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N° 4712

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 novembre 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi visant à combattre le harcèlement scolaire,

 

 

 

Par M. Erwan BALANANT,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro : 4658.


 

 


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SOMMAIRE

___

Pages

avant propos

Principaux apports de la commission

commentaires des articles

TITRE IER de la prÉvention des faits de harcÈlement scolaire et de la prise en charge des victimes

Article 1er  Droit à une scolarité sans harcèlement

Article 2 Application du droit à une scolarité sans harcèlement au sein des établissements privés

Article 3 Prise en charge des victimes de harcèlement scolaire et universitaire

Titre II AmÉlioration du traitement judiciaire des faits de harcÈlement scolaire et universitaire

Article 4 Délit de harcèlement scolaire et universitaire

Article 5 Enregistrement de l’audition du mineur victime de harcèlement dans le cadre d’une procédure pénale

Article 6 Stage de responsabilisation à la vie scolaire

Article 7 Lutte contre le harcèlement scolaire par les prestataires de services de communication au public en ligne

TITRE III dispositions diverses

Article 8 Gage

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. Discussion générale

II. Examen des articles

annexe  1 : Liste des personnes ENTENDUes par lE rapporteur

Annexe  2 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

 

 


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   avant propos

Si l’ampleur du phénomène demeure difficile à mesurer avec précision, le harcèlement constitue une forme répandue de violence au sein des établissements scolaires, publics comme privés, et peut concerner tous les élèves, quel que soit leur milieu social. Ce sont ainsi, d’après l’évaluation réalisée dans le cadre du dernier rapport sur les droits de l’enfant du Défenseur des droits ([1]), 700 000 enfants qui sont victimes, chaque année, de harcèlement scolaire. Si les cas les plus extrêmes émaillent régulièrement l’actualité, ils ne sont que la partie médiatisée d’une réalité bien plus vaste, ordinaire et quotidienne, vécue par de nombreux enfants.

Ce phénomène n’est certes pas nouveau. Mais il est aujourd’hui largement aggravé par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui offrent de nouvelles occasions et de nouveaux moyens de harceler, en abolissant toute barrière physique entre les auteurs et les cibles de ces comportements. Les réseaux sociaux et les groupes de messagerie, notamment, démultiplient la capacité des agresseurs à atteindre leurs victimes, soit par des sollicitations et des propos répétés, soit par l’exclusion délibérée de cercles de discussion et de partage qui constituent souvent le centre de la sociabilité des publics d’âge scolaire ou universitaire. Les effets de groupe, qui peuvent constituer un ressort puissant du harcèlement scolaire en fédérant les agresseurs et en isolant leur cible, sont également entretenus par les possibilités qu’offre le cyber‑harcèlement : aux propos et comportements hostiles tenus dans l’enceinte ou le voisinage des établissements scolaires ou universitaires s’ajoutent des phénomènes collectifs dans l’espace cyber sans limite de temps ni de lieu.

Ce constat s’est d’ailleurs vu amplifier par la crise sanitaire et le recours accru aux outils numériques comme moyen de communication entre jeunes et comme instrument pédagogique pour la continuité des enseignements. Plusieurs rapports récents, dont celui que le rapporteur a remis au Gouvernement en octobre 2020 ou encore celui de la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ([2]), appellent ainsi à une meilleure prise en compte du harcèlement scolaire dans les politiques publiques.

La loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a donné pour la première fois une expression législative à la prise de conscience collective suscitée par le harcèlement scolaire. Ainsi, l’article L. 511-3-1 du code de l’éducation dispose aujourd’hui qu’aucun élève « ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale ».

Si l’action des pouvoirs publics contre le harcèlement scolaire ne se limite pas à l’adoption de normes de niveau législatif et se déploie avant tout par le travail quotidien des nombreuses parties prenantes au plus près des victimes, témoins et auteurs de tels agissements, l’inscription dans la loi des principaux objectifs et des modalités de cette lutte n’en était pas moins indispensable. En outre, le cadre législatif de la lutte contre le harcèlement scolaire nécessite d’être amélioré et affiné, pour assurer une meilleure prévention des situations qui portent une atteinte parfois indélébile à la confiance des enfants et des jeunes en eux-mêmes, en l’institution scolaire et universitaire et, finalement, en la société.

À cette fin, la présente proposition de loi vise, en premier lieu, à doter l’ensemble de la communauté éducative – élèves, enseignants, personnels d’encadrement, assistants sociaux, infirmiers, psychologues et médecins scolaires, parents d’élèves – des moyens de prévenir plus efficacement les situations de harcèlement scolaire et d’y répondre de façon plus appropriée.

L’article 1er de la présente proposition de loi a ainsi une double portée, symbolique et juridique, particulièrement forte. Il fait du droit à une scolarité sans harcèlement une composante du droit à l’éducation et l’étend à l’enseignement privé et à l’enseignement supérieur, en même temps qu’il protège les élèves et les étudiants d’actes répréhensibles commis non seulement par leurs pairs, mais également par toute autre personne intervenant dans le cadre scolaire et universitaire. En renvoyant au code pénal, il sert également de fondement à une pédagogie plus concrète de la part des personnels enseignants et d’encadrement.

Plus encore, il crée une obligation de moyens à la charge des établissements d’enseignement, qui devront prendre toutes les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement moral dans le cadre scolaire et universitaire, accompagnant ainsi le déploiement du programme pHARE de l’Éducation nationale dans nos écoles. Il s’agira, notamment, d’améliorer la prévention des situations problématiques, par la formation des personnels, la sensibilisation des élèves et de leurs parents, mais aussi par la mesure du climat scolaire, sa dégradation allant souvent de pair avec celle des rapports entre élèves ; d’identifier plus rapidement les cas de harcèlement, afin d’avoir une réponse appropriée pour en protéger au mieux la victime et prévenir la réitération de ce type de comportements individuels ou collectifs ; d’orienter aussi les victimes, les auteurs et leurs parents, vers les structures appropriées lorsqu’il devient nécessaire de faire intervenir d’autres professionnels.

L’article 3 de la présente proposition de loi prévoit, dans cette optique, que le projet d’école ou d’établissement fixe les lignes directrices et les procédures destinées à prévenir et traiter les situations de harcèlement scolaire. La formalisation de la réponse de l’établissement, qui associera les médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues intervenant dans les établissements, apparaît en effet indispensable, comme leur harmonisation au niveau national, pour gagner en efficacité et massifier les initiatives heureuses qui, ici et là, ont montré leur intérêt.

L’article 3 de la présente proposition de loi permettra également d’améliorer la prise en charge des victimes et des auteurs de harcèlement, en assurant une formation adéquate à l’ensemble des professionnels qui, au cours de leur activité professionnelle, peuvent être amenés à rencontrer ce type de situation : les personnels de l’éducation nationale, comme les personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs, qui sont en première ligne dans ce combat contre le harcèlement ; mais aussi, plus largement, l’ensemble du corps médical et paramédical, les assistants sociaux, les magistrats et les forces de l’ordre, qui pourront intervenir à des degrés divers dans le traitement des situations de harcèlement scolaire.

Prenant acte de l’évolution des formes de harcèlement à l’ère du numérique, la présente proposition de loi tend, par son article 7, à renforcer les obligations imposées aux acteurs de l’internet. Ses dispositions, qui ciblent en particulier les opérateurs de plateformes que sont les réseaux sociaux, visent à obliger les acteurs concernés à lutter contre les situations de harcèlement scolaire en permettant leur signalement par les utilisateurs et en les portant à la connaissance des pouvoirs publics.

Si l’article 7 de la présente proposition de loi mettra les plateformes les plus prisées des jeunes devant leurs responsabilités, il est clair que la lutte contre le cyberharcèlement devra également passer par une forme de responsabilisation des parents, qu’il s’agisse de protéger leur enfant ou d’empêcher toute utilisation nuisible des réseaux par ceux dont ils sont civilement responsables. En ce sens, la proposition de loi n° 4646 du président Bruno Studer visant à encourager l’usage du contrôle parental sur certains équipements et services vendus en France et permettant d’accéder à internet, bien qu’intervenant sur un sujet différent, est complémentaire de l’action que le rapporteur et la majorité souhaitent entreprendre à travers la présente proposition de loi.

C’est aussi le sens de l’article 4 de la proposition de loi, dont la portée doit être ici explicitée. L’intention du rapporteur et premier signataire de la présente proposition de loi est avant tout d’utiliser la fonction expressive du code pénal pour poser un interdit clair, susceptible de fonder une action pédagogique de prévention. Aujourd’hui, le harcèlement scolaire peut certes être appréhendé par le biais de l’infraction de harcèlement moral prévue par l’article 222-33-2-2 du code pénal, mais l’absence d’une qualification autonome prive d’une partie de son efficacité toute communication autour du harcèlement scolaire. L’article 4 a ainsi pour vocation première de rendre parfaitement explicites les contours de cette règle sociale.

Il permet aussi, de façon accessoire mais néanmoins importante, de rendre plus cohérente la répression du harcèlement moral en milieu scolaire ou universitaire par rapport aux autres formes de harcèlement moral déjà réprimées par le code pénal. Certes, les peines maximales sont rendues théoriquement plus élevées ; mais cela ne doit pas obérer les pouvoirs de personnalisation des peines dont le juge est doté, d’une part, et les règles d’atténuation de responsabilité dont bénéficient aujourd’hui les mineurs auteurs d’infractions pénales, d’autre part. Du reste, l’article 6 de la présente proposition de loi vise à créer, comme alternative aux poursuites et comme peine alternative à l’emprisonnement, un stage de responsabilisation à la vie scolaire, preuve que l’intention du législateur n’est pas ici fondamentalement répressive. L’ensemble des autres dispositions de la présente proposition de loi visent, au contraire, à ce que tout soit mis en œuvre pour que l’infraction ainsi créée ne soit pas utilisée.

 


—  1  —

   Principaux apports de la commission

 

Lors de sa réunion du mercredi 24 novembre 2021, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a adopté la présente proposition de loi en première lecture, en opérant les modifications suivantes.

À l’article 1er, outre des modifications rédactionnelles, la commission a adopté plusieurs amendements identiques tendant à préciser le champ des mesures que devront prendre les établissements pour lutter contre le harcèlement scolaire.

L’article 2 a été complété à l’initiative du rapporteur afin de permettre l’application de ses dispositions aux établissements privés sans contrat avec l’État.

À l’article 3, la formation initiale et continue a été étendue à l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, tandis que l’élaboration des lignes directrices du projet d’école ou d’établissement devra associer plus étroitement les personnels médico-sociaux des établissements d’enseignement scolaire. La commission a également adopté un amendement tendant à prévoir une information annuelle des parents d’élèves sur les risques liés au harcèlement scolaire et au cyberharcèlement.

L’infraction de harcèlement scolaire prévue à l’article 4 a été clarifiée pour tenir compte de la seule relation de l’auteur à la victime, sans considération de temps ou de lieu.

L’article 6 a fait l’objet d’une nouvelle rédaction visant à tirer les conséquences de l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs.

 


—  1  —

   commentaires des articles

TITRE IER
de la prÉvention des faits de harcÈlement scolaire et de la prise en charge des victimes

Article 1er
Droit à une scolarité sans harcèlement

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article inclut le droit à une scolarité sans harcèlement parmi les conditions d’exercice du droit à l’éducation et met à la charge des établissements d’enseignement publics et privés une obligation de moyens dans ce domaine.

I.   le droit existant

Introduit par l’article 5 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance au sein du titre Ier du livre V de la deuxième partie du code de l’éducation, relatif à la vie scolaire et aux droits et obligations des élèves, l’article L. 511-3-1 dispose qu’aucun « élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale ». Ce positionnement au sein du code de l’éducation exclut de facto les élèves de l’enseignement supérieur de la protection offerte par l’article L. 511-3-1, en même temps qu’il rattache la question du harcèlement à la simple « vie scolaire » et non au droit à l’éducation.

Par ailleurs, l’article L. 511-3-1 n’est pas applicable aux établissements d’enseignement privés. En effet, à la différence des articles L. 111-1 à L. 111-3 du code de l’éducation, l’article L. 511-3-1 n’est pas visé par l’article L. 442-20 du même code fixant la liste des dispositions s’imposant aux établissements privés sous contrat d’association avec l’État. Dès lors, la prévention et la répression du harcèlement scolaire dans ces établissements ne relèvent pas de la loi, mais des conventions conclues entre ces derniers et les services de l’État. De fait, ces objectifs ne font pas systématiquement l’objet de stipulations spécifiques au sein de ces contrats.

Sur le fond, l’article L. 511-3-1, en évoquant expressément la commission de faits de harcèlement « par d’autres élèves », semble exclure que de tels actes puissent être commis par d’autres membres de la communauté éducative. Or, il apparaît que des adultes appartenant à cette dernière peuvent se rendre coupables de harcèlement à l’égard d’élèves ou d’étudiants. Par ailleurs, les cas de harcèlement débutant ou se poursuivant après qu’un élève a quitté l’établissement ne sont pas davantage visés par le texte, dont la portée normative est de surcroît réduite par l’absence de référence aux procédures applicables en présence de faits de harcèlement. En effet, tout en énonçant le principe selon lequel aucun élève ne doit être victime de harcèlement durant sa scolarité, l’article ne comporte pas de référence particulière aux sanctions disciplinaires ou aux dispositions pénales qui définissent ces faits ainsi que les peines applicables à leurs auteurs.

Au vu de l’importance de l’objectif de lutte contre le harcèlement scolaire et universitaire, il paraît donc nécessaire d’intégrer le droit à une scolarité sans harcèlement aux garanties fondamentales du droit à l’éducation qui bénéficie à l’ensemble des élèves et des étudiants, indépendamment du statut juridique de l’établissement qu’ils fréquentent.

II.   les dispositions de la proposition de loi

1.   La consécration du droit à une scolarité sans harcèlement, composante du droit à l’éducation

● Le 1° du présent article crée un article L. 111-6 au sein du code de l’éducation, qui dispose qu’aucun élève ou étudiant ne doit subir de faits de harcèlement. Ceux-ci sont définis comme résultant de propos et de comportements commis au sein de l’établissement ou en marge de la vie scolaire ou universitaire, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité, à la santé physique ou mentale ou aux conditions d’apprentissage de la victime.

Le premier alinéa dudit article précise également que ces faits sont passibles des peines prévues à l’article 222-33-2-3 du code pénal, tel qu’il résulte de l’article 4 de la présente proposition de loi (cf. infra).

Par coordination, le 2° du présent article supprime l’article L. 511-3-1 du même code (cf. supra).

● La définition du harcèlement scolaire retenue par le nouvel article L. 111‑6 du code de l’éducation est à la fois plus large et plus précise que celle figurant aujourd’hui à l’article L. 511-3-1 du même code.

Elle est, tout d’abord, plus large quant à ses victimes comme à ses auteurs. En effet, le premier alinéa du nouvel article L. 111-6 désigne expressément les étudiants comme bénéficiaires de la protection contre le harcèlement au même titre que les élèves, dans le but de garantir de bonnes conditions d’apprentissage à toutes les étapes de la formation. Par ailleurs, il diffère de l’article L. 511-3-1 en ce qu’il n’identifie pas, de façon limitative, de catégorie d’agresseurs possibles. Sont ainsi concernés les faits de harcèlement commis par toute personne, et non plus uniquement ceux imputables à des élèves.

La définition du harcèlement scolaire, et de la protection associée, est également plus précise. Ainsi, les moyens qu’emploie l’agresseur – soit des « propos et des comportements » – caractérisent le harcèlement. Sont par ailleurs compris, au titre des circonstances dans lesquelles la protection contre le harcèlement a vocation à s’exercer, les prolongements de la vie scolaire ou universitaire hors des écoles et établissements d’enseignement.

● Le changement de point d’insertion de l’article relatif au harcèlement au sein du code de l’éducation emporte également certaines conséquences juridiques. En effet, le 1° du présent article tend à faire de la protection contre le harcèlement une des conditions d’exercice du droit à l’éducation, droit doté d’un fondement tant constitutionnel ([3]) que légal ([4]).

2.   Une obligation de moyens à la charge de l’ensemble des établissements

En conséquence, il appartiendra à l’ensemble des établissements d’enseignement publics comme privés, scolaires et supérieurs, visés par le code de l’éducation – y compris, donc, les établissements privés sous contrat ou les centres de formation des apprentis pour la partie théorique de la formation ([5]) – de prendre les mesures nécessaires au respect du droit à une scolarité sans harcèlement, composante du droit à l’éducation.

À cette fin, le deuxième alinéa de l’article L. 111-6 dont l’introduction est envisagée crée une obligation de moyens à la charge des établissements d’enseignement scolaire et supérieur, publics comme privés, en leur imposant de prendre les mesures appropriées pour lutter contre le harcèlement scolaire et universitaire.

III.   la position du rapporteur

Le présent article comporte plusieurs évolutions de première importance
– telles que l’extension du droit à une scolarité sans harcèlement à l’enseignement supérieur, mais également à l’enseignement privé, ainsi que la reconnaissance de possibles cas de harcèlement commis par des membres de la communauté
éducative – auxquelles le rapporteur ne peut qu’être favorable.

Il estime toutefois souhaitable de préciser les obligations à la charge des établissements en matière de prévention, de détection et de traitement des situations de harcèlement scolaire.

*

Article 2
Application du droit à une scolarité sans harcèlement au sein des établissements privés

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article, par coordination avec l’article 1er, vise à rendre expréssement applicable le droit à une scolarité sans harcèlement tel qu’il est prévu par l’article L. 111‑6 créé par l’article 1er de la présente proposition de loi aux établissements privés sous contrat.

I.   le droit existant

L’article L. 442-20 du code de l’éducation énumère les dispositions applicables aux établissements d’enseignement privés sous contrat d’association avec l’État, sans préjudice des règles spécifiques relatives à cette catégorie d’établissements définies au chapitre 2 du titre IV du livre IV du code de l’éducation. Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 442-20 précité prévoit notamment l’application aux établissements privés sous contrat des principes généraux définis aux articles L. 111-1, L. 111-2 et L. 111-3 du code de l’éducation, qui fixent les contours du droit à l’éducation.

En revanche, l’article L. 511-3-1 n’y est pas mentionné. Dès lors, la prévention et la répression du harcèlement scolaire au sein des établissements privés sous contrat d’association avec l’État relèvent non pas de la loi, mais des conventions conclues entre ces établissements et les services de l’État. Comme l’indique le rapporteur dans son rapport au Gouvernement sur le harcèlement scolaire, « il s’ensuit que les politiques de lutte contre le harcèlement et les violences scolaires mises en place au sein des établissements d’enseignement privé dépendent des priorités et des orientations que les chefs desdits établissements souhaitent instiguer. Si, en ce sens, le volontarisme de nombreux chefs d’établissement est évidemment à saluer, (…)  il peut sembler hasardeux, voire dangereux, de laisser échapper les actions de lutte menées contre le harcèlement scolaire au sein des établissements privés à toute politique publique nationale ainsi qu’à tout contrôle étatique » ([6]).

II.   les dispositions de la proposition de loi

Le présent article vise à compléter la liste prévue à l’article L. 442-20 du code précité en y intégrant l’article L. 111-6 dont la création est prévue par l’article 1er de la présente proposition de loi (cf. supra). Ainsi, les élèves des établissements privés sous contrat avec l’État bénéficieront de la garantie d’une scolarité sans harcèlement prévue par ledit article.

III.   la position du rapporteur

Même si l’article 1er de la présente proposition de loi inclut l’ensemble des établissements publics et privés, scolaires et supérieurs, il serait souhaitable, par coordination, de préciser que le droit à une scolarité sans harcèlement est pleinement applicable aux établissements dits « hors contrat », pour lesquels seul le droit à l’éducation défini à l’article L. 111‑1 du même code est aujourd’hui expressément appliqué.

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Article 3
Prise en charge des victimes de harcèlement scolaire et universitaire

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article tend à rendre obligatoire la formation de différentes catégories de professionnels – médecins, travailleurs sociaux, forces de l’ordre, magistrats, enseignants, etc. – à l’identification et à la prise en charge des victimes de harcèlement scolaire. Il prévoit aussi que le projet d’école ou d’établissement fixe les lignes directrices et les procédures destinées à prévenir et traiter les faits de harcèlement.

I.   les dispositions de la proposition de loi

La prise en charge des victimes de harcèlement scolaire ne possède pas de fondement spécifique dans le code de l’éducation. Le présent article vise à répondre à cette lacune par deux dispositions particulières : la première concerne la formation de tous les professionnels susceptibles d’avoir à connaître de tels faits dans l’exercice de leurs fonctions ; la seconde tend à formaliser la réponse des établissements à de tels faits. Le présent article introduit ainsi, au sein du code de l’éducation, à la suite du chapitre II du titre IV du livre V de la deuxième partie, un chapitre III consacré à la prise en charge des victimes de harcèlement scolaire, qui comporte deux nouveaux articles L. 543-1 et L. 543-2.

1.   La formation des professionnels à l’identification et à la prise en charge des victimes de harcèlement scolaire

Le premier alinéa de l’article L. 543-1 rend obligatoire la formation de certains professionnels à l’identification et à la prise en charge des victimes de harcèlement scolaire. Ainsi, l’ensemble des personnels médicaux et paramédicaux, les travailleurs sociaux, les magistrats, les forces de l’ordre, les personnels enseignants, les personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs bénéficieront, dans le cadre de leur formation initiale, d’actions de formation leur permettant d’identifier et d’assurer une première prise en charge des élèves victimes de harcèlement scolaire.

Le deuxième alinéa de l’article L. 543-1 prévoit de compléter la formation initiale de ces différentes catégories de professionnels d’une offre de formation continue s’adressant aux mêmes publics. Il s’agit ainsi d’assurer le maintien et l’actualisation des compétences des professionnels déjà formés et de favoriser leur acquisition par les professionnels n’ayant pu en bénéficier durant leur formation initiale.

Ainsi, l’ensemble des personnels se trouvant, à des titres différents, en contact avec les élèves – les personnels impliqués dans des activités pédagogiques ou d’animation, les acteurs médicaux et sociaux, les forces de l’ordre au stade du dépôt de plainte en particulier, ou encore les magistrats dans l’hypothèse où des procédures pénales seraient engagées –, susceptibles d’être témoins de situations de harcèlement et impliqués dans la protection des victimes, pourront bénéficier d’une formation leur permettant d’identifier et d’enclencher la prise en charge des victimes de harcèlement scolaire ou universitaire.

2.   L’inclusion de la prévention du harcèlement scolaire au sein des projets d’école ou d’établissement

Afin d’assurer la déclinaison de la lutte contre le harcèlement scolaire au sein de chaque établissement scolaire, l’article L. 543-2 prévoit que le projet d’école ou d’établissement comporte des lignes directrices et des procédures destinées à la prévention et au traitement des faits constitutifs de harcèlement scolaire au sens de l’article L. 222-33-2-3 du code pénal (cf. infra).

L’élaboration de ce projet est prévue par l’article L. 401-1 du code de l’éducation. Élaboré avec les représentants de la communauté éducative ([7]) et adopté par le conseil d’école ou le conseil d’administration de l’établissement, ce document définit les modalités particulières d’application des objectifs et des programmes nationaux. Il constitue à ce titre le cadre approprié à la déclinaison, dans chaque établissement, de la politique nationale de lutte contre le harcèlement scolaire.

Pour tenir compte de la spécificité de cet objectif, qui recouvre aussi bien des enjeux sanitaires et sociaux que pédagogiques, le deuxième alinéa de l’article L. 543-2 prévoit l’association des médecins, infirmiers et psychologues scolaires ou assistants sociaux à l’élaboration de ce projet.

II.   la position du rapporteur

Le rapporteur estime souhaitable d’étendre le champ de ces dispositions à la prévention des situations de harcèlement scolaire, d’une part, et à l’ensemble des personnels intervenant au sein des établissements scolaires, d’autre part.

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Titre II
AmÉlioration du traitement judiciaire des faits de harcÈlement scolaire et universitaire

Article 4
Délit de harcèlement scolaire et universitaire

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article crée un délit autonome de harcèlement scolaire et universitaire sanctionné d’une peine de 3 ans à 10 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros à 150 000 euros d’amende, selon la nature du préjudice causé à l’élève ou l’étudiant qui en est victime.

I.   le droit existant

1.   L’absence d’infraction autonome de harcèlement scolaire

À l’heure actuelle, le harcèlement scolaire ne fait pas l’objet d’une infraction spécifique au sein du code pénal. Cependant, de nombreuses qualifications peuvent trouver à s’appliquer à la palette des agissements employés par les auteurs de harcèlement, qu’il s’agisse des violences – qui sont réprimées y compris lorsqu’elles sont exclusivement psychologiques ([8]) –, des menaces, du chantage, de la provocation au suicide, de la diffamation, de l’injure, de l’outrage sexiste, de l’agression sexuelle, de la discrimination, des messages électroniques malveillants, des atteintes à la vie privée, etc.

Par ailleurs, le harcèlement scolaire peut aujourd’hui être appréhendé par l’infraction de harcèlement moral prévue par l’article 222‑33‑2-2 du code pénal. De fait, comme le rapporteur l’a souligné dans son rapport au Gouvernement précité, l’introduction de ce nouveau délit était motivée, en 2014, par la volonté de l’auteur de l’amendement qui en a été à l’origine de réprimer des formes de harcèlement échappant jusqu’alors à la répression, telles que le harcèlement scolaire et le cyber‑harcèlement ([9]).

En effet, il n’existait avant 2014 que trois incriminations spécifiques au harcèlement : le harcèlement sexuel ([10]), le harcèlement moral au travail ([11]) et le harcèlement moral au sein du couple ([12]). Aucune de ces infractions ne permettait de sanctionner le harcèlement moral dans un cadre scolaire. La loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a donc introduit un nouvel article 222-33-2-2 au sein du code pénal tendant à réprimer les faits de harcèlement moral commis en dehors des sphères professionnelle et conjugale.

Sur le modèle des infractions de harcèlement moral précitées, le premier alinéa de l’article 222-33-2-2 du code pénal dispose aujourd’hui que « le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail. »

Jugée complexe par la doctrine, l’infraction de harcèlement moral « général » se caractérise par la réunion de trois éléments matériels :

– la réitération de propos ou comportements ;

– ayant pour effet ou pour objet une dégradation des conditions de vie de la victime ;

– perceptible par le biais de l’altération de sa santé physique ou mentale.

En réalité, cette infraction comporte deux branches distinctes : d’une part, une infraction formelle – ne nécessitant pas la survenue d’un dommage – tendant à réprimer la volonté de l’auteur de dégrader les conditions de vie de la victime par ses propos ou comportements répétés, même s’ils n’ont pas eu de conséquence ; d’autre part, une infraction matérielle – nécessitant la survenue d’un dommage – visant à sanctionner l’auteur pour avoir causé, sans que cela soit nécessairement son but, une dégradation des conditions de vie de la victime. En tout état de cause, la rédaction retenue, telle qu’interprétée par la doctrine ([13]) à l’aune de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de harcèlement moral en lien avec le travail ([14]), ne rendrait pas obligatoire la survenue effective d’un préjudice pour constituer l’élément matériel de l’infraction.

L’élément moral de l’infraction apparaît plus complexe encore à appréhender : dans le cas où aucun dommage n’est survenu, il faudra apporter la preuve de l’intention de l’auteur, non seulement d’accomplir les actes litigieux, mais également de dégrader les conditions de vie de la victime en vue d’altérer sa santé physique ou mentale ; en revanche, dès lors qu’un préjudice est constaté, il suffira de démontrer le caractère intentionnel des seuls propos ou comportements répétés pour constituer l’infraction.

Pour mieux lutter contre les formes collectives de harcèlement, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a précisé que l’infraction était également constituée lorsque les propos ou comportements sont imposés à la victime par plusieurs personnes de manière concertée, alors qu’aucune d’entre elles n’a agi de façon répétée, mais également lorsque ces agissements sont imposés à la victime par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que les propos ou comportements en question caractérisent une répétition ([15]).

L’infraction définie par l’article 222-33-2-2 du code pénal est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende lorsqu’il en est résulté une incapacité totale de travail inférieure à huit jours ([16]) ou lorsqu’il n’en est résulté aucune. La peine est portée à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende lorsqu’une circonstance aggravante peut être appliquée, et à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende si les faits sont commis dans deux circonstances aggravantes.

L’infraction de harcèlement moral « général » est ainsi aggravée :

– à raison du préjudice subi : si les faits ont conduit à une incapacité totale de travail de plus de huit jours ;

– à raison de la qualité de la victime : s’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ou sur une personne particulièrement vulnérable ;

– à raison des moyens utilisés : s’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ;

– si un mineur était présent et y a assisté.

L’article 222-33-2-2 du code pénal

Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.

L’infraction est également constituée :

a) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;

b) Lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende :

1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;

2° Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ;

3° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;

4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ;

5° Lorsqu’un mineur était présent et y a assisté.

Les faits mentionnés aux premier à quatrième alinéas sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 5°.

2.   L’infraction de harcèlement moral inadaptée à la répression du harcèlement scolaire

La répression du harcèlement scolaire par le biais de l’infraction de harcèlement moral est rendue incohérente par le jeu de ces circonstances aggravantes. En effet, le quantum de la sanction dépendra de l’âge de la victime – en dessous de quinze ans, les peines seront doublées du fait de l’application d’une circonstance aggravante – et de l’auteur, compte tenu des règles d’atténuation de responsabilité dont bénéficient les mineurs – qui peuvent toutefois ne pas s’appliquer lorsque l’auteur a plus de seize ans. Ainsi, au sein d’une même classe, selon le mois de naissance de la victime et l’âge de l’auteur, ce dernier pourra être puni d’une peine allant de six mois ([17]) à trois ans d’emprisonnement ([18]), la distinction des circonstances appelant ces sanctions pouvant être extrêmement ténue dans les faits.

En outre, des faits identiques seront moins sanctionnés s’ils sont commis au sein d’un établissement scolaire que s’ils interviennent dans le cadre de communications électroniques, « distinction qui ne (…) semble pas véhiculer l’idée que les faits de harcèlement entre élèves ou imposés à un élève par un adulte de l’établissement sont tous constitutifs de harcèlement scolaire, [quel que soit] le lieu ou le moment de leur commission » ([19]).

Par ailleurs, la répression du harcèlement scolaire par le biais de l’infraction de harcèlement moral soulève plusieurs interrogations au regard du quantum applicable aux infractions de harcèlement moral dans un cadre professionnel ou conjugal. En effet, ces deux infractions, compte tenu de leurs quantums plus élevés, sont considérées comme plus graves que le harcèlement moral non circonstancié. Une telle différence peut se comprendre s’agissant d’environnements qui constituent le quotidien de la victime et dont il lui est ainsi difficile de s’extraire. Or il n’en va pas différemment du harcèlement scolaire, puisque l’élève ou l’étudiant victime continuera à fréquenter assidûment l’établissement dans lequel le harcèlement a lieu, celui-ci constituant de surcroît le centre de sa sociabilité. Dès lors, il apparaît incohérent de sanctionner de façon moindre le harcèlement moral dans le cadre scolaire par rapport au harcèlement moral dans un cadre professionnel ou conjugal.

Ainsi, compte tenu de l’architecture générale des infractions de harcèlement moral, l’infraction de harcèlement moral prévue par l’article 222-33-2-2 du code pénal ne paraît pas totalement adaptée à la répression des faits de harcèlement scolaire.

Quantum des peines applicables aux infractions de harcèlement moral

Infraction

Quantum de la peine

Harcèlement moral avec ITT inférieure ou égale à 8 jours

1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende

Harcèlement moral sur un mineur de quinze ans

Harcèlement moral au travail

2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende

Harcèlement moral sur un mineur de quinze ans avec une autre circonstance aggravante

Harcèlement moral conjugal avec ITT inférieure ou égale à 8 jours

3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende

Harcèlement moral conjugal avec ITT de plus de 8 jours

Harcèlement moral conjugal en présence d’un mineur

5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende

Harcèlement moral conjugal suivi d’un suicide ou d’une tentative de suicide

10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende

II.   les dispositions de la proposition de loi

Le présent article introduit au sein du code pénal, à la suite de l’article 222‑33-2-2 relatif au harcèlement moral, un nouvel article 222‑33‑2-3 tendant à sanctionner les faits de harcèlement moral commis dans un cadre scolaire ou universitaire.

Le premier alinéa de l’article 222-33-2-3 définit le harcèlement scolaire par référence à l’article 222-33-2-2. Ainsi, constituent des faits de harcèlement scolaire les faits définis au premier à quatrième alinéa de l’article 222-33-2-2 (cf. supra) du même code lorsqu’ils sont commis à l’encontre d’un élève ou d’un étudiant, dans deux cas de figure :

– soit dans un établissement d’enseignement ou d’éducation, soit lors des entrées et sorties des élèves et étudiants ou, dans un temps voisin de cellesci, aux abords de ces établissements, formulation reprise de la circonstance aggravante des violences prévue, notamment, par le 11° de l’article 222-13 du code pénal ;

– soit en toutes autres circonstances par d’autres élèves étudiant ou ayant étudié, à un moment donné, dans le même établissement que la victime, précision qui permet notamment d’incriminer les faits de harcèlement commis sur un élève par un ancien camarade, même s’ils ne sont plus dans le même établissement au moment de la commission des faits en raison du changement d’établissement de l’auteur ou de la victime.

Ainsi, alors que les contours du harcèlement dans un cadre professionnel ne sont pas définis par le code pénal – l’article 222-33-2 évoque seulement ses conséquences sur la « dégradation des conditions de travail » et sur « l’avenir professionnel » de la victime – et que le contexte du harcèlement conjugal est défini par la seule relation de la victime à l’auteur, le présent article définit de façon particulièrement précise le contexte pouvant donner lieu à une condamnation sur le fondement de cette nouvelle infraction.

L’élément matériel de cette nouvelle infraction, en partie définie par renvoi à l’infraction de harcèlement moral prévue à l’article 222-33-2-2, apparaît donc particulièrement complexe. Plusieurs éléments devront ainsi être réunis pour que l’infraction soit constituée :

1) Des propos ou comportements répétés, dont il importe peu qu’ils soient identiques ou différents,

2) ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale – l’infraction comprend donc deux branches, l’une matérielle et l’autre intentionnelle (cf. supra),

3) qu’ils soient imposés à la victime par une seule personne ou plusieurs personnes, en concertation ou à l’instigation de l’une d’entre elles, sans qu’aucune n’ait agi de façon répétée, ou qu’ils soient imposés successivement, même en l’absence de concertation, par plusieurs personnes qui savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition – le harcèlement collectif est ainsi incriminé,

4) commis à l’encontre d’une victime particulière : un élève ou un étudiant,

5) dans l’une des quatre circonstances géographiques ou spatio-temporelles particulières suivantes :

 – dans l’enceinte d’un établissement,

 – au moment des entrées et des sorties des élèves et des étudiants,

 – dans un temps très voisin de ces entrées et sorties, aux abords de l’établissement,

 – en toutes autres circonstances, par un autre élève ou étudiant fréquentant ou ayant fréquenté le même établissement que la victime.

Une lecture a contrario de cette dernière condition conduit à permettre la qualification de l’infraction pour toute autre personne – y compris, par exemple, un personnel de l’établissement – dans les trois premières circonstances.

Sur le modèle de l’infraction de harcèlement conjugal, le quantum de la peine prévue pour réprimer les faits de harcèlement scolaire varie en fonction du préjudice subi par la victime. Il est ainsi de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende si le harcèlement a causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours, ou lorsqu’il n’a entraîné aucune incapacité totale de travail, de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail de plus de huit jours, et de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende quand ils ont amené la victime à mettre fin à ses jours ou à tenter d’y mettre fin.

III.   la position du rapporteur

Le rapporteur estime que les quantums des peines prévues pour sanctionner le harcèlement scolaire sont rendus cohérents avec les infractions de harcèlement moral existantes, contribuant ainsi à fixer un cadre clair à l’action des pouvoirs publics. L’instauration d’un délit autonome participe quant à elle de la fonction expressive du code pénal et pourra servir de fondement à la pédagogie faite par l’ensemble des membres de la communauté éducative autour du harcèlement scolaire. Pour autant, si le renvoi à l’article 222-33-2-2 doit être conservé, le rapporteur estime possible de simplifier l’élément matériel supplémentaire exigé par cette nouvelle qualification, de façon à y inclure l’ensemble des situations qui caractérisent, à son sens, le harcèlement scolaire.

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Article 5
Enregistrement de l’audition du mineur victime de harcèlement dans le cadre d’une procédure pénale

Adopté par la commission sans modification

Le présent article vise à favoriser l’enregistrement de l’audition des mineurs victimes de harcèlement lors de l’enquête et de l’information judiciaire.

I.   le droit existant

L’article 706-52 du code de procédure pénale prévoit aujourd’hui que l’audition d’une victime mineure, au cours de l’enquête policière et de l’information judiciaire, fait obligatoirement l’objet d’un enregistrement audiovisuel dans le cas des infractions définies à l’article 706-47 du même code – meurtre, tortures, viol et agressions sexuelles, proxénétisme et traite des êtres humains, corruption de mineur, pédopornographie, etc. Cette disposition a pour but, s’agissant d’infractions d’une particulière gravité, d’éviter à la victime des témoignages ultérieurs portant sur les mêmes éléments, l’existence d’un enregistrement rendant même parfois inutile la confrontation avec l’auteur des faits.

Si l’infraction de harcèlement moral n’est pas mentionnée à l’article 706-47 du code de procédure pénale, aucune disposition ne fait toutefois obstacle à l’enregistrement de l’audition du mineur qui en serait victime. De fait, le guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes édité par la Chancellerie en septembre 2015 précise que « lorsqu’un mineur est victime d’une infraction non prévue à l’article 706‐47, l’enregistrement audiovisuel n’est pas obligatoire mais, aucun texte ne l’interdisant, il est souhaitable de recourir à cet enregistrement, notamment en cas de faits graves ou de mineurs très jeunes. Cet enregistrement audiovisuel peut également être opportun lorsque le mineur est témoin de faits graves. » ([20])

II.   les dispositions de la proposition de loi

Le présent article complète l’article 706-52 du code de procédure pénale pour favoriser le recours à l’enregistrement audiovisuel des auditions de mineurs victimes de harcèlement. Ainsi, dans le cas des infractions prévues aux articles 222-33-2-2 et 222-33-2-3 (nouveau) du code pénal, l’audition du mineur peut faire l’objet d’un enregistrement dans les conditions prévues par l’article 706‑52 précité.

III.   la position du rapporteur

Le rapporteur est favorable à l’adoption du présent article, dont il espère que les dispositions seront dûment relayées, par voie de circulaire, par les ministères concernés, afin de favoriser l’application effective de cette procédure.

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Article 6
Stage de responsabilisation à la vie scolaire

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article crée un stage de responsabilisation à la vie scolaire, mesure qui pourrait être prononcée soit par le procureur, comme alternative aux poursuites, soit par la juridiction de jugement, comme peine complémentaire ou alternative à un emprisonnement.

I.   le droit existant

Le code de procédure pénale comme le code pénal permettent le prononcé d’une mesure d’accomplissement d’un stage en lien avec l’infraction à différentes étapes de la procédure judiciaire : dans la phase de poursuite, comme alternative aux poursuites, et dans la phase de jugement, comme peine alternative ou complémentaire à l’emprisonnement.

● L’article 41-1 du code de procédure pénale permet au procureur de la République, avant d’engager des poursuites, de prendre des mesures alternatives aux poursuites, telles que le rappel à la loi, la demande faite à l’auteur des faits de régulariser sa situation ou de réparer le dommage, la mise en place d’une mission de médiation entre l’auteur et la victime, etc. Le 2° dudit article permet ainsi au procureur d’orienter l’auteur d’une infraction vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle en vue de l’accomplissement, aux frais de l’auteur, d’un stage ou d’une formation dans un service ou organisme sanitaire, social ou professionnel.

Le procureur peut notamment proposer à l’auteur l’accomplissement d’un stage de citoyenneté, d’un stage de responsabilité parentale, d’un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, d’un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, d’un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, d’un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ou encore d’un stage de sensibilisation à la sécurité routière.

La non-exécution de la mesure prescrite par le procureur du fait du comportement de l’auteur des faits conduit à l’engagement des poursuites ou à la mise en œuvre d’une procédure de composition pénale.

● L’article 131-5-1 du code pénal permet à la juridiction de jugement de prononcer, à la place ou en même temps qu’une peine d’emprisonnement, l’accomplissement, pendant un mois au plus, d’un stage dont elle précise la nature, les modalités et le contenu eu égard à la nature du délit et aux circonstances dans lesquelles il a été commis. Ce stage est effectué aux frais du condamné – sauf décision contraire de la juridiction – et doit être accompli dans les six mois suivant la condamnation définitive.

L’article précité énonce limitativement les stages que peut prononcer une juridiction : stage de citoyenneté, tendant à l’apprentissage des valeurs de la République et des devoirs du citoyen, stage de sensibilisation à la sécurité routière, stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants, stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes, stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, stage de responsabilité parentale, stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes.

II.   les dispositions de la proposition de loi

Le I du présent article complète l’article 131-5-1 du code pénal pour permettre à la juridiction de jugement de prononcer une mesure d’accomplissement d’un stage de responsabilisation à la vie scolaire comme peine correctionnelle complémentaire ou alternative à l’emprisonnement.

Le II du présent article complète le 2° de l’article 41-1 du code de procédure pénale afin de prévoir l’accomplissement, par l’auteur des faits, d’un stage de responsabilisation à la vie scolaire avant l’engagement des éventuelles poursuites.

III.   la position du rapporteur

Comme l’indique le rapporteur dans le rapport précité, « la création, sur l’ensemble du territoire français, d’un stage de responsabilisation à la vie scolaire permettrait une prise en charge adaptée des élèves auteurs de violences ou d’autres infractions liées au milieu scolaire, de manière uniforme, sans qu’il n’en soit remis à la discrétion des autorités éducatives et judiciaires » ([21]). En tant que mesure alternative aux poursuites, « ce stage représenterait une réponse coordonnée du chef d’établissement et du parquet compétent. L’auteur des violences serait pris en charge avec célérité, et serait ainsi davantage susceptible de mesurer la gravité de ses actes » ; en tant que peine correctionnelle, « ce stage permettrait aux magistrats de prononcer des condamnations pour des faits de harcèlement et de violences scolaires avec une sanction adaptée au profil des auteurs et à leur (ré)insertion au sein de la société » ([22]).

Plusieurs évolutions législatives majeures étant intervenues depuis la publication dudit rapport – en particulier la création du code de la justice pénale des mineurs –, le rapporteur estime nécessaire de procéder à l’actualisation des dispositions du présent article.

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Article 7
Lutte contre le harcèlement scolaire par les prestataires de services de communication au public en ligne

Adopté par la commission sans modification

Le présent article étend les obligations pesant sur les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs en matière de lutte contre les infractions de harcèlement sexuel, de pédopornographie et d’apologie du terrorisme à l’infraction de harcèlement scolaire et universitaire créée par l’article 4 de la présente proposition de loi. Ainsi, ces personnes devront mettre en place un dispositif de signalement accessible à toute personne et informer promptement les autorités compétentes des faits qui leur sont signalés. Les opérateurs de plateforme les plus importants seront en outre astreints à des obligations renforcées.

I.   le droit existant

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive sur le commerce électronique du 8 juin 2000 ([23]), fixe, à l’article 6, les conditions dans lesquelles la responsabilité des prestataires de services de communication au public en ligne, qu’ils soient fournisseurs d’accès à internet ou hébergeurs – soit les « personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne ([24]), le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » – peut être engagée à raison d’un contenu fourni par l’un de leurs utilisateurs.

Ainsi, les hébergeurs bénéficient d’un régime de responsabilité allégée et ne peuvent voir leur responsabilité civile ou pénale engagée s’ils n’avaient pas connaissance du caractère manifestement illicite du contenu en question ou s’ils ont agi promptement pour le retirer ou en rendre l’accès impossible dès qu’ils en ont eu connaissance.

La connaissance des faits litigieux est toutefois présumée lorsqu’une personne physique ou morale dûment identifiée leur indique la localisation du contenu litigieux et les motifs légaux pour lesquels ce contenu devrait être rendu inaccessible, en même temps qu’elle adresse à l’hébergeur une copie de la demande faite à l’auteur ou à l’éditeur du contenu de le retirer ou de le modifier.

En revanche, comme l’indique le 7 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 précitée, les fournisseurs d’accès à internet comme les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des informations qu’ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant une activité illicite. Ils doivent toutefois répondre aux demandes formulées par l’autorité judiciaire relatives à une surveillance ciblée et temporaire des informations qu’ils traitent mais également concourir à la lutte contre certaines infractions mentionnées par le troisième alinéa dudit 7 :

– certaines infractions de presse, notamment l’apologie d’atteintes à la vie ou aux biens, l’apologie des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de réduction en esclavage ou de collaboration avec l’ennemi, la provocation à la discrimination et à la haine à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap, la contestation d’un crime contre l’humanité ou d’un génocide, prévues par les cinquième, septième et huitième alinéas de l’article 24 et l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

– les infractions de harcèlement sexuel, de traite des êtres humains, de proxénétisme, de pédopornographie, de provocation ou d’apologie du terrorisme, prévues par les articles 222-33, 225-4-1, 225-5, 225-6, 227-23 et 227‑24 et 421-2‑5 du code pénal.

Pour concourir à la lutte contre la diffusion, par leurs services, de ces infractions, les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs doivent, d’une part, mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de contenus et rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre les activités illicites et, d’autre part, informer promptement les autorités publiques compétentes des activités illicites qui leur seraient signalées. Tout manquement à ces obligations est puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende.

Par ailleurs, s’agissant de ces mêmes infractions, les opérateurs de plateforme en ligne dont l’activité dépasse un certain seuil sont soumis, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, à des obligations renforcées de coopération, de modération et de transparence par l’article 6-4 de la loi du 21 juin 2004 précitée. Ils doivent notamment coopérer plus activement avec l’autorité administrative ou judiciaire, en désignant une personne physique chargée de la communication avec les autorités, en les informant dans les meilleurs délais des actions mises en œuvre à la suite de leurs injonctions et en conservant temporairement les contenus qui leur ont été signalés pour les besoins d’une éventuelle procédure pénale. Ils doivent également traiter en priorité les notifications de tiers de confiance et garantir le traitement, dans un prompt délai, des signalements qui leur sont faits.

II.   Les dispositions de la proposition de loi

Le présent article étend le champ des obligations reposant sur les fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs à l’infraction de harcèlement scolaire introduite par l’article 4 de la présente proposition de loi au sein du code pénal. Ainsi, ils seront dans l’obligation de traiter les signalements qui leur parviennent dans ce domaine et d’informer promptement les autorités publiques des faits de harcèlement scolaire qui leur seront signalés. Tout manquement à ces obligations sera également puni d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende. Par ricochet, le présent article étend également le champ de l’article 6‑4 de la loi du 21 juin 2004 précitée aux contenus constitutifs de harcèlement scolaire, renforçant ainsi les obligations des plateformes les plus importantes dans ce domaine.

III.   la position du rapporteur

Le rapporteur est favorable à l’adoption du présent article, qui permet de faire participer plus activement et plus efficacement les plateformes à la lutte contre le cyberharcèlement scolaire.

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TITRE III
dispositions diverses

Article 8
Gage

Adopté par la commission sans modification

Le présent article prévoit un gage tendant à assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi.

 


—  1  —

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 24 novembre 2021, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine la proposition de loi visant à combattre le harcèlement scolaire (n° 4658) ([25]).

 

I.   Discussion générale

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi n° 4658 visant à combattre le harcèlement scolaire, inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée le 1er décembre prochain. Nous avons désigné comme rapporteur son premier signataire, notre collègue Erwan Balanant, à qui je souhaite la bienvenue dans notre commission.

Lors de l’examen du projet de loi pour une école de la confiance, l’Assemblée avait adopté à votre initiative, monsieur le rapporteur, un amendement instituant le droit pour les enfants à une scolarité sans harcèlement. Une mission à ce sujet vous avait été confiée par le Premier ministre Édouard Philippe en novembre 2019. Le rapport, publié en octobre 2020 et riche de 120 propositions, avait donné lieu à votre audition ici même le 9 décembre dernier.

Compte tenu de la gravité et de l’actualité récurrente du sujet, aussi bien en milieu scolaire que dans l’enseignement supérieur, je me félicite que nous examinions cette proposition de loi cosignée par les groupes de la majorité, afin de donner force de loi aux propositions qui le nécessitaient.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Monsieur le président, merci de m’accueillir dans votre commission. Le texte que nous allons examiner est le volet législatif du rapport que j’étais en effet venu vous présenter.

Le harcèlement constitue, hélas, une forme répandue, ordinaire et quotidienne de violence au sein des établissements scolaires, publics comme privés. Environ 700 000 enfants sont victimes, chaque année, de harcèlement scolaire. C’est presque une classe d’âge entière qui subit au quotidien des comportements qui dégradent leurs conditions de vie. Comme l’actualité nous le rappelle régulièrement, le harcèlement scolaire tue ; de plus, ces drames absolus ne doivent pas nous faire oublier tous les autres enfants auxquels il fait perdre confiance en eux, en leurs camarades et en l’institution.

Certes, le phénomène n’est pas nouveau, mais il est nettement aggravé par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui offrent de nouvelles occasions et de nouveaux moyens de harceler en abolissant toute barrière physique entre les auteurs et les cibles de ces comportements. Les réseaux sociaux et les groupes de messagerie démultiplient la capacité des agresseurs à atteindre leurs victimes. Les effets de groupe, qui peuvent constituer un ressort puissant du harcèlement scolaire, sont également amplifiés par les modalités particulières du cyberharcèlement. Avec les réseaux sociaux, le harcèlement n’a plus de limite de temps ni de lieu.

Ce constat a d’ailleurs été amplifié par la crise sanitaire et le recours accru aux outils numériques comme moyen de communication entre jeunes et comme instrument pédagogique pour la continuité des enseignements. Plusieurs rapports récents, dont celui que j’ai remis au Gouvernement, celui de la mission d’information du Sénat sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ou encore celui de la Défenseure des droits, appellent à une meilleure prise en compte du harcèlement scolaire dans les politiques publiques.

La loi du 26 juillet 2009 pour une école de la confiance a donné, pour la première fois, une expression législative à la prise de conscience suscitée par le harcèlement scolaire. Ainsi, l’article L. 511-3-1 du code de l’éducation dispose désormais : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. »

Mais l’action des pouvoirs publics contre le harcèlement scolaire ne se limite certainement pas à l’adoption de lois. Elle se déploie, avant tout, par le travail quotidien des nombreuses parties prenantes au plus près des victimes, témoins et auteurs de ces agissements. Les actions engagées au cours de la dernière décennie ont été amplifiées et généralisées depuis quatre ans, en particulier grâce à l’ambitieux programme de lutte contre le harcèlement à l’école (PHARE) dans le cadre du plan Non au harcèlement.

Pour compléter et pérenniser les instruments de cette lutte, il est indispensable d’en inscrire les principaux objectifs et les modalités dans la loi. Nous devons assurer une meilleure prévention des situations qui portent atteinte à la confiance des enfants et des jeunes en eux-mêmes, dans les institutions scolaires et universitaires et, finalement, en la société.

C’est pourquoi cette proposition de loi vise, en premier lieu, à doter l’ensemble de la communauté éducative – élèves, enseignants, personnels d’encadrement, assistants sociaux, infirmiers, psychologues, médecins scolaires, parents d’élèves – des moyens de prévenir plus efficacement les situations de harcèlement scolaire.

 

L’article 1er de la présente proposition de loi a une double portée, symbolique et juridique, particulièrement forte. Il fait d’abord du droit à une scolarité sans harcèlement une composante du droit à l’éducation et l’étend à l’enseignement privé et à l’enseignement supérieur. Il offre une protection aux élèves et aux étudiants victimes d’actes répréhensibles commis non seulement par leurs pairs, mais également par toute personne intervenant dans le cadre scolaire et universitaire. En renvoyant au code pénal, il sert également de fondement à une pédagogie plus concrète de la part des personnels enseignants et d’encadrement : ces derniers vont pouvoir se référer à des dispositions spécifiques de notre droit pénal, qui définiront un interdit clair.

Plus encore, il crée une obligation de moyens à la charge des établissements d’enseignement. Ces derniers devront prendre toutes les mesures appropriées afin de lutter contre le harcèlement moral dans le cadre scolaire et universitaire. Ces dispositions accompagneront le déploiement dans nos écoles du programme PHARE, généralisé depuis la rentrée 2021 après une phase d’expérimentation dans six académies.

Il s’agira d’abord d’améliorer la prévention des situations problématiques par la formation des personnels, la sensibilisation des élèves et de leurs parents, mais aussi par la mesure du climat scolaire, dont la dégradation va souvent de pair avec celle des rapports entre élèves. Les établissements pourront ainsi détecter plus rapidement les cas de harcèlement, afin d’apporter une réponse appropriée pour protéger au mieux la victime et prévenir la réitération de ces comportements individuels ou collectifs. Les personnels seront enfin en mesure de mieux orienter les victimes, les auteurs et leurs parents vers les structures appropriées, lorsqu’il devient nécessaire de faire intervenir d’autres professionnels.

Dans cette perspective, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que le projet d’école ou d’établissement fixe les lignes directrices et les procédures destinées à prévenir et à traiter les situations de harcèlement scolaire. La formalisation de la réponse de l’établissement, qui associera médecins, infirmières, assistants sociaux et psychologues intervenant dans les établissements, apparaît indispensable. Leur harmonisation au niveau national est également nécessaire pour gagner en efficacité et massifier les initiatives heureuses qui, ici et là, ont montré tout leur intérêt.

L’article 3 permet également d’améliorer la prise en charge des victimes et des auteurs de harcèlement, en assurant une formation adéquate pour l’ensemble des professionnels qui peuvent être amenés à rencontrer ce type de situation : les personnels de l’éducation nationale, comme les personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs, qui sont en première ligne dans ce combat contre le harcèlement, mais aussi, plus largement, l’ensemble du corps médical et paramédical, les assistants sociaux, les magistrats et les forces de l’ordre. Car tous peuvent être amenés à intervenir, à des degrés divers, dans le traitement des situations de harcèlement scolaire.

Face à l’évolution des formes de harcèlement scolaire à l’ère du numérique, l’article 7 renforce les obligations imposées aux acteurs d’internet. Ses dispositions ciblent en particulier les réseaux sociaux. Elles visent à obliger les plateformes les plus prisées des jeunes à lutter contre les situations de harcèlement scolaire. En permettant leur signalement par les utilisateurs et en les portant à la connaissance des pouvoirs publics, il les mettra devant leurs responsabilités.

La lutte contre le cyberharcèlement nécessite aussi la responsabilisation des parents, qu’il s’agisse de protéger leurs enfants ou d’empêcher toute utilisation nuisible des réseaux par ceux qui sont civilement responsables. En ce sens, la proposition de loi n° 4646 du président de votre commission, visant à encourager l’usage du contrôle parental, est parfaitement complémentaire de l’action que nous souhaitons entreprendre au moyen de la présente proposition de loi.

C’est aussi le sens de l’article 4, dont je tiens à expliciter la portée. Je souhaite avant tout utiliser la fonction expressive du code pénal pour poser un interdit clair, capable de fonder une action pédagogique de prévention. Le harcèlement scolaire peut, certes, être appréhendé par le biais de l’infraction de harcèlement moral prévu par l’article 222-33-2-2 du code pénal, mais l’absence d’une qualification autonome prive d’une partie de son efficacité toute communication au sujet du harcèlement scolaire. L’article 4 a ainsi pour vocation première de rendre parfaitement explicites les contours de cette règle sociale.

Il permet aussi de rendre plus cohérente la répression du harcèlement moral en milieu scolaire ou universitaire par rapport à d’autres formes de harcèlement moral déjà réprimées par le code pénal. Certes, les peines maximales sont rendues théoriquement plus élevées, mais elles n’ont pas vocation à être appliquées. Si elles doivent l’être, c’est que tout le reste a échoué. Or je souhaite que tout le reste fonctionne.

Nous partageons tous, comme membres de la représentation nationale, une responsabilité particulière dans la lutte contre les différentes formes de violence. Car la violence dont tant d’élèves et d’étudiants sont victimes n’est pas sans rapport avec l’état de notre société fragmentée, dont les conflits internes s’expriment d’une façon toujours plus agressive et plus aiguë, y compris, parfois, sur nos bancs. Notre école et nos enfants sont l’avenir de notre pays. Gardons-nous d’oublier qu’ils en sont aussi le miroir.

Je remercie l’ensemble de la majorité qui a œuvré pour que ce texte voie le jour.

Mme Zivka Park (LaREM). Merci de m’accueillir au sein de votre commission.

Depuis le début du quinquennat, la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement est l’une des priorités du Gouvernement, de la majorité et de nombreux collègues ici présents. L’éducation nationale s’est emparée du sujet pour combattre ce phénomène d’ampleur, notamment par la généralisation du programme PHARE. De nombreuses mesures ont déjà été prises afin de faciliter le signalement des cas et en améliorer la détection, de sensibiliser les membres de la communauté éducative au harcèlement scolaire et de mieux prendre en charge les victimes.

Certains pourront nous dire que tout a déjà été fait en la matière. Oui, beaucoup d’établissements ont progressé dans la lutte contre le harcèlement. Oui, aujourd’hui mieux qu’hier, le corps enseignant et toute la communauté éducative peuvent réagir à ce danger qui nous guette. Cependant, désormais, par l’utilisation permanente des nouvelles technologies de communication, le téléphone ou les réseaux sociaux, le harcèlement entre élèves se poursuit en dehors de l’école, rendant plus complexe l’appréhension du phénomène. Je salue à cette occasion les travaux menés par notre collègue Laetitia Avia sur le cyberharcèlement.

Les récentes tragédies qui ont endeuillé de nombreuses familles, le suicide de Dinah, 14 ans, dans le Haut-Rhin, l’assassinat d’Alisha, 14 ans, dans le Val‑d’Oise, le suicide de Thybault, 12 ans, dans l’Essonne, et de nombreux visages d’enfants nous imposent de continuer ce combat. Nous devons agir pour les enfants qui n’ont pas les moyens de surmonter les violences quotidiennes dont ils sont victimes, qui sont aussi victimes, trop souvent, d’un phénomène de meute, et agir pour des parents qui culpabilisent de ne pas voir leurs enfants souffrir en silence alors que la société dans son ensemble doit se remettre en question. Car tout ce que nous ne gérons pas à l’école et dans la vie de nos enfants, la société le paiera plus tard et bien plus cher. Nous, parents, avons un rôle essentiel à jouer.

Le harcèlement scolaire a une incidence profonde sur la santé mentale et physique des enfants et des jeunes victimes qui ne voient pas d’issue à la pression, à la peur, à la honte et à l’humiliation qu’ils ressentent. Il entraîne le décrochage scolaire, des phobies sociales, des troubles du sommeil et de l’alimentation, des troubles anxieux généralisés ou encore des dépressions.

Plus que des normes, plus que des circulaires, ce texte invite à une prise de conscience collective pour lutter contre ce fléau. Il permet aussi, et j’en remercie le rapporteur, d’avoir un nouveau débat sur ce sujet et de faire des propositions.

L’école, lieu d’apprentissage et de socialisation, ne doit pas se transformer en lieu de souffrance. Nos enfants doivent pouvoir aller à l’école sans avoir la peur au ventre. Une fois rentrés à la maison, ils doivent se sentir en sécurité chez eux sans être traqués et piégés jusque dans leur propre chambre.

Dans la continuité du combat mené depuis 2017, la proposition de loi vise un double objectif. D’une part, son volet préventif tend à étendre le droit à une scolarité sans harcèlement et à améliorer la prévention, la détection des cas et la prise en charge des victimes. À ce sujet, il faut saluer le travail formidable réalisé par les associations en matière de sensibilisation et de prise en charge des victimes, car une société civile forte, c’est une société qui trouve des solutions en son sein. D’autre part, elle vise la consécration d’un volet pénal destiné à améliorer le traitement judiciaire des faits de harcèlement scolaire, notamment par la création d’un délit autonome punissant le harcèlement scolaire. Oui, tout le monde doit comprendre que le harcèlement est puni par la loi. Oui, il faut poser cet interdit. Car, oui, le harcèlement scolaire tue.

À titre personnel, je considère que le débat doit être l’occasion de discuter des mesures à prendre s’agissant des conditions d’accès aux réseaux sociaux de nos enfants, voire d’interdire cet accès dans certains cas bien spécifiques.

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Le harcèlement scolaire est un fléau à combattre. Les statistiques sont inquiétantes : plus d’un jeune Français sur dix subirait une forme de harcèlement scolaire, soit plus de 750 000 enfants chaque année. Le législateur se doit de réagir et de s’emparer du sujet. Trop de jeunes mettent fin à leurs jours à cause d’une situation de harcèlement scolaire ; ces faits divers effroyables doivent cesser.

Le harcèlement scolaire se caractérise par la violence et des agressions régulières, qu’elles soient verbales, physiques ou psychologiques. Les enfants sont insultés, bousculés, menacés, battus ou injuriés. Cette réalité insoutenable n’a pas sa place au sein de l’école de la République. Le texte que nous étudions est, à ce titre, bienvenu et attendu.

Il y a un peu plus de trois ans, j’avais déposé une proposition de loi relative au harcèlement scolaire, qui visait déjà à mieux combattre ce fléau. Elle appelait l’attention sur ce phénomène préoccupant en créant dans le code pénal un article autonome dédié au harcèlement scolaire, dont une définition légale était proposée. C’était la première fois au cours de cette législature que la question du harcèlement scolaire était abordée. Je tiens à saluer l’implication de l’association Harassers U GO ! (HUGO !), avec laquelle j’avais travaillé. Depuis, quatre autres initiatives législatives ont vu le jour sur ce sujet, émanant de différents groupes parlementaires. Cela montre le consensus qui existe au sein de la représentation nationale face à la nécessité de légiférer.

Je tiens à saluer la création d’un article spécifique au sein du code pénal. Cette mesure, que je soutiens de longue date, représente une évolution attendue afin que le harcèlement scolaire soit considéré comme une infraction pénale reconnue comme telle par la société. En effet, ce n’est que lorsque la loi sanctionnera spécifiquement ce phénomène qu’il pourra être vraiment identifié et nommé par la société et que les consciences seront ainsi éveillées.

Je souscris pleinement à la création du stage de responsabilisation à la vie scolaire que je proposais également, mais je m’inquiète qu’il ne soit pas systématiquement prescrit pour les auteurs de harcèlement scolaire. J’ai donc proposé un amendement d’appel sur ce point.

Bien que le texte soit perfectible, le groupe Les Républicains le votera. Au vu de l’importance des enjeux de la lutte contre le harcèlement scolaire, une telle proposition de loi ne peut que recueillir l’unanimité.

Mme Blandine Brocard (Dem). Enfin ! Enfin, nous abordons en tant que tel le sujet fondamental de la lutte contre le harcèlement scolaire. Alors que ce phénomène constitue un fléau pour notre société tout entière, il est grand temps que le législateur se saisisse du problème en créant, entre autres, un interdit clair et précis.

Au cours de mon mandat – en réalité, cela a commencé bien avant –, pas une année scolaire ne s’est écoulée sans l’annonce d’une terrible affaire dans des établissements de ma circonscription, sans qu’un parent ne me fasse part de son désarroi profond et de celui de son enfant ou sans qu’un enseignant ou un responsable d’établissement ne se dise démuni face à ce phénomène.

Il a été rappelé qu’environ 700 000 élèves par an sont touchés par le harcèlement scolaire. De l’école primaire aux études supérieures, nombreux sont les enfants, adolescents ou jeunes adultes de notre pays qui sont ou ont été témoins ou victimes de harcèlement. Ce chiffre est considérable, d’autant que les victimes en portent souvent les stigmates des années durant. La reconstruction est particulièrement difficile pour certains, qui peuvent être conduits à commettre l’irréparable.

Notre majorité s’est emparée du sujet dès le début du quinquennat en adoptant un texte visant à lutter contre la haine en ligne ; nous ne pouvions terminer la législature sans traiter de ce phénomène qui sévit dans tous nos établissements scolaires. Nos enfants sont les plus vulnérables et il nous incombe de les protéger.

Je tiens à vous remercier sincèrement, monsieur le rapporteur, pour votre implication sans faille et votre travail sur un sujet qui importe aux parlementaires siégeant sur tous les bancs. Votre engagement était déterminant et je me réjouis que les recommandations formulées dans votre rapport au Gouvernement trouvent toute leur place dans ce texte.

La proposition de loi tend donc à créer de nouveaux dispositifs de renforcement et d’amélioration de la lutte contre le harcèlement scolaire. En définissant clairement le harcèlement et en créant une obligation d’action pour l’éducation nationale, nous sensibilisons davantage, incitons et contribuons à l’accompagnement des enseignants et de la communauté éducative pour faire face au phénomène. De fait, les enseignants et les autres personnels éducatifs sont trop souvent démunis pour lutter contre le harcèlement scolaire.

En créant un délit de harcèlement scolaire, nous mettons en accord le droit pénal avec les situations vécues par nos enfants tout au long de leur scolarité. Qu’il soit commis lors des études supérieures ou avant, le harcèlement scolaire devient un délit autonome, ce qui met tous les acteurs de l’éducation, personnels et élèves, en situation de responsabilité. La création de ce délit autonome, qui doit être puni comme tel, permet une véritable prise de conscience de la gravité des faits.

Il nous faudra toutefois aller plus loin dans la prise en charge des élèves victimes de harcèlement scolaire et de leur famille, pour qui la reconstruction nécessite un accompagnement souvent trop coûteux. Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés soutiendra, aux côtés des autres groupes de la majorité, un amendement visant à évaluer les conditions de couverture des frais de consultation et de soin engagés par les victimes de faits de harcèlement auprès de psychiatres ou de psychologues.

Vous l’aurez compris, notre groupe votera résolument en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, dont nos enfants ont besoin pour étudier et grandir sereinement.

Mme Michèle Victory (SOC). La lutte contre le harcèlement scolaire dépasse les clivages politiques et notre mobilisation contre ce fléau pour protéger nos enfants doit être une préoccupation commune. Le harcèlement à l’école peut concerner chaque enfant, qu’il en soit l’auteur ou la victime, quels que soient son âge, son sexe, son environnement et son éducation.

Tous les gouvernements successifs ont présenté des plans de lutte contre ces violences, mais les réseaux sociaux amplifient et transforment le phénomène, qui, désormais, apparaît ou se prolonge en dehors de l’école, ce qui rend le calvaire des victimes interminable. Nous avons trop souvent été témoins, ces dernières années, et encore récemment, de drames qui ont suscité légitimement l’émotion.

Mais n’oublions pas que le harcèlement dit beaucoup du climat scolaire dans sa globalité. Il peut en être la conséquence ou l’affecter considérablement et, à ce titre, concerne l’ensemble de la communauté éducative. Le harcèlement scolaire va bien sûr au-delà des disputes entre jeunes élèves qui peuvent être désamorcées rapidement dès lors que les personnels des établissements sont formés. C’est pourquoi la lutte contre le harcèlement suppose de rétablir un climat scolaire parfois dégradé, en redonnant de la considération aux enseignants, en améliorant les conditions dans lesquelles les élèves grandissent, en imaginant des actions de sensibilisation dès l’école primaire, en lien avec le collège, et en donnant à la communauté éducative des moyens à la hauteur de son investissement.

Parce que l’école est le lieu du collectif, l’effet de groupe doit être pris en compte dans les dispositifs instaurés, tels que le programme PHARE. Il faut mettre fin au consentement silencieux des témoins passifs sans lequel le harceleur ne pourrait devenir un bourreau ou le héros d’un jour, former les sentinelles et les référents qui repèrent et mettent à l’abri les victimes potentielles et créer les conditions d’une libération de la parole des victimes et d’une prise de conscience de la gravité des actes commis par le harceleur. Tout cela relève de la prévention.

Si la proposition de loi, résultat d’un travail engagé de votre part, monsieur le rapporteur, devrait recueillir l’unanimité en raison de ses objectifs, elle ne saurait nous satisfaire pleinement. La création d’une infraction autonome à l’article 4, assortie de sanctions lourdes, n’est pas une réponse adaptée au harcèlement scolaire, déjà fort heureusement réprimé par la loi. Sans dédouaner les harceleurs, qui commettent des faits odieux, il nous faut comprendre les mécanismes qui régissent de tels rapports de domination et croire à l’éducabilité de nos jeunes.

Non seulement nous ne sommes pas favorables à une criminalisation des mineurs et à une augmentation de la répression, mais nous craignons que l’inscription dans le même texte de procédures à l’encontre d’adultes crée de la confusion. S’il est le fait d’enseignants ou d’autres adultes, le harcèlement est un délit grave qui doit être puni, ce que permet la loi. N’oublions pas que le fait pour un enseignant de ne pas dépister des symptômes de harcèlement au sein d’une classe perturbée, dans un climat scolaire problématique, est moins souvent la marque d’une complicité que celle d’une difficulté à voir et à comprendre. Cela nécessite aussi une véritable formation.

À l’article 7, si nous souscrivons à l’obligation de lutte contre le harcèlement scolaire imposée aux plateformes et aux fournisseurs d’accès, nous doutons de son opérabilité à défaut de contraintes supplémentaires.

Nous regrettons l’absence de prise en compte de l’ensemble de la communauté éducative et des parents dans les formations initiale et continue, de mesures visant à lutter contre les violences spécifiques contre les filles, comme le sexting, de moyens accordés aux personnels éducatifs et de santé scolaire, dont nous ne cessons de déplorer la pénurie. Comment prétendre associer les personnels de santé quand nous savons tous qu’ils sont devenus trop rares et trop surchargés de travail pour intervenir dans des dispositifs aussi lourds ? Nous regrettons, enfin, l’absence de prise en charge spécifique des victimes. Combien d’entre elles se sont retrouvées face aux auteurs lors de confrontations précoces qui traduisaient le manque de formation des adultes ? Ce point est d’ailleurs relevé dans le rapport de la Défenseure des droits.

Le législateur ne peut pas tout et nous devons nous garder de promulguer des lois d’émotion. Au-delà des bonnes intentions, cette proposition risque de ne pas apporter des solutions adaptées. Nous nous abstiendrons lors de son vote.

M. Benoit Potterie (Agir ens). « Ne t’inquiète pas, la prochaine fois, c’est la bonne. » Ces mots ont été prononcés par le camarade de classe d’une adolescente après sa première tentative de suicide. La jeune Dinah a mis fin à ses jours quelques mois plus tard parce que le harcèlement qu’elle subissait n’était plus supportable. Sa tragique histoire a été relayée par les médias, mais derrière les cas médiatisés se cachent des centaines de milliers de situations intolérables.

D’après le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), en France, plus de 700 000 élèves sont victimes de harcèlement scolaire et près d’un adolescent harcelé sur dix a déjà pensé à se suicider. Lorsqu’ils ne commettent pas l’irréparable, de nombreux adolescents harcelés en subissent pendant des années, parfois même durant toute leur vie, des séquelles psychologiques, mais aussi physiques. C’est le cas du jeune Hazerka, qui a perdu l’usage complet de sa main gauche après avoir été brutalisé par des camarades haineux.

Le cœur du problème, donc des solutions, se trouve à l’école. Elle est le premier remède à la violence, parce qu’en plus des savoirs, on y apprend le civisme et la citoyenneté.

Face à la gravité des faits et à l’urgence d’aider l’école à assurer cette mission, le groupe Agir ensemble se réjouit de l’inscription à notre ordre du jour de la proposition de loi particulièrement bienvenue qui nous est soumise.

Ses trois premiers articles font du droit à une scolarité sans harcèlement une composante du droit à l’éducation. Concrètement, le texte crée une obligation de moyens pour les établissements d’enseignement, ce qui passe notamment par la formation des personnels. L’enjeu est fondamental : selon un rapport sénatorial, deux tiers des enseignants s’estiment mal armés et mal formés face au harcèlement.

Les mesures figurant dans ces articles sont complémentaires du programme PHARE instauré par le Gouvernement et prévoyant notamment la nomination de référents chargés de piloter le dispositif de lutte contre le harcèlement à l’école. Le groupe Agir ensemble aurait souhaité compléter ce point en imposant la désignation d’un référent parmi le personnel de chaque établissement, assortie d’un temps de décharge lui permettant d’assurer des permanences d’accueil des victimes, d’échanger avec les parents et d’intervenir dans les classes pour réaliser des actions de prévention. Nous regrettons que notre amendement n’ait pas été jugé recevable en vertu de l’article 40 ; nous déposerons un amendement d’appel en vue de la séance publique, parce que le débat mérite d’avoir lieu.

Les articles 4 à 6 complètent le dispositif en proposant une amélioration du traitement judiciaire des faits de harcèlement. Le texte renforce les peines, réforme la prise en charge des plaintes et inclut pour les auteurs de harcèlement des actions de sensibilisation en complément des peines.

Enfin, la proposition de loi vise à remédier au fléau du cyberharcèlement, qui entraîne un déferlement de violence et à cause duquel les victimes n’ont plus aucun répit. L’article 7 renforce ainsi les obligations imposées aux réseaux sociaux. Les plateformes devront permettre le signalement de contenus prohibés. Sur ce point, ce texte est complémentaire de la proposition de loi Studer visant à encourager l’usage du contrôle parental. La régulation des plateformes est un sujet difficile et technique, mais fondamental ; en la matière, nous sommes très en phase avec le texte.

Tout en soutenant résolument la proposition de loi, nous souhaiterions la compléter afin de mieux prendre en compte la souffrance des victimes, y compris à l’issue des faits. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement relatif à la prise en charge du suivi psychologique pour les enfants victimes de harcèlement. Nous défendrons enfin un amendement tendant à faire de la lutte contre le harcèlement une grande cause nationale, car, au-delà du symbole, ce label implique des facilités de subventionnement pour les associations œuvrant dans le domaine concerné.

Vous l’aurez compris, nous voterons la proposition de loi.

Mme Agnès Thill (UDI-I). Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre engagement contre le harcèlement scolaire, qui conduit à l’examen de la présente proposition de loi après la généralisation, à la rentrée 2021, du dispositif PHARE par le ministère de l’éducation nationale et l’annonce par le Président de la République de plusieurs mesures destinées à lutter contre la prolifération du harcèlement scolaire.

Alors que plus de 800 000 élèves sont harcelés chaque année, on peut regretter le caractère tardif de ces annonces. Mais les mots employés sont justes s’agissant d’un sujet complexe, à propos duquel il importe de dépasser les clichés afin d’être à l’écoute du mal-être profond de certains de nos jeunes. Quelles seront les conséquences de ces mesures sur votre texte ? Des ajouts ministériels y seront‑ils insérés ?

La complexité du sujet vous a conduit à donner du harcèlement scolaire une définition large tout en restant très précis s’agissant des caractéristiques de la constitution de faits passibles de sanctions pénales. Sans me prétendre aussi experte que nos collègues de la commission des lois, je m’interroge sur la portée d’une telle rédaction. Ne vaudraitil pas mieux une définition plus abstraite, afin de permettre au juge d’intervenir correctement dans toutes les situations relevant du harcèlement scolaire ?

De même, si graves que soient les faits de harcèlement et si désastreuses leurs conséquences pour la santé ou même la vie de l’élève, la sévérité des peines, par comparaison avec le droit existant en matière de harcèlement moral, suscite des interrogations. Nous y reviendrons dans la discussion, mais peut-être avez-vous des précisions à nous apporter ? Quand les punitions sont trop sévères, elles ne sont pas appliquées.

Si je formule ces questionnements sur le volet pénal, c’est parce qu’à mon sens, la lutte contre le harcèlement scolaire doit être avant tout une question de prévention. Les chiffres montrent qu’une grande partie du harcèlement se produit à l’école primaire et au collège, c’est-à-dire, dans la majorité des cas, entre enfants. Il paraît donc nécessaire d’agir pour changer les mentalités des enfants et les éduquer au risque que représente le harcèlement scolaire, mais aussi auprès des professeurs et du personnel encadrant. Nombreux sont les enseignants agissant au quotidien pour prévenir les harcèlements dont ils peuvent être témoins, mais certains pensent encore que le phénomène n’existe pas dans leur école ou en réduisent l’expression à de saines moqueries entre enfants, qui forgent leur caractère.

Si l’article 3 parle très justement de formation, il faut donc surtout briser un tabou dans l’éducation nationale : oui, il y a du harcèlement dans les établissements, et même dans une très grande majorité des classes. Pour aider les écoles et établissements, il serait intéressant de distribuer aux élèves un questionnaire anonyme pour recenser les situations, présenter des chiffres aux conseils d’école et d’administration et en tirer les conséquences. En outre, ouvrir une discussion entre les directeurs d’établissement et les différents acteurs des territoires – maires, services sociaux, forces de l’ordre – pourrait être utile à la prévention et à la compréhension des situations.

Enfin, je ne peux pas ne pas dire un mot sur le manque de psychologues scolaires, dont les conséquences sont désastreuses. Il faut y remédier en gardant en tête cette idée très simple : chaque élève harcelé doit savoir qu’il existe une porte à laquelle il peut frapper pour trouver de l’aide.

Sur ce vaste sujet, les députés UDI et indépendants soutiendront toutes les mesures allant dans le bon sens et espèrent que nos débats permettront d’enrichir le texte.

Mme Stéphanie Kerbarh (LT). Parce que l’école forme les citoyens de demain, l’attention que nous prêtons à ce qui s’y passe doit être maximale, surtout en matière de violence et de harcèlement. Monsieur le rapporteur, vous poursuivez le travail engagé dans le cadre de votre mission parlementaire et vous nous fournissez l’occasion d’aborder un phénomène malheureusement trop répandu et difficile à combattre.

Comme toutes les formes de harcèlement, le harcèlement scolaire est insidieux et place la victime dans une position d’isolement et d’extrême fragilité qui l’empêche de sortir du cycle infernal de la violence. Dès lors, la priorité est de mieux armer les établissements scolaires pour prévenir, détecter, signaler ces comportements et y mettre fin.

De ce point de vue, les articles relatifs à l’obligation pour les établissements de définir un protocole de prise en charge au sein du projet d’établissement et à l’obligation de protection par les établissements scolaires privés sont intéressants.

Il est également important d’élargir la définition du harcèlement scolaire en ciblant les étudiants, qui peuvent eux aussi en être victimes, et les personnes majeures, qui peuvent également être harceleurs. J’ai compris que vous nous proposeriez des mesures d’amélioration et de précision de ces dispositifs, notamment concernant les obligations qui pèsent sur les établissements. Cela nous paraît d’autant plus indispensable que nous nous interrogeons sur l’articulation des dispositions du texte avec le programme PHARE lancé dans tous les établissements depuis la dernière rentrée. Peut-être nous en direz-vous davantage à ce sujet ?

Au-delà des questions de formation et de sensibilisation abordées par la proposition de loi, l’enjeu est celui des moyens. Or la situation de la médecine scolaire, notamment des psychologues, n’est pas de nature à nous rassurer quant à la capacité des établissements à jouer leur rôle d’écoute, de prévention et d’accompagnement.

Par ailleurs, le harcèlement scolaire se prolonge au-delà de l’école, sur internet et les réseaux sociaux, qui offrent une énorme caisse de résonance aux actes d’intimidation et de violence. Or la proposition de loi ne comporte qu’un article à ce sujet, relatif à la modération des contenus.

Enfin, il faut rompre avec la croyance, trop longtemps répandue, selon laquelle le harcèlement scolaire serait anodin comme avec celle, pire encore, selon laquelle l’élève victime porterait en lui la source et l’explication de son harcèlement. C’est pourquoi il nous semble important de ne pas inscrire dans la loi la liste des causes qui peuvent caractériser le harcèlement : ce serait prendre le problème à l’envers.

Concernant la création d’un délit spécifique de harcèlement scolaire, si nous comprenons l’objectif de mieux caractériser celui-ci par rapport au harcèlement moral, veillons à ne pas nous attacher seulement aux sanctions individuelles. Il est incontestable que le harcèlement scolaire doit être sévèrement puni, tant ses dégâts sont graves et durables : les drames relayés quotidiennement sont trop nombreux et illustrent le sentiment d’impuissance des familles et des enseignants. Mais nous nous interrogeons d’autant plus sur l’effet dissuasif de cette mesure que l’immense majorité des auteurs de harcèlement sont des mineurs. Cela pose la question de l’application de ce nouveau régime juridique. Les victimes ne doivent plus être isolées ni avoir pour seule solution d’être sorties de l’établissement.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Chaque jour, en circonscription ou au niveau national, l’actualité nous rappelle combien le harcèlement scolaire doit être pris au sérieux. Le harcèlement scolaire, ce sont des milliers d’enfants en souffrance et des familles qui se sentent impuissantes ou démunies pour agir. Dans les pires cas, ce sont des deuils. Je tiens à exprimer mon soutien et ma solidarité aux proches de la jeune Dinah, qui a mis fin à ses jours à la suite d’un harcèlement lesbophobe et raciste.

L’article 1er de la proposition de loi consacre dans le code de l’éducation un droit à la protection contre le harcèlement scolaire. Ce n’est pas rien : pour nous, dire que les enfants doivent être protégés au sein de l’école n’est pas seulement symbolique.

L’article 3, qui prévoit la prise en charge par la médecine scolaire des enfants harcelés, donne un bon signal. Malheureusement, il ne sera qu’un vœu pieux s’il n’est pas suivi de l’engagement de moyens humains et financiers conséquents. Nous en avons beaucoup parlé ici et dans l’hémicycle, la médecine scolaire souffre d’un manque considérable de financement. Monsieur le rapporteur, avez-vous recueilli des engagements en ce sens de la part du Gouvernement ?

Mon point de vue sur l’opportunité de consacrer un délit de harcèlement scolaire dans notre code pénal est ambivalent. Les articles 222-33-2 et suivants peuvent concerner le harcèlement scolaire ; ils offrent une assise indispensable à la lutte contre ce phénomène. Toutefois, selon bon nombre d’associations, la prévention accompagnée de moyens est plus efficace que la sanction pénale. Or ce volet manque cruellement de moyens et de temps pour éduquer et prévenir.

Je tiens à rappeler qu’il s’agit d’enfants, de jeunes, y compris les auteurs. Ce n’est pas faire offense aux victimes que de rappeler que ces auteurs d’actes parfois très violents sont aussi des enfants et qu’ils doivent, à ce titre, relever d’une justice prévue pour les mineurs, laquelle considère que l’on n’a pas affaire à de mini-adultes mais à des enfants, et que la sanction éducative doit l’emporter sur la sanction pénale. Sur un sujet aussi important, on ne doit pas se tromper ; le débat doit nous permettre d’y veiller en définissant nos objectifs et l’emploi de nos moyens.

Enfin, il nous a semblé nécessaire de rétablir une disposition de la proposition de loi sur le remboursement des coûts liés à l’accompagnement médical et psychologique des victimes et des responsables de harcèlement. Les associations de lutte contre le harcèlement scolaire estiment à 500 euros par mois et par famille le coût moyen d’un accompagnement pluridisciplinaire. Actuellement, ce coût élevé repose sur les seuls parents. Il est urgent d’agir pour y remédier. Or il nous semble que les engagements de la part des ministres concernés font défaut ; de ce point de vue, la discussion en séance sera pour nous décisive.

Mme Laetitia Avia. Monsieur le président, merci de m’accueillir dans votre commission. Je tiens à féliciter le rapporteur et l’ensemble de nos collègues pour leur travail de longue haleine contre le harcèlement scolaire. J’approuve en particulier la proposition d’introduction du délit autonome dans le code pénal, qui ne revêt pas seulement une dimension pédagogique mais fixe un interdit sociétal – c’est la société tout entière qui est blessée par les agissements dont nous parlons.

S’agissant du numérique et des réseaux sociaux, je salue les dispositions de l’article 7, qui s’inscrivent dans la continuité de nos travaux contre la haine en ligne. Il ne suffit pas de quitter l’école pour échapper à son bourreau : ses messages sont parfois les premiers lus par l’enfant à son réveil et les derniers avant de s’endormir. L’article 7 tend à fixer aux plateformes une obligation de coopération renforcée. Il s’agit du signalement, enfin rendu possible, des actions relevant du harcèlement scolaire, mais aussi de l’application de strictes obligations de modération, sur le modèle des dispositions que nous avons prises en matière de haine en ligne. Cela implique de la transparence, des audits, des informations sur les actions mises en œuvre par les plateformes et des sanctions pouvant atteindre 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. Monsieur le rapporteur, quelle a été la réaction des représentants des plateformes que vous avez auditionnés ?

Mme Annie Genevard. Je salue l’initiative de la présente proposition de loi. Nous avons tous le cœur serré à l’annonce d’un fait divers tragique ayant conduit au suicide d’un enfant, d’un jeune homme ou d’une jeune fille. Nous connaissons l’action résolue des parents. Je pense, en particulier, à Nora Fraisse, la maman de Marion, qui a créé partout en France des maisons de Marion.

Vous avez choisi, monsieur le rapporteur, de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire. On aurait aussi pu choisir de compléter le droit existant : la loi du 4 août 2014 et la loi du 26 juillet 2019. Mais, au-delà du fondement juridique, l’efficacité des mesures que nous prenons réside dans leur application, même si, vous l’avez dit, des dispositions comme celles de l’article 1er ont une portée symbolique. Parmi les mesures alternatives aux poursuites, vous évoquez le stage de responsabilisation. Pourquoi ne pas prévoir l’éviction de l’élève harceleur, sur le modèle de la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui permettent l’éviction du mari violent du logement ? Pourquoi est-ce souvent l’élève harcelé qui est contraint de quitter l’établissement ?

Mme Sylvie Charrière. L’alinéa 4 de l’article 3 prévoit des actions de formation dans le cadre de la formation initiale de tous les acteurs. Il est en effet essentiel que les futurs enseignants soient formés à la détection, la gestion et la prise en charge des situations de harcèlement.

Le bulletin officiel du 25 juillet 2013 définit le référentiel de compétences des enseignants, donc le contenu de leur formation par les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPÉ). La compétence 6 inclut le fait de « contribuer à assurer le bien-être, la sécurité et la sûreté des élèves, à prévenir et à gérer les violences scolaires, à identifier toute forme d’exclusion ou de discrimination ». Monsieur le rapporteur, vous êtes-vous assuré que les INSPÉ consacrent un volume horaire significatif à la formation des enseignants concernant le harcèlement scolaire ? Le terme « harcèlement » n’apparaît que dans le référentiel de compétences des conseillers principaux d’éducation.

M. Maxime Minot. Compte tenu des enjeux, je soutiendrai une proposition de loi d’autant plus actuelle que le harcèlement scolaire, sous toutes ses formes, est amplifié par l’ère numérique et les réseaux sociaux, pénétrant même à l’intérieur des maisons, qui ne sont plus des sanctuaires.

L’article 7 inscrit la lutte contre le harcèlement scolaire parmi les objectifs assignés aux plateformes et fournisseurs d’accès et consacre l’obligation de modération des contenus relevant du harcèlement scolaire sur les réseaux sociaux. Or, nous l’avons vu pour de nombreux sujets, les grandes plateformes rechignent à modérer. Au-delà de la portée symbolique de la mesure, qui est essentielle, pensez‑vous que les plateformes vont réellement se mobiliser et appliquer cette disposition ? Sans leur concours, le combat risque d’être difficile à gagner.

Mme Jacqueline Dubois. L’article 4 circonscrit la portée du harcèlement à des actes émanant d’élèves étudiant ou ayant étudié dans le même établissement que la victime. Cette définition est-elle adaptée aux faits de harcèlement d’un élève par celui d’un autre lycée, d’une autre ville ? Les réseaux sociaux étendent le périmètre géographique du harcèlement en mettant en relation des élèves appartenant à des établissements différents et parfois à des quartiers qui se livrent compétition.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Avia, je vous remercie chaleureusement de votre appui depuis le début. Nous avons commencé à travailler ensemble sur l’outrage sexiste et nous avons continué de le faire sur toutes les questions sexistes et sexuelles avant d’en venir au harcèlement scolaire. Les représentants des plateformes que nous avons auditionnés ont conscience de l’incidence de la pollution de leur écosystème. Elles sont disposées à ajouter les boutons de signalement que la loi va leur imposer. Alors que seules les notions d’intimidations et de violences, plus difficiles à appréhender par un enfant harcelé, étaient jusqu’à présent prévues, la présence de la notion de harcèlement scolaire, désormais parfaitement connue des enfants, favorisera le signalement rapide des faits. Continuons cependant à leur mettre la pression au sujet non seulement du harcèlement, mais aussi de la copie privée ou des droits voisins.

Pourquoi prévoir un délit spécifique, madame Genevard ? Parce que j’avais relevé une difficulté touchant le niveau de protection. À l’âge de 17 ans, vous êtes davantage protégé comme salarié, dans le monde du travail, qu’au lycée, ce qui n’est pas admissible. C’est la fonction du droit de prévoir un niveau de peine. Nous aurions pu ajouter des circonstances aggravantes au délit existant, mais la majorité a choisi de fixer un interdit clair.

Madame Victory, si cette proposition de loi n’était pas votée à l’unanimité, ce serait pour moi un échec. Je ferai donc tout pour vous convaincre, vous et votre groupe, de la logique de cette nouvelle qualification pénale. Je le répète, il s’agit que la société définisse un interdit clair. Le code pénal représente l’engagement de la société : fixer un délit pénal engage tout un ensemble de politiques publiques et crée pour l’État une obligation de moyens pour tenter de remédier au problème.

Prenons le cas du harcèlement au travail, un sujet qui fait partie de vos préoccupations, madame Faucillon. Pendant longtemps, mentionné dans le code du travail, il n’était cependant pas pénalisé. Dans les années 2000, le législateur a choisi de le pénaliser et les actions dans ce domaine se sont multipliées. À partir de ce moment-là, on a constaté une responsabilisation sociétale : l’employeur, le salarié, la société dans son ensemble se sont mis à prendre le problème en considération. Loin d’exprimer une volonté répressive, je fais un pari identique. Le quantum de peine ici prévu est élevé parce que le code pénal doit répondre à toutes les situations : puisqu’un enfant doit être protégé de ses pairs, mais aussi d’un adulte, il faut un quantum de peine proportionné, qui ne soit pas inférieur à ceux sanctionnant les cas de harcèlement moral qui existent déjà dans notre code. La justice pénale des mineurs s’adapte à la situation, à la particularité et au niveau de discernement de l’enfant. Ainsi, les réponses pénales seront adaptées. Toute judiciarisation est un constat d’échec de notre société ; je souhaite donc qu’il y en ait le moins possible. J’espère changer ainsi votre point de vue sur cet aspect du texte, madame Faucillon, car la démarche qu’il permet est la seule façon d’entraîner la société et, ainsi, de progresser.

Merci, madame Park, de rappeler l’importance du volet préventif. Toutefois, on ne peut faire de prévention que si l’interdit est clairement défini. Mon texte repose sur trois verbes : prévenir, accompagner et protéger. C’est le chemin que nous devons prendre.

Merci, madame Anthoine, de rappeler que notre devoir de législateur est de réagir, de faire notre part. Si nous constatons que nos codes comportent des lacunes, c’est notre rôle de les combler. C’est ainsi que la société reconnaîtra le problème. La représentation nationale est la caisse de résonance des problèmes de la société et doit les traiter. Vous souhaitez la systématisation du stage, mais les peines ne peuvent être automatiques : il faut laisser au juge et, avant lui – puisque je souhaite que la judiciarisation recule –, aux équipes pédagogiques la capacité d’adapter finement à chaque cas les sanctions et l’accompagnement. Car les enfants, harceleurs ou victimes, sont des êtres singuliers.

Merci, chère Blandine Brocard, de rappeler les conséquences du harcèlement scolaire sur la vie, parfois entière, des enfants. Ce fléau est dramatique, car, je l’ai dit, en perdant confiance en lui, en ses camarades, en l’institution, c’est en l’ensemble de la société qu’un enfant perd confiance. C’est ainsi que des enfants décrochent scolairement, mais aussi socialement. Merci de rappeler que l’accompagnement des victimes par une prise en charge psychologique, que vous souhaitez, était prévu dans la version initiale de ma proposition de loi. Il nous renvoie d’ailleurs à la question de la condamnation : c’est d’une décision de justice que dépend le statut de victime, d’où l’importance d’un appareil législatif performant en la matière. Il est exact qu’il faut progresser en matière de prise en charge psychologique. Une première étape a été franchie avec l’adoption récente des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) portant sur le sujet. C’est au Gouvernement d’accepter ou non votre demande de rapport, mais il serait bon d’avancer et, pour cela, de rester vigilants.

Madame Victory, vous avez raison de dire que la responsabilité des parents est énorme, mais notre pays n’a pas de code des parents, seulement un code de l’éducation. Le sujet relève en partie du domaine privé. On pourrait cependant imaginer un code de l’enfance incluant les dimensions pénale et civile et dans le cadre duquel on pourrait travailler sur la responsabilité des parents et leur accompagnement. Les parents sont responsables du suivi de la santé de leur enfant. Ils doivent être sensibles aux signaux faibles envoyés par un enfant qui ne mange plus, qui n’est pas bien, qui dit avoir mal au ventre, et en référer à d’autres adultes qui peuvent les accompagner au sein de l’école. Mais les enfants peuvent aussi être harceleurs : les parents ont donc aussi la responsabilité de surveiller l’attitude de leur enfant et de lui indiquer la conduite à tenir.

Monsieur Potterie, vous évoquez des violences terribles, allant au-delà des qualifications pénales que nous allons définir, jusqu’aux coups et blessures, voire pire. C’est bien pourquoi il faut protéger nos enfants. La présence d’un référent dans chaque établissement relève davantage du domaine réglementaire et de l’application des politiques publiques ; nous devons pour notre part fixer un cadre permettant l’expression de la décision publique et politique. En outre, le référent unique n’est pas la bonne solution. Plutôt que faire peser une charge aussi lourde sur une seule personne, il me semble préférable de constituer des équipes pluridisciplinaires composées de personnels éducatifs et d’autres, par exemple ceux qui servent à la cantine.

Madame Thill, vous jugez les punitions trop sévères, mais l’ordonnancement pénal et le quantum des peines sont tels qu’un adulte ayant commis une faute doit être puni de manière proportionnée. C’est le rôle du juge que de choisir et d’adapter la peine à la situation.

Madame Kerbarh, nous incluons en effet l’enseignement privé dans notre démarche parce que nous devons protéger tous les enfants de la République. Quant à l’articulation des dispositions du texte avec le programme gouvernemental PHARE, au-delà de l’action des ministres successifs qui, depuis Luc Chatel, ont pris en compte le fléau du harcèlement scolaire, ce pour quoi il faut leur rendre hommage, l’inscription dans la loi sert à donner un fondement légal solide au combat, à le pérenniser et à obliger notre société à réagir au problème.

 

II.   Examen des articles

 

 

TITRE IER
de la prÉvention des faits de harcÈlement scolaire et
de la prise en charge des victimes

 

Article 1er : Droit à une scolarité sans harcèlement

La commission adopte l’amendement rédactionnel AC74 de M. Erwan Balanant.

En conséquence, les amendements AC53 de M. Grégory Labille, AC38 et AC39 de Mme Cécile Rilhac, AC21 de Mme Géraldine Bannier, AC40 de Mme Cécile Rilhac et AC67 de Mme Souad Zitouni tombent.

La commission adopte l’amendement AC75 de précision de M. Erwan Balanant.

Amendement AC41 de Mme Cécile Rilhac

Mme Cécile Rilhac. Cet amendement vise à préciser l’article L. 111‑6 du code de l’éducation en mentionnant les causes qui peuvent être à l’origine du harcèlement. Certes, l’objet d’un texte de loi n’est pas de dresser des inventaires à la Prévert au risque d’y oublier des éléments, mais dans un texte d’intention comme celui-là – vous l’avez désigné ainsi, monsieur le rapporteur –, il est important de rappeler que l’apparence physique, l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou les convictions de l’élève sont les causes majeures du harcèlement, afin que les équipes éducatives et les parents en aient conscience et que ces sujets ne soient pas tabous. Je suis prête à ajouter les mots « entre autres » avant l’énumération des origines du harcèlement, afin de montrer que la liste n’est pas exhaustive.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Votre dernière phrase montre qu’il ne faut absolument pas faire ce que vous demandez ici. Ce serait une erreur légistique. Le texte doit être clair et précis ; or, dans une liste comme celle que vous proposez, on risque d’oublier de nombreux éléments. Je souhaite que la protection apportée à l’enfant contre le harcèlement scolaire soit la plus large possible, car le phénomène, comme je le montre dans mon rapport au Gouvernement, est protéiforme : le harcèlement peut se fonder sur l’identité de genre, sur la couleur de cheveux, sur le handicap, le lieu d’origine, l’accent…

Demande de retrait.

Mme Elsa Faucillon. Outre l’argument du rapporteur, ce qui me gêne dans l’amendement est qu’il présente l’origine du harcèlement comme étant du côté de la victime. En réalité, l’origine du harcèlement, c’est le racisme, la transphobie, un défaut d’éducation, toutes choses qui sont du côté de l’auteur des faits. Pour ces deux raisons, je voterai contre l’amendement s’il n’est pas retiré.

L’amendement est retiré.

Amendement AC8 de Mme Fabienne Colboc

Mme Jacqueline Dubois. Si nous voulons lutter efficacement contre le harcèlement des étudiants, il importe d’impliquer l’ensemble des acteurs qui organisent la vie étudiante dans la prévention, l’identification et le traitement des situations de harcèlement. Nous proposons donc de préciser dans l’alinéa 4 que, tout comme les établissements supérieurs publics et privés, le réseau des œuvres universitaires prend les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement à l’université.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je ne suis pas contre l’idée, mais je demande le retrait de l’amendement pour qu’il soit possible d’y retravailler. En effet, la rédaction conduirait à écarter les établissements scolaires privés, que nous souhaitons au contraire inclure. Le retrait de l’amendement permettrait de demander au Gouvernement quels engagements il pourrait prendre au sujet de l’implication des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). Ces derniers sont-ils d’ailleurs les mieux placés pour faire ce travail ? C’est aussi une question que j’aimerais approfondir.

Mme Jacqueline Dubois. En accord avec Fabienne Colboc, je le retire.

L’amendement est retiré.

Amendement AC26 de Mme Michèle Victory

Mme Michèle Victory. Depuis le mouvement #MeToo et la libération de la parole des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles, le monde de l’éducation n’est pas épargné. Le Gouvernement a d’ailleurs annoncé un plan national d’action contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche. Il ressort d’enquêtes sur le sujet que 11 % des collégiennes et 18 % des lycéennes déclarent avoir été victimes d’insultes sexistes. En outre, les cyberviolences de nature sexuelle, dont l’envoi non sollicité de photos, le sexting ou le revenge porn, se sont développées. Compte tenu de l’ampleur du phénomène, nous préconisons par cet amendement que les violences sexistes et sexuelles soient prises en compte de manière indépendante dans le texte.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Concentrons-nous sur le harcèlement. Nous créons un nouveau droit, ce qui aura beaucoup de conséquences positives, dont l’instauration d’une obligation de moyens. La question des violences sexistes et sexuelles est un sujet à part entière à propos duquel vous savez combien je suis impliqué. En l’ajoutant au dispositif que nous introduisons, nous créerions de la confusion entre deux phénomènes qui ne sont pas identiques – le harcèlement ne se limite pas aux violences sexistes et sexuelles et celles-ci ne se limitent pas au harcèlement. Le harcèlement scolaire est un phénomène très spécifique. Restons-en au dispositif précis que nous lui consacrons, ne l’étendons pas, sous peine de lui faire perdre sa portée.

Mme Michèle Victory. Il ne s’agit pas de l’étendre, mais de le spécifier : le harcèlement scolaire inclut souvent, pour les filles, le harcèlement sexiste.

M. Bruno Fuchs. J’irai dans le sens du rapporteur. L’origine du harcèlement importe peu : ce qui compte, ce sont ses conséquences et, pour cette raison, de pouvoir le définir, le mesurer et le traiter.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques AC76 de M. Erwan Balanant, AC45 de Mme Blandine Brocard, AC52 de M. Benoit Potterie et AC63 de Mme Zivka Park

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je laisserai mes collègues de la majorité présenter leurs amendements identiques, puisque tous résultent du travail que nous avons fait ensemble à la suite des auditions.

Mme Blandine Brocard. Dans le domaine qui nous occupe comme dans bien d’autres, la prévention joue un rôle très important, à plusieurs niveaux. Notre amendement vise à accentuer ce rôle, mais aussi à tenir compte de toute la chaîne qui permet la prévention, notamment en renforçant les capacités d’identification du harcèlement par les adultes de l’entourage et, en bout de chaîne, en accompagnant les victimes, mais aussi les auteurs. Dans cette chaîne, le nombre d’adultes aux responsabilités est très élevé, des services internes des établissements aux personnels médicaux et sociaux, et même aux éléments extérieurs, comme les forces de l’ordre, que l’on oublie souvent, alors que les gendarmes contribuent à la prévention en intervenant régulièrement en amont dans des établissements scolaires.

Mme Jacqueline Dubois. Pour défendre l’amendement AC63, j’insisterai pour ma part sur l’importance de la détection du harcèlement par la communauté éducative : l’identification est une étape essentielle de la prévention.

La commission adopte les amendements.

Amendement AC2 de M. Raphaël Gérard

M. Raphaël Gérard. Il s’agit de rappeler que le « mégenrage » ou l’utilisation du dead name contre la volonté d’un mineur trans constituent des faits de harcèlement scolaire. Le drame du suicide de la jeune Fouad, à Lille, en décembre 2020, nous rappelle que ces microagressions au quotidien peuvent avoir des conséquences terribles. Les jeunes trans ou les jeunes qui se questionnent sur leur genre sont surexposés au risque suicidaire, en particulier du fait des violences verbales et physiques dont ils sont la cible à l’école. Dans ce contexte, il apparaît primordial de souligner que la première responsabilité d’un établissement scolaire est de soutenir l’élève dans sa démarche et de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour garantir sa sécurité et son droit à la dignité, donc au respect de son identité de genre à l’école.

Certes, les articles L. 111-1 et L. 111-2 du code de l’éducation disposent que l’école doit garantir le respect de la personnalité de l’élève et favoriser l’inclusion de toutes et de tous sans distinction, mais l’interprétation de ces principes est à géométrie variable quand il s’agit des élèves transgenres. Voilà pourquoi l’amendement réaffirme la nécessité pour l’institution scolaire de s’approprier ces principes d’une façon spécifiquement destinée à prévenir les mauvais traitements et le harcèlement scolaire qui tuent ces enfants.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Comme précédemment, à vouloir ajouter des sujets, on risque d’en oublier, alors que la loi doit être précise et claire tout en restant suffisamment large pour englober l’ensemble des cas de harcèlement scolaire. Votre sujet de préoccupation n’en est pas moins primordial, mais il doit être traité par circulaire ou dans d’autres parties du code de l’éducation.

M. Raphaël Gérard. Il est vrai que le ministère de l’éducation nationale a récemment pris une circulaire dans laquelle il s’empare du sujet pour la première fois, ce qu’il faut saluer ; mais elle n’est pas tout à fait conforme au droit positif, s’agissant notamment du caractère inconditionnel du respect dû à l’identité de genre des élèves, que l’école doit garantir en toutes circonstances.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

Amendement AC3 de M. Raphaël Gérard

M. Raphaël Gérard. En matière de lutte contre le harcèlement scolaire, nous sommes tous d’accord pour dire que la répression et le spectre de la sanction ne suffisent pas : il faut avant tout éduquer nos jeunes pour prévenir ce type de comportements. Or les études récentes en sociologie de l’éducation révèlent que les faits de harcèlement scolaire sont le plus souvent le corollaire de violences fondées sur le genre. Ainsi, l’injure homophobe « pédé », parmi les plus fréquemment utilisées dans les cours de récréation, exerce une fonction normative : il s’agit de rappeler à la norme masculine les garçons qui adopteraient des comportements ou des expressions de genre jugés féminins.

Le ministère de l’éducation nationale s’est engagé à ce que, chaque année, les élèves puissent bénéficier d’heures de formation consacrées à la lutte contre le harcèlement. Dans ce contexte, il serait particulièrement approprié que les heures d’enseignement dispensées dans le cadre des séances annuelles d’éducation à la sexualité soient le lieu d’une sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes de genre, afin de déconstruire les représentations qui nourrissent le harcèlement scolaire.

Je profite de l’occasion pour saluer le travail de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, particulièrement la mission de Karine Lebon et Gaël Le Bohec, qui rappelle la nécessité de s’attaquer aux stéréotypes de genre dès le plus jeune âge, notamment à l’école.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous savez parfaitement que je partage l’ensemble de ces objectifs, mais votre proposition d’ajouter des mentions à l’article L. 312‑17‑1 du code de l’éducation, qui porte sur l’éducation à la santé et à la sexualité, sort du cadre du présent texte, ce qui en dilue le propos. Restons-en au harcèlement, qui peut, comme vous l’avez dit, être lié aux questions de genre, mais est vraiment protéiforme, comme me l’ont montré mes deux ans de travail à ce sujet : il peut même prendre pour point de départ les chaussures que porte l’enfant ! Évitons donc de cibler les sujets que vous abordez, même s’il faut bien évidemment rester vigilant en la matière.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AC59, AC55 et AC56 de M. Grégory Labille

Mme Agnès Thill. L’objectif du premier amendement est d’obliger les directeurs d’école à présenter devant le conseil d’école un rapport sur le harcèlement scolaire et les moyens mis en place pour lutter contre ce fléau. Le deuxième a le même objectif, mais devant le conseil d’administration au collège et au lycée.

Le Président de la République a dit qu’il fallait que la honte change de camp ; il faut aussi que les établissements ouvrent vraiment les yeux sur le harcèlement qui a lieu en leur sein. Puisque le conseil d’administration regroupe de nombreux acteurs éducatifs – représentants des élèves, des parents d’élèves, des collectivités territoriales, de l’administration –, sa prise de conscience permettrait d’instaurer une politique cohérente et efficace de lutte contre le harcèlement, en adéquation avec le projet éducatif de l’établissement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Concernant les deux premiers amendements, il faut un vrai travail de quantification du fléau par la remontée à l’échelon national de toutes les études réalisées, pour disposer d’un baromètre annuel du climat scolaire et du harcèlement scolaire. C’était la première proposition de mon rapport au Gouvernement. Mais cela relève du domaine réglementaire : indiquer ces objectifs dans la loi nous priverait de la possibilité de nous doter d’outils plus fins pour analyser la portée du phénomène.

S’agissant du AC56, c’est plutôt une bonne idée que d’associer à la démarche les comités d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement, qui font un excellent travail. Demande de retrait afin de le retravailler d’ici à la séance, sachant qu’il faudrait le déplacer, car l’alinéa visé de l’article 421-8 du code de l’éducation porte sur les conduites addictives et l’alimentation.

Mme Agnès Thill. D’accord pour retravailler ensemble l’amendement AC56, qui permet simplement d’inscrire dans la loi ce qui est déjà prévu par le ministère.

Les amendements sont retirés.

Amendement C47 de M. Benoit Potterie

M. Benoit Potterie. Cet amendement vise à faire encore progresser la lutte contre le harcèlement scolaire en la décrétant grande cause nationale pour 2022. Ce label consacrerait la priorité donnée à la lutte contre ce fléau dans nos politiques publiques. Il offrirait par ailleurs une meilleure visibilité aux actions déjà menées par les acteurs de terrain et les encouragerait à en développer de nouvelles pour combattre le phénomène.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les grandes causes nationales ne relèvent pas du domaine de la loi, mais de l’exécutif. L’Assemblée nationale vient déjà d’adopter une proposition de résolution demandant au Gouvernement de faire de la sauvegarde des abeilles une grande cause nationale pour 2022… Cela dit, il serait pertinent que le harcèlement scolaire – et, plus généralement, le climat scolaire – fasse à un moment donné l’objet d’une grande cause nationale.

Mme Zivka Park. Je suis d’accord avec le rapporteur : ce n’est pas à nous, parlementaires, de définir les grandes causes nationales. En revanche, je comprends l’amendement et je forme le vœu qu’un candidat à l’élection présidentielle défende cette idée et fasse du harcèlement scolaire une grande cause du prochain quinquennat.

L’amendement est retiré.

Article 2 : Application du droit à une scolarité sans harcèlement au sein des établissements privés

Amendement AC77 rectifié de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il vise à préciser que les dispositions du nouvel article L. 111‑6 du code de l’éducation sont applicables aux établissements d’enseignement privés sans contrat d’association avec l’État : il n’y a pas de raison que nos enfants fréquentant des écoles hors contrat ne soient pas protégés comme les autres. Nous avons rectifié la version initiale de l’amendement à cause d’un problème de rédaction ; nous vérifierons d’ici à l’examen en séance qu’il s’agit du bon outil pour englober le hors contrat.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

Amendement AC7 de M. Raphaël Gérard

M. Raphaël Gérard. Je voudrais en premier lieu avoir une pensée pour Dinah, cette adolescente qui s’est donné la mort début octobre, tuée par le racisme et l’homophobie à l’école. Ce nouveau drame nous rappelle combien il est important que l’école de la République sensibilise nos enfants à la lutte contre tout type de discrimination et contre les discours de haine racistes, lesbophobes, sexistes qui font le lit du harcèlement scolaire.

Je l’ai dit, il est question que les élèves bénéficient chaque année de séances de sensibilisation à la lutte contre le harcèlement scolaire. Il faudrait à mes yeux ménager à cette démarche une entrée disciplinaire, dans le cadre de l’enseignement moral et civique, en accordant une attention toute particulière aux phénomènes de discrimination qui traversent notre société et alimentent les violences verbales et physiques à l’école.

J’ai conscience du fait que l’article L. 312‑15 du code de l’éducation mentionne déjà l’objectif de transmission des valeurs de la République, mais cette notion est parfois sujette à interprétation, notamment dans le débat politique. À l’heure où Le Figaro magazine prétend en une que les enfants subiraient un endoctrinement à l’école, pointant les dérives supposées que seraient l’antiracisme et la lutte contre l’homophobie, je crois important d’inscrire dans la loi que l’un comme l’autre découlent des valeurs universelles de la République et sont des leviers privilégiés de lutte contre le harcèlement scolaire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. J’ose espérer que les valeurs de la République transmises dans le cadre de l’enseignement moral et civique incluent la lutte contre les discriminations. Celle-ci ne fait-elle pas partie de notre socle constitutionnel ? Évitons d’ajouter des éléments, car il faudrait alors mentionner tous les types de discrimination, et on en oubliera. Rappelons les valeurs de la République, définies par notre Constitution, laquelle fixe déjà de beaux objectifs à notre société.

M. Raphaël Gérard. La Constitution est en vigueur depuis un certain temps ; pourtant, les résultats ne sont pas au rendez-vous : le harcèlement scolaire est un fait. La sensibilisation en question appartient aux missions de l’Éducation nationale, mais aucune entrée disciplinaire n’est prévue.

La rédaction proposée est « tout type de discrimination » : il ne s’agit pas d’ajouter des éléments à la liste, mais de rappeler la nécessité d’accomplir cette mission et de le faire dans le cadre de l’enseignement moral et civique, plutôt que dans un cadre laissé à la discrétion de l’établissement. Des jeunes fréquentant nos établissements scolaires se suicident tous les mois !

La commission rejette l’amendement.

Article 3 : Prise en charge des victimes de harcèlement scolaire et universitaire

Amendement AC78 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cet amendement, dont l’adoption en fera tomber plusieurs autres, répond parfaitement à la demande de leurs auteurs de mentionner les personnels de l’éducation dans le texte, car il les inclut tous, y compris les assistants d’éducation, les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), les conseillers principaux d’éducation (CPE), les personnels techniques et, bien sûr, les enseignants. Nous avons en effet constaté lors des auditions que la rédaction du texte risquait d’exclure certains cas. Cela confirme qu’il vaut mieux des formulations larges : ici, la formule « les personnels de l’éducation nationale » permet d’inclure toutes les personnes salariées par l’éducation nationale.

M. Frédéric Reiss. Cet amendement réécrit une grande partie de l’article 3. En lisant dans celui-ci qu’il faut « associe[r] autant que nécessaire les médecins, les infirmiers et psychologues scolaires et assistants sociaux », on ne peut pas ne pas penser aux lacunes de la médecine scolaire constatées par l’Académie nationale de médecine et rappelées dans l’exposé des motifs de la proposition de loi. Pour que l’article soit opérant, il faudrait une augmentation significative du nombre de personnels médicaux affectés dans les écoles, comme l’ont dit plusieurs collègues au cours de la discussion générale.

Il est par ailleurs bon d’insister sur les actions de formation ; ce qui importe, c’est l’efficacité de la première prise en charge des victimes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Mon amendement ne réécrit pas tout l’article : il consiste à déplacer dans le code de l’éducation des dispositions qui, sinon, ne seraient pas opérantes. Les seuls changements sont l’ajout des mots « les personnels de l’éducation nationale », la mention de l’identification et, plus bas, celle de la prévention. Ils sont guidés par un souci d’efficacité légistique.

Tout le monde est conscient des manques de notre médecine scolaire. Tous les ans, je dépose un amendement au projet de loi de finances visant à en augmenter le budget. Mais ce n’est pas à un texte de loi comme le nôtre de fixer ce type d’objectifs, sinon il n’y aurait pas de PLF ! Continuons plutôt à mettre la pression sur le Gouvernement, qui a identifié le problème. Nous avons aussi et surtout un problème de pénurie de médecins.

Mme Michèle Victory. Nous aurions préféré que l’article mentionne « l’ensemble de la communauté éducative », comme le proposait notre amendement qui va certainement tomber. Cette notion, beaucoup plus collective, englobe l’ensemble des personnels impliqués s’agissant de ces questions. Dans mon collège d’origine, les agents, qui ne sont pas des personnels de l’éducation nationale, contribuent vraiment aux actions visées. La formule « personnels enseignants » est très administrative, mais « communauté éducative » permet de s’intéresser beaucoup plus à la façon dont les gens travaillent ensemble et d’associer les parents.

M. Bruno Fuchs. Il a été précédemment question des personnels qui travaillent dans les cantines ; beaucoup d’actes de harcèlement ont lieu pendant le repas. De manière générale, il serait bon d’intégrer à la formation prévue les personnels présents tout au long de la journée de l’enfant et qui ne font pas nécessairement partie de l’éducation nationale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Victory, la formule que nous proposons n’est pas « personnels enseignants », mais « personnels de l’éducation nationale », ce qui permet d’englober presque tout le monde. Nous avons bien pensé à employer celle de communauté éducative, mais elle est beaucoup trop large : elle inclut les parents et les enfants. On ne va pas obliger les parents à suivre une formation initiale ! Il n’existe pas d’école des parents et il peut arriver à tout le monde de le devenir sans avoir suivi de formation initiale…

Mme Michèle Victory. Dans ce cas, il faut modifier la notion de formation initiale. Mais, dans les collèges, lorsque les responsables de la vie scolaire repèrent des familles en difficulté, ils font venir les parents pour ce qui s’apparente quasiment à une formation, par exemple sur l’utilisation du téléphone. Travailler avec les parents peut tout à fait être l’un des objectifs des équipes.

Mme Zivka Park. On ne peut ni juridiquement ni pratiquement imposer une formation aux parents – presque 50 millions de personnes ! –, seulement l’encourager. Dans tous les territoires, les associations font un travail formidable en la matière, organisant des réunions de sensibilisation au harcèlement scolaire ou aux problèmes de cyberharcèlement liés à l’utilisation du téléphone portable. Il faut continuer ainsi.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Victory, vos préoccupations sont tout à fait légitimes et doivent être prises en considération, mais pas dans cet article, car il vise les professionnels en contact avec l’enfant. Il est très important pour la lutte contre le harcèlement scolaire, car il crée une obligation de formation initiale pour tous les professionnels en lien avec l’enfance : tous ceux qui arriveront sur le marché du travail posséderont ainsi les bases permettant de traiter les problèmes de harcèlement et, par capillarité, les transmettront à leurs collègues. C’est un vrai changement de braquet, si vous me permettez l’expression.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AC18 de M. Raphaël Gérard, AC27 de Mme Michèle Victory, AC9 de Mme Fabienne Colboc, AC33 de M. Bruno Fuchs et AC10 de Mme Fabienne Colboc tombent.

Amendement AC79 de M. Erwan Balanant

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il importe de rappeler dans le titre du nouveau chapitre du code de l’éducation créé par l’amendement que l’on accompagne les victimes de harcèlement mais aussi les auteurs. Cet oubli de ma part était vraiment dommageable.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC11 de Mme Fabienne Colboc

Mme Jacqueline Dubois. Il s’agit de garantir que les nouveaux assistants d’éducation (AED) recrutés par les établissements bénéficient d’une sensibilisation destinée à leur permettre d’identifier les élèves victimes de harcèlement et d’en assurer une première prise en charge. Rappelons que les AED ne bénéficient pas d’une formation initiale.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement AC78 que nous venons d’adopter les inclut : le vôtre est satisfait.

Mme Jacqueline Dubois. Il me semble important d’être attentif au fait que les AED ne bénéficient pas d’une formation initiale et qu’il faut les former au plus tôt.

L’amendement est retiré.

Amendements identiques AC80 de M. Erwan Balanant et AC12 de Mme Fabienne Colboc

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il s’agit d’ajouter après le mot de prévention celui d’identification, afin d’étendre le champ du projet visé et d’être plus précis.

Mme Jacqueline Dubois. Nous proposons en effet d’ajouter le verbe « identifier » aux trois verbes « prévenir, accompagner, protéger » par lesquels vous avez résumé votre conception de la lutte contre le harcèlement, monsieur le rapporteur.

La commission adopte les amendements.

Amendement AC29 de Mme Michèle Victory

Mme Michèle Victory. Il vise à spécifier dans le projet d’école ou d’établissement l’importance du recueil de la parole des victimes, notion qui doit être au premier plan dans les protocoles de lutte contre le harcèlement scolaire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Vous avez raison, mais cette mesure relève du domaine réglementaire. Nous abordons le sujet par l’ajout du terme « identification » que nous venons de voter, une formulation suffisamment large pour respecter le domaine de la loi. De plus, selon votre rédaction, le protocole ne s’appliquerait pas aux auteurs.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AC13 de Mme Fabienne Colboc

Mme Jacqueline Dubois. L’objectif de cet amendement est que la communauté éducative puisse s’appuyer, si elle le souhaite, sur l’expertise des associations spécialisées dans la lutte contre le harcèlement scolaire pour rédiger les lignes directrices et procédures du projet d’école destinées à prévenir le harcèlement. Ces associations, dont HUGO !, Les Papillons ou France victimes, sont des tiers de confiance qui connaissent parfaitement les ressorts des phénomènes de harcèlement et les moyens efficaces de les combattre.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis d’accord avec vous, mais faut-il donner cette précision dans la loi ? Je vous suggère le retrait afin que nous étudiions d’ici à la séance les moyens de l’y inclure le cas échéant.

Mme Jacqueline Dubois. Tout à fait d’accord pour le retravailler avec Mme Colboc afin de le proposer à nouveau en séance.

L’amendement est retiré.

Amendement AC81 de M. Erwan Balanant et sous-amendement AC84 de M. Raphaël Gérard

M. Erwan Balanant, rapporteur. Mon amendement conforte en premier lieu la portée du second alinéa du nouvel article L. 543‑2 du code de l’éducation en supprimant les mots « autant que nécessaire » à propos de la consultation de certains professionnels pour l’élaboration des lignes directrices et procédures tendant à combattre le harcèlement scolaire et définies par le projet d’école ou d’établissement. Il précise également la liste des professionnels concernés par cette consultation, en incluant en particulier les psychologues de l’éducation nationale et l’ensemble des personnels médicaux intervenant au sein de l’établissement d’enseignement.

M. Raphaël Gérard. Pour anticiper la chute prévisible de mon amendement AC6, mon sous-amendement AC84 tend à amener les équipes pédagogiques à travailler avec les associations, qui détiennent une expertise particulière, à l’élaboration des lignes directrices et procédures mentionnées.

L’article L. 111‑3 du code de l’éducation rappelle que les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public sont membres de la communauté éducative. Elles ont donc toute leur place dans la mise en œuvre des missions de service public de l’éducation, dont la lutte contre le harcèlement scolaire et la transmission des valeurs de la République. Il ne me paraît pas inutile de le rappeler à l’heure où certains mouvements conservateurs jettent le discrédit sur le travail remarquable des bénévoles associatifs au prétexte que ces derniers participeraient à l’endoctrinement idéologique supposé des élèves.

En outre, sur certains sujets profondément méconnus, dont l’inclusion des élèves transgenres en milieu scolaire, l’apport des associations est absolument indispensable. J’en profite pour saluer la qualité des travaux de celles qui, en lien avec la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), ont élaboré un vade-mecum digne d’être diffusé et utilisé par les équipes pédagogiques partout en France.

Soulignons enfin la nécessité d’augmenter les moyens alloués aux interventions des associations en milieu scolaire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il faut revoir la manière de travailler avec les associations, mais la façon dont vous le proposez ici pose un vrai problème : selon la rédaction du sous-amendement, il deviendrait obligatoire de les faire participer à l’élaboration des lignes directrices et procédures, alors que certains territoires ne comptent pas d’associations, par exemple. Dans notre rédaction, elles peuvent être associées, et le chef d’établissement devrait y veiller quand elles existent.

Je m’associe à vos remerciements aux associations, nombreuses à conduire à propos du harcèlement scolaire un travail remarquable auquel la présente proposition de loi doit beaucoup.

La commission rejette le sous-amendement.

Elle adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AC50 de Mme Elsa Faucillon, AC28 de Mme Michèle Victory, AC42 de Mme Cécile Rilhac, AC60 de M. Grégory Labille, AC6 de M. Raphaël Gérard et AC14 de Mme Fabienne Colboc tombent.

Amendement AC23 de Mme Géraldine Bannier

Mme Géraldine Bannier. Le fait que l’un de mes amendements soit tombé m’a empêchée de m’exprimer sur un sujet qui me tient à cœur : je voulais ajouter à l’alinéa 3 de l’article 1er la notion de « propos et comportements répétés », car les professeurs, concernés par cet article, sont de plus en plus sujets à des plaintes parfois infondées – on se souvient de la plainte pour diffusion d’images pédopornographiques dont Samuel Paty avait fait l’objet. J’y reviendrai en séance, mais il me semble important de protéger les professeurs de plaintes abusives.

Aux termes de l’amendement AC23, « une information sur les risques liés au harcèlement scolaire et au cyberharcèlement est délivrée, chaque année scolaire, aux parents d’élèves », acteurs fondamentaux de la prévention du harcèlement scolaire, sans doute les premiers. Ainsi pourront-ils repérer aux côtés des enseignants les faits de harcèlement scolaire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous avons bien pensé à ajouter la notion de répétition des propos et comportements, mais le harcèlement n’implique pas nécessairement la répétition des actes par un même auteur, par exemple dans le cas nouvellement prévu du harcèlement de groupe, désormais inclus dans la définition du harcèlement moral.

Avis favorable à l’amendement AC23.

Mme Cécile Rilhac. Plusieurs des amendements qui viennent de tomber visaient à intégrer au processus les associations, véritables experts qui jouent un rôle crucial dans la prévention et l’accompagnement des victimes de harcèlement. Puisque nous discutons d’un amendement – auquel je suis personnellement favorable – sur l’information donnée aux parents, il me semble important que le texte mentionne à un moment ou à un autre les associations, qui contribuent à la transmission d’informations.

Mme Sylvie Tolmont. Je regrette moi aussi que notre amendement, le AC28, tombe, et je ne comprends pas pourquoi. Les parents, qui peuvent pourtant repérer les faits mais aussi soutenir les victimes, ne sont toujours pas associés à la démarche : on pense aux personnels éducatifs, aux associations, mais pas à eux.

M. le président Bruno Studer. L’alinéa 7 ayant été modifié, les autres amendements qui portaient sur lui sont mécaniquement tombés. C’est une question de légistique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les parents d’élèves ont des représentants au conseil d’école ; à ce titre, ils sont donc associés à la démarche.

En ce qui concerne l’amendement AC23, j’ai émis un avis favorable pour sécuriser son adoption, mais il faudra l’insérer à un autre endroit du texte en vue de la séance.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AC57 de M. Grégory Labille

Mme Agnès Thill. Le présent amendement propose simplement que des dérogations à la carte scolaire soient accordées aux parents qui souhaiteraient changer leur enfant d’établissement lorsqu’il est avéré que celui-ci a été victime de harcèlement scolaire. En effet, dans une commune où n’y aurait qu’une seule école, ou dans un secteur où il n’y aurait qu’un seul collège ou lycée, les parents ne peuvent changer facilement leur enfant d’établissement et sont bien souvent obligés d’inscrire l’enfant victime de harcèlement dans un établissement privé. Cette situation crée une rupture d’égalité, puisque toutes les familles n’ont pas les moyens de financer la scolarisation de leur enfant dans de tels établissements, ni même les déplacements induits.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le changement d’établissement pour circonstances exceptionnelles est déjà possible et peut même intervenir rapidement en cas de danger. L’amendement n’apporte donc pas de garanties juridiques supplémentaires aux parents. Avis défavorable.

Un enfant harcelé qui doit changer d’établissement subit une double peine. Cela ne devrait pas être à l’enfant de changer d’établissement, mais à l’établissement de trouver une solution pour que l’enfant reste dans son environnement. Il est traumatisant de changer d’établissement en cours de scolarité. Essayons de faire en sorte que cela arrive le moins souvent possible – c’est le sens de la proposition de loi.

Mme Sylvie Charrière. Il n’est pas si simple que cela de régler le problème rencontré par l’enfant en maintenant celui-ci dans son environnement. En raison de l’existence des réseaux sociaux, les faits de harcèlement ne se produisent pas nécessairement in situ. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec Mme Thill : dans de petites agglomérations qui ne comptent qu’un collège, il faut tout de même éloigner la victime pour la protéger, ce que certaines familles précaires ne peuvent pas faire.

Mme Agnès Thill. Il ne s’agit pas uniquement d’un changement en cours de scolarité, mais aussi entre deux années scolaires. Il n’est pas partout facile de changer d’établissement.

Mme Michèle Victory. Les deux éventualités sont délicates : changer l’élève d’établissement l’expose à une double peine ; le maintenir dans son établissement peut poser de nouveau des problèmes au retour du harceleur, si le travail auprès de celui-ci n’a pas été correctement fait. L’important est de réaliser ce travail pour que ses actes ne se reproduisent pas : c’est le cœur des mesures qu’il nous faut prendre.

M. le président Bruno Studer. Nous en rediscuterons de toute façon dans l’hémicycle, car le problème peut se poser lorsqu’après un changement d’école maternelle, l’élève doit retrouver l’école de secteur en primaire. Le sujet relève à la fois de l’éducation nationale et des collectivités.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

Amendement AC43 de M. Bruno Fuchs

M. Bruno Fuchs. De plus en plus souvent, en lien avec le développement des réseaux sociaux, le harcèlement ne se déroule plus seulement dans l’enceinte scolaire, mais dans l’ensemble de la société pendant la période scolaire. De ce fait, si une partie des cas peut être repérée et éventuellement traitée dans l’établissement, c’est à l’échelle de la société qu’il faut agir.

Nous proposons donc que les collectivités locales soient incitées à mener des politiques publiques de concertation et de coordination entre l’ensemble des établissements scolaires de leur zone. On a parlé des associations, des parents : on voit bien que la résolution des problèmes de harcèlement ne relève plus uniquement de l’école. Même si les établissements doivent être l’un des acteurs importants de la lutte contre ce phénomène, d’autres doivent se faire jour, dont la puissance publique, particulièrement les collectivités locales.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il n’est pas utile d’apporter cette précision dans la loi. Ce que vous souhaitez est déjà possible et effectivement réalisé. Les collectivités financent déjà beaucoup d’associations qui œuvrent dans ce domaine. Je pense à l’association HUGO ! et à la nomination de référents dans les mairies, mais aussi à l’association Marion la main tendue, fondée par Nora Fraisse et qui vient d’ouvrir une maison de Marion en lien avec la mairie de Paris. Il faut laisser aux collectivités la liberté d’engager les actions qu’elles souhaitent dans cette matière.

Les collectivités ont un rôle important à jouer contre le harcèlement scolaire, en particulier les mairies, compétentes s’agissant du périscolaire, notamment de la pause méridienne, dont on sait qu’elle peut être un moment de harcèlement. Les collectivités y sont déjà sensibilisées ; il faut poursuivre ce travail – j’interviendrai bientôt devant l’AMIF, l’Association des maires d’Île-de-France, pour leur rappeler ce rôle.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AC36 de M. Bruno Fuchs

M. Bruno Fuchs. Je vais retirer cet amendement, car il se rapproche de l’amendement AC23 précédemment adopté. Je proposerai en vue de la séance de préciser celui-ci pour indiquer quelle période du cycle scolaire est visée – l’école maternelle est-elle incluse ? – et rappeler que les séances de sensibilisation sont l’occasion pour chaque établissement de développer un protocole de règlement des questions de harcèlement.

L’amendement est retiré.

Amendement AC16 de Mme Fabienne Colboc

Mme Jacqueline Dubois. C’est souvent pendant les temps intermédiaires que les plus jeunes élèves sont victimes de harcèlement – vous avez rappelé cette triste réalité, monsieur le rapporteur –, en particulier les élèves en situation de handicap. Il semble donc indispensable que l’ensemble de la communauté éducative, y compris le personnel intervenant dans le cadre des activités périscolaires, bénéficie d’une sensibilisation permettant d’identifier les situations de harcèlement et de les traiter.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement est satisfait, puisque les personnels danimation sportive, culturelle et de loisirs sont mentionnés à l’alinéa 4 de l’article 3.

L’amendement est retiré.

Amendement AC15 de Mme Fabienne Colboc

Mme Jacqueline Dubois. Il vise à modifier l’article L. 822-1 du code de l’éducation afin d’inscrire dans les missions des CROUS la lutte contre le harcèlement en milieu universitaire. Il s’agirait en particulier de charger les référents étudiants d’être attentifs aux situations de harcèlement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je suis assez favorable à cette idée, mais nous n’avons pas eu le temps d’y réfléchir de manière approfondie. J’aimerais connaître l’avis du Gouvernent à ce sujet. Je vous suggère de retirer votre amendement, afin que nous nous assurions qu’il s’agit d’un outil adapté et que nous peaufinions le cas échéant votre proposition d’ici à la séance publique.

Mme Jacqueline Dubois. Très bien. Nous reverrons la rédaction de l’amendement pour la séance publique.

L’amendement est retiré.

Amendement AC61 de M. Grégory Labille

Mme Agnès Thill. Il s’agit plutôt d’un amendement d’appel. Le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ou le conseil intercommunal ayant les mêmes attributions (CISPD) pourrait jouer un rôle dans la prévention et la lutte contre le harcèlement scolaire. Devant ce conseil, les directeurs d’établissement pourraient évoquer des situations de harcèlement et, surtout, présenter les mesures qu’ils ont prises pour prévenir ces pratiques et lutter contre elles. Cela faciliterait les échanges entre les différents acteurs de la lutte contre la délinquance, mais aussi avec les acteurs politiques et sociaux proches du terrain. Les directeurs disposeraient ainsi de davantage d’informations, ce qui leur permettrait le cas échéant d’adapter leurs mesures.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est une proposition très intéressante, mais elle ne relève pas du domaine de la loi. J’ai évoqué le CLSPD dans les 120 propositions du rapport que j’ai remis au Gouvernement : il constitue un bon relais entre les collectivités locales, les acteurs de terrain et les établissements. Il me semble évident qu’il peut jouer le rôle que vous décrivez, même si nous ne pouvons pas l’inscrire dans la loi. Là où ils fonctionnent bien – ce n’est pas le cas partout, et c’est un sujet qu’il faut traiter –, les CLSPD permettent de progresser vers davantage de sécurité et de préserver un climat scolaire apaisé, notamment par la sensibilisation et la prévention en matière de harcèlement scolaire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AC17 de Mme Fabienne Colboc

Mme Jacqueline Dubois. Il vise à intégrer dans le programme de formation des professions des activités physiques et sportives un module dédié à l’identification, à la prévention et au traitement des faits constitutifs de harcèlement, afin de prévenir autant que possible les situations de harcèlement lors de ces activités. Qu’elles interviennent dans un cadre scolaire ou associatif, les personnes qui gèrent, animent et encadrent des activités physiques et sportives sont en contact avec de nombreux jeunes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. L’amendement me semble pleinement satisfait par l’alinéa 4 de l’article 3, qui prévoit de telles actions de formation au bénéfice des « personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs ». J’en demande donc le retrait.

Mme Jacqueline Dubois. Je le retire. Il sera éventuellement déposé de nouveau pour la séance publique.

L’amendement est retiré.

Amendement AC58 de M. Grégory Labille

Mme Agnès Thill. Cet amendement vise à ajouter à l’avis du directeur de l’établissement celui d’un membre du personnel médical de l’établissement – médecin, infirmier ou psychologue – lorsqu’il s’agit d’accorder une dérogation aux parents d’un enfant victime de harcèlement qui souhaiteraient le retirer de l’école pour lui donner l’instruction à domicile. Il peut être difficile pour un directeur de prendre la mesure des situations de harcèlement existant dans son établissement. L’avis d’un professionnel de santé auquel l’enfant peut éventuellement se confier plus facilement permettrait une prise de décision plus sereine et responsable.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je l’ai dit précédemment, changer l’enfant d’établissement n’est pas toujours une réponse adéquate ni durable ; c’est lui imposer en quelque sorte une double peine. Par ailleurs, si le personnel médical a connaissance de faits de harcèlement et n’en informe pas le directeur, il commet à mon sens une erreur. Je pense que votre proposition n’est pas opportune et qu’elle pourrait même se révéler contre-productive. Je vous invite à retirer votre amendement, sans quoi mon avis sera défavorable.

Mme Agnès Thill. Je le maintiens. Le directeur d’établissement peut ne pas avoir relevé les faits. Il arrive aussi que l’enfant ne se confie qu’à la psychologue scolaire ou à son médecin traitant, sachant que le secret médical s’applique. Je suis sensible à ce que vous dites concernant la double peine, mais, entre deux maux, il faut choisir le moindre. Quand on est parent, on protège son enfant. On peut préférer ne pas le laisser dans un établissement où il voit chaque jour ceux qu’ils l’ont harcelé, quand bien même le problème serait réglé, et l’inscrire dans un autre établissement – à condition de ne pas être bloqué par la carte scolaire – ou lui donner l’instruction en famille.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AC4 de M. Raphaël Gérard

M. Raphaël Gérard. Nous venons d’édicter une obligation de formation de l’ensemble des personnes intervenant en milieu scolaire à la lutte contre le harcèlement, et je m’en réjouis. Elle complète l’obligation de sensibilisation des personnels enseignants, dans le cadre de leur formation initiale, à la lutte contre le cyberharcèlement, disposition adoptée par notre commission à l’initiative de notre collègue Fabienne Colboc lors de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia.

Toutefois, nous avons beaucoup de mal à évaluer de manière empirique la façon dont cette obligation est mise en œuvre au sein des INSPÉ. Une enquête réalisée par le réseau national des INSPÉ en 2019, avant l’adoption de la loi Avia, pointait la difficulté de ces instituts à traiter de cet enjeu dans le cursus de formation des enseignants, malgré l’intégration des problématiques liées à l’éducation aux médias et à l’information dans tous les parcours des mentions « premier degré », « second degré » et « encadrement éducatif » du master « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF).

Il convient d’évaluer les dispositions que nous votons, sous peine d’empiler dans la loi des obligations qui ne produisent pas d’effets réels. Je propose donc que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la mise en œuvre de l’obligation de formation des enseignants à la lutte contre la diffusion de contenus haineux.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En ma qualité de parlementaire et de rapporteur, je ne peux pas me prononcer à la place du Gouvernement sur les demandes de rapport. Je vous invite à les évoquer avec lui en séance publique. La seule chose que je peux faire est d’émettre un avis défavorable.

En l’espèce, l’objet du rapport me semble assez éloigné de celui du texte. Tel n’est pas le cas de la prise en charge des soins psychologiques et psychiatriques, qui fait l’objet des amendements suivants. J’y serai de même défavorable pour la raison que je viens de donner, mais il importe de continuer à interroger le Gouvernement à ce sujet.

Mme Cécile Rilhac. Dans le cadre de notre mission de contrôle, il serait intéressant et pertinent de demander au Gouvernement un rapport sur la mise en œuvre de l’obligation de formation que nous avons votée dans le cadre de la loi Avia. Nous savons que l’arme la plus efficace pour lutter contre le harcèlement scolaire est la prévention. À cet égard, la formation initiale des personnels de l’éducation constitue un socle fondamental pour lutter aussi bien contre le harcèlement à l’école que contre le cyberharcèlement.

 

Mme Aurore Bergé. Cela n’a guère de sens de demander au Gouvernement de s’autocontrôler au moyen d’un rapport qu’il ne rendra peut-être jamais. Les demandes de rapports que nous adoptons ne sont pas nécessairement suivies d’effet ; nous en avons l’habitude et le président de l’Assemblée nationale l’a signalé au Gouvernement. Il revient au Parlement d’assumer lui-même sa mission de contrôle, ce qu’il fait notamment grâce aux missions d’information et aux missions flash. C’est plutôt de la sorte qu’il faut agir.

M. le président Bruno Studer. En outre, il reviendra à l’Assemblée d’évaluer la loi Avia trois ans après sa promulgation. Vous le savez, notre commission évalue de manière quasi systématique les textes qu’elle a votés.

Mme Laetitia Avia. Je souscris pleinement à la position de principe exprimée par Aurore Bergé concernant les demandes de rapport.

Dans la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, la formation des enseignants avait pour corollaire la sensibilisation des élèves en classe. Ce second aspect a été ensuite revu et complété, dans le cadre du projet de loi confortant le respect des principes de la République, par la disposition relative au permis internet pour les enfants, délivré à l’école primaire et au collège. Celui-ci sera déployé à partir de la rentrée prochaine, comme l’a indiqué le Président de la République la semaine dernière dans son message relatif au harcèlement scolaire. Un rapport remis six mois après la promulgation de la présente loi indiquerait tout au plus que la mesure n’est pas encore appliquée.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AC46 de Mme Blandine Brocard, AC51 de Mme Elsa Faucillon, AC62 de M. Benoit Potterie et AC64 de Mme Zivka Park (discussion commune)

Mme Blandine Brocard. Je ne reviens pas sur le débat relatif aux demandes de rapport.

La proposition de loi traite du volet préventif, mais il faut aussi s’intéresser à la prise en charge médicale des enfants victimes de harcèlement, une fois que celui-ci a été détecté. Mme Faucillon l’a rappelé à juste titre, le coût de cette prise en charge s’élève en moyenne à 500 euros par mois, ce qui pèse considérablement sur le budget des familles. Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport évaluant les conditions d’une amélioration des remboursements, par les régimes d’assurance maladie, des frais de consultation et de soin engagés par les victimes auprès de psychologues ou de psychiatres.

Mme Elsa Faucillon. Je souscris aux propos de Mme Brocard. J’ajoute que la pédopsychiatrie est en très grande souffrance, en raison d’un sous-investissement, alors que les alertes sur la santé mentale sont nombreuses, après la crise du covid et dans les affaires de harcèlement. Pour que les familles puissent accéder aux soins psychologiques, il faut évidemment traiter la question du remboursement de ces derniers, mais encore faut-il qu’elles puissent trouver une offre de soins. Dans les centres médico-psychologiques de ma circonscription, il y a parfois jusqu’à deux ans d’attente. Or, en cas de harcèlement scolaire, on ne peut pas se permettre d’attendre aussi longtemps. Le rapport doit donc porter non seulement sur le remboursement mais aussi sur le développement de l’offre.

Je ne reviens pas, moi non plus, sur les demandes de rapport. Nous pourrions d’ailleurs évoquer aussi la possibilité pour les parlementaires de proposer des charges nouvelles par voie d’amendement.

M. le président Bruno Studer. Nous le pourrions effectivement…

Mme Zivka Park. L’article 40 de la Constitution nous empêchant de créer une charge supplémentaire, notre seul moyen d’aborder la question de la reconstruction des enfants victimes de harcèlement scolaire est de demander un rapport au Gouvernement. Lors de l’examen du PLFSS, nous avons voté la prise en charge de consultations chez le psychologue, notamment pour les enfants. Il serait intéressant d’évaluer si les enfants ayant vu un psychologue dans ce cadre ont besoin de séances supplémentaires, qui seraient elles aussi prises en charge. On pourrait aussi voir dans quelle mesure le Fonds de garantie des victimes pourrait être mobilisé pour accompagner les victimes de harcèlement scolaire et prendre en charge les soins qu’elles reçoivent.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je serais malhonnête si je prétendais que je suis défavorable à vos propositions, car une disposition analogue figurait dans la version initiale de ma proposition de loi. Je l’en ai retirée au moment où nous avons voté, dans le cadre du PLFSS, le remboursement de huit séances chez le psychologue.

Nous devons poursuivre le débat et travailler ensemble sur cette question. Je vous invite à déposer de nouveau vos amendements pour la séance publique, afin d’obtenir des réponses concrètes de la part du Gouvernement. Tous les amendements me semblent pertinents, mais j’ai un faible pour celui de Mme Faucillon, car il envisage le sujet de manière globale en incluant le suivi psychologique des auteurs de harcèlement scolaire.

Il faut s’intéresser à l’accompagnement des victimes après une condamnation civile. Tout l’intérêt des condamnations pénales, c’est non pas la punition de l’enfant auteur des faits, mais l’accompagnement de l’enfant harcelé, que la décision de justice fait bénéficier du statut de victime – étant entendu que l’auteur doit lui aussi être accompagné à un moment donné.

Le suivi psychologique est très important. Quand le harcèlement scolaire va très loin, il cause aux enfants des dégâts à long terme, parfois à vie. Dans l’intérêt de la société dans son ensemble, il importe que la reconstruction soit engagée immédiatement, dès que le cas de harcèlement a été décelé ou dès que l’équipe pédagogique a établi un protocole pour traiter la situation.

Mme Michèle Victory. Je soutiendrai l’ensemble de ces amendements, même si j’ai moi aussi un faible pour celui de Mme Faucillon. La prise en charge médicale est essentielle, et il y a une grande injustice en la matière. Une étude publiée il y a quelque temps a montré que, selon la famille dont il était issu, l’enfant n’avait pas du tout les mêmes chances de bénéficier d’une prise en charge adaptée à la situation : les enfants de familles défavorisées étaient renvoyées avec leur famille vers des assistantes sociales, ce qui laissait penser qu’il s’agissait au fond d’une histoire familiale, la famille n’ayant pas su réagir ; les enfants de familles plus favorisées voyaient des pédopsychiatres, à même de porter un jugement sur l’histoire qu’ils avaient vécue et de les aider à se reconstruire.

Pour agir immédiatement comme vous le préconisez, monsieur le rapporteur, encore faudrait-il des moyens. Il y a une contradiction entre ce que vous voulez faire et ce qu’il est possible de faire. Le rapport serait un moyen de progresser.

Les amendements AC46, AC62 et AC64 sont retirés.

La commission rejette l’amendement AC51.

Titre II
amÉlioration du traitement judiciaire des faits de harcÈlement scolaire et universitaire

Article 4 : Délit de harcèlement scolaire et universitaire

Amendement de suppression AC48 de Mme Elsa Faucillon

Mme Elsa Faucillon. En créant un nouveau délit, monsieur le rapporteur, vous entendez fixer la norme et poser un interdit. Je comprends évidemment cette intention mais, comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, je crains un déséquilibre : on ne résoudra pas le problème uniquement par la judiciarisation ; il faut prendre en parallèle des engagements fermes pour développer la médecine scolaire et pour introduire certains contenus dans les programmes. Assurons-nous qu’un temps suffisant est laissé à l’analyse critique du numérique ; que l’enseignement moral et civique n’est pas relégué au second plan, derrière l’étude de l’histoire et de la géographie ; que les questions relatives aux discriminations et au genre ne sont pas renvoyées aux calendes grecques. Nous allons définir par la loi que le harcèlement scolaire est celui qui se produit au sein de l’école. Or, s’il y a bien un lieu où il faut relever le défi de l’éducatif, c’est l’école.

Pour cette raison et parce que je souhaite entendre le Gouvernement à ce sujet en séance publique, je propose, au stade de l’examen en commission, de supprimer l’article 4, qui vise à créer ce nouveau délit. Si nous nous en tenons à cette disposition, nous nous en sortirons à bon compte, d’une certaine manière. Nous aurons certes défini les termes et pris une mesure ayant valeur de symbole à l’égard de la société, mais nous ne pouvons pas nous contenter de ramener la question à une histoire de bourreaux et de victimes, d’autant que la violence peut être très circulaire en matière de harcèlement scolaire. En définitive, nous n’aurons pas fait œuvre utile.

M. Erwan Balanant, rapporteur. En réalité, madame Faucillon, nous sommes entièrement d’accord sur cette question. Si j’avais voulu aller dans la direction que vous dénoncez – d’ailleurs avec prudence –, je n’aurais pas rédigé et structuré le texte de cette manière. Le premier volet est la prévention. L’article 1er va tout à fait dans le sens que vous souhaitez : il impose une obligation de moyens à l’ensemble du secteur éducatif, notamment à l’éducation nationale. Je rappelle son alinéa 4 : « Les établissements d’enseignement scolaire et supérieur publics et privés prennent les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement dans le cadre scolaire et universitaire. » C’est un engagement fort, étant entendu que l’on ne peut pas imposer une obligation de résultat.

Le deuxième volet est l’accompagnement des victimes grâce à la formation initiale de l’ensemble du personnel éducatif.

Le troisième volet est pénal, effectivement. C’est le volet symbolique, qui correspond à la fonction expressive du code pénal. Nous posons un interdit, de sorte que toute la société s’engage pour réduire le phénomène, voire le faire disparaître.

C’est au moment où le harcèlement au travail a été inscrit dans le code pénal que de véritables politiques ont été menées à ce sujet par les acteurs publics et privés. Il en a été de même pour les violences sexuelles et sexistes, ou pour l’outrage sexiste et le harcèlement de rue – les faits étant passibles, en l’espèce, d’une contravention. Chaque fois que nous introduisons une infraction dans le code pénal, nous emportons la société, j’en ai la conviction. Je ne souhaite pas faire autre chose par ce texte.

Le quantum des peines peut paraître déséquilibré, mais le code pénal impose une cohérence entre les différentes peines. Je le répète, ma proposition de loi vise tous les auteurs, quels qu’ils soient, qui pourraient porter atteinte à la dignité physique ou morale des enfants. Dès lors, nous devons être en mesure d’apporter la réponse pénale nécessaire quand c’est un adulte qui est en cause. C’est pour cette raison que le texte est rédigé de cette façon. J’ai la conviction profonde que nous partageons la même volonté, et que nous devons emprunter cette voie pour combattre le harcèlement scolaire.

Mme Michèle Victory. Je suis du même avis que Mme Faucillon. Nous ne résoudrons pas le problème en introduisant un délit spécifique dans le code pénal. Les représentants de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), avec qui j’ai évoqué assez longuement ces questions qui la concernent directement, n’y sont guère favorables.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce n’est pas du tout ce qu’ils nous ont dit en audition !

Mme Michèle Victory. Moi, c’est ce qu’ils m’ont dit… D’après eux, et ils insistent sur ce point, si l’on impose une obligation de moyens, les parents pourront se retourner contre l’État si celui-ci ne met pas à disposition les moyens nécessaires.

Par ailleurs, les sanctions existent. Si un enfant en blesse un autre dans une bagarre, il peut déjà, en cas de plainte, être condamné à une peine par un tribunal. Je pense que ce nouveau délit est superflu.

Mme Laetitia Avia. Dans la discussion générale, les orateurs des groupes ont tous évoqué le cyberharcèlement et la modération sur les réseaux sociaux. Or, s’il n’y a pas suffisamment de modération du cyberharcèlement, notamment entre enfants scolarisés, c’est tout simplement parce que l’infraction ne figure pas dans le code pénal. Les plateformes modèrent ce qui est illicite pénalement – leurs responsables nous le répètent à l’envi lorsque nous les recevons à l’Assemblée ou au Sénat. Le harcèlement moral ne peut pas être modéré sur les réseaux sociaux car, en raison d’un interdit constitutionnel, il n’entre pas dans la catégorie de ce qui est manifestement illicite. Grâce à la création d’un délit spécifique, bien identifié, précisément défini et proportionné, nous disposerons d’un moyen de lutter contre le harcèlement scolaire, car les plateformes auront l’obligation d’agir. Beaucoup d’entre nous ont l’intention de lutter contre les dérives sur les réseaux sociaux mais, si nous ne créons pas ce délit dans le code pénal, il ne se passera rien de nouveau.

Mme Blandine Brocard. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, il est absolument nécessaire que la loi pose un interdit. Les associations attendent vraiment la création de ce délit, et la FCPE y semble, quoi qu’on en dise, favorable. Si nous créons un délit précisément défini, les victimes de harcèlement, les témoins et le corps éducatif pourront s’emparer de ces dispositions pour agir. À défaut, elles ne le pourront pas. Je soutiens résolument l’article 4.

Mme Elsa Faucillon. Madame Avia, le harcèlement scolaire et le harcèlement au travail sont définis l’un et l’autre par le lieu où les faits se produisent, et il n’est pas possible de les caractériser sur les réseaux sociaux ou sur la toile. Ce qui détermine le caractère illicite d’une image diffusée sur les réseaux sociaux, c’est sa répétition ou le fait qu’elle est dégradante, pornographique, raciste, transphobe, etc. Personne ne peut dire si une telle image relève du harcèlement scolaire ou du harcèlement au travail ; c’est du harcèlement, point.

Ici, nous nous attachons à reconnaître le harcèlement scolaire. Le délit de harcèlement scolaire sera constitué par des faits répétés qui se produisent à l’école. Ne me dites pas que les images diffusées sur les réseaux sociaux deviendront illicites grâce à ce nouveau délit : elles le sont déjà !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Faucillon, madame Victory, lorsque j’ai commencé à travailler sur le harcèlement scolaire, j’étais défavorable à l’introduction d’une qualification autonome dans le code pénal. Mais, en étudiant le sujet avec les acteurs, notamment des avocats, je me suis rendu compte que c’était la seule solution pour garantir un même niveau de protection à un travailleur et à un élève. Comment expliquer à la société et aux parents que le code pénal protège davantage les travailleurs ou les membres du couple que les enfants dans le cadre scolaire et universitaire ? De mon point de vue, il y a là quelque chose qui ne va pas. C’est la principale justification de cette qualification autonome.

Nous avons articulé cette qualification autonome – dont la formulation est encore susceptible d’évoluer – avec le harcèlement moral. Comme je l’ai dit, cela correspond à la fonction expressive du code pénal, qui permet d’engager la société et d’imposer des obligations aux plateformes. Comme l’a relevé Laetitia Avia, les plateformes ne modéreront pas les contenus diffusés sur les réseaux sociaux et sur internet si on ne les y oblige pas.

Ce sera plus simple pour les enfants : là où il y avait des boutons de signalement « intimidations », « violences » et, parfois, « harcèlement », il y aura désormais un bouton « harcèlement scolaire ». Un enfant qui n’en peut plus des attaques de tels ou tels pourra cliquer sur ce bouton, ce signalement entraînant la transmission aux autorités et la mise en route de tout un processus.

Un autre argument fort m’a convaincu de la nécessité d’un délit autonome : lorsqu’un enfant ou sa famille se rend au commissariat de police ou à la gendarmerie parce qu’il s’estime victime de harcèlement scolaire, on lui dit qu’il est possible de porter plainte pour coups et blessures ou pour harcèlement, mais pas pour harcèlement scolaire, car cela n’existe pas.

Qui plus est, il n’existe pas de code NATINF – indiquant la nature de l’infraction – correspondant au harcèlement scolaire, ce qui empêche d’établir des statistiques. Dans le cadre de la mission que m’avait confiée le Premier ministre, j’ai demandé à la Chancellerie et au ministère de l’intérieur le nombre de plaintes déposées pour harcèlement scolaire. Or ils ne sont pas en mesure de le connaître. Cela peut paraître anodin, mais comment agir et mener une politique publique lorsqu’on ne peut pas quantifier le phénomène ? De même, s’agissant des violences sexuelles et sexistes, si l’on n’avait pas créé de qualifications précises, on ne disposerait pas de statistiques, ce qui serait tout de même problématique.

Je l’ai dit, le dépôt de plainte, c’est le constat d’échec de la société. Les plaintes relèvent des cas les plus graves, et la connaissance de ces cas permettra de guider nos politiques publiques. Si l’on décide de lancer une grande politique contre le harcèlement scolaire, d’en faire une cause nationale ou une priorité de notre réponse judiciaire et pénale, l’existence d’un code NATINF permettra des remontées directes au procureur, comme c’est le cas pour les violences conjugales. Le sujet est aussi technique que symbolique.

D’une manière générale, la création de ce nouveau délit nous permettra d’être plus réactifs et plus efficaces, comme l’a rappelé hier encore une avocate spécialiste du monde scolaire lors de la projection que j’ai organisée.

J’insiste sur l’importance de la loi. L’article 1er de la proposition de loi s’inscrit dans la continuité de l’amendement au projet de loi pour une école de la confiance – que vous aviez voté, madame Faucillon – instituant le droit à une scolarité sans harcèlement et sans violence. En se fondant sur cette disposition du code de l’éducation, le tribunal de Melun a déclaré qu’il s’agissait d’une liberté fondamentale, ce qui ouvre aux familles la possibilité de déposer un référé-liberté. Le droit, notamment le code pénal, est un outil qui permet de répondre à un certain nombre de situations. Et il n’y a pas de déséquilibre. Je pense moi aussi que la nouvelle qualification pénale n’est pas la solution miracle qui résoudra toutes les situations. La solution, c’est l’engagement de toute la société contre le harcèlement scolaire. Or c’est aussi le code pénal, constitutif du contrat social, qui engage la société.

Mme Michèle Victory. Je ne suis pas juriste, mais il me semble que la justice des mineurs prononce déjà des sanctions pénales, tout en accompagnant les adolescents concernés, conformément à sa mission, car ils sont encore en transformation et en devenir.

Quant aux plateformes, nous le savons tous, elles ne respectent pas leurs obligations. Google ne paiera peut-être jamais les 500 millions d’euros qu’elle doit. Ainsi que l’a rappelé une lanceuse d’alerte auditionnée récemment à l’Assemblée, les plateformes manquent de modérateurs, en particulier dans certaines langues, et ne peuvent donc répondre aux attentes. Ce nouveau délit inciterait les plateformes à agir ? Par quel miracle ? Pour ma part, je n’y crois pas une seconde.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel AC82 de M. Erwan Balanant.

Amendements AC85 de M. Erwan Balanant et AC22 de Mme Géraldine Bannier (discussion commune)

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je propose de simplifier la définition du nouveau délit : « Constituent un harcèlement scolaire les faits de harcèlement moral définis aux premier à quatrième alinéas de l’article 222‑33‑2‑2 [du code pénal] lorsqu’ils sont commis par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein d’un établissement d’enseignement à l’encontre d’un élève inscrit ou précédemment inscrit au sein du même établissement. » Cette rédaction plus intelligible et plus efficace couvre toutes les situations. Nous pourrons l’ajuster encore en séance publique.

Mme Géraldine Bannier. Pour ma part, je propose simplement de placer le complément d’agent « par d’autres élèves étudiant ou ayant étudié dans le même établissement que la victime » immédiatement après le participe passé « commis », auquel il se rattache du point de vue de la syntaxe.

Il y a une divergence de vues entre nous, monsieur le rapporteur. La définition initiale qui figure dans le texte me convient beaucoup mieux. Avec la nouvelle définition que vous proposez, vous mettez exactement au même niveau le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, faits qui se produisent entre élèves scolarisés et résultent souvent d’un phénomène de groupe, et les éventuelles dérives professionnelles des adultes, notamment des enseignants. En ma qualité de professeure, je suis gênée par un tel rapprochement, et je pense ne pas être la seule. Il est normal que les adultes, notamment les professeurs, soient concernés par le problème du harcèlement, comme le prévoit l’article 1er. Quant aux dérives professionnelles des adultes, qui peuvent exister, elles doivent être sanctionnées. Mais on ne peut pas les mettre sur le même plan que le harcèlement scolaire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le nouveau délit doit viser aussi les adultes. À défaut, un adulte qui harcèle un élève à l’école pourrait être poursuivi seulement au titre du harcèlement moral « classique », lequel n’est puni que d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Or les faits sont graves, puisqu’ils concernent un mineur. D’autre part, les peines ne sont pas les mêmes si les faits sont commis sur un mineur de 15 ans – c’est une circonstance aggravante – ou sur un mineur âgé de 15 à 18 ans.

Nous devons une protection à nos enfants pendant toute la durée de leur parcours scolaire et universitaire, et le degré de protection doit être le même pour tous les enfants. C’est ce que j’ai voulu dans ce texte. Outre les cas de harcèlement entre élèves, il peut arriver qu’un enseignant ou un membre du personnel de l’établissement, public ou privé, harcèle un enfant. Un adulte peut aussi avoir déclenché ou encouragé le harcèlement par ses propos. La loi doit embrasser toutes les situations possibles.

Travaillant sur ce sujet depuis un moment, je reçois des lettres de parents d’élèves décrivant des situations où, d’une façon ou d’une autre, peut-être parfois par méconnaissance, des enseignants ont commis des erreurs. Il faut traiter cette question. Les obligations d’accompagnement et de formation que nous avons inscrites aux articles 1er et 3 permettront d’éviter de telles erreurs.

Mme Géraldine Bannier. Le renforcement des peines sera effectif pour tous les adultes travaillant dans le milieu scolaire, puisqu’ils sont concernés par l’alinéa 3 de l’article 1er. En tant que professeure, je le répète, cela me gêne que l’on place sous le même vocable le harcèlement scolaire et les dérives professionnelles d’adultes. Cela revient à stigmatiser les professionnels du milieu scolaire, alors que ces dérives peuvent être le fait d’autres adultes travaillant avec des enfants – par exemple dans les crèches – ou avec des adolescents – dans le cadre de l’apprentissage ; j’ai en tête des cas précis. J’aurais préféré que le harcèlement scolaire renvoie uniquement aux faits commis entre élèves que rapportent les médias.

Mme Michèle Victory. Je suis d’accord avec Mme Bannier. Il n’est évidemment pas question de nier ce qui pourrait se passer entre un adulte et un élève, ni de tirer un trait dessus. Toutefois, pour que le dispositif de lutte contre le harcèlement scolaire soit pertinent et permette d’envisager les situations avec discernement, il faut se préoccuper de ce qui se passe entre les élèves. La formulation que vous proposez manifeste une certaine défiance à l’égard du corps enseignant, que je trouve malvenue. Il est certainement possible de rédiger le texte autrement pour renforcer les peines.

Vous avez dit que les enseignants étaient parfois coupables parce qu’ils laissaient faire. Dans les classes difficiles, ou pénibles, les enseignants peuvent ne pas se rendre compte qu’il y a du harcèlement. De ce point de vue, la formation est essentielle. Mais on ne peut pas dire que ces adultes-là se sont rendus coupables de harcèlement. Il faut distinguer le harcèlement scolaire et les éventuelles dérives des adultes. Sinon, comme l’a laissé entendre Mme Bannier, de nombreux adultes seront concernés, et on n’en sortira pas.

Mme Aurore Bergé. Je soutiens l’amendement AC85 du rapporteur. Le délit concernera « toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein d’un établissement ». Cela ne vise pas spécifiquement les enseignants. L’enjeu de la proposition de loi est de protéger les enfants contre le harcèlement, quel qu’il soit et quelle que soit la personne ayant commis les faits, qu’il s’agisse d’un autre élève ou d’un professionnel travaillant dans l’établissement. De mon point de vue, c’est le meilleur moyen de protéger ceux pour qui cette proposition de loi a été écrite.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il n’y a là aucune volonté de stigmatiser les enseignants. Mme Bergé vient de le relever, tous les adultes travaillant au sein de l’école seront concernés au même titre. La très grande majorité des enseignants, à n’en pas douter, éprouvent de l’empathie à l’égard des élèves harcelés et souhaitent les aider.

Madame Bannier, madame Victory, il y a d’un côté le code de l’éducation, de l’autre le code pénal, qui doit effectivement être précis. Dans une instruction pénale, l’intentionnalité est prise en compte. À mon avis, il n’y a aucune crainte à avoir. Je comprends vos réticences, mais j’espère parvenir, d’ici à la séance publique, à dissiper vos incompréhensions et à vous convaincre que ce texte doit être adopté à l’unanimité.

La commission adopte l’amendement AC85.

En conséquence, l’amendement AC22 tombe.

Amendement AC73 de Mme Zivka Park

Mme Zivka Park. Il vise à donner la possibilité au juge d’interdire de paraître sur les réseaux sociaux à tout élève de moins de quinze ans reconnu coupable de harcèlement scolaire. Les réseaux sociaux sont une véritable jungle pour nos enfants. Avant 13 ans, ils ne sont pas censés y être, mais c’est malheureusement le cas de certains d’entre eux. J’espère que la proposition de loi visant à encourager l’usage du contrôle parental que présentera prochainement M. Studer permettra de remédier à ce problème. Néanmoins, il s’agit d’un amendement d’appel ; je vais donc le retirer.

M. Erwan Balanant, rapporteur. J’allais vous le suggérer, car la question exige une réflexion et un travail approfondis, même si votre idée est intéressante. Pour que la mesure soit constitutionnelle, il faudrait la borner dans le temps. En outre, il y a un problème d’effectivité : essayez d’installer un contrôle parental sur la tablette de votre enfant, vous n’aurez pas le temps de dire ouf qu’il aura déjà rétabli les paramètres pour y faire ce qu’il veut ! Les ados de cet âge sont très habiles ; je ne suis pas sûr que l’on arriverait à appliquer une telle mesure.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 4 modifié.

Article 5 : Enregistrement de l’audition du mineur victime de harcèlement dans le cadre d’une procédure pénale

La commission adopte l’article 5 non modifié.

Avant l’article 6

Amendement AC20 de Mme Emmanuelle Anthoine

Mme Emmanuelle Anthoine. Cet amendement vise à obliger les personnes ayant harcelé un élève à suivre un stage de sensibilisation au harcèlement scolaire. Ce stage serait aux frais du contrevenant si celui-ci est majeur, à ceux de ses représentants légaux s’il est mineur.

Pour que la lutte contre le harcèlement scolaire soit pleinement efficace, les éventuelles sanctions pénales doivent être complétées par une mesure éducative. En effet, les auteurs des faits sont pour la plupart mineurs et, de facto, scolarisés. Nous vous demandons de rendre systématique l’accomplissement de ce stage, l’article 6 prévoyant qu’il s’agit d’une simple possibilité. C’est une sanction à visée pédagogique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Cela soulèverait un problème de constitutionnalité : les peines ne peuvent pas être automatiques. Je vous invite à retirer l’amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Emmanuelle Anthoine. À mon avis, ce stage serait la seule façon d’accompagner le jeune, de le faire réfléchir, de lui faire prendre conscience de la gravité de ses actes. Il existe des stages de sensibilisation obligatoires dans d’autres domaines, par exemple la sécurité routière. Pourquoi pas en matière de lutte contre le harcèlement scolaire ?

La commission rejette l’amendement.

Article 6 : Stage de responsabilisation à la vie scolaire

Amendement de suppression AC49 de Mme Elsa Faucillon

Mme Elsa Faucillon. En cohérence avec l’amendement de suppression de l’article 4, il vise à supprimer l’article 6, relatif au stage de responsabilisation à la vie scolaire. D’ailleurs, à quoi ce stage ressemblera-t-il ? Je le dis un peu par provocation : s’il s’apparente au service national universel (SNU), ce ne sera pas nécessairement la meilleure façon de responsabiliser les élèves…

M. le président Bruno Studer. Le SNU est un très bon dispositif, madame Faucillon. Je vous invite à vous rendre dans les centres SNU.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AC83 de M. Erwan Balanant et sous-amendements AC86 et AC87 de Mme Cécile Rilhac

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je propose une nouvelle rédaction de l’article 6, après y avoir travaillé avec les services de la Chancellerie. Le code de la justice pénale des mineurs a remplacé il y a quelques mois l’ordonnance de 1945, et cela fonctionne plutôt bien. La justice des mineurs s’adapte à chaque enfant, à sa sensibilité. Le juge détermine si l’enfant est discernant et veille à ce qu’il comprenne la peine, la sanction ou l’accompagnement prononcés.

L’amendement vise à conserver de la souplesse, pour que l’on puisse trouver des réponses adaptées. L’idée est de permettre, localement, l’expérimentation d’un travail commun entre le procureur et le rectorat – cela existe déjà –, afin d’éviter des sanctions « bêtes et méchantes » qui ne seraient pas adaptées au mineur. Il s’agit aussi d’articuler la justice avec la discipline scolaire, un peu comme dans le programme KIVA, qui associe les forces de l’ordre à la démarche de lutte contre le harcèlement.

Mon souhait est que l’on n’aille pas jusqu’au stade de la judiciarisation, grâce aux accompagnements et aux protocoles instaurés – il y en a de nombreux et ils fonctionnent plutôt bien –, le principe étant de détecter aussi vite que possible les cas de harcèlement pour y réagir. Néanmoins, il faut garder des solutions en cas de judiciarisation.

Mme Cécile Rilhac. Mes sous-amendements ne signifient pas que je sois opposée à l’article 6, même si je me pose les mêmes questions qu’Elsa Faucillon à propos des stages de responsabilisation.

L’article permet de remplacer une peine par un stage de responsabilisation, comme il en existe pour certains délits routiers. On préfère responsabiliser plutôt que sanctionner. Si l’article 4, qui crée un délit de harcèlement scolaire en tant que tel, peut s’entendre – nous l’avons d’ailleurs voté –, le présent article n’est pas conforme à la logique scolaire, qui consiste à favoriser la prévention et la sensibilisation. En effet, le temps de la justice est un temps long, et le stage de responsabilisation pourrait arriver trop tard : certains élèves pourraient être condamnés une fois qu’ils ont quitté l’école pour des actes qu’ils ont commis à 13, 15 ou 16 ans, alors que c’est au moment où ils y sont qu’ils doivent faire l’objet d’actions concrètes.

J’en viens à mes sous-amendements. Les termes « vie scolaire » renvoient à une réalité bien précise dans les établissements : dans le service de vie scolaire exercent des professionnels de l’éducation nationale – AED et CPE –, sous la responsabilité du chef d’établissement. Dès lors, que signifierait ce « stage de responsabilisation à la vie scolaire » ? Je vous propose, dans le sous-amendement AC86, de parler plutôt de « stage de responsabilité à la citoyenneté scolaire », ce qui correspond à l’objectif visé.

Le sous-amendement AC87 vise quant à lui à inscrire dans le texte la notion de responsabilisation « aux harcèlements ». Ainsi, ces stages, qui pourraient concerner de jeunes adultes s’étant rendus coupables d’actes de harcèlement lorsqu’ils étaient enfants ou adolescents, permettraient de les sensibiliser à toutes les formes de harcèlement – moral, sexuel ou professionnel –, afin d’éviter qu’ils ne récidivent.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il s’agit d’un débat sémantique. Je ne me suis pas encore fait de religion, à ce stade, sur la manière dont le stage devrait être nommé. L’amendement AC31 de Mme Victory risque de tomber, mais le libellé qu’elle propose me semble le plus intéressant : « stage de responsabilisation à la prévention et à la lutte contre le harcèlement scolaire ». Nous pourrions mener un travail en commun d’ici à la séance pour trouver le nom correspondant le mieux à l’objectif visé.

Mme Michèle Victory. Il est dommage que mon amendement tombe… Pourriez‑vous m’indiquer comment faire pour que cela ne se reproduise pas en séance ?

M. le président Bruno Studer. Votre amendement tombera si celui du rapporteur, qui propose une réécriture globale de l’article 6, est adopté. Il n’en ira donc pas de même en séance.

Mme Michèle Victory. Quoi qu’il en soit, je considère moi aussi que ces stages devraient intervenir en amont des décisions de justice. Sinon, c’est le signe d’un échec.

M. Erwan Balanant, rapporteur. C’est le sens de la nouvelle justice pénale des mineurs, avec la procédure en trois temps. Comme vous le savez, nous avons transformé l’ordonnance de 1945 pour réduire les délais. Même si la réforme est entrée en vigueur récemment, les premiers retours émanant des professionnels de la justice pénale des mineurs laissent à penser que cela fonctionne : on arrive à tenir les délais et des progrès significatifs ont été enregistrés.

Les sous-amendements sont retirés.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 6 est ainsi rédigé et les amendements AC31 de Mme Michèle Victory et AC35 de M. Bruno Fuchs tombent.

Article 7 : Lutte contre le harcèlement scolaire par les prestataires de services de communication au public en ligne

Amendement AC5 de M. Raphaël Gérard

M. Raphaël Gérard. Comme le rappelle l’excellent rapport de la mission d’information sur l’école dans la société du numérique, menée par le président Studer en 2018, le large développement de l’usage des téléphones portables chez les jeunes ainsi que l’avènement des réseaux sociaux ont donné une tout autre envergure au phénomène de harcèlement scolaire, autrefois limité au monde physique. Ainsi, d’après les études menées par la chercheuse et pédagogue Catherine Blaya, 41 % des jeunes ont été déjà été victimes de cyberviolence.

L’objectif de l’article 7 est de responsabiliser les plateformes dans la lutte contre ce fléau. Sans vouloir rouvrir le débat très intéressant lancé par Elsa Faucillon, je m’interroge sur l’opérationnalité du dispositif. Celui-ci vise en effet à introduire le délit de harcèlement scolaire dans la liste des infractions dont la diffusion doit être empêchée, en application de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Je crains qu’il ne soit délicat pour les plateformes de caractériser un tel contenu : comment vont-elles établir la nature scolaire du lien entre la victime et l’auteur du contenu litigieux tout en respectant la législation en matière de protection des données personnelles ?

Il serait plus opportun de rationaliser le champ de cette obligation en le limitant aux infractions qui ne peuvent être caractérisées du fait du contenu lui-même, à savoir les faits constitutifs de harcèlement moral, mentionnés aux alinéas 1 à 4 de l’article 222-33-2-2 du code pénal, sur lequel repose d’ailleurs la rédaction du nouveau délit. Au fond, peu importe si c’est un élève qui en harcèle un autre : dès qu’un contenu relevant du cyberharcèlement est publié et signalé par un utilisateur tiers de confiance, les plateformes doivent procéder à son retrait.

M. le président Bruno Studer. M. le rapporteur va certainement vous renvoyer aux modifications opérées à l’article 4, qui devraient vous rassurer.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Tout à fait : l’article 4 répond au moins en partie à vos préoccupations, monsieur Gérard.

Les plateformes sont tenues de signaler aux autorités les cas de harcèlement sexuel. Toutefois, pour que l’infraction soit constituée, il faut que les propos ou comportements à connotation sexuelle dégradants soient répétés, ce que les plateformes ne sont pas toujours en mesure de constater. Personne ne leur demande de former un pré-jugement. Même quand le procureur qualifie des faits, le juge peut ensuite les requalifier, voire exonérer leur auteur de toute responsabilité. Il faut laisser la justice travailler.

Il ne me semble donc pas particulièrement problématique de demander aux plateformes de rapporter les signalements aux autorités compétentes, après un premier tri écartant les contenus qui, à l’évidence, ne relèvent pas du harcèlement scolaire. L’amendement conduirait à renvoyer aux autorités compétentes tous les cas de cyberharcèlement ; je doute qu’elles soient en mesure de les traiter tous. Il est plus responsable de restreindre le dispositif aux cas de harcèlement scolaire, dont on sait qu’ils peuvent conduire à des dommages graves.

Par ailleurs, l’amendement comporte une coquille : il ne renvoie pas au bon article. Avis défavorable.

Mme Laetitia Avia. En effet, c’est l’article 222-33-2-2 du code pénal que vous visiez, monsieur Gérard.

Vous abordez une question très sensible sur le plan constitutionnel – je suis bien placée pour le savoir… Le Conseil constitutionnel considère que les obligations de modération des plateformes découlant du I-7 de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique doivent être parfaitement proportionnées et cadrées. Un certain nombre de délits ne peuvent donc pas être visés, notamment la diffamation, dont l’appréciation repose sur le juge, ou encore le harcèlement moral. En revanche, il est possible de prendre des dispositions plus circonscrites, comme celle que nous souhaitons adopter concernant le harcèlement scolaire.

Le harcèlement scolaire peut prendre la forme de contenus à caractère haineux, comme le disait Elsa Faucillon, auquel cas il entre dans le champ de l’obligation de modération, mais il n’en va pas de même des moqueries. Dans ce cas, c’est la double peine pour les victimes, car les plateformes refusent de modérer ces contenus. Il faut faire en sorte que les formulaires de signalement soient adaptés, de manière à viser les cas de harcèlement scolaire, ce qui permettra d’agir sur ces contenus spécifiques. Les autres pays européens sont d’accord avec nous pour considérer qu’il est possible d’aller un peu plus loin quand il s’agit de protéger les mineurs. Quoi qu’il en soit, il ne saurait s’agir de modération préventive : les plateformes agissent sur la base de signalements.

M. Raphaël Gérard. Du fait de la coquille, je retire mon amendement, mais je souhaite que nous poursuivions la discussion, même si j’entends parfaitement les arguments de Mme Avia concernant le signalement. Le harcèlement moral serait un cadre plus général et, par conséquent, sans doute plus efficient.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 7 non modifié.

Après l’article 7

Amendement AC24 de Mme Géraldine Bannier

Mme Géraldine Bannier. Il s’agit de demander la remise au Parlement d’un rapport sur « la bonne application sur tout le territoire des mesures de prévention et d’information mises en place à destination de l’ensemble des acteurs et par ces acteurs : parents, personnels de l’éducation et membres des communautés éducatives, élèves ». Je sais d’expérience qu’il existe des journées harcèlement – j’ai participé à l’une d’entre elles en 2015. Toutefois, je m’interroge sur l’application de ces mesures de prévention dans l’ensemble du territoire.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je laisserai le Gouvernement se prononcer sur cette demande de rapport. En attendant, j’émets un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Avant l’article 8

Amendement AC44 de M. Bruno Fuchs

M. Bruno Fuchs. Il existe deux numéros d’écoute pour les victimes de harcèlement scolaire : le 3018, dédié au cyberharcèlement, et le 3020, consacré spécifiquement au harcèlement scolaire. Par ailleurs, le Président de la République a annoncé la création d’une nouvelle plateforme au mois de février. Comme le souligne l’excellent rapport d’Erwan Balanant, le cyberharcèlement est un prolongement quasi systématique du harcèlement scolaire. Plutôt que de monter une usine à gaz, comme on a l’habitude de le faire en France
– il n’est que de voir la variété des numéros d’urgence : le 15, le 18, etc. –, je propose la remise par le Gouvernement d’un rapport visant à définir clairement un dispositif simple, accessible à toute personne se trouvant confrontée à une telle situation.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je laisserai au Gouvernement le soin de vous répondre sur ce point délicat. Les deux numéros auxquels vous faites référence ne fonctionnent pas de la même manière : le 3020 est en liaison avec les référents harcèlement dans chaque rectorat et académie, quand le 3018 se consacre au cyberharcèlement. Il est vrai qu’il existe parfois un lien entre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, mais il s’agit souvent de phénomènes différents. Ces deux numéros sont d’ailleurs efficaces chacun dans son domaine. Cela dit, il importe de s’interroger sur l’opportunité de créer un numéro unique. C’est au Gouvernement qu’il revient d’y réfléchir. Avis défavorable.

M. Bruno Fuchs. Les interrogations dont vous faites état, monsieur le rapporteur, justifient d’autant plus la remise d’un rapport !

M. Erwan Balanant, rapporteur. Certes, mais je ne peux pas l’écrire moi-même !

M. Bruno Fuchs. Nous pourrions demander au Gouvernement de le faire…

La commission rejette l’amendement.

TITRE III 
dispositions diverses

Article 8 : Gage

La commission adopte l’article 8 non modifié.

Après l’article 8

Amendement AC32 de Mme Michèle Victory.

Mme Michèle Victory. Nous persistons à considérer que le harcèlement à l’école ou à ses abords constitue déjà une infraction susceptible d’être sanctionnée. Toutefois, si la nouvelle peine que vous proposez est créée, il faudra s’assurer de son utilité. Nous demandons donc au Gouvernement de dresser chaque année un état des lieux exhaustif de l’usage et de l’impact de cette incrimination.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je vous ferai la même réponse que pour les autres demandes de rapport, tout en sachant que, pour le coup, la question entre dans le champ d’activité du Parlement dans le cadre des rapports d’application. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

M. le président Bruno Studer. Félicitations, monsieur le rapporteur ; rendez‑vous dans l’hémicycle le 1er décembre pour l’examen de votre proposition de loi.

*

*     *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d'adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

-         Texte adopté par la commission :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4712_texte-adopte-commission#

 

-         Texte comparatif :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b4712-compa_texte-comparatif.pdf


—  1  —

   annexe n° 1 :
Liste des personnes ENTENDUes par lE rapporteur

(par ordre chronologique)

                 Me Yael Mellul, avocate

                 Ministère de la justice – Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG)  M. Manuel Rubio-Gullon, sous-directeur de la négociation et de la législation pénales, M. Francis Le Gunehec, chef du bureau de la législation pénale générale, et Mme Anne-Mahaut Mercier, rédactrice au sein de ce bureau

                 Audition commune :

 Mme Sabine Van Heghe, sénatrice, présidente de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement

– Mme Colette Mélot, sénatrice, rapporteure de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement

                 Fédération française des télécoms (FFT) *  M. Olivier Riffard, directeur des affaires publiques de la FFT, et Mme Alexandra Laffitte, responsable des contenus et usages de la FFT

                 Audition commune des associations de lutte contre le harcèlement scolaire :

– Association HUGO ! * – Mme Pauline Frey, directrice générale, et M. Matthieu Boukhatem, chargé de mission

– Association Marcelment  Mme Kiara Latrompette, présidente, Mme Catherine Latrompette, co-présidente, et M. Valliuns Latrompette

                 Table-ronde des syndicats d’enseignants (enseignement scolaire et supérieur) :

– Union nationale des syndicats autonomes de l’Éducation (SEUNSA) – Mme Claire Krepper, secrétaire nationale

– Syndicat national des enseignements du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU) – Mme Géraldine Duriez, psychologue de l’Éducation nationale et responsable de la catégorie PsyEN au Snes-FSU national, et M. Gwénaël Le Paih, secrétaire général adjoint du SNES-FSU

– Syndicat général de l’Éducation nationale – Confédération française du travail (SGEN-CFDT)  Mme Isabelle Carnez, déléguée syndicale, et Mme Sylvie Perron

                 Audition commune :

– Me Valérie Piau, avocate en droit de l’éducation

– Me Delphine Meillet, avocate

                 Mme Mirentxu Bacquerie, directrice générale de l’École des parents et des éducateurs Ile-de-France, et Dr Aurélien Varnoux, pédopsychiatre, membre du conseil d’administration

                 Table ronde réunissant les plateformes :

– Google France *  M. Thibault Guiroy, Govt Affairs & Public Policy, et M. Olivier Esper, responsables des relations institutionnelles

– Meta France *  Mme Capucine Tuffier, responsable des affaires publiques, et MAnton Battesti, directeur des affaires publiques de Facebook France

– TikTok France – M. Eric Garandeau, directeur des relations institutionnelles et des affaires publiques France, et Mme Sarah Khemis, responsable senior affaires publiques France

– Snap Inc. (Snapchat) * – Mme Sarah Bouchahoua, responsable des affaires publiques France

– Twitter France * – Mme Audrey Herblin-Stoop, directrice des affaires publiques

                 M. Éric Debarbieux, ancien président-fondateur de l’Observatoire international de la violence à l’école et vice-président de l’association « Prévenance »

                 Centre ReSIS – M. Jean-Pierre Bellon, membre du comité d’experts contre le harcèlement au sein du Ministère de l’Éducation nationale, et Mme Marie Quartier, directrice de la formation, et membre du comité d’experts contre le harcèlement au sein du Ministère de l’Éducation nationale

                 Table ronde réunissant les organisations syndicales de personnels médicosociaux de l’Éducation nationale:

– Syndicat national des assistants de service social de l’Éducation nationale (Snasen UNSA-Éducation) – Mme Sophie Guardia et Mme Francine Bogenez, membres du conseil syndical national

– Syndicat national des infirmiers et conseillers de santé de la FSU – Mme Sylvie Magne, secrétaire générale adjointe, et Mme Céline Montolio, membre du bureau national

– Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique  Fédération syndicale unitaire (SNUASFP FSU)  Mme Véronique Hoarau, membre du bureau

                 Table-ronde réunissant les associations de parents d’élèves :

– Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) – Mme Marie-Françoise Wittrant, secrétaire générale adjointe et Mme Zihar Zayet, représentante et en charge du dossier harcèlement scolaire

 Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE)  Mme Nageate Belahcen, co-présidente, et Mme Pascale Durand, directrice vie fédérale

– Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL)  M. Christophe Abraham, chargé des relations avec le Parlement

Union des associations autonomes de parents d’élèves (UNAAPE) – Mme Lydie Benay, présidente de l’Union régionale Ile-de-France et administratrice, et Mme Marina Tedaldi, vice-présidente de l’Union départementale des Yvelines

                 Table-ronde réunissant les syndicats de directeurs d’établissements d’enseignement :

– Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale (SNPDEN-UNSA) – Mme Valérie Queric, secrétaire nationale

 Indépendance et Direction – Syndicat indépendant des personnels de direction de l’éducation nationale (ID-FO) – Mme Agnès Prouteau, technique du secrétaire général, et Mme Agnès Andersen, secrétaire générale adjointe d’IDFO

– #S2DE-Syndicat des directrices et directeurs d’école – M. Nicolas Rodriguez, membre

– Syndicat national des chefs d’établissement d’enseignement libre (SNCEEL) – Mme Michèle Coirier, vice‑présidente, et Mme Catherine Redon, membre du bureau national

                 Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) – M. Edouard Geffray, directeur général

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


—  1  —

   Annexe N° 2 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code de l’éducation

L. 111‑6 (nouveau)

1er

Code de l’éducation

L. 511‑3‑1 (abrogé)

2

Code de l’éducation

L. 442‑2

2

Code de l’éducation

L. 442‑20

3

Code de l’éducation

Chapitre III du titre IV du livre V de la deuxième partie (L. 543‑1 et L. 543‑2) (nouveau)

4

Code pénal

222‑33‑2‑3 (nouveau)

5

Code de procédure pénale

706‑52

6

Code de la justice pénale des mineurs

L. 112‑2

6

Code de la justice pénale des mineurs

L. 122‑5

6

Code de la justice pénale des mineurs

L. 422‑1

6

Code de la justice pénale des mineurs

L. 422‑3

7

Loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique

6

 


([1]) Défenseur des droits, Santé mental des enfants : le droit au bien-être, novembre 2021.

([2]) C. Mélot, Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, septembre 2021.

([3]) Alinéa 13 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946.

([4]) Articles L. 111-1 et suivants du code de l’éducation.

([5]) Dans la partie pratique de leur formation, les apprentis bénéficient notamment de la protection contre le harcèlement au travail découlant de l’article 222-33-2 du code pénal.

([6])  E. Balanant, « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire », 13 octobre 2020, p. 92.

([7]) La notion de communauté éducative recouvre, aux termes de l’article L. 111-3 du code de l’éducation, « les élèves et tous ceux qui, dans l’établissement scolaire ou en relation avec lui, participent à l’accomplissement de ses missions (…) les personnels des écoles et établissements, les parents d’élèves, les collectivités territoriales, les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l’éducation ».

([8]) Article 222-14-3 du code pénal.

([9]) E. Balanant, « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire », 13 octobre 2020.

([10]) Article 222-33 du code pénal.

([11]) Article 222-33-2 du code pénal.

([12]) Article 222-33-2-1 du code pénal.

([13]) Voir : D. Chauvet, « Mérites ou démérites du délit général de harcèlement moral créé par la loi du 4 août 2014 ? », Recueil Dalloz 2015, p. 174 ; M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Dalloz, mai 2018, p. 544.

([14]) Arrêt de chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 janvier 2014, n° 11-81.362.

([15]) Cette dernière précision, apportée par la commission des Lois de l’Assemblée nationale lors de la première lecture du projet de loi, doit permettre de caractériser l’infraction de harcèlement moral même lorsque les propos ou comportements litigieux n’ont pas fait l’objet d’une concertation expresse entre les coauteurs, parfois difficile à prouver.

([16]) L’incapacité totale de travail est une notion juridique qui permet à un magistrat d’évaluer la gravité d’une infraction. Exprimée en jours, elle est constatée par un médecin et traduit la gêne fonctionnelle dont pâtit la victime pour la réalisation d’activités quotidiennes et usuelles telles que marcher, se laver, parler, travailler, manger, etc.

([17]) Sans circonstance aggravante, si l’auteur a moins de seize ans et la victime plus de quinze ans.

([18]) Avec la circonstance aggravante de cyberharcèlement, si la victime a moins de quinze ans et l’auteur plus de seize ans.

([19]) E. Balanant, « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire », 13 octobre 2020, p. 104.

([20]) Direction des affaires criminelles et des grâces, Guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes, septembre 2015, p. 22.

([21]) E. Balanant, « Comprendre et combattre le harcèlement scolaire », 13 octobre 2020, p. 163.

([22]) Ibid.

([23]) Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

([24]) La communication au public en ligne est elle-même définie à l’article 1er de la même loi comme « toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d’informations entre l’émetteur et le récepteur ».

([25]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11558791_619df782a095c.commission-des-affaires-culturelles---proposition-de-loi-visant-a-lutter-contre-le-harcelement-scol-24-novembre-2021