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N° 4911

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 janvier 2022.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites,

 

 

 

Par MmeFabienne COLBOC,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro : 4632.


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

synthÈse

I. Rappel historique

A. 1940 – 1945 : Les spoliations en France pendant la Seconde Guerre mondiale

B. 1945 – 1955 : les restitutions dans l’immÉdiat aprÈs–guerre

C. 1955  1989 : le silence franÇais et les rÉparations allemandes

D. 1989 – 2008 : Le retour des questions de restitution

E. 2008 – 2022 : comment faire plus et « faire mieux » ?

II. État du droit des restitutions en france

A. L’inaliÉnabilitÉ des collections publiques requiert une action lÉgislative pour autoriser la restitution des œuvres

1. Les principes législatifs d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité des biens des collections publiques

2. La possibilité de déroger à ces principes par la loi

3. Les précédents législatifs

B. Les œuvres concernÉes par le projet de loi ne permettent pas une restitution par la voie administrative

1. Ces œuvres ne sont pas des œuvres « MNR »

2. et elles ne satisfont pas aux critères permettant un déclassement administratif

C. Une restitution par la voie judiciaire n’apparaÎt pas souhaitable

D. Le cadre international et europÉen n’est pas directement applicable

E. des questions demeurent en suspens

1. De l’opportunité d’une loi-cadre

2. La difficile recherche des ayants droit

III. principaux apports de la commission

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Restitution du tableau Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt aux ayants droit de Mme Eleonore Stiasny

Article 2 Remise de douze œuvres issues de la succession de M. Armand Dorville à ses ayants droit

Article 3 Restitution du tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo aux ayants droit de M. Georges Bernheim

Article 4 (nouveau) Restitution du tableau Le Père de Marc Chagall aux ayants droit de M. David Cender

Travaux de la commission

I. discussion générale

II. Examen des articles

annexe : Liste des personnes entendues par lA rapporteurE

 

 


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   introduction

 

Le 16 juillet 1995, le Président de la République, Jacques Chirac, reconnaissait la responsabilité de l’État français dans les crimes antisémites commis durant la Seconde Guerre mondiale, admettant que la France avait accompli « l’irréparable ». Il retenait également une « dette imprescriptible » de l’État à l’égard des victimes des persécutions antisémites.

La spoliation, définie comme l’« action par laquelle on dépossède par violence ou par fraude » ([1]) recouvre des réalités très diverses : vols, confiscations, extorsions, ventes forcées, etc. Elle devient systématique dès les premières semaines de l’Occupation et touche principalement les Juifs de France. Cette dépossession d’apparence légale des biens fait partie des crimes auxquels le régime de Vichy a collaboré.

Le présent projet de loi, qui prévoit la restitution ou la remise de quatorze œuvres d’art spoliées à leurs trois propriétaires de confession juive dans le cadre de persécutions antisémites ne réparera par l’irréparable, mais contribuera à acquitter une partie de la dette rémanente que l’État conserve à l’égard de leurs ayants droit.

Ces remises et restitutions répondent à des engagements réitérés du Président de la République, du Premier ministre et de la ministre de la culture. Mme Roselyne Bachelot-Narquin s’était ainsi engagée à présenter un projet de loi dès que possible après l’annonce de la restitution à venir du tableau de Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, en mars 2021. De la même manière, à la suite de la décision du Premier ministre de remettre douze œuvres achetées par l’État lors de la vente de la collection de M. Armand Dorville en juin 1942, le Gouvernement avait annoncé en mai 2021 préparer un texte législatif à cet effet. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir ces engagements aujourd’hui concrétisés par le présent projet de loi, le recours au législateur étant rendu indispensable par l’appartenance des œuvres visées aux collections publiques.

Ce texte présente un caractère inédit : il s’agit du premier texte de loi autorisant la restitution d’œuvres d’art à des particuliers, et du premier texte organisant la sortie des collections publiques d’œuvres spoliées. Il est donc particulièrement important que le Parlement s’en saisisse. Le dépôt d’un tel projet de loi permet, en outre, à l’État de prendre l’initiative de ces restitutions, sans attendre de procédure judiciaire, dès lors que la conviction est acquise que ces œuvres, entrées dans les collections publiques, ont fait l’objet d’une spoliation à caractère antisémite ou ont été acquises dans des conditions troubles.

Ce projet de loi fera date, notamment au niveau international, où la France accuse un retard certain dans les restitutions d’œuvres spoliées – en comparaison avec l’Allemagne, par exemple – et où le blocage que constitue l’inaliénabilité des collections est parfois pointé du doigt. L’adoption de ce texte, permettant de lever le verrou dans des cas spécifiques, sera un signal important, probablement reçu comme tel à l’étranger, notamment aux États-Unis et en Israël.

Un certain nombre d’œuvres ont déjà été restituées, en particulier celles qui répondent au statut dit des « MNR », pour « musées nationaux récupération », rapportées d’Allemagne à partir de 1945 et confiées uniquement temporairement à la garde des musées nationaux d’abord, puis également de certains musées en région, dans l’attente de leur restitution à leur propriétaire légitime. Il convient cependant de porter aujourd’hui le regard sur l’ensemble des œuvres présentes au sein des collections publiques, potentiellement exposées sans que leur origine spoliatrice ne soit connue ou mentionnée.

Si les enjeux, à la fois éthiques, artistiques, diplomatiques, juridiques et économiques, sont importants, l’accélération des recherches en vue de la restitution de l’ensemble de ces œuvres est, plus qu’une nécessité, une véritable urgence, compte‑tenu notamment de l’âge des héritiers en mesure d’identifier des œuvres ayant appartenu à leurs aïeux et d’en demander la restitution.

À cet égard, il convient de rappeler que ces restitutions n’ont pas pour objet, uniquement, de compenser un préjudice matériel, mais bien de rétablir un titre de propriété légitime. Il s’agit, surtout, de garantir le respect de la dignité des victimes de la barbarie nazie et des persécutions antisémites, auxquelles les autorités françaises ont contribué et qu’elles se doivent, aujourd’hui, de réparer dans toute la mesure de leurs moyens. Comme plusieurs personnes auditionnées l’ont mentionné, rendre un bien à une famille, c’est surtout lui rendre une mémoire et une part d’identité. C’est aussi, parfois, rendre aux membres d’une famille la seule trace matérielle de la vie d’un de leurs ancêtres.

Au-delà, il en va aussi de l’éthique des collections, des institutions muséales et des personnes publiques. Les musées, en particulier, se doivent d’être des « musées propres » ([2]), et il n’est plus admissible que de tels établissements conservent en leur sein des œuvres dont l’origine ou le parcours projettent sur elles une tache indélébile.

Obligations morales de l’État et piliers éthiques des institutions muséales, les restitutions sont, sans aucun doute, appelées à se multiplier dans les années à venir, compte tenu de l’accroissement voire de la systématisation des recherches de provenance, en particulier pour des œuvres dont les parcours entre 1933 et 1945 peuvent être suspects. Il faut, à la fois, s’en réjouir, et regretter que l’histoire de la France rende de telles mesures nécessaires, soixante-quinze ans après la fin des conflits. Il faut, en tout état de cause, considérer ce projet de loi comme le premier pas d’une démarche qui devra, impérativement, être prolongée et accentuée.


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   synthÈse

Le rapport général de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France instituée par le Premier ministre en 1997 et confiée à M. Jean Mattéoli (ci-après « mission Mattéoli ») le notait d’emblée : « se pencher sur la question des biens ne signifie pas que les Juifs ont été exterminés par simple cupidité, ni que la mémoire d’Auschwitz ressortit à une quelconque question d’argent » ([3]).

La rapporteure ne peut que souligner le rôle essentiel de la spoliation dans la politique d’exclusion sociale et économique des Juifs de France et d’Europe. Cette politique, qui constituait un préalable à la déportation, puis à l’extermination de six millions de Juifs dans les camps de la mort, fit partie intégrante du processus génocidaire de l’Holocauste. C’est ainsi de l’unicité de la Shoah qu’il s’agit : la spoliation, qui touche principalement – même si non uniquement – les familles juives, participe de la volonté d’anéantir un peuple, en s’attaquant à sa culture et à la propriété privée. Tout comme la déportation et l’extermination, elle fut conduite par le régime nazi avec la complicité proactive de l’État français sous l’Occupation.

Bien sûr, le présent rapport n’est pas le lieu d’une étude approfondie des ordonnances et « lois » du gouvernement de Vichy ayant permis l’exclusion des Juifs de France de la vie économique et sociale. Ces dispositions visant à l’« aryanisation » économique sont résumées dans l’étude d’impact et font l’objet d’une bibliographie abondante ([4]).

Mais l’essentiel est là : même si la spoliation a été inspirée par les politiques nazies, elle a trouvé son application dans le cadre législatif élaboré par le gouvernement de Vichy. Et, même exigée par l’occupant, elle fut initiée par des instances françaises, au premier rang desquelles le Commissariat général aux questions juives (CGQJ) de Xavier Vallat et Louis Darquier de Pellepoix.

La rapporteure souhaite donc faire un bref rappel de l’histoire de ces spoliations, ainsi que des politiques de restitution menées par la France, de l’immédiat après-guerre au présent projet de loi, avant de présenter un panorama général de l’état du droit des restitutions en France.

I.   Rappel historique

A.   1940 – 1945 : Les spoliations en France pendant la Seconde Guerre mondiale

La spoliation, qui a essentiellement touché les Juifs de France, a concerné un grand nombre de biens matériels et immatériels : entreprises, fonds de commerce, comptes bancaires, biens immeubles et biens meubles, parmi lesquels figurent les œuvres d’art, au cœur du présent projet de loi.

L’organisation en France d’une politique de spoliation des œuvres d’art par le régime nazi a pris forme dès les premiers jours de l’Occupation. Les 21 et 25 juin 1940, sur les ordres de l’occupant, le commissaire de police de la ville de Paris, Georges Chain, visite avec le graveur Jacques Beltrand et l’historien de l’art Walter Andreas Hofer plusieurs galeries d’art appartenant à des familles juives. Ils sont accompagnés des autorités allemandes, qui examinent avec leur assistance toutes les œuvres laissées par les galeristes, qui ont pour la plupart dû fuir Paris. À partir du 1er juillet, Jacques Beltrand et Walter Andreas Hofer procèdent à l’expertise des œuvres saisies tout au long de l’été 1940 ([5]). Alors que la Geheime Feldpolizei (police secrète) organise la « mise en sécurité » des collections, une ordonnance du 15 juillet 1940 sur la protection des objets d’art dans le territoire occupé de France ([6]) interdit notamment la vente et l’éloignement de certaines œuvres d’art, et oblige leurs propriétaires à déclarer ces biens dans un délai d’un mois.

Dès septembre 1940, Hermann Goering, commandant en chef de la Luftwaffe et second personnage politique dans la hiérarchie du Reich, systématise les spoliations en créant l’Einsatzstab der Dienstellen des Reichsleiters Rosenberg für die Westlichen Besetzten Gebiete und die Niederlande (équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg pour les territoires occupés de l’Ouest et les Pays-Bas, ci‑après « ERR »), qualifié par l’historienne de l’art Emmanuelle Polack d’« organe officiel d’exécution des confiscations d’œuvres d’art pour la France occupée » ([7]). Les spoliations commises par l’ERR durant l’Occupation ont fait l’objet d’une étude approfondie par la mission Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France, détaillée dans le rapport de Mme Isabelle le Masne de Chermont et M. Didier Schulmann, dont il ressort, notamment, l’importance de quelques collections exceptionnelles dans la masse des œuvres spoliées : ainsi « 5 % des collectionneurs spoliés étaient propriétaires de 75 % des biens saisis » ([8]).

Il ne faut pas, pour autant, sous-estimer l’ampleur des spoliations d’œuvres d’art isolées, provenant de collections de moindre importance, ou d’appartements vidés par la « Möbel Aktion » à partir de 1942 : cette opération, menée pour fournir des meubles aux familles allemandes installées à l’est, a conduit au pillage de plusieurs dizaines de milliers d’appartements par la Dienststelle Westen (service Ouest), les biens présentant un caractère artistique apparent étant transférés à l’ERR. Dans le même temps, les spoliations atteignent l’ensemble des biens culturels au‑delà des seules œuvres d’art : le Sonderstab Musik dirigé par Herbert Gerigk, intégré à l’ERR dès l’été 1940, procède ainsi au pillage des instruments de musique et bibliothèques musicales. Ainsi, en 1943, « un inventaire intermédiaire mentionne le stockage à Paris de 1 006 pianos en attente de transfert », nombre porté à 2000 au départ des troupes d’Occupation ([9]).

La « mise en sécurité » des œuvres spoliées durant l’été 1940 est ordonnée par le ministre des affaires étrangères du Reich, Joachim von Ribbentrop, à l’ambassadeur d’Allemagne en France, Otto Abetz. C’est lui qui décide le transfert des œuvres les plus importantes dans les locaux de l’ambassade d’Allemagne à Paris puis réquisitionne « trois à six salles du Louvre » ([10]). Ces dépôts sont saturés en moins de cinq mois ; dès novembre 1940, quelque 450 caisses d’œuvres d’art sont transférées au musée du Jeu de Paume ([11]). Le musée, auparavant en partie vidé de ses collections par l’attachée de conservation et résistante Rose Valland, devient un lieu de stockage et d’exposition des œuvres spoliées en attente de transfert ou de revente.

Rose Valland, une résistante au service de l’Art

Rose Valland, née en novembre 1898, est formée à l’École nationale des Beaux-Arts de Lyon puis à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, à l’École du Louvre et à l’Institut d’Art et d’Archéologie. Elle rejoint le musée du Jeu de Paume en 1932 en qualité d’« attachée bénévole » auprès du directeur André Dézarrois.

Le 28 septembre 1938, Rose Valland se voit confier par le sous-directeur des Musées nationaux, Jacques Jaujard, « le soin de prendre les mesures nécessaires à la sécurité des collections » ([12]), ce qu’elle accomplit en évacuant 283 toiles au château de Chambord et en dissimulant 616 autres œuvres dans deux salles du musée du Jeu de Paume. Durant l’Occupation, et alors que ce musée devient le lieu de stockage et d’exposition des œuvres spoliées par l’ERR, Rose Valland prend scrupuleusement note des mouvements de milliers d’œuvres. Au péril de sa vie, elle transmet à la Résistance des informations relatives aux convois d’œuvres, et conserve ses fiches qui deviendront un outil essentiel au retour et à la restitution durant l’après-guerre.

Le rapport de Mme Isabelle le Masne de Chermont et M. Didier Schulmann sur le pillage de l’art en France rédigé dans le cadre de la mission Mattéoli ([13]) rappelle que les informations de Rose Valland ont, non seulement, permis de retrouver les dépôts de l’ERR en Allemagne, en Autriche et en Tchécoslovaquie, mais encore de coordonner les recherches d’œuvres réclamées par les familles entre la Commission de récupération artistique (CRA) française et les collecting points – lieux de rassemblement des œuvres retrouvées – alliés en Europe ([14]). Détachée au ministère de la Guerre, puis au ministère des Affaires étrangères, elle devient secrétaire de la CRA et participe activement aux recherches. Elle devient conservatrice des Musées nationaux en 1952, et travaille à la restitution des œuvres spoliées jusqu’à sa mort le 18 septembre 1980.

Les œuvres qualifiées d’Entartete Kunst (art dégénéré) selon l’idéologie nazie sont isolées dans une « salle des martyrs », où s’amoncellent bientôt les chefs‑d’œuvre de l’art contemporain. Reproduites sur le site du ministère de la Culture, les photographies prises de l’exposition des œuvres spoliées témoignent de l’ampleur des pillages ([15]).

Certaines de ces œuvres sont détruites, notamment au cours de l’autodafé du 23 juillet 1943 ([16]), durant lequel cinq ou six cents d’entre elles sont brûlées aux abords directs du musée du Jeu de Paume.

Un grand nombre d’œuvres sont également dispersées sur un marché opaque. Rose Valland se dira par la suite « persuadée qu’un important nombre de ces tableaux furent vendus directement à Paris » ([17]), ce que confirme l’historienne de l’art Emmanuelle Polack qui décrit une « entreprise de coulage de large ampleur » menée par Bruno Lohse, marchand d’art allemand, émissaire de Hermann Goering dans ses recherches d’œuvres et cheville ouvrière de l’ERR, avec l’aide de Walter Andreas Hofer. Ces œuvres échappent donc à la destruction en raison de leur valeur économique : ainsi s’exprime la duplicité des idéologues nazis qui, d’une part, revendiquent la destruction d’un art considéré comme « dégénéré » et, d’autre part, reconnaissent sa valeur en exploitant ses richesses.

B.   1945 – 1955 : les restitutions dans l’immÉdiat aprÈs–guerre

La restitution des œuvres d’art spoliées, dont les fondements juridiques ont été posés avant même la fin des conflits, débute dans l’immédiat après-guerre.

Ainsi, après la déclaration interalliée du 5 janvier 1943 considérant nulles toutes « transactions d’apparence légale, même lorsqu’elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes », l’ordonnance du 12 novembre 1943 du Comité national français sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle indique que « le Comité national réserve tous les droits de la France de déclarer nuls les transferts et transactions de toute nature effectués pendant la période où le territoire français se trouve sous l’autorité directe ou indirecte de l’ennemi ». L’ordonnance du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 fixe le principe selon lequel l’acquéreur ou les acquéreurs successifs sont considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé, qui, si la nullité est constatée, « reprend ses biens, droits ou intérêts exempts de toutes charges et hypothèques dont l’acquéreur ou les acquéreurs successifs les auraient grevés » (cf. infra).

Sur ce fondement, une première politique publique de restitution voit le jour, initiée par des instances qui parviennent rapidement à des résultats impressionnants, mais dont les lacunes doivent aujourd’hui être comblées.

L’Office des biens et intérêts privés (OBIP), créé après la Première Guerre mondiale pour veiller à « l’application des clauses économiques du traité de Versailles relatives aux problèmes de biens privés » ([18]), se voit confier la gestion des demandes de restitutions formulées par les familles spoliées. À cet effet, l’OBIP est doté d’une Commission de récupération artistique (CRA) instituée par un arrêté du 24 novembre 1944. La CRA, dirigée par Albert Henraux et forte d’une équipe de plus de trente personnes, dont Rose Valland, est munie dès juin 1945 d’un « service de récupération des livres, documents d’archives, manuscrits et autographes […] à l’initiative de Julien Caïn, administrateur de la Bibliothèque nationale de France » ([19]). Le dépouillement de 2 289 dossiers de demandes permet de dactylographier 85 000 fiches d’œuvres grâce auxquelles un répertoire des biens spoliés en dix volumes est publié entre 1947 et 1949. La CRA, travaillant sur cette base avec les collecting points, retrouve 61 233 objets spoliés dont 45 441 sont rapidement restitués à leurs propriétaires légitimes.

La CRA laissait donc 16 000 objets sans destination claire. Le décret du 30 septembre 1949 fixant la date de cessation de ses activités prévoyait la création de deux « commissions de choix » chargées d’identifier parmi ces œuvres celles qui présentaient un intérêt pour le patrimoine national. L’une s’intéresse aux livres et manuscrits ; l’autre, aux objets d’art. Cette dernière se réunit 8 fois entre 1949 et 1953, et retient environ 2 200 œuvres et objets sur des critères fortement critiqués par la mission Mattéoli ([20]). Ces œuvres et objets, inscrits sur des listes de récupération et confiés temporairement à la garde des musées nationaux jusqu’à leur restitution, deviendront les « MNR » (« musées nationaux récupération », cf. infra).

Entre 1950 et 1953, les quelque 13 500 œuvres et objets qui n’avaient été ni restitués aux familles spoliées, ni récupérés par les musées nationaux, furent vendus par l’administration des Domaines. De nombreuses œuvres spoliées sont ainsi retournées sur le marché de l’art à cette occasion.

À la date de publication du présent rapport, environ 2 000 œuvres dites MNR demeurent à la garde de certains musées de France relevant de personnes publiques, nationaux ou en région. Leurs fiches détaillées et leurs photographies sont mises à disposition du public sur le site du ministère de la Culture ([21]).

C.   1955 – 1989 : le silence franÇais et les rÉparations allemandes

Après la fin des activités de la CRA et la vente, par l’administration des Domaines, des œuvres non-sélectionnées par la commission de choix, la question des restitutions de biens spoliés quitte le débat public pour près de quarante ans. L’étude d’impact du présent projet de loi précise ainsi que « seulement six œuvres "MNR" furent restituées entre 1954 et 1993 » ([22]). Parallèlement, le marché de l’art connaît à Paris une période de prospérité remarquable, sans être touché par des régulations contraignantes en matière de provenance des œuvres vendues.

En 2000, le rapport de M. Jean Mattéoli relève ainsi que « les musées de France n’ont pas poursuivi, avec la détermination montrée dans les années 19451950 pour la restitution de 45 000 objets, les recherches en propriété sur les 2 000 œuvres et objets d’art qui leur avaient été alors confiés », tandis que Mme Corinne Bouchoux, ancienne sénatrice et auteure d’une thèse sur le sujet, précisait : « l’administration et ses fonctionnaires vont en quelque sorte hériter d’une situation quelque peu floue qui deviendra une sorte de secret de famille dans le monde des musées, de l’art, de la culture » ([23]).

À l’inverse, la question reste bien présente en République fédérale d’Allemagne, qui développe une législation pionnière en matière de dédommagement des spoliations commises par le IIIe Reich : le Bundesrückerstattungsgesetz, ou loi Brüg du 19 juillet 1957, modifiée en 1959 et 1964, qui s’applique aux biens spoliés en République fédérale d’Allemagne et à Berlin, mais aussi à ceux transférés vers ces territoires.

D.   1989 – 2008 : Le retour des questions de restitution

Après la chute du « rideau de fer », l’accessibilité grandissante des archives a permis aux historiens puis à la société dans son ensemble de prendre à nouveau conscience de ce qu’avait été la barbarie nazie.

En parallèle, la reconnaissance politique de la responsabilité de l’État français dans les crimes – et notamment les spoliations – commis donne un nouveau fondement à la politique de restitution. Le Président de la République Jacques Chirac, lors de la commémoration de la rafle du Vélodrome d’Hiver, le 16 juillet 1995 ([24]), reconnaissait ainsi que la France avait accompli « l’irréparable », mais n’en retenait pas moins une « dette imprescriptible » de l’État à l’égard des victimes des persécutions antisémites. En 1997, une mission sur l’étude de la spoliation des Juifs de France est confiée par le Premier ministre à M. Jean Mattéoli et poursuivra ses travaux jusqu’en 2000, tandis qu’est créée, en 1999, la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS).

La question des restitutions de biens spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale fait également irruption sur la scène internationale. La Conférence de Washington sur les biens confisqués à l’époque de l’Holocauste permet l’adoption des Principes dits « de Washington » le 3 décembre 1998 ([25]) alors que le Conseil de l’Europe, réunissant un Forum international sur les biens culturels juifs spoliés pendant la Shoah, parvient à la Déclaration de Vilnius du 5 octobre 2000. Enfin, une conférence « Holocaust Era Assets » menée à l’initiative du gouvernement tchèque du 26 au 30 juin 2009, débouche sur l’adoption de la Déclaration de Terezin le 30 juin 2009. Ces conférences rappellent les engagements moraux que prennent les États parties à faciliter l’accès aux archives, à encourager les demandes des requérants ou à simplifier les procédures de restitution dans l’objectif de trouver une « solution juste et équitable ».

E.   2008 – 2022 : comment faire plus et « faire mieux » ?

Les années 2010 ont été marquées, et la rapporteure le salue, par un nouvel élan donné à la politique de restitution des œuvres.

La recherche en matière d’œuvres spoliées durant la Seconde Guerre mondiale est bouleversée, en 2012, par la découverte d’une collection impressionnante de peintures et sculptures – plus de 1 500 œuvres – chez Cornelius Gurlitt, fils du marchand d’art Hildebrand Gurlitt. Ce dernier, connu pour son intense activité sur le marché de l’art parisien sous l’Occupation, était notamment en charge d’acheter des œuvres destinées à contribuer au futur musée de Linz, projet hitlérien d’un musée gigantesque censé accueillir les plus grandes œuvres de l’art dit « véritable », par opposition à l’art dit « dégénéré ». Il avait, également, gardé par-devers lui un grand nombre d’œuvres. Cette affaire, selon Mme Emmanuelle Polack, entendue par la rapporteure, représente un véritable tournant en Allemagne dans l’appréhension des enjeux de restitution, qui se répercute en France et conduit également à y renouveler le travail sur ces questions.

La restitution d’œuvres s’accélère alors et, à partir de 2013, il est décidé de lancer des travaux devant permettre d’identifier les propriétaires des œuvres MNR et leurs ayants droit de manière proactive, sans attendre d’éventuelles démarches des familles. Un groupe de travail est installé par Madame Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, et placé auprès de la CIVS, afin d’adopter une démarche de recherche des ayants droit des 145 œuvres MNR réputées spoliées avec un niveau élevé de certitude. Ainsi, selon l’étude d’impact, « sur les 68 œuvres et objets restitués depuis 2012, 43, soit près des deux tiers, l’ont été dans le cadre de recherches proactives, menées à l’initiative du ministère et des musées concernés ».

En outre, depuis les années 1990, la question de la présence d’œuvres spoliées au sein des collections publiques – et donc non recensées comme MNR sur des inventaires spécifiques mais intégrées au domaine public mobilier – se pose avec une acuité croissante, les MNR ne représentant sans doute qu’une minorité des œuvres spoliées conservées dans les musées français.

En 2018, le Premier ministre Édouard Philippe, évoquant la question de la spoliation lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, demandait à la CIVS et au ministère de la culture de « faire mieux ». En parallèle de l’élargissement des missions de la CIVS au-delà des seules œuvres « MNR », est créée, au sein du ministère de la culture, la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS).

Depuis 2020, c’est surtout la démarche de recherche de provenance sur un grand nombre d’œuvres, et en particulier sur les œuvres acquises entre 1933 et 1945, ou entrées dans les collections publiques depuis mais dont le passé demeure flou sur cette période, qui est à saluer. Cet élan touche, notamment, les institutions muséales, dont un grand nombre ont lancé des recherches approfondies sur les itinéraires des œuvres entre 1933 et 1945. Ainsi, le musée du Louvre, qui conserve un grand nombre de MNR, a recruté une chercheuse de provenance, Mme Emmanuelle Polack, pour se pencher sur ses acquisitions entre 1933 et 1945 (près de 14 000 œuvres, dont un peu plus de mille achats, les autres provenant de dons, legs ou fouilles archéologiques). Environ 70 % de ces œuvres auraient déjà été passées en revue. Le mouvement touche également les maisons de vente aux enchères, dont la responsabilité dans la circulation d’œuvres spoliées sur le marché de l’art n’est pas à minimiser. Il peut ainsi être noté que Drouot et le Louvre ont, le 10 mars 2021, signé un accord de partenariat par lequel Drouot, lieu important de ventes d’œuvres d’art pendant l’Occupation, s’engage à ouvrir ses archives à la recherche. Il est, enfin, soutenu par l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) qui a lancé en novembre 2021 un répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation, en partenariat avec l’université technique de Berlin, pour « reconstituer les trajectoires des hommes et des œuvres » durant l’Occupation en France, permettre « la visualisation des réseaux complexes par lesquels les œuvres ont transité » et ainsi contribuer à l’identification d’œuvres spoliées, puis à leur restitution.

Ces démarches pourraient aboutir, à terme, à une recherche systématique de provenance pour l’ensemble des œuvres entrées dans les collections publiques depuis 1933, telle que l’a mise en œuvre le Royaume-Uni, conformément d’ailleurs aux principes énoncés par la Conférence de Washington. En effet, au-delà de la période même de la Seconde Guerre mondiale, c’est bien les mouvements d’œuvres des années 1950 à 1970 qui sont, notamment, à étudier de près : dès lors que l’administration des Domaines a remis sur le marché de l’art, à partir de 1951, les plus de 13 000 œuvres retrouvées en Allemagne qui n’avaient été ni restituées ni sélectionnées par la commission de choix, il peut être supposé que plusieurs milliers d’œuvres spoliées – même si toutes les œuvres rapportées d’Allemagne ne sont pas issues de spoliations – ont été mises en circulation à cette période et, éventuellement, acquises par les musées français, sans qu’il ne soit possible d’en estimer le nombre. Pour ces œuvres, cependant, les archives sont rares, voire inexistantes.

Si la rapporteure se félicite de ces avancées, elle attend désormais que les récentes modifications institutionnelles et les démarches entreprises par les musées et les acteurs du marché de l’art se concrétisent, notamment par une augmentation ou une accélération des restitutions.

II.   État du droit des restitutions en france

En l’état actuel du droit français, plusieurs voies existent pour restituer une œuvre d’art à son propriétaire victime de spoliation ou à ses ayants droit, dont une seule apparaît applicable aux cas d’espèce :

– la restitution des œuvres dites « musées nationaux récupération » (cf. supra), rapportées d’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, qui relèvent d’un statut particulier permettant leur restitution sans recours au législateur ;

– la restitution décidée par le juge judiciaire, notamment lorsque l’origine spoliatrice d’une œuvre est établie ;

– la restitution d’œuvres entrées dans les collections publiques qui ne sont pas éligibles au déclassement administratif, après leur déclassement par le législateur.

C’est cette dernière voie qui, s’agissant des œuvres concernées par le présent projet de loi, doit être empruntée.

A.   L’inaliÉnabilitÉ des collections publiques requiert une action lÉgislative pour autoriser la restitution des œuvres

1.   Les principes législatifs d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité des biens des collections publiques

À titre liminaire, il convient de rappeler que les collections publiques recouvrent plusieurs catégories d’œuvres, parfois évoquées de manière indistincte :

– les biens des collections des musées de France, nationaux ou territoriaux, relevant d’une personne publique (tels que le sont le musée d’Orsay, le musée du Louvre et le musée national du château de Compiègne, qui conservent les œuvres visées par les articles 1er et 2). En revanche, les collections des musées de France, nationaux ou territoriaux, relevant d’une personne morale de droit privé à but non lucratif ne font pas partie des collections publiques ;

– les biens culturels possédés par une personne publique et qui, présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique, sont dès lors intégrés à son domaine public mobilier, y compris lorsqu’elles ne sont pas conservées par un « musée de France ». C’est le cas, notamment, du tableau visé par l’article 3, acheté par la ville de Sannois, exposé en son musée Utrillo-Valadon qui, avant sa fermeture, n’avait pas reçu l’appellation « musée de France ».

Les musées de France

L’appellation « musée de France » a été créée par la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France en son article 1er. Tout musée, c’est-à-dire toute « collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public » (art. L. 410-1 du code du patrimoine), peut bénéficier de cette appellation, sous réserve de remplir plusieurs missions patrimoniales et d’éducation d’une part, et de satisfaire un certain nombre de conditions d’autre part (relatives notamment au personnel de direction).

L’appellation est attribuée par le préfet de région ou, pour les collections appartenant à l’État ou à une personne morale placée sous la tutelle de l’État, par le ministre chargé de la culture et, le cas échéant, le ministre dont relève le musée en cause ou qui en assure la tutelle, après avis du Haut conseil des musées de France. Tous les musées nationaux détiennent l’appellation « Musée de France » (article L. 442-2 du code du patrimoine).

Selon les données du ministère de la culture, parmi les 1 218 musées de France, 82 % relèvent des collectivités territoriales ou de leurs groupements, 13 % de personnes morales de droit privé (associations ou fondations) et 5 % de l’État.

Les biens culturels intégrés aux collections publiques sont soumis au régime de la domanialité publique, dont les principes fondamentaux remontent à l’édit de Moulins de 1566, qui leur confère une triple protection : ces biens sont inaliénables, imprescriptibles et insaisissables.

Ainsi, l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques fait des biens présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique – notamment, mais non uniquement, les collections des musées – des biens du domaine public mobilier des personnes publiques qui en sont propriétaires ([26]). Cet article est à mettre en regard de l’article L. 3111‑1 du même code, qui dispose que « les biens des personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 ([27]), qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ».

La loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France donne un fondement légal au principe d’inaliénabilité appliqué spécifiquement aux collections des musées de France relevant des personnes publiques. L’article L. 451-5 du code du patrimoine, qui en est issu, dispose ainsi que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. Toute décision de déclassement d’un de ces biens ne peut être prise qu’après avis conforme du Haut Conseil des musées de France ».

Comme l’indique le Conseil constitutionnel ([28]) « l’inaliénabilité […] a pour conséquence d’interdire de se défaire d’un bien du domaine public, de manière volontaire ou non, à titre onéreux ou gratuit » et s’oppose ainsi à ce que la propriété des œuvres des collections publiques puisse être transférée.

En revanche, les biens des collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé à but non lucratif sont cessibles, à l’exception des biens acquis par dons et legs ou avec le concours de l’État ou d’une collectivité territoriale, pour lesquels l’article L. 451-10 du code du patrimoine précise qu’ils « ne peuvent être cédés, à titre gratuit ou onéreux, qu’aux personnes publiques ou aux personnes morales de droit privé à but non lucratif qui se sont engagées, au préalable, à maintenir l’affectation de ces biens à un musée de France » et après approbation de l’autorité administrative donnée elle-même après avis du Haut Conseil des musées de France.

Selon le rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat sur la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories ([29]), citant lui-même M. Jacques Rigaud dans son rapport à la ministre de la culture sur l’inaliénabilité ([30]), ce principe « "est au cœur de l’effort collectif ayant contribué à conserver et enrichir depuis des siècles notre patrimoine artistique et scientifique […]. L’inaliénabilité n’est pas une contrainte arbitrairement imposée pour des raisons de principe, mais un devoir qui procède de la mission de service public assignée aux musées depuis la Révolution", puisqu’il s’agissait alors d’assurer la sauvegarde et la permanence des œuvres devenues propriété de la Nation, au service de l’intérêt public de la connaissance et de la transmission aux générations futures, par-delà les variations des goûts ».

Par ailleurs, l’article L. 451-3 du code du patrimoine précise également que le principe d’imprescriptibilité fixé par l’article L. 3111-1 pour les biens du domaine public dans son ensemble s’applique spécifiquement aux collections des musées de France : « les collections des musées de France sont imprescriptibles ». Comme l’explique la décision du Conseil constitutionnel précitée, « l’imprescriptibilité fait obstacle […] à ce qu’une personne publique puisse être dépossédée d’un bien de son domaine public du seul fait de sa détention prolongée par un tiers ». Dans le commentaire de cette décision, le Conseil constitutionnel précise :  « l’imprescriptibilité des biens relevant du domaine public […] permet aux personnes publiques d’exercer de façon perpétuelle l’action en revendication de biens irrégulièrement aliénés [notamment par un vol]. D’autre part, l’imprescriptibilité interdit qu’une personne privée puisse se prévaloir de la possession prolongée d’un bien, soit pour en revendiquer la propriété, soit pour obtenir une indemnisation en cas de dépossession […] ».

Enfin, l’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques indique que les biens de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que des établissements publics – qui incluent donc les biens des musées de France relevant des personnes publiques – sont insaisissables. Cet article est complété par l’article L. 451-10 du code du patrimoine, également introduit par la loi dite « musées » de 2002, s’agissant des collections des musées de France appartenant à des personnes morales de droit privé, qui précise que ces biens sont insaisissables à compter de l’accomplissement des mesures de publicité relatives à l’attribution de l’appellation « musée de France ».

En outre, il peut également être noté que l’article L. 111-1 du code du patrimoine dispose que les biens appartenant aux collections des musées de France sont des trésors nationaux. Il résulte de cette disposition que l’exportation des biens appartenant à ces collections est interdite, ceci en conformité avec l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ([31]).

2.   La possibilité de déroger à ces principes par la loi

Les principes d’inaliénabilité, d’insaisissabilité et d’imprescriptibilité des biens culturels intégrés aux collections publiques ont pour objet de garantir que ces œuvres, qui appartiennent à tous, ne puissent être vendues ou cédées par ceux qui en ont la charge, mais soient exposées ou conservées pour l’étude scientifique ou la postérité.

Ces principes, cependant, n’ont pas de valeur constitutionnelle, et il est possible d’y déroger par la loi.

Le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans sa décision  86217 DC du 18 septembre 1986, par laquelle il a ainsi considéré : « sans qu’il soit besoin de rechercher si le principe d’inaliénabilité du domaine public a valeur constitutionnelle, il suffit d’observer qu’il s’oppose seulement à ce que des biens qui constituent ce domaine soient aliénés sans qu’ils aient été au préalable déclassés ».

C’est également ce qu’a indiqué le Conseil d’État dans son arrêt du 30 juillet 2014 ([32]) : « à moins que le législateur n’en dispose autrement, les œuvres détenues par une personne morale de droit public […] appartiennent au domaine public et sont, de ce fait, inaliénables ».

Il revient donc au législateur d’autoriser, par une dérogation limitée au principe d’inaliénabilité, la sortie des collections publiques et le transfert de propriété de plusieurs œuvres.

L’avis rendu par le Conseil d’État sur le projet de loi de restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal ([33]) rappelle qu’ « une loi prononçant le déclassement de biens du domaine public mobilier doit être examinée au regard de plusieurs exigences constitutionnelles attachées à la protection de la propriété publique : ne pas porter une atteinte disproportionnée à celle-ci ; ne pas mettre en cause la continuité des services publics auxquels le domaine public est affecté ; être justifiée par un motif d’intérêt général ».

Ces conditions semblent ici réunies, le motif d’intérêt général étant, notamment, manifeste. Le faible nombre d’œuvres concernées, au regard de l’étendue des collections publiques, garantit qu’aucune atteinte disproportionnée au domaine public ni aucune menace sur la continuité des services publics concernés ne soit à craindre. L’étude d’impact le confirme également : « le fait d’envisager la sortie d’un nombre limité d’œuvres appartenant au domaine public, pour permettre aux ayants droit de leurs propriétaires d’origine dépossédés dans un contexte de persécutions antisémites perpétrées par le régime nazi de les récupérer, apparaît compatible avec ces conditions ».

3.   Les précédents législatifs

Plusieurs déclassements législatifs de biens culturels appartenant aux collections de musées de France relevant de personnes publiques, à des fins de restitution, sont intervenus ces vingt dernières années, dans des contextes toutefois relativement différents de celui du présent projet de loi.

La loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud a autorisé la restitution de la dépouille mortelle de cette femme, également connue sous le nom de « Vénus hottentote », alors conservée dans les collections du musée de l’Homme, un musée du Muséum national d’histoire naturelle. Cette femme, originaire d’Afrique du Sud, réduite en esclavage puis exhibée en Europe, était décédée à Paris en 1815 et son corps conservé en France. Les autorités sud-africaines réclamaient sa dépouille afin qu’elle puisse recevoir une sépulture décente. Une proposition de loi avait alors été déposée par M. Nicolas About, sénateur, président de la commission des affaires sociales du Sénat. L’unique article de cette loi disposait ainsi que : « À compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les restes de la dépouille mortelle de la personne connue sous le nom de Saartjie Baartman cessent de faire partie des collections de l’établissement public du Muséum national d’histoire naturelle. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai de deux mois pour les remettre à la République d’Afrique du Sud ».

Huit ans plus tard, la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections organisait la restitution de plusieurs têtes d’individus maoris, tatouées et momifiées. Cette loi faisait suite à l’annulation par le tribunal administratif de Rouen de la décision en date du 19 octobre 2007 de la municipalité de Rouen qui avait pris l’initiative de restituer la tête maorie momifiée conservée dans les collections du muséum municipal d’histoire naturelle, d’ethnographie et de préhistoire (mais déjà retirée de l’exposition au public pour respecter les souhaits des autorités néozélandaises). Le tribunal administratif de Rouen avait annulé cette délibération par ordonnance du 27 décembre 2007, jugement confirmé en appel par la Cour administrative d’appel de Douai en date du 24 juillet 2008. En effet, le muséum d’histoire naturelle de Rouen étant un « musée de France » depuis le 17 septembre 2003, le principe de l’inaliénabilité des collections s’appliquait et empêchait que des biens ne soient cédés sans déclassement préalable. De surcroît, la tête maorie conservée par le muséum de Rouen provenait d’un don et requerrait donc également un véhicule législatif pour déroger à la disposition de l’article L. 451-7 du code du patrimoine selon laquelle « les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ne peuvent être déclassés ».

Aussi, Mme Catherine Morin-Dessailly, sénatrice, avait déposé une proposition de loi en février 2008, faisant sortir des collections des musées de France l’ensemble des têtes maories possédées par ces musées, en vue de leur restitution à la Nouvelle-Zélande. Son article premier disposait ainsi qu’« à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nouvelle-Zélande ».

Ces situations présentent toutefois un caractère particulier. En effet, comme l’indique le rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par la mission d’information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques, présenté par MM. Max Brisson et Pierre Ouzoulias, sénateurs, en décembre 2020, « la situation est différente pour les restes humains patrimonialisés, qui ne sont pas des biens culturels comme les autres. Le principe à valeur constitutionnelle de respect de la dignité humaine joue un rôle déterminant dans la décision de leur restitution ».

En 2020, la loi n° 2020-1673 du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal autorisait, par dérogation au principe d’inaliénabilité, la sortie des collections publiques et le transfert de propriété de vingt-sept objets conservés par des musées de France :

– 26 œuvres d’art, acquises au cours de la conquête du Dahomey, actuel Bénin, par le général Alfred Amédée Dodds qui exerçait alors le commandement des troupes françaises au Sénégal depuis 1890. Ces œuvres avaient été données au musée d’ethnographie du Trocadéro par le Général Dodds en 1893 et 1895 et étaient conservées au musée du Quai Branly‑Jacques Chirac. Elles ont été restituées à la République du Bénin, de manière à pouvoir être présentées au public béninois et international dans le cadre d’un projet de musée porté par le Bénin ;

– un sabre, dit « d’El Hadj Omar Tall », récupéré en 1893 par les troupes françaises du colonel Archinard à l’issue d’une bataille contre Amadou Tall, fils et successeur d’El Hadj Omar. Ce sabre avait été légué au musée de l’Armée par le colonel Archinard en 1909. Il a été restitué à la République du Sénégal.

Ce texte faisait suite au discours prononcé le 28 novembre 2017 par le président de la République Emmanuel Macron à l’université d’Ouagadougou au Burkina Faso et avait pour objet, selon l’exposé des motifs, de « rendre possible des restitutions d’œuvres emblématiques du patrimoine de l’Afrique, dans un cadre partenarial refondé avec les pays africains d’origine et sans porter atteinte à la vocation universaliste des musées français, ni remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections nationales ».

Il convient de noter, cependant, que dans l’ensemble des précédents cités, la restitution s’est opérée d’État à État, et non vis-à-vis d’un particulier. Le présent projet de loi, qui autorise la restitution à des personnes physiques, constitue à cet égard un texte sans équivalent à ce jour.

B.   Les œuvres concernÉes par le projet de loi ne permettent pas une restitution par la voie administrative

Les œuvres d’art concernées par le projet de loi, n’appartenant pas à la catégorie des œuvres dites « MNR », ne peuvent faire l’objet d’une restitution « administrative ». Leur déclassement, permettant leur aliénabilité, ne peut être autorisé que par la loi, dans la mesure où elles n’ont manifestement pas perdu leur intérêt public « du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ».

1.   Ces œuvres ne sont pas des œuvres « MNR »

Les œuvres récupérées à partir de 1945 par la Commission de récupération artistique puis rapatriées en France sont, pour celles qui n’ont été ni restituées aux familles, ni vendues – soit 2 143 œuvres au 1er mars 2000 selon le rapport de la sénatrice Corinne Bouchoux ([34]) – dénommées œuvres « musées nationaux récupération » ou « MNR » ([35]). Selon le rapport de la mission sur le traitement des œuvres et biens culturels ayant fait l’objet de spoliations pendant la Seconde Guerre mondiale présenté par M. David Zivie à Madame Françoise Nyssen, alors ministre de la culture, en février 2018 ([36]), les tableaux – les « MNR » au sens strict – sont aujourd’hui répartis dans 140 musées. Si 74 de ces musées n’abritent qu’un à trois tableaux, les musées du Louvre et d’Orsay en détiennent 40 %.

Ces œuvres sont placées sous un statut particulier, précisé notamment par le décret n° 49-1344 du 30 septembre 1949 relatif à la fin des opérations de la Commission de récupération artistique, et rappelé par l’instruction de la ministre de la culture Fleur Pellerin du 16 octobre 2015 relative à la gestion des œuvres issues du fond de récupération artistique confiées à la garde des musées nationaux relevant du ministère de la culture et de la communication et éventuellement déposées en région : elles n’appartiennent pas au patrimoine de l’État, qui n’en a que la garde temporaire ; elles sont inscrites sur des inventaires particuliers dans l’attente de leur éventuelle restitution (« les œuvres dites MNR ne doivent pas être inscrites dans les inventaires des musées nationaux ni des institutions dépositaires ») ; elles sont actuellement mises en dépôt dans les musées de France, nationaux ou territoriaux de statut public ; elles doivent être accessibles au public et pouvoir être restituées sans prescription (« les œuvres dites MNR étant restituables sans qu’aucune prescription ne puisse être opposée à une demande en ce sens, il importe qu’elles soient toutes accessibles au public ») ; le cartel, les catalogues, les guides ou tout support les désignant doivent comporter le préfixe MNR (ou équivalent) ainsi qu’une mention spéciale indiquant leur provenance, pour faciliter leur identification. Elles ne peuvent, en théorie, sortir du territoire national (« Les biens dits "MNR" ne peuvent pas sortir du territoire national ») : seule une exception a été faite, en 2008, pour l’organisation de l’exposition « À qui appartenaient ces tableaux ? » au musée d’Israël à Jérusalem : 53 œuvres MNR furent alors présentées, la France ayant obtenu des autorités israéliennes une garantie d’insaisissabilité.

Ces œuvres étaient, jusqu’à une date récente, placées sous l’autorité du ministère des Affaires étrangères qui en avait confié la gestion à l’actuel service des musées de France de la direction générale des patrimoines du ministère de la culture, pour leur présentation au public et la diffusion des informations les concernant.

N’appartenant pas aux collections publiques, elles peuvent ainsi être restituées sans intervention du législateur, à tout moment et sans limitation de temps, par décision administrative sous le contrôle du juge administratif, comme l’a rappelé très clairement le Conseil d’État dans un arrêt de 2014 ([37]) : « Considérant qu’il résulte de l’ensemble des dispositions concernant les œuvres répertoriées MNR que l’État n’a pas entendu s’en attribuer la propriété, ni par suite les incorporer au domaine public ; qu’il s’en est seulement institué le gardien à fin de restitution aux propriétaires spoliés par les actes de la puissance occupante, et à leurs ayants droit en mettant en place un service public de la conservation et de la restitution de ces œuvres ; que les autorités compétentes sont tenues de restituer les œuvres aux propriétaires légitimes, puis à leurs ayants droit, sur leur demande […] ; qu’en l’absence de dispositions législatives contraires, et dans la mesure où une restitution demeure en principe envisageable et s’avère d’ailleurs effectivement possible, aucune prescription particulière ou de droit commun ne peut être opposée à cette demande ; qu’un refus, décision administrative prise dans l’exercice de la mission du service public de conservation et de restitution des œuvres MNR, peut être contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir ».

Il peut être souligné que, parmi les œuvres MNR, toutes ne proviennent pas d’actes de spoliation, mais figurent dans cette catégorie en raison de leur découverte en Allemagne puis de leur rapatriement en France à l’issue des conflits. Le rapport d’information de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la gestion des réserves et des dépôts des musées, présenté en décembre 2014 par Mme Isabelle Attard et MM. Michel Herbillon, Michel Piron et Marcel Rogemont ([38]), cite ainsi le cas d’un tapis glorifiant l’idéologie nazie, commandé aux ateliers des Gobelins par Goering pendant l’Occupation, livré en Allemagne, avant d’être rapporté en France à la fin de la guerre et classé comme MNR.

La procédure d’instruction d’une demande de restitution a évolué en 2018 et 2019. La décision de restitution d’une œuvre MNR est, aujourd’hui, prise par le Premier ministre, sur recommandation de la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) après instruction du dossier par la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS), ou sur recommandation du ministre de la culture après instruction par la M2RS, lorsque le dossier n’entre pas dans le champ de compétence de la CIVS (c’est-à-dire lorsqu’il concerne un bien spolié en dehors de la période d’Occupation en France, ou pendant la période d’Occupation mais hors du territoire national).

La CIVS et la M2RS

La Commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) a été créée par décret du 10 décembre 1999 ([39]). Chargée alors de répondre aux demandes d’indemnisation pour tout type de spoliation intervenue en France pendant l’Occupation (soit uniquement entre juin 1940 et août 1944), elle ne pouvait initialement être activée que sur requête des familles et recommander, s’agissant des œuvres d’art, d’indemniser les œuvres disparues ou de restituer des œuvres MNR.

Comme l’indiquent les documents de présentation de la CIVS, « la Commission n’étant pas une juridiction, elle intervient sur un mode pragmatique et non pas juridique. Les règles de la prescription ne s’appliquent pas aux requêtes traitées en son sein. Aucun formalisme, aucune preuve écrite ne sont exigés. C’est la Commission qui effectue […] les recherches nécessaires afin d’établir la teneur et l’étendue des spoliations ».

Le service des musées de France du ministère de la culture – qui dispose d’une cellule spécialisée – coordonnait initialement la recherche et les restitutions pour les œuvres d’art, en lien avec les musées de France conservant les œuvres concernées, tandis que la direction des archives du ministère des affaires étrangères, qui assurait la responsabilité juridique des MNR, en validait la restitution.

Les missions de la CIVS ont été élargies par le décret n° 2018-829 du 1er octobre 2018. Elle est désormais habilitée à s’autosaisir et étend ses compétences aux biens culturels intégrés aux collections publiques ([40]), pour proposer des recommandations au Premier ministre. Le ministère des affaires étrangères est désormais déchargé de sa responsabilité juridique sur les MNR.

En parallèle, un nouveau service a été créé en 2019 au sein du ministère de la culture, pour instruire les dossiers relatifs aux œuvres d’art ([41]) : la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS). Elle regroupe les agents de la CIVS et ceux du service des musées de France chargés des dossiers relatifs aux biens culturels mobiliers. Elle a pour mission :

– de coordonner la politique publique visant à identifier et restituer ces biens, notamment ceux qui ont été spoliés du fait des mesures antisémites, que ces biens aient été spoliés en France, ou qu’ils se trouvent sur le territoire national ;

– d’assurer les recherches permettant l’identification des biens culturels spoliés conservés par les institutions publiques ;

– d’assurer l’instruction des cas de spoliations de biens culturels mentionnés en assurant, en lien avec la CIVS, la recherche des propriétaires de ces biens et de leurs ayants droit ;

– de veiller à la sensibilisation des publics et des professionnels aux enjeux soulevés par les spoliations de biens culturels intervenues entre 1933 et 1945 et par la présence de biens spoliés dans les institutions publiques.

La M2RS assure ainsi l’instruction de demandes formulées non seulement auprès de la CIVS par les victimes de spoliations ou toute personne concernée, mais aussi par le ministère de la culture ou la CIVS en autosaisine. Cette mission, rattachée au Secrétaire général du ministère, est composée d’experts en recherche de provenance et dotée d’un budget propre pour financer des recherches complémentaires par des prestataires extérieurs.

Les restitutions d’œuvres « MNR » se poursuivent encore aujourd’hui : 4 œuvres ont été restituées en 2017, 6 en 2018, 11 œuvres et objets en 2019 et 24 œuvres et objets en 2020. Encore récemment, en décembre 2021, le ministère de la Culture a organisé au Louvre la restitution de quatre œuvres d’art volées en novembre 1940 par l’ERR, classées MNR, aux ayants droit de M. Moïse Levi de Benzion.

 

Cependant, les procédures de restitutions de telles œuvres, qui n’appartiennent pas aux collections des musées de France relevant des personnes publiques – donc au domaine public mobilier de l’État – mais bénéficient d’un statut particulier devant faciliter leur retour à leur propriétaire légitime, ne sont pas applicables aux œuvres concernées par le présent projet de loi, qui ont été acquises par l’État ou une collectivité territoriale et intégrées aux collections publiques.

2.   et elles ne satisfont pas aux critères permettant un déclassement administratif

Si la procédure générale de déclassement administratif des biens du domaine public peut concerner des œuvres d’art – permettant en conséquence leur aliénation –, celle-ci n’est pas applicable en l’espèce.

Ainsi, de manière générale, l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques prévoit qu’« un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 ([42]), qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement ». Mais l’article L. 2112-1 du même code général de la propriété des personnes publiques définit comme critère d’appartenance au champ du domaine public mobilier celui de l’« intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ».

En outre, l’article L. 451-5 du code du patrimoine précise que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. Toute décision de déclassement d’un de ces biens ne peut être prise qu’après avis conforme du Haut Conseil des musées de France ». Les biens incorporés par dons ou legs, en revanche, ne peuvent être déclassés (article L. 451-7 du code du patrimoine ([43])).

La procédure de déclassement administratif

La loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, qui réaffirme le principe d’inaliénabilité des collections des musées de France relevant des personnes publiques, prévoit une procédure de déclassement requérant une décision collégiale de la commission scientifique des collections des musées de France, créée par cette loi. Elle ne peut s’appliquer aux biens acquis par dons, legs ou, pour les collections ne relevant pas de l’État, aux biens acquis avec l’aide de l’État (article L. 451-7 du code du patrimoine). Cependant, selon le rapport d’information fait au nom de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi de Mme Catherine Morin-Desailly visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, par M. Philippe Richert, sénateur, en juin 2009, « cette possibilité, ouverte par le législateur, d’extraire un bien du domaine public pour envisager notamment une cession, est restée virtuelle ». Certes, la commission a été créée par décret du 25 avril 2002 mais elle n’a jamais eu à statuer sur une question de déclassement ni engagé de réflexion sur d’éventuels critères de déclassement.

L’article 4 de la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections a substitué à la commission scientifique des collections des musées de France une commission scientifique nationale des collections, compétente pour examiner les propositions motivées de déclassement, auxquelles elle devait donner un avis conforme. Les articles L. 115-1 et L. 115-2 du code du patrimoine précisaient respectivement les missions et la composition de la commission scientifique nationale des collections, qui devait notamment donner « son avis conforme sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France » et définir « des recommandations en matière de déclassement » de ces biens. Si le décret n° 2011-160 du 8 février 2011 a précisé l’organisation de cette commission, celle-ci n’a, finalement, été installée qu’à la fin de l’année 2013 et indiqué dans son rapport au Parlement qu’elle ne se prononcerait sur une éventuelle proposition de déclassement qu’au regard de la perte de l’intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique du bien en cause, se déclarant incompétente pour juger des demandes de restitution – qui concernent généralement des biens qui n’ont pas perdu un tel intérêt – bien qu’elle ait été créée par une loi portant sur la restitution de biens réclamés par un pays étranger. Elle a, au total, rendu une dizaine d’avis en matière de déclassement.

Cette commission a été supprimée par l’article 13 de la loi n° 2020-1525 d’accélération et de simplification de l’action publique du 7 décembre 2020.

Le nouvel article L. 115-1 du code du patrimoine, au sein d’une section ré‑intitulée « déclassement », prévoit donc désormais que « toute décision de déclassement de biens culturels appartenant aux collections des personnes publiques ou de cession de biens culturels appartenant à des personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d’art contemporain […] est préalablement soumise à l’avis de son ministre de tutelle pour les collections appartenant à l’État et au ministre chargé de la culture pour les collections n’appartenant pas à l’État ». Il peut être noté que le décret d’application de cet article ([44]) rappelle, dans l’article R. 115-1 qu’il introduit au code du patrimoine, qu’« un bien culturel appartenant au domaine public en application de l’article L. 21121 du code général de la propriété des personnes publiques ne peut être déclassé du domaine public que lorsqu’il a perdu son intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ».

Au total, comme l’indique le Conseil d’État dans son avis rendu sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, « il résulte de la combinaison de cet article L. 451-5 et de l’article L. 2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques qu’un déclassement par la voie administrative n’est possible que lorsqu’un bien a perdu tout intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique ».

Or, il ne peut aucunement être considéré que les tableaux et œuvres visés par le projet de loi ont perdu leur intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique. L’autorisation du législateur est donc nécessaire pour déroger au principe d’inaliénabilité et permettre à ces œuvres, qui conservent leur intérêt public, de voir leur propriété transférée.

C.   Une restitution par la voie judiciaire n’apparaÎt pas souhaitable

Le cadre juridique national, adopté de manière très précoce, avant même la fin des conflits de la Seconde Guerre mondiale, ouvre également la voie à une restitution judiciaire d’œuvres d’art ou autres biens spoliés.

Ainsi, dès 1943, le Comité national français, représentant la France libre, adoptait l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle. Cette ordonnance donnait force contraignante à la déclaration solennelle signée à Londres le 5 janvier 1943 par les gouvernements des États alliés et le Comité national français ([45]), déclaration par laquelle les signataires « donnent l’avertissement officiel à tous les intéressés et en particulier aux personnes résidant en pays neutres, qu’ils ont l’intention de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre en échec les méthodes d’expropriation pratiquées par les Gouvernements avec lesquels ils sont en guerre, contre les pays et les populations qui ont été si cruellement assaillis et pillés ». Cette déclaration précisait explicitement que cet avertissement s’appliquait « tant aux transferts ou transactions se manifestant sous forme de pillage avoué ou de mise à sac, qu’aux transactions d’apparence légale, même lorsqu’elles se présentent comme ayant été effectuées avec le consentement des victimes ».

Cette ordonnance a été complétée par l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle, qui indique que les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens ont été l’objet de mesures de séquestre, d’administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toute autre mesure exorbitante du droit commun peuvent en faire constater la nullité ([46]), la violence avec laquelle ces mesures ont été prises étant présumée ([47]). Aussi, « l’acquéreur ou les acquéreurs successifs sont ainsi considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé » (article 4), qui, si la nullité est constatée, « reprend ses biens, droits ou intérêts exempts de toutes charges et hypothèques dont l’acquéreur ou les acquéreurs successifs les auraient grevés » (article 2). L’ordonnance fixe un délai de six mois pour invoquer ces dispositions mais prévoit que le juge peut relever ce délai s’il est prouvé qu’une impossibilité matérielle a empêché le requérant d’agir.

Ce texte permet donc au juge, seul, d’annuler un acte de disposition initial qu’il reconnaît comme spoliateur, à la demande des ayants droit des personnes spoliées, lorsqu’elles peuvent être relevées de la forclusion. Comme l’indique le Conseil d’État dans son avis sur le présent projet de loi, la nullité de l’acte initial de dépossession d’un bien culturel entré dans les collections publiques, prononcée par le juge sur le fondement de l’ordonnance de 1945, fait échec au principe d’inaliénabilité et entraîne la nullité de toutes les transactions postérieures ayant porté sur ce bien, abolissant la propriété du possesseur de l’objet à la date de la décision du juge.

Des exemples d’application récente

Ces dispositions ont, encore récemment, été utilisées dans le cadre de contentieux.

En témoigne ainsi l’affaire du tableau La Cueillette des pois, de Camille Pissaro. Dans cette affaire, le collectionneur Simon Bauer, interné à Drancy, avait, à son retour, entrepris des démarches pour faire constater la nullité de la confiscation puis de la vente de près de quatre-vingt-dix de ses tableaux par le Commissariat général aux questions juives en son absence. La Cueillette des pois, toutefois, était demeurée introuvable. L’œuvre circula, avant d’être vendue en 1995 par Christie’s à New-York aux époux Toll, de nationalité américaine, qui la prêtèrent au musée Marmottan au printemps 2017, à l’occasion d’une exposition consacrée à Pissarro. Les héritiers du collectionneur saisirent la justice en référé pour faire constater la nullité des ventes successives et firent placer sous séquestre l’œuvre. Ils obtinrent gain de cause en première instance, en novembre 2017, puis en appel, en octobre 2018, la cour d’appel se référant notamment à l’ordonnance du 21 avril 1945, estimant que « l’esprit de cette législation exceptionnelle, conforme aux objectifs définis par les Alliés dans leur déclaration de 1943, était manifestement de faciliter aux victimes des mesures de spoliation la récupération des œuvres qui leur avaient été confisquées et volées, ce en quelques mains qu’elles se trouvaient, la nullité de la vente de tels biens étant automatique, tandis que les sousacquéreurs ne pouvaient utilement exciper de leur bonne foi à l’égard des personnes dépouillées ou de leurs héritiers continuant leur personne ». Les époux Toll furent contraints de restituer l’œuvre sans indemnisation mais contestèrent la décision devant la Cour de cassation, invoquant leur bonne foi et rappelant que les ayants droit de Simon Bauer avaient déjà été indemnisés par la CIVS.

Dans son arrêt du 1er juillet 2020, la Cour de cassation a rappelé que cette indemnisation « n’avait pas pour effet de transférer la légitime propriété du bien en cause à ses possesseurs M. et Mme Toll, ni à l’État payeur de l’indemnité », confirmant une jurisprudence selon laquelle une indemnisation n’empêche pas des restitutions ultérieures. Elle a confirmé que la restitution devait bien avoir lieu en vertu de l’ordonnance du 21 avril 1945, « les acquéreurs ultérieurs » d’un bien reconnu comme spolié, « même de bonne foi, ne [pouvant] prétendre en être devenus légalement propriétaires ». Elle a souligné enfin, à l’encontre des propriétaires, qu’ils disposaient d’un recours possible contre l’auteur de la vente et pouvaient donc se retourner contre la maison de vente aux enchères Christie’s.

De la même manière, la Cour d’appel de Paris a ordonné, le 30 septembre 2020, la restitution aux ayants droit du marchand René Gimpel de deux tableaux de Derain appartenant aux collections publiques, Paysage à Cassis (ou Vue de Cassis) et La Chapelle-sous-Crécy, donnés à l’État en 1976 et affectés au musée des Beaux-Arts de Troyes, ainsi que d’une troisième œuvre de Derain, Pinède, Cassis, acquise par la Ville de Marseille en 1987. Ces œuvres avaient été achetées par René Gimpel en 1921, avant que ce résistant, de confession juive, ne soit arrêté en 1944 et assassiné en déportation en 1945 à Neuengamme. Alors que le tribunal de première instance avait débouté les ayants droit en août 2019, faute de disposer de suffisamment d’éléments probants permettant d’établir la spoliation, la Cour d’appel a fait droit à leur demande, constatant « la présence d’indices graves, précis et concordants » d’une vente forcée sous l’Occupation.

Cependant, la procédure judiciaire requiert une action initiée par les ayants droit d’un propriétaire spolié. Il apparaît pourtant préférable que l’initiative de la restitution, lorsque la spoliation est certaine, soit prise par l’État et ne dépende pas d’une décision de justice, dont l’issue est incertaine. En outre, l’ordonnance du 21 avril 1945 ne s’applique qu’aux actes de spoliations commis en France, et non dans un État étranger : elle ne pourrait, ici, être applicable au tableau visé par l’article premier, pour lequel la spoliation a eu lieu en Autriche, quand bien même ce tableau est aujourd’hui conservé en France.

D.   Le cadre international et europÉen n’est pas directement applicable

Il peut, enfin, être noté que le cadre international et européen relatif spécifiquement aux spoliations d’une part, et, plus généralement, aux trafics d’œuvres d’art d’autre part, n’est pas applicable en l’espèce, en raison de l’absence de caractère contraignant de certaines dispositions, et de la nonrétroactivité des autres. La rapporteure renvoie à l’étude d’impact, particulièrement claire et exhaustive, pour la présentation de l’ensemble de ces dispositions.

Elle rappelle et salue simplement l’adoption par la France, en 1998, au côté de quarante-trois autres États et de treize organisations non-gouvernementales, des Principes de Washington, à l’issue d’une conférence internationale sur les biens spoliés pendant l’Holocauste. Ces principes invitent les États à agir dans le cadre de leur législation pour trouver une « solution juste et équitable ». Ils engagent aussi les États à faciliter l’ouverture des fichiers et archives aux chercheurs, à mettre du personnel et des moyens à disposition pour faciliter le recensement de toutes les œuvres d’art ayant été confisquées par les nazis ou encore à ne « ménager aucun effort pour faire connaître les œuvres d’art qui ont été reconnues confisquées par les nazis et qui n’ont pas été ultérieurement restituées afin de retrouver leurs propriétaires d’avant-guerre ou leurs ayants droit ». Ces principes et engagements moraux ont été rappelés et renouvelés à l’issue des conférences de Vilnius (en 2000) et de Prague (en 2009). Ils n’ont, toutefois, pas de force contraignante.

Par ailleurs, peut également être relevée la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, adoptée en 1970 (ratifiée par la France en 1997) et complétée par la Convention de l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT) sur les biens culturels volés ou illicitement exportés du 24 juin 1995 (non ratifiée par la France). Ces textes fixent le principe selon lequel le possesseur d’un bien volé doit le restituer dans tous les cas – mais peut être indemnisé s’il prouve avoir agi avec « la diligence requise » au moment où il en a fait l’acquisition – et le principe selon lequel « un État contractant peut demander au tribunal ou à toute autre autorité compétente d’un autre État contractant d’ordonner le retour d’un bien culturel illicitement exporté du territoire de l’État requérant ». Pour la mise en œuvre de cette convention, l’article L. 1241 du code du patrimoine, ajouté par l’article 56 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, organise une procédure spécifique : « La personne publique propriétaire d’un bien culturel appartenant au domaine public mobilier […] peut agir en nullité de la vente, de la donation entre vifs ou du legs de ce bien lorsqu’il lui est apporté la preuve qu’il a été volé ou illicitement exporté ». Cette disposition permet ainsi d’annuler une acquisition dont il apparaît, a posteriori, qu’elle porte sur des biens dont l’origine est illicite – biens volés ou sortis illégalement de leur pays d’origine. Elle ne s’applique, cependant, qu’aux biens dont le fait générateur contesté est survenu postérieurement à l’entrée en vigueur de la convention de 1970 pour la France (1997) et l’État d’origine du bien concerné.

Comme l’indiquait M. Yannick Kerlogot, rapporteur du projet de loi de restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, « cette convention ne peut pas avoir d’effet rétroactif. En revanche, elle a permis à la France de restituer les cinq fragments de peinture murale du tombeau d’un dignitaire de la XVIIIe dynastie égyptienne (1550-1290 avant J.-C.), situé dans la vallée des Rois, acquis de bonne foi par la France, avec un certificat d’exportation qui s’est avéré être un faux. L’intervention du législateur n’était pas nécessaire puisque l’acquisition et l’entrée dans les collections étaient frappées de nullité ».

E.   des questions demeurent en suspens

1.   De l’opportunité d’une loi-cadre

Le projet de loi prévoit la restitution de quatorze œuvres aux ayants droit de trois propriétaires spoliés. Il s’agit ainsi d’une loi d’espèce, adaptée aux cas particuliers concernés, qui ne fixe pas de principes généraux.

Comme l’indique l’étude d’impact, « la loi d’espèce est une solution juridique tout à fait envisageable, tout en supposant la répétition d’un tel vecteur juridique pour chaque nouveau cas ou chaque nouvelle restitution du même genre ». En outre, celle-ci précise que « les débats parlementaires intervenus au cours de l’examen du projet de loi de restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal ont montré un certain consensus sur le choix d’un tel véhicule législatif du fait qu’il n’emporte pas d’effet sur le droit patrimonial général ».

Ainsi que l’indique l’étude d’impact, la rapporteure observe en effet que l’écriture d’une loi-cadre, même limitée aux cas de restitutions de bien spoliés dans le cadre de persécutions antisémites, apparaît particulièrement ardue, compte tenu de la multiplicité de situations, dont témoigne d’ailleurs la variété retranscrite dans le projet de loi. Le législateur ne pourrait se contenter, sous peine de se voir opposer l’incompétence négative, de confier au pouvoir réglementaire le soin de définir ces critères. Il faudrait, à la fois, éviter de définir des critères trop stricts – qui empêcheraient certaines restitutions pourtant légitimes – et de définir des critères trop larges qui pourraient menacer le respect du principe d’inaliénabilité et l’intégrité du patrimoine national.

Ceci ne saurait, toutefois, empêcher qu’une réflexion plus approfondie soit consacrée à cette question, notamment si la systématisation des recherches de provenance en cours conduisait à devoir engager un grand nombre de nouvelles restitutions. Cet accroissement des recherches de provenance, couplé au travail de la M2RS, pourrait, en effet, conduire à ce qu’un projet de loi semblable au présent projet soit présenté chaque année, ce qui semble difficilement acceptable au regard de l’encombrement fréquent de l’ordre du jour, duquel ne peuvent pâtir les ayants droit des personnes spoliées. Il peut, ainsi, être noté qu’alors que la spoliation du tableau Carrefour à Sannois a été établie avec certitude, que les ayants droit de M. Bernheim ont été identifiés, et que la ville de Sannois a voté à l’unanimité la restitution du tableau en mai 2018, le projet de loi permettant cette restitution n’intervient que près de quatre ans plus tard… Il peut également être noté qu’à la date de publication de ce rapport, la M2RS est, actuellement saisie d’une cinquantaine de dossiers en cours d’instruction, pour lesquels les démarches entreprises pourraient, pour plusieurs d’entre eux, révéler une spoliation requérant, selon le droit actuel, un déclassement législatif.

L’avis du Conseil d’État le mentionne également, de manière très claire : « L’étude d’impact indique qu’une loi de principe organisant une procédure administrative de sortie des collections publiques en réparation des spoliations, serait d’une conception malaisée compte tenu de la difficulté à énoncer des critères opératoires au regard de la diversité des situations rencontrées et du risque d’incompétence négative du législateur. Le Conseil d’État, qui estime que ces obstacles devraient pouvoir être surmontés, recommande que l’élaboration d’une telle loi soit étudiée afin d’éviter la multiplication de lois particulières et de permettre d’accélérer les restitutions ».

Le rapport remis par M. David Zivie à la ministre de la culture en 2018 ([48]) allait dans le même sens, celui-ci estimant qu’« il manque dans le code du patrimoine une disposition législative facilitant la sortie des collections ; elle permettrait d’éviter d’avoir recours à des lois de circonstance pour faire sortir une œuvre des collections publiques – ce qui serait un outil bien trop lourd et disproportionné. Cette disposition pourrait être similaire à celle qui a été intégrée dans le code du patrimoine par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, qui permet désormais l’"annulation de l’acquisition d’un bien culturel en raison de son origine illicite" dans les cas d’entrée dans les collections intervenue après l’entrée en vigueur de la convention de l’Unesco de 1970 sur le trafic illicite de biens culturels, de biens volés ou exportés illégalement ». Dans une instruction du 5 mai 2017, la ministre de la culture, Mme Audrey Azoulay, demandait également au directeur général des patrimoines et à la directrice du service des musées de France « d’expertiser une mesure législative modifiant le code du patrimoine et permettant, le cas échéant, la sortie des collections publiques de telles œuvres ».

Il apparaît qu’une telle loi-cadre ne conduirait aucunement à dépouiller les musées, mais permettrait de rendre les restitutions plus rapides, dès lors qu’aurait été prouvée la spoliation, d’une part, et qu’auraient été identifiés les ayants droit, d’autre part. Les recherches sur ces deux aspects ne seraient pas affaiblies et l’ensemble des garanties qui les entourent seraient conservées : ce n’est qu’une fois l’instruction achevée qu’il serait rendu possible de restituer les œuvres, sans recours systématique au législateur, pour peu que certains critères à définir soient respectés. En outre, une telle loi-cadre, si elle venait à ne pas couvrir toutes les situations, n’empêcherait pas qu’une loi d’espèce vienne, ponctuellement, autoriser une restitution atypique.

Il peut être noté que le Président de la République, dans son discours prononcé au cours de la cérémonie organisée pour la remise des biens culturels aux République du Bénin et du Sénégal en octobre 2021, a indiqué souhaiter mener une réflexion sur une loi-cadre, s’agissant plus spécifiquement de la restitution de biens d’origine coloniale, et a confié cette mission à M. Jean-Luc Martinez, ancien président du Louvre, ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine.

Dans le même élan, le Sénat vient d’examiner, dans le courant du mois de janvier 2022, une proposition de loi fixant un cadre pour le retour des biens culturels dans leur pays d’origine ([49]). Cette proposition de loi, déposée par Mme Catherine Morin‑Desailly, M. Max Brisson et M. Pierre Ouzoulias, a pour objet de créer un conseil national de réflexion en matière de circulation et de retour des biens culturels extra-européens appartenant aux collections publiques. Elle met également en place une procédure visant à faciliter la restitution de certains restes humains patrimonialisés revendiqués par des pays tiers en étendant la procédure judiciaire prévue par l’article 124-1 du code du patrimoine. Comme l’explique l’exposé des motifs, dans le cas où certains critères seraient réunis (restes humains identifiables, etc.), « la personne publique propriétaire serait autorisée à déposer un recours devant le juge pour faire annuler leur acquisition et ordonner leur restitution à l’État d’origine. Présumés comme n’ayant jamais fait partie des collections publiques, les restes humains dont l’acquisition serait ainsi annulée par le juge ne seraient plus soumis au principe d’inaliénabilité des collections, ce qui signifie que l’autorisation du législateur ne serait plus requise avant leur restitution au pays demandeur », ceci correspondant effectivement à la procédure prévue par l’article 124-1 du code du patrimoine prévoyant l’annulation de l’acquisition – et, le cas échéant, de l’entrée dans les collections publiques – de biens dont l’origine est illicite.

S’il faut souligner que ces réflexions concernent des situations très différentes de celles visées par le projet de loi, et ne visent, en particulier, que des restitutions d’État à État, il n’en demeure pas moins qu’une telle réflexion pourrait apporter des éléments utiles pour ce qui concerne les biens ayant fait l’objet de spoliations à caractère antisémite.

Aussi, si la rapporteure estime que la réflexion n’est pas encore suffisamment mûre – notamment s’agissant de la définition des critères – pour faire l’objet d’amendements au présent projet de loi, elle n’en appelle pas moins à approfondir cette étude dans les mois à venir, le cas échéant par le biais d’une mission d’information.

2.   La difficile recherche des ayants droit

L’un des écueils persistants à la politique de restitution réside dans la difficulté – croissante à mesure que le temps passe – à identifier les ayants droit des personnes spoliées, ceux-ci pouvant être très nombreux, très éloignés de la personne spoliée en degré de parenté, ou dispersés en différents endroits du monde.

L’État peut, aujourd’hui, entreprendre de telles recherches. En pratique, le ministère de la culture avait passé, en 2015, un accord avec Généalogistes de France, par lequel cette organisation professionnelle acceptait de mener gracieusement, à titre de mécénat de compétences, les recherches nécessaires à l’identification des ayants droit dans six dossiers distincts, puis de communiquer les noms et coordonnées des ayants droit identifiés au ministère de la culture. La mise en œuvre de cette convention a permis une première restitution en mai 2016, puis une seconde en février 2020. Trois autres restitutions pourraient intervenir en 2022.

Cette convention a permis de mettre en lumière l’importance du rôle des généalogistes pour retrouver les ayants droit, mais aussi, dans certains cas, pour apporter des éléments probants permettant de prouver la spoliation. Elle avait également pour objet de déterminer s’il était possible d’établir un coût moyen pour ces recherches proactives : il en résulte que les travaux de recherche ont un coût élevé, estimé entre 4 000 et 40 000 euros selon les dossiers à la complexité très variable, selon le rapport précité de M. David Zivie. Si l’État, en 2018, n’avait pas encore eu à financer des recherches effectuées par des personnes extérieures à l’administration – l’ensemble des restitutions ayant eu lieu sur requête des familles ou à l’initiative de l’État, mais à des ayants droit déjà connus – cette situation ne paraît pas devoir perdurer. Comme l’indique M. David Zivie, bien qu’il apparaisse légitime que ce coût soit à la charge de l’État, qui conserve ces biens depuis 75 ans, « il est naturel de s’interroger sur ses capacités de financement et sur les délais de mise en œuvre d’une telle démarche […]. Avec la multiplication attendue des identifications de propriétaires spoliés, la recherche des ayants droit va être cruciale, et posera la question des moyens que l’État peut lui consacrer pour être cohérent avec la démarche qu’il a lancée ». Il importera, également, de s’interroger sur les modalités du recours de l’État à des prestataires extérieurs, notamment à des généalogistes, en définissant un cadre précis (marchés publics, convention, étendue du mandat, etc.).

Enfin, la question de la fiabilité de la dévolution successorale se pose également : l’État doit, avant toute restitution, garantir qu’il dispose de la liste exhaustive de tous les ayants droit, pour s’assurer qu’aucun ayant droit ne se manifeste après la mise en œuvre de la restitution. Ceci est d’autant plus nécessaire qu’il n’existe pas de prescription à la revendication de la qualité d’ayant droit.

Or, comme l’indique le rapport d’information précité de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale sur la gestion des réserves et des dépôts des musées, « le recours à un généalogiste ne saurait garantir par lui-même une telle certitude, sauf à ce qu’il soit mandaté par un notaire et ait ainsi accès aux documents utiles pour la réalisation de sa mission (consultation des registres d’état civil de moins de cent ans, accès aux déclarations de successions de moins de cinquante ans détenues par les services fiscaux, notamment) ([50]) », les notaires étant, notamment, qualifiés pour apporter la preuve de la qualité d’ayant droit et définir la quote-part de chacun à la succession.

À l’inverse, les notaires ont également régulièrement besoin de faire appel à des généalogistes, qui ont accès à des sources spécifiques et sont spécialisés dans des recherches qui peuvent être de longue haleine. Auditionné par la rapporteure, le Conseil supérieur du notariat indique ainsi que les notaires travaillent étroitement avec des généalogistes sur certains dossiers pour lesquels les informations qui leur sont accessibles ne suffisent pas à garantir l’exhaustivité de la liste des ayants droit.

Le présent projet de loi présente pourtant, à cet égard, une variété de situations. Pour les trois articles, l’étude d’impact précise que « les ayants droit ont été identifiés conformément aux dispositions du droit commun des successions, en particulier des articles 730 et suivants du code civil, qui régissent la preuve de la qualité d’héritier ». Ainsi, l’article 730 du code civil dispose que cette preuve s’établit par tout moyen, et l’article 730-1 précise qu’elle peut notamment résulter d’un acte de notoriété dressé par un notaire, à la demande d’un ou plusieurs ayants droit. Cependant, les moyens employés diffèrent pour chacune des trois successions :

– s’agissant du tableau de Gustav Klimt (article 1er), la succession de Mme Eleonore Stiasny a été établie par l’avocat des ayants droit, au vu des actes de succession et, le cas échéant, des testaments de certains ayants droit ;

– s’agissant des œuvres de la succession d’Armand Dorville (article 2), les ayants droit ont été identifiés par un cabinet de généalogie et leur liste a été arrêtée par acte notarié, avant d’être vérifiée par la CIVS ;

– s’agissant du tableau de Maurice Utrillo (article 3), la succession a été établie par la CIVS, au vu des actes de succession et, le cas échéant, des testaments de certains ayants droit.

En tout état de cause, comme l’indique l’étude d’impact, les ayants droit s’engageront, au moment de la restitution, à garantir l’État contre toute réclamation ou revendication qui pourrait être introduite par la suite, en particulier par d’éventuels autres ayants droit non identifiés.

Ceci ne saurait, toutefois, être une garantie suffisante à terme. Si les restitutions venaient à se multiplier, il pourrait alors apparaître nécessaire, comme le recommandait le rapport d’information précité de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale sur la gestion des réserves et des dépôts des musées, d’établir et de formaliser une procédure faisant intervenir notaires et généalogistes, permettant de déterminer avec certitude la liste des ayants droit auxquels restituer les œuvres spoliées. Là encore, tel n’est pas l’objet du présent projet de loi, bien qu’une telle réflexion ne puisse à terme être occultée.

 

III.   principaux apports de la commission

Au-delà de clarifications rédactionnelles adoptées, à l’initiative de la rapporteure, aux articles 1er, 2 et 3, la commission a adopté un amendement du Gouvernement, ayant reçu l’avis favorable de la rapporteure, portant article additionnel et autorisant une restitution supplémentaire.

L’article 4 (nouveau) autorise ainsi la sortie des collections publiques du tableau de Marc Chagall intitulé Le Père, acquis par l’État par dation en paiement des droits de succession de l’artiste en 1988 et placé sous la garde du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle. Ceci permettra sa restitution aux ayants droit de M. David Cender à qui il avait été volé lors de son internement dans le ghetto de Lodz (Pologne) en 1940.

La proposition de loi ainsi modifiée a été adoptée à l’unanimité de la commission.

 


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   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er
Restitution du tableau Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt aux ayants droit de Mme Eleonore Stiasny

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article propose de faire sortir des collections publiques le tableau de Gustav Klimt intitulé Rosiers sous les arbres, actuellement conservé par le Musée d’Orsay, sous le numéro d’inventaire RF 1980-195 – Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres. Ce tableau est l’unique tableau de cet artiste dans les collections publiques.

L’article dispose explicitement que c’est « par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine » que ce tableau, conservé dans les collections nationales placées sous la garde du musée d’Orsay, cesse de faire partie de ces collections.

L’autorité administrative disposera alors d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi pour restituer l’œuvre aux ayants droit de sa propriétaire spoliée, Mme Eleonore (Nora) Stiasny, femme autrichienne de confession juive qui l’avait vendue sous la contrainte d’obtenir des liquidités, en 1938 à Vienne. Interrogé à ce sujet, le ministère de la culture indique que le délai d’un an est celui qui permettra d’organiser la restitution dans des conditions « confortables », tant pour les institutions publiques que pour les ayants droit.

La sortie des collections se traduira par un arrêté de radiation de l’œuvre de l’inventaire du musée d’Orsay. Un document de décharge sera élaboré et signé par les ayants droit auxquels l’œuvre sera remise, de manière à conserver trace écrite de la restitution effective. Le musée d’Orsay indique, en outre, que ce tableau a déjà été retiré de l’exposition au public et est désormais conservé dans un coffre.

La rapporteure propose d’adopter cet article sans modifications autres que rédactionnelles.

Le parcours de l’œuvre

Le parcours de l’œuvre concernée par cet article étant décrit en détail dans l’étude d’impact, la rapporteure se contente d’en rappeler ici les grands traits.

●L’entrée dans les collections publiques

Le tableau Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt a été acquis par l’État dans le cadre de la préfiguration du musée d’Orsay, en 1980, auprès de la galerie Peter Nathan de Zurich, pour la somme de 4 millions de francs environ. Approuvée par le Comité consultatif des musées nationaux le 2 octobre 1980, cette acquisition a été validée par le Conseil artistique des musées nationaux le 8 octobre suivant ([51]).

Des recherches sur l’origine de l’œuvre avaient alors été entreprises auprès de la galerie, qui avait indiqué que la propriétaire précédente avait affirmé que l’œuvre appartenait déjà à son propriétaire antérieur, M. Philipp Häusler, en 1930, sans toutefois fournir de preuve. Ceci devait garantir, selon les termes de l’étude d’impact, « un historique du tableau non problématique sur la période cruciale de 1933 à 1945 ». Des recherches avaient également été entreprises auprès des descendants de Viktor Zuckerkandl et de Bertha Zuckerkandl, identifiés dans le catalogue raisonné de l’œuvre de Gustav Klimt, établi par Sergio Coradeschi en 1978, comme ayant été propriétaires de l’œuvre, sans soulever d’interrogations particulières.

Tout en reconnaissant que l’on ne disposait pas, alors, du recul et des informations rendues publiques dans les années 1990, la rapporteure souligne que le tableau a été acquis alors même que des doutes pouvaient subsister sur son parcours : en effet, aucune preuve n’avait été apportée de la prétendue possession, dès 1930, du tableau par M. Philipp Haüsler, pourtant connu comme un militant nazi. En outre, l’appartenance passée du tableau à Viktor Zuckerkandl puis à sa belle-soeur Bertha Zuckerkandl, dont une grande partie de la famille fut déportée et assassinée dans les camps de la mort, aurait pu suffire à s’interroger davantage. Il semble qu’une telle situation ne pourrait pas, aujourd’hui, se reproduire. Les musées entendus par la rapporteure l’ont rappelé : aucune œuvre n’est plus acquise si la documentation sur sa provenance apparaît incomplète ou suspecte et tous ont, à plusieurs reprises, renoncé à acquérir des œuvres pour cette raison.  

●Des recherches ayant conduit à restituer un tableau du musée du Belvédère, en Autriche

L’ouverture d’archives autrichiennes dans les années 1990 a permis d’établir qu’une des héritières du collectionneur Viktor Zuckerkandl, Eleonore Stiasny, avait été contrainte de vendre en 1938 un tableau de Klimt lui appartenant, dénommé Pommiers, à vil prix – estimé entre 2 et 16 % de sa valeur réelle de l’époque – face à la nécessité d’obtenir des liquidités pour satisfaire aux législations antisémites et notamment au paiement de taxes et impôts imposés à la population juive. Cette œuvre a alors été acquise par M. Philipp Häusler, militant nazi. Mme Eleonore Stiasny a, par la suite, été déportée et assassinée.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État, qui s’attache à vérifier l’identité de l’œuvre et à caractériser les circonstances de la dépossession pour établir si la restitution s’impose au nom d’un intérêt général supérieur et rend inopérantes les autres exigences constitutionnelles, confirme que « l’œuvre a été soustraite à sa propriétaire dans les conditions décrites par la déclaration de Londres du 5 janvier 1943 et l’ordonnance du 21 avril 1945. Sa restitution répond au motif impérieux de réparation des pillages et spoliations antisémites perpétrés du fait du régime nazi ».

Plusieurs tableaux de Gustav Klimt pouvant correspondre à l’intitulé « Pommiers », les autorités autrichiennes ont identifié en 2001 le tableau cédé à vil prix par Mme Eleonore Stiasny avec celui dénommé Pommiers II, exposé à la galerie du Belvédère de Vienne. En effet, en 2000, seule la spoliation était certaine : ni l’auteur de celle-ci, ni le bénéficiaire final n’étaient connus avec certitude. Tout au plus avait-t-on la connaissance d’une négociation portant sur la vente du tableau entre le beau-frère de Nora Stiasny, Wilhelm Müller‑Hoffman, et Gustav Ucicky, fils naturel de Gustav Klimt. Or, ce dernier avait offert à l’État autrichien une toile de Gustav Klimt représentant un pommier en 1948. Les héritiers de Nora Stiasny avaient alors demandé et obtenu sa restitution par l’État autrichien en novembre 2001. Le Conseil d’État observe, à ce propos, que « la restitution opérée par le projet de loi fait donc apparaître que Pommiers II est sortie des collections publiques autrichiennes pour être rendue par erreur aux ayants droit de Mme Eleonore Stiasny alors que cette œuvre est susceptible d’avoir été la propriété d’une personne spoliée dans les mêmes conditions que Mme Eleonore Stiasny », ceci, toutefois, étant « sans incidence sur la légitimité et la nécessité de la restitution prononcée par le projet de loi ».

Il peut être noté que les ayants droit ont, lors de la remise du tableau en novembre 2001, rédigé une déclaration de responsabilité dans laquelle ils s’engageaient notamment à restituer le tableau à l’État autrichien s’il s’avérait qu’il n’était pas le tableau ayant appartenu à Eleonore Stiasny en 1938. Ce tableau ayant, depuis, été vendu à la Fondation Louis Vuitton, à Paris, les modalités de cette restitution restent à déterminer.

●La poursuite des recherches et l’identification du tableau Rosiers sous les arbres, conservé par le musée d’Orsay

À la suite de cette première restitution, les recherches ont continué, un doute persistant sur la correspondance réelle du tableau restitué avec le tableau initialement spolié. Deux chercheuses de provenance, Mme Monika Mayer et Mme Ruth Pleyer, ont, depuis lors, apporté plusieurs éléments : premièrement, « la dernière propriétaire du tableau avant 1980 » ([52]) est identifiée en 2016. Il s’agissait de la légataire universelle de Philipp Häusler, Herta Blümel. Deuxièmement, des recherches approfondies sur la dévolution successorale de Viktor Zuckerkandl, mort en 1927, ont permis de confirmer que, parmi les neuf toiles de Klimt incluses dans sa collection, c’est le tableau Rosiers sous les arbres, du musée d’Orsay, qui avait échu à Nora Stiasny. Troisièmement, ces nouvelles recherches ont permis de démontrer que le tableau légué à Nora Stiasny n’avait pas été vendu à Gustav Ucicky, donateur de Pommiers II au musée du Belvédère, mais au militant nazi Philipp Häusler, mentionné dans le document de provenance transmis par la galerie Peter Nathan à l’État lors de l’acquisition de Rosiers sous les arbres. Il est ainsi établi que le tableau cédé à vil prix par Nora Stiasny ne pouvait être le tableau Pommiers II de la galerie du Belvédère à Vienne mais bien, « selon une forte probabilité », le tableau Rosiers sous les arbres du musée d’Orsay. Les autorités autrichiennes en ont informé le ministère de la culture et le musée d’Orsay en 2018.

Les ayants droit de Mme Eleonore Stiasny ont alors adressé une demande de restitution du tableau Rosiers sous les arbres en 2019, à la suite duquel de nouvelles recherches ont été menées par les autorités françaises, conduisant à conclure que le tableau vendu sous la contrainte en 1938 était bien le tableau détenu par le musée d’Orsay. Celui-ci indique qu’aucune contestation sur le raisonnement historique tenu à partir des bases d’archives consultées n’a été émise, ni aucune voix discordante entendue.

Le tableau sera restitué dans un délai d’un an après l’entrée en vigueur de la loi, aux ayants droit de Mme Eleonore Stiasny, qui sont les descendants des deux fils de sa sœur, Hermine Müller-Hofman, réfugiés en Suède pendant la guerre.

*

Article 2
Remise de douze œuvres issues de la succession de M. Armand Dorville à ses ayants droit

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article propose de faire sortir des collections publiques nationales douze œuvres (onze dessins de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier et Camille Roqueplan, et une cire de Pierre-Jules Mène), acquises par l’État au cours d’une vente aux enchères organisée à Nice en 1942 pour la succession d’Armand Dorville, et conservées au musée d’Orsay, au musée du Louvre et au musée national du château de Compiègne.

Liste des douze œuvres de la collection de M. Armand Dorville acquises par l’État lors de la vente aux enchères de 1942

- Jean-Louis Forain, Jeune femme debout sur un balcon, contemplant des toits parisiens, aquarelle, (vendue en 1942 sous le titre Femme à la terrasse fleurie), numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29342 ;

- Constantin Guys, Jeune femme et sa duègne, aquarelle, numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29334 ;

- Constantin Guys, Présentation de visiteur, plume et lavis (vendue en 1942 sous le titre La présentation du visiteur), numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29335 ;

- Constantin Guys, Cavaliers et amazones, plume et aquarelle, numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29336 ;

- Constantin Guys, La loge de l’Empereur, plume et aquarelle (vendue en 1942 sous le titre La loge de l’Empereur pendant une représentation de Madame Viardot dans « Orphée »), numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29337 ;

- Constantin Guys, Une revue aux Invalides, plume et aquarelle (vendue en 1942 sous le titre Revue aux Invalides par l’empereur Napoléon III), numéro d’inventaire du musée d’Orsay : RF 29338 ;

- Pierre-Jules Mène, L’amazone présumée être Sa Majesté l’impératrice Eugénie, cire originale, numéro d’inventaire du musée du château de Compiègne : C 42.064 ;

- Henry Bonaventure Monnier, Portraits de Joseph Prudhomme et de Henry Monnier, aquarelle, numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29339 ;

- Henry Bonaventure Monnier, Les trois matrones, aquarelle, numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29340 ;

- Henry Bonaventure Monnier, Les visiteurs, aquarelle, numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29341 ;

- Henry Bonaventure Monnier, Une soirée chez Madame X, plume gouachée, numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29341 bis ;

- Camille Roqueplan, La diligence en danger, aquarelle, numéro d’inventaire du musée du Louvre : RF 29333.

La rapporteure observe que le projet de loi emploie, pour cet article, le terme de « remise » et non de « restitution ». Le ministère de la culture l’explique par le fait que l’acte de dépossession initial n’est pas considéré, notamment par la CIVS, comme une spoliation au sens strict, appelant donc une restitution. C’est en raison du contexte dans lequel il est intervenu, marqué par un antisémitisme d’État orchestré par le régime de Vichy – dont les lois dites « d’aryanisation » ont mis les héritiers d’Armand Dorville dans l’incapacité de percevoir le produit de la vente des œuvres mises aux enchères pour sa succession jusqu’à la Libération – qu’une « remise » des œuvres a été décidée, « sur le fondement de l’équité » (cf. infra).

L’article dispose explicitement que c’est « par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451-5 du code du patrimoine » que ces œuvres, conservés dans les collections nationales relevant du musée d’Orsay (six œuvres), du musée du Louvre (cinq œuvres) et du musée national du château de Compiègne (une œuvre), cessent de faire partie de ces collections.

L’autorité administrative disposera alors d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi pour remettre les œuvres aux ayants droit de leur propriétaire, M. Armand Dorville.

La rapporteure propose d’adopter cet article sans modifications autres que rédactionnelles.

Le parcours des œuvres

Le parcours des œuvres concernées par cet article étant décrit en détail dans l’étude d’impact, la rapporteure se contente ici d’en rappeler les grands traits.

L’entrée dans les collections publiques

Les douze œuvres dont la restitution est proposée par l’article 2 ont été acquises par l’État lors d’une vente aux enchères organisée pour la succession de M. Armand Dorville, en 1942 à Nice, légalement et selon ses dernières volontés. Cependant, cette vente, placée sous administration provisoire par le Commissariat général aux questions juives, devait conduire à ce que le produit des œuvres ne soit pas remis aux héritiers de M. Armand Dorville, mais saisi et temporairement conservé, en application de l’acte dit loi du 22 juillet 1941 relative aux entreprises, biens et valeurs appartenant aux Juifs, loi d’« aryanisation ». L’administrateur provisoire, nommé le premier jour, a ainsi saisi tous les fonds provenant de la vente, pour les placer sur deux comptes au nom de la succession Dorville qu’il serait seul à gérer. Si, en décembre 1942, l’administrateur provisoire propose au Commissariat général aux questions juives d’exempter les héritiers d’Armand Dorville des mesures d’administration provisoire – compte tenu des titres militaires et de l’attitude patriotique de plusieurs membres de la famille pendant les guerres de 1870-1871, de 1914-1918 et de 1939-1940 – ce que le Commissariat général accepte sous réserve que le produit de la vente soit remis sous forme de titre de dette de l’État, l’étude d’impact indique qu’il est peu probable que la mise en œuvre de cette exemption ait été effective : des titres de dette sont, certes, « très probablement remis au notaire entre octobre 1943 et mai 1944 » ([53]), mais les héritiers sont alors dispersés et en fuite. En outre, trois des héritiers d’Armand Dorville ont été arrêtés et déportés en mars 1944 avant d’être assassinés à Auschwitz : sa sœur et ses deux nièces (ainsi que les deux filles de ses deux nièces). À la Libération, les héritiers survivants, qui ne demandent pas l’annulation de la vente, en perçoivent finalement le produit.

La recommandation de la CIVS

La CIVS, saisie en 2019 par les ayants droit de M. Armand Dorville, a estimé, dans sa recommandation du 17 mai 2021, que la vente n’était pas, en ellemême spoliatrice, ayant été organisée selon les volontés d’Armand Dorville, qui plus est en zone libre. Elle note que l’administrateur provisoire n’est pas intervenu dans le déroulement des opérations et, qu’en outre, des ayants droit d’Armand Dorville qui y assistaient ont pu, sans contrainte, exercer leur droit de retrait pour 46 œuvres à caractère familial. Elle précise également que les différentes ventes aux enchères organisées pour la succession d’Armand Dorville étaient sans doute un moyen de dégager une trésorerie suffisante pour régler les droits de succession et délivrer les legs, que les héritiers en ont perçu le produit à la Libération et n’en ont pas contesté la légalité, et qu’elles ne peuvent, dès lors, être considérées comme procédant d’une mesure exorbitante du droit commun.

En revanche, la saisine des produits de la vente, rendus de plus indisponibles à la Libération et n’ayant pu être versés à des héritiers morts en déportation, s’apparente selon la CIVS à une spoliation. Ainsi, « Si la nomination de l’administrateur provisoire le lendemain de la deuxième vente de Nice n’eut aucune incidence notable sur la poursuite des ventes aux enchères comme réglées par l’exécuteur testamentaire, en revanche elle a eu comme conséquence immédiate l’appréhension de leurs produits, rendus ainsi indisponibles pour les légataires. Cette mesure aryanisatrice, décidée et exécutée en application de la loi du 22 juillet 1941, doit être considérée comme une spoliation à caractère antisémite au sens de l’article 1er du décret du 10 septembre 1999 qui régit la CIVS. L’aryanisation du produit des ventes a vu ses conséquences exceptionnellement aggravées par la déportation et l’extermination de trois légataires d’Armand Dorville et de deux enfants. Ces assassinats et la dispersion des autres héritiers, intervenus du fait des persécutions antisémites, ont eu pour conséquence directe, après la Libération, de prolonger anormalement l’indisponibilité du produit des ventes ».

L’État, représenté à la vente par le chef du département des peintures du musée du Louvre, M. René Huyghe, représentant lui-même la direction des musées nationaux et la direction générale des Beaux-Arts – avait connaissance de cette situation d’administration provisoire lors de l’acquisition des douze œuvres, qui entrèrent dans les collections nationales en 1942. En témoignent, notamment, des échanges entre M. Huyghe et l’administrateur provisoire pour organiser le legs aux musées nationaux prévu par Armand Dorville, évoqués dans le rapport du 29 juin 1942 de M. Huyghe cité par l’étude d’impact : « les nouvelles lois juives ont fait nommer un administrateur pour la succession. De ce fait, sont bloqués, en ce moment, non seulement ce qui revient à la famille, mais le legs fait au Louvre ».

Aussi, la CIVS, qui rappelle que « l’Administration savait que ces ventes étaient soumises à la loi du 22 juillet 1941, allant même jusqu’à intervenir directement auprès de l’administrateur provisoire afin d’obtenir la délivrance des legs au profit des musées », considère dès lors que « sur le fondement de l’équité, […] ces douze œuvres d’art, acquises dans les conditions qui ont été rappelées, ne devraient pas être conservées dans les collections publiques ». Auditionnés par la rapporteure, le président et le directeur de la CIVS indiquent s’être appuyés, implicitement mais nécessairement, sur les principes dits de Washington qui engagent à trouver une solution « juste et équitable ».

La CIVS recommande ainsi :

 le versement d’une indemnité pour réparer le préjudice financier spécifique lié à l’indisponibilité prolongée du produit des ventes, dont elle propose de fixer le montant à 350 000 euros ;

 la remise des douze œuvres acquises par l’État au cours de la vente aux ayants droit de M. Armand Dorville, sous réserve que l’inaliénabilité puisse être levée. En cas de remise, la CIVS recommande que soit remboursé à l’État le prix de vente perçu à la Libération par les héritiers d’Armand Dorville pour ces douze œuvres, d’un montant de 269 800 francs, actualisé à 79 294 euros. Ceci pourrait ramener l’indemnisation du préjudice financier, si elle était décidée, à 270 706 euros.

En revanche, la CIVS s’est déclarée incompétente pour prononcer la nullité de l’ensemble de la vente de 1942, sur le fondement de l’ordonnance du 21 avril 1945, comme le lui demandaient les ayants droit dans leur saisine à la fin de l’année 2019. Elle indiquait ainsi : « Il convient de rappeler que seul le juge judiciaire a reçu compétence pour statuer sur l’application de l’ordonnance du 21 avril 1945. Dès lors, la demande d’annulation des ventes aux enchères en cause, fondée sur l’application de ce texte, échappe à l’appréciation de la CIVS et ne peut être accueillie ».

De plus, la CIVS n’a pas recommandé la remise de huit autres œuvres d’art vendues au cours de la même vente aux enchères de 1942, non acquises par l’État à cette date, mais appartenant aujourd’hui à l’État ou à des collectivités territoriales, estimant que « s’agissant des autres œuvres d’art revendiquées, il n’est pas établi que leurs acquéreurs [des particuliers] connaissaient l’application à ces ventes des dispositions de la loi du22 juillet 1941. Il n’y a donc pas lieu, en équité, d’accueillir la demande sur ce point ».

S’appuyant sur cette recommandation, le Premier ministre a décidé la remise de ces douze œuvres, annoncée par le ministère de la culture le 28 mai 2021. Comme l’indique l’étude d’impact, « c’est ainsi en raison des circonstances de cette vente que le Gouvernement, sur la base de la recommandation de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, a décidé d’accorder une indemnité aux ayants droit au titre de l’immobilisation des fonds et de rendre les douze œuvres achetées par l’État en 1942, objet de l’article 2 du présent projet de loi ».

La procédure judiciaire en cours

Il peut être noté que les ayants droit de M. Armand Dorville, identifiés par un cabinet de généalogie, ont obtenu de l’Allemagne, en janvier 2020, la restitution de trois œuvres provenant de la vente de 1942, retrouvées chez Cornelius Gurlitt. L’étude d’impact indique que des propriétaires privés leur ont également restitué trois œuvres en 2020 et 2021.

Il peut, enfin, être souligné que les ayants droit de M. Armand Dorville ont, postérieurement à l’avis de la CIVS et aux annonces du 28 mai 2021, assigné l’État et plusieurs musées publics devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de « constater la nullité de la vente de la collection d’art organisée à Nice les 24, 25, 26 et 27 juin 1942 », et d’ordonner la restitution de l’ensemble des œuvres issues de cette vente acquises par l’État ou par les collectivités territoriales, qu’elles l’aient été dès 1942 ou ultérieurement. Comme l’indique l’étude d’impact, « conscient de ce contexte, le Gouvernement souhaite néanmoins concrétiser rapidement l’annonce du 28 mai 2021, par laquelle l’État s’est solennellement engagé à remettre les douze œuvres, sans attendre l’issue du contentieux qui n’obéit pas à la même temporalité. En tout état de cause, l’issue du contentieux sera sans incidence sur la décision de l’État puisque l’objectif du projet de loi, qui fait l’unanimité, consiste précisément à rendre les douze œuvres aux ayants droit d’Armand Dorville ».

Le Conseil d’État indique s’interroger sur le caractère « prématuré » de la remise des œuvres par la voie législative, alors même que l’issue de la procédure judiciaire engagée n’est pas encore connue. Il dit toutefois prendre acte « du fait que le Gouvernement n’entend pas suspendre cette remise et qu’il se fonde, à la suite de l’avis de la CIVS, sur un motif d’équité pour y procéder ». Le Conseil d’État précise, dans son avis, ne pas émettre d’objection au projet de loi, compte-tenu « de l’intérêt général qui peut s’attacher à la remise des œuvres en question au regard des circonstances dans lesquelles elles sont entrées dans les collections publiques en juin 1942 et du caractère limité de l’atteinte portée à l’intégrité du domaine public ».

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Article 3
Restitution du tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo aux ayants droit de M. Georges Bernheim

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article propose de faire sortir des collections publiques le tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo, appartenant aux collections de la commune de Sannois placées sous la garde du musée Utrillo-Valadon de Sannois, pour la restituer à l’ayant droit de Georges Bernheim, collectionneur de confession juive dont l’appartement parisien avait été pillé en 1940 par l’ERR, organisation nazie de pillage des œuvres d’art. 

Il dispose, cette fois, que c’est « par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques » que cette œuvre, conservée au musée Utrillo‑Valadon de Sannois avant sa fermeture – lequel n’avait pas reçu l’appellation de « musée de France » et auquel l’article L. 451-5 du code du patrimoine n’est donc pas applicable – sort des collections publiques de la commune de Sannois.

L’autorité administrative disposera d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi pour restituer l’œuvre à l’ayant droit de son propriétaire spolié, M. Georges Bernheim.

La rapporteure propose d’adopter cet article sans modifications autres que rédactionnelles.


Le parcours de l’œuvre

Le parcours de l’œuvre concernée par cet article étant décrit en détail dans l’étude d’impact, la rapporteure se contente d’en rappeler ici les grands traits.

L’entrée dans les collections publiques

La ville de Sannois a acquis le tableau de Maurice Utrillo intitulé Carrefour à Sannois en 2004 au cours d’une vente publique à Londres, pour la somme de 111 244,55 euros.

La spoliation

Il a, par la suite, été établi que cette œuvre avait été volée par le service allemand de pillage des œuvres d’art au collectionneur et marchand Georges Bernheim à Paris, en 1940, sans avoir jamais été restituée. En effet, M. Georges Bernheim, marchand d’art français de confession juive, possédait une galerie d’art faubourg Saint Honoré, à Paris, dont l’immeuble a été réquisitionné par l’armée allemande et pillé par l’ERR en décembre 1940. Le tableau Carrefour à Sannois a été déposé par l’ERR dans les salles réquisitionnées au musée du Louvre pour y stocker le produit des pillages. L’œuvre fut ensuite transférée au musée du Jeu de Paume en 1942. Alors qu’il devait rejoindre la collection de Goering, le tableau fit l’objet d’un échange en novembre 1942. Comme l’indique l’étude d’impact, « le parcours du tableau entre le vol de 1942 et sa première réapparition sur le marché de l’art en 1972 est inconnu ».

La recommandation de la CIVS

Les ayants droit ont saisi la CIVS d’une demande de restitution, portant sur le seul tableau Carrefour à Sannois. La commission a rendu sa décision en février 2018, par laquelle elle a reconnu la spoliation et demandé la restitution du tableau, s’étonnant toutefois « du manque de vigilance de la société de vente sur l’origine de l’œuvre vendue ». Elle a, également, établi la succession de Georges Bernheim, au vu des actes de succession et, le cas échéant, des testaments de certains ayants droit. Elle a ainsi identifié, retrouvé et contacté l’ayant droit unique de M. Bernheim.

Selon le Conseil d’État, « l’œuvre est identifiée par la liste et les photographies des biens pillés par l’ERR et la spoliation est caractérisée au sens de la Déclaration de Londres et de l’ordonnance du 21 avril 1945. Sa restitution s’impose. »

●La délibération de la Ville de Sannois

La Ville de Sannois, dont le maire a été entendu par la rapporteure, est favorable à cette restitution et souhaite la mettre en œuvre rapidement. Le conseil municipal a adopté à l’unanimité une délibération allant en ce sens, le 31 mai 2018.

Près de quatre ans après cette délibération, il est désormais plus que temps de procéder à la restitution effective de l’œuvre, tant pour la famille que pour la commune. En effet, l’œuvre, qui n’est plus exposée représente un coût important pour sa mise en sécurité (de l’ordre de 6000 euros par an). Il peut enfin être noté qu’alors que la ville pourrait se retourner contre la maison de vente, qui, en 2004, n’avait pas fourni d’informations sur la provenance de l’œuvre, elle indique y avoir renoncé, ne s’estimant pas suffisamment armée au plan juridique.

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Article 4 (nouveau)
Restitution du tableau Le Père de Marc Chagall aux ayants droit de M. David Cender

Introduit par la commission

 

Introduit à l’initiative du Gouvernement, le présent article propose de faire sortir des collections publiques le tableau Le Père, de Marc Chagall, placé sous la garde du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle – tout en étant exposé au musée d’art et d’histoire du judaïsme – pour permettre sa restitution aux ayants droit de M. David Cender à qui il avait été volé lors de son internement dans le ghetto de Lodz (Pologne) en 1940.

Il dispose, de manière explicite, que c’est par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques que l’œuvre cessera de faire partie de ces collections.

Comme pour les autres restitutions ou remises prévues par le présent projet de loi, l’autorité administrative disposera d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi, pour restituer l’œuvre aux ayants droit de son propriétaire spolié, M. David Cender.

La rapporteure a émis un avis favorable à l’adoption de cet amendement et proposé des sous-amendements rédactionnels adoptés par la commission.

Le parcours de l’œuvre

●L’entrée de l’œuvre dans les collections publiques

Peinte par l’artiste Marc Chagall à Paris en 1911 ou 1912, l’œuvre intitulée Le Père est une huile sur toile entrée dans les collections publiques en 1988 par dation en paiement des droits de succession de l’artiste, son parcours avant 1953 étant alors inconnu. Des recherches récentes ont cependant conclu que le tableau n’était pas en possession de Chagall durant la période 1933-1945, au cours de laquelle il aurait été possédé par homme polonais de confession juive, David Cender, avant de lui être spolié.

●La spoliation

David Cender, luthier et musicien renommé, né en 1899 et résidant dans la ville de Lodz, en Pologne, est victime des persécutions antisémites durant l’occupation allemande du pays. Internés au printemps 1940 dans le ghetto de la ville – le deuxième plus important ghetto de Pologne après le ghetto de Varsovie – David Cender, son épouse et leur fille laissent derrière eux tous leurs biens, dont plusieurs œuvres d’art. Parmi celles-ci figure un tableau qu’il désigne comme Vieil homme juif, ou Juif ordonnant la prière, signé de Marc Chagall, et acquis en 1928 auprès du marchand d’art varsovien Abe Gutnajer. Alors qu’Heinrich Himmler, l’un des plus hauts dignitaires nazis, ordonne la « liquidation définitive » du ghetto de Lodz en 1944, David Cender survit, tandis que sa femme et sa fille sont assassinées en déportation. Il émigre en France en 1958, où il réside jusqu’à sa mort en 1966.

●Une première demande d’indemnisation en 1958 et la reconnaissance de la spoliation

C’est dans le cadre de la loi Brüg (cf. supra) pour le dédommagement des spoliations commises par le régime nazi que David Cender déclare, en 1958, le vol de plusieurs œuvres et objets au moment de son transfert vers le ghetto au printemps 1940, dont le tableau de Marc Chagall. David Cender fournit, en plus d’une description extrêmement précise du tableau, deux témoignages attestant qu’une telle œuvre était bien en sa possession avant son internement au ghetto de Lodz. Le médecin, amateur d’art et collectionneur Edward Reicher (1900 – 1975), qui affirme le 21 juin 1961 que « M. Cender était propriétaire d’un tableau de Marc Chagall », le décrit ainsi précisément : « Il s’agissait d’une peinture à l’huile de 50 cm sur 80 cm environ. C’était le portrait en buste d’un vieux juif. Le vieil homme avait une grande barbe noire et grise […]. Son visage était très pâle, blanc, les yeux foncés, noirs, fortement cernés de rouge […]. En bas à droite, le tableau était signé Marc Chagall 1912 ». De même, une connaissance de David Cender, Eugenia Kurkiewicz, décrit l’œuvre ayant appartenu à David Cender et affirme s’être « retrouvée à Lodz quelques temps plus tard et [avoir] appris par le concierge, que l’appartement avait été mis sous scellés par la police allemande et que toutes les affaires laissées par Monsieur Cender avaient ensuite été saisies ». Ces témoignages ont été étayés par les affirmations de l’auteur du catalogue raisonné des œuvres de Marc Chagall ([54]), son gendre Franz Meyer interrogé dans le cadre de l’instruction du dossier, qui accepte en 1965 la probable authenticité du tableau de Chagall tel que décrit par David Cender, et propose en 1966 de l’identifier au tableau Le Père, appartenant alors à l’artiste.

Le tribunal régional de Berlin refuse, par sa décision du 25 avril 1972, la demande d’indemnisation formulée par David Cender au motif que les faits ne se situent pas dans le périmètre retenu par la loi Brüg, le transfert du tableau en Allemagne n’étant pas établi. En revanche, le tribunal admet la preuve de la possession du tableau par M. Cender et reconnaît la spoliation durant la guerre.

●Des éléments manquants sur le parcours de l’œuvre entre 1914 et 1928 puis entre 1940 et 1953

Malgré la preuve de la possession de l’œuvre par David Cender et celle de la spoliation, des inconnues demeurent à plusieurs étapes du parcours de l’œuvre. Pour quelle raison Marc Chagall, qui la possédait après l’avoir peinte, s’en est-il défait et de quelle manière a-t-elle été acquise par le marchand d’art Abe Gutnajer ? Il est possible que l’œuvre ait été dérobée à Chagall lorsque celui-ci quitte Paris pour l’Allemagne puis la Russie, entre 1914 et 1922. À son retour en France, il découvre, en effet, le vol d’un grand nombre des toiles qu’il avait laissées dans la cité d’artistes du XVe arrondissement de Paris, sans pour autant qu’une liste exhaustive de ces œuvres n’ait été établie et ne permette d’affirmer que Le Père en faisait partie. Il est également possible que le tableau ait fait partie des œuvres laissées à Berlin après la première exposition personnelle de Chagall en 1914, puis ait été vendu – sans l’accord du peintre – par le galeriste organisateur de l’exposition.

Cependant, alors que le peintre a intenté un procès au galeriste pour contester ces ventes qui ne lui ont pas profité, le tableau Le Père n’est jamais mentionné parmi les œuvres laissées en Allemagne. De quelle manière et à quelle date l’œuvre est-elle rentrée en possession de l’artiste ? Là encore, les informations sont incomplètes. Il est seulement possible de supposer que le peintre a repris possession de l’œuvre après 1947, date à laquelle elle ne figure pas parmi les œuvres exposées au cours d’une importante rétrospective qui lui est consacrée, et d’affirmer qu’il la possédait à nouveau en 1953 au plus tard, date à laquelle il la prête pour une exposition à Turin.

La correspondance entre l’œuvre spoliée à David Cender et le tableau confié à la garde du musée national d’art moderne

Malgré les incertitudes persistantes sur certaines étapes du parcours de l’œuvre, la parfaite correspondance entre les descriptions apportées par David Cender, le Dr Edward Reicher et Eugenia Kurkiewicz du tableau de Lodz et le tableau Le Père du musée national d’art moderne (MNAM), telle que suggérée par Franz Meyer, est aujourd’hui établie, de même que la spoliation, reconnue dès 1972 par l’Allemagne, rendant la restitution pleinement justifiée et nécessaire.

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   Travaux de la commission

 

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a examiné le projet de loi lors de sa réunion du lundi 17 janvier 2022 ([55]).

I.   discussion générale

M. le président Stéphane Testé. Nous examinons ce soir le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites. Nous avions désigné le 12 janvier dernier notre collègue Fabienne Colboc comme rapporteure sur ce texte, qui fait l’objet d’une procédure accélérée et dont l’examen en séance publique est prévu le mardi 25 janvier.

Ce texte de trois articles porte sur un sujet éminemment important et complexe et s’inscrit dans un engagement moral de la France à l’égard des victimes des crimes antisémites commis durant la Seconde Guerre mondiale.

Chaque article a nécessité de longues années de recherche sur le parcours et l’identification des ayants droit des œuvres d’art dont il propose la restitution. Je souligne d’ailleurs la qualité de l’étude d’impact adressée au Parlement. Elle présente avec une très grande précision tant les enjeux juridiques de ces restitutions que l’histoire des personnes et des œuvres auxquelles ce texte rend en quelque sorte la mémoire.

Il s’agit du premier projet de loi autorisant la restitution d’œuvres d’art spoliées aux ayants droit de victimes de persécutions antisémites : ce seul fait justifie pleinement son examen en urgence en cette fin de législature.

Madame la rapporteure, vous avez, dans le très court délai dont vous disposiez, procédé à de nombreuses auditions afin de nourrir votre rapport : je vous remercie tout particulièrement de votre investissement sur ce texte.

Je remercie également madame la ministre de la culture d’être présente à nos côtés pour cette première lecture.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Voilà soixante-dix-sept ans que les armes se sont tues dans notre Europe ravagée par la Seconde Guerre mondiale. Les responsables des crimes odieux qui ont été commis ont été poursuivis, jugés, condamnés, et le temps passant, la plupart sont aujourd’hui décédés.

La mémoire du nazisme et de la Shoah continue de se construire et de se transformer, sans s’effriter avec le temps, bien au contraire. Dans le monde de la culture, dans les musées et dans les bibliothèques, la mémoire de la persécution et de la Shoah est également présente.

Les institutions culturelles dans l’Europe entière ont été liées à cette histoire, malgré elles ou parfois avec leur complicité. Des œuvres d’art et des livres spoliés sont toujours conservés dans les collections publiques : ces objets ne devraient pas être là. Ils n’auraient jamais dû être là.

La persécution des Juifs a connu de multiples formes. Bien souvent, avant l’élimination méthodique, avant l’extermination, il y eut les vols des biens des Juifs, sommés de tout abandonner. Ces spoliations recouvrent des réalités diverses : vols, pillages, confiscation, aryanisation – pour reprendre le vocabulaire nazi et celui du régime de Vichy – ou encore ventes sous la contrainte.

Au-delà de la dépossession, la spoliation constitue une atteinte grave à la dignité des individus : elle est la négation de leur humanité, de leur mémoire, de leur souvenir et de leurs émotions.

Aujourd’hui, les œuvres spoliées non restituées sont parfois les seuls biens qui restent aux familles. C’est donc avec beaucoup d’émotion que je vous présente ce soir le projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites.

Il s’inscrit dans la continuité de la politique de réparation lancée par le Président Jacques Chirac dans son discours du Vél’ d’Hiv en 1995 sur la responsabilité de l’État dans la déportation des Juifs de France, et des travaux de la mission dite « Mattéoli » sur la spoliation des Juifs de France, conduite entre 1997 et 2000. Elle a été confortée en juillet 2018 par la volonté du Premier ministre de faire mieux en matière de recherche et de restitution des œuvres d’art. À cette fin, le ministère de la culture s’est doté en 2019 d’une mission spécifiquement consacrée à l’identification des œuvres spoliées présentes dans les collections.

Nous pouvons qualifier ce projet de loi d’historique puisque c’est la première fois depuis l’après-guerre que le Gouvernement engage un texte permettant la restitution d’œuvres des collections publiques nationales ou territoriales spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation en raison des persécutions antisémites.

Il faut souligner le travail collectif qui a permis ces restitutions : le travail des services du ministère de la culture, de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), des musées nationaux et des collectivités territoriales. La CIVS était compétente pour deux des trois dossiers et l’État, comme la ville de Sannois, ont suivi exactement sa recommandation. Cette démarche de restitution portée par la France est attendue car nos musées, comme les musées du monde entier, sont confrontés à la nécessité de s’interroger sur l’origine de leurs collections. Le parcours des œuvres de ces collections pendant la période allant de 1933 à 1945 doit être étudié toujours davantage.

Le Gouvernement propose aujourd’hui une loi d’espèce portant sur quatre cas.

Le premier est celui du tableau Rosiers sous les arbres, de Gustav Klimt, acheté en 1980 par l’État : les recherches menées à l’époque sur sa provenance n’avaient pas permis d’identifier des doutes sur l’historique, compte tenu de la connaissance limitée à ce moment-là de cette collection. Il s’est avéré bien plus tard, il y a quelques années, que ce tableau pouvait correspondre à celui intitulé Pommiers que Nora Stiasny, nièce du collectionneur juif viennois Viktor Zuckerkandl, avait été contrainte de vendre en août 1938 pour une valeur dérisoire, quelques mois après l'Anschluss et le début des persécutions antisémites.

Les recherches menées par le musée d’Orsay, que je remercie particulièrement, et par les services du ministère, en lien avec des chercheurs autrichiens, ont permis de confirmer cette hypothèse : la spoliation était avérée. Nous avons sans hésiter validé le principe de la restitution de ce tableau, unique toile de Klimt dans nos collections nationales. Cette œuvre majeure doit retrouver ses propriétaires légitimes au nom de la mémoire de Nora Stiasny qui fut déportée et assassinée en 1942.

Le deuxième ensemble est composé de onze œuvres graphiques de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier et Camille Roqueplan relevant du musée d’Orsay et du musée du Louvre, et d’une sculpture de Pierre-Jules Mène conservée au château de Compiègne, acquises par l’État en juin 1942 à Nice lors de la vente publique qui a suivi le décès d’Armand Dorville, avocat français juif. Le produit de cette vente organisée par la succession du collectionneur a été, le premier jour, placé sous administration provisoire par le commissariat général aux questions juives.

La CIVS, saisie par les ayants droit d’Armand Dorville, a considéré que cette vente n’était pas spoliatrice car elle avait été décidée par les héritiers qui en avaient finalement touché le produit et ne l’avaient pas remise en cause après la guerre. Cependant, outre une indemnisation justifiée par l’immobilisation du produit de la vente jusqu’à la fin de la guerre, la commission a recommandé en équité que les douze œuvres achetées par l’État lors de cette vente soient remises aux ayants droit en raison du contexte trouble de cette acquisition. En effet, l’acheteur pour le compte de l’État avait eu connaissance de la mesure d’administration provisoire et avait eu des contacts avec l’administrateur nommé par Vichy.

Le Gouvernement s’est donc conformé à cette recommandation de la CIVS et propose de remettre ces œuvres aux ayants droit.

Le texte propose également la restitution du tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo acheté par la ville de Sannois en 2004 pour son musée Utrillo‑Valadon. Il s’est avéré avoir été volé chez Georges Bernheim, marchand d’art à Paris, par le service allemand de pillage des œuvres d’art dirigé par Alfred Rosenberg en décembre 1940. Informée par une chercheuse de provenance indépendante, la CIVS a recommandé la restitution du tableau à l’ayant droit de Georges Bernheim, victime des persécutions antisémites. Je salue l’engagement de la ville de Sannois dont le conseil municipal s’est prononcé à l’unanimité pour cette restitution juste et nécessaire et pour la sortie de cette œuvre de son domaine public.

Le Gouvernement proposera enfin, par la voie d’un amendement, de permettre la restitution d’une autre œuvre, le tableau Le Père, de Marc Chagall, conservé au musée national d’art moderne. J’y reviendrai plus longuement dans le cadre de l’examen des amendements.

Des questions ont été et seront soulevées sur l’opportunité d’une telle loi, certains regrettant l’absence d’un dispositif créé par une loi-cadre qui permettrait la restitution plus aisée des œuvres spoliées sans présenter de nouvelles lois d’espèce au Parlement. Le Conseil d’État lui‑même dans son avis a souligné le manque d’un dispositif plus simple.

Pour l’heure, il est apparu capital au Gouvernement de soumettre à la représentation nationale ces dossiers spécifiques : il s’agit en effet de la première loi organisant la sortie du domaine public d’œuvres spoliées des collections nationales ou territoriales en vue de leur restitution. L’engagement pris par notre pays, notamment concernant le tableau de Klimt, a été salué unanimement et devait vous être soumis. Il fallait aller vite, mettre en œuvre ces restitutions dont certaines – c’est le cas du tableau de Sannois – étaient en attente depuis plusieurs années, mais je suis favorable à l’adoption d’une loi-cadre permettant la création d’un dispositif de restitution des œuvres spoliées dans le cadre des persécutions antisémites entre 1933 et 1945.

Nous y viendrons : c’est une étape qui s’imposera. La réflexion actuelle sur une loi-cadre relative à la restitution des biens d’origine coloniale voulue et annoncée par le Président de la République en octobre dernier nous engage sur le même terrain pour ce qui concerne les spoliations antisémites de la période allant de 1933 à 1945. Un nouveau dispositif est souhaitable. Il doit cependant être affiné et ne peut être mis en œuvre à la toute fin du quinquennat. Le ministère y a travaillé, mais vous voyez la complexité des dossiers : les critères de spoliation comme les bornes géographiques et temporelles doivent être pesés avec précaution.

Pour l’heure, dans l’attente de l’aboutissement de ces travaux, nous souhaitons faire sortir ces œuvres du domaine public. C’est une avancée majeure, mais il y aura d’autres restitutions et nous saurons proposer un nouveau dispositif.

Nous n’évoquons pas ce soir un projet de loi ordinaire : il constitue véritablement une première étape initiée par la France pour permettre, pour la première fois, la restitution d’œuvres des collections publiques nationales ou territoriales spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale ou acquises dans des conditions troubles pendant l’Occupation en raison de persécutions antisémites. Je souhaite donc que ce beau texte puisse tous nous rassembler.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. C’est un honneur pour moi et pour chacun de nous de participer ce soir à l’examen de ce texte qui procède véritablement de notre devoir de mémoire individuel et collectif. C’est grâce à votre action volontariste, madame la ministre, qu’il peut être présenté avant la fin de cette législature.

Comme le reconnaissait le Président Jacques Chirac en 1995, l’État français a, durant la Seconde Guerre mondiale, commis l’irréparable en participant à la perpétration de crimes antisémites.

Parmi ces crimes figurent sans conteste les spoliations, c’est-à-dire les dépossessions par violence ou par fraude auxquelles les autorités françaises se sont livrées. Commencées dès 1940, elles ont touché très majoritairement des familles juives, qu’elles ont privées, parfois sous le couvert de prétendues lois, d’œuvres d’art, de comptes bancaires, d’entreprises, de livres ou encore d’instruments de musique. Leurs descendants, leurs héritiers, se battent aujourd’hui pour récupérer ce qui constitue une part de l’histoire familiale, parfois la seule trace matérielle de l’existence d’un ancêtre victime de la Shoah.

Ce texte ne réparera pas l’irréparable, c’est indéniable. Mais en remettant ou en restituant quatorze œuvres aux ayants droit de trois propriétaires spoliés, il contribuera à acquitter une partie de la dette imprescriptible que l’État conserve à leur égard.

Les œuvres à restituer ou à remettre appartiennent aux collections publiques, c’est-à-dire au domaine public de l’État pour les articles 1 et 2, et d’une collectivité territoriale pour l’article 3. Elles sont, de ce fait, inaliénables. Il nous revient donc de les faire sortir explicitement des collections publiques pour pouvoir autoriser leur retour à leur propriétaire légitime. À ce titre, le dispositif juridique des articles est relativement simple.

L’article 1er autorise la sortie des collections publiques du tableau de Gustav Klimt, Rosiers sous les arbres, conservé au musée d’Orsay. Il sera restitué aux ayants droit de Nora Stiasny, une femme autrichienne de confession juive qui avait été contrainte de le vendre à vil prix – moins de 15 % de sa valeur – face à la nécessité impérieuse de se procurer des liquidités pour s’acquitter des taxes imposées aux Juifs. Le musée d’Orsay avait acquis ce tableau en 1980, avant que des recherches autrichiennes puis françaises n’établissent la spoliation.

L’article 2 autorise la remise de douze œuvres que l’État a achetées au cours d’une vente aux enchères en 1942 à Nice. Si la vente en elle-même ne constituait pas une spoliation, le fait que le produit de cette vente ait été rendu indisponible pour les héritiers jusqu’à la Libération en raison des lois d’aryanisation de Vichy justifie aujourd’hui des mesures de réparation.

Enfin, l’article 3 autorise la restitution d’un tableau de Maurice Utrillo acheté par la ville de Sannois en 2004 au cours d’une vente publique à Londres. Il a été établi en 2018 qu’elle provenait d’un pillage par l’organisation allemande de pillage des œuvres d’art, l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), du domicile de son propriétaire, le collectionneur Georges Bernheim.

Mais au-delà des aspects techniques et juridiques, il s’agit surtout d’un texte sans précédent dans notre histoire qui permettra pour la première fois d’organiser dans la loi la restitution de biens spoliés à des personnes physiques, des particuliers. C’est un moment important que celui que nous vivons. Il sera très observé, notamment à l’étranger. La France, en effet, accuse un retard certain dans les restitutions, même si de grands progrès ont été faits ces dernières années. L’adoption de ce texte enverra un signal particulièrement fort en Allemagne, où ces restitutions sont organisées de manière exemplaire depuis plusieurs années, mais aussi en Israël et aux États-Unis, où les descendants de victimes de spoliations antisémites sont nombreux.

Un certain nombre d’œuvres ont déjà été restituées, en particulier celles qui répondent au statut dit des MNR –  Musées nationaux récupération – qui ont été retrouvées en Allemagne en 1945 puis rapportées en France. Ces œuvres, dont l’origine spoliatrice était, en quelque sorte, présumée, sont placées sous un statut particulier qui permet leur restitution sans recours au législateur. Environ 200, sur les 2 000 qui sont conservées dans les musées français, ont déjà été restituées.

Celles que nous évoquons ce soir n’appartiennent pas à cette catégorie et montrent à quel point il est désormais nécessaire de porter notre regard, non pas uniquement sur des œuvres retrouvées en Allemagne à la fin des conflits, mais bien sur l’ensemble des œuvres des collections publiques.

Cela recouvre d’abord les œuvres acquises par l’État ou par les musées pendant la Seconde Guerre mondiale, telles que celles visées par l’article 2 mais également, beaucoup plus largement, des œuvres acquises bien après la fin du conflit et dont le parcours entre 1933 et 1945 semble incertain ou suspect. Les articles 1er et 3 du projet de loi sont des exemples de telles acquisitions, en 1980 pour le tableau de Gustav Klimt, en 2004 pour celui de Maurice Utrillo. Ce ne sont très probablement pas des cas isolés.

Au-delà de son contenu même, ce texte est aussi l’occasion de nous pencher sur l’histoire des politiques de restitution en France. Des évolutions récentes ont eu lieu à cet égard depuis une trentaine d’années. Les années 90, d’abord, ont été marquées par la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans ces crimes et l’émergence de la question sur la scène internationale. L’adoption des principes dits « de Washington », en 1998, par lesquels les États s’engagent à trouver une solution juste et équitable à ces situations, puis le renouvellement de ces engagements dans les années 2000, sont des actes forts.

Ces évolutions se sont accélérées dans les années 2010, marquées, en 2012, par la découverte d’une collection de plus de 1 500 œuvres chez Cornelius Gurlitt, fils du marchand d’art Hildebrand Gurlitt, qui était chargé d’acquérir des œuvres destinées au musée de Linz, le projet de musée gigantesque d’Hitler. Le renouveau de la question des restitutions se traduit, en France, par le début des recherches proactives de l’État – sans attendre la saisine des familles – et par la création d’une mission spécialisée au ministère de la culture.

Il se traduit également par les démarches engagées par les institutions muséales et, plus largement, par tous les acteurs du marché de l’art. Systématisation des recherches de provenance, ouverture d’archives, formation des conservateurs du patrimoine : les évolutions sont nombreuses et à saluer. Nous espérons qu’elles se poursuivront et se concrétiseront par une augmentation du nombre des restitutions, et par une accélération des procédures qui prennent parfois de longues années.

Or l’accélération des recherches en vue de la restitution de l’ensemble de ces œuvres est bien plus qu’un devoir : une véritable urgence compte tenu notamment de l’âge des héritiers en mesure d’identifier des œuvres ayant appartenu à leurs aïeux.

Les enjeux éthiques, artistiques, diplomatiques, juridiques et économiques de ces restitutions sont importants. À cet égard, il convient de rappeler qu’elles n’ont pas pour unique objet de compenser un préjudice matériel, mais bien de rétablir un titre de propriété légitime. Il s’agit, surtout, de garantir le respect de la dignité des victimes de la barbarie nazie et des persécutions antisémites auxquelles les autorités françaises ont contribué et qu’elles se doivent aujourd’hui de réparer dans toute la mesure de leurs moyens.

Au-delà, il en va aussi de l’éthique des collections, des institutions muséales et des personnes publiques. Nos musées ne peuvent en aucun cas conserver des œuvres sur lesquelles l’origine ou le parcours projettent une tache indélébile. Ils en sont parfaitement conscients et sont très déterminés à aller dans ce sens.

Bien sûr, nous pouvons entendre, et nous l’avons d’ailleurs entendu, que le recours au législateur pour autoriser ces restitutions est malaisé, compte tenu de l’encombrement de l’ordre du jour, ou encore des délais qu’implique la navette parlementaire dont on ne peut pas décemment faire pâtir les ayants droit en attente d’une restitution. L’exemple que fournit l’article 3 est à cet égard parlant : alors que la restitution a été décidée par la ville de Sannois en mai 2018, c’est près de quatre ans plus tard que sera votée la loi qui l’autorise.

Cependant, la réflexion sur une loi-cadre n’est pas encore terminée : comment définir les critères, le champ géographique ou temporel des actes considérés comme spoliateurs ? Quelles œuvres, quels objets seraient concernés ? Nous ne pourrons pas faire l’économie de cette réflexion, au demeurant déjà bien engagée au ministère de la culture. Mais le moment n’est pas encore venu notamment parce que nous voulons voir le présent texte aboutir aussi rapidement que possible, de manière à rendre sans attendre les œuvres à leurs propriétaires légitimes.

Pour conclure, je voudrais rendre hommage à toutes les personnes qui se sont engagées, individuellement ou collectivement, dans la défense des familles juives dépossédées, mais aussi, plus largement, dans la défense de l’art.

Je pense, bien sûr, à Rose Valland, qui, grâce à son travail de résistance et d’espionnage pendant l’occupation allemande en tant qu’attachée de conservation du musée du Jeu de Paume, a œuvré pour que soient documentés un grand nombre de transferts de biens culturels, ce qui nous permet aujourd’hui d’en assurer la restitution. Je pense aussi à Jean Mattéoli, dont le rapport de 1997 sur la spoliation des Juifs de France a fait date. Je pense également aux institutions qui travaillent au quotidien à ces restitutions et que j’ai eu l’honneur, pour certaines, d’entendre pour élaborer mon rapport – la commission d’indemnisation des victimes de spoliation et la mission de recherche et de restitution des biens spoliés. Je sais l’engagement de leurs personnels. L’Institut national d’histoire de l’art et l’Institut national du patrimoine font également un travail immense, de même que les musées. Enfin, des personnalités engagées, telles qu’Emmanuelle Polack, historienne de l’art et chercheuse de provenance pour le musée du Louvre, accomplissent une mission remarquable et doivent être remerciées.

Un dernier mot, enfin, pour dire que les restitutions seront, sans aucun doute, appelées à se multiplier dans les années à venir. Ce projet de loi, même s’il constitue une première étape très importante, est non pas un aboutissement mais bien le premier pas d’une démarche que nous devrons prolonger et accentuer.

M. Yannick Kerlogot (LaREM). La fin de la législature approche et, depuis juin 2017, nous avons examiné pas moins de quarante-sept textes au sein de notre commission des affaires culturelles, dont douze projets de loi. Celui qui nous occupe ce soir est tout à fait singulier et a une grande portée symbolique, puisqu’il se réfère à une page sombre, pour ne pas dire noire, de l’histoire de France. Il nous renvoie aux années de collaboration avec les forces nazies et à leur politique de spoliation, intimement liée à un projet génocidaire.

Dans son livre Arthur ou le bonheur de vivre, qu’elle a fait paraître en 1997, à l’âge de 81 ans, Françoise Giroud écrit que personne n’est capable d’expliquer comment, au XXe siècle, au cœur de l’Europe des Lumières, un pays chrétien de haute civilisation a basculé dans la barbarie, une Allemagne national-socialiste entièrement consentante, enivrée par cette forme de fascisme qu’a été l’hitlérisme. Ce constat d’une explication impossible, nous le faisons nous aussi à propos du régime de Vichy qui, soumis à l’Allemagne, a pleinement collaboré avec l’ennemi, en particulier à partir de 1942.

La décision du Gouvernement de restituer ou de remettre certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites vise, non à réparer l’irréparable, mais à reconnaître des actes : des spoliations qui ont touché principalement des familles juives ; des spoliations qui se sont attaquées au patrimoine privé de ces familles. Restituer un tableau ou un dessin, c’est aussi restituer une part de l’identité, de la mémoire d’une personne, celle du propriétaire spolié. Cette reconnaissance individuelle est attendue par les familles. Comme l’a précisé si justement, lors de son audition, Emmanuelle Polack, chargée de mission au musée du Louvre et spécialiste du marché de l’art sous l’Occupation, il s’agit bien d’une dette rémanente de la France envers son passé, d’une reconnaissance voulue et souhaitée par le Gouvernement. Ce n’est pas le tableau qui répare ; c’est la reconnaissance des victimes qui est recherchée.

En juillet 2017, dans les pas de Jacques Chirac qui avait prononcé pour la première fois en 1995 un discours sur la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs durant l’Occupation, Emmanuel Macron affirme à son tour, lors de la commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv, que la France, en reconnaissant ses fautes, a ouvert la voie aux réparations des persécutions et des spoliations antisémites. Au fond, l’initiative du Président de la République, relayée par le Premier ministre et par vous-même, madame la ministre de la culture, de restituer ou de remettre ces biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires, est conforme à la volonté exprimée par les Français d’assumer les pages sombres de leur histoire et de permettre ainsi aux jeunes générations de se projeter dans l’avenir, dégagées d’une responsabilité qu’elles n’ont pas à porter. L’opinion publique est tout acquise à cette cause et les jeunes, en particulier, réclament l’accélération d’un travail de mémoire sur un sujet trop longtemps occulté.

Permettez-moi de faire un parallèle avec un autre projet de loi voté à l’unanimité par cette assemblée, celui relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Nous avons mesuré, à cette occasion, combien la jeunesse afrodescendante attendait la restitution, à ces deux pays d’Afrique subsaharienne, d’objets culturels mal acquis par notre pays. La France, avec ce projet de loi, leur a apporté un début de réponse.

Actons ensemble que, depuis les années 1990, les musées ne peuvent plus faire l’économie des questions de provenance. Nous avons constaté, au cours de nos auditions, que le monde des musées et des collections publiques françaises a pris conscience de ces enjeux. Il en est de même des grandes maisons de vente, comme des grandes galeries internationales qui exposent des œuvres issues de collections privées. Si une première vague de restitutions a bien été menée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, après l’établissement du statut « Musées nationaux récupération », il s’en est suivi plusieurs décennies d’inactivité.

Créée en 1999, la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations a déjà permis de verser plus de 500 millions d’euros d’indemnités au titre des spoliations matérielles. En juillet 2018, Édouard Philippe, alors Premier ministre, a réaffirmé cet engagement politique et appelé la CIVS et le ministère de la culture à accentuer leurs efforts pour identifier les œuvres spoliées et les restituer à leurs propriétaires légitimes. En 2019 a été créée la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, dirigée par M. David Zivie. Les différentes auditions nous ont confirmé que les programmes de recherche sont désormais lancés par les différents acteurs concernés. Aujourd’hui, un musée n’achèterait plus, comme il l’a fait en 1980, un tableau comme Rosiers sous les arbres, de Gustav Klimt, dont la provenance inspirerait au minimum des doutes. Le principe de précaution serait appliqué.

Il nous est demandé, chers collègues, d’acter le déclassement de quinze œuvres considérées comme mal acquises, qu’il est grand temps de rendre aux ayants droit de leurs propriétaires, victimes de spoliations antisémites. Il s’agit d’un texte historique et symbolique, et le groupe La République en marche le votera.

Mme Valérie Bazin-Malgras (LR). Ce projet de loi nous offre l’occasion de défendre une action de la République pour l’honneur. La restitution des œuvres listées par ce texte aux ayants droit d’Eleonore Stiasny, Armand Dorville et Georges Bernheim est dictée par un impératif de justice et de réparation face aux crimes du passé. Il est effectivement important de réparer les injustices commises aux heures sombres de l’histoire.

Organiser la restitution et la remise de ces œuvres aux ayants droit des propriétaires victimes de persécutions antisémites, c’est poursuivre le combat contre les horreurs de la folie nazie. C’est continuer de mettre en échec les odieux desseins de ce régime de haine aux ambitions génocidaires et de ses complices. De tels enjeux justifient que l’on déroge au principe d’inaliénabilité des collections publiques. Je tiens à saluer l’important travail effectué par la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations. Ses recherches longues et ardues ont permis de rétablir la vérité sur l’histoire de certaines œuvres au parcours tumultueux. Elles nous permettent de veiller à l’irréprochabilité des collections publiques, en restituant aux victimes de la barbarie les œuvres qui leur ont été soustraites.

Ce patient travail de mémoire permettra de préserver l’aura bienfaitrice de nos établissements culturels. Il importe que nos musées restent de lumineux temples des arts et du savoir et qu’aucune ombre ne vienne assombrir les collections qu’ils renferment. Les tableaux Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt et Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo, les œuvres de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Pierre-Jules Mène, Henry Bonaventure Monnier ou encore Camille Roqueplan sont autant de richesses culturelles que nos collections publiques auraient tort de conserver, au risque de contribuer à la spoliation des ayants droit de leur propriétaire. Voilà pourquoi, avec le groupe Les Républicains, nous voterons en faveur de ces restitutions et remises d’œuvres. J’ajoute qu’il est de notre devoir d’afficher une position unanime en faveur de cette action juste.

Mme Sophie Mette (Dem). Mon groupe se félicite de ce projet de loi et remercie sincèrement le Gouvernement et vous-même, madame la ministre, de nous le soumettre. Je tiens également à féliciter la rapporteure pour son travail.

C’est un projet de loi de réparation et de justice qui nous est soumis et ce sont quinze œuvres qui sont inscrites à l’ordre du jour de notre commission. Deux d’entre elles ont fait l’objet d’une spoliation par les nazis avant d’entrer dans les collections publiques ; les douze autres ont été achetées par l’État pendant l’Occupation. La vente n’était pas spoliatrice, mais placée sous administration provisoire par les autorités de Vichy. Le représentant des musées nationaux avait donc connaissance des mesures mises en œuvre à l’encontre des vendeurs. Nous soutenons également l’amendement du Gouvernement, qui va permettre la restitution rapide du tableau Le père de Marc Chagall aux ayants droit de David Cender.

Ces mesures, ce sont celles que la France imposait aux Juifs, ce sont les persécutions antisémites que nous ne pouvons nier. Il était temps de sortir ces œuvres des collections publiques pour les rendre aux ayants droit de leurs propriétaires légitimes. Votre gouvernement l’a fait, madame la ministre, et les députés démocrates s’en réjouissent. En 2020, nous encouragions déjà une logique similaire, celle de la restitution des vingt-six œuvres des trésors royaux d’Abomey à la République du Bénin et du sabre avec fourreau dit d’El Hadj Omar Tall, à la République du Sénégal. Il ne s’agit certes pas, ici, de restituer des biens culturels à des États, mais l’objectif est le même : faire face à notre histoire dans sa globalité, sans faux-semblants, et faire ce qui est nécessaire pour avancer.

Les efforts accomplis en la matière par le président Emmanuel Macron à l’égard du continent africain, principalement de l’Algérie, sont admirables. Avec ce texte, la France rend justice à quelques citoyens, les ayants droit des victimes de spoliations et, surtout, elle se réconcilie avec elle-même. Il s’agit aussi de répondre à une demande forte du monde de la culture, des musées et des bibliothèques et nous rendons ici hommage à leur choix. Les travaux de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, dite « mission Mattéoli », ont permis des avancées importantes dans la connaissance des processus de spoliation et méritent également d’être cités. C’est l’honneur de la France que de prendre ces dispositions, notamment à l’heure où certains, dans la perspective des élections, et dans une logique de réécriture sordide de l’histoire, cherchent à réhabiliter le maréchal Pétain et le régime de Vichy.

Au plan international, la question de la nécessaire réparation des spoliations d’œuvres d’art s’est peu à peu imposée, particulièrement à travers l’adoption par quarante-quatre États, en 1998, des « principes de Washington » sur les œuvres d’art confisquées par les nazis. Madame la ministre, vous avez noté, au moment de l’annonce du projet du retour des Rosiers sous les arbres, que ce genre de restitution pourrait intervenir ailleurs, chez nos voisins européens, puisque notre histoire est commune. Qu’en est-il ? Savez-vous si d’autres initiatives ont été impulsées ?

Mon groupe votera ce texte.

Mme Michèle Victory (SOC). Nous sommes réunis pour acter la restitution de quinze œuvres d’art spoliées à leurs propriétaires par le régime nazi. Ces œuvres retrouveront leur propriétaire légitime et ces restitutions constitueront, sans nul doute, une étape supplémentaire dans la nécessaire réparation des abominations subies par le peuple juif. Nous le devons à ces hommes et à ces femmes dont la mémoire a été blessée, sans pour autant être détruite, et pour qui ces objets sont bien plus que de simples œuvres d’art. Si le processus de restitution est différent de celui adopté dans le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal, il n’en est pas moins indispensable. C’est un acte symbolique fort de notre République qui rappelle que la justice, elle, est intemporelle.

Le principe n’est pas d’attendre les demandes des familles pour procéder à la restitution de ces œuvres, mais de s’engager dans des actes réparateurs. Je salue l’extraordinaire travail réalisé par les musées, le ministère et la CIVS pour identifier ces spoliations, en vue de futures restitutions. Ce projet de loi va dans le sens d’une histoire qui apaise, qui réconcilie, qui nous rassemble. C’est un honneur pour le législateur de participer à ce processus. En quittant le musée d’Orsay, le Louvre, le château de Compiègne et la ville de Sannois, ces œuvres retrouveront la quiétude des biens rendus à leurs propriétaires et participeront au souvenir des aïeux des familles qui pourront les contempler à nouveau.

Si nous partageons la volonté politique de ce projet de loi, notre rôle de législateur est aussi de nous interroger sur le sens de la loi. Parce qu’elles appartiennent aux collections publiques, ces œuvres doivent être restituées par la voie législative, la seule à même de contourner les principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité. Aussi, contrairement à ce qui est prévu pour les quelques 2 000 œuvres relevant du statut « Musées nationaux récupération » qui n’ont, à ce jour été ni restituées, ni vendues et qui peuvent faire l’objet d’une restitution dans un cadre juridique idoine, nous serions amenés à légiférer à chaque restitution d’œuvres spoliées appartenant à l’État. Nous ne souhaitons pas que ces restitutions soient examinées pour répondre à d’éventuelles stratégies politiques et, si le doute s’était un peu immiscé lors de la discussion précédente, nous sommes ici dans une tout autre démarche, que nous saluons totalement.

Vous l’avez souligné, madame la rapporteure, l’Allemagne et Israël nous ont devancés sur ces questions et nous comprenons aisément pourquoi il est temps d’accélérer la mise en œuvre de ces restitutions par la France. Or l’intervention du législateur pour chaque œuvre risque de ralentir considérablement un processus qui aura déjà été élaboré par des services tout à fait compétents. La justice, dans ces conditions, ne sera pas rendue dans un délai raisonnable. En outre, l’agenda parlementaire est constamment saturé, alors que les techniques des musées vont se perfectionner avec le temps et favoriser, je l’espère, de plus en plus de restitutions. Nous plaidons donc, comme la plupart des parlementaires, en faveur d’une loi-cadre ou d’un dispositif similaire à celui qui existe pour les MNR, qui offre un cadre sécurisant de restitution de ces œuvres, au bénéfice des familles injustement spoliées.

Cette réflexion globale ne saurait toutefois atténuer la volonté du groupe Socialistes et apparentés de voter ce projet de loi.

M. Pierre-Yves Bournazel (Agir ens). Permettez-moi tout d’abord de lire un extrait de la dernière lettre du docteur Zacharie Mass, interné au camp de transit de Drancy, à sa femme Élisabeth : « Je ne te décrirai pas les moments d’angoisse que j’ai passés mais je suis heureux de ne pas te voir ici. J’espère que tu feras ce qu’il faut, je t’en supplie, pour éviter cela à tout prix. » Le 31 juillet 1943, Zacharie Mass a été déporté par le convoi n° 58 au camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz. En novembre, à bout de forces, il sera gazé et son cadavre brûlé. Des lettres comme celle-ci, il en existe des centaines et des centaines. Des lettres qui témoignent des arrestations, de la séparation des familles, de la détresse, de l’angoisse, de la stupeur, des doutes, de l’incompréhension et de l’espoir perdu. Des lettres qui racontent « ces heures noires [qui] souillent à jamais notre histoire » et qui « blessent [notre] mémoire », pour reprendre les mots de Jacques Chirac en 1995.

Durant ces jours funestes, la France commettait l’irréparable. Elle trahissait alors celles et ceux qui lui faisaient confiance. Elle trahissait ses propres citoyens. Nos valeurs fondamentales étaient défendues par la Résistance, par la France libre, par les Justes qui surent, au même moment, incarner cette grandeur avec courage. Le 16 juillet 1995, pour la première fois, un Président de la République reconnaissait la responsabilité de l’État français dans la collaboration et la déportation des Juifs de France. Jacques Chirac ouvrait la voie, la voie de la vérité. Il s’ensuivra en 1997, à la demande d’Alain Juppé, l’installation d’une mission d’étude confiée à Jean Mattéoli sur la spoliation des Juifs de France. En 1999, le gouvernement de Lionel Jospin créera une commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations. Depuis, cette commission a enregistré plus de 29 000 dossiers et permis de verser plus de 540 millions d’euros d’indemnités au titre des spoliations matérielles.

Néanmoins, il est un domaine dans lequel nous devons encore avancer : c’est celui de la restitution des biens culturels. De nombreuses œuvres dont les Juifs ont été spoliés, ou qu’ils ont été forcés de vendre durant l’Occupation, se trouvent dans les collections publiques. C’est un long travail de recherche que nous devons aux victimes. Nous le devons à leur mémoire et à leurs descendants : c’est une question de morale, de dignité, de respect et d’honneur. En 2018, le Gouvernement s’était engagé à poursuivre ces recherches. Le Premier ministre, Édouard Philippe, avait alors appelé la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations et le ministère de la culture à accentuer leurs efforts afin d’identifier les œuvres et de les restituer.

Ce projet de loi permettra la restitution de quatorze tableaux, dessins et sculptures des collections publiques françaises aux ayants droit de victimes juives spoliées avant et pendant la Seconde Guerre mondiale : il s’agit de Rosiers sous les arbres, le chef-d’œuvre de Klimt conservé au musée d’Orsay, de onze dessins de Jean-Louis Forain, Constantin Guys, Henry Monnier et Camille Roqueplan, d’une cire de Pierre-Jules Mène, et d’un tableau de Maurice Utrillo. Nous nous réjouissons que le Gouvernement permette de faire sortir également une quinzième œuvre des collections nationales, afin de la restituer à ses propriétaires spoliés.

Madame la ministre, nous soutenons votre texte avec beaucoup de conviction, tout comme nous soutenons l’engagement du Président de la République à poursuivre ce devoir moral essentiel. Ce projet de loi constitue pour notre groupe une avancée importante sur le long chemin des restitutions. Ce travail pour la justice et contre l’oubli doit tous nous rassembler. Nous rassembler pour faire vivre la mémoire de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants spoliés, déportés et exterminés par la folie criminelle d’autres hommes. Nous rassembler afin de combattre les résurgences de l’inacceptable et toutes les tentatives de remise en cause de la vérité historique. Nous rassembler, enfin, autour de la défense de nos valeurs et de nos principes universels, et d’une certaine idée de l’humanité. Oui, madame la ministre, nous soutenons aussi le principe d’une loi-cadre et nous voterons avec beaucoup de détermination votre projet de loi.

Mme Agnès Thill (UDI-I). L’histoire étudie les constructions sociales, les politiques ou les interactions humaines, afin de permettre à tout un chacun de mieux s’inspirer du passé, des réussites comme des erreurs, pour construire l’avenir. Mais l’étude historique ne juge pas les faits. C’est aux descendants, héritiers successifs de ce passé, de tirer les leçons des événements qui composent notre récit commun. C’est aux hommes et aux femmes politiques qui les représentent de savoir prendre leurs responsabilités pour assumer cette histoire, même ses parts les plus sombres. Et lorsqu’on est un vieux pays d’un vieux continent qui a connu une histoire riche et diverse depuis tant de siècles, il faut savoir regarder son passé en face. C’est exactement ce qu’a fait avec courage le Président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, en reconnaissant la responsabilité de l’État français dans les atrocités qui avaient été commises au cours de la Seconde Guerre mondiale. Et c’est l’honneur de ce Président, l’honneur de la France, que d’avoir su reconnaître sans détours l’implication de certaines autorités françaises dans ces heures sombres.

À l’heure où certains voudraient refaire l’histoire et lancer dans le débat public des discussions qui n’ont plus lieu d’être, on ne peut que se féliciter que ce projet de loi, qui reprend des recommandations de la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, nous soit soumis. Dans la mesure où, selon le rapport Mattéoli, une centaine de milliers d’œuvres ont été pillées en France durant la Seconde Guerre mondiale, les autorités françaises doivent faire preuve de la plus grande vigilance lorsque des achats sont effectués pour les collections publiques. Et, puisqu’on estime que seules 45 000 œuvres ont été rendues à leurs ayants droit, je voudrais savoir si un contrôle s’exerce aussi sur les ventes privées. L’art est de plus en plus perçu comme un investissement et son marché devient parfois opaque, tant et si bien que certaines œuvres ne quittent presque plus les coffres-forts ou les hangars portuaires surprotégés.

Dans ce contexte plein d’incertitudes, il faut saluer l’initiative commune de l’Institut national d’histoire de l’art et d’une université berlinoise de mettre en ligne des archives jusqu’ici protégées, afin de mieux connaître les réseaux des 150 principaux acteurs du marché de l’art parisien durant l’Occupation. Cette action permettra probablement de retrouver de très nombreuses œuvres et de nombreux ayants droit, qui ignorent encore toute une partie de leur histoire familiale. Comme il a pu le faire durant la dernière décennie avec les œuvres relevant du statut MNR, l’État adoptera-t-il une politique pour aller vers les ayants droit que ces archives permettront de retrouver ? La CIVS entend-elle travailler en collaboration avec ces historiens ?

Quoi qu’il en soit, je tiens à vous remercier, madame la ministre, madame la rapporteure, pour votre travail et votre engagement. Cet engagement continue, puisque je crois savoir que le Gouvernement a déposé un amendement prévoyant la restitution d’une œuvre supplémentaire. Le groupe UDI et Indépendants soutient votre initiative et se félicite que nous puissions avancer sur ce sujet avant la fin du quinquennat.

Mme Stéphanie Kerbarh (LT). Notre groupe partage la volonté de restituer leurs biens culturels aux ayants droit de propriétaires victimes de persécutions antisémites. Il est impératif de poursuivre et d’amplifier notre politique publique de réparation des spoliations antisémites. Nous le savons, la spoliation a fait partie intégrante du régime nazi et de son projet génocidaire. Il s’agit donc d’apporter une forme de réparation à ses victimes et à leurs héritiers, alors même que ces œuvres d’art spoliées sont les vestiges d’un crime immense, les traces de l’une des plus grandes tragédies de l’humanité.

Il s’agit aussi de reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs de France, dans la droite ligne du discours du Président Jacques Chirac de 1995 car, pour reprendre ses mots, « nous conservons à leur égard une dette imprescriptible ». Il est indéniable qu’une partie des spoliations est due à l’action du gouvernement de Vichy, qui a confisqué et vendu les biens des Juifs dans le cadre de la législation antisémite. Il est donc de la responsabilité de l’État d’assurer les travaux de recherche, de restituer les œuvres aux ayants droit et de les indemniser.

J’aimerais vous interroger, madame la ministre, à propos de la collection d’Armand Dorville. Ses héritiers ont assigné l’État devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de constater la nullité de la vente de 1942. Le Conseil d’État s’interroge sur le caractère prématuré de la remise de ces œuvres. Pouvez-vous nous éclairer sur cette question ?

Notre groupe insiste par ailleurs sur la nécessité d’accentuer l’effort de recherche de provenance : celle-ci, intervenue tardivement dans notre histoire, est encore trop lente. Les recherches doivent porter non seulement sur les œuvres « Musées nationaux récupération » mais également sur nos collections publiques. Le caractère inaliénable de ces dernières ne nous affranchit pas de toute réflexion éthique et nous oblige même à faire preuve d’exemplarité.

Cela implique de mieux former les jeunes diplômés et les professionnels à l’activité de chercheurs en provenance. La lutte contre la circulation illégitime des œuvres est en effet un enjeu culturel, éthique et diplomatique. Nous l’avons rappelé à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Qu’il s’agisse de captations patrimoniales ayant participé au système colonial, de biens spoliés durant les persécutions nazies ou encore d’objets déplacés lors de conflits, il est essentiel de répondre scientifiquement et juridiquement aux quêtes des propriétaires légitimes ou de leurs héritiers.

Pour la première fois, des œuvres seront restituées à des particuliers et non à un État. La recherche des ayants droit, parfois ardue, soulève la question des moyens que l’État peut lui consacrer et de la procédure retenue pour définir, de manière sécurisée, les successions. Pouvez-vous nous éclairer sur ces aspects, madame la ministre ? Nous devons tout faire pour faciliter cette quête et trouver des solutions justes pour chacun. Pour toutes ces raisons, le groupe Libertés et Territoires votera en faveur de ce texte inédit.

M. Raphaël Gérard. À mon tour, je me félicite de l’examen de ce projet de loi. Toutefois, en cohérence avec ma position sur le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, je ne suis pas favorable au principe d’une loi-cadre.

En effet, je ne crois pas opportun de dessaisir le pouvoir politique de sa capacité à restituer des biens culturels au profit d’une procédure purement administrative. Une telle loi aurait vocation à s’appliquer à tous les biens susceptibles d’être restitués car nous ne pouvons pas, sous peine de créer une compétition mémorielle, privilégier certains biens culturels plutôt que d’autres. Or nous sommes confrontés à des œuvres issues d’espaces géographiques très divers, avec des modes d’acquisition qui varient : il ne s’agit pas toujours de biens ayant fait l’objet de spoliation dans un contexte colonial ou guerrier. L’ensemble de ces facteurs suppose une mobilisation pléthorique d’experts et l’élaboration de critères suffisamment larges pour permettre de tout restituer.

Je tire également toutes les leçons des dysfonctionnements de la Commission scientifique nationale des collections, à laquelle le Sénat avait souhaité confier ce rôle. Avec une loi-cadre, nous prendrions le risque de définir des critères si complexes et une procédure si lourde que nous échouerions à restituer les œuvres.

En revanche, je partage l’ambition de donner au processus de restitution une autre échelle. Cela passe par un important travail d’étude et de conservation dans les musées, y compris les musées des collectivités territoriales, pour déterminer la provenance des œuvres et faciliter l’instruction des processus de restitution. Ma question est donc simple : quels leviers permettraient d’intensifier ce travail indispensable ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Tout d’abord, je me félicite de l’avis unanime qui salue le travail effectué par l’ensemble des services, par le ministère et par la rapporteure sur ce sujet singulier et emblématique.

Des processus semblables existent en Europe : pratiquement tous les pays concernés – Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Royaume-Uni – mènent des politiques de restitution, selon des modalités diverses. Un travail collaboratif très important est effectué entre les équipes à l’international.

Faut-il une loi-cadre ? C’est un vrai débat. D’un côté, la loi-cadre permet d’activer des dossiers en souffrance depuis très longtemps et d’accélérer les procédures – les restitutions que nous examinons aujourd’hui sont parfois pendantes depuis plusieurs années – mais, de l’autre, sur le principe d’inaliénabilité des collections publiques, dessaisir le Parlement pour le confier à une commission administrative est un sujet qui mériterait d’être creusé et d’échapper à des visions parfois simplistes. Chaque dossier est un cas unique, et aucune procédure de restitution ne ressemble à une autre.

Concernant le dossier Dorville, l’État a suivi la recommandation de la CIVS, qui a proposé la remise des œuvres, considérant que la vente de 1942 n’était pas spoliatrice car elle avait été décidée par les héritiers, qui en avaient touché le produit et ne l’avaient pas remise en cause après la guerre. Elle a cependant recommandé, au nom de l’équité, que les douze œuvres achetées par l’État soient remises aux ayants droit en raison du « contexte trouble » de la vente, avec des contacts entre les représentants des Musées nationaux et l’administrateur provisoire nommé par le Commissariat général aux questions juives. Pour cette raison, nous procédons à une remise et non une restitution – les mots ont leur importance.

Cependant, les ayants droit souhaitent faire reconnaître le caractère spoliateur de la vente et faire annuler celle-ci par le juge judiciaire afin d’obtenir la restitution de ces douze œuvres et de neuf autres entrées dans les collections publiques depuis la guerre. Ce contentieux, dont l’issue devrait être connue à l’été, n’aura pas de conséquence sur le projet de loi. En effet, si le juge annule la vente, le résultat sera le même : les œuvres seront rendues à la famille. Le projet de loi répond donc déjà en grande partie à l’objectif poursuivi, en permettant la remise de douze œuvres sur les vingt et une demandées. La famille n’ayant pas exercé de recours contre la décision de l’État, prise sur recommandation de la CIVS, il n’y a pas lieu de ne pas l’appliquer.

Enfin, nous travaillons avec les historiens au sein de la CIVS et avec l’ensemble des spécialistes. Je pense avoir répondu aux questions précises qui m’ont été posées, et je me félicite une nouvelle fois de cette belle unanimité.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Je suis moi aussi très heureuse de l’unanimité qui ressort de toutes ces interventions – je n’en doutais d’ailleurs pas.

Le présent projet de loi porte sur des cas d’espèce. Toutefois, les personnes que j’ai auditionnées ont toutes évoqué la nécessité de simplifier la procédure pour permettre de restituer des œuvres le plus régulièrement possible. Il aura fallu quatre ans pour rendre l’œuvre d’Utrillo alors que la décision avait été prise par la ville de Sannois en 2018 : cela illustre le problème posé par l’encombrement législatif.

Ce texte est un exemple probant puisqu’il concerne trois situations différentes, et même quatre si l’on ajoute le Chagall. Il faut éviter de définir des critères trop stricts, qui empêcheraient certaines restitutions pourtant légitimes, mais aussi des critères trop larges, qui pourraient menacer le respect de l’inaliénabilité et de l’intégrité du patrimoine national. La réflexion sur ce sujet doit être entamée car elle est demandée par nombre d’acteurs du marché de l’art, notamment les musées, qui en parlent très librement.

II.   Examen des articles

Article 1er : Restitution du tableau Rosiers sous les arbres de Gustav Klimt aux ayants droit de Mme Eleonore Stiasny

La commission adopte successivement l’amendement AC8, de précision, et les amendements AC2 et AC3, rédactionnels, de Mme Fabienne Colboc.

Elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Remise de douze œuvres issues de la succession de M. Armand Dorville à ses ayants droit

La commission adopte successivement l’amendement AC9, de précision, et les amendements AC5 et AC4, rédactionnels, de Mme Fabienne Colboc.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Restitution du tableau Carrefour à Sannois de Maurice Utrillo aux ayants droit de M. Georges Bernheim

La commission adopte successivement l’amendement AC10, de précision, et les amendements AC7 et AC6, rédactionnels, de Mme Fabienne Colboc.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

Amendement AC1 du Gouvernement et sous-amendements AC12, de précision, AC13 et AC11, rédactionnels, de Mme Fabienne Colboc.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Certaines de ces histoires seraient presque romanesques si elles n’étaient pas si abominables et tragiques. L’affaire du tableau de Marc Chagall pourrait presque faire un scénario de film.

L’amendement prévoit de faire sortir des collections nationales le tableau de Marc Chagall intitulé Le Père, conservé par le Musée national d’art moderne. Cette œuvre, entrée dans les collections nationales par dation en paiement des droits de succession en 1988, sans aucune connaissance d’une éventuelle provenance problématique ni par la famille ni par l’État, s’est révélée très récemment avoir été volée à Lodz, en Pologne, à David Cender, pendant ou après le transfert des Juifs vers le ghetto de la ville en 1940. Les recherches menées par le ministère de la culture et le Musée national d’art moderne montrent que le tableau n’a plus été la propriété de l’artiste à partir d’une date inconnue, sans doute entre 1914 et 1922, avant d’être probablement racheté par Marc Chagall, sans doute après 1947 et au plus tard en 1953.

En 1958, dans le cadre des procédures d’indemnisation ouvertes par la République fédérale allemande, David Cender déclare le vol de plusieurs œuvres, en décrivant précisément le tableau et en produisant plusieurs témoignages. En 1965, dans le cadre de l’instruction du dossier, Franz Meyer, l’auteur du catalogue raisonné de l’artiste et gendre de ce dernier, considère que le tableau décrit par David Cender peut correspondre à un tableau de Chagall. En 1966, il fait lui-même le lien avec le tableau Le Père, dont il précise qu’il appartient, à cette date, à l’artiste. Si les autorités allemandes n’indemnisent pas David Cender car il n’était pas prouvé que le tableau avait été envoyé en Allemagne, critère de l’indemnisation, elles reconnaissent, en 1972, la propriété de ce dernier sur cette œuvre, ainsi que sa spoliation.

Compte tenu de ces éléments et du fait que les spécialistes estiment que Chagall n’a peint qu’une seule œuvre telle que Le Père, il apparaît que ce tableau peut être identifié comme la toile volée à David Cender dans le cadre des persécutions antisémites et doit de ce fait être restituée à ses ayants droit.

La conclusion des recherches sur la provenance de l’œuvre n’a été connue qu’après le dépôt du projet de loi. En conséquence, le Gouvernement propose, afin de ne pas retarder la restitution du tableau, d’inclure dans son projet de loi, par amendement, un article supplémentaire à cet effet.

Mme Fabienne Colboc, rapporteure. Je suis très favorable à cet amendement. Les recherches n’ont abouti que très récemment et l’opportunité d’inscrire cette restitution dans le projet de loi doit impérativement être saisie pour ne pas retarder davantage le retour de l’œuvre à ses légitimes propriétaires.

La commission adopte successivement les sous-amendements et l’amendement sousamendé.

Elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

Mme Roselyne Bachelot, ministre. Je dois dire l’émotion qui m’a saisie, lors de la cérémonie d’annonce de la restitution du tableau de Klimt, en contemplant cette œuvre chargée d’histoire. Après la cérémonie, les descendants m’ont envoyé la photo de leur aïeule dans son jardin, avant le désastre absolu que constitue la Shoah. Je conserve précieusement l’image de cette famille disparue, témoignage de l’ardente obligation que nous avons partagée ce soir.

*

*     *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

– Texte adopté par la commission :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4911_texte-adopte-commission.pdf

 

– Texte comparatif :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b4911-compa_texte-comparatif.pdf

 

 

 

 

 

 


—  1  —

   annexe :
Liste des personnes entendues par lA rapporteurE

(par ordre chronologique)

 

  Institut national d’histoire de l’art (INHA)  M. Éric de Chassey, directeur général, et Mme Inès Rotermund-Reynard, cheffe du projet « Répertoire des acteurs du marché de l’art en France sous l’Occupation »

  Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ)  M. Paul Salmona, directeur

  Audition commune :

 Ministère de la Culture  M. Jean-Baptiste de Froment, conseiller spécial en charge du patrimoine, de l’architecture et de la prospective au cabinet de la ministre de la Culture

 Ministère de la Culture   Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés (M2RS) M. David Zivie, chef de la mission

 Ministère de la Culture  Service des musées de France  Mme Claire Chastanier, adjointe au sousdirecteur des collections

  Mme Emmanuelle Polack, historienne de l’art, spécialiste du marché de l’art sous l’Occupation

  Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie  M. Christophe Leribault, président, M. Pierre-Emmanuel Lecerf, administrateur général, Mme Sylvie Patry, directrice de la conservation et des collections, et M. Emmanuel Coquery, adjoint à la direction de la conservation et des collections

  Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation (CIVS) – M. Michel Jeannoutot, président, conseiller honoraire à la Cour de cassation, ancien premier président de cour d’appel, et M. Jérôme Benezech, directeur, attaché hors classe de l’État

  Drouot Patrimoine  Maître Alexandre Giquello, président du conseil d’administration, et M. Olivier Lange, directeur général

  Fondation pour la mémoire de la Shoah  M. Philippe Allouche, directeur général, et Mme Rachel Rimmer, chargée de mission

  Maître Corinne Hershkovitch, avocate à la cour, spécialisée dans le droit de l’art

  Mme Corinne Bouchoux, ancienne sénatrice, rapporteure de la mission d’information du Sénat sur les œuvres d’art spoliées par les nazis

  Conseil Supérieur du Notariat – Maître François Devos, notaire

  Généalogistes de France  M. Cédric Dolain, président, M. Gérald Postansque, secrétaire général, et M. Arthur Gachet, conseil

  Musée du Louvre  Mme Laurence des Cars, présidente-directrice, M. Matthias Grolier, directeur de cabinet de la présidente-directrice, et Mme Néguine Mathieux, directrice de la recherche et des collections

  Ville de Sannois M. Bernard Jamet, maire, MLaurent Gabriel des Bordes, directeur général adjoint des services, Mme Nathalie Leca, directrice des affaires culturelles

 

 

 

 


([1]) Dictionnaire de l’académie française

([2]) Concept énoncé aux Pays-Bas en novembre 2012, lors du symposium portant sur la spoliation des œuvres d’art en Europe durant la Seconde Guerre mondiale.

([3]) Rapport général au Premier ministre de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, Jean Mattéoli, 2000, p. 17.

([4]) Ibid, p. 179.

([5]) Emmanuelle Polack, Le marché de l’art sous l’Occupation, Tallandier, 2019, p. 21.

([6]) Ibid., p. 25.

([7]) Ibid., p. 27.

([8]) Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux, rapport rédigé par Isabelle le Masne de Chermont et Didier Schulmann dans le cadre de la Mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, 2000, p. 20.

([9])  Le pillage des appartements et son indemnisation, rapport rédigé par Annette Wieviorka et Floriane Azoulay, pp. 23-24, citant les recherches de Willem de Vries.

([10]) Emmanuelle Polack, Le marché de l’art sous l’Occupation, Tallandier, 2019, p. 29.

([11]) Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux, rapport rédigé par Isabelle le Masne de Chermont et Didier Schulmann, 2000, p. 16.

([12])Emmanuelle Polack, Le marché de l’art sous l’Occupation, Tallandier, 2019.

([13]) Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux, rapport rédigé par Isabelle le Masne de Chermont et Didier Schulmann, 2000, p. 16.

([14]) À la suite de la capitulation allemande, l’armée américaine retrouve plusieurs caches majeures de l’ERR à Neuschwanstein et Buxheim (Allemagne), Kogl et Amstetten (Autriche), et Nikolsburg (Tchécoslovaquie) (). Les œuvres sont alors réparties en différents « collecting points » situés à Düsseldorf en zone britannique, Baden-Baden en zone française et surtout Munich et Wiesbaden en zone américaine.

([15]) Rose Valland du ministère de la Culture, http://www2.culture.gouv.fr/documentation/mnr/MnR-jdp.htm.

([16]) Emmanuelle Polack, dans son ouvrage précité, note une incertitude sur la date de cet autodafé mais retient celle-ci, consignée dans les Carnets de Rose Valland.

([17])  Emmanuelle Polack, Le marché de l’art sous l’Occupation, Tallandier, 2019.

([18]) Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux, rapport rédigé par Isabelle le Masne de Chermont et Didier Schulmann, 2000, p. 16, citant Claude Lorentz, La France et les restitutions allemandes, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : 1943-1954, Paris, Direction des archives et de la documentation – Ministère des affaires étrangères, 1998.

([19]) Ibid., pp.30- 31.

([20])  « L’opacité et le mutisme du dispositif [de la commission de choix] concourent aujourd’hui à considérer que son accomplissement fut conduit rapidement et non sans légèreté », in. Le Pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2 000 œuvres confiées aux musées nationaux, rapport rédigé par Isabelle le Masne de Chermont et Didier Schulmann, 2000, p. 37.

([21])  https://www.pop.culture.gouv.fr/search/list?producteur=%5B%22MNR%22%5D.

([22]) Étude d’impact, p. 9.

([23]) Mme Corinne Bouchoux, « Si les tableaux pouvaient parler… », Le traitement politique et médiatique des retours d’œuvres d’art pillées et spoliées par les nazis (France 1945-2008), Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 77.

([24]) Allocution de M. Jacques Chirac, Président de la République, prononcée lors des cérémonies commémorant la grande rafle des 16 et 17 juillet 1942 : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français ».

([25]) http://www.civs.gouv.fr/images/pdf/documents_utiles/textes_juridiques/Principes_Conference_Washington-1998.pdf.

([26]) « Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique, notamment : […] 8° Les collections des musées ; […] ».  

([27]) Soit l’État, les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics.

([28]) Décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018, Société Brimo de Laroussilhe.

([29]) Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat sur la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories par M. Philippe Richert, sénateur, juin 2009.

([30]) Réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections, Jacques Rigaud, février 2008.

([31]) « Les dispositions des articles 34 et 35 [restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation] ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. »

([32]) Conseil d’État statuant au contentieux, Assemblée, 30 juillet 2014, n° 349.789.

([33])  Projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, n° 3221, déposé le jeudi 16 juillet 2020. Dossier législatif : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/restitution_biens_culturels_Benin_Senegal?etape=15-AN1-DEPOT

([34]) Œuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspectives, Mme Corinne Bouchoux, janvier 2013.

([35])  Le sigle MNR correspond au préfixe des numéros d’inventaire des peintures anciennes confiées au département des peintures du Louvre (environ la moitié des œuvres), le préfixe des objets d’art étant « OAR » et celui des sculptures « RFR ». Toutefois, le sigle MNR a, par extension, fini par désigner l’ensemble des 2 143 œuvres concernées.

([36])  « "Des traces subsistent dans des registres" : biens culturels spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale : une ambition pour rechercher, retrouver, restituer et expliquer », rapport de la mission sur le traitement des œuvres et biens culturels ayant fait l’objet de spoliations pendant la Seconde Guerre mondiale présenté par M. David Zivie à Madame Françoise Nyssen, ministre de la culture, février 2018.

([37]) Conseil d’État statuant au contentieux, Assemblée, 30 juillet 2014, n° 349.789.

([38])  https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2474.asp

([39])  Décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 instituant une commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation.

([40]) Article 1 du décret du 1er octobre 2018 : « La commission est également compétente pour proposer au Premier ministre, de sa propre initiative ou à la demande de toute personne concernée, toute mesure nécessaire de restitution ou, à défaut, d'indemnisation, en cas de spoliations de biens culturels intervenues du fait de législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation, notamment lorsque ces biens ont été intégrés dans les collections publiques ou récupérés par la France après la Seconde Guerre mondiale et confiés depuis lors à la garde des musées nationaux ».

([41]) Décret n° 2019-328 du 16 avril 2019 modifiant le décret n° 2009-1393 du 11 novembre 2009 relatif aux missions et à l'organisation de l'administration centrale du ministère de la culture et de la communication ; arrêté du 16 avril 2019 portant création de la mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945.

([42]) Soit l’État, les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics.

([43]) « Les biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs ou, pour les collections ne relevant pas de l'État, ceux qui ont été acquis avec l'aide de l'État ne peuvent être déclassés ».

([44]) Décret n° 2021-979 du 23 juillet 2021 relatif à la procédure de déclassement de biens mobiliers culturels et à la déconcentration de décisions administratives individuelles dans le domaine de la culture.

([45]) Son article 1er dispose ainsi que « recevra sa pleine et entière exécution la déclaration solennelle signée à Londres le 5 janvier 1943 par le comité national français et par dix-sept gouvernements alliés, déclaration dont le texte est annexé à la présente ordonnance ».

([46]) Article 1er : « Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l’objet, même avec leur concours matériel, d’actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d’administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l’autorité de fait se disant gouvernement de l’État français, soit par l’ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration, pourront, sur le fondement, tant de l’ordonnance du 12 novembre 1943 relative à la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle, que de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, en faire constater la nullité. »

([47]) Article 11 : « Seront présumés avoir été passés sous l’empire de la violence les contrats et actes juridiques portant sur des immeubles, des meubles, à l’ex­clusion des meubles consomptibles, des droits immobiliers et mobiliers et notam­ment des fonds de commerce, le droit d’exercer une profession... Cependant, si l’acquéreur ou détenteur rapporte la preuve que son acquisition a été faite au juste prix, la preuve de la violence incombera au propriétaire dépossédé. »

([48])  « "Des traces subsistent dans des registres" : biens culturels spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale : une ambition pour rechercher, retrouver, restituer et expliquer », rapport de la mission sur le traitement des œuvres et biens culturels ayant fait l’objet de spoliations pendant la Seconde Guerre mondiale présenté par M. David Zivie à Madame Françoise Nyssen, ministre de la culture, février 2018.

([49])  Proposition de loi n° 41 relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly, M. Max Brisson et M. Pierre Ouzoulias, enregistrée à la présidence du Sénat le 12 octobre 2021.

([50])  https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2474.asp

([51]) https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/9089.

([52]) Étude d’impact, p. 31.

([53]) Recommandation de la CIVS.

([54]) MEYER Franz, Marc Chagall, 1964, trad. Philippe Jaccottet. Catalogue raisonné de 1016 œuvres.

([55])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11752560_61e5c7f39d982.commission-des-affaires-culturelles--restitution-ou-remise-de-certains-biens-culturels-aux-ayants-d-17-janvier-2022