi modifie l’article 227-27-2-1 du code pénal pour que le crime sexuel sur mineur créé à l’article 1er puisse être qualifié d’incestueux lorsqu’il est commis par un membre de la famille ou par un conjoint disposant d’une autorité de droit ou de fait.

2.   L’incitation à commettre un crime ou un délit contre un mineur

L’article 227-28-3 du code pénal réprime le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette à l’encontre d’un mineur l’un des crimes ou délits énumérés ([38]). Si l’infraction n’a été ni commise ni tentée, la peine encourue est de :

– trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque l’infraction suscitée constitue un délit ;

– sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si elle constitue un crime.

L’article 4 de la proposition de loi ajoute à la liste des infractions dont l’incitation à la commission est réprimée le crime sexuel sur mineur créé à l’article 1er.

3.   Des dispositions adoptées sans modification par le Sénat

L’article 4 n’a fait l’objet d’aucune modification au Sénat, que ce soit en commission des Lois ou en séance publique.

4.   Des dispositions supprimées par la commission des Lois

En cohérence avec le choix de ne pas retenir le crime sexuel sur mineur de treize ans adopté par le Sénat, la commission des Lois a adopté des amendements de suppression de l’article 4 présentés par le Gouvernement et par Mme Emmanuelle Ménard pour revenir sur des coordinations devenues inutiles.

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Article 4 bis
(art. 22223 du code pénal)
Élargissement de la définition du viol aux actes bucco-génitaux

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 bis de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Laurence Rossignol et de plusieurs de ses collègues, adopté par le Sénat en séance publique avec le soutien de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement. Il élargit la définition du viol à tout acte bucco-génital.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a modifié la définition du viol à l’article 222-23 du code pénal, en visant tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui « ou sur la personne de l’auteur », de manière à ce que puisse être poursuivi sur ce fondement l’agresseur qui aurait effectué une fellation.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

1.   L’état du droit

L’article 222‑23 du code pénal caractérise l’élément matériel du viol par une pénétration sexuelle, de quelque nature qu’elle soit, que l’auteur des faits exige que la victime la commette ou la subisse. Constituent l’infraction la pénétration d’un sexe masculin dans un vagin, dans un anus ou dans une bouche, ainsi que la pénétration d’un doigt ou de tout autre élément dans un vagin ou un anus 

Opérant une lecture stricte de la loi pénale, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation a écarté la qualification de viol sur mineur au profit de celle d’agression sexuelle dans une affaire d’inceste au cours de laquelle l’auteur avait, de force, pratiqué un cunnilingus sur sa jeune victime ([39]). La loi soumettant la qualification de viol à l’existence d’une pénétration, les juridictions du fond d’abord, la Cour de cassation ensuite, ont dû s’interroger sur l’introduction ou non de la langue de l’auteur dans le vagin de la victime et, à supposer cette situation établie, s’enquérir de la nature accidentelle ou intentionnelle de cette introduction afin de caractériser l’élément moral de l’infraction.

Très commenté, l’arrêt de la Cour de cassation procède à une interprétation stricte de la loi pénale qui exige, pour la qualification de viol, la commission à dessein d’une pénétration. S’il est ainsi constant, depuis des décennies, que la fellation constitue un viol puisqu’elle suppose l’insertion d’un pénis dans une bouche, il est tout aussi constant qu’un cunnilingus ou un anulingus ne l’est pas, car il est difficile de prouver qu’il aboutit à une pénétration et pratiquement impossible, le cas échéant, de démontrer que celle-ci a été exécutée intentionnellement.

2.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 4 bis de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Laurence Rossignol et de plusieurs de ses collègues, adopté par le Sénat en séance publique avec le soutien de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement.

Considérant que l’arrêt de la Cour de cassation apparaît choquant alors qu’il procède à une interprétation correcte de la loi, le Sénat en déduit que c’est la lettre de la loi qui est appelée à évoluer. Il ne fait aucun doute que le fait, pour une victime, de se voir infliger sans son consentement un acte bucco-génital ou bucco-anal constitue un traumatisme majeur et une atteinte à sa personne qui puisse légitimement recevoir le qualificatif de viol.

En conséquence, l’article 4 bis aligne sur le régime applicable à la fellation l’ensemble des actes bucco-génitaux afin qu’ils donnent lieu, comme une pénétration sexuelle, à la répression pénale la plus élevée.

Les sénateurs avaient précédemment, en cohérence, intégré les actes bucco-génitaux à la définition du crime sexuel sur mineur créé à l’article 1er.

3.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission a pleinement partagé la démarche des sénateurs consistant à inclure dans la définition du viol les actes bucco-génitaux, comme elle l’a montré en sous-amendant en ce sens la nouvelle rédaction de l’article 1er proposée par le Gouvernement.

Elle a adopté l’article 4 bis sans lui apporter de modification.

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Article 4 ter
(art. 8 du code de procédure pénale)
Règles de prescription du délit de non-dénonciation d’infraction sur mineur

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 ter de la proposition de loi résulte de l’adoption d’un amendement de la rapporteure lors de l’examen en séance publique au Sénat, avec un avis de sagesse du Gouvernement. Il augmente le délai au terme duquel le délit de non-dénonciation d’infraction sur mineur se trouve prescrit, le portant à dix ans en cas de délit et à vingt ans en cas de crime.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a modifié la rédaction du délit de non-dénonciation d’infraction sur mineur pour en faire une infraction continue, ce qui a pour effet de repousser le point de départ du délai de prescription au jour où les actes répréhensibles prennent fin.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

1.   L’état du droit

L’article 434-3 du code pénal réprime de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, pour quiconque en a eu connaissance, de ne pas signaler aux autorités judiciaires ou administratives les privations, mauvais traitements, agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger, en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse. Lorsque le défaut d’information concerne une infraction commise sur un mineur de quinze ans, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Le délai de prescription de ce délit est le délai de droit commun, soit six années révolues ([40]). Depuis la loi du 3 août 2018 précitée, la non-dénonciation d’infraction sur mineur est un délit continu, de sorte que la prescription ne court pas tant que durent les mauvais traitements ([41]).

2.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 4 quater de la proposition de loi résulte de l’adoption en séance publique d’un amendement de la rapporteure, le Gouvernement s’en remettant à la sagesse du Sénat. Il vise à contribuer à rompre le silence qui entoure les infractions sur mineurs, et notamment les infractions à caractère sexuel, en soumettant clairement ceux qui en avaient connaissance à la justice s’ils ont fait le choix de ne rien dire et de refuser leur protection à l’enfant.

Le dispositif allonge le délai de prescription en opérant une distinction selon la gravité de l’infraction principale :

– si le mineur a subi un délit, une atteinte sexuelle par exemple, à dix ans à compter de la majorité de la victime ;

– si le mineur a subi un crime, un viol par exemple, à vingt ans à compter de la majorité de la victime.

3.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission a adopté l’article 4 ter sans lui apporter de modification.

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Article 4 quater
(art. 7 et 8 du code de procédure pénale)
Prescription glissante des crimes sexuels sur mineur

Adopté par la commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 quater de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Laurence Rossignol et de plusieurs de ses collègues, adopté par le Sénat en séance publique avec un avis de sagesse du Gouvernement et en dépit de l’opposition de la commission. Il prévoit que le délai de prescription continue à courir pour l’ensemble des infractions commises par un même auteur dès lors que l’action publique demeure possible en répression de l’une d’entre elles.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a allongé le délai de prescription en matière de crime sexuel sur mineur, le portant à trente années à compter de la majorité de la victime.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté un amendement du Gouvernement, ainsi que deux amendements identiques de Mme Isabelle Florennes et de M. Dimitri Houbron, pour préciser ce régime de prescription glissante et l’étendre aux délits sexuels.

1.   L’état du droit

Les délais de prescription applicables aux crimes sexuels commis sur un mineur ont plusieurs fois évolue au cours des dernières années, aboutissant à un régime de plus en plus complexe et toujours plus dérogatoire au droit commun :

– jusqu’au 14 juillet 1989, le délai de prescription de l’action publique était de dix ans à compter des faits, conformément au droit commun ;

– le 14 juillet 1989 est entrée en vigueur la loi prévoyant qu’en cas de crime sur un mineur commis par un ascendant ou par une personne ayant autorité, le délai de prescription de dix ans est rouvert ou court à nouveau pour la même durée à compter de la majorité du mineur ([42]) ;

– le nouveau code pénal, entré en application le 1er mars 1994, dispose que les règles de prescription sont rétroactives lorsque la prescription n’était pas acquise, sauf lorsqu’elles ont pour conséquences d’aggraver la situation de l’intéressé ;

– la loi n° 98‑468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs a élargi toutes les infractions sexuelles commises sur des mineurs, quel qu’en soit l’auteur, la règle selon laquelle le délai de prescription court à compter de la majorité de la victime ;

– la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a allongé le délai de prescription de dix à vingt ans à compter de la majorité de la victime. Elle a également modifié le régime d’application dans le temps des règles de prescription, qui sont désormais rétroactives même si elles ont pour conséquence d’aggraver la situation de l’auteur ;

– enfin, la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a allongé le délai de prescription en matière de crime sexuel sur mineur, le portant à trente années à compter de la majorité de la victime.

Cet allongement suscite de grands débats parmi les parties prenantes. D’un côté, il est certain que la situation dans laquelle se trouvent les enfants victimes de violence sexuelle provoque chez eux un tel traumatisme que de longues années sont nécessaires avant que leur parole puisse se libérer. D’un autre côté, l’allongement de la durée de prescription ne saurait être prolongé sans risque pour la préservation des preuves et pour la cohérence de l’architecture pénale ([43]).

Par ailleurs, l’article 9-2 du code de procédure pénale prévoit que la prescription est interrompue par différents actes d’enquête et de jugement, et que cette interruption est applicable aux infractions connexes ainsi qu’aux auteurs ou complices non visés par l’un de ces mêmes acte, jugement ou arrêt. La connexité est définie à l’article 203 du code de procédure pénale : « Les infractions sont connexes soit lorsqu’elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu’elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l’exécution ou pour en assurer l’impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit ont été, en tout ou partie, recelées. »

2.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 4 quater de la proposition de loi résulte de l’adoption par le Sénat en séance publique d’un amendement de Mme Laurence Rossignol et de plusieurs de ses collègues, avec un avis de sagesse du Gouvernement et en dépit de l’opposition de la commission. Il vise à interrompre la prescription lorsque l’auteur d’un crime commis sur un mineur commet le même crime sur un autre mineur.

L’objet de cette disposition est de permettre, dans les affaires mettant en cause des violeurs en série, de juger l’ensemble des faits commis sur toutes les victimes dès lors que les faits frappant l’une d’entre elles échappent à la prescription. Pour l’heure, dans cette situation, les victimes dont l’affaire est prescrite sont appelées à déposer en tant que simple témoins.

3.   Des dispositions modifiées par la commission des Lois

Votre rapporteure accueille avec la plus grande prudence la perspective d’une refonte du régime de prescription des infractions sexuelles sur mineur. De nouvelles règles ont été établies par la loi précitée du 3 août 2018, et les praticiens du droit rappellent immanquablement combien leur tâche est compliquée par la succession des réformes en la matière, qui n’ont vocation à s’appliquer que partiellement aux faits passés puisqu’une prescription acquise ne peut être rouverte par le législateur.

Votre rapporteure et les députés membres de la commission des Lois ont également exprimé leurs réserves face aux demandes répétées d’une imprescriptibilité des infractions sexuelles sur mineur. Ce régime particulièrement dérogatoire est réservé aux actes d’une exceptionnelle gravité que sont le génocide et le crime contre l’humanité. La commission des Lois, rejointe sur ce point par le Gouvernement, a considéré que cet état du droit ne devait pas être remis en question.

En revanche, tous ont accueilli favorablement, dans son principe, la volonté manifestée par le Sénat d’une amodiation des règles de prescription dans le cas de crimes sériels. La reconnaissance du statut de victime à l’ensemble des personnes qui ont eu à souffrir d’un même criminel est apparue logique et opportune, bien qu’il soit admis qu’elle aurait peu d’effet du point de vue pénal du fait du régime de confusion des peines qui prévaut en droit pénal français.

La commission des Lois a souhaité améliorer la rédaction issue des travaux du Sénat, qui prévoyait une interruption de la prescription d’un crime par la commission d’un autre, ce qui soulevait des interrogations quant à la datation précise de l’infraction influant sur le délai. Elle a adopté un amendement du Gouvernement bénéficiant d’un avis favorable de la rapporteure.

Cette disposition, qui modifie l’article 7 du code de procédure pénale, prévoit que si, avant l’expiration du délai de prescription d’un premier viol – soit avant que la victime mineure atteigne son quarante-huitième anniversaire –, l’auteur commet un nouveau viol sur un autre mineur, la prescription du premier crime est prolongée jusqu’à la date de prescription du second lorsque cette date est la plus tardive, de sorte que ces deux crimes se prescrivent à la même date. Il en résulte que si des poursuites interviennent avant la prescription du dernier crime, tous pourront être jugés.

La commission des Lois a également adopté deux sous-amendements identiques de Mme Isabelle Florennes et de M. Dimitri Houbron, aux termes desquels le dispositif précédent s’applique également aux délits sexuels – agression sexuelle et atteinte sexuelle, renommée abus sexuel à l’article 1er bis B. L’article 8 du code de procédure pénale se trouve modifié à cette fin.

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Article 5
(art. 70647 du code de procédure pénale)
Infractions entraînant une inscription au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 5 de la proposition de loi est issu d’un amendement de M. Michel Savin et de plusieurs de ses collègues adopté par la commission des Lois du Sénat. Il élargit la liste des infractions dont les auteurs peuvent être inscrits au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2020‑936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a fait évoluer la liste des infractions pouvant entraîner une inscription dans le fichier, en y ajoutant le délit de consultation habituelle d’images pédopornographiques.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

1.   L’état du droit

Créé par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) permet d’enregistrer l’identité des personnes condamnées, mises en examen ou ayant fait l’objet d’une composition pénale en relation avec les infractions énumérées à l’article 706‑47 du code de procédure pénale. Sont ainsi concernés des crimes parmi les plus graves ainsi les infractions sexuelles commises au préjudice de mineurs ([44]).

L’inscription au fichier constitue une mesure de sûreté puisque les inscrits doivent justifier régulièrement de leur domicile auprès des forces de l’ordre. Elle offre également aux services d’enquête une base de renseignements fiable. Elle permet enfin le contrôle des antécédents judiciaires d’un individu préalablement à une embauche dans un poste qui le placerait au contact de mineurs.

L’inscription au FIJAISV est de droit dans les affaires relatives à des crimes ou à des délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement. En-deçà de ce seuil, l’inscription doit être ordonnée par la juridiction ou par le procureur de la République.

Les fiches sont effacées à l’expiration d’un délai de trente ans pour les crimes et pour les délits punis de plus de dix ans d’emprisonnement, à l’expiration d’un délai de vingt ans dans les autres cas. À tout moment, la personne inscrite dans le fichier peut solliciter l’effacement de l’autorité judiciaire.

Par ailleurs, en sus de l’inscription de ses auteurs au FIJAISV, l’inclusion d’une infraction dans la liste de l’article 706‑47 du code de procédure pénale emporte l’application de la procédure pénale particulière prévue au titre XIX, traitant « de la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes », du livre V du code pénal portant diverses procédures particulières. Elle prévoit notamment :

– la possibilité de soumettre les auteurs à une injonction de soins et à un traitement inhibiteur de libido ([45]) ;

– des expertises médicales obligatoires, avec des modalités facilitées, au stade de l’enquête et dans la perspective du jugement ([46]) ;

– la possibilité pour le ministère public d’informer l’employeur de toute condamnation prononcée à l’encontre d’une personne dont il a été établi au cours de l’enquête ou de l’instruction qu’elle exerce une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l’exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par l’administration ([47]) ;

– l’enregistrement audiovisuel des auditions du mineur victime ([48]) ;

– des règles de prescription dérogatoires au droit commun ([49]).

2.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 5 de la proposition de loi résulte de l’adoption par la commission des Lois du Sénat d’un amendement de M. Michel Savin et plusieurs de ses collègues. Il complète la liste de l’article 706‑47 du code de procédure pénale par les délits d’exhibition sexuelle, de harcèlement sexuel, de recours à la prostitution, de tentative d’atteinte sexuelle sur mineur et d’incitation à commettre un crime ou un délit sur un mineur.

L’article 5 n’a fait l’objet d’aucun amendement en séance publique.

3.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission a adopté l’article 5 sans lui apporter de modification.

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Article 6
(art. 706532 du code de procédure pénale)
Inscription automatique dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes lorsque la victime est mineure

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 6 de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues adopté par la commission des Lois du Sénat. Il rend automatique l’inscription de certaines décisions dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2020‑936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a prévu l’inscription de plein droit au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes des personnes mises en examen en matière criminelle, sauf décision motivée du juge d’instruction.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

1.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Complémentaire du précédent, l’article 6 de la proposition de loi résulte de l’adoption par la commission des Lois du Sénat d’un amendement de Mme Valérie Boyer. Il poursuit également l’objectif d’un meilleur recensement des auteurs d’infractions sexuelles sur mineur au sein du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV).

L’article 706‑53‑2 du code de procédure pénale ordonne aujourd’hui l’inscription dans les affaires qui concernent des crimes ou des délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement. En-dessous de ce seuil, l’inscription au fichier est laissée à l’appréciation de la juridiction ou du procureur de la République.

L’article 6 de la proposition de loi prévoit l’inscription automatique dans le fichier dès lors que la victime de l’infraction est mineure, quel que soit le quantum de la peine encourue.

L’article 6 n’a fait l’objet d’aucun amendement en séance publique.

2.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission a adopté l’article 6 sans lui apporter de modification.

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Article 7
(art. 222484 et 227311 [nouveaux] du code pénal)
Peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité au contact des mineurs

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 7 de la proposition de loi est issu d’un amendement de M. Michel Savin et de plusieurs de ses collègues adopté par la commission des Lois du Sénat. Il incite les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité au contact des mineurs.

       Dernières modifications législatives intervenues

Aucune.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté cet article sans modification.

1.   L’état du droit

Les articles 222‑45 et 227‑29 du code pénal prévoient, en répression respectivement des agressions sexuelles sur mineurs et des autres infractions sexuelles sur mineurs, la possibilité pour la juridiction de jugement de prononcer, à titre complémentaire, la peine d’interdiction d’exercer, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs.

2.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 7 de la proposition de loi résulte de l’adoption par la commission des Lois du Sénat d’un amendement de M. Michel Savin et de plusieurs de ses collègues. Il vise à inciter les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs en cas de condamnation pour certaines infractions dont la victime est mineure ([50]).

L’interdiction serait prononcée par principe à titre définitif. La juridiction conserverait la possibilité, par décision motivée, de ne pas la prononcer au regard des circonstances de l’infraction ou de la personnalité de l’auteur, ou de la prononcer pour une durée ne pouvant excéder dix ans. Le dispositif adopté par le Sénat ne crée donc pas une peine automatique ; il respecte le principe d’individualisation des peines puisque les magistrats restent libres de la prononcer ou non.

L’article 7 a fait l’objet en séance publique d’un amendement rédactionnel de la rapporteure, qui a reçu le soutien du Gouvernement.

3.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission a adopté l’article 7 sans lui apporter de modification.

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Article 8 (supprimé)
(art. 70647 du code de procédure pénale)
Procédure applicable à la nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur

Supprimé par la commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 8 de la proposition de loi résulte d’un amendement de la rapporteure, Mme Marie Mercier, adopté par la commission des Lois. Il inclut l’infraction créée à l’alinéa premier dans la liste des crimes et délits soumis à une procédure particulière prévue par le code de procédure pénale.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2020‑936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a fait évoluer la liste des infractions pouvant entraîner une inscription dans le fichier, en y ajoutant le délit de consultation habituelle d’images pédopornographiques.

  Modifications apportées par la commission

La commission des Lois ayant profondément modifié l’article 1er, de sorte qu’il n’est plus question de créer un nouveau crime sexuel sur mineur de treize ans, la coordination prévue à l’article 8 est désormais sans objet. Un amendement de suppression présenté par le Gouvernement a donc été adopté avec l’avis favorable de la rapporteure.

1.   Les dispositions adoptées par le Sénat

L’article 8 de la proposition de loi résulte de l’adoption d’un amendement de la rapporteure par la commission des Lois du Sénat. Il inscrit le nouveau crime sexuel sur mineur créé à l’article 1er dans la liste de l’article 706‑47 du code de procédure pénale, ce qui apparaît pleinement cohérent avec son objet.

Comme indiqué précédemment ([51]), cette insertion emporte trois conséquences :

– elle emporte l’application de la procédure pénale particulière prévue au titre XIX, traitant « de la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes », du livre V du code pénal portant diverses procédures particulières ;

– elle entraîne l’inscription des auteurs de la nouvelle infraction au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) ;

– elle modifie les règles de prescription applicable pour porter la prescription de l’action publique à trente ans à compter de la majorité de la victime.

L’article 8 n’a fait l’objet d’aucun amendement en séance publique.

2.   Des dispositions supprimées par la commission des Lois

La commission des Lois a substitué au crime sexuel sur mineur envisagé par le Sénat trois nouvelles infractions de viol et d’agression sexuelle respectivement placées aux articles 222-23-1, 222‑23‑2 et 222‑29‑2 du code pénal. Or, l’actuelle rédaction de l’article 70‑47 du code de procédure pénale comprend déjà « [les] crimes de viol prévus aux articles 222-23 à 222-26 [et les] délits d’agressions sexuelles prévus aux articles 222-27 à 222-31-1 ».

 Il n’existe donc aucune coordination à effectuer pour l’application de la procédure pénale particulière aux infractions créées par la commission des Lois. En conséquence, un amendement du Gouvernement a supprimé l’article 8 avec le soutien de la rapporteure.

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Article 9 (nouveau)
(art. 7111 du code pénal ; art. 804 du code de procédure pénale)
Application outre-mer

Introduit par la commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 9 de la proposition de loi résulte d’un amendement de M. Philippe Dunoyer avec les avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement. Il prévoit l’application des dispositions de la proposition de loi dans les territoires ultramarins dotés de l’autonomie.

1.   L’état du droit

L’article 74 de la Constitution prévoit que le statut des collectivités qu’il régit détermine « les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ». Ces collectivités sont en principe soumises au principe dit de « spécialité législative », en vertu duquel les lois et règlements n’y sont applicables que sur mention expresse. Il en va ainsi de la Polynésie française ([52]), de Saint‑Barthélemy et Saint‑Martin ([53]), de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ([54]) et des îles Wallis et Futuna. La Nouvelle-Calédonie est également soumise au principe de spécialité législative, mais sur le fondement de l’article 77 de la Constitution précisé par la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

Les statuts de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint‑Pierre‑et‑Miquelon prévoient toutefois que la plupart des lois et règlements y sont applicables de plein droit par dérogation au principe de spécialité. On parle de « régime de l’Atlantique » ou de régime du « tout est applicable sauf... » ([55]). Il n’y a alors pas lieu, pour les textes concernés, de prévoir une mention particulière d’applicabilité.

La large autonomie dont dispose la Polynésie française, en vertu du statut de 2004 qui régit ce territoire, laisse toutefois subsister la compétence de l’État en matière de droit pénal et de procédure pénale ([56]). L’article 7 précise que, dans ces domaines, « sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin ».

Le droit applicable à la Nouvelle-Calédonie est très similaire : il confère expressément à l’État la responsabilité d’édicter les règles applicables à la procédure pénale ([57]) et au droit pénal ([58]), sous réserve d’en prévoir l’application par une mention expresse ([59]).

Enfin, la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer, dispose, en son article 4, que « le territoire des îles Wallis et Futuna est désormais régi (…) par les lois de la République et par les décrets applicables, en raison de leur objet, à l’ensemble du territoire national et, dès leur promulgation dans le territoire, par les lois, décrets et arrêtés ministériels déclarés expressément applicables aux territoires d’outre-mer ou au territoire des îles Wallis et Futuna ». Établi aux débuts de la Ve République, ce statut ne confère que peu de compétences aux autorités locales, au contraire des textes élaborés au cours des vingt dernières années. Les prescriptions dispensées de mention expresse pour leur application sont les lois nécessairement destinées à régir l’ensemble du territoire de la République ([60]), des approbations et des ratifications de traités et accords internationaux, des ratifications d’ordonnances ([61]) et des textes destinés à ne s’appliquer que dans une ou plusieurs collectivités d’outre-mer ([62]). La création d’un dispositif de nature pénale n’entre pas dans ce cadre.

2.   Les dispositions adoptées par la commission des Lois

Si le législateur a qualité pour imposer l’application de la loi pénale sur les territoires de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et des îles Wallis et Futuna, il doit expressément en prévoir la mention. Or, la présente proposition de loi ne prévoyait rien de tel dans sa rédaction initiale, ni dans la version adoptée par le Sénat.

La commission des Lois a entendu remédier à cette lacune. Elle a adopté à cette fin, avec les avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement, un amendement de M. Philippe Dunoyer devenu l’article 9 de la proposition de loi.

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— 1 —

 

   Compte rendu des débats

Lors de ses réunions du mercredi 3 mars 2021, la commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (n° 3796) (Mme Alexandra Louis, rapporteure).

1.   Première réunion du mercredi 3 mars 2021 (matin)

Lien vidéo : https://videos.assembleenationale.fr/video.10416499_603f46c5957a6.commission-des-lois--proteger-les-jeunes-mineurs-des-crimes-sexuels--3-mars-2021

M. Stéphane Mazars, président. Chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Ce texte, fruit d’une initiative de la sénatrice Annick Billon, a été adopté en première lecture par le Sénat le 21 janvier dernier. Nous bénéficions de la présence de deux membres du Gouvernement : M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice et M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles. Notre rapporteure, Mme Alexandra Louis, connaît parfaitement le sujet puisqu’elle a remis en décembre dernier un rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dont elle avait d’ailleurs déjà été rapporteure.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Permettez-moi tout d’abord de remercier celles et ceux qui travaillent sur ce sujet depuis de très nombreuses années. Je ne citerai pas toutes ces personnes, mais je crois qu’elles se reconnaîtront.

Avec l’examen de cette proposition de loi adoptée par le Sénat à l’initiative de Mme Annick Billon, l’Assemblée nationale aborde la question de la protection des mineurs victimes de violences sexuelles commises par des adultes. Ce débat fait suite aux discussions que nous avons eues en 2018 lors de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, aussi appelé « loi Schiappa ». En inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour, le groupe majoritaire honore l’engagement pris, le mois dernier, lors de la journée d’ordre du jour réservé du groupe Socialistes et apparentés, de faire progresser au plus vite, dans la navette, le véhicule législatif le plus avancé. Nous nous rallions donc à ce texte qui émane de la délégation aux droits des femmes du Sénat. C’est une bonne chose.

L’examen de cette proposition de loi intervient après plusieurs travaux de contrôle menés par les deux assemblées. Je prie les auteurs de ces différents rapports de m’excuser de réserver par priorité mon salut à Mme Marie Mercier, très investie sur ces sujets, qui est mon homologue rapporteure au Sénat. Par ailleurs, j’ai eu l’honneur de mener pendant plusieurs mois une évaluation de la loi Schiappa, qui a permis d’identifier plusieurs voies d’amélioration de notre droit.

Sur le fond, il existe aujourd’hui un consensus pour franchir une nouvelle étape dans la protection des enfants par la création, dans le code pénal, de nouvelles infractions sexuelles sur mineur. À la différence du viol et de l’agression sexuelle, elles seraient constituées sans qu’il soit nécessaire de rechercher un élément de violence, contrainte, menace ou surprise. La preuve en est souvent difficile à rapporter pour l’accusation ; la recherche même est souvent difficile à supporter pour les victimes. Surtout, le dispositif existant présuppose qu’un mineur de moins de quinze ans dispose du discernement nécessaire pour donner son consentement à un acte sexuel avec un majeur, alors même que les sciences démontrent le contraire.

En 2018, le Parlement a débattu de l’opportunité de créer une telle infraction ou de modifier la définition du viol afin d’introduire une présomption de non-consentement au-dessous d’un certain âge. À l’époque, les deux assemblées avaient écarté ces perspectives du fait de doutes pesant sur leur constitutionnalité. Les consultations du Gouvernement auprès du Conseil d’État avaient suscité la prudence devant la possibilité d’une censure constitutionnelle. Nous avions simplement complété le code pénal par des dispositions interprétatives immédiatement applicables, qui précisaient les notions de contrainte morale et de surprise, éléments constitutifs de l’agression sexuelle et du viol. Nous donnions aux juridictions des moyens pour avancer à droit constant. Ces modifications ont reçu un accueil positif de la part des professionnels du droit.

Aujourd’hui, les réflexions ont suffisamment progressé pour permettre d’envisager un dispositif pénal plus innovant. J’en veux pour preuve le vote unanime de l’Assemblée nationale, le 18 février dernier, sur les principes du texte présenté par Mme Isabelle Santiago et nos collègues socialistes. J’en veux aussi pour preuve cette proposition de loi sénatoriale, déposée à la fin de l’année dernière. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur est construite sur le modèle du délit d’atteinte sexuelle, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d’emprisonnement le majeur qui se commet avec un mineur de quinze ans. Elle porterait la répression à vingt ans de réclusion criminelle, comme le viol sur mineur.

Mais nous avons un désaccord fondamental avec les sénateurs sur un point. Je pense qu’il ne nous retiendra pas longtemps car je nous sais unanimes – ou presque –, et cette unanimité s’étend à l’exécutif : alors que le Sénat a limité la protection qu’il accorde à l’âge de treize ans, nous sommes convaincus que la bonne limite se situe à quinze ans.

Si le Sénat a retenu le seuil de treize ans, c’est en partie pour résoudre une difficulté soulevée par le Conseil d’État en 2018. Quand un jeune majeur est en rapport avec un mineur proche de l’âge du consentement sans y être tout à fait, peut-on criminaliser la relation ? Le Sénat a tranché le problème à la racine en fixant l’âge du consentement à treize ans, ce qui lui permet de répondre par l’affirmative à cette question. En effet, on peut considérer qu’une relation entre une personne de plus de dix-huit ans et une autre de moins de treize ans est anormale par nature.

Nous n’aurons pas cette échappatoire puisque nous retiendrons, sans trahir le suspense, un consentement à quinze ans. Nous reconnaissons tous qu’une relation entre une personne d’un peu plus de dix-huit ans et une autre d’un peu moins de quinze ans ne soulève pas du tout les mêmes objections morales, ni les mêmes craintes quant à son caractère consenti. Il nous faudra trouver un dispositif de gestion de ces cas à la limite – le Gouvernement nous exposera tout à l’heure la solution qui a ses faveurs.

Au-delà de cette question importante, gardons à l’esprit que le texte pose un interdit clair, à la fois pour les agresseurs potentiels et pour les mineurs : un enfant de moins de quinze ans ne choisit pas ; c’est l’adulte qui supporte toute la responsabilité. La protection de l’enfance passe par des interdits, posés par la loi. Ce faisant, la loi protège l’enfant : elle refuse en son nom et ne lui demande pas de se gouverner lui-même. Gardons en tête ces mots d’Albert Camus, qui illustrent sans doute mieux que toutes nos phrases la responsabilité de l’adulte : « Un homme ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme … »

Le Sénat a également enrichi le texte dont il était saisi en divers points.

D’abord, il a tiré les conséquences d’un arrêt de la Cour de cassation se livrant à un raisonnement juridiquement imparable, mais dans ses effets tout à fait scabreux, sur la possibilité de qualifier de viol un cunnilingus subi sous la contrainte. Les juges ne sont pas à blâmer : la faute nous incombe, puisqu’ils n’ont fait qu’appliquer la loi dont nous sommes les auteurs. Le Sénat a pris acte de la responsabilité du Parlement en votant l’intégration de tous les actes bucco-génitaux à la définition du viol. C’est une avancée que je vous proposerai de soutenir.

Ensuite, le Sénat a souhaité faire évoluer les règles en matière de prescription. Ces règles ont déjà été modifiées en 2018 : nous avions alors voté un allongement important du délai de prescription, porté de vingt à trente ans à compter de la majorité de la victime. Ces changements successifs nuisent à l’intelligibilité du droit, ce qui m’a été rappelé à de multiples reprises pendant mes travaux. Je constate que le principe de la prescription pénale pour les crimes les plus odieux est de moins en moins compris et accepté, ce qui nous amène, par étapes, à l’amoindrir. C’est donc avec prudence que j’aborde cette question. J’ai examiné la position du Sénat avec attention car, si je suis profondément hostile à l’extension de l’imprescriptibilité au-delà du génocide et du crime contre l’humanité, je dois admettre que le dispositif imaginé, quoique perfectible, répond à une situation très mal vécue par les victimes en cas de crimes sériels dont les différentes victimes ne disposent pas toutes du statut de partie civile du fait de l’acquisition d’un délai de prescription pénale.

Le Sénat a également introduit un volet préventif en adoptant plusieurs amendements présentés par des sénateurs du groupe Les Républicains. Il a modifié les règles d’inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV), un outil qui a fait ses preuves dans le cadre des enquêtes judiciaires mais aussi comme moyen de contrôler les antécédents d’un individu avant son embauche pour un poste où il se trouverait en contact régulier avec des mineurs. Sur ce point, je regrette que le contrôle de recevabilité des amendements nous empêche de prévenir la présence de tels individus dans le monde du sport, alors que la rédaction que je proposais fait l’unanimité des parties prenantes. C’est une occasion gâchée et il n’y en aura guère d’autre d’ici à la fin de la législature. Toujours est-il que le Sénat a complété la liste des infractions entraînant une inscription au FIJAISV et qu’il a prévu une inscription automatique des auteurs d’infractions sur mineurs, quelle que soit la peine encourue. Il a également rendu obligatoire le prononcé par les juridictions de la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale au contact de mineurs, pour mieux prévenir la récidive.

Le Sénat a soulevé un dernier sujet particulièrement complexe en adoptant un amendement qui porte à dix ans d’emprisonnement la peine encourue pour toute atteinte sexuelle incestueuse commise sur un mineur, jusqu’à l’âge de dix-huit ans. En adoptant cet article 1er bis B, dont la rédaction me paraît défaillante, il a posé la question de la répression de l’inceste. La condamnation sociale de tels actes ne fait évidemment aucun doute, la volonté de chacun de réprimer les agresseurs est une certitude, et la gravité de l’acte est indiscutable. Si nous considérons qu’un mineur de quinze ans ne peut avoir à dire non à un adulte, comment soutenir qu’un mineur à peine plus âgé puisse avoir à dire non à son père, à son oncle, à son beau-père ? Sur ce point aussi, je laisserai le Gouvernement présenter la rédaction qui a ses faveurs. Cependant, le sujet est délicat et le temps m’a manqué pour en expertiser tous les effets : il faudra donc probablement y revenir en séance publique et lors des prochaines étapes de la navette parlementaire. La proportionnalité des peines encourues et l’architecture du dispositif, en plusieurs infractions, méritent un débat beaucoup plus approfondi que celui que nous aurons ce matin en examinant des sous-amendements.

Comme vous l’aurez constaté, j’ai fait le choix de ne pas amender cette proposition de loi en commission, si ce n’est pour y introduire l’infraction de « sextorsion » dont la création a été unanimement adoptée par l’Assemblée nationale il y a quinze jours. Pour le reste, j’ai pris acte de votre promesse faite il y a deux semaines, monsieur le garde des sceaux, de présenter à la commission des Lois les rédactions travaillées par le Gouvernement. Cette promesse est tenue et je vous en remercie. Les propositions du Gouvernement constituent une base de discussion qui répond aux principaux enjeux et sur laquelle nous pourrons agréger les bonnes volontés, qui sont nombreuses sur un tel sujet.

Dans l’attente, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cette proposition de loi et de continuer le travail engagé dans la perspective de la séance publique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. La libération de la parole des victimes de crimes sexuels, notamment d’inceste, nous oblige. La société évolue et le droit doit accompagner cette évolution. Notre responsabilité est de proposer des réformes cohérentes, coordonnées, afin de protéger toutes les victimes mineures dans le respect de notre État de droit. La loi du 3 août 2018 a déjà permis un certain nombre d’avancées, mais il faut aller plus loin pour affirmer de façon claire qu’on ne touche pas aux enfants. Lors des derniers débats parlementaires, vous avez montré votre détermination à faire bouger les lignes sur ces questions cruciales.

Nous voilà donc réunis, pour la deuxième fois en dix jours, pour examiner une proposition de loi relative à la protection des mineurs. Il s’agit cette fois d’une initiative sénatoriale puisque ce texte a été déposé par la présidente Annick Billon. Il ira jusqu’au bout de la procédure parlementaire afin que les choses soient clairement dites dans notre loi. Suite aux annonces du Président de la République, le Gouvernement présente aujourd’hui à votre commission un dispositif intégrant des améliorations essentielles, dont les limites en termes de cohérence, de clarté et de constitutionnalité seront débattues avec vous en toute transparence.

Premier objectif partagé : aucun adulte ne pourra se prévaloir du consentement d’un mineur de moins de quinze ans. Les amendements du Gouvernement instituent un nouveau crime spécifique en cas de pénétration sexuelle d’un mineur de quinze ans par un majeur, ainsi qu’un nouveau délit d’agression sexuelle d’un mineur de quinze ans par un majeur. Ces infractions ne seront constituées qu’à partir d’un écart d’âge d’au moins cinq ans afin d’éviter de criminaliser les amours adolescentes. Cette disposition, dont nous débattrons, vise à préserver les relations consenties de nos adolescents. Elle ne saurait évidemment avoir pour effet de protéger des relations sexuelles non consenties : dans ce cas, c’est le droit positif qui s’appliquera. Il convient enfin de porter le seuil du consentement à dix-huit ans dans les cas d’inceste par ascendant – ce sont des situations gravissimes, qui constituent des crimes de viol ou des délits d’agression sexuelle aujourd’hui punis de trois ans d’emprisonnement seulement.

Deuxième avancée qui fait consensus : nous proposons un mécanisme de prescription prolongée qui permettra de juger en même temps tous les crimes sexuels perpétrés sur des mineurs par une même personne, la commission d’un nouveau crime empêchant la prescription du précédent.

Nous avons pris en compte les équilibres et les exigences constitutionnelles qui s’imposent à nous. Ce socle essentiel permet de protéger toutes les victimes mineures pour l’avenir, tout en conservant le droit positif actuel pour les victimes de faits commis avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Le Gouvernement propose d’adopter des définitions d’infractions autonomes et spécifiques afin de renforcer la protection des plus fragiles, tout en conservant les qualifications de viol et d’agression sexuelle – ces interdits restent bien nommés et la loi sera bien lisible pour tous.

Ces dispositions n’effacent pas le droit positif actuel. Nous allons débattre de ce point lorsque nous évoquerons le délit d’atteinte sexuelle, qui est maintenu, même si son champ sera beaucoup plus réduit qu’aujourd’hui du fait de l’extension des infractions de viol et d’agression sexuelle. Il doit être maintenu, non seulement pour l’avenir, afin de sanctionner des faits qui ne tomberont pas sous le coup des nouvelles infractions, mais aussi pour permettre de continuer à réprimer les faits commis par le passé et pour lesquels les nouvelles qualifications ne pourront s’appliquer. En effet, il n’est pas envisageable de sacrifier les victimes passées et d’adopter une réforme qui aurait pour effet d’amnistier, en quelque sorte, les auteurs. Le délit d’atteinte sexuelle doit cependant faire l’objet d’une dénomination spécifique, celle d’« abus sexuel », qui correspond à la terminologie utilisée par plusieurs instruments internationaux.

Comment faire la différence entre les relations sexuelles totalement consenties, relevant de la liberté sexuelle, et les abus traumatisant les plus jeunes ? Il convient de conserver un interdit délictuel, dont l’application doit être appréciée au cas d’espèce par les juridictions.

Je veux prendre le temps d’expliciter devant vous ces évolutions. J’en appelle à notre exigence et à notre responsabilité partagées. Il convient de respecter les exigences constitutionnelles, tout en tenant compte des divergences qui traversent tant la société que les hémicycles parlementaires. À chaque amendement, nous devons choisir entre la protection des mineurs la plus étendue possible et la préservation des relations sexuelles consenties. Je souhaite que des débats riches nous permettent de présenter en séance publique un texte stabilisé, cohérent et rigoureux. Vous avez d’ailleurs déposé des amendements et sous-amendements répondant à cette exigence démocratique. Je pense notamment aux propositions visant à clarifier les dispositions protégeant les victimes d’inceste, à qualifier de viol les actes bucco-génitaux et à élargir le champ de l’inceste aux actes commis non seulement par un ascendant, mais aussi par tous les parents ou alliés exerçant une autorité de droit ou de fait : j’y suis favorable. Au cours de ces débats, nous serons collectivement guidés par l’intérêt supérieur de nos enfants.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. Il y a un peu plus de deux ans, alors que je siégeais à vos côtés, nous avions débattu de ces sujets dans le cadre de l’examen de la loi du 3 août 2018. Elle a constitué, comme l’a rappelé le garde des sceaux, un premier pas. Il nous est proposé aujourd’hui d’aller plus loin. Cette proposition de loi issue du Sénat est importante, du fait de la portée des dispositions qu’elle contient – je ne répéterai pas ce que le garde des sceaux vient d’expliquer clairement –, mais aussi parce qu’elle donne une traduction concrète à de nombreux travaux parlementaires comme celui qu’a mené Mme Alexandra Louis dans le cadre de son rapport d’évaluation de la loi de 2018. Les dispositions que nous introduirons dans cette proposition de loi sont le fruit des concertations que le garde des sceaux et moi-même avons conduites avec les associations, que vous avez aussi rencontrées dans le cadre de vos auditions et dont nous saluons l’engagement. La discussion de ce texte permettra enfin de concrétiser l’engagement du Président de la République de durcir la loi pénale et de poursuivre plus sévèrement les auteurs de ces infractions.

La lutte contre les violences sexuelles commises sur les enfants, notamment contre l’inceste, est une question transversale, systémique, qui va au-delà de cette évolution de la loi pénale. Les travaux que nous allons mener s’inscrivent dans un cadre bien plus large.

Le 23 janvier dernier, le Président de la République a pris un certain nombre d’engagements. Les violences sexuelles qu’auraient pu subir les enfants doivent faire l’objet d’une sensibilisation et d’un repérage systématique, une première fois à l’école élémentaire, puis au collège. La semaine dernière, M. Jean-Michel Blanquer et moi avons lancé avec l’ensemble des administrations concernées, ainsi qu’avec des associations, un groupe de travail afin de rendre ce dispositif effectif dès la rentrée prochaine. Le Président de la République s’est également engagé à ce que les enfants victimes de violences sexuelles bénéficient systématiquement d’une prise en charge psychologique. C’est avec M. Olivier Véran que nous travaillons à la mise en œuvre de cette promesse présidentielle.

Le plan de lutte du 20 novembre 2019 contre les violences faites aux enfants continue d’être déployé. Vous en avez voté un certain nombre de dispositions – je pense à l’extension du contrôle des antécédents judiciaires des personnes qui travaillent au contact d’enfants ou encore au déploiement sur l’ensemble du territoire des unités d’accueil pédiatrique enfants en danger (UAPED) pour mieux recueillir la parole de l’enfant.

Nos débats s’articulent enfin avec les travaux que menera la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles, dont j’ai confié la coprésidence au juge Édouard Durand et à M. Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru. Ceux-ci annonceront la composition de la commission ainsi que sa feuille de route à l’occasion de sa première réunion plénière, qui se tiendra d’ici à la fin du mois.

M. Jean Terlier. Depuis quelques mois, les révélations de crimes et délits et les témoignages sur une vie de silence se multiplient. Derrière les mots-dièse #MeToo et #MeTooInceste, derrière une toile symbole d’un anonymat et d’un secret bien gardés, plusieurs dizaines d’hommes et de femmes osent avec courage dénoncer les blessures et les traumatismes d’une minorité violentée et volée. Ce n’est pas seulement un phénomène de société, emboîtant le pas de personnalités qui rompent leur silence, mais bien la manifestation libérée d’une réalité difficile à faire accepter, celle d’une violence sexuelle souvent confidentielle commise sur des mineurs mutiques dont plus d’un Français sur dix aurait été victime et plus de trois Français sur dix informés. Régulièrement, des affaires médiatiques relancent le débat sur le consentement, la répression et la prescription des crimes sexuels sur mineurs.

Certains diront que le Parlement est taiseux sur ces sujets. Ils auront tort. La loi Schiappa du 3 août 2018 a incrit dans le droit une disposition interprétative sur ce qu’est la contrainte morale quand un mineur de quinze ans est en cause. Notre rapporteure Alexandra Louis a publié un excellent rapport d’évaluation sur ce sujet. Enfin, en l’espace de quelques mois, le Parlement a été saisi de trois textes présentés par trois groupes différents et issus de chacune des deux chambres. Moins de deux mois plus tard, nous discutons d’une nouvelle proposition de loi visant à faire des crimes sexuels sur mineurs une infraction autonome. Nous poursuivons unanimement le double objectif d’incriminer et de réprimer ces faits de façon efficiente et de reconnaître pleinement les victimes mineures.

S’agissant des moyens et des dispositifs à mettre en œuvre, certains choix importants sont partagés par un grand nombre d’entre nous.

Je pense tout d’abord à la création d’infractions autonomes permettant de protéger la victime mineure. Cette mesure est essentielle car elle reconnaît la particulière vulnérabilité du mineur, considérant la minorité comme une singularité et non plus comme une circonstance aggravante. Nous posons un interdit clair en deçà de quinze ans.

Un autre choix partagé et essentiel porte sur la qualification de l’inceste. Cette disposition vise à montrer que l’inceste n’est pas une atteinte sexuelle comme les autres. Elle réaffirme clairement l’interdit. Bien plus, elle reconnaît et relève la gravité spécifique de cette atteinte sexuelle, à l’aune de la rupture d’un lien familial – celui de la victime avec un parent ou un allié – qui aurait dû être un lien de confiance permettant au mineur de construire sa personnalité.

Tout aussi partagé et important est le choix de maintenir l’infraction d’atteinte sexuelle, quelles que soient les précisions données à cette dénomination. Ce choix souligne une nouvelle fois clairement notre volonté de protéger les mineurs, en particulier les plus jeunes, de toute atteinte psychique ou physique dans les situations où leur minorité les fragilise – je pense à toutes les situations où leur âge, leur subordination de fait ou de droit ou leur soumission, qu’elle résulte d’actes actifs ou passifs, se traduit irrémédiablement par une mise en péril.

L’aménagement de la prescription – l’introduction d’une prescription dite « glissante » – est également un choix partagé et un mieux-disant. La prescription ne sera plus enfermée dans un délai de trente ans à compter de la majorité : il s’agit là d’une avancée qui permettra à la victime d’un crime antérieur à sa majorité de bénéficier d’un délai supplémentaire correspondant à la durée de prescription restant à courir au titre du nouveau crime commis par le même auteur.

C’est la volonté d’inscrire dans la loi, de manière claire et intelligible, l’interdiction pour un majeur de commettre, de tenter de commettre ou d’inciter à commettre sur un mineur tout acte de nature sexuelle, quel qu’il soit et de quelque manière que ce soit, qui nous réunit. Cette même volonté devra nous inciter à faire converger nos positions car il s’agit bien de réaffirmer sans équivoque l’interdiction des relations sexuelles entre un majeur et un mineur, en se gardant bien entendu de s’immiscer dans la liberté sexuelle des mineurs ou de préjuger de cette dernière. Parce que nous n’ignorons pas que chaque situation doit être appréhendée singulièrement, nous devons également envisager l’instauration d’un fait justificatif tel que l’écart d’âge afin de ne pas pénaliser les amours adolescentes.

Le Sénat a donc adopté la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, tandis que l’Assemblée nationale a déjà adopté une autre proposition de loi. Deux textes pour un même objectif, deux chambres qui partagent la même volonté ! Il serait bien futile de se disputer la paternité de la loi. Il nous revient plutôt de concentrer nos efforts sur la rédaction d’un texte équilibré, clair, lisible, issu de débats sérieux et des travaux de qualité que chacun de nos collègues parlementaires a menés.

M. Antoine Savignat. Le sujet dont nous débattons ce matin ne peut et ne doit que faire l’unanimité dans nos rangs. L’actualité nous démontre chaque jour que notre système a des carences, des failles et qu’il n’est pas toujours adapté à ce type de criminalité. Nous n’avons pas le droit de fermer les yeux : nous devons nous saisir de ce sujet et mettre nos enfants à l’abri des attaques ignobles dont certains peuvent faire l’objet.

Le texte que nous examinons ce matin à l’initiative de nos collègues sénateurs vise à simplifier, à clarifier et à rendre plus efficace notre dispositif de protection des mineurs. Nous ne pouvons que constater que le Sénat a fait preuve d’inventivité et d’imagination, faisant fi des vieilles incriminations pour poser un principe fondamental auquel nous ne devons pas déroger : on ne touche pas aux enfants.

Nous abordons l’examen de ce texte avec enthousiasme, mais aussi avec une certaine contrariété. Mme la rapporteure nous a dit qu’elle n’avait pas déposé d’amendement : c’est donc que cette proposition de loi est bonne – si elle avait prêté à discussion ou à modification, il en aurait été autrement ! Mme la rapporteure a également déclaré qu’elle laisserait au Gouvernement le soin de nous présenter la rédaction qui recueille ses faveurs. Or, ce texte est une initiative parlementaire et nous sommes ici à l’Assemblée nationale. Sauf le respect que je dois à M. le garde des sceaux, je m’intéresse donc, non pas à la version qui a les faveurs du Gouvernement, mais à celle qui emportera l’adhésion de la représentation nationale et qui correspondra donc aux souhaits des Français. Le texte initial était bon : je ne vois pas pourquoi nous reviendrions dessus aujourd’hui.

La version que propose le Gouvernement prête à discussion et à confusion. Elle ne permet plus la simplification voulue par le Sénat, qui créait une infraction sexuelle distincte de celles qui existent aujourd’hui dans le code pénal. Réintroduire dans le débat la notion de viol, c’est le complexifier. Nous savons tous que les critères permettant de qualifier une infraction de viol sont complexes, qu’ils prêtent souvent à discussion et à requalification, et qu’ils ne permettent pas toujours d’engager des poursuites claires et précises. Bien que la rédaction proposée par le Gouvernement balaie les critères de violence, de contrainte, de menace et de surprise, nous transformons le principe « on ne touche pas aux enfants » voulu par le Sénat en un principe « on ne touche pas aux enfants, sauf si… ». Nous rouvrons alors un débat juridique complexe, qui n’aboutira pas forcément à une meilleure protection des mineurs.

Même si M. le garde des sceaux a laissé entendre que nous allions en débattre et qu’un certain nombre de choses pourraient évoluer ce matin – nous en sommes évidemment enchantés –, la question de l’écart d’âge de cinq ans est source de confusion. Elle rouvre le débat sur le devenir du mineur de treize ou quatorze ans. La rédaction proposée n’est pas très claire sur ce point.

Un autre problème majeur que pose ce texte concerne l’inceste, qui était jusqu’alors une circonstance aggravante et qui devient une qualification à part entière ne visant plus qu’à protéger les mineurs entre quinze et dix-huit ans. Pour les autres, c’est le droit commun qui s’appliquera : les faits seront automatiquement qualifiés de viol. La qualification d’inceste, importante d’un point de vue psychologique et moral, ne servira plus qu’à pallier la carence du texte s’agissant des jeunes de quinze à dix-huit ans.

Ces sujets nous préoccupent et nous inquiètent. J’espère que nos débats nous permettront de progresser, de sorte que ce texte, que nous adopterons à l’unanimité, puisse être voté avec enthousiasme.

Mme Isabelle Florennes. Comme j’ai eu l’occasion de le dire en séance publique lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Isabelle Santiago renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, nous constatons une libération de la parole dans les livres, sur les réseaux sociaux et dans les familles. Les victimes dénoncent des crimes et se défendent avec des mots qui brisent leurs chaînes, celles du silence et de la souffrance ; ces mots les réparent un peu ou beaucoup, mais jamais totalement.

Aider à réparer, à se reconstruire, à surmonter la honte et la douleur, à redonner du sens à la vie quand l’enfance a été niée, piétinée, volée, violée : tel est notre devoir de législateur. Le groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés travaille depuis longtemps sur ce sujet douloureux et extrêmement important. Il y a trois ans, lors de l’examen de la loi Schiappa renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, nous avions d’ailleurs clairement appelé à un débat de fond sur les violences sexuelles faites aux mineurs. Nous avions notamment insisté sur la nécessité de prévoir un âge de non-consentement pour les mineurs de quinze ans.

Si la proposition de loi de notre collègue sénatrice Annick Billon répond en partie à notre souhait en fixant un seuil de non-consentement, nous souhaitons cependant que ce dernier passe de treize à quinze ans. C’est la raison pour laquelle notre groupe soutiendra l’amendement de réécriture de l’article 1er déposé par le Gouvernement. Cet amendement essentiel constitue une véritable avancée : il permet d’aller plus loin et de faire mieux que ce que nous proposent nos collègues sénateurs. Outre l’interdit clair, pour un majeur, d’avoir des relations sexuelles avec un mineur de moins de quinze ans, qui sera inscrit dans le code pénal, une soupape de sécurité est prévue afin de préserver les amours adolescentes entre des mineurs dont l’un devient majeur : tel est le but de l’instauration d’un écart d’âge maximal de cinq ans. Le groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés soutient non seulement ce principe, mais aussi l’écart de cinq ans proposé. Notre position est liée à la nécessité de respecter les exigences constitutionnelles ainsi qu’à notre absolue conviction qu’il ne faut pas pénaliser des relations consenties entre adolescents parce que celles-ci déplairaient à un tiers pour des raisons de discrimination raciale, sexuelle ou autre.

L’amendement du Gouvernement prévoit une interdiction tout aussi claire de tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis par un majeur sur un mineur lorsque l’auteur est un ascendant. Cela va dans le bon sens, mais nous avons déposé un sous-amendement visant à élargir le périmètre de l’inceste pour y englober, notamment, les actes perpétrés par les oncles, tantes, frères et sœurs, ou par toute autre personne exerçant sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Par ailleurs, il nous semble indispensable d’intégrer, dans la définition du viol, les actes bucco-génitaux, qui n’apparaissent pas dans l’amendement du Gouvernement portant réécriture de l’article 1er. Il est très important, à nos yeux, de protéger les petites filles de la même façon que les petits garçons. La jurisprudence a démontré ses failles en la matière.

Notre groupe est également favorable au maintien de l’infraction d’atteinte sexuelle, que le Gouvernement propose de dénommer « abus sexuel ». C’est indispensable pour sanctionner non seulement des faits commis par le passé, mais aussi des faits susceptibles d’être commis dans le futur et qui ne tomberont pas sous le coup des nouvelles incriminations.

Enfin, nous soutiendrons le mécanisme de prescription prolongée des viols sur mineurs dans sa version issue de l’amendement du Gouvernement. Il s’agit là encore d’une avancée importante.

Nous saluons le travail de concertation mené en amont de l’examen de cette proposition de loi. Nous remercions M. le garde des sceaux pour son écoute et pour la prise en compte de nos attentes dans les amendements du Gouvernement. Nos remerciements vont également à Mme la rapporteure. Après les dysfonctionnements observés lors de la discussion de la proposition de loi de Mme Isabelle Santiago, il est de notre responsabilité de nous rassembler pour aboutir à un texte pertinent, juste et bien écrit. Nous devons protéger les mineurs et punir fermement tous ceux qui viendront briser leur innocence. Le groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés sera au rendez-vous.

Mme Isabelle Santiago. Je serai toujours prête au dialogue dès lors qu’il s’agit de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant, mais cela ne m’empêche pas de formuler quelques observations.

Tout d’abord, je rappelle que l’examen par notre commission de la proposition de loi de Mme Annick Billon, adoptée par le Sénat le 21 janvier dernier, intervient après la discussion d’une autre proposition de loi, adoptée quant à elle à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 18 février après avoir été enrichie par divers amendements d’origine parlementaire.

La construction juridique du texte dont nous sommes saisis ce matin est problématique en ce qu’il tend à fixer un seuil d’âge à treize ans et ne dit rien de l’inceste. Au Sénat, plusieurs groupes avaient déposé des amendements visant à porter ce seuil d’âge à quinze ans – à dix-huit ans en cas d’inceste –, mais ils n’ont été retenus ni par la majorité sénatoriale ni par les membres du Gouvernement présents en séance publique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Non, ce n’est pas vrai.

Mme Isabelle Santiago. C’est dommage, car il nous faut, de ce fait, réécrire aujourd’hui la proposition de loi de Mme Billon sur plusieurs points : le seuil d’âge à quinze ans, l’infraction autonome, le seuil d’âge à dix-huit ans en matière d’inceste et l’écart d’âge de cinq ans, qui ne manquera pas de susciter le débat. Toutefois, guidés par l’intérêt supérieur de l’enfant, nous parviendrons, je l’espère, à nous rassembler.

Nous allons examiner les amendements que le Gouvernement n’avait pu présenter lors de la discussion du 18 février, étant précisé que, de son côté, notre rapporteure s’est abstenue d’en déposer. Je prends acte de cette situation, en précisant que les avancées qui ont fait l’objet d’un vote unanime le 18 février devront se retrouver dans ce texte. Le droit doit en effet être modifié et la parole de l’enfant être entendue. Il nous faut répondre aux attentes très fortes des milliers de victimes.

S’agissant de l’amendement dit « Roméo et Juliette » sur les amours adolescentes, j’en approuve l’esprit mais j’appelle votre attention sur le fait qu’il pourrait avoir pour conséquence de remettre en cause la prise en compte de la contrainte exercée sur les moins de quinze ans. De fait – je le sais pour participer moi-même à des commissions avec le préfet et le procureur –, la protection de l’enfance a affaire, sur le terrain, à des jeunes filles de quatorze ans amoureuses de jeunes gens de dix-huit ans à vingt ans qui exercent sur elles une emprise telle qu’elles sont conduites à faire des passes dans des appartements. Ces jeunes filles fragiles, souvent fugueuses, qui ne diront jamais qu’elles ont agi sous la contrainte, doivent être protégées – tel était notamment l’objet de la proposition de loi que j’ai présentée. Or, à moins que l’on ne m’explique le contraire, l’amendement instaurant un écart d’âge de cinq ans risque de les fragiliser davantage.

Quant à l’inceste, il convient d’élargir sa définition de manière à y englober notamment la fratrie et le beau-père.

M. Dimitri Houbron. En France, on estime que chaque classe d’école compte en moyenne deux enfants victimes d’inceste ou de pédocriminalité. Par ailleurs, 81 % des violences sexuelles commencent avant dix-huit ans ; la première agression survient en moyenne à neuf ans et, dans 94 % des cas, elle est commise par un proche. Ces chiffres sont terrifiants.

La politique pénale, les politiques publiques de façon générale doivent apporter des réponses. À ce propos, je veux remercier non seulement la société civile pour sa mobilisation, les victimes qui ont osé parler et nos collègues Alexandra Louis, Sophie Auconie et Isabelle Santiago pour le combat qu’elles mènent depuis de nombreuses années, mais aussi M. Adrien Taquet et M. le garde des sceaux pour leur engagement fort sur cette question sensible.

Il convient d’évoquer, au-delà de l’objet du texte lui-même, la question de la prévention. L’enjeu majeur, pour une société qui souhaite développer la culture de la protection, est d’anticiper les faits par un repérage systématique et de construire des outils opérationnels utilisables par les professionnels qui travaillent jour après jour avec les enfants pour recueillir leur parole. M. Édouard Durand, juge des enfants et coprésident de la commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, rappelle que l’on dit souvent aux victimes de violences, qu’elles soient adultes ou enfants : « Il faut parler ». Mais ne serait-ce pas d’abord à la société de parler ? Les professionnels en contact avec les enfants ne doivent-ils pas être capables de déceler les signaux ? N’est-il pas temps que la société entière cesse de détourner le regard face aux enfants maltraités ? Il nous faudra, avant même les résultats de la grande enquête de victimation que doit réaliser la commission que j’évoquais à l’instant, améliorer la prévention ; c’est dans ce but, du reste, qu’a été lancé, au mois de novembre, le numéro unique destiné aux personnes pédophiles pour éviter le passage à l’acte.

J’en viens au texte lui-même, c’est-à-dire au volet pénal. Le texte adopté par le Sénat comporte beaucoup d’avancées, notamment la création d’une infraction autonome de crime sexuel sur un mineur de treize ans. Nous sommes certes en désaccord sur le seuil d’âge, mais j’ai bon espoir que nous pourrons le porter à quinze ans. Le groupe Agir ensemble estime par ailleurs nécessaire de prendre en considération les amours adolescentes, les Roméo et Juliette : on ne peut pas devenir criminel du jour au lendemain simplement parce qu’on a une relation amoureuse avec quelqu’un d’un peu plus jeune que soi. À cet égard, la prise en compte d’un écart d’âge n’est peut-être pas parfaite mais me semble être la meilleure option que nous ayons à notre disposition.

En ce qui concerne l’infraction autonome d’inceste, il est indispensable – et l’actualité nous incite à avancer en la matière – que la répression pénale soit à la hauteur. Il me paraît intéressant à cet égard de fixer un seuil de non-consentement à dix-huit ans. Les amendements déposés par de nombreux groupes permettront par ailleurs d’étendre la protection que nous accorderons aux moins de dix-huit ans en visant, au-delà des simples ascendants, les personnes qui ont sur le mineur une autorité de droit ou de fait. Cette avancée est indispensable.

D’autres propositions nous tiennent particulièrement à cœur. Je pense à celle qui concerne le fameux délit de non-dénonciation. Nous estimons nécessaire d’allonger le délai de prescription de ce délit, car il paraît inconcevable que l’auteur d’une infraction puisse se retrouver aux assises dix ou quinze ans après les faits mais que la personne qui savait et s’est tue soit exonérée de toute responsabilité. Le Sénat a adopté un allongement de ce délai de prescription, mais nous pouvons aller un peu plus loin.

En conclusion, le groupe Agir ensemble soutiendra avec force cette proposition de loi. Nous avons la volonté d’avancer, quelle que soit l’origine du texte qui nous le permettra, et nous y parviendrons, j’en suis convaincu.

M. Pascal Brindeau. Il existe un consensus sur les objectifs de cette proposition de loi comme, du reste, de celle examinée par notre assemblée il y a une dizaine de jours. La libération de la parole et la médiatisation de certaines affaires rendent plus insupportables encore les violences sexuelles dont sont victimes des enfants, des adolescents, dont les vies sont durablement brisées. Il nous faut aboutir à un consensus sur le texte que nous examinons.

Cela étant dit, le groupe UDI s’étonne de la méthode utilisée pour améliorer le texte du Sénat. Nous voulons bien entendu en conserver l’esprit, mais chacun est conscient, à commencer par Mme Annick Billon elle-même, qu’il présente certaines limites, notamment en ce qui concerne le seuil d’âge. Le seuil de quinze ans, qui n’a pas été adopté au Sénat, fait néanmoins désormais consensus.

Par ailleurs, nous devons garder à l’esprit que l’objet de la proposition de loi est la protection de l’enfant. S’agissant des mineurs de moins de quinze ans, monsieur le garde des sceaux, il ne saurait être question de rechercher un équilibre entre la protection de l’enfant et celle de la liberté sexuelle. Nous ne pouvons pas tergiverser : le droit de l’enfant doit primer sur toute autre considération. C’est la raison pour laquelle nous militons pour la création d’une infraction autonome de crime sexuel sur mineur de quinze ans, crime qui doit, nous semble-t-il, sortir de la section du code pénal consacré au viol et faire l’objet d’une section spécifique. En effet, si on l’intègre dans le cadre du viol, celui-ci étant en l’espèce constitué même en l’absence de contrainte, menace ou surprise, on réintroduit un débat, qui peut être d’ordre constitutionnel, sur la présomption de culpabilité de l’auteur. Ainsi la réécriture proposée par le Gouvernement fragilise-t-elle plus qu’elle ne le clarifie le texte du Sénat, d’autant que cette rédaction – et le garde des sceaux en convient lui-même, puisqu’il acceptera des sous-amendements visant à étendre la qualification d’inceste aux actes commis par toute personne ayant une autorité sur la victime ou une proximité morale avec elle – n’est pas achevée. Le débat parlementaire doit donc nous permettre d’aboutir à une rédaction plus consensuelle.

Le groupe UDI tient par ailleurs à ce que soit abordée, en séance publique, la question de l’amnésie traumatique, absente du texte, ainsi que celle des crimes sexuels sur les mineurs atteints d’un handicap psychique.

Mme Danièle Obono. Il est heureux que se dégage enfin, au sein de l’Assemblée nationale, une majorité pour réaffirmer l’interdiction des violences sexuelles sur mineur. Tel n’était pas le cas il y a deux ans et cette évolution est sans doute à porter au crédit, non seulement de ceux de nos collègues qui sont à l’origine de ces propositions de loi, mais aussi et surtout des spécialistes, des associations et des collectifs de victimes qui ont maintenu une pression constante, accrue par les révélations médiatiques et l’écho de plus en plus important rencontré par la parole des victimes. Nous saluons donc cette avancée du Gouvernement et des majorités de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Le groupe La France insoumise est cependant très mécontent de la manière dont les débats se déroulent. Il y a trois semaines, nous examinions, dans cette même salle, une autre proposition de loi portant sur le même sujet qui, si elle n’a pas obtenu la faveur du Gouvernement, a néanmoins recueilli l’unanimité des suffrages de l’Assemblée nationale. Elle aurait pu être encore amélioré par le Sénat. Par respect pour le travail parlementaire, on aurait dû permettre qu’elle aille au bout du processus législatif. Au lieu de cela, nous sommes amenés à discuter d’un texte qui est en réalité une proposition de loi gouvernementale, puisque le Gouvernement propose de la récrire entièrement. De ce fait, non seulement celui-ci est dispensé de nous soumettre une étude d’impact – comme il y est tenu dans le cadre d’un projet de loi –, mais nous en sommes réduits à déposer des sous-amendements sur les amendements du Gouvernement. En définitive, tout le monde s’y perd : les parlementaires, les professionnels du droit et les associations ! Cette méthode nous semble dommageable tant au travail parlementaire qu’au résultat final de nos travaux.

Quoi qu’il en soit, un certain nombre de points restent à clarifier : le seuil d’âge est fixé à treize ans alors qu’il nous semblait que l’on avait évolué à ce sujet ; s’agissant de la connaissance de l’âge de la victime, il nous semble nécessaire de renverser la charge de la preuve ; le quantum des peines, vingt ans de réclusion dans les deux cas, n’établit pas de distinction entre le viol sur mineur et le viol incestueux sur mineur ; enfin, la protection des lanceurs et lanceuses d’alerte est insuffisante – je pense en particulier au cas, récemment médiatisé, de la pédopsychiatre Eugénie Izard, sanctionnée par l’ordre des médecins après avoir dénoncé des maltraitances et des suspicions d’inceste.

Il y aurait donc beaucoup à faire pour compléter le travail déjà accompli. Hélas, la méthode choisie ne nous permet pas de régler l’ensemble des questions qui doivent l’être !

Mme Karine Lebon. La proposition de loi que nous examinons est particulièrement sensible, tant le sujet est complexe et douloureux. Trop longtemps, les violences sexuelles subies par de jeunes enfants ont été minorées et passées sous silence. Et lorsqu’en de rares occasions, la parole se libérait, l’accueil était insuffisant, voire hostile. À l’angoisse paralysante des victimes se sont ajoutées l’impunité des agresseurs et la folle croyance de ceux qui considéraient que les enfants étaient en mesure, dès le plus jeune âge, de s’ouvrir à une sexualité consentie avec des adultes.

L’examen de cette proposition de loi montre à quel point le regard que la société porte sur ces violences a profondément évolué. Il s’agit désormais de ne plus rien laisser passer ! Les victimes et les associations sont attentives à notre débat. Le sujet mérite que nous dépassions les clivages politiques pour aboutir à un consensus sur les mesures indispensables à la protection des mineurs.

Le texte marque une avancée que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine tient à saluer : enfin, le viol sur mineur est un crime à part entière. Parce que l’enfance est un moment d’émerveillement, d’apprentissage et de vulnérabilité, il arrive que des adultes abusent de l’innocence des enfants. Nous devons donc édicter un interdit clair et aller plus loin que le seuil des treize ans inscrit dans la proposition de loi. En deçà de quinze ans, il ne saurait y avoir de consentement. En d’autres termes : avant quinze ans, c’est non !

Parce que ce constat ne peut souffrir aucune exception, il est insupportable que des affaires de viol sur mineur de moins de quinze ans puissent être correctionnalisées. À cet égard, le renforcement de l’atteinte sexuelle proposé à l’article 1er bis ne nous paraît pas suffisamment protecteur. Nous regrettons également que le problème de l’inceste soit si peu abordé. Il y a urgence à légiférer pour que celui-ci ne soit plus une surqualification pénale ni la circonstance aggravante d’un viol, mais bien un crime. La proposition de loi de Mme Isabelle Santiago visait notamment à insérer deux nouveaux articles dans le code pénal : l’un caractérisant le viol incestueux sur mineur, l’autre l’atteinte sexuelle incestueuse sur mineur. Dans le cas de faits incestueux, le seuil d’âge de non-consentement du mineur serait porté à dix-huit ans. Cela nous paraît cohérent ; nous soutiendrons donc les amendements allant en ce sens.

Par ailleurs, l’absence d’une infraction autonome d’atteinte sexuelle sur mineur nous paraît préjudiciable pour de nombreuses victimes. Parce que le dispositif qu’elle propose nous semble plus protecteur, nous soutiendrons, là encore, l’amendement que Mme Isabelle Santiago a déposé à ce sujet.

Nous sommes inquiets de l’instauration de la clause dite « Roméo et Juliette », que le Gouvernement semble vouloir reprendre à son compte. Nous nous y opposerons formellement. L’écart d’âge de cinq ans ne protégera pas suffisamment les mineurs de treize et quatorze ans ayant des relations sexuelles avec des majeurs de dix-huit et dix-neuf ans. Nous défendrons uniquement les cas où la relation existait avant que l’un des deux mineurs atteigne l’âge de la majorité et où il n’existe aucun lien d’autorité, de droit ou de fait, de l’un sur l’autre.

Enfin, je défendrai plusieurs amendements portant sur des mesures qui ne figurent pas dans le texte mais qui méritent une attention particulière. Je déplore ainsi l’absence de mesures de prévention en milieu scolaire. Aussi proposerai-je que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les mesures de prévention et les dispositifs de sensibilisation destinés à lutter contre les violences sexuelles sur mineurs. Quant aux abus sexuels sur les enfants atteints de handicap, ils sont rarement abordés alors qu’il s’agit d’un problème de grande ampleur. En 2012, l’Organisation mondiale de la santé affirmait que le risque pour un enfant d’être victime de violences sexuelles est 2,9 fois plus élevé s’il est atteint d’un handicap et 4,6 fois plus élevé s’il s’agit d’un handicap mental. Quant aux femmes autistes, 88 % d’entre elles ont été victimes de violences sexuelles, dont un tiers avant l’âge de neuf ans. Je défendrai un amendement visant à fixer un seuil de non-consentement à dix-huit ans dans le cas de relations sexuelles entre une personne porteuse de handicap et un adulte.

Cette proposition de loi est le deuxième texte que nous examinons sur le sujet en moins d’un mois. À nous de le consolider ensemble, au-delà de nos appartenances politiques respectives.

M. Paul Molac. Les violences sexuelles sont un fléau et elles sont pires encore si elles sont perpétrées par des personnes ayant autorité sur les victimes, que ce soit à l’école, au sein de la famille ou dans les hôpitaux, tant il est difficile de se construire lorsqu’on a perdu confiance en ceux qui étaient censés nous protéger. Mais les mentalités ont changé dans ce domaine et c’est heureux ! Alors qu’on demandait bien souvent aux victimes de se taire et qu’on les culpabilisait – en leur reprochant, par exemple, la longueur de leur jupe… – dorénavant, on recherche les agresseurs pour les punir. Il suffit, pour se convaincre de ce changement de mentalité, d’observer le nombre des députés présents ce matin – si élevé que les gestes barrières en pâtissent.

Je ne suis pas spécialiste de ces questions, mais il me paraît fondamental d’aggraver les sanctions lorsque les actes sont commis par des personnes ayant autorité. Que ce soit dans les hôpitaux ou les écoles, on ne peut pas excuser les personnes qui agressent ceux qu’ils sont censés protéger. Quant à la définition de l’inceste, il convient de l’élargir à la fratrie, sans quoi on risque de porter un coup d’épée dans l’eau.

Je crois également important d’insister sur la prévention, qui me semble un peu délaissée. Enfin, il convient de réfléchir à la manière dont on peut encourager les personnes qui détiennent une information à dénoncer les comportements dont elles ont été témoins. Il me paraît important de leur indiquer, car elles sont souvent elles-mêmes démunies, la procédure à suivre et de les informer sur la protection dont elles bénéficieront.

M. Stéphane Mazars, président. Nous nous efforçons de concilier expression démocratique et respect des gestes barrières. Nous le faisons dans des conditions parfois difficiles, mais je ne peux vous laisser dire que les gestes barrières ne sont pas respectés dans cette salle.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. La protection des enfants contre les agressions et crimes sexuels est depuis quelques semaines au centre des préoccupations du Parlement. Force est en effet de constater que la société, le législateur, la justice ne protègent pas suffisamment les enfants. Les chiffres sont terribles : on estime qu’en moyenne deux à trois enfants par classe sont victimes d’inceste. À combien ce nombre s’élève-t-il si l’on prend en compte l’ensemble des enfants victimes d’agressions et de crimes sexuels ?

La pédocriminalité doit être davantage pénalisée. Je me félicite que Parlement et Gouvernement se mobilisent en ce sens, au-delà des clivages partisans. Il est urgent, nous en avons tous conscience, de faire évoluer notre droit. La parole des victimes est de plus en plus prise en compte : enfin, nous les écoutons, nous les entendons, nous les croyons – et je tiens à saluer le courage incroyable de celles et ceux qui ont pris la parole.

Des principes clairs et absolus doivent être redéfinis : avant quinze ans, les rapports et pratiques sexuels, quels qu’ils soient, d’adultes avec des enfants doivent être strictement interdits sans que l’on recherche un consentement. Ce seuil d’âge doit être porté à dix-huit ans dans les cas d’inceste ou si l’adulte exerce une autorité sur l’enfant. À mon sens, il ne doit y avoir ni assouplissement ni exception à cette interdiction, qui doit être stricte. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé, avec mes collègues Latombe, Petit et Goulet, deux amendements visant à réduire l’écart d’âge, dont je comprends parfaitement l’intérêt au plan constitutionnel, mais qui aboutirait à fragiliser la protection des mineurs âgés de treize à quinze ans.

Mme Emmanuelle Ménard. Il existe un consensus sur le principal objectif des deux propositions de loi – celle de Mme Isabelle Santiago, dont nous avons discuté il y a quelques jours, et celle que nous examinons aujourd’hui –, qui est de protéger les droits de l’enfant et de faire toujours prévaloir son intérêt supérieur. Hélas, le consensus se limite à cet objectif. Plusieurs points d’achoppement doivent être examinés attentivement. J’estime, par exemple, inacceptable que le seuil de non-consentement soit fixé à treize ans. Le fait de le porter à quinze ans semble faire l’unanimité – tant mieux ! –, mais je m’interroge sur la réintroduction d’un écart d’âge de cinq ans. Si je comprends le souhait de protéger les amours adolescentes, je m’inquiète qu’une petite fille de douze ans qui aurait une relation amoureuse avec un adolescent de dix-sept ans, par exemple, puisse ne pas être correctement protégée à cause de cette mesure. De fait, on ne peut pas ignorer l’emprise que le plus âgé peut exercer sur le plus jeune. Cet écart d’âge m’apparaît ainsi très clairement comme une régression de la protection des victimes.

Je regrette également que, s’agissant de l’inceste, la rédaction du Gouvernement ne mentionne que les ascendants. À cette rédaction trop imprécise, il faut, me semble-t-il, préférer la notion d’ascendants directs ou indirects, qui permet d’englober les personnes qui exercent une autorité de fait sur le mineur. Je défendrai des amendements en ce sens. En outre, la rédaction de l’amendement CL76 du Gouvernement me semble problématique en ce qu’elle vise les faits commis par une personne majeure sur un mineur « d’au moins quinze ans ».

L’intérêt supérieur de l’enfant doit être notre seule préoccupation. Aussi, j’espère que ce principe guidera nos discussions et que nous travaillerons dans un esprit transpartisan, sans querelle de clocher.

M. Stéphane Mazars, président. Merci pour cette belle invitation, qui vient clore les interventions liminaires sur ce texte. Je donne la parole à la rapporteure et au Gouvernement pour leurs réponses.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Merci, chers collègues, Monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, pour vos interventions claires et fortes.

Nous pouvons nous réjouir de partager un constat : il y a quelques années, nous n’aurions pas eu un tel débat à l’Assemblée nationale. La société a évolué, bientôt notre droit évoluera également. Mais nous partageons également un objectif, celui de mieux protéger les mineurs en fixant un seuil d’âge à quinze ans, en intégrant l’inceste dans notre corpus pénal et en progressant sur la question de la prescription – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.

Monsieur le garde des sceaux, je salue votre volonté d’avancer et le courage dont vous faites montre. Je partage votre exigence concernant la lisibilité du droit ainsi que votre volonté de préserver les relations consenties entre adolescents. Sur cette question, qui nous occupera beaucoup, vous me trouverez à vos côtés. Il serait en effet inconstitutionnel et surtout injuste de pénaliser les amours adolescentes.

En ce qui concerne l’inceste, certains ont souligné le fait que j’avais déposé peu d’amendements. C’est vrai, mais nous pourrons continuer à réfléchir. Si je salue le choix de fixer à dix-huit ans l’âge en deçà duquel on écarte la recherche d’un consentement pour les mineurs victimes d’inceste, je crois nécessaire d’appeler les choses par leur nom en inscrivant le mot « inceste » dans le texte et de réfléchir à une architecture appropriée.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie d’avoir évoqué la prévention. Nous examinons, certes, un texte répressif. Mais s’il est un combat prioritaire, c’est bien celui de la prévention, de la détection et de l’accompagnement. Les mesures que vous avez prises sont les bienvenues. Il faut donner à la société les moyens de réagir à ce fléau.

Monsieur Terlier, je partage votre volonté d’aboutir à un texte équilibré et protecteur. Nos travaux permettront, je le crois, de mieux protéger nos enfants et de mieux sanctionner les auteurs tout en préservant les exigences constitutionnelles, qui nous sont chères.

Monsieur Savignat, vous avez souligné la complexité du sujet. Il est vrai que, si nous nous accordons sur les objectifs, nous devons faire des choix car plusieurs voies peuvent être empruntées. Le garde des sceaux nous présentera la position du Gouvernement. Nous avons encore le temps de travailler : le sujet est trop complexe pour que tout se joue aujourd’hui, en commission. Il est certes urgent de légiférer mais nous devons prendre le recul nécessaire et nourrir notre réflexion, notamment sur certains des éléments que vous avez évoqués. Le texte que nous examinons est d’origine parlementaire mais, en cette matière, nous avons besoin de travailler avec le Gouvernement. Le combat que nous menons est collectif.

Madame Santiago, je partage votre volonté de porter le seuil d’âge de treize à quinze ans. Il me semble que, sur ce point, nous sommes unanimes. Vous souhaitez que le texte évolue ; ce sera le cas. Le Gouvernement défendra un amendement, sur lequel plusieurs sous-amendements ont été déposés qui nous permettront de marquer certains progrès.

Quant à l’écart d’âge, nous n’avons pas d’autre choix que de le prendre en compte car nous devons éviter que, dans la pratique, le texte ne complique la vie des magistrats. La vie pénale est faite d’exceptions et de cas particuliers. Nous avons la tâche, très délicate, de construire des normes générales et précise. Là est toute la difficulté de l’exercice.

La prostitution est une problématique sociétale qui a pris une ampleur considérable ces dernières années ; je l’avais souligné dans mon rapport d’évaluation et le Gouvernement est mobilisé sur ce sujet. À propos des amours adolescentes, vous avez évoqué la problématique de l’emprise. Cette notion est de plus en souvent prise en compte par les magistrats. L’est-elle suffisamment ? Sans doute pas. Dans les cas que vous évoquez, l’impunité n’est pas totale. Toutefois, nous devons faire en sorte de mieux protéger les mineurs, dans le domaine pénal mais aussi dans celui de l’enfance. Je ne suis pas certaine que la lutte contre la prostitution passe exclusivement par la problématique de l’écart d’âge.

Monsieur Houbron, les chiffres sont en effet terrifiants. Vous avez raison, il ne faut plus détourner le regard. Ces crimes doivent être dénoncés pour ce qu’ils sont. S’il est un message que nous devons transmettre, c’est le suivant : face à un doute ou à une simple suspicion, il faut réagir. Dans le doute, on ne s’abstient pas. Vous portez ce message avec beaucoup de force et je vous en remercie. Sur la nécessité de protéger les amours adolescentes, je suis d’accord avec vous.

Monsieur Brindeau, je ne reviendrai pas en détail sur le seuil d’âge parce que j’en ai déjà parlé et que nous en parlerons encore, mais je partage votre affirmation selon laquelle la protection de l’enfant doit primer. La Convention de New York nous le rappelle. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans nos débats. Vous considérez que nos travaux devraient s’intégrer à une section spécifique du code pénal. Nous en discuterons, parce que, si le sujet est très fort, il est aussi technique d’un point de vue juridique, ce qui conduit à faire des choix. Il n’y a pas de choix idéal ni de voie nous garantissant que tout cela soit constitutionnel. Nous sommes sur une ligne de crête, ce qui ne doit pas nous empêcher d’avancer avec détermination. Mais la détermination ne doit pas nous faire oublier la prudence que nous devons aux victimes.

Madame Obono, dès 2018, sur tous les bancs de l’hémicycle, nous avons eu la volonté, partagée par le Gouvernement, d’avancer pour protéger les victimes. Il ne faut pas renier ce que nous avons fait alors. Nous avons fait avancer le débat et nous le ferons encore. Sur ce sujet, chaque jour est un combat, qui a évolué grâce à la société civile, grâce à des parlementaires élus avant nous – je pense notamment à Gisèle Halimi qui n’avait pas éludé la question des mineurs. Il faut nous rappeler que c’est un combat de longue haleine, dans lequel nous devons progresser avec prudence. Vous regrettez l’absence d’étude d’impact. J’aurais, comme nous tous, préféré que nous ayons un avis du Conseil d’État et une étude d’impact. Cela ne nous empêche pas d’avancer de façon éclairée, grâce aux auditions notamment. Nous reviendrons sur l’écart d’âge tout comme sur l’intentionnalité dans la connaissance de l’âge. Contrairement à vous qui pensez que nous faisons du surplace, je pense que nous avons une belle occasion d’avancer.

Madame Lebon, vous avez rappelé que la proposition de loi dépassait les clivages politiques, ce que je partage, tout comme votre constat de l’urgence à légiférer sur l’inceste. Actuellement, il n’est qu’une surqualification en droit pénal et une circonstance aggravante uniquement quand elle concerne un ascendant. Nous avons vocation à avancer. Nous sommes attendus sur ce sujet. Le législateur a reculé à plusieurs reprises, non pas par manque de volonté mais parce qu’il se heurtait à des difficultés juridiques. Je suis intimement persuadée que nous avons la possibilité d’avancer aujourd’hui. Je partage aussi votre combat relatif à la clause « Roméo et Juliette ». Nous sommes également sensibles à la question du handicap, que vous avez soulevée. Je ne sais pas, en revanche, si nous y répondrons dans le cadre de cette loi pénale. Dans tous les cas, cela doit être au cœur de nos débats.

Monsieur Molac, il y a bien un changement de mentalité que la loi doit accompagner. Elle doit aller vers un changement de civilisation. C’est un combat culturel que nous devons mener. La loi pénale peut et doit beaucoup, mais elle ne pourra pas tout. C’est pour cela que je soulignais le besoin d’avancer en matière de prévention.

Madame Jacquier-Laforge, la mobilisation parlementaire est effectivement nécessaire. Nous devons faire avancer notre droit. Je comprends votre volonté de progresser sur la question de l’écart d’âge. Je suis sensible à vos arguments mais nous devons déjà nous dire que ce texte est une avancée historique et qu’il va falloir faire preuve de prudence, afin de ne pas créer plus d’injustices mais d’en éviter. Nous devons vraiment faire en sorte que ce texte tienne la route, si je puis dire. S’il devait être censuré, nous serions tous dans une situation très compliquée pour l’expliquer aux victimes.

Madame Ménard, je partage évidemment votre exigence de faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour le seuil d’âge, vous avez compris que notre volonté était de le porter à quinze ans. Concernant l’écart d’âge, j’ai eu un peu de mal à vous suivre parce que vous évoquez un mineur de douze ans. Le principe de l’écart d’âge n’entre pas en compte dans les relations entre mineurs. Dans le cas d’un mineur de douze ans avec un majeur de dix-huit ans, l’écart d’âge sera supérieur à cinq ans. Le mineur de douze ans ne sera donc pas concerné par ce principe qui concerne les victimes entre treize et quatorze ans et les auteurs entre dix-huit et dix-neuf ans. Il ne s’agit que de ce cas très spécifique. Certains pays européens sanctionnent les relations sexuelles entre mineurs ; ce n’est ni ma volonté ni celle du Gouvernement. Concernant l’ascendant indirect, je ne vous ai pas bien comprise. L’idée est que l’inceste concerne tous les mineurs de dix-huit ans. Il ne s’agit pas d’établir des catégories, même si la rédaction prête peut-être à confusion. Il faut protéger tous les mineurs de zéro à dix-huit ans de l’inceste. Au-delà de dix-huit ans, il existe d’autres dispositifs juridiques.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement n’est pas sur la défensive concernant la proposition de loi. Nous disons qu’il faut réfléchir et nous avons réfléchi. Madame Santiago, je n’ai jamais dit que j’étais contre le fait de porter le seuil à quinze ans. Vous pourrez le vérifier aisément. Après l’examen de cette proposition de loi au Sénat, le Président de la République nous a demandé de recevoir les associations. Nous l’avons fait et nous avons constaté que le discours n’était pas univoque. Il y a sur un certain nombre de sujets de vraies divergences que l’on retrouve ici. C’est bien normal, dès lors qu’il s’agit de morale, d’intime – je pense en particulier à la sexualité de nos adolescents, dont je ne veux pas être le censeur. J’entends que les uns et les autres peuvent exprimer des morales différentes, des conceptions des choses opposées.

Je voudrais quand même dire que ce texte est une avancée majeure. Il y a un point sur lequel nous obtenons un consensus : le seuil de quinze ans. Il ne faut pas, me semble-t-il, que certaines divergences viennent masquer ces avancées. La rapporteure Alexandra Louis a parlé d’un texte historique et je pense qu’elle a raison. Gardons-nous de confondre le principal avec le subsidiaire.

Monsieur Savignat, je ne méconnais pas le rôle du Parlement. J’ai appris, depuis que je suis ministre de la justice, et je le savais avant d’ailleurs, que c’est le Parlement qui vote la loi – cela ne m’a pas échappé. Mais le rôle du Gouvernement, dans ce dossier précis, est peut-être de rappeler, avec une certaine forme de sagesse que j’espère pouvoir revendiquer, qu’on ne peut pas légiférer sous le coup de l’émotion, qu’il y a des règles de proportionnalité et de constitutionnalité, des règles qui tiennent à l’équilibre des peines et à la philosophie du droit. C’est le rôle du garde des sceaux dans l’examen d’un texte comme celui-ci.

Madame Ménard, vous vous trompez. C’est rare car vous connaissez à la perfection vos dossiers. Dans votre hypothèse d’une relation entre un mineur de douze ans et un autre de dix-sept ans, c’est la loi de 2018 qui s’appliquera sans aucune ambiguïté.

Enfin, je m’étais engagé à prendre une circulaire pour demander à tous les procureurs d’ouvrir des enquêtes préliminaires, même quand les faits pouvaient paraître prescrits – parfois c’est l’enquête préliminaire qui révèle si les faits sont prescrits ou non. Je reviendrai sur ce point, mais je tenais à vous le dire pour que votre réflexion soit complète.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Avant l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL33 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago. Partant du principe que nous n’allions pas légiférer à quinze jours d’écart de manière différente, l’amendement vise à créer un chapitre premier afin de rendre le texte plus lisible.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je ne suis pas hostile par principe au fait de structurer un texte, mais vous voyez bien qu’il est appelé à fortement évoluer au cours des débats. Je ne suis pas sûre que le découpage proposé soit pertinent puisqu’on ne peut présumer des votes de la Commission. Je vous suggère de le retirer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je vous propose également de le retirer. Ce sera un défi pour moi de vous convaincre ! La réécriture de l’article 1er par l’amendement CL76 du Gouvernement visera les viols sur mineurs de quinze ans mais aussi les viols incestueux sur mineurs jusqu’à dix-huit ans. Il est nécessaire de dénommer viols les nouveaux crimes qui seront institués. Ils seront insérés dans la partie du code pénal déjà consacrée au viol. Il n’y a donc pas lieu de traiter dans deux endroits distincts de la proposition de loi les viols non incestueux commis sur des mineurs de quinze ans et les viols incestueux commis sur des mineurs de dix-huit ans. La division en deux chapitres risque de faire perdre de la clarté. Je vous redemande donc, avec une espérance faible, un retrait.

Mme Isabelle Santiago. L’espérance est une vertu et je vous entends.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL71 de Mme Florence Provendier.

Mme Laetitia Avia. Cet amendement à forte charge symbolique vise à rappeler que les actions de la France pour protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels s’inscrivent dans le seizième objectif de développement durable (ODD) des Nations unies, dont la cible 2 tend à mettre un terme à la maltraitance, à l’exploitation, à la traite et à toutes les formes de violence et de torture dont sont victimes les enfants.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je tiens à saluer l’implication de Mme Florence Provendier. Il est toujours positif d’inscrire l’action de la France dans les grandes orientations que nous concourrons à tracer à l’échelon international. Je vous remercie de rappeler ainsi que nous œuvrons, ce matin, ensemble, à une démarche qui est celle des Nations unies. Toutefois, dans notre système juridique, ces considérations ont leur place dans l’exposé des motifs d’une proposition de loi ou dans les interventions que nous prononçons à la tribune. La loi elle-même n’a de sens que si elle permet, ordonne ou interdit, selon les mots célèbres de Portalis. Gardons-nous de la tentation des professions de foi qui n’ont d’autre effet que d’alourdir nos codes ! Demande de retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Même demande. Je comprends évidemment l’objectif de cet amendement, qui est louable en ce qu’il permet de rappeler l’attachement du Gouvernement et de la majorité aux objectifs de développement durable. Mais une telle disposition n’est pas normative.

Mme Laetitia Avia. N’ayant pas de mandat pour retirer l’amendement, je le maintiens.

La Commission rejette l’amendement.

Article 1er

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL76 du Gouvernement, qui fait l’objet de nombreux sous-amendements, l’amendement CL3 de Mme Emmanuelle Ménard et l’amendement CL34 de Mme Isabelle Santiago.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. L’amendement CL76 réécrit l’article 1er de la proposition de loi pour introduire dans le code pénal des dispositions répondant aux orientations dégagées de façon consensuelle, notamment lors de l’examen de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, consistant à retenir un seuil de non‑consentement de quinze ans pour les mineurs victimes d’acte sexuels commis par un adulte, ou de dix‑huit ans en cas d’inceste par un ascendant. Ce seuil de quinze ans est préférable à celui de treize ans retenu par le Sénat.

Cela justifie de donner de nouvelles définitions, autonomes et spécifiques, pour le crime de viol et pour le délit d’agression sexuelle, désormais constitués dans de telles hypothèses sans qu’il soit besoin d’établir que l’auteur des faits a usé de violence, contrainte, menace ou surprise – précision essentielle qu’il importe de mentionner expressément.

Il s’agira bien de nouvelles incriminations, prenant acte de l’absence de possibilité pour un mineur de quinze ans de consentir à un acte sexuel avec un adulte, même s’il paraît indispensable, tant pour des raisons symboliques que de cohérence du droit pénal et de compréhension par les citoyens des interdits qui en résultent, de les qualifier de viol ou d’agression sexuelle et de les insérer dans la partie du code pénal qui traite déjà des viols et des agressions sexuelles.

La définition de ces nouvelles infractions doit respecter les exigences constitutionnelles – les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité – ce qui implique qu’on ne peut pénaliser les amours adolescentes et impose de prévoir un écart d’âge entre l’auteur et sa victime, qui existe du reste dans de nombreuses législations étrangères, pour appliquer les nouvelles incriminations. Il est proposé de fixer cet écart à cinq ans. Bien évidemment, si la différence d’âge entre l’auteur des faits et le mineur est inférieure à cinq ans, cela ne signifie nullement que cette personne ne pourra pas être condamnée pour viol ou agression sexuelle, dès lors que les conditions habituelles du viol et des agressions sexuelles seront réunies, au vu notamment des dispositions interprétatives des notions de contrainte et de surprise figurant à l’article 222-22-1 du code pénal.

Pour le crime de viol, la peine encourue sera de vingt ans de réclusion criminelle comme c’est actuellement le cas pour les viols sur mineur de quinze ans ou pour les viols par ascendant. Pour le nouveau crime de viol sur un mineur de plus de quinze ans dans un cadre incestueux par un ascendant, sans exiger de violence, contrainte, menace ou surprise, il en résultera une aggravation particulièrement importante de la répression, puisque, actuellement ces faits ne constituent qu’une atteinte sexuelle punie de trois ans d’emprisonnement.

Pour le délit d’agression sexuelle, la peine sera celle de dix ans d’emprisonnement comme c’est déjà le cas pour les agressions sexuelles sur mineur de quinze ans. Il en résultera une aggravation de la peine lorsque les faits seront commis dans un cadre incestueux, par un ascendant, contre un mineur de quinze à dix-huit ans, puisque, actuellement la peine encourue est de sept ans d’emprisonnement.

M. Stéphane Mazars, président. Nous en arrivons à l’examen des très nombreux sous‑amendements, dont certains sont identiques.

La Commission examine le sous-amendement CL116 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Ce sous-amendement illustre le débat que j’ai amorcé dans la discussion générale et qui fait dire à mon groupe, dans la logique de la proposition de loi de Mme Annick Billon, qu’il conviendrait de caractériser une infraction autonome de crime sexuel, décorrélée de la notion de viol. J’entends l’argument du Gouvernement et je peux comprendre qu’il n’aille pas jusqu’à accepter l’idée qu’en séance publique nous puissions déconnecter cette infraction de la section des viols. Le sous-amendement vise à la requalifier en crime, dans la mesure où ce viol particulier est décorrélé des notions de menace et de contrainte.

La Commission est saisie des sousamendements identiques CL96 de Mme Albane Gaillot, CL104 rectifié de M. Aurélien Pradié, CL112 de M. Jean Terlier, CL122 de Mme Isabelle Florennes, CL126 de M. Pascal Brindeau et CL133 de M. Dimitri Houbron, ainsi que du sousamendement CL87 de Mme Laetitia Avia, qui sont incompatibles entre eux.

Mme Albane Gaillot. Le sous-amendement CL96 réintroduit l’avancée votée au Sénat à l’initiative du groupe écologiste, solidarité et territoires : la prise en compte du rapport bucco-génital dans la définition du crime sexuel. Dans une décision de la Cour de cassation du 14 octobre 2020, les magistrats avaient écarté la qualification de viol dans une affaire d’inceste par cunnilingus au motif que la pénétration vaginale par la langue de l’auteur n’aurait pas été « d’une profondeur significative » et que la plainte de la victime n’aurait été « assortie d’aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement ». Cet arrêt montre bien les lacunes de la loi pénale actuelle, que nous souhaitons corriger dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

M. Antoine Savignat. Nous avons déposé le sous-amendement CL104 rectifié un peu à contrecœur. Le texte du Sénat est parfaitement clair : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco‑génital, commis par une personne majeure sur un mineur de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle. » C’est clair, on ne touche pas aux enfants. Au regard de la jurisprudence, il est important d’ajouter ces termes d’agression bucco-génitale sur un mineur.

Monsieur le garde des sceaux, nous avons une philosophie pénale et on crée une usine à gaz. Demain, dans le code pénal, il y aura le viol tel qu’il existe aujourd’hui, le viol sur mineur de quinze ans, le viol sur mineur entre quinze et dix-huit ans s’il est commis dans un cadre familial, ce qui est beaucoup moins clair. J’aurais enlevé cette qualification de viol et créé comme l’a fait le Sénat une infraction isolée d’agression sexuelle sur les mineurs, quelle qu’elle soit. Le viol que nous créons aujourd’hui est un viol sans contrainte, surprise, violence, menace ni pénétration. Cela complique grandement la lisibilité des textes pour nos concitoyens.

M. Jean Terlier. Le sous‑amendement CL112 vise également à réintroduire dans la réécriture de l’article 1er l’ajout apporté par le Sénat de tout acte bucco-génital parmi les actes qui entraînent la qualification de viol lorsqu’ils sont commis par un majeur sur un mineur de quinze ans, quand la différence d’âge entre l’auteur et le mineur est d’au moins cinq ans.

Mme Isabelle Florennes. Il me semble nécessaire de reprendre la précision du Sénat sur les actes bucco-génitaux, qui doivent entrer dans la définition du viol. La jurisprudence a montré ses failles sur cette question.

M. Pascal Brindeau. Le sous‑amendement CL126 vise également à rétablir l’ajout apporté par le Sénat, qui tire les leçons de la jurisprudence de la Cour de cassation, fondée juridiquement mais scabreuse moralement, comme l’a dit notre rapporteure.

M. Dimitri Houbron. Pour les mêmes raisons, nous défendons l’ajout de cette précision utile. Je profite de la défense du sous‑amendement CL133 pour préciser la position du groupe Agir ensemble sur le terme de viol auxquels nous sommes particulièrement attachés. L’agression sexuelle suppose l’absence de pénétration. Retenir un terme définissant une infraction qui existe déjà sans pénétration pour un crime de pénétration sur un mineur de quinze ans ne nous paraît pas une bonne idée. Le terme de viol est important. Les victimes et le monde associatif y sont attachés.

Mme Laetitia Avia. Le sous‑amendement CL87 concerne un tout autre sujet. Les trois rédactions proposées par le Gouvernement relatives au consentement du mineur interrogent puisqu’il est précisé : « même si ces actes ne lui ont pas été imposés par violence, contrainte, menace ou surprise ». Je comprends cette rédaction dans le sens où actuellement le viol est caractérisé à partir du moment où il y a violence, menace, contrainte ou surprise. Mais le fait d’apporter une telle précision laisse entendre que ces actes n’auraient pas été commis par violence, menace, contrainte ou surprise, alors que c’est le cas – encore plus, dirais-je – sur un mineur de quinze ans. C’est pourquoi je vous propose de remplacer ces mots par : « sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer la » violence, contrainte, menace ou surprise, ce qui correspond davantage à l’intention du Gouvernement de ne pas rechercher le consentement du mineur en présence d’un viol.

La Commission examine, le sousamendement CL139 de Mme Emmanuelle Ménard, les sousamendements identiques CL108 de Mme Élodie JacquierLaforge et CL138 de M. Pascal Brindeau, ainsi que le sousamendement CL107 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, qui sont incompatibles entre eux.

Mme Emmanuelle Ménard. On comprend tout à fait l’intention qui a prévalu à l’inscription d’un écart d’âge de cinq ans entre un mineur et un majeur – la protection des amours adolescentes. Cependant, il me semble que cette disposition va rendre plus délicate la poursuite d’un majeur de dix-huit ans qui aurait violé un mineur de treize ans. Alors que l’on aurait pu éviter d’avoir à démontrer l’absence de consentement d’un enfant, il faudra désormais redoubler d’efforts pour protéger le mineur, en particulier s’il est en état de sidération, comme c’est malheureusement fréquent.

J’ai bien compris que le cas d’un mineur de douze ans et d’un mineur de dix-sept ans ne serait pas concerné par la loi, puisqu’ils sont mineurs tous les deux. J’ai choisi à dessein l’exemple des douze ans pour démontrer que, lorsque des amours commencent à l’adolescence – même si c’est encore l’enfance à douze ans –, il peut y avoir un risque d’emprise sous l’effet de la fascination exercée par le plus âgé. Cette emprise peut continuer à treize ans, lorsque le plus âgé aura atteint la majorité et qu’il sera concerné par ces dispositions. Mais, avec votre système, le récent majeur ne pourra pas être poursuivi puisque l’écart d’âge ne dépassera pas les cinq ans et qu’il pourra démontrer que sa relation ne peut pas constituer un viol, puisqu’elle était amoureuse à l’origine. Cela va compliquer inutilement la possibilité de qualification en viol et être préjudiciable à l’intérêt de l’enfant, puisque le mineur sera moins protégé.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Le sous-amendement CL108 réduit l’écart d’âge de cinq à trois ans. Si je comprends la nécessité de respecter les principes de légalité, nécessité et proportionnalité, en revanche, je m’interroge sur le choix de ces cinq ans. Je ne me situe pas sur le plan moral. Il me semble que les mineurs entre treize et quinze ans doivent faire l’objet d’une protection particulière.

M. Pascal Brindeau. Dans l’absolu, le principe de l’écart d’âge ne nous semble pas satisfaisant. La loi pénale étant d’interprétation stricte, quelle est la conséquence de cet écart ? Dans quelle mesure, lorsque l’écart d’âge est de cinq ans, la notion d’emprise, y compris de contrainte morale, peut-elle être prise en compte par le juge ? Nous préférons, dans la logique de ma collègue, nous en tenir à un écart d’âge de trois ans.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Le sous‑amendement CL107 est un sous‑amendement de repli, visant à réduire l’écart d’âge à quatre ans. J’insiste : le sujet n’est pas la sexualité entre adolescents, mais entre un mineur et un majeur.

La Commission est saisie du sousamendement CL103 de M. Aurélien Pradié.

M. Antoine Savignat. Le sous-amendement vise à compléter l’alinéa 4 par les mots : « sans que la victime ne puisse avoir moins de quinze ans ». On ne comprend pas la rédaction actuelle. Est-ce qu’un majeur de dix-huit ans est protégé, en quelque sorte, par cette disposition, lorsqu’il a une relation avec un mineur de treize ou quatorze ans ? Si vous nous dites, ce que j’espère, que le mineur de quinze ans est protégé de manière absolue et que le majeur de dix-huit ans ne pourra pas agresser un mineur de treize ou quatorze ans, en ce cas, autant adopter les sous‑amendements de mes collègues et réduire l’écart à trois ans.

La Commission examine les sous-amendements identiques CL102 de Mme Laetitia Avia, CL109 de la rapporteure, CL118 de M. Jean Terlier, CL123 de Mme Isabelle Florennes et CL129 de M. Dimitri Houbron.

Mme Laetitia Avia. La rédaction de l’article 222-23-2 du code pénal proposée par le Gouvernement concerne l’inceste, mais sans employer le terme, ce qui créé des problèmes de lisibilité. Nous devons faire œuvre de pédagogie pour que l’état du droit soit clair pour chacun. Cela nous impose de commencer par nommer les choses, et donc de qualifier le viol d’incestueux.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Il faut en effet bien nommer les choses. Nous avons trop souvent tendance à ne pas utiliser le mot « inceste » : ces amendements nous en donnent l’occasion.

M. Jean Terlier. Nous partageons tous le constat : il est nécessaire d’utiliser le mot « inceste » pour que les choses soient claires.

La Commission est saisie des sous-amendements identiques CL105 de M. Aurélien Pradié et CL117 de M. Pascal Brindeau, ainsi que de l’amendement CL93 de Mme Laetitia Avia.

M. Antoine Savignat. Comme viennent de le dire nos collègues, il faut bien nommer les choses. La rédaction proposée est dérangeante car le terme d’inceste ne serait utilisé que pour les mineurs entre quinze et dix-huit ans. Or, l’inceste est une circonstance aggravante, un délit commis dans des conditions particulières, et le terme doit également qualifier les actes sur les mineurs de quinze ans. Nous proposons donc de supprimer la mention « au moins quinze ans » dans le futur article 222-23-2 du code pénal, pour qu’il s’applique à l’ensemble des mineurs victimes de faits incestueux, dans un cadre qui reste à définir.

M. Pascal Brindeau. Il faut uniformiser le régime juridique du viol incestueux, quel que soit l’âge de la victime avant sa majorité.

Mme Laetitia Avia. La rédaction proposée par nos collègues est plus pertinente que celle de mon sous-amendement CL93 ; je m’y rallie volontiers. En tout cas, si du fait de l’adoption de la série précédente de sous-amendements, le viol est qualifié d’incestueux, il est important que ces dispositions s’appliquent à l’ensemble des mineurs, et pas uniquement à ceux qui ont entre quinze et dix-huit ans.

La Commission examine le sous-amendement CL88 de Mme Laetitia Avia.

Mme Laetitia Avia. Ce sous-amendement, comme le premier que j’ai défendu, précise qu’il n’est pas nécessaire de démontrer la présence de violence, contrainte, menace ou surprise.

La Commission examine les sous-amendements CL115 de M. Pascal Brindeau, CL136 de Mme Emmanuelle Ménard, CL97 rectifié de Mme Albane Gaillot, CL94 de Mme Laetitia Avia, et les sous-amendements identiques CL113 de M. Jean Terlier, CL124 de Mme Isabelle Florennes, CL127 de M. Aurélien Pradié, CL128 de la rapporteure, CL130 de M. Dimitri Houbron, CL134 de M. Philippe Dunoyer, ainsi que les sous-amendements CL137 de Mme Emmanuelle Ménard et CL106 de M. Aurélien Pradié, qui sont incompatibles entre eux.

M. Pascal Brindeau. Selon l’amendement du Gouvernement, l’inceste ne peut être que le fait des ascendants. Il faut y inclure les membres de la famille de sang, mais aussi ceux qui possèdent une autorité morale de fait sur la victime, ou en raison de leurs liens juridiques.

Mme Emmanuelle Ménard. Les auteurs d’inceste peuvent être les ascendants directs ou indirects, pas uniquement les parents ou les grands-parents. Le champ d’application de l’article doit être élargi. Je propose des formulations différentes dans d’autres sous-amendements.

Mme Albane Gaillot. Nous proposons d’élargir la notion d’ascendance aux frères, sœurs, oncles, tantes, neveux ou nièces ainsi qu’à toute personne ayant autorité de droit ou de fait sur le ou la mineure. Restreindre les violences sexuelles incestueuses aux seuls ascendants serait un recul par rapport à ce qui est prévu à l’article 222-31-1 du code pénal.

Mme Laetitia Avia. Je me réjouis du consensus pour élargir la définition du viol incestueux à toute personne ayant une autorité de droit ou de fait sur le mineur. Que le dispositif puisse être limité aux seuls ascendants suscite beaucoup d’émotion parmi les associations représentant les victimes d’inceste. Il est très important de prévoir un tel élargissement.

M. Antoine Savignat. Nous convenons tous qu’il est nécessaire de compléter la définition. Par nos sous-amendements CL127 et CL106, nous proposons deux rédactions alternatives.

Mme Emmanuelle Ménard. Je propose également d’élargir l’application de cet article à des personnes qui ont des liens proches avec la victime, et de mentionner tous ceux qui exercent une autorité de fait ou de droit sur les mineurs. C’est la moindre des choses pour qualifier l’inceste.

La Commission examine le sous-amendement CL119 de M. Pascal Brindeau.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, nous sommes un peu perdus parmi tous ces sous-amendements !

M. Stéphane Mazars, président. Je vous accorde que c’est un peu compliqué, mais c’est vous qui êtes à l’origine de la difficulté, si puis me permettre ! (Rires.) C’est en effet le dépôt tardif de l’amendement du Gouvernement proposant une nouvelle rédaction de l’article 1er qui a entraîné le dépôt de ces nombreux sous-amendements.

M. Pascal Brindeau. L’amendement du Gouvernement a pour effet de supprimer une disposition qui punit de réclusion criminelle à perpétuité l’auteur des faits lorsqu’ils sont accompagnés de tortures ou d’actes de barbarie. Je propose de la rétablir.

La Commission est saisie du sous-amendement CL89 de Mme Laetitia Avia.

Mme Laetitia Avia. Ce sous-amendement, comme les sous-amendements CL87 et CL88, précise qu’il n’est pas nécessaire de démontrer la présence de violence, contrainte, menace ou surprise.

Les sous-amendements CL98 rectifié de Mme Albane Gaillot et CL95 de Mme Laetitia Avia, en discussion commune, sont défendus.

La Commission en vient à l’amendement CL3 de Mme Emmanuelle Ménard et à l’amendement CL34 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Emmanuelle Ménard. La rédaction de l’article 1er que je propose va dans le même sens que celle du Gouvernement mais elle est beaucoup plus simple. C’est le fruit de l’examen des deux propositions de loi sur le même sujet à quelques jours d’intervalle. Il s’agit de sanctuariser la limite du consentement à quinze ans, pour protéger les enfants victimes de viol, et de fixer la limite d’âge à dix-huit ans pour l’inceste.

Mme Isabelle Santiago. Le groupe Socialistes et apparentés propose d’intégrer au texte les dispositions de l’article 2 de la proposition de loi adoptée le 18 février dernier, ce qui permet de fixer le seuil d’âge à quinze ans tout en préservant les avancées votées par les deux chambres : la sanction de la pénétration sur l’auteur, la disposition « Roméo et Juliette » et la prise en compte des actes bucco-génitaux. Cet amendement sécurise l’écart de cinq ans et supprime la protection offerte par le seuil d’âge pour les actes commis sur des enfants entre treize et quinze ans.

M. Stéphane Mazars, président. Madame la rapporteure, quel est votre avis sur ces nombreux sous-amendements ?

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’amendement du Gouvernement constitue le point central de nos travaux et le ministre a présenté ses objectifs de façon claire. Sans suspens, j’y suis favorable car il apporte de nombreux progrès. Je ne méconnais pas le mérite des sénateurs, qui ont rouvert le sujet, mais la rédaction qui nous a été transmise est en décalage avec les attentes de la société et nos convictions collectives. Nous ne pouvions accepter que l’âge du consentement soit fixé à treize ans. Le Gouvernement partage la volonté de l’Assemblée nationale de le fixer à quinze ans : c’est une victoire et nous cheminerons ensemble.

Comme vous l’aurez compris en entendant nos collègues défendre leurs sous-amendements, monsieur le ministre, cheminer avec vous nous amène à vous assister dans le choix de la destination. Nous avons tous beaucoup travaillé et je me compte immodestement dans le lot. Nos débats soulèvent des espoirs immenses et nous ne devons pas les laisser retomber. Nous allons donc faire progresser ce texte ensemble, par ces sous-amendements, et en améliorant ce qui peut l’être en séance publique.

Le dispositif réprimant l’inceste me semble perfectible. L’inceste est un crime spécifique, pour reprendre les termes du juge Édouard Durand. Cette infraction n’est pas suffisamment reconnue par notre droit pénal : ce n’est qu’une surqualification. Nous devons pleinement la consacrer.

Je suis évidemment favorable à l’inclusion des actes bucco-génitaux dans la définition du viol – ce débat devrait d’ailleurs déjà être clos puisque nous sommes tous d’accord sur ce point, ainsi que le Sénat.

Je suis également favorable à la dénomination « viol incestueux » car il faut bien appeler les choses par leur nom. Bien avant l’affaire Duhamel, j’avais pu constater très souvent, dans la presse, alors qu’il est question de faits d’inceste, que le mot n’est pas employé. Cela doit nous interpeller. Je me félicite que nous partagions la volonté de nommer précisément les choses dans la loi.

Je suis également favorable à l’élargissement du périmètre de l’inceste au-delà des seuls ascendants, conformément aux dispositions actuelles du code pénal. Les sous-amendements en ce sens sont donc bienvenus.

Je demande à Mme Avia de retirer ses sous-amendements relatifs aux adminicules de violence, contrainte, menace et surprise. Retravaillons à une rédaction en vue de la séance pour améliorer la définition de la nouvelle infraction !

Je souhaite consacrer quelques instants à cette question de l’écart d’âge. Comme le Sénat, nous constatons la difficulté soulevée par la tranche d’âge de treize et quatorze ans. Si nous voulons fixer la limite du consentement à quinze ans, les amours adolescentes posent un problème. Dans son avis de 2018, le Conseil d’État avait soulevé des objections précises. J’ai systématiquement demandé aux personnes auditionnées si elles estimaient possible de fixer un âge seuil sans l’assortir d’aucune exception. La réponse a été négative pour deux séries de raisons.

Les premières sont d’ordre constitutionnel et figurent dans l’avis du Conseil d’État.

Les secondes tiennent à ce que nous voulons réellement faire. Voulons-nous sanctionner des amours adolescentes dont personne ne nie l’existence, pas même ceux qui proposent les amendements limitant l’écart d’âge ? Comment parvenir à un texte de portée générale, qui s’appliquera à toutes les situations ? Le procureur a l’opportunité des poursuites mais elle peut jouer dans un sens comme dans l’autre. En tant que législateur, nous devons dire ce que nous voulons faire : voulons-nous criminaliser ces situations, donc renvoyer ces jeunes devant une cour d’assises ? Il existera plusieurs déclinaisons du viol : le droit commun, et le viol sur mineur de quinze ans. Je comprends la volonté de protéger les jeunes de treize et quatorze ans, et nous la partageons, mais soyons prudents quant aux conséquences de notre choix. En tout état de cause, cet écart d’âge n’octroie pas d’impunité dans le cas d’une relation qui serait imposée. En effet, une relation totalement consentie entre un adolescent de dix-huit ans et un jour et une mineure de quatorze ans et onze mois ne pose pas de difficulté intellectuelle. En revanche, la qualification de viol de droit commun, modifiée en 2018, s’appliquerait si cette relation n’était pas consentie. Ces dispositions, auxquelles les magistrats sont très attentifs, ont d’ores et déjà permis d’améliorer la protection des victimes.

En tout cas, pour des raisons constitutionnelles et de proportionnalité, il me paraît impossible de ne prévoir aucune exception à la limite d’âge de quinze ans. Je rappelle que le dispositif proposé par le Gouvernement maintient l’incrimination d’atteinte sexuelle. Les auteurs se verraient renvoyés devant un tribunal correctionnel et risqueraient sept ans de prison. Encore une fois, je partage l’inquiétude concernant la tranche d’âge treize-quatorze ans. Les sénateurs ont d’ailleurs fixé la limite à treize ans pour contourner la difficulté. L’option que nous retenons est plus protectrice pour les mineurs de quinze ans. Dans tous les cas, ce texte constitue un progrès significatif.

Je souhaite le retrait des amendements réduisant l’écart d’âge toléré à quatre ans, voire trois ans. L’écart de cinq ans existe dans certains droits étrangers et nous avons quelques retours. L’écart de trois ans aurait un sens dans les États étrangers qui prohibent les relations entre mineurs, ce qui n’est pas le cas de la France. Nous souhaitons en effet préserver les relations consenties entre adolescents.

Les sous-amendements de M. Aurélien Pradié auraient également pour conséquence de neutraliser les effets de l’écart d’âge de cinq ans. Or, nous allons préciser explicitement que celui-ci ne s’applique pas dans les cas d’inceste. C’est l’objet du sous-amendement CL102 de Mme Laetitia Avia, auquel je suis favorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je prends la parole avec beaucoup de timidité puisque le président m’a informé que j’étais à l’origine de cette façon singulière de présenter les amendements ! (Sourires.)

Le sous-amendement CL116 ôte la qualification de viol pour le nouveau crime de pénétration sexuelle sur un mineur de quinze ans et supprime la condition de différence d’âge. Cette dernière doit être maintenue pour des raisons de constitutionnalité. M. Brindeau estime compliqué de donner le même nom à des crimes dont les éléments constitutifs sont différents, c’est déjà le cas pour le vol, le recel, l’exploitation de la vente à la sauvette, le proxénétisme, l’exploitation de la mendicité, le harcèlement sexuel, les discriminations, le blanchiment et quelques actes de terrorisme. Avis défavorable.

Les sous-amendements identiques CL96, CL 104 rectifié, CL112, CL122, CL126 et CL133 incluent les actes bucco-génitaux à la définition du viol. La décision de la Cour de cassation à ce sujet est compliquée à appréhender mais je me garderai bien de commenter une décision de justice. La situation qui en résulte est la suivante : infliger une fellation à un petit garçon est un viol, infliger un cunnilingus à une petite fille ne l’est pas. C’est totalement discriminatoire et je suis donc favorable à ces sous-amendements.

Le sous-amendement CL87 propose d’insérer l’expression : « sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer ». C’est le choix du verbe qui détermine ma demande de retrait : il n’est pas satisfaisant de définir une infraction en faisant référence aux éléments de preuve. Le verbe « démontrer » n’existe pas dans le code pénal, c’est dans le code de procédure pénale qu’il trouve sa place puisqu’on y aborde les éléments probatoires. Le législateur doit définir les éléments constitutifs d’une infraction, mais pas indiquer comment une infraction peut, ou non, être démontrée.

J’ai pris connaissance du sous-amendement CL139 de Mme Emmanuelle Ménard déposé tardivement en même temps que tout le monde, ce que je regrette car j’aurais souhaité le travailler davantage. J’y suis défavorable car l’emprise est déjà réprimée, et je ne peux accepter la modification de l’écart d’âge.

Je demande le retrait du sous-amendement CL108, à défaut avis défavorable. Il institue en effet un écart d’âge qui n’aurait aucune portée juridique : dès lors que la victime sera nécessairement un mineur de quinze ans et l’auteur un majeur, l’écart d’âge sera toujours d’au moins trois ans. Pour les mêmes raisons, je demande le retrait du sous-amendement CL138 de M. Pascal Brindeau.

Le sous-amendement CL107 prévoit, quant à lui, un écart d’âge de quatre ans. Je demande également son retrait, sinon avis défavorable.

Je suis défavorable au sous-amendement CL103, qui limite l’application de la différence d’âge de cinq ans aux cas dans lesquels le mineur a quinze ans ou plus. Cette précision est inutile ou injustifiée : le nouveau crime s’applique systématiquement si la victime a moins de quinze ans. Avis défavorable.

Les sous-amendements identiques CL102, CL109, CL118, CL123 et CL129 visent à prévoir que le caractère incestueux du nouveau crime créé est spécifiquement mentionné dans sa dénomination. J’y suis favorable car cette précision est opportune.

Les sous-amendements identiques CL105 et CL117 précisent que le viol incestueux s’applique à tous les mineurs, et pas uniquement à ceux de plus de quinze ans. J’y suis favorable.

Les sous-amendements CL88 et CL 89 emploient le verbe « démontrer », comme le sous-amendement CL87. Je demande également leur retrait.

Je suis favorable aux sous-amendements identiques CL113, CL124, CL127, CL128, CL130 et CL134. Ils ont pour objet d’étendre la qualification de viol incestueux sur mineur de dix-huit ans aux cas dans lesquels l’acte est commis, outre les ascendants, par des personnes qui ont autorité sur la victime. Nous retenons cette formulation pour des raisons rédactionnelles et nous demandons le retrait des autres sous-amendements dont l’objet est identique.

Le sous-amendement CL119 de M. Pascal Brindeau prévoit l’aggravation des cas de viols nouvellement définis en cas de torture ou d’actes de barbarie. Or, cette précision est inutile car ces nouveaux crimes figurent dans la partie du code pénal consacrée au viol, qui prévoit déjà ces aggravations. La peine encourue sera d’ailleurs la réclusion criminelle à perpétuité, et non une réclusion de trente ans comme le propose le sous-amendement. Retrait ou avis défavorable.

Le sous-amendement CL98 rectifié étend les agressions sexuelles incestueuses aux personnes ayant autorité. Je demande son retrait. Je n’ai pas d’opposition de principe mais je préfère la rédaction proposée par le sous-amendement CL95 de Mme Laetitia Avia, auquel je suis favorable.

J’en viens enfin aux deux amendements. Je suis défavorable à l’amendement CL3 de Mme Emmanuelle Ménard. Quant à l’amendement CL34 de Mme Isabelle Santiago, il est satisfait par l’amendement du Gouvernement, qui vient compléter sa proposition et propose un écart d’âge afin d’éviter la pénalisation d’une notion imprécise telle que la relation préexistante pérenne entre l’auteur et la victime. Pour des adolescents, qu’est-ce, en effet, qu’une « relation pérenne » ? C’est difficile à écrire dans la loi. Or, la norme pénale doit être précise. Un petit copain se fait larguer, un nouveau arrive, puis les anciennes amours reprennent… La relation est-elle pérenne si elle a connu des interruptions ? C’est sans doute l’effet de l’âge mais je vous avoue ne pas toujours comprendre nos adolescents. Ce n’est pas simple. La notion d’écart d’âge me semble pouvoir figurer dans la loi, pas celle de relation pérenne. Je propose donc le retrait de l’amendement CL34.

Mme Laetitia Avia. Je retire les sous-amendements CL87, CL88 et CL89 qui emploient le verbe « démontrer ». Je prends acte de l’offre d’un travail de réécriture formulée par la rapporteure et par le ministre.

Je retire également les sous-amendements CL93 et CL94 au profit de ceux déposés par nos collègues Aurélien Pradié et Pascal Brindeau. Je remercie le ministre de son avis favorable au sous-amendement CL95, mais je pense qu’il va tomber si nous adoptons les sous-amendements identiques CL113 et suivants.

M. Antoine Savignat. Nous pouvons nous féliciter de nous retrouver sur de nombreux sujets. Le sous-amendement CL87, que Mme Laetitia Avia vient de retirer, me paraît important et il faudra le retravailler pour la séance. Sans créer une nouvelle catégorie de viol, il évite la recherche des éléments incriminants.

Je ne vais pas retirer le sous-amendement CL103 : c’est notre point de divergence. Je suis d’autant plus sceptique que la rapporteure a justifié son avis défavorable par une explication diamétralement opposée à celle du garde des sceaux. Elle nous dit que la différence d’âge de cinq ans expose potentiellement les enfants de treize et quatorze ans, mais le garde des sceaux explique que la loi s’appliquerait automatiquement aux enfants de moins de quinze ans. Je n’arrive pas à comprendre la rédaction de cet article. Chacun semble le lire à sa manière. Est-ce qu’un jeune de dix-huit ans pourra avoir une relation avec un enfant de treize ou quatorze ans ?

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Monsieur le ministre, nous devons être clairs. Des relations sexuelles entre des mineurs de moins de quinze ans et des majeurs seront-elles possibles ? Plus le dispositif sera simple et lisible, plus le message sera fort pour la société.

Mme Albane Gaillot. J’entends la demande de retrait de l’amendement CL97 rectifié au bénéfice d’une rédaction limitant l’inceste aux auteurs exerçant une autorité de droit ou de fait. Cependant, cette rédaction ne couvrirait pas tout ce qui est prévu à l’article 222-31‑1, qui qualifie d’incestueux les agressions sexuelles dont l’auteur est : un ascendant ; un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait. J’espère que la rédaction que vous retenez n’exclut aucune de ces catégories.

M. Pascal Brindeau. J’ai deux points de désaccord avec vous, monsieur le garde des sceaux. Le premier concerne le sous-amendement CL116 qui tente de sauvegarder l’idée que le crime sexuel est une infraction autonome. J’entends que des infractions relevant de la même dénomination peuvent présenter des éléments constitutifs différents. Mais je maintiens, pour des raisons non pas juridiques mais d’affichage sémantique, liées à la sensibilité du sujet des crimes sexuels sur mineurs, qu’il faut préserver l’autonomie de cette infraction, décorrélée de la seule qualification de viol. Je rappelle que ce dernier est conditionné à l’existence d’une contrainte : s’il peut être démontré qu’aucune contrainte n’a été exercée, on passe alors d’un crime à une infraction délictueuse.

Mon deuxième point de désaccord concerne l’écart d’âge. Pourquoi défendons-nous trois ans et non pas cinq ? Selon vous, monsieur le garde des sceaux, entre treize et quinze ans, il n’y a pas de problème : or, il y en a bien un ! Si une relation amoureuse adolescente a commencé entre un mineur de dix-sept ans et un autre de douze ou treize ans, quand le premier devient majeur, dans l’année entre le dix-huitième et le dix-neuvième anniversaire, l’autre mineur sera toujours un mineur de moins de quinze ans. S’il est démontré qu’il y a contrainte dans la relation sexuelle, quelle sera la qualification retenue ? Ce ne sera pas un viol, mais une agression sexuelle : en conséquence, le mineur de moins de quinze ans, dans ce cas d’espèce, serait moins protégé que le mineur de plus de quinze ans.

M. Pacôme Rupin. Nous avons un large consensus sur un grand nombre de sous-amendements. Il reste une divergence sur le sujet de l’écart d’âge de cinq ans. Nous allons qualifier de viol, avec cette rédaction, toute relation entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans, sans interroger le consentement du mineur, ce que je comprends tout à fait et que je soutiens totalement. Mais peut-on assimiler un très jeune majeur à tous les autres majeurs ? Peut-on, du jour au lendemain, quand on a dix-huit ans, devenir différent, un violeur, alors que la veille encore on avait le statut de mineur ? Cela créerait une aberration.

Prenons deux exemples. À dix-sept ans et demi, un adolescent peut avoir une relation sexuelle avec un mineur de treize ans, soit un écart d’âge de quatre ans et demi. En revanche, un jeune de dix-huit ans deviendrait, sans l’écart d’âge, un criminel parce qu’il aurait une relation sexuelle avec un mineur de quatorze ans et demi, soit un écart d’âge de trois ans et demi, donc moindre que dans l’exemple précédent. C’est pour cela qu’il faut préserver la règle de l’écart d’âge de cinq ans.

Enfin, il faut s’intéresser à la réalité que vivent les adolescents dans leurs relations sentimentales et sexuelles. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) publie tous les quatre ans une étude internationale sur ce sujet. Selon cette étude, en France, un adolescent sur cinq, soit 20 % d’entre eux, a eu un rapport sexuel en troisième ou avant, donc avant d’avoir quinze ans. Parmi ces adolescents, 30 % des filles ont eu leur premier rapport avec un partenaire qui avait au moins trois ans de plus qu’elles. Cette réalité concerne des milliers de jeunes adolescents. Nous devons donc absolument appréhender la question du seuil de dix-huit ans et voter cet écart d’âge.

Mme Isabelle Santiago. Lors de nos précédents débats sur ce sujet, nous avions émis le souhait de parvenir à une définition simple, lisible pour les citoyens et ne posant pas de problème de constitutionnalité. Nous avions retenu les seuils d’âge de quinze et dix-huit ans, sur lesquels nous sommes parvenus à un accord.

Reste la question de l’écart d’âge. Le Canada, qui a retenu un écart d’âge de cinq ans, a dû rédiger trois pages de code pour expliquer à quoi cela correspond ! Pour ma part, je reste en insécurité. La réalité que nous connaissons sur le terrain – je ne parle pas des amourettes visées par l’amendement « Roméo et Juliette » – est très complexe à traiter pour les juridictions. Les filles de treize à quatorze ans sont les plus fragiles dans ce genre de relations avec des majeurs de dix-huit à vingt ans. Certes, il y aura toujours des exceptions avec des relations continues où tout se passe bien ; il est hors de question, en effet, de porter un jugement moral sur les relations des jeunes. Mais nous devons protéger les plus fragiles. Il ne faut pas que, devant une juridiction, on leur demande si elles étaient consentantes ou s’il y a eu contrainte ou surprise. Je demeure sceptique et je doute que l’on sécurise avec cette disposition toutes les jeunes filles que je rencontre sur le terrain et qui, à l’échelle nationale, entrent probablement dans vos statistiques, monsieur le garde des sceaux.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Le sujet que nous examinons nécessite de la clarté. J’aimerais rappeler l’actuel dispositif. Il existe trois infractions : le crime de viol, le délit d’agression sexuelle et le délit d’atteinte sexuelle. Dans les deux premiers cas, on recherche l’existence ou non d’un consentement. En cas de relation entre un adulte de dix-huit ans et demi et un mineur de quatorze ans, on recherche s’il y a eu violence, contrainte, surprise ou menace. Si tel est le cas, l’adulte sera déféré et poursuivi. Si la relation, à l’inverse, est consentie, alors il n’y a pas de poursuites pénales ou, du moins, il y a acquittement ou relaxe. Si l’agression sexuelle est un délit, le viol est un crime passible de la cour d’assises et relevant d’une procédure très lourde, même si celle-ci ne va pas jusqu’à un prononcé de culpabilité ou à une condamnation. Les enjeux sont donc énormes pour un jeune majeur soumis à une telle procédure judiciaire. En cas d’atteinte sexuelle, l’adulte de dix-huit ans et demi peut être renvoyé devant le tribunal correctionnel.

Le dispositif prévu dans l’amendement du Gouvernement se superposera à l’existant : il n’écrase pas ce qui a été fait avant, notamment en 2018. Si nous sommes tous d’accord sur les moins de treize ans, il y a une difficulté concernant les treize à quinze ans : il peut y avoir des relations consenties – nous ne sommes pas d’accord sur ce point – entre un jeune majeur de dix-huit ou dix-neuf ans avec un mineur de treize ou quatorze ans. Dans une telle hypothèse, le juge ne va pas classer le dossier : il vérifie s’il y a un vice du consentement dans la relation entre ces deux personnes. S’il y a emprise, on pourrait considérer qu’il s’agit d’une contrainte et, par conséquent, qu’il y a viol ou agression sexuelle : la juridiction pourrait prononcer une condamnation. Le dispositif n’instaure donc pas une impunité pour ces jeunes majeurs. Si, à l’inverse, il n’y a pas vice du consentement – même si cela ne s’appelle pas comme cela dans le code –, il y aurait encore l’atteinte sexuelle, délit qui ne retient aucun écart d’âge. Cela n’organise pas l’impunité mais cela évite la criminalisation.

Le majeur de dix-huit ans et demi ne peut pas avoir une relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans : il serait passible d’une peine correctionnelle au titre du délit d’atteinte sexuelle mais il ne pourrait être renvoyé devant la cour d’assises pour viol. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y aura superposition de deux dispositifs : pas d’impunité, mais protection pour les moins de quinze ans. Il est difficile de faire coexister deux régimes car cela pose des questions de sécurité juridique et des difficultés liées à la rétroactivité de la loi pénale moins sévère – tout cela est technique. Les treize et quatorze ans, dans le nouveau dispositif, ne seront pas plus vulnérables : le texte les protège davantage. Dans tous les cas, un écart d’âge de trois ans n’aurait pas de sens car cela reviendrait à ne plus avoir d’écart d’âge. De plus, ce serait inconstitutionnel.

Concernant l’autorité de droit ou de fait, l’enjeu est que la future disposition tienne compte de toutes les situations, ce qui est un exercice délicat. La rédaction est perfectible et elle pourra être retravaillée d’ici à la séance publique – je n’y suis pas opposée et j’ai compris que le Gouvernement ne l’était pas non plus. En matière d’inceste, il peut exister des situations particulières : par exemple, en cas de relation incestueuse imposée par un frère de dix-sept ans à sa sœur de dix-huit ans, si le dispositif ne tient pas compte des particularités, on pourrait poursuivre la sœur alors que celle-ci est la victime. C’est un sujet complexe sur lequel nous devons prendre beaucoup de recul ; c’est ce que nous ferons d’ici à la séance publique.

M. Antoine Savignat. Le principe du texte est de fixer à quinze ans l’âge en deçà duquel on ne se posera jamais la question du consentement du mineur pour le protéger d’une agression sexuelle par un majeur. Or, vous précisez que cela sera possible si l’auteur a moins de cinq ans de différence d’âge avec ce mineur. On se refuse donc à considérer qu’un mineur puisse exprimer un consentement en deçà de quinze ans, mais on recherchera quand même l’éventuel consentement du mineur entre treize et quatorze ans. Voilà ce que je n’arrive pas à comprendre ! Ce n’est pas une question de principe mais de cohérence. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vais tout faire pour vous rassurer. Ce sujet étant infiniment compliqué, je vais retracer toutes les situations. Le droit futur viendra se superposer à l’existant : il ne l’abrogera pas. Ainsi donc, une relation entre deux adolescents de onze et seize ans, ou bien de douze et dix-sept ans, ne nous concerne pas : le droit positif s’applique et, compte tenu de l’âge du ou de la plus jeune, il peut y avoir viol.

Venons-en maintenant à cet écart d’âge que je vous propose de fixer à cinq ans, qui concerne le cas de deux jeunes de treize et dix-huit ans ou quatorze et dix-neuf ans. D’abord, le procureur saisi d’une plainte n’examinera sans doute pas de la même façon une gamine de treize ans qu’une adolescente de quinze ans. En tout état de cause, un interdit subsiste, même dans le cadre d’une relation consentie, et il se traduit par l’atteinte sexuelle, punie de sept ans. Les parquets saisis d’affaires de cette nature auront un rôle essentiel à jouer. Ils règlent cette question par le classement sans suite en opportunité ou par des poursuites. Or, une gamine qui ne sait pas et ne dit pas « non » peut subir un traumatisme terrifiant, sans aucune possibilité de démontrer la contrainte, la surprise, la menace ou la violence. Cela existe et ne doit pas rester lettre morte. Nous avons actuellement une centaine de dossiers de cette nature à traiter. Pour les dossiers à venir, vous aurez un choix cornélien à faire entre une protection totale des amours adolescentes ou une protection des mineurs en faisant attention aux amours adolescentes, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. En maintenant l’atteinte sexuelle, on peut prendre en considération des situations où le viol n’est pas démontrable mais où il y a un véritable traumatisme. C’est le droit actuel et il faut impérativement maintenir ce socle.

Je ne pourrai être plus clair que M. Pacôme Rupin dans sa démonstration sur l’écart d’âge et la nécessité d’y aller à raison des statistiques que, très légitimement, vous évoquez. C’est la vie de nos adolescents ! Vous avez rappelé que les filles avaient souvent leur première relation intime avec un garçon plus âgé – trois ans, mais parfois plus, on le sait bien. Il arrive même que ces amours perdurent : certains couples – j’en connais – se sont connus très jeunes, ont fondé une famille et sont toujours ensemble. Que faire avec cela ? Devons-nous, dans le parcours d’un tel couple, arrêter le jeune homme quand il a dix-huit ans et trois jours et lui dire « Vous, mon gaillard, vous allez devant la cour d’assises » ? Non, ce n’est pas possible ! C’est la raison pour laquelle il faut être, sur cette question, infiniment nuancé.

Nous devons toutefois veiller à laisser l’opportunité des poursuites au procureur. Il arrive que les autorités judiciaires reçoivent des plaintes de la part des parents – c’est une réalité que j’ai connue dans mon ancienne profession – parce que leur fille sort avec un Noir et que cela ne leur plaît pas. Parfois, un simple retard suffit à entrer dans un engrenage, les parents portant plainte parce qu’ils veulent se rassurer – leur gamine n’a pas pu coucher, ce n’est pas possible, c’est contraire à tout ce qu’on lui a appris ! On se rassure en instrumentalisant la procédure pénale. Mais quand le procureur est en présence de deux jeunes qui s’aiment et qui pensent que cela va durer toujours – parfois c’est vrai ! –, pensez-vous vraiment qu’il va poursuivre ? Ces situations, on les connaît : c’est la raison pour laquelle nous sommes allés sur ce terrain. Il est possible de trouver un parfait équilibre.

L’élargissement de l’inceste englobe bien toutes les personnes visées dans le code pénal qui exercent une autorité de droit ou de fait, ce qui comprend bien sûr les beaux-parents : cela va de soi mais cela va mieux en le disant.

Les sous-amendements CL87, CL93, CL88, CL94 et CL89 sont retirés.

La Commission rejette le sous-amendement CL116.

Elle adopte les sous-amendements identiques CL96, CL104 rectifié, CL112, CL122, CL126 et CL133.

Elle rejette successivement le sous-amendement CL139, les sous-amendements identiques CL108 et CL138 et le sous-amendement CL107, puis le sous-amendement CL103.

Elle adopte les sous-amendements identiques CL102, CL109, CL118, CL123 et CL129, puis les sous-amendements identiques CL105 et CL117.

Le sous-amendement CL115 est retiré.

La Commission rejette le sous-amendement CL136.

Le sous-amendement CL97 rectifié est retiré.

La Commission adopte les sous-amendements identiques CL113, CL124, CL127, CL128, CL130 et CL134. En conséquence, les sous-amendements CL137 et CL106 tombent.

Le sous-amendement CL119 est retiré.

Les sous-amendements CL98 rectifié et CL95 tombent.

La Commission adopte l’amendement CL76 sous-amendé.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les autres amendements portant sur l’article tombent.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL6 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit de reprendre le contenu de l’article 2 de la proposition de loi de notre collègue Isabelle Santiago qui institue une infraction criminelle de pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur de quinze ans.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Eu égard à l’article 1er que nous venons de voter, cet amendement n’apparaît pas judicieux.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL36 de Mme Isabelle Santiago, CL29 de M. Philippe Dunoyer et CL49 de Mme Albane Gaillot.

Mme Isabelle Santiago. Il s’agit de reprendre les dispositions de l’article 1er de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, afin d’éviter l’ajout de l’écart d’âge de cinq ans.

M. Pascal Brindeau. Cet amendement est moins opérant puisque la condition de l’écart d’âge a été adoptée. Il vise à traiter d’une manière moins mécanique que l’écart d’âge la question des relations entre mineurs de quinze ans et des jeunes majeurs.

Mme Albane Gaillot. Nous proposons une exonération pénale pour les jeunes majeurs qui entretenaient une relation continue et pérenne avec un mineur de quinze ans avant l’acquisition de leur majorité. Ce n’est pas la solution idéale mais cela ouvre la porte à la prise en compte de toutes les situations.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Les amendements CL36 et CL29 proposent de compléter le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans : cela vient d’être fait lors du vote précédent. Demande de retrait.

L’amendement CL49 opère un choix différent de celui qui a été fait à l’article 1er puisqu’il s’agirait de protéger uniquement les amours préexistant à la majorité de l’auteur. Or, nous avons choisi de l’étendre aux relations pouvant exister, de façon plus globale, entre un jeune majeur de dix-huit ou dix-neuf ans et un mineur de treize ou quatorze ans. Demande de retrait.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Même avis pour les mêmes raisons.

M. Pacôme Rupin. Je veux revenir sur la notion de relation continue et pérenne. Outre la difficulté d’objectiver une telle relation, cela conduit à s’immiscer dans la sexualité des adolescents. On permettrait à deux adolescents en relation continue avec un écart d’âge de moins de cinq ans d’avoir une relation sexuelle, mais on l’interdirait à ceux qui ne sont pas en couple : on retomberait alors dans le crime sans interroger le consentement. Cela ne fonctionne pas : l’écart d’âge est ce qui permet le mieux d’objectiver et d’éviter ce genre de différences. Le législateur n’a pas à s’immiscer dans la vie sexuelle des adolescents.

Mme Albane Gaillot. Je suis d’accord avec vous : il faut objectiver et la définition d’une relation pérenne et continue pose problème. Je retire mon amendement.

L’amendement CL49 est retiré.

Mme Isabelle Santiago. Compte tenu des débats que nous venons d’avoir et de l’adoption de l’article 1er, je retire également mon amendement.

L’amendement CL36 est retiré.

M. Pascal Brindeau. L’écart d’âge objective tellement les situations que nous avons passé quasiment une heure à essayer de comprendre quelles en étaient les implications. Nous faisons le constat commun que, dans certaines situations, la protection du mineur de moins de quinze ans ne sera pas totalement assurée, contrairement au principe que nous voulions édicter en créant l’infraction autonome de crime sexuel sur mineur de quinze ans. En effet, la qualification pénale qui pourra être retenue dans certains cas ne sera pas le viol mais l’atteinte sexuelle. Le débat reste donc ouvert s’agissant des mineurs de moins de quinze ans.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission en vient à l’amendement CL37 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago. Je le retire car il pose un problème de cohérence avec l’article 1er que nous venons d’adopter.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL28 de M. Philippe Dunoyer et CL51 de M. Pascal Brindeau, ainsi que l’amendement CL38 de Mme Isabelle Santiago.

M. Pascal Brindeau. Les amendements identiques traitent de l’élargissement des cas d’inceste aux personnes autres que les ascendants directs. Par cohérence, je les retire.

Les amendements CL28 et CL51 sont retirés.

Mme Isabelle Santiago. Je retire également mon amendement.

L’amendement CL38 est retiré.

La Commission examine l’amendement CL52 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. Ce cas n’a pas été traité dans le cadre des débats précédents. Il s’agit de faire en sorte que lorsqu’une personne titulaire de l’autorité parentale sur la victime est reconnue coupable de crime d’inceste, la juridiction se prononce sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous partageons votre préoccupation concernant l’autorité parentale. Toutefois, je tiens à vous rassurer : votre amendement est satisfait par l’article 222-31-2 du code pénal : « Lorsque le viol incestueux ou l’agression sexuelle incestueuse est commis contre un mineur par une personne titulaire sur celui-ci de l’autorité parentale, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité ou sur le retrait de l’exercice de cette autorité […] » Demande de retrait.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Même demande.

M. Pascal Brindeau. Demande à laquelle je réponds favorablement !

L’amendement est retiré.

L’amendement CL39 de Mme Isabelle Santiago est retiré.

Article 1er bis A

La Commission est saisie des amendements identiques CL5 de Mme Emmanuelle Ménard et CL21 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Emmanuelle Ménard. Ces amendements suppriment cet article. Vous souhaitez remplacer « exerce une autorité » par « a une autorité ». Je ne vois pas ce que cela apporte.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis défavorable. La modification rédactionnelle apportée par les sénateurs est bienvenue, même si elle est sans grande portée. Je propose à la commission des Lois d’adopter cet article sans changement pour montrer à nos collègues sénateurs notre volonté d’avancer dans un esprit de consensus.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Avis défavorable à la suppression.

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne vois pas l’intérêt de remplacer « l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime » par « l’autorité de droit ou de fait que celui-ci a sur la victime », même si je comprends votre esprit de co-construction avec le Sénat.

M. Raphaël Schellenberger. Je vois un intérêt à ce changement : inscrire le verbe « avoir » dans le code pénal n’est pas toujours une bonne idée – « disposer » aurait peut-être été plus judicieux –, mais il n’empêche que « avoir » et « exercer » ne signifient pas tout à fait la même chose. Cet article n’est pas seulement rédactionnel : il repose sur une logique de preuve. Quand on « exerce », il faut démontrer que l’on exerce ; quand on « a », cela n’est pas nécessaire : que l’on exerce ou pas cette autorité, on en dispose. Ce n’est pas tout à fait de même nature.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 1er bis A sans modification.

Article 1er bis B

La Commission examine l’amendement CL35 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago. Cet amendement visait à supprimer, par coordination, les dispositions devenues inutiles en conséquence de la création d’un délit spécifique d’atteinte sexuelle incestueuse sur mineur. Mais il me semble que cela a déjà été précisé à l’article 1er. Je retire donc mon amendement.

L’amendement est retiré.

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2.   Seconde réunion du mercredi 3 mars 2021 (après-midi)

Lien vidéo :

https://videos.assembleenationale.fr/video.10422110_603f8d645cedf.commission-des-lois--proteger-les-jeunes-mineurs-des-crimes-sexuels-suite-3-mars-2021

M. Stéphane Mazars, président. Mes chers collègues, nous poursuivons la discussion des articles de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Nous en étions à l’examen des amendements sur l’article 1er bis B.

Article 1er bis B (suite) (art. 227‑27‑2‑1 du code pénal) : Renforcement de la sanction de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL77 du Gouvernement et l’amendement CL4 de Mme Emmanuelle Ménard, l’amendement CL77 faisant l’objet des sous-amendements CL111 de la rapporteure, CL99 de Mme Albane Gaillot, CL86 et CL91 de Mme Laetitia Avia, CL110 de la rapporteure, CL100 de Mme Albane Gaillot, ainsi que des sous-amendements identiques CL90 de Mme Laetitia Avia et CL135 de M. Philippe Dunoyer et des sous-amendements CL92 rectifié de Mme Laetitia Avia et CL101 de Mme Albane Gaillot.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. L’amendement CL77 tend à réécrire l’article 1er bis B de la proposition de loi, qui modifie les dispositions du code pénal relatives aux atteintes sexuelles sur les mineurs. Même si les définitions du viol et des agressions sexuelles commis sur les mineurs sont étendues et couvriront désormais, pour les faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la présente loi, des faits auparavant qualifiés d’atteintes sexuelles, ces dernières infractions doivent être maintenues pour continuer de s’appliquer aux faits passés et pour s’appliquer à des faits qui seront commis dans le futur mais qui ne tomberont pas sous le coup des nouvelles incriminations.

Il convient toutefois de modifier la dénomination de ces délits, qui n’a jamais été comprise par l’opinion publique, afin de les qualifier d’abus sexuels sur mineur, conformément à la terminologie de la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie.

En outre, les articles réprimant ces délits, désormais qualifiés d’abus sexuels, doivent être complétés, par coordination avec la création de nouvelles incriminations. L’abus sexuel aggravé sur un mineur de quinze ans, prévu par l’article 227-26 du code pénal, et l’abus sexuel sur un mineur de plus de quinze ans, prévu par l’article 227-27 du même code, ne doivent plus faire référence à la commission des faits par un ascendant : dans un tel cas, il s’agira désormais nécessairement d’un viol ou d’une agression sexuelle. Enfin, il convient d’augmenter de trois à cinq ans la peine d’emprisonnement prévue par l’article 227‑27.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Mes sous-amendements visent à revenir sur l’apparition dans notre droit pénal, du fait de l’amendement du Gouvernement, de la notion d’abus sexuel, en remplacement de celle d’atteinte sexuelle.

Certes, l’atteinte sexuelle réunit plusieurs catégories d’infractions. On peut se demander pourquoi l’on a retenu à l’époque ce terme pour qualifier des relations sexuelles consenties entre un adulte et un mineur de quinze ans ou un mineur plus âgé sur lequel il a autorité. Toutefois, il me semble que la notion d’abus sexuel n’est pas bienvenue.

J’ai pris note de l’argument fondé sur la directive européenne évoquée par M. le garde des sceaux. Il n’en demeure pas moins que le mot français « abus » n’a pas la signification du mot anglais « abuse », dont l’extension à la langue française semble tout à fait inadaptée. Les associations de victimes insistent régulièrement sur ce point : en français, la notion d’abus implique la constatation d’un droit, dont elle caractérise l’usage excessif. Au demeurant, cette définition figure dans le dictionnaire Larousse.

Je propose donc de nous en tenir à la notion d’atteinte sexuelle, tout en réfléchissant à une nouvelle dénomination de l’infraction correspondante. En tout état de cause, il me semble délicat d’inscrire dans le texte la notion d’abus sexuel.

Mme Albane Gaillot. Cette notion d’abus sexuel est en effet contestée par les associations de victimes que j’ai rencontrées. Je propose, à travers mes sous-amendements, de lui substituer celle de « violence sexuelle ». L’abus désigne un usage mauvais ou excessif d’un droit. N’étant pas juriste, j’ai consulté le Dalloz sur ce point : l’abus de droit y est défini comme « le fait, pour une personne, de commettre une faute par le dépassement des limites d’exercice d’un droit qui lui est conféré, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui ».

Cette proposition est soutenue par le Collectif pour l’enfance.

Mme Laetitia Avia. Le sous-amendement CL86 vise à aligner les dispositions de l’amendement CL77 sur celles adoptées ce matin en matière d’écart d’âge entre le majeur et le mineur. Celles-ci s’appliquent aux viols et aux agressions sexuelles, mais pas aux atteintes sexuelles. Or, en matière pénale, la lisibilité est essentielle car elle permet de définir clairement l’interdit. Nos débats de ce matin ont démontré la difficulté à appréhender la question des amours adolescentes et à distinguer ce qui est interdit de ce qui est autorisé. Dès lors que les choses sont claires, la bonne application de la règle et l’acceptation de la peine prononcée sont assurées. En l’espèce, si nous disons comprendre et accepter l’existence des amours adolescentes, en affirmant qu’elles ne peuvent constituer un viol ou une agression sexuelle, mais que nous considérons qu’elles peuvent être constitutives d’une atteinte sexuelle, nous introduisons une difficulté en matière de lisibilité du droit et d’acceptation de la règle.

Je comprends que la notion d’atteinte sexuelle soit utilisée pour rassurer ceux qui craignent que certains auteurs passent à travers les mailles du filet en raison des dispositions relatives à l’écart d’âge que nous avons adoptées. Il n’en faut pas moins préserver les couples d’adolescents et, comme le souligne l’exposé sommaire de l’amendement CL76 que nous avons adopté ce matin, s’abstenir de les pénaliser. M. le garde des sceaux l’a rappelé : certains parents n’hésitent pas à instrumentaliser la justice au motif qu’ils désapprouvent les relations de leur enfant en raison de l’orientation sexuelle, de l’origine sociale ou de l’origine de son partenaire. Dire à un jeune âgé de dix-huit ans et un mois que même si la relation sexuelle est consentie, il est passible d’une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende est d’une violence inouïe.

Monsieur le garde des sceaux, j’ai pris bonne note de la circulaire prévoyant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le procureur. Certes, nous légiférons pour la deuxième fois sur ce sujet à deux semaines d’intervalle, mais nous ne le ferons pas, je l’espère, de façon récurrente. Même si nous avons confiance dans votre politique et dans les circulaires que vous diffuserez, nous votons la loi de façon pérenne. Il importe donc d’inscrire ces dispositions dans ce texte.

Au demeurant, vous avez fait adopter l’inscription, dans la présente proposition de loi et non dans une circulaire à venir, d’une disposition relative à la différence d’âge en matière de viol et d’agression sexuelle. Par ailleurs, les parents d’une victime présumée d’atteinte sexuelle peuvent agir par citation directe, auquel cas il n’y a pas d’intervention du procureur.

Autre source d’inquiétude : si l’on n’applique pas le critère de l’écart d’âge pour les faits d’atteinte sexuelle alors qu’on le retient pour les autres infractions sexuelles, on risque de créer un appel d’air. Dans le cas d’un couple présentant une faible différence d’âge, dès lors qu’il est toujours difficile de caractériser un viol ou une agression sexuelle, on sera enclin à recourir à la qualification d’atteinte sexuelle, plus facile à établir. Nous devons travailler sans relâche pour que les viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles soient qualifiés pour ce qu’ils sont. Ce n’est pas parce qu’on ne parvient pas à caractériser un viol qu’il faut requalifier les faits en atteinte sexuelle. Nous ne devons pas favoriser un recours accru à cette qualification.

C’est pourquoi je propose d’aligner les dispositions relatives à la qualification de l’atteinte sexuelle sur celles de qualification du viol sur mineur. C’est une question de cohérence. Nous pourrons ainsi appréhender de façon globale la question des couples dont les membres présentent une faible différence d’âge. La règle doit être la même pour tous : si la relation sexuelle est consentie, elle ne relève pas du droit pénal ; si elle ne l’est pas, si le consentement n’est pas acquis, nous devons définir le délit adéquat permettant de poursuivre correctement les délinquants concernés.

Le sous-amendement CL91 est un amendement de cohérence visant à aligner les dispositions de l’article 227-26 du code pénal à la fois sur les dispositions adoptées ce matin et sur celles de l’article 227-27. Il s’agit de définir l’acte incestueux comme un viol commis par une personne majeure sur une personne mineure.

Le sous-amendement CL90 précise que les dispositions de l’article 227-27 du code pénal visent les abus sexuels d’ordre incestueux.

Le CL92 rectifié porte sur une particularité qui apparaît si l’on considère les dispositions proposées dans leur ensemble. L’abus sexuel incestueux fait l’objet de deux quanta de peine distincts : dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende si le mineur est âgé de moins de quinze ans, cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende sinon. Or, en matière d’inceste, rien ne justifie d’établir une distinction entre mineurs en fonction de l’âge. Je propose de retenir uniquement le quantum de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement CL4 tend à réécrire l’article 1er bis B dans un souci de simplification, en reprenant certaines dispositions de la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, déposée par Mme Isabelle Santiago et que nous avons adoptée en première lecture il y a une dizaine de jours. Pour les mineurs violés par un membre de leur famille, elles me semblent plus protectrices que celles dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. La réécriture globale proposée doit répondre à de nombreuses injonctions : elle doit préserver les procédures en cours ; garantir un niveau de protection des mineurs au moins égal à l’existant ; être cohérente avec l’article 1er adopté ce matin ; être intelligible par tous. Cela fait beaucoup pour un seul amendement !

Monsieur le garde des sceaux, je dois vous faire part de mes doutes au sujet de l’intelligibilité des dispositions que vous proposez. Il y aurait désormais, à côté des viols et des agressions sexuelles, des atteintes sexuelles qui seraient des abus sexuels. Un tel niveau de subtilité est difficile à appréhender. De surcroît, il s’agit d’une importation, dans la langue française, d’une notion juridique anglaise qui n’a pas du tout le même sens que le mot français utilisé pour la transcrire. Cette évolution me semble donc peu judicieuse. Mes deux sous-amendements visent à maintenir l’existant.

Nous devons mener un travail en profondeur sur la notion d’atteinte sexuelle, qui, en raison des dispositions adoptées ce matin, n’est plus qu’une infraction croupion. En pratique, elle ne s’appliquera plus qu’aux majeurs ayant une relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans à l’intérieur de la fameuse différence d’âge de cinq ans. Ils s’exposeront, en l’absence de circonstances aggravantes, à une peine d’emprisonnement de sept ans au lieu de dix. Un dispositif d’une telle subtilité paraît compliqué à appliquer ; à tout le moins, il ouvre la voie à la correctionnalisation de faits de nature criminelle, ce qui est plus inquiétant. Sur ce point, je rejoins l’argumentation de notre collègue Laetitia Avia.

Je suis très sensible à l’enjeu de lisibilité des dispositions que nous adoptons. Toute la difficulté résulte de la nécessité de concilier deux régimes juridiques, celui en vigueur et celui que nous créons, répondant à des logiques contraires. Dans le premier, on s’interroge d’abord sur l’existence du consentement avant de retenir une infraction par défaut ; en effet, l’atteinte sexuelle sanctionne des relations par essence consenties. Dans le second, le raisonnement est inversé : on exclut par principe la recherche du consentement et on applique par défaut l’infraction de viol ou d’agression sexuelle définie dans le droit en vigueur.

En outre, nous devons poser la question, comme notre collègue Avia, de ce que nous souhaitons faire. Voulons-nous ou non pénaliser les amours adolescentes ? Si nous désirons les préserver, on peut s’interroger sur cette infraction d’atteinte sexuelle. Le sujet est épineux. Je suis persuadée qu’il n’existe pas de réponse évidente.

Sans doute serait-il nécessaire de prendre un peu de recul et d’approfondir la réflexion d’ici à l’examen du texte en séance publique. Comme toujours, les débats au sein de notre commission sont riches. Si l’on se fie aux observations des uns et des autres, il est clair que nous devons retravailler la rédaction de l’article 1er bis B au cours des dix jours à venir.

J’émets un avis favorable à l’amendement du Gouvernement, sous réserve de l’adoption des sous-amendements CL111, CL110 et CL91. Avis de sagesse sur le CL86. Avis défavorable sur les autres sous-amendements et sur l’amendement CL4.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je le répète : la notion d’abus sexuel est utilisée dans la directive européenne 2011/93/UE. Toutefois, je prends bonne note de la difficulté de traduction que vous soulevez, madame la rapporteure, ainsi que de l’argument relatif à la notion d’abus de droit. Je vous propose de retirer les sous-amendements CL111 et CL110 et de travailler ensemble d’ici à la séance publique sur ces questions de terminologie.

Avis défavorable sur le sous-amendement CL99 car il pose un problème juridique : on ne peut en effet qualifier une atteinte sexuelle de violence sexuelle dans la mesure où ce dernier terme renvoie nécessairement à un viol ou à une agression sexuelle. L’avis sera identique, pour les mêmes raisons, sur les sous-amendements CL100 et CL101.

S’agissant du sous-amendement CL86 de Mme Avia, les débats de la matinée ont permis d’illustrer deux situations diamétralement opposées. Il y a, d’un côté, le cas évoqué par Mme Santiago, celui de victimes d’abus sexuels sans qu’il y ait aucune possibilité de caractériser le crime, et cela mérite toute notre attention. Et puis il y a l’autre cas, que j’ai évoqué, où le parquet va décider de ne pas engager de poursuites. Il m’est rétorqué qu’il peut y avoir une saisine de la juridiction par citation directe, à l’initiative notamment des parents. Mais examinons les chiffres : en 2019, il y a eu 170 condamnations par le tribunal correctionnel pour des atteintes sexuelles et 220 décisions de classement sans suite. Cela montre que parfois l’infraction est constituée bien que l’on ne puisse apporter la preuve de la contrainte, de la violence, de la surprise ou de la menace, et l’on peut alors répondre à la demande des victimes, et que, dans d’autres cas, il s’agit d’une relation réellement consentie, amoureuse, et le procureur prend cela en considération. Voilà ce que permet notre droit positif. Votre position, madame Avia, a certes le mérite de la cohérence, mais j’ai moi-même beaucoup réfléchi à la question, et c’est pourquoi je vous propose de retirer ce sous-amendement afin que nous y retravaillions d’ici à la séance publique. En revanche, j’émettrai un avis favorable sur votre sous-amendement CL91, dont la précision me semble bienvenue.

Demande de retrait du sous-amendement CL90 : l’article 227-27 traite des abus sexuels commis sur des mineurs de dix-huit ans par des majeurs ayant une autorité de droit ou de fait sur le mineur ou abusant de l’autorité que leur confèrent leurs fonctions, dans un contexte pouvant fort bien ne pas être incestueux, par exemple si les faits sont commis par un éducateur. Ils ne seraient incestueux que s’ils étaient commis par un membre de la famille ou assimilé. Dans cette hypothèse, votre commission a décidé, en adoptant des sous-amendements en ce sens à l’amendement du Gouvernement réécrivant l’article 1er, qu’un fait incestueux commis par une personne ayant une autorité de fait ou de droit sera désormais considéré comme un viol ou une agression sexuelle. Il n’y a donc aucune raison de préciser que les abus sexuels traités à l’article 227-27 sont des abus sexuels incestueux.

De ce fait, la peine proposée par Mme Avia dans le sous-amendement CL92 rectifié peut paraître excessive, les faits visés n’étant pas nécessairement incestueux. Peut-être serait-il cependant envisageable de prévoir une aggravation de la peine lorsque l’abus sexuel est incestueux ; je ne suis pas opposé au fait d’y travailler d’ici à la séance.

Enfin, l’amendement CL4 de Mme Ménard est satisfait par l’adoption de l’amendement du Gouvernement réécrivant l’article 1er. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Pacôme Rupin. Je voudrais revenir sur le critère de l’écart d’âge, dont nous avons déjà débattu ce matin et que nous avons décidé de retenir parce qu’il paraît recouvrir une réalité. Il me semble important que nous fassions preuve de cohérence dans ce que nous votons. Vous mettez en avant, monsieur le garde des sceaux, le droit positif en matière d’atteinte sexuelle, mais le risque, par suite de notre décision de créer une nouvelle infraction, c’est que nous empilions des infractions répondant à des critères différents. Il serait bon, pour nos jeunes concitoyens, que la même règle s’applique dans chacun des cas.

Je rappelle que le champ des actes couverts par l’atteinte sexuelle est extrêmement large. Il ne s’agit pas uniquement de pénétration ; ce peut être un baiser ou une caresse. Imagine-t-on qu’un baiser échangé entre un très jeune majeur et un mineur qui approche de ses quinze ans relèverait de l’atteinte sexuelle ? Cela ferait courir le risque, déjà soulevé ce matin, d’une saisine de la justice parce que la relation ne plairait pas aux parents – ou à d’autres – et que cela provoque en retour un traumatisme pour des adolescents qui ont eu une relation qui n’est pas nécessairement sexuelle.

C’est pourquoi il serait important que nous allions, soit maintenant, soit en séance publique, dans le sens du sous-amendement CL86 : non seulement pour des raisons de cohérence, mais aussi parce que le droit actuel est trop dur envers ces situations. En tout cas, il faut impérativement que nous aboutissions à une rédaction qui respecte les amours entre adolescents.

M. Ludovic Mendes. Étant cosignataire de ce sous-amendement, j’abonderai dans le même sens.

L’exigence de lisibilité vaut non seulement pour les enfants, mais aussi pour les adultes. Comment expliquer à un parent la différence entre agression, atteinte et abus sexuel ? En l’état, n’étant, de surcroît, pas juriste, je serais bien incapable de le faire.

Ce qui me chagrine, c’est qu’un jeune adulte puisse se retrouver devant un agent de police ou un juge, même si l’affaire est classée sans suite, parce qu’il est tombé amoureux d’une personne un peu plus jeune que lui. Nous avons parfois de petites passes d’armes concernant la protection des mineurs parce qu’en la matière, je veux en général aller plus loin que les collègues. Or, j’ai au contraire l’impression que l’on va ici vers une moralisation de notre société, alors même que nous venons de renforcer la protection des mineurs grâce aux différents dispositifs adoptés. Je me suis trouvé dans cette situation étant plus jeune ; je me dis que la menace d’une poursuite pour atteinte sexuelle peut faire peur, surtout vu les peines encourues. Il faudrait vraiment parvenir à un accord pour que nous puissions expliquer le dispositif à nos concitoyens – ce qui, en l’état, relève de l’impossible.

Quant au sous-amendement CL92 rectifié, si nous l’avons déposé, c’est parce que nous avions compris que les dispositions de l’article concernaient les actes incestueux, et non ceux commis par tout adulte ayant une autorité sur un mineur. Là aussi, il faudrait trouver une solution pour que l’inceste soit reconnu comme une circonstance aggravante. Il serait inimaginable que ce ne soit pas le cas.

M. Jean Terlier. Le Gouvernement et nous visons le même objectif : faire en sorte de ne pas pénaliser les amours adolescentes et de ne pas porter atteinte à la liberté sexuelle de jeunes gens dès lors qu’elle s’exerce réellement.

Ce qu’exprime ma collègue Avia à travers le sous-amendement CL86, c’est le souci du parallélisme des formes et de la cohérence. On ne comprendrait pas pourquoi un jeune majeur ne serait pas passible du crime de viol eu égard au faible écart d’âge avec le mineur, mais qu’il serait potentiellement coupable du délit d’atteinte sexuelle ! Vous nous répondez, monsieur le garde des sceaux, que le sous-amendement est en quelque sorte satisfait par le droit positif puisque le parquet remplit son office en appréciant, au vu des éléments du dossier, si l’atteinte sexuelle est ou non caractérisée. Vous en voyez pour preuve les 220 décisions de classement sans suite à mettre en regard avec les 170 condamnations. Si nous vous remercions pour ces données, il nous semble néanmoins qu’il y a là un point qui fait intellectuellement problème et nous vous remercions d’avoir pris l’engagement d’y travailler d’ici à la séance publique.

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai expliqué ce matin pourquoi je n’étais pas favorable au critère de l’écart d’âge – même si je comprends qu’on puisse avoir une appréciation différente. Cela crée à mon avis non seulement un statut moins protecteur pour les 13-15 ans, mais aussi un statut privilégié pour les 18-20 ans : en pratique, les jeunes majeurs seront plus protégés que les autres. Il me semble en tout cas que c’est la conséquence logique de ces dispositions.

D’autre part, pour revenir sur ce que disait M. Rupin, j’aimerais connaître le nombre de plaintes déposées par suite d’un simple baiser ou d’une caresse. Y en a-t-il beaucoup ?

M. Raphaël Schellenberger. Nous sommes d’accord sur une chose : c’est que la loi pénale doit être claire, lisible, compréhensible. Or, que se passe-t-il ? Dans les rangs de la majorité, chacun cherche le cas de figure qui lui permettra de déposer un amendement venant créer une nouvelle exception ! (Protestations)

On crée de nouveaux concepts, on les mélange avec d’anciens. L’inceste entre désormais dans la même case que l’acte commis en position d’autorité ; il sera désormais qualifié par les mêmes articles du code pénal que le fait pour un moniteur de colonie de vacances de dix-huit ans d’avoir noué pendant quelques jours une relation amoureuse avec un mineur de moins de quinze ans, alors que ce n’est pas du tout la même chose.

Votre objectif, en réalité, est de trouver sur le sujet un point d’équilibre au sein de la majorité et d’aboutir à un compromis politicien chez La République en marche. Résultat : le débat est parfaitement incompréhensible et nous allons voter une loi illisible !

Mme Isabelle Santiago. J’étais précisément en train de me dire que parfois, plus on discute, plus cela devient complexe…

Il me semble que l’idée qui doit guider ce texte – et qui avait guidé celui adopté à l’unanimité le 18 février, à l’issue de débats parfois un peu vifs –, c’est l’intérêt général. Les dispositions issues de nos discussions doivent être applicables par les juridictions et compréhensibles par tous les Français. À savoir : un seuil d’âge à quinze ans et un autre à dix-huit ans avec, si tel est le souhait de la majorité – bien que ce ne soit pas le mien – un critère d’écart d’âge de cinq ans. Il faut que les choses soient claires pour tout le monde, à commencer pour les jeunes. Ce n’est pas vraiment le cas pour l’instant, surtout si l’on n’est pas juriste. Nos débats sont publics et si les gens s’y retrouvent, chapeau !

Pour notre part, nous avions opté, à travers notre amendement de réécriture de l’article 1er, pour une autre solution. Le terme de « pérenne » n’était pas adéquat pour qualifier une relation entre adolescents, j’en conviens, mais tout le monde est d’accord sur le principe : il faut trouver une solution pour sécuriser les choses. Je l’ai dit ce matin : il existe des législations qui apportent certaines précisions, par exemple au Canada. Ne pourrait-on pas chercher de ce côté-là ?

Mme Laetitia Avia. Merci, monsieur le ministre, de nous avoir éclairés. J’en profite pour vous demander si nous avons les chiffres des affaires d’atteinte sexuelle classées sans suite du fait de l’écart d’âge. Il serait intéressant de connaître la proportion de ces amours adolescentes.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Hélas non. Les statistiques nous renseignent sur le nombre d’infractions, les condamnations, les peines prononcées, les moyennes, mais pas sur l’identité des personnes concernées ni sur leur âge. On sait simplement si elles sont mineures ou majeures car les juridictions ne sont pas les mêmes dans l’un et l’autre cas. Je ne peux donc pas vous en dire davantage, même s’il serait intéressant de disposer de telles données.

En revanche, la plupart des affaires classées sans suite l’ont été parce que l’atteinte s’était résumée à un simple baiser, celui évoqué par M. Pacôme Rupin. Imaginez-vous un procureur, en France, poursuivre pour atteinte sexuelle dans le cas d’un baiser ?

La difficulté est énorme, nous n’avons pas encore la solution. Il est très difficile de traduire le cas des amours adolescentes dans la loi. Nous en avons déjà discuté à l’occasion de la réforme de la justice pénale des mineurs. D’abord, comment définir un adolescent ? Certains gamins sont plus mûrs que d’autres. Ensuite, la notion de pérennité est plus que compliquée à utiliser s’agissant d’adolescents – sans compter qu’une relation sexuelle peut très bien avoir été consentie dans un cadre qui n’avait rien de pérenne. C’est la vie ! Enfin, comment traduire dans la loi pénale le concept d’amours adolescentes ? C’est à se casser la tête. Il y a même des risques d’inconstitutionnalité.

Nous sommes ici pour renforcer les droits des mineurs, pas pour abroger la loi en vigueur. Bien sûr, nous nous posons des tas de questions de cohérence, de parallélisme, et c’est bien normal. Cela étant, depuis que la loi est entrée en vigueur, il y a longtemps maintenant, avez-vous eu connaissance de la moindre difficulté ? Non. Je me suis renseigné. D’un côté il y a la loi et les grands principes plus ou moins éthérés, de l’autre il y a la réalité : les services n’ont été confrontés à aucune difficulté.

La discussion est infinie car il y a des arguments légitimes de part et d’autre. Mais il y a tout de même un principe clair : l’interdit, pour un majeur, d’avoir une relation avec une gamine ou un gamin. La notion d’atteinte sexuelle permet de le rappeler.

Mme Laetitia Avia. Vous aurez compris, monsieur le ministre, que nous partagions tous, pas seulement dans la majorité, la volonté d’avancer. Mme Santiago l’a dit : nous avons besoin de clarté. Nous devons réfléchir au moyen d’appréhender le plus clairement possible ces amours adolescentes. Ce sera tout l’enjeu de nos discussions dans les prochains jours. Compte tenu de votre invitation ferme et irrévocable à discuter avec nous de ces dispositions d’ici à la séance publique, monsieur le ministre, je retire le sous-amendement CL86.

Je retire également les sous-amendements CL90 et CL92. Honnêtement, j’ai beau être juriste, j’ai eu du mal à comprendre l’amendement du Gouvernement et j’ai cru qu’étaient visés les abus sexuels incestueux. Je vais approfondir la question.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Une fois de plus, nous partageons la même exigence de lisibilité et de clarté. C’est dans cet esprit que nous devrons travailler. L’atteinte sexuelle relève d’un régime très ancien qui répondait à des impératifs sociétaux différents : historiquement, elle servait avant tout à préserver les bonnes mœurs. C’est pourquoi le délit d’atteinte sexuelle sanctionne les relations entre un adulte et un mineur de quinze ans lorsqu’elles sont consenties. Aujourd’hui, on ne recourt à cette infraction, en droit positif, que par défaut. C’est d’ailleurs le principal grief qu’on peut lui faire. En pratique, elle est trop souvent utilisée pour correctionnaliser l’affaire : le délit d’atteinte sexuelle permet d’ouvrir cette porte et, s’il est vrai que certaines correctionnalisations sont nécessaires, ce n’est pas toujours le cas.

Ce délit ancien va devoir perdurer dans un nouveau système, qui ne se base plus sur un interdit moral mais sur la protection des enfants, en partant du principe qu’un mineur de quinze ans n’a pas le discernement nécessaire pour accepter un rapport sexuel avec un majeur. Cependant, et c’est bien là toute la difficulté, nous avons aussi décidé de protéger les amours adolescentes. Les sénateurs se sont heurtés aux mêmes problèmes. Nous avons encore du travail devant nous pour permettre à ces deux systèmes de coexister, tout en garantissant la sécurité juridique nécessaire pour les affaires passées.

Nous devons être clairs. La loi pénale n’est pas faite que pour les juristes, les avocats, les magistrats : elle est faite pour tous les citoyens. Les infractions pénales, en particulier, doivent être définies avec précision car des millions de personnes peuvent être concernées.

Quant au sujet du classement sans suite, je partage l’avis de mes collègues. Le législateur doit prendre ses responsabilités, même s’il a pleinement confiance dans les magistrats, notamment les procureurs, de notre pays. Il est très difficile d’analyser les classements sans suite car on n’en connaît pas les motifs. Certaines affaires ont ainsi pu connaître ce sort parce que les faits étaient prescrits. Nous manquons des données nécessaires pour éclairer nos débats.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Précisons que les correctionnalisations ne sont aujourd’hui décidées qu’avec l’aval de toutes les parties. Certaines victimes, j’insiste sur ce point, ne veulent pas subir un procès criminel, dont elles redoutent la lourdeur et le rituel. Elles préfèrent que leur affaire soit jugée devant un tribunal correctionnel, plus rapidement et plus discrètement. Même si des précautions peuvent être prises devant la cour d’assises, comme le huis-clos, le rituel demeure lourd.

Par ailleurs, que deviennent les dossiers en cours ? J’ai évoqué le nombre des condamnations. Imaginons que des affaires ne soient pas définitivement jugées et que des appels soient interjetés, ou bien qu’il y ait d’autres victimes : que ferions-nous ? Cette préoccupation n’entrave en rien la liberté du législateur, mais elle est à prendre en considération.

Bref, nous avons, à ce stade, plus de difficultés que de réponses précises, mais j’ai bien compris les arguments de Mme Avia.

Mme Albane Gaillot. Je retire mes sous-amendements. J’ai bien compris que le terme de violence n’est pas juridiquement solide, mais il faudra revoir la notion d’abus.

Les sous-amendements CL111, CL99, CL86, CL110, CL100, CL90, CL92 rectifié et CL101 sont retirés.

La Commission adopte le sous-amendement CL91.

Elle rejette le sous-amendement CL135.

Elle adopte l’amendement du Gouvernement ainsi sous-amendé.

En conséquence, l’article 1er bis B est ainsi rédigé et l’amendement CL4 tombe, ainsi que les amendements CL14 et CL15 de Mme Emmanuelle Anthoine et l’amendement CL25 de Mme Marie-France Lorho.

Après l’article 1er bis B

La Commission examine les amendements CL72 et CL73 de Mme Florence Provendier.

Mme Laetitia Avia. La rédaction actuelle du code pénal limite le périmètre de l’inceste et n’y intègre ni les demi-frères et demi-sœurs, ni les personnes ou services suppléant au rôle des parents dans le cadre d’un placement par le juge, ce qui pose la question des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance – en famille d’accueil ou en foyer. Ces deux amendements, auxquels Mme Provendier tient beaucoup, visent à compléter le périmètre.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. L’amendement CL72 est légitime mais satisfait. En effet, même si la langue courante a pu l’oublier, le langage juridique continue de désigner comme frères, en l’absence de précision, les demi-frères, et comme sœurs les demi-sœurs. On appelle frères germains ceux qui ont les mêmes père et mère, frères utérins ceux qui ont la même mère mais des pères différents, et frères consanguins ceux qui ont le même père mais pas la même mère. Je vous invite à retirer l’amendement, sinon avis défavorable.

L’amendement CL73 pose la lourde question du périmètre de l’inceste, non dans le domaine biologique mais dans la sphère sociale. Les parents d’accueil et les éducateurs des foyers sont des personnes qui, dans les faits, ont autorité. À ce titre, ils sont soumis à un régime plus sévère dans le cadre de la répression des infractions sexuelles sur mineur, comme les professeurs, les policiers ou les élus. L’âge du consentement qui leur est opposable est ainsi de dix-huit ans, et non de quinze ans comme en droit commun. Outrepasser cette limite est un délit.

Faut-il en faire un crime ? La question est délicate. Je ne nie pas que ces faits doivent être interdits mais ils sont déjà punis par la loi. Nous devons, posément, définir l’inceste avant de franchir le pas que vous proposez. Je vous invite à retirer cet amendement, sans quoi je lui donnerai un avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

M. Raphaël Schellenberger. La définition de l’inceste est un vrai sujet. Il ne me semble pas judicieux de vouloir en élargir le périmètre à toutes les personnes ayant autorité, quelle que soit la nature de cette autorité. L’inceste doit se limiter au champ familial, ce qui nécessite de le définir, mais il ne doit pas être élargi à l’ensemble des personnes ayant autorité sous peine de fragiliser le dispositif. Les nouvelles rédactions sèment le flou en traitant de ces infractions dans les mêmes articles.

Mme Isabelle Santiago. Cet amendement m’a surprise. Le périmètre de l’inceste doit se limiter au champ familial, dans son acception actuelle évidemment – beau-père, cousin… Si l’atteinte est commise par une personne ayant autorité, par un instituteur, un policier, ou dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, des dispositions particulières sont prévues par la loi. Ce n’est ni le garde des sceaux ni M. le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles qui diront le contraire.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CL7 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. C’est un amendement de simplification et d’harmonisation entre les textes déjà votés. Je vous propose de fixer l’âge à dix-huit ans pour définir les infractions sexuelles lorsque l’auteur est un ascendant ou une personne ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Il est déjà satisfait par ce que nous avons voté tout à l’heure à l’article 1er. Demande de retrait, ou avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Même avis pour les mêmes raisons.

L’amendement est retiré.

Article 1er bis (art. 222‑22‑1 du code pénal) : Notion de contrainte et de surprise pour un mineur de quinze ans

La Commission est saisie des amendements de suppression CL8 de Mme Emmanuelle Ménard, CL24 de Mme Marie-France Lorho, CL47 de Mme Albane Gaillot et CL60 de Mme Marie-George Buffet.

Mme Emmanuelle Ménard. J’ai peur que vous considériez également que ces amendements sont satisfaits, mais je pense qu’il faut réitérer un interdit clair dans le cas de relations sexuelles entre un mineur de quinze ans et une personne majeure. Cet article 1er bis précise que la contrainte ou la surprise peuvent résulter de ce que la victime était âgée de moins de quinze ans. Il me paraît redondant.

Mme Albane Gaillot. Il me semble également que ces amendements sont satisfaits.

Mme Karine Lebon. Moi aussi.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Pourtant, mon avis est favorable ! Comme l’a expliqué la rapporteure du Sénat Mme Marie Mercier, l’article 1er bis avait pour raison d’être d’éviter une interprétation jurisprudentielle néfaste de la fixation de l’âge du consentement à treize ans. Dès lors que le Gouvernement a proposé et que la Commission a accepté de porter cet âge à quinze ans, la logique nous commande de supprimer cet article.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Sagesse.

La commission adopte les amendements identiques et l’article 1er bis est supprimé. En conséquence, l’amendement CL53 de M. Pascal Brindeau tombe.

Après l’article 1er bis

La Commission examine quatre amendements en discussion commune : les amendements identiques CL83 de Mme la rapporteure et CL42 rectifié de Mme Isabelle Santiago, et les amendements CL65 et CL66 de M. Ludovic Mendes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous arrivons au délit réprimant les pratiques sexuelles extorquées en ligne, que nous surnommons « sextorsion », dont les enquêteurs de la brigade des mineurs ont montré toute l’importance aux membres de la commission l’an dernier, lorsque nous sommes allés visiter le « Bastion ».

De véritables prédateurs utilisent les réseaux sociaux pour manipuler des enfants, les convaincre de leur livrer des images compromettantes et ensuite exiger le pire sous la menace. On imagine facilement les dégâts que peut produire sur un enfant le fait de se retrouver entre les griffes d’un maître chanteur, avec le sentiment de culpabilité attaché au fait d’avoir donné les premiers éléments de plein gré, même si c’est par ruse. On sait aussi que ces photos et vidéos ne disparaîtront jamais d’internet et que des pervers continueront à se les échanger. C’est une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête des victimes.

En échangeant avec des professeurs de droit et des associations, j’ai voulu imaginer une infraction claire qui vienne suppléer les carences de la vieille incrimination de corruption de mineurs, que certains magistrats refusent de solliciter. De façon générale en effet, on constate que les différentes juridictions ne recourent pas aux mêmes infractions pour les mêmes cas : cela peut être la violence, la corruption de mineurs ou d’autres.

L’Assemblée nationale a soutenu cette démarche il y a quinze jours, dans l’exacte rédaction de l’amendement CL83. J’aimerais avoir votre sentiment, monsieur le ministre, sur ce dispositif. Je précise que, si vous le jugez imparfait, je suis tout à fait disposée à le retravailler pour qu’il soit le plus protecteur possible. Les violences en ligne sont trop souvent considérées comme moins graves parce qu’il n’y a pas de contact physique direct. Je suis certaine que c’est faux, comme de nombreux psychologues et scientifiques l’affirment.

Mme Isabelle Santiago. Cet amendement a déjà été voté, le 18 février, lors de l’adoption de la proposition de loi du groupe socialiste ! Nous devrions tous être d’accord pour le voter de nouveau afin d’enrichir la présente proposition de loi.

M. Ludovic Mendes. Il ne s’agit vraiment pas d’un épiphénomène. J’avais du mal à croire que ce soit si généralisé avant de créer moi-même un faux compte d’adolescente de quinze ans. En une heure, j’ai reçu une cinquantaine de demandes de photos dénudées, une trentaine de photos de sexes masculins et plusieurs propositions tout à fait particulières. L’objet des amendements CL65 et CL66 est de protéger les enfants de cela et de l’idée, de surcroît, que c’est leur plastique qui les fera réussir dans la vie – car on leur propose aussi de l’argent pour leurs photos ou leurs petites culottes !

La loi ne peut plus rester en l’état. Il existe déjà une réponse juridique, mais qui n’est pas suffisante face à la réalité. On ne peut plus laisser nos adolescents face à ces prédateurs qui se servent des réseaux sociaux pour obtenir des photos pédopornographiques.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je suis favorable à toutes ces démarches mais j’aimerais avoir l’avis du Gouvernement sur cette question. C’est vrai, le phénomène prend des proportions inquiétantes. Pour reprendre les mots d’un responsable associatif, il y a une génération sacrifiée sur internet.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Pour ma part, je demande le retrait de ces amendements pour les travailler encore un peu d’un point de vue juridique et sur le terrain de la cohérence de la répression. Oui, il y a un vide juridique, mais nous avons avancé récemment sur la haine en ligne et il n’y a pas de raison que la situation dont nous parlons continue de filer à vau-l’eau. Nous devons trouver une solution, et si vous le voulez bien nous allons le faire ensemble.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles. La période du confinement a donné lieu à une explosion des comportements délictuels et criminels en ligne. La plateforme Net Ecoute, dont je rappelle le numéro, 0800 200 000, a recensé une hausse de 57 % des cyberviolences en 2020, de tout type mais avec une explosion de ce qui concerne la « sextorsion ». Cela représente 80 % des signalements faits aux différentes plateformes. C’est donc bien un phénomène majeur face auquel nous devons renforcer notre arsenal juridique. Nous saisissons la proposition de la rapporteure d’avancer d’ici à la séance publique sur ce point.

Mme Isabelle Florennes. Je remercie Mme la rapporteure et Mme Santiago d’avoir mis en avant ce sujet dès la proposition de loi du groupe socialiste. J’étais l’année dernière à la brigade des mineurs, et interpellée comme vous par la multiplication des cas et aussi par le manque de moyens criant dont on nous a fait part. Nous devons avancer pour l’intérêt général mais surtout pour ces mineurs et leurs familles. Et il ne faut pas se limiter à la France, car il arrive que ces photos et vidéos se retrouvent sur les réseaux internationaux. Comme nous avons déjà commencé à le faire pour la haine en ligne, nous devons agir de façon concertée à un niveau plus large, européen et international.

Mme Laetitia Avia. Cette partie des cyberviolences reste en effet à appréhender. Pour ce qui est de l’échelon européen, les trilogues ont enfin abouti sur la question de faire retirer en une heure les contenus à caractère pédopornographique. Ce sont de tels contenus qui sont récupérés sur des plateformes comme TikTok, qui a vu exploser son nombre d’abonnés durant le premier confinement. TikTok, qui était sous les radars concernant cette question, compte maintenant énormément de mineurs en proie à des prédateurs sexuels.

M. le garde des sceaux l’a dit : nous avons voté il y a un quinze jours un nouveau délit, le délit de mise en danger de la vie d’autrui par la divulgation d’informations personnelles. Cette avancée très importante permet de lutter contre ce doxing. Si l’on arrive à une rédaction aboutie, on pourra aller à la source de ces pratiques, là où certains recherchent, sollicitent, récupèrent des images à caractère pornographique et incitent des mineurs à se livrer à des actes sexuels à distance. J’encourage fortement à faire ce travail d’ici à la séance publique.

M. Ludovic Mendes. Je retire mes deux amendements dans cette logique de travail collectif. Je signale que ces pratiques sont de moins en moins visibles : ce qui se faisait auparavant sur des plateformes publiques passe maintenant sur des messageries privées. Les pratiques des adultes prédateurs sur ces réseaux laissent à penser à une bonne partie de notre jeunesse que la société réagit selon leur plastique, selon l’acceptation ou non de faveurs sexuelles. Nous devons donc absolument mener ce combat. La loi en vigueur est assez mal faite. Nous allons la réécrire certes, mais il faudra aller encore un peu plus loin sur la question de l’accès des mineurs aux échanges sur certaines plateformes numériques. Les algorithmes développés par certaines entités comme TikTok mettent en avant des choses qui ne devraient pas être vues par les enfants, et il n’existe pas de protection. Il faut aussi travailler sur le droit à l’oubli : une image peut ressortir dix ans plus tard, parce qu’une personne malintentionnée l’aura mise sur des plateformes publiques. Il faut que cette action-là, dix ans plus tard, soit condamnable aussi.

Mme Isabelle Santiago. Je retire l’amendement 42 rectifié, tout en rappelant qu’il a déjà été voté dans un autre texte. Je participerai avec plaisir au travail sur sa réécriture. Cela fait des années que les spécialistes de l’enfance en danger, à commencer par la brigade des mineurs ou la protection judiciaire de la jeunesse, alertent sur ces problématiques et je suis heureuse que le cadre légal évolue. Par ailleurs, je compte sur M. Adrien Taquet pour que le sujet devienne international, puisque les plateformes ne s’arrêtent évidemment pas aux frontières. Le texte ne contient pas de proposition sur les actions d’information à mener auprès des jeunes, mais il est important d’organiser un grand plan de communication sur ces sujets pour mieux leur montrer les dangers du net, qu’ils ne comprennent pas suffisamment bien.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je pourrai détailler dans un autre cadre l’ensemble des actions que nous menons au niveau européen et aux Nations unies sur cette question. S’agissant de la prévention, on parle souvent de ces générations des enfants du numérique comme des « digital natives », mais pour moi ce sont surtout des « digital naïfs » : ils maîtrisent les réseaux sociaux mais ils sont extrêmement naïfs dans l’usage qu’ils en font. J’avais été frappé l’année dernière, en accompagnant M. Cédric O dans une classe d’enfants de 9 ou 10 ans à l’occasion du Safer internet day, de constater qu’ils n’avaient aucune réticence à envoyer des photos d’eux, voire leur adresse, à des inconnus. Une jeune fille avait même vu débarquer chez elle quatre filles à peine plus âgées, qui avaient commencé à tout voler. Parler de prévention et de sensibilisation des enfants fait toujours tarte à la crème, mais, au-delà du renforcement de la loi pénale, il y a un vrai chantier à mener.

Mme Caroline Abadie. J’abonde dans ce sens. Ce n’est pas une tarte à la crème, c’est une nécessité absolue. C’est bien pour cela qu’il y a quelques semaines, notre majorité, soutenue par un bon nombre d’autres députés, a généralisé dans le projet de loi renforçant les principes républicains la formation des jeunes dès le CM2 et au collège. La maîtrise technique de ces outils, ils l’ont en cinq minutes, mais la compréhension de ce qui se passe derrière et des risques encourus nécessite tous nos efforts.

Mme Karine Lebon. Je suis complètement d’accord. L’éducation est la clef de beaucoup de choses. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement après l’article 8 qui permet d’envisager la prévention de manière plus globale. Les jeunes ne sont pas conscients de la persistance des contenus sur internet. La pérennité d’une relation amoureuse est déjà une notion compliquée pour eux, mais ils n’ont aucune conscience du fait que les images restent sur les réseaux sociaux. Il faut faire passer un message clair là-dessus.

Les quatre amendements sont retirés.

Article 2 (art. 227‑25 du code pénal) : Articulation avec le délit d’atteinte sexuelle sur mineur

La commission examine les amendements de suppression CL79 du Gouvernement et CL9 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Il s’agit d’un amendement de coordination : les modifications prévues par cet article ne sont plus nécessaires du fait du nouveau dispositif proposé pour améliorer la répression des infractions sexuelles commises sur des mineurs.

Mme Emmanuelle Ménard. Le vote des premiers articles rend en effet l’article 2 superflu.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte les amendements et l’article 2 est supprimé. En conséquence, l’amendement CL64 de Mme Laetitia Avia tombe.

Article 3 (art. 222‑24 du code pénal) : Articulation avec le crime de viol

La commission examine l’amendement de suppression CL10 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je retire l’amendement car je vois que le Gouvernement compte présenter une rédaction utile.

L’amendement CL10 est retiré.

La commission examine l’amendement CL80 du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Nouvel amendement de coordination : les modifications prévues à l’article 3 ne sont plus nécessaires du fait du nouveau dispositif, mais elles doivent être remplacées par d’autres coordinations portant sur les articles 222-24, 222-25 et 222-26 du code pénal.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte l’amendement et l’article 3 est ainsi rédigé.

Article 4 (art. 227‑27‑2‑1 et 227‑28‑3 du code pénal) : Coordinations

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte les amendements de suppression CL81 du Gouvernement et CL11 de Mme Emmanuelle Ménard. L’article 4 est supprimé.

Article 4 bis (art. 222‑23 du code pénal) : Élargissement de la définition du viol aux actes bucco-génitaux

La commission adopte l’article 4 bis sans modification.

Article 4 ter (art. 8 du code de procédure pénale) : Règles de prescription du délit de non-dénonciation d’infraction sur mineur

La commission examine l’amendement CL59 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Le fait d’avoir connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur et de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives, ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

La loi du 3 août 2018 visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a fait évoluer notre procédure pénale sur les questions qui nous intéressent aujourd’hui : tout d’abord, les infractions sexuelles criminelles commises à l’encontre des mineurs se prescrivent désormais jusqu’à trente ans après la majorité de la victime.

En modifiant la lettre de l’article 434-3 du code pénal, elle a également permis de faire du délit de non-dénonciation une infraction continue et non plus instantanée. Ainsi, tant que les sévices sexuels durent sans que la personne ne les dénonce, la prescription ne court pas.

Pourtant, il semble que le délai de prescription applicable à ce délit ne corresponde pas à ses enjeux. En effet, il se prescrit conformément aux règles de droit commun, soit six ans révolus à compter du jour de la commission de l’infraction.

Ceux qui savent et se taisent doivent prendre conscience de la gravité d’un tel silence, puisqu’en ne prenant pas leurs responsabilités ils autorisent la perpétuation de sévices aux conséquences irréversibles. L’amendement vise donc à calquer les délais de prescription de l’action publique du délit de non-dénonciation sur celui du crime ou du délit qui n’est pas dénoncé.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je comprends la préoccupation visant à donner à chacun les moyens de prendre ses responsabilités en cas de suspicion de violences : au moindre doute, chacun doit évidemment – avec le soutien, par exemple, du numéro d’appel 119 ou de la plate-forme arretonslesviolences.gouv.fr – les signaler.

Puisque nous abordons le sujet de la prescription pénale, sujet extrêmement compliqué, je veux faire état de ma grande circonspection à l’égard de la multiplication, à un rythme qui me semble beaucoup trop rapide, des changements de règles dans cette matière. Nous devons faire preuve de beaucoup de prudence. Les juristes savent qu’il est difficile de calculer une prescription et que l’empilement des réformes dans ce domaine est dommageable.

Je surmonterai cependant mon sentiment pour tendre la main au Sénat et accepter sa rédaction, qui accroît considérablement le temps de la prescription du délit de non-dénonciation.

L’adoption de cet amendement aboutirait en revanche à donner à ce qui reste un simple délit une durée de prescription pouvant atteindre près d’un demi-siècle, dans le cas où un nourrisson ferait l’objet de mauvais traitements. En effet, la durée serait de trente ans à compter de sa majorité. Cela me semble très excessif. Je vous invite donc à retirer l’amendement et à suivre la rédaction du Sénat, qui entraînera les effets que vous recherchez sans les inconvénients de cet allongement trop important de la prescription.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Même avis. Vous proposez de calquer les délais de prescription de l’action publique du délit de non-dénonciation sur celui du crime ou du délit concerné. Si j’entends qu’une réflexion puisse être conduite sur ce sujet, je ne pense pas que ceux qui ne dénoncent pas doivent obéir au même régime de prescription que ceux qui commettent. En outre, la prescription d’une infraction d’abstention ne peut décemment pas être plus longue que celle applicable à des infractions infiniment plus graves, comme le meurtre ou l’assassinat.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 4 ter sans modification.

Article 4 quater (art. 9‑2 du code de procédure pénale) : Prescription glissante des crimes sexuels sur mineur

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CL78 du Gouvernement, qui fait l’objet de deux sous-amendements identiques CL121 de Mme Isabelle Florennes et CL132 de M. Dimitri Houbron, et l’amendement CL54 de M. Pascal Brindeau.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. L’amendement vise à réécrire l’article adopté par le Sénat afin d’instituer un mécanisme de prescription prolongée des viols commis sur des mineurs.

Le mécanisme précédemment adopté prévoit que la commission d’un nouveau crime constitue une cause d’interruption de la prescription, ce qui signifie que celle du précédent crime repart pour trente ans : la prescription applicable au premier durera par conséquent plus longtemps, puisque le délai de trente ans ne commencera à courir qu’à compter de la majorité de la nouvelle victime. Si celle-ci est âgée de huit ans, le délai de prescription sera de quarante ans, non de trente ans. Dès lors, si la deuxième victime révèle les faits à l’âge de quarante-cinq ans, soit trente-sept ans après leur commission, le premier crime aura été prescrit depuis trois ans et ne pourra être ni poursuivi ni jugé.

Pour l’éviter, il suffit que la prescription du premier crime soit prolongée jusqu’à la date de prescription du nouveau crime, et non qu’elle soit interrompue. Ainsi, il est certain que si la personne commet à plusieurs reprises des viols sur des mineurs, et si le précédent crime n’est pas encore prescrit alors que le nouveau est commis, tous ces crimes se prescriront à la même date, à savoir trente ans à compter de la majorité de la dernière victime : ils pourront donc être jugés en même temps par la juridiction criminelle.

L’amendement répond ainsi totalement aux objectifs que nous recherchons tous.

Mme Isabelle Florennes. Le sous-amendement vise à ce que le dispositif soit également applicable en matière délictuelle, notamment en cas d’agression sexuelle. Il prévoit donc d’insérer à l’article 8 du code de procédure pénale une disposition similaire à celle insérée à l’article 7.

M. Dimitri Houbron. Mon sous-amendement a le même objet.

M. Pascal Brindeau. Nous poursuivons le même objectif, en proposant, avec l’amendement CL54, de rédiger ainsi l’article : « Les crimes et délits sexuels commis sur des mineurs par le même auteur sont connexes. »

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je suis favorable à l’amendement CL78 du Gouvernement, ainsi qu’aux sous-amendements CL121 et CL132. Je demande le retrait de l’amendement CL54.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Les sous-amendements, de façon cohérente et justifiée, visent à étendre le mécanisme de prescription prolongée aux délits d’agression et d’abus sexuels – sous réserve de leur nouvelle dénomination. Le Gouvernement y est favorable.

En revanche, je proposerai à M. Pascal Brindeau de retirer son amendement, car la connexité, dans la jurisprudence et dans le texte, est quelque chose de différent.

M. Antoine Savignat. Nous approuvons et soutenons le dispositif proposé par le Gouvernement.

Cependant, je me pose les questions suivantes : le second crime, qui rouvre le délai de prescription du premier, permettra d’engager des poursuites contre l’auteur au titre des deux, et de le renvoyer ainsi devant une cour d’assises. Que se passera-t-il en cas d’acquittement pour le second crime ? Cela aura-t-il une incidence sur la prescription du premier ?

Par ailleurs, rouvrir le délai de prescription du premier crime et décider de poursuivre implique que l’auteur ne soit pas présumé innocent. J’avoue que je suis là un raisonnement tortueux, mais je suis curieux d’entendre votre réponse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je dois vous confier que je n’avais pas songé à une telle hypothèse, particulièrement alambiquée – j’y vois presque de votre part une forme d’humour !

Comment cela se passe-t-il lorsque deux infractions sont connexes ? Elles sont jugées ensemble, même lorsque les faits sont prescrits dans un des cas, et s’il y a acquittement, vous connaissez la réponse jurisprudentielle – claire, nette, précise.

Vous faites preuve d’imagination, c’est le dernier refuge de la liberté ; mais la jurisprudence est le refuge de notre raisonnement. D’une part, les prescriptions ne sont pas acquises aux assises. D’autre part, en cas d’acquittement, il ne fait pas de doute que l’autre infraction sera quand même poursuivie.

Au-delà de ces échanges quelque peu « juridicistes », je voudrais expliquer pourquoi j’ai été amené à évoluer vers ce mécanisme de prescription. Je me souviens d’un procès aux assises pour viol : une vingtaine de femmes y assistaient, mais seulement en qualité de témoin de moralité, puisque les faits les concernant étaient prescrits. Elles ne pouvaient s’exprimer à la barre que sur les faits faisant l’objet de la saisine de la cour ou sur la personnalité de l’accusé – dont elles ne connaissaient rien, hormis ce qu’il leur avait fait subir. Une fois qu’elles avaient regagné leur place, elles n’étaient plus rien, en proie à une immense frustration. C’est ce que nous devons changer. Certains s’inquiéteront du sort de l’accusé. Je rappelle que nous disposons en France d’un système de cumul d’infractions : que l’on commette un viol ou que l’on en commette vingt, on encourt la même peine.

M. Stéphane Mazars, président. Gageons que la doctrine s’emparera de cette question fort intéressante soulevée par M. Antoine Savignat !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Elle ne pourrait se poser que si deux juridictions étaient saisies.

M. Antoine Savignat. Je suis à 200 % d’accord avec vous sur l’opportunité d’une telle disposition : il n’est ni normal ni admissible qu’une personne que l’on sait victime ne puisse se rendre au procès de l’auteur des faits qu’en tant que témoin.

Je n’ai pas voulu faire de l’humour, mais soulever ce qui me paraît un problème constitutionnel. Avec un tel mécanisme, la simple dénonciation d’un délit par une personne aura une conséquence juridique immédiate sur une autre personne, victime de faits prescrits, puisqu’elle conduira à des poursuites et à un renvoi devant une juridiction, avant tout prononcé au fond. Je me demande s’il faut juger les faits de façon antéchronologique. Si le juge est persuadé de la réalité des faits les plus anciens, aura-t-il un autre choix que de prononcer une condamnation pour les faits les plus récents, afin de pouvoir juger la première infraction ? En outre, à partir du moment où les faits auront été dénoncés, la personne sera potentiellement présumée coupable du crime le plus récent afin de pouvoir faire sauter la prescription acquise du crime le plus ancien. Encore une fois, je ne pense pas que mon raisonnement soit alambiqué. Je ne critique pas ce dispositif – je pense qu’il correspond à un besoin de notre société – mais je suggère que nous fassions preuve de prudence dans la rédaction.

M. Raphaël Schellenberger. Cette rédaction reprend l’idée portée par les sénateurs, que nous avions aussi défendue il y a quelques semaines. Mais elle ne réinvente pas le droit, ce qui est sans doute une bonne chose.

Le point de départ de la prescription ne repose plus, en quelque sorte, sur la victime, mais sur l’auteur, puisque c’est le dernier acte de celui-ci qui ouvre le délai de prescription, non l’acte subi par la victime. Mais dans la mesure où ce délai a pour début des faits restant encore à qualifier, je crains une forme d’instabilité. Je redoute que cette incertitude ne soit au détriment de la victime.

Certes, cette nouvelle rédaction nous fait progresser. Elle n’est cependant pas idéale et nous devons encore y travailler avant la séance publique.

Mme Laetitia Avia. Je suis tout à fait d’accord avec la proposition du Gouvernement. Il existe un certain consensus autour de la prescription glissante, un mécanisme opportun dans un certain nombre de procédures et qui permet de répondre – partiellement – à la problématique de l’amnésie traumatique, un syndrome qui peut se révéler lorsque la personne prend connaissance de l’existence d’autres victimes.

En revanche, j’aurai de sérieuses difficultés à accepter les sous-amendements qui étendent ce mécanisme aux atteintes et agressions sexuelles. En effet, la prescription glissante ne s’appliquera plus à des infractions de même nature – de viol à viol –, mais à des infractions de nature différente – de viol à atteinte, par exemple. Le délai de prescription du viol s’appliquera ainsi à un délit correctionnel. Ce mélange des genres soulève une vraie difficulté.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je répondrai à M. Savignat que l’on ne peut confondre prescription et preuve. C’est là tout l’enjeu. En matière de connexité, c’est exactement la même chose qui se passe.

M. Antoine Savignat. Je pense qu’il y a matière à question prioritaire de constitutionnalité. Mais encore une fois, ce mécanisme répond à une demande et nous le voterons sans difficulté.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je l’ai dit tout à l’heure, la constitutionnalité m’importe beaucoup. Si vous pensez qu’il existe un risque d’inconstitutionnalité et que vous avez une autre rédaction à proposer, je suis preneur. Je l’ai dit dès mon arrivée à la Chancellerie : la porte est ouverte.

L’amendement CL54 est retiré.

La commission adopte les sous-amendements.

Puis elle adopte l’amendement CL40 sous-amendé et l’article 4 quater est ainsi rédigé.

Après l’article 4 quater

La commission examine les amendements CL30 et CL31 de M. Philippe Dunoyer.

M. Pascal Brindeau. La notion d’amnésie post-traumatique n’est pas aussi complexe et instable qu’on veut bien l’expliquer. Dans la mesure où le syndrome peut être médicalement constaté, nous proposons, à l’amendement CL30, de prendre ce constat comme point de départ de la prescription. L’amendement CL31 vise à reconnaitre l’amnésie traumatique comme un obstacle insurmontable, mais pas forcément caractéristique d’un cas de force majeure.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Il est important que nous évoquions l’amnésie traumatique, un fait médical bien décrit par les scientifiques, moins connu, et je le regrette, des magistrats et des avocats. Un effort considérable de formation doit être fait en la matière, comme je l’ai souligné dans mon rapport d’évaluation de la loi Schiappa.

Il s’agit ici d’intégrer la notion d’amnésie traumatique dans le champ de la prescription. Je tiens à rappeler que, dans ce domaine, nous suivons un mouvement continu d’allongement des délais, voire de remise en cause du principe. Mais cela ne doit pas nous faire oublier notre combat et l’enjeu principal de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes : donner les moyens à la société de réagir.

Je sais que le phénomène de l’amnésie traumatique est très développé, que de nombreuses victimes souffrent de ce syndrome et que lorsqu’il se révèle, plusieurs décennies parfois après les faits, la douleur est double. J’en ai beaucoup discuté, notamment avec le docteur Muriel Salmona. C’est une question à laquelle je suis très sensible et qui figure dans tous mes travaux.

Je tiens à rappeler que lorsque nous avons allongé la durée de prescription en 2018, en la portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, c’est principalement sur le fondement de l’amnésie traumatique. C’est dire combien ce syndrome est reconnu. Le mécanisme de prescription glissante, que nous venons d’adopter, aboutit pratiquement à une imprescriptibilité de fait, dès lors qu’un même auteur a commis plusieurs infractions. En cumulant ce mécanisme et l’allongement des délais de prescription, nous devrions pouvoir couvrir un grand nombre de situations.

Je connais la demande de nombreuses associations et de professionnels du droit – mais tous ne partagent pas le même avis. Intégrer la notion d’amnésie traumatique dans l’arsenal de la prescription constitue un défi. Je n’ai rencontré à ce jour que très peu de juristes qui considèrent possible de l’objectiver dans le temps. La proposition que vous faites figurait dans mon rapport d’évaluation, elle consiste à supprimer la notion de « cas de force majeure ».

Vous aurez compris que je fais preuve d’une extrême prudence. Nous tentons de répondre aux demandes de la société, mais ma conviction est que les allongements des délais de prescription, voire la remise en cause du principe, sont un peu des miroirs aux alouettes.

Si nous devions intégrer la notion d’amnésie traumatique, pourquoi alors ignorer d’autres phénomènes tout autant à même de retarder le témoignage des victimes ? Ainsi, dans le cas d’incestes, l’emprise peut durer des années, parfois des décennies.

J’insiste aussi, et je l’ai écrit dans mon rapport, sur le fait que chaque situation doit pouvoir déclencher des actes d’enquête. Un magistrat est incapable de dire si les faits sont prescrits ou non lorsqu’un dossier arrive sur son bureau. Il doit pour cela mener des actes d’enquête. Je rappelle, et il faut faire passer le message, que la prescription ne s’impose pas au dépôt de plainte, mais à l’action publique. C’est une différence fondamentale ! Même lorsque les faits sont prescrits, certaines victimes ont besoin de manifester leur vérité : elles doivent être accompagnées et respectées dans ce cheminement.

Je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous avons aussi auditionné, réuni les associations et entendu, notamment, le Dr Salmona, qui défend avec passion la prise en compte du syndrome d’amnésie post-traumatique. Je vous sais aussi convaincus qu’elle. Mais il existe des divergences au sein de la communauté scientifique. Or, je ne veux pas d’un texte qui ne reposerait pas sur un constat unanime.

J’estime que vos propositions se heurtent au principe de légalité criminelle. La notion d’amnésie traumatique n’est pas, en outre, une notion juridique ; elle est susceptible d’imprécisions et d’incertitude. Elle pourrait introduire une forme de rupture d’égalité entre les différentes victimes, selon que le syndrome serait constaté ou non, et selon la date de ce constat. Tout cela est bien trop imprécis pour être du droit.

Je ne doute pas que ce syndrome existe et explique, sur le plan psychologique ou psychiatrique, un certain nombre de situations. Du reste, il est reconnu par la société. Aujourd’hui, plus personne ne dit, comme on l’entendait autrefois dans les prétoires, que si la victime n’a pas dénoncé immédiatement les faits, c’est qu’elle y a consenti. On sait désormais à quel point il est difficile de libérer la parole et que des faits que l’on ne peut regarder en face sont très profondément refoulés. On le dit. Mais en droit, ce n’est pas possible. La loi pénale, ce n’est pas cela. C’est donc presque contre ma conscience que j’émets un avis défavorable.

Mme Isabelle Santiago. Il est vrai qu’il n’existe pas de consensus autour de cette question, y compris dans la communauté scientifique. Mais tous les pédopsychiatres le diront : l’amnésie traumatique est un mécanisme de protection qui se déclenche au niveau du cerveau des enfants et des victimes de violences sexuelles.

Il est important que nous ayons ce débat. Si l’on ne parvient pas à une formulation juridique, ce doit être au moins l’occasion de bousculer les choses dans les juridictions. Il n’est plus possible de voir prononcer des ordonnances de placement au motif d’une carence éducative alors qu’elles sont suscitées par des faits d’inceste ! Tout doit être mis en œuvre pour aider la mémoire traumatique des enfants violentés à cheminer. Au-delà du débat que nous aurons en séance publique, il y a tout un travail à faire pour accompagner ces futurs adultes qui souffrent de traumatismes bien décrits par le corps médical et pour former le milieu judiciaire à cette problématique.

M. Pascal Brindeau. D’autres notions non juridiques sont utilisées en droit pénal. Elles font l’objet d’interprétations médicales ou scientifiques qui peuvent être contradictoires. Elles remettent parfois en question la responsabilité de la personne mise en cause – tel est le cas, par exemple, de l’état psychique ou psychiatrique.

La Commission rejette successivement les amendements.

Article 5 (art. 706‑47 du code de procédure pénale) : Infractions entraînant une inscription au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes

La Commission adopte l’article 5 sans modification.

Après l’article 5

La Commission examine l’amendement CL61 de M. Mustapha Laabid.

Mme Albane Gaillot. La prostitution est une autre forme de violence sexuelle faite aux mineurs. Le droit actuel prévoit une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende pour les personnes ayant des relations sexuelles avec un mineur de moins de quinze ans se prostituant. Si le législateur considère qu’un mineur de cet âge ne saurait consentir à une relation sexuelle avec un adulte, il apparaît nécessaire que le même principe s’applique aux mineurs livrés à la prostitution. L’amendement prévoit donc d’harmoniser les peines en portant à vingt ans de prison celle qui est encourue dans ce cas.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Nous sommes nombreux à être préoccupés par le phénomène de la prostitution des mineurs, qui a pris une ampleur considérable au cours des dernières années. Par ailleurs, l’article 1er devra en effet avoir des conséquences sur l’infraction consistant à solliciter des relations sexuelles avec un prostitué mineur de moins de quinze ans. Toutefois, je réservais ce travail de mise en cohérence pour la séance publique. Je vous propose donc de retirer l’amendement à ce stade, tout en m’engageant à ce que nous étudiions en commun une nouvelle rédaction.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La prostitution des mineurs est un phénomène en constante augmentation. Elle concernerait entre 6 000 et 10 000 jeunes. C’est la raison pour laquelle, parmi les toutes premières mesures du plan de lutte contre les violences faites aux enfants du 20 novembre 2019, figurent des actions contre la prostitution.

Premièrement, nous avons financé un projet de recherche-action car le phénomène est en réalité mal connu de tous – responsables politiques, pouvoirs publics, associations et acteurs de terrain. Ce projet est mené par la sociologue Hélène Pohu, la psychologue Mélanie Dupont, présidente de l’association Centre de victimologie pour mineurs, et le docteur Charlotte Gorgiard.

Deuxièmement, nous avons chargé une équipe de formuler des propositions destinées à améliorer la prévention, le traitement judiciaire et l’accompagnement éducatif, ainsi qu’à renforcer la formation des professionnels et la protection des mineurs sur internet. Elle rassemble toutes les administrations concernées – éducation nationale, justice et intérieur –, les départements et plusieurs associations : le collectif Ensemble contre la traite des êtres humains, Agir contre la prostitution des enfants, Hors la rue et le Mouvement du nid. J’en ai confié la présidence à Mme Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d’appel de Paris, qui connaît bien ces questions. Les travaux se termineront fin mai.

Je partage donc l’objectif poursuivi à travers l’amendement, mais je préfère, comme Mme la rapporteure, que nous améliorions les dispositions concernant la prostitution infantile en séance publique. Je demande donc le retrait de l’amendement.

Mme Karine Lebon. La répression du tourisme sexuel sera-t-elle couverte par le dispositif ? On sait très bien que de telles pratiques existent et l’on connaît les pays concernés – je pense en particulier à la Thaïlande et à Madagascar.

M. Ludovic Mendes. Je partage l’intention des auteurs de l’amendement. Nous allons travailler à la question d’ici à la séance publique. Dans ce cadre, ne serait-il pas envisageable de créer une circonstance aggravante pour les clients de prostitués mineurs ? On sait que ces personnes recherchent précisément des enfants. Il convient d’être très ferme pénalement avec ces clients, à l’image de ce qui est prévu pour le délit de proxénétisme dont la Commission à l’encontre d’une personne mineure est une circonstance aggravante.

Mme Albane Gaillot. Créer une circonstance aggravante serait une excellente idée, monsieur Mendes.

M. Laabid prend note du fait que le travail est en cours et qu’une réécriture est possible, mais il ne souhaite pas retirer son amendement.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je n’écarte pas votre idée, monsieur Mendes, mais je ne suis pas en mesure de vous répondre à cet instant. Il nous reste du temps d’ici à la séance publique pour l’étudier. Mettons-nous donc au travail collectivement pour apporter la meilleure protection possible aux mineurs. La prévention est indispensable mais, en la matière, la loi pénale doit également marquer un interdit extrêmement ferme.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Dans la mesure où M. le garde des sceaux n’est plus parmi nous, je ne m’engagerai pas sur cette question. Quoi qu’il en soit, votre suggestion sera étudiée.

En ce qui concerne la lutte contre le tourisme sexuel, le dispositif pénal a déjà été renforcé par la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, issue d’une proposition de loi de Mme Bérangère Couillard. Ce texte réprime le fait d’acheter la commission d’un viol ou d’une agression sexuelle, y compris hors du territoire national. Il permet de s’attaquer à une pratique nouvelle sur internet, consistant à commander pour quelques dollars un viol sur mineur filmé en direct. Une première condamnation d’un Français est intervenue sur ce fondement récemment. Trois personnes ont également été condamnées aux Philippines pour de tels agissement, grâce notamment à l’action du groupe central des mineurs victimes, dirigé par la commandante de police Véronique Béchu.

M. Stéphane Mazars, président. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour ces informations qui montrent que nous avons fait œuvre utile.

La Commission rejette l’amendement.

Article 6 (art. 706‑53‑2 du code de procédure pénale) : Inscription automatique dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes lorsque la victime est mineure

La Commission adopte l’article 6 sans modification.

Article 7 (art. 222‑48‑4 et 227‑31‑1 [nouveaux] du code pénal) : Peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité au contact des mineurs

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL56 et CL57 de Mme Karine Lebon.

Mme Karine Lebon. Lorsqu’une personne a été reconnue coupable de violences sexuelles envers un mineur, elle devrait être écartée définitivement et sans dérogation possible des activités, professionnelles ou bénévoles, impliquant un contact habituel avec des mineurs. Or, le texte prévoit des dérogations. Cela me gêne. Quelles sont les raisons juridiques qui vous ont conduit à choisir cette rédaction ?

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Vos amendements procèdent d’une intention tout à fait louable, à savoir protéger les mineurs contre d’éventuels prédateurs. Toutefois, je vous rappelle que l’individualisation des peines est un principe constitutionnel. Les peines automatiques sont proscrites. Il importe de laisser une marge d’appréciation aux juges, lesquels sont d’ailleurs très précautionneux en matière d’infractions sexuelles, surtout depuis quelques années : il ne faut pas craindre de leur faire confiance. Le Sénat est allé aussi loin que possible ; aller au-delà, ce serait prendre le risque que le texte soit déclaré contraire à la Constitution. Le dispositif renforce déjà considérablement le cadre légal en la matière. Je vous invite donc à retirer ces amendements.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je partage l’analyse de Mme la rapporteure.

J’en profite pour rappeler le travail effectué par le Gouvernement, les administrations et les parlementaires pour améliorer le contrôle des antécédents judiciaires de tous les adultes qui travaillent au contact des enfants. La loi du 30 juillet 2020 a permis de porter de deux à cinq ans de prison la peine encourue pour consultation de sites pédopornographiques. L’un des objectifs était de rendre automatique l’inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) des condamnés à ce titre. Auparavant, cette mesure était laissée à l’appréciation du juge. Or, sur les 1 000 personnes environ condamnées chaque année sur le fondement de cette incrimination, seule la moitié était inscrite dans le fichier. Autrement dit, les autres pouvaient continuer de travailler au contact de mineurs.

Dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, le ministère de la justice conduit avec l’ensemble des autres ministères concernés un audit de tous les organismes dont ils ont la tutelle, en partenariat avec l’Assemblée des départements de France et l’Association des maires de France. Il s’agit de vérifier que tous les professionnels ont bien connaissance de l’obligation légale de consultation du FIJAIS, de s’assurer que le système fonctionne bien et que les délais de réponse ne sont pas trop longs. Lorsqu’un établissement de l’aide sociale à l’enfance demande si un éducateur spécialisé est inscrit dans ce fichier, la réponse peut prendre six mois. Le Gouvernement travaille donc à généraliser l’automatisation des réponses, comme c’est déjà le cas pour le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

L’ensemble de ce travail répond à l’objectif poursuivi par vos amendements, madame Lebon.

Mme Karine Lebon. Je les retire. Toutefois, je souhaiterais vous faire part d’un entretien que j’ai eu avec une personne travaillant dans le service des ressources humaines d’un rectorat. Celle-ci m’a indiqué que certains enseignants continuaient à exercer même après avoir été reconnus coupables d’attouchements sur des mineurs, au motif que les victimes n’étaient pas des élèves de l’établissement. Je trouve cela alarmant.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. La loi du 14 avril 2016 relative à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, dite « loi Villefontaine », prévoit que le procureur de la République peut prévenir l’administration en cas de mise en cause, de poursuites ou de condamnation d’une personne qu’elle emploie. La mise en place de référents dans les ministères de la justice et de l’éducation nationale fait que ces informations transitent plutôt bien, même si je le dis avec prudence. Il convient de généraliser cette démarche, y compris d’ailleurs pour les collectivités locales.

Les amendements sont retirés.

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Article 8 (art. 706‑47 du code de procédure pénale) : Procédure applicable à la nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur

La Commission examine l’amendement de suppression CL75 du Gouvernement.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Il s’agit en réalité d’un amendement de coordination, les modifications prévues par cet article n’étant plus nécessaires du fait du nouveau dispositif, résultant des amendements précédents, destiné à améliorer la répression des infractions sexuelles commises sur les mineurs.

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 8 est supprimé.

Après l’article 8

La Commission examine l’amendement CL32 de M. Philippe Dunoyer.

M. Pascal Brindeau. L’amendement permet que le texte s’applique aux territoires de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis et Futuna.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Je salue cet amendement et remercie M. Dunoyer pour son concours lors de ma mission d’évaluation : de nombreuses auditions ont alors été consacrées à l’outre-mer. Je suis tout à fait favorable à cet amendement, car la loi doit valoir pour tous les mineurs et sur l’ensemble du territoire national.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Avis favorable. La loi doit effectivement valoir pour l’ensemble des territoires de la République. Cela dit, l’outre-mer présente en la matière des problèmes spécifiques, sur lesquels il faudra se pencher – ce que j’ai demandé de faire à la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles. M. Sébastien Boueilh, président de l’association Colosse aux pieds d’argile, s’est rendu à plusieurs reprises dans certains de ces territoires, notamment en Polynésie française.

La Commission adopte l’amendement. L’article 9 est ainsi rédigé.

Elle en arrive à l’amendement CL1 de M. Aurélien Pradié et à l’amendement CL58 de Mme Karine Lebon.

M. Raphaël Schellenberger. Une fois n’est pas coutume, le groupe Les Républicains demande la remise d’un rapport par le Gouvernement. Cela me semble particulièrement important en l’espèce : le texte est porteur de belles intentions mais il convient de s’assurer que, sur le terrain, les moyens adéquats seront affectés dans les prochains mois pour permettre de les concrétiser.

M. Karine Lebon. Nous demandons quant à nous la remise d’un rapport consacré à la prévention et à la sensibilisation.

En matière de lutte contre les violences sexuelles sur mineur, la prévention doit être la première arme. Plus tôt l’enfant est averti de ces dangers, plus il est en mesure d’alerter, de se protéger ou de demander une protection. À cet égard, les interventions dans le cadre scolaire sont capitales et devraient être généralisées à travers l’inscription de la lutte contre les violences sexuelles sur mineur dans le code de l’éducation.

La sensibilisation est tout aussi essentielle. Elle peut prendre plusieurs formes, telles que des actions de formation à destination des professionnels, ou encore une plus grande visibilité des journées relatives aux droits et à la protection des enfants – le 18 novembre, qui est depuis 2015 la journée européenne pour la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, le 19 novembre, qui est depuis 2000 la journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants, et le 20 novembre, qui est la journée pour les droits de l’enfant. Malheureusement, aucune de ces journées ne bénéficie d’un statut officiel en France.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Chers collègues, vous connaissez la règle que nous appliquons s’agissant des demandes de rapport. En tant que parlementaires, nous sommes en mesure d’enquêter seuls et de mener des missions d’information : nous n’avons pas à demander à l’exécutif de bien vouloir se contrôler lui-même.

Je partage votre souhait de développer la prévention. Les soixante-dix-sept propositions contenues dans mon rapport d’évaluation accordent d’ailleurs une large place à la question ; c’est avec plaisir que j’en discuterai avec vous. Peut-être mon rapport n’est-il pas exhaustif, mais il aborde un certain nombre d’enjeux. M. le secrétaire d’État mène également de nombreuses actions en la matière. Je le laisserai donc répondre plus précisément à votre demande. Pour ma part, je sollicite le retrait de ces amendements.

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. J’ai déjà eu l’occasion de répondre à des demandes similaires dans l’hémicycle à l’occasion des débats sur la proposition de loi de Mme Isabelle Santiago.

S’agissant des moyens, le travail que vous proposez sera conduit, de manière bien plus large d’ailleurs et pendant les deux prochaines années au moins, par la commission indépendante dont j’ai confié la présidence au juge Édouard Durand et à Mme Nathalie Mathieu. Le financement des travaux de cet organe est assuré ; son indépendance est garantie. Les membres de cette commission auront probablement l’occasion de partager avec vous leurs constats à propos des moyens et des dispositifs mis en œuvre par les pouvoirs publics pour mieux protéger les enfants.

Nous partageons évidemment l’objectif consistant à renforcer la prévention. Notre ambition en la matière se traduit par au moins deux éléments.

D’abord, le Président de la République s’est engagé à ce que, à la rentrée prochaine, l’ensemble des élèves, à l’école élémentaire puis au collège, bénéficie d’actions de sensibilisation et de détection de violences sexuelles potentielles. Nous avons installé la semaine dernière, avec M. Jean-Michel Blanquer, un groupe de travail rassemblant les diverses administrations concernées et les associations, pour étudier la manière de rendre effectif cet engagement.

Ensuite, dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants, nous avons engagé, pour la première fois dans notre pays, une politique de prévention en direction des auteurs. La Fédération française des centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), qui regroupe notamment des psychiatres allant à la rencontre des détenus, et plus largement des personnes condamnées à la suite d’actes de pédophilie, y compris celles faisant l’objet d’injonctions de soins, a pris l’initiative de créer un service téléphonique permettant aux pédophiles de trouver à qui se confier. Je dis bien les pédophiles, c’est-à-dire les adultes ayant des pulsions sexuelles en direction des enfants mais qui ne sont pas passés à l’acte, et non les pédocriminels – mais je n’entrerai pas, sur ce point, dans un débat sémantique dont je connais parfaitement les tenants et les aboutissants. Nous avons soutenu cette initiative, que nous avons nationalisée il y a trois semaines. Certains de ces pédophiles sont dans une très grande souffrance. J’ai eu l’occasion d’échanger longuement avec l’un d’entre eux à ce propos. Le dispositif, qui existe en Allemagne depuis quinze ans et a également été mis en œuvre au Royaume-Uni, permet aux personnes qui composent le numéro de bénéficier d’une première évaluation et d’être redirigées vers un parcours de soins auprès de psychiatres pour éviter le passage à l’acte. La situation est telle qu’il faut actionner l’ensemble des leviers à notre disposition ; cette mesure innovante en fait partie.

Pour ces raisons, je demande le retrait des amendements ; à défaut, avis défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

M. Stéphane Mazars, président. Je remercie M. le garde des sceaux et M. le secrétaire d’État pour leur présence parmi nous, et je salue le travail remarquable de Mme Louis. Il est vrai que plusieurs textes consacrés à la question se télescopent, mais je pense que, grâce au travail de synthèse et d’arbitrage que notre rapporteure mène de main de maître, nous réussirons à trouver un consensus.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (n° 3796) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


—  1  —

   Personnes entendues

MAGISTRATS

   M. François Molins, procureur général

ASSOCIATIONS

   Mme Martine Brousse, présidente

   M. Patrick Loiseleur, vice-président

   Mme Mié Kohiyama, présidente

   M. Pascal Cussigh secrétaire

UNIVERSITAIRES ET AVOCATS

 


([1]) Proposition de loi de Mme Annick Billon visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (n° 158), déposée le 26 novembre 2020, et proposition de loi de Mme Laurence Rossignol visant à créer le crime de violence sexuelle sur enfant et à lutter contre les violences sexuelles (n° 201), déposée le 8 décembre 2020.

([2]) Proposition de loi de Mme Isabelle Santiago renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721), déposée le 5 janvier 2021, et proposition de loi de votre rapporteure visant à lutter contre les violences sexuelles et sexistes (n° 3854), déposée le 9 février 2021.

([3]) T.A. n° 382.

([4]) Aux termes de l’article 227-26 du code pénal, tel est le cas lorsque l’infraction est commise par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de produits stupéfiants, ou grâce à l’utilisation d’un réseau de communication électronique.

([5]) L’atteinte sexuelle a été créée par la loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au code pénal et au code d’instruction criminelle. L’âge limite était alors fixé à onze ans. L’ordonnance n° 45‑1456 du 2 juillet 1945, abrogeant et remplaçant l’art. 331 (al. 1 et 2) du code pénal, l’a modifié pour la dernière fois pour l’établir à quinze ans.

([6]) Sous réserve de l’article 227-27 du code pénal qui prévoit les cas dans lequel le consentement du mineur de plus de quinze ans ne pourrait être éclairé en raison de l’autorité particulière exercée par le majeur, que ce soit au titre de ses liens familiaux ou en raisons des fonctions particulières qu’il exercerait. De tels faits sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

([7]) Section 5 du chapitre VII du titre II du livre II du code pénal.

([8]) En ce qui concerne l’introduction forcée d’un objet ou d’un organe non sexuel dans la bouche de la victime, la chambre criminelle de la Cour de cassation écarte la qualification de viol (21 février 2007, n° 06-89.543).

([9]) Art. 222-23 du code pénal.

([10]) Art. 222‑24 du code pénal.

([11]) Art. 222-27 du code pénal.

([12]) Art. 222-29-1 du code pénal.

([13]) Les cours criminelles sont un dispositif expérimental, introduit par l’article 63 de la loi  2019-222 de programmation et de réforme de la justice du 23 mars 2019 et prévu pour une durée de trois ans. Quinze départements sont actuellement concernés. Les cours criminelles sont compétentes pour juger des personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu’il n’est pas commis en état de récidive légale.

([14]) Cass. crim., 7 décembre 2005, n° 05-81.316.

([15]) La « cour d’appel, qui, en l’état des dispositions de l’article 222-22-1 du code pénal, a pu déduire la contrainte morale subie par la victime, âgée de trois ans lors de la commission des faits, de sa différence d’âge avec le prévenu, a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit d’agression sexuelle aggravée » (Cass. crim., 23 septembre 2015, n° 13-83.881).

([16]) On citera notamment l’acquittement par la cour d’assises de Seine‑et‑Marne, le 7 novembre 2017, d’un adulte de 22 ans accusé de viol à l’encontre d’une mineure de 11 ans, ainsi que la décision du parquet de Pontoise de retenir la qualification d’atteinte sexuelle pour des faits de fellation et de pénétration entre un homme de 28 ans et une fillette de 11 ans.

([17]) Voir le rapport (n° 938) rédigé par votre rapporteure sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, 10 mai 2018.

([18])  Les deux derniers alinéas de l’article 222‑22‑1 disposent désormais : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur.
Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. »

([19]) Art. 351 du code de procédure pénale. Cette disposition fait spécifiquement suite à l’affaire de la cour d’assises de Seine-et-Marne précédemment citée dans laquelle le président de la cour d’assises, une fois la qualification de viol écartée par le jury, ne lui avait pas soumis la question de l’atteinte sexuelle, ouvrant ainsi la voie à un acquittement de l’accusé.

([20]) Par exemple en matière de responsabilité des éditeurs de presse (décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011, M. Antoine J.).

([21]) Avis n° 394437 sur un projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les mineurs et les majeurs, 15 mars 2018.

([22]) Art. 222-25 et 222-26 du code pénal.

([23]) Art. 227-29 du code pénal.

([24]) Rapport de Mme Marie Mercier (n° 271, 2020-2021) fait au nom de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, 13 janvier 2021.

([25]) Ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

([26]) Texte n° 571 adopté par l’Assemblée nationale le 18 février 2021.

([27]) La sanction du viol aggravé figure à l’article 222‑24 du code pénal. L’agression sexuelle aggravée est prévue aux articles 222‑28 et 222‑29-1 du même code.

([28]) Soit un frère ou une sœur, un oncle ou une tante, un neveu ou une nièce, ou le conjoint ou le concubin d’un des précédents ou d’un ascendants, à la condition qu’il dispose d’une autorité sur le mineur.

([29]) Les actes incestueux sont commis par une personne ayant autorité et s’avérant être un ascendant, un membre de la fratrie, un oncle ou une tante, ou le conjoint de l’un d’eux. Les actes non incestueux sont commis par toute autre personne ou par l’une de ces personnes si elle n’a pas sur le mineur une autorité de droit ou de fait. Le périmètre de cette qualification est donc différent de celui de la surqualification prévue aux articles 222‑31‑1 et 227‑27‑2‑1 du code pénal.

([30]) Tel est le cas, pour la seule section 3, relative aux agressions sexuelles, du chapitre II du titre II du livre II, aux articles 222‑24, 222‑28, 222‑30, 222‑31‑1 et 222‑33.

([31]) Art. 222‑29‑1 du code pénal.

([32]) « Littéralement le mot "abus" se réfère à l’usage excessif d’un droit ayant eu pour conséquence l’atteinte aux droits d’autrui », écrit Serge Braudo dans son Dictionnaire de droit privé (https://www.dictionnaire-juridique.com).

([33]) Rapport de Mme Marie Mercier (n° 271, 2020-2021) fait au nom de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, 13 janvier 2021.

([34]) Le viol sur mineur de quinze ans du nouvel article 222-23-1 est forcément commis sur un mineur de quinze ans, ce que prévoit le 2° de l’article 222‑24. Quant au viol incestueux du nouvel article 222-23-2, il est forcément le fait d’un ascendant ou de toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait, ce que mentionne le 4° de l’article 222‑24.

([35]) Art. 222‑25 du code pénal.

([36]) Art. 222‑26 du code pénal.

([37]) Le régime répressif du viol suivi de tortures ou d’actes de barbarie est, en effet, identique que la victime soit majeure ou mineure..

([38]) Agressions sexuelles des articles 222-22 à 222‑31, proxénétisme des articles 225‑5 à 225‑11, corruption de mineur de l’article 227‑22, diffusion d’images pédopornographiques de l’article 227‑23 et atteintes sexuelles des articles 227‑25 à 227‑28 du code pénal.

([39]) Cass. crim., 14 octobre 2020, n° 20-83.273.

([40]) Art. 8 du code de procédure pénale.

([41]) L’infraction continue consiste en ce que l’acte ou le comportement répréhensible s’effectue dans la durée, de façon continue, sans interruption – en l’occurrence, le silence gardé en connaissance de cause sur les mauvais traitements infligés à un mineur. Dans le cas d’une infraction instantanée, le délai de prescription court à compter de l’acte unique qui constitue l’infraction pénale ou à compter de la date à laquelle l’infraction est connue. Au contraire, pour une infraction continue, le délai de prescription court à compter de la date à laquelle l’infraction a pris fin dans ses actes constitutifs et dans ses effets.

([42]) Loi n° 89‑487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance.

([43]) Seuls sont imprescriptibles aujourd’hui les crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 du code pénal, soit le génocide et le crime contre l’humanité.

([44]) Les infractions de l’article 706‑47 du code de procédure pénale sont les suivantes : crimes de meurtre ou d’assassinat, lorsqu’ils sont commis sur un mineur ou lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale ; crimes de tortures ou d’actes de barbarie et crimes de violences sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ; crimes de viol ; délits d’agressions sexuelles ; délits et crimes de traite des êtres humains à l’égard d’un mineur ; délit et crime de proxénétisme à l’égard d’un mineur ; délits de recours à la prostitution d’un mineur ; délit de corruption de mineur ; délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique ; délits de captation, d’enregistrement, de transmission, d’offre, de mise à disposition, de diffusion, d’importation ou d’exportation, d’acquisition ou de détention d’image ou de représentation pornographique d’un mineur ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d’un paiement d’un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation ; délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ; délit d’incitation d’un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation ; délits d’atteintes sexuelles.

([45]) Art. 706-47-1 du code de procédure pénale.

([46]) Art. 706-47-2 du code de procédure pénale.

([47]) Art. 706-47-4 du code de procédure pénale.

([48]) Art. 706-52 du code de procédure pénale.

([49]) Art. 7 et 8 du code de procédure pénale, prévoyant à compter du jour de la majorité du mineur victime un délai de dix années pour la prescription des délits et de trente années pour celle des crimes.

([50]) Les infractions visées sont l’agression sexuelle, le viol, l’atteinte sexuelle, la corruption de mineur, la diffusion d’images pédopornographiques, l’exposition de mineurs à des images violentes ou pornographiques, l’incitation à se soumettre à une mutilation sexuelle, et l’incitation à commettre certains crimes ou délits à l’encontre d’un mineur.

([51]) Cf. le commentaire de l’article 5 de la proposition de loi.

([52]) Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française.

([53]) Loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

([54]) Loi n° 85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

([55]) Régis Fraisse, « Les collectivités territoriales régies par l’article 74 », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 35, avril 2012.

([56]) 2° de l’article 14 de la loi du 27 février 2004 précitée.

([57]) 2° du I de l’article 21 du statut du 19 mars 1999 précité.

([58]) 5° du II du même article, les autorités locales étant compétentes pour réprimer des infractions de même nature dans les conditions fixées par le statut.

([59]) Article 6‑2 du statut du 19 mars 1999 précité.

([60]) Conseil constitutionnel, décision n° 2004‑490 DC du 12 février 2004, Loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, considérant n° 18. Le législateur organique a plus tard formulé la même réserve à l’article 8 de la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française. Les contours de cette catégorie de normes, dite des « lois de souveraineté », sont définis restrictivement par la jurisprudence.

([61]) Conseil d’État, 17 mai 2002, M. Hoffer, n° 232359.

([62])  L’applicabilité résulte alors du texte même.