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N° 4481

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 septembre 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI ratifiant l’ordonnance n° 2021484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes,

 

 

 

Par Mme Carole GRANDJEAN

 

Députée.

 

——

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 4361.

 

 


–  1  –

SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation

Article 2 Habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la poursuite de la structuration du dialogue social entre les plateformes numériques de mobilité et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité

Examen en commission

annexe N° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par lA rapporteurE

Annexe  2 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen DU Projet de loi

 


–  1  –

   Introduction

Au cours de la décennie écoulée, les plateformes numériques, qui mettent en relation, sous forme dématérialisée, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un bien ou d’un service ([1]), « se sont développées de manière foudroyante dans tous les pays et ont révolutionné nos manières de communiquer, de consommer, de nous distraire comme de travailler ». ([2]) Ce constat, que nul ne saurait raisonnablement contester, vaut particulièrement pour les plateformes dites d’emploi, ensemble hétérogène qui regroupe, pour l’essentiel, les opérateurs de services organisés (les plateformes de mobilité au premier chef), les plateformes de services aux particuliers (jobbing), les plateformes de services – à plus ou moins haute valeur ajoutée – aux entreprises et les plateformes de micro‑travail ([3]). À tel point que, dans un article publié il y a tout juste deux ans, M. Louis‑Charles Viossat, spécialiste des questions sociales, relevait que « [l]a présence de plus en plus visible, au quotidien, des travailleurs de plateformes, chauffeurs de véhicules de transport avec chauffeur (VTC), livreurs de pizzas et de plats cuisinés, bricoleurs à domicile, vendeurs de bijoux ou informaticiens et graphistes freelances, suscit[ait] la crainte d’une " ubérisation " généralisée des emplois, selon l’expression forgée par Maurice Lévy » ([4]).

Aucune statistique officielle ne permet de quantifier précisément la part des travailleurs dont l’activité repose sur l’utilisation d’une plateforme numérique. Les études conduites sur le sujet laissent entendre qu’ils seraient plusieurs centaines de milliers à être concernés au titre d’une activité principale ou accessoire ([5]). Ce nombre dépasserait même le million toutes catégories de plateformes d’emploi confondues ([6]). Beaucoup moins nombreux, cela va de soi, seraient les travailleurs dépendant de ces dernières pour exercer leur activité. En 2017, près de 200 000 travailleurs indépendants utilisaient, exclusivement ou non, un intermédiaire (plateformes ou autres) pour entrer en contact avec leurs clients et la moitié d’entre eux environ recouraient exclusivement à un intermédiaire à cette fin ([7]).

professions exercÉes par les indÉpendants selon le recours
ou non À un intermÉdiaire (hors coopÉrative)

Quoi qu’il en soit, et comme cela ressort de l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, le développement des plateformes numériques « n’induirait pas globalement de progression spectaculaire du travail indépendant » ([8]) mais favoriserait plutôt l’essor de l’activité et de l’emploi, parfois très sensiblement, dans certains secteurs de l’économie. Sans surprise, on constate, à cet égard, que le nombre de chauffeurs de VTC, travailleurs indépendants pour la grande majorité, a connu une très forte hausse depuis un peu plus de dix ans : alors qu’on en comptait moins de 2 000 en 2008, on en recensait plus de 33 000 en 2018 ([9]). Cette année-là, près de 50 000 travailleurs exerçaient leur activité par le biais d’une plateforme dans le secteur de la mobilité ([10]).

Les sept catégories de plateformes d’emploi selon
l’Inspection générale des affaires sociales

Un classement selon la nature physique ou dématérialisée des biens et des services échangés et selon l’échelle locale ou internationale des marchés sur lesquels elles opèrent conduit à distinguer sept catégories de plateformes d’emploi :

– les plateformes de partage, qui mutualisent l’usage d’un actif par des particuliers (AirBnb, BlaBlaCar...) ;

– les opérateurs de services organisés, qui fournissent des prestations standardisées (Uber, Freenow, Uber Eats, Deliveroo, Glovo...) ;

– les plateformes de jobbing, qui permettent aux particuliers de bénéficier de services à domicile (Yoojo, SuperProf...) ;

– les coopératives électroniques, qui déclinent les modes de production, de consommation et de distribution collaboratifs de l’économie sociale et solidaire (La Ruche qui dit Oui...) ;

– les places de marché, qui s’apparentent à des plateformes de (re)vente de biens physiques (eBay, Leboncoin...) ;

– les plateformes de freelance, qui apparient une offre et une demande de prestations de services à haute valeur ajoutée (Upwork, Malt...) ;

– les plateformes de micro-travail, qui mettent en relation, principalement sur un plan international, une offre et une demande de micro-tâches dématérialisées (Amazon Mechanical Turk...).

Source : IGAS, Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale, mai 2016, pp. 20-21.

Fort logiquement, l’émergence des plateformes numériques d’emploi et, avec elle, l’apparition d’une nouvelle organisation du travail, marques d’un changement de paradigme économique et sociétal, voire de l’avènement d’un « capitalisme 2.0 », à en croire certains auteurs, n’ont pas manqué de soulever des interrogations d’ordre juridique à la fois nombreuses et complexes – relatives, entre autres, au statut de ces travailleurs, à leurs droits sociaux, etc. – aussi bien en France qu’à l’étranger. Dans la plupart des pays du monde, observait M. Jean-Yves Frouin dans son rapport au Premier ministre sur le sujet (décembre 2020), « on commence à se préoccuper des droits et protections des travailleurs des plateformes, notamment les plus vulnérables, mais le plus souvent il n’existe pas encore de normes encadrant spécifiquement l’exercice du travail au sein des plateformes numériques de travail, de sorte que les difficultés, problèmes, ou litiges qui s’y produisent, récurrents depuis plusieurs années, empruntent la voie de mouvements divers (manifestations de rue, " grèves " des courses, protestations sur les réseaux sociaux…) ou d’un contentieux » ([11]).

Le besoin de régulation, que l’on doit comprendre comme « l’équilibrage d’un ensemble mouvant d’initiatives naturellement désordonnées par des interventions normalisatrices, l’action de régler un phénomène évolutif, l’action d’en maîtriser dans le temps l’importance quantitative, en soumettant son développement à des normes » ([12]), est donc réel. Pour consensuel qu’il soit, ce constat ne saurait faire oublier que la régulation de l’écosystème des plateformes numériques, sous une forme ou sous une autre, est d’ores et déjà une réalité, certes parfois embryonnaire, dans un certain nombre de pays. C’est le cas en France, considérée comme l’un des États les plus avancés dans la construction d’une législation destinée à améliorer les conditions de travail et la protection sociale des travailleurs des plateformes ([13]).

Ainsi, en 2016 ([14]), le législateur a posé le principe de la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité dès lors qu’elles déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixent son prix ([15]), responsabilité qui consiste dans la prise en charge directe ou indirecte d’une assurance couvrant le risque d’accident du travail mais aussi dans la prise en charge de la contribution à la formation professionnelle ou des frais d’accompagnement des actions de formation permettant de faire valider les acquis de l’expérience ([16]). Au demeurant, et cela n’allait pas de soi, le législateur a reconnu à ces travailleurs le droit de constituer une organisation syndicale, d’y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs ([17]). Et il a admis que les mouvements de refus concerté de fournir leurs services organisés par les mêmes travailleurs en vue de défendre leurs revendications professionnelles ne pourraient, sauf abus, ni engager leur responsabilité contractuelle, ni constituer un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes, ni justifier de mesures les pénalisant dans l’exercice de leur activité ([18]).

Quelques années plus tard, avec la loi du 24 décembre 2019 ([19]), le législateur a ajouté de nouvelles pierres à l’édifice encore récent de la responsabilité sociale des plateformes numériques. Il a ouvert à tous les travailleurs indépendants recourant pour leur activité à une ou plusieurs plateformes un droit d’accès à l’ensemble des données concernant leurs activités propres au sein de la ou des plateformes et permettant de les identifier ([20]). Mais il a également imaginé un dispositif autorisant les plateformes en lien avec les seuls travailleurs exerçant leur activité dans les secteurs de la conduite d’une VTC et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non, à établir une charte – ce qu’elles n’ont pas toutes fait – déterminant les conditions et modalités d’exercice de leur responsabilité sociale, définissant leurs droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elles sont en relation ([21]).

L’article L. 7342-9 du code du travail

« Dans le cadre de sa responsabilité sociale à l’égard des travailleurs mentionnés à l’article L. 73428, la plateforme peut établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa responsabilité sociale, définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation. Cette charte, qui rappelle les dispositions du présent chapitre, précise notamment :

«  Les conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs avec lesquels la plateforme est en relation, en particulier les règles selon lesquelles ils sont mis en relation avec ses utilisateurs ainsi que les règles qui peuvent être mises en œuvre pour réguler le nombre de connexions simultanées de travailleurs afin de répondre, le cas échéant, à une faible demande de prestations par les utilisateurs. Ces règles garantissent le caractère non exclusif de la relation entre les travailleurs et la plateforme et la liberté pour les travailleurs d’avoir recours à la plateforme et de se connecter ou se déconnecter, sans que soient imposées des plages horaires d’activité ;

«  Les modalités visant à permettre aux travailleurs d’obtenir un prix décent pour leur prestation de services ;

«  Les modalités de développement des compétences professionnelles et de sécurisation des parcours professionnels ;

«  Les mesures visant notamment :

« a) À améliorer les conditions de travail ;

« b) À prévenir les risques professionnels auxquels les travailleurs peuvent être exposés en raison de leur activité ainsi que les dommages causés à des tiers ;

«  Les modalités de partage d’informations et de dialogue entre la plateforme et les travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;

«  Les modalités selon lesquelles les travailleurs sont informés de tout changement relatif aux conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;

«  La qualité de service attendue, les modalités de contrôle par la plateforme de l’activité et de sa réalisation et les circonstances qui peuvent conduire à une rupture des relations commerciales entre la plateforme et le travailleur répondant aux exigences de l’article L. 4421 du code de commerce ainsi que les garanties dont le travailleur bénéficie dans ce cas ;

«  Le cas échéant, les garanties de protection sociale complémentaire négociées par la plateforme dont les travailleurs peuvent bénéficier.

« Dans des conditions précisées par décret, la charte est transmise par la plateforme à l’autorité administrative.

« Lorsqu’elle en est saisie par la plateforme, l’autorité administrative se prononce sur toute demande d’appréciation de la conformité du contenu de la charte au présent titre par décision d’homologation. Préalablement à cette demande d’homologation, la plateforme consulte par tout moyen les travailleurs indépendants sur la charte qu’elle a établie. Le résultat de la consultation est communiqué aux travailleurs indépendants et joint à la demande d’homologation.

« L’autorité administrative notifie à la plateforme la décision d’homologation ou son refus dans un délai de quatre mois à compter de la réception de la charte. À défaut de réponse dans ce délai, la charte est réputée homologuée.

« La charte est publiée sur le site internet de la plateforme et annexée aux contrats ou aux conditions générales d’utilisation qui la lient aux travailleurs.

« Lorsqu’elle est homologuée, l’établissement de la charte ne peut caractériser l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme et les travailleurs. »

Cette loi a, par ailleurs, défini un certain nombre de « règles sectorielles » ([22]) afin de clarifier les droits des travailleurs indépendants vis‑à‑vis des plateformes numériques relevant des deux mêmes secteurs d’activité. Ces dernières se sont vu obligées de leur communiquer, lorsqu’elles leur proposent une prestation, la distance couverte par cette prestation et le prix minimal garanti dont ils bénéficieront ([23]). Du reste, interdiction leur a été faite de mettre fin à la relation contractuelle qui les unit à ces mêmes travailleurs au motif qu’ils auraient refusé une ou plusieurs propositions de prestation de transport ([24]) ou qu’ils auraient exercé leur droit à la déconnexion durant leurs plages horaires d’activité, qu’ils choisissent d’ailleurs librement ([25]). Au surplus, dans un souci de transparence, elles se sont vu tenues de publier sur leurs sites internet, de manière loyale, claire et transparente, des indicateurs relatifs à la durée et au revenu d’activité des travailleurs en lien avec elles ([26]).

Enfin, la loi du 24 décembre 2019 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, les mesures relevant du domaine législatif aux fins de déterminer les modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1 du code du travail ([27]) et les conditions d’exercice de cette représentation.

C’est sur ce fondement qu’a vu le jour l’ordonnance du 21 avril 2021 ([28]), qui pose les jalons d’un dialogue social véritablement structuré entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants qui exercent dans les secteurs de la conduite d’une VTC et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule, motorisé ou non, à deux ou trois roues. Fortement inspirée par les recommandations de la mission pilotée par M. Bruno Mettling, ancien directeur des ressources humaines d’Orange, lancée au lendemain de la remise au Premier ministre des conclusions de la mission dirigée par M. Jean-Yves Frouin, cette ordonnance arrête les règles relatives à la représentation des travailleurs concernés et charge la nouvelle Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), établissement public à caractère administratif, de la régulation des relations sociales entre les plateformes et les travailleurs, notamment en assurant la diffusion d’informations et en favorisant la concertation.

L’article 1er du projet de loi déposé le 13 juillet 2021 sur le bureau de l’Assemblée nationale ratifie cette ordonnance. Mais il ne s’agit que d’une étape dans le processus de mise en œuvre du dialogue social évoqué plus haut, laquelle suppose l’adoption de mesures complémentaires. C’est pourquoi l’article 2 confie au Gouvernement le soin de prendre par ordonnance, dans un délai désormais fixé à douze mois à compter de la promulgation de la loi ([29]), les dispositions nécessaires à la poursuite de l’édification de ce dialogue social. Parallèlement, il l’autorise à compléter les obligations incombant aux plateformes à l’égard des travailleurs dans le but de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité, de telle sorte que le risque d’une requalification par le juge du contrat liant les deux parties soit aussi réduit que possible.

Le délai de l’habilitation, quoique raccourci, laissera au Gouvernement un temps suffisant pour mener à bien le travail de concertation préalable avec les différentes parties prenantes qui s’impose. Il lui permettra aussi de tenir pleinement compte des solutions que la Commission européenne aura retenues pour améliorer les droits des travailleurs des plateformes ([30]) ainsi que des lignes directrices qu’elle aura édictées sur la question de la compatibilité entre les accords issus de la négociation entre les représentants des travailleurs indépendants et les plateformes et le droit de la concurrence.

Pratiques anti-concurrentielles et droit de l’Union européenne :
un bref rappel de l’état du droit en vigueur

En vertu de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) :

« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché et notamment ceux qui consistent à :

« a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

« b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

« c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

« d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

« e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

« 2. Les accords ou décisions interdits sont nuls de plein droit.

« 3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :

« - à tout accord ou catégorie d’accords entre entreprises,

« - à toute décision ou catégorie de décisions d’associations d’entreprises et

« - à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées

« qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

« a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,

« b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence. »

Les dispositions relatives à la prohibition des pratiques anti-concurrentielles ne s’appliquent pas aux accords qui prennent la forme de conventions collectives conclues entre organisations représentatives des employeurs et des travailleurs salariés, et ce en dépit des effets restrictifs de concurrence inhérents aux accords collectifs, au motif que « les objectifs de politique sociale poursuivis par de tels accords seraient sérieusement compromis si les partenaires sociaux étaient soumis à l’article 85, paragraphe 1, du traité [devenu l’article 101 du TFUE] dans la recherche en commun de mesures destinées à améliorer les conditions d’emploi et de travail » (CJCE, 21 septembre 1999, Albany, C-67/96). Elles ne s’appliquent pas non plus aux accords conclus pour le compte de « faux indépendants », à savoir « des prestataires se trouvant dans une situation comparable à celles des travailleurs » (CJUE, 4 décembre 2014, Kunsten, C-413/13).

En revanche, comme il est indiqué dans le rapport de M. Jean-Yves Frouin, « s’agissant d’entités exerçant des activités économiques, les travailleurs indépendants sont des entreprises et relèvent donc des règles de concurrence de l’Union européenne, ce qui résulte d’ailleurs directement de l’arrêt Kunsten selon lequel les travailleurs (ou faux indépendants) peuvent négocier par leurs représentants des accords collectifs échappant à la prohibition des ententes anti-concurrentielles, tandis que les prestataires indépendants, en tant qu’entreprises, n’y échappent pas » (1).

(1) Jean-Yves Frouin, op. cit., p. 61.

Les attentes sont fortes, les témoignages des acteurs intéressés, plateformes comme représentants des travailleurs, l’ont une nouvelle fois démontré à l’occasion des travaux préparatoires à l’examen du texte. Elles sont légitimes et doivent à l’évidence être traduites en actes. « La mise en œuvre d’une régulation collective des plateformes par le dialogue social est incontournable », pouvait-on lire dans le rapport de M. Frouin ([31]). Avec ce projet de loi, la majorité présidentielle s’emploie à faire de cet objectif une réalité.


   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er
Ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités
de représentation des travailleurs indépendants recourant
pour leur activité aux plateformes et aux conditions
d’exercice de cette représentation

Adopté par la commission sans modification

L’article 1er ratifie l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation, prise sur le fondement de l’article 48 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

Le présent article ratifie l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation, prise sur le fondement du 2° de l’article 48 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (dite « LOM »).

Cette ordonnance comprend trois articles.

L’article 1er insère trois nouveaux chapitres (III, IV et V) au sein du titre IV du livre III de la septième partie du code du travail, titre qui rassemble les dispositions propres aux travailleurs indépendants utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique.

● Le chapitre III regroupe les articles qui organisent le dialogue social entre les plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1, c’est-à-dire celles qui déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixent son prix, et les travailleurs indépendants définis à l’article L. 7341-1 qui y recourent pour leur activité.

La section 1 de ce chapitre définit le champ d’application du dialogue social, que son article unique circonscrit à deux secteurs ([32]) :

– celui des activités de conduite d’une voiture de transport avec chauffeur (VTC) ;

– celui des activités de livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non.

La section 2 du même chapitre fixe les règles, de façon plus ou moins détaillée, relatives à la représentation des travailleurs indépendants concernés, règles qui ont trait :

– à la nature des organisations autorisées à les représenter, à savoir les syndicats professionnels mentionnés à l’article L. 2131-1 du code du travail et leurs unions mentionnées à l’article L. 2133-2 du même code « lorsque la défense des droits de ces travailleurs entre dans leur objet social », ainsi que les associations relevant de la loi de 1901 « lorsque la représentation de ces travailleurs et la négociation des conventions et accords qui leur sont applicables entrent dans leur objet social » ([33]) ;

– aux critères retenus pour déterminer la représentativité des organisations susmentionnées ([34]) :

– à la mesure de l’audience de ces organisations. L’ordonnance prévoit qu’il reviendra à la nouvelle Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (voir infra) d’organiser le scrutin destiné à mesurer cette audience dans chacun des deux secteurs concernés ([36]), arrête les principes guidant l’établissement des listes électorales ou la tenue du scrutin ([37]) et renvoie à un décret pris en Conseil d’État le soin d’apporter des précisions sur l’organisation du scrutin, notamment s’agissant des modalités d’information préalable des travailleurs et des plateformes, les conditions de son déroulement et la confidentialité du vote ([38]) ;

Aux termes de l’article L. 7343-7 du code du travail, seront électeurs les travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique qui justifient d’une ancienneté de trois mois d’exercice de leur activité dans le secteur économique considéré, cette condition s’appréciant au premier jour du quatrième mois précédant l’organisation du scrutin en totalisant, au cours de la période constituée des six mois précédents, les mois pendant lesquels les travailleurs ont effectué au moins cinq prestations pour une plateforme mentionnée à l’article L. 7342-1 du même code.

À titre de comparaison, dans les entreprises de travail temporaire et les entreprises de portage salarial, elles-aussi exposées à la « volatilité » des travailleurs, les conditions d’ancienneté sont, pour les salariés temporaires et les salariés portés, de trois mois pour être électeur et six mois pour être éligible (articles L. 2314-20 et L. 2314-21 dudit code).

– à la désignation des représentants des organisations reconnues représentatives auprès des travailleurs, représentants dont le nombre sera déterminé par décret ([39]) ;

– à la protection de ces mêmes représentants en cas de rupture du contrat commercial les liant à une plateforme ou en cas de baisse d’activité, du fait de la plateforme, en rapport avec l’exercice d’un mandat de représentation ([40]) ;

– à la formation au dialogue social à laquelle lesdits représentants auront droit ([41]) et à l’indemnisation forfaitaire destinée à compenser la perte de rémunération résultant des jours de formation ou du temps consacré à l’exercice de leur mandat à laquelle ils pourront prétendre ([42]).

● Le chapitre IV, actuellement vide, doit « accueillir les futures dispositions relatives au dialogue social de plateforme », suivant les termes de l’exposé des motifs du projet de loi, qui seront prises par ordonnance sur le fondement de l’article 2 du présent texte.

● Le chapitre V crée l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé du travail et du ministre chargé des transports, définit son rôle et trace les grandes lignes de son organisation et de son fonctionnement.

Cette nouvelle instance aura vocation à assurer « la régulation des relations sociales entre les plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1 et les travailleurs qui leur sont liés par un contrat commercial, notamment en assurant la diffusion d’informations et en favorisant la concertation » ([43]).

Dans le détail, et sans préjudice des prérogatives qui pourront lui être confiées à l’avenir, il lui appartiendra de remplir cinq grandes missions ([44]) :

– promouvoir auprès des représentants des travailleurs et des plateformes le développement du dialogue social et les accompagner dans l’organisation des cycles électoraux ;

– fixer la liste des organisations représentatives des travailleurs en organisant, à cette fin, le scrutin mentionné plus haut ;

– autoriser la rupture des relations commerciales entre les plateformes et les travailleurs disposant d’un mandat de représentation ;

– assurer le financement des formations au dialogue social dispensées aux représentants des organisations représentatives de travailleurs indépendants et l’indemnisation des jours de formation et des heures consacrées à l’exercice de leur mandat ;

– collecter des statistiques relatives à l’activité des plateformes et de leurs travailleurs, à l’exclusion des données à caractère personnel relatives aux clients et dans le respect de la loi dite « informatique et libertés » ([45]), afin de produire des études et des rapports statistiques, en vue de leur mise à disposition des organisations représentatives.

Pour l’accomplissement de ses missions, l’ARPE pourra demander à se faire communiquer tout document en possession des plateformes ou solliciter l’audition de toute personne susceptible de contribuer à son information ([46]).

Elle sera dirigée par un directeur général et administrée par un conseil d’administration – qui devrait comprendre une quinzaine de membres – composé de représentants de l’État, d’un député et d’un sénateur, de représentants des organisations de travailleurs représentatives au niveau des secteurs et de représentants des plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1 du code du travail ainsi que de personnalités qualifiées désignées en raison de leur compétence en matière d’économie numérique, de dialogue social et de droit commercial ([47]).

Son financement sera assuré par une taxe acquittée par les plateformes dont le taux et l’assiette seront fixés par la loi de finances ([48]).

D’après les informations transmises à votre rapporteure, le décret en Conseil d’État chargé d’apporter un certain nombre de précisions tenant notamment à l’organisation et au fonctionnement de l’instance ([49]) devrait être publié dans les semaines qui viennent.

*

L’article 2 de l’ordonnance du 21 avril 2021 définit les règles d’application transitoire se rapportant aux deux premiers cycles électoraux.

Il dispose, d’une part, que le premier scrutin visant à établir la représentativité des organisations représentant les travailleurs recourant pour leur activité aux plateformes de mobilité devra être organisé avant le 31 décembre 2022 et que la liste des organisations représentatives devra, quant à elle, être arrêtée avant le 30 juin 2023.

Il prévoit, d’autre part, que, par dérogation aux règles introduites dans le code du travail par l’article 1er de l’ordonnance, le deuxième scrutin sera organisé deux ans après le premier, et non quatre ; que les organisations représentant les travailleurs devront avoir obtenu, pour accéder à la représentativité, 5 % des suffrages exprimés et non 8 % lors de la première élection ; ou encore que l’ancienneté minimale des organisations autorisées à se porter candidates à l’occasion des deux premières élections des représentants des travailleurs sera ramenée à six mois – contre un an en principe.

*

L’article 3 de l’ordonnance dresse la liste des ministres responsables de son application.

*

*     *

Article 2
Habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la poursuite de la structuration du dialogue social
entre les plateformes numériques de mobilité et les travailleurs
indépendants qui y recourent pour leur activité

Adopté par la commission avec modifications

L’article 2 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi qui résultera de l’adoption du présent projet de loi, aux fins de poursuivre l’édification du cadre juridique du dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité dans les secteurs de la conduite d’une voiture de transport avec chauffeur (VTC) et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non.

I.   le texte du projet de loi dans sa rédaction initiale

Le présent article habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, aux fins de poursuivre l’édification du cadre juridique du dialogue social entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité dans les secteurs de la conduite d’une voiture de transport avec chauffeur (VTC) et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non.

De manière concrète, il autorise le Gouvernement à prendre, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation du présent texte, toute mesure relevant du domaine de la loi dans un quadruple but :

● compléter les dispositions organisant le dialogue social de secteur prévu à l’article L. 7343‑1 du code du travail ([50]) entre les plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1 du même code – celles qui déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixent son prix – et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité, en définissant :

– les modalités de représentation des plateformes ;

 l’objet et le contenu des accords de secteur (champ d’application, forme et durée et, le cas échéant, domaines et périodicité de la négociation obligatoire notamment) ;

 les conditions de négociation, de conclusion et de validité des mêmes accords ;

– l’articulation de ces accords avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes, les accords de plateforme et les chartes établies en application de l’article L. 7342‑9 ;

– les conditions d’application desdits accords et les modalités d’information des travailleurs indépendants sur ces accords ;

– les conditions dans lesquelles les accords pourront être, par le biais d’une homologation décidée par l’État, rendus obligatoires pour toutes les plateformes et tous les travailleurs indépendants compris dans leur champ d’application.

On peut légitimement s’interroger sur ce que sera le champ du dialogue social. À cet égard, il ressort des travaux préparatoires à l’examen du projet de loi qu’une solution consensuelle, à laquelle votre rapporteure adhère, consisterait à ce qu’y soient incluses, sous réserve que cela soit compatible avec le droit de la concurrence européen, la quasi-totalité des questions susceptibles d’être abordées à ce jour dans les chartes mentionnées plus haut, à savoir celles relatives :

– aux conditions d’exercice de l’activité professionnelle des travailleurs ;

– aux conditions de leur rémunération ;

– aux modalités de développement de leurs compétences professionnelles et de sécurisation de leurs parcours professionnels ;

– à l’amélioration de leurs conditions de travail et à la prévention des risques professionnels auxquels ils peuvent être exposés du fait de leur activité ;

 aux modalités de partage d’informations et de dialogue entre les plateformes et les travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;

– aux modalités selon lesquelles ils sont informés de tout changement relatif aux conditions d’exercice de leur activité professionnelle ;

– à la qualité de service attendue, aux modalités de contrôle par les plateformes de l’activité et de sa réalisation et aux circonstances pouvant conduire à une rupture des relations commerciales entre les plateformes et les travailleurs ainsi qu’aux garanties dont ceux-ci bénéficient dans ce cas.

● arrêter les règles organisant le dialogue social au niveau de chacune des plateformes relevant des secteurs de la conduite d’une VTC et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule, motorisé ou non, à deux ou trois roues, en définissant :

– les modalités de représentation des travailleurs indépendants qui recourent à ces plateformes pour leur activité, ainsi que les conditions d’exercice de cette représentation, en particulier, le cas échéant, les garanties offertes aux représentants en termes de protection contre la rupture de leur contrat ;

– l’objet et le contenu des accords de plateforme (champ d’application, forme et durée et, le cas échéant, domaines et périodicité de la négociation obligatoire notamment) ;

 les conditions de négociation, de conclusion et de validité des mêmes accords ;

– l’articulation de ces accords avec les dispositions légales et réglementaires, les contrats conclus entre travailleurs indépendants et plateformes et les chartes établies en application de l’article L. 7342‑9 précité ;

– les conditions d’application desdits accords et les modalités d’information des travailleurs indépendants sur ces accords ;

 les modalités selon lesquelles les plateformes assureront l’information et la consultation des travailleurs indépendants sur les conditions d’exercice de leur activité.

Votre rapporteure partage le point de vue du Gouvernement sur la nécessaire mise en œuvre d’un dialogue social au niveau de chacune des plateformes de mobilité en complément du dialogue social de secteur. Si le secteur constitue en effet sans aucun doute le niveau pertinent de la négociation dans la perspective d’une harmonisation des règles encadrant les conditions de travail des indépendants recourant aux plateformes, il n’en demeure pas moins vrai que le dialogue au niveau des plateformes pourra tout à fait constituer le cadre idoine pour faire progresser au plus près du terrain ces conditions de travail, dans le respect des règles établies au niveau du secteur.

● compléter la liste des missions de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) de telle sorte qu’elle puisse :

– fixer, au nom de l’État, la liste des organisations représentatives des plateformes relevant des secteurs de la conduite d’une VTC et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule, motorisé ou non, à deux ou trois roues ;

– homologuer, au nom de l’État, les accords de secteur ;

 exercer un rôle de médiation entre plateformes et travailleurs indépendants ;

– exercer un rôle d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et de leurs travailleurs.

● compléter les obligations incombant aux plateformes à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent afin de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité, à travers la mobilisation de deux leviers :

– l’amélioration des modalités selon lesquelles ils sont informés sur les propositions de prestation et peuvent y souscrire ;

– la garantie d’une marge d’autonomie pour déterminer les modalités de réalisation des prestations et les moyens mis en œuvre à cet effet.

Sur ce quatrième et dernier point, les dispositions de l’ordonnance, qui viendront compléter le chapitre VI du titre II du livre III de la première partie du code des transports, créé par la loi du 24 décembre 2019 ([51]), viseront à conforter le principe selon lequel « les travailleurs des plateformes de la mobilité exercent leur activité dans les conditions du travail indépendant » ([52]), en accord avec le souhait de la grande majorité d’entre eux, à en croire les représentants des plateformes relevant du secteur de la conduite d’une VTC entendus par votre rapporteure.

Les articles L. 1326-1 et suivants du code des transports, créés par la loi n° 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités

Article L. 1326-1

« Les dispositions du présent chapitre sont applicables aux travailleurs définis à l’article L. 7341-1 du code du travail recourant pour leur activité à des plateformes mentionnées à l’article L. 7342-1 du même code et exerçant l’une des activités suivantes :

« 1° Conduite d’une voiture de transport avec chauffeur ;

« 2° Livraison de marchandises au moyen d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non. »

Article L. 1326-2

« Les plateformes mentionnées à l’article L. 1326-1 communiquent aux travailleurs, lorsqu’elles leur proposent une prestation, la distance couverte par cette prestation et le prix minimal garanti dont ils bénéficieront, déduction faite des frais de commission, dans des conditions précisées par décret.

« Les travailleurs peuvent refuser une proposition de prestation de transport sans faire l’objet d’une quelconque pénalité. La plateforme ne peut notamment pas mettre fin à la relation contractuelle qui l’unit aux travailleurs au motif que ceux-ci ont refusé une ou plusieurs propositions. »

Article L. 1326-3

« La plateforme mentionnée à l’article L. 1326-1 est tenue de publier sur son site internet, de manière loyale, claire et transparente, des indicateurs relatifs à la durée d’activité et au revenu d’activité au titre des activités des travailleurs en lien avec la plateforme, au cours de l’année civile précédente. Ces indicateurs sont précisés par décret en Conseil d’État. »

Article L. 1326-4

« Les travailleurs choisissent leurs plages horaires d’activité et leurs périodes d’inactivité et peuvent se déconnecter durant leurs plages horaires d’activité. Les plateformes ne peuvent mettre fin au contrat lorsqu’un travailleur exerce ce droit. »

En d’autres termes, il s’agira de réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination, tel que celui-ci est défini par la jurisprudence ([53]), entre les plateformes et les travailleurs, de telle sorte que « les risques de requalification de leur contrat commercial en contrat de travail » ([54]) soient limités. De manière concrète, et pour s’en tenir aux exemples figurant dans l’étude d’impact, il conviendra de permettre aux travailleurs concernés « de choisir de manière plus éclairée d’accepter ou de refuser une prestation en disposant d’une information plus complète telle que la destination de la course et d’un délai raisonnable pour se prononcer » ([55]) ou encore « de déterminer plus librement les conditions d’exécution de la prestation de service par exemple en choisissant [l’]itinéraire » ([56]).

L’arrêt Uber de la Cour de cassation (4 mars 2020)

Après la clôture définitive de son compte par la société Uber BV, un chauffeur saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de la relation contractuelle en contrat de travail. La cour d’appel, par un arrêt infirmatif, juge que le contrat conclu entre le chauffeur et la société s’analyse en un contrat de travail et renvoie l’affaire devant le conseil de prud’hommes afin qu’il statue au fond sur les demandes du chauffeur au titre de rappel d’indemnités, de rappel de salaires, de dommages-intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, de travail dissimulé et de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans son arrêt, la cour d’appel fait notamment valoir que :

– le chauffeur a intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV, service qui n’existe que grâce à cette plateforme, à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ;

– le chauffeur se voit imposer un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix et pour lequel des corrections tarifaires sont appliquées s’il ne le suit pas ;

– la destination finale de la course n’est parfois pas connue du chauffeur, qui ne peut réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui lui convient ou non ;

– la société a la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses ; le chauffeur peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de « comportements problématiques ».

La Cour de cassation approuve la décision de la cour d’appel, celle-ci ayant déduit de ce qui précède que le chauffeur exécutait un travail sous l’autorité d’un employeur doté du pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, ces éléments traduisant l’existence d’un lien de subordination au sens de sa jurisprudence (1). Elle retient l’interprétation de la cour d’appel selon laquelle le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif.

(1) En ce qui concerne le critère du travail salarié, la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation est fixée depuis l’arrêt Société générale du 13 novembre 1996, aux termes duquel « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail ».

Votre rapporteure considère que le délai dans lequel les ordonnances devront être prises se justifie à un double titre. Il laisse au Gouvernement le temps de conduire un important travail préalable de concertation avec l’ensemble des parties prenantes, lequel apparaît tout à fait nécessaire au regard du caractère structurant, pour l’avenir des secteurs concernés, des futures dispositions. Il lui offre également la marge de manœuvre dont il a besoin pour rédiger lesdites ordonnances dans le plein respect des orientations que la Commission européenne aura dégagées s’agissant de l’amélioration des conditions de travail des personnes recourant pour leur activité aux plateformes numériques, d’une part, et de la compatibilité des accords susceptibles d’être conclus par les représentants des travailleurs indépendants et les mêmes plateformes avec le droit de la concurrence, d’autre part.

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Le Conseil d’État observe, dans son avis sur le projet de loi, que les dispositions habilitant le Gouvernement à définir le cadre juridique du dialogue social entre les plateformes numériques de mise en relation par voie électronique et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité ne méconnaissent pas par elles-mêmes, ni par les conséquences qui en découlent nécessairement, une règle ou un principe de valeur constitutionnelle ([57]).

Il appelle néanmoins l’attention du Gouvernement sur le fait que la définition des règles qui figureront dans l’ordonnance s’inscrit dans le cadre des relations de droit commercial qui lient les plateformes et les travailleurs susmentionnés, « dont le Conseil constitutionnel retient qu’ils ne constituent pas, en l’état, une communauté de travail », et que, « [p]ar suite, les garanties apportées par le législateur ne relèvent pas de la mise en œuvre du principe de participation des travailleurs protégé par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, paragr. 12 à 14) » ([58]).

Aussi, « compte tenu de ce cadre particulier » ([59]), le Conseil d’État fait valoir qu’il « appartiendra au Gouvernement de prévoir, au stade de la rédaction de l’ordonnance, les garanties nécessaires, en particulier en ce qui concerne l’opposabilité des futurs accords collectifs aux contrats conclus entre les plateformes et chaque travailleur, afin de ne pas porter d’atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, au droit au maintien des contrats légalement conclus comme à la liberté d’entreprendre » ([60]), non sans ajouter que « [c]e cadre particulier contraindra également les possibilités d’articulation des accords collectifs avec les lois et règlements » ([61]).

Du reste, le Conseil d’État constate que le droit de l’Union européenne ne fait pas obstacle à l’habilitation proposée tout en relevant, ainsi que votre rapporteure l’a précédemment évoqué, que le délai de l’habilitation permettra au Gouvernement de tenir compte de l’issue des travaux de la Commission européenne sur les sujets évoqués plus haut.

II.   les modifications apportées par la commission

La commission a apporté quelques modifications au texte de l’article 2.

En premier lieu, elle a adopté deux amendements identiques déposés par Mme Agnès Firmin Le Bodo, d’une part, et M. Dominique Da Silva et les membres du groupe La République en Marche, d’autre part, ayant pour effet de ramener de dix-huit à douze mois le délai de l’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance. Votre rapporteure a donné un avis favorable à ces amendements car elle a considéré, comme la ministre du travail, que le nouveau délai laissera au Gouvernement un temps suffisant, au regard des exigences déjà énoncées, pour préparer les ordonnances dans des conditions satisfaisantes.

En deuxième lieu, elle a adopté un amendement de votre rapporteure visant à ce qu’il soit établi que l’ordonnance fixera nécessairement, plutôt que potentiellement, des règles quant aux domaines et à la périodicité de la négociation obligatoire entre les plateformes et les travailleurs au niveau des secteurs d’activité concernés.

En troisième lieu, elle a adopté un amendement de M. Dominique Da Silva et des membres du groupe La République en Marche proposant qu’il soit précisé que le rôle de l’ARPE en matière de médiation entre les plateformes et les travailleurs s’exercera notamment en cas de suspension provisoire ou de rupture du contrat commercial à l’initiative des premières.

En quatrième et dernier lieu, elle a adopté plusieurs amendements rédactionnels de votre rapporteure.

 

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   Examen en commission

Au cours de sa seconde réunion du mardi 21 septembre 2021 ([62]), la commission des affaires sociales a examiné le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2021‑484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (n° 4361) (Mme Carole Grandjean, rapporteure).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Un seul amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45 : il allait au-delà du champ du texte, qui ne porte que sur la représentation et le dialogue social pour les travailleurs des plateformes. L’article 38 de la Constitution s’est appliqué à six autres amendements qui visaient à élargir le champ de l’habilitation à légiférer par ordonnance, contenue dans l’article 2. Un amendement parlementaire ne peut en effet pas étendre le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement, ce qui est protecteur des droits du Parlement.

Je souhaite à présent la bienvenue à Mme la ministre dans notre commission.

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. L’inscription du présent projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale montre la détermination du Gouvernement à renforcer les droits et à améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes, en permettant un débat avec la représentation nationale. Le texte, que je présente conjointement avec le ministre délégué chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, doit nous permettre de poser une brique supplémentaire pour la construction d’un dialogue social entre les plateformes et les travailleurs qui y recourent. C’est par un tel dialogue que les acteurs seront à même de renforcer, de manière concertée, le socle des droits des travailleurs des plateformes. Je remercie en particulier la rapporteure Carole Grandjean, qui a travaillé dans des délais contraints, ainsi que les députés investis sur le présent projet de loi.

Le fort développement des plateformes numériques, en France comme dans le monde, peut constituer une opportunité économique, créatrice d’emplois. Les plateformes offrent de nouvelles possibilités professionnelles à de nombreux travailleurs, comme voie d’accès rapide à la vie active ou comme choix de vie, pour celles et ceux qui veulent échapper aux contraintes du salariat, avec ses horaires fixes et sa hiérarchie. On ne doit pas combattre leur développement par principe.

L’émergence de ces nouvelles formes d’emploi met pourtant en question notre modèle social, en exposant ces femmes et ces hommes à un statut parfois précaire. Trop souvent encore, les relations entre travailleurs indépendants et plateformes sont déséquilibrées. Les travailleurs ne sont alors pas en situation de faire valoir leurs droits.

La loi d’orientation des mobilités (LOM) avait déjà permis d’instaurer de nouvelles garanties pour les travailleurs des plateformes de mobilité. Avant chaque proposition de prestation, les plateformes doivent communiquer la distance couverte et le prix minimal garanti de la course. Les travailleurs peuvent choisir librement leurs plages d’activité, y compris de déconnexion et d’inactivité. Ils peuvent désormais refuser une proposition de prestation sans que cela n’occasionne une quelconque pénalité. Enfin, les plateformes de mobilité devront publier chaque année des indicateurs sur la durée et le revenu d’activité de leurs travailleurs.

Nous voulons aller plus loin que ce premier cadre, tout en préservant la liberté d’organisation des acteurs du secteur et des travailleurs. Le présent projet de loi vise ainsi à mieux protéger les droits des travailleurs, sans préjuger de leur statut. La structuration d’un véritable dialogue social entre les plateformes et les travailleurs doit permettre de renforcer les droits de ces derniers, et de sécuriser les relations de travail. Par la négociation collective, nous souhaitons permettre aux travailleurs concernés de définir les solutions les plus adaptées à un univers de travail très spécifique, et encore en pleine mutation.

Tel est le sens de la mission confiée à Jean-Yves Frouin en janvier 2020, pour formuler des propositions sur la construction de ce dialogue social. Sur le fondement des propositions de la mission, nous avons ensuite confié à Bruno Mettling, du fait de sa fine connaissance du secteur, la mission d’élaborer un projet de structuration du dialogue social pour les travailleurs des plateformes de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et de livraison, en concertation avec les acteurs concernés.

La première brique de ce dialogue a été posée par l’ordonnance du 21 avril 2021, qu’il vous est proposé de ratifier. L’ordonnance permet aux travailleurs des plateformes d’avoir accès à une représentation : pour chacun des deux secteurs d’activité concernés, une élection nationale à tour unique et par vote électronique sera organisée au début de l’année 2022. Elle permettra aux travailleurs indépendants, chauffeurs de VTC ou livreurs à vélo, d’élire les organisations qui les représenteront. Lors du premier scrutin, pourront être reconnues représentatives les organisations qui recueilleront au moins 5 % des suffrages exprimés. Les représentants désignés par les organisations représentatives bénéficieront de garanties particulières, afin de les protéger contre tout risque de discrimination, du fait de leur mandat.

Il s’agit d’un premier pas inédit vers une meilleure régulation sociale des plateformes. En particulier, la rupture du contrat liant l’un de ses représentants à une plateforme sera soumise à autorisation administrative préalable. Ces représentants bénéficieront par ailleurs d’une indemnisation pour le temps consacré à leur mandat et d’un droit à la formation et au dialogue social, afin de se doter des outils et des connaissances nécessaires à l’exercice d’un mandat syndical. En parallèle, l’ordonnance du 21 avril 2021 prévoit la création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), établissement public dédié à la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants qui y recourent.

Les premiers décrets d’application de l’ordonnance seront publiés dans les prochaines semaines. Une mission de préfiguration, présidée par Bruno Mettling, travaille d’ores et déjà à la création de l’ARPE et à l’organisation des élections.

Le texte rend possible un premier pas inédit vers une meilleure régulation sociale des plateformes. Il importe que les droits des travailleurs se construisent dans le dialogue social, ce que les auteurs de certains amendements ne partagent pas ou contestent. Le dialogue social semble pourtant la meilleure façon d’obtenir des avancées dans les domaines relatifs aux travailleurs des plateformes.

Le dispositif législatif, amorcé par l’ordonnance du 21 avril 2021, doit être complété pour finaliser le cadre permettant l’organisation d’un véritable dialogue social. C’est l’objet de l’article 2, qui prévoit une demande d’habilitation pour permettre au Gouvernement d’approfondir par ordonnance la structuration du dialogue social des travailleurs des plateformes. Il s’agit de définir des modalités de représentation des plateformes de mobilité à l’échelle du secteur, et de structurer un dialogue social en leur sein. L’objectif de l’article est également de déterminer dans la loi toutes les règles permettant l’organisation des négociations, notamment les conditions de validité des accords, la définition de leur contenu, de leur forme et de leur durée. Elles seront définies concernant le dialogue social tant au niveau du secteur d’activité qu’au sein des plateformes elles-mêmes. Demain, les travailleurs indépendants et les plateformes pourront conclure des accords, par exemple sur une rémunération minimale, la formation professionnelle ou la santé au travail. Nous proposons également de compléter les missions de l’ARPE, en lui confiant la responsabilité non seulement d’arrêter la liste des organisations représentatives des plateformes, mais aussi de jouer un rôle de médiation en cas de différend entre les plateformes et leurs travailleurs.

Enfin, une habilitation est prévue pour permettre au Gouvernement de renforcer les obligations applicables aux plateformes, afin de préserver l’autonomie des travailleurs indépendants. Le Gouvernement souhaite garantir à ces derniers que l’exercice de leur activité se déroule dans les conditions du travail indépendant, en leur assurant une meilleure information lorsqu’ils reçoivent des propositions de prestations, et en préservant leur liberté de choisir et d’organiser leur activité. La plateforme sera encore plus fortement contrainte de respecter les conditions d’exercice de l’activité attachée au travail indépendant.

Le recours à des ordonnances se justifie par la nécessité de finaliser le cadre du dialogue social avant le début de l’année 2022, date à laquelle les premières élections des représentants des travailleurs des plateformes seront organisées. Le temps de la concertation avec les parties prenantes sera néanmoins respecté. L’ensemble des ordonnances qui seront prises sur la base de ces nouvelles habilitations donneront lieu à une concertation avec les plateformes et les travailleurs, comme avec les organisations syndicales et patronales. Les nouvelles habilitations parachèvent l’ordonnance du 21 avril 2021, issue du compromis trouvé dans la concertation entre les plateformes, les partenaires sociaux et les collectifs de travailleurs indépendants.

En parallèle, le Gouvernement prendra pleinement part aux travaux engagés à l’échelon européen pour renforcer les droits des travailleurs des plateformes. Mme la rapporteure l’a en tête, puisqu’elle a consacré un rapport au cadre européen des travailleurs de plateformes. Le renforcement de leurs droits fera partie des sujets que défendra la France lorsqu’elle présidera l’Union européenne, à partir du 1er janvier 2022.

Enfin, le Gouvernement souhaite avancer sur le renforcement de la protection sociale des travailleurs des plateformes, notamment quant aux accidents du travail et maladies professionnelles ou à la complémentaire santé. Une mission, présidée par Jean-Louis Rey, est en cours. Elle pourra donner lieu à des mesures législatives dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Le projet de loi traduit l’état d’esprit du Gouvernement : renforcer la protection des travailleurs des plateformes sans chercher leur requalification automatique en salariés, ce qu’ils sont nombreux à ne pas souhaiter. Pour construire une protection sociale adaptée à ce secteur en mouvement, nous souhaitons qu’elle procède des travailleurs eux-mêmes, dans le dialogue social et la concertation. C’est pourquoi nous voulons aller au bout de la démarche que nous avons entamée, pour bâtir un cadre social à ces nouvelles formes d’emploi. Le projet de loi permet de définir les contours d’un modèle français de l’économie des plateformes, qui contribue à développer des activités créatrices d’emplois sans transiger sur les droits sociaux des travailleurs.

Mme Carole Grandjean, rapporteure. Ma satisfaction est grande de voir notre commission débattre d’un tel sujet, certes technique, mais essentiel pour notre démocratie sociale et notre modèle social. Je salue la présence de Mme la ministre, dont l’éclairage nous sera précieux tout au long du débat.

Au cours de la décennie écoulée, les plateformes numériques, qui mettent en relation, sous forme dématérialisée, des personnes en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange voire du partage d’un bien ou d’un service, se sont beaucoup développées, dans tous les pays, et ont transformé nos manières de communiquer, de consommer, de nous distraire et de travailler. Le constat, que nous serions bien en peine de contester, au-delà de nos divergences de points de vue, vaut particulièrement pour les plateformes d’emploi, ensemble hétérogène qui regroupe pour l’essentiel des opérateurs de services organisés, dont font partie les plateformes de mobilité, des plateformes de services aux particuliers, des plateformes de services aux entreprises et les plateformes de microtravail. Chauffeurs de VTC, livreurs de plats cuisinés, bricoleurs à domicile, informaticiens et autres graphistes freelance sont désormais bien installés dans le paysage économique.

Aucune statistique officielle ne permet pourtant de quantifier précisément la part des travailleurs dont l’activité repose sur l’utilisation des plateformes. Les études conduites sur le sujet laissent entendre qu’ils seraient plusieurs centaines de milliers à être concernés, au titre d’une activité principale ou accessoire. Leur nombre dépasserait même le million, toutes catégories de plateformes d’emplois confondues. Beaucoup moins nombreux seraient les travailleurs dépendants de ces dernières pour exercer leur activité. Ainsi, en 2017, 200 000 travailleurs indépendants utilisaient, exclusivement ou non, un intermédiaire – plateforme ou autre – pour entrer en contact avec leurs clients ; la moitié d’entre eux recourait exclusivement à un intermédiaire à cette fin.

Comme il ressort de l’étude d’impact, le développement des plateformes numériques n’induirait aucune progression globale spectaculaire du travail indépendant mais favoriserait l’essor de l’activité et de l’emploi – parfois très sensiblement dans certains secteurs d’activité. Sans surprise, le nombre de chauffeurs VTC a connu une très forte hausse depuis un peu plus de dix ans : on en comptait moins de 2 000 en 2008 et plus de 33 000 en 2018. Cette année, près de 50 000 travailleurs exerçaient leur activité par le biais d’une plateforme dans le secteur de la mobilité. L’émergence des plateformes numériques d’emploi et, avec elles, l’apparition d’une nouvelle organisation du travail n’ont pas manqué de soulever des interrogations d’ordre juridique, nombreuses et complexes, notamment quant au statut de ces travailleurs ou à leurs droits sociaux, en France comme à l’étranger.

Dans un rapport au Premier ministre, paru en décembre 2020, Jean-Yves Frouin observait que l’on commence à se préoccuper des droits et des protections des travailleurs des plateformes, notamment des plus vulnérables. Le plus souvent, il n’existe pas encore de norme encadrant spécifiquement l’exercice du travail au sein des plateformes numériques de travail, de sorte que les difficultés, problèmes ou litiges qui s’y produisent de manière récurrente depuis plusieurs années empruntent la voie de mouvements divers ou d’un contentieux.

Le besoin d’une régulation est réel. Le constat ne doit pas faire oublier que la régulation de l’écosystème des plateformes numériques sous une forme ou une autre est d’ores et déjà une réalité, embryonnaire dans certains pays. La France est considérée comme l’un des États les plus avancées dans la construction d’une législation destinée à améliorer les conditions de travail et la protection sociale des travailleurs de plateformes.

En 2016, avec la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi El Khomri », le législateur a posé le principe de la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité, dès lors qu’elles déterminent les caractéristiques de la prestation de services fournis ou du bien vendu, et fixent son prix. Elle consiste dans la prise en charge à la fois d’une assurance couvrant le risque d’accidents du travail et de la contribution à la formation professionnelle ou des frais d’accompagnement des actions de formation, permettant de faire valider les acquis de l’expérience.

Au demeurant, le législateur a reconnu à ces travailleurs le droit de constituer une organisation syndicale, d’y adhérer et de faire valoir par son intermédiaire leurs intérêts collectifs. Il a admis que les mouvements de refus concerté de fournir leurs services organisés par les mêmes travailleurs, en vue de défendre leurs revendications professionnelles, ne pourraient, sauf abus, ni engager leur responsabilité contractuelle, ni constituer un motif de rupture de leurs relations avec les plateformes, ni justifier de mesures les pénalisant dans l’exercice de leurs activités.

Quelques années plus tard, avec la LOM, le législateur a ajouté de nouvelles pierres à l’édifice encore récent de la responsabilité sociale des plateformes numériques. Il a ouvert à tous les travailleurs indépendants recourant pour leur activité à une ou plusieurs plateformes un droit d’accès à l’ensemble des données concernant leurs activités propres au sein de la ou des plateformes, et permettant de les identifier. Il a également imaginé un dispositif autorisant les plateformes, en lien avec les seuls travailleurs exerçant leur activité dans les secteurs de la conduite d’un VTC ou de la livraison de marchandises, à établir une charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de leur responsabilité sociale, définissant leurs droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elles sont en relation.

La LOM a par ailleurs défini certaines règles sectorielles, afin de clarifier les droits des travailleurs indépendants vis-à-vis des plateformes numériques relevant de ces deux mêmes secteurs. Lorsqu’elles proposent une prestation à des indépendants, elles se sont vues obligées de communiquer la distance couverte et le prix minimal garanti. Interdiction leur a été faite de mettre fin à la relation contractuelle qui les unit aux travailleurs, au motif qu’ils auraient refusé une ou plusieurs prestations de transport ou qu’ils auraient exercé leur droit à la déconnexion durant leur plage horaire d’activité, qu’ils choisissent du reste librement. De plus, dans un souci de transparence, elles sont tenues de publier sur leur site internet, de manière loyale, claire et transparente, des indicateurs relatifs à la durée et au revenu d’activité des travailleurs avec lesquels elles sont liées.

Il fallait toutefois aller plus loin. C’est pourquoi l’article 48 de la LOM a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant de la loi aux fins de déterminer les modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant aux plateformes numériques et les conditions d’exercice de cette représentation.

Sur ce fondement, l’ordonnance du 21 avril 2021 a posé les jalons d’un dialogue social structuré entre les plateformes et les travailleurs indépendants qui y recourent dans les secteurs de la conduite d’une VTC et de la livraison de marchandises au moyen d’un véhicule, motorisé ou non, à deux ou trois roues. Son objet est double. D’une part, elle arrête les règles relatives à la représentation des travailleurs concernés, qui touchent à la nature des organisations autorisées à les représenter, aux critères retenus pour déterminer la représentativité de ces organisations, à la mesure de leur audience, à la protection des représentants en cas de rupture de la relation commerciale les liant à une plateforme ou à la formation au dialogue social à laquelle ils auront droit. D’autre part, l’ordonnance charge un nouvel établissement public, l’ARPE, de la régulation des relations sociales entre les plateformes et les travailleurs, notamment en assurant la diffusion d’information et en favorisant la concertation.

L’article 1er du présent projet de loi ratifie l’ordonnance : il ne s’agit que d’une étape dans la mise en œuvre du dialogue social, qui suppose d’adopter des mesures complémentaires. C’est pourquoi l’article 2 confie au Gouvernement le soin de prendre par ordonnance les dispositions nécessaires pour poursuivre l’édification du dialogue. Il l’autorise parallèlement à compléter les obligations incombant aux plateformes à l’égard des travailleurs, dans le but de renforcer l’autonomie de ces derniers dans l’exercice de leur activité, de telle sorte que le risque d’une requalification par le juge du contrat liant les deux parties soit aussi réduit que possible. Sur ce point, il nous faut faire reculer l’insécurité juridique. Le délai de l’habilitation, que certains trouveront à bon droit un peu long, laissera au Gouvernement un temps pour mener à bien le travail de concertation préalable avec les différentes parties prenantes. Il lui permettra de tenir pleinement compte des solutions que la Commission européenne aura retenues pour améliorer les droits des travailleurs des plateformes ainsi que les lignes directrices qu’elle aura édictées, sur la compatibilité entre les accords issus de la négociation collective organisée au niveau des secteurs et des plateformes, et le droit de la concurrence.

Les attentes sont fortes : les témoignages des acteurs intéressés – plateformes comme représentants des travailleurs – l’ont une nouvelle fois démontré à l’occasion des travaux préparatoires à l’examen du présent texte. Elles sont légitimes, et doivent à l’évidence être traduites en actes. « La mise en œuvre d’une régulation collective des plateformes par le dialogue social est incontournable » écrivait M. Frouin dans son rapport. Nous partageons ce sentiment. Avec le présent projet de loi, la majorité présidentielle s’emploie à faire de cet objectif une réalité.

M. Dominique Da Silva (LaREM). Ce projet de loi vise à construire par voie d’ordonnance les conditions d’un dialogue social entre les plateformes de mobilité et les travailleurs indépendants de VTC et de livraison. Nous sommes bien là pour accompagner le développement de ces deux secteurs, mais certainement pas à la défaveur des travailleurs indépendants. L’objectif poursuivi est bien de renforcer les droits de ceux qui recourent à de telles plateformes.

Le droit français ne connaît que deux statuts de travailleurs, celui de salarié et celui d’indépendant. Ce dernier existe car des travailleurs choisissent d’être indépendants et recherchent l’autonomie. Nous ne voulons pas d’un tiers-statut, entre celui de salarié et celui de travailleur indépendant.

Le Gouvernement souhaite agir rapidement pour le dialogue social : nous ne pouvons que nous en féliciter. Il serait faux d’affirmer que les ordonnances ont été dictées par les plateformes, sans reconnaître son action. Appuyées par les travaux de Jean-Yves Frouin et de Bruno Mettling, elles sont issues de larges concertations avec toutes les parties prenantes. Légiférer par ordonnance est courant lorsqu’il s’agit de dispositions techniques et complexes, qui doivent avant tout venir de la négociation collective – les statistiques des législatures précédentes le montrent.

Au nom du groupe La République en Marche, j’ai déposé deux amendements afin de préciser le texte. Le premier réduit le délai d’habilitation par ordonnance, pour prendre les mesures complétant les règles organisant le dialogue social avec les plateformes, de dix-huit à douze mois. Le second précise le rôle de médiation de l’ARPE, en cas de suspension provisoire ou de rupture de contrat commercial à l’initiative de la plateforme.

Nos débats en commission comme dans l’hémicycle viendront compléter ces dispositions. Le groupe La République en Marche votera le projet de loi.

M. Stéphane Viry (LR). Face à un texte dont le périmètre paraît restreint, voire très restreint, il faut souligner l’importance du travail indépendant, source d’activité et de valeur ajoutée pour notre pays. L’actualité législative nous permettra d’ailleurs d’y revenir prochainement.

Le texte porte sur la ratification d’une ordonnance d’avril 2021, qui vise à structurer un dialogue social. Il autorise en outre le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures nécessaires à l’organisation du dialogue social dans le secteur.

Cette forme d’étatisation du dialogue social n’est ni le choix ni l’ADN de notre groupe politique. C’est la raison pour laquelle nous sommes réservés face au texte, quand bien même sa portée n’est que résiduelle. Être travailleur indépendant est un choix, une conviction. C’est le parcours d’un homme ou d’une femme qui décide de mettre sa force et son intelligence au service d’un acte de production. Dans le cadre de ce parcours personnel, une assimilation à des stigmates rappelant le contrat de travail nous inspire des réserves.

Avec le temps, l’intermédiation de l’activité économique par le biais d’une plateforme numérique mettant en relation un client avec un professionnel se généralisera. Nous sommes convaincus que le travail indépendant est une nécessité, une chance pour la France. Il faut probablement se concentrer sur la protection et la transmission du patrimoine du travailleur indépendant, et, le cas échéant, sur la réforme de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI), qui a été un échec par rapport à sa première version. Au contraire, le texte cherche à suppléer le dialogue social en créant un troisième statut, hybride, qui n’apporte que du désordre.

C’est la raison pour laquelle nous examinerons le texte avec beaucoup de réserve. À ce stade, sa rédaction ne nous convainc pas.

Mme Michèle de Vaucouleurs (Dem). Ces dernières années, nous avons assisté au développement fulgurant des plateformes numériques de mise en relation entre des travailleurs indépendants fournissant un service et les utilisateurs de celui-ci. La croissance effrénée du recours aux applications de chauffeurs de VTC ou de livraison alimentaire en deux-roues a décontenancé le législateur. En effet, les textes en vigueur ne prévoyaient pas d’encadrement juridique et social pour un tel écosystème, créé ex nihilo.

Depuis 2016, notre pays s’est peu à peu doté d’un arsenal législatif permettant de réguler les plateformes et de protéger les travailleurs qui y ont recours. Depuis le début de la législature, notre majorité s’est efforcée de construire un cadre légal juste pour cette nouvelle économie, notamment en ce qui concerne la représentation syndicale et le dialogue social.

Le texte que nous examinons apporte une pierre de plus à cette construction nécessaire et attendue par l’ensemble des acteurs. La ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 permettra d’entériner les règles de représentativité des travailleurs indépendants, ainsi que les conditions d’exercice de leur représentation. La nouvelle habilitation contenue dans l’article 2 du texte permettra de densifier la première étape, en précisant les modalités de représentativité des travailleurs indépendants et des plateformes, par secteur d’activité, ainsi que les modalités de négociation et de conclusion des accords.

Le groupe Mouvement démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés (Dem) soutiendra le texte sans réserve, en cohérence avec sa position sur l’habilitation, lors du vote de la LOM en 2019. Il s’agit d’une étape indispensable au renforcement du cadre juridique et social d’une activité qui continuera de se développer à moyen terme. Un tel cadre fait écho à la construction d’un socle européen des droits sociaux.

M. Boris Vallaud (SOC). Le projet de loi est présenté dans l’étude d’impact comme devant sécuriser le modèle des plateformes de mobilité, celui de l’optimisation sociale et fiscale. Un tel modèle existe car les plateformes s’affranchissent de nos règles. La rapporteure indique qu’il s’agit aussi de réduire les risques de requalification des contrats commerciaux en contrats de travail, en réduisant un faisceau d’indices, comme on efface les preuves d’un larcin.

Vous êtes du côté des plateformes, non des travailleurs des plateformes. Par là, vous affaiblissez à la fois le salariat et la vraie indépendance.

Le chemin est pourtant clair. De façon constante, la justice française, constatant l’indépendance fictive des travailleurs des plateformes, accorde la requalification en salariés. C’est aussi la décision de nombreux tribunaux en Californie, au Royaume‑Uni, en Italie, en Allemagne ou, récemment, aux Pays-Bas. En outre, une députée européenne de votre majorité, Sylvie Brunet, a fait adopter le 16 septembre une résolution visant à faciliter la classification correcte des travailleurs des plateformes. Elle propose notamment une présomption réfragable de salariat et l’inversion de la charge de la preuve.

Alors que le chemin est clair, vous nous entraînez dans une impasse, celle d’un tiers‑statut, avec lequel vous n’êtes d’ailleurs pas très au clair. Madame la rapporteure, vous avez dit assez explicitement que les dix-huit mois demandés par le Gouvernement pour l’habilitation permettront en réalité de faire évoluer un droit européen, qui n’autorise pas la réforme telle que vous l’envisagez. Quand vos propres troupes, avec Sylvie Brunet notamment, indiquent un chemin, qui est aussi celui du Parlement européen, vous comptez sur la présidence de l’Union européenne par la France, à partir du 1er janvier 2022, pour bloquer ces avancées, et être du côté du monopole.

Le dialogue social est pour les salariés. Or vous organisez des ententes entre des chefs d’entreprise, qui sont des indépendants, fictifs selon moi. Vous comprendrez que nous ne soutiendrons pas votre proposition.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ens). Le groupe Agir ensemble se réjouit de l’inscription à l’ordre du jour de notre assemblée d’un texte visant à sécuriser les droits des chauffeurs de VTC et des livreurs de repas recourant aux plateformes numériques pour exercer leur activité. Ces travailleurs, qui représentent près de 100 000 personnes en France, n’ont bien souvent d’indépendants que le nom, tant les conditions d’exercice de leur activité dépendent des règles édictées par la plateforme numérique pour laquelle ils travaillent. Ils ne choisissent ni le client, ni le prix, ni les conditions d’exécution de la prestation et sont passibles de sanctions pouvant aller jusqu’à la désactivation de leur compte. Ce déséquilibre des pouvoirs est amplifié par la faiblesse du dialogue social et le fait que ces travailleurs ne jouissent pas des droits et protections attachés au statut de salarié.

L’essor de cette nouvelle forme de travail, qui repose essentiellement sur le recours aux algorithmes, nécessite une adaptation de notre législation pour garantir un dialogue social équilibré entre les différentes parties prenantes. Les premières briques d’un cadre de négociation entre plateformes et travailleurs indépendants ont été posées par l’ordonnance du 21 avril 2021 que nous sommes appelés à ratifier. Fruit d’un travail de concertation avec les partenaires sociaux, elle crée une nouvelle autorité chargée de réguler les relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants, l’ARPE, et prévoit l’organisation d’un scrutin national permettant aux travailleurs des plateformes de désigner leurs représentants en 2022.

Le projet de loi nous invite à aller encore plus loin dans la structuration du dialogue social en habilitant le Gouvernement à fixer par ordonnance les règles du jeu de la négociation, les nouvelles missions de l’autorité de régulation et les modalités selon lesquelles les accords de secteur pourraient être rendus obligatoires à l’ensemble des plateformes. Parce qu’il ne peut y avoir de travailleurs de seconde zone, notre groupe votera en faveur de ce texte, qui permettra de mieux protéger les travailleurs précaires des plateformes de VTC et de livraison de repas par la construction d’un dialogue social de qualité, condition nécessaire à la conquête de droits sociaux.

Mme Valérie Six (UDI-I). En une dizaine d’années, les géants du numérique ont transformé de nombreux pans de la société française. L’ubérisation a bouleversé les codes. On ne peut nier que les plateformes, qui entendent valoriser le travail des indépendants et permettent à un public très éloigné de l’emploi d’y accéder, créent un nouveau modèle économique et un nouveau modèle d’emploi. Elles remettent également en question tant notre vision traditionnelle du travail, avec un droit fondé sur un collectif de travail, que notre modèle de protection sociale, fondé sur le salariat.

Les travailleurs ne doivent pas être la variable d’ajustement des nouvelles politiques de mobilité ou de consommation. Ainsi, le projet de loi ne traite pas la question de la juste rémunération du travail ni la définition du lien juridique, que la jurisprudence peine à préciser. À ce titre, je suivrai avec attention les travaux de la mission d’information de nos collègues sénateurs sur l’ubérisation de la société.

Par ailleurs, même si l’on peut contester la méthode consistant à légiférer par ordonnance, je salue les mesures visant à la régulation sociale de ces nouvelles formes d’activité, qui visent à améliorer les droits et les protections des travailleurs des plateformes dans le cadre de la négociation collective. Malgré ses lacunes, en instaurant une représentation sectorielle de ces travailleurs, ce texte constitue un premier pas.

Enfin, concernant l’ARPE, établissement public dédié à la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs, je m’interroge sur la pertinence de la création d’une nouvelle entité qui pourrait complexifier le dialogue social.

M. Adrien Quatennens (FI). Le succès de ces plateformes repose essentiellement sur un avantage concurrentiel déloyal, à savoir le non-versement de cotisations sociales en raison du recours à des indépendants, qui permet de faire des économies substantielles par rapport aux taxis ou aux entreprises traditionnelles de livraison. La stratégie des plateformes est claire : casser les prix, quitte à perdre de l’argent, pour évincer la concurrence et devenir rentables grâce à leur position dominante.

La Cour de cassation a confirmé, le 4 mars 2020, la décision de la cour d’appel de Paris estimant que le lien qui unissait un ancien chauffeur Uber à la plateforme était bien un contrat de travail. Elle acte l’existence d’un lien de subordination entre le chauffeur et Uber lors de la connexion à la plateforme numérique, son statut d’indépendant n’étant que fictif. Les chauffeurs sont dans une situation de dépendance et donc de fragilité économique.

En construisant ici un cadre spécifique à cette activité, le Gouvernement entérine le fonctionnement actuel des plateformes et institutionnalise l’ubérisation. Certes, il y aura des élections et des garanties particulières pour les élus. En apparence, cette ordonnance représente une avancée pour les indépendants mais, en réalité, elle ouvre une brèche dangereuse et fait un pas de plus vers la création d’un précariat massif. Si vous laissez aux plateformes le champ libre pour écrire ces normes à leur avantage, c’est bien un statut tiers d’indépendant qui verra le jour, avec certains droits et protections liés au salariat, à rebours du modèle de salariat stable. Du reste, les plateformes saluent ces dispositions car elles souhaitent à tout prix éviter le passage au salariat. Celui-ci, qui reste la meilleure solution, est écarté par pure idéologie. L’Espagne est allée plus loin en introduisant la présomption de salariat : les plateformes ont ainsi été obligées de salarier leurs travailleurs avant le 12 août 2021. Votre choix entérine l’acceptation de cette concurrence déloyale et les modalités concrètes du dialogue social sont renvoyées à des ordonnances futures, ce qui nuit à la précision de l’appréciation que nous pouvons en faire et nous rappelle les premières heures du quinquennat avec la réforme du code du travail.

Pour conclure, je soulignerai une contradiction : au Parlement européen, une députée de votre majorité, Sylvie Brunet, a rédigé un rapport préconisant la présomption de salariat, à laquelle le gouvernement français et ses députés nationaux s’opposent. C’est d’ailleurs la deuxième fois en un an que vous faites en sorte d’oublier un rapport venant de chez vous parce que la conclusion ne vous convient pas.

M. Pierre Dharréville (GDR). Lors des auditions, un représentant des plateformes a indiqué que celles-ci n’étaient pas profitables et étaient à la recherche d’un modèle économique. Triste aveu d’un système qui marche sur la tête ! Les plateformes construisent leur modèle économique sur le dumping social : en recourant à des travailleurs faussement indépendants, elles précarisent des dizaines de milliers de travailleurs qui ne peuvent accéder au salariat, à un salaire minimum ou à une protection sociale décente, et à qui vous essayez de vendre l’illusion du libre choix. Cela tire toute l’économie vers le bas.

L’ubérisation, qui prend l’apparence de la modernité, constitue en réalité un grand bond en arrière : c’est le retour du travail à la tâche. Le texte que vous nous présentez aujourd’hui signe l’acceptation de l’ubérisation et de ses dérives sociales. Outre le fait que le Gouvernement organise une fois de plus le dessaisissement du Parlement en recourant à des ordonnances, ce projet de loi laisse de côté le sujet majeur du statut de ces travailleurs, dont vous vous dédouanez en renvoyant à la négociation alors que le rapport de force est profondément asymétrique. Après la tentative, en 2019, de laisser le soin aux plateformes d’établir unilatéralement des chartes sociales au rabais et à la carte, il s’agit ici de créer un cadre de dialogue social ad hoc. La question de la définition des droits sociaux est donc renvoyée à une négociation éclatée, sans que la loi ou les syndicats à l’échelon national n’aient leur mot à dire sur un socle minimal de garanties concernant le revenu minimal ou les conditions de travail et de protection sociale. Vous sécurisez donc les plateformes, et non les travailleurs et les travailleuses. À l’heure où Deliveroo est renvoyée en correctionnelle pour travail dissimulé, à l’heure où les décisions de justice se multiplient, en France et dans le monde, pour reconnaître le statut de salarié à ces travailleurs, à l’heure où l’Espagne vient de voter une législation en ce sens, ce texte est un contresens – pire, il creuse la possibilité d’un tiersstatut à mi-chemin entre salariat et indépendance, qui remettrait en cause les fondements de notre modèle de protection sociale. Nous nous opposerons donc à ce projet de fiction sociale.

M. Bernard Perrut. Le développement des plateformes a permis d’investir de nouveaux champs de l’économie et de créer des emplois, avec un essor marqué par l’émergence de nouvelles formes de travail, plus flexibles. Toutefois, aucune statistique officielle ne permet de quantifier précisément la part des travailleurs dont l’activité ou les revenus sont directement liés à l’utilisation d’une plateforme. La régulation de ces nouvelles formes d’activité doit passer par un dialogue social structuré entre les plateformes et les représentants légitimes des travailleurs indépendants. Si nous sommes attachés au dialogue social, son étatisation en ce qui concerne les plateformes visées nous laisse en revanche perplexes.

Le Parlement européen vient d’adopter une résolution sur la protection sociale des travailleurs des grandes plateformes, anticipant ainsi les éléments clés d’une prochaine proposition législative européenne qui devrait être publiée avant la fin de l’année. Les législateurs européens estiment que les travailleurs des plateformes devraient être organisés et autorisés à négocier collectivement. Ils ont d’ailleurs exhorté la Commission européenne à préciser que les conventions collectives ne tomberont pas sous le coup de l’interdiction du droit européen de la concurrence. Qu’en pensez-vous ? Comment la législation française s’articulera-t-elle avec l’échelon européen, qui veut aller encore plus loin en proposant un meilleur accès à la protection sociale, l’amélioration des conditions de travail, la clarification du statut et le recours à une gestion algorithmique éthique ?

Mme la rapporteure. Je vous remercie pour toutes vos remarques, qui nous font entrer directement dans le cœur du sujet. Nous voulons donner un cadre au dialogue social car celui-ci est la garantie d’une expression des travailleurs des plateformes et donne à ces derniers la possibilité d’influer sur leur environnement de travail. L’organisation du dialogue social doit prévoir des modalités permettant un équilibre entre les représentants des travailleurs et ceux des plateformes. Ces modalités doivent être définies de manière à assurer la juste représentation de chacun, l’ARPE s’assurant de la réalité de cet équilibre dans les discussions entre les différents acteurs.

Cette nouvelle brique s’ajoute aux différentes avancées sociales déjà évoquées – la « loi travail » de 2016, avec les avancées sur les accidents du travail et maladies professionnels, la formation et l’accompagnement dans la validation des acquis de l’expérience, puis la LOM, qui allait encore plus loin –, qui ont constitué un progrès très important pour les travailleurs indépendants des plateformes. Nous complétons ce dispositif en structurant et en équilibrant le dialogue social.

La position des quelques pays européens cités est loin d’être aussi simple que ce que vous en avez dit. Même s’ils créent le statut de salariat pour les travailleurs des plateformes, ces derniers ne bénéficient pas de tous les droits traditionnellement attachés à ce statut. Ces pays ont fait émerger une forme de tiers‑statut : ce n’est pas la voie choisie par la France, qui préfère une approche fondée sur la concertation, le travail commun et l’amélioration des conditions d’exercice. C’est véritablement par l’écoute des travailleurs que nous pourrons y arriver. Or, contrairement à une idée reçue, ces travailleurs ne cherchent pas, dans leur grande majorité, à être sous statut salarié : plus de 80 % d’entre eux ne souhaitent pas une requalification en salariat, et certaines plateformes ayant voulu salarier leurs travailleurs peinent à recruter. Il est important de garder cela à l’esprit.

Par ailleurs, les concertations sociales devront s’articuler avec l’actualité européenne concernant les lignes directrices au niveau du droit de la concurrence et la directive qui devrait intervenir dans les mois à venir. La concertation est du reste la méthode qui a prévalu dans l’élaboration des ordonnances. L’avancée sociale que celles-ci représentent fait relativement consensus, comme Jean-Yves Frouin et Bruno Mettling ont pu le constater lors des auditions menées dans le cadre de la rédaction de leurs rapports.

Enfin, il est important de rappeler que ce texte ne crée pas de présomption d’indépendance.

Mme la ministre. Il faut garder en tête un point important, que l’on ne peut pas ignorer : l’écrasante majorité des travailleurs des plateformes de VTC ou de livraison ne souhaite pas être salariée. Doit-on s’arrêter là et les laisser se débrouiller ? Cela n’est pas ce que propose le Gouvernement, et ce n’est pas ce que la majorité avait adopté dans la LOM. S’il faut respecter le choix de ces travailleurs qui ne veulent pas des contraintes qui s’attachent au salariat, notamment les relations hiérarchiques, et préfèrent avoir la liberté de choisir leurs horaires de travail, il est toutefois nécessaire de leur permettre de construire des droits collectifs. Historiquement, les droits des travailleurs dans notre pays se sont construits dans le dialogue social. Je suis surprise d’entendre que l’organisation d’un dialogue social ne serait pas la bonne voie : je pense exactement le contraire. Nous avons la responsabilité de leur permettre d’organiser un rapport de force avec les plateformes car la relation individuelle est forcément déséquilibrée ; c’est la raison pour laquelle nous cherchons une représentation collective.

Par ailleurs, dans la continuité de ce qui a été engagé, nous devons leur donner une meilleure protection sociale. C’est le sens de la démarche menée depuis le début du quinquennat et que nous vous proposons de poursuivre avec la ratification. En organisant une négociation collective, nous permettrons aux travailleurs qui souhaitent être indépendants de conforter leurs droits sociaux.

Enfin, nous suivons très attentivement les travaux qui se déroulent à l’échelon européen. Il est utile de préciser que les règles du droit de la concurrence ne font pas obstacle à la négociation collective. C’est bien le sens de la proposition que la Commission européenne doit faire sur ce sujet. Par ailleurs, il est important qu’il puisse y avoir une harmonisation ou du moins une définition des cadres au niveau européen. Il ne faut pas faire dire au rapport de Mme Brunet autre chose que ce qui est écrit : si elle avait voulu écrire « présomption de salariat », elle l’aurait fait. La Commission est en train de consulter, avant de mettre une proposition sur la table, avec notamment le souhait de faciliter la possibilité pour les travailleurs de faire reconnaître que leur relation de travail est en fait une relation de salariat qui ne dit pas son nom. Différents chemins peuvent être envisagés, comme la présomption réfragable ou l’inversion de la charge de la preuve. Ce sont des sujets juridiquement assez techniques. Le Gouvernement est attentif aux différentes propositions qui peuvent être faites et sera amené à se prononcer à partir des propositions de la Commission.

Bien que ces travailleurs souhaitent, dans leur écrasante majorité, être des indépendants, il est important de permettre un meilleur rapport de force avec les plateformes et d’organiser une négociation collective permettant de construire des droits sociaux.

La commission en vient à l’examen des articles du projet de loi.

Article 1er : Ratification de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation

Amendement de suppression AS38 de M. Adrien Quatennens.

M. Alexis Corbière. Vous avez avancé le chiffre de 80 % de travailleurs des plateformes qui ne veulent pas être salariés, tout en indiquant avoir du mal à évaluer leur nombre. Vous percevez mal les contours de cette nébuleuse de précarité, mais vous savez qu’ils sont prêts à se faire exploiter à fond. Et vous, avec générosité, et presque contre leur gré, vous cherchez quand même à éviter que cette exploitation n’aille trop loin. Ce n’est pas très convaincant.

En réalité, vous créez un tiersstatut qui sera une forme de précarisation instituée. En outre, il détruira les statuts existants car ce montage concurrentiel déloyal se fera au détriment des salariés. Cela concerne non seulement des secteurs visibles, comme celui des plateformes, mais également le domaine médical : ainsi, la start-up Mediflash met en relation des infirmiers et des aides-soignants autoentrepreneurs avec des établissements de santé. L’ubérisation se généralise. Il est temps de chercher non pas à instituer la précarité, qui détériore l’ensemble du tissu social du pays, quelle que soit l’opinion des gens concernés, mais bel et bien d’y mettre un terme. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons de supprimer l’article 1er.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Tenant des propos qui ne sont pas exacts, vous appelez de vos vœux l’octroi du statut de salarié aux travailleurs des plateformes. L’écosystème des plateformes numériques d’emploi doit être régulé : c’est une nécessité incontestable. Ce point de vue est d’ailleurs consensuel, raison pour laquelle le Gouvernement s’attache à créer les conditions d’un dialogue social structuré et équilibré entre les plateformes et les travailleurs. Cette méthode, fondée sur la concertation et inspirée par les travaux de Jean-Yves Frouin et de Bruno Mettling, nous permettra de faire progresser les droits des travailleurs. C’est comme cela que le socle social français s’est construit.

Investir les nouveaux champs de l’économie est une nécessité car il y a là de nouveaux gisements d’emplois. Nier cette réalité, c’est refuser les transformations sociétales du XXIe siècle. En permettant le développement des droits sociaux, nous souhaitons au contraire les accompagner.

Mme la ministre. Il est un peu paradoxal, monsieur le député, de nous dire que nous ne savons pas ce que pensent les travailleurs, et de vous opposer à la ratification de l’ordonnance qui doit permettre d’organiser leur représentation. La bonne façon de savoir ce qu’ils pensent, c’est d’organiser des élections début 2022 : tel est précisément le sens de l’article que vous proposez de supprimer.

M. Boris Vallaud. Je souligne à mon tour cette curiosité : vous considérez que 80 % d’une population que vous n’êtes pas capables de dénombrer est favorable à l’indépendance. Il ne suffit pas de vouloir être indépendant : encore faut-il l’être effectivement. Or, tous les tribunaux saisis en Europe et même aux États-Unis disent qu’il s’agit d’une fausse indépendance. Vous en faites d’ailleurs vous-même l’aveu, madame la rapporteure, en expliquant qu’il s’agit de réduire le faisceau d’indices – autant dire d’effacer les traces du larcin.

Par ailleurs, le syndicat des VTC, qui représente un certain nombre de chauffeurs, recommande la présomption de salariat et le renversement de la charge de la preuve dès lors qu’un individu s’inscrit sur une plateforme. On peut vouloir être indépendant – l’indépendance est un vrai statut, même si la protection sociale doit encore être améliorée – mais, en l’occurrence, il ne suffit pas de vouloir être indépendant pour l’être. La réalité, on la voit dans les pratiques sociales : regardez qui nous livre ! On est dans un lien de subordination et de tâcheronnage, dont vous prenez acte en organisant un tiers‑secteur. Vous instaurez un dialogue social entre indépendants, puisque vous les considérez comme tels, c’est-à-dire entre chefs d’entreprise, car tous ces chauffeurs sont des chefs d’entreprise puisqu’ils sont indépendants, mais ce n’est pas du dialogue social historiquement. Et regardez comment s’est segmenté le marché : certes, il y a plusieurs plateformes, mais l’une d’elle, dont il n’est pas besoin de donner le nom, est en situation quasiment monopolistique et peut, de façon unilatérale, baisser ses prix et déconnecter d’autorité un certain nombre de ses chauffeurs, peut-être d’ailleurs pour faire un peu le ménage dans ce que sera le corps électoral de ces futures élections.

Un chemin est donné. Vous avez évoqué le modèle anglais, mais regardez le modèle espagnol : il a fait le choix d’une vraie présomption de salariat, avec le statut de salarié.

M. Alexis Corbière. Madame la ministre, d’où tenez-vous ce chiffre de 80 % ? Ni vous ni Mme la rapporteure n’êtes capables de me dire d’où vous le tenez ; donc il n’existe pas, c’est un effet rhétorique. Vous retournez les choses en prétendant définir un cadre pour que les travailleurs fassent entendre leurs voix. Vous avez répété que c’est le dialogue social qui a écrit le droit social dans ce pays et qu’il faut donc laisser les salariés se mettre d’accord avec les employeurs. C’est faux ! C’est la loi qui, le plus souvent, a dû s’imposer contre l’avis des employeurs, parce que le dialogue social est bien souvent très défavorable aux salariés sur le terrain.

Et quand bien même 80 % des travailleurs souhaiteraient être précarisés, je ne suis pas d’accord avec le fait qu’une société comptant plusieurs millions de chômeurs ne laisse d’autre choix que l’absence d’emploi ou un emploi totalement précarisé. Nous, législateurs, devons avoir un point de vue sur cette question : nous ne devons pas nous contenter d’être le relais de la dislocation de notre droit social. La situation des travailleurs concernés n’est pas la seule à être problématique : cela pèse sur l’ensemble du droit social, sur l’ensemble des travailleurs. Dans ma circonscription, à Montreuil, se développent les dark kitchens, ces restaurants qui ne sont que des cuisines devant lesquelles des jeunes gens attendent sur des mobylettes de livrer un repas. Cela pèse énormément sur les autres restaurateurs de la ville et du département, et cela détruit des emplois. Il ne s’agit donc pas seulement de laisser les travailleurs se mettre d’accord avec leurs employeurs et de voir ce qui en sortira, en créant seulement un cadre de dialogue : comme législateurs, nous devons exprimer l’intérêt général. C’est là où réside notre désaccord.

Mme la ministre. J’ai été ministre des transports au début de ce quinquennat, ce qui m’a souvent donné l’occasion d’échanger avec les représentants des VTC et des livreurs. J’imagine que vous en avez rencontré mais figurez-vous que moi aussi, tout comme les experts que nous avons nommés, M. Frouin et M. Mettling. Lorsque je vous dis que nous menons des concertations, ce ne sont donc pas des paroles en l’air. La meilleure façon de savoir ce que ces travailleurs pensent, c’est de leur permettre de s’exprimer et de voter.

Ensuite, je trouve un peu surprenant que vous nous expliquiez qu’il vous appartient de faire le bonheur des travailleurs contre leur volonté. Si vous considérez que le dialogue social n’a pas sa place dans le pays, je pense radicalement le contraire !

Pour répondre à M. le député Vallaud, je ne me satisfais pas de la situation d’un certain nombre de livreurs à vélo. Ce n’est pas le modèle des plateformes qui est en cause en tant que tel, mais la sous-traitance illégale, qui n’est pas suffisamment bloquée sur un certain nombre de plateformes. C’est bien le sens de la réunion que j’ai organisée avec les plateformes de livraison au mois de juillet ; je les ai revues encore il y a quelques jours. Avec Jean-Baptiste Djebbari et Gérald Darmanin, nous prenons ce sujet à bras-le-corps : nous souhaitons empêcher la sous-traitance en cascade, par laquelle un supposé livreur connecté à la plateforme sous-traite à des travailleurs totalement exploités et qui, au bout du compte, ne touchent que 30 % du prix de la course. Je serai donc extrêmement vigilante à ce que la sous‑traitance en cascade, qui sert à exploiter des personnes vulnérables, soit proscrite sur ces plateformes. Mais c’est un autre sujet.

M. Boris Vallaud. J’ai vérifié ce qu’a écrit Sylvie Brunet : elle « invite la Commission, en vue de faciliter la classification correcte des travailleurs des plateformes, à introduire dans sa proposition à venir une présomption réfragable d’une relation de travail » – pas d’une relation commerciale mais bien d’une relation de travail. Nous disons donc la même chose.

M. Dominique Da Silva. On sait très bien que le secteur des transports peine à recruter. Je connais même des chauffeurs de VTC qui exerçaient auparavant comme salariés : si le salariat était la panacée pour ces travailleurs, cela se saurait.

Mme la rapporteure. Monsieur Vallaud, monsieur Corbière, vous savez aussi bien que moi comment on réalise un sondage : il s’agit non pas d’interroger l’ensemble d’une population mais de prendre un échantillon à partir duquel on élabore une statistique. En l’occurrence, c’est une grande plateforme qui a réalisé l’enquête en question auprès de ses chauffeurs.

Par ailleurs, Sylvie Brunet traite de la relation de travail, ce qui n’est pas la même chose qu’une relation salariée : ne lui faites pas dire ce qu’elle ne dit pas.

M. Boris Vallaud. Chacun aura donc pris note du fait que les statistiques convoquées à l’appui du texte ont été produites par les plateformes dans l’intérêt desquelles vous légiférez...

Mme la ministre. Quel est le rapport avec l’organisation d’un vote de ces travailleurs ? Supprimer l’article 1er nous empêcherait de connaître leur point de vue.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. M. Vallaud nous explique qu’un sondage ne vaut rien et que, par conséquent, il ne faut pas construire l’instance de dialogue social dont il est question ici. Cela revient à dire que le dialogue social, donc les organisations syndicales de salariés elles-mêmes ne servent à rien, ne produisent rien pour les salariés, voire les desservent. Voilà un point de vue intéressant !

M. Pierre Dharréville. Le problème tient à la base sur laquelle nous discutons, car vous avancez des statistiques qui servent de justification aux mesures que vous proposez. Maintenant que nous en connaissons la source, notre regard sur ces chiffres n’est plus le même. Vous ne pouvez pas les utiliser comme bon vous semble. Ce n’est pas sérieux.

Vous avez déclaré, madame la ministre, que le droit social était le fruit du dialogue social ; il est surtout celui d’un rapport de force. Ce sont les mobilisations du mouvement ouvrier qui, au cours de notre histoire, ont construit les progrès du droit ; certes, des décisions politiques les ont parfois gravés dans la loi par la suite, mais ils sont le résultat d’une construction complexe, collective. Vous nous dites que le projet de loi est une nouvelle avancée sociale. C’est là que réside notre désaccord : nous estimons au contraire qu’il poursuit le détricotage du droit social.

Mme Catherine Fabre. Les salariés ont acquis un certain nombre de protections à travers le dialogue social. Nous sommes tous d’accord pour considérer que ce sont des acquis. Cela ne signifie pas qu’il ne doit exister qu’un seul statut.

Mme la ministre et Mme la rapporteure ont dit qu’elles avaient rencontré un certain nombre de ces travailleurs qui ne veulent pas être salariés ; j’en ai moi aussi rencontré. Ces personnes choisissent un autre statut, qui leur procure certains avantages – ainsi que des inconvénients. Ce statut correspond à une nouvelle forme d’activité, qu’il convient de réguler. C’est ce que nous commençons à faire, et je considère que le projet de loi va dans le bon sens. Ce n’est pas parce que le salariat est arrivé à une certaine maturité, en termes de droit social, qu’il faut imposer ce statut à tous les travailleurs. En agissant ainsi, vous n’êtes pas respectueux de leur point de vue.

La commission rejette l’amendement de suppression.

Puis elle adopte l’article 1er non modifié.

Après l’article 1er

Amendement AS40 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Cet amendement vise à assurer aux travailleurs des plateformes numériques un salaire minimum qui ne peut être inférieur au SMIC horaire. Même s’il est vrai que certains d’entre eux complètent leurs revenus à travers ces activités, une grande partie des travailleurs des plateformes sont exclus de l’emploi et sont donc très dépendants économiquement de ces sociétés.

Vous nous dites que, pour ces travailleurs, le graal est non pas le salariat mais l’indépendance. En réalité, ils ne sont ni salariés ni indépendants. Des décisions de justice ont reconnu l’existence d’une relation de subordination : par définition, il ne s’agit donc pas de travailleurs indépendants.

À vous entendre, madame la ministre, vous instituez avec ce texte une sorte de rapport de force. Or les plateformes se réjouissent du projet. Autrement dit, elles seraient ravies de voir s’instituer en leur sein un rapport de force... Prétendre cela, c’est se moquer du monde !

Quant au dialogue social, parlons-en ! Prenons l’exemple de la réforme de l’assurance chômage, qui doit entrer en vigueur au mois d’octobre. La plupart des syndicats y sont opposés. C’est le dialogue social... Or, malgré cette opposition, vous allez mettre en œuvre la réforme. Arrêtez donc de prendre les gens pour des imbéciles en leur disant que tout se fait dans le dialogue !

Par ailleurs, comme l’a rappelé Pierre Dharréville, aucune des grandes conquêtes sociales de notre histoire n’a été obtenue à travers un dialogue apaisé, dans le cadre de lois élaborées collectivement, à commencer par les congés payés, dont chacun ici, sans doute, est heureux de bénéficier.

Disons les choses sans détour : vous souhaitez consacrer l’ubérisation. En réalité, ce modèle économique reposant sur la concurrence déloyale vous convient : il correspond à l’idée que vous vous faites de ce que doit être l’avenir du travail. Ayant compris cependant que tout le monde s’indignait du fait que les livreurs et les chauffeurs travaillant pour les plateformes soient privés de toute forme de protection sociale, vous prétendez créer un cadre pour instaurer le dialogue social. Mais cela ne réglera pas le problème, car le statut de ces travailleurs, ni salariés ni indépendants, restera extrêmement précaire.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

À travers l’instauration d’un salaire minimum ne pouvant être inférieur au SMIC, vous défendez à nouveau l’idée d’un statut de salarié pour les travailleurs des plateformes. Ce n’est pas l’option retenue par la majorité présidentielle. Nous avons fait le choix de renvoyer à la négociation collective.

Contrairement à vous, je suis convaincue que la concertation permettra de mieux organiser cette relation de travail. D’ailleurs, les plateformes ont parfaitement compris qu’il était dans leur intérêt d’ouvrir la discussion avec leurs travailleurs indépendants. Nous attendons de la concertation qu’elle sécurise l’autonomie de ces derniers, mais aussi qu’elle influe sur les conditions de travail et de rémunération.

M. Pierre Dharréville. Dans votre raisonnement, vous faites abstraction des conditions socio-économiques dans lesquelles s’opère le prétendu libre choix des travailleurs : le taux de chômage est très élevé, et une partie importante de la population a du mal à vivre. On ne saurait donc se concentrer sur un statut juridique et prétendre que tout va bien au motif qu’il consacre le libre choix des travailleurs.

Par ailleurs, l’amendement d’Adrien Quatennens procède d’une idée simple : il s’agit de fixer un tarif ou un salaire minimum. Je n’ai pas compris pourquoi vous y étiez opposée. Ne pensez-vous pas que c’est nécessaire ? Quelles conclusions doit-on en tirer de façon plus générale ?

M. Boris Vallaud. Encore une fois, il ne suffit pas de vouloir être indépendant, encore faut-il l’être réellement. La cour d’appel de Paris rappelait à ce propos, dans un arrêt du 16 septembre : « L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité, l’office du juge étant d’apprécier le faisceau d’indices qui lui est soumis pour dire si cette qualification peut être retenue. » C’est ce faisceau d’indices que vous essayez précisément de maquiller pour que le juge ne puisse pas requalifier ce qui est en fait un contrat de travail et non un contrat commercial. Vous êtes en train de créer une sorte de situation intermédiaire. C’est peut-être mieux que pire, mais c’est quand même moins bien que bien...

Mme la ministre. Monsieur Vallaud, vous n’arrêtez pas de dire que nous voulons « maquiller le faisceau d’indices ». Pouvez-vous nous dire précisément quelle disposition du texte vous visez ?

M. Boris Vallaud. Je regrette que vous n’ayez pas mieux écouté les propos de la rapporteure. Elle disait très précisément qu’il s’agissait de réduire le faisceau d’indices susceptible de révéler l’existence d’un lien de subordination, donc de limiter les risques de requalification en contrat de travail.

Nous ne connaissons pas exactement vos intentions. Nous nous reportons donc à l’étude d’impact – qui est d’ailleurs assez limitée, car il ne s’agit que d’un projet de loi de ratification –, où il est écrit que l’objet du texte est de « sécuriser le modèle des plateformes », dont on sait ce qu’il est. Nous avons lu également le projet de rapport. Au-delà du texte, il y a ce que l’on appelle l’intention du législateur. En l’occurrence, elle est claire !

Mme la ministre. Je comprends que vous soyez contrarié du fait qu’un certain nombre de travailleurs ne veuillent pas être salariés, mais c’est ainsi. Si vous permettez que, comme nous le souhaitons, des élections soient organisées au début de l’année prochaine pour que les travailleurs des plateformes désignent leurs représentants, nous saurons clairement ce qu’ils veulent.

Je ne suis pas favorable à ce que l’on impose le salariat à des gens qui ne le souhaitent pas, mais je suis également contre l’ubérisation de la société quand cela n’est pas approprié. Vous citiez l’exemple d’infirmières et d’aides-soignantes censées être autoentrepreneuses mais qui travaillaient dans un hôpital. N’hésitez pas à me donner des éléments précis : nous enverrons l’inspection du travail, car une telle situation ne me semble pas justifiée.

Vous vous étonniez, monsieur Quatennens, que les plateformes acceptent le modèle que nous proposons ; mais c’est parce qu’elles ont bien compris que si elles ne parvenaient pas à instaurer un dialogue avec les travailleurs pour donner à ces derniers des droits sociaux satisfaisants, le système ne serait pas acceptable.

Pour en revenir à l’amendement, si la juste rémunération de leur travail est une revendication forte des travailleurs des plateformes, et s’il est évidemment essentiel que ce travail leur permettre de vivre dignement, je ne considère pas pour autant que nous soyons les mieux placés pour déterminer et imposer un niveau de rémunération minimal. La question de la rémunération sera certainement l’un des premiers thèmes de négociation entre les représentants des travailleurs et les plateformes.

Avis défavorable.

M. Adrien Quatennens. En somme, madame la ministre, vous nous expliquez que vous êtes favorable à une rémunération minimale, mais que vous laissez au dialogue social le soin de trancher la question. Vous n’avez aucune assurance que cela fonctionne. En revanche, vous avez le pouvoir d’imposer ce salaire minimum par la loi. Si vous êtes convaincue politiquement de la nécessité de le faire, vous pouvez introduire un minimum de régulation, comme vous l’appelez de vos vœux à travers ce projet de loi. Si le dialogue social ne permet pas d’aboutir, vous ne ferez rien pour y remédier : vous vous contenterez de dire que c’est le choix des représentants des travailleurs. C’est là une défaillance considérable de l’État : vous avez le pouvoir de prendre la décision et vous êtes convaincue qu’il faut la prendre, mais vous ne le faites pas. Pourquoi ?

Mme la ministre. Parce que, contrairement à vous, je crois au dialogue social.

M. Boris Vallaud. Les alinéas 21 à 23 du 4° de l’article 2 visent à renforcer l’autonomie des travailleurs, ce qui excède le champ de l’organisation du dialogue social entre les travailleurs et les plateformes. Mme la rapporteure, dans son projet de rapport, explicitant ces alinéas, écrit qu’il s’agit de réduire le faisceau d’indices susceptibles de révéler l’existence d’un lien de subordination – tel que celui-ci est défini par la jurisprudence – entre les plateformes et les travailleurs, de telle sorte que le risque d’une requalification par le juge du contrat liant les deux parties soit aussi réduit que possible.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS39 de M. Adrien Quatennens.

M. Adrien Quatennens. Il vise à renverser la présomption d’indépendance des travailleurs en une présomption de salariat.

J’entends bien que certains travailleurs des plateformes souhaiteraient être indépendants, mais nous avons fait la démonstration qu’ils ne l’étaient pas. Il a été clairement établi, y compris par des décisions de justice, qu’il convenait de requalifier leurs contrats en contrats salariés, compte tenu notamment de leur situation de subordination évidente à l’égard des plateformes.

Enfin, madame la ministre, je réaffirme que vous êtes en contradiction avec les parlementaires européens de votre majorité, qui ont établi la nécessité d’une présomption de salariat.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Je note, au passage, que le texte ne crée en aucun cas une présomption d’indépendance. Le fait de sécuriser les conditions d’exercice de ces travailleurs indépendants, comme ils le demandent, me paraît constituer une avancée. Il ne s’agit de rien d’autre dans le projet de loi : à cet égard, la manière dont vous interprétez mon rapport me paraît erronée. L’étude d’impact énonce un certain nombre de critères précis – par exemple s’agissant des itinéraires – allant dans le sens de la sécurisation.

Mme la ministre. Avis défavorable.

Vous l’aurez compris, nous ne souhaitons pas créer une présomption de salariat. En revanche, nous sommes attentifs aux propositions que la commission pourrait formuler afin de faciliter l’inversion de la charge de la preuve pour les travailleurs dont les conditions d’exercice ne répondent pas aux caractéristiques d’un travail indépendant et qui souhaitent engager une action.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS35 Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Les algorithmes représentent le cœur de l’activité des plateformes. Il est donc crucial, pour que l’ARPE soit en mesure d’exercer ses missions et de faire des propositions éclairées concernant les pratiques du secteur, qu’elle ait accès aux données relatives à la mise en œuvre de ces algorithmes et à la manière dont les plateformes collectent les données personnelles des travailleurs, à l’exclusion bien sûr des données à caractère personnel se rapportant aux clients, et dans le respect de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Mme la rapporteure. Votre demande me semble assez largement satisfaite à la lecture du droit en vigueur et du texte qui nous est soumis.

D’une part, l’article L. 7345-1 du code du travail, créé par l’ordonnance que l’article 1er vise à ratifier, prévoit que l’ARPE aura pour mission, entre autres, de collecter des statistiques, transmises par les plateformes, relatives à l’activité de ces dernières et de leurs travailleurs, afin de produire des études et des rapports statistiques en vue de les mettre à la disposition des organisations représentatives.

D’autre part, l’article 2 du projet de loi habilite le Gouvernement à compléter la liste des missions de l’ARPE dans le but de lui permettre d’exercer un rôle d’expertise, d’analyse et de proposition concernant l’activité des plateformes et de leurs travailleurs.

En outre, nous devons faire preuve de vigilance dès lors qu’il est question de transmission d’informations relatives aux algorithmes. Certes, la transparence doit progresser en la matière, mais il ne faudrait pas non plus faire peser sur les plateformes des obligations qui auraient pour effet de fragiliser leur modèle économique.

Pour ces raisons, je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

Amendement AS15 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Il s’agit de modifier le calendrier des élections inscrit dans le projet de loi. Il importe en effet de tenir compte du délai de dix-huit mois prévu pour l’ordonnance prise en application de l’article 2. Les personnes élues doivent savoir quels seront les domaines dans lesquels elles pourront négocier.

Mme la rapporteure. Je ne suis pas favorable à ce que la date butoir prévue pour l’organisation du premier scrutin soit repoussée. Le groupe LaREM – tout comme Mme Firmin Le Bodo – a déposé un amendement tendant à ce que le délai de l’habitation soit ramené à douze mois, ce qui me semble de nature à répondre au moins en partie à votre préoccupation.

Par ailleurs, si notre commission adoptait votre amendement, le texte de l’ordonnance prévoirait que le scrutin doit être organisé avant le 31 octobre 2023, alors même que la liste des organisations représentatives devrait, elle, être arrêtée avant le 30 juin de la même année. Or, par construction, cette liste ne pourra être établie qu’une fois que le scrutin aura eu lieu. Aussi la solution que vous proposez me paraît-elle porteuse d’une forme d’insécurité juridique qui justifie un avis défavorable.

Mme la ministre. Monsieur Vallaud, vous ne croyez pas à l’action de ces futurs représentants. Au contraire, je suis persuadée qu’ils pourront engager le dialogue social avec les plateformes et bâtir de nouveaux droits. Il est urgent d’œuvrer dans ce sens. Nous ne souhaitons donc pas différer l’organisation des élections.

Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Vous reconnaîtrez qu’il y a quelque chose de baroque à voir se dérouler des élections avant que soient promulgués les textes destinés à compléter les règles organisant le dialogue social et à définir l’objet et le contenu des accords... Autrement dit, ces représentants seront élus, mais sans trop savoir pourquoi.

Il faut remettre les choses dans l’ordre, c’est-à-dire d’abord prendre les textes, et ensuite organiser les élections.

Mme la ministre. C’est ce qui est prévu !

M. Boris Vallaud. Non : les élections auront lieu avant l’expiration du délai prévu pour la ratification.

Mme la ministre. L’organisation du dialogue doit se faire à la fois au niveau de la branche et des plateformes. Notre intention est bien de promulguer les textes avant l’organisation des élections.

M. Boris Vallaud. Vous ne verrez que des avantages à soutenir mon amendement, car il vise à inscrire cette démarche dans la loi : ainsi, nous serons sûrs que les ordonnances seront ratifiées avant les élections.

M. Dominique Da Silva. Comme l’a souligné Mme la rapporteure, le groupe LaREM a déposé un amendement qui vise à raccourcir le délai d’habilitation – même si, par ailleurs, ce n’est pas parce que l’on prévoit un délai maximal de dix-huit mois qu’il faut attendre aussi longtemps la ratification.

M. Thibault Bazin. Il est intéressant d’entendre notre collègue Da Silva apporter cette précision, mais il faudrait, pour nous apporter une certitude, un engagement très ferme du Gouvernement, y compris dans le texte lui-même, à respecter les délais de manière à éviter la situation évoquée par M. Vallaud, dont l’inquiétude est légitime.

M. Boris Vallaud. Il ressort des propos de Mme la ministre et de M. Da Silva que l’on souhaite aller vite, c’est-à-dire prendre et faire ratifier l’ordonnance d’ici à quelques semaines, avant les élections prévues début 2022.

Mme la ministre. Je le répète, outre la concertation, il y a deux niveaux de dialogue social à organiser : au niveau du secteur – c’est celui qu’il nous semble important d’organiser avant les élections –, puis au niveau de chaque plateforme – celui-là pourra éventuellement prendre plus de temps. Notre souhait est d’avoir bien précisé l’organisation du dialogue social au niveau du secteur avant les élections.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 : Habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la poursuite de la structuration du dialogue social entre les plateformes numériques de mobilité et les travailleurs indépendants qui y recourent pour leur activité

Amendements de suppression CS17 de M. Boris Vallaud, CS33 de M. Pierre Dharréville et CS41 de M. Adrien Quatennens

M. Boris Vallaud. Vous ne serez pas surpris que le Parlement ne souhaite pas être ubérisé, qu’il veuille disposer d’une vision complète de votre algorithme et qu’il refuse donc une loi d’habilitation très large que rien ne justifie, surtout si vous avez l’intention d’aller vite. Faites confiance au débat parlementaire autant qu’au dialogue social !

M. Pierre Dharréville. Il y a là un problème de forme et un problème de fond.

S’agissant d’évolutions majeures des conditions de travail, vous nous demandez de nous fier à vous pour légiférer. Mais c’est au Parlement de faire la loi. Il a été suffisamment abaissé ces quatre dernières années pour que l’on n’en rajoute pas dans la dernière ligne droite.

Sur le fond, nous sommes en désaccord avec vos orientations. Vous avez demandé, madame la ministre, que l’on vous signale les cas problématiques tels que ceux dont on nous a cité l’exemple, mais ces derniers sont symptomatiques : l’ubérisation est extensible – jusqu’où ira-t-elle ? Le danger ne menace pas seulement ceux qui sont aujourd’hui concernés. Voilà pourquoi nous nous opposons à la normalisation du modèle et à votre volonté de sécuriser et de protéger le statut juridique des plateformes pour leur permettre de continuer à agir comme elles le font.

M. Alexis Corbière. Pour traiter une question qui ne concerne pas moins de 1 200 000 travailleurs, vous proposez des ordonnances, dont on pourrait résumer la philosophie, comme l’a dit Boris Vallaud, en ces termes : le dialogue social, oui, le dialogue parlementaire, non ! C’est problématique, et cela en dit long sur votre conscience des difficultés et votre manière de chercher à les contourner. Ne serait-ce que par dignité, au nom de notre rôle de parlementaires, opposons-nous à ce procédé. C’est au Parlement de décider dans cette matière cruciale.

Mme la rapporteure. Avis défavorable – cela ne vous étonnera pas.

Dès lors que nous avons adopté l’article 1er, supprimer l’article 2 créerait un déséquilibre dans l’organisation du dialogue social que nous cherchons à construire. Nous en avons en effet posé les jalons dans l’article 1er en définissant les règles relatives à la représentation des travailleurs et en créant l’ARPE afin d’assurer la régulation des relations sociales. L’article 2 va permettre d’organiser la négociation collective au niveau des secteurs d’activité, mais aussi au niveau de chacune des plateformes.

Monsieur Dharréville, il n’est pas exact d’écrire, comme vous le faites dans votre exposé sommaire, que le projet de loi « ouvr[e] la voie à un tiers statut peu protecteur à mi-chemin entre le salariat et le travail indépendant ». Le texte a pour objet de conférer de nouveaux droits aux travailleurs indépendants qui recourent aux plateformes : le droit de négocier collectivement des accords et la reconnaissance d’une plus grande autonomie vis‑à‑vis des plateformes dans l’exercice de leur activité.

Monsieur Vallaud, je ne partage pas non plus votre analyse concernant le « risque d’incompétence négative » du législateur. Le Conseil constitutionnel a validé l’article 48 de la LOM sur le fondement duquel l’ordonnance du 21 avril 2021 a été prise et le Conseil d’État n’a pas, dans son avis sur le présent projet de loi, alerté le Gouvernement sur un quelconque risque de cette nature.

Je crois en la méthode de concertation et en la co‑construction.

Mme la ministre. Il ne s’agit pas de 1 200 000 travailleurs, mais de 50 000 à 100 000 d’entre eux : même si cela reste beaucoup, nous ne parlons ici que des plateformes de mobilité.

Sur le fond, nous souhaitons bien sûr maintenir cet article qui doit nous permettre de construire le dialogue social dans ce secteur, ce à quoi le Gouvernement est attaché.

Je comprends parfaitement que la méthode des ordonnances ne soit pas celle que le Parlement préfère, mais nous sommes contraints par les délais alors même que le calendrier parlementaire ne nous permettrait pas de débattre d’un projet de loi à ce sujet d’ici à la fin de l’année. Je me tiens évidemment à la disposition de la commission pour la tenir régulièrement au courant de l’avancée des concertations, donc des projets d’ordonnance.

M. Boris Vallaud. Je remercie Mme la ministre de sa bienveillance et de sa disponibilité, mais nous voulons simplement faire notre travail de législateur... Si nous croyons au dialogue social, nous croyons tout autant au débat parlementaire. Oui, madame la ministre, je crois au dialogue social, c’est justement pourquoi j’ai voté contre les ordonnances de votre prédécesseure. Rendez-nous le pouvoir de légiférer : il y a eu plus d’ordonnances au cours des dix-huit derniers mois que pendant la guerre d’Algérie ! Il est temps de revenir à une pratique plus respectueuse de la démocratie parlementaire.

M. Dominique Da Silva. Il me semble qu’il y avait aussi des ordonnances pendant la législature précédente, sur des sujets dont la complexité et la technicité rendent le dialogue entre les parties prenantes plus efficaces que ce que nous pourrions produire, nous qui ne sommes pas des professionnels.

M. Boris Vallaud. Nous ne sommes ni médecins, ni infirmiers, ni enseignants ; pourtant, nous légiférons tous les jours sur des sujets qui concernent ces professions et d’autres. Le dialogue social est complémentaire du débat parlementaire : le second peut prendre acte du premier et donner force de loi à son résultat. Il n’y a pas à choisir : il faut les deux, et c’est tout ce que nous demandons. Vous êtes certainement aussi attaché que moi au travail parlementaire – je ne peux pas croire l’inverse –, vous devriez donc le défendre comme nous.

M. Dominique Da Silva. Pour prendre un exemple dans le domaine de la santé, ce n’est pas aux parlementaires de décider de la composition d’un vaccin : concernant certains sujets, c’est bien aux parties prenantes de se prononcer. Dieu sait que nous avons déjà suffisamment de sujets à traiter. Le fait que nous ratifiions l’ordonnance montre bien que le travail effectué est parfaitement satisfaisant et que nous sommes pleinement d’accord avec le texte gouvernemental.

La commission rejette les amendements de suppression.

Amendements identiques AS37 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS43 de M. Dominique Da Silva

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je propose de ramener de dix-huit à douze mois le délai d’habilitation des ordonnances permises par le présent article. Cela me semble bien plus cohérent avec les objectifs de la loi.

M. Dominique Da Silva. Il s’agit de l’amendement dont nous avons précédemment parlé.

Mme la rapporteure. Favorable : le délai proposé permettra d’organiser les concertations et le travail restant à faire et d’accompagner l’organisation de la régulation de l’écosystème des plateformes numériques d’emploi, pour une meilleure vision du phénomène.

Mme la ministre. Vous l’avez compris, nous souhaitons aller très vite pour définir les règles du dialogue social au niveau sectoriel et compléter les missions de l’ARPE en ce sens. Nous avions besoin d’un peu plus de temps pour structurer le dialogue social au niveau des plateformes ; pour cela, le délai d’un an qui est ici proposé est raisonnable. Il nous permettra de clarifier les règles à ces deux niveaux.

La commission adopte les amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS45 de la rapporteure.

Puis, suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement AS18 de M. Boris Vallaud.

Amendement AS50 de la rapporteure

Mme la rapporteure. Je propose que l’on prévoie, au stade de l’habilitation, que l’ordonnance fixera des règles quant aux domaines et à la périodicité de la négociation obligatoire au niveau du secteur. En effet, pour que le dialogue social soit source d’évolutions concrètes, en particulier pour les droits des travailleurs, il convient de s’assurer que ces derniers négocieront avec les plateformes suivant un certain rythme, qu’il conviendra de définir.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette ensuite l’amendement AS19 de M. Boris Vallaud.

Amendement AS32 de M. Pierre Dharréville

M. Pierre Dharréville. Il vise à garantir le respect du principe de faveur dans l’articulation des normes sociales s’appliquant aux plateformes numériques, afin d’améliorer les droits sociaux des travailleurs. En vertu de ce principe, un accord conclu au niveau de chaque plateforme devrait être nécessairement plus favorable que l’accord de secteur, qui devrait lui-même être plus favorable que la loi. Le principe est bien connu, nous avons trop souvent dû le défendre depuis 2017.

Mme la rapporteure. Je comprends votre préoccupation.

Nous avons eu avec le Gouvernement des échanges poussés sur la question de la hiérarchie des textes, en particulier sur l’opportunité de l’établissement du principe du « mieux‑disant » entre l’accord de secteur et l’accord de plateforme. Il en est ressorti qu’il est prématuré de figer les choses dans la loi dès à présent, dans la mesure où les parties prenantes n’ont pas toutes pu faire valoir leur point de vue. La question mérite d’être examinée en profondeur, mais laissons sa place à la concertation.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme la ministre. Les règles d’articulation entre les accords de secteur, la loi, le règlement, les contrats, les accords de plateforme et les chartes sont un sujet central pour la construction du dialogue social, qui a de ce fait vocation à être abordé lors des concertations qui doivent se tenir très prochainement et associeront l’ensemble des parties prenantes.

De nombreuses règles sont possibles, dont le principe de la garantie au moins équivalente et le principe de l’accord de secteur ou de l’accord de plateforme sur tout ou partie des thèmes de négociation. Ces règles dépendent par ailleurs d’autres paramètres du dispositif de dialogue social entre plateformes et travailleurs qui doivent également faire l’objet de concertations – thèmes de négociation obligatoires, homologation. Il est donc prématuré d’inscrire une règle de ce type dans la loi.

Demande de retrait ; sinon avis défavorable.

M. Pierre Dharréville. Je ne comprends pas en quoi il serait prématuré d’affirmer un principe fondateur de notre droit social à l’heure où l’on entreprend d’en construire un nouveau pan, ce que par ailleurs je regrette. Si un accord de secteur existe, un accord de plateforme ne devrait pas pouvoir être moins disant ; sinon, il n’y a pas de véritable régulation, seulement une coquille vide. Si cela ne vous paraît pas une mauvaise idée, alors appliquons-la !

Mme la ministre. Je comprends votre préoccupation et je la crois partagée par les plateformes, qui ne souhaitent pas qu’un dumping s’instaure entre elles. Simplement, un travail plus fin doit être effectué, en fonction des thèmes, et la concertation avec les différents acteurs n’a pas encore eu lieu. Voilà pourquoi je n’émets pas un avis défavorable, mais je vous propose de retirer votre amendement afin que cette concertation ait le temps d’être menée.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS46 et AS47 de la rapporteure.

En conséquence, l’amendement AS31 de M. Pierre Dharréville tombe.

Amendement AS36 de Mme Agnès Firmin Le Bodo

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Il s’agit de garantir la simultanéité entre l’élection des représentants des travailleurs au niveau du secteur et celle des représentants des plateformes.

Mme la rapporteure. Je comprends votre proposition ; elle est séduisante. Mais elle présente l’inconvénient de figer les choses, qui ne sont pas si simples – l’organisation du scrutin est lourde et complexe. Il faut conserver une marge de manœuvre : les élections peuvent être concomitantes sans être exactement simultanées.

Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme la ministre. Même avis.

Les concertations avec les représentants des plateformes au sujet des modalités de représentation n’ont pas encore eu lieu, mais une possibilité serait la représentation au prorata sinon du chiffre d’affaires, du moins de la valeur distribuée aux travailleurs. Dans ce contexte, l’amendement fige en effet un peu trop les choses.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je ne comprends pas ces réponses. Afin de simplifier et de clarifier le dispositif, mon amendement vise seulement la simultanéité des deux scrutins, sans en aborder les modalités. Il s’agit d’éviter une campagne électorale permanente.

M. Boris Vallaud. Nous avons voté une réduction des délais, on nous a annoncé que les élections se tiendraient assez rapidement ; on nous dit maintenant qu’il y a des zones d’incertitude, qu’une concertation est encore nécessaire, qu’il faut attendre l’évolution du cadre réglementaire européen... Êtes-vous prêts ou non ?

Je soutiens l’amendement.

Mme la ministre. Il y a deux questions : l’élection des représentants des travailleurs et la représentation des plateformes elles-mêmes. Nous souhaitons aller vite sur le premier point ; par ailleurs, nous avons à définir un mode de représentation des plateformes qui ne passe pas nécessairement par un scrutin, mais peut reposer sur le constat du chiffre d’affaires ou de la valeur versée aux travailleurs.

La commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette successivement les amendements AS20 et AS21 de M. Boris Vallaud.

Amendement AS30 de M. Pierre Dharréville

M. Pierre Dharréville. Il s’agit à nouveau d’inscrire dans la loi le principe de faveur.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS22 de M. Boris Vallaud

M. Boris Vallaud. Il tend à supprimer les dispositions de l’article 2 visant à compléter les missions de l’ARPE, car nous nous interrogeons sur l’indépendance de cette autorité, sur son rôle et sur son articulation avec la direction générale du travail.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Il serait dommage de se priver des moyens de compléter les missions de cette autorité, dont l’existence se justifie par les spécificités du dialogue social en construction entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants.

En outre, il résulterait de la suppression de ce pan de l’habilitation un vide juridique préjudiciable à la construction de ce dialogue, dans la mesure où les questions de la fixation de la liste des organisations représentatives des plateformes au niveau des secteurs ou de l’homologation des accords de secteur ne seraient pas réglées ; cela ne paraît pas envisageable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS48 de la rapporteure.

Amendement AS44 de M. Dominique Da Silva

M. Dominique Da Silva. Il vise à préciser le rôle de médiation de l’ARPE en cas de suspension provisoire des travailleurs des plateformes.

La rupture du contrat commercial par déconnexion ou déréférencement a pour conséquence une privation immédiate d’activité et de revenu pour les travailleurs de plateformes. Le recours à la déconnexion, qui peut s’apparenter à une sanction de la part de la plateforme ayant constaté des manquements de la part de son travailleur, est source de conflits et d’incompréhensions entre les travailleurs et les plateformes. L’ARPE pourrait jouer un rôle de médiateur afin de résoudre ce type de différends.

Mme la rapporteure. Favorable : les questions touchant la déconnexion des travailleurs de plateformes sont particulièrement sensibles pour ces derniers, pour des raisons bien compréhensibles.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS29 de M. Pierre Dharréville

Mme la rapporteure. Il s’agit d’un point de désaccord entre nous. Nous faisons le choix de compléter les dispositions du code des transports introduites par la LOM aux fins qu’il soit établi de manière claire et non équivoque que les travailleurs des plateformes de mobilité exercent leur activité dans les conditions du travail indépendant, en accord avec le souhait de la majorité d’entre eux. Notre ambition est de leur garantir l’autonomie.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS49 de la rapporteure.

Enfin, elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

Amendement AS27 de M. Boris Vallaud

M. Boris Vallaud. Il s’agit d’une demande de rapport.

Mme la rapporteure. Défavorable.

Sur la forme, il n’est pas raisonnable de demander au Gouvernement de produire un rapport à une date à laquelle la concertation qu’il s’est engagé à organiser avec l’ensemble des parties prenantes pourrait ne pas être terminée.

Sur le fond, vous écrivez dans l’exposé sommaire que le Gouvernement enferme les travailleurs de plateformes qui relèvent des secteurs de la conduite de VTC ou de la livraison de marchandises dans un « no man’s land de droits sociaux », alors que le projet de loi cherche précisément à améliorer les conditions de travail des indépendants recourant aux plateformes.

Mme la ministre. Je suis évidemment défavorable à l’amendement, qui ne correspond pas à ce que souhaite faire le Gouvernement, mais je répète que je suis à la disposition de la commission pour la tenir régulièrement au courant des concertations que nous allons mener, donc de la préparation des ordonnances, dont il est normal que le Parlement soit informé.

La commission rejette l’amendement.

Enfin, elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

*     *

La commission des affaires sociales a adopté le projet de loi modifié. En conséquence, elle demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4481_texte-adopte-commission#

 


–  1  –

   annexe N° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par lA rapporteurE

(Par ordre chronologique)

     Table ronde de représentants d’intérêts des chauffeurs de VTC :

– Syndicat des chauffeurs privés-VTC (SCP-VTC) – MM. Sayah Baaroun, secrétaire général, et Franck Bonot, secrétaire général adjoint

– Intersyndicale nationale VTC (INV) – MM. Brahim Ben Ali, secrétaire général, Laddi Rachid, secrétaire général adjoint, et Jérôme Giusti, conseiller et avocat

     Table ronde de représentants d’organisations syndicales de salariés :

– Confédération générale du travail (CGT) – M. Fabrice Angei, secrétaire confédéral, et Mme Hélène Viart, conseillère confédérale

– Force ouvrière (FO) – Mmes Karen Gournay, secrétaire confédérale en charge de la négociation collective et des rémunérations, et Catherine Maillard, assistante en charge de la représentation collective des travailleurs

– Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – MM. Gilles Lecuelle, secrétaire national en charge de la représentativité et du dialogue social, et Franck Boissart, responsable du secteur emploi formation

– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – MM. Jean-Marc Cicuto, membre du conseil confédéral en charge des questions liées au numérique, et Nassim Chibani, conseiller technique en charge de la protection sociale

– Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) – Mme Vanessa Jereb, secrétaire générale adjointe en charge de l’emploi, de l’économie et de la formation professionnelle, et M. Guillaume Trichard, secrétaire général adjoint en charge du service juridique national, des transitions technologiques et environnementales

     Table ronde de représentants de plateformes relevant du secteur de la conduite de VTC :

 Uber (*) – Mme Laurène Guardiola, responsable des affaires publiques

 Freenow – Mme Sidonie Lopez Silva, responsable des affaires publiques

 Heetch (*) – MM. Hugues Le Chevallier, responsable des affaires publiques, et Nicolas des Boscs, consultant

 Bolt (*) – M. Aurélien Pozzana, responsable des affaires publiques

     Uber Eats (*) – Mme Laurène Guardiola, responsable des affaires publiques

     M. Jean-Yves Frouin, magistrat honoraire, auteur du rapport Réguler les plateformes numériques de travail, remis au Premier ministre en décembre 2020

     Up – M. Arnaud Breuil, directeur des partenariats et de la coopération, et Mmes Sophie Champigny, responsable des affaires publiques, et Odile Chagny, fondatrice du réseau Shares & Workers et chercheuse à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES)

     Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion  Direction générale du travail (DGT) – M. Pierre Ramain, directeur général, et Mmes Aurore Vitou, sous-directrice adjointe des relations individuelles et collectives du travail, et Nejma Benmalek, adjointe à la cheffe du bureau des relations collectives du travail

     Ministère de la transition écologique, chargé des transports  Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) – Mmes Sylvie André, sous-directrice des transports routiers, et Élise Texier, sous-directrice du droit social des transports terrestres

     Ministère de l’économie, des finances et de la relance  Direction générale des entreprises (DGE) – MM. Geoffroy Cailloux, sous-directeur des services marchands, et Arnaud Boyer, directeur de projet plateformes numériques, et Mme Irène Baud, chargée de mission réglementation

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

   Annexe n° 2 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen DU Projet de loi

ORDONNANCE N° 2021-484 DU 21 AVRIL 2021

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code du travail

Chapitres III, IV et V du titre IV du livre III de la septième partie [nouveaux]

 

 


([1]) Suivant la définition qui figure à l’article 242 bis du code général des impôts.

([2]) Louis-Charles Viossat, « Les enjeux clés de la protection sociale des travailleurs de plateformes », Regards, 2019/1 (n° 55), p. 87.

([3]) Jean-Yves Frouin, Réguler les plateformes numériques de travail, rapport au Premier ministre, 1er décembre 2020, p. 14.

([4]) Louis-Charles Viossat, op. cit., p. 87.

([5]) Étude d’impact accompagnant le projet de loi, p. 4.

([6]) Jean-Yves Frouin, op. cit., p. 125. Ne sont pas comptabilisés les travailleurs qui recourent aux plateformes de micro-emploi.

([7]) INSEE, Emploi, chômage, revenus du travail, édition 2018, p. 23.

([8]) Étude d’impact accompagnant le projet de loi, p. 4.

([9]) Idem.

([10]) Jean-Yves Frouin, op. cit., p. 126.

([11]) Jean-Yves Frouin, op. cit., p. 16.

([12]) Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF 2020, 13e édition.

([13]) Jean-Yves Frouin, op. cit., p. 18.

([14]) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

([15]) Article L. 7342-1 du code du travail.

([16]) Articles L. 7342-2 à L. 7342-4 du code du travail.

([17]) Article L. 7342-6 du code du travail.

([18]) Article L. 7342-5 du code du travail.

([19]) Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

([20]) Article L. 7342-7 du code du travail.

([21]) Article L. 7342-9 du code du travail.

([22]) Jean-Yves Frouin, op. cit., p. 19.

([23]) Article L. 1326-2 du code des transports.

([24]) Idem.

([25]) Article L. 1326-4 du code des transports.

([26]) Article L. 1326-3 du code des transports.

([27]) Il s’agit des plateformes qui déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixent son prix.

([28]) Ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation.

([29]) Initialement fixé à dix-huit mois, le délai de l’habilitation a été ramené à douze mois à la faveur de l’adoption par la commission de deux amendements identiques déposés par Mme Agnès Firmin Le Bodo, d’une part, et M. Dominique Da Silva et les membres du groupe La République en Marche, d’autre part.

([30]) En février 2021, la Commission européenne a lancé une première phase de consultation des partenaires sociaux européens sur la manière d’améliorer les conditions de travail des personnes travaillant par l’intermédiaire de plateformes de travail numériques. En juin de la même année, elle a lancé une seconde phase de consultation ayant pour objet de recueillir les points de vue des partenaires sociaux sur les moyens de faire en sorte que les travailleurs des plateformes bénéficient de conditions de travail décentes, tout en favorisant la croissance durable des plateformes de travail numériques dans l’Union européenne. La Commission européenne devrait présenter une directive sur le sujet dans les prochains mois.

([31]) Jean-Yves Frouin, op. cit., p. 5.

([32]) Article L. 7343-1 du code du travail.

([33]) Article L. 7343-2 du code du travail.

([34]) Il s’agit de critères cumulatifs.

([35]) Article L. 7343-3 du code du travail.

([36]) Article L. 7343-5 du code du travail.

([37]) Articles L. 7343-7, L. 7343-8 et L. 7343-9 du code du travail.

([38]) Article L. 7343-11 du code du travail.

([39]) Article L. 7343-12 du code du travail.

([40]) Articles L. 7343-13, L. 7343-14, L. 7343-15, L. 7343-16, L. 7343-17 et L. 7343-18 du code du travail. Les modalités d’application de ces articles seront déterminées par décret en Conseil d’État.

([41]) Article L. 7343-19 du code du travail.

([42]) Article L. 7343-20 du code du travail.

([43]) Article L. 7345-1 du code du travail.

([44]) Idem. La liste des missions de l’ARPE pourra être complétée par l’ordonnance qui sera prise sur le fondement de l’article 2 du projet de loi.

([45]) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

([46]) Article L. 7345-3 du code du travail.

([47]) Article L. 7345-2 du code du travail.

([48]) Article L. 7345-4 du code du travail.

([49]) Article L. 7345-6 du code du travail.

([50]) Créé par l’article 1er de l’ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation (voir le commentaire de l’article 1er du projet de loi).

([51]) Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

([52]) Étude d’impact accompagnant le projet de loi, p. 9.

([53]) Cour de cassation, chambre sociale, 28 novembre 2018, 17-20.079 (Take Eat Easy) et Cour de cassation, chambre sociale, 4 mars 2020, 19-13-316 (Uber).

([54]) Étude d’impact accompagnant le projet de loi, p. 9.

([55]) Ibidem, p. 10.

([56]) Idem.

([57]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, n° 403.059, p. 3.

([58]) Ibidem, p. 2.

([59]) Idem.

([60]) Idem.

([61]) Idem.

([62]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11192174_614a2eccf39fa.commission-des-affaires-sociales--modalites-de-representation-des-travailleurs-independants-recoura-21-septembre-2021