N° 1348

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 juin 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, EN NOUVELLE LECTURE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs (n° 1338)

PAR M. Thomas CAZENAVE

Député

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Voir les numéros :

Assemblée nationale :   1ère lecture : 1262, 1287 et T.A. 123.

 Sénat :   1ère lecture : 667, 681, 682 et T.A. 126 (2022-2023).

    Commission mixte paritaire : 723 (2022-2023).

Assemblée nationale : Nouvelle lecture : 1338.

 


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

COMMENTAIRE Des ARTICLEs

Article 1er Prolongation du plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice des loyers commerciaux pour les petites et moyennes entreprises à + 3,5 %

Article 2 Prolongation du plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice de référence des loyers à + 3,5 %

examen en commission

 

 


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   INTRODUCTION

La loi « pouvoir d’achat » ([1]), votée à l’été 2022, plafonnait temporairement à + 3,5 % la variation annuelle de l’indice de référence des loyers (IRL) et, pour les seules révisions de loyers applicables aux petites et moyennes entreprises (PME), celle de l’indice des loyers commerciaux (ILC). Ces mesures avaient vocation à protéger les locataires, les commerçants et les artisans des conséquences de l’inflation : celle-ci a atteint + 5,2 % en 2022 et pourrait s’établir à + 4,9 % en 2023, selon le programme de stabilité présenté par le Gouvernement en avril 2023.

Or ces mesures de plafonnement ne s’appliquent que jusqu’au premier trimestre 2023 pour l’ILC et jusqu’au deuxième trimestre de la même année pour l’IRL ([2]). Les indices publiés pour les trimestres suivants auraient donc été déplafonnés, entraînant des hausses pour les loyers indexés sur de tels indices.

Pour prévenir de telles hausses dans le contexte d’une inflation encore élevée, la présente proposition de loi prolonge jusqu’au premier trimestre 2024 le plafonnement de l’IRL et de l’ILC. Afin de donner la prévisibilité nécessaire aux bailleurs ainsi qu’aux locataires et aux PME sur le montant des loyers attendus, il est donc indispensable d’acter le prolongement de la mesure dans les meilleurs délais.

L’Assemblée nationale a adopté sans modification la proposition de loi en première lecture, le mercredi 31 mai 2023, une semaine après son dépôt et le lendemain de son examen en commission. Le Sénat a examiné la proposition de loi le mardi 6 juin dernier en commission, puis le 7 juin en séance. En commission, les sénateurs ont adopté une motion tendant à opposer la question préalable, sur proposition de la rapporteure du texte, notre collègue Dominique Estrosi Sassone. Cela a conduit au rejet du texte en commission. En séance, une nouvelle motion tendant à opposer la question préalable a été présentée par la rapporteure, mais a été rejetée. Le texte a cependant ensuite été rejeté par les sénateurs.

Les arguments invoqués à l’appui du rejet de cette proposition de loi sont de plusieurs ordres. Premièrement, c’est la méthode d’examen de la proposition de loi, dans des délais très contraints, qui a été dénoncée. Le recours à une proposition de loi plutôt qu’à un projet de loi prive les parlementaires d’une étude d’impact. L’absence de concertation préalable avec les acteurs concernés a aussi été regrettée. Deuxièmement, c’est l’insuffisance et le manque d’adéquation des mesures face à la situation qui est relevé. Le pays traverse une crise du logement : plafonner les loyers enverrait un mauvais signal aux propriétaires, alors qu’ils subissent aussi l’inflation et que les besoins d’investissement dans le parc locatif sont conséquents. Les dispositions de la proposition de loi seraient enfin insuffisantes pour protéger le pouvoir d’achat des Français, notamment dans la mesure où aucune hausse des aides personnelles au logement (APL) n’est prévue.

Votre rapporteur rappelle que cette proposition de loi vise à prolonger un dispositif conjoncturel déjà existant, dont les autres paramètres – niveau de plafonnement, périmètre d’application – ne sont pas modifiés. Il ne s’agit pas ici de déployer une réforme structurelle de la politique du logement ou des baux commerciaux, qui nécessiterait en effet des délais d’examen plus importants. Différents acteurs ont pu être entendus dans le cadre des auditions menées par votre rapporteur. Les délais d’examen sont certes contraints, mais ils ont permis au débat d’avoir lieu à l’Assemblée nationale, tant en commission qu’en séance publique.

Le bénéfice du plafonnement de l’évolution de l’IRL et de l’ILC mis en place par la loi « pouvoir d’achat » pour les locataires et les PME ne fait pas de doute. Sans ce bouclier, l’ILC aurait atteint + 6,29 % en variation annuelle au quatrième trimestre 2022 et l’IRL + 6,26 % au premier trimestre 2023. Les prévisions d’évolution de ces indices montrent qu’ils ne repasseraient pas sous la barre des + 3,5 % avant le deuxième trimestre 2024.

Le plafonnement des loyers est un dispositif qui porte atteinte au droit de propriété, ainsi qu’à la liberté et à la stabilité contractuelles, très encadrés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par ailleurs et comme cela a été rappelé tout au long des débats, l’inflation ne touche pas seulement les locataires, mais aussi les propriétaires. Le but de la proposition de loi est d’assurer que le partage des conséquences de l’inflation dans la relation contractuelle soit aussi équilibré que possible, tant pour assurer la constitutionnalité du dispositif que sa pertinence économique.

Votre rapporteur réaffirme ici son souhait, au travers de cette proposition de loi, de protéger les ménages, les commerçants et les artisans d’une hausse trop importante des loyers pour quelques mois supplémentaires, selon des modalités qui sont adaptées aux objectifs de protection du pouvoir d’achat et de préservation du tissu économique local, tout en ne portant pas une atteinte excessive à la liberté contractuelle et au droit de propriété.

 


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   COMMENTAIRE Des ARTICLEs

Article 1er
Prolongation du plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice des loyers commerciaux pour les petites et moyennes entreprises à + 3,5 %

Origine de l’article : proposition de loi

Sort au Sénat : rejeté

Objet de l’article : l’article 1er prolonge jusqu’au premier trimestre 2024 le plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice des loyers commerciaux pour les PME, dans le cadre d’un bail commercial. Ce plafonnement demeure fixé à + 3,5 % en variation annuelle.

I.   Les dispositions adoptées par l’assemblée nationale en première lecture

L’indice des loyers commerciaux (ILC) est l’indice de référence utilisé pour réviser les loyers commerciaux, en cas d’exercice d’une activité commerciale ou artisanale. Il est établi trimestriellement par l’Insee, à partir de l’indice des prix à la consommation (IPC) hors tabacs et loyers et de l’indice du coût de la construction. Il est publié à la fin du trimestre qui suit celui pour lequel il est calculé.

L’article 14 de loi « pouvoir d’achat » plafonne temporairement la variation annuelle de l’ILC à + 3,5 % pour la révision des loyers des seules PME, afin de les protéger des conséquences de l’inflation. Ce plafonnement s’applique du 2e trimestre 2022 au 1er trimestre 2023.

L’article 1er de la proposition de loi prolonge ce plafonnement jusqu’au 1er trimestre 2024, au même taux de + 3,5 % et toujours pour les seules PME. Cet article a été adopté sans modification en première lecture par l’Assemblée nationale.

Les débats ont porté principalement sur le niveau de plafonnement, l’extension de celui‑ci aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) – voire aux grandes entreprises – et l’allongement de la durée de la mesure.

Votre rapporteur a rappelé la nécessité de conserver un dispositif ciblé, temporaire et équilibré. S’il convient de protéger les preneurs, les bailleurs – qui ne sont pas tous des grandes foncières, mais aussi, par exemple, d’anciens commerçants – subissent aussi les conséquences de l’inflation. Ils font face à des besoins d’investissement importants, notamment pour assurer la rénovation énergétique des bâtiments, ainsi qu’à la hausse de la taxe foncière. Il importe par ailleurs de conserver un dispositif temporaire, gage de sa cohérence économique mais aussi de sa constitutionnalité. Or selon les données transmises par le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique à votre rapporteur, l’Insee estime que l’ILC augmentera d’environ 6,5 % au deuxième trimestre 2023, + 6 % au troisième trimestre, + 5 % au quatrième trimestre et + 4,5 % au premier trimestre 2024, pour repasser sous les + 3,5 % au 2e trimestre de la même année. Enfin, s’agissant de l’ILC, cibler les seules PME est cohérent dans la mesure où elles disposent de moins de ressources, tant juridiques que financières, pour renégocier leurs baux, alors même qu’elles représentent 99 % des entreprises du secteur du commerce.

II.   les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture

Le Sénat a rejeté l’article premier en première lecture.

Comme cela a été rappelé en introduction, le Sénat déplore l’urgence avec laquelle le texte est examiné et l’absence d’étude d’impact.

La rapporteure du Sénat relève également qu’une telle mesure ne peut suffire à résoudre les difficultés actuelles du secteur du commerce, qui nécessitent des mesures plus ambitieuses liées, en particulier, au soutien du pouvoir d’achat des Français. Enfin, il a été rappelé le préjudice que causerait la mesure de plafonnement aux bailleurs.

Votre rapporteur souligne que la prolongation du dispositif est très attendue par les commerçants. De plus, le plafonnement de l’évolution annuelle de l’ILC est complémentaire au plafonnement de l’IRL, ce dernier ayant des conséquences très directes sur le pouvoir d’achat des Français.

III.   Les dispositions adoptées par l’assemblée nationale en nouvelle lecture

La commission a adopté l’article premier sans modification.

 

 

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Article 2
Prolongation du plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice de référence des loyers à + 3,5 %

Origine de l’article : proposition de loi

Sort au Sénat : rejeté

Objet de l’article : l’article 2 prolonge jusqu’au premier trimestre 2024 le plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice de référence des loyers. Ce plafonnement demeure fixé à + 3,5 % de variation en glissement annuel.

I.   Les dispositions adoptées par l’assemblée nationale en première lecture

L’indice de référence des loyers (IRL) est l’indice utilisé pour la revalorisation des loyers dans le parc privé et le parc social de logements, ainsi que pour certains baux particuliers (fermage, location-accession). Il est établi à partir de l’indice des prix à la consommation, hors tabacs et loyers. Il est publié trimestriellement par l’Insee, généralement dans le mois suivant le trimestre pour lequel il est calculé.

L’article 12 de la loi « pouvoir d’achat » plafonne temporairement à + 3,5 % l’évolution, en glissement annuel, de l’IRL. Ce plafonnement s’applique pour les IRL du troisième trimestre 2022 au deuxième trimestre 2023.

L’article 2 de la proposition de loi prolonge ce plafonnement jusqu’au 1er trimestre 2024, au même taux de + 3,5 % ([3]). Cet article a été adopté sans modification en première lecture par l’Assemblée nationale.

Concernant les conséquences de cette mesure sur le parc social, il convient de préciser que l’IRL utilisé pour la revalorisation des loyers dans le parc social, au 1er janvier de chaque année, est l’IRL du 2e trimestre de l’année qui précède. Ainsi, la revalorisation du 1er janvier 2023 n’était pas impactée par les mesures de plafonnement votées dans la loi « pouvoir d’achat », l’IRL du 2e trimestre 2022 n’ayant pas été plafonné. En revanche, la proposition de loi aura pour conséquence de plafonner la revalorisation des loyers dans le parc social au 1er janvier 2024.

Les débats à l’Assemblée nationale ont principalement porté sur le niveau du plafonnement – certains souhaitant notamment un gel des loyers ou un IRL négatif. Ici, comme pour l’ILC, le rapporteur a rappelé la nécessité d’un dispositif équilibré, car les propriétaires sont aussi touchés par les conséquences de l’inflation, alors même que les besoins d’investissement dans le parc locatif sont très importants et que la taxe foncière a augmenté. De même, certains souhaitaient prolonger le plafonnement temporaire sur une durée plus importante. À l’instar de l’ILC, le choix du premier trimestre 2024 est proportionné et cohérent avec les prévisions d’évolution de l’IRL : pour rappel et selon les données fournies par le ministère chargé du logement, qui se fonde sur les prévisions de la Banque de France en assimilant IPC et IPC hors loyers et tabacs, l’évolution de l’IRL en glissement annuel serait de + 6,1 % au 3e trimestre 2023, + 5,4 % au 4e trimestre 2023 et + 4,4 % au premier trimestre 2024 – pour redescendre ensuite en dessous des + 3,5 %.

Plus généralement, de nombreuses autres mesures complémentaires au plafonnement de l’évolution de l’IRL permettent de soutenir le pouvoir d’achat des ménages. L’article 12 de la loi « pouvoir d’achat » a ainsi revalorisé les paramètres représentatifs de la dépense de logement, qui entrent en compte dans le calcul des APL, à hauteur de 3,5 % – et ce, dès le 1er juillet 2022, cette revalorisation ayant normalement lieu au 1er octobre de chaque année. Cette même loi revalorisait un certain nombre de prestations sociales à hauteur de 4 %, dès le 1er juillet 2022 également. Plus récemment, le Gouvernement a annoncé une nouvelle revalorisation du point d’indice dans la fonction publique, à hauteur de 1,5 %, au 1er juillet 2023. Enfin, compte tenu du contexte d’inflation, la Banque de France relève qu’en 2022, les hausses de salaires négociés ont été en moyenne de 5 % en glissement sur un an ([4]).

II.   les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture

Le Sénat a rejeté l’article 2 en première lecture, pour des raisons qui rejoignent celles présentées dans le commentaire de l’article 1er : délais d’examen de la proposition de loi, et, pour certains sénateurs, conséquences de la mesure sur les propriétaires sans compensation au bénéfice de ceux-ci. Selon les données transmises par le ministère chargé du logement, le coût de cette nouvelle prolongation pour les propriétaires se chiffrerait à 490 millions d’euros (M€) environ ([5]).

En complément et concernant spécifiquement le parc social, la rapporteure du Sénat regrette l’absence de mesures de hausse des APL en accompagnement du plafonnement de l’IRL, comme cela avait été le cas dans la loi « pouvoir d’achat » votée à l’été 2022. De plus, sont relevées les conséquences financières d’un plafonnement pour les bailleurs sociaux, alors même qu’ils subissent la hausse du taux du livret A en raison de l’inflation et que le taux de ce livret est déterminant pour leurs charges d’emprunt.

Enfin, le Sénat a regretté l’absence de mesures plus ambitieuses, tant pour la protection du pouvoir d’achat des Français que pour une véritable politique structurelle du logement, faisant écho sur ce dernier point aux conclusions du volet « Logement » du Conseil national de la refondation, présentées par le Gouvernement le 5 juin 2023.

Votre rapporteur rappelle, pour sa part, que la présente proposition de loi n’a pas vocation à présenter une réforme structurelle de la politique du logement. Elle prolonge seulement un dispositif conjoncturel d’urgence afin de protéger les locataires des conséquences de l’inflation. Concernant le parc social, l’Union sociale de l’habitat (USH), sollicitée par votre rapporteur, n’a pas exprimé de désaccord avec la mesure de plafonnement.

III.   Les dispositions adoptées par l’assemblée nationale en nouvelle lecture

La commission a adopté l’article 2 sans modification.

 


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   examen en commission

Au cours de sa réunion du 13 juin 2023, la commission des affaires économiques a examiné, en nouvelle lecture, la proposition de loi maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs (M. Thomas Cazenave, rapporteur).

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous examinons, en nouvelle lecture, la proposition de loi de M. Thomas Cazenave et de nombreux collègues qui vise à maintenir provisoirement un dispositif de plafonnement de la revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs. Ce texte a été adopté par notre assemblée le 31 mai 2023 en première lecture avant d’être rejeté par le Sénat, également en première lecture, le 7 juin.

Je rappelle que la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat avait plafonné à 3,5 % la croissance des loyers au bénéfice des ménages et des petites et moyennes entreprises (PME). Ce mécanisme, dont le terme avait été fixé à la fin du premier trimestre 2023, visait à protéger des ménages et des entreprises fragilisés par la reprise de l’inflation, dans un souci d’équilibre, de justice et de partage des efforts entre propriétaires et locataires.

Inspiré par le pragmatisme et n’ambitionnant pas de représenter la politique du logement dans son ensemble, le principe d’une reconduction de ce dispositif jusqu’à la fin du premier trimestre de l’année prochaine n’a pas convaincu le Sénat, qui a fait valoir des arguments de forme – notamment, un calendrier d’examen particulièrement contraint – et de fond – le texte ne serait pas à la hauteur des attentes en matière de politique du logement. Ce dernier argument me semble peu convaincant car la proposition de loi n’a jamais eu pour ambition de régler l’ensemble des problèmes liés au logement dans notre pays. Elle ne vise qu’à reconduire une mesure déjà existante pour une durée précise. Elle n’a pas vocation à se substituer à tout ce qui a été réalisé ou à ce qui devrait encore être fait en matière de logement.

À la demande du Gouvernement, une commission mixte paritaire (CMP) s’est réunie hier et a malheureusement échoué à rapprocher les points de vue, qui étaient très différents – son rapport est d’ores et déjà en ligne.

Nous nous retrouvons donc pour examiner cette proposition de loi en nouvelle lecture, qui est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique du mardi 20 juin prochain, après les questions au Gouvernement. Les membres de la CMP, y compris ceux qui ont voté contre le texte, ont appelé à son examen rapide afin de permettre son application au 1er juillet. Comme vous le voyez, nous nous réunissons le lendemain même de la CMP.

Sur le texte issu du vote de l’Assemblée nationale, qui constitue la base de notre discussion compte tenu du rejet du texte par le Sénat et de l’échec de la CMP, vingt-cinq amendements ont été déposés. Plusieurs d’entre eux ont été soumis au président de la commission des finances afin de s’assurer de leur recevabilité au regard de l’article 40 de la Constitution ; deux n’ont pas franchi ce filtre.

Par ailleurs, en application de la règle de l’entonnoir, qui conduit à déclarer systématiquement irrecevables, en nouvelle lecture, les amendements portant article additionnel, j’ai déclaré six amendements irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution.

Nous aurons donc dix-sept amendements à examiner.

Comme à l’accoutumée et après avoir écouté notre rapporteur, je donnerai la parole pour quatre minutes, réponse du rapporteur comprise, aux représentants des groupes politiques qui souhaitent s’exprimer, puis à des orateurs individuels dans la limite d’une minute chacun, le rapporteur répondant ensuite globalement à ces derniers.

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Nous sommes à nouveau réunis pour examiner, en nouvelle lecture, la proposition de loi que j’ai déposée le 23 mai dernier, laquelle vise à prolonger temporairement le plafonnement de la variation annuelle des indices locatifs. Nous avons adopté ce texte à une large majorité à l’Assemblée le 31 mai, avant que le Sénat ne le rejette, d’abord en commission, par l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable déposée par la rapporteure du texte, Mme Dominique Estrosi Sassone, puis en séance publique. Cela nous a logiquement amenés à constater, hier, l’échec de la CMP.

Je rappelle que cette proposition de loi a pour seul objet de prolonger le plafonnement de deux indices locatifs, utilisés pour réviser les loyers, jusqu’au premier trimestre 2024. Ce plafonnement avait été voté dans la loi « pouvoir d’achat », adoptée à une large majorité à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Le texte en discussion maintient le plafonnement de l’indice de référence des loyers (IRL), applicable dans le parc privé et social, et de l’indice des locaux commerciaux (ILC), qui s’applique aux baux des commerçants et artisans. L’ILC ne sera plafonné que pour les PME.

Nous ne modifions pas les autres paramètres du plafonnement votés l’année dernière, qu’il s’agisse du taux, maintenu à 3,5 %, ou du périmètre d’application de la mesure.

Pour justifier son rejet, le Sénat a invoqué un problème de méthode, un dispositif pénalisant pour les propriétaires, et, plus généralement, les insuffisances de la politique gouvernementale en matière de logement.

Premièrement, il a regretté un calendrier d’examen trop resserré, qui n’aurait pas laissé le temps nécessaire à un travail approfondi. Il est vrai que nous sommes allés vite, mais cela s’explique par le fait qu’il s’agit simplement de prolonger un dispositif existant.

À défaut de plafonnement, l’ILC aurait connu une augmentation de 6,29 % en variation annuelle au quatrième trimestre 2022 et l’IRL, une hausse de 6,26 % au premier trimestre 2023. Ces chiffres suffisent à démontrer l’efficacité de la mesure. Il fallait agir vite car le plafonnement est pris en compte pour le calcul de l’ILC jusqu’au premier trimestre 2023 et pour le calcul de l’IRL jusqu’au deuxième trimestre 2023. Nous avons auditionné une dizaine de personnes à l’Assemblée nationale et avons largement pu débattre du sujet, en commission comme en séance.

Deuxièmement, le Sénat a relevé les conséquences de la mesure pour les propriétaires. Celles-ci justifient un dispositif équilibré, plutôt que le gel des loyers ou l’extension de la mesure, s’agissant de l’ILC, aux entreprises de taille intermédiaires (ETI) et aux grandes entreprises. Les propriétaires subissent les conséquences de la crise, alors que les besoins d’investissement dans les bâtiments sont considérables, notamment en termes de performance énergétique.

Nous prolongeons le plafonnement au même taux compte tenu des prévisions d’inflation et d’évolution des indices, selon lesquelles l’ILC et l’IRL ne repasseraient pas sous la barre des 3,5 % avant le deuxième trimestre 2024. Il est logique, dans ces conditions, de continuer à appliquer les mesures que nous avons votées l’été dernier.

Troisièmement, le Sénat regrette l’insuffisance de la politique du Gouvernement en matière de logement. Notre collègue rapporteure au Sénat a relevé, en particulier, les conséquences de la mesure pour les bailleurs sociaux, alors que l’augmentation du taux du livret A, déterminant pour les modalités d’emprunt, pèse déjà lourd sur leurs finances. Il a aussi regretté l’absence de garanties quant à la revalorisation des aides personnelles au logement (APL). Enfin, de nombreux sénateurs ont exprimé leur mécontentement à l’égard des annonces qui ont été faites concernant le volet « logement » du Conseil national de la refondation (CNR).

Nous devrons avoir un débat structurel sur le logement, compte tenu des immenses défis qui nous attendent et de la crise déjà existante, mais ce n’est pas l’objet de ce texte, qui vise simplement à prolonger un dispositif conjoncturel de soutien au pouvoir d’achat. Je regrette la prolongation des débats sur la base de considérations qui ne sont pas directement liées au texte, car nous allongeons ainsi mécaniquement l’attente des locataires, des commerçants et des artisans qui doivent bénéficier de la mesure.

Concernant le parc social, j’ai sollicité l’Union sociale pour l’habitat (USH) qui n’a pas exprimé de désaccord à l’égard du dispositif. J’entends les besoins de financement et le souhait d’un débat sur la revalorisation des APL ou du forfait de charges, mais ces mesures, qui ont des conséquences financières sur le budget de l’État, ont plutôt vocation à être débattues en loi de finances.

J’espère que nous voterons la prolongation, faute de quoi l’IRL et l’ILC ne seraient plus plafonnés après juillet 2023. Cela risquerait de placer les locataires, les commerçants et les artisans, dont les baux sont indexés sur ces indices, dans une situation financière périlleuse. Je ne souhaite pas leur faire courir un tel risque.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Annaïg Le Meur (RE). Il y a urgence à agir car, rappelons-le, les Français pourraient connaître une hausse généralisée de leur loyer, de l’ordre de 6,3 % en moyenne, contre 3,5 % si le texte était voté. Alors que nous avions adopté à une large majorité la proposition de loi à l’Assemblée nationale, le Sénat l’a rejetée. Pour la première fois depuis 2018, la CMP qui a réuni nos deux commissions des affaires économiques n’a pas été conclusive. M. le rapporteur a rappelé les raisons qui ont amené le Sénat à rejeter le texte et celles qui nous ont conduits à agir.

Alors que nous souhaitons prolonger le plafonnement des loyers jusqu’au premier trimestre 2024, certains groupes politiques préfèrent jouer avec le feu, risquer une explosion des loyers sans en assumer les conséquences politiques et humaines. Je tiens donc à réaffirmer, au nom du groupe Renaissance, notre souhait de maintenir un dispositif équilibré, plutôt que de geler les loyers ou d’étendre les mesures à d’autres entreprises. Nous entendons protéger les propriétaires et les locataires en répartissant équitablement le poids de l’inflation. Ceux qui s’y opposeront devront assumer une augmentation massive des loyers dans les prochains mois. J’appelle donc chacun à voter en responsabilité.

M. Lionel Tivoli (RN). Faute d’accord en CMP, nous devons à nouveau nous prononcer sur le plafonnement de la revalorisation de l’indice des loyers à 3,5 % pour les particuliers comme pour les TPE (très petites entreprises) et les PME. Cette proposition de loi a le mérite de mettre au jour le positionnement de chacun dans un contexte de crise du logement.

La NUPES, comme d’habitude, oppose les propriétaires aux locataires, considérant les premiers comme de vilains riches qui abusent des seconds. Vous souhaitez purement et simplement geler les loyers, ce qui signifie que les propriétaires devraient supporter l’intégralité de la charge de l’inflation galopante et incontrôlée. Savez-vous que beaucoup de propriétaires ont investi l’argent mis de côté tout au long d’une vie ? Avez-vous conscience que les petits propriétaires souffrent aussi de l’inflation ?

Les sénateurs LR, quant à eux, ont voté contre le texte, qui constitue certes une rustine, une tentative de colmatage d’un bateau qui coule, mais qui, malgré tout, offre un minimum de protection aux locataires et aux propriétaires.

Enfin, la majorité applique à la lettre la méthode de l’ancien président Hollande : sortir la boîte à outils. Face à la crise du logement, vous bricolez, sans prendre réellement la mesure du problème. Blocage de l’indice des loyers, mesures contre Airbnb, obligation faite aux propriétaires de tout rénover, sous peine de ne plus pouvoir louer : vous semblez ne pas comprendre que nous avons besoin d’une réforme structurelle, d’une vision globale du logement.

Nous voterons cette proposition de loi pour répondre à l’urgence et éviter le risque d’explosion des loyers dès le 1er juillet. Cela étant, nous vous demandons d’étendre le dispositif aux ETI et vous rappelons la nécessité de proposer des mesures concrètes et globales pour le logement.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Notre position n’a pas changé : nous considérons que, compte tenu des difficultés des locataires et du contexte inflationniste, le gel des loyers est indispensable si l’on veut éviter de faire exploser la bombe sociale dont le ministre du logement parle régulièrement.

Les sénateurs nous ont rappelé que, contrairement à ce qui avait été voté en juillet dernier, la hausse de l’indice proposée aujourd’hui n’est pas accompagnée d’une augmentation des APL. L’exposé des motifs du projet de loi dit « pouvoir d’achat » indiquait que, compte tenu de la hausse de l’IRL, il fallait, en cohérence, revaloriser de manière anticipée les APL. On peut en déduire que la majorité fait preuve, aujourd’hui, d’un manque de cohérence.

Le Sénat a également critiqué la politique du logement du Gouvernement. La majorité nous dit systématiquement, lorsqu’elle présente un texte, qu’il ne s’agit pas de la loi structurelle qui va régler le problème du logement. Vous nous l’avez dit lorsque vous avez augmenté l’IRL, puis lors de l’examen de la proposition de loi du président Kasbarian facilitant les expulsions locatives et à nouveau lorsque vous avez repoussé la proposition de loi d’encadrement des meublés touristiques. Vous le réaffirmez aujourd’hui. Avec vous, ce n’est jamais le moment de traiter structurellement la question du logement ! En revanche, il vous semble toujours bienvenu de faire des lois qui prennent le sujet par le petit bout de la lorgnette et qui ont pour point commun de fragiliser les locataires.

Si nous sommes confrontés à l’urgence, c’est parce que le Gouvernement a oublié que les effets de la loi « pouvoir d’achat » cessaient fin juin. Voilà plusieurs mois que des membres de la NUPES déposent des propositions de loi demandant le gel des loyers. Le Gouvernement étant responsable de cette situation, j’ose espérer qu’il fera en sorte que l’on examine le texte avant la fin du mois.

Monsieur le président, vous avez l’air de considérer comme une contradiction le fait que nous nous opposions à la hausse de l’IRL de 3,5 %. Cela s’explique simplement par le fait que nous défendons le gel des loyers.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je trouve paradoxal que vous rejetiez l’ensemble du dispositif au motif que vous le jugez insuffisant. Vous prenez ainsi le risque que le texte ne s’applique pas au 1er juillet. Par ailleurs, je persiste à dire que les propositions de loi n’ont pas vocation à définir la politique globale du logement, laquelle relève des projets de loi du Gouvernement. Il vous est loisible d’inscrire des textes relatifs au logement dans le cadre de votre ordre du jour réservé, ce que vous ne faites pas toujours.

M. Thibault Bazin (LR). Nous étudions à nouveau la proposition de loi visant à maintenir, pendant une année supplémentaire, le plafonnement de la revalorisation annuelle des indices locatifs après que le Sénat l’a rejetée en séance publique et en CMP. Les sénateurs ont d’abord mis en avant un problème de méthode. Ils ont dressé le « quintuple constat d’une impréparation, d’une précipitation, d’une absence d’évaluation, d’un manque de concertation et d’un non-accompagnement financier des acteurs », pour reprendre les mots de la rapporteure, Mme Estrosi Sassone. Nous partageons cette vision des choses et vous avions d’ailleurs alertés sur ces points.

Ce texte est révélateur de l’incapacité du Gouvernement à répondre à des questions essentielles. Où est l’évaluation des mesures prises l’an dernier ? Pas de réponse. Ce n’est pourtant pas anodin, car le coût du plafonnement de la hausse de l’IRL pour les propriétaires avait été évalué à 705 millions d’euros pour 2022. À combien s’est élevée, dans les faits, l’augmentation des loyers des locaux commerciaux ? Pas de réponse. Quels sont les coûts et les conséquences de ces mesures pour les propriétaires privés et les bailleurs sociaux ? Pas davantage de réponse. Comme l’a dit la présidente Sophie Primas, vous nous demandez de voter non seulement à la sauvette, mais aussi à l’aveuglette.

Les critiques des sénateurs portent également sur le fond du dispositif. Face à l’inflation, nous souhaitons, comme vous, protéger les locataires, mais il faut aussi accompagner les propriétaires. Loin des idées reçues, les bailleurs peuvent être gros ou petits, privés ou publics. Certains propriétaires modestes mettent en location un bien durement acquis et devront effectuer de coûteux travaux énergétiques dans les années à venir. Il serait intéressant de prévoir à leur profit des compensations de pertes de recettes, qui pourraient prendre la forme de réductions ou de crédits d’impôts.

Il nous reste quelques jours, d’ici à la séance, pour bâtir le dispositif le plus équilibré possible afin d’accompagner locataires et propriétaires face à l’inflation et relever le défi de la transition énergétique.

M. Romain Daubié (Dem). Nous sommes confrontés à des difficultés structurelles dans le domaine du logement. Ce texte vise à prolonger le bouclier institué contre l’inflation. Il ne s’agit pas, comme l’a dit une collègue sur une radio de grande écoute, de voter en catimini une augmentation des loyers qui profiterait à des rentiers, mais, au contraire, de limiter autant que faire se peut la hausse des loyers. Le propriétaire peut d’ailleurs renoncer à cette augmentation ou rester en deçà du plafond. Voter contre la proposition de loi, c’est accepter une augmentation de l’IRL et de l’ILC de 6, 7 voire 8 %.

On peut critiquer ce texte, mais il a le mérite d’exister. Chacun doit se prononcer en responsabilité. Le groupe Démocrate votera en faveur de la proposition de loi, qui sauvegarde les intérêts des locataires comme ceux des propriétaires. Rappelons que ces derniers sont confrontés à des hausses de charges, telles que les taxes foncières ou les charges non récupérables.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Notre groupe regrette à nouveau que le Sénat ait opposé la question préalable à cette proposition de loi. Si nous partageons ses critiques quant à l’impréparation, voire à la légèreté dont a fait preuve le Gouvernement, ainsi que sur les conditions du débat, ce refus sec n’est pas à la hauteur de l’enjeu. En première lecture, nous avons exprimé des divergences quant au niveau de l’encadrement, mais nous partageons tous, je crois, la conviction que le statu quo est impossible. Comment imaginer, demain, des hausses de loyer qui pourraient atteindre 10 %, voire davantage pour les locaux commerciaux ? En première lecture, notre groupe a souhaité envoyer un signal en s’opposant à la proposition de loi pour dénoncer l’insuffisance du plafonnement, mais nous ne désespérons pas de vous convaincre. Nous devons trouver un meilleur équilibre pour protéger nos petits commerces et les locataires contre des hausses qui, cumulées, deviennent vite insupportables. Nous avons montré que les propriétaires ne seraient pas lésés par le gel des loyers, mesure nécessaire à laquelle, nous le savons, vous ne vous résoudrez pas.

L’un de nos amendements de repli propose, à titre de compromis, de ramener le plafonnement à 2 %, ce qui représenterait une augmentation de 5,1 % sur une année glissante, à comparer aux 5,2 % d’inflation constatés par l’Insee en 2022. Cela ne spolierait en rien les propriétaires, dont les revenus locatifs seraient préservés et continueraient à croître, et cela nous prémunirait contre le risque de fermeture de commerces et de destruction d’emplois. Cela éviterait également qu’un nombre croissant de locataires se retrouve dans une situation justifiant l’application des dispositions de la proposition de loi de M. Kasbarian. Cette proposition de compromis pourrait permettre un vote du texte à l’unanimité.

M. Luc Lamirault (HOR). Nous voilà réunis pour une nouvelle lecture de la proposition de loi visant à maintenir provisoirement un dispositif de plafonnement de la variation annuelle des indices locatifs. Je regrette que la CMP n’ait pas été conclusive. Si nous n’avons pas légiféré en janvier, c’est peut-être parce que nous espérions que l’inflation marque le pas. Plafonner à 3,5 % l’augmentation de l’ILC et de l’IRL affecte équitablement propriétaires et locataires. Cela limite la hausse des loyers, qui s’élèverait, sans cette mesure, à près de 6 %, tout en assurant des revenus aux propriétaires, ce qui leur permettra de faire face à la hausse des dépenses, notamment d’isolation. La proposition de loi est un bouclier protégeant le pouvoir d’achat des ménages et la santé économique de nos commerces. Soucieux de défendre nos petites entreprises et nos concitoyens, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de la proposition de loi.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Le CNR a rendu récemment ses conclusions sur le logement, ce qui nous a permis de constater que vous avez réussi l’impossible, à savoir dresser l’ensemble des acteurs du logement contre vous. Saisissez l’occasion qui se présente pour faire un petit pas en acceptant le gel des loyers. Vous vous réconcilieriez ainsi, à tout le moins, avec les défenseurs des locataires.

M. Paul Molac (LIOT). Le loyer représente le plus gros poste de dépenses des ménages : il peut représenter 40 % de leur budget. Autrement dit, il plombe le pouvoir d’achat. Selon l’Insee, l’inflation devrait demeurer à un niveau élevé au moins jusqu’au premier semestre 2024. Lors de l’examen du projet de loi « pouvoir d’achat », nous étions favorables au plafonnement, qui permet de limiter la hausse de loyer, et souhaitions qu’il soit adapté aux territoires d’outre-mer et à la Corse. On a un peu le sentiment d’avoir le couteau sous la gorge car, si l’on ne fait rien, on subira une augmentation de 6 %. C’est aussi un enjeu important pour les PME, dont un grand nombre a été fragilisé.

Cela étant, la moindre des choses serait de revaloriser les APL. Votre proposition s’apparente à une cote mal taillée : pour le propriétaire, l’augmentation est inférieure à l’inflation ; pour le locataire, il s’agit d’une demi-augmentation. Pour régler les problèmes dans le secteur du logement, il nous faudrait non pas une mais au moins trois journées d’initiative parlementaire par an. Un projet de loi est donc indispensable, que nous attendons. Il devra inclure la problématique de la location de courte durée.

N’ayant guère le choix, nous allons voter le texte, qui ne nous apparaît toutefois pas pleinement satisfaisant.

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Merci, madame Le Meur, à vous et au groupe Renaissance, pour votre soutien renouvelé à cette proposition de loi.

Monsieur Tivoli, vous défendez l’extension de la mesure aux ETI. Or le chiffre d’affaires de certaines atteint 1,5 milliard d’euros. Il s’agit souvent de très grandes enseignes, dont la rentabilité est forte : alors qu’elles représentent moins de 1 % des entreprises, elles concentrent 50 % de la valeur. Face aux propriétaires, leur pouvoir de négociation est très grand. Les mesures de protection doivent donc être concentrées sur les entreprises qui en ont le plus besoin, à savoir les PME et les TPE.

Nous sommes très attentifs au caractère proportionné de la mesure. C’est une nécessité compte tenu du fait qu’elle touche à la liberté contractuelle et au droit de propriété. En l’état, elle couvrirait d’ores et déjà la quasi-totalité des entreprises.

Monsieur Martinet, depuis le début, vous nous faites un mauvais procès. Étant donné la manière dont vous présentez le texte, on pourrait penser qu’il a pour objet d’aggraver la situation des locataires, alors que c’est exactement l’inverse, et vous le savez. Il s’agit de protéger les locataires et les entreprises face à l’inflation. Vous avez le droit de juger que l’équilibre proposé n’est pas le bon, mais reconnaissez au moins que le texte ne vise pas à accabler les locataires.

Votre groupe propose le gel des loyers, quand la droite sénatoriale refuse ne serait‑ce que leur plafonnement. Le choix est donc clair : 0 % de hausse d’un côté, 6,5 % ou 7 % de l’autre. Notre position, qui consiste à limiter la hausse à 3,5 %, n’est sans doute pas très éloignée de l’équilibre. Je comprends qu’elle ne satisfasse personne, mais elle marque probablement le juste équilibre entre les intérêts des locataires et ceux des propriétaires – étant entendu qu’il faut se garder d’opposer les uns aux autres.

Vous demandez que la disposition entre en vigueur d’ici à la fin du mois, ce en quoi vous avez raison, mais cela suppose de la voter ! Sans ce texte, l’augmentation sera de 6 % à partir du 1er juillet.

Monsieur Bazin, il est assez simple d’évaluer la mesure : l’IRL et l’ILC ont augmenté de 3,5 % au lieu de 6,29 %. Par ailleurs, je réfute l’affirmation selon laquelle il n’y aurait pas eu de concertation : nous avons rencontré une dizaine d’institutions représentant à la fois les locataires et les propriétaires, reçu des contributions écrites et noué des contacts avec tous les acteurs concernés par la proposition de loi.

Pourquoi ce qui était possible à l’été 2022 ne le serait-il plus ? La situation est la même ; le niveau d’inflation restera tout aussi élevé jusqu’au début de l’année 2024. Les mêmes difficultés appellent les mêmes solutions. Je demande donc à celles et ceux qui avaient voté les mesures en faveur du pouvoir d’achat de faire preuve de cohérence.

Monsieur Daubié, merci de votre soutien à la proposition de loi et d’avoir rappelé chacun à ses responsabilités : il s’agit de savoir si l’on préfère protéger les locataires ainsi que les PME et TPE ou laisser filer le niveau des loyers.

Madame Battistel, vous avez raison : le statu quo n’est pas possible, car il entraînerait de fait une augmentation des loyers. Notre débat porte en réalité sur le niveau adéquat. Ma proposition consiste, depuis le début, à en rester à l’équilibre trouvé à l’été 2022, avec ses avantages et ses inconvénients – que je reconnais. Il s’agit non pas de résoudre toutes les difficultés en matière de politique du logement, mais de reconduire une mesure d’urgence. Pourquoi ne pourrions-nous pas conserver l’équilibre que vous-même aviez approuvé ?

Monsieur Lamirault, merci pour votre soutien.

Madame Chatelain, vous m’invitez à geler les loyers pour fédérer tous les acteurs du logement. Or, parmi eux, il y a aussi les propriétaires, et ils ne sont pas satisfaits du texte, ce qui veut probablement dire que nous défendons l’intérêt des locataires.

Monsieur Molac, il est un peu excessif de considérer que nous vous mettons le couteau sous la gorge. Cela dit, vous avez raison : il y a un choix à faire – entre une augmentation des loyers de 3,5 % et une de 6 %.

La revalorisation des APL relève d’un texte financier. Qui plus est, il est paradoxal de dénoncer, d’un côté, l’utilisation d’une proposition de loi et de demander, de l’autre, que l’on y inscrive cette mesure.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Grégoire de Fournas (RN). Monsieur le rapporteur, vous nous disiez qu’une ETI pouvait réaliser un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Or ce montant correspond au plafond établi par l’Insee pour cette catégorie. Le minimum est de 50 millions d’euros, et il s’agit aussi d’entreprises comptant moins de 250 salariés.

En appliquant le même raisonnement, on pourrait vous reprocher que le plafonnement du loyer pour les logements soit mal calibré, au motif que la mesure profitera aussi aux milliardaires locataires.

Certes, il faut faire des choix, et l’on ne peut pas différencier à tout-va, mais certaines entreprises galèrent, y compris quand elles réalisent un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros, et il faut les protéger, car les loyers augmentent.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, votre raisonnement est quelque peu spécieux. Les décisions de la Macronie en matière de logement provoquent un mécontentement généralisé, comme le prouve le fait que personne, de la Fondation Abbé Pierre aux promoteurs, ne soit satisfait des décisions issues du volet « logement » du Conseil national de la refondation (CNR). Il en va de même de la mesure relative aux loyers : la NUPES s’y oppose et le Sénat l’a rejetée. Or, selon vous, c’est la preuve que cette décision est la bonne et qu’elle est équilibrée. Je vous propose d’étudier une autre hypothèse : si votre politique du logement provoque un rejet aussi puissant, c’est peut-être parce que ce n’est pas la bonne.

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Monsieur de Fournas, dans le tissu économique, les entreprises les plus fragilisées par l’inflation sont les PME et les TPE, sans oublier les commerçants indépendants. Je ne dis pas que certaines ETI ne connaissent pas des situations difficiles – sans lien, du reste, avec l’augmentation des loyers –, mais la mesure devait être proportionnée. Nous avons donc fait le choix, à l’été 2022, de limiter son bénéfice aux PME et aux TPE. La proposition de loi que je défends n’est pas d’une grande originalité : elle a pour seul objectif de prolonger des mesures d’urgence qui avaient rassemblé une large majorité.

Les milliardaires locataires me semblent assez rares, mais peut-être en existe-t-il, et le fait qu’ils bénéficient de la mesure sera mis sur le compte de l’imperfection de la proposition de loi…

Monsieur Martinet, j’ai dit que, si l’on en croyait les réactions des propriétaires, la proposition de loi devait bel et bien avoir pour effet de protéger les locataires. Oui, nous demandons un effort aux propriétaires. Nous essayons de tenir l’équilibre entre les intérêts des locataires et ceux des propriétaires, dans une période de forte inflation.

M. le président Guillaume Kasbarian. Les commerçants ont eux aussi salué la mesure.

Article 1er : Prolongation du plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice des loyers commerciaux pour les petites et moyennes entreprises à + 3,5 %

Amendements identiques CE1 de Mme Marie-Noëlle Battistel et CE7 de Mme Cyrielle Chatelain, amendements CE11 et CE10 de Mme Alma Dufour, amendements CE2 et CE3 de Mme Marie-Noëlle Battistel, amendement CE22 de M. Nicolas Meizonnet (discussion commune).

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). L’amendement CE1 vise à geler les loyers commerciaux plutôt que de renouveler le plafonnement à 3,5 %.

Il est beaucoup question de l’augmentation des loyers, mais assez peu des autres charges. Or les dépenses liées au prix de l’énergie, notamment, pèsent lourd pour de nombreuses entreprises et fragilisent les plus petites.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je défendrai simultanément les amendements CE11 et CE10, ainsi que l’amendement CE12.

Toute activité économique implique des intérêts divergents entre lesquels il faut arbitrer. En l’occurrence, il y a, d’un côté, les commerçants et, de l’autre, de grandes sociétés foncières qui leur louent des locaux. Il est vrai que certaines ETI ont un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros, mais celui d’une société foncière comme Unibail – l’une des plus grosses – s’élève à 2 milliards d’euros.

Il ne s’agit pas de pleurer sur le sort des unes ou des autres. La question est de savoir laquelle de ces activités économiques nous entendons soutenir. Pour ma part, je considère qu’il faut favoriser les entreprises produisant des richesses plutôt que de défendre la rente foncière. Parmi ces entreprises, nous devons défendre en particulier celles ayant une implantation physique, par opposition à la vente en ligne. Or, si nous laissons exploser les loyers, l’une des conséquences sera que certaines ETI perdront en rentabilité et risqueront de mettre un terme à leur activité ou de dématérialiser. Si nous voulons que la vente en magasin perdure, nous avons tout intérêt à geler l’indice des loyers commerciaux et à étendre la mesure aux ETI.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Les amendements CE2 et CE3 sont de repli. Le premier vise à plafonner à 1 % l’évolution des loyers commerciaux, le second à 2 %.

Monsieur le rapporteur, vous avez dit ne pas comprendre pourquoi nous ne sommes plus d’accord avec une mesure que nous avons approuvée l’été dernier. C’est tout simplement parce qu’une nouvelle hausse de 3,5 % impliquerait une augmentation de 7 % au total. Or, si l’on en croit l’Insee, l’inflation s’est élevée à 5,1 % en 2022. Nous proposons donc un plafonnement à 2 % pour limiter l’augmentation globale au même niveau que l’inflation.

M. Nicolas Meizonnet (RN). Le dispositif résulte d’un bricolage : la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat était mal calibrée, ce qui nous oblige à légiférer de nouveau à la va-vite. Qui plus est, malgré les annonces répétées de Bruno Le Maire, l’inflation perdure. Le plafonnement de l’augmentation des loyers à 3,5 % nous paraît être une mesure équilibrée, permettant de répartir la charge de l’inflation entre les propriétaires et les locataires. L’amendement CE22 vise donc à pérenniser le dispositif tant que l’inflation, telle que définie par l’Insee, se maintient au-dessus de 5 %.

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Monsieur Martinet, tous les propriétaires ne sont pas à la tête de sociétés foncières internationales. Certains sont des commerçants à la retraite qui louent leurs murs pour compléter leur pension. Certains actifs tirent de leurs biens des compléments de revenus. En outre, de nombreux propriétaires doivent faire face à des charges importantes, telles que l’augmentation de la taxe foncière et l’obligation d’effectuer des travaux de rénovation énergétique – dont le coût est en hausse du fait du renchérissement des matières premières. Tous ces frais ne peuvent pas être répercutés sur les locataires. On ne saurait donc défendre l’idée selon laquelle un propriétaire n’est pas touché par l’inflation. Dès lors, il convient de rejeter le gel des loyers. Je suis défavorable aux amendements identiques et à l’amendement CE11.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel nous incite à être prudents quand il s’agit de limiter la liberté contractuelle et le droit de propriété. En prenant des mesures excessives, qui incluraient toutes les entreprises et dont la durée serait trop longue, nous courrions le risque d’une censure, ce qui priverait de protection les locataires, les PME, les TPE et les commerçants.

L’amendement CE10 a pour objet d’étendre le dispositif aux ETI. Or la mesure doit être ciblée. Du reste, elle englobe d’ores et déjà 99 % des entreprises du secteur du commerce. Il est de notre responsabilité de protéger les petites entreprises. Les grandes, quant à elles, peuvent négocier leur loyer – ce qu’elles font.

Certes, les amendements dits « de repli » sont moins déraisonnables que ceux visant à geler les loyers, mais je souhaite que nous en restions à 3,5 % : ce chiffre représente un équilibre entre les efforts consentis par les locataires et ceux qui sont demandés aux propriétaires. Dans la mesure où la situation reste la même, je propose d’appliquer les mêmes remèdes, c’est-à-dire de prolonger les dispositifs d’urgence.

Je ne suis pas favorable non plus à l’amendement CE22, notamment parce qu’il rendrait le dispositif inopérant si l’inflation était seulement de 4,5 %.

M. Luc Lamirault (HOR). Madame Battistel, l’augmentation de 3,5 % correspond à un pourcentage annuel. En additionnant cette hausse à la précédente, on obtient effectivement 7,1 %, mais sur deux ans. De même, vous proposez de limiter l’augmentation des loyers à 5 % environ, ce qui serait très au-dessous de l’inflation, qui sera de 12,36 % sur deux ans.

M. Grégoire de Fournas (RN). Il est vrai, monsieur le rapporteur, que le mécanisme ne s’appliquerait pas si l’inflation n’était plus que de 4,5 %, mais notre proposition éviterait de devoir légiférer de nouveau en urgence dans un an.

Lors de la première lecture, vous nous aviez dit, monsieur le président, que le rôle des députés était d’anticiper : c’est ce que nous faisons.

M. le président Guillaume Kasbarian. Si je suis d’accord pour prolonger temporairement le plafonnement, je ne suis absolument pas favorable, à titre personnel, à une pérennisation du dispositif. Une telle mesure, non bornée dans le temps, me semble excessive. Elle serait même sans doute contraire à la Constitution, car elle porterait atteinte à la liberté contractuelle et au droit de propriété, lequel est protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. M. le rapporteur confirmera peut-être cette analyse.

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Je souscris entièrement à vos arguments, monsieur le président.

J’aurais dû, pour que ma réponse soit complète, préciser qu’il n’est pas possible de prendre une telle mesure sans prévoir de date de fin. Plus généralement, le dispositif doit être ciblé et proportionné, pour les raisons invoquées par le président.

Je suis d’accord avec vous, monsieur de Fournas : si de nouvelles difficultés devaient surgir, peut-être faudrait-il repasser devant le Parlement. Toutefois, il est clair que nous ne saurions prendre une mesure pérenne visant à plafonner les loyers.

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CE12 de Mme Alma Dufour.

La commission adopte l’article 1er non modifié.

 

Article 2 : Prolongation du plafonnement temporaire de l’évolution de l’indice de référence des loyers à + 3,5 %

 

Amendements CE4 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CE8 de Mme Cyrielle Chatelain, CE5 et CE6 de Mme Marie-Noëlle Battistel (discussion commune)

M. Inaki Echaniz (SOC). Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que le discours de clôture du Conseil national de la refondation, dans son volet « logement », prononcé par Mme la Première ministre et au côté de laquelle se tenait le ministre délégué chargé de la ville et du logement, n’était pas au niveau attendu. De toute évidence, vous n’êtes pas prêts à faire des concessions pour aboutir à un compromis. Nous vous proposons tout de même, par ces trois amendements, de geler les loyers ou de plafonner à 1 %, voire à 2 %, l’évolution de l’indice de référence des loyers (IRL).

À Lahonce, petit village du pays basque de 2 200 habitants, une propriétaire a fait passer le loyer de son T3 de 840 à 1 460 euros alors qu’il est situé dans une zone immobilière tendue. Nous sommes loin du plafonnement à 3,5 % ! Ce cas n’est pas isolé et peut se rencontrer dans tous les territoires, car les services de l’État ne contrôlent pas les pratiques frauduleuses des propriétaires.

Le Rassemblement national, qui semble découvrir la réalité du logement dans notre pays, s’érige en défenseur des propriétaires – en réalité, d’une infime partie d’entre eux. Il nous accuse souvent de nous attaquer aux bourgeois et aux propriétaires alors que, bien au contraire, nous n’avons rien contre les petits propriétaires qui ne possèdent qu’un logement. Ce n’est pas agir contre leurs intérêts que de rappeler que 50 % du parc locatif est entre les mains de 3,5 % de propriétaires. Bloquer les loyers ou plafonner à 2 % l’évolution de l’indice de référence des loyers ne pénalisera pas la plupart des propriétaires, mais protégera une majorité – si ce n’est l’ensemble – des locataires qui se trouvent déjà dans une situation intenable. Plafonnons l’évolution de l’indice à 2 % : ce serait une mesure équilibrée. On ne vous demande rien d’exceptionnel ! Par exemple, on n’attend pas que vous contactiez le ministre afin de lui demander de profiter des dernières semaines qui lui restent pour déposer un projet de loi, puisque vous n’avez pas son numéro de téléphone !

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Il y aurait bien un moyen de protéger les locataires comme les propriétaires : s’attaquer aux revenus et aux salaires. Nous avons malheureusement compris que le sujet n’était pas d’actualité. Pourtant, si le nombre d’impayés explose, c’est parce que les salaires ne progressent pas. L’Union sociale pour l’habitat (USH) tire la sonnette d’alarme. Les retards de paiement de plus de trois mois ont augmenté de 10 % en 2022, ce qui est énorme. Près de 31 % des Français n’ont même plus 100 euros sur leur compte le 10 du mois, lorsqu’ils ont payé l’ensemble des dépenses essentielles, c’est-à-dire le logement, l’énergie et l’alimentation. Coluche le disait : « Le plus dur, c’est la fin du mois, surtout les trente derniers jours. ».

Revenons-en aux loyers. Les geler serait une mesure vitale. Couper la poire en deux n’est pas forcément juste. Les locataires sont, pour l’essentiel, des étudiants ou de jeunes ménages, c’est-à-dire ceux qui perçoivent les revenus les plus faibles. Ce sont eux qui souffrent le plus de l’inflation, parce que ce sont ceux qui disposent du moins de marge dans leurs choix financiers. Ce n’est pas en mettant à contribution, pour moitié, les locataires et les propriétaires, que vous prenez une mesure de justice. C’est pourquoi nous vous demandons à nouveau de geler les loyers.

M. le président Guillaume Kasbarian. Un ancien président de commission, au Sénat, m’a dit un jour, lors d’une CMP, qu’un très bon compromis se reconnaissait à ce que chacun était très mécontent de la discussion et du compromis trouvé !

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Je suis d’accord : un compromis est nécessaire. Mais il a déjà été trouvé, l’été dernier, lorsque nous avons plafonné l’évolution de l’indice de référence des loyers à 3,5 %, ce qui est une solution intermédiaire entre 0 et 6,5 % ou 7 %. Je vous propose de le prolonger plutôt que de chercher un nouvel accord, d’autant plus que l’inflation est quasiment au même niveau. Avis défavorable.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je soutiendrai la proposition de compromis de nos collègues socialistes. Les propriétaires ont augmenté les loyers de 2 % en moyenne, en 2022. Il ne devrait donc pas vous sembler insurmontable de plafonner la hausse de l’IRL à 2 %. Là est peut-être le compromis auquel vous aspirez. Bien évidemment, nous préférerions que vous geliez les loyers, mais puisque vous vous y refusez, acceptez au moins de limiter le taux à 2 %. Les conséquences resteront difficiles à supporter pour les locataires mais elles seront toujours moins pires qu’avec un plafonnement à 3,5 %. Vous devriez vous poser la question du bien-fondé de vos mesures, car elles mécontentent tout le monde.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements CE13 et CE14 de M. William Martinet (discussion commune)

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je suis frappé par votre aveuglement social. Vous prenez cette mesure, soi-disant pour ménager les locataires et les bailleurs, comme si leurs situations sociales étaient comparables ! Les locataires sont surtout des salariés, plutôt jeunes, précaires et faiblement rémunérés. Les bailleurs, en particulier s’ils sont multipropriétaires, perçoivent en général un revenu élevé, sont plus âgés, et ont constitué leur patrimoine par l’héritage. On ne peut pas balayer d’un revers de la main ces données sociologiques quand on prend une décision politique. Dit autrement, la nouvelle augmentation de l’IRL, qui s’ajouterait à celle de l’année dernière, représenterait un transfert de 5 milliards d’euros de la poche des locataires vers celle des bailleurs. Compte tenu de la concentration du patrimoine entre les mains de 3,5 % des propriétaires, ces derniers empocheraient, à eux seuls, 2,5 milliards ! Votre décision politique aurait pour conséquence d’aggraver encore davantage les inégalités sociales.

Enfin, depuis le début, seul l’argument social est évoqué pour demander de geler les loyers. Mais des raisons économiques peuvent également être avancées. Le niveau très élevé des prix de l’immobilier entretient la bulle immobilière. Il faudra bien la faire dégonfler et le gel des loyers, en affaiblissant la rente locative, pourrait être une solution. Je comprends très bien que le président Kasbarian ne soit pas d’accord avec moi car, en l’espèce, nos appréciations divergent. Il est bien évident que les gros propriétaires veulent que les prix restent élevés mais l’intérêt général, en particulier celui des locataires ou de ceux qui cherchent à accéder à la propriété, commande de faire baisser les prix de l’immobilier dans les prochaines années.

M. le président Guillaume Kasbarian. Si vous dégradez la rentabilité d’un bien immobilier, les investisseurs préféreront investir dans d’autres produits.

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Avis défavorable. Nous offrons la possibilité aux propriétaires d’augmenter les loyers dans une certaine limite, mais ce n’est qu’une proposition. Vous l’avez vous-mêmes reconnu, les loyers n’ont augmenté que de 2 % en 2022, non pas de 3,5 %. D’autre part, les propriétaires sont soumis à des charges liées à l’inflation. Enfin, je vous invite à ne prendre aucun risque en prolongeant un dispositif protecteur qui ne subira pas la censure du Conseil constitutionnel. Si au contraire vous le déséquilibrez, il est à craindre qu’il soit retoqué et que les locataires ne soient plus protégés.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Le gel des loyers, en baissant la valeur locative d’un bien, incite son propriétaire à le vendre. Toutes les mesures qui reviennent à imposer des coûts supplémentaires aux propriétaires, comme l’obligation de rénover pour tenir les objectifs de performance énergétique, conduisent au même résultat : les multipropriétaires vendent. Nous nous en félicitons, car c’est un moyen de faire dégonfler la bulle immobilière et de réduire les prix de l’immobilier. Le patrimoine, plutôt que d’être concentré entre les mains de 3,5 % de propriétaires, est mieux réparti. Nous avons donc tout intérêt à prendre des mesures pour encadrer les loyers ou les prix du foncier. S’il y avait une véritable politique du logement dans ce pays, elle se fixerait comme objectif la baisse des prix et des loyers. Hélas, le ministre ne répond pas au téléphone et ne propose pas davantage de projet de loi.

M. le président Guillaume Kasbarian. Si vous réduisez la rentabilité locative, les investisseurs fuiront l’immobilier et ne financeront plus de projets de construction. La spirale déflationniste détruit l’offre. Il existe une autre solution pour réduire les prix : augmenter l’offre pour qu’elle dépasse la demande, et les prix baisseront, vous pouvez en être certains. C’est une autre approche et j’assume nos divergences idéologiques et macroéconomiques.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendements CE15 et CE16 de M. William Martinet (discussion commune)

M. William Martinet (LFI-NUPES). Si la politique de l’offre était satisfaisante, la situation se serait améliorée depuis 2017. Or la politique du logement d’Emmanuel Macron se résume à un choc de l’offre. Votre théorie selon laquelle il faut encourager l’investissement locatif et moins réglementer nous a conduits à l’échec. Vous commencez d’ailleurs à en prendre conscience puisque vous avez décidé de mettre fin au dispositif Pinel de défiscalisation dédié à la location, à compter du 31 décembre 2024. Ce n’est pas ce type de mesure qui permet de démultiplier l’offre ou de baisser les loyers. Vous devriez à présent envisager d’autres pistes.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je continue à penser qu’il faut augmenter l’offre, en particulier dans les zones où s’installent des usines dont il faudra loger les employés et leur famille. Nous avons été plusieurs à visiter le chantier de construction du nouveau réacteur nucléaire à Hinkley Point : 9 000 salariés y travaillent. Il faut loger ces familles ! Si on n’encourage pas l’offre, ces familles ne seront pas logées, les prix de l’immobilier flamberont et les entreprises n’arriveront plus à recruter faute de pouvoir héberger les travailleurs.

M. Thomas Cazenave, rapporteur. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES). Je ne suis pas d’accord avec vous mais même si je partageais votre analyse, nous en serions au même point puisque vous n’avez pas de politique de l’offre. La construction de logements est en chute libre. Si vous voulez y remédier, revenez sur le dispositif de réduction du loyer de solidarité (RLS) et appuyez-vous sur les bailleurs sociaux.

D’autre part, vous craignez que les investisseurs se désintéressent de l’immobilier. Or entre 1996 et 2009, les loyers ont doublé. Et la tendance ne s’est sans doute pas inversée après 2009. Nos concitoyens n’arrivent plus à se loger : c’est la triste réalité.

Enfin, il semble bien que les propriétaires soient les seuls à ne pas avoir de devoirs, pour vous. Un logement n’est pas un bien ordinaire : il doit servir de domicile. Pour cette raison, il n’est pas choquant que le propriétaire assume le coût des travaux qu’il engage dans son bien immobilier puisqu’il récupérera sa mise à la revente. Votons des aides à la rénovation thermique plutôt que de faire payer les locataires.

M. Romain Daubié (Dem). Je donne rendez-vous à la présidente Chatelain lors de l’examen de la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de zéro artificialisation nette au cœur des territoires. Elle prévoit des mesures qui aideront les communes à renforcer l’offre de logements.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Elle adopte l’article 2 non modifié.

 

Titre

 

Amendement CE9 de M. William Martinet

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je ne résiste pas à la tentation de poursuivre le débat. Mettons-nous d’accord sur les termes. Par « politique de l’offre », j’entends dispositifs fiscaux destinés à augmenter la rentabilité de l’investissement locatif puisque vous pensez que c’est la clé de la réussite. Depuis 2017, vous avez mené ce type de politique qui s’est révélée être un échec. Il serait peut-être temps de revoir la méthode. La proposition de Mme Chatelain de vous appuyer sur les bailleurs sociaux est d’autant plus intéressante que, comme lors de toute politique de crise, les investisseurs privés hésitent à construire, contrairement aux bailleurs sociaux qui peuvent le faire si on leur en donne les moyens.

D’autre part, afin de développer l’offre privée et plutôt que de subventionner ad vitam aeternam l’investissement locatif, posons-nous la question du coût de production des logements, notamment celui du foncier. Encadrons plutôt le prix du foncier pour favoriser la production de logements.

Ne nous trompons pas de débat : l’évolution démographique, la transformation sociologique des familles, le nombre grandissant de personnes mal logées, imposent de produire davantage de logements. La question de la politique économique à mener pour atteindre cet objectif reste posée. Nous avons des divergences mais, en l’espèce, le bilan de ces six dernières années vous accable.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je précise que l’amendement, assez taquin, visait à ce que le texte s’intitule « Proposition de loi autorisant une nouvelle augmentation drastique des loyers dans un contexte d’inflation et d’aggravation de la crise du logement. »

M. Thomas Cazenave, rapporteur. C’est une ultime provocation de M. Martinet qui ne veut pas reconnaître que nous protégeons les locataires, les commerçants, les PME, les TPE, grâce à ce texte. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

 

 


([1]) Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, dite loi « pouvoir d’achat ».

([2]) Compte tenu du calendrier de publication de ces indices par l’Insee, les derniers indices publiés qui bénéficieront des mesures de plafonnement, en l’absence de prolongation des dispositions de la loi « pouvoir d’achat », seront ceux publiés en juin 2023 pour l’ILC (indice du premier trimestre 2023) et en juillet 2023 pour l’IRL (indice du deuxième trimestre 2023).

([3]) Ce plafonnement a été fixé à + 2 % dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. Il peut être modulé d’1,5 point de pourcentage supplémentaire en Corse.

([4]) Banque de France, Bloc-notes Éco, Les hausses de salaires négociés : quel bilan pour l’année 2022 ?, billet n° 301, publié le 20 janvier 2023.

([5])  Estimation calculée sur la base d’un parc locatif privé évalué à 7,66 millions de logements, avec un loyer moyen de 600 € par mois et l’hypothèse que deux tiers des baux font l’objet d’une révision de loyer en cours de bail (l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne estime, dans son rapport loyer 2022, à 66 % les baux révisés en cours de bail sur le fondement de l’IRL).