N° 2068

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 juin 2019.

RAPPORT DINFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

en application de larticle 145 du Règlement

 

PAR LA MISSION DINFORMATION ([1])

 

relative aux freins à la transition énergétique,

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

M. Julien DIVE, Président,

 

et

 

M. Bruno DUVERGÉ, Rapporteur,

 

Députés.

 

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TOME II

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

 


 

La mission dinformation relative aux freins à la transition énergétique est composée de : M. Julien Dive, président ; Mmes Marie-Noëlle Battistel, Anne-France Brunet, M. Adrien Morenas, viceprésidents ; M. Bruno Duvergé, rapporteur, M. Thierry Michels, Mmes Mathilde Panot, Véronique Riotton, M. Hubert Wulfranc, secrétaires ; M. Éric Alauzet, Mme Nathalie Bassire, M. Philippe Bolo, MM. Christophe Bouillon, Guy Bricout, Stéphane Buchou, Michel Castellani, Mme Anne-Laure Cattelot, MM. Anthony Cellier, Jean-Charles Colas-Roy, Mme Jennifer De Temmerman, MM. Vincent Descoeur, Jean-Luc Fugit, Christophe Jerretie, Mmes Célia de Lavergne, Marjolaine Meynier-Millefert, Maina Sage, Nathalie Sarles, Huguette Tiegna, membres.

 

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SOMMAIRE

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Pages

1. Mardi 28 mai 2019 : Audition, ouverte à la presse, de M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

2. Jeudi 13 juin 2019 : Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

3. Jeudi 27 septembre 2018 : Audition, ouverte à la presse, de M. Damien Siess, directeur stratégie et prospectives de l’Union française de l’électricité (UFE).

4. Jeudi 27 septembre 2018 : Audition, à huis clos, de M. Fabrice Boissier, directeur général délégué de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), de M. Rémi Chabrillat, directeur production et énergie durables et de Mme Solange Martin, sociologue

5. Jeudi 11 octobre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, avec : M. Simon Clodic, directeur commercial et chargé des affaires publiques de Cryo Pur ; – Mme Valérie Corre, vice-présidente du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), M. Jérôme Bignon, viceprésident, M. Sylvain Demoures, secrétaire général, M. Nicolas Kurtsoglou, responsable carburants, et M. Aymeric Audenis, consultant ; – M. Nicolas Rialland, directeur des affaires publiques de la Confédération générale des planteurs de betteraves ; – M. Olivier Dauger, co-président de France Gaz Renouvelables, M. Jean Lemaistre, secrétaire général ; – M. Arnaud Rondeau, président de la commission « bioressources et bioéconomie » de l’Association générale des producteurs de maïs et de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPM-AGPB), M. Gildas Cotten, responsable des nouveaux débouchés de l’AGPM-AGPB, Mme Alix d’Armaillé, responsable des actions institutionnelles et régionales de l’AGPM ; – Mme Laure Courselaud, adjointe au chef du bureau F1 de la sousdirection des droits indirects de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

6. Jeudi 11 octobre 2018 : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Hauet, président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l’association Équilibre des énergies (EdEn).

7. Jeudi 11 octobre 2018 : Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat (DGEC).

8. Mercredi 24 octobre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, avec : – M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), M. Alexandre Roesch, délégué général, Mme Delphine Lequatre, responsable du service juridique, M. Alexandre de Montesquiou, consultant, et Mme Marion Lettry, déléguée générale adjointe ; – M. Joël Pédessac, directeur général du Comité français du butane et du propane (CFM), Mme Émilie Coquin, directrice des affaires publiques, et M. Simon Lalanne, consultant ; – M. Sébastien Chapelet, directeur de la société d’économie mixte Énergie Hauts-de-France, et Mme Stéphanie Scarna, chargée de communication ; – M. Fabien Choné, directeur général délégué « Stratégie et énergie » de Direct Énergie, et Mme Frédérique Barthélemy, directrice de la communication et des relations institutionnelles.

9. Jeudi 8 novembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, avec : – M. Fabien Veyret, responsable transition énergétique de France nature environnement ; – Mme Anne Bringault, coordinatrice des ONG sur la transition énergétique pour le Cler et le Réseau action climat ; M. Jean-Baptiste Lebrun, directeur du Cler ; – M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie, et M. Guilhem Fenieys, chargé de mission relations institutionnelles d’UFC-Que Choisir ;  M. Géraud Guibert, président, et M. Lucas Globensky, chargé de mission de La fabrique écologique.

10. Jeudi 15 novembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur le secteur du bâtiment : – M. Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric, Mme Aurélie Jardin, directrice des affaires institutionnelles, et M. Victor Chartier, consultant Boury, Tallon et Associés ; – M. Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC, et Mme Marina Offel de Villaucourt, chargée des affaires publiques ; M. Matthieu Paillot, directeur général de Teksial, et Mme Marie Meyruey, consultante affaires publiques, Rumeur Publique ; M. Bernard Aulagne, président de Coénove, Mme Florence Lievyn, déléguée générale, et M. Simon Lalanne, consultant ; Mme Natacha Hakwik, directrice générale d’Eqinov, Mme Audrey Zermati, directrice stratégie d’Effy, et M. Romain Ryon, chargé des affaires publiques ; – M. Francis Lagier, président de Promotoit, M. Sylvain Ponchon, secrétaire général, et M. Fred Guillo, consultant Interel.

11. Jeudi 29 novembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’artisanat dans le secteur de la construction : M. Stéphane Sajoux, direction des affaires techniques, président du groupe Performance énergétique, service Énergie & environnement, M. Thibault Gimond, direction des affaires techniques, ingénieur énergie, service Énergie & Environnement, de la Fédération française du bâtiment ; – M. Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales, M. Nicolas Cailleau, responsable du département Énergie et environnement, direction de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales de l’USH, et Mme Francine Albert, conseillère pour les relations avec le Parlement ; – M. Christian Mourougane, directeur général adjoint de l’ANAH ; – Mme Anne-Lise Deloron, directrice adjointe de Plan bâtiment durable ; – M. Pascal Roger, président, M. Frédéric Gharbi-Mazieux, responsable des affaires institutionnelles et territoriales de la Fédération des Services Énergie Environnement (FEDENE), M. Alain Pommier, représentant du Syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique (Synasav) ; – M. Benoît Robyns, vice-président transition énergétique et sociétale de l’Université catholique de Lille et M. Bertrand Derquenne, proviseur du lycée Jacques Le Caron.

12. Mardi 11 décembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’énergie solaire et photovoltaïque : – M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, direction générale de l’Énergie et du climat, au ministère de la Transition écologique et solidaire ; – M. Dominique Jamme, directeur général adjoint de la Commission de régulation de l’énergie, Mme Domitille Bonnefoi, directrice des réseaux ; – M Daniel Bour, président d’Énerplan et M. David Gréau, responsable des relations institutionnelles ; – M. Guilhem Fenieys, chargé de mission relations institutionnelles d’UFC-Que choisir et M. Matthieu Robin, chargé de mission secteur financier ;  M. Daniel Lincot, directeur scientifique de l’Institut photovoltaïque d’ÎledeFrance.

13. Jeudi 17 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’énergie éolienne terrestre : – M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au ministère de la Transition écologique et solidaire ; – M. Jean-Louis Butré, président de la Fédération pour l’environnement durable (FED), et Mme Bernadette Kaars, administrateur ; – M. Olivier Pérot, président de France Énergie Éolienne, M. Frédéric Petit, président de la commission offshore, et Mme Pauline Le Bertre, déléguée générale; – M. David Marchal, directeur adjoint Productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

14. Jeudi 17 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la filière de l’éolien maritime : – M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la direction générale de l’Énergie et du climat au ministère de la Transition écologique et solidaire ; – M. Nicolas Deloge, directeur adjoint à la direction des réseaux, et M. Adrien Thirion, chef du département Dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et aux consommateurs, de la Commission de régulation de l’énergie, Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles ; – M. Olivier Perot, président de France Énergie Éolienne (FEE), M. Frédéric Petit, président de la commission Offshore, et Mme Pauline Le Bertre, déléguée générale ; – M. François Gauthiez, directeur de l’appui aux politiques publiques de l’Agence française pour la biodiversité ; – M. François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement.

15. Jeudi 24 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la filière hydrogène :  Mme Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire ; – M. Philippe Boucly, président de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), et Mme Christelle Werquin, déléguée générale ; M. Marc Jedliczka, porteparole de l’association Negawatt ; M. Daniel Hissel, professeur à l’université de Franche-Comté, directeur de la fédération de recherche FCLAB-fuel cell lab au CNRS, responsable de l’équipe SHARPAC (systèmes hybrides électriques, actionneurs électriques, systèmes pile à combustible) de l’institut FEMTO-ST (CNRS) ; M. François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit « hydrogène » de Engie, Mme Mercédès Fauvel Bantos, déléguée aux relations avec le Parlement.

16. Jeudi 24 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la méthanisation : Mme Anne-Florie Coron, sous-directrice de la sécurité d’approvisionnement et des nouveaux produits énergétiques, en charge du développement du biométhane, à la direction générale de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire ; M. Marc Cheverry, directeur économie circulaire et déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; M. Bertrand de Singly, délégué stratégie à Gaz réseau distribution France (GRDF), Mme Magalie Seron, directrice territoriale du Maine-et-Loire et Mme Sarah Dalisson, chargée d’études affaires publiques ; M. Francis Claudepierre, président et agriculteur-méthaniseur de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France ; M. Nicolas Bernet, directeur de recherche, directeur du laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et M. Marc Gauchée, conseiller du président-directeur général pour les relations parlementaires et institutionnelles ; – M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt ; – Mme MarieJo Hamard, viceprésidente du Conseil départemental, chargée de l’environnement et du développement durable à la direction de l’environnement et du cadre de vie, département de Maine-et-Loire et M. Hervé Martin, conseiller départemental, membre de la commission Environnement et cadre de vie.

17. Jeudi 31 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse sur la voiture propre (état des lieux) : – M. Gaëtan Monnier, directeur du centre de résultat transports d’IFP Énergies nouvelles (IFPEN) et Mme Armelle Sanière, responsable des relations institutionnelles ; – M. Yann Tréméac, chef adjoint du service transports et mobilité, de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ; – M. Joseph Beretta, président de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere) et Mme Cécile Goubet, secrétaire générale ; – M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques du Comité des constructeurs français de l’automobile (CCFA), et Mme Louise d’Harcourt, chargée des affaires parlementaires ; – Mme Marie Chéron, responsable « Mobilité » à la Fondation pour la Nature et l’Homme.

18. Jeudi 31 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse sur la voiture propre (prospective et recherches) : – M. Laurent Antoni, responsable du programme « hydrogène & piles à combustible » au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et président de l’association européenne de recherche Hydrogen europe research, et M. Jean-Pierre Vigouroux, directeur affaires publiques ;  M. Christian Hector, directeur général des services techniques de la communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences, et M. JeanBernard Barthel, viceprésident en charge de la transition énergétique ; M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA), et Mme Louise d’Harcourt, chargée des affaires parlementaires ;  M. Jacques Lévy, géographe.

19. Jeudi 7 février 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la transition énergétique dans le transport maritime : M. Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes de la direction générale des Infrastructures, des transports et de la mer au ministère de la Transition écologique et solidaire ; Mme Charlotte Lepitre, coordinatrice du Réseau santé-environnement à France nature environnement (FNE) ; M. Camille Bourgeon, fonctionnaire technique, division de l’Environnement marin à l’Organisation maritime internationale (OMI) ; M. Hervé Thomas, délégué général d’Armateurs de France, organisation professionnelle des entreprises françaises de transport et de services maritimes ; M. Victorien Erussard, fondateur et capitaine d’Energy Observer.

20. Jeudi 7 février 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la transition énergétique dans le transport aérien : – Mme Nathalie Simmenauer, directrice du développement durable d’Air France et M. Laurent Timsit, directeur des affaires internationales et institutionnelles d’Air France et Air France KLM ; – Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat-transports de Réseau action climat (RAC) ; – M. Stéphane Cueille, président du Comité de pilotage (Copil) du CORAC (Conseil pour la recherche aéronautique civile) ; – Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice « recherche et développement, Espace et environnement » du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) ; – M. Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile, ministère de la transition écologique et solidaire, Mme Anne-Laure Gaumerais, conseillère au cabinet du directeur général et M. Louis Teodoro, chef du bureau environnement à la direction du transport aérien.

21. Jeudi 7 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur les grands groupes du monde de l’énergie et la transition énergétique : M. Bruno Bensasson, directeur exécutif groupe en charge du pôle « énergies renouvelables » d’EDF et M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques ; – M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur de la régulation d’Engie et Mme Mercedes Fauvel Bantos, déléguée aux relations avec le Parlement ; M. Laurent Fabre, délégué aux institutions publiques-France de PSA ; Mme Catherine Girard, experte énergie de la direction du « Plan environnement » de Renault et M. Nicolas Tcheng, chargé des relations avec le Parlement à la direction des affaires publiques ; M. Bertrand Deroubaix, conseiller auprès du présidentdirecteur général, directeur des affaires publiques du groupe Total et M. Damien Steffan, directeur délégué aux relations institutionnelles France ; M. Armand Laferrère, directeur des affaires publiques d’Orano.

22. Jeudi 7 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur les visions et scénarios portant sur le paysage énergétique de demain pour l’avenir : – M. Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt ; M. Cédric Philibert, analyste à la Renewable energy division de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ; – M. Rémi Chabrillat, directeur des productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), M. Jérôme Mousset, chef du service « Forêt, alimentation et bioéconomie », et M. Bruno Gagnepain, ingénieur ; – M. Gaëtan Lechantoux, directeur général adjoint du pôle technique de la communauté urbaine d’Arras, et M. Pierre Forgereau, directeur de territoire Artois-Cambrésis-Hainaut de Veolia (projet de technocentre régional d’Arras) ; M. Mathieu Saujot, coordinateur des travaux sur la fiscalité écologique du programme climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

23. Jeudi 21 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la chaleur renouvelable : – Mme Catherine Trautmann, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, et M. Constant Espargilière, conseiller technique ;   M. Rémi Chabrillat, directeur « production et énergies «  de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; – M. Jean Riondel, président et directeur technique de la start-up Minigreenpower, et M. Pierre du Baret, directeur général et directeur commercial ; – Mme Julie Purdue, déléguée générale adjointe d’Amorce, association des collectivités territoriales et des professionnels ;  M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU).

24. Jeudi 21 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur les réseaux d’énergies : – M. Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis, et M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques ; – M. François Brottes, président du directoire de RTE, M. Arthur Henriot, chargé de mission au cabinet du président, M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles, et Mme Lola Beauvillain-de-Montreuil, attachée de presse ;    M. Edouard Sauvage, directeur général de GRDF, M. Bertrand de Singly, délégué stratégie, et Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles ; – M. Pierre Duvieusart, directeur général adjoint de GRT Gaz et Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles ; – M. Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), M. Jean Facon, directeur adjoint et M. Charles-Antoine Gautier, chef du département énergie ; – M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) ; – M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), Mme Domitille Bonnefoi, directrice des réseaux, et Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles.

25. Jeudi 28 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’industrie et la transition énergétique :  M. Gildas Barreyre, président de la commission électricité de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), et M. Édouard Oberthur, responsable des contrats long terme en gaz naturel et électricité chez ArcelorMittal ; – M. David Marchal, directeur adjoint à la direction productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et M. Thomas Gourdon, responsable adjoint du service entreprises et dynamiques industrielles ;  M. David Bardina, directeur général adjoint de Métron ;  M. Philippe-Emmanuel Rauzier, expert industrie au sein de l’Association négaWatt.

26. Jeudi 28 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la fiscalité : M. Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) du Ministère de l’économie et des finances ; – M. Olivier David, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du Ministère de la transition écologique et solidaire, et M. Timothée Furois, sousdirecteur des marchés de l’énergie et des affaires sociales ;  M. Gaël Callonnec, économiste à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; – Mme Meike Fink, responsable « transition juste » de Réseau action climat (RAC) ; – M. Benoît Ferres, président de Caméo, et Mme Isaure d’Archimbaud, chargée des relations institutionnelles de Caméo (IA conseils).

27. Jeudi 4 avril 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’hydroélectricité :  M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), M. Alexandre Roesch, délégué général, M. Louis Lallemand, responsable de la filière « hydroélectricité & territoires » ; M. Jean-Charles Galland, président de la commission hydroélectricité et directeur adjoint d’EDF, M. Alexandre de Montesquiou, consultant ; – M. Yves Giraud, directeur d’EDF Hydro, et M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques d’EDF ; – M. Olivier Métais, président de la Société hydrotechnique de France (SHF), professeur des universités à l’Institut polytechnique de Grenoble ; – M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG), et M. Géry Lecerf, président du collège fourniture de l’AFIEG, directeur des affaires publiques d’ALPIQ France ; – M. Jacques Pulou, référent hydroélectricité de France Nature Environnement (FNE) ; – Mme Anne Pénalba, vice-présidente de France Hydro Électricité, et M. Jean-Marc Lévy, délégué général.

28. Jeudi 4 avril 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur le transport de marchandises :  Mme Sylvie Charles, directrice générale du pôle transport ferroviaire de marchandises et multimodal de la SNCF, administratrice de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), et Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire ; – M. Didier Léandri, président du Comité des armateurs fluviaux ; – M. Benoit Daly, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) ; – M. Raymond Lang, membre des directoires « Transports et mobilités durables » et « Énergie » de France nature environnement (FNE) ; – Mme Brigitte Delanchy, directrice générale du groupe Delanchy et M. Yannig Renault, directeur technique.

29. Jeudi 9 mai 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur le financement de la transition énergétique :  M. Jean Jouzel, climatologue, président d’honneur et coinitiateur de Pacte « Finance climat », et M. Pierre Larrouturou économiste et coinitiateur de Pacte « Finance climat »;   Mme Virginie Chapron-du Jeu, directrice des finances du groupe Caisse des dépôts, Mme Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic, groupe Caisse des dépôts, et Mme Aurélia Brunon, chargée des relations institutionnelles ;  Mme Pascale Courcelle, directrice du financement de l’immobilier et de l’énergie environnement de la Banque publique d’investissement BPI France, et M. Jean-Baptiste Marin Lamellet, responsable des relations institutionnelles ;  M. Hadrien Hainaut, chef de projet de Institute for Climate Economics (I4CE), M. Michel Cardona, conseiller senior, et M. Damien Demailly, directeur de la stratégie et de la communication ;   M. Sébastien Jamme, directeur financier d’Enerfip et co-fondateur, M. Jérôme Blanc et M. Guilhem Roux, chefs de projet.

30. Jeudi 9 mai 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse sur les actions menées par les collectivités territoriales :  M. Philippe Pichery, président du département de l’Aube, et Mme Ann-Gaëlle WernerBernard, conseiller, Assemblée des départements de France (ADF) ; M. Jacky Aignel, maire de la commune de Le Mené, et M. Laurent Gaudicheau, directeur général des services ; M. Louis Donnet, maire de la commune de Domazan, vicepresident CCPG et président PETR Uzes Pont du Gard ; M. Didier Vignolles, conseiller municipal en charge de l’urbanisme de la commune d’Aramon (Gard).

31. Jeudi 16 mai 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la manière de faire évoluer les pratiques sociales :  M. Stéphan Giraud, chef de projet en sciences comportementales au sein de la direction interministérielle à la transformation publique (DITP) ; M. Guillaume Martin, administrateur bénévole au sein de l’association Avenir climatique ;  Mme Solange Martin et Mme Anaïs Rocci, sociologues au sein de la direction exécutive de la prospective et de la recherche à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;  M. Géraud Guibert, président de La fabrique écologique et M. Noé Deschanel, chargé de mission ;  Mme Fanélie Carrey-Conte, directrice du pôle « coopération » d’Enercoop.


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1.   Mardi 28 mai 2019 : Audition, ouverte à la presse, de M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

L’audition débute à seize heures trente-cinq.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de cette mission d’information de la Conférence des présidents relative aux freins à la transition énergétique. Nos travaux ont démarré en septembre 2018. Nous avons auditionné 130 organismes, collectivités, administrations, opérateurs et industriels, dans le cadre de débats ou de tables rondes, au cours des neuf derniers mois. Nous rendrons notre rapport dans un peu moins d’un mois.

Nous avons également eu l’occasion de nous rendre au Danemark, en Allemagne et en Belgique – à Bruxelles – pour évaluer les différences entre les réglementations et étudier les financements publics et privés qui existent dans ces pays, mais aussi la participation citoyenne car, selon nous, l’acceptation sociale des projets d’énergies renouvelables est un enjeu important et, si on n’adopte pas, en la matière, une approche suffisamment globale, il peut s’agir d’un frein.

La mission s’est organisée autour de sept axes, que M. le rapporteur vous précisera, monsieur le ministre d’État, avant que vous ne preniez la parole. Nous étions convenus de vous auditionner au terme de cette mission : ainsi, nous avons énormément de questions à vous poser (Sourires), notamment pour ce qui est des comparaisons avec d’autres pays : leur fonctionnement est différent, ils réussissent mieux dans certains domaines et moins bien dans d’autres. Nous considérons qu’il faut évidemment tirer les leçons de ce qu’ils savent mieux faire que nous, et leur laisser le choix de copier ce que nous faisons mieux qu’eux.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci de votre présence parmi nous, monsieur le ministre d’État.

Dès le départ, nous avons structuré cette mission d’information autour de sept thèmes. Le premier concerne la vision, ou plutôt le manque de vision, que ce soit au sujet du mix de production dans dix ans, vingt ans ou trente ans, ou du mix de consommation – autrement dit, ce que nous ferons avec ces nouvelles énergies. Le deuxième est assez classique : il s’agit de la manière de développer toutes les filières des énergies renouvelables, que ce soit l’éolien, le solaire ou encore la méthanisation. Le troisième est relatif aux économies d’énergie – dans l’habitat ou dans l’industrie. Le quatrième concerne la mobilité. Le cinquième porte sur la capacité des grands groupes de l’énergie à se transformer dans les dizaines d’années qui viennent. Le sixième concerne la capacité des territoires à prendre en compte la question de la transition énergétique. On considère en effet que l’énergie sera de plus en plus produite et consommée localement : les territoires doivent donc s’emparer de la question. Le septième thème concerne le financement et la fiscalité. Par ailleurs, tout au long de nos débats, nous avons évidemment traité des questions sociales et sociétales. Monsieur le ministre d’État, nous aimerions connaître votre vision concernant ces différents thèmes. Nous vous poserons ensuite des questions.

M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Je ne sais pas si je vais, d’entrée de jeu, développer les sept thèmes que vous avez abordés, auxquels s’ajoute l’approche transversale que vous avez évoquée, concernant les aspects sociaux et sociétaux. Je me contenterai de préciser la vision du Gouvernement et du ministère de la transition écologique et solidaire sur le sujet. Par ailleurs, et pour rebondir sur vos propos introductifs, je m’attends de votre part à des questions, bien sûr, mais aussi à des propositions – si ce n’est des solutions –, puisque c’est bien là le but de ce travail parlementaire : il s’agit non pas simplement d’analyser les difficultés, mais aussi de voir comment y remédier.

En outre, le calendrier est intéressant, puisque le Parlement va débattre du projet de loi relatif à l’énergie et au climat, d’abord à l’Assemblée – dans les commissions tout au long du mois de juin et dans l’hémicycle à partir du 27 juin – puis au Sénat et peut-être de nouveau, dans le cadre de la navette, au mois de juillet, voire à la rentrée.

La question dont vous vous êtes emparés est importante. Je pense que nous pouvons, effectivement, nous accorder sur ce constat : il existe des freins à la transition énergétique. Nous en sommes d’ailleurs conscients depuis de nombreuses années.

Le premier frein que j’identifie, pour ma part, tient à l’inertie : d’un point de vue humain, donc à la fois social, économique et politique, il est plus simple de continuer à faire ce qu’on fait déjà, de poursuivre dans une voie ouverte dans le passé – un passé plus ou moins lointain, d’ailleurs. On le sait bien, la France vit sur un modèle énergétique qui, contrairement à ce que croient beaucoup de gens, est non pas unique, mais double.

Ce modèle est évidemment dominé par la production d’électricité d’origine nucléaire. La part du nucléaire dans notre pays est extrêmement forte, mais cela n’a pas toujours été le cas : c’est une autre transition énergétique, intervenue dans les années 1970 et 1980 et qui s’est même poursuivie dans les années 1990, qui a permis d’installer la domination du nucléaire dans la production d’électricité. Ce n’est pas un monopole total – j’y reviendrai : nous sommes engagés dans une diversification, y compris en utilisant des moyens de production électrique qui, soit existent depuis très longtemps, comme l’hydroélectricité, soit se développent depuis quelques années, comme l’éolien ou le solaire.

Je viens de parler de l’électricité, mais on aurait évidemment tort de considérer que la politique énergétique en France se cantonne à ce domaine. Certes, l’électricité est un élément très important, et elle prendra de plus en plus d’importance à l’avenir, car l’électrification d’un certain nombre d’usages – non seulement dans les transports, mais aussi, on peut le penser, s’agissant du chauffage – va sans doute s’amplifier, mais la consommation d’énergie ne se résume pas à l’électricité. L’autre pilier de notre politique énergétique consiste dans la lutte contre notre très grande dépendance à l’égard du pétrole. Or, disons-le, cet aspect est très largement absent du débat politique, ce que, personnellement, je regrette – et il s’agit peut-être déjà, en soi, d’un frein à la transition. Nous sommes dépendants du pétrole, mais aussi, dans une moindre mesure, du gaz et, dans une mesure encore plus réduite, du charbon. Les transports sont particulièrement concernés. C’est le cas, massivement, des déplacements par voiture individuelle, mais aussi par car, ou encore du transport de marchandises par camion. Les transports ferroviaires sont en grande partie électrifiés mais ne le sont pas en totalité. Les transports maritime et aérien reposent bien sûr, quant à eux, à 100 % sur les produits pétroliers. Cette dépendance massive au pétrole dans les transports se traduit, sur le plan économique, par une dépendance totale aux importations. Il s’agit d’ailleurs d’un facteur de déséquilibre de notre commerce extérieur.

Pour ce qui est des autres usages des énergies fossiles, l’industrie a encore très largement recours à ces énergies. On a ainsi tendance à oublier que la France continue à importer 13 millions de tonnes de charbon par an, dont 3 millions pour les usages de production électrique et 10 millions pour l’industrie. Nous importons également du gaz, pour le chauffage mais aussi pour des usages industriels. Les dérivés du pétrole peuvent servir eux aussi pour le chauffage.

En partant de ce constat, la transition énergétique vise, à mon sens, deux objectifs. Le premier est de diminuer nos émissions de CO2 – et autres gaz à effet de serre. Le second est de diversifier nos sources d’énergie et nos moyens de production : ce faisant, nous serons à la fois moins dépendants et plus résilients, par exemple en cas de problème avec un certain type de production. Pour atteindre ces deux objectifs, nous considérons qu’il existe deux vecteurs – ne confondons pas, d’ailleurs, les objectifs et les moyens – : les économies d’énergie, pour réduire nos émissions de CO2 et notre dépendance aux produits fossiles, et le développement des énergies renouvelables, en veillant à les diversifier.

S’agissant des énergies renouvelables, nos priorités sont claires. Nous entendons maintenir, voire améliorer, notre potentiel hydroélectrique. À cet égard, je le dis clairement, il ne s’agit pas de construire de nouveaux grands barrages. Il n’y a pas d’opportunités en France pour cela. En revanche, il importe d’améliorer les performances des barrages existants, ce qui pourrait nous permettre de faire passer de 11 % ou 12 % à 15 % la part de l’énergie hydroélectrique dans notre mix. Par ailleurs, nous misons sur deux énergies renouvelables qui n’émettent ni gaz à effet de serre ni déchets nucléaires : le solaire et l’éolien.

En ce qui concerne le premier thème que vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, notre vision concernant le mix de production est donc assez claire, et se trouve déclinée concrètement dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), document que nous avons non seulement rendu public mais mis en consultation publique depuis la fin du mois de janvier, après sa présentation politique à la fin du mois de novembre 2018 par le Président de la République, le Premier ministre et moi-même.

S’agissant de la consommation également notre vision est claire. Nous l’avons exposée dans les documents décrivant la stratégie nationale bas carbone, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous prévoyons, comme je le disais, une augmentation de l’électrification, ce qui ne signifie pas le tout-électrique : dans les transports, notamment, diverses énergies de transition, comme le gaz, pourront prendre le relais des produits pétroliers – c’est vrai dans le transport maritime, mais aussi dans le transport par camion. À terme, dans les moteurs électriques, l’hydrogène constituera une solution alternative aux batteries pour le stockage d’énergie – qui plus est, il s’agira d’une énergie renouvelable. Par ailleurs, la part des carburants d’origine agricole va augmenter, ce qui n’est pas sans poser d’autres questions, concernant à la fois le coût de leur production et leurs effets indirects sur les productions alimentaires – car nous ne voulons pas que ces carburants se substituent à elles. Dans ce domaine aussi des programmes de recherche sont en train de déboucher sur des projets industriels. Il y a également la production de gaz renouvelable : là aussi, nous avons inscrit comme objectif, dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, et en application de la loi de transition énergétique de 2015, une proportion de 10 % de la consommation finale de gaz d’origine renouvelable dans dix ans – contre 1 % actuellement. Si l’objectif est ambitieux par rapport à la situation que nous connaissons, le gaz n’en restera pas moins massivement d’origine fossile et importé – en effet, je vous le rappelle, le gaz consommé en France est importé à 100 %.

En ce qui concerne maintenant les freins à la transition énergétique, je voudrais, pour démarrer l’échange entre nous, vous en proposer une liste.

Nous avons bien identifié, depuis de nombreuses années, les freins politiques. En effet, outre l’inertie, dont je parlais en commençant, il existe des freins politiques à l’égard des économies d’énergie comme du développement des énergies renouvelables : ni les unes ni les autres ne vont de soi. L’objectif général, tant qu’on en reste à l’analyse et aux perspectives d’ensemble, peut être assez largement partagé, faire l’objet d’un relatif consensus – je dis bien « relatif », car il n’est pas total, naturellement –, mais dès qu’on passe à l’action et aux moyens d’action, autrement dit à la concrétisation, des oppositions et des controverses se font jour.

Celles-ci peuvent bien sûr être locales mais, d’une façon générale, il n’est jamais simple d’inciter à faire des économies d’énergie : on l’a bien vu à propos de la voiture. Sur ce sujet aussi l’opposition peut être plus marquée dans tel territoire ou dans telle catégorie de population où, objectivement, l’usage de la voiture est plus important. C’est tout aussi vrai, d’ailleurs, concernant le chauffage au fioul ou encore la capacité à réaliser des travaux d’économie d’énergie. On connaît bien tous ces problèmes ; ce sont des freins majeurs, qui nous empêchent souvent d’avancer, d’atteindre nos objectifs et, a fortiori, de nous en fixer de plus ambitieux. Cela dit, je considère qu’il n’y a aucune fatalité à céder devant ces freins politiques – au contraire. Même ce que nous avons vécu au cours des derniers mois montre qu’en réalité un nombre toujours plus important de Français souhaite qu’on en fasse de plus en plus : non seulement la prise de conscience au sujet du climat – et donc de l’énergie – est forte, mais elle se traduit par une volonté d’agir plus vite, plus fort, plus loin.

Il existe, par ailleurs, des freins juridiques. Le cadre juridique qui est le nôtre n’est pas toujours favorable, disons-le, au développement des énergies renouvelables. Force est de reconnaître que, dans certaines périodes, on a augmenté les contraintes – volontairement ou non mais, en ce qui me concerne, je crois assez peu au hasard en politique : je pense donc que c’était souvent volontaire. Depuis quelques années – le mouvement a commencé au cours de la précédente législature et il se poursuit –, il y a eu, au contraire, la volonté de simplifier et d’alléger un certain nombre des contraintes qui avaient été opposées au développement de l’éolien terrestre et maritime, mais aussi des méthaniseurs ou même des installations solaires photovoltaïques.

Il peut y avoir également des freins économiques, qui sont d’ailleurs de divers ordres. Ils peuvent être le fait de personnes qui voient leurs activités se réduire. Ainsi, nous avons programmé la fermeture des centrales à charbon : les entreprises qui les exploitent et leurs salariés freinent ces transformations, ce qui est tout à fait compréhensible. L’obstacle peut aussi être lié tout simplement à la question du coût – je pense, par exemple, aux filières dans lesquelles le coût de production est bien supérieur au prix de marché. Le biogaz – c’est-à-dire le gaz renouvelable – est quatre à cinq fois plus cher, en termes de coût de production, que le gaz importé : c’est là un frein objectif au développement du gaz renouvelable. Pour rééquilibrer la concurrence, il faut soit accorder des subventions soit imposer des taxes sur les énergies fossiles. La situation est la même pour d’autres énergies renouvelables – l’éolien, dans certains secteurs, ou encore le solaire, même si les coûts de production ont considérablement baissé ces dernières années. Les tarifs d’achat garantis permettent de remédier à ces difficultés mais, évidemment, plus les coûts de production seront maîtrisés, plus on se rapprochera des prix de marché.

Parfois, du reste, c’est le prix de marché qui augmente. C’est ce qui s’est produit pour l’électricité depuis deux ans ; cela arrive aussi pour les énergies fossiles. Les prix sont extrêmement volatils, ce qui fait qu’on ne sait absolument pas quelle va être l’évolution, sur le temps long, du prix moyen du fioul, de l’essence, du gaz ou même du charbon. Dès lors, il est extrêmement difficile de bâtir des stratégies économiques, car les investissements nécessaires s’amortissent dans la durée.

Au nombre des enjeux d’ordre économique, il y a également, on le sait bien, la fiscalité. Le débat politique s’est beaucoup focalisé sur la fiscalité carbone, et même parfois, plus précisément encore, sur la fiscalité carbone pour les carburants. Or il faut être bien conscient du fait que la fiscalité carbone est un signal qui permet de dire à des investisseurs qu’il peut être rentable, à l’avenir, d’aller vers d’autres sources d’énergie que les énergies fossiles traditionnelles.

Je vous en donnerai un exemple très concret, avec des conséquences récentes mais très palpables : les réseaux de chaleur renouvelable. Il en a été peu question dans le débat politique, alors qu’ils constituent un élément important pour la transition énergétique. Il importe non seulement de les développer, mais aussi d’encourager le basculement des réseaux existants vers des énergies renouvelables comme le bois, en remplacement du gaz, du fioul ou du charbon. Or les équilibres économiques du secteur sont fragiles : les investissements sont lourds et s’amortissent sur le temps long. Dès que les prix du gaz et du pétrole baissent – en ce moment, ceux du pétrole augmentent, mais ceux du gaz ont plutôt tendance à diminuer –, cela rend l’équilibre économique de ces projets encore plus fragile. Ils pouvaient s’appuyer sur la trajectoire de la taxe carbone : à partir du moment où celle-ci a été interrompue, certains investissements ont tendance à être eux aussi stoppés. On peut faire le même calcul en ce qui concerne le gaz renouvelable : il est évident que cela a un impact direct sur la viabilité des projets.

Enfin, il y a les freins que l’on pourrait qualifier d’« administratifs », ou de « procéduraux » : j’ai parlé tout à l’heure des freins juridiques, mais la multiplication des contentieux et des recours est elle aussi un frein. Beaucoup de gens disent que les procédures sont longues ; en réalité, il y a certes les procédures administratives d’instruction des dossiers – nous les avons déjà raccourcies et sommes prêts à aller encore plus loin –, mais il y a surtout une chose qu’aucun pouvoir politique national ou local ne maîtrise, pas davantage que les entreprises, et qui constitue un aléa majeur : les recours. Leur nombre est important et ceux qui les introduisent sont déterminés à épuiser toutes les voies possibles, c’est-à-dire, je le rappelle, le tribunal administratif, puis la cour administrative d’appel, enfin le Conseil d’État. Le jugement de ces recours prend du temps – ce n’est pas du tout là une critique à l’égard de nos juridictions administratives : j’en fais simplement le constat.

Les Français, d’ailleurs, ne comprennent pas ces délais ; ils pensent que c’est l’État qui en est responsable. Quand ils entendent « Conseil d’État », ils se disent qu’il s’agit d’un organe de l’État, et donc que, si le temps d’instruction des recours est important, c’est parce que l’État ne veut pas développer les énergies renouvelables. On entend même, ce qui est plus étonnant, certains élus – notamment locaux – parler d’un manque de volontarisme de l’État. Ce n’est pas du tout le cas. S’agissant de l’éolien en mer, par exemple, nous sommes confrontés à des recours qui retardent la réalisation des projets. À cet égard, même quand on a levé certains freins, on en découvre tous les jours de nouveaux, malheureusement. Mme Battistel, qui était, comme moi, députée durant les précédentes législatures, se souvient certainement que le développement de l’éolien offshore, au départ, a été un choix politique visant à éviter les conflits avec les riverains. En effet, on s’était dit que, par définition, en mer, il n’y avait pas d’habitants. Il peut y avoir des conflits découlant d’autres usages de la mer, notamment avec les pêcheurs, mais, en général, ils sont réglés avant les autorisations de projet. Eh bien, le Conseil d’État vient de reconnaître à des associations d’habitants du littoral l’intérêt à agir concernant des éoliennes au large, alors qu’elles avaient été déboutées devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel. Autrement dit, le pari qui avait été fait il y a maintenant près de dix ans se trouve remis en cause par une décision liée à un contentieux, ce qui n’a donc rien à voir avec une loi qui aurait été prise pour freiner le développement des éoliennes. Je considère, pour ma part, qu’il faudra tirer des conséquences législatives de cette situation. Je ne sais pas quelles seront vos propositions en la matière, mais je souhaite que vous en fassiez.

Voilà les quelques exemples que je voulais vous donner. Au total, je considère que nous avons désormais une vision plus claire de ce que l’on appelle la transition énergétique, vers où nous voulons aller et comment nous entendons le faire, en décrivant les étapes – c’est la stratégie nationale de la France en matière d’énergie pour les dix années à venir, avec la programmation pluriannuelle de l’énergie et les dispositions de la loi de transition énergétique de 2015. Au-delà de cette vision, nous devons sans cesse nous efforcer de lever les freins, tout en reconnaissant bien évidemment aux citoyens et aux élus locaux le droit d’être associés à travers les procédures de concertation et de consultation, destinées à assurer la transparence, sans pour autant que celles-ci deviennent des courses d’obstacles n’ayant d’autre but que d’empêcher de faire.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Merci beaucoup, monsieur le ministre d’État, pour ce propos très précis concernant un grand nombre de domaines. Je voudrais évoquer cinq aspects, puis M. le rapporteur complétera ; il est très attaché à faire des propositions, comme vous nous y invitiez. Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat, qui va nous être soumis, sera le premier véhicule législatif s’offrant à nous. Vous pouvez compter sur notre imagination.

M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Et votre pragmatisme !

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Tout à fait.

Au début de votre propos, vous parliez d’inertie. C’est particulièrement vrai en matière d’énergie. Nous l’avons constaté pendant nos auditions : le mot est souvent revenu. La réussite repose aussi sur les initiatives locales et citoyennes, car l’État ne peut pas tout faire. C’est d’ailleurs l’une des vertus des territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et des territoires à énergie positive (TEPOS) : ils ont prouvé leur utilité, non pas tant pour les projets dont ils auraient permis le développement que pour les dynamiques territoriales qu’ils ont créées, associant l’ensemble des acteurs. Les citoyens et les élus se sont ainsi emparés de la question de l’énergie et de la transition énergétique et écologique. De ce point de vue, ces dispositifs ont été une véritable réussite.

Ma première question est donc la suivante : pensez-vous engager de nouveau, sous quelque forme que ce soit, des initiatives de ce type ? Le développement des énergies renouvelables repose également sur l’investissement privé, nous l’avons constaté tout au long de nos auditions. Cela dit, il faut soutenir cet investissement – pas nécessairement de manière financière, d’ailleurs. Or, ce soutien fait souvent défaut. Surtout, les délais sont beaucoup trop longs – vous en parliez à l’instant. Depuis plusieurs années, nous avons déjà essayé de les raccourcir, mais certaines procédures réglementaires pourraient être faites parallèlement et non pas successivement. Cela mériterait peut-être d’être étudié. Le financement participatif, que nous avions souhaité développer durant la précédente législature, pourrait constituer lui aussi un levier pour accroître l’acceptation sociale des projets. Ce mécanisme n’est pas suffisamment développé. Dans nos visites dans d’autres pays, notamment au Danemark, nous avons vu que l’approche y était totalement différente : les projets sont partagés avant même qu’ils ne soient mis en œuvre. Il me semble que c’est là que réside, au moins en partie, la clé de leur réussite.

En ce qui concerne les ambitions que la France s’est données, elles font de notre pays l’un des moteurs, au niveau européen, en matière de transition écologique et énergétique. Ces objectifs ambitieux découlent de la loi de transition énergétique, des accords de Paris et de la mise en place de la PPE. À ce sujet, un nombre important des personnes que nous avons auditionnées et des élus que nous avons rencontrés nous ont signalé que les objectifs de la PPE mériteraient d’être débattus au Parlement. C’est le deuxième point que je souhaitais aborder, c’est le message que nous souhaitions vous faire passer, monsieur le ministre d’État.

Troisièmement, je voulais évoquer la question de la réduction de la consommation. On peine vraiment à atteindre les objectifs en la matière, notamment s’agissant des bâtiments et de leur réhabilitation thermique. Au-delà du problème du financement – qui pourrait être réglé par un grand plan d’investissement de l’État –, identifiez-vous d’autres freins ? L’évolution est très lente. Il faut y remédier car la diminution de la consommation influe directement sur le pouvoir d’achat des citoyens.

Quatrièmement, j’ai noté votre volonté de développer l’hydroélectricité. Comme vous vous en doutiez, cela ne m’a pas échappé… Quid de la nouvelle redevance pour les concessions sous le régime des délais glissants ? Avez-vous statué ? Le décret est-il sorti ? J’ai déjà eu l’occasion de vous dire qu’un point d’équilibre intermédiaire serait plus satisfaisant et permettrait de développer aussi l’investissement.

Les opérateurs ont également souligné la difficulté de réaliser de nouveaux développements dans le cadre des concessions déjà attribuées : c’est la question des suréquipements. Ces derniers se heurtent à une difficulté juridique, liée au fait que la disposition de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) qui permettait des augmentations de puissance jusqu’à 20 % dans les concessions en cours a été supprimée en 2016 lors de la transposition de la directive sur l’attribution de contrats de concession. Ce n’est pas de votre fait, monsieur le ministre d’État, mais il s’agit là d’une entrave au développement de l’hydroélectricité, alors même que de tels investissements seraient vertueux car ils ne porteraient pas du tout atteinte à l’environnement : l’enjeu est simplement d’augmenter la capacité. Je crois vraiment qu’il y a là une piste qui permettrait de déclencher rapidement de l’investissement et d’optimiser la production d’hydroélectricité, sans pour autant créer de nouvelles infrastructures. Il convient donc d’étudier la question. J’ai soulevé le problème à Bruxelles, lors de notre dernier rendez-vous avec Dominique Ristori, directeur général de l’énergie. Celui-ci était plutôt d’accord pour considérer qu’il faut débloquer la situation.

Je ne vous parlerai pas du renouvellement des concessions – vous connaissez toutes et tous mon avis sur le sujet –, mais si nous le facilitions, cela permettrait à nos opérateurs de débloquer des investissements importants. De nombreux projets sortiraient rapidement des cartons, augmentant ainsi la production de cette énergie renouvelable qui est, je crois que tout le monde s’accorde à le dire, la plus vertueuse – et, en tout cas, la première de nos énergies renouvelables.

J’évoquerai, pour terminer, le développement des filières françaises, notamment dans le domaine du photovoltaïque. Nous avons quelques entreprises qui peinent à passer le cap de la production de masse. Elles ont des demandes, mais n’arrivent pas à y répondre parce qu’il faut changer les modes de production et se diriger vers la massification. L’État est-il prêt à aider à la création et au développement de filières françaises, pour que nous ne soyons pas obligés d’installer des panneaux photovoltaïques venant de très loin, ce qui a un coût carbone réduisant la vertu de leur installation ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je n’ai pas précisé au départ, monsieur le ministre d’État, que nous avions un biais dans cette mission : nous nous sommes focalisés sur le remplacement du pétrole, sans remettre en question le nucléaire – sujet qui a déjà été largement traité.

La question de la vision est revenue quasiment dans tous nos échanges : comment être sûr d’emprunter la bonne voie ? Nous savons tous qu’à l’avenir les sources d’énergie seront multiples : le nucléaire, l’hydraulique, l’éolien, le solaire, la biomasse – notamment avec la méthanisation –, les biocarburants, la géothermie, ou encore l’hydrogène, utilisé comme vecteur.

Souvent, le débat politique bloque parce que beaucoup imaginent que l’on va remplacer le pétrole par quelque chose d’autre. Or on va le remplacer par de très nombreuses choses. En effet, le développement de la biomasse, par exemple, sera forcément limité car il ne faut pas empiéter sur les surfaces agricoles destinées aux productions alimentaires – vous l’avez dit tout à l’heure. La première chose que nous recommandons est de s’efforcer de quantifier la biomasse disponible, en termes de déchets agricoles – ou de déchets en général, du reste –, encore une fois sans empiéter sur les surfaces destinées aux productions alimentaires. Certains territoires ont un peu avancé dans ce domaine : le département du Maine-et-Loire, par exemple, est capable d’établir qu’en fonction des quantités disponibles, il est possible d’installer 49 méthaniseurs, soit un tous les 10 ou 12 kilomètres, sans courir le risque d’aller trop loin. En procédant ainsi, la démarche est acceptable pour la population.

Il en va de même pour l’éolien. Dans mon département, le Pas-de-Calais, l’éolien a connu un important développement : on y trouve des centaines d’éoliennes, qui ont été plutôt bien acceptées. Toutefois, on est arrivé à saturation : les nouvelles installations ne sont plus supportées. Avant, les zones de développement éolien permettaient d’avoir un débat local, au niveau des communautés de communes, pour déterminer où on pouvait en installer, combien il pouvait y en avoir, et de discuter avec la population. Une telle planification dans les territoires nous semble essentielle, en termes d’acceptabilité comme de vision. Ce qui vaut pour l’éolien vaut aussi pour d’autres sources d’énergie : en fonction de la quantité disponible de déchets issus de la betterave – la mélasse –, on sait précisément combien d’éthanol on obtiendra. Il faut savoir de quelles ressources on dispose avant de réfléchir à leur utilisation. On n’a pas de solution pour les avions, à l’heure actuelle : pourquoi ne pas dédier des quantités précises de biomasse à ce type d’utilisation ?

S’agissant d’ailleurs des carburants de synthèse, nous avons observé qu’il y avait beaucoup plus d’expériences en Allemagne qu’en France. Il y a là un domaine qu’il importe vraiment d’explorer. Cette question est bien sûr liée à la production d’hydrogène et à la politique de l’hydrogène, car pour fabriquer du carburant avec du CO2, il faut de l’hydrogène en quantité. Il apparaît donc très important de développer également la filière de l’hydrogène, en lien avec une politique en matière de carburants de synthèse.

M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Comment encourager et soutenir les initiatives locales et les dynamiques territoriales ? Tout d’abord, le cadre général, notamment budgétaire, y contribue. Je ne l’ai pas évoqué car il s’agit d’un accélérateur, et non d’un frein, mais les tarifs d’achat garantis du gaz et de l’électricité renouvelables sont de puissantes aides publiques, qui créent un appel d’air favorable aux investissements, qu’ils soient le fait d’industriels ou, au niveau local – même si ce n’est pas très développé en France – de collectivités locales, de sociétés d’économie mixte, de sociétés publiques locales, voire de coopératives. Ces dernières permettent aux citoyens de s’approprier la transition énergétique et d’en toucher une partie des dividendes, au sens propre et au sens figuré. En Allemagne, il s’agit d’un phénomène de grande ampleur, puisque près de 50 % des projets éoliens terrestres, me semble-t-il, sont portés par des systèmes coopératifs impliquant directement les habitants. Ce dispositif est beaucoup moins développé en France ; or, cela contribuerait sans doute à l’acceptabilité de tels projets, au moins pour ceux qui s’y impliquent.

Par ailleurs, la loi de transition énergétique impose aux intercommunalités d’une certaine taille de mettre en œuvre un plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Une grande partie des 750 intercommunalités concernées ont lancé le leur ; peu sont allées au bout, alors qu’elles avaient jusqu’au 1er janvier de cette année pour le faire. La question qui se pose – des discussions sont en cours à ce sujet avec les associations de collectivités et les élus – est celle de savoir s’il convient de proposer une incitation budgétaire. En tout cas, le cadre est intéressant, car il est cohérent avec la politique énergie-climat nationale, européenne, et même mondiale si l’on pense aux accords de Paris. À ce propos, il serait intéressant d’évaluer les résultats des Territoires à énergie positive pour la croissance verte, créés à l’initiative du précédent gouvernement. Je précise, puisqu’il a été envisagé, un temps, d’arrêter éventuellement les paiements, que je veille – et ma démarche a été confortée par le Premier ministre – à ce qu’ils se poursuivent. Ce ne sont pas de petites sommes : il s’agit de plusieurs centaines de millions d’euros.

En ce qui concerne l’initiative privée, je suis tout à fait intéressé par de nouvelles propositions concernant la réduction des délais. Les procédures réglementaires pourraient en effet se dérouler parallèlement – c’est, en tout cas, dans cette direction que nous voulons aller. En tout état de cause, des mesures législatives ont été prises dans le cadre de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dont j’ai signé les décrets d’application relatifs à l’éolien ou au solaire. Si nous pouvons poursuivre dans cette direction, n’hésitons pas. Cependant, je vous alerte – car je l’ai constaté depuis neuf mois, notamment au cours des débats parlementaires – sur le fait que d’aucuns veulent, au contraire, alourdir les procédures. J’en ai même entendu certains réclamer qu’un référendum local soit organisé sur tout projet d’éoliennes. On peut se demander quel serait le périmètre d’une telle consultation, car une éolienne n’alimente pas en électricité que les riverains et voisins.

Cela me conduit à évoquer l’acceptation sociale de ces projets. À cet égard, je serais très intéressé de connaître les éléments que vous avez pu recueillir dans les pays voisins. Je crois qu’au-delà de la stricte législation et des questions de procédure, la culture politique ou la culture écologique, économique, ont leur importance. Par ailleurs, il me semble qu’en France, nous devons tenir bon sur le principe majoritaire. De fait, il ressort des études d’opinion assez approfondies qui ont été réalisées sur le sujet – même si l’on peut toujours demander qu’elles portent sur des échantillons de population plus importants – que les Français sont très majoritairement favorables – ce n’est pas une question de couleur politique – au développement des énergies renouvelables, qu’il s’agisse des éoliennes – même si celles-ci devaient être implantées à proximité de chez eux –, du solaire photovoltaïque, du biogaz ou des réseaux de chaleur. Cela n’empêche pas que tous ces projets – c’est un peu moins le cas pour le solaire photovoltaïque ou les méthaniseurs, mais cela commence à venir – font l’objet de contestations locales. Je peux parfaitement le comprendre, mais cette opposition, fondée sur des motifs parfois idéologiques, le plus souvent locaux, est le fait de minorités. Or, l’intérêt général doit primer sur les intérêts particuliers, en matière d’écologie et d’énergie comme dans les autres domaines. On ne peut pas concevoir une politique énergétique morcelée en 13 régions, 100 départements ou 35 000 communes. Ceux dont le territoire comprend des barrages seraient alors les seuls à en profiter, ceux qui ont des centrales vendraient cher leur électricité aux autres… Qui plus est, soyons concrets, il serait aujourd’hui impossible, pour des raisons d’acceptabilité sociale, d’ouvrir un nouveau barrage – je ne nous vois pas noyer une vallée, comme on l’a fait par le passé ou comme le font certains pays – ou d’implanter une nouvelle centrale nucléaire. Il est également très difficile d’ouvrir une petite centrale thermique – on en fait l’expérience actuellement à Landivisiau, dans le Finistère –, d’implanter des éoliennes, des panneaux solaires ailleurs que sur des toitures – et encore, certains s’y opposent –, des méthaniseurs ou même des chaufferies. J’ai en tête l’exemple d’une chaufferie liée à un réseau de chaleur à Nantes : les riverains l’assimilent à une centrale thermique et n’en veulent pas, alors qu’il est prouvé qu’elle n’est pas polluante. Il faut donc tenir bon sur l’intérêt général, et cela doit se traduire dans nos procédures.

S’agissant de la réduction de la consommation d’énergie dans les bâtiments, les enjeux sont multiples. Si la motivation était l’intérêt économique, certaines personnes auraient lancé des travaux depuis très longtemps. Elles ne l’ont pas fait. Pourquoi ? Tout d’abord, par manque d’information. Les consommateurs et les investisseurs doivent donc être mieux informés, c’est indéniable. Ensuite, les aides doivent être connues des intéressés. Par ailleurs, il est sans doute difficile, pour des particuliers – c’est moins le cas pour des entreprises –, de se projeter sur dix, quinze ou vingt ans, voire trente ans, soit la durée d’amortissement de ces travaux. En outre, il y a une raison culturelle. Chaque année, des millions de nos concitoyens effectuent des travaux de peinture pour des raisons purement esthétiques et n’envisagent pas de réaliser le même investissement pour réaliser de travaux qui amélioreraient leur confort – car l’énergie, c’est d’abord du confort – et qui leur rapporteraient, contrairement à la réfection d’une cuisine ou d’une salle de bains. Je sais que des professionnels du bâtiment réfléchissent à la manière dont on pourrait rendre la rénovation énergétique désirable pour les particuliers.

Dès lors, se pose la question de l’obligation ; c’est un débat politique et législatif. Dans le domaine du logement, on n’a jamais hésité à imposer des normes très strictes en matière de sécurité. Ainsi, il est obligatoire de remplacer régulièrement le tuyau d’alimentation qui relie une gazinière à une bouteille de gaz – on est allé jusqu’à pénaliser les propriétaires s’ils n’informaient pas leurs locataires. De même, il est obligatoire de revoir régulièrement son installation électrique, là encore pour des raisons de sécurité. De telles normes sont tout à fait légitimes mais, très souvent, les gens n’en perçoivent pas l’intérêt. Dans un autre registre lié au logement, celui de l’assainissement individuel – qui concerne des millions de Français dont l’habitation n’est pas raccordée à un réseau d’assainissement collectif –, les règles sont aussi très strictes. Si l’installation n’est pas aux normes, les propriétaires doivent la modifier à leurs frais et, s’ils vendent leur habitation, ils doivent soit réaliser la rénovation avant la vente, soit consigner une somme d’argent pour le nouvel acquéreur, qui lui-même devra réaliser les travaux dans un délai d’un an. Ne faut-il pas envisager de fixer des obligations équivalentes en matière de rénovation énergétique ? Non seulement elles créeraient une véritable dynamique mais elles permettraient à nos concitoyens de découvrir l’intérêt d’une telle rénovation, pour eux-mêmes ou pour leurs locataires lorsqu’ils sont propriétaires-bailleurs. Je crois que nous devons y réfléchir.

En ce qui concerne l’hydroélectricité, oui, le décret est finalisé : les ultimes discussions sont conduites, au niveau interministériel, sous la houlette du Premier ministre. L’hypothèse retenue – mais vous le savez, je crois, madame la présidente – est celle d’un taux de 40 % du résultat net, et non du chiffre d’affaires, afin d’éviter que les exploitants de concessions échues ne bénéficient d’une forme de surrémunération. Cela est évidemment surveillé de près par la Commission européenne ; nous ne pouvons pas retenir une solution qui serait trop favorable à ceux qui bénéficient en quelque sorte d’une rente de situation. Ce qui limite actuellement l’investissement dans les concessions, c’est principalement le manque de visibilité sur le renouvellement, qu’il s’agisse des concessions qui vont arriver à échéance ou de celles qui sont déjà échues. Nombre de nos compatriotes, me semble-t-il, ignorent cette situation – on leur raconte, du reste, beaucoup d’histoires sur l’hydroélectricité. Beaucoup de parkings ont été construits dans le cadre d’une concession de 25 ou 30 ans. Or, lorsque cette concession arrive à échéance, on lance un appel concurrentiel à renouvellement, conformément au droit des concessions. En ce qui concerne les barrages hydroélectriques, on est dans une situation de blocage.

Je suis tout à fait prêt à examiner votre proposition concernant la transposition qui a été faite de la directive en 2016. Je souhaite surtout que l’on sorte de la situation de blocage actuelle – j’aurai l’occasion de m’exprimer sur le sujet lors du débat sur le projet de loi « énergie-climat » – et que l’on adopte une doctrine claire. Deux options sont possibles : soit on fait le choix du 100 % public, qui permet de renouveler des concessions sans appel à concurrence, soit on lance un appel à concurrence. Dans certains territoires, on souhaite le maintien dans le giron public ; c’est possible, mais il faut s’en donner les moyens, et j’y travaille au sein du Gouvernement avec EDF. Dans d’autres territoires, les élus souhaitent, au contraire, que les concessions arrivées à échéance fassent l’objet d’un appel à concurrence, afin d’examiner les meilleurs projets d’investissement ainsi que les retombées territoriales car il existe souvent, au-delà de la production d’électricité, des usages locaux de ces installations. Il est donc important qu’on associe les élus locaux à cette réflexion.

Les filières françaises photovoltaïques – ou, de manière générale, le contenu français, local ou européen, des énergies renouvelables – sont un sujet important. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et moi-même allons, du reste, signer, avec les acteurs de l’énergie, un contrat stratégique de filière qui permettra de prendre des engagements et de travailler notamment sur certaines filières solaires. De fait, on ne pourra pas, hélas, remplacer l’équipement en panneaux solaires d’origine asiatique par un équipement 100 % français, mais on peut, en revanche, progresser grâce à de nouvelles technologies, de meilleure qualité et offrant de meilleurs rendements, qui pourraient, de surcroît, bénéficier davantage à l’économie locale. Je rappelle en effet que, dans le secteur de l’éolien, plus de 70 % de la valeur ajoutée est française, souvent régionale. C’est également le cas, majoritairement, pour le solaire, car la valeur ajoutée ne se résume pas à la production du panneau. Ainsi, lorsqu’en 2010, un décret a brutalement stoppé l’équipement en panneaux solaires photovoltaïques, 13 000 emplois ont été supprimés en France.

Quant à la biomasse, elle est quantifiée dans la Stratégie nationale bas-carbone. En outre, la direction générale de l’énergie et du climat de mon ministère pilote une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse, afin que nous ayons les idées claires en la matière. Ma conviction, c’est que nous ne valorisons pas notre biomasse autant que nous le pourrions. Celle-ci s’entend, ici, au sens très large. Par exemple, 50 % du bois coupé pour la construction ou l’ameublement ne sont pas utilisables, de sorte que, plus on développe le bois-construction, plus on doit développer parallèlement le bois-énergie, et vice-versa. Il en va de même pour la mélasse : nous avons fait en sorte de donner à la filière betteravière française des débouchés supplémentaires en la matière. Mais, vous avez raison, monsieur le rapporteur, il faut mieux quantifier les déchets – il conviendrait, du reste, de parler plutôt de sous-produits, dès lors que ces « déchets » doivent être, non pas éliminés, mais valorisés : ce sont des matières premières. Vous avez cité, à propos des méthaniseurs, l’exemple du Maine-et-Loire ; je n’en avais pas connaissance, mais c’est une bonne démarche.

En ce qui concerne l’éolien, la planification est prévue dans le cadre des schémas régionaux d’aménagement et de développement du territoire (SRADET). Je réunirai prochainement les présidents de région pour que nous aboutissions à une vision autant que possible partagée, mais des divergences politiques existent. Je sais que certains présidents de région ne partagent pas notre ambition nationale en matière d’énergies renouvelables. C’est leur droit, mais nous n’allons pas pour autant arrêter de les développer. J’ajoute, à propos de la biomasse, que notre potentiel national est estimé aux alentours de 300 à 400 térawattheures (TWh) ; c’est donc très important, au regard de notre consommation finale d’énergie.

Dans le domaine des carburants de synthèse, vous avez raison, l’Allemagne est plus avancée que nous. Ces carburants restent cependant très coûteux et ne sont pas compétitifs par rapport au prix de marché des produits fossiles. Mais, pour l’avenir, sans doute faut-il amplifier les recherches dans ce domaine, voire développer quelques démonstrateurs adaptés à des usages pour lesquels il sera très difficile de recourir à l’électricité. Par exemple, l’avion électrique existe, mais il ne peut guère transporter plus de quelques personnes. En revanche, des progrès sont possibles dans le domaine des carburants d’origine végétale ou de synthèse, même s’ils présentent un surcoût par rapport au kérosène. D’où le débat sur la taxation de celui-ci, car c’est l’environnement économique général qui incite ou non à investir dans les produits de substitution.

En ce qui concerne l’hydrogène, le débat est un peu le même, mais je considère qu’il faut se mobiliser davantage. Des projets de territoire, portés à la fois par des collectivités locales et des industriels, sont très intéressants à cet égard, car ils permettent d’envisager le développement de démonstrateurs consacrés à l’utilisation et à la production d’hydrogène vert. Actuellement, hélas, celui-ci est plutôt noir, puisqu’il est issu du craquage du méthane, qui est fortement émetteur de CO2. Or, le but est bien d’exploiter l’électrolyse de l’eau, qui, elle, permet de produire de l’hydrogène sans émettre de CO2.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Le voyage que nous avons fait en Allemagne a été très instructif. Tout d’abord, nous avons constaté que nous n’avions pas la même conception de la transition énergétique : en Allemagne, celle-ci concerne surtout l’électricité. Nous nous sommes également aperçus que nous avions trois points forts : notre réseau électrique, le nucléaire et l’hydraulique. Il nous est donc apparu qu’il pourrait être intéressant, en ce qui concerne le renouvelable, de fixer des objectifs « zéro carbone » aux régions et de maintenir au niveau national le contrôle du nucléaire et de l’hydraulique. Nous avons besoin, et l’Europe également, non seulement de la quantité d’électricité produite par l’hydraulique, mais aussi et surtout de sa puissance et de son rôle de régulation par rapport aux énergies renouvelables. Les barrages forment un réseau, un système, qu’il faut mettre à disposition de ces dernières. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?

M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. S’agissant de l’Allemagne, rappelons tout d’abord les chiffres. La France dépense, chaque année, 5,5 milliards d’euros sous forme de subventions aux énergies renouvelables : l’éolien, le solaire et d’autres moins importantes. Ces dépenses sont retracées dans le fameux compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ». Contrairement à ce que croient certains et à ce que disent d’autres – malheureusement, je le crains, avec une certaine mauvaise foi –, ce n’est pas la facture d’électricité des Français qui paye ces subventions. Ce fut le cas à une époque, lorsque la fameuse contribution au service public de l’électricité (CSPE) finançait diverses actions, d’abord et avant tout la péréquation tarifaire sur le territoire national, y compris outre-mer. Mais cette contribution est désormais une taxe comme une autre qui alimente le budget général de l’État. En revanche, le produit de la taxe carbone – je le précise à l’intention de ceux qui se demandent ce que deviennent les sommes d’argent collectées sur les carburants ou les énergies fossiles – est consacré, pour une part, au soutien des énergies renouvelables. À ce propos, peut-être ceux qui liront le compte rendu de notre discussion s’étonneront-ils de constater que les crédits inscrits dans le budget s’élèvent en fait à 7,3 milliards d’euros, et non à 5,5 milliards, comme je viens de l’indiquer. Cette différence correspond à une dette de 1,8 milliard envers EDF, qui n’a pas été réglée par le passé et que nous remboursons ; ces remboursements arriveront, du reste, bientôt à échéance.

Le montant de ces crédits, soit actuellement 5,5 milliards d’euros, va augmenter car, tant que le solaire et l’éolien ne sont pas encore tout à fait au prix de marché, ils seront subventionnés. S’agissant de l’éolien offshore marin, par exemple, le mégawattheure est aux alentours de 130 euros alors qu’il est à 60 euros sur le marché. Cependant, le développement de ces énergies nécessite de moins en moins de subventions, car les coûts de production du solaire et de l’éolien ont beaucoup baissé ces dernières années et se rapprochent peu ou prou, selon les régions et le rendement, des prix de marché.

Mais l’Allemagne dépense, quant à elle, 25 milliards d’euros par an ! Si elle a atteint davantage d’objectifs que nous en matière d’énergies renouvelables, ce n’est donc pas uniquement grâce à une plus grande acceptabilité sociale. Ces performances sont le fruit d’une volonté politique qui se traduit dans le budget allemand. Cette politique a, du reste, produit des résultats, puisque l’Allemagne est l’un des pays d’Europe dans lesquels la part des énergies renouvelables est la plus importante. J’ajoute que, contrairement à ce que croient beaucoup, elle est engagée dans la sortie non seulement du nucléaire, mais aussi du charbon. Or, dans ce dernier cas, une commission ad hoc a prévu une dépense de 2 milliards d’euros pendant vingt ans, soit 40 milliards d’euros pour accompagner la sortie du charbon. Il s’agit, je le répète, de dépenses publiques.

Par ailleurs, je veux dire qu’il y a une force européenne. Certains critiquent la politique européenne de l’énergie au motif qu’elle aurait pour objectif de créer un marché européen de l’énergie. Pour ma part, je considère, et je l’assume, que c’est une excellente chose, dans la mesure où il existe une volonté forte de l’Union européenne de développer, en les subventionnant, les interconnexions. C’est une bonne chose notamment pour la France, dont la position géographique est extrêmement avantageuse puisqu’elle nous permet d’avoir une interconnexion avec la Grande-Bretagne, avec l’Allemagne, avec la Suisse – qui n’est pas membre de l’Union européenne –, avec l’Italie et avec l’Espagne. Deux projets sont en cours de réalisation – l’un avec la Grande-Bretagne, l’autre avec l’Italie – et trois autres sont bien avancés : le premier avec l’Espagne – l’interconnexion se fera par la mer, afin d’éviter les problèmes liés à la traversée des Pyrénées –, le deuxième avec le Royaume-Uni, en utilisant le tunnel sous la Manche, et le troisième avec l’Irlande, où je me rendrai à la fin de cette semaine pour signer une convention à ce sujet. L’Irlande, anticipant le « Brexit », veut en effet être interconnectée au marché européen pour ne plus dépendre de son voisin britannique. Ce projet important est subventionné par l’Union européenne.

Je regrette que celle-ci n’aille pas plus loin dans la coordination des politiques en matière de production. Pour l’instant, on considère qu’elles relèvent de la souveraineté des États. Or, chacun d’entre eux a, certes, des objectifs en matière de climat ou de développement des énergies renouvelables, mais ils sont très globaux et ne sont pas coordonnés. Cela peut créer des difficultés en Europe ; déjà, certains pays rencontrent des problèmes, notamment le Royaume-Uni. La Belgique, qui était en grande difficulté l’hiver dernier, a appelé ses voisins à l’aide parce que cinq de ses sept centrales nucléaires étaient à l’arrêt pour des raisons de sécurité – centrales qui sont, je le précise, un tout petit peu plus âgées que les centrales françaises. Il faut donc anticiper. Et lorsque je dis qu’il ne faut pas être dépendant d’un mode de production dominant, ce n’est pas une clause de style. La Belgique a d’autres problèmes : par exemple, elle n’a pas d’interconnexion directe avec l’Allemagne, de sorte qu’elle est obligée de passer par les Pays-Bas. Il se trouve que, pour la France, c’est plutôt un atout, car elle a des capacités de production – nucléaire, hydroélectrique et, demain, renouvelable – plus fortes qui lui permettront de jouer un rôle assez important sur le marché européen de l’énergie et d’être plutôt excédentaire vis-à-vis de ses voisins – même si, pour l’instant, ce n’est pas tout à fait le cas avec l’Allemagne.

Quant aux barrages, vous l’avez dit, ils sont intégrés dans un système – je peux parfaitement souscrire à ce propos. Mais on ne peut pas tout avoir. La Commission européenne veille à éviter tout abus de position dominante. Or, en France, EDF est en position dominante, tant sur la production d’électricité en général – elle détient la quasi-totalité des moyens de production, en particulier dans le secteur de l’hydroélectricité – que sur le marché des consommateurs finaux, notamment des particuliers. Dans un tel cas, l’Union applique des règles assez claires, qui peuvent aller jusqu’à la séparation des activités. Ainsi, ses activités de réseau et ses activités de production sont séparées, même si, aujourd’hui, elles restent intégrées dans le même groupe. En effet, notre politique est de maintenir un groupe EDF intégré. Cela va donc conduire à un certain nombre de modifications de l’organisation d’EDF pour avoir le maximum de garanties, si l’on veut maintenir les barrages hydroélectriques dans le giron public, mais aussi de clarté dans les comptes, pour éviter des avantages liés à une position historiquement dominante qui ne seraient plus souhaités si l’on veut que les consommateurs puissent bénéficier de la concurrence.

Je conclus en ajoutant qu’une autre politique, qui n’a été souhaitée par aucun gouvernement, de gauche comme de droite, aurait consisté à couper EDF en morceaux. Cela n’a pas été voulu par le passé, et nous ne le voulons pas aujourd’hui. Mais il faut accepter de donner des garanties aux autres investisseurs dans le secteur de l’énergie, notamment de l’électricité.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Merci beaucoup, monsieur le ministre d’État, pour ce tour d’horizon très complet. J’ajouterai deux petites remarques. J’ai bien noté votre volonté d’étudier de près la question du suréquipement des ouvrages et de la transposition de 2016 de la directive « concessions ». Des dossiers sont en attente dans vos services, et ce serait une solution pour impulser une dynamique. Vous ne serez pas étonné que je regrette votre choix concernant le décret relatif à la « redevance » applicable aux concessions en délais glissants. Il me semble qu’entre une mesure « trop favorable », celle que nous proposions, et une mesure, nous semble-t-il, « trop confiscatoire », celle que vous proposiez, il y avait un chemin de la raison. Je regrette également que l’avis du Conseil supérieur de l’énergie (CSE) n’ait pas pesé dans votre décision, même si vous avez tout à fait le droit de ne pas le suivre. Enfin, sur la question du 100 % public, vous ne serez pas étonné que je souscrive à votre proposition, puisque j’avais fait la même suggestion en 2013.

M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Cela aura des conséquences sur l’organisation !

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Mais il faut, vous avez raison, étudier tout cela de près, car nous devons conserver la richesse du système intégré. C’est un exercice difficile, mais je pense qu’une volonté politique partagée devrait nous permettre d’y parvenir.

L’audition s’achève à dix-sept heures quarante-cinq.

 

 

 

 


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2.   Jeudi 13 juin 2019 : Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.

L’audition débute à neuf heures dix.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, dans le cadre de cette mission d’information relative aux freins à la transition énergétique – une mission qui touche à son terme, puisque M. le rapporteur va rendre son rapport dans une dizaine de jours, le 24 juin.

Tout au long de cette mission, nous nous sommes efforcés d’identifier les freins à une transition énergétique efficace, qui sont nombreux et portent sur des domaines variés. À l’heure où le projet de loi relatif à l’énergie et au climat a commencé à être examiné en commission du développement durable, et le sera par la commission des affaires économiques la semaine prochaine, avant d’arriver en séance publique, nous souhaitons savoir dans quel état d’esprit vous abordez les discussions de ce projet de loi, et dans quelle mesure nous pourrions profiter de ce véhicule législatif pour lever une partie des freins que nous avons identifiés.

Nous avons auditionné plus de 130 personnes, nous avons effectué des déplacements au Danemark, à Bruxelles et à Berlin, afin de voir comment font les autres pays pour mettre en œuvre la transition énergétique et de porter un regard sur l’acceptation sociale dont elle fait l’objet, ce qui a été l’occasion de constater que nous n’avons pas forcément les mêmes pratiques que nos voisins. Il paraît souhaitable de faire des efforts en France pour clarifier la vision du mix énergétique et de la gouvernance dans ce domaine, ainsi que pour améliorer l’acceptabilité sociale et pour réduire les délais liés aux nombreuses études d’impact nécessaires – sans doute ces études pourraient-elles être davantage effectuées en parallèle afin de perdre moins de temps.

M. le rapporteur va maintenant nous rappeler les grands thèmes abordés dans le cadre de cette mission, ainsi que ses enjeux. Vous aurez ensuite la parole pour un exposé liminaire, madame la secrétaire d’État, avant que nous ne procédions à un échange de questions et réponses avec les députés présents.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai très bref.

Nous avons reçu énormément de sollicitations, ce qui nous a incités à ouvrir une consultation internet, dans le cadre de laquelle nous avons recueilli 5 000 contributions et 21 000 votes.

Pour ce qui est du cadre de la mission, nous avons dès le début organisé nos discussions autour de sept thèmes.

Le premier thème était le manque de vision sur les mix de consommation, d’utilisation et de production, qui fait que nous avons du mal à savoir ce que sera le paysage énergétique de la France dans dix ans, dans vingt ans et dans trente ans.

Le deuxième thème était assez classique, puisqu’il s’agissait du développement de toutes les filières d’énergies renouvelables.

Le troisième thème était celui des économies d’énergie et de l’efficacité énergétique.

Le quatrième thème était celui de la mobilité.

Le cinquième thème portait sur la capacité des grands groupes de l’énergie à se transformer – en d’autres termes, comment ils se voient dans vingt ou trente ans.

Le sixième était celui de la capacité des territoires à prendre en compte cette transition, qui devrait correspondre à un schéma où on produit localement et on consomme localement.

Enfin, le septième et dernier thème était évidemment celui du financement et de la fiscalité.

Présidence de M. Julien Dive, président de la mission d’information

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je rappellerai au préalable que nous agissons dans le cadre du plan climat, qui place la France parmi les trois pays européens les plus ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, si notre action vise la transition écologique et énergétique, à la fois dans son enjeu économique, technologique et en termes de filières, comme vous l’avez rappelé, nous nous efforçons évidemment de ne pas perdre de vue l’enjeu social, l’accompagnement des territoires, et en particulier celui des ménages en situation de précarité.

L’un de nos objectifs est de travailler le plus possible avec les acteurs des différentes filières de la transition énergétique pour se donner des objectifs les plus clairs et les plus précis possibles, ainsi que la feuille de route pour les atteindre. Priorité est évidemment donnée aux économies d’énergie et à la réduction des énergies fossiles. Pour ce qui est des énergies renouvelables (EnR), un effort particulier est réalisé sur les filières déjà compétitives ou proches de l’être, c’est-à-dire la chaleur renouvelable, le solaire et l’éolien. Par ailleurs, nous assistons à l’émergence des filières nouvelles que sont l’éolien en mer, le biogaz et le froid renouvelable.

Les moyens mis en œuvre sont très significatifs. Ainsi, pour l’électricité renouvelable, le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui sera prochainement adopté – en même temps que la loi relative à l’énergie et au climat – prévoit 5 à 8 milliards d’euros de dépenses annuelles, avec des calendriers d’appels d’offres précis, à la fois pour les ENR électriques et pour le biogaz. Le fonds chaleur, qui était doté de 200 à 250 millions d’euros, a été porté à 307 millions d’euros et atteindra 350 millions d’euros en 2020. Globalement, sur la période de la PPE, il y aura 30 milliards d’euros de nouveaux engagements pour les ENR électriques et 8 milliards d’euros sur le gaz renouvelable. Enfin, il me paraît important de souligner que la filière arrive progressivement à maturité, puisque les nouveaux projets d’électricité renouvelable seront près de dix fois plus compétitifs que les projets disponibles quand nous avons commencé à soutenir cette filière.

Nous travaillons beaucoup avec les parties prenantes de chaque filière, afin d’essayer de trouver les mesures les plus concrètes et les plus opérationnelles. Intervenant à la suite de Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot, j’ai repris les groupes de travail existants sur l’éolien, sur le photovoltaïque et sur la méthanisation, et j’en ai moi-même créé un récemment sur les réseaux de chaleur et de froid renouvelable. Tout ce travail a abouti à la constitution d’un plan de libération des énergies renouvelables présenté au premier semestre dernier et comprenant dix mesures opérationnelles pour l’éolien, quinze propositions pour la méthanisation, et une quarantaine de propositions pour le solaire ; quant aux mesures relatives aux réseaux de chaleur et de froid, elles sont en cours de construction avec les acteurs concernés, notre objectif étant de les consolider avant la trêve estivale.

Pour ce qui est de la rénovation visant à l’amélioration de l’efficacité énergétique, qui est aussi un sujet très important, nous avons déjà mis en œuvre un nombre assez significatif d’actions, qu’il s’agisse de l’accélération de la mobilisation des certificats d’économie d’énergie ou du plan de rénovation énergétique du bâtiment, et nous sommes en train de travailler au renforcement de cette mobilisation, en particulier pour les passoires thermiques et pour la lutte contre la précarité énergétique. C’est là typiquement un sujet qui pourra donner lieu à des amendements et à des actions concrètes dans le cadre de la loi énergie-climat qui sera en discussion en commission des affaires économiques la semaine prochaine après son examen par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire saisie pour avis – nous avons l’intention de proposer des mesures particulières pour l’immobilier de l’État et les bâtiments des collectivités territoriales – et, par ailleurs, nous allons travailler en étroite concertation avec les collectivités territoriales dans le cadre de la mobilisation nationale pour l’emploi et la transition écologique et numérique lancée par le Premier ministre.

Les territoires jouent un rôle absolument essentiel dans les actions de transformation énergétique et, plus largement, écologique. La transformation énergétique et écologique se fait d’abord grâce à l’impulsion nationale donnée par l’État à la fois sur les normes, sur les financements et sur la vision. Elle se fait ensuite avec les collectivités territoriales, qui sont à la manœuvre pour faire aboutir les projets. Enfin, elle se fait avec les citoyens : l’un des enseignements du grand débat, c’est que, même s’ils sont parfois un peu compliqués, les sujets de la transformation énergétique et écologique ne concernent pas que les techniciens, et qu’en la matière nous avons vraiment besoin de partager la vision, les enjeux et les actions avec nos concitoyens. De ce point de vue, je trouve très intéressante l’idée d’une consultation telle que vous l’avez réalisée, dont vous parliez en introduction.

Notre objectif est de trouver la bonne articulation entre les dispositifs nationaux – à savoir la PPE et, plus globalement, la stratégie nationale bas carbone – et ceux relevant d’une gouvernance locale – c’est-à-dire les grands outils de planification des collectivités que sont les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) pour les régions et les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) pour les collectivités. Nous allons approfondir le travail visant à la mise en cohérence des différents dispositifs.

Les contrats de transition écologique – lancés par Sébastien Lecornu, et que je m’efforce actuellement de développer – constituent l’un des principaux outils du ministère. Nous avons pour le moment dix-neuf territoires en cours d’expérimentation. Une petite dizaine de contrats a été signée ou est en cours de signature, mais nous avons surtout lancé un nouvel appel à manifestation d’intérêt, avec plus de 120 territoires qui se sont déclarés candidats, et nous espérons en retenir 40, voire davantage si les dossiers le permettent.

Dans tous les cas, ces contrats de transition écologique sont une démarche de co-construction à partir d’un projet de territoire. Il ne s’agit pas d’imposer à un territoire de travailler sur tel ou tel sujet, mais de demander aux communes, aux communautés de communes, aux communautés d’agglomération et parfois même aux départements – c’est le cas pour la Corrèze, avec qui je vais signer un contrat demain – sur quels sujets ils ont envie de travailler, en fonction de l’ADN du territoire. Ces projets de développement économique et écologique peuvent porter sur l’énergie, sur la transition agricole, en matière de transport ou de nouveaux modes de vie – je pense par exemple au développement des tiers-lieux.

Une fois que le projet est à peu près défini, les collectivités, l’État et les acteurs de l’État – je pense à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), mais aussi à la Banque des territoires – travaillent ensemble pour rendre les projets possibles dans le double volet ingénierie et mobilisation des financements de droit commun. La question qui se pose à nous maintenant est de savoir comment ces contrats peuvent trouver toute leur place dans des stratégies associant niveau intercommunal et niveau régional, et dans une contractualisation avec l’État simplifiée.

L’un des enjeux de la mobilisation territoriale lancée par le Premier ministre consiste à trouver l’articulation entre ces contrats et la vision industrielle, ainsi que la vision d’innovation – avec l’appel à projets qui a été lancé pour les territoires d’innovation. Plus globalement, il s’agit de savoir comment, pour le volet transition écologique, des contrats plus globaux pourraient être passés avec l’appui de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui va se mettre en place. En d’autres termes, nous cherchons à travailler le moins possible en silos et le plus possible en faisant des contrats le volet écologique d’une contractualisation plus globale. Ce faisant, nous devons veiller à ne jamais opposer écologie, économie et solidarité, car le projet est forcément global : c’est aussi un projet d’emplois, souvent un projet de formation et toujours un projet au service des territoires.

Nous continuons également à travailler sur des points très précis constituant des freins à lever. Je voudrais d’abord évoquer la réhabilitation des friches, un sujet qui est revenu très fréquemment dans le cadre du grand débat. Le sort des friches, industrielles ou autres, est une question à la fois économique, écologique et souvent énergétique. Les friches sont parfois le bon endroit pour implanter du photovoltaïque. Ce sont aussi des terrains sur lesquels les acteurs locaux ont envie d’avancer, parce qu’il n’est jamais bon de laisser trop longtemps un terrain à l’état de friche. Travailler sur les friches permet de ne pas artificialiser de nouvelles terres, ce qui constitue un bel objectif à la fois en termes de lutte contre le réchauffement climatique et de protection de la biodiversité, en ce que cela permet de laisser intactes des terres agricoles ou des terres naturelles. Cela dit, la réhabilitation des friches est parfois compliquée en raison des usages antérieurs qui ont été faits du terrain concerné : en effet, certains usages industriels nécessitent parfois des opérations de dépollution qui peuvent se révéler coûteuses, ce qui implique de trouver un modèle économique adéquat. La réhabilitation des friches nous a donc paru constituer un bon sujet transversal, qui a d’ailleurs été cité explicitement par le Président de la République lors du dernier conseil de défense écologique.

Un groupe de travail sur cette question a été lancé il y a quelques jours, avec des associations de collectivités territoriales, des associations environnementales, des aménageurs publics et privés, ainsi que les services de l’État. Les premiers échanges ont mis en évidence à la fois une connaissance insuffisante du gisement national des friches, qui est estimé en gros à 2 400 pour l’ensemble du territoire, et une grande complexité des procédures administratives. Quatre sous-groupes de travail ont été mis en place : nous attendons leurs premières conclusions en septembre et une feuille de route opérationnelle d’ici la fin de l’année.

Je vais maintenant revenir aux énergies renouvelables, énergie par énergie. Pour le solaire, la PPE prévoit la multiplication par cinq de la puissance installée pour atteindre 40 gigawatts, ce qui va nécessiter une accélération. L’opération de mobilisation appelée « Place au soleil », lancée en juin 2018, repose sur quatre grands leviers : les installations solaires chez les particuliers – avec l’augmentation du soutien de l’État au dispositif thermo-solaire –, les installations chez les professionnels – avec l’élargissement du périmètre de l’autoconsommation collective qui vient d’être voté dans la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) –, les installations dans le monde agricole – avec le doublement du volume d’appels d’offres pour les installations solaires innovantes et l’augmentation du volume d’appels d’offres de photovoltaïque sur les petites toitures et les toits agricoles – et, globalement, les installations sur le territoire – avec l’exonération de la taxe foncière lorsque le domaine public est équipé de panneaux solaires. Des travaux spécifiques sont poursuivis, et il est tout à fait possible, et sans doute souhaitable, de faire la jonction entre ces travaux techniques et la loi énergie, afin de déterminer si quelques dispositions pourraient éventuellement trouver leur place dans cette loi.

En matière d’éolien terrestre et offshore, la PPE vise une production d’éolien terrestre multipliée par 2,5 pour atteindre 35 gigawatts. Le groupe de travail sur l’éolien terrestre a permis des mesures d’amélioration de l’acceptabilité des projets sur chaque territoire, notamment la réduction des flashs nocturnes, le développement du financement participatif, l’intéressement fiscal des communes d’implantation des projets, et la simplification de mesures administratives. Par ailleurs, comme vous le savez, nous avons supprimé un niveau de juridiction pour le traitement des contentieux, avec comme objectif de diviser par deux la durée de montage d’un projet d’éolien terrestre.

Sur ce sujet, la quasi-totalité des mesures annoncées a été réalisée. J’entends évidemment les préoccupations sur l’acceptabilité de l’éolien terrestre. Il me semble que tous les travaux autour du financement participatif vont dans la bonne direction et que c’est aussi par la discussion sur les territoires qu’on y arrivera – en tout cas, nous sommes prêts à continuer à travailler sur les questions d’acceptabilité.

Pour ce qui est de l’éolien offshore, la renégociation des six premiers champs d’éolien en mer permettra d’économiser 15 milliards d’euros sur l’ensemble de la durée de vie des contrats. Nous allons lancer au moins six nouveaux champs, dont deux – en Bretagne et en Méditerranée – seront flottants. Le ministère a déjà lancé le débat public pour le prochain appel d’offres éolien offshore dans la Manche, et nous sommes en fin de discussion avec la filière pour voir s’il est possible de relever un peu les objectifs de l’éolien offshore. Le Premier ministre a annoncé hier, dans son discours de politique générale, une ambition permettant d’aller à 1 gigawatt supplémentaire pour l’éolien offshore.

Enfin, en ce qui concerne le biogaz, nous avons un objectif ambitieux en volume, mais aussi une contrainte assez forte sur la baisse de coût, qui fait actuellement l’objet d’une discussion avec la filière. Évidemment, le biogaz est un sujet très important, parce que c’est à la fois une énergie renouvelable et une belle opportunité de revenus complémentaires pour les agriculteurs – en ce sens, c’est un vecteur de nature à concourir vraiment à la transition agricole. La discussion en cours avec la filière de méthanisation, qui touche à sa fin, a pour objet de chercher à infléchir un peu la trajectoire de baisse de coût inscrite dans la PPE, qui porte déjà un effort de 8 milliards d’euros au cours des dix prochaines années.

Nous travaillons aussi à la simplification de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et de la réglementation relative à la loi sur l’eau, à la baisse des coûts de raccordement des installations de méthaniseur au réseau de gaz naturel, à la facilitation de l’accès au crédit, au renforcement des démarches de qualité, à la finalisation du dispositif du droit à injection, prévu dans la loi issue des états généraux de l’alimentation, qui permettra d’accroître les possibilités d’injection. Par ailleurs, le projet de loi d’orientation sur les mobilités prévoit de créer un dispositif de soutien au biogaz non injecté, par exemple celui qui est utilisé comme gaz naturel pour les véhicules.

Enfin, nous visons 34 % à 38 % de chaleur renouvelable en 2030, dont 15 % de chaleur renouvelable dans le neuf en 2020, avec l’augmentation que j’ai évoquée tout à l’heure des crédits accordés au fonds chaleur, et une simplification des règles du fonds chaleur. Pour aller au-delà du simple soutien par le fonds chaleur, j’ai lancé le groupe de travail sur les réseaux de chaleur et de froid que j’ai évoqué précédemment, qui s’est déjà réuni en mars et en mai, et dont nous attendons une vingtaine de pistes de propositions, en cours de co-construction, pour la fin juillet.

Au terme de ce panorama un peu rapide, axé sur la dimension territoriale et sur la dimension « filières », je veux insister sur le fait que nous travaillons à la fois sur la vision, avec les volumes et les montants financiers, et sur les freins opérationnels et la contractualisation territoriale, afin que la vision soit soutenue par des moyens, que les leviers techniques puissent être actionnés, et que nous puissions ainsi atteindre les objectifs de la PPE que nous nous sommes collectivement fixés.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame la secrétaire d’État, je voudrais commencer par évoquer la notion de vision. Aujourd’hui, quand on parcourt la synthèse de la PPE, la première chose qui saute aux yeux est son manque de lisibilité. Depuis que notre mission a commencé ses travaux, il y a neuf mois, j’ai passé beaucoup de temps à lire cette synthèse de PPE, ce qui est très compliqué car il est question tantôt de production d’énergie, tantôt de consommation, et les unités utilisées ne sont jamais les mêmes ! Moi qui suis ingénieur de formation, je peux vous dire que je suis obligé d’avoir constamment à disposition un fichier Excel qui me permet de convertir facilement les unités afin de pouvoir disposer d’une vision globale des choses…

Je rappelle que l’un de nos sept thèmes est la capacité des grands groupes à se transformer et à s’imaginer dans vingt ou trente ans. D’un point de vue stratégique, la PPE ne devrait pas raisonner uniquement en termes de production d’énergie, mais aussi de consommation. Aujourd’hui, on consomme 1 800 térawattheures (TWh). Du point de vue des utilisateurs, l’origine de l’énergie consommée se répartit ainsi : plus de 60 % d’énergies fossiles, 20 % d’énergie nucléaire et 20 % d’énergies renouvelables.

Si on demande aujourd’hui à nos concitoyens quelle est la proportion d’énergie nucléaire dans notre mix, certains vont dire 70 % parce que c’est 70 % de l’énergie électrique produite, d’autres vont dire 40 %, parce que c’est 40 % de l’énergie produite. Or, l’énergie consommée n’est en fait qu’à 20 % d’origine nucléaire.

Ce que je veux dire, c’est que le manque de clarté sur ce sujet a pour conséquence de faire dériver la discussion sur le nucléaire, ce qui n’est pas grave en soi – je n’ai pas de problème avec l’objectif de 50 % de production d’électricité nucléaire –, mais nous fait perdre de vue un autre objectif, consistant à faire disparaître 60 % d’énergies fossiles et à les remplacer par autre chose.

En analysant les données dont on dispose, on se rend compte que, sur les 1 800 TWh consommés, 270 TWh sont dédiés à la mobilité. Si l’objectif était que tous les véhicules particuliers roulent à l’électricité – ce qui n’est pas le cas –, il nous faudrait ajouter 250 TWh aux 450 TWh actuellement produits, ce qui ferait 700 TWh.

Le mix actuel, comprenant les réacteurs nucléaires, ne permet de produire que 50 % de ce besoin, ce qui signifie que l’augmentation à venir de la consommation d’électricité va rendre impossible une réduction du nombre de réacteurs nucléaires.

Mon objectif n’est pas d’aligner les chiffres, mais d’essayer d’avoir une idée de ce que sera le mix de consommation à différents horizons – en 2035, en 2050, etc. – et de la façon dont nous voulons organiser l’énergie consommée. Un TWh d’électricité produite par le nucléaire, ce n’est pas la même chose qu’un TWh produit par l’éolien ou par le solaire. J’estime qu’en l’état actuel des choses, la PPE ne permet pas aux Français de voir facilement où nous allons et ce dont nous avons besoin – et je suis également assez frustré par le projet de loi énergie-climat, comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission du développement durable.

Pour réussir une transition, il faut trois choses. Premièrement, il faut savoir pourquoi on change. Sur ce point, il n’y a aucun problème : quand on voit le résultat des élections et quand on voit les jeunes qui sont dans la rue, on sait pourquoi on change !

Deuxièmement, il faut savoir où on va, et là aussi, nous avons fait du bon boulot, notamment avec les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050.

Troisièmement, il faut savoir comment on y va, et c’est là que, de mon point de vue, il nous manque quelque chose. Toutes les mesures que vous avez énoncées sont très bien, madame la secrétaire d’État, mais il nous manque un certain niveau de détail indiquant de combien d’énergie nous allons avoir besoin, quel est le chemin pour y arriver, combien de temps cela va nous prendre, et quelles économies nous allons pouvoir réaliser. À mon sens, tous ces renseignements nous font défaut – aussi bien dans la PPE que dans le projet de loi – et c’est ce que je voulais vous dire aujourd’hui, au terme de ces neuf mois de travail.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. J’aime bien votre façon de présenter les choses au moyen de ce triptyque – pourquoi on change, où on va et comment on y va – et je vous rejoins pour dire qu’on sait très bien pourquoi on change, même si cette première question n’est en fait pas si simple que ça. Vous avez raison de souligner qu’on parle peut-être un peu trop du mix électrique alors qu’on devrait s’intéresser davantage à la consommation globale d’énergie. Le mix électrique est un concept important, mais qui conduit très vite à évoquer la part du nucléaire – or, si on cherche à réduire la part du nucléaire, ça n’est pas pour réduire les gaz à effet de serre puisque, par définition, le nucléaire n’en émet pas.

Si nous devons changer, c’est aussi et surtout parce que notre modèle de consommation énergétique n’est pas adapté aux grands enjeux environnementaux : nous consommons trop d’électricité globalement, mais aussi trop d’électricité provenant d’énergies fossiles : nous devons donc changer pour aller vers un autre modèle de production. En fait, comme l’a très bien dit le Premier ministre hier et comme le dit très régulièrement le Président de la République, c’est un nouveau modèle économique que nous cherchons à construire. Notre modèle de croissance économique a trop longtemps considéré que les sujets d’externalités environnementales n’étaient finalement pas très importants, et nous devons aujourd’hui inventer un nouveau modèle économique, dans lequel on sait produire, consommer et vivre différemment, en respectant la planète et en n’épuisant pas ses ressources, tous types de ressources confondus.

Je suis d’accord aussi quand vous dites que les choses sont claires pour ce qui est de savoir où on va : on a une ambition « zéro émission nette de carbone » en 2050, inscrite dans l’accord de Paris, et que l’on retrouve à l’article 1er du projet de loi climat-énergie. Sur ce point, il y a des débats sans fin car, dès qu’on évoque un objectif en net, cela implique l’idée d’une certaine compensation, ce qui conduit certains à craindre que l’on réduise moins pour compenser davantage. Or, on passe d’une division par quatre à une division par au moins six de la consommation d’énergies fossiles : l’objectif est donc très clair !

Pour ce qui est du reste, ce sera techniquement de la compensation – nationale, je le précise, car il n’est pas question de déplacer le problème en allant faire de la compensation ailleurs. En la matière, le secteur agricole va être amené à jouer un grand rôle, ce qui est une bonne chose, car ce n’est pas le secteur qui a été le plus mis en valeur dans les périodes précédentes. Si le secteur agricole est partiellement à l’origine du problème – il est émetteur de gaz à effet de serre, notamment du fait de l’élevage – il fait aussi partie de la solution, parce qu’il peut massivement séquestrer du carbone, comme le secteur forestier, et nous nous efforçons de trouver des moyens de développer cette capacité-là. Pour ce qui est de savoir où on va, la cible à moyen terme est donc claire, très ambitieuse et cohérente avec l’accord de Paris.

Enfin, en ce qui concerne la façon d’atteindre notre objectif, je partage votre constat mais je vous trouve un peu dur : selon moi, la PPE donne quand même les grands équilibres et explique bien qu’un travail sur la consommation elle-même est accompli dans tous les secteurs – les transports, le bâtiment, l’agriculture, l’industrie et le mix énergétique.

Cela dit, c’est vrai que la PPE est pleine de chiffres, qu’il y est question tantôt de consommation primaire, tantôt de consommation finale, et à la fois de consommation et de production, ce qui fait qu’on a parfois du mal à s’y retrouver. Je veux tout de même saluer l’énorme travail qui a été fait par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) – j’en profite pour remercier Virginie Schwarz, qui est à mes côtés – pour réaliser une synthèse courte et claire de la PPE qui, je le rappelle, est à l’origine un document de plusieurs centaines de pages.

Peut-être faut-il envisager de faire maintenant une synthèse de la synthèse, en simplifiant encore pour obtenir un document de deux pages en entonnoir, comme vous le proposez, faisant apparaître la totalité de la consommation par grands secteurs et l’impact qui en résulte. Une telle démarche est compliquée à réaliser car, en la matière, nous avons affaire à des vases communicants : si on décarbone les transports, on aura plus d’électricité dans la consommation d’énergie dédiée aux transports, ce qui va nous ramener à la production électrique, etc.

Il doit cependant être possible de faire encore mieux en matière de simplification et d’explicitation des efforts, ce qui va d’ailleurs nous faire revenir aux fondamentaux. En l’occurrence, il faut décarboner les transports, car c’est là qu’on utilise le plus d’énergies fossiles – ce qui implique de redéfinir la place de la voiture, mais aussi la voiture elle-même. Il faut également décarboner le bâtiment et, comme l’a dit le Premier ministre, passer à la vitesse supérieure sur la rénovation des bâtiments, y compris des bâtiments publics – aussi bien ceux de l’État que ceux des collectivités territoriales – et du tertiaire. Sur ce dernier point, le décret tertiaire, attendu depuis très longtemps, va bientôt venir poser l’obligation de réduction de la consommation dans les bâtiments tertiaires. J’ai évoqué cette question très récemment avec la DGEC et je sais que les choses avancent, puisque le décret est actuellement au Conseil d’État. Enfin, il faut aussi réduire la consommation dans les logements, qu’il s’agisse du logement social, du logement privé, des copropriétés, etc.

Nous pouvons probablement aller plus loin dans la simplification pour rendre notre vision encore plus lisible. En commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, nous avons comparé les objectifs législatifs et ceux de la PPE qui est réglementaire. Rappelons que la PPE est réglementaire parce que le législateur – celui de la législature précédente – l’a voulue ainsi. L’ambition se lit dans la somme des textes : la loi de transition énergétique, les modifications apportées par la loi énergie et la PPE. J’accepte tout à fait l’invitation à aller vers un discours encore plus simple qui permette à chacun de comprendre quelle est sa place dans la transition, en tant que citoyen, en tant qu’usager et acteur des transports, en tant qu’habitant d’un logement, etc.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci madame la secrétaire d’État, c'est rassurant. Si nous avons un message plus simple, les parlementaires que nous sommes pourront s’en emparer et embarquer tout le monde dans cette direction. Nous devons aussi débattre au Parlement de toutes les questions qui se poseront alors en cascade, notamment sur la part que doivent représenter l’éolien et le photovoltaïque et sur les lieux d’implantation des installations.

Je passe maintenant la parole à notre collègue Nathalie Sarles qui est rapporteure pour avis de notre commission sur le projet de loi relatif à l’énergie et au climat.

Mme Nathalie Sarles. Madame la secrétaire d’État, à partir de ce texte qui est maintenant sur la table, il nous importe de raconter une histoire qui soit compréhensible et crédible pour nos concitoyens. Je vous avoue que nous avons eu un peu de mal à le faire jusqu’à présent parce que ce projet de loi prend les choses de façon morcelée en résolvant des questions techniques, ce qui fait que le principal sujet – l'article 1er qui pose le cadre – est un peu noyé dans la masse d’objectifs de production que personne ne peut comprendre.

Même si je ne suis que rapporteur pour avis, j’essaie de travailler dans ce sens : faire un récit accessible dans lequel nos concitoyens et aussi les territoires peuvent se retrouver en tant qu’acteurs de la transition écologique. Nous avons essayé de lister les sujets clés qui ont été soulevés lors de la mission que nous avons menée pendant neuf mois. Nombre d’entre eux étaient plus d’ordre réglementaire que législatif et il est toujours difficile d'articuler les travaux effectués dans cette commission et les amendements proposés.

Vous avez évoqué l'articulation avec les territoires par le biais des SRADDET et des PCAET. C’est un sujet que nous avons tordu dans tous les sens sans vraiment trouver la solution si ce n'est celle de passer par les travaux du Haut Conseil pour le climat. Je ne reviens pas sur la simplification dont vous avez parlé. Nous avons essayé d'introduire le sujet du logement et nous avons bien fait si j’en juge par le discours de politique générale du Premier ministre ou par les déclarations de Pascal Canfin. C’est un domaine qui nous permettra de donner du sens pour nos concitoyens. Nous devons cependant veiller à éviter les mesures punitives et à privilégier des mesures proactives : nos concitoyens doivent se sentir acteurs de cette transition par la façon dont nous les accompagnons. La question des mobilités est essentielle mais celle du logement est vraiment très concrète pour nos concitoyens et ils doivent pouvoir s’en saisir.

Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat ne traite pas de la méthanisation alors que les agriculteurs attendent des dispositions en la matière, qu’il faudrait peut-être introduire par le biais d’amendements. En tout cas, il faut donner un sens à ce texte pour le monde agricole. Nous nous sommes aussi intéressés aux réseaux de chaleur, à la manière dont il est possible de les privilégier comme sources d’énergie renouvelable et d’impliquer nos concitoyens dans des réseaux de collectivités.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison : nous devons réussir à mieux « raconter cette histoire ». C’est la bonne manière de le dire. Mais l'histoire que nous voulons raconter couvre la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, le texte en préparation qui rénove certains objectifs, et la PPE qui fixe des objectifs précisément chiffrés. L’histoire couvre donc toute cette vision dont nous parlions. Nous devons la raconter de la manière la plus claire et synthétique possible et, pour ce faire, nous devons améliorer rapidement notre capacité à simplifier.

Vous avez aussi raison de dire que les freins sont surtout réglementaires. C’est tout le travail des groupes qui existent sur le solaire, l'éolien, la méthanisation, les réseaux de chaleur et de froid. Un autre groupe pourrait d’ailleurs être créé sur la mobilisation de la biomasse, sujet transversal important qui se situe un peu en amont des réseaux de chaleur. Tous ces groupes proposent en général des mesures qui sont plutôt d’ordre réglementaire. C'est le rôle du Gouvernement de s'assurer que les propositions sont claires, qu'elles sont reprises, et de suivre la sortie des décrets. Il y a un quelques mesures législatives mais, finalement, peu nombreuses.

À mon avis, il ne faut pas se dire que l'introduction d'amendements dans le projet de loi relatif à l’énergie et au climat est la bonne manière de donner de la visibilité et une réponse à tous ces secteurs. Ceux-ci sont importants et ils contribuent tous à la transition énergétique, que ce soit le biogaz, la biomasse, les réseaux de chaleur, la géothermie et autres. Ils ont leur place dans la PPE mais on ne va pas réintroduire la PPE par morceaux dans le projet de loi. Il faut trouver le point d'équilibre car tout n’est pas législatif.

Quant à la rénovation de bâtiment, nous nous accordons tous à penser que c’est l’une des actions potentiellement les plus puissantes car elle contribue fortement à la décarbonation tout en ayant des effets sur la qualité de vie et le pouvoir d'achat de tous les ménages, en particulier de ceux qui sont les plus modestes et qui vivent souvent dans des passoires thermiques. La rénovation de bâtiment devrait donc être une priorité. Il reste à trouver le bon équilibre entre des mesures incitatives et des signaux donnés au marché pour s'adapter.

Pour résumer, il y aura beaucoup de mesures réglementaires et organisationnelles consistant à mettre de l'huile dans les rouages du système. Il y aura un peu de législatif et notamment des mesures pour simplifier la prise de décision dans les copropriétés, dans le cadre d’une habilitation à légiférer par ordonnances qui découle de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). L’idée est d’obtenir des résultats le plus rapidement possible.

M. le président Julien Dive. Madame la secrétaire d’État, j’aimerais revenir sur le modèle économique que nous devons inventer dans un contexte de transition énergétique visant à la neutralité carbone à l'horizon 2050. Il ne faudrait pas oublier toutes les opportunités économiques qui se présentent à nous.

Prenons l’exemple du photovoltaïque. Il me semble que nous avons vraiment raté le coche dans ce domaine alors qu’il offrait pourtant des opportunités que n’ont pas manqué de saisir l’Allemagne ou la Belgique, des pays où l’ensoleillement n’est pas meilleur qu’en France. Le développement du photovoltaïque est dix fois plus important en Belgique et quarante ou cinquante fois plus important en Allemagne qu'en France. C’est un exemple de rendez-vous manqué pour l’industrie de notre pays.

Prenons maintenant l’exemple de la mobilité. J’ai l’impression que nous sommes en train de nous enfermer quasi exclusivement dans une mobilité électrique, au risque d'oublier d'autres opportunités comme les biocarburants. Nous avons quelques évolutions par petites touches dans le projet de loi de finances ou dans le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) autour des biocarburants. Je pense notamment au flex-fuel. Des constructeurs français vendent ces technologies à l’étranger, notamment dans des pays d’Amérique du Sud comme le Brésil, mais pas en France. On oublie tout un pan de développement économique qui offrirait des débouchés à l'industrie automobile mais aussi, en amont, à l’agriculture.

L’agriculture a un rôle essentiel à jouer, notamment dans le stockage de carbone, dites-vous. Je suis entièrement d'accord avec vous. Je pense néanmoins qu’il ne faut pas tomber dans une caricature et qu’il faut faire très attention dans ce domaine. Avec deux co-rapporteurs, Jean-Luc Fugit et Jean-Baptiste Moreau, j’anime une mission d'information de trois ans sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate en France. Nous avons mené de nombreuses auditions et nous avons effectué des déplacements, notamment dans mon département de l’Aisne.

De nombreux agriculteurs nous disent qu’ils pratiquent l’agriculture de conservation des sols, c'est-à-dire le non-labour. Cette technique permet de réduire l'empreinte carbone et les émissions de gaz à effet de serre puisqu’elle limite les allées et venues de tracteurs fonctionnant au fioul rouge. Le fait de ne plus retourner la terre depuis des années permet aussi de stocker l'énergie. Ce sont néanmoins des fermes destinées à produire, par exemple, des céréales.

Les agriculteurs expliquent qu’ils sont parfois obligés d’utiliser des herbicides pour éviter une concurrence entre les végétaux et éliminer les adventices. Ils ont compris qu’ils allaient devoir se passer du glyphosate mais ils se demandent comment ils vont faire. Les chimistes n’ont pas sorti un autre produit qui serait beaucoup plus vertueux ; les solutions mécaniques ne sont pas toujours adaptées à leur territoire et aux surfaces qu’ils cultivent. Ils sont volontaires pour faire un pas, mais ils ont besoin de le faire intelligemment et d’être accompagnés. En tant qu’agriculteurs, ils ont conscience d’avoir une clef, une solution pour la réduction de l'empreinte carbone. Ils font un effort mais ils ont parfois le sentiment qu'on leur met des bâtons dans les roues.

Sans tomber dans une caricature, je dirais que les objectifs fixés dans différentes politiques peuvent être contradictoires. Nous sommes parfois schizophrènes et nous mettons en difficulté ceux qui pourraient être la solution aux problèmes que nous devons résoudre.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Cette transformation assez profonde des modes de production – industriels et agricoles – représente aussi une opportunité économique à prendre telle quelle. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) a fait des travaux sur les emplois verts. Dans une étude publiée récemment, il recense à peu près 470 000 emplois verts en France, un nombre en hausse de plus de 40 % par rapport à 2010 et qui pourrait doubler dans les années à venir. Nous devons donc saisir les opportunités, c'est la raison pour laquelle notre ministère s'est beaucoup rapproché du ministère de l'industrie. Nous travaillons avec Philippe Varin, président de France Industrie et vice-président du Conseil national de l'industrie pour que la décarbonation soit aussi abordée par les différents comités stratégiques de filière (CSF) comme une opportunité pour faire émerger des champions.

Sous l'égide de François de Rugy, nous avons signé un contrat du comité stratégique de la filière « industries des nouveaux systèmes énergétiques » avec Isabelle Kocher et Sylvie Jéhanno, respectivement présidente et vice-président de ce CSF. Isabelle Kocher est la directrice générale du groupe Engie, et Sylvie Jehanno est présidente-directrice générale de Dalkia. Signé il y a quelques jours, ce contrat est très ambitieux, y compris pour le développement de champions nationaux.

Dans le photovoltaïque, le sujet n’est pas tellement la concurrence entre la France et l’Allemagne car, en réalité, c'est la Chine qui a gagné la totalité du marché mondial des panneaux solaires, à quelques niches près. Cette expérience doit nous inciter à agir sur le droit de la concurrence communautaire avec les nouvelles instances européennes. Nous devons remettre de la valeur locale dans tous les appels d'offres, nous devons faire en sorte que ce soit possible dans le droit de la concurrence.

Le biocarburant est un sujet important mais nous devons être clairs sur les conflits d'usage de la biomasse – doit-elle servir à fabriquer des biocarburants ou du chauffage ? À un moment où la biomasse va devenir rare comme intrant, nous devons mener une vraie réflexion sur ce sujet. Les dispositifs de soutien à la décarbonation sont les plus neutres possibles sur le plan technologique. Nous soutenons tout type de dispositif dédié aux énergies renouvelables, notamment le biogaz. Il existe aussi un plan hydrogène que je n’ai pas eu le temps de mentionner. Pour les véhicules, particuliers ou lourds, nous envisageons les différentes options possibles et pas seulement l’électricité.

Dans le domaine agricole, nous avons l'opportunité de revoir assez fondamentalement le modèle à la faveur de la discussion qui s'engage sur la politique agricole commune (PAC) et son financement. C’est vraiment un moment historique. Comment voulons-nous accompagner l'agriculture et vers quoi ? C’est le moment d’y réfléchir.

S’agissant du glyphosate, le Gouvernement s'est donné un objectif : en finir avec l’utilisation de cet herbicide dans un délai de trois ans. Si cette sortie programmée a donné lieu à beaucoup de débats au moment de l'adoption de la loi issue des états généraux de l'alimentation, elle n’est pas un objectif législatif. Nous avons dit que la sortie se ferait au fur et à mesure de l’élaboration de solutions de remplacement. Vous connaissez probablement aussi bien – voire mieux – que moi tout le travail qui est effectué, filière par filière, afin de trouver des solutions de remplacement et de mener à bien cette transition. L’idée est de ne pas laisser des exploitations sans solution.

J’en viens à l'agriculture de conservation des sols. Il y a exactement deux jours, j’ai eu une discussion sur ce sujet avec Philippe Mauguin, le président-directeur général de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Je lui ai demandé comment est-ce que l'INRA travaillait à l'accompagnement de la sortie du glyphosate et, plus généralement, de la réduction de l’usage des pesticides. Rappelons que nous avons pour objectif de réduire l’utilisation des pesticides de 25 % d’ici à 2020 et de 50 % à l’horizon 2025, ce qui est également très ambitieux.

Philippe Mauguin m’a répondu que l'agriculture de conservation des sols pose un problème particulier qu’il va falloir résoudre car les agriculteurs continuent à utiliser du glyphosate en petite quantité – 10 % à 15 %. Pour sortir de l’impasse, plusieurs solutions sont envisagées : rechercher des molécules de remplacement au glyphosate ; travailler mieux sur les cultures des couverts, certaines productions ayant moins besoin d’herbicide que d’autres ; développer le griffage plutôt que le labour. Comme je ne suis pas agricultrice, je vais m'arrêter là dans la démonstration technique.

Le président-directeur général de l’INRA m’a indiqué que des expérimentations étaient en cours en Picardie avec l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (APAD). Je ne sais pas si c’est chez vous ou pas loin.

M. le président Julien Dive. Pas loin !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. C’est typiquement un cas pour lequel il faut un accompagnement à la fois technique et scientifique avec l'INRA, peut-être professionnel avec les chambres d'agriculture, afin de trouver le nouveau modèle de l'agriculture de conservation des sols qui tende vers la sortie du glyphosate à trois ans ou peut-être un peu plus.

Nous avons toujours dit que l'objectif était une sortie en masse du glyphosate en trois ans, c'est-à-dire pour les filières principales. Il restera les quelques derniers pourcents correspondant à des filières particulières ou à des types d'agriculture particuliers. Nous devons avoir une vision globale de chaque modèle agricole. Or l’agriculture de conservation des sols présente énormément de points positifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de préservation des sols, c'est-à-dire de leur capacité à stocker du carbone. Nous devons éviter qu’un objectif soit contradictoire avec un autre.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a parlé de l'hydraulique. Pour la mission, nous sommes allés au Danemark et en Allemagne. Le Danemark donne son excédent d'électricité éolienne à la Norvège qui s’en sert pour faire remonter ses barrages. Quand le Danemark n’a pas assez d’électricité, il en achète à la Norvège. En Allemagne, à certains moments de l’année, la seule énergie éolienne suffit à la consommation électrique du pays mais il n’y a aucun moyen de stockage et d’équilibrage. Quand on leur demande comment ils vont réguler leur énergie éolienne, les Allemands invoquent le réseau européen : quelque part ailleurs en Europe, un pays affichera un excédent d'électricité qu’ils pourront l'utiliser.

En France, nous avons ce qu’il faut. Le nucléaire et l'hydraulique permettent de compenser les variations de la production d’électricité éolienne et solaire. C'est vraiment un point fort. Cela étant, l’hydraulique ne va fonctionner que si l’on considère tous les grands barrages comme un seul système. Quand on entretient un barrage, il faut le vider complètement. Un autre barrage doit prendre le relais pour que nous soyons sûrs d’avoir l'énergie nécessaire. Il faut aussi travailler à la construction des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), afin d’avoir des rétentions basses et des rétentions hautes pour remonter l'eau quand on a un excédent d'électricité. Sans nouveaux barrages, nous avons encore la capacité d'augmenter la production de 30 %.

C'est un vraiment un atout pour la France. Le Premier ministre l'a reconnu dans son discours. En revanche, il a indiqué que nous respecterions la réglementation européenne, ce qui implique une mise en concurrence lors du renouvellement des concessions. La manière dont nous allons gérer cela n’est pas encore très claire dans notre esprit, alors que c’est un point essentiel dans notre futur mix électrique et que nous sommes plutôt bien placés si nous savons nous y prendre.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Le Premier ministre a reconnu très clairement l'importance de l'hydroélectricité pour le mix électrique mais aussi pour l'aménagement du territoire, des vallées, des montagnes. Il a dit qu'il n'accepterait pas le morcellement de notre hydroélectricité. Il a ainsi posé les grandes lignes des enjeux.

L'hydroélectricité est absolument indispensable dans notre mix d’énergies renouvelables. C'est d'ailleurs notre première source d'électricité renouvelable. Les STEP constituent, en effet, l'un des modes de stockage les plus simples des énergies intermittentes. Ce réseau hydraulique d'hydroélectricité joue aussi un rôle plus global en matière de protection de la nature et de gestion de l'eau. Il se trouve que j’anime la deuxième phase des Assises de l'eau. Je n’ignore pas le rôle important que jouent les barrages dans la régulation de l'eau et l’optimisation de ses usages.

Nous sommes mobilisés sur ce sujet. Il reste à réengager des discussions avec la Commission européenne pour trouver le bon point d'équilibre. Quoi qu’il en soit, je peux vous assurer de la vigilance du Gouvernement qui appréhende le système hydroélectrique dans sa globalité que ce soit dans le système de production d'énergies ou dans l'aménagement du territoire.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. J'aimerais revenir sur la biomasse. Notre président est très pointu sur les biocarburants mais de nombreuses questions restent en suspens en ce qui concerne la concurrence des usages. Dans le cadre de cette mission, nous avons essayé de quantifier : quelle biomasse est disponible sans attaquer les terres agricoles alimentaires ? La question est complexe mais nous avons besoin de visibilité pour tenir un discours clair aux agriculteurs : la biomasse doit venir des résidus de productions agricoles ou agroalimentaires.

Dans ma circonscription, certains agriculteurs m’annoncent qu’ils vont se lancer dans la méthanisation. Je suis très favorable à la méthanisation sauf s’ils me disent qu’ils vont planter du maïs pour s’en servir comme intrant. Il doit être clair dans la tête de chacun qu’il faut utiliser une certaine biomasse. Ensuite, on peut arbitrer entre biocarburants, biogaz, etc. Nous n’avons pas cette vision globale. Nous n’avons pas, non plus, progressé en ce qui concerne l'utilisation de la biomasse solide, fibreuse, pour faire les carburants de deuxième génération. Nous manquons de visibilité.

Nous avons aussi du retard, notamment par rapport aux Allemands, dans le domaine des carburants de synthèse.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Le ministère a déjà travaillé sur ce sujet. Il a produit quelques éléments dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et, surtout, il y a deux ans, dans la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse (SNMB). Nous pouvons partager ces données avec vous, même si elles sont sans doute insuffisamment précises et connues.

Nous envisagions de lancer un groupe de travail sur deux aspects : la biomasse liée à l’exploitation raisonnée des forêts et aux multiples usages du bois – énergie, meubles, construction ; la biomasse agricole et ses usages.

La PPE ferme l'usage de la biomasse pour la production d'électricité et pour la cogénération. Pour des raisons d’efficience, il vaut mieux utiliser la biomasse pour la chaleur et pour les carburants que pour la production d'énergie. C'est pourquoi nous refusons toute nouvelle tranche électrique à la biomasse, y compris dans le cadre de la reconversion des centrales à charbon. Nous pourrions faire une exception pour maintenir en activité la centrale de Cordemais dans le cas où nous en aurions besoin pour des raisons de sécurité d'approvisionnement à la marge.

Nous ne lancerons plus d'appels à projets cogénération à la biomasse car ce n’est finalement pas le meilleur usage d'une ressource rare. Nous pourrions aller plus loin dans la biomasse agricole pour la méthanisation et pour les carburants, des points que nous pouvons préciser.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci beaucoup, madame la secrétaire d’État. Nous attendions beaucoup de cet entretien et, personnellement, j’en suis très satisfait.

M. le président Julien Dive. Pouvez-vous nous dire si des parlementaires sont impliqués dans le groupe de travail sur la chaleur ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Dans tous les groupes de travail, des parlementaires sont sollicités pour faire la jonction.

M. le président Julien Dive. Nous penserons à solliciter M. le rapporteur. Merci, madame la secrétaire d’État.

 

L’audition s’achève à dix heures quinze.

 


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3.   Jeudi 27 septembre 2018 : Audition, ouverte à la presse, de M. Damien Siess, directeur stratégie et prospectives de l’Union française de l’électricité (UFE).

L’audition débute à neuf heures cinq.

Mme Véronique Riotton, présidente. Madame, monsieur, je vous remercie de votre venue.

Chers collègues, nous accueillons ce jour, pour leur audition dans le cadre de notre mission d’information relative aux freins à la transition énergétique, M. Damien Siess, directeur de la stratégie et de la prospective de l’Union française de l’électricité (UFE).

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et fera l’objet d’un compte rendu.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous vous remercions d’avoir sollicité cette audition et sommes heureux de vous rencontrer.

Les objectifs de cette mission d’information sont d’identifier les freins à la transition énergétique, de se donner une méthode et d’apporter au Gouvernement les moyens d’accélérer la transition énergétique dans son ensemble.

Dans un premier temps, nous nous focaliserons sur la production des nouvelles énergies et, dans un second, sur les économies d’énergie. Nous voulons tout à la fois examiner les aspects législatifs, réglementaires et fiscaux, mais aussi les aspects sociétaux : les freins dans la population, mais aussi les freins qui pourraient venir de grands groupes structurés sur le « monde du pétrole », si je puis dire, qui doivent aujourd’hui imaginer leur futur dans un monde différent.

Telles sont les quelques pistes que je vous livre rapidement pour vous mettre dans l’ambiance de notre mission.

M. Damien Siess, directeur de la stratégie et de la prospective de l’Union française de l’électricité (UFE). La mission est très large et ambitieuse. J’essaierai d’être relativement clair et concis dans mes propos, sans être exhaustif et en laissant du temps à la discussion.

La première question à se poser est de savoir quels retards sont d’ores et déjà enregistrés par rapport aux différents objectifs de la transition énergétique. Le retard le plus remarquable, le plus grave et le plus urgent, concerne les émissions de gaz à effet de serre, et ce pour différentes raisons.

Premièrement, il s’agit d’un objectif qui s’impose à nous : nous ne pouvons décider d’arbitrer différemment la contrainte climatique. Or, aujourd’hui, nous sommes manifestement en retard par rapport aux objectifs fixés de baisse des émissions de gaz à effet de serre en France.

Deuxièmement, en recherchant plus spécifiquement les secteurs à l’origine de ces retards, il apparaît que les secteurs les plus émetteurs sont ceux du bâtiment et des transports. Pour le dire brièvement, au cours des dix dernières années, la baisse des émissions de dioxyde de carbone (CO2) constatée en France a tenu essentiellement au secteur énergétique, et notamment aux fermetures programmées de centrales à fioul ou de centrales à charbon. La baisse a été notable également dans l’industrie, malgré les effets de crise économique qui peuvent malheureusement y être liés. Mais nous la constatons très peu dans le bâtiment et le transport, dont les émissions en 2017 ont même augmenté par rapport à 2016. Tout récemment, en s’appuyant sur les statistiques tout à fait publiques du ministère de l’environnement, des organisations non gouvernementales (ONG) ont lancé un observatoire sur les émissions de CO2, qui a mis en évidence ces retards.

Mon propos s’attachera donc plus particulièrement à ces deux secteurs : bâtiment et transports. Ce faisant, je réponds sans doute plus à votre deuxième interrogation, portant sur l’efficacité énergétique qu’à la première, relative à la production, sur laquelle nous pourrons revenir si vous le souhaitez.

Le troisième sujet que je souhaiterais évoquer, et qui constitue un frein évident, est l’accompagnement social de la transition. Il touche, en fait, plusieurs domaines.

Pour prendre un exemple très récent qui concerne l’UFE de près, j’évoquerai le cas des fermetures de centrales électriques. Dans le projet de loi de finances communiqué ce lundi, est apparu un mécanisme de compensation fiscale s’adressant aux collectivités locales dans lesquelles sont implantées des centrales électriques qui fermeraient. Il s’agit d’une forme d’accompagnement des collectivités en raison des pertes de recettes fiscales qu’elles connaîtraient. Mais il n’existe pas d’équivalent pour l’accompagnement social des entreprises et des salariés directement ou indirectement touchés par ces fermetures.

L’an dernier, lors de l’examen du PLF pour 2018, un amendement avait été déposé sur le prix du carbone, qui aurait amené à fermer des centrales à charbon ; il a finalement été retiré, toute l’attention s’étant portée sur les dockers et ceux qui travaillent dans les ports d’approvisionnement de ces centrales.

La question de l’accompagnement social est un véritable sujet. Je pourrai éventuellement y revenir par la suite, mais je vais à présent développer les aspects relatifs au bâtiment et aux transports.

De tous les secteurs en retard, c’est-à-dire restant au-dessus de leur cible par rapport aux objectifs carbone et aux objectifs de quota maximum alloués aux différents acteurs de l’économie française, le bâtiment est le plus éloigné des objectifs. Il est aujourd’hui 27 % au‑dessus de ses objectifs. Les travaux en cours de la Stratégie nationale bas carbone font apparaître qu’il sera non seulement en retard pour 2018, mais également pour 2023, car ce retard ne se rattrapera pas en quelques années. Au mieux, l’espoir serait de se recaler sur la bonne trajectoire dans dix ans. Encore faut-il pour cela corriger les différents freins à la transition énergétique. Votre mission est particulièrement bienvenue à cet égard.

Pourtant, assez paradoxalement, il est très rare aujourd’hui de trouver dans la politique du bâtiment et la politique énergétique du bâtiment, l’ambition de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela semble même être un gros mot. Très récemment, le projet de loi ELAN a été examiné en commission mixte paritaire. Sur le sujet de la rénovation du tertiaire, qui est un serpent de mer que l’on attend depuis le Grenelle, soit depuis dix ans, les textes évoquent une rénovation en énergie. Or, il est tout à fait possible que ces rénovations permettent certes d’économiser de l’énergie, mais qu’en changeant d’énergie on augmente les émissions de CO2 d’un bâtiment tertiaire qui serait rénové en application de ce texte. Mais lors des discussions sur ce sujet, pour de nombreux acteurs, c’est presque une grossièreté que d’affirmer que la politique du bâtiment devrait être une politique énergétique… et climatique !

Si une partie de l’économie d’énergie a des effets sur les émissions de CO2, je tiens à préciser que ce n’est pas toujours le cas, et que ce n’est pas suffisamment le cas. Pas toujours, car on peut très bien faire des rénovations en changeant de mode énergétique et augmenter les émissions de CO2 d’un bâtiment ; pas suffisamment, car au vu des moyens financiers, publics et privés, dont dispose la France et de l’ampleur de l’ambition des engagements climatiques de la France, optimiser les efforts consentis en économie d’énergie là où elles sont également synonymes du maximum de baisse de CO2 représente une différence très sensible économiquement. On préfère les faire un peu partout, en se disant que, globalement, tout cela va dans le bon sens et qu’il importe peu que ce soient de grands pas, de petits pas ou des pas minuscules.

À titre d’illustration, l’UFE a produit voici deux ans une étude qui comparait les coûts économiques d’une transition énergétique centrée sur le critère CO2 ou en s’attachant à tenir absolument tous les objectifs de la transition énergétique au même niveau. La différence entre ces deux approches, dont l’une amenait à tenir les objectifs carbone du plan Climat sans atteindre tout à fait l’efficacité énergétique – mais en réalisant une économie d’énergie de 17 % là où la loi fixe un objectif de 20 % –, coûtait globalement 500 milliards d’euros sur quinze ans. Malgré quelques variations, toutes les études convergent vers cet ordre de grandeur. Chercher de surcroît à réaliser toutes les économies d’énergie, y compris celles qui représentent très peu d’économie en matière de carbone et ne changent pas l’atteinte de l’objectif CO2, coûterait 650 milliards d’euros. La différence d’approche représente donc 150 milliards d’euros sur quinze ans, soit 10 milliards d’euros supplémentaires à trouver annuellement, public et privé confondus. L’enjeu économique est donc énorme. C’est la raison pour laquelle cet aspect devrait être central dans le bâtiment.

Autre exemple : comme vous le savez, des travaux sont lancés pour préparer la prochaine réglementation environnementale du bâtiment, et passer d’une réglementation thermique à une réglementation environnementale. Donc, dans les intentions, on affiche que l’on veut prendre en compte le CO2, et que l’on veut également le prendre en compte sur un cycle de vie. Pour l’instant, parmi les méthodes testées, cela reste assez fictif : la logique du double critère montre qu’il suffit de tenir le critère énergie pour tenir le critère carbone. Le critère carbone n’est donc pas un vrai critère et, de ce fait, ne représente pas du tout une priorité dans ce qu’il faudrait vraiment faire.

Le deuxième frein dans le bâtiment dont je donnerai un exemple est celui, particulièrement regrettable, des certificats d’économie d’énergie (C2E). Ce frein ne concerne pas seulement le bâtiment ; c’est donc aussi un point de transition avec ce que je dirai par la suite à propos du transport. Les C2E sont un instrument budgétairement plus lourd que le crédit d’impôt de la transition énergétique. La nouvelle période des certificats d’économies d’énergie représente quelque 3 milliards d’euros sur la facture des consommateurs d’énergie qui vont vers des actions d’économie d’énergie. Le crédit d’impôt, dans ses meilleures années, représentait environ 1,5 milliard d’euros – sans parler des futurs arbitrages qui reverront probablement le dispositif à la baisse. En ordre de grandeur, le soutien aux énergies renouvelables représente 6,5 milliards d’euros. Nous parlons donc de 3 milliards d’euros par an, payés par des consommateurs, allant à certains consommateurs et à certains gestes d’économie d’énergie, mais posant un vrai sujet : la crainte bien réelle que, d’ici la fin de la période, d’ici à 2020, nous ne soyons pas du tout au rendez-vous des objectifs.

Les trajectoires selon lesquelles sont délivrés jusqu’à présent les C2E sont très en retard par rapport à ce qui conviendrait pour atteindre les objectifs. Ce sujet devrait tous nous mobiliser. Nous pourrions considérer que, pour les entreprises, il s’agit d’un sujet purement financier puisque, si elles n’atteignent pas leurs objectifs, elles paient une pénalité. Mais du point de vue de l’atteinte d’une politique d’économie d’énergie, le fait que l’outil principal – car c’est bien l’outil principal de financement des gestes d’efficacité énergétique – ne soit pas au rendez-vous pose un réel problème. Je ne parle pas des multiples questions qui se posent ; un rapport de la cellule de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) est paru voici quelques mois, et les enquêtes régulières de l’UFC-Que choisir montrent l’incompréhension de ce dispositif par les consommateurs. Cela devrait fortement nous mobiliser.

Aujourd’hui, nous faisons partie des acteurs qui demandent qu’un véritable plan de concertation politique sur cet objet précis fasse le point des retards et trouve des leviers, à l’image des groupes de travail qui ont été mis en place pour étudier où nous en étions sur l’éolien, le photovoltaïque, la méthanisation, et savoir pourquoi nous n’étions pas forcément au niveau des rendez-vous.

Dans le domaine des transports, pour citer quelques exemples de freins très précis, puisque le PLF pour 2019 fait l’actualité, je commencerai par le domaine fiscal.

En matière de fiscalité, subsistent un certain nombre de freins. Nous sommes favorables à la trajectoire qui a été développée d’augmentation de la contribution carbone. Il existe encore des niches fiscales très importantes en faveur des consommations d’énergies fossiles. Le montant consacré, de l’ordre de 7 milliards d’euros par an, représente plus que ce qui est prévu pour le développement des énergies renouvelables, plus que pour l’efficacité énergétique. Or ces niches fiscales sont amenées à augmenter : puisque la fiscalité « normale », si je puis dire, des énergies fossiles augmente avec la contribution carbone, les taux réduits dont bénéficient un certain nombre de secteurs sont plafonnés en montant et ne vont pas augmenter – même s’il est proposé de le baisser sur le gazole non routier, il reste de nombreux autres secteurs ; il ne s’agit donc pas d’un petit segment. Une des pistes consiste donc à aller plus loin sur la remise en cause des niches fiscales favorables aux énergies fossiles.

Des dispositions peuvent également être prises pour soutenir l’investissement et l’acquisition de véhicules propres. Ainsi, l’une des dispositions attendues dans la future loi d’orientation sur les mobilités, qui aurait pu aussi trouver place dans la loi de finances mais que nous n’avons pas vue dans le projet déposé, consisterait à étendre les dispositifs de suramortissement pour les entreprises en cas d’acquisition de véhicules électriques. Aujourd’hui, les incitations concernent surtout, pour ne pas dire uniquement, le biodiesel ou le gaz. Finalement, les véhicules électriques sont essentiellement achetés par des particuliers. Or, globalement, les entreprises achètent de nombreux véhicules ; il faut donc aussi penser aux incitations en termes de flottes professionnelles.

Enfin, pour faire le lien avec le sujet de l’accompagnement social que j’évoquais au début de mon intervention, je pense que le sujet du transport est un sujet de visibilité et d’acceptabilité par rapport à l’augmentation du signal « prix carbone » qui peut être ressentie comme une injustice ou une punition. Il est besoin de voir l’ensemble des recettes prises sur les carburants et des dépenses qui les accompagnent. Aujourd’hui, les dispositifs sont assez épars, entre l’aide à l’acquisition, le bonus-malus, les péages différenciés, et nous aurons probablement prochainement une augmentation du taux de réfaction, lié au coût supporté par le public pour l’installation de bornes de recharge électrique. Il serait bien d’avoir un paquet budgétaire homogène, sous la forme, par exemple, d’un compte d’affectation spéciale comme il en existe pour la transition énergétique. Il n’existe pas d’équivalent pour la mobilité propre. Nous estimons que c’est gênant et que cela freine l’acceptabilité des mesures fiscales dans le domaine des transports.

Mme Véronique Riotton, présidente. Monsieur le rapporteur, avant de vous céder la parole, permettez-moi de poser une question.

Monsieur Siess, vous disiez qu’un des premiers leviers consistait à jouer sur les secteurs émetteurs de gaz à effet de serre, citant notamment ceux des transports et du bâtiment. Vous avez indiqué que l’industrie avait bougé plus rapidement. Cette mission s’intéressant non seulement aux freins mais aussi aux accélérateurs, quels sont, de votre point de vue, les éléments clés saillants adoptés par l’industrie pour accélérer sa transition énergétique ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Ma première question aura trait aux certificats d’économie d’énergie.

J’ai constaté, pour ma part, que c’est un dispositif très complexe pour un faible retour. J’en ai deux exemples. Tout d’abord, en tant que vice-président de la fédération départementale de l’énergie du Pas-de-Calais, j’ai constaté que les systèmes administratifs des organismes avec lesquels nous avions contracté étaient très complexes et que nous rencontrions de grandes difficultés pour guider et aider les communes dans tous ces dispositifs de récupération de C2E. Puis, en tant que maire, je dois dire que, sur un projet de rénovation et d’extension d’une école de 700 000 euros, l’énergie dépensée pour récupérer 2 000 euros de C2E s’est révélée phénoménale.

Je pense donc qu’une vraie réflexion est nécessaire en la matière. Pourriez-vous nous en dire plus ?

M. Damien Siess. S’agissant de l’industrie, plusieurs facteurs ont joué sur les baisses d’émissions.

Un certain nombre est structurel, c’est-à-dire hors énergie. Je pense au volume d’activité et à la tertiarisation de l’industrie dont les effets jouent structurellement sur la baisse d’énergie et la baisse d’émissions carbone. Le secteur tertiaire n’a pas la même intensité carbone que le secteur secondaire.

Nous avons également bénéficié d’une tendance longue : dans l’industrie, on cherche à baisser ses coûts, on fait des efforts et on investit régulièrement. Donc, en fait, nous sommes sur un trend assez régulier, qui ne s’est pas particulièrement accéléré mais qui n’a pas non plus ralenti, de gains d’efficacité énergétique de 1,5 % par an, systématiquement. Cela ne signifie pas que cela va se poursuivre facilement et sans effort car, au fur et à mesure que l’on avance, il devient de plus en plus difficile d’atteindre les « gisements » suivants.

Le sujet essentiel dans l’industrie, qui pourrait être un frein pour les prochaines étapes, c’est la visibilité, c’est-à-dire la pérennité pour un acteur industriel. Quand les temps de retour deviennent de plus en plus longs, l’industriel se dit qu’il n’est pas sûr d’être encore « vivant » dans dix ans. Il ne répond pas à la même logique qu’une collectivité qui sait qu’elle aura, malgré tout, une école, un hôpital ou autre, même si, pour certaines, des questions se posent. En tout cas, ce n’est pas le même sujet et nous allons connaître de plus en plus de freins de ce type. Donc, bien que nous ayons constaté pour l’instant une trajectoire assez continue, il est vrai qu’il faudra s’interroger, notamment sur les questions de déconsolidation d’investissement, par exemple, par rapport à la visibilité pour des industries d’investir dans ce qui n’est pas forcément leur cœur de métier, c’est-à-dire leurs lignes de production.

Les C2E, vous avez raison, sont particulièrement complexes et ne sont pas toujours très incitatifs en montant. Pour notre part, nous appelons à une refonte assez complète du dispositif : que veut-on faire des C2E, et quelle est leur efficacité ?

Aujourd’hui, l’hétérogénéité entre les niveaux de soutien que représentent les C2E en fonction des différentes actions engagées est très marquée. Certes, il y a une certaine logique puisqu’en théorie, les C2E sont censés rémunérer l’économie d’énergie de la même façon, quelles que soient les actions. Cependant, dans de nombreux cas, il s’agit d’un effet d’aubaine, car soit l’aide est trop peu incitative et n’a en rien accéléré la décision – ce ne sont pas les 2 000 euros qui vous ont fait prendre une décision que vous auriez prise de toute façon ; il s’agit donc d’un dispositif qui vient s’ajouter – ; soit, dans d’autres cas extrêmes, l’aide est tellement élevée qu’en étant dimensionnée de façon différente elle resterait malgré tout incitative.

Donc, à mesure que l’on arrive dans le « dur » des objectifs et que l’on atteint des montants très élevés, il faut regarder la situation en face et être capable de se poser des questions qui, pour certaines, reviennent à l’origine des C2E, à leur objectif initial. Au départ, c’était un dispositif annexe qui, souvent, pour les particuliers notamment, venait s’ajouter au crédit d’impôt : quand vous faisiez un geste, vous pouviez bénéficier d’une aide de 2 000 euros par le crédit d’impôt, et ce qui était accordé au titre du C2E, c’était le « passager embarqué » ! Si la situation s’inverse, que le crédit d’impôt est réduit sur un certain nombre d’actions et que l’on considère qu’il revient au consommateur d’énergie de payer l’efficacité plutôt qu’au contribuable, la question doit forcément être traitée différemment.

Nous avons un certain nombre de pistes de réflexion mais, honnêtement, nous ne sommes pas sûrs de détenir toutes les réponses. La question est trop complexe. Il faut mettre tout le monde autour de la table pour traiter de ces sujets.

Mme Nicole Trisse. Je suis députée de la Moselle. Je voulais connaître votre avis sur le train à hydrogène d’Alstom, qui a, me semble-t-il, emmené ses premiers passagers cet été. Je sais que Nicolas Hulot, et je pense que François de Rugy maintiendra cette direction, avait décidé d’engager des financements pour soutenir l’hydrogène. J’aimerais connaître votre avis sur ce train et, surtout, savoir comment les professionnels du secteur de l’électricité voient cette avancée.

Mme Maina Sage. Je suis députée de Polynésie française. Je souhaitais savoir si vous pouviez nous donner les grandes masses globales du marché de l’énergie : quelle part est aujourd’hui consacrée à la transition ? Quel pourcentage du budget représente l’effort de soutien à la transition énergétique en termes de production et en termes d’économies d’énergie ?

À propos des certificats d’économie d’énergie, vous nous parlez d’un dispositif complexe et insuffisamment incitatif. Pourriez-vous préciser les moyens qui devraient être mis en œuvre pour assouplir ou faciliter leur utilisation ? Pourriez-vous être plus précis sur les solutions visant à améliorer le fonctionnement des C2E ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Vous avez évoqué la question du soutien à l’investissement concernant les véhicules propres, et un dispositif de suramortissement qu’il faudrait mettre en œuvre. Pouvez-vous préciser cela ?

D’autre part, tout le monde s’interroge sur l’efficacité des C2E. En avez-vous ciblé certains qui vous semblent totalement inutiles, voire contre-productifs ?

M. Damien Siess. S’agissant de l’hydrogène, le projet de train d’Alstom correspond à un usage pertinent. Il nous paraît important de rappeler, notamment dans le plan présenté il y a quelques mois par Nicolas Hulot, la hiérarchie des usages de l’hydrogène et leur maturité.

Aujourd’hui, il existe déjà des consommations importantes d’hydrogène dans l’industrie qui utilise de l’hydrogène fossile produit par vapocraqueur, par craquage de gaz et, donc, assez fortement émetteur de gaz à effet de serre. Un des usages les plus mûrs, et l’urgence, serait de remplacer cet hydrogène fossile par de l’hydrogène décarboné produit, par exemple, par de l’électricité renouvelable. C’est le premier gisement, parce qu’il s’agit déjà d’un usage mature. Chimiquement, c’est la même chose ; il s’agit finalement, côté production, de remplacer un produit par un autre. La seule question qui se pose est la question économique, notamment celle du prix du carbone à fixer pour atteindre l’équilibre financier.

Le deuxième usage, qui arrive juste après en termes de maturité, concerne les transports, notamment le transport lourd et certains transports mal adaptés à des batteries. Typiquement, il en existe des exemples dans le cadre de la mobilité fluviale mais aussi ferroviaire, s’agissant de lignes trop peu utilisées pour qu’il soit rentable de les électrifier complètement. Plusieurs projets sont engagés, dont des projets à batterie. Il me semble qu’une communication a encore été faite hier sur l’un d’entre eux. L’hydrogène, à condition qu’il soit propre, est tout à fait pertinent pour générer une propulsion électrique sur un segment de ligne sans caténaires. C’est une meilleure solution que d’utiliser un train au fioul, c’est donc un bon projet.

Différentes solutions peuvent être mises en concurrence : hydrogène ou batterie. Il reviendra aux constructeurs spécialistes du secteur de les tester et de faire des propositions. Pour notre part, nous nous y intéressons afin d’anticiper les quantités totales d’hydrogène qui seraient potentiellement produites à partir de l’électricité et les intégrer dans les prospectives électriques. Si les quantités peuvent être, au début, minoritaires, elles pourraient bien devenir significatives à un horizon à moyen terme. De plus, un tel dispositif présenterait l’avantage d’être aisément « pilotable » à des moments intéressants dans le système électrique.

En revanche, ce qui est bien moins mûr aujourd’hui, et pourtant parfois évoqué en premier quand on parle de l’hydrogène à plus long terme – il importe donc de bien préciser qu’il s’agit d’un usage plus lointain –, c’est l’hydrogène utilisé pour répondre à des besoins de flexibilité du système électrique, pour du stockage intersaisonnier d’énergie, en convertissant par exemple les excédents d’électricité estivaux en hydrogène, puis en méthane, afin de les réutiliser en hiver pour produire de l’électricité. En fait, cette solution n’interviendrait qu’à un horizon bien plus lointain et n’émergerait que si nous avions des taux de renouvelables variables dans le système électrique dépassant les 80 %. Or, nous en sommes loin.

Mais, pour ce qui est de la mobilité, l’usage de l’hydrogène serait très adapté.

S’agissant des budgets de l’énergie, je ne sais pas quelle est la bonne unité entre budgets publics ou privés. Aujourd’hui, pour un certain nombre d’acteurs de l’énergie, dans les pays développés qui n’ont pas de problème massif d’accès à l’énergie et dont les consommations sont déjà importantes, les perspectives sont celles d’une relative stabilité, voire d’une baisse des consommations énergétiques. Chacun cherche à se positionner comme un acteur de l’efficacité énergétique et à proposer un service pour mieux consommer l’énergie. C’est une réorientation importante de l’ensemble des groupes industriels.

Budgétairement parlant, il existe plusieurs dispositifs. Les C2E, sur lesquels vous vous interrogez, représentent aujourd’hui plusieurs points de pourcentage au sein des factures d’énergie. Nous pourrions refaire les calculs plus précisément mais, dans certains cas, le poids des C2E répercuté sur le consommateur représente de l’ordre de 6 % à 7 % de la facture d’énergie, pourcentage qui est amené à augmenter.

Pour évoquer un sujet très spécifique relatif à l’électricité, le mouvement à la hausse de janvier dernier des tarifs réglementés de l’électricité est quasiment exclusivement imputable aux certificats d’économie d’énergie. En relatif, je précise bien qu’il ne s’agit pas de l’intégralité du poids des tarifs d’électricité, mais de l’intégralité de la hausse qui était quasiment due aux C2E.

Deux questions ont été posées sur les pistes à explorer concernant les C2E.

Tout d’abord, comme je l’ai dit, une concertation longue et profonde sur les différents dispositifs serait sans doute nécessaire. Mais on peut d’ores et déjà critiquer le manque de visibilité et de transparence du dispositif. Je vous ai donné des estimations mais, en fait, savoir combien valent les C2E aujourd’hui et quel est exactement leur poids se révèle compliqué, et ce n’est pas bien partagé. Il manque un indice des prix transparent, régulier et rapide sur le poids des C2E. Car savoir comment varient les cours donne une idée de la tension sur le marché et de la tension a priori pour atteindre les objectifs en fin de période. Cela, nous ne l’avons pas, bien que nous le demandions depuis un an. C’est la croix et la bannière pour introduire dans les registres administratifs des C2E les modifications, a priori relativement simples, qui le permettraient.

Ensuite, de nombreuses autres questions se posent. Pour n’en citer qu’une, je parlerai des programmes. Pour le dire rapidement, dans les C2E, vous pouvez avoir des fiches standards, des opérations spécifiques dans l’industrie ou des programmes, qui ne sont pas nécessairement directement de l’économie d’énergie, mais dont les effets indirects génèrent des économies d’énergie. Il peut s’agir de programmes d’information ou de sensibilisation. Les certificats sont délivrés en fonction du financement de ces programmes. Aujourd’hui, ce dispositif est géré au cas par cas, à très courte échéance, avec une visibilité insuffisante sur la part globale de volume allouée aux programmes et sur la façon de les lancer, car ce sont des opérations qui sont longues à être mises en place et l’on découvre tardivement le retour des propositions des professionnels. Il reste donc beaucoup à faire en la matière.

Enfin, pour préciser ce que j’appelais le suramortissement des véhicules électriques pour les entreprises, il existe des dispositifs, notamment comptables, au titre de l’amortissement accéléré qui est étendu aujourd’hui à toutes les mobilités propres pour les entreprises. Mais il existe un dispositif supplémentaire de suramortissement qui n’est, pour l’instant, valable que pour du gaz naturel véhicule et du biodiesel. C’est un manque d’incitation et de neutralité technologique entre les moyens de mobilité propres auxquels peuvent recourir les entreprises. Nous souhaiterions que ces dispositions soient étendues aux achats de véhicules électriques.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. J’aimerais revenir sur l’hydrogène. Aujourd’hui, il me semble que l’on produit ou consomme en France un peu plus de 900 000 tonnes d’hydrogène produit à partir d’hydrocarbures. La première des priorités ne serait-elle pas de produire ces 900 000 tonnes de façon verte, par hydrolyse à partir d’énergies renouvelables ? Ne serait-ce pas un moyen de démarrer la filière de façon sûre, puisqu’il existe une consommation assurée ?

M. Damien Siess. Je peux vous répondre tout de suite : je suis totalement d’accord avec vous ! Cela permettrait effectivement de lancer une filière en électrolyse qui peut potentiellement trouver d’autres débouchés pour cet hydrogène propre. Toutes les conditions techniques sont réunies. L’industriel qui veut de l’hydrogène cherche seulement à ce que cela revienne au même prix, mais il lui est égal que son approvisionneur ait obtenu l’hydrogène en ayant craqué des hydrocarbures ou ayant fait tourner un électrolyseur. Il manque seulement une incitation ou une contrainte signifiant qu’il s’agit d’une priorité. Nous avons là un gisement assez susceptible, de surcroît, d’avoir des effets positifs dans d’autres secteurs, notamment si des modes de mobilité utilisant l’hydrogène se développaient ; c’est ainsi qu’une filière d’électrolyse serait mise en place.

Il ne manque plus que le signal ou réglementaire ou économique – a priori, plutôt économique, en répercutant, par exemple, le coût de la tonne de CO2 dans le coût de l’hydrogène fossile alors qu’il n’aurait pas d’incidence sur le coût de l’hydrogène non fossile ; cela créerait un différentiel entre les deux. Mais peut-être faudrait-il également réfléchir à des aides à l’investissement pour les premières installations d’hydrolyseurs. Cela mérite d’être étudié de près.

Mais il est certain que c’est le premier gisement à traiter, parce qu’il n’y a pas d’incertitudes quant à la consommation : elle existe !

Mme Véronique Riotton, présidente. Pour revenir au bâtiment, qu’il s’agisse de construction ou de rénovation énergétique, quel est votre avis sur la domotique et sur le fait de généraliser les sujets de domotique ? Comment peut-on inciter à y avoir recours ? Je pense également à la notion d’individualisation des compteurs : avez-vous des données sur le sujet ? Savez-vous dans quelle trajectoire on se situe ?

M. Damien Siess. Je ne pourrai pas répondre à votre deuxième question, n’ayant pas de données particulières sur l’individualisation des compteurs. Je ne sais où l’on en est, ni quels en sont les effets. Le mouvement est engagé, des délais ou des exceptions ont été fixés, mais je ne dispose pas d’éléments statistiques particuliers en la matière. Nous regarderons si nous en avons.

Toutefois, cette option va effectivement dans le sens d’une responsabilisation des consommateurs. Comme je le disais, se rendre compte des conséquences de tel ou tel comportement – comme ouvrir la fenêtre ou ne pas l’ouvrir, par exemple – est la première étape. Cela s’inscrit dans un mouvement général d’appropriation de l’énergie qui sera de plus en plus facile dans la mesure où les données seront de plus en plus accessibles. Encore faut-il pouvoir se dire que l’on est responsable et non pas noyé dans une masse collectivement responsable où l’on se sent moins concerné.

La domotique et tous les moyens de ce que j’appelle l’optimisation active des consommations constituent, il est vrai, un levier extrêmement intéressant, d’autant plus intéressant à étudier et à actionner en matière d’incitation que l’on touche à l’enveloppe des bâtiments en termes d’isolation et de performance passive. La différence de consommation qui peut exister entre deux bâtiments selon le mode d’occupation – logement ou tertiaire –, selon la capacité à gérer l’éclairage et les consommations de fluides diverses, devient d’autant plus importante en relatif que l’on a baissé tout le reste.

C’est donc un levier extrêmement intéressant, qui n’est pas toujours bien pris en compte aujourd’hui parce que la logique, dans le bâtiment, est de se dire que la façon dont il sera occupé peut varier dans le temps. Il paraît donc parfois compliqué d’intégrer dans des réglementations la vraie vie du bâtiment et de favoriser la gestion dynamique des consommations. Mais il importe vraiment de traiter ce sujet et d’accorder la même place aux moyens d’optimisation des consommations qu’aux moyens « en dur » – en demandant évidemment des garanties quant au fait que le bâtiment sera performant non seulement parce qu’il est bien isolé, mais aussi parce que des détecteurs de présence ou des moyens permettant de vérifier et d’ajuster finement la température auront été installés.

C’est un sujet extrêmement important, qui s’est heurté des années durant à une opposition entre deux types d’efficacité énergétique, « passive » et « active », pour reprendre les termes employés par certains. Je pense qu’il faut dépasser cette opposition ; il est extrêmement important de favoriser cette efficacité énergétique active, d’autant que souvent – pas toujours, mais souvent –, certains gestes actifs se révèlent très efficaces. Ce sont ceux qui ont le meilleur temps de retour sur investissement : cela coûte relativement peu cher à installer et, dans bien des cas, on part de tellement loin en termes de pratiques que c’est rapidement efficace. On peut gagner énormément et avoir des temps de retour économique ou des coûts d’abattement en énergie et en CO2 rapportés à l’investissement extrêmement intéressants en prêtant attention, par exemple, aux appareils qui continuent de fonctionner inutilement ou à l’absence de personnes dans un bâtiment. Dans de nombreux cas, ce sont les premiers gestes à faire. Il est vrai aussi que, parfois, certains bâtiments sont tellement mal isolés que l’isolation peut générer des temps de retour très courts. Pas toujours, mais souvent, il peut être extrêmement intéressant de le faire.

Il faut vraiment arriver à traduire cela, par l’incitation ou la contrainte, dans l’ensemble des outils du bâtiment. Les querelles de chapelle que l’on constate parfois sont assez regrettables.

Mme Véronique Riotton, présidente. Dans la même dynamique, en ce qui concerne les infrastructures, quels sont les freins à l’adaptation des réseaux électriques vers des réseaux intelligents ? Que peut-on en attendre en termes de gains sur la partie CO2 et en termes financiers ?

M. Damien Siess. C’est un sujet dont je n’ai pas parlé puisque j’ai davantage abordé le second aspect de votre mission, relatif à l’efficacité énergétique, que celui de la production. Mais l’adaptation des réseaux est un sujet important, notamment l’adaptation à l’évolution de la production électrique qui devient à la fois plus variable et plus décentralisée, c’est-à-dire implantée sur de nouveaux endroits du territoire, mieux répartie, et non plus concentrée sur un certain nombre de centrales électriques.

Être capable d’injecter ces puissances nécessite des adaptations du réseau électrique. L’un des sujets majeurs pour le développement des renouvelables est la capacité à transformer le réseau électrique, à effectuer des procédures de raccordement relativement rapidement et à planifier cela au niveau régional, dans les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables. C’est l’un des freins importants à l’heure actuelle. Dans la mesure où les coûts industriels des renouvelables ont beaucoup baissé, les coûts de raccordement deviennent, relativement, élevés. Les délais sont également un des points d’attention pour les producteurs d’énergies renouvelables. Il reste beaucoup à faire en matière de consommation, mais selon moi l’urgence concerne surtout la production.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées. Cet exemple ne couvrira sans doute pas tous les cas mais disons que, dans certains cas de figure, il pourrait être plus intéressant, tant du côté réseau que du côté producteur, d’avoir un raccordement qui ne soit pas à 100 % de la puissance, qui n’injecte pas 100 % de la puissance produite par une installation, mais qui soit dimensionné légèrement en dessous. Se raccorder ainsi, à un endroit différent, certes plus contraint, du réseau pourrait permettre de gagner en coût et en délais.

Cela ne nous est pas permis aujourd’hui. Il est possible de le faire en expérimentation, mais cela ne peut pas être généralisé, car il s’agit de modifications qui relèvent du domaine réglementaire. En Vendée se déroule actuellement une expérimentation de smart grid, de réseau électrique intelligent, en lien avec le raccordement des énergies renouvelables. Cela permet, en échange de la garantie de pouvoir injecter 90 % ou 95 % de la puissance maximum, de se raccorder à un point du réseau plus contraint plutôt qu’à un point plus éloigné où l’on pourrait injecter systématiquement 100 % de la puissance, mais qui demanderait deux ans supplémentaires de travaux et coûterait plus cher. C’est aux producteurs qu’il revient d’opérer ce choix.

Des adaptations sont donc possibles. Cela demande des changements de logique par rapport à la logique « château d’eau », comme on le dit parfois en caricaturant. Cette logique « château d’eau » est celle où vous avez des moyens de production très centralisés et des autoroutes à sens unique conduisant aux moyens de consommation, serait top down, en gestion descendante. Maintenant, c’est un peu plus foisonnant, un peu plus « internet », les moyens de production seront de plus en plus répartis. Cela suppose d’être capable, et d’accepter de modifier un certain nombre de pratiques, notamment cette garantie d’injection de puissance. Il existe effectivement des solutions, que nous étudions de près puisque l’UFE regroupe, parmi ses adhérents, aussi bien les producteurs – EDF Renouvelables, Engie, le Syndicat des énergies renouvelables –, que les gestionnaires de réseau – Réseau de transport d’électricité (RTE), Enedis et les établissements locaux de distribution. C’est donc un sujet essentiel pour nous.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Pour en revenir au transport, nous avons parlé de trains à hydrogène et de voitures électriques. Certains constructeurs, comme Renault, partent vers le tout-électrique, d’autres, comme Toyota, envisagent aussi des voitures à hydrogène. Pour la puissance nécessaire aux tracteurs ou aux camions, on parle plutôt de gaz naturel pour véhicules (GNV). Quid de l’éthanol ? Quid du diester ? Bien d’autres solutions encore sont possibles. Ce foisonnement de solutions peut aussi être un frein pour les industriels, pour savoir dans quelle direction s’investir. Certains ont fait des choix, d’autres n’en font pas. Mais ne pas choisir, c’est prendre le risque de se retrouver avec une offre d’infrastructures en stations-service pléthorique, voire de n’en avoir aucune.

Voilà pour ce qui est du domaine terrestre. Quant au domaine maritime, nous ne voyons pas grand-chose se dessiner. On parle d’un bateau autonome, hydrogène, solaire et éolien. Mais à ce jour, on ne voit pas grand-chose pour remplacer la masse de diesels maritimes.

Comment envisagez-vous les perspectives futures d’énergie relatives à la mobilité ?

M. Damien Siess. Concernant le secteur maritime, je ne suis pas à même de vous répondre puisqu’il s’agit d’un segment où, assez naturellement, l’électrique n’est pas le mieux placé. Nous regardons par curiosité. Je pense que des acteurs de l’hydrogène, spécifiquement ceux du gaz naturel, pourraient, plus que moi, vous dire quelles sont les perspectives. Des solutions existent sans doute.

Pour ce qui est de la notion de foisonnement ou de la complémentarité des solutions, il importe d’avoir les idées claires. Dans les transports, nous allons passer d’un système « tout-pétrole » pour tous les moyens de transport, partout et tout le temps, à un système pouvant offrir plusieurs énergies. Pour autant, je ne pense pas qu’il soit réaliste de penser qu’il existerait un foisonnement de solutions pour chaque segment de transport. En fait, sur chaque segment, une solution sera majoritaire parce que plus adaptée.

Ensuite, effectivement, des effets industriels d’infrastructures empêcheront que tout soit développé en même temps. Il faut, je pense, rester en lien étroit avec les constructeurs pour voir sur quoi ils misent. S’agissant de la mobilité individuelle, pour la voiture, a priori, ce sera plutôt l’électrique. On peut se faire plaisir en disant qu’il existe plein d’autres solutions mais, aujourd’hui, la grande majorité des constructeurs parie sur l’électrique. Cela peut d’ailleurs ne pas concerner seulement la batterie. Cela peut nécessiter des compléments, des range extenders, pour avoir des rayons d’action plus importants. L’hydrogène est aussi envisageable mais, aujourd’hui, personne ne parie sur le gaz, et le seul acteur à miser sur l’hydrogène, c’est Toyota. L’immense majorité des constructeurs pensent à l’électrique.

Pour les bus, a priori, ce sera aussi l’électrique. Il existe aujourd’hui autant de bus électriques dans la ville de Shenzhen qu’en France, et les distances parcourues sont tout à fait compatibles avec le mode électrique.

Les transports lourds longue distance sont typiquement le domaine où l’usage du gaz peut être pertinent. Quant aux niches captives, du type camion-benne, il semblerait pertinent d’utiliser l’hydrogène.

Mais, en dépit de la vision selon laquelle il existerait pléthore de solutions, il ne faut pas penser que plusieurs solutions seront proposées sur chaque segment. Ce serait dramatique en termes de coûts, notamment d’infrastructure, et ce ne serait pas réaliste. Même industriellement, pour les constructeurs, une fois qu’une solution émerge, les volumes augmentent et les coûts baissent du fait que la solution devient majoritaire.

En conclusion, comme je l’ai indiqué au début de mon audition, le premier frein à la transition énergétique, le premier retard concerne les aspects climatiques. Il faut donc insister sur les freins, même si d’autres objectifs de la loi de transition énergétique mériteraient d’être, chacun, étudiés. Mais il se trouve que nous nous sommes fixé la plupart des autres objectifs comme moyen d’en atteindre d’autres, que l’on peut tout à fait débattre de leur portée et les discuter. Le critère climatique est celui sur lequel nous sommes le plus en retard et qui s’impose à nous, celui sur lequel nous n’avons pas le choix. Nous ne sommes pas aujourd’hui le seul pays en retard par rapport à nos objectifs d’émissions de carbone, mais si chaque pays est en retard, l’emballement climatique s’accélérera. Nous en voyons régulièrement les effets. Or, quand on en voit les effets, c’est trop tard ! Quand on se plaint de la canicule, c’est déjà trop tard : elle est le fruit de l’accumulation d’énergie dans l’atmosphère depuis des dizaines d’années.

Mme  Véronique Riotton, présidente. Nous vous remercions.

L’audition s’achève à dix heures.

 


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4.   Jeudi 27 septembre 2018 : Audition, à huis clos, de M. Fabrice Boissier, directeur général délégué de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), de M. Rémi Chabrillat, directeur production et énergie durables et de Mme Solange Martin, sociologue

 

Cette audition, qui s’est tenue à huis clos, n’a pas fait l’objet d’un compte rendu.

 


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5.   Jeudi 11 octobre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, avec :
– M. Simon Clodic, directeur commercial et chargé des affaires publiques de Cryo Pur ;
– Mme Valérie Corre, vice-présidente du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), M. Jérôme Bignon, vice‑président, M. Sylvain Demoures, secrétaire général, M. Nicolas Kurtsoglou, responsable carburants, et M. Aymeric Audenis, consultant ;
– M. Nicolas Rialland, directeur des affaires publiques de la Confédération générale des planteurs de betteraves ;
– M. Olivier Dauger, co-président de France Gaz Renouvelables, M. Jean Lemaistre, secrétaire général ;
– M. Arnaud Rondeau, président de la commission « bioressources et bioéconomie » de l’Association générale des producteurs de maïs et de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPM-AGPB), M. Gildas Cotten, responsable des nouveaux débouchés de l’AGPM-AGPB, Mme Alix d’Armaillé, responsable des actions institutionnelles et régionales de l’AGPM ;
– Mme Laure Courselaud, adjointe au chef du bureau F1 de la sous‑direction des droits indirects de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

L’audition débute à quatorze heures quarante.

M. le président Julien Dive. Mesdames, messieurs, la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique a décidé de mener des travaux jusqu’au mois de juin prochain, date à laquelle le rapport sera publié.

Cet après-midi d’audition prendra fin vers seize heures trente. Je regrette que certains groupes comme Total n’aient pas répondu présents. Ses représentants ne nous ont d’ailleurs pas fourni de motifs à leur absence, mais je ne doute pas que les travaux que nous allons mener leur donneront envie de revenir vers nous.

Je rappelle que cette audition est publique et qu’elle sera disponible en replay sur le site de l’Assemblée nationale ; elle fera également l’objet d’un compte rendu écrit.

Nous accueillons cet après-midi un grand nombre d’invités :

M. Simon Clodic, directeur commercial et chargé des affaires publiques de Cryo Pur, est également membre actif de nombreuses associations comme le Syndicat des énergies renouvelables, France Biométhane, Club Biogaz, l’association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV). Je le remercie d’avoir accepté la formule de table ronde qui permettra un débat interactif et direct.

Mme Valérie Corre est vice-présidente du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), dont M. Jérôme Bignon est également vice-président, et M. Sylvain Demoures, secrétaire général.

M. Nicolas Rialland est directeur des affaires publiques de la Confédération générale des planteurs de betteraves.

M. Nicolas Kurtsoglou est responsable carburants au SNPAA, M. Aymeric Audenis, consultant.

M. Olivier Dauger est co-président de France Gaz Renouvelables, dont M. Jean Lemaistre est secrétaire général.

M. Arnaud Rondeau est président de la commission « bioressources et bioéconomie » de l’Association générale des producteurs de maïs et de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPM-AGPB), au sein de laquelle M. Gildas Cotten est responsable des nouveaux débouchés, et Mme Alix d’Armaillé responsable des actions institutionnelles et régionales.

Mme Laure Courselaud est adjointe au chef du bureau F1 de la sous-direction des droits indirects de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

Mesdames, messieurs, vous disposez d’un temps de quinze minutes de présentation par organisation. Suivra un moment d’échanges avec les parlementaires.

Au préalable, je cède la parole à M. Bruno Duvergé, rapporteur de la mission d’information.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous nous sommes fixé un cadre de travail qui nous sert de grille de lecture afin de nous assurer d’atteindre les objectifs de la mission d’information, qui consistent à identifier les freins à la transition énergétique et à en accélérer le processus.

Nous voulons élever notre niveau de compréhension de tout ce qui se fait dans le domaine de la production énergétique, de la consommation et des économies d’énergie.

En vous écoutant, nous conserverons en tête cette grille de lecture. Il convient que vous définissiez votre filière de production, que vous nous disiez à quels profils de consommateurs elle s’adresse, si des économies d’énergie sont réalisées dans les domaines que vous connaissez et de pointer les freins au développement de votre secteur : sont-ils d’ordre fiscal, législatif, réglementaire, sociétal, technologique et/ou financiers ?

M. Simon Clodic, directeur commercial de Cryo Pur. Merci d’avoir convié Cryo Pur à cette table ronde.

La société Cryo Pur compte une trentaine de personnes en Ile-de-France. Elle est porteuse d’une technologie innovante de séparation et de liquéfaction des gaz, en particulier appliqué au biogaz. Je suis également membre actif du syndicat des énergies renouvelables, du Club Biogaz et de l’Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGNV).

Le travail que mène Cryo Pur s’inscrit dans le cadre de la filière biogaz et de la filière biométhane, en plein développement en France et en Europe. Je pense que France Gaz Renouvelables aura l’occasion d’évoquer la filière dans sa globalité.

Cryo Pur travaille sur un sujet de niche que nous sommes heureux d’aborder au cours de cette table ronde orientée sur les carburants. Nous travaillons sur le biométhane qui a vocation à décarboner le secteur des transports routiers, en particulier le segment des poids lourds qui nécessite des solutions de transition énergétique et des solutions « bas carbone ».

Un frein pèse sur la transition énergétique du secteur routier poids lourds. Il n’existe pas de dispositif de soutien à la liquéfaction du biogaz pour alimenter directement des stations carburants. C’est le constat de la société Cryo Pur, qui est née d’un projet de démonstration technologique qu’elle a menée avec Suez et le soutien du Commissariat général à l’investissement (CGI) sur une première unité, un pilote de liquéfaction de biogaz à la station d’épuration de Valenton.

Dans le cadre de ce projet suivi par l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), nous avons validé la technologie. Nous avons ensuite constitué une société qui a été financée par des investisseurs. Il se trouve que si nous avons trouvé notre marché en Europe – au Royaume-Uni, en Scandinavie, en Italie –, nous ne l’avons pas trouvé en France. Nous constatons donc « un trou dans la raquette » sur le plan réglementaire. Autant un soutien financier est apporté lorsque l’on injecte du biométhane dans le réseau de gaz naturel, ce qui est excellent dans la mesure où cela permet de décarboner les réseaux et l’usage du gaz naturel, autant ce n’est pas le cas lorsque l’on ravitaille directement une station de gaz naturel liquéfié (GNL). Le gaz naturel pour véhicules (GNV) compte deux branches : gaz naturel comprimé (GNC) et gaz naturel liquéfié.

Le groupe de travail sur la méthanisation mis sur pied par le secrétaire d’État Sébastien Lecornu a donné lieu à la publication, à la fin du mois de mars 2018, de quinze orientations sur différents thèmes. J’ai suivi en particulier la mise en place d’un dispositif de soutien financier au biométhane carburant alimentant directement des stations-service, en particulier lorsque les sites sont éloignés des réseaux de gaz naturel. Cette orientation trouve corps dans un article du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) qui en reprend le principe. Ce frein ou ce manque d’ordre réglementaire est en cours d’être comblé puisque nous avons une accroche législative pour avancer sur ce dispositif de soutien visant à verdir le biométhane carburant, notamment sous sa forme liquide de GNL.

À cet égard, Cryo Pur s’est mobilisé avec le fournisseur d’énergie Primagaz et le groupement coopératif agricole français Invivo pour former un groupement et mener une étude indépendante. Elle a pour objet d’apporter à l’administration des éléments chiffrés sur le coût de la mesure, les impacts en termes de réduction d’effet de serre, de pollution atmosphérique et de création d’emplois.

Nous sommes en lien avec les services de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Les précisions que nous leur apportons visent à créer un dispositif de soutien financier, pour une mise en place idéalement dans la loi de finances 2020, sachant que le projet de loi d’orientation des mobilités devrait être voté au cours du premier semestre 2019. De la modélisation macro réalisée par le cabinet Enea Consulting, il ressort quelques chiffres et des ordres de grandeur.

La projection de gaz naturel pour véhicules s’est fondée sur le scénario de l’Association française du gaz naturel pour véhicules qui prévoit, dans le cadre d’un déploiement massif du gaz naturel pour véhicules (AFGNV) pour le segment poids lourds, à l’horizon 2030, 67 térawattheures d’énergie pour alimenter les flottes de véhicules au GNV. Sur ces 67 térawattheures d’énergie, entre 9 et 18 seraient dédiés à la demande de GNL telle que nous l’avons planifiée à l’horizon 2030. À noter que le GNL est en très forte croissance, ce qui n’est pas le cas du gaz naturel sous forme gazeuse.

Pour que le GNL puisse avoir une trajectoire de bas carbone et de transition énergétique, se pose la question de l’incorporation de GNL biosourcé à partir de déchets. L’incorporation de 40 % de bio à l’horizon 2030 représente un objectif assez ambitieux porté par la filière et par l’AFGNV. On suppose un potentiel de demande de bio GNL de 5 à 8 térawattheures. Ce potentiel est en phase avec les potentiels de production de gaz qui sont éloignés des réseaux de gaz naturel. C’est là une filière que l’on peut constituer et qui présente plusieurs intérêts.

Par exemple, flécher la production de biogaz directement vers la mobilité. Il s’agit d’un usage à haute valeur ajoutée en termes de réduction de pollution atmosphérique, d’impact carbone, de relatif manque d’alternatives aux fossiles sur le segment du transport, en particulier poids lourds.

Nous avons également modélisé les coûts relatifs à cette filière qui sont légèrement supérieurs au coût de l’injection du biométhane mais qui aboutissent, en termes d’abattement de CO2 à des coûts entre 100 et 200 euros par tonne de CO2 évitée. Cette fourchette semble présenter un intérêt économique pour la société.

Nous allons publier une synthèse de cette étude d’ici à la fin du mois, sous réserve de la validation des parties prenantes.

Je suis heureux d’avoir pu mentionner l’essor du GNV et du GNL au sein du GNB et le fait que nous trouvons des solutions pour permettre une transition énergétique via le segment GNL carburant. Il n’en demeure pas moins que cela doit se matérialiser par des décrets et des arrêtés. Un travail réglementaire reste à effectuer à partir de 2019. Nous préparons ce travail.

M. Jérôme Bignon, vice-président du syndicat national des producteurs d’alcools agricoles (SNPAA). Je rappelle qu’il existe deux filières : celle qui s’adresse au diesel et qui repose essentiellement sur des plantes oléagineuses et celle qui s’adresse à la filière essence. Je concentrerai mon propos sur la production de biocarburants de cette dernière.

Notre industrie est liée au secteur sucrier et amidonnier et fonctionne en synergie avec ces industries. Les principaux groupes sont le groupe Tereos, représenté aujourd’hui par Mme Valérie Corre, Cristal Union que je représente, et le leader de l’amidon, l’entreprise Roquette.

Notre industrie est implantée en zone rurale et est souvent la seule source d’emploi sur son lieu d’implantation.

Nous travaillons des matières premières telles que les betteraves, le blé, le maïs, issus de la production de 50 000 agriculteurs. Notre industrie représente pour la partie « alcool-éthanol » un équivalent temps plein emploi de 12 000 personnes. Une filière, séparée de notre organisation, travaille également sur les résidus viniques.

En fournissant 25 % de la production, la France est le premier producteur européen d’éthanol, loin devant l’Allemagne qui en produit 15 %. La France est également le premier producteur sucrier en Europe et le principal producteur amidonnier.

Quels sont les enjeux ?

Tout d’abord, le parc de véhicules thermiques actuels. Les biocarburants et l’éthanol dans le secteur des essences en particulier sont l’une des rares solutions immédiates de décarbonation des transports. Elles sont rares et les biocarburants en est une. Le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rappelle l’intérêt à agir immédiatement.

En France, les biocarburants de la filière essence représentent un pourcentage relativement important de 7,5 % base énergie de l’ensemble des essences ; 85 % sont de l’éthanol issu de productions locales et 15 % des essences appelées Hydrotreated Vegetable Oils (HVO), issues de l’huile de palme. Ce niveau d’incorporation non négligeable a été rendu possible grâce au développement du carburant le super 95E10 à partir de 2009, devenu aujourd’hui le principal carburant vendu dans le pool des essences, au-delà du SP98 et du SP95E5.

Au-delà du SP 95E10, on relève également une forte progression de l’E85 qui contient plus d’éthanol, à hauteur de 85 %. Même si son usage reste marginal aujourd’hui, à hauteur d’environ 1,7 % du marché, sa progression annuelle est très forte, de l’ordre de 40 %. Sa progression se poursuivra à un rythme soutenu parce qu’un frein à la transition énergétique dans le secteur des transports a été récemment levé par l’homologation de boîtiers qui permettent au parc existant de véhicules essence d’utiliser l’E85. Voilà donc une solution qui peut être mise en œuvre immédiatement. Dans la mesure où l’on utilisera plus d’éthanol et que l’éthanol émet en moyenne 70 % d’émission de CO2 de moins que l’essence, l’impact est significatif. La possibilité de poser des boîtiers sur un parc existant permettra donc de consommer plus d’éthanol, qui émet moins d’émissions de CO2.

Quelles sont nos ambitions ?

Nous voulons atteindre une part de marché supérieure à 7,5 %, mais nous sommes freinés parce que les résidus des filières sucrières et amidonnières, ce que l’on appelle « les sucres non extractibles » dans la filière sucrière et « les amidons résiduels » dans la filière amidonnière, sont considérés à tort comme des plantes alimentaires. Or, l’incorporation de l’éthanol issu de plantes alimentaires est plafonnée à 7 % en France. Vous avez certainement entendu parler du débat « food vs fuel ». Pour ce qui concerne les plantes alimentaires, autant nous acceptons le plafond de 7 % puisque c’est un choix politique décidé au niveau de l’Union européenne, autant nous ne comprenons pas pourquoi la production d’éthanol issue de résidus est plafonnée en France, alors que c’est contraire au règlement de l’Union européenne en matière d’énergies renouvelables et que le plafond sera retiré de la directive qui entrera en vigueur en 2021.

Vous débattez actuellement du projet de loi finances. Nous en profitons pour demander une augmentation du taux de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) dans la filière essence. De 7,5 % aujourd’hui, nous demandons qu’il passe à 8,3 % en 2019, ce qui pourrait inciter à la prise en compte de l’éthanol issu de nos résidus de production au-delà de 7 %. Aujourd’hui, le projet de loi de finances ne le prévoit pas.

Nos productions actuelles en France permettraient de répondre à cette demande nouvelle si elle était mise en œuvre par le cadre législatif. Nous exportons hors de nos frontières à peu près 30 % de nos productions. À l’instar d’une économie circulaire, il s’agit de proposer ces productions au plus près des consommateurs. Sans augmenter nos productions, nous pourrions répondre à cette demande supplémentaire, sachant que les principales entreprises ont investi afin de répondre à un objectif de 10 %.

Il convient de rappeler que l’architecture fiscale actuelle, notamment de la TGAP, qui devrait changer de nom au cours du débat parlementaire sur la loi de finances, est un instrument fondamental et efficient pour encourager le consommateur à utiliser des carburants moins polluants. Il est, bien sûr, essentiel de le préserver.

De même, il convient de veiller à la cohérence entre les mesures fiscales à l’encouragement de type TGAP, à la stratégie bas carbone et surtout aux éléments de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Sans cohérence entre la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et l’aspect fiscal, nous serons confrontés à des contradictions.

Pour conclure, dans le cadre de la transition énergétique dans le secteur des transports et face à l’urgence à agir, nous sommes favorables à une politique qui additionne les solutions. Pour ce qui concerne en particulier le secteur de l’éthanol, il faut additionner les carburants de première génération et les biocarburants issus de nos résidus de production qui sont immédiatement disponibles. Dans un avenir proche, nous espérons également pouvoir additionner les biocarburants de seconde génération, dont la mise sur le marché devrait intervenir à partir de 2013.

M. Arnaud Rondeau, président de la commission « bioressources et bioéconomie » de l’Association générale des producteurs de maïs et de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPM-AGPB). Je suis agriculteur dans l’Yonne et dans le Loiret, responsable de la commission « bioressources et bioéconomies » de Céréaliers de France.

Notre activité se situe en amont de celle évoquée par les représentants du SNPAA. En effet, nous sommes producteurs de matières biomasse, grains et autres. Moi-même je suis producteur de maïs, de blé, de betteraves, les débouchés principaux étant l’éthanol, la meunerie, mais il existe d’autres débouchés, alimentaires ou non.

Quels sont nos enjeux ? Travailler à la neutralité carbone de nos productions mais également à la neutralité carbone de la France. Nous avons la capacité de fournir des productions renouvelables à la différence de l’énergie fossile et de séquestrer des taux élevés de carbone dans la biomasse, mais également dans les sols. Grâce à la photosynthèse, nos grandes cultures sont une formidable pompe à carbone.

Un rapport du GIEC, paru il y a quelques jours, rappelait l’atout que représente la biomasse agricole et forestière pour absorber le CO2 atmosphérique. Il est important de le souligner. De par nos productions et nos cultures, nous sommes en mesure de résoudre les problématiques de gaz à effet de serre et de changement climatique.

La notion de pompe à carbone nous est chère. L’agriculture est comptée pour environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. Malheureusement, il n’en va pas de même de notre apport aux transports qui n’est pas comptabilisé dans le volet agricole.

J’en viens aux freins relatifs au développement de nos productions à des fins énergétiques. Des problématiques réglementaires d’installation et d’autre nature font blocage. Je pense à la méthanisation, à la place des cultures énergétiques, aux cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) et leur acceptabilité dans les projets de méthanisation agricole. La difficulté d’acceptation est liée à l’utilisation des cultures alimentaires par le domaine énergétique.

Nous rencontrons parfois des difficultés de concordance entre les réglementations française et européenne. Je pense à la politique agricole commune, à des réglementations environnementales européennes qui nous sont imposées et qui entrent parfois en opposition un peu frontale avec des réglementations nationales.

Autre préoccupation : l’acceptabilité de la comptabilité entre cultures alimentaires et non alimentaires que l’on nous oppose souvent. Pour des filières matures comme celles des biocarburants, nous avons pu produire la preuve que ces deux types de cultures ne sont pas forcément incompatibles, notamment pour nos productions nationales. Ce sujet se profile alors que la filière de méthanisation est émergente en France et encore peu développée. Des contradicteurs viennent parfois gêner l’émergence de projets.

Autre élément important : nous parlons de « productivité » et j’ai bien l’impression que ce terme est parfois considéré comme un gros mot. Plus on produit sur une surface donnée, plus on produit de biomasse, plus on stocke de carbone. Le productivisme est alors mis en avant, on parle de productivité. Il faut que nous échangions sur ce thème pour faire progresser l’acceptation de la productivité telle qu’elle est pratiquée en France.

Sur le plan économique, nous sommes confrontés à des difficultés sur nos exploitations avec des coûts de revient franco-français. Je pense à de nouvelles installations de méthanisation. Il s’agit d’une filière émergente, non encore dominée par nos interlocuteurs nationaux qui ne maîtrisent pas encore la totalité des process. Les études, l’ingénierie et les matériaux induisent un enchérissement assez élevé des projets comparé à ce que l’on observe chez nos voisins allemands dont la filière est plus mature, plus ancienne. Les surcoûts freinent grandement l’émergence de nouveaux projets, en tout cas ils freinent les porteurs de projets et les financeurs.

On rencontre également, ponctuellement, des problèmes logistiques sur des filières émergentes : l’éloignement des réseaux, par exemple gaziers, crée un frein logistique et influe sur les coûts de revient d’un projet.

Sur le plan technique, nous travaillons avec nos instituts techniques à l’émergence de systèmes de cultures adaptés à ces nouvelles productions. Ils reposent sur l’addition de plusieurs cultures la même année, sur des cycles de culture un peu différents et sur de nouvelles cultures. Il s’agit des recherches et de l’application des travaux des instituts sur le terrain.

Les acquisitions de données sont parfois longues. Le syndicat des producteurs de maïs est propriétaire d’un méthaniseur très ancien implanté sur une station située à Montardon, à proximité de Pau, que nous transformons avec l’institut Arvalis en un outil d’expérimentation multifactorielle pour acquérir des données que nous pourrons partager au niveau national. Nous disposerons d’un outil d’expérimentation de microméthanisation et apporterons ainsi des garanties aux porteurs de projet. Cela fait partie des travaux que nous menons.

M. Bignon a évoqué un marché à destination du bioéthanol qui intéresse les céréaliers. Nous sommes satisfaits que le projet de directive A2, assez mortifère à l’origine, ait évolué pour se traduire par une forme acceptable. En termes d’objectifs, toutefois, nous regrettons que les ambitions soient limitées.

D’un autre côté, nous nous inquiétons de certaines visions franco-françaises portées sur l’éthanol et sa production. Certains rendez-vous furent douloureux. Une incompréhension porte sur la taxation du carbone qui n’est pas différenciée entre le carbone biogénique et le carbone fossile. Le carbone renouvelable est taxé de la même façon que celui extrait du sous-sol. Nous ne parvenons pas à comprendre la gymnastique ! Aussi, nous aimerions que la situation évolue rapidement. Tous les ans, nous proposons des amendements dans les projets de loi de finances pour améliorer la donne, sans obtenir gain de cause jusqu’à présent.

M. Nicolas Rialland, directeur des affaires publiques de la Confédération générale des planteurs de betteraves. J’apporterai quelques éléments complémentaires pour répondre au cadre que vous avez fixé.

Il y a une dizaine d’années, la filière française de bioéthanol a investi un milliard d’euros dans un outil industriel extrêmement moderne et aux performances élevées. Cet outil n’est pas totalement amorti aujourd’hui. Je rappelle que nous avons dû faire face à des débats, en particulier au niveau européen qui ont abouti au plafonnement du taux d’incorporation des biocarburants de première génération à 7 %. La directive « Énergies renouvelables II », qui vient d’être adoptée, confirme ce pourcentage pour la décennie à venir. Il s’agit d’une très bonne nouvelle.

Il convient de noter que pour faire fonctionner les usines en synergie avec la production alimentaire, environ 250 000 hectares sont mobilisés, soit moins de 1 % des surfaces cultivées en France. L’ensemble de ces hectares n’est pas uniquement consacré à la production de biocarburants puisque, de façon indissociable à la production de biocarburants de première génération, on assiste à des coproductions destinées à l’alimentation animale, et ce pour toutes les filières. C’est vrai aussi de la filière du biodiesel. Pour ce qui concerne la filière du bioéthanol, quand on transforme des céréales en éthanol, il reste des drêches, un résidu de la graine, une fois utilisé l’amidon en fermentation. Très riches en protéines, les drêches sont utilisées pour l’alimentation animale.

Quant à la betterave, une fois extrait le sucre, la pulpe sera utilisée à l’alimentation animale. Un hectare de betteraves produit en pulpe l’équivalent d’un tiers d’hectare de céréales. Quand on parle de surfaces consacrées au biocarburant, il convient de toujours distinguer les surfaces brutes et faciales des surfaces nettes que l’on obtient une fois déduite la quote-part consacrée aux produits.

M. Olivier Dauger, co-président de France Gaz Renouvelables. Dans un premier temps, je présenterai la nouvelle filière France gaz renouvelables. L’ensemble des partenaires concernés a eu l’idée d’installer la filière dans le paysage, ce qui n’est pas toujours chose aisée, surtout dans le secteur de l’énergie.

France gaz renouvelables est constituée des producteurs du monde agricole – je suis moi-même agriculteur, adhérent à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) –, ainsi que de la distribution, représentée par GRDF, GRTgaz et Illico. Nous comptons également les réseaux, des personnes de la filière, de la production à la distribution, pour rendre très lisible le potentiel de cette filière, notamment sur la place du gaz et demain, avec la sortie des énergies fossiles, du gaz renouvelable.

Le monde agricole est très présent aujourd’hui, car il est en mesure de répondre aux enjeux du climat. L’agriculture est victime et cause, mais elle est surtout solution aux problèmes climatiques actuels. Grâce à la photosynthèse, l’agriculture participe à l’augmentation de la production de la biomasse. Avec la forêt et les sols, l’agriculture est le seul secteur de puits de carbone, ce qui nous permettra sans doute à l’avenir de parvenir à la neutralité des émissions de gaz à effet de serre. Pour y parvenir, il convient d’utiliser au mieux ce puits de carbone.

La production d’énergie en agriculture n’est pas non plus un gros mot ! En effet, avant l’ère du pétrole, l’agriculture produisait de l’énergie. Par photosynthèse, l’agriculture produit de l’énergie, qu’elle soit ou non alimentaire. L’enjeu, très clair, y compris pour les professionnels, ne consiste pas à empiéter sur la partie alimentaire mais à valoriser davantage la partie non alimentaire, notamment les couverts végétaux, les cultures intermédiaires à valorisation énergétique. À l’avenir, nous serons amenés à couvrir plus largement les sols pour capter plus, pour améliorer la biodiversité et la matière organique. Il convient de réfléchir à ce que nous ferons de cette nouvelle biomasse, notamment de l’énergie qu’elle contient.

Il faut également évoquer les effluents et leur gestion pour un impact le plus faible possible sur l’environnement tout en poursuivant les activités d’élevage qui sont nécessaires, car le meilleur schéma d’exploitation est théoriquement celui de la polyculture-élevage. Il faut donc conserver la pratique de l’élevage, il faut simplement limiter son impact sur l’environnement et le climat. La méthanisation est une solution qui s’offre à nous. C’est la raison pour laquelle l’agriculture est fortement concernée. Je ne parle pas de l’ensemble de la bioéconomie, mais nous le pourrions.

Le gaz est une énergie aux multiples externalités positives. En premier lieu, elle est modulable et stockable. En France, nous disposons du réseau de gaz pour stocker et utiliser cette énergie à un coût raisonnable parce que les réseaux existent et que la technique est très complémentaire, dans le mix énergétique, avec les énergies électriques, à un coût raisonnable.

L’ADEME l’a rappelé, l’objectif consiste à remplacer le gaz naturel par du gaz vert. L’ADEME confirme que le potentiel existe et que l’on peut atteindre 100 % de gaz vert tout en conservant une consommation de gaz importante. Les agriculteurs valoriseraient une partie de ce qu’ils ne valorisaient plus. Cela participerait à l’augmentation des revenus et serait un plus pour le développement des exploitations. En augmentant la biomasse, on capte plus de gaz à effet de serre. On participe ainsi à l’enjeu du climat tout en produisant de l’énergie. C’est une équation globale qu’il convient d’avoir toujours à l’esprit.

Les freins sont nombreux parce que la filière est nouvelle. Au surplus, qui dit transition énergétique dit quitter les énergies fossiles, baisser la part du nucléaire et multiplier les sources d’énergie. On ne répond pas au même logiciel. Une telle approche n’est pas toujours aisée à développer dans certains ministères qui sont restés avec un vieux logiciel pour une transition énergétique ce qui constitue une petite révolution. Elle est nécessaire. Elle suppose une période d’explications et d’adaptation. Le groupe de travail créé par M. Lecornu a été positif. Nous regrettons que, sur plusieurs points, les mesures concrètes tardent à venir, mais sans doute est-ce la résultante du temps d’adaptation habituel.

Je souligne qu’il n’y a pas deux méthaniseurs identiques. On peut comparer un méthaniseur à une panse de vache dans laquelle on introduirait des rations, des effluents, de la biomasse... C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le monde agricole comprend si bien le système de méthaniseur ! Cela signifie également que les recettes sont toutes différentes. On ne peut cadrer les choses de façon binaire en termes de contrôles, de taxation, etc., parce que les intrants et les digestats sont différents et induisent de la complexité. Je me mets volontiers à la place de l’administration : ce schéma est moins simple que celui d’usines qui seraient toutes identiques, clonées un peu partout sur le territoire.

La complexité réglementaire française est réelle. En Belgique, un projet met un an avant de voir le jour. Après avoir été de quatre ou cinq ans en France, les délais ont été ramenés à trois ou quatre ans, mais ils n’en demeurent pas moins trop longs. Ces délais influent sur l’acceptabilité sociétale. Si nous sommes conscients de la nécessité d’entreprendre un travail sociétal, les délais sont des freins. Un projet qui met cinq ans à sortir de terre suscite inévitablement des interrogations. Créer une dynamique, donner un peu de vitesse, sans pour autant détourner les questions, permet de montrer que le développement de la filière et la mise en place d’un méthaniseur ne sont que des projets très normaux.

Nous tenons compte de l’acceptabilité sociétale qui modifie parfois le paysage. Je pense aux éoliennes qui posent des difficultés sur le terrain. Bien évidemment, les méthaniseurs méritent attention. Mais il faut expliquer à la société civile tous les aspects positifs. Malheureusement, les externalités positives ne peuvent être incorporées dans les prix. Je pense aux effets sur le territoire, à l’économie circulaire, à l’emploi, à la gestion des effluents, à la baisse des gaz à effet de serre et à l’intérêt que cette énergie offrira demain en termes d’autonomie.

Nous disposons d’une énergie en France qui permettra, si nous procédons de façon intelligente, de conserver une agriculture diversifiée telle que nous la connaissons à l’heure actuelle. Bien évidemment, quand on se place sous l’angle du registre des tarifs ou des appels d’offres, les avantages que nous offrons n’apparaissent pas ; ils n’en demeurent pas moins très intéressants sur le terrain.

La massification est nécessaire. On nous demande de baisser les tarifs et d’y réfléchir. Cela fait quatre ans que nous parlons de méthanisation alors qu’il n’existe que 400 méthaniseurs en France et 10 000 en Allemagne. Je ne dis pas pour autant qu’il faille copier l’Allemagne. Si à l’étranger, on commence à percevoir sur le terrain une forte dynamique et à voir émerger des projets que l’on doit impérativement accompagner, en France, malheureusement, depuis quatre ans, dans les nombreuses réunions sur la méthanisation, on parle davantage de réglementations, de normes et de fiscalité que d’aide à la filière. Cela fait partie des blocages. Dans un premier temps, il convient de fixer le cap de la méthanisation à 100 % de gaz vert, tout en lui accordant des moyens. Nous avons déjà la chance de disposer d’une infrastructure gazière solide sur l’ensemble du territoire – ou presque. N’oublions pas la cogénération, qui allie production d’électricité et de chaleur. Dans certaines zones qui ne disposent pas de réseaux ou dans des zones où les réseaux sont moins importants, des projets très intéressants sont présentés, par exemple de valorisation de la chaleur, tels que son emploi dans des serres. Mais la nécessité s’impose d’adapter les réseaux qui importent et diffusent du gaz. Il faudra chercher le gaz sur le terrain pour le rediffuser. Cela dit, le gaz se stocke, contrairement à l’électricité.

Autre point central, le financement et la confiance des financeurs qui participent du dynamisme de la filière.

Les financeurs sont aujourd’hui assez frileux et demandent jusqu’à 30 % d’apport. Faites le calcul sur un projet de 5 millions d’euros ! Un agriculteur, voire trois ou quatre agriculteurs réunis, peut difficilement se procurer un ou deux millions.

Un grand plan d’investissement est en cours. Sans dire qu’il n’est pas à la hauteur, il reste insuffisant. Nous sommes quelque peu surpris des prêts proposés à des taux affichés à 4 %. Comparé aux taux actuels, c’est pour le moins étonnant ! Plutôt que d’accorder de petits prêts à des taux élevés, il serait préférable que l’État accorde sa caution ou participe pour partie à la caution.

Pour la cogénération, la méthanisation présente l’avantage d’une stabilité tarifaire sur quinze ou vingt ans. Contrairement aux produits alimentaires, le risque financier est quasiment nul. Bien sûr, il convient d’être techniquement à la hauteur, mais le risque est faible économiquement. L’État ne prendrait pas trop de risques à accorder son soutien.

Je terminerai sur la nécessité d’une stabilité réglementaire et tarifaire sur le long terme. Encore récemment, on se demandait si l’État allait imposer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) aux méthaniseurs de cogénération ; le lendemain, on se demandait si l’État allait imposer l’hygiénisation de tous les intrants dans un méthaniseur. Rajouter sans cesse des règles a pour première conséquence d’augmenter les coûts ; par ailleurs, les règles fluctuent, complexifiant les projets qui sont de gros projets. Une vision à dix ou quinze ans s’impose afin de faire naître les projets, d’obtenir la confiance des financiers et surtout d’assurer le coût.

Je laisse la parole à M. Lemaistre pour la partie relative aux réseaux.

M. Jean Lemaistre, secrétaire général de France Gaz Renouvelables. Merci de nous avoir invités à cette audition.

Je limiterai mon intervention à un focus sur les carburants, et plus spécifiquement sur l’usage du biométhane comme carburant, dans l’esprit développé par le représentant de Cryo Pur.

Le biométhane a différentes utilisations possibles. Le biogaz permet de produire de la chaleur, de l’électricité, il permet la cogénération et l’injection dans le réseau.

Quand on injecte du gaz dans le réseau ou qu’on le liquéfie, il est intéressant d’obtenir un usage carburant. Il peut s’agir de gaz compressé ou de gaz liquéfié, celui-ci présentant un intérêt tout particulier pour les poids lourds qui parcourent de très longues distances. Pour les petits véhicules parcourant des distances moyennes, le gaz comprimé est préférable.

Bien que des progrès d’industrialisation restent à réaliser, le bio-GNV est un carburant mature et une technologie performante, ainsi que nous le constatons en Allemagne. Il s’agit d’un carburant de deuxième génération, avancé et reconnu comme tel. Dans notre filière, la reconnaissance s’est faite à partir du traitement des effluents, car notre filière présente le mérite d’éliminer des déchets. Quand le carburant est produit à partir de cultures intermédiaires à valeur environnementale, le rendement de la biomasse est performant. Un tel processus s’inscrit en complémentarité des carburants liquides, quels qu’ils soient, car il n’est nullement question d’opposer les carburants entre eux. Je le dis car, même liquéfié, il sera difficile de faire voler des avions avec du gaz ! Une fois injecté dans le réseau, le produit peut être liquéfié et transporté dans une station pour alimenter des véhicules.

La production actuelle fournie par des installations procédant à l’injection représente à peu près 1 térawattheure. C’est un bon début, même si ce n’est pas considérable. Le chiffre avoisine les consommations de gaz naturel de véhicules en France.

Le GNV est développé partout dans le monde. Dix-sept millions de véhicules roulent au GNV, aussi bien dans des pays développés, comme les États-Unis où la moitié des poids lourds achetés roulent au gaz, si ce n’est pas au bio-GNV, que dans des pays émergents.

Aujourd’hui, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit de fournir à 25 000 térawattheures en 2030. Ainsi que l’a souligné M. Clodic, nous souhaiterions un objectif plus ambitieux. De même, si la loi prévoit à l’heure actuelle 10 % de gaz renouvelable en 2030, l’objectif figurant dans les propositions au titre de la PPE et de la future loi est un peu plus ambitieux.

Je cite ces ordres de grandeur pour démontrer qu’une large part du biométhane pourrait être utilisée comme carburant, dans la mesure où il s’agit de l’un des seuls carburants de deuxième génération existant aujourd’hui, même si d’autres sont en préparation, qui s’avéreront très utiles et complémentaires. Y parvenir suppose de développer le nombre de véhicules roulant au gaz et le réseau des stations publiques. C’est le point clé. Les stations-service doivent pouvoir être utilisées pour s’alimenter aussi bien en gaz conventionnel qu’en biométhane.

Les véhicules roulant au GNV permettent une réduction du bruit de 50 % et une baisse de 80 % du niveau des émissions de carbone. Même quand il s’agit de carburant classique, les véhicules produisent 20 % de moins de carbone.

La réglementation contient d’ores et déjà des points positifs, tels que la fiscalité des véhicules et des carburants ou le suramortissement. Nous souhaiterions toutefois plus de visibilité dans le temps et une stabilité de la réglementation qui ne cesse de fluctuer, ce dont a besoin la filière industrielle.

Afin de lever les freins, nous souhaitons que les appels à projets lancés par l’ADEME et les régions se poursuivent, voire soient renforcés pour atteindre les objectifs fixés. Ces appels à projets sont positifs, mais sans doute l’effort doit-il être un peu plus soutenu. Dans la mesure où un surcoût touche les véhicules, il est essentiel que les dispositions sur le suramortissement soient maintenues pour permettre aux transporteurs de trouver un équilibre et tirer un véritable gain lorsqu’il passe au GNV ou au bio-GNV.

Autre point encore plus fondamental : en matière de carburants, de biocarburants et de carburants de mobilité propre, la réglementation relève d’une approche tank to wheel, autrement dit portant sur les émissions finales et non sur un cycle complet qui répondrait à une approche well to wheel. Un des points clés, aussi bien au niveau européen qu’au niveau français, serait d’avoir une vision portant non pas uniquement sur l’évolution locale comme c’est le cas aujourd’hui, mais sur le cycle global, depuis la production du carburant en cycle de vie complet jusqu’à la consommation, en intégrant l’évolution locale et globale.

Mme Laure Courselaud, adjointe au chef du bureau F1 de la sous-direction des droits indirects de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). Je vous remercie de donner la parole à la Douane. Je rappellerai en premier lieu le rôle de la Douane en matière de transition énergétique.

La Douane perçoit les taxes environnementales. La taxe générale sur les activités polluantes sur les carburants (TGAP), qui deviendra prochainement la taxe incitative à l’incorporation de biocarburant aux termes de l’article 60 du projet de loi de finances, est la seule taxe environnementale qui existe en matière de carburants et de biocarburants.

En matière de carburants, la Douane perçoit une seconde taxe : la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) qui est une accise relevant de la directive européenne 2003-96 relative au régime des accises. En tant qu’accise, la TICPE a pour finalité principale le rendement.

En matière d’application de la perception de la TICPE et de la TGAP carburant, notre principal souci est de nous assurer du bon contrôle des taux réduits, des exonérations ou des réductions de taxes.

La direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) fixe les orientations en matière énergétique ; elle est amenée, dans ce cadre, à nous consulter.

Mme Nathalie Sarles. Pourriez-vous nous préciser ce qu’est un droit accise ?

Mme Laure Courselaud. Il s’agit d’une taxe sur le poids. La directive européenne 2008-118 encadre les marchandises sensibles de l’Union européenne. Si la libre circulation des marchandises est de droit dans l’Union européenne, les marchandises qui relèvent d’une accise font l’objet d’une forme de restriction en étant soumises à des formalités de contrôle et de circulation.

Il existe à l’heure actuelle trois types d’accise, qui portent sur le tabac, les alcools et les produits énergétiques.

M. le président Julien Dive. Je formulerai quelques remarques.

Monsieur Clodic, vous avez évoqué le manque de moyens dans l’accompagnement à l’installation des stations. Il est vrai que la France n’est pas pionnière en matière de développement de stations GNV-GNL. Mais j’ai à l’esprit des projets locaux qui sont lancés par des transporteurs. Je pourrai en citer au moins deux implantés sur mon territoire : à Saint-Quentin, le transporteur Hutch installe une station GNV ouverte au public et le transporteur Blondel travaille avec Air liquide à l’installation d’une station GNL dans les Hauts-de-France.

Vous relevez l’absence d’appui financier public au déploiement des méthaniseurs. Quelles seraient vos préconisations pour un appui financier public ? Quelle forme pourrait-il prendre ? Je relie ce propos avec celui sur les méthaniseurs, évoqués par M. Dauger. A également été évoqué, la surenchère des moyens nécessaires à l’installation, en tout cas l’enrichissement du coût des matières premières ou des matériaux pour installer ces méthaniseurs.

Je voudrais interroger l’ensemble de la filière carburant-éthanol, afin de nous expliquer plus en détail l’enjeu que constitue le plafond de la TGAP pour la filière éthanol au regard de l’incorporation de produits importés comme l’huile de palme.

L’article 60 du PLF contient les indicateurs destinés éventuellement à faire évoluer la TGAP. Le débat sera abordé dans l’hémicycle à partir du 30 octobre. Quel est l’enjeu de ce plafonnement et des différentes ressources ?

Venant d’une terre betteravière, je connais le process de fabrication du sucre. Mais pourriez-vous expliquer à un public non averti les différentes étapes de fabrication de l’éthanol à partir d’un résidu et non d’une matière première ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Il est très intéressant que des représentants de plusieurs filières de biocarburant soient réunis même si les représentants du biodiesel, de l’hydrogène et de l’électricité ne sont pas présents aujourd’hui.

Je place le débat sous cet angle, car vous vous situez en tant que producteurs qui visez tous, me semble-t-il, les mêmes consommateurs. Si je vous entends, demain, les stations-service proposeront à la pompe du biodiesel, le B100, l’E85, le GNG, le GNL, l’hydrogène et le chargeur électrique. Cela fait beaucoup pour un seul véhicule !

À l’occasion du Salon de l’automobile, nous avons rencontré les constructeurs et les fédérations de véhicules. La priorité à court terme est le véhicule électrique. Je n’ai pas vu de véhicule léger circulant uniquement au méthane, à l’éthanol, etc.

J’en viens aux véhicules industriels : les véhicules agricoles, les tracteurs, les bateaux…. À cet égard, des débouchés existent certainement. Un effort ne doit-il pas être fait pour clarifier les perspectives futures ? Une multitude d’énergies est nécessaire, qu’il faut sans doute spécialiser en fonction des véhicules.

J’interroge également sur la quantification globale de la biomasse disponible produite sans réduire les surfaces alimentaires.

M. le président Julien Dive. Hier, au Salon de l’automobile, j’ai visité le stand d’un fabricant de boîtiers homologués pour l’éthanol. En échangeant avec les professionnels, j’ai compris qu’un propriétaire d’un véhicule essence classique qui installerait ce type de boîtier perdrait la garantie « constructeur ». Il s’agit d’une forme de frein à la transition énergétique. Je m’interroge : pourquoi ces boîtiers ne sont-ils pas standardisés par les constructeurs ? J’imagine qu’un frein industriel fort les en empêche. Peut-être ce frein a-t-il pour vocation à tester le boîtier. J’interrogerai d’ailleurs la filière car je voudrais avoir votre avis sur les points bloquants à l’installation en série de ce type de boîtiers.

Mme Nathalie Sarles. Peut-être serait-il intéressant d’auditionner les constructeurs automobiles.

Nous sommes également sensibles aux freins sociétaux. Suite aux propos de M. Duvergé, comment êtes-vous perçus aujourd’hui par la profession agricole plutôt tournée vers la production alimentaire ?

Mme Véronique Riotton. Je reviens sur les freins réglementaires, fiscaux et le manque de visibilité pluriannuelle. Dans le cadre du PLF, vos demandes sont plutôt d’ordre fiscal. Pourriez-vous évoquer des questions plus techniques en lien avec l’aspect législatif ?

M. Olivier Dauger. Je ne parlerai pas des biocarburants.

Nous avons centré notre propos sur le transport, mais le gaz ne concerne pas uniquement le transport : il convient de le remplacer dans tous les domaines, le chauffage par exemple. Complémentaire à l’électricité, le gaz permet, entre les pics de consommation et les soubresauts de production, de jouer un rôle tampon dans la production d’électricité. Le gaz peut jouer le rôle de complément d’autres énergies ou pallier les besoins dans de nombreux domaines.

Nous nous sommes focalisés sur le transport poids lourds, c’est vrai. Je rappelle que des normes relatives aux tracteurs gaz sont précisées à l’échelle européenne. Massey Ferguson dans les Hauts-de-France ou New Holland travaillent sur les tracteurs à gaz. Les pistes existent également pour le chauffage, pour produire de l’énergie quand les éoliennes sont à l’arrêt, la nuit, quand il fait très froid ou très chaud s’agissant des climatiseurs. Nous changeons de logiciel ! Nous sortons de la production de trois énergies ; nous allons connaître prochainement un panel de productions et d’utilisation d’énergies aux entrecroisements multiples. Il faut, à cet égard analyser le mix énergétique sous une approche différente.

Produire sans empiéter sur l’alimentaire fait partie de nos enjeux. L’ADEME affirme que le potentiel français de biomasse, d’effluents, de déchets pour produire du gaz renouvelable nécessaire est présent. On ne parle pas de la partie alimentaire.

Je reviens à l’évolution de l’agriculture, qui d’ailleurs rejoint la question que vous avez posée sur la perception de la profession. La profession est la première à ne pas remettre en doute le dérèglement climatique, car cela fait plusieurs années qu’elle y est brutalement confrontée. Cela fait cinq ou six ans que la production agricole subit des soubresauts économiques, mais également climatiques. Il convient de rechercher des systèmes plus résilients pour faire face à la dureté du climat et à l’absence d’eau. La vie du sol évolue, et capter le carbone représente un enjeu.

Sur le plan alimentaire, la situation des revenus agricoles n’est pas simple. Si donc de nouvelles sources de revenus amélioraient tout à la fois la résilience des exploitations et permettaient aux agriculteurs d’être mieux perçus par la société, à tout le moins qu’il était démontré que l’agriculture dans sa diversité est une chance plutôt qu’un problème, le cap pourrait être passé. Chez les agriculteurs, il est en passe de l’être. La profession n’est pas opposée à réfléchir à l’ensemble de ces sujets. Si, demain, nous devions couvrir les sols, garder des prairies en pratiquant l’extensification de l’élevage pour des raisons sociétales, nous pourrions utiliser l’herbe des prairies pour faire de la méthanisation. Il est possible d’utiliser la biomasse, de capter le CO2 et de produire de l’énergie dans le même temps. Nous sommes face à une équation composée de multiples entrées et sorties.

L’acceptabilité sera possible si nous expliquons bien les choses, si nous intégrons, dès le début des projets de méthanisation, l’enjeu, essentiel, de la biodiversité. Ce n’est pas impossible, il faut qu’il soit intégré au même titre que l’enjeu économique ou l’enjeu de l’exploitation.

M. Sylvain Demoures, secrétaire général du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA). Monsieur le président, vous nous avez interrogés sur l’impact et les enjeux liés à l’huile de palme.

L’huile de palme occupe 15 % de l’objectif d’énergie renouvelable de l’essence depuis 2014 et a connu une forte croissance en 2017. Ce n’était ni souhaité, ni désiré, ni attendu par notre filière.

M. le président Julien Dive. Cela intègre-t-il le projet de la raffinerie de La Mède ?

M. Sylvain Demoures. Il est intégré indirectement. À l’heure actuelle, la production n’est pas celle attendu de la raffinerie de La Mède, il s’agit d’une production importée, dont une partie prépare le démarrage de l’outil. Il existe donc un lien à travers la commercialisation des produits.

M. le président Julien Dive. Dans quel sens iront les perspectives ?

M. Sylvain Demoures. Nous pensons que nous assisterons à une stabilisation, voire à une légère croissance, plutôt qu’à progression forte.

La perte a été importante puisque 15 % des volumes ne sont pas accessibles à notre filière. C’est l’une des raisons qui incite à dire que les objectifs peuvent être revus à la hausse de 15 %, au-delà de 7 % pour atteindre 8,9 %. Cela permet d’accéder plus rapidement à l’objectif fixé pour 2020 de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports. Si elle le souhaite, la France a la possibilité d’augmenter aujourd’hui même l’incorporation d’énergies renouvelables dans l’essence.

La question de l’huile de palme fera l’objet d’un travail de la Commission européenne dans le courant de l’année prochaine. Elle est identifiée dans la nouvelle directive Énergies renouvelables qui couvrira la période 2021-2030. Le gouvernement français sera attentif aux conditions du plafonnement prévu par la directive, à la baisse éventuelle qui suivra pour certaines matières à risques, telles que l’huile de palme, et à leur mise en œuvre.

Vous avez interrogé sur les consommateurs visés. S’agissant de l’éthanol, l’utilisation est intense pour les véhicules légers et les véhicules à essence qui sont les véhicules vers lesquels se tournent de plus en plus les consommateurs français.

Nous sommes également présents dans l’alimentation des poids lourds et des bus avec l’ED95, un carburant qui ne contient aucune énergie fossile, uniquement de l’éthanol, un additif dilué dans de l’eau. Les camions qui roulent ainsi sont produits par la société suédoise Scania qui les commercialise en Suède depuis de nombreuses années. La technologique est donc émergente en France et en cours de commercialisation.

Vous nous interrogez sur les boîtiers installés sur des véhicules récents ou des véhicules plus anciens. La question de la garantie du constructeur a été traitée dans l’arrêté d’homologation de décembre dernier. Nous comprenons les constructeurs qui estiment ne pas être responsables en cas de problèmes dès lors que l’on modifie un élément lié à l’utilisation du carburant de leur véhicule et qu’ils renvoient la responsabilité sur le fabriquant des boîtiers. Ce dernier prend une assurance qui remplace celle du constructeur dans le cas où cette dernière ne s’appliquerait pas. Bien entendu, l’assurance ne fonctionne que si le problème est lié à la chaîne de carburant et non au volant qui se détacherait ! Les garanties constructeurs sont maintenues dans tous les autres cas, quelle que soit la situation.

Les constructeurs ont été actifs sur ce créneau et ils le sont sur des marchés très demandeurs comme le Brésil. Au Brésil, tous les véhicules vendus sont flex fuel. L’ensemble des constructeurs européens sont actifs au Brésil, ils maîtrisent donc tous la technologie. La question de la technologie ne se pose donc pas, il s’agit plutôt d’une question industrielle. La France est en avance sur l’E85, mais les constructeurs ne peuvent pas, pour des raisons industrielles, multiplier les gammes si davantage de pays ne font pas plus largement la promotion de l’E85. Dont acte !

Les boîtiers homologués permettent aux constructeurs de préparer d’autres modèles. Ils auraient tout intérêt, selon nous, à envisager le flex fuel pour les nouveaux véhicules hybrides rechargeables que Peugeot et Renault vont mettre sur le marché dans l’année ou les deux années qui viennent. Pour des raisons techniques sur lesquelles je ne m’étendrai pas, le rendement de l’éthanol E85 dans les moteurs hybrides est encore plus performant que dans les moteurs à essence : on fait de l’efficacité énergétique. Une étude sera lancée prochainement sur le sujet avec l’ADEME afin de quantifier précisément cet avantage. Il existe, nous le savons, et les constructeurs ont tout intérêt à le prendre en compte pour l’avenir.

S’agissant de la quantification de la biomasse, notre filière est dimensionnée pour atteindre environ 10 % d’énergies renouvelables dans l’essence, un objectif qui peut être atteint en trois ou quatre ans. La deuxième génération d’énergies renouvelables pourrait arriver dans les années 2023. Rappelons que l’éthanol de première génération de résidus ou de deuxième génération est le même. Tout ce que nous ferons pour développer l’utilisation de carburants et la motorisation acceptant l’éthanol sera utile, quelles que soient les matières premières qui se développeront à l’avenir.

M. Arnaud Rondeau. En termes d’enjeu pour les filières agricoles, en particulier céréalières, la production céréalière française annuelle avoisine, bon an, mal an, les 70 millions de tonnes. 2018 n’est pas forcément la meilleure année de référence. La filière « éthanol » utilise 2,1 millions de tonnes de céréales à mettre en rapport à la production de 70 millions de tonnes.

Pour les producteurs que nous sommes, l’intérêt réside dans la diversité des débouchés. L’éthanol est un débouché parmi d’autres. Une bonne part de la matière entrante dans l’industrie éthanolaire ressort en alimentation du bétail. Des 2,1 millions de tonnes, on peut retrancher la partie qui retourne à l’animal et par conséquent à l’alimentaire, non-OGM en France et certifié durable. Toutes les productions de biocarburants, quels qu’ils soient, qui entrent dans le schéma, sont certifiées durables.

Mme Valérie Corre, vice-présidente du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA). Je souhaiterais vous expliquer un point technique. En France, et uniquement en France, la notion de résidus prête à confusion.

Je décrirai schématiquement le process d’extraction du sucre de la betterave. Il s’opère en trois cycles, appelés « jets ». La betterave passe à trois reprises par des machines. Une fois ces cycles achevés, tout le sucre extractible de la betterave est retiré. Il résulte de ce process un jus épais, appelé communément « mélasse », autrement dit le sucre non extractible. Ce liquide visqueux et noir contient 50 % de sucre et d’autres matières, dont des impuretés.

La mélasse a longtemps été confondue avec un déchet parce que l’on nous expliquait qu’un résidu était un déchet.

Dans la directive « Énergies renouvelables », on trouve les matières premières alimentaires – les plantes – et les déchets qui seront jetés. Les déchets répondent à des définitions précises. Il est préconisé de s’en débarrasser. Or, on ne se débarrasse pas de la mélasse, on la valorise. Il s’agit d’un résidu qui a des usages : elle est principalement distillée en alcool, mais elle participe à la production de la levure. Voilà ce qui a perturbé les esprits. Dans la mesure où elle est participe à produire de la levure qui sert à faire du pain, on a considéré qu’elle relevait du secteur alimentaire et on a assimilé en France la mélasse à la betterave.

La Commission et le commissaire européen à l’énergie, M. Miguel Arias Cañete, ont confirmé que notre analyse était juste, ce qui, toutefois, n’a pas permis, à ce jour, de faire changer d’avis – nous ne désespérons pas ! – certaines personnes de l’administration. M. Arias Cañete a confirmé le fait qu’un résidu est une production inévitable. En effet, fabriquer du sucre induit inévitablement une production de mélasse, à savoir des sucres non extractibles. L’alimentaire est au cœur de la production de sucre : pas de mélasse, pas de sucre !

Par ailleurs, on ne modifie pas le process pour faire de la mélasse. On en produit parce que l’on a mené le process d’extraction jusqu’à son terme. On peut modifier le processus. Le processus d’extraction du sucre nécessite deux ou trois cycles en fonction de la demande. On ne va pas au terme du cycle d’extraction faute de demande. En limitant à deux cycles, le jus contiendra du sucre non extractible de la mélasse et un peu de sucre extractible qui n’a pas été extrait, faute de demande, ou parce que les cours se sont effondrés.

Enfin, produire de la mélasse n’est jamais l’objectif. C’est ainsi qu’aucun planteur que je connaisse ne plante de betteraves pour produire un résidu.

Un résidu, au sens de la directive, n’est pas un déchet. La mélasse n’est pas jetée, elle est valorisée – pour autant que ce soit possible car si l’on retire les usages, les producteurs se retrouvent avec beaucoup de mélasse et aucun usage, ce qui contraint les producteurs à la jeter. C’est absurde. La pensée, dans sa logique, n’a pas été comprise.

La Commission a clarifié les différents points par courrier. Nous espérons pouvoir convaincre l’administration, car c’est vital. Il ne s’agit pas d’opposer des usages mais de diversifier et de maintenir la diversification des usages existants.

Il est important d’expliquer pourquoi l’on veut reconnaître la mélasse en tant que résidu. La directive adoptée en 2013 procède à un distinguo – sociétalement souhaité – entre les productions alimentaires – les productions d’alcool ou de biocarburants à base de plantes alimentaires – et celles qui ne le sont pas. Ce distinguo, en fixant un plafond à 7 %, limite une partie de la production afin d’éviter les problèmes liés à l’opinion publique. Nous avons accepté cette limite parce qu’elle était nécessaire sociétalement. Cela ne nous pose aucune difficulté. En revanche, la nature des produits qui entrent dans la limite de 7 % pose problème.

La réglementation est parfois très complexe. La directive européenne qui entrera en vigueur à partir de 2021 a clarifié ce point. Aujourd’hui, nous savons que les résidus en particulier et tous les autres déchets ne seront pas inclus ni comptabilisables dans le plafond de première génération. Si nous voulons maintenir des activités sucrières et amidonnières, nous devons pouvoir valoriser et maintenir la diversification, voire l’amplifier, surtout lorsque c’est nécessaire pour décarboner le transport. Cela s’appelle faire d’une pierre plusieurs coups sans porter aucun préjudice aux autres usages qui seront toujours approvisionnés. Personne n’a intérêt à n’avoir qu’un débouché. L’idée repose sur la diversification.

M. le président Julien Dive. Monsieur Clodic, Cryo Pur a levé six millions d’euros de fonds. Quel est votre avis sur le crowfunding ? Votre retour d’expérience pourrait être intéressant. Nous avons évoqué, en effet, des difficultés de financement de certains projets.

Quelles sont les problématiques du bio-GNL dans les navires ?

M. Simon Clodic. Je laisserai France Gaz Renouvelables traiter du potentiel de production de biométhane et de gaz vert aux horizons 2030-2050 car elle est la plus légitime pour ce faire.

Pour information, la société Seat a lancé un véhicule roulant au gaz naturel comprimé. En termes de force de frappe commerciale ou de marketing, la société n’est peut-être pas aussi forte que d’autres acteurs plus intéressés par l’électromobilité, mais sachez que des véhicules au gaz sont lancés par les constructeurs Seat et Fiat. Peut-être les constructeurs français doivent-ils suivre cette voie. Sachez, en tout cas, qu’une offre existe déjà et que les performances s’améliorent.

M. le président Julien Dive. Vous me tendez la perche. Il y a vingt ans, Daewoo lançait en Europe le véhicule GPL. Il n’était pas le seul ; d’autres constructeurs, avec lui, ont parié sur le GPL. Or, en l’espace de vingt ans, le GPL a connu un recul considérable.

M. Simon Clodic. Je ne parlais pas du GPL. Vous nous avez dit ne pas connaître de constructeurs ; je voulais simplement observer qu’il en existe.

Le crowdfunding et le financement participatif peuvent avoir un impact très positif sur le financement et les tours de table des projets, en particulier sur la méthanisation, car ils améliorent la compréhension et l’acceptation des habitants du territoire et des riverains en les faisant participer au financement des projets. C’est une formule qui commence à prouver son efficacité.

La mesure manquante que j’ai évoquée a fait l’objet d’une incompréhension. On parle de faits assez récents. En effet, la première immatriculation de camions GNL date de 2014. Aujourd’hui, 20 % du gaz naturel arrivent en France sous forme de GNL. On s’est aperçu que l’on pouvait l’utiliser directement dans les camions et qu’il avait des impacts très favorables sur le plan de la réduction de la pollution atmosphérique mais également des émissions de gaz à effet de serre.

On assiste à un véritable essor de la mobilité GNL et GNV, laquelle se matérialise par la construction de stations sur le territoire. Le recensement sur le portail Mobilité Gaz Open Data fait état d’environ 140 stations publiques de gaz naturel comprimé à la fin de 2018 et de 30 stations de gaz naturel liquéfié. Plus globalement, la France a l’ambition de promouvoir l’usage du gaz naturel pour véhicules, en particulier sur le segment des poids lourds. Cela pourrait se matérialiser par un parc public GNV d’environ 2 000 stations à l’horizon 2030. Des ambitions fortes portent sur ce terrain. Il me semble que l’essor de la mobilité GNV est tiré notamment par le delta de TICPE entre le GNV et le diesel et par d’autres mesures fiscales, dont le suramortissement.

Pour répondre à votre question, la mesure manquante ne concerne pas les stations GNV, qui se déploient dans de bonnes conditions ; il s’agit simplement d’attribuer un soutien financier à des projets de méthanisation trop éloignés des réseaux de gaz naturel mais qui peuvent néanmoins alimenter directement des stations GNV. Ce manque législatif et réglementaire est en cours d’être comblé. Je voulais simplement préciser ce point. C’est pourquoi j’ai indiqué que nous évoquions une niche un peu particulière.

Vous m’avez interrogé sur une station proposant différentes formes d’énergie. Il convient de déterminer le carburant, aujourd’hui disponible, qui soit susceptible de décarboner le mix des transports. Les représentants des deux principaux types de carburants que sont les agrobiocarburants et le biométhane sont présents dans la salle. Il est important de préciser que le biométhane et les biocarburants sont disponibles immédiatement. Nous n’avons pas encore parlé du bio-hydrogène. L’hydrogène qui a des vertus est essentiellement produit à partir de méthane, qui n’est pas du biométhane.

Pour décarboner maintenant, il faut recourir à des produits disponibles. La multiplicité des énergies suppose de hiérarchiser entre celles qui sont présentes sur le marché aujourd’hui et celles qui le seront demain ou après-demain et de mesurer leurs performances et les usages possibles. On perçoit une forte volonté d’électrifier et de passer à l’électromobilité pour les véhicules légers. La tendance est forte, mondiale, européenne et française. Pour les poids lourds, il est plus compliqué de fournir la puissance électrique nécessaire. Le bio-GNV a un rôle fondamental à jouer d’autant qu’il s’agit d’une énergie produite localement dans le cadre de circuits courts de l’économie circulaire. Qu’il soit injecté dans les réseaux ou liquéfié, le biométhane répond haut la main aux critères de durabilité les plus stricts édictés, y compris au niveau européen. On parle, en effet, d’une réduction de 80 à 90 % de réduction des gaz à effet de serre. Le bio-GNV présente une solution de premier choix disponible, que l’on peut déployer au moyen de l’injection et de la nouvelle filière de liquéfaction à mettre en place.

(Mme Anne-France Brunet remplace M. Julien Dive à la présidence).

M. Jean Lemaistre. Oui, il existe une diversité de solutions, oui c’est compliqué ! À terme, des solutions seront privilégiées par rapport à d’autres, mais l’on voit d’ores et déjà se dessiner ce qui vient d’être dit. Pour les petits véhicules, notamment destinés au centre-ville, les solutions électriques sont intéressantes. Pour les gros véhicules et surtout sur les longues distances, les biocarburants, notamment le biométhane, présentent un grand intérêt. Ajoutons les biocarburants liquides. Il existe une vraie complémentarité entre ces différentes solutions. Bien sûr, des évolutions technologies aboutiront, je l’espère, à une simplification pour le consommateur. Mais, en cette période encore incertaine, il est important que ces différentes possibilités soient ouvertes.

Mon deuxième point concerne directement France Gaz Renouvelables. La méthanisation, qui a vu le jour en France, ne procède pas de l’agriculture, elle a répondu au tri sélectif des déchets urbains à Lille et à Forbach. Précurseurs, les communautés urbaines ont connu les deux premières opérations d’injection. Le process a ensuite été utilisé par les éleveurs.

M. Dauger, co-président de France gaz renouvelables, est céréalier grandes cultures ; notre autre co-président, Jacques-Pierre Quaak, est éleveur de bovins. Si vous le souhaitez, vous pourrez visiter sa ferme en Ile-de-France. Il sera ravi de vous accueillir ! Les éleveurs sont davantage représentés dans notre association France Gaz Renouvelables. Nous sommes focalisés aujourd’hui sur la question de l’énergie, mais notre objectif principal vise l’agro-écologie et le traitement des effluents agricoles, notamment les déjections animales. En Bretagne, le bureau de l’association compte un éleveur breton particulièrement actif qui s’est lancé dans la cogénération. Dans le domaine de la méthanisation, nous recevons un très fort soutien du monde de l’élevage qui est en pointe.

M. Olivier Dauger. L’électrique est, selon moi, plutôt destiné à l’urbain et le gaz aux zones rurales. Des stations commencent à être installées par les transporteurs ou par les méthaniseurs qui créent ou fournissent localement des stations de gaz vert renouvelables dans le monde rural. Il y a là un usage pour les tracteurs et les camions. Le problème de la massification pour les véhicules légers tient dans l’absence de stations. Le jour où l’on comptera une vingtaine ou une trentaine de stations par département, des opportunités s’ouvriront aux conducteurs. En revanche, l’électrique est plus adapté au milieu urbain.

Mme Valérie Corre. Je reviens à la difficulté soulevée par M. le rapporteur d’avoir plusieurs sources d’énergie dans une station.

La transition énergétique permettra une moindre dépendance énergétique ; c’est l’un des effets bénéfiques indirects de la diversification, au-delà du fait que cela soutient l’agriculture et par conséquent le secteur alimentaire ; au surplus, cela allège la facture énergétique de la France auprès de pays qui ne sont pas forcément amis et l’exonère de cette dépendance, pas seulement géographique, mais à un produit.

Dans une station-service, il y a deux pompes qui proposent du pétrole craqué différemment. Nous sommes dépendants d’une molécule, que l’on finira par épuiser. La diversification est une manière bénéfique de juguler la dépendance.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Selon moi, il serait logique que l’on débouche à court terme sur des véhicules légers et des véhicules hybrides fonctionnant à l’E85. Les véhicules lourds ou agricoles et les bateaux se déplaceraient au GNV liquide ou gazeux. Si nous aboutissions à une telle configuration, nous pourrions progresser. À ce jour, quels sont les freins à l’utilisation, émanant soit des consommateurs, soit des constructeurs ? Je pose la question car cette solution n’est jamais évoquée. En effet, en discutant avec les constructeurs automobiles, personne ne m’a parlé d’hybride fonctionnant à l’E85. Quels sont donc les freins qui aujourd’hui nous empêchent rapidement d’accéder à cette solution immédiatement disponible ?

M. Sylvain Demoures. Aujourd’hui, il est possible d’équiper un véhicule hybride d’un boîtier homologué pour lui permettre de rouler à l’E85. Mille cinquante stations sont ouvertes. Nous appelons les constructeurs français, dans le cadre des futurs développements de l’hybride, à installer des flex fuel d’origine à l’E85. Ils prendront le temps qu’il convient pour procéder aux développements. En attendant, la solution de l’E85 fonctionne déjà, et bien. Certains constructeurs, nous dit-on, commencent à réfléchir à des partenariats avec les fabricants de boîtiers. Cela figure parmi les solutions devenues possibles. Les fabricants de boîtiers étaient présents au Mondial de l’Automobile. Nous constatons un très fort engouement des Français pour utiliser un carburant plus économique, plus écologique et plus local.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Pour résumer, les solutions existent, les consommateurs la réclament, mais les constructeurs automobiles ne proposent pas de modèle.

M. Sylvain Demoures. Laissons du crédit aux industriels, ils ont besoin d’avoir une visibilité des marchés. Au vu de la situation un peu particulière en France, on comprend que l’adaptation intervienne après la fabrication du véhicule. Nous souhaitons que cette solution se développe partout en Europe et que les constructeurs français, après des développements sur l’hybride notamment, se lancent sur le marché, et pas seulement en France. En tout cas, nous allons œuvrer dans cette direction.

Mme Valérie Corre. Le mouvement est impulsé par le politique. Il convient de mener une politique à très long terme.

Pourquoi les constructeurs commencent-ils à parler de l’électrique ? Simplement parce que l’on a annoncé la disparition des véhicules thermiques en 2050. À la place de Peugeot, de Citroën ou d’autres constructeurs, j’imaginerais faire autre chose. Cette attitude vient en réaction. Comme tout le monde, les constructeurs sont tributaires de la politique.

L’un des freins majeurs auquel sont confrontés les secteurs représentés ici aujourd’hui et l’industrie automobile qui est tributaire des filières de biocarburant tient dans la vision à long terme. Il suffit de regarder ce qui se passe au Brésil ou aux États-Unis qui mènent des politiques cohérentes, surtout sur le très long terme, qui n’ont jamais failli ou quasiment jamais. Ils ont réussi à développer une industrie et à décarboner. Nous nous adapterons au biogaz, au bioéthanol, à l’électricité, mais auparavant il faut un cadre. À la suite, les opérateurs industriels y répondront de façon adaptée.

M. Nicolas Rialland. Je reviens sur deux questions.

S’agissant de l’acceptation par le milieu agricole, je voudrais livrer un témoignage sur la production betteravière. Pendant cinquante ans, la production sucrière était sous quota, et ce jusqu’en 2017-2018. Au cours de cette période, les contractualisations de betteraves en fonction du débouché étaient habituelles. Elles aboutissaient aux prix différenciés des betteraves : les betteraves blanches du quota utilisées à faire le sucre et les betteraves sucrières blanches, hors quota qui avaient plusieurs utilisations. On en tirait le sucre dit « industriel » qui n’avait pas de vocation alimentaire, de l’alcool pour différents usages dans le secteur de la parfumerie, des spiritueux, etc., et de l’éthanol carburant.

La culture du prix différencié des betteraves en fonction du débouché était très ancrée. Grâce à ces prix différenciés, les agriculteurs ont toujours très bien vécu. Ils ont été habitués à percevoir des rémunérations différentes pour chacune des catégories de betteraves indexées sur les différents débouchés. Les quotas ayant été supprimés, il ne reste, depuis 2018, qu’une seule catégorie de betteraves.

Après la libéralisation du secteur, la filière traverse une période de grosses turbulences à un moment où la production sucrière mondiale est fortement excédentaire. Depuis dix-huit mois, les prix se sont effondrés, la production européenne a augmenté, ce qui suppose que nous devons exporter plus de sucre. Dans ce contexte, le sucre exporté sur le marché mondial est très peu rémunérateur. A contrario, le débouché éthanol carburant est relativement plus attractif aujourd’hui. En ne mettant pas tous ses œufs dans le même panier, la diversification des débouchés participe très concrètement à la résilience des exploitations. Je ne dis pas que ce sera rémunérateur mais la diversification, y compris vers des débouchés énergétiques, contribue sans conteste à la résilience des exploitations.

Je veux, par ailleurs, évoquer les freins législatifs. Je vais retourner le propos : si nous n’identifions pas toujours de freins législatifs, en revanche, il peut y avoir des opportunités. Périodiquement, dans le cadre du projet de loi de finances, est débattue l’évolution du taux d’incorporation des biocarburants dans les carburants. Nous avons un point d’intersection très concret avec la politique pluriannuelle de l’énergie. Il se trouve que lors de l’examen du projet de loi de finances de l’année 2019, à l’article 60, la représentation nationale sera appelée à se prononcer sur l’évolution des taux d’incorporation de biocarburants dans les carburants. C’est une très bonne chose. L’opportunité se présente, peut-être en s’appuyant sur les filières existantes, de redonner une ambition à la trajectoire qui est proposée et de participer à une accélération de la décarbonation des transports. Pour autant, le domaine réglementaire demeure important.

Je conclurai mon propos par deux exemples. Le premier concerne le décret relatif aux véhicules à faibles émissions, en particulier les véhicules lourds.

Il existe une classification des technologies. Nous préférerions une approche technologiquement neutre. Dès lors que nous avons de mêmes avantages écologiques ou en termes de qualité de l’air, nous souhaiterions bénéficier du même classement. La neutralité technologique est essentielle.

Les tests disponibles d’émission des véhicules lourds fonctionnant à l’ED95 révèlent des niveaux très bons, comparables à ceux du gaz. Pour autant, cette solution est un peu déclassée : elle se situe en classe 2 et non en classe 1, ce que nous déplorons.

L’autre aspect concerne un dispositif qui est la prime à la conversion dont l’objectif est de moderniser le parc automobile français. Il permet aux foyers français qui changent de véhicules légers de bénéficier de 1 000 euros s’ils sont imposables ou de 2 000 euros s’ils ne le sont pas, l’idée étant de passer à une autre génération de voitures.

Curieusement, les carburants alternatifs sont totalement exclus de ce dispositif. On pourrait imaginer une prime symbolique à la conversion des véhicules existants, que ce soit pour l’E 85 avec les boîtiers, pour le GPL ou le GNV. Cette prime concernerait les personnes qui ne changeraient pas de voiture, mais installeraient un boîtier E85 ou qui la convertirait au GPL avec un ticket peut-être être plus modeste. Le coût moyen du boîtier s’élève à environ 1 000 euros. Une aide de 200 ou 300 euros serait intéressante. La conversion au GPL est plus coûteuse, de l’ordre de 2 000 euros. Une aide de 500 euros pourrait être accordée. Le signal donné serait plus intéressant, me semble-t-il, que de se limiter à l’alternative essence ou diesel.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Sur le thème de la diversification de l’usage des betteraves, j’ai l’impression que vous allez à l’encontre du propos de Mme Corre. Vous dites que les quotas sucriers ayant été supprimés, l’éthanol est une façon pour les producteurs de se diversifier et d’accéder à d’autres débouchés. C’est dire que des surfaces qui étaient destinées à l’alimentaire deviendraient des surfaces productrices d’éthanol.

M. Nicolas Rialland. Le changement véritable est intervenu entre 2005 et 2009. C’était l’époque où l’on investissait dans des outils industriels de grande dimension. À cette époque, il a fallu augmenter l’approvisionnement des usines pour produire de l’éthanol, en plus de sucre déjà produit.

Une partie de l’éthanol dérive de la transformation de betteraves en sucre, pour la part des résidus ; parallèlement, une partie découle directement de la transformation des betteraves. Je ne pense pas qu’il y ait de contradiction entre nos propos. À l’époque du changement, effectivement, les surfaces consacrées à la production de betteraves ont augmenté pour alimenter les usines afin qu’elles tournent à pleine capacité. Depuis le démarrage des usines, cela remonte à une dizaine d’années, les surfaces de betteraves destinées à la production d’éthanol sont restées stables, elles ont même plutôt diminué, puisque cette culture améliore ses rendements de 1 % à 1,5 % par an, en tendance sur le long terme. Parallèlement, elle œuvre en faveur du changement climatique.

Dorénavant, les surfaces restent stables. Les betteraves éthanol n’ont jamais phagocyté les betteraves produisant du sucre.

Mme Valérie Corre. Je livrerai le point de vue des transformateurs qui ne vient pas en contradiction avec le propos de M. Rialland. Je veux préciser un fait prégnant dans toutes nos usines. La fin des quotas a sonné la fin d’un monde, un monde où tout était prévu et où tout se passait bien. Aujourd’hui, rien ne peut être prévu – pas même le climat. Et cela ne va pas aller en s’améliorant. Aujourd’hui, plus que jamais, un agriculteur qui nourrit ou un agriculteur qui nourrit et qui produit de l’énergie ou encore un agriculteur qui nourrit et qui au surplus produit de l’alimentation animale sera soumis à des aléas et à des questions d’ordre quasi existentielles. Entre le moment où l’on sème et le moment où l’on récolte, des événements que l’on ne peut anticiper se produisent. On ne peut non plus anticiper le climat à l’autre bout du monde parce que l’on est, changement de réglementation oblige, en concurrence avec d’autres pays. S’il y a trop de sucre sur le marché mondial, les cours s’effondrent. Que fait alors l’agriculteur de ses betteraves ? Les transformer en sucre nécessite de dépenser de l’argent et de l’énergie alors que le produit serait vendu à perte. La seule alternative que nous connaissons passe par l’éthanol. C’est ce que font nos amis brésiliens : ils récoltent la canne et, en fonction de la demande du marché, allouent une partie au sucre et une autre à l’éthanol. Ils font d’une pierre deux coups.

On soutient l’agriculture, on préserve une activité, on évite des perturbations majeures, des effondrements de cours qui seraient catastrophiques, ce que l’on peut faire une année mais pas tous les ans. Nous donnons, en outre, la possibilité de valoriser ces matières auxquelles il faut retrouver une valeur puisqu’elles n’en ont pas sur le marché alimentaire. Nous en faisons des énergies renouvelables grâce auxquelles on décarbone. Il est vital aujourd’hui que l’Europe le comprenne. Nous avons été étonnés du débat sur le thème « alimentation/non alimentation ». Certes, il fallait en discuter. De notre point de vue comme de celui des agriculteurs, il n’y a pas de contradiction, mais il existe une véritable synergie d’utilisation. Je dirai même que sans valorisation non alimentaire, les utilisations alimentaires sont menacées. Un agriculteur ne travaillera pas toute sa vie pour ne rien gagner ! Il faut assurer au monde agricole une garantie de rémunération.

M. Arnaud Rondeau. Si une transition énergétique française doit avoir lieu, autant que la biomasse soit française. Notre savoir-faire et la qualité de nos terres nous donnent toute latitude pour faire quelque chose de positif. Je vous renvoie à ce qui a pu être dit sur l’huile de palme et sur la question brûlante, si importante à nos yeux, des importations.

Je reviens d’un mot sur la fiscalité. Les biocarburants ont fait l’objet d’un accompagnement depuis leur début, mais cette fiscalité est-elle encore adaptée aujourd’hui ? Les taxes carbone sur la biomasse me paraissent inadaptées.

Un milliard d’euros a été investi en France en faveur des usines de biocarburant, une grosse partie de cet investissement a été supportée par les agriculteurs via leurs coopératives. Personne n’investit ainsi en pure perte, ni pour être soumis à des revirements  tous les deux ans. C’est pourtant ce que nous vivons depuis cet investissement. À l’instar de tout investissement que nous faisons à titre privé sur nos exploitations, nous voulons une visibilité, car investir de telles sommes nous engage sur le long terme. Subir les conséquences de revirements politiques réguliers met à mal les exploitants, leur volonté et leur capacité à investir demain. Les coopératives qui ont investi à une époque sont celles qui seront susceptibles d’investir demain dans de nouveaux projets pour améliorer les process, pour toujours gagner en performance énergétique. Casser aujourd’hui l’élan, et c’est tout un secteur qui s’écroulera et qui ne se projettera pas vers l’avenir.

M. Olivier Dauger. Bientôt, nous utiliserons la plante entière pour engendrer plusieurs produits et pas seulement du gaz. Le fait de couvrir les sols est meilleur pour leur résilience. On réintroduit même des plantes qui avaient été abandonnées. Parce qu’il fallait nourrir le monde, on s’est concentré sur les plantes de productions alimentaires. Nous revenons ainsi à des plantes utilisées jadis, des plantes de biomasse pure pour faire de la biomasse. Cela permet d’allonger les assolements, de multiplier les cultures et d’éviter la monoculture, même si elle est quasi inexistante en France. Cela améliore la biodiversité et n’offre que des aspects positifs. Nous ne sommes pas dans la concurrence, mais dans une complémentarité et une valorisation de l’ensemble de la photosynthèse, dans l’intérêt des sols.

Je reviens aux constructeurs. Il est vrai que nous sommes aujourd’hui dans une dynamique réactive. Nous étions dans le « tout pétrole », qui comprenait une grosse partie de diesel. Du jour au lendemain, il faut tout arrêter pour passer à l’électrique. Les grands groupes s’interrogent sur la façon de prendre les parts de marché futures, sur les investissements à réaliser et sur les opérations marketing pour afficher qu’ils se lancent dans l’électrique. Nous savons les contraintes liées à l’électrique tant il est vrai qu’il n’y a pas d’énergie parfaite.

À l’heure actuelle, le problème tient dans l’absence de vision globale et d’analyse du cycle de vie des produits. L’analyse du cycle de vie d’un véhicule électrique montre qu’il ne s’agit pas d’une énergie parfaite. Voulons-nous la généraliser et en faire une énergie unique ?

La sortie du diesel en est un autre exemple. Sa sortie est positive sur le plan des microparticules, bien moins pour les gaz à effet de serre parce que le diesel en émet moins que le moteur à essence. D’où l’intérêt de l’E85. Je pense que l’hybride est une solution efficace parallèlement à l’utilisation des véhicules électriques en centre-ville. Certes, nous produirons peut-être moins de microparticules, mais nous émettrons plus de gaz à effet de serre. Les mouvements sont un peu trop brutaux et ne font pas l’objet d’une vision globale. Demain sera multiple et ne reposera pas sur une seule molécule. Nous disposerons d’une diversité de solutions.

M. Jean Lemaistre. Pour les gros véhicules –autocars, bennes à ordures ménagères, poids lourds –, les biocarburants et le gaz représentent une bonne solution. Que faire concrètement pour mettre les mettre en place, surtout le bio-GNV et ses solutions agro-écologiques ?

On a beaucoup parlé des constructeurs. En France, l’usine Iveco de construction de moteurs exporte dans le monde entier. La technologie existe. Des efforts de développement considérables ne sont donc pas nécessaires et il n’existe pas de freins technologiques insurmontables. Je pense qu’un petit signe politique permettrait de résoudre la question facilement.

En revanche, dans le domaine des carburants, il existe deux difficultés. La première est celle des stations. Au titre du gaz naturel pour véhicules, les appels à projets passeront de 140 à la fin de l’année à 250 dans deux ans. Il ne faut surtout pas passer à côté de ces appels à projets. Aujourd’hui, ils sont essentiellement tirés par l’ADEME. J’exprime le vœu qu’ils puissent l’être par les régions. Dans le cadre d’un dialogue État-Régions, les Régions doivent s’impliquer dans ces appels à projets de stations de GNV.

Par ailleurs, en raison des garanties d’origine, le bio-GNV est un peu plus cher que le GNV. Alors que le GNV est plutôt bien positionné par rapport au diesel, pour les gros transporteurs, ce n’est pas simple. Un programme de certificat d’énergie permettrait de valoriser le fait de passer au bio-GNV qui réduirait le handicap d’un léger surcoût. C’est un levier concret à actionner si nous voulons aller dans le sens souhaité, avec des mesures concrètes.

M. Gildas Cotten, responsable des nouveaux débouchés de l’Association générale des producteurs de maïs et de l’Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPM-AGPB). Je voudrais apporter un éclairage sur la fiscalité écologique et l’intégration de l’externalité carbone renouvelable dans la transition énergétique.

Des taxes intérieures s’appliquent à la consommation d’énergie. Depuis 2014, la taxation des énergies intègre leur contenu carbone et un taux de carbone. Le débat a été clarifié dans le cadre de la loi de transition énergétique. La trajectoire d’augmentation de la fiscalité carbone devrait progresser très rapidement. L’année dernière, la représentation parlementaire a établi une trajectoire jusqu’en 2022. Ce point est important, car il touche toute la bioéconomie. C’est l’économie de la photosynthèse, du carbone renouvelable, un carbone recyclé. Il est pris dans l’air, transformé, utilisé, il va dans le sol ou dans des produits stockés, le bois par exemple. Dans le cadre de la fiscalité énergétique, ce carbone est traité au même titre que le carbone fossile. Aujourd’hui, la directive traitant de la fiscalité des énergies date de 2003. À cette époque, on ne savait pas bien ce qu’était une énergie renouvelable carbonée.

Si la taxation carbone devait passer de 86 euros en 2022 à 150 euros en 2030, elle aura une incidence. Nous devons nous poser la question de savoir si cette fiscalité, complémentaire à d’autres outils comme la TGAP, ne doit pas différencier le carbone renouvelable et le carbone fossile. Je sais que c’est compliqué, dans la mesure où la taxation des énergies revêt une dimension européenne qui n’est pas prise en compte aujourd’hui. Peut-être faudra-t-il remettre le dossier sur l’ouvrage.

Mme Laure Courselaud. En 2011, la Commission européenne a tenté de réviser la directive de taxation des produits énergétiques qui date de 2003. Le projet fut un échec cuisant pour la Commission européenne, aucun accord n’ayant été trouvé entre les États membres. La Commission européenne cherche désormais à réviser cette directive, non dans sa globalité, mais par chapitre. Elle a interrogé les États membres sur les lacunes actuelles de la directive. Selon eux, la directive n’intègre pas de dimension écologique.

Mme Véronique Riotton. Au-delà des questions sur les taxes, la fiscalité et le court terme, avez-vous identifié des freins législatifs sur lesquels nous aiguiller ? Nous allons travailler sur le sujet pendant plusieurs mois.

M. Nicolas Rialland. L’article 60 du projet de loi de finances pour 2019 offrira la possibilité de statuer sur le taux d’incorporation de biocarburants dans les carburants pour les années 2019 et 2020. C’est une bonne chose que l’Assemblée nationale puisse s’emparer du débat, se documenter et décider, sur la base des connaissances qui auront été recueillies et débattues, d’adopter une trajectoire plus ambitieuse que celle qui, à ce stade, est proposée.

Mme Véronique Riotton. C’est à nouveau un sujet d’ordre fiscal qui s’affiche.

M. Jean Lemaistre. L’année prochaine, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sera-t-elle étudiée par l’Assemblée ? J’ai entendu dire qu’elle devait revenir en discussion.

Mme Véronique Riotton. Telle est notre demande.

M. Jean Lemaistre. Si cette demande, à laquelle notre association est favorable, devait être exaucée, ce serait une bonne occasion de lancer un signal clair en y associant des dispositions législatives de soutien aux biocarburants de première et de deuxième génération et de prendre en compte tous les problèmes qui ont été évoqués autour de cette table. Si vous avez besoin de propositions concrètes, nous sommes prêts à en formuler.

De nombreux leviers sont susceptibles d’être actionnés par la voie législative.

M. Gildas Cotten. La loi d’orientation sur la mobilité sera débattue en début d’année 2019. Le plan « Climat » de M. Hulot contenait l’idée d’interdire la vente de voitures d’un certain âge roulant à l’essence ou au gazole.

M. de Rugy a réitéré cet objectif. Une clarification sera à entreprendre entre le moteur thermique que l’on veut éliminer ou la réduction des émissions de gaz à effet de serre issues d’énergies fossiles. Il se trouve que des véhicules à moteur thermique utiliseront des biocarburants. À terme, des voitures utilisant un moteur thermique pouvant utiliser de l’essence rouleront à 100 % de biocarburants et les camions rouleront au bio GNV. Une clarification des définitions devra être faite.

Mme Anne-France Brunet, présidente. Un grand merci à tous pour ces échanges riches et variés.

J’ai apprécié que vous exprimiez des points de vue très concrets sur la transition énergétique, j’ai apprécié les alertes formulées, points sur lesquels nous pourrons tous travailler ensemble.

Madame Courselaud, souhaitez-vous dire deux mots pour conclure ?

Madame Laure Courselaud. Merci d’avoir invité la Douane à cette audition. Il est important pour nous d’être entendus. Nous travaillons en parfaite collaboration avec les autres administrations concernées.

Mme Anne-France Brunet, présidente. Je vous remercie.

 

L’audition s’achève à seize heures cinquante.


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6.   Jeudi 11 octobre 2018 : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Hauet, président du Comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l’association Équilibre des énergies (EdEn).

L’audition débute à dix-sept heures dix.

Mme Véronique Riotton, présidente. Nous sommes ravis d’accueillir M. Jean-Pierre Hauet, président du comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l’association Équilibre des énergies. Il est accompagné de M. Sébastien Joly et de M. Olivier Lagrange, chargés de mission.

Cette audition est enregistrée et fait l’objet d’un compte rendu.

Je laisse notre rapporteur introduire cette séance.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Cette mission d’information a pour objectif d’identifier les freins à la transition énergétique et les moyens de les lever pour accélérer cette transition. Nous nous sommes fixé une méthode de travail. Dans un premier temps, nous voulons mieux comprendre ce qu’est la transition énergétique, ce que sont les objectifs et les enjeux, qui sont les acteurs. Il s’agit d’une sorte d’écosystème de grande ampleur.

Dans cet esprit, nous essayons de comprendre comment se fait la production d’énergie, filière par filière, quelles sont les nouvelles formes de consommation, dans les transports et la construction, et aussi comment on économise cette énergie. Nous cherchons, dans chaque cas, à identifier les freins, fiscaux, législatifs, réglementaires, mais aussi sociétaux, technologiques et financiers.

C’est dans ce cadre que nous avons souhaité vous entendre.

M. Jean-Pierre Hauet, président du comité scientifique, économique, environnemental et sociétal de l’association Équilibre des énergies. Je vous remercie de nous accueillir. Notre association, créée en 2011, a cette originalité de rassembler des participants très divers, de grands acteurs du monde de l’énergie – EDF, RTE, Enedis – mais aussi de la construction, comme Vinci et Bouygues, de la mobilité – Renault-Nissan et Volkswagen – ainsi que des représentants d’organisations professionnelles, du Fonds social de l’habitat (FSH) et d’associations de consommateurs, comme Familles de France et autres. Ce cercle, assez diversifié, s’est donné pour objectif de proposer et de promouvoir des actions allant dans le sens d’une société décarbonée. Nous nous intéressons en général à la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), mais travaillons en ce moment sur deux grands domaines, les bâtiments, neufs et existants, et la mobilité propre pour les véhicules légers.

S’agissant de notre vision de la transition énergétique, nous sommes satisfaits des trois grands objectifs fixés par la loi du 17 août 2015, soit la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; la réduction des consommations d’énergie finale ; le développement des énergies renouvelables. Le premier objectif est, à nos yeux, une priorité absolue pour parvenir à une économie décarbonée. Les deux autres objectifs sont des moyens d’y parvenir. En particulier, la notion d’économie d’énergie, née lors de la crise de 1973-1974 est, aujourd’hui, beaucoup plus difficile à appréhender. L’énergie économisée n’a pas la même valeur selon la période à laquelle elle est économisée ou a été produite, et économiser une énergie carbonée est évidemment plus efficace.

Si la transition énergétique doit promouvoir les énergies décarbonées quelle que soit leur forme, électricité, à partir de l’hydrogène à condition qu’elle soit décarbonée, bois, géothermie, etc se pose le problème de la façon de la comptabiliser. La question n’a pas évolué depuis de très nombreuses années. Or, il serait important de revoir certains usages qui ne sont pas bénéfiques pour la transition énergétique. Surtout, le système de conversion de l’électricité en énergie primaire par l’utilisation – depuis 1972 – d’un coefficient de 2,58 par kilowattheure pénalise tous les usages de l’électricité, y compris les plus performants. Par exemple, une pompe à chaleur peut être très efficace, dans les statistiques ce n’est pas son coefficient réel qu’on utilisera mais celui de 2,58. Or l’électricité est sans doute, à l’heure actuelle, le vecteur le plus important pour passer à l’énergie décarbonée. Pénaliser son développement pose problème. Nous espérons donc une évolution, en particulier il faudrait que dans toutes les réglementations on passe du coefficient de 2,58 a minima au coefficient de 2,1, préconisé par la Commission européenne dans la directive sur l’efficacité énergétique en cours de publication.

Cela dit, on sait que la stratégie bas carbone n’est pas respectée, et même que les écarts tendent à s’accentuer. Les résultats concernant les émissions de CO2 fin 2017 n’étaient pas bons, et sans avoir le détail, je pense que cela vaut pour le bâtiment comme pour les transports. Les moyens réglementaires et fiscaux dont on dispose sont-ils appropriés pour essayer de rattraper cet écart ? Probablement pas, au vu de la tendance. De notre point de vue, il est donc urgent d’agir dans deux directions complémentaires : l’efficacité énergétique afin de réduire les consommations d’énergie finale ; la migration massive vers les énergies décarbonées.

Notre association, qui s’occupe à la fois du bâtiment et des véhicules, constate que la situation est paradoxale. S’agissant des transports, la réglementation, qui traduit la réglementation européenne, est extrêmement stricte en ce qui concerne les émissions de CO2, mesurées en grammes par kilomètre. Les 115 grammes ont été atteints en 2015, on devrait passer à 90 grammes en 2020, ce qui sera beaucoup plus difficile pour les constructeurs, et on devrait obtenir des économies de 15 % en 2025 et de 30 % en 2030. C’est une incitation essentielle qui pousse les constructeurs à développer les véhicules électriques ou hybrides rechargeables, avec des pénalités très élevées à la clé. En revanche, pour le bâtiment, la réglementation date d’il y a quinze ans, quand les émissions de CO2 n’avaient pas la même importance. On en reste là à la notion d’énergie primaire qui est purement statistique, quand ce qui compte c’est ce que paye le consommateur et les émissions de CO2. Nous plaidons donc pour que l’on revoie en profondeur toute cette réglementation dans le sens voulu par la loi de transition énergétique, c’est-à-dire la prise en compte de la consommation finale et des émissions de CO2.

Il faut donc agir sur le bâtiment. S’agissant du neuf, la construction est régie par la réglementation thermique dite RT 2012, qui présente certains avantages, mais n’a permis aucun progrès sur la réduction des émissions de CO2 puisqu’elle ne tient pratiquement pas compte de leur bilan. Notre association a donc présenté des propositions écrites de modifications. Il s’agit non seulement d’ajuster le coefficient de 2,58, mais de tenir compte de la numérisation qui permet une gestion active de l’énergie, la programmation, la détection d’une présence dans les lieux ou d’une fenêtre ouverte etc. Ces techniques ne sont pas encore incluses dans la réglementation, alors qu’on peut en attendre des économies de 15 % à 30 %.

Une nouvelle réglementation, la RT 2020, est en cours d’expérimentation. Elle reprend largement le contenu de la RT 2012 et ce que j’ai dit à ce propos est donc valable également. Mais la RT 2020 introduit les émissions de carbone, quoique de façon peu claire. Un bâtiment produit des émissions de carbone à la construction, puis ensuite pendant l’exploitation, qui peut durer entre cinquante et cent ans. Il faut, comme dans l’industrie, distinguer « Capex » et « Opex » – capital expenditure et operational expenditure –, c’est-à-dire disposer d’un bilan lors de l’investissement initial puis d’un bilan d’exploitation. Or, ce critère carbone est un cocktail qui mélange les deux. Nous plaidons pour qu’on les différencie clairement et qu’on fixe des niveaux de performance qui évoluent avec le temps, et qui soient incitatifs.

S’agissant ensuite des bâtiments existants, le problème est énorme. La rénovation des patrimoines immobiliers est un des premiers problèmes qui se pose à la Nation. En raison du coefficient de conversion en énergie primaire dont je parlais, on privilégie, pour améliorer la performance énergétique, le gaz par rapport à l’électricité : c’est une économie dans les statistiques, pas une économie réelle. Nous proposons deux mesures concrètes. En premier lieu, trois millions de foyers sont encore équipés de chaudières à fuel – à mazout disait-on autrefois – qui consomment dix millions de tonnes et émettent du CO2 à proportion. On pourrait remplacer les trois quarts de cette consommation grâce à des pompes à chaleur hybrides, qui n’ont pas d’impact sur la pointe électrique. Nous allons essayer de promouvoir dans les prochains mois ce grand programme, qui suppose un encadrement réglementaire et incitatif. En second lieu nous avons hérité du chauffage électrique qui fut très utilisé dans les années 1990 pour chauffer à peu de frais des logements de médiocre qualité. Aujourd’hui un million et demi de foyers se chauffent ainsi – ou ne se chauffent pas assez, d’ailleurs, car cela revient cher et que les logements sont mal isolés. Il faudrait d’une part procéder à une isolation minimale et remplacer les vieux convecteurs – les « grille-pains » – par des radiateurs à performance énergétique avec une régulation moderne, une programmation, un pilotage à distance. Selon nos études, dans les logements munis de ces équipements modernes, la température moyenne est de 17 degrés. Cela montre que si l’on donne aux gens la possibilité de régler leur chauffage de manière conviviale, ils le font, et l’on gagne au moins deux degrés.

J’en viens aux transports. À l’évidence, la voiture électrique est la solution pour aller dans le sens d’une économie moins carbonée et d’une pollution moindre. Mais son rythme de développement ne permet pas d’atteindre les objectifs que l’on affiche. Ce rythme est relativement modeste parce que le choix de véhicules offerts est insuffisant, ce qui relève de la responsabilité des constructeurs. Mais nous pensons aussi qu’il faut donner au véhicule électrique plus de commodité d’usage et un rayon d’action. Nous ne parlons pas d’autonomie et de capacité de batterie. Donner du rayon d’action, c’est permettre aux gens, quand ils en ont besoin ou envie, d’aller plus loin que leurs trajets quotidiens. Cela pose le problème des infrastructures de recharge. Nous militons pour qu’elles fassent l’objet d’un grand programme. Il existe entre 25 000 et 28 000 points de recharge publics. Nous considérons que, d’ici 2022, il en faudrait 200 000 – dans un nombre moindre de stations bien sûr – en interopérabilité avec le smartphone. Ici se pose l’éternel problème de la poule et de l’œuf : ces infrastructures ne sont pas rentables sans utilisateurs, et ceux-ci attendent les infrastructures. Elles deviendront rentables à terme, mais en attendant l’investissement atteint quand même 2 milliards d’euros. Nous plaidons pour un schéma directeur de la mobilité électrique et des infrastructures de recharge. Dans le privé, il y a aussi de très importants obstacles à l’installation des bornes. En particulier dans les copropriétés, le droit à la prise, qui existe, est très difficile à exercer. Entre 90 % et 95 % des ventes de voitures électriques aux particuliers concernent des gens qui ont des maisons individuelles et un certain niveau de vie. Il faut aussi encourager l’insertion du véhicule électrique dans le bâtiment, développer les synergies entre les toits photovoltaïques, qui vont se développer et le rechargement des véhicules électriques. Pour cela, il faut des démonstrations et une tarification appropriée en fonction de la puissance appelée. Je n’ai pas le temps de m’appesantir, mais alors qu’on ne parle que de kilowattheures, il faudrait davantage parler de kilowatts.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je vous remercie pour cet exposé synthétique et efficace. Pourriez-vous expliquer plus en détail ce qui relève du coefficient de conversion en énergie primaire, et ces chiffres de 2,58 et de 2,1 ?

M. Jean-Pierre Hauet. Lorsqu’on a commencé à faire des bilans énergétiques dans les années 1970, on utilisait le gaz, le pétrole, le charbon, énergies assez comparables, au point qu’on les exprimait en tonnes équivalent charbon. L’électricité s’est développée et on s’est demandé comment l’agréger aux autres. À cette époque, 70 % de l’électricité était produite par le charbon. On a pris comme critère le rendement, à savoir que pour produire un kilowattheure d’électricité, il faut autant de tonnes de charbon. En 1972, on a considéré que le rendement moyen des centrales thermiques en France – le fuel était arrivé, mais il n’y avait pas de nucléaire – était de 38,7 %. On a décidé de comptabiliser un kilowattheure électrique en le divisant par ce rendement, ce qui donne le coefficient de conversion de 2,58. Puis est arrivé le nucléaire et on s’est demandé comment comptabiliser cette énergie – je peux le raconter car j’étais alors rapporteur général de la commission de l’énergie au Commissariat général du Plan. Le cabinet du ministre s’en occupait aussi, avec pour objectif d’atteindre une autonomie énergétique de 50 % en 1980. Le moyen d’y arriver était de gonfler la part du nucléaire dans le bilan énergétique, et cela, grâce au fameux coefficient de 2,58 en traitant les centrales nucléaires comme des centrales thermiques classiques. Puis, quand il a fallu passer à l’internationalisation des bilans énergétiques, on s’est aperçu qu’on ne pouvait pas traiter toutes les sources de la même façon. Tout ne pouvait être aligné sur le thermique. Alors, on a remis les centrales hydrauliques à 1 au lieu de 2,58, mais pour le nucléaire a quand même gardé ce coefficient. On a fonctionné ainsi pendant des années avant de décider que l’important, ce n’était plus le nucléaire, mais les économies d’énergie. Sous cet angle, le nucléaire était un facteur de pertes dans le bilan énergétique, ceux qui étaient hostiles au nucléaire ont milité pour qu’on conserve ce taux de conversion de 2,58. Cela n’a plus guère d’importance dans la mesure où la production à partir du nucléaire est figée à 63,4 gigawatts et qu’on n’a pas l’intention de la modifier actuellement. Donc, pour toutes les énergies nouvelles, qui sont des énergies renouvelables, le kilowattheure produit est affecté dans le bilan national du coefficient 1. Pourquoi utiliser ce coefficient 1 dans le bilan national, mais un coefficient de 2,58 dans l’utilisation ? Il faut évidemment revoir cette question.

Je n’ai pas connaissance des derniers travaux sur la PPE, mais j’ai cru comprendre que, pour parvenir à une société décarbonée en 2050, il faut développer les usages de l’électricité. On n’y arrivera pas si l’on ne revient pas sur ce coefficient de 2,58, qui était un outil statistique que, progressivement, on a utilisé comme une arme réglementaire.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je comprends le sens général de votre propos.

Élu en milieu rural, je vois bien qu’on rénove des bâtiments publics, mais pour une rénovation correspondant au label « bâtiment basse consommation » (BBC), il y a encore un travail de conviction à mener. On construit même des logements neufs qui ne sont pas à la pointe pour l’isolation et les économies d’énergie. Vous avez décrit les mesures contraignantes pour les véhicules. Quel serait l’ensemble de mesures propres à adopter de même pour la construction et la rénovation ? Le compteur Linky, par exemple, est-il un bon outil ? Peut-on, selon vous, remplir l’objectif de 500 000 logements rénovés que fixe la loi de transition énergétique ?

M. Jean-Pierre Hauet. Je reviens d’abord sur le logement neuf. S’agissant de l’isolation et de la qualité du bâti, la réglementation actuelle est satisfaisante et va même au-delà de ce qu’on peut justifier sur le plan économique. Aller au-delà, dans le neuf, serait du gaspillage de ressources.

En revanche, à nos yeux, ce qui favorise l’économie décarbonée, soit l’électricité et les pompes à chaleur, n’est pas suffisamment encouragé en raison du coefficient de 2,58. On ne donne pas non plus assez d’incitation à l’utilisation des technologies actives, comme le pilotage et la programmation. Le compteur Linky doit permettre de consommer de préférence quand cela pose moins de problèmes à la collectivité. Encore faut-il que la tarification évolue dans ce sens. Or cela se fait timidement. Certains fournisseurs ont proposé des tarifs de week-end, mais c’est peu de chose.

Pour le bâti existant, le problème est bien plus considérable, car il s’agit avant tout d’investissement. Pour parvenir aux objectifs de la transition énergétique, les efforts devraient porter, à égalité, sur deux domaines ; le premier est l’amélioration du bâti lui-même par l’isolation, le double vitrage – avec le problème de financement ; le second est, comme dans le neuf, d’encourager les systèmes de production d’énergie décarbonée et les systèmes actifs de gestion avec, de nouveau, le compteur Linky.

On sait combien il est difficile de faire voter des travaux dans une assemblée de copropriétaires. En Suède par exemple, toutes les copropriétés ont des fonds de travaux bien supérieurs à ce qui existe en France, et elles ne rechignent pas à les utiliser. Mais l’amélioration du bâti ne se justifie pas seulement par les économies d’énergie. Il faut aussi faire valoir le meilleur confort, et la plus-value patrimoniale, pour faire passer ces mesures.

Mme Véronique Riotton, présidente. Je partage tout à fait ce que vous venez de dire. En Haute-Savoie, il n’y a aucune difficulté à vendre ou revendre les appartements. Donc la rénovation, et notamment l’obtention d’un diagnostic de performance énergétique (DPE) qui soit correct, n’apporte pas grand-chose. Il faudrait trouver comment valoriser ces améliorations sur le marché.

M. Jean-Pierre Hauet. Vous soulevez un problème sur lequel nous travaillons aussi, qui est la réforme du DPE. Il faut qu’il soit plus fiable, et même opposable, comme le plan « Bâtiments durables » le propose, ce qui accroîtrait la plus-value du bien à la revente. Les idées ne sont pas nombreuses, et il faut faire attention à ne pas se lancer dans des DPE trop ambitieux : qui va payer pour les faire ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Les certificats d’économie d’énergie sont-ils efficaces ?

M. Jean-Pierre Hauet. C’est une belle construction, qui a créé un mouvement, notamment chez les professionnels. Les artisans et installateurs qui appartiennent à notre association trouvent que ce n’est pas mal et permet de mieux convaincre le client. Mais à y voir de près, la mécanique est très lourde et sa philosophie est un peu bizarre : elle se fonde uniquement sur la réduction des consommations. Mais de réduction en réduction, jusqu’où va-t-on ? Vous connaissez l’image d’Alphonse Allais : en enlevant une cuillère d’eau chaque jour de l’aquarium, le poisson s’habituerait sans doute. Mais finalement le poisson ne s’est pas habitué…

Donc, c’est une lourde mécanique avec un impact très faible. Sans avoir d’idée arrêtée, nous pensons qu’il faut retravailler ce sujet. À l’origine, il y a la directive européenne sur la qualité de l’énergie, qui suggérait comme action soit des certificats soit une taxe. On a créé les certificats, puis la contribution énergie-climat. Actuellement, seule la France et l’Espagne ont recours aux certificats et seule la France a les deux, certificat et taxe. C’est peut-être beaucoup.

Mme Véronique Riotton, présidente. En effet, il y a pléthore de dispositifs en faveur de la rénovation ou des économies d’énergie, sans qu’ils soient toujours bien lisibles. Quels leviers, plus forts, préconiseriez-vous pour mieux favoriser la rénovation énergétique ?

M. Jean-Pierre Hauet. S’agissant des particuliers, je crois que le crédit d’impôt pour la transition énergétique est une mesure bien visible. Faut-il le transformer en prime, je ne sais pas. On peut aussi discuter de son assiette. En tout cas, il vaut la peine de le conserver, en l’orientant vers les bonnes actions. Il y a aussi toute la réglementation dont j’ai parlé, et qu’il faut toiletter pour l’orienter vers la priorité actuelle, qui est la réduction des émissions de CO2. Au-delà de cela, pour les bâtiments publics, et plus généralement le tertiaire, se pose la question du financement des gros travaux. Je n’ai pas de solution à offrir et cela dépasse un peu les compétences de notre association. Dans le logement social, on a fait des choses remarquables car les offices sont les gestionnaires uniques et capables de prendre des décisions. Ce n’est pas le cas pour les copropriétés. Il faut chercher comment obtenir un consensus sur une action dont la rentabilité est à long terme. Je n’ai pas de solution miracle, j’en conviens.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. En couverture du n° 4 de votre magazine EdEnmag figure une maison en bois. Est-ce une voie à encourager ?

M. Jean-Pierre Hauet. Il faut en effet encourager les usages du bois – pas seulement pour la construction – car c’est l’un des moyens d’aller vers une société décarbonée. C’est d’ailleurs le cas aujourd’hui. Simplement, il ne faut pas en attendre trop. Souvent les gens s’arrêtent sur une seule solution et ne voient que par elle. Le bois a ses avantages, mais la ressource est limitée. Cela fait bien longtemps qu’on dit qu’il faut encourager la forêt française, mais la contribution du bois au bilan énergétique est passée de 10 à 12 millions de tonnes équivalent pétrole en dix ans. Attention aussi aux emplois multiples : avec cette ressource limitée il ne faut pas croire qu’on va faire du bois d’œuvre, de construction, du bois de chauffage ou de la pyrolyse pour produire du gaz de synthèse.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Vous avez indiqué que, soumis à de fortes contraintes, les constructeurs se tournent tous vers l’énergie électrique qui est fortement décarbonée. Avant cette audition, nous avions un débat et j’ai eu le sentiment que nous passions à côté d’une solution possible, l’hybride avec le E85, un biocarburant qui utilise très peu de pétrole. Vous êtes-vous penché sur le sujet ?

M. Hauet. C’est une vraie question, qui porte sur l’hybride rechargeable en général, l’E85 étant certainement alors un meilleur choix. Même chez les constructeurs cela fait débat, car l’hybridation a quand même des inconvénients. C’est plus compliqué, car il faut deux motorisations, cela prend de la place et on renonce aux gains de maintenance. De toute façon, le carburant hybride ne tombera jamais au zéro carbone, même en utilisant de l’E85, en raison des limitations en ressources. Nous menons une grosse étude à ce sujet et nous pensons que l’hybridation est plutôt une solution transitoire jusqu’à ce que, dans une dizaine d’années, le véhicule électrique, moins couteux et plus simple, l’emporte. À en croire les dernières déclarations de Renault, les constructeurs automobiles s’orientent vers la même conclusion.

Mme Véronique Riotton, présidente. À votre avis, quels sont les freins au développement du photovoltaïque, pour les industriels. Les artisans sont-ils bien formés ? Qu’en est-il des leviers fiscaux ?

M. Jean-Pierre Hauet. Le photovoltaïque a connu un développement remarquable, même en France. S’agissant des maisons individuelles, je crois que les toitures photovoltaïques vont se banaliser, même si tous ne partagent pas ce sentiment dans notre association.

Mme Véronique Riotton, présidente. On dit beaucoup que les industriels français ont des faiblesses. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Pierre Hauet. L’industrie française de production de panneaux photovoltaïques est réduite à sa plus simple expression – si même elle existe encore. Il nous reste les équipements de conversion électrique, pour lesquels Schneider semble bien placé, et l’installation. Mais pour la fabrication des panneaux, la partie est perdue depuis une quinzaine d’années. J’ai dirigé il y a bien longtemps Photowatt, une filiale de la Compagnie générale d’électricité (CGE). Au centre de recherche d’Alcatel, nous faisons beaucoup de recherches sur le photovoltaïque ; cela n’a pas pris car les Français n’ont pas la culture de la grande série – il en est de même pour les écrans plats. Le génie français est plutôt de faire des choses complexes, des TGV, des Airbus. La production à des millions d’exemplaires bon marché, cela ne figure pas dans nos gènes. Au risque de vous décevoir, on aura du mal à remonter la pente.

En revanche, s’agissant de l’utilisation, ma conviction personnelle est que les panneaux photovoltaïques vont se banaliser à l’horizon 2025-2030 dans la construction. Le photovoltaïque produit de l’énergie quand le soleil brille – pardonnez cette lapalissade. Les étés seront de plus en plus chauds. On ne vous voue pas aux gémonies parce que vous avez l’air conditionné dans votre voiture ; dans les bureaux, il faut l’air conditionné pour le confort du personnel, sinon gare à la productivité. Mais le refroidissement dans les logements, c’est encore un luxe, un péché. Pourtant, y travailler valorise les panneaux photovoltaïques. Par ailleurs, les véhicules électriques sont souvent au garage, et près d’endroits où il y a des panneaux photovoltaïques. Leur couplage est tout à fait imaginable, et on passerait mieux le pic électrique du soir si l’on relâchait l’électricité stockée dans les véhicules. Il y a donc là des évolutions à poursuivre dans la construction, en fonction aussi de la réglementation – je ne reviens pas sur le coefficient de 2,58. La grande série se répand, les artisans commencent à s’habituer. On peut être relativement optimistes.

Pour les grandes surfaces de toitures, le photovoltaïque est bien pour les centres commerciaux, qui ont des besoins de conditionnement toute la journée. La réglementation doit l’encourager. En revanche, les centrales photovoltaïques, dont il existe quelques exemplaires en France, doivent rester dans le domaine concurrentiel et les appels d’offres tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui nous paraissent satisfaisants.

Mme Véronique Riotton, présidente. Dès lors, quels sont les leviers pouvant favoriser le développement ?

M. Jean-Pierre Hauet. Pour la maison individuelle, c’est la démonstration, la réglementation, le rôle que peut jouer l’ADEME pour banaliser des idées qui finiront par s’imposer.

Mme Véronique Riotton, présidente. C’est de l’ordre de la communication, donc ?

M. Jean-Pierre Hauet. Plus que cela, c’est de l’ordre de l’expérimentation et un peu de la réglementation. À l’heure actuelle, pour ce qui concerne la construction, cette réglementation n’est pas de nature à favoriser le recours au photovoltaïque.

Mme Véronique Riotton, présidente Je vous remercie de cet exposé extrêmement concret.

L’audition s’achève à dix-sept heures cinquante-cinq.

 


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7.   Jeudi 11 octobre 2018 : Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat (DGEC).

L’audition débute à dix-huit heures.

Mme Véronique Riotton, présidente. Dans le cadre des auditions de notre mission d’information sur la compréhension des freins énergétiques, nous avons le plaisir de recevoir M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat (DGEC). Vous êtes, monsieur Michel, un témoin précieux de l’histoire des lois relatives à l’énergie et nous serons intéressés d’avoir votre regard sur les lois « Grenelle » et la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Notre mission souhaite, dans un premier temps, clarifier les enjeux, définir les freins à la transition, comprendre comment ils se sont mis en place et à partir de là, discerner comment les dépasser.

Je donne d’abord la parole à M. le rapporteur.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous souhaitons agir avec méthode, et nous allons donc examiner ce qu’est le mix de production énergétique, puis le mix de consommation, qu’il s’agisse de mobilité ou d’habitat, ainsi que les économies d’énergie. Notre approche privilégie la décarbonation de l’énergie : nous laissons donc de côté le nucléaire, et nous cherchons comment se passer du pétrole.

M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat (DGEC). Je vous laisserai de toute façon un document que je vais évoquer plus succinctement.

Depuis une vingtaine d’années, Français et Européens ont une nouvelle approche de la transition énergétique, marquée par la prise de conscience du besoin de décarboner l’énergie, en raison de tout ce que l’on sait sur les conséquences des émissions de CO2. Le couple des consommations et décarbonation par le développement des énergies renouvelables figure donc à l’agenda européen et international. Du protocole de Kyoto à l’accord de Paris de 2015, qui est beaucoup plus universel, engagements européens et lois nationales se sont succédés : les plans climat au début des années 2000, la loi de programmation et de transition énergétique de 2005, avant le Grenelle de l’environnement, avaient créé des dispositifs incitatifs comme les certificats d’économie d’énergie et le soutien aux énergies renouvelables électriques. De 2008 à 2010, à côté des lois « Grenelle », il y a eu le cadre énergie-climat, et sur le plan européen des mesures en vue de mieux réaliser un marché commun de l’électricité et du gaz, la directive relative à l’efficacité énergétique, les objectifs pour 2020 de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’objectif européen de porter la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 est porté à 32 % en France en 2030 dans la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV). Pour l’Union, le paquet énergie-climat de 2014 fixe comme objectif pour 2030 une réduction de 40 % des gaz à effet de serre par rapport à 2005. En France, les lois Grenelle couvraient l’ensemble des sujets abordés par le Grenelle de l’environnement, qui traitait de l’eau, de différents risques, de démocratie environnementale ; un des six ateliers était consacré au climat. Elles assuraient aussi la mise en œuvre des dispositions des directives européennes. Ce fut, entre autres, la création des plans climat air énergie territoriaux (PCAET), pour les communes et les intercommunalités et les schémas régionaux climat air énergie, en collaboration avec l’État.

La dernière étape, au niveau français, est la loi TECV de 2015, dont le titre affiche le programme : la transition énergétique pour la croissance verte, qui fixe des objectifs de réduction des consommations d’énergie en mettant l’accent sur les énergies fossiles, mais aussi de diversification du mix énergétique et qui décline les objectifs d’énergies renouvelables par secteur, dans les transports, le gaz, l’électricité, sur fond de débat sur la baisse concomitante de l’énergie nucléaire. Cette loi se décompose aussi en un certain nombre de titres qui sont autant d’outils – bâtiment, économie circulaire, énergies renouvelables, sûreté nucléaire, outils économiques, gouvernance – avec par exemple des obligations de reporting financier. À côté des lois, un ensemble d’actions s’appuient sur les précédentes et les réorientent comme le plan de rénovation de l’habitat de 2013, suivi de l’adoption en avril 2018 d’un plan de rénovation des bâtiments, présenté conjointement par les ministres Hulot et Mézard, après quelques mois de concertation. Si l’on poursuit le même type d’action pour les réorienter ou les approfondir, c’est justement pour supprimer les freins dont on a pris conscience.

Par exemple, pour la construction neuve, le consensus existe pour essayer de faire des économies d’énergie. Les dernières orientations figurent dans la réglementation thermique RT 2012. On est en phase d’expérimentation pour définir la RT 2020 qui, outre les aspects thermiques et l’isolation du logement, concerne la production d’énergie et l’empreinte environnementale du foyer. Les outils sont principalement réglementaires. Le consensus existe de même sur la nécessité de diminuer les consommations dans le parc déjà construit. Cependant, on s’interroge plus, d’un point de vue théorique comme pratique, sur la palette d’outils à utiliser. Une des grosses difficultés est que le bâtiment est très diffus avec des situations très différentes selon qu’il s’agit du parc tertiaire, public ou privé, les bâtiments industriels, l’habitat collectif, social ou privé, ou individuel en propriété ou en location… Pour la rénovation de l’habitat, l’outil le plus utilisé est l’accompagnement financier, sous forme de crédit d’impôt ou des subventions de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), mais le conseil est également une nécessité. La qualification des artisans s’est améliorée, ce qui accroît la performance des travaux. En revanche, pour la rénovation, on a moins recours à la fixation de normes. Un décret de 2007 sur la rénovation des bâtiments tertiaires a été suspendu, mais on essaye, dans le nouveau cadre juridique offert par le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), de le reprendre sous une forme ambitieuse et réalisable. On réfléchit aussi à une obligation, ou un accompagnement, de travaux par les propriétaires-bailleurs de « passoires thermiques », qui n’y sont guère incités dans la mesure où c’est le locataire qui en perçoit le bénéfice immédiat. À moyen terme, l’augmentation du prix des énergies carbonées, et la taxe carbone, auront un effet sur l’investissement. Mais celui-ci – et c’est vrai aussi dans les transports – n’ayant un rendement, à savoir les économies constatées, que sur une longue durée, la hausse du prix du carbone ne suffit pas à le déclencher, sauf pour les gros propriétaires et entreprises qui s’engagent sur un programme de rénovation sur vingt ans ; pour le public, elle est un élément utile d’explication. C’est là un autre exemple de frein à la transition. Évidemment, il faudrait nuancer selon le type d’énergie renouvelable, mais je ne veux pas allonger ce propos liminaire et je donnerai des précisions en répondant aux questions.

Mme Véronique Riotton, présidente. À propos des bâtiments tertiaires, soucieuse de ne pas reproduire la situation qu’on a connue après les lois « Grenelle », c’est-à-dire l’absence de décrets d’application, je me suis battue lors des débats sur le projet de loi ELAN – en vain d’ailleurs – pour que l’on instaure une étape et que l’on prévoit des contrôles et des sanctions. Mais la seule intervention de la loi évoque tout de suite une écologie punitive et les résistances sont fortes depuis 2010. Il est donc difficile de mettre en œuvre ces mesures d’économies par la loi. Y a-t-il d’autres leviers pour modifier les comportements ? Les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) martèlent un message alarmiste. L’est-il trop, ou est-ce nécessaire pour obtenir des changements radicaux et accélérer la transition ?

M. Laurent Michel. Si nous avions la potion magique, nous l’aurions administrée ! La situation est différente selon les secteurs. Mais il faut une perception politique commune de l’importance de l’enjeu collectif. Le rapport du GIEC et d’autres éléments y contribuent. Déjà, on avait longuement débattu du terme « transition » énergétique : allait-il faire peur ou être ressenti de façon positive ? À l’échelle de telle personne, de tel secteur, l’effet peut être énorme. Mais, globalement, ce n’est pas une révolution, ou plutôt nos sociétés et nos économies ont déjà traversé des révolutions aussi importantes. La différence est peut-être que le changement n’est pas sectoriel, comme la succession des différentes énergies, le passage au charbon, le passage au nucléaire le furent, mais systémique. Sans doute y a-t-il une crainte diffuse. On se dit aussi qu’il faut faire cette transition, mais on se demande quel en sera le prix. En termes macro-économiques, même si les valeurs sont immenses, cela n’a rien d’insupportable pour un pays et a même des aspects plutôt bénéfiques. Mais il faut pouvoir l'expliquer aussi à l’échelle micro-économique, ce qui est plus compliqué.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Il y a eu d’autres transitions, en effet. Par exemple le tracteur a remplacé très vite le cheval, mais la mécanisation agricole avait un avantage immédiatement perceptible, à commencer par la récupération de l’hectare d’avoine nécessaire pour nourrir le cheval. Dans la transition énergétique, l’avantage pour l’individu est moins sensible car il produit des effets à plus long terme et plus collectifs.

M. Laurent Michel. L’investissement semble coûteux sans être immédiatement rentable – mais on a déjà investi dans les mêmes conditions, par exemple pour le traitement de l’eau. Il l’est sur le long terme, mais peut aussi être amortissable en cinq, dix ou vingt ans selon sa nature.

En ce qui concerne la perception, sur un plan économique et social, de la transition, il faut affirmer, en premier lieu, qu’elle est nécessaire, en second lieu qu’elle est gérable. Il faut aussi valoriser les exemples réussis. Il est dommage qu’il n’y ait pas un consensus suffisamment fort sur la nécessité de l’action pour qu’on puisse passer à la réglementation adéquate, quitte à prévoir des étapes et un accompagnement. Ce consensus, nous allons l’obtenir à propos des bâtiments tertiaires, mais il a mis longtemps à se construire. À partir de là, il faut se fixer un objectif par exemple à 2030, que l’État et les grands acteurs du secteur donnent l’exemple, que l’appareil de production et les systèmes d’accompagnement montent en puissance. Les aides transitoires permettent à ceux qui veulent aller plus vite de commencer, et on peut industrialiser les solutions de rénovation, en perdant peut-être un peu sur la performance mais en gagnant sur la facilité de reproduction. Plus il y a d’innovations intelligentes, plus le taux de rentabilité de l’investissement s’améliore. Cela étant, il serait nocif de se fixer un objectif trop précoce de quelques années ou trop lointain, comme 2040. Mais 2030 semble un objectif réaliste. 

Cette action a un intérêt collectif, notre pays est lié par des engagements européens et internationaux, et il faut agir par tous les leviers possibles.

Mme Véronique Riotton, présidente. Comment évaluez-vous la loi de transition énergétique de 2015 ? Les décrets ont-ils été pris, où en est l’application sur le terrain ? Quels sont les aspects positifs et les faiblesses ?

M. Laurent Michel. La loi date d’il y a trois ans, elle commence à être mise en œuvre. Tous les décrets d’application ont été pris. Les boîtes à outils existent : le dispositif de soutien aux énergies renouvelables, électrique ou biogaz, le dispositif en faveur de l’économie circulaire sont mis en œuvre. Après les zones action prioritaires pour l’air, la loi a créé les zones d’astreinte pour gérer les véhicules polluants dans les agglomérations – à Paris, à Grenoble par étapes. La future loi d'orientation des mobilités (LOM), va améliorer les choses. Quinze collectivités se sont engagées à créer des zones interdites aux véhicules polluants d'ici 2020. Dans le même esprit, sur le plan budgétaire, la trajectoire carbone instaurée en 2015 a été renforcée en loi de finances pour 2018. C’est aussi un progrès que d’avoir créé ces deux outils que sont la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui définit des orientations sur le long terme pour aller vers la neutralité en carbone, et la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui remplace des programmes sectoriels par une vision globale. La méthode d’évaluation et de révision tous les cinq ans est un outil intéressant. Il importe que le débat à ce sujet ait lieu en début de mandature, car tout plan – de rénovation des bâtiments par exemple – s’étend en effet sur au moins cinq ans.

Néanmoins, même si les énergies renouvelables se développent, nous n’atteindrons pas l’objectif de 23 % de l’énergie globale en 2020. De même, le rythme de diminution des consommations d’énergie n’est pas suffisant. Pour la légère hausse des émissions de gaz à effet de serre, il faut tenir compte d’éléments conjoncturels. Mais nous ne sommes pas dans la trajectoire fixée par la stratégie nationale bas carbone de 2016. Le rythme de rénovation des bâtiments n’est pas assez élevé et la demande de transports continue à augmenter plus vite qu’on ne le croyait. Il faut agir pour faire diminuer les émissions unitaires de CO2 des véhicules. On en discutera au Conseil européen la semaine prochaine.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Qu’il s’agisse d’habitat ou de mobilité, on voit bien qu’en zone urbaine on peut mieux maîtriser les consommations. Plus de voitures électriques, ce sera moins de pollution et moins de carbone. S’agissant de la production d’énergies renouvelables, il faut plus s’intéresser aux zones rurales, avec des équipements comme les éoliennes et les méthaniseurs. S’appuie-t-on suffisamment sur les territoires pour les développer ? La loi TECV a-t-elle eu les résultats escomptés ? Les régions et les EPCI ne pourraient-ils s’emparer de ces questions pour définir, par exemple, les endroits où l’on peut implanter des méthaniseurs, comme on l’avait fait pour l’éolien, et ainsi accélérer le mouvement ?

M. Laurent Michel. Qu’il s’agisse de rénovation ou de mobilité propre, il y a des solutions spécifiques en ville et en milieu rural. On peut imaginer aussi, ultérieurement, un couplage des productions d’énergies renouvelables et de la recharge électrique, avec une adaptation des réseaux. Des syndicats départementaux ont déjà pris des initiatives et en effet, il faut prendre en charge les politiques sectorielles au niveau territorial, les échelles de territoire ayant une pertinence différente. Ce qui émerge, c’est le couple région -EPCI. En dehors même de l’action pour l’énergie, la région a des compétences pour la formation, l’économique au sens large, une autorité de transport. Elle peut déployer des politiques de filières, et de solidarité intrarégionale étant donné leur taille. La région ne va pas localiser chaque méthaniseur, mais peut développer des outils que chaque département s’appropriera. Les intercommunalités, qui s’associent éventuellement entre elles, ont un niveau de technicité meilleur que les communes et réalisent des économies d’échelle. Ainsi pour les points info et les plateformes de rénovation énergétique, on peut mutualiser des conseillers tout en offrant un service de proximité. Par exemple, pour mener une politique intelligente de bornes publiques de recharge, les limites communales n’ont guère de sens. Il en va de même pour un schéma éolien ou de méthanisation. Il y a aussi de bons réseaux départementaux, mais la taille est un élément décisif et le département a moins de compétences directes. Les syndicats départementaux d’électricité ou d’énergie peuvent jouer un rôle de catalyseur ou pour mutualiser les énergies dans l’investissement et l’accompagnement. Il faut prendre en compte l’historique de chaque territoire et la stratégie qu’il souhaite développer. La législation offre les instruments pour agir, par exemple le schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), le plan climat-air-énergie territorial (PCAET), nouveau nom depuis 2016 du plan climat énergie de la loi « Grenelle ». Ces plans sont obligatoires pour les collectivités de plus de 20 000 habitants Il peut sembler déclamatoire d’inscrire dans la loi que les collectivités feront des PCAET, d’autant qu’il n’y a pas de sanction en cas contraire, mais c’est aussi un moyen pour elles de s’approprier ces outils et certains territoires en sont à la deuxième édition.

Le débat persiste, notamment au Parlement à propos des outils financiers et d’accompagnement, portés souvent par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ou le programme « Territoire à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV) par lequel l’État aide à construire une expertise et subventionne les premières actions afin qu’une dynamique s’instaure.

Il est un peu tôt pour faire un bilan de la loi sur la transition énergétique de 2015. On peut parler d’une dynamique portée par un certain enthousiasme. Beaucoup de territoires ont franchi plusieurs stades et sont à la recherche de nouveaux outils, par exemple des certificats d’économies d’énergie qui les aident à rénover certains bâtiments. Plus de 500 collectivités les utilisent : presque tous les départements et des villes, y compris de 20 000 à 30 000 habitants, comme Lons-le-Saunier et Moulins.

Un seul programme ne crée pas une dynamique et, dans le débat budgétaire, seront proposés des amendements en vue d’allouer des ressources issues de la taxe carbone, avec contractualisation, pour les communautés qui ont déjà leur PCAET et qui progressent. Le Gouvernement n’a pas donné suite jusqu’ici, mais le Premier ministre a écrit aux associations d’élus qu’il y avait une réflexion à mener sur le sujet.

Se pose aussi la question de l’acceptabilité des énergies renouvelables. On ne peut pas considérer les collectivités territoriales comme le vecteur pour les faire accepter. Bien entendu, un porteur de projet, même en financement participatif, doit parler aux élus et aux acteurs du territoire. Leur acceptation compte beaucoup. Par exemple pour le solaire, les prix baissent, le développement est bon, mais on ne peut se contenter de faire la chasse aux terrains pour installer les équipements, sans vision d’ensemble, sans collaboration avec les collectivités pour utiliser au mieux les friches, les décharges, les délaissés. Il faut construire une politique cohérente, non implanter des panneaux solaires en fonction du seul foncier disponible. On peut en dire autant pour la méthanisation, qui permet d’utiliser les déchets des agriculteurs, de l’agroalimentaire, de certaines collectivités ; beaucoup de solutions sont possibles, seuls les trop petits ou les trop gros méthaniseurs comportent des inconvénients. Enfin, construire un réseau de chaleur renouvelable relève d’une collectivité, comme une politique forestière qui fournit de la ressource sans déboiser, avec replantation. On avait créé des projets intitulés « dynamique bois », financés par le TEPCV et l’ADEME, qui allaient de la récolte et la replantation à l’alimentation d’une chaufferie. Ces aspects intéressants, même si tout n’est pas facile pour l’État et les acteurs locaux, ne doivent pas être masqués par le grand débat sur la politique pluriannuelle de l’énergie (PPE).

M. Bruno Duvergé, rapporteur. S’agissant de l’éolien, il y a des territoires où les élus locaux voient l’intérêt, s’investissent, mais où on parvient à un point de saturation : c’est le cas dans les Hauts-de-France. Ailleurs, c’est accepté. Il y a aussi des territoires où le démarrage ne se fait pas, et c’est vrai aussi pour l’éolien maritime.

M. Laurent Michel. On va y arriver.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Quelles sont les perspectives ? Les freins sont réels ?

M. Laurent Michel. Certes, les projets de fourniture d’énergie renouvelable ont un impact sur les espaces, les paysages, les espèces et notamment les oiseaux, le bruit pour les habitants. Au ministère, nous avons toujours insisté sur la nécessité de limiter ces impacts. Mais il faut distinguer le projet global et les projets qui doivent entrer dans une planification. C’est pourquoi il y a des procédures d’autorisation et des études d’impact. On peut imaginer des procédures simplifiées mais il s’agit d’éléments lourds – même une seule éolienne – et il faut, au cas par cas, autoriser ou interdire.

Il faut bien sûr qu’ait lieu une concertation locale, même s’il n’y a pas de financement de la collectivité, pour faire évoluer un projet, par rapport aux habitations – la distance minimale est une chose, mais il peut y avoir trop d’équipements –, ce qui ne garantit d’ailleurs pas qu’il sera accepté. Reste que, en raison de l’accumulation d’équipements ou parce que des projets datent d’avant la distance obligatoire de 500 mètres des habitations, il peut y avoir saturation ou à l’inverse, absence de la moindre éolienne en raison des oppositions. Auparavant on définissait des « zones favorables à l’éolien », qui étaient exclusives, mais, déjà faisaient l’objet de contentieux. On les a supprimées il y a quelques années. Cela n’empêche pas une sorte de construction indicative : on dit qu’à tel endroit ce serait bien et qu’à tel autre, le faire sera aux risques et périls du porteur de projet.

Mme Véronique Riotton, présidente. Vous évoquez des difficultés d’acceptabilité. Mais il y a aussi beaucoup d’appels d’offres infructueux. Le sont-ils en raison de problèmes techniques ?

M. Laurent Michel. Le dernier appel d’offres pour l’éolien terrestre n’a pas été couvert, mais parce qu’on avait exigé que les projets de parcs qui y répondaient aient déjà leur autorisation. En outre, depuis une décision du Conseil d’État de décembre 2017 sur l’exercice de l’autorité environnementale, les autorisations ne pouvaient plus être données par le préfet de région. Un nouveau décret est en cours de préparation. Mais il y avait eu très peu d’enquêtes publiques, et donc les candidats potentiels, faute d’autorisation, ne pouvaient se manifester. Nous avions introduit cette limitation afin de n’avoir que des candidatures de projets bien avancés, pas de permettre à des gens de déposer quarante demandes en se disant qu’ils en auront bien quelques-unes acceptées. Pour le premier appel d’offres, il suffisait de déposer son dossier, pour le deuxième il fallait déjà avoir son autorisation. L’impossibilité de déclencher l’enquête publique pendant plusieurs mois a causé la situation dont nous parlons, mais les choses devraient rentrer dans l’ordre. En ce qui concerne l’énergie solaire, les appels d’offres sont toujours pleinement souscrits et il y a même plus de demandes.

Il reste, pour l’éolien solaire, à trouver, au niveau des schémas de cohérence territoriale (SCoT) ou des EPCI, des périmètres qui conviennent.

Pour l’éolien en mer, il en va de même avec des équipements beaucoup plus gros et moins nombreux. Sur les six parcs attribués par appel d’offres, certains ont l’autorisation, pour d’autres la procédure est en cours. Le degré d’acceptabilité peut varier : il est moins bon pour le parc de Dieppe-Le Tréport et on essaye de l’améliorer. Pour le prochain appel d’offres, qui concerne Dunkerque, nous avons procédé en amont à tout un travail pour définir des zonages avec les acteurs locaux. Au début, nous étions peut-être un peu trop rigides sur la définition des zones. Pour Dunkerque, il y a eu discussion avec les pêcheurs, le port, les élus locaux, pour définir dans le détail une zone qui tienne parfaitement compte du chenal, et qui devrait être acceptable. Pour les appels d’offres suivants, nous nous fonderons sur les documents stratégiques de façades maritimes qui, pour chaque grande zone géographique, définissent les utilisations possibles. Nous dessinerons de premiers périmètres qui seront ensuite réduits en fonction du débat public. Cette concertation rendra la procédure un peu plus longue, et le porteur de projet aura une zone qui ne sera pas tout à fait celle qu’il avait proposée initialement, mais qui ressortira du projet collectif. Quand un parc aura été construit ainsi et exploité correctement pendant quelques années, ce sera aussi un bon exemple pour les projets suivants.

Mme Véronique Riotton, présidente. Je vous remercie. Peut-être aurons-nous de nouveau l’occasion au cours de nos travaux, qui vont durer quelques mois, à faire appel à vous.

L’audition s’achève à dix-huit heures cinquante-cinq.

 


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8.   Mercredi 24 octobre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, avec :
– M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), M. Alexandre Roesch, délégué général, Mme Delphine Lequatre, responsable du service juridique, M. Alexandre de Montesquiou, consultant, et Mme Marion Lettry, déléguée générale adjointe ;
– M. Joël Pédessac, directeur général du Comité français du butane et du propane (CFM), Mme Émilie Coquin, directrice des affaires publiques, et M. Simon Lalanne, consultant ;
– M. Sébastien Chapelet, directeur de la société d’économie mixte Énergie Hauts-de-France, et Mme Stéphanie Scarna, chargée de communication ;
– M. Fabien Choné, directeur général délégué « Stratégie et énergie » de Direct Énergie, et Mme Frédérique Barthélemy, directrice de la communication et des relations institutionnelles.

L’audition débute à dix-sept heures cinq.

Mme Véronique Riotton, présidente. Nous accueillons, pour le Syndicat des énergies renouvelables (SER), M. Jean-Louis Bal, président, qui arrivera dans quelques instants, M. Alexandre Roesch, délégué général, Mme Delphine Lequatre, responsable du service juridique, M. Alexandre de Montesquiou, consultant, et Mme Lettry, déléguée générale adjointe.

Pour le Comité français du butane et du propane (CFM), nous accueillons M. Joël Pédessac, directeur général, Mme Émilie Coquin, directrice des affaires publiques, et M. Simon Lalanne, consultant au cabinet Boury, Tallon et Associés.

Pour la société d’économie mixte Énergie Hauts-de-France, nous accueillons M. Sébastien Chapelet, directeur, et Mme Stéphanie Scarna, chargée de communication.

Pour Direct Energie, nous accueillons M. Fabien Choné, directeur général délégué « stratégie et énergie », et Mme Frédérique Barthélemy, directrice de la communication et des relations institutionnelles.

Mesdames, messieurs, merci d'avoir répondu à notre invitation.

La mission d’information s’intitule « Freins à la transition énergétique », mais nous avons rapidement voulu nous intéresser aux éléments susceptibles d’accélérer la transition énergétique.

Vous recevoir dans le cadre d’une table ronde est appréciable pour envisager la situation d’un point de vue global.

Je rappelle que cette réunion, prévue pour une durée de deux heures, est filmée et enregistrée, et fera l’objet d’un compte rendu écrit. Nous vous proposons de présenter un propos introductif d’une dizaine de minutes pour ensuite laisser une large place aux questions et réponses, car la mission a la volonté de travailler sous une forme interactive.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous avons constitué un groupe de travail d’une trentaine de députés. Pour nos auditions, nous privilégions la configuration des tables rondes. Nous nous sommes fixé une grille de lecture afin d’identifier les freins à la transition énergétique dans les domaines fiscal, législatif ou réglementaire et les axes technologiques, financiers, sociétaux, de l’information, de la communication et de l’image.

Nous analysons également la situation sous l’axe de la production – les différentes filières de production d’énergie –, de la consommation – la mobilité, l’habitat… – et des économies d’énergie par secteur.

Telle est donc notre grille de lecture.

M. Sébastien Chapelet, directeur de la société d’économie mixte Énergie Hauts-de-France. Je vous remercie de votre invitation.

Créée à l’initiative de la région Hauts-de-France et de la Caisse des dépôts et consignations, la société d’économie mixte Énergie Hauts-de-France a pour vocation d’accompagner les porteurs de projets de production d’énergies renouvelables de la région, essentiellement en tant que co-investisseur de projets. Nous sommes donc quotidiennement au contact des porteurs de projets, en particulier ceux de la filière photovoltaïque, de la filière de la méthanisation et des réseaux de chaleur.

Je vous propose de prendre l’exemple d’un frein pesant sur la filière photovoltaïque.

La politique nationale repose sur des tarifs équivalents partout en France. Ils dépendent de l’appel d’offres de la Commission de régulation d’énergie (CRE), en fonction des seuils alors que le potentiel est différent selon que l’on se situe à Lille ou à Perpignan. Nous constatons que nous avons déjà pris un peu de retard par rapport aux objectifs. En effet, nous avions prévu d’atteindre un peu plus de 10 gigawatts-heure installés, mais nous serons à peu moins de 9 gigawatts-heure. L’objectif pour 2023 est, au minimum, du double, soit 18 gigawatts-heure, alors que nous peinons à installer 1 gigawatt-crête supplémentaire par an. Il faudra doubler l’accompagnement des projets pour répondre aux objectifs actuels. La prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) risque fort de maintenir ses prétentions auprès de la filière photovoltaïque et donc d’exiger qu’elle accélère sa production.

Selon moi, le principal frein tient à la limitation de l’installation des centrales photovoltaïques. Le schéma est simple : tout le monde étant mis sur le même pied, il faut répondre à des appels d’offres, donc offrir des tarifs concurrentiels par rapport aux projets du sud de la France. On constate, à ce jour, environ quinze fois moins d’installations photovoltaïques en Hauts-de-France que dans le midi. Au titre des derniers appels d’offres de la CRE, quelques projets se concrétiseront en Hauts-de-France, mais il s’agira uniquement de très gros projets. En moyenne, nous avoisinons 20 mégawatts-crête par projet d’installation, alors que les projets sont quatre fois plus petits dans le sud de la France sans que cela pose de difficultés.

L’ambition d’un porteur de projet, dans la région Hauts-de-France, est de réaliser l’installation la plus grosse possible afin de pallier économiquement le défaut d’ensoleillement et de proposer des offres compétitives. C’est ainsi qu’il n’y a pas, en Hauts-de-France, de petits ou de moyens projets, mais seulement de très gros projets, parfois sur 50 ou 80 hectares, comme ce fut le cas lors des derniers appels d’offres, ce qui limite les possibilités d’implantation.

Que ce soit en Belgique, en Allemagne, en Angleterre ou dans le sud de la France, de nombreux panneaux photovoltaïques sont installés, mais une photo de l’Europe prise par satellite révèle une zone blanche au-dessus de la Loire, qui s’étend jusqu’aux frontières nord de la France où les installations photovoltaïques sont rares. À cet égard, le dernier appel d’offres de la CRE portant sur les toitures est extrêmement parlant : la CRE n’a retenu que 0,5 % des projets des Hauts-de-France !

Imaginons que le même système s’applique à toute l’Europe : il n’y aurait quasiment plus de projets en France, les implantations se réaliseraient au sud de l’Espagne, en Italie et en Grèce.

Je rappelle que les appels d’offres de la CRE placent sur un pied d’égalité les projets du nord et du sud du pays. Les critères de sélection portent essentiellement sur le prix, qui joue pour 70 % de la note. Cela a certes l’effet bénéfique d’abaisser les coûts de production de la filière, qui ont été divisés par quatre en quelques années, mais cela concentre les projets le long de la Méditerranée et de la frontière espagnole.

Ce frein devra être levé si nous voulons atteindre les objectifs des PPE actuelles et futures. Il faut donner aux régions situées au nord de la Loire les moyens d’installer des centrales photovoltaïques.

Je vous présenterai quelques propositions, propres à plusieurs syndicats.

La première, la moins originale et la plus sujette à appropriation par la CRE, est d’instaurer une bonification différenciée du tarif en fonction du niveau d’ensoleillement, lequel est connu et constant. La quantité produite étant inférieure dans les régions du nord et le tarif étant supérieur, une telle proposition y permettrait l’émergence de projets.

La deuxième proposition consiste en une régionalisation des appels d’offres. L’écart d’ensoleillement serait ainsi gommé, et la concurrence jouerait entre des territoires qui connaissent un ensoleillement à peu près identique. Récemment, nous avons eu à connaître un appel d’offres spécifique au titre de la transition énergétique liée à la fermeture de la centrale de Fessenheim. Il pourrait donc y avoir des appels d’offres spécifiques régionalisés.

J’ai bien conscience que ces éléments sont difficilement audibles. Peut-être pourrions-nous plus facilement modifier les critères en mettant davantage en avant celui de la pertinence environnementale, c’est-à-dire le caractère dégradé des sols sur lesquels sont installées les centrales. Actuellement, en effet, le prix joue pour 70 % et l’impact carbone pour 21 % ; il suffirait d’abaisser la part du premier critère, qui était d’ailleurs sensiblement plus faible dans les appels d’offres plus anciens, pour relever celle du critère de pertinence environnementale. On privilégierait ainsi l’installation de centrales photovoltaïques sur des sites dégradés, bien plus nombreux dans les Hauts-de-France que dans le sud de la France, où une bonne partie du foncier est d’ores et déjà utilisée.

La dernière proposition consiste à relever le seuil des appels d'offres, en le portant de 100 à 500 kilowatts-crête, voire à un mégawatt-crête. Cela serait cohérent avec les propositions de la Commission européenne et permettrait aux projets de plus petite taille de voir le jour plus facilement au nord de la France.

Mme Véronique Riotton, présidente. Merci, monsieur Chapelet. Nous sommes très preneurs de vos diagnostics, mais aussi de vos propositions.

M. Fabien Choné, directeur général délégué « Stratégie et énergie » de Direct Énergie. Merci de votre invitation.

Direct Énergie est à ce jour le troisième opérateur en France parmi les sociétés de gaz, derrière les deux opérateurs historiques, avec environ 3 millions de sites clients, essentiellement sur le marché de masse des clients résidentiels.

Direct Énergie est également très actif dans la production, puisque nous exploitons des cycles combinés gaz, donc des moyens de production flexibles à partir de gaz et des moyens de production renouvelables, en totale conformité avec les objectifs de la transition énergétique.

Les investissements en faveur des moyens de production pourraient porter sur plusieurs centaines de millions d'euros par an et pour un total de plus d'un milliard d'euros au cours des trois prochaines années. Mais ce n'est pas tout ! Nous développons de nombreux services énergétiques à Laval. La transition énergétique comprend deux axes : la production et la consommation. Le rapprochement entre les deux, afin de proposer aux consommateurs les services qui leur permettront de participer à la transition énergétique, est l’un de nos objectifs.

Étant donné notre positionnement d'acteur industriel investissant massivement dans les outils de la transition énergétique, le fait que nos principales préoccupations soient la visibilité et la pertinence des signaux économiques ne vous étonnera pas. Nous sommes confrontés à un risque d'évolution permanente des règles, dans des sens divers et variés, qui nous fait craindre pour nos investissements. C’est l’un des principaux points que nous voulons souligner. À terme, les objectifs sont cruciaux pour Direct Énergie qui, je le rappelle, a été racheté très récemment par le groupe Total, ce dernier menant par ailleurs des activités de commercialisation d'électricité et de gaz, ainsi que de production avec des cycles combinés gaz et renouvelables.

Parmi les différents sujets qui nous réunissent aujourd'hui, je m’attarderai davantage sur la consommation que sur la production, dans la mesure où Direct Énergie est adhérent du Syndicat d'énergies renouvelables et où nous sommes en totale cohérence avec ses propositions.

Je présenterai deux observations sur la production.

D’une part, les cycles combinés gaz ne sont pas contradictoires avec la transition énergétique, bien au contraire. La transition énergétique consiste à développer la production d’énergies renouvelables. Cette production présente un certain degré d'intermittence qu'il faut compenser par différents outils : stockage, pilotage de la consommation, flexibilité de production... Les plus écologiques de ces outils sont les cycles combinés gaz, cruciaux pour atteindre un bon niveau de sécurité de l’approvisionnement, ainsi qu’une émission de CO2 minimale.

D’autre part, se pose la question du renouvellement des concessions hydroélectriques. Les concessions hydroélectriques recèlent un potentiel d’apport en productibles et de flexibilité au système électrique qui se développera d'autant plus que les concessions électriques seront mises en concurrence. Les différents candidats proposeront des investissements pour améliorer ces concessions, ce qui permettra de participer aux enjeux de flexibilité nécessaires à la transition énergétique.

Sur la partie aval, il est important que nous vous fassions part des freins et des obstacles que nous sommes amenés à rencontrer. Le premier point que je veux aborder avec vous se rapporte au compteur Linky.

Lancé en 2007 par la CRE, le compteur Linky s’inscrivait totalement dans la logique de faire progresser le système électrique, en assurant l'interface entre le client et le système électrique. Toutes les études qui ont amené au lancement de ce projet démontraient que mesurer efficacement la consommation de l'ensemble des utilisateurs du réseau, des gros comme des petits, réduirait celle-ci et enverrait des signaux économiques favorables, permettant eux-mêmes une adaptation toujours plus fine aux contraintes du système électrique. De longues date, l'offre s'adapte à la demande : or nous savons qu’elle deviendra intermittente. Grâce aux nouvelles technologies de l'information, c'est donc la demande qui s'adaptera à l'offre. Tel est l'enjeu de la transition énergétique sur le marché aval. Le compteur Linky avait vocation à jouer le rôle de cette interface. Encore une fois, pour proposer des services associés, il faut comprendre et connaître la consommation des clients et la mesurer. Or, ainsi que l’a fait remarquer la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, alors que le processus de déploiement des compteurs Linky en est à son premier tiers, à peine 3 % de la population fait l'objet d’un enregistrement précis – c’est-à-dire intrajournalier, voire horaire ou demi-horaire – de sa consommation. Auprès des 97 % restants, nous récupérons des consommations mensuelles ou quotidiennes, ce qui reste insuffisant pour pouvoir leur proposer des services leur permettant de contribuer efficacement à la transition énergétique.

Pour reprendre les différents aspects que vous avez évoqués – fiscal, législatif, technologique, financier, sociétal et de communication –, le compteur Linky fonctionne conformément à ce que l'on en attendait, sans problème technologique. En revanche, sur le plan législatif, une contrainte forte pèse sur l'enregistrement des données, dont nous ne disposons pas et l’usager non plus. Il n'a pas la possibilité de connaître, de comprendre ni de se faire aider pour souscrire des services énergétiques qui lui permettraient de consommer moins et mieux. Il conviendrait donc, en priorité, de faire évoluer la législation pour que ces données soient disponibles, tout en prenant en considération la polémique à laquelle elles donnent lieu.

Le deuxième frein se situe entre la production et la consommation et porte sur la production individuelle par pose de panneaux photovoltaïques sur les toitures, domaine dans lesquels nos voisins d’Europe du Nord, de Grande-Bretagne et d’Allemagne sont bien plus avancés que nous.

Le soutien public au développement de l'autoconsommation passe par un contrat de rachat du surplus. Le client qui autoconsomme une partie de sa production enregistre, de temps à autre, des surplus qui sont réinjectés dans le réseau. Le soutien repose sur un contrat de rachat qui, en l'état actuel de la législation, passe obligatoirement par EDF, et il est très compliqué pour les concurrents d'EDF d'expliquer à leurs clients qui installent des panneaux photovoltaïques qu’ils vont signer un contrat avec leur concurrent numéro un. Or, il n’existe aucune justification à cette contrainte. Il est urgent de permettre à tous les acteurs agréés, dont Direct Énergie fait partie, de signer, dès la mise en service de l'installation, des contrats de rachat permettant aux consommateurs de bénéficier des services que les nouveaux entrants pourront leur proposer.

À cela s’ajoute un obstacle financier, car les installations coûtent relativement cher aux particuliers. Nous proposons que le financement des panneaux photovoltaïques entrant dans le cadre d'un projet d’autoconsommation bénéficie du prêt à taux zéro (PTZ) afin de développer cette filière.

Ces deux obstacles, législatif et financier, peuvent être levés par la loi.

Le troisième sujet sur lequel nous travaillons avec assiduité, mais, hélas, avec peu de résultats alors même qu’il existe un potentiel énorme, est l'effacement diffus, autrement dit le pilotage à distance de la consommation résidentielle, par opposition à l'effacement industriel qui est le pilotage des grands consommateurs industriels, pilotage qui peut représenter un fort intérêt du point de vue du système électrique. Encore une fois, la consommation électrique en France est assez spécifique : notre pays utilise beaucoup de chauffe-eaux et se chauffe à l’énergie électrique. Plus de la moitié de la thermo-sensibilité européenne se trouve en France. Les enjeux de gestion des pointes de consommation seront de plus en plus prégnants à mesure que se développeront les énergies renouvelables, notamment la nuit ou en l’absence de vent. Maîtriser les pointes électriques est un enjeu primordial, notamment pour le chauffage électrique.

Or, aujourd'hui, l’effacement industriel comme l'effacement diffus sont quasiment impossibles, car les seuls dispositifs de soutien à l'effacement sont globaux.

L'effacement diffus exige du capital, car faut procéder à des installations chez les clients. Il est donc relativement plus cher, au mégawatt effacé, que l'effacement industriel. Dans le cadre des appels d'offres « recherche qualité environnementale » (RQE) et des appels d’offres « effacement », l'effacement industriel est quasiment le seul retenu. C’est dommage, car si le potentiel d’effacement industriel se situe à 3 000 mégawatts, le potentiel d’effacement diffus est estimé à au moins 15 000 mégawatts. Si nous n’avions pas besoin de ces 15 000 mégawatts ou si nous n’avions pas besoin de photovoltaïque dans le nord de la France pour atteindre nos objectifs, nous aurions raison de ne développer celui-ci que dans le midi et de nous limiter à l'effacement industriel. Mais nous savons que nos objectifs et les enjeux de la transition énergétique nécessitent de le développer aussi au nord et de procéder aussi à l'effacement résidentiel. Il est donc urgent de dissocier les soutiens à l'effacement industriel et à l'effacement diffus, deux filières différentes qu’il convient de développer le plus rapidement possible, afin d’exploiter les potentiels correspondants.

Il en va de même pour le photovoltaïque au sol. Pour une question d’harmonisation et d’aménagement du territoire, il est nécessaire de développer le photovoltaïque au nord comme au sud, même si cela coûte plus cher. Dès lors que l’exploitation de l’ensemble des potentiels est nécessaire pour atteindre les objectifs, il faut faire les deux en même temps.

Le même raisonnement vaut pour le photovoltaïque au sol et le photovoltaïque en toiture, le premier étant bien moins cher que le second. On pourrait penser que le premier est suffisant et qu’il faut donc supprimer le soutien public au second, mais on sait que les deux seront indispensables pour répondre aux obligations de la transition énergétique. Il faut, par conséquent, agir en parallèle sur l'effacement diffus et sur l'effacement industriel en installant en même temps du photovoltaïque au sol et en toiture, au nord comme au sud.

Il est nécessaire de bien distinguer l'ensemble de ces process afin de développer l’ensemble des filières, notamment parce que, pour l'effacement diffus comme pour le photovoltaïque, on peut lancer des appels d'offres quand on parle de photovoltaïque au sol ; par contre, des guichets ouverts s’imposent dès que l'on parle d’effacement diffus. C'est vrai pour l'autoconsommation, ce sera vrai pour l'effacement diffus.

J’aborde le dernier frein : en tant que nouvel entrant, nous proposerons des services qui incitent les consommateurs à se tourner vers la concurrence, les services et les innovations. À ce jour, les tarifs réglementés sont un obstacle fort au développement de la concurrence et des innovations associées. Les tarifs réglementés sont censés protéger les clients ; en réalité, ils ne les protègent pas et les empêchent de s'intéresser à la concurrence, donc aux services et aux innovations qui leur permettraient de participer aux enjeux de la transition énergétique. Nous pensons que ces tarifs réglementés devraient disparaître le plus vite possible, ne serait-ce que pour faire bénéficier les consommateurs des avantages de la concurrence, aussi bien en termes de prix que de services et d'innovations telles que l'autoconsommation, l'effacement diffus ou le véhicule électrique demain. La France a de multiples atouts et un fort potentiel en la matière. Or, elle est très en retard sur les autres pays européens. Pourquoi ?

M. Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Le Syndicat des énergies renouvelables représente l’ensemble des filières renouvelables dans les trois secteurs de la chaleur, de l'électricité des transports et du gaz, dont font partie des acteurs comme Direct Énergie, mais aussi les grands énergéticiens, 80 % de petites et moyennes entreprises (PME) et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ainsi que des entreprises qui sont, dirons-nous, à la croisée des chemins, pour faciliter la transition énergétique en tant qu’agrégateurs ou acteurs du financement – par exemple des acteurs de plateformes de financement participatif.

Je vais passer en revue ces différents secteurs pour identifier les freins et proposer des pistes de solutions éventuelles.

Je commencerai par le secteur de la chaleur, car il s’agit d’un sujet que l’on a tendance à moins évoquer, alors qu’il représente plus de la moitié de la consommation énergétique française.

Le frein tient à une compétitivité moindre des sources de chaleur renouvelables par rapport aux sources d'énergie fossiles, qui restent très compétitives. C'est moins vrai ces derniers mois, compte tenu de la remontée des cours, mais cet enjeu de compétitivité est important dans le secteur de la chaleur qui, en outre, est un secteur diffus, donc plus difficile à faire évoluer que d'autres secteurs.

Dans le cadre de la loi de 2015 relatives à la transition énergétique, l’objectif souhaité que 38 % de la chaleur soit d’origine renouvelable, contre 20 % aujourd’hui. Il nous faut donc doubler notre effort dans les quinze ans qui viennent. Pour ce faire, nous avons identifié trois leviers essentiels, tous à la main du Parlement.

Le premier, tout à fait d’actualité, est fiscal : la contribution climat-énergie (CCE). La trajectoire de la taxe carbone qui a été définie dans le projet de loi de finances pour 2019 et qui est issue des engagements du plan « Climat » sera essentielle pour fixer un juste prix du carbone, auquel seront exposées les énergies fossiles. Y parvenir nécessite une réflexion sur les dispositifs d'accompagnement. En tout cas, sur le principe, la CCE est un facteur essentiel.

Le deuxième levier est le Fonds chaleur. Il existe en effet un différentiel de compétitivité, qui constitue un frein historique : les dispositifs d'accompagnement de la chaleur renouvelable, alors même que le secteur reste carboné et pèse sur notre balance commerciale, ont toujours été sous-dimensionnés jusqu’à présent. Le Fonds chaleur représente 200 millions d'euros par an. Il finance la chaleur dans le secteur industriel, par exemple les réseaux de chaleur pour les collectivités. Par rapport aux volumes qu’il permet de déployer chaque année, on doit quasiment doubler les volumes pour répondre à la trajectoire de la PPE. Le SER a toujours souhaité ce doublement, et nous sommes très réceptifs à l’annonce récente par François de Rugy que ce fonds serait porté à 300 millions d’euros, mais il reste à lui apporter une confirmation dans le cadre de la loi de finances. Nous pouvons discuter des modalités d'attribution, car il ne s'agit pas uniquement d'augmenter l'enveloppe.

Le secteur résidentiel, enfin, est également un enjeu important également : il représente en effet 55 %, voire 60 % de la chaleur renouvelable. Le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) nous semble un élément central et performant, et nous sommes satisfaits de sa reconduction à périmètre constant. Nous sommes favorables au principe d'un basculement vers un système de prime, mais le calibrage nécessitera une réflexion approfondie pour éviter les effets d'aubaine. Lorsque l’ouvrage reviendra sur le métier en 2019, nous serons prêts à faire des propositions.

D’autres questions, telles que la valorisation des cendres de biomasse, la réglementation thermique des bâtiments ou encore la mobilisation de la biomasse, devraient, de notre point de vue, devraient faire l'objet d'un groupe de travail ministériel au même titre que l’éolien, la méthanisation et le solaire.

Dans le secteur de l’électricité, il est intéressant d'observer que les politiques publiques, en coopération avec les acteurs privés qui investissent dans l'innovation et les nouveaux business models, fonctionnent. Le prix du mégawatt-heure est extrêmement compétitif pour le solaire au sol et l'éolien terrestre, et le sera très prochainement pour l'éolien en mer : 60 euros environ. C’est le fruit d'une action conjointe du secteur privé et du secteur public, qui doit être poursuivie, et il est important de se pencher sur les leviers qui pourraient être mobilisés avec un effet immédiat sur la compétitivité de ces filières. Certes, le secteur a connu un peu d'instabilité : un moratoire a concerné l'éolien et le solaire, des arrêtés tarifaires sur l'éolien ont été annulés. Mais, aujourd'hui, les prix deviennent convenables. Il faut maintenir ce cadre, même s’il peut encore être amélioré à la marge.

À ce stade, deux éléments nous semblent importants : le premier est une réflexion sur la fiscalité, notamment sur l'imposition forfaitaire des énergies de réseau (IFER), à laquelle s’est engagé le groupe de travail ministériel sur l'éolien. L'idée est que les communes d'implantation des parcs éoliens bénéficient d'un minimum de 20 % d’IFER. Il est en effet difficile d'expliquer à une commune qui reçoit un parc sur son territoire qu’elle peut être privée dans certains cas du produit de l’IFER parce qu’il serait versé à d’autres échelons. Le projet de loi de finances pour 2019 nous semble un cadre approprié pour régler cette question.

Le second élément, très bien décrit par Fabien Choné, a trait à l'autoconsommation, notamment collective, qui est un enjeu fort si l’on veut permettre à un maximum de Français d'accéder à une forme d'énergie décarbonée, renouvelable et, surtout, dont le prix reste stable sur toute la durée du projet. Des réflexions sont en cours sur le sujet, et des propositions d’ordre législatif pourront être avancées.

Je dirai un mot de l'hydroélectricité, colonne vertébrale de la transition énergétique en ce qu’elle est un formidable outil de flexibilité et de stockage. Le poids de la fiscalité locale est important : il représente un quart du prix de vente de l'électricité produite. Par ailleurs, il s’agit d’un patrimoine qui inclut parfois des éléments de continuité écologique des cours d'eau. Il est nécessaire de réinvestir dans certains dispositifs qui, s’ils n'améliorent pas forcément le productible, sont soumis à la fiscalité locale, la taxe foncière en particulier.

Nous sommes en mesure de faire des propositions concrètes dans ce domaine. On pourrait, par exemple, permettre à des collectivités qui souhaiteraient maintenir sur leur territoire un actif de production, ou faciliter le rééquipement en turbines de seuils qui ne produisent pas, de consentir des exonérations temporaires de taxe foncière.

Pour l’ensemble de ces cas de figure, il nous semblerait intéressant d’engager une réflexion sur la fiscalité locale.

Je termine par deux autres secteurs essentiels. D’une part, les transports, où la France est en passe d’atteindre ses objectifs. En effet, 8,5 % d'énergies renouvelables y sont utilisés aujourd’hui, et nous devrions atteindre 10 % d'ici à 2020 et 15 % d'ici à 2030. Les biocarburants de première génération, qui reposent en grande partie sur des productions françaises et qui sont en totale complémentarité avec d'autres activités agricoles, représentent la majeure partie de ces 8,5 %. Des débats européens ont eu pour objet de définir un nouveau cadre post-2020 pour les biocarburants de première génération. Nous veillerons attentivement à la bonne application de ces règles afin de préserver cet acquis, qui est un atout pour la décarbonation du secteur des transports, où les besoins sont tels que l'on doit combiner toutes les solutions, y compris, bien sûr, le bio-GNV et l'électromobilité.

Le bio-GNV m'amène à évoquer le secteur du gaz. Le gaz renouvelable présente la particularité d'irriguer les secteurs des transports, de la chaleur et de l'électricité. L’objectif de la France est d’atteindre 10 % de gaz renouvelable d'ici à 2030. Le SER estime disposer du potentiel pour cela, il est important de le rappeler dans le contexte de la préparation de la PPE. C'est, par ailleurs, une filière où les objectifs de compétitivité sont importants : nous estimons possible d’abaisser les coûts de près 30 % au cours des cinq prochaines années. Il convient, par conséquent, d'accélérer le processus.

Les chiffres observés sur le terrain montrent que la filière est en plein développement et propose de nouveaux projets industriels pour la France. Nous partons d’un niveau bas dans le secteur de la méthanisation, par rapport à nos voisins allemands. Beaucoup reste à faire pour structurer cette filière et y créer de l'emploi. La méthanisation agricole est susceptible, en outre, de rapporter 15 000 euros supplémentaires par an à un agriculteur. Développer un tel écosystème est un enjeu de politique industrielle important.

À l’heure où le Président de la République réunit les grands acteurs de la politique de l'énergie pour discuter des sujets industriels, je dirai que l’on ne décarbone pas seulement pour décarboner, mais pour de multiples raisons : la dimension industrielle est fondamentale, s’agissant notamment des énergies marines et en particulier de l'éolien en mer. Les six parcs qui entreront en fonctionnement en 2020-2022 représentent, ensemble, 15 000 emplois additionnels. Le site de Cherbourg recevra le plus grand producteur de pales au monde.

Nous avons réussi à installer de grands équipementiers sur le territoire français et à développer un écosystème de PME autour de ces grands donneurs d'ordres. Il convient maintenant de poursuivre en donnant, dans la PPE, une visibilité sur l'éolien en mer, mais aussi sur l’éolien flottant, spécificité française, et sur l’ensemble des technologies des flotteurs, secteur dans lequel nous sommes en avance.

M. Joël Pédessac, directeur général du Comité français du butane et de propane. Merci de nous recevoir aujourd’hui. Le Comité français du butane et du propane est un syndicat professionnel. Nous représentons les filières de distribution des gaz de pétrole liquéfié. Les entreprises que je représente en tant que distributeur de GPL sont notamment Butagaz, Finagaz, Primagaz, Antargaz et Engie. Peut-être êtes-vous étonnés qu’Engie soit présent dans ce domaine d'activité, mais il exploite du GPL en Corse, à Bastia et Ajaccio, où du GPL Engie transite dans les tuyaux de gaz.

Il existe trois gaz à usage de chaleur ou de mobilité sur le marché de l'énergie. D’abord, le méthane que vous connaissez tous et qui peut être du gaz naturel, du gaz naturel pour véhicules (GNV) ou du gaz naturel liquiéfié (GNL). Le butane et le propane sont les petits frères du méthane puisque ces trois gaz, quand ils sont d'origine fossile, sont extraits de terre au même endroit. Quand on extrait du gaz de terre, on extrait 95 % de méthane, les 5 % restants sont du butane, du propane et de l’éthane. Ils représentent 70 % du GPL mis sur le marché en France et dans le monde. Les 30 % restants viennent du raffinage de pétrole, d’où cette autre appellation d'origine : « gaz de pétrole liquéfié ». Voilà pour les origines. À la fois en termes de ressources et d'usages, nous sommes dans la filière du gaz. En termes d'efficacité énergétique et d'émission de CO2, on se retrouve assez souvent sur le terrain du gaz.

Les usages des GPL sont les mêmes que ceux du gaz. En France, près de 10 millions de foyers utilisent du GPL butane ou propane. Sur ces 10 millions, près de 10 % utilisent ces GPL pour se chauffer et produire de l'eau chaude sanitaire ; le reste couvre les usages classiques de cuisson, puisque 35 % des foyers français cuisinent encore au GPL, 30 % au gaz naturel et le reste à l’électricité. Voilà pour les usages chaleur du GPL.

En termes de mobilité, près de 200 000 véhicules roulent au GPL en France, environ 8 millions en Europe et 25 millions dans le monde.

Le dernier usage qui nous rapproche du gaz naturel est la production d'électricité. Les PPE de Mayotte et de Tahiti affichent un projet de transfert, réalisé par Engie, de la production d'électricité, actuellement au fioul, vers le GPL. Produire de l'électricité pour des besoins de base avec des turbines ou avec d'autres moyens peut se faire au gaz, avec du GNL. On amène à un endroit le méthane sous forme liquéfiée pour l’utiliser ensuite dans les centrales sous forme gazeuse. Lorsque le GNL n'est pas économiquement viable, lorsqu’il est trop coûteux de le faire venir – c’est le cas dans de nombreux départements ou territoires d'outre-mer, dans les zones non interconnectées – ; le GPL peut trouver une légitimité. C’est la raison pour laquelle la PPE de Mayotte a pris en compte ce gaz comme source de production d'électricité, d'autant que l'infrastructure amenant du gaz existe déjà à Mayotte, à Tahiti, dans tous les DOM-TOM et en Corse. La PPE corse affichait le passage du fioul au GPL des centrales électriques, alors qu'il n'y a pas de GNL en Corse. Nicolas Hulot a d'ailleurs écrit à l'autorité corse pour l’informer que le GNL en Corse était bien trop cher, alors que sont en place deux points d’amenée du GPL à Bastia et à Ajaccio. Il est donc possible d’amener du gaz et de couvrir la totalité du territoire avec du GPL. Quand on a accès au gaz naturel, il faut, bien sûr, l’utiliser, mais pour les 27 000 communes qui n'ont pas accès au gaz naturel, le GPL reste une solution.

La loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte évoque une réduction de 40 % des émissions de CO2 d’ici à 2030 et de 75 % d’ici à 2050, même si ces pourcentages ont quelque peu évolué avec la nouvelle stratégie nationale « bas carbone ».

Dans ce contexte, quels sont les avantages du GPL ? Par rapport à des combustibles ou à des carburants pétroliers conventionnels tels que le fioul domestique et les carburants pétroliers – essence et diesel –, il produit 20 % de CO2 en moins ; le GPL d'origine biomasse, donc le GPL d'origine renouvelable, 80 % de CO2 en moins. On retrouve à peu près les mêmes chiffres que ceux du gaz naturel : de l’ordre de 20 % de réduction des émissions de CO2 s’agissant du carbone fossile et de 80 à 90 % s’agissant du carbone renouvelable.

Pour les 27 000 communes qui ne sont pas raccordées au gaz naturel et les 4 millions de foyers qui utilisent du fioul domestique, passer du fioul au gaz est possible. Nous entendons encore trop souvent, dans les débats publics, des personnes nous dire qu’elles habitent une commune sans arrivée de gaz, sous-entendu « de gaz naturel », mais ce n'est pas parce qu'il n’y a pas de gaz naturel que le gaz ne peut être utilisé. Le propane peut être présent partout.

Dès lors que l’on utilise du GPL dans un moteur ou dans une chaudière, le gaz présente un atout sur le plan des polluants normés – particules, oxydes d'azote – comparé au fioul domestique.

Autre élément, peut-être moins connu, les GPL ne sont pas des gaz à effet de serre, contrairement aux hydrofluorocarbures (HFC) des systèmes de pompes à chaleur de réfrigérants, sujet dont l’Assemblée a eu l’occasion de débattre. Le propane est donc une alternative aux HFC dans de gros systèmes frigorifiques. Substituer du propane à un HFC est non seulement envisagé, mais déjà réalisé dans certaines installations de production de froid.

J’en viens à l'efficacité énergétique. Une maison ou un immeuble chauffé au fioul doit, pour réduire son empreinte carbone ou sa consommation d'énergie, réaliser de gros travaux d'efficacité énergétique et donc d'isolation. Par une isolation simple des combles et des ouvrants – je ne parle pas de l'isolation des parois –, on peut gagner jusqu'à 30 % dès lors que cette isolation est bien faite. Répondre aux enjeux de réduction de la consommation d'énergie nécessite de passer par l'isolation.

Remplacer une vieille chaudière au fioul par une chaudière à condensation gaz, même s’il s’agit de gaz fossile, fait gagner encore près de 30 %. La technologie de la condensation permet de gagner 30 % en énergie, donc en CO2. La chaudière utilisée sera la même, que ce soit du méthane gaz naturel, du GPL ou du gaz fossile.

Un gaz renouvelable est produit en recourant à la biomasse par un process de fermentation. On produit exactement la même molécule, qui était fossile, en produit renouvelable, qui va donc être utilisé dans la même chaudière. Donc, passer du fioul au gaz permet à des millions de foyers disposant d’une chaudière à condensation d’avoir, grâce à un pouvoir combustible supérieur (PCS) proche de 100 %, un rendement en énergie primaire excellent, presque supérieur à celui de l'électricité sur l'ensemble de sa chaîne. Parallèlement, cela donnera la possibilité d'utiliser un gaz renouvelable avec cette même installation dès que les quantités seront disponibles.

Une fois que nous aurons substitué le gaz et les pompes à chaleur électrique au fioul, une maison qui consommait et émettait une quantité 100 de carbone à l'instant T en 2018 ne consommera plus que 10 dès lors que l'isolation aura été réalisée, que la chaudière aura été changée et qu’on utilisera du gaz renouvelable. On aura ainsi réduit de 90 % l'empreinte carbone.

Je veux maintenant évoquer les freins qui pèsent sur la chaleur, notamment dans le secteur du bâtiment. Le GPL représente 1,3 % de la consommation d'énergie primaire en France et 5,5 % dans le monde. Le taux de 1,3 % représente la même part de marché de l'énergie que les réseaux de chaleur. À ce jour, la plupart des décideurs, qu'ils soient politiques ou administratifs, voire industriels, n’imaginent pas que le gaz puisse être distribué sous la forme de GPL partout sur le territoire, y compris dans les îles. Les consommateurs le savent, parce qu'ils l’utilisent, mais en politique publique, on parle de gaz naturel, on parle de réseaux de gaz, sous-entendu de gaz naturel, on ne pense pas au réseau de gaz propane. On n’imagine pas que le gaz puisse être présent partout et soit, par exemple, susceptible de remplacer le fioul domestique alors même que le corpus réglementaire et fiscal existe. Les prix, quant à eux, relèvent de la communication.

La loi relative à la transition énergétique, dans son article 1er, marque la nécessité de réduire la consommation d'énergies fossiles, la consommation de produits pétroliers par exemple, mais aussi de graduer ces mesures de réduction en fonction du contenu carbone de chaque énergie. Le GPL et le gaz naturel comme le méthane se placent au sommet de la hiérarchie des énergies fossiles qui émettent le moins de carbone. Il faut, par conséquent, les intégrer en tant que tels.

Se posent, par ailleurs, des questions d’ordre purement administratif. Les statistiques nationales qui traitent de l'énergie font figurer le GPL parmi les produits pétroliers, ce qui ne contribue pas à clarifier la situation : le GPL est avant tout un gaz et, en matière de CO2, il présente tous les atouts du gaz naturel.

La direction générale de l'énergie et du climat se divise en un bureau des produits pétroliers, un bureau du gaz et un bureau de l'électricité. Le GPL est géré par le bureau des produits pétroliers. Or, ce n’est pas ce bureau qui est le plus entendu quand il s'agit de défendre l’efficacité énergétique et la réduction des émissions de CO2.

La fin de l’exonération de TICPE du GPL a été votée l’année dernière. La directive est appliquée. S’il nous paraît cohérent que le GPL soit taxé au titre de la contribution climat-énergie en fonction de son contenu carbone, nous ne comprenons pas que le Parlement ait voté une disposition fixant un taux de TICPE sur le GPL supérieur de 15 % à celui sur le fioul, alors que celui-ci émet 20 % de CO2 de plus ! Si la suppression de l’exonération nous avait paru cohérente, taxer le GPL plus lourdement que le fioul domestique est en revanche aberrant.

J’en viens à la question de la mobilité. La mobilité au gaz est une technologie qui est aujourd’hui mature. C'est vrai pour le GNV destiné aux véhicules lourds et aux transports publics, mais les particuliers aussi ont le droit de rouler à autre chose qu'au gazole ou à l’essence qui valent, l’un et l’autre, 1,60 euro alors que le GPL ne vaut que 90 centimes d’euro le litre grâce à une TICPE à taux réduit.

Nous avons investi plus de 200 millions d'euros dans les infrastructures de distribution. Environ 1 700 stations distribuent du GPL. Or, elles tournent à environ 10 % de leur point mort économique, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas rentables économiquement.

La technologie des constructeurs est parfaitement maîtrisée. Préparer une voiture à rouler au gaz, GPL en particulier, représente un surcoût d’environ 400 euros pour un constructeur automobile par rapport à un véhicule essence. Même sans subvention, un véhicule GPL peut se vendre.

Quels sont les freins en matière de transition énergétique – ou les accélérateurs, si on le traduit positivement ? Le focus mis sur les véhicules électriques et sur les véhicules légers empêche les constructeurs de comprendre que les pouvoirs publics ont envie d’autre chose que l'électricité ou que les citoyens n’ont pas tous les moyens d’investir 20 000 euros dans un véhicule électrique. Le premier véhicule GPL neuf dans la gamme Renault ou Dacia vaut 8 000 euros TTC, sans prime et avec roue de secours. Dans une période où les gens n'ont pas forcément les moyens de se déplacer ou de se chauffer, il convient de proposer des solutions qui n’amputent pas le budget de la Nation, qui coûtent un peu moins cher aux citoyens, et qui émettent moins de CO2. C’est ce que le GPL permet. Cette solution, même si elle est aujourd’hui d’origine fossile, sera renouvelable demain. Près de 200 gigawatts-heure de GPL sont renouvelables sur le marché français depuis le début de l'année. C'est autant que le biogaz produit au cours des six premiers mois de l'année en France.

Mesdames, messieurs les parlementaires, vous allez discuter de la loi d’orientation des mobilités (LOM). Expliquer que le GPL est un carburant sur lequel nous pouvons fonder nos mobilités clarifierait le discours car, à l’heure actuelle, le message n’est pas toujours clair, tant pour ceux qui vendent des voitures que pour ceux qui investissent dans les réseaux distribution et pour ceux qui distribuent le gaz.

Mme Véronique Riotton, présidente. Je souhaite la bienvenue à M. Jean-Louis Bal. Nous terminons la phase des propos liminaires. Peut-être pourrez-vous intervenir, Monsieur le Président, au cours de la phase de questions et de réponses, qui va s’ouvrir à l’instant. Votre délégué général nous a largement informés sur la chaleur, les filières électriques et le gaz. Le travail a été fait !

M. Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables. Il a certainement été très bien fait !

Mme Véronique Riotton, présidente. En effet !

M. Adrien Morenas. Monsieur Choné, j’ai eu l’occasion de vous auditionner dans le cadre de la mission sur la ressource en eau. J’aurais souhaité que vous fassiez un point sur l’ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques et sur l'importance à gérer cette filière amont-aval. Qu’attendent les acteurs aujourd’hui présents de la PPE ?

Monsieur Chapelet, j'ai bien compris que vous réalisiez du solaire dans le nord de la France et que vous demandiez, parce que vous produisez 30 % de moins que dans le sud de la France, une différence dans le tarif de vente. L'énergie solaire est-elle la meilleure stratégie à adopter sur ces territoires, bien qu'elle soit utilisée en Belgique ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. On parle de l’hydraulique quand on évoque les barrages, mais j'aimerais vous entendre sur le thème de l'hydraulique au fil des fleuves et des rivières, notamment de la petite hydraulique que l'on trouve sur nos plats pays. Elle entre parfois en concurrence avec la défense de la biodiversité. Nous connaissons bien des cas où les passes à poissons entrent en conflit avec les générateurs d'électricité. Je le relève pour que nous engagions une discussion un peu plus générique sur l'hydroélectricité.

Mme Véronique Riotton, présidente. Nous avons peu évoqué l'éolien. Or, nous sommes en retard dans ce domaine. Est-ce pour des raisons liées aux espaces disponibles ou à l'acceptabilité sociale qui est en mal sur ces questions ?

M. Sébastien Chapelet. Le photovoltaïque dans le nord est-il une bonne stratégie, surtout si on se focalise sur la question du prix ? Je donnerai un exemple représentatif de la situation. Aujourd'hui, notre SEM a un projet de centrale photovoltaïque au sol d’environ 4 mégawatts-crête, sur un site dégradé de quatre hectares. À 70 euros le mégawatt, le coût de revient n’est pas compétitif dans le cadre de l'appel d’offres de la CRE, mais il l’est par rapport à une installation éolienne de même puissance qui bénéficie d'un tarif de 74 euros le mégawatt-heure, par rapport à l'hydraulique et par rapport à la méthanisation, dont l’électricité, en cogénération, est rachetée entre 150 et 200 euros le mégawatt-heure.

Le photovoltaïque, même dans le nord de la France, est une énergie compétitive. Le fait de sectoriser et de lancer des appels d'offres pour la seule filière photovoltaïque, globalisés sur l'ensemble du territoire national, fait que des projets de cette taille-là ne sont pas compétitifs alors qu’ils le sont par rapport aux autres filières. Oui, c'est une bonne stratégie que de développer le photovoltaïque, qui est aujourd'hui l’une des énergies renouvelables les plus compétitives, mais qui, de par le système d'appel d'offres en vigueur, est limitée au sud de la France.

Pour la région Hauts-de-France, qui ne se caractérise ni par ses reliefs ni par ses lacs, un des principaux freins tient à la sectorisation des dossiers. Aussi convient-il de convaincre les services dont l'objectif consiste à garantir la continuité écologique au détriment de la production d'énergie. Nous nous heurtons à des approches non globales qui complexifient la situation.

Nous avons recensé environ 400 petits seuils hydrauliques dans les Hauts-de-France. Certes, tous ne sont pas propices à l'installation de centrales, mais certains le sont. Un projet de production d'énergie peut aider à trouver les fonds nécessaires à l’amélioration de la continuité écologique sur les sites, sans faire systématiquement appel à des fonds publics. Il est possible que le projet autorise, économiquement, la production en énergies renouvelables, et favorise en même temps, la continuité écologique. Le problème est que, le plus souvent, on vise l'effacement des seuils. L’installation d’une turbine est difficilement admise quand les services instructeurs ont pour mission essentielle, voire exclusive, d’œuvrer en faveur de la continuité écologique. Les architectes des bâtiments de France ont la même approche quand des cours d'eau traversent les communes et passent à proximité de bâtiments protégés. Il est difficile d'avoir une approche globale, dès lors que les services instructeurs se fondent sur des approches sectorielles.

M. Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables. Je vous prie de m’excuser d’être arrivé si tard.

Je ne me prononcerai pas sur la question de l'ouverture à la concurrence du secteur de l’hydroélectricité. J’estime cependant nécessaire que cette question soit tranchée rapidement car, dans l’expectative, les concessionnaires n’investissent pas.

Parmi les énergies renouvelables, l’hydroélectricité est la plus précieuse. De par la flexibilité qu’elle offre, elle est le socle de notre stratégie de développement. Nous pouvons injecter de grandes puissances en quelques minutes. Même les petites centrales sont modulables et peuvent apporter, localement, des solutions de flexibilité à des problèmes de saturation de réseau ou de variations des autres énergies renouvelables que sont l'éolien et le photovoltaïque.

On a tendance à opposer hydroélectricité et biodiversité. Or, depuis une trentaine d'années, les hydroélectriciens ont accompli d’énormes progrès, qui ne sont pas reconnus. Les investissements sont parfois lourds : une passe à poissons coûte cher, n'apporte rien en termes de production d'électricité et est soumise à la fiscalité locale. Nous avons réfléchi à une série de recommandations pour alléger celle-ci, notamment pour la part environnementale des investissements.

Le solaire peut revêtir une grande pertinence dans le nord, mais il faut bien reconnaître que, dans le cadre d'un appel d'offres, les projets, malgré quelques exceptions, se situent majoritairement dans le sud de la France. J'ai pris connaissance la semaine dernière du résultat du dernier appel d’offres sur le photovoltaïque en Allemagne, où le mégawatt-heure s’affiche à 46 euros alors qu’en France, y compris dans le sud, les tarifs sont supérieurs.

En raison de la méthode des appels d'offres, nous allons rapidement être confrontés à un problème de foncier dans le sud de la France si nous ne voulons pas toucher aux terres agricoles. Il faut penser au foncier que représentent les terres dégradées des anciens sites industriels. Une piste de réflexion – il ne s’agit pas d’une prise de position – consisterait à lancer des appels d'offres régionalisés sur ces sites dégradés, sachant que les friches industrielles, pour l’essentiel, se situent dans le nord de la France.

Par ailleurs, une trop forte concentration du solaire dans le sud de la France conduirait à des problèmes de saturation locale de notre système électrique. La forme actuelle des appels d'offres poussera à la concentration de l'éolien dans les Hauts-de-France et du solaire dans la bande méridionale. Le système électrique ne serait pas équilibré. C’est pourquoi il faut réfléchir à une diversification géographique du solaire, et peut-être aussi de l'éolien.

Concernant l'éolien, oui, nous sommes en retard, mais par rapport à quoi ? Si l’on se réfère aux objectifs de la précédente PPE qui fixait les objectifs pour 2018 et 2023, nous sommes légèrement en retard sur la trajectoire la plus basse, mais nous constatons une très bonne dynamique. L'éolien se porte assez bien. L’acceptabilité est bien meilleure que l’on ne pense, même si des associations anti-éoliennes nous opposent une stratégie de recours systématique, à trois niveaux de juridiction. C’est ainsi que des projets mettent sept ou huit ans à éclore, parfois davantage. Sébastien Lecornu, à l’époque secrétaire d'État à la transition écologique et solidaire, avait mis en place un groupe de travail pour simplifier le cadre de l'éolien. L’une des mesures retenues consistait à supprimer l’un des trois niveaux de juridiction, afin de gagner un an et demi.

Par ailleurs, nous rencontrons un problème ponctuel s’agissant de l'éolien principalement, mais aussi de toutes les installations qui réclament une autorisation, suite à la disparition, en décembre dernier, de l'autorité environnementale, qui devrait être remplacée. Nous attendons le décret avec impatience car, depuis lors, plus aucun projet n’est instruit, qu’il s’agisse de l'éolien, du photovoltaïque ou de la méthanisation quand elle exige des autorisations.

M. Fabien Choné. Je répondrai sur l'hydroélectricité, grande et petite, et sur la PPE.

La grande hydroélectricité manque de visibilité. Cela fait maintenant huit ans qu’on nous promet le renouvellement des concessions en concurrence, mais il y a toujours de bonnes raisons de ne pas le faire. On nous fait valoir qu’il ne faut pas brader la rente hydroélectrique de la nation à des opérateurs privés. Or, c'est exactement l'inverse dans la mesure où la concurrence est vive et où un système de redevance permet à la collectivité de récupérer l'avantage de la production hydroélectrique par rapport au reste du marché.

On nous oppose aussi le risque de « casse sociale » pour les employés des concessions hydroélectriques, ce qui est également faux puisqu’il est prévu de les reprendre sous le statut actuel.

On évoque également des problèmes de sûreté. Mais, comme le disait Jean-Louis Bal, nous sommes dans une situation où il ne se passe rien, où il n’y a plus aucun investissement parce que le concessionnaire sortant ne sait pas ce qu'il doit ni ce qu'il peut faire, ni comment il sera traité. Il faut renouveler d’urgence les concessions afin d’établir les cahiers des charges et les nouvelles règles de sûreté applicables aux futurs concessionnaires, qui pourront ainsi investir.

On nous parle enfin de confrontation entre les usages de l'eau. Cette question n’est pas propre à la petite hydroélectricité : elle vaut aussi pour la grande hydroélectricité. Remettre les concessions en concurrence permet de toiletter les cahiers des charges qui, pour certains d'entre eux, datent de plusieurs dizaines d'années, voire de plus d'un demi-siècle ! L'occasion est offerte de tout remettre à plat et d'établir les règles permettant de gérer les concessions de manière optimale pour la collectivité. Il est faux de prétendre que cela augmentera les tarifs réglementés de vente, car ils ne sont pas du tout construits sur cette base.

Bref, un tas de fausses vérités, voire de mensonges, sont énoncés autour du règlement des concessions hydroélectriques, ce qui est dommage, car on sait par ailleurs qu'il existe un vrai potentiel d'augmentation du productible de certaines concessions. Aussi, il nous paraît urgent de procéder à ce renouvellement, d'autant que les concessions hydroélectriques ont toujours été en France – c'est également vrai en Europe – une filière cruciale pour la sécurité d'approvisionnement, d'une part, et la sûreté du système, d'autre part, dans la mesure où il s’agit de moyens de production très flexibles, ce qui est d’autant plus important, dans le cadre de la transition énergétique, que nous aurons de moins en moins de moyens de production flexibles. J’ai évoqué précédemment l'importance des cycles combinés gaz, mais les concessions électriques resteront évidemment essentielles à l'équilibre du système électrique, de même que devront être développés d'autres éléments de flexibilité, notamment en aval.

En tout cas, une chose est certaine : les opérateurs, notamment Direct Énergie qui vise 15 % de parts de marché à l’horizon 2023, ne peuvent passer outre cette filière pour équilibrer leur portefeuille, et l’objectif précité mérite, tout autant que les autres consommateurs, de bénéficier de ces moyens de production extrêmement flexibles.

Sur cette question du renouvellement des concessions, le dernier argument opposé est celui de la sécurité d’approvisionnement et de la sûreté du système. De ce point de vue, nous sommes favorables à ce que l’on ajoute aux critères économique, environnemental et de productible envisagés, le quatrième critère qu’a proposé l'Autorité de la concurrence dans un avis de 2014, est qui est la stratégie de développement de l'acteur sur le marché français, tant dans le domaine de la production que de la commercialisation. C’est l’option retenue par la France pour la filière éolienne offshore : le critère de sélection des opérateurs était leur volonté de développer la filière sur le sol français. Il est logique d’attribuer les capacités de production indispensables à notre système électrique aux opérateurs qui cherchent à se développer sur notre marché. Qu’ils soient étrangers ou français, publics ou privés, n’est pas la question. La concurrence doit bénéficier in fine au consommateur.

Direct Énergie, via sa filiale Quadran, est également présent dans le secteur de la petite hydroélectricité. Nous comptons une dizaine d'installations qui représentent une dizaine de mégawatts ; cinq sont en cours de développement. Nous avons, par ailleurs, gagné deux appels d'offres lancés par Voies navigables de France (VNF) pour équiper les écluses de petits moyens de production. Mais ce développement est contrarié par les conflits entre les différents usages de l'eau, car l’on constate qu’en pareil cas le dernier intérêt à « arriver sur la pile » est celui qui a le moins de chance d'être retenu : il est bien plus facile, en France, de geler un projet que d’en lancer de nouveaux. Les intérêts préexistants ont en général plus de facilités acquises, notamment par la succession d'un grand nombre de contentieux qui ont fait jurisprudence et qui contribuent, sinon à arrêter les projets, en tout cas à les ralentir fortement. C’est bien dommage, car la transition énergétique n’a pas besoin d'être ralentie, mais au contraire accélérée.

En tant qu'acteur industriel, j’estime très important que la PPE distingue les filières les unes des autres – le photovoltaïque au sol du photovoltaïque en toiture, l'effacement diffus de l'effacement industriel – en leur fixant des objectifs et des trajectoires qui soient cohérents avec les enjeux de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique. Or, de ce point de vue, des inquiétudes persistent. L’un des exemples qui ont été cités est celui de la trajectoire d'autonomie de la production dans les zones insulaires, aujourd'hui très éloignée de l'objectif de 2030. S’il faut des objectifs ambitieux, il vaut aussi une mise en œuvre qui corresponde aux trajectoires.

M. Joël Pédessac. S’agissant de la PPE, mon message était clair sur le fioul GPL, mais les discussions que nous avons pu avoir l’ont été moins. En zone de non-distribution de gaz naturel, la substitution du fioul se fait par des pompes à chaleur. Cent mille pompes à chaleur équivalent à une tranche de centrale nucléaire de 1 320 mégawatts. Ces systèmes de pompes à chaleur, qui ont des vertus par ailleurs, présentent toutefois des limites, liées à celles du système électrique lui-même, à sa capacité à délivrer de la puissance pendant les périodes de pointe. Je souhaite mettre l'accent sur ce point. La substitution du fioul peut passer par le gaz, qu’il soit naturel ou GPL. La durée de vie d'une chaudière est de l’ordre de quinze ans. Dans quinze ans, peut-être le gaz renouvelable sera-t-il beaucoup plus facile et moins coûteux à produire qu'aujourd'hui. Il ne faut pas obérer les chances futures du bio-méthane ou du bio-GPL. Évitons des choix qui nous enferment dans un système dont nous ne maîtrisons pas aujourd'hui toutes les implications.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Vous dites que nous sommes en léger retard dans le domaine de l’éolien. N’avez-vous pas constaté des différences entre régions ? La saturation gagne les Hauts-de-France et nous commençons à rencontrer des résistances là où le principe était bien accepté par les populations. Les maires s’étaient emparés de la question et, malgré les recettes fiscales apportées aux communautés de communes ou aux communes par l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER), les populations résistent. Ne faudrait-il pas, contrairement au solaire, régionaliser l’éolien et rééquilibrer son implantation ?

Mme Nicole Trisse. Les politiques s’en mêlent, me semble-t-il, puisque le président du conseil régional des Hauts-de-France a déclaré que la région était saturée en éoliennes et qu’elles ne créaient pas d'emplois. Je suis confrontée à une problématique similaire dans le nord-est de la France. Les éoliennes ont tenté de nombreuses communes, mais on ne peut les implanter partout en raison de la présence, par exemple, de couloirs militaires. Ces facteurs ont dû être intégrés aux études environnementales, ce qui a amené à freiner quelques projets.

Par ailleurs, vous avez raison, des associations « anti-éoliennes » expliquent que le démantèlement des éoliennes coûtera cher aux particuliers chez qui elles sont implantées et que l'on ne peut pas récupérer les pales.

Je souhaite vous interroger sur le compteur Linky. Je ne reviens pas sur les raisons pour lesquelles le dossier s’est enflammé après que des magazines comme Que choisir se sont emparés du dossier. Comment allez-vous procéder pour apaiser les esprits ? Nombre de communes sont vent debout contre Linky. Bien des consommateurs ne voient pas d'intérêt à son installation. Ils considèrent être fichés bien plus qu’ils ne se sentent acteurs de leur consommation. De quelle façon allez-vous influer sur la communication ? Je n’émets pas d’avis, je suis ici pour écouter.

Mme Véronique Riotton, présidente. Des polémiques ont en effet porté sur le compteur Linky. Aujourd’hui, les questionnements ont trait à son rapport coût-avantages. Pouvez-vous nous livrer quelques indications sur le coût de l'installation ? Par ailleurs, vous avez évoqué la nécessité d’adapter la législation sur les données. Pourriez-vous préciser en quoi consisteraient ces adaptations qui permettraient de progresser ?

Nous avons le sentiment que Linky est une réponse positive en vue d’une meilleure consommation, mais que l'on s'y prend mal, à divers égards, et qu’il devient un frein. Quelles sont, de votre point de vue, les modes d’explication et de communication à développer ?

M. Adrien Morenas. Enedis, en charge du projet Linky, n’est pas présent aujourd’hui. Je le précise car ce sont ses concurrents qui vont nous répondre… Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement « par plaques » de ce compteur ?

M. Fabien Choné. Le compteur Linky est un projet lancé par le distributeur Enedis, qui n’en est d'ailleurs pas le seul distributeur en France, même si c'est lui qui couvre 95 % de la population. Le projet, d’un coût de 5 ou 6 milliards d'euros environ, trouve sa rentabilité de deux façons au moins. Au niveau de l'exploitation du réseau de distribution, d’abord, en réduisant les pertes non techniques et les inconvénients associés aux coupures, du fait que Linky détecte plus rapidement les zones où se situent celles-ci. Au niveau du relevé de consommation, ensuite, en supprimant le coût que représente le déplacement, deux fois par an, d’une équipe d’agents releveurs.

La rentabilité du projet – démontrée par les études réalisées avant la décision de lancer celui-ci à la fin de l'année 2000 – est également liée aux avantages attendus du point de vue du consommateur dans sa relation avec le fournisseur. Le premier de ces avantages est la fiabilisation des factures. Les statistiques du médiateur révèlent en effet que près de la moitié des réclamations qui remontent jusqu'au médiateur et qui ne trouvent pas de solution portent sur les estimations de consommation et les factures associées à ces estimations, du fait de l’absence d'informations précises et régulières sur la consommation des clients. Il est très important de souligner ce point, car il n’est pas aisé de chiffrer le coût du mécontentement d’un client qui réclame auprès du médiateur.

Grâce à une meilleure connaissance de la consommation du client, nous serons en mesure de lui proposer des offres et des services innovants lui permettant de consommer à la fois moins et mieux au regard des enjeux de la transition énergétique, notamment du caractère intermittent des énergies renouvelables. Aujourd'hui, faute de cette connaissance, nous faisons ce que nous pouvons. Direct Énergie, par exemple, propose une nouvelle offre « Les heures super creuses » : entre 2 heures et 6 heures du matin, le consommateur équipé du compteur Linky et ayant choisi cette option paie moitié prix, et peut ainsi déplacer la consommation de son chauffe-eau vers cette plage horaire. Il y a, dans cette offre, huit heures creuses – mais quatre suffisent pour un chauffe-eau – pendant lesquelles les prix sont bien moins élevés que le reste de la journée et de la nuit. Il existe même des plages horaires pendant lesquelles les prix sont négatifs.

Outre l’intérêt financier pour le consommateur, cela l’incite à choisir d'autres modes de consommation « intelligents », comme le chauffage à inertie, consistant à remplir des radiateurs dont la chaleur se diffuserait le reste de la journée. On éviterait ainsi de chauffer aux heures de pointe, ce qui pose, par grand froid, un problème de sécurité d'approvisionnement. Nous pensons également à la recharge des véhicules électriques.

Ce type d'offres, rendues possibles par le compteur Linky, permet d’orienter le consommateur vers des choix pertinents au regard de son intérêt personnel comme des enjeux de la transition énergétique. Mais, pour cela, encore faut-il connaître sa consommation horaire infrajournalière, actuellement relevée auprès d’un très faible nombre de consommateurs compte tenu du rythme auquel sont déployés les compteurs.

Nous sommes confrontés, vous avez raison de le souligner, à une forme de paradoxe, que la Cour des comptes souligne d’ailleurs dans son rapport annuel. D'une part, on ne récupère que 3 % des informations précises de consommation des clients équipés de Linky. Autant la polémique initiale sur les ondes est à peu près terminée, autant celle sur l’exploitation des données de consommation alimente une forte opposition. Il y a quasiment en France autant d’opposants que de personnes auprès desquelles nous récupérons les informations !

Je ne néglige en aucune façon le caractère sensible de ces données, mais il ne correspond en rien aux fantasmes qu'on entend à droite et à gauche, notamment chez les opposants à Linky. La connaissance de la consommation horaire ne permet pas de savoir à quelle heure l’usager prend sa douche, étant donné que le chauffe-eau fonctionne en heures creuses et non quand la personne prend sa douche et que, si le foyer compte plusieurs personnes, on ne saura pas non plus qui utilise quoi.

Les données enregistrées par le compteur ont vocation à être transmises à Enedis, un opérateur public, jouissant d’un monopole local. Il ne s’agit pas d’une société privée californienne ! Enedis a des obligations très strictes en matière de sécurisation des informations, quelle que soit la nature de l’information, qu’il s’agisse de données de consommation annuelle, mensuelle, quotidienne ou horaire. Pour que ces données soient enregistrées et qu’elles existent, il est impératif que le client ait donné son autorisation expresse.

Selon nous, le meilleur compromis entre les enjeux de la transition énergétique et ceux de la protection des données – que, encore une fois, je ne néglige pas – est que l’autorisation expresse soit donnée par le client pour que Enedis transmette les données à un tiers. Le retour d'expérience démontre que si personne ne demande au client cette autorisation expresse, il ne fait pas la démarche lui-même, de sorte que les données n'existent pas. En voulant protéger le client, on le protège trop, à tel point qu’il est lui-même privé de ses propres données. En d’autres termes, les données de consommation sont la propriété du client, mais les modalités de déploiement mises en place le privent de sa propriété.

Dans deux ans, le jour où un client s’interrogera sur l’intérêt du compteur et se renseignera sur internet, il comprendra que le compteur sert à obtenir des informations précises pour optimiser sa consommation et bénéficier éventuellement de services contribuant à la transition énergétique. Mais, dans la mesure où, deux ans avant, il n’aura pas demandé le relèvement de ses données, on ne pourra rien lui proposer, si ce n’est de lancer le processus pour obtenir – deux ou trois ans plus tard – un historique précis de sa consommation. C’est très regrettable, car l’enjeu n’est pas l’enregistrement des données, mais leur utilisation.

Pour résoudre cette situation paradoxale, nous proposons de donner un droit d’opposition aux clients qui refusent Linky. Il faut toutefois qu’ils sachent que des coûts sont associés à cette opposition, notamment celui du relevé manuel des compteurs. Ceux qui ont le compteur bénéficient d’avantages économiques, ceux qui le refusent payent plus cher. C’est un premier élément qui devrait faire réfléchir les consommateurs.

Il convient en outre d’informer les bénéficiaires du compteur que leurs données seront enregistrées, protégées, et qu’elles seront à leur disposition. Ils pourront mandater n’importe quel tiers pour les récupérer et nous pourrons leur proposer des offres ou des services. Cette solution permettrait de sortir de l'impasse actuelle.

On reproche à Enedis un défaut de communication et on l’incite à communiquer davantage sur Linky. Je ne sais comment on peut faire comprendre aux consommateurs les règles de consentement qui lui sont demandées en matière de gestion des données.

Aujourd'hui, le consommateur n’a pas le droit de s'opposer à ce que l’on enregistre sa consommation mensuelle ou annuelle pour la transmettre au fournisseur. En revanche, il faut qu’il donne son autorisation expresse si nous voulons les transmettre à un tiers. Pour les données journalières, il n’a pas le droit de s’y opposer auprès du distributeur Enedis. En revanche, il doit donner son autorisation expresse pour qu’elles soient transmises au fournisseur ou à n'importe quel autre tiers. Pour les données horaires, il a le droit de s'opposer à leur enregistrement dans le compteur – car, par défaut, elles sont enregistrées. En revanche, il faut qu'il donne son autorisation expresse pour que les données soient transmises au distributeur ou au fournisseur. On distingue donc trois niveaux de collecte, à savoir le compteur, le distributeur, le fournisseur – les tiers étant traités, étrangement d’ailleurs, de la même manière que ce dernier – et trois niveaux d'information : les données horaires, journalières et mensuelles.

Je ne sais pas si vous avez compris ce que je viens de dire, mais moi, j'ai déjà du mal à m’en souvenir ! (Sourires.) Je ne vois pas comment on peut reprocher à Enedis le défaut de sa communication auprès du consommateur moyen… Il faut simplifier les règles et informer le consommateur qu’il peut s’opposer mais qu’une fois le compteur installé, les données sur sa consommation seront enregistrées à son profit et transmises à qui de droit quand lui-même le demandera.

C’est important pour le développement des services associés, mais aussi pour les collectivités. Aujourd'hui, en effet, des règles d'open data sont mises en œuvre par les collectivités, mais pas seulement par elles, afin de récupérer des données agrégées. À l’heure actuelle, seules 3 % des consommations sont enregistrées ; même agrégées, ces données ne fournissent que très peu d’informations.

Pour l’heure, les consommateurs sont privés de leurs données, les collectivités sont privées des données agrégées, et tous les opérateurs qui proposent des offres de fournitures ou de services sont pénalisés. Une fois encore, il peut aussi y avoir des tiers, qui ne sont pas toujours des fournisseurs.

Il convient donc de sortir de cette impasse. À cet égard, nous proposons d’opérer une dichotomie entre les usagers qui acceptent Linky et ceux qui le refusent.

M. Jean-Louis Bal. Le développement de l'éolien est très inégal selon les régions. Les développeurs ont lancé leurs premiers projets dans les régions les plus ventées, comme l'Aude et le sud de la France en général. Ils sont très rapidement remontés vers le nord en raison de problèmes d'insertion dans le paysage. Les Hauts-de-France et le Grand-Est sont les régions où est concentré le plus grand nombre de fermes éoliennes. Nous ressentons un phénomène de saturation, accentué par le balisage clignotant des éoliennes, très dérangeant pour les populations riveraines.

Dans le groupe de travail mis sur pied par M. Lecornu, nous avions demandé que le balisage clignotant soit remplacé par un balisage fixe. Nous avons à moitié obtenu satisfaction : une partie du balisage demeurera clignotant. Encore faudra-t-il que la décision soit mise en œuvre car, pour l’heure, rien n’a changé.

Les opérateurs sont capables d'adapter leur stratégie. Je pense qu’il sera de plus en plus difficile d’obtenir des autorisations dans les Hauts-de-France. Les progrès technologiques permettant aujourd'hui d'installer des éoliennes dans des régions moins ventées, de nouveaux gisements sont exploitables. Je me rends souvent en Bourgogne, où les parcs éoliens, qui ne s'étaient pas développés jusqu’à maintenant, se multiplient assez rapidement.

Nous assistons donc à la diversification des stratégies des opérateurs de l'éolien qui veillent à ne pas accentuer la saturation, là où elle est palpable.

Les emplois dans le secteur de l’éolien sont une réalité, y compris dans l'industrie. L'ADEME a identifié 13 000 emplois directs – le double si nous comptons les emplois indirects –, dont 1 500 dans les Hauts-de-France. Je pense à une usine de mâts d'éoliennes à côté de Compiègne.

Votre dernière question portait sur le démantèlement des éoliennes en fin de contrat. La France n’a encore que très peu d'expérience, puisque les premiers contrats de quinze ans ont été signés au début des années 2000. Les premières expériences de démantèlement commencent. La quasi-totalité des matériaux sont recyclables, mais pas nécessairement recyclés. Certains types d'éoliennes contiennent des métaux rares, comme le néodyme pour celles qui utilisent des aimants permanents. Je connais une grande éolienne dont les 800 kilos de néodyme ne sont toujours pas récupérés parce que ce métal dit rare ne l’est pas tant que cela et que les cours sont si bas aujourd'hui qu'il n’y a aucun intérêt à le récupérer. Les aimants permanents des éoliennes aujourd’hui démantelées sont donc stockés en attendant que les cours remontent. Mais le démantèlement peut aboutir à un taux de recyclage de 98 % des matériaux d'une éolienne.

Mme Nicole Trisse. J’ai eu l’occasion de lire une proposition de démantèlement d’éolienne. Le coût est très élevé, et la personne qui a vendu l'éolienne a dû participer financièrement au démantèlement. J’évoque là le cas de particuliers qui ont deux ou trois éoliennes dans leur jardin et qui, au bout de vingt ans, revendent la maison. Entre les contrats proposés et la réalité, peut-être conviendra-t-il d’apporter des modifications.

M. Jean-Louis Bal. Dans leur contrat d'achat par EDF, les opérateurs ont l'obligation de constituer une provision financière de 50 000 euros par mégawatt en prévision du démantèlement. Je rappelle que nous avons très peu de retours d'expérience, puisque peu d'éoliennes ont été démantelées et que celles qui l’ont été l’ont été non pas parce qu’elles étaient en fin de vie, mais parce que le contrat avec EDF prenait fin. Par ailleurs, les progrès technologiques ont été tels en quinze ans, qu’il est préférable de remplacer les anciennes éoliennes par de nouvelles, même si elles sont encore en bon état de fonctionnement.

Mme Véronique Riotton, présidente. Monsieur Pédessac, vous avez indiqué que les véhicules roulant au gaz étaient peu chers. Dès lors, pourquoi ne reçoivent-ils pas un meilleur accueil des consommateurs ?

Dans le secteur du bâtiment, quel est votre avis sur le stockage des énergies renouvelables ? Dans la mesure où la production n’est pas continue, que pensez-vous du stockage pour piloter à la fois la production et la consommation ?

M. Joël Pédessac. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. Je prendrai l’exemple de deux pays voisins dont le contexte est à peu près similaire et qui se sont fixé des objectifs de réduction de gaz à effet de serre et de pollution. En Italie, chaque année, il se vend 200 000 véhicules roulant au gaz, 108 000 véhicules roulant au GPL et 100 000 véhicules fonctionnant au GNV. Ces voitures sont construites par les mêmes constructeurs présents en France où 50 000 véhicules GNV de particuliers ont été vendus, et 800 véhicules GPL.

Les consommateurs sont-ils très différents en Italie et en France ? Peut-être. Je n’ai pas vraiment la réponse.

Le Mondial de l'automobile s'est terminé il y a dix jours. L'augmentation des prix des carburants nous a montré, à nous qui étions exposants sur le même stand que les représentants du GNV, que les particuliers recherchent des solutions pour échapper à la montée des prix du gazole et de l'essence. Quand ils viennent nous voir, ils découvrent que le GPL est une solution réaliste. Nous pensons, nous, que c’est une bonne solution, mais pas forcément pour tous les Français. L’efficacité est fonction du type d'usage.

Nous assistons donc à une prise de conscience, et les constructeurs cherchent des solutions pour compenser la baisse des ventes de véhicules diesel. Je pense à Renault, qui exposait sur son stand des véhicules gaz et GPL, qui sont une alternative au diesel, à côté de véhicules roulant à l'électricité, qui est l’enjeu stratégique majeur des constructeurs. Il n’en reste pas moins que le GPL est pour eux une façon de répondre à des clients qui cherchent des alternatives. Un véhicule GPL ou gaz bénéficie d'une vignette « critère 1 », quelle que soit l'année de l'immatriculation. Un véhicule vieux de dix ans qui roule au gaz, au GPL ou au GNV conserve le critère 1. Étant donné que, dans les métropoles qui imposeront des zones de circulation restreinte, certaines catégories de véhicules seront interdites, le véhicule au gaz peut être une solution à moindre coût pour les gens qui ont besoin de se déplacer en voiture.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Il y a quelques années, nous avons connu un démarrage du GPL. Pourquoi a-t-on assisté à un revirement ?

M. Joël Pédessac. Jusqu'à il y a trois ans, 80 % des véhicules neufs roulaient au diesel. Nous pourrions dire : le diesel m’a tué !

En Italie, le diesel et l’essence sont au même prix, il n’y a pas d’écart de fiscalité entre le diesel et l’essence. Le pays ne connaît pas une aussi forte diésélisation que la France.

M. Adrien Morenas. Je vous livre un retour d'expérience qui peut être intéressant pour comprendre l’échec du GPL et la conversion au bioéthanol. Les acquéreurs d’une voiture neuve qui fonctionne au bioéthanol ne bénéficient pas d’une prime de conversion et, si jamais ils convertissent leur véhicule, ils perdent la garantie. Il en allait de même à l'époque du lancement du GPL. En installant le GPL, on perdait la garantie puisque les constructeurs n’installaient pas le GPL sur leurs véhicules.

M. Joël Pédessac. Nous parlons de véhicules neufs, même si la conversion est possible. Nous axons l’essentiel du potentiel de développement sur la vente de véhicules neufs.

Seize millions de véhicules à essence peuvent être transformés en véhicules à gaz ; ils émettront 20 % de CO2 en moins, du fait d’une différence physique entre le pétrole et le gaz. Bien sûr, des questions de garantie se posent. En 2008, le bonus écologique avait été mis en place sous le ministère Borloo. Le bonus était assez élevé, trop élevé, selon moi. Deux mille euros étaient accordés pour acquérir des véhicules roulant au GPL. Il s’est vendu 100 000 véhicules GPL en deux ans. Autrement dit, si les constructeurs font du marketing et ont un intérêt à vendre ce type de véhicule, ils le feront. Jusqu'à présent, ils n'y avaient pas forcément intérêt car un véhicule diesel se vendait plus cher qu’un véhicule GPL. Si l’on raisonne en marge brute, il est plus intéressant pour le constructeur de vendre des véhicules diesel que des véhicules au gaz ou des véhicules à essence. Aujourd'hui, la demande de véhicules diesel ne cesse de diminuer, obligeant les constructeurs à trouver des solutions : l'électrique, les hybrides, le gaz.

M. Jean-Louis Bal. Le modèle économique du stockage dans une habitation est encore très loin d'être acceptable en France. En Allemagne, on compte aujourd'hui à peu près 100 000 installations photovoltaïques en autoconsommation avec stockage, mais le prix de l'électricité est à peu près deux fois plus élevé en Allemagne qu’en France. Il n’en reste pas moins que ce modèle arrivera en France.

Il y a cinq ans, l'investissement dans une batterie représentait à peu près 1 000 euros par kilowattheure stocké, contre 200 euros début 2018. En cinq ans, le prix a été divisé par cinq. Les études menées par le département de recherche et développement d’EDF sur le système électrique français accordent une justification économique au stockage dès lors que l’on atteint 100 euros par mégawattheure. Nous devons encore diviser par deux le coût du stockage, ce à quoi nous allons parvenir, aidés en cela par le développement de la voiture électrique. Les travaux de recherche et développement sur de nouveaux matériaux pour les batteries et les effets d'échelle sont effectivement très dynamiques. Si ce n’est pas encore perceptible aujourd’hui, ce le sera rapidement demain.

M. Fabien Choné. Direct Énergie vient de lancer une offre d'autoconsommation auprès de ses clients, malgré la contrainte de devoir, au moins dans un premier temps, les faire signer cette offre avec EDF, ce qui nous perturbe.

Une option de stockage est possible, dont nous savons pertinemment qu’elle n'intéressera qu’assez peu de clients car sa rentabilité repose sur une forte consommation. De fait, la rentabilité du stockage dans les bâtiments, notamment résidentiels, est très problématique en France. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous travaillons sur un autre type de stockage chez les particuliers, à partir de la batterie de leurs véhicules électriques. Il offre la possibilité à une batterie électrique de faire du vehicle to home, voire du vehicle to grid, donc de répondre à des besoins du système électrique à partir de la batterie d’un véhicule qui reste 80 % du temps au garage.

À la suite de Jean-Louis Bal, je dirai que, depuis la loi relative à la transition énergétique, le tarif réglementé ne couvre pas la totalité des coûts de l'opérateur historique ; en particulier, il ne garantit pas la rémunération des capitaux investis. Cela aboutit à un tarif réglementé artificiellement bas, qui ne crée que de mauvaises incitations : chez le consommateur en termes d'investissement dans l’efficacité énergétique, chez les opérateurs en termes d'investissements dans l'innovation. In fine, c’est tout aussi mauvais pour EDF qui se retrouve dans une situation financière très désagréable. Le contribuable compense la différence et paye une partie des factures des consommateurs, en totale contradiction avec les enjeux de la transition énergétique. Il en est ainsi depuis la loi de 2015, ce qui est vraiment regrettable.

Mme Véronique Riotton, présidente. Mesdames, messieurs, je vous remercie.

Je trouve très agréable cette formule de table ronde. Fonctionner par thématique et obtenir la richesse de vos regards croisés est très intéressant. Il convient selon moi de rechercher cette formule, qui ne pourra qu’attirer nos collègues à assister aux travaux de la mission.

L’audition s’achève à dix-neuf heures cinq.


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9.   Jeudi 8 novembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, avec :
– M. Fabien Veyret, responsable transition énergétique de France nature environnement ;
– Mme Anne Bringault, coordinatrice des ONG sur la transition énergétique pour le Cler et le Réseau action climat ; M. Jean-Baptiste Lebrun, directeur du Cler ;
– M. Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie, et M. Guilhem Fenieys, chargé de mission relations institutionnelles d’UFC-Que Choisir ;
– M. Géraud Guibert, président, et M. Lucas Globensky, chargé de mission de La fabrique écologique.

L’audition débute à neuf heures trente.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui, dans le cadre de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique, M. Fabien Veyret, responsable transition énergétique de France nature environnement, Mme Anne Bringault, coordination transition énergétique du Réseau action climat (RAC), M. Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER-Réseau pour la transition énergétique, MM. Nicolas Mouchnino et Guilhem Feyniès, de l’UFC-Que Choisir, MM. Géraud Guibert et Lucas Globensky, de la Fabrique écologique.

Madame, messieurs, je suis heureuse de vous accueillir à cette table ronde sur les enjeux de la transition énergétique. Notre mission étant relative aux freins à la transition énergétique, nous souhaitons que vous nous rapportiez les difficultés que vous constatez au quotidien ou que vous avez identifiées à la mise en œuvre de la transition énergétique. En effet, malgré les efforts des uns et des autres, nous ne parvenons pas à atteindre de manière très efficace nos objectifs.

Je vous propose de prendre la parole, chacun, pour un propos liminaire de quelques minutes, puis nous passerons aux questions suivies de réponses.

Je rappelle que cette audition est enregistrée, filmée, diffusée et qu’elle fera l’objet d’un compte rendu écrit.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Bonjour à tous, et merci de votre présence. Nous avons identifié six grands champs d’investigation, s’agissant des freins.

Le premier est notre incapacité à montrer à la population ce que sera le monde de demain – un manque de vision –, notamment en ce qui concerne le mix de production et le mix de consommation.

Le deuxième est le développement de toutes les filières énergétiques, le solaire, le méthane, l’éolien, etc.

Le troisième a trait aux économies d’énergie : comment en réaliser ?

Le quatrième est relatif à la capacité des grands groupes, tels que Total ou Engie, à se transformer ; comment imaginent-ils leur futur à vingt ou trente ans ? Leur transformation ne sera-t-elle pas un frein à la transition ?

Le cinquième thème est celui des territoires : régions, départements, communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Pourront-ils s’approprier la transition énergétique ?

Enfin, le sixième est la fiscalité ; n’est-elle parfois pas trop complexe et contre-productive ?

Nous écouterons chacune de vos interventions à travers une certaine grille : fiscale, législative et réglementaire, technologique, financière ou sociétale. Nous serons également attentifs aux aspects information, communication et image, qui nous semblent importants.

Je vous demande d’aller vraiment à l’essentiel et de nous délivrer vos messages les plus importants.

Mme Véronique Riotton. Bonjour à tous. En effet, nous souhaiterions que vous nous livriez le diagnostic que vous avez pu établir à travers votre activité, et, à travers les freins que vous avez identifiés, que vous nous indiquiez les leviers qu’il serait possible d’activer. Nous voulons pouvoir intervenir sur ces leviers et leur mise en œuvre concrète.

M. Fabien Veyret, responsable transition énergétique de France nature environnement (FNE). Madame la présidente, je vous remercie de votre invitation. Je suis responsable bénévole des politiques énergétiques de la fédération France nature environnement, qui regroupe 3 500 associations de protection de la nature et de l’environnement.

Monsieur le rapporteur, vous évoquiez la question du manque de vision sur la transition énergétique. Un manque de vision partagée et surprenante puisque, outre la COP21, cette question a fait l’objet d’un débat national, préalable à l’adoption de la loi et, plus récemment, un rapport a été rendu par le groupe « G400 Énergie » sur le thème de l’appropriation de la question de la transition énergétique.

L’attente de la société vis-à-vis de la transition énergétique devrait plutôt nous rassurer sur les conditions de réussite. Néanmoins, il est vrai que la mise en œuvre de cette transition ne se retrouve pas sur la trajectoire observée.

L’enquête « Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles », menée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et qui est le préalable à toute transition énergétique, indiquait que les trois quarts des travaux réalisés n’ont pas permis d’atteindre le gain d’une classe énergétique au diagnostic de performance énergétique (DPE). Ce premier pilier de la transition, nous le constatons, ne répond pas aux objectifs. Nous constatons également que les consommations d’énergie peinent à baisser et que les énergies renouvelables ont du mal à se développer depuis l’adoption de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Le pendant de ce constat est la question du suivi et de l’évaluation. Anne Bringault a prévu de vous distribuer un document relatif aux résultats pour 2017, mais la grande difficulté reste la mise en place d’un suivi de la transition énergétique, que nous appelons de nos vœux depuis l’adoption de la loi.

En effet, la loi nous fixe un certain nombre d’objectifs à moyen et long termes, mais nous ne disposons pas d’outil partagé nous permettant de savoir, aujourd’hui, où nous en sommes. Par exemple, comment faisons-nous pour partager l’objectif de rénovation de l’ensemble du patrimoine bâti au label « Bâtiment basse consommation » ? Comment s’assurer que nous pouvons y parvenir et, sinon, comment corriger les politiques – ce qui est l’objet de votre travail aujourd’hui ?

La place des territoires est également une question importante. Certes, la loi de 2015 donne une place importante aux collectivités, mais où en sommes-nous dans les différentes politiques territoriales, que ce soit à l’échelle régionale ou des EPCI avec les différents plans « climat-air-énergie » territoriaux ?

Alors, nous demandez-vous, quelles sont les pistes pour agir ? Avant même d’évoquer ces pistes, il conviendrait avant tout d’agir sur les consommations d’énergie. Nous devons envoyer un signal fort pour la rénovation, notamment énergétique, le secteur du bâtiment représentant 40 % de nos consommations. Assouplir la réglementation relative à la construction, notamment dans le cadre de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC), aura pour effet de déstabiliser le travail qui a été commencé et la structuration en cours des professionnels, pour répondre justement à ces besoins de travaux efficaces et performants.

Par ailleurs, pour engager les travaux de rénovation, les foyers ont besoin d’être accompagnés. Je lisais hier un sondage récent sur la méconnaissance des aides financières mobilisables : 78 % des personnes ne les connaissent pas ! Certes, il existe le travail historique des espaces Info Énergie, mais le réseau « Faciliter, accompagner et informer pour la rénovation énergétique » ne peut se substituer au service public de l’efficacité énergétique dont la loi prévoit la mise en place, et qui doit délivrer des conseils neutres et gratuits.

Même si elles sont peu connues, les aides financières existent. Elles doivent concourir à la réalisation de travaux de rénovation de façon globale et performante – peut-être selon un principe de progressivité des niveaux d’intervention en fonction de la performance globale après rénovation. Cela veut dire, concrètement, éviter les aides financières pour les simples remplacements de fenêtres, les gains énergétiques étant très faibles.

L’une des pistes est la lutte contre la précarité énergétique. La transition énergétique doit être juste et solidaire et ne doit pas concourir à aggraver les situations de difficulté. Nous sommes toujours dans l’attente de l’intégration d’un réel critère de décence dans la caractérisation énergétique des logements. Se borner à énoncer le critère de performance énergétique ne suffit pas : sans critère chiffré, il est impossible de procéder à une évaluation.

Derrière cette question, il y a celle de l’amélioration du repérage des foyers en difficulté pour les orienter vers les dispositifs adaptés : comment, dans l’attente de la mise en œuvre de cette transition énergétique, leur proposer des dispositifs transitoires de soutien, à l’image du chèque énergie qui répond aux besoins des foyers ?

Le préalable au développement des énergies renouvelables est le règlement de la question de la part du nucléaire, notamment au regard du retour d’expérience relatif à la centrale de Fessenheim. Il faut se doter d’une feuille de route précise pour accompagner les territoires et les transitions professionnelles nécessaires à la réduction de la part du nucléaire.

Enfin, s’agissant des territoires qui se sont engagés dans des démarches obligées, que ce soit dans le cadre d’un schéma régional climat-air-énergie, d’un schéma régional d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), d’un PCAET, ou dans des démarches volontaires telles que les « territoires à énergie positive » ou le dispositif Cit’ergie, la question des moyens se pose.

Au-delà de la mise en œuvre de la loi, nous devons tenir compte de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), puisque vous avez adopté, cet été, des dispositions relatives au transfert de la compétence « eau et assainissement » aux EPCI et décalé dans le temps, pour les EPCI les plus petits et les communautés de communes, cette prise de compétence. Cela traduit la difficulté pour les intercommunalités, qui sont les acteurs premiers de cette transition énergétique, à faire face à l’ensemble de leurs compétences nouvelles. Des outils financiers adaptés sont nécessaires.

Mme Anne Bringault, coordinatrice transition énergétique du Réseau action climat. Mesdames, messieurs, je travaille pour deux associations de protection de l’environnement, le CLER et le Réseau Action Climat (RAC). Ce dernier rassemble vingt-deux organisations non gouvernementales (ONG) travaillant en France sur la question du changement climatique, notamment WWF, la Fondation pour la Nature et l’Homme, France nature environnement, le CLER-Réseau pour la transition énergétique, et Greenpeace. C’est donc au nom de ces organisations que je m’exprimerai.

Je vais d’abord distribuer ce document, que je ne commenterai pas, relatif à l’Observatoire climat-énergie que le CLER et le RAC ont mis en place, et qui fait état des résultats de la France en 2017 en matière de climat et d’énergie, sur la base des chiffres officiels des indicateurs de la stratégie nationale bas carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Nous avons voulu rendre ces chiffres accessibles à chacun. Nous avons en outre élaboré des graphiques pour mettre en exergue les écarts qui existent entre les objectifs que la France s’est fixés et les résultats obtenus.

Concernant les émissions de gaz à effet de serre, nous sommes bien au-delà des « budgets » carbone que nous nous étions fixés. Ensuite, nous sommes très en retard quant au développement des énergies renouvelables, puisque la France fait partie des trois pays européens qui ne vont probablement pas atteindre leurs objectifs en 2020. Enfin, nous sommes également en retard en matière d’économies d’énergie, puisque nous notons une hausse de la consommation d’énergie et que le ministre a annoncé une baisse de l’objectif 2050 à moins 45 % au lieu de moins 50 %. La France a donc bien du mal à tenir ses objectifs.

Le premier frein est bien la difficulté à définir une vision et à s’y tenir. Nous devons vraiment être en capacité de nous fixer un cap et, surtout, de nous donner les moyens de le respecter, en procédant notamment à des évaluations régulières – avec les parties prenantes – et en adoptant des mesures complémentaires si nous ne sommes pas sur la bonne trajectoire. Une réelle gouvernance doit être mise en place, avec des points d’étape une fois par an.

Deuxième frein : le manque de stabilité des politiques publiques. Nous nous souvenons du moratoire photovoltaïque de 2010, qui a entraîné l’effondrement de la filière. Il n’est pas possible d’avoir des politiques erratiques si nous voulons construire des filières, notamment industrielles, pour lesquelles une visibilité sur le long terme est nécessaire. Ces changements, que ce soit pour les énergies renouvelables ou pour l’efficacité énergétique – je pense aux aides pour la rénovation –, justifient le fait que les Français ne sont pas capables de citer un outil d’aide à la rénovation, alors qu’ils sont nombreux – mais aussi complexes et changeants.

S’agissant du système électrique, dont on parle peu, il est déjà décarboné. L’électricité en France ne représente que 5 % des émissions de gaz à effet de serre, il ne s’agit donc pas d’un enjeu en matière de climat. Néanmoins, la filière majeure qu’est le nucléaire est un frein à la transition énergétique, puisqu’elle a créé ce mythe d’une électricité abondante et peu chère qui fait que de très nombreux logements sont mal isolés et mal chauffés. Le chauffage électrique est le plus coûteux pour les ménages ; il crée, en outre, des pics de consommation qui produisent des problèmes sur les réseaux électriques et nous obligent à importer de l’électricité carbonée en hiver. S’ajoutent à cela les risques liés au nucléaire et le fait que la France a freiné des filières d’énergie renouvelable, notamment l’éolien en mer.

Pour lever ce frein, il convient de définir une trajectoire précise de réduction de la part du nucléaire. Est-ce à l’État ou à l’opérateur de le faire, c’est un choix dont il faudra débattre, mais les réacteurs doivent être identifiés suffisamment à l’avance, les fermetures préparées de façon légale – il existe un flou sur le sujet – et l’accompagnement, à la fois des salariés et des territoires qui vont perdre des ressources fiscales, anticipé. Donner cette visibilité rendra acceptable la fermeture des sites nucléaires.

Le transport est le premier secteur d’émetteur de gaz à effet de serre en France, pour lequel le frein principal est le manque de vision. Où souhaitons-nous aller en termes de mobilité ? L’institut Négawatt a élaboré un scénario de transition énergétique qui évoque une baisse de la demande en mobilité, des véhicules, pour les particuliers, qui soient plutôt biogaz, bio-GNV en milieu rural – le biogaz est produit par la méthanisation –, électrique en milieu péri-urbain et des transports collectifs et des mobilités actives – vélo ou marche à pied – en centre-ville.

Quelle est la vision portée par l’État ? Si nous posons cette question aux Français, ils auront bien du mal à nous répondre. D’ailleurs, lors du débat public sur la PPE, un questionnaire avait été distribué, et à la question « la politique du Gouvernement est-elle compréhensible et cohérente ? », la réponse était clairement non. En effet, d’un côté, le Gouvernement a de nouveaux projets autoroutiers et, d’un autre côté, il demande aux Français de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Il convient donc, sur la partie mobilité, de travailler sur de nouveaux types de véhicules, mais également sur la demande, c’est-à-dire de trouver des alternatives à la mobilité contrainte, comme le télétravail, les gens se déplaçant de plus en plus du fait de l’étalement urbain, de la distance par rapport à leur travail et du développement des centres commerciaux loin des centres-villes.

Je pense également au report modal. Il est démontré, depuis un certain temps maintenant, que dès que des pistes cyclables sont installées dans une ville, l’usage du vélo se développe. Des choses ont été faites dans ce domaine, mais pas encore suffisamment.

S’agissant de la fiscalité des carburants, une étude de l’ADEME indique que les Français sont prêts à réaliser des efforts si ces derniers sont répartis de manière juste. Un autre frein est donc le sentiment d’injustice dans l’effort demandé. Il convient d’accompagner les ménages les plus impactés et de taxer les modes de transport qui ne le sont pas actuellement : le transport routier de marchandises, qui émet beaucoup de gaz à effet de serre, et le transport aérien.

Enfin, j’évoquerai les freins liés aux grands acteurs économiques – acteurs de l’énergie et constructeurs automobiles – qui ne sont pas les plus motivés par le changement. Dans un vol d’étourneaux, c’est rarement par la tête du groupe d’étourneaux que le virage se prend, mais plutôt par le milieu… L’État a donc un rôle à jouer pour mieux engager, par la réglementation et la fiscalité, la transformation de ces acteurs et pour accompagner les transitions professionnelles. Nous attendons toujours le plan de Mme Parisot qui chiffrera une prévision des compétences et des emplois dans le domaine de la transition énergétique, afin d’anticiper les conversions professionnelles.

M. Jean-Baptiste Lebrun, directeur du CLER-Réseau pour la transition énergétique. Je vous remercie, madame la présidente, de nous avoir invités à participer à cette mission d’information parlementaire. Le CLER est un réseau composé de quelque 300 acteurs professionnels, spécialisés et engagés dans la transition énergétique. Plus de la moitié des adhérents sont des collectivités, engagées dans des dynamiques de TEPOS, mais nous comptons également des entreprises, qu’il s’agisse d’artisans de la rénovation, d’installateurs-développeurs d’énergies renouvelables, d’associations ou d’acteurs citoyens.

J’essaierai de répondre à vos questions en développant quatre axes.

Premièrement, les freins financiers. L’Institute for Climate Economics (I4CE) a réalisé un remarquable panorama des financements climat en France, qui montre qu’en 2017, quelque 32 milliards d’euros de financements privés et publics ont été dédiés à la transition énergétique, alors que le double serait nécessaire. Ce qui devrait en découler économiquement, c’est la nécessité de rendre économiquement non rentables les sources d’énergie dont nous devons nous passer, en pénalisant le carbone, les émissions, la pollution. Il est donc extrêmement important de tenir le cap sur la fiscalité, notamment pour la contribution climat-énergie.

Par ailleurs, il conviendrait d’exclure les dépenses d’investissement, y compris en fonctionnement, des règles d’or budgétaires, que ce soit au niveau international, européen, national ou local, d’autant que l’encadrement des dépenses de fonctionnement des collectivités décidé par le Gouvernement peut être un frein notable à certains projets territoriaux de transition énergétique.

Je vais prendre un exemple. Une collectivité de l’Ouest rhodanien cherche à développer une unité de méthanisation rentable économiquement mais qui, mécaniquement, provoque une hausse des coûts de fonctionnement, puisqu’il s’agit d’une unité industrielle. Ce projet ne pourra se faire en régie, alors même qu’il est pertinent énergétiquement et rentable économiquement.

Il conviendrait également d’orienter la finance privée vers la transition énergétique et de veiller à l’efficacité des outils financiers, notamment publics. Le recours au Fonds chaleur, sous la forme d’avances remboursables, pèse en fait sur la rentabilité des réseaux de chaleur fonctionnant aux énergies renouvelables et constitue un frein à leur développement.

Les freins réglementaires ont été en grande partie évoqués par M. Veyret, en particulier en ce qui concerne le bâtiment : des débats sont en cours sur la réglementation thermique ou environnementale et la loi ESSOC. J’irai un peu plus loin sur l’obligation de rénovation, qui nous semble être un pas à franchir : on en parle depuis le Grenelle de l’environnement, c’est-à-dire depuis plus de dix ans. Il est temps de l’appliquer progressivement à tous les bâtiments, en vue d’une massification des rénovations performantes.

S’agissant de l’éolien, la France a certainement le potentiel, maritime comme terrestre, le plus important d’Europe, mais l’implantation d’éoliennes est interdite sur plus de la moitié du territoire, notamment en raison des contraintes liées au fonctionnement des radars. Or, tous nos voisins européens, qui ont certainement des contraintes équivalentes, ont réussi à faire beaucoup mieux que nous !

La question de la gouvernance me semble être aujourd’hui l’un des nœuds du problème, notamment du fait de la centralisation des décisions. Les solutions, tous les experts le reconnaissent, sont locales, qu’il s’agisse des énergies renouvelables, des filières de rénovation, de la mobilisation citoyenne, etc. Les territoires disposent d’un certain nombre de compétences, qui sont parfois des obligations, et qui restent assez mal définies, sans disposer des moyens correspondants – ne serait-ce, par exemple, que pour mettre en œuvre les actions définies dans les PCAET. Où sont les compétences et l’ingénierie d’animation pour impulser les projets de territoire ? Il est urgent de doter les territoires de ressources pérennes, sous forme de dotations ou de taxes locales dédiées.

Nous devons aussi traiter la question de l’organisation de l’État et de l’animation de la transversalité. Dans la maquette budgétaire, les dépenses comme les recettes sont trop éclatées pour permettre un débat politique riche et complet sur la fiscalité écologique et son affectation.

Se pose également la question de l’organisation des grands groupes, car la centralisation du système peut être un frein important à la décision, et conduire à la défense d’intérêts établis par rapport à des logiques d’avenir et d’intérêt général.

S’agissant enfin de l’acceptabilité sociale, je souscris pleinement aux propos d’Anne Bringault : la transition énergétique sera juste et solidaire ou ne sera pas. Cela signifie, entre autres : pas de niches fiscales pour la pollution, pas de compensation pour les ménages, mais un accompagnement des transitions professionnelles, des formations et des statuts, car nous avons besoin de démontrer, pour réussir la transition énergétique, que les gens peuvent changer de métiers.

M. Guilhem Feyniès, d’UFC Que Choisir. Madame la présidente, je vous remercie de nous recevoir dans le cadre de cette audition relative aux freins à la transition énergétique, un sujet qu’UFC Que Choisir suit de près.

Notre association souhaite une société plus juste, plus durable et plus responsable, ce qui passe par la mise en œuvre de cette transition énergétique. À travers notre réseau d’associations locales qui défendent au quotidien les consommateurs, nous sommes les premiers témoins de ce qui ne fonctionne pas dans la transition énergétique et des freins que rencontrent les consommateurs lorsqu’ils souhaitent investir dans cette transition.

Je commencerai par la rénovation énergétique des bâtiments et les freins qui l’entravent, à savoir, d’une part, le manque de responsabilisation des professionnels de ce secteur, et, d’autre part, le manque de confiance des consommateurs. Le constat est partagé, la rénovation énergétique n’est pas encore une réalité pour les consommateurs. Les chiffres sont parlants, puisque sur les 5 millions de foyers qui, depuis 2015, ont effectué des travaux de rénovation énergétique, seule une part infime a obtenu des gains de performance énergétique ; or 60 % d’entre eux ont bénéficié d’aides. C’est un échec, à la fois pour les consommateurs et l’État qui accorde ces aides.

Aujourd’hui, lorsqu’un consommateur rencontre un professionnel pour réaliser des travaux de rénovation énergétique, ce dernier est libre de faire des allégations de gains de performance énergétique, alors même qu’il n’est tenu qu’à une obligation de moyens, et lorsque ces gains ne sont pas au rendez-vous, le consommateur ne dispose d’aucun moyen juridique pour se retourner contre le professionnel. Le montant moyen des travaux étant de quelque 25 000 euros, on peut comprendre la méfiance des consommateurs.

Sur cette question, notre association demande un changement de paradigme. Nous souhaitons que, lorsque le professionnel annonce un gain de performance énergétique, il soit engagé par son évaluation et ait donc une obligation de résultat. Si une telle obligation est mise en place, une logique d’assurance s’ensuivra : en effet, le professionnel devra s’assurer pour le cas où le consommateur se retournerait contre lui. L’État, de son côté, aura la garantie que ses aides ont un effet.

Une modification du mécanisme des aides est également nécessaire. Aujourd’hui, les aides sont octroyées selon une logique d’équipement. Nous proposons, toujours dans la logique de l’obligation de résultat, qu’elles soient calculées en fonction de la performance énergétique atteinte.

Cette logique vaut aussi pour les labels. S’agissant du label « reconnu garant de l’environnement » (RGE), le Gouvernement a justement annoncé, dans le cadre du plan de rénovation énergétique, une réforme censée encourager une offre plus globale, seule à même d’apporter des gains de performance énergétique.

Nous devons par ailleurs garder à l’esprit que la rénovation énergétique est un sujet technique et que les consommateurs ne sont en général ni avisés ni conscients des enjeux. L’une des propositions de l’UFC Que Choisir, notamment pour rétablir la confiance des consommateurs, est de faire intervenir en amont et en aval des travaux un expert indépendant, qui pourrait confirmer le bien-fondé des choix faits en fonction des économies attendues, puis attester que celles-ci ont bien été obtenues. Cette procédure est en vigueur en Allemagne, où elle a fait ses preuves.

Un autre frein important est celui que constitue le coût élevé des équipements. Selon une étude de 2015 de la Commission européenne, un panneau photovoltaïque d’un kilowatt coûte, en Belgique, entre 1 400 et 1 700 euros, contre 2 300 euros en France, écart de prix que nous ne parvenons pas à expliquer, et qui va même, d’un pays européen à l’autre, du simple au double ou au triple pour d’autres équipements.

Enfin, le consommateur a besoin d’être accompagné. Je pense notamment au compteur Linky, dont l’objectif initial était la maîtrise, par les consommateurs, de leur consommation, source d’économies d’énergie. Nous regrettons qu’une information complète et détaillée ne leur ait pas été donnée, contrairement à ce qui était prévu. L’occasion a été manquée de donner à la transition énergétique une réalité tangible pour les consommateurs.

M. Géraud Guibert, de la Fabrique écologique. Madame la présidente, je vous remercie d’avoir invité la Fabrique écologique, fondation pluraliste et transpartisane de l’écologie, à s’exprimer devant vous. Nous existons depuis cinq ans et avons beaucoup travaillé sur les sujets traités par cette mission, en particulier à travers un réseau d’environ 700 experts issus du monde de l’entreprise, de la fonction publique, des collectivités locales, des associations et des syndicats qui participent à nos groupes de travail.

Six caractéristiques de la transition énergétique heurtent de front l’organisation de notre société comme de l’État, et nous formulons à cet égard des propositions très concrètes.

Premièrement, la transition énergétique doit être décentralisée, c’est-à-dire compter sur les initiatives locales, que ce soit en matière d’énergies renouvelables ou d’économies d’énergie. Or, dans un certain nombre de domaines, nous sommes toujours sous l’empire du centralisme : je pense aux flux financiers, à l’affectation des moyens humains, à l’organisation du réseau de distribution, à l’absence d’articulation entre la programmation pluriannuelle de l’énergie et les plans régionaux climat-énergie.

Deuxièmement, la transition énergétique doit se faire de manière transversale, en associant l’économique, le social et l’environnemental. Or, l’organisation de l’État n’est pas toujours adaptée à cet impératif. La rénovation thermique des logements, par exemple, relève de deux ministères, ce qui explique que l’on ait tant de mal à mettre en œuvre des mesures concrètes et offensives. Le ministère de la transition écologique et solidaire devrait assurer cette fonction transversale, y compris à l’égard des autres ministères, mais il ne dispose pas des budgets qui permettraient d’orienter cette politique de rénovation thermique.

Troisièmement, le long terme doit primer sur le court terme. Or, il n’est effectué aucune évaluation écologique des projets de loi ou de décret ; pourquoi ne pas créer un office parlementaire des choix écologiques ? Nous avons l’habitude de donner la priorité à la recherche high tech, donnons aussi la priorité à la low tech !

Quatrièmement, le succès de la transition passe par l’évolution des comportements. Commençons donc par résoudre le problème de la complexité des aides à la rénovation, qui reste pendant, malgré les efforts réalisés par les gouvernements successifs. Ensuite, mettons en place des incitations à l’évolution des comportements : c’est le rôle du ministère de la transition écologique et solidaire.

Cinquièmement, la transition écologique doit privilégier la diminution des flux de matière. On ne peut pas penser correctement cette transition tant que l’on continue à s’endetter pour financer les dépenses de fonctionnement, même si la situation s’améliore de ce point de vue. Et quand une mesure est décidée, il s’agit en général de substituer du travail à un flux de matière ; l’interdiction du glyphosate, par exemple, entraînera un accroissement de la charge de travail pour les agriculteurs, qui devra être rémunérée. Il faut repenser les systèmes d’aide en ce sens.

Sixièmement, la transition écologique doit concerner tout le monde. Nous avons publié deux notes dans lesquelles nous pointons deux catégories de personnes. D’une part, les locataires en situation de précarité énergétique, catégorie qui n’est absolument pas couverte aujourd’hui par les dispositifs d’aide alors même qu’il s’agit de personnes habitant dans de véritables passoires énergétiques. D’autre part, les usagers des transports collectifs en milieu périurbain et rural sont également dans une situation de « captifs » énergétiques. Nous avons formulé de nombreuses suggestions, que nous espérons voir reprises au moins en partie dans le projet de loi d’orientation des mobilités. Il s’agit en effet d’un dossier essentiel, qui comporte par ailleurs un enjeu de gouvernance. Beaucoup d’argent est dépensé pour l’entretien des routes, ce qui est certes utile, mais si nous pouvions en distraire une partie pour les transports collectifs en milieu rural et périurbain, ce serait une excellence chose.

En conclusion, je souligne qu’une bonne part des élites françaises n’a pas encore tout à fait pris la mesure des enjeux de la transition écologique et énergétique. Il y a un vrai problème de formation, de sensibilisation et de persuasion à jouer auprès de ces responsables qui continuent de raisonner comme s’il s’agissait d’un chapitre parmi d’autres et non d’une question qui doit surplomber l’ensemble des politiques publiques.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Je vous remercie. Vous avez dressé un constat que nous connaissions en grande partie. Chacun s’accorde à dire que la réussite de la transition énergétique passe par des aides, mais aussi par la modification des comportements. Vous avez mis en avant la complexité des dispositifs d’aide, le constat d’échec s’agissant de la rénovation des bâtiments ainsi que la nécessité d’un observatoire. Madame Bringault, je vous remercie pour le document que vous nous avez distribué. Vous avez également évoqué la nécessité d’une obligation de résultat et le défaut d’évaluation des choix écologiques.

Avant de laisser la parole à nos collègues, je vous poserai trois questions.

Concernant la méconnaissance des aides par le grand public, pensez-vous que le nécessaire travail d’information incombe à l’État, à l’ADEME ou à d’autres organismes ?

L’objectif de 500 000 logements rénovés par an est-il, selon vous, réaliste ?

L’individualisation des compteurs dans les bâtiments collectifs est-elle importante pour la maîtrise de l’énergie ?

Mme Véronique Riotton. Madame, messieurs, je vous remercie pour les constats que vous avez dressés. Vous avez tous évoqué la qualité inégale des outils existants et leur difficulté d’utilisation.

Ma première question s’adresse l’association UFC Que Choisir et a trait à la partie « marché », qui est peu abordée. Selon vous, les professionnels sont-ils prêts à accepter une obligation de résultat, le système RGE ayant du mal à fonctionner ?

Par ailleurs, les prix sont élevés. Sans vouloir réguler le marché, sur quels leviers pourrions-nous agir pour qu’ils soient plus accessibles ?

Mme Nathalie Sarles. Concernant la formation et la sensibilisation de certains publics, vous avez évoqué les élites, mais les artisans sont également concernés ; il existe un réel déficit de formation. Comment pouvons-nous pallier ce déficit, au regard de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel et de la possibilité d’intégrer des filières via les formations professionnelles ?

Par ailleurs, concernant la mobilité, on parle beaucoup des entreprises et des particuliers, et assez peu des commerces. Quel rôle doivent-ils jouer, selon vous, dans la transition énergétique ?

Mme Nicole Trisse. Je répondrai pour ma part à certains des constats que vous avez présentés. Concernant les fenêtres, la subvention a été supprimée parce que ce ne sont pas elles qui posent problème, mais l’encadrement.

Si nous avons décalé le transfert de la compétence « eau et assainissement » aux EPCI, c’est pour nous donner le temps de faire de la pédagogie.

Par ailleurs, monsieur Veyret, en quoi la loi ELAN serait-elle un frein à la transition énergétique ?

Enfin, concernant les éoliennes, pensez-vous qu’il soit envisageable d’en construire partout, sachant qu’une transition réussie repose sur un mix de solutions ?

M. Belkhir Belhaddad. Monsieur Lebrun, je n’ai pas bien saisi en quoi la méthanisation poserait un problème de rentabilité, non plus que le recours au Fonds chaleur.

M. Jean-Charles Colas-Roy. Ma première question est d’ordre général et concerne le nouveau dispositif promu depuis quelques mois par le Gouvernement, relatif aux contrats de transition écologique (CTE). Ce dispositif se veut une réponse à l’expérimentation sur les territoires et à l’adaptation des contextes territoriaux. Je serais intéressé de connaître les premiers retours sur ces contrats qui commencent à se mettre en place.

S’agissant de l’emploi et de la formation dans le domaine de la transition énergétique, nous entendons avancer différents chiffres, à l’échelle européenne comme au plan national. Peut-on véritablement tabler sur plusieurs centaines de milliers de créations d’emplois d’ici à quelques années ? Le frein ne résiderait-il pas dans notre incapacité à fournir le nombre d’architectes, d’ingénieurs et de techniciens spécialisés nécessaires ? Il est toujours frustrant pour un politique de constater que des entreprises du secteur du bâtiment, de la rénovation ou de l’exploitation-maintenance n’arrivent pas à trouver des personnes compétentes pour assurer les commandes qu’elles reçoivent. Bien entendu, nous lançons des dispositifs de formation ambitieux, mais j’aurais aimé connaître vos opinions à ce sujet.

M. Fabien Veyret. S’agissant de l’assouplissement de la réglementation thermique, j’insiste sur la nécessité de franchir un cap dans la rénovation des logements et dans leur qualité et leur performance énergétiques. Pour cela, il est important de garder un cadre contraignant de la réglementation thermique.

Mme Nicole Trisse. Il s’agit donc d’une inquiétude et non pas d’un frein.

M. Fabien Veyret. Oui, mais il est important, je le répète, de ne pas simplifier et de garder ce cadre contraignant.

Concernant la compétence transférée « eau et assainissement », je soulevais la question des moyens dont disposent nos EPCI, qui sont les acteurs de cette transition sur le territoire, pour l’assumer.

Enfin, nous avons mené une enquête sur les surfaces commerciales, pour lesquelles il y a beaucoup à faire, notamment en ce qui concerne l’extinction de l’éclairage.

Mme Anne Bringault. Vous nous demandez si l’objectif de rénovation énergétique de 500 000 logements par an est réaliste. Je vous répondrai : « est-ce suffisant » ? L’objectif du Gouvernement est la neutralité carbone en 2050. Tous les scénarios du ministère expliquent que pour atteindre cet objectif, il convient de rénover 700 000 logements par an. Or nous en sommes très loin.

La question des formations avait déjà été débattue au Grenelle de l’environnement. Lors de la réunion finale, alors que tout avait été validé, le Comité d’action pour l’éducation permanente (CAPEP) s’évertuait à expliquer à M. Sarkozy que l’objectif fixé pour les formations n’était pas tenable. Nous étions en 2007, nous sommes en 2018, il conviendrait peut-être d’avancer, d’autant que des expériences comme celle du dispositif opérationnel de rénovation énergétique des maisons individuelles (DOREMI), imaginé par l’institut Négawatt, et que je n’ai pas le temps de détailler ici, démontrent que c’est possible.

Concernant les éoliennes, nous ne proposons pas d’en couvrir la France, mais d’en ajouter, ainsi que des panneaux solaires et d’autres équipements alternatifs de production d’énergie. Il n’y a pas que l’électricité : il faut un mix réparti sur tout le territoire, et non pas des éoliennes au nord et du solaire au sud.

Quant aux CTE, ils commencent à se mettre en place, il est donc difficile d’avoir un avis dès aujourd’hui, mais nous avons des attentes, et d’abord pour la reconversion, notamment celle des salariés des centrales à charbon et des centrales nucléaires, ainsi que pour l’accompagnement des territoires moteurs, labellisés TEPCV – dispositif qui a été arrêté. Les CTE répondront-ils à ces attentes ?

M. Jean-Baptiste Lebrun. Je répondrai d’abord aux deux questions qui m’ont été directement adressées.

Concernant les freins financiers, je citais l’exemple d’une petite collectivité qui dispose de peu de ressources humaines et d’un faible budget de fonctionnement, et qui souhaite développer une unité de méthanisation en régie. Cela reviendrait à augmenter de 30 % le budget global, ce qui est impossible du fait de l’encadrement de la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités.

S’agissant des aides, certaines ne sont parfois pas totalement utilisées, car elles sont mal calibrées. L’exemple type est la transformation progressive des aides du Fonds chaleur ; on passe d’une subvention à une avance remboursable, ce qui a, pour un montant inchangé, des conséquences sur la rentabilité des projets, dont la réalisation est donc parfois empêchée, de sorte que les enveloppes ne sont pas consommées. C’est pourquoi j’insistais sur la nécessité de bien cibler les aides sur des dispositifs efficaces et adaptés aux projets visés.

Je répondrai ensuite à la question relative au défaut d’information ; qui doit informer les citoyens de toutes ces aides ? Un peu tout le monde, car un acteur unique ne réussira pas à convaincre 70 millions de Français d’investir dans la transition énergétique et de changer de comportement. Néanmoins, de nombreux acteurs se mobilisent déjà sur les territoires – nous avons cité les espaces Info Énergie. Or ce sont bien les territoires qui sont les plus à même de mettre en place ces dispositifs ; la proximité, le contact humain, la neutralité, l’indépendance, la gratuité sont indispensables.

Mais ces dispositifs ont également un coût de fonctionnement. Qui doit le financer ? Aujourd’hui, les collectivités sont soumises à beaucoup de contraintes. L’État aussi, c’est vrai, mais il nous semble que les transferts de compétences doivent s’accompagner des ressources permettant la mise en œuvre d’un service public de la performance énergétique.

M. Nicolas Mouchnino, de l’UFC-Que Choisir. Concernant les aides, nous sommes partisans de leur simplification : il y en a trop, et certains dispositifs sont excessivement complexes pour le consommateur – je pense en particulier au certificat d’économie d’énergie. Tous les travaux n’étant pas éligibles, le consommateur ne sait qu’à la fin s’il va bien percevoir l’aide ou si, au contraire, l’opérateur ne va pas lui annoncer qu’il n’a pas réalisé les bons travaux.

S’agissant du marché, vous nous avez demandé si une obligation de résultat pouvait être imposée. Certains acteurs en proposent déjà une, ou plus exactement tentent de le faire. La difficulté majeure est qu’ils sont confrontés à d’autres acteurs du marché, qui annoncent des prix plus bas et des taux d’économies qu’ils n’atteignent pas. C’est pourquoi la responsabilisation des acteurs est essentielle : dès lors que des résultats sont promis, ils doivent être tenus. Nous avions proposé un dispositif en ce sens en 2015, dans le cadre de la loi TECV. Aujourd’hui, certains cabinets souscrivent des assurances qui leur permettent de s’engager, après réalisation d’un audit, sur un niveau de performance énergétique avec une marge d’erreur de 5 % : s’ils ne l’atteignent pas, soit ils refont les travaux, soit ils dédommagent le particulier. L’obligation de résultat existe donc bel et bien ; la difficulté est que le consommateur a du mal à distinguer les offres et que le cadre réglementaire lui-même n’oblige pas les acteurs à tenir leurs engagements.

Pour ce qui est des prix, le premier constat est celui du manque de concurrence dans certaines zones. Par ailleurs, certains professionnels ont sans doute du mal à estimer leurs coûts, tandis que les consommateurs ont du mal à identifier les prix pratiqués, les devis étant souvent très peu détaillés, notamment en ce qui concerne les équipements nécessaires. Le particulier n’a pas accès au catalogue du fabricant et il n’existe pas de comparateur, comme pour l’électricité, par exemple. Il conviendrait donc de mettre en place, dans chaque département, un observatoire des prix.

On constate, pour certains équipements, des différences peu justifiées. C’est une question essentielle, qui a été identifiée comme un obstacle majeur. Ainsi, le coût d’une installation photovoltaïque est de quelque 12 000 euros, et peut atteindre 25 000 euros, à puissance comparable, si le consommateur recourt à un crédit affecté. Certaines études montrent que des équipements dont le prix catalogue est de 4 500 euros sont vendus le double, voire le triple. Il y a donc un vrai problème, dû à une concurrence trop faible et l’impossibilité pour le consommateur de comparer les prix.

Dans le domaine des énergies renouvelables, le consommateur a du mal à distinguer les différentes offres existantes sur le marché. Pour l’électricité, par exemple, un opérateur qui propose une offre peu chère utilisera des garanties d’origine parce que c’est obligatoire, mais aura peut-être acheté, en vérité, de l’électricité allemande produite par une centrale à charbon, qu’il appellera « verte » parce qu’il l’aura couverte par les garanties d’origine. Parallèlement, un acteur achètera de la production renouvelable en France, qui sera réellement verte, mais dont le prix sera plus élevé. Or, la réglementation actuelle ne permet malheureusement pas de faire la différence. Il convient de régler ce problème de transparence, notamment pour que les consommateurs ne se sentent pas abusés.

Concernant enfin les compteurs individuels, nous devons avant tout changer la mécanique du marché, en imposant une obligation aux professionnels. Nous ne pouvons pas obliger les consommateurs à investir dans la rénovation énergétique si les professionnels ne sont pas tenus responsables des économies qu’ils annoncent et qui ne sont pas tenues.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Avant de laisser la parole à M. Guibert, j’ajouterai une question. Pensez-vous qu’il faille relancer les initiatives TEPOS et TEPCV, qui ont été arrêtées mais qui avaient créé de réelles dynamiques, chacun s’étant emparé du sujet de la transition énergétique, les collectivités comme les associations et les porteurs de projets privés ?

M. Géraud Guibert. Sur ce dernier point, il est évident que ces dispositifs avaient créé des dynamiques très importantes et utiles dans les territoires concernés, et devraient être relancés.

Je reviendrai sur trois sujets évoqués.

D’abord, il est important de vérifier systématiquement si la transition écologique et le développement durable sont bien intégrés dans les différents cycles de formation. En effet, je rencontre tous les jours des personnes qui me disent ne pas trouver de formation dans ces domaines. Une étude systématique, peut-être parlementaire, sur ce sujet serait extrêmement utile.

Concernant les commerces, nous devons changer de braquet. Le développement des surfaces commerciales est tout à fait excessif en France, nous sommes pratiquement les recordmen du monde ! Il conviendrait de durcir le régime d’autorisation.

L’objectif de « zéro artificialisation nette » annoncé par le Gouvernement va dans le sens de nos propositions, mais cela nécessite un plan de reconquête des sols déjà artificialisés. Pourquoi pas en commençant par les surfaces commerciales sous-utilisées ? Un diagnostic de ces surfaces doit être mené et une programmation arrêtée.

Enfin, concernant l’objectif de 500 000 logements à rénover par an, je rejoins Anne Bringault : la vérité est que nous devons faire plus, beaucoup plus. Le Président de la République a évoqué, lors de sa campagne, des audits gratuits systématiques pour les logements. Je n’ai pas l’impression que cette mesure soit mise en œuvre – ou, si elle l’est, les particuliers n’en sont pas informés. Or il s’agit d’un sujet majeur.

Nous avons formulé des propositions en la matière. Des mécanismes internes permettant d’aller plus loin en matière de rénovation thermique devraient être élaborés. L’obligation de prévoir, à chaque revente de logement, une provision pour rénovation énergétique serait un mécanisme intelligent, aboutissant à ce que les travaux soient réalisés de manière cohérente. Nous l’avons expertisé, et il ne semble pas poser de problèmes majeurs en termes de politique de logement ni de politique de rénovation.

Au-delà de la simplification des aides, tout à fait utile, de leur renforcement, tout à fait utile aussi, et du guichet unique, annoncé depuis dix ans sans qu’on ne voie rien venir, nous avons la possibilité d’introduire des mécanismes financiers qui nous permettraient d’avancer beaucoup plus vite.

Mme Véronique Riotton. En termes de gains attendus du compteur Linky, nous avons bien compris les difficultés de communication que vous avez évoquées. Aujourd’hui, qu’est-il possible de faire selon vous ?

J’ai également été interpellée par le propos de M. Feyniès selon lequel 5 millions de foyers ont réalisé, depuis 2015, des travaux de rénovation énergétique pour de faibles gains de performance en fin de compte. En effet, les chiffres dont je dispose ne sont pas ceux-là.

Enfin, pensez-vous, Monsieur Lebrun, que la gestion en régie soit la seule possible dans le cas que vous avez évoqué ?

M. Nicolas Mouchnino. Concernant le compteur Linky, des études ont été menées, notamment par l’ADEME et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sur les gains de performance. Ils sont en général de 10 à 12 %, à condition que le consommateur soit accompagné et informé en temps réel. La loi TECV prévoyait pour 2018, à l’intention des ménages précaires, un dispositif déporté d’affichage en temps réel, mais il a été repoussé au 1er janvier 2019 et nous ne disposons toujours pas d’informations sur sa mise en place.

Il est important de comprendre qu’il n’existe aucun dispositif, aujourd’hui, qui accompagne le consommateur dans sa volonté de réaliser des économies d’énergie, a fortiori en temps réel comme il conviendrait de le faire.

Pour le gaz, par exemple, qui sert à la cuisson et au chauffage, le temps réel n’est pas important : l’usager a simplement besoin d’une facture. Pour l’électricité, en revanche, il ne sait pas quels sont, dans son logement, les équipements qui consomment le plus. Le seul moyen d’obtenir cette information est de relier l’usage à la consommation, d’où l’importance de l’information en temps réel. Aussi s’agissait-il d’un des piliers du Grenelle de l’environnement.

Le chiffre de 5 millions de foyers est celui fourni par l’ADEME. Entre 2015 et 2017, plus 5 millions de ménages ont effectué des travaux à portée énergétique : 70 % de ces travaux n’ont pas eu d’effet sur l’étiquette énergétique du bâtiment ; 25 % ont eu pour effet de gagner un échelon, 5 % deux échelons ou plus. Et sur ces 5 millions de foyers, 60 % ont bénéficié d’aides.

Ces chiffres permettent de vous expliquer les difficultés que rencontrent les consommateurs aujourd’hui. Ils subissent une augmentation forte du prix de l’énergie, et la seule réponse de l’État, c’est « faites des travaux, changez de voiture ». Or quand ils effectuent des travaux, ils n’obtiennent pas les gains énergétiques escomptés ; ils sont bloqués.

Le problème n’est donc pas uniquement l’augmentation des prix de l’énergie, mais l’alternative qui permettrait au consommateur de s’extirper de cette situation. Vous aurez beau augmenter les aides, créer des labels tels que le RGE, mettre en place des dispositifs, des mécanismes, des outils qui sont utilisés depuis le Grenelle de l’environnement et qui n’ont pas prouvé leur efficacité, tout cela ne fonctionnera que si une logique de responsabilité est imposée aux professionnels, mais aussi aux consommateurs.

La mécanique des aides est toujours la même : une augmentation en début de mandat, une baisse en fin de mandat. La loi TECV a amenuisé la responsabilité des professionnels, et nous ne pouvons aujourd’hui que constater le manque de résultat. Une mécanique de responsabilisation doit absolument être trouvée et mise en place dans le marché, sinon, quelles que soient les aides, cela ne marchera pas.

Mme Véronique Riotton. En quoi la responsabilité des professionnels a-t-elle été amenuisée ?

M. Nicolas Mouchnino. La loi TECV prévoyait la responsabilité partagée des artisans qui intervenaient en groupe, ce qui permettait au consommateur d’attaquer le professionnel responsable du problème, et seulement lui. Or cette coresponsabilité a été déconstruite et rendue optionnelle. Dorénavant, le consommateur doit attaquer tous les artisans, individuellement. La procédure est si longue qu’il ne le fait jamais.

Par ailleurs, concernant l’assurance décennale, dont l’activation permettait de contraindre le professionnel à refaire les travaux pour atteindre l’objectif fixé même lorsque les gains de performance attendus mais non réalisés étaient « raisonnables », aujourd’hui ces gains doivent être jugés « déraisonnables » ou « exagérés », ce qui revient à réduire la responsabilité des professionnels.

Mme Véronique Riotton. Et pourquoi parlez-vous de responsabiliser les consommateurs ?

M. Nicolas Mouchnino. En même temps que l’obligation de résultat, il convient d’intégrer cette logique de mesures préalables – évaluation du logement –, de travaux cohérents et de mesures post-travaux – gains réalisés et suivi – pour garantir aux professionnels qu’ils ne seront pas attaqués si les travaux ont été bien faits mais que le particulier a ensuite fait n’importe quoi. Tous les acteurs doivent être responsabilisés. Ce mécanisme a été proposé dans le RGE « offre globale ».

Mme Véronique Riotton. Si nous souhaitons aller vers une obligation de résultat, et donc responsabiliser davantage les professionnels, nous aurons certainement à faire face à une résistance de la filière.

Par ailleurs, pouvez-vous revenir, madame Bringault, sur la question de la formation ?

Mme. Anne Bringault. Je vais grouper votre question avec celle de M. Colas-Roy, à laquelle je n’ai pas répondu et qui est relative au nombre d’emplois susceptibles d’être créés par la transition énergétique.

Tous les scénarios prévoient une hausse du nombre d’emplois, les énergies renouvelables nécessitant davantage d’emplois que les énergies fossiles et le nucléaire. De même, la rénovation des logements va nécessiter la création d’emplois. Peut-on avancer un chiffre ? Je préfère attendre le rapport de Mme Parisot. La PPE contient un volet « programmation des emplois et des compétences » qui est censé chiffrer ce qu’elle générerait en termes d’emplois et de compétences. Ce volet a été transféré au ministère du travail – nous en revenons là à la difficulté de la transversalité entre les ministères – mais il n’a jamais été chiffré. Mme Parisot est chargée de le faire.

J’attends donc avec impatience ce document qui devrait donner une visibilité sur les besoins en emplois et en compétences, besoins qui devront ensuite être déclinés dans les régions, lesquelles sont en train d’élaborer leur propre schéma. Ce document nous permettra également de savoir comment faire monter en compétence les acteurs au niveau des bassins d’emplois.

Je rappelle d’ailleurs que le CLER anime le réseau Formaterre, qui propose des formations liées à la transition énergétique. Il existe donc bien des acteurs, sur le terrain, qui préparent, en termes de formation, la transition énergétique.

Des formations sont également prévues pour les artisans. Le dispositif DOREMI permet de créer des groupements d’artisans pour des rénovations très performantes de maisons individuelles. Les expérimentations de ce dispositif ont montré que nous savons rénover de manière très performante des maisons individuelles à un coût très raisonnable, accessible aux ménages précaires ; si ma mémoire est bonne, la moitié des rénovations a été effectuée par des ménages précaires.

Maintenant, les artisans doivent connaître les bonnes pratiques et apprendre à travailler ensemble, à travailler de manière globale – un plombier, un maçon, un couvreur… Ils doivent ainsi apporter une offre complète et assurer une qualité de travaux. Par ailleurs, comme cela été évoqué, il faut, avant même de commencer, s’assurer que les travaux préconisés sont les bons et, ensuite, qu’ils ont permis un gain effectif de performance énergétique – ce que ne font pas certains partenaires de fournisseurs d’énergie.

Les solutions existent, et les techniques utilisées ne sont pas beaucoup plus complexes. Il y a certes de l’isolation par l’extérieur, ce qui n’est pas répandu, mais nous savons le faire, ce n’est pas d’une technicité très grande. Ce modèle de travail collectif est assez nouveau et ne suscite pas un intérêt très vif, alors qu’il devrait être favorisé par les dispositifs. En le favorisant, voire en le rendant obligatoire, je suis persuadée que cela lancerait la filière et permettrait de dépasser enfin le blocage qui persiste depuis plus de dix ans.

Mme Nicole Trisse. La formation aux nouveaux métiers est effectivement indispensable, et suppose une impulsion commune entre la région, les centres de formation d’apprentis (CFA), la formation professionnelle, le rectorat, les branches…

Concernant la responsabilisation des professionnels, je comprends ce que vous dites, mais faut-il vraiment passer par la loi ? La solution ne pourrait-elle résider dans un devis plus détaillé, où tous les gains escomptés figureraient, et dont les rubriques seraient les mêmes pour toutes les entreprises concernées ? Qui dit devis dit engagement, et qui dit engagement dit résultat. Ainsi, le consommateur serait forcément dans une logique de responsabilité.

M. Jean-Baptiste Lebrun. Madame Riotton, vous m’avez posé une question relative à la régie. Il ne s’agit pas d’un point de dogme. Différentes possibilités existent, tout dépend du choix du maître d’ouvrage, de la collectivité, du territoire, des avantages et des inconvénients, qui sont différents selon les situations.

Dans le cas que j’ai évoqué, la collectivité a les capacités et l’envie d’investir, et suit une logique territoriale, notamment pour la gestion des intrants, qui permet, s’agissant d’un acteur public, de faire reposer les contrats d’approvisionnement sur une relation de confiance qui justifie la logique de régie. C’est cette logique qui n’est pas possible aujourd’hui.

Les TEPCV et les TEPOS sont des initiatives intéressantes, car elles impulsent des mesures. La question est de savoir comment les pérenniser et les généraliser. Mais que faire là où il n’y a ni CTE, ni TEPCV ni TEPOS ? Que faire des territoires qui étaient TEPCV et qui aujourd’hui n’ont plus de visibilité ? Il faut une dotation ou une ressource pérenne, fléchée vers la transition énergétique, qui donne de la visibilité, dont l’utilisation soit claire, et qui permette aux collectivités de construire des stratégies de long terme.

Mme Véronique Riotton. Il existait une aide pour les diodes électroluminescentes (LED) en éclairage public. Aujourd’hui, dans le contexte budgétaire contraint, quelles sont vos propositions ?

M. Jean-Baptiste Lebrun. L’éclairage en LED ne nécessite plus d’aides, étant donné qu’il est rentabilisé en moins de cinq ans. Le soutien public devrait plutôt porter sur des enjeux structurels de long terme : comment faire travailler ensemble les acteurs de la rénovation ? Comment créer un marché local, dynamique, de la rénovation performante ? Comment créer des filières d’énergie renouvelable ?

M. Fabien Veyret. J’ajouterai que, depuis les premières vagues, les TEPCV ont évolué, notamment avec l’extension des PCAET aux intercommunalités. Cela veut dire que la grande majorité des territoires doit avoir formalisé ou être en train de formaliser un projet autour de l’énergie ?

M. Géraud Guibert. Nous avons rédigé deux notes sur ce sujet. Il existe un écart très important entre les catégories d’EPCI, s’agissant de la possibilité et des moyens de prendre en charge ce sujet. Les métropoles disposent de tous les services et de tous les moyens nécessaires, y compris les outils financiers, pour avancer, mais beaucoup d’autres territoires ne sont pas dans ce cas.

Mme Nathalie Sarles. L’un d’entre vous a dit que les élites n’étaient pas suffisamment formées et sensibilisées à la question de la transition énergétique. Pour ma part, j’insiste beaucoup, auprès de nos agents préfectoraux, sur l’étude des dossiers des collectivités éligibles à des aides comme la dotation d’équipement des territoires ruraux, très importante pour les bâtiments publics. La rénovation énergétique doit être intégrée comme critère prioritaire pour l’allocation des aides à la rénovation des bâtiments publics.

M. Nicolas Mouchnino. Je souhaite répondre à Mme Trisse. Nous ne demandons surtout pas une complexification de la réglementation. Dans le cadre de la loi de transition énergétique, nous demandions seulement que les allégations soient notifiées sur les devis, au lieu d’être faites oralement, ce qui n’engage personne. Si elles étaient écrites, toute une mécanique s’enclencherait.

Par ailleurs, nous ne demandons pas que tous les professionnels et artisans soient soumis à une obligation de résultat. Il faut bien distinguer deux types de travaux. Il y a, d’une part, l’entretien : si une chaudière tombe en panne, il convient non pas d’effectuer des travaux de rénovation énergétique, mais de changer de chaudière. La réglementation thermique impose certains critères et prévoit une aide visant à motiver le consommateur à faire installer une chaudière un peu plus performante. Pour de tels travaux, le professionnel n’a pas besoin de faire des allégations de performance.

Il y a, d’autre part, la rénovation énergétique, pour laquelle une évaluation est nécessaire, et qui entraînera des allégations – lesquelles doivent être cohérentes –, puis des travaux et, enfin, une évaluation post-travaux. C’est pour ce type de travaux que les professionnels doivent être soumis à une obligation de résultat. C’est une différence qui doit être expliquée aux artisans.

M. Adrien Morenas, président. Madame, messieurs, je vous remercie.

L’audition s’achève à onze heures dix.


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10.   Jeudi 15 novembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur le secteur du bâtiment :
– M. Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric, Mme Aurélie Jardin, directrice des affaires institutionnelles, et M. Victor Chartier, consultant Boury, Tallon et Associés ;
– M. Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC, et Mme Marina Offel de Villaucourt, chargée des affaires publiques ;
– M. Matthieu Paillot, directeur général de Teksial, et Mme Marie Meyruey, consultante affaires publiques, Rumeur Publique ;
– M. Bernard Aulagne, président de Coénove, Mme Florence Lievyn, déléguée générale, et M. Simon Lalanne, consultant ;
– Mme Natacha Hakwik, directrice générale d’Eqinov, Mme Audrey Zermati, directrice stratégie d’Effy, et M. Romain Ryon, chargé des affaires publiques ;
– M. Francis Lagier, président de Promotoit, M. Sylvain Ponchon, secrétaire général, et M. Fred Guillo, consultant Interel.

L’audition débute à quatorze heures quarante.

M. le président Julien Dive. Mesdames, messieurs, merci d’avoir répondu à notre invitation. Avant de passer aux questions, nous vous entendrons successivement, pendant quelques minutes, présenter votre structure ainsi que les freins qui s’opposent, selon vous, à la réussite de la transition énergétique.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. À mon tour de vous remercier, mesdames, messieurs, d’avoir répondu présents à notre invitation. Cette mission d’information vise à identifier les freins à la transition énergétique, afin de trouver les leviers nécessaires. Nous l’avons organisée autour d’un plan en sept points : l’absence de vision à terme, aussi bien pour la production que la consommation énergétique, alors qu’une vision intégrée permettrait à la population de comprendre là où nous allons ; la production des énergies renouvelables – éolien, solaire ou biomasse ; les utilisations de l’énergie dans la mobilité ; le bâtiment et les économies d’énergie, qui constitue le sujet du jour ; la transformation des grands groupes de l’énergie dans les années à venir ; le rôle des territoires, dans la mesure où les nouvelles énergies sont essentiellement territoriales ; enfin, la lisibilité et l’efficacité de la fiscalité énergétique.

Nous vous écouterons avec une grille fiscale, législative, réglementaire, technologique, financière, sociétale et communicationnelle. Nous attendons que vous nous fassiez part de votre diagnostic, que vous partagiez votre savoir-faire et votre compréhension de la situation, et non que vous nous « vendiez votre soupe », pour parler crûment. (Sourires.)

M. le président Julien Dive. Je tiens à préciser que cette audition, ouverte à la presse, est filmée et retransmise en direct sur le portail de l’Assemblée nationale ; elle est enregistrée – vous pourrez donc revoir votre intervention et la partager – et fera l’objet d’un compte rendu disponible en ligne.

M. Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric. Merci beaucoup, monsieur le président, pour votre invitation.

Le premier grand frein à la transition énergétique en France – pays plus administré que d’autres – est de n’avoir, dans ce domaine, qu’un État régulateur et jamais exemplaire. Dans le bâtiment tertiaire, par exemple, toutes les solutions passives et actives de contrôle de l’efficacité énergétique existent et sont opérantes. Aujourd’hui, il n’existe pas d’acteur du bâtiment tertiaire privé qui ne mette en œuvre des systèmes de contrôle digital de l’efficacité énergétique et de gestion du bâtiment, alors qu’aucun acteur public ne le fait. Or le bâtiment tertiaire public français représente environ 40 % du secteur, dont presque la moitié en mètres carrés scolaires, avec pas loin de 100 millions de mètres carrés. Les études, notamment celles du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), montrent que tous les systèmes de gestion intelligente de ces bâtiments, en commençant basiquement par la boucle d’eau chaude, sont de nature à être rentabilisés en moins de deux ans.

Un État qui a pris l’habitude de réglementer le sujet pour les acteurs privés, plus particulièrement dans le secteur résidentiel, et qui est propriétaire d’un stock de bâtiments tertiaires dont il gère plus du tiers, pourrait, par son action, pousser une filière, rénover des pratiques, créer de l’emploi et donner l’exemple à tous nos concitoyens. Imaginez des scolaires ou des adultes qui, en entrant dans un bâtiment tertiaire, verraient les efforts faits pour réduire sa consommation énergétique : n’auraient-ils pas à cœur de suivre cet exemple ? Ce déséquilibre entre la régulation imposée par l’État et son manque d’exemplarité constitue un véritable gâchis. Les collectivités locales sont probablement plus exemplaires que la collectivité nationale sur ce sujet. Cela pose un vrai problème de communication.

Il existe aussi à ce premier frein un appendice de comptabilité publique. Une réflexion est à mener sur l’équilibre entre dépenses d’investissement et dépenses de fonctionnement. Il faut revenir sur la place de l’efficacité énergétique dans la comptabilité afin de se donner les moyens d’agir, alors même que la capacité d’endettement n’est pas très élevée. Il pourrait être intéressant de trouver un acteur tiers, comme la Caisse des dépôts et consignations, pour commencer à financer ces actions et, par la suite, les financer par la réduction de la consommation.

Deuxièmement, s’il est nécessaire de légiférer sur le sujet, une fois que la loi a été votée, il faudrait aussi rédiger rapidement les documents de mise en œuvre et déployer des politiques à court terme. C’est très facile de parler du décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire, qui nous ramène à une décision prise au début du Grenelle de l’environnement, en 2010. Mais je ne peux pas imaginer que l’on n’ait pas trouvé, en huit ans, des personnes suffisamment compétentes pour le rédiger, sans risque de le voir retoqué par le Conseil constitutionnel. On ne peut que s’étonner que la loi fixe des objectifs à 2030 et refuse tout amendement ou toute vision à 2025. Sans échelle intermédiaire, personne ne respectera jamais l’objectif fixé. Il faut nous donner une graduation dans les engagements, en nous inscrivant dans une logique de progrès à court terme, et non pas définir seulement un but à moyen ou long terme.

Troisièmement, il convient de favoriser les objectifs de résultat plutôt que les objectifs de moyens, ce qui a rarement été fait dans le domaine du bâtiment. Il n’appartient sans doute pas au législateur de définir précisément quel type de solution ou de produit doit recevoir un soutien fiscal dans l’année en cours. En revanche, il pourrait donner un objectif de résultat, pour obtenir une réduction de consommation énergétique. Il faudrait aussi associer les objectifs de création d’emplois et ceux d’efficacité énergétique et de réduction de la consommation, ce qui est loin d’avoir été fait dans le bâtiment.

Quatrièmement, nous devons réfléchir au signal prix, tout en prenant en compte les 10 % de la population qui sont en précarité énergétique, pour lesquels il faut mener des actions essentielles, ainsi que l’ensemble de l’économie électro-énergo-intensive qui a besoin d’être soutenue pour rester dans nos frontières. Pour ce qui est du monde de l’entreprise, mais aussi du logement privé, ce signal prix pourrait être l’objectif qui permettra à un moment ou à un autre de préférer faire travailler l’artisan localement et de réduire sa consommation énergétique.

Enfin, il faut adapter la communication, afin d’inciter les uns et les autres à aller dans le sens de la transition énergétique, sans réduire le débat à la seule question de l’organisation du mix énergétique. Il faut ouvrir la discussion à l’efficacité énergétique de la maison, du bâtiment, du quartier et de la ville, en y intégrant les énergies renouvelables et les capacités d’autoconsommation, qui permettront de voir autrement le sujet, lorsque le digital sera mieux pris en compte par les acteurs publics. Pour légiférer, il est souvent besoin d’avoir une vision à long terme. L’inconvénient du numérique est qu’il impose un peu d’être agile par rapport aux nouvelles solutions, mais il importe de lui faire une place dans les réflexions sur la transition énergétique.

M. Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC. GEO PLC est un acteur du dispositif des certificats d’économies d’énergie (CEE), depuis 2008. Les CEE existent en France depuis 2006. Ils sont aujourd’hui le seul et unique moyen de notre pays de satisfaire aux objectifs d’économies d’énergie fixés par la directive européenne sur l’efficacité énergétique. Son principe est simple : les vendeurs d’énergie ont l’obligation de soutenir et de financer la réalisation d’actions d’économies d’énergie, sous peine d’une amende. Cette réglementation est à l’origine d’EDF Bleu Ciel, par exemple, de GDF Suez Dolce Vita, d’opérations d’isolation gratuites, de distribution d’ampoules LED gratuites ou encore de réfections d’éclairage gratuites. Le dispositif est financé par les fournisseurs d’énergie pour un ensemble d’opérations qui sont définies et contrôlées par l’administration, selon une réglementation très stricte – à titre d’exemple, elle impose aux acteurs des CEE de produire des documents rédigés avec une police précise, en caractères droits, de taille huit…

Le premier frein que nous constatons à la transition énergétique, c’est paradoxalement le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), dans sa mouture actuelle. En effet, lorsque vous faites des travaux éligibles au CITE, le montant de votre crédit d’impôt représente 30 % du montant des dépenses éligibles, au prorata des dépenses réellement assumées. Il faut donc prendre en compte les subventions reçues et les proratiser en fonction des équipements éligibles ou non. Par conséquent, il est impossible de calculer, en amont de la réalisation des travaux, le montant qui sera effectivement perçu un an plus tard au titre du CITE. Morale de l’histoire : les seuls ménages qui peuvent se permettre d’engager des travaux, ce sont les plus aisés. Les rapports montrent que, de fait, les ménages les moins aisés ont moins recours au CITE. La solution est très simple : il suffirait de définir un montant forfaitaire pour les opérations d’économies d’énergie. Au lieu de transformer le CITE en prime et de créer ainsi une « bosse » budgétaire, un montant forfaitaire pourrait être fixé par opération. Cela reviendrait, pour l’État, à coller sur chacune d’entre elles une sorte d’étiquette de réduction : par exemple, 100 euros pour une fenêtre, étant entendu que les fenêtres sont à réintégrer dans le dispositif.

Qui plus est, pour une facture de 10 000 euros de travaux éligibles au CITE, vous devrez déduire le montant des subventions reçues et les aides des fournisseurs d’énergie dans le cadre du dispositif CEE. Autrement dit, les financements privés des fournisseurs d’énergie viennent réduire la dépense de l’État au titre du CITE, alors qu’il ne devrait pas y avoir déduction, mais cumul. Il ne faudrait pas prendre en compte les subventions privées versées par les fournisseurs d’énergie. Ainsi, les ménages bénéficieraient d’un montant forfaitaire et de l’intégralité de leur prime CEE, ce qui créerait un énorme effet de levier, sans augmenter le taux de 30 %, pour accorder un financement supplémentaire aux opérations éligibles au CITE.

Par ailleurs, j’aurais bien aimé m’attribuer la paternité de cette idée, qui revient à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui l’a proposée dans un colloque hier, en commençant par citer Malesherbes : « Quand l’administration est secrète, on peut conclure qu’il se commet des injustices. » Nous avons besoin de mettre en place une politique de rescrits, pour les CEE, afin que l’administration réponde aux questions qui lui sont posées, de manière publique, en toute transparence. Dans le cadre du dispositif « territoires à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV), nous travaillons avec plusieurs collectivités auxquelles on versera, en 2018, environ 30 millions d’euros. Toutes nous ont dit qu’elles avaient envoyé des questions à l’administration, à une adresse prévue sur le site, sans jamais obtenir de réponses… Nous avons besoin de ce rescrit pour donner une stabilité aux interprétations.

Le pôle national des certificats d’économies d’énergie détient l’intégralité des opérations réalisées depuis 2006 chez les particuliers. Cela représente une base de données extraordinaire, qui est, pour l’instant, totalement confidentielle. Il suffirait de l’anonymiser, afin de disposer d’une carte nous permettant de hiérarchiser les besoins selon les territoires.

Enfin, chez GEO PLC, nous sommes convaincus que ce qui motivera quelqu’un à passer à l’acte, c’est de pouvoir bénéficier d’une offre clé en main. Il faut intégrer verticalement le « sourcing produit », l’installation, le financement et le service après-vente. Nous, GEO PLC, opérateur de transition énergétique, nous maîtrisons toutes ces briques. Mais, par exemple, lorsque nous allons proposer une offre de rénovation de l’éclairage d’un collège, intégralement financée par les CEE, on nous répondra qu’il faut respecter le code des marchés publics, alors même que la dépense de la collectivité sera nulle. Pour respecter le code des marchés publics, elle devra faire un appel d’offres « produits » sur l’éclairage et un autre appel d’offres pour valoriser les CEE. Par conséquent, elle ne fera rien. L’inadaptation du code des marchés publics aux CEE est un frein pour tous les acteurs publics.

M. Matthieu Paillot, directeur général de Teksial. Teksial est une entreprise de deux cents salariés, spécialisée dans le conseil en efficacité énergétique, délégataire CEE pour leurs troisième et quatrième périodes. Notre conviction, c’est que nous devons renforcer l’articulation entre les sociétés privées et le service public de la rénovation énergétique.

Aujourd’hui, les particuliers sont convaincus de la nécessité de franchir le pas : 90 % des Français savent que faire des travaux de rénovation énergétique améliorera leur confort, réduira leur facture, augmentera la valeur de leur patrimoine et aura un impact sur l’environnement. Continuer la pédagogie dans ce domaine ne fera que culpabiliser les Français, sans leur apporter d’informations complémentaires. En revanche, ils ne réussissent pas à passer à l’acte, à cause, nous disent-ils, de la complexité de la mise en œuvre et de leur difficulté à identifier correctement l’articulation des aides publiques avec leur plan de financement. Aider les Français à franchir le pas, c’est les aider à dépasser ces freins, à trouver des solutions pour déclencher les travaux.

Malheureusement, les entreprises de travaux représentent un secteur économique particulièrement morcelé en France, constitué d’un très grand nombre d’entreprises artisanales, qui, individuellement, ne réussissent pas à faire du marketing de l’offre, alors même que c’est ce qui fonctionne le mieux. Parmi les gros volumes de travaux, il y a les combles – à mettre en lien avec le marketing privé des combles à un euro mené par certains délégataires CEE – et les fenêtres, dont le marché a été fortement stimulé par les industriels du secteur. Le service public de la performance énergétique de l’habitat a pour ambition, quant à lui, d’informer les particuliers de façon impartiale. Si cette information est nécessaire, elle n’est en revanche pas suffisante.

C’est pourquoi nous proposons de mieux faire travailler les entreprises de marketing de l’offre avec le service public de la rénovation de l’habitat, dans la mesure où, ensemble, ils apportent tous les ingrédients nécessaires à l’accélération de la rénovation énergétique. De plus, ce service public dispose d’une connaissance du territoire ; il représente également un rôle de tiers de confiance qui va rassurer les particuliers ; il est garant, enfin, de l’intérêt général. Les entreprises de conseil en efficacité énergétique, en sus de fournir des méthodes marketing, peuvent accompagner les ménages tout au long de leurs travaux, ce que peine à faire le service public, faute de moyens. Selon l’ADEME, environ 1 240 euros sont investis par rénovation énergétique. L’objectif étant d’atteindre plusieurs millions de rénovations énergétiques, nous ne serons pas capables d’investir de tels montants. Or les entreprises privées parviennent, elles, à se financer sur les CEE, sans faire supporter de coût ni à la collectivité publique, ni aux ménages.

Concrètement, nous proposons de favoriser les programmes conjoints d’amélioration de l’habitat opérés par le privé, sous l’égide du service public de la rénovation énergétique, sous forme d’une délégation de service public. Cela permettra de massifier le recours à la rénovation, en ciblant des secteurs entiers de communes, de quartiers et de publics, avec des solutions techniques prédéfinies. Alors que cette collaboration est possible aujourd’hui, elle n’est pourtant pas mise en œuvre par les collectivités auxquelles elle ne semble pas naturelle. C’est pourquoi il est important de faire de la pédagogie : la méconnaissance d’une telle possibilité représente un véritable frein. La loi qui a créé les plateformes territoriales de la rénovation énergétique parle uniquement du public, sans mentionner la capacité à s’appuyer sur le privé. D’après une étude que nous présenterons au Salon des maires et des collectivités locales (SMCL) la semaine prochaine, les responsables territoriaux en charge de la rénovation énergétique n’imaginent pas qu’existe cette possibilité, à laquelle ils sont potentiellement favorables.

Pour conclure, c’est donc bien un frein culturel qu’il faut lever. Il serait intéressant d’amender la loi à la marge, afin de souligner la possibilité de s’appuyer sur des acteurs privés pour mener à bien la mission de service public, sous la forme d’une délégation de service public. Il faut également encourager les expérimentations locales. Nous avons par ailleurs identifié quelques freins réglementaires. Les locataires étant les parents pauvres de la rénovation énergétique, nous devons restaurer une forme d’incitation aux travaux chez les propriétaires bailleurs, qui ont vu disparaître, il y a quelques années, le crédit d’impôt pour le développement durable (CIDD). Il faudrait enfin réussir à finaliser la transformation du CITE en prime, afin de limiter les problèmes de trésorerie des ménages et de faciliter le passage à l’acte. Une fois cela en place, il sera important de stabiliser le dispositif pour plusieurs années, pour donner de la visibilité aux Français et leur permettre de se l’approprier.

M. Bernard Aulagne, président de Coénove. Coénove est une association qui a été créée en 2014, à l’occasion des débats sur la loi de transition énergétique, par des industriels du bâtiment et des énergéticiens, qui ont souhaité apporter leur contribution à cette transition et aller vers un modèle plus sobre, plus décentralisé et utilisant plus d’énergies renouvelables. Nous avons identifié quatre freins principaux.

Le premier frein, c’est l’existence d’un trop grand nombre d’objectifs. Il y a une multitude de textes dotés de dates de référence variables, ce qui n’en assure ni la lisibilité ni la clarté. Pour nous, deux objectifs fondent la transition énergétique : la baisse des consommations d’énergies primaires et le verdissement du mix énergétique, que ce soit par le recours aux énergies décarbonées ou l’évolution d’énergies carbonées, comme le gaz, vers une énergie décarbonée. Les autres objectifs sont essentiellement des objectifs de moyens permettant d’atteindre les macro-objectifs.

Deuxième frein : le poids de la pensée unique électrique, qui laisse croire que c’est l’électricité qui permettra de répondre à tous les maux, alors que nous prônons un mix énergétique diversifié, auquel chacune des énergies apportera sa contribution. Pour faire face au quadruplement des besoins de puissance entre l’été et l’hiver, la France a recours à cette fameuse complémentarité des énergies. Pour rappel, pendant les hivers 2016 et 2017, l’électricité a permis de couvrir à peu près 33 % du besoin de puissance maximal et le gaz 45 %, ce qui prouve l’intérêt de le décarboner pour décarboner le mix énergétique.

Troisième frein : la verticalité des politiques publiques, qui ne permet pas d’atteindre une véritable transition écologique et solidaire. En effet, les bénéfices transverses ne sont pas pris en compte. La méthanisation, par exemple, est une énergie renouvelable, non intermittente et stockable, ce qui la rend particulièrement intéressante. Mais, au-delà de cet aspect strictement énergétique, elle produit des externalités positives, en termes de contribution à l’économie circulaire, de compléments de revenus pour la filière agricole et de modernisation des pratiques agricoles, grâce à la production de digestats permettant de remplacer progressivement les engrais chimiques. Or, ces avantages ne sont pas suffisamment pris en compte dans les travaux sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).

Quatrième frein : le décollage beaucoup trop lent de la rénovation, un chantier pourtant essentiel pour concrétiser la transition énergétique aux yeux du consommateur. Sur la forme, en termes de pilotage, l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a souligné que l’absence d’appréciation du marché et de mesure des résultats ne permettait pas un pilotage suffisamment motivant, au-delà de l’effet d’annonce de l’objectif ambitieux de 500 000 logements rénovés par an. Aujourd’hui, nous sommes incapables de dire s’il y en a eu 28 000, 32 000 ou 103 000. L'enquête de l’ADEME sur les travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles, qui remplace l’étude de l’Observatoire permanent de l’amélioration énergétique du logement (OPEN), relève d’une bonne démarche. Mais elle a été menée au premier semestre 2017, sur des travaux réalisés entre 2014 et 2016, ce qui nous donne le sentiment de travailler les yeux dans le rétroviseur. Sur le fond, ce que souligne l’étude, c’est que, s’il y a aujourd’hui énormément de gestes que l’on peut classer parmi les gestes de rénovation – elle en relève 5 millions –, seuls 5 % d’entre eux ont conduit à des gains de deux classes énergétiques et 75 % n’en ont fait gagner aucune. Nous sommes bien loin de pouvoir espérer mettre aux normes « bâtiment basse consommation » le parc bâti d’ici à 2050.

S’agissant des pistes, l’enjeu est véritablement le passage à l’acte des consommateurs. Dans la « guéguerre » entre rénovation par étapes et rénovation globale, il faut afficher clairement l’intérêt de la rénovation par étapes. C’est, pour nous, celle qui permet d’embarquer le plus de consommateurs, à condition de proposer un dispositif d’accompagnement et de suivi. Le cahier numérique nous paraît être, pour cela, un excellent outil.

Une autre piste consisterait à privilégier la rénovation par filières. Si la fin de l’énergie fioul a été rappelée hier par le Gouvernement, chaque filière doit faire des efforts pour progresser. Du point de vue du consommateur, c’est, en termes économiques, la meilleure solution.

Enfin, il faut assortir ces différentes solutions d’un dispositif financier cohérent et pérenne pour donner de la visibilité aux ménages qui souhaitent s’engager dans la durée.

En résumé, il est important de restaurer la confiance, de communiquer sur des résultats positifs, de mettre en place un véritable parcours d’accompagnement et d’avoir un dispositif financier visible et pérenne.

Mme Audrey Zermati, directrice stratégie Effy. Avec Mme Hakwik, nous n’interviendrons pas au nom de nos entreprises, mais du collectif LUCIOLE – acronyme de « L’union pour une consommation intelligente et optimisée de l’énergie » – que nous avons formé il y a un peu plus d’un an. Son objet est de faire connaître le « consommer mieux », qui a trait aux données, au stockage et à l’autoconsommation ; et le « consommer moins », qui a trait à la rénovation énergétique.

S’agissant de la consommation de l’énergie, force est de constater que nous sommes aujourd’hui très loin des objectifs que nous nous sommes fixés dans la PPE. Nous vous avons fait distribuer un document dans lequel nous détaillons les indicateurs dans un tableau. Vous ne trouverez nulle part ce tableau, car on ne compile nulle part l’ensemble des objectifs et leur niveau de réalisation. Je sais que ce sujet vous a été remonté lors des précédentes auditions, donc nous ne nous y attarderons pas, mais il y a un problème de pilotage des objectifs, et c’est peut-être le premier frein à la transition énergétique que l’on pourrait évoquer.

Nous distinguons quatre grandes catégories de freins : les freins réglementaires, les freins économiques, les freins sociologiques et les freins techniques.

Je commencerai par vous présenter les freins réglementaires, puis Mme Hakwik vous présentera les autres catégories.

Sans revenir sur ce qui a déjà été dit, il est possible de s’attarder sur la complexité pour passer à l’acte dans la rénovation énergétique. Une illustration que j’aime rappeler est qu’aujourd’hui, nous comptons six aides au niveau national, distribuées par six canaux différents : le CITE, distribué par Bercy ; les CEE, distribués par des entreprises privées ; l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), distribué par des banques privées ; la TVA à 5,5 % distribuée, si je puis dire, par le professionnel qui vient faire les travaux ; le chèque énergie distribué par le ministère de la transition énergétique et les aides distribuées par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Ces six aides et six canaux de distribution s’appliquent à six formats d’éligibilité. Il n’y a pas forcément de cohérence dans ce qui est éligible à ces aides. On parle beaucoup des chaudières au fioul en ce moment : elles sont éligibles aux certificats d’économie d’énergie, mais plus au CITE depuis juillet.

Autre exemple des difficultés rencontrées par les ménages pour s’y retrouver, il faut passer par des processus et des guichets différents pour obtenir ces aides. Pour obtenir les CEE, il faut faire la demande avant d’avoir fait réaliser un devis par un professionnel. Pour les aides de l’ANAH, c’est après le devis et avant les travaux. Pour un CITE, c’est après les travaux… Selon l’étude de l’ADEME, 40 % des ménages ne savent pas qu’ils ont droit à des aides pour réaliser des travaux d’économies d’énergie. Aujourd’hui, articuler les différentes démarches représente un véritable enjeu, et nous avons une proposition très concrète à cette fin : à l’occasion de la transformation prochaine du CITE en une prime pour la transition énergétique, articuler cette aide avec les CEE. Une passerelle automatique pourrait être créée, de manière à ce qu’une personne qui demande le CITE de facto les CEE, ce qui permettra d’harmoniser l’instruction de ces aides et donnera de la lisibilité au consommateur.

Le deuxième frein réglementaire est le manque de lisibilité à long terme sur les dispositifs. Les objectifs sont fixés sur cinq ans par la PPE, mais la visibilité sur les dispositifs est d’un, de deux ou de trois ans. Trois ans pour les CEE, six mois pour les aides comme le CITE pour les fenêtres, puisque l’aide a été supprimée partiellement l’année dernière, puis totalement à partir de juillet, et qu’elle sera certainement réintroduite à partir du 1er janvier 2019… Une plus grande constance dans l’application des dispositifs est nécessaire.

Le troisième point est l’incomplétude de la réglementation, qui a été évoquée avec la question du décret tertiaire. Nous avons d’autres exemples tels que le carnet numérique du logement ou l’affichage déporté dans les logements pour les ménages en situation de précarité. Il y a là un enjeu d’efficacité des politiques publiques, qui nécessite que l’administration rende compte au Parlement de l’application des réglementations.

Mme Natacha Hakwik, directrice générale d’Eqinov. Nous tenons à vous remercier de nous permettre de partager avec vous l’expérience de terrain des jeunes entreprises que nous représentons au sein du collectif LUCIOLE. Toutes ces entreprises sont nées de l’ambition de la transition énergétique.

Je vais vous présenter les freins économiques, sociologiques et techniques. J’essaierai d’aller vite, mais je pense qu’ils sont assez importants pour qu’on leur consacre du temps. Au préalable, il est important de comprendre que la complexité de la trajectoire de transition énergétique tient au fait que l’on n’a pas immédiatement un signal « prix » permettant à chacun des acteurs, qu’il fasse partie de l’ancien modèle ou du nouveau, de saisir immédiatement le modèle économique. Le consommateur ne peut donc pas immédiatement bénéficier de tous les avantages qu’il pourrait tirer de solutions innovantes. Il perçoit bien, depuis une douzaine d’années, un surcoût dans sa facture d’énergie, lié à l’investissement dans les énergies renouvelables que nous avons décidé, mais il ne trouve pas de compensation liée à la mise en place de solutions innovantes lui permettant de réduire sa consommation et consommer mieux, en la maximisant, par exemple, lorsqu’il y a des énergies renouvelables en surplus qu’il faut faire absorber par le système électrique. Aujourd’hui, le consommateur ne voit pas les bénéfices de la transition énergétique, et cela nuit à toute adhésion au processus.

Deuxième remarque préalable, les entreprises, qu’elles soient issues de l’ancien modèle ou du nouveau, ont besoin d’un accompagnement financier des pouvoirs publics. Nous voudrions évidemment tous avoir un modèle économique immédiatement applicable, mais ce n’est malheureusement pas le cas. Nous avons donc besoin d’un soutien financier qui soit transitoire, c’est important, mais qui offre de la visibilité.

Permettez-moi de vous détailler les raisons pour lesquelles le « consommer mieux » dont on parle aujourd’hui ne trouve pas de modèle économique, et pourquoi les entreprises qui portent ces solutions éprouvent de grandes difficultés. La première est qu’aujourd’hui, l’innovation est mal accompagnée, en particulier l’innovation dans l’efficacité énergétique, du fait d’une réglementation extrêmement complexe. Nous pourrons en reparler, des exemples criants existent dans le secteur du bâtiment. Aujourd’hui, l’innovation dans le secteur du bâtiment est très compliquée à faire émerger.

Le deuxième frein relève du pilotage de la consommation, que l’on appelle usuellement l’effacement de consommation. Il y a une dizaine d’années, les pouvoirs publics ont décidé que le consommateur devait participer à l’équilibrage du système électrique et à la sécurité d’approvisionnement en lieu et place des centrales électriques polluantes, au fioul à l’époque, que l’on souhaitait faire disparaître. Il y a eu une volonté politique, mais le soutien financier que l’on a accordé à ces filières, compte tenu du signal « prix » qui était très faible sur les marchés, reste totalement insuffisant, alors même que nous avons toutes les données pour connaître la valeur économique nécessaire pour que la flexibilité de consommation puisse se développer. RTE a considéré que c’était l’outil le plus compétitif jusqu’en 2030 pour intégrer les énergies renouvelables. L’ADEME a fait une analyse technico-économique remarquable dans laquelle elle présente les valeurs économiques, et démontre que, pour le tertiaire ou le résidentiel, il faut aller vers une valeur de 100 000 euros du mégawatt par an. C’est-à-dire que le mégawatt que le consommateur est capable de libérer doit être rémunéré 100 000 euros par an. Or, aujourd’hui, les pouvoirs publics fixent chaque année, dans l’appel d’offres, un cap de prix à 30 000 euros. Il ne faut pas s’étonner de ne pas atteindre les objectifs, alors même que nous avons toutes les données pour fixer le bon niveau de soutien.

Cette incohérence a des conséquences, en particulier pour la sécurité d’approvisionnement. Cela nous a aussi empêchés de prendre des décisions plus rapides sur la fermeture des centrales à charbon, que la flexibilité de consommation électrique aurait pu remplacer. Autre conséquence : puisque nous consacrons 12 millions d’euros par an au soutien financier alors que les Allemands y consacrent 250 millions, nous créons moins d’emplois. Nos sociétés emploient quatre à cinq fois moins de personnes que leurs homologues étrangères. Troisième conséquence : nous subissons une concurrence internationale extrêmement forte sur les solutions innovantes de pilotage de la flexibilité. Le risque à long terme est de nous rendre dépendants non plus du gaz ou du pétrole, mais des solutions intelligentes, développées à l’étranger, de pilotage de la consommation.

Nous proposons de revoir rapidement les niveaux de soutien que l’on accorde aux différentes filières. Je vous ai beaucoup parlé de la flexibilité de consommation, mais c’est également vrai pour beaucoup de solutions innovantes telles que le stockage ou l’autoconsommation. Nous devons nous appuyer sur les rapports qui existent – la France est très forte pour produire des rapports – et les pouvoirs publics doivent prendre des décisions cohérentes avec les recommandations de ces rapports.

Le deuxième frein économique, dont vous a un peu parlé Mme Zermati, est l’importance du reste à charge lorsqu’un consommateur décide de s’engager dans des travaux d’efficacité énergétique. Nous sommes tous d’accord pour que l’État finance 100 % des travaux menés pour les publics précaires. Pour les autres consommateurs, qu’ils soient propriétaires, copropriétaires ou entreprises, il y a un reste à charge. Il faut que leur fiscalité soit adaptée de façon à les inciter à faire les travaux. Nous avons des propositions très concrètes : créer un malus à la vente ou à la location d’un bien immobilier ; prévoir une taxe spécifique sur les chaudières à fioul car, aujourd’hui, une chaudière à fioul reste moins chère qu’une autre chaudière. On taxe le fioul, mais il faut aussi taxer l’achat de la chaudière. À l’instar de l’écoparticipation qui existe pour l’électroménager, il suffirait de créer une écoparticipation particulière sur tous les produits que l’on ne veut plus que les consommateurs achètent. C’est également vrai, dans le domaine de la mobilité, pour les véhicules diesel.

Il convient également de trouver, pour ces consommateurs plus aisés, des mécanismes de tiers-financement. Aujourd’hui, il y a énormément de fonds d’investissement, de banques, de sociétés de services d’efficacité énergétique que nous représentons, et qui sont prêts à financer le reste à charge des consommateurs en se rémunérant sur l’économie obtenue. Le problème est qu’elles font face à des barrières comptables et fiscales très importantes, qu’ont rappelées de nombreux rapports, de la Cour des comptes en particulier. Il faut revoir tout cela pour que ces institutions aient une incitation à financer le reste à charge.

Dernière catégorie de freins, et non la moindre : les freins sociologiques. Nous sommes tous conscients qu’aujourd’hui le consommateur manque de vision claire de la politique française en matière de transition énergétique. Il faut absolument lui donner un plan très clair et suivre les engagements pris par l’État. Quand on cède sur la part de nucléaire ou sur l’écotaxe, il est difficile de convaincre le consommateur de ne pas déroger à ses propres obligations.

Le deuxième sujet est la dilution des responsabilités : il y a, en amont, beaucoup trop d’intervenants chargés de mettre en application les règles édictées dans les lois, mais cette dilution s'observe aussi en aval, notamment dans les bâtiments tertiaires ou les copropriétés, où personne ne sait qui prend la responsabilité de réaliser les travaux d’efficacité énergétique. Est-ce le syndic, le propriétaire, le locataire, le gestionnaire de bâtiment ?

Je terminerai sur un point qui me tient particulièrement à cœur ; les données. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que c’est là que se trouve la valeur des services que nous pourrons rendre aux consommateurs demain. Malheureusement, le consommateur manque de confiance vis-à-vis d’opérateurs comme nous quant à l’utilisation de ces données. Il faut absolument que nous puissions nous développer. À l’instar de Google Maps, qui utilise beaucoup de données personnelles sans que personne rechigne à donner son accord, il faut que nous ayons la possibilité de faire valoir au consommateur les bénéfices qu’il peut retirer de nos services, et qu’il nous autorise à accéder à ses données.

Il faut également éviter que les gestionnaires de réseaux régressent dans l’accès aux données, comme on le constate aujourd’hui : alors que l’on accédait directement aux données issues des compteurs, ils sont en train de reprendre le monopole. Il faut absolument que les gestionnaires de réseau nous laissent accéder aux compteurs – avec l’autorisation du consommateur, bien sûr – pour nous permettre d’innover et de trouver la valeur dans la donnée.

Concernant l’interopérabilité dans les bâtiments, beaucoup de choses se font dans le tertiaire, dans le privé, mais nous avons un gros problème d’interopérabilité des systèmes de gestion, qui sont fermés par les gros opérateurs et empêchent toute concurrence de se développer. Il faut rendre l’interopérabilité obligatoire dans le bâtiment pour permettre à des acteurs de proposer un panel d’offres innovantes sans être captifs des gros opérateurs.

M. Francis Lagier, président de Promotoit. Promotoit est une association qui a été créée en 2005 pour valoriser le rôle du toit en pente dans le bâtiment. Les approches étaient surtout technico-économiques au départ, elles ont évolué vers une plus grande prise en compte du développement durable à partir des nouvelles réglementations thermiques de 2005 et de 2012.

Aujourd’hui, nous essayons de nourrir ce débat avec huit industriels qui ont les compétences pour travailler ensemble sur des solutions globales de l’enveloppe du bâtiment : Isover, Terreal, Unilin, Wienerberger, Eternit, Edilians, Vmzinc et Velux. Nous ne sommes pas dans une approche produit, mais plutôt une approche globale.

S’agissant des freins techniques, je donnerai l’exemple des combles aménagés. On sait aujourd’hui qu’une maison, pour une surface donnée, consommera beaucoup moins d’énergie si elle a des combles aménagés que si ses combles ne sont pas aménagés, ou que si elle a une toiture plate. L’économie est de 13 %, ce qui est beaucoup. C’est parce que la forme est plus compacte et qu’il y a moins de surface d’échanges avec l’extérieur. C’est assez simple, et la complexité dans ce domaine porte sur la bonne compréhension technique des enjeux qui peuvent exister.

Aujourd’hui, la solution des combles aménagés est pénalisée car on va estimer que la surface habitable, ou surface hors œuvre nette (SHON), est réduite du fait que dans la toiture en pente, tout l’espace d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre n’est pas compté comme une surface habitable. C’est un élément pénalisant, car les gens sont prêts à investir sans avoir forcément des aides et des subventions, mais encore faut-il qu’ils puissent valoriser cet investissement. Ils le pourront si, demain, la surface est un peu plus importante. Si vous vivez sous les combles, vous savez que toutes les surfaces d’une hauteur inférieure à 1,80 mètre sont valorisées, par exemple parce qu’on y met le lit ou des rangements. Ces petits éléments de réglementation peuvent évoluer. Cela ne coûte rien, et permet au particulier propriétaire de son bien de savoir que les investissements qu’il a faits seront valorisés.

C’était un exemple assez simple, il y en a d’autres dans ce domaine assez technique. Aujourd’hui, on a du mal à comprendre quelles sont les différentes solutions. Une isolation thermique par l’extérieur, par exemple, a un niveau de performance énergétique peut-être plus élevé qu’une isolation par l’intérieur. Mais évidemment, ce ne sont pas les mêmes coûts, car il faut traiter les problèmes d’étanchéité de façon plus importante. Quand on parle d’incitations fiscales, on comprend que beaucoup de foyers aient besoin d’un système qui aide tout de suite à la première action, mais il ne faut pas oublier que dans beaucoup de cas de figure, des actions plus complexes demandent de vérifier d’autres paramètres comme l’étanchéité et la bonne réalisation des interfaces, qui permettent d’avoir une isolation beaucoup plus durable.

Ces aspects techniques montrent qu’une bonne connaissance technique et une bonne participation de toutes les parties prenantes peuvent aussi permettre de faire des choses sans forcément mettre beaucoup d’argent.

L’élément principal, de notre point de vue, est la complexité pour le particulier ou les professionnels chargés de fournir les offres. Aujourd’hui, on ne comprend pas toujours les choses, et le fait de les simplifier ou de les réaliser étape par étape permet de lancer le mouvement. Quand on est propriétaire, on investit dans sa maison. Un locataire ne réagira pas de la même façon. Si le propriétaire se rend compte qu’il pourra mieux revendre son bien parce qu’il aura atteint un certain niveau de performance énergétique, nous aurons des effets psychologiques importants.

Les objectifs de résultats sont tout aussi essentiels. Nous savons tous que les industriels cherchent à tirer la couverture à eux pour les aides, mais, à la fin, nous sommes tous d’accord pour dire que ce qui est important, c’est la performance du bâtiment. Or, il est possible d’identifier de nombreuses aberrations dans les systèmes de subventions, qui aident un jour les panneaux photovoltaïques, un autre jour le bois. Quand la solution globale est analysée, on ne retrouve pas forcément les mêmes conclusions qu’à partir de l’analyse du seul matériau. D’où l’importance d’avoir la totalité des acteurs autour de la table. La performance ne s’obtient pas avec un type de matériau seulement, mais avec tous les matériaux.

Au-delà de la rénovation énergétique, il ne faut pas oublier le confort thermique d’une maison. Un exemple tout simple : notre association compte parmi ses membres des fabricants de fenêtres de toit. Si vous équipez votre toiture d’une fenêtre de toit, vous vous réjouissez du gain de luminosité, sans que cela apporte forcément grand-chose sur le plan thermique. Mais, par un système d’aération habile, vous pouvez, à partir de fenêtres de toit, faire descendre de quatre ou cinq degrés les températures d’été, donc réduire la facture de climatisation. Quand on regarde les choses de près, il y a des conséquences très directes, que l’on mesure facilement, mais aussi des conséquences indirectes, y compris sur la consommation énergétique.

La partie technique est certes complexe, il y a une attente pour réduire la complexité des aides, mais la vision d’ensemble est importante pour que la personne qui va investir, même si elle est soutenue par l’État, sache que son investissement sera valorisé.

Mme Marie Meyruey, consultante affaires publiques. Je souhaitais revenir rapidement sur l’accompagnement des ménages pour les travaux, car c’est une question primordiale. Nous réalisons chaque année un petit baromètre dont il ressort que le manque d’informations est le premier frein à la réalisation des travaux de rénovation – nous pourrons vous faire parvenir ces résultats. Un rapport parlementaire de 2016, signé par François de Rugy, démontre que le système d’accompagnement actuel du service public de la performance énergétique de l’habitat apporte beaucoup d’informations, mais présente beaucoup de lacunes pour l’accompagnement personnalisé des ménages, alors même que c’est ce qui permet de lever les freins. Les 1 240 euros par rénovation que mentionnait Matthieu Paillot représentent les coûts d’accompagnement de l’ADEME, pas le coût des travaux. Si l’on doit accompagner chacun des ménages qui habitent les 15 millions de logements mal isolés du parc français en payant 1 240 euros d’argent public, il faudra plusieurs centaines de milliards d’euros avant que nous n’ayons tout rénové.

Pourtant, les entreprises privées disposent de réserves de conseillers experts en efficacité énergétique qui peuvent fournir gratuitement cet accompagnement aux ménages grâce au système des CEE, et de manière personnalisée. La collaboration entre acteurs publics et privés est la clé pour réussir vraiment à massifier la rénovation de logements.

Mme Véronique Riotton. Madame Hakwik, vous avez mentionné le tiers-financement. Vous dites aussi que nous n’allons pas assez loin dans la définition de la loi de transition énergétique. Pourriez-vous clarifier les améliorations que vous souhaitez ?

Plus globalement, vous insistez sur certains enjeux, par exemple l’exemplarité de l’État. Lorsque l’on rénove un lycée ou un collège, on fait de l’éducation du public, et c’est certainement un levier très fort, auquel je crois beaucoup. Tout le sujet de la multiplicité des aides et de la difficulté des consommateurs à y accéder est également bien identifié.

Il m’intéresserait d’entendre les acteurs que vous êtes sur la question des filières. J’interroge beaucoup sur ces questions car je suis députée de Haute-Savoie, et lorsque l’on s’intéresse à une rénovation chez les professionnels, il existe un écart de qualité, de visibilité et d’accessibilité financière extrêmement important. Depuis dix ou vingt ans que l’on tente d’aller vers la rénovation énergétique, quelles seraient, selon vous, les leçons à tirer du passé – sans vouloir réguler le marché – quant à l’organisation des filières ?

M. Anthony Cellier. Dans le parc locatif résidentiel comme dans le parc tertiaire, il faut mener des actions importantes, notamment contre les « passoires thermiques ». Il s’agit d’ailleurs d’un engagement présidentiel.

Vous avez évoqué la possibilité d’un malus lors de la vente d’un bien immobilier classé comme passoire thermique. Pensez-vous que ce serait suffisamment incitatif ? Ou pensez-vous qu’il faille aller jusqu’à interdire la location ou la vente d’un bien qui ne respecterait pas les obligations d’économie d’énergie, ou jusqu’à imposer au propriétaire de prendre à sa charge le coût des dépenses dès lors que son bien est considéré comme une passoire thermique ?

M. le président Julien Dive. Madame Zermati, vous avez évoqué les compteurs déportés pour les ménages les plus modestes. Aujourd’hui, les compteurs Linky et Gazpar sont prévus pour tous les utilisateurs. J’aimerais avoir votre avis sur la question des compteurs de chauffage dans les immeubles collectifs.

Monsieur Paillot, vous avez évoqué les changements de fenêtre par les industriels, est-ce que cette aide est efficace ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. S’agissant des certificats d’économie d’énergie, pouvez-vous nous dire s’ils sont autant utilisés qu’il serait possible ? En tant que maire, je les ai utilisés pour faire rénover l’école municipale, et il a fallu dépenser beaucoup d’énergie administrative pour récolter 2 000 euros sur un projet de 700 000 euros !

Vous avez dit que le décollage des rénovations était lent, mais vous n’avez pas dit pourquoi.

Pour les isolations extérieures, je suis d’accord avec vous, mais est-ce que le côté esthétique n’est pas un vrai frein ? C’est peut-être une raison qui retarde le décollage des rénovations : pour d’anciennes maisons qui ont un certain cachet, isoler de l’intérieur réduit les surfaces, isoler de l’extérieur serait meilleur, mais ce n’est pas beau. Avez-vous des solutions ?

Je n’ai pas compris grand-chose à la question de l’effacement des consommations. Pourrions-nous y revenir ?

Monsieur Vermot-Desroches, vous dites que l’État n’est pas exemplaire, pourtant beaucoup de choses sont faites par les communes, les départements…

M. Gilles Vermot-Desroches. Ce n’est pas l’État…

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Il y a des rénovations de bâtiments publics au niveau des collèges, des mairies, qui sont assez exemplaires.

M. Anthony Cellier. Le dernier rapport de l’Inspection générale des finances sur les aides à la rénovation énergétique pointe de nombreux freins qui empêchent d’atteindre nos objectifs en la matière. Un élément principal ressort : la mauvaise articulation des aides. En effet, bien que les aides disponibles pour la rénovation énergétique soient pour la plupart cumulables, la complexité de leur mise en œuvre semble dissuader l’ensemble des protagonistes. Avez-vous une idée pour rendre tout cela plus lisible, compréhensible et digeste pour nos concitoyens ?

Quelles sont votre vision et vos attentes concernant la transformation en prime du CITE ?

M. Gilles Vermot-Desroches. La réponse à cette dernière question est très simple : les aides sont cumulables, mais tous les processus sont différents. Vous dites qu’en tant que maire, c’est un processus important pour obtenir 2 000 euros. Pour qui veut cumuler des aides, il y a des procédures à suivre au moment du devis, des dossiers qui sont tous différents. Donc vous pouvez cumuler les aides, mais jamais par le même chemin. Or, on ne peut passer sa vie à faire des démarches administratives. Il devrait y avoir une clarification du processus d’obtention d’aides, avec un guichet unique pour des aides de nature complémentaire – on pourrait même imaginer qu’elles se fondent l’une dans l’autre pour simplifier la démarche.

Il me semble également que l’on devrait évoluer vers la recherche d’objectifs de résultat plutôt que d’un contrôle des moyens. Il est impossible d’avoir une réponse globale pour savoir s’il faut, pour tel ou tel bâtiment, refaire ou non la façade, remplacer ou non les fenêtres. Si nous allions vers une vraie logique de recherche d’efficacité, si l’aide était liée aux résultats plutôt qu’aux moyens, la donne serait grandement simplifiée, et nous trouverions localement l’acteur qui accompagne, qui soit l’ensemblier. C’est d’ailleurs ce que fait l’ADEME, et peut-être devrait-elle, sur le sujet, améliorer son expertise.

Mme Audrey Zermati. Concernant les filières, il y a effectivement un manque de transparence sur le coût des travaux. Dans un document que nous vous transmettrons, nous proposons que le Médiateur de l’énergie – qui fournit des comparaisons entre les offres des fournisseurs d’énergie – puisse voir sa compétence étendue à la rénovation énergétique et assure cette transparence des coûts.

S’agissant du bonus-malus, il y a, dans la vie d’un logement, des moments clef, tels que la mise en location ou la mutation, pour réaliser des travaux. Il y a 800 000 mutations par an. Il faut donc qu’un signal soit envoyé à ces moments-là. On parle du bonus-malus depuis quelque temps déjà. Une réflexion doit être menée sur la nécessaire implication des notaires, des agents immobiliers et, plus globalement, de tout le monde de l’immobilier, en faveur de la rénovation énergétique. Une somme dédiée à la réalisation de ces travaux pourrait être séquestrée au moment de la transaction. Enfin, pour que les propriétaires soient incités à réaliser des travaux et que ces travaux entraînent une valorisation patrimoniale du logement, encore faut-il que les étiquettes que sont les diagnostics de performance énergétique (DPE) aient un sens. Nous sommes donc très satisfaits que ces diagnostics soient désormais opposables.

S’agissant de l’affichage en euros, il existe effectivement des compteurs communicants comme Linky et Gazpar. Je parlais plutôt de l’affichage déporté en euros pour les ménages précaires. Cette obligation figurait dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte et devait donner lieu à un décret qui n’a toujours pas été publié.

Eu égard à l’individualisation des frais de chauffage, il faut absolument responsabiliser le consommateur. Disposer d’informations sur les frais de chauffage individuels dans le logement collectif est un enjeu, le collectif privé représentant 4,5 millions de personnes. Nous sommes très en retard par rapport à nos voisins sur cette question : beaucoup d’entre eux sont déjà équipés à 95 %, contre 25 % en France. L’information ne suffit pas pour inciter le consommateur à baisser sa consommation, mais c’est la première étape pour le sensibiliser.

M. Bernard Aulagne, président de Coenove. S’il y a lenteur au décollage, c’est d’abord parce que le marché de la rénovation est extrêmement compliqué. Il n’y a pas deux rénovations qui se ressemblent. Il faut donc quasiment faire du sur-mesure. On est face au tandem infernal de la complexité et des coûts : complexité des travaux et du montage financier et coûts afférents.

Une des causes principales de ce dont parlait Mme Riotton est la carence originelle du DPE. Ce n’est que maintenant qu’on vient de réformer sa méthodologie de calcul et de le rendre opposable, mais jusqu’alors, c’était tout et n’importe quoi. Dans le neuf, c’est facile : vous partez de zéro, vous respectez la RT2012, vous avez des plans et vous faites ce qu’il faut. Dans la rénovation, si vous n’avez pas au départ une photographie fiable pour pouvoir élaborer des projets de travaux et les montages financiers qui vont avec, vous partez avec un vrai handicap. Je ne dis pas que la fiabilisation et l’opposabilité du DPE vont répondre à toutes vos préoccupations, mais elles vont dans le bon sens.

Faut-il créer un argus des travaux pour s’y retrouver dans les devis ? À partir du moment où on améliore la « photographie » des logements, on peut effectivement aussi améliorer la communication sur les rénovations qui marchent au lieu d’attendre que des numéros de Que choisir ? ou de 60 millions de consommateurs pointent les rénovations qui ne marchent pas. Cela fournira au consommateur des éléments plus précis pour lui permettre, en fonction de son cas de figure, d’engager des travaux.

La fiabilisation en cours du dispositif « Reconnu garant de l’environnement » (RGE), chantier qui n’est pas simple, devrait permettre d’éviter que les signes de qualité soient dévoyés par des entreprises malhonnêtes.

Enfin, s’agissant du bonus-malus, je rejoins tout à fait ce qui a été dit. Les enjeux sociétaux sont extrêmement importants. Il faut donc laisser un peu de temps au consommateur et continuer à l’inciter avec des aides mais à un moment donné, il faudra également passer par des voies plus contraignantes pour responsabiliser les propriétaires concernés.

M. Hugues Sartre. Le temps est venu d’avoir un argus du bâtiment et des travaux publics (BTP), comme il existe un argus automobile. Je ne sais pas si c’est à la puissance publique ou aux acteurs privés de s’en occuper, mais cet argus pourrait être décliné localement. Nous traitons tous les jours de milliers de devis sur lesquels nous avons l’intégralité des tarifs. Il est donc possible de proposer rapidement des données concrètes qui soient consultables en ligne.

M. le président Julien Dive. Dans le secteur automobile, ce sont les acteurs privés qui ont établi cet argus. C’est à la profession de le faire. Je le dis car on nous reproche parfois une trop grande présence de l’État et de la puissance publique.

M. Hugues Sartre. Vous avez raison ! La filière du BTP est la seule qui résiste encore et toujours à l’« ubérisation ». Des initiatives sont prises mais le constat qu’on dresse sur le terrain reste identique depuis de très nombreuses années.

Mme Véronique Riotton. En Haute-Savoie, dans les zones tendues où les prix de revente au mètre carré ne dépendent pas du fait que les logements soient rénovés ou non, on a beau avoir un DPE – bon ou moins bon –, les travaux ne sont pas valorisés puisqu’il n’y a pas d’élasticité-prix. C’est aussi un sujet de réflexion. Je le dis mais je ne veux pas passer pour autant pour quelqu’un qui veut réguler le marché.

Mme Audrey Zermati. D’où, justement, l’idée du bonus-malus. Pour résoudre le problème que vous évoquez, seule l’obligation sera efficace. En zone détendue, la rénovation commence à avoir un effet sur la valeur patrimoniale des logements, mais en zone tendue, vous avez raison, qu’un bien soit de classe énergétique A ou G, il se vendra facilement. On pourrait donc prévoir qu’en 2030, lorsqu’un logement n’est pas rénové, une somme doive être séquestrée pour financer cette rénovation.

M. Hugues Sartre. J’ai un point de vue diamétralement opposé sur le bonus-malus. Il a été institué dans le secteur automobile – or, l’année dernière, on n’a jamais immatriculé autant de SUV ! Cela montre bien la limite du système.

M. le président Julien Dive. C’est surtout en région parisienne qu’on a acheté des SUV !

M. Hugues Sartre. Exactement. Un système de bonus-malus sera considéré, tant par l’acheteur que par le vendeur, comme une taxe supplémentaire sur la cession ou la location. Cela risque de rigidifier un marché qui l’est déjà : il y a quelques millions de mètres carrés vides dans Paris parce que de nombreuses personnes ne veulent pas louer, compte tenu des difficultés que cela peut représenter. Je serais curieux d’entendre les grands bailleurs, tant sociaux que privés, sur le sujet.

Enfin, monsieur le rapporteur, vous souligniez la difficulté que vous aviez eue à obtenir des certificats d’économie d’énergie (CEE) pour votre mairie. C’est ce qui me pousse à dire qu’il faut réformer le code des marchés publics. Quand la puissance publique territoriale se place en acheteur, il est logique de s’appuyer sur ce code. Dans l’hypothèse où il y a subvention, comme c’est le cas dans le cadre des certificats, il faut permettre aux entreprises privées de proposer des offres clef en main aux collectivités pour leur faciliter les choses. Je citerai à cet égard la démarche de la région Rhône-Alpes avec les plateformes territoriales de rénovation énergétique (PTRE). La puissance publique a confié au secteur privé le soin de développer les plateformes et services nécessaires aux mairies et antennes recevant du public. Elle n’a rien fait elle-même : elle a collecté les documents nécessaires et a demandé au secteur privé de s’occuper de tout le reste. Cette méthode-là fonctionne.

M. Matthieu Paillot. Je voudrais tout d’abord soutenir la proposition d’Hugues Sartre concernant la nécessaire simplification de l’achat public. Lorsque des investissements sont couverts en tout ou partie par des CEE, les montants restant à payer sont très faibles et, malgré tout, les procédures administratives de consultation restent relativement lourdes.

Les fenêtres, monsieur le rapporteur, ne sont évidemment pas le dispositif le plus efficace pour réduire la consommation d’énergie d’un logement. Je l’avais pris comme exemple de la capacité du secteur privé à emporter des décisions – pas toujours rationnelles, je vous l’accorde. La question est d’actualité avec l’énième révision du CITE. Elle illustre aussi l’importance de cibler les aides sur les travaux efficaces et la nécessité d’accompagner les ménages pour remettre en cause leurs idées reçues. Encore aujourd’hui, malgré les débats sur le CITE, si vous demandez aux Français quelle opération de rénovation énergétique déclencher chez eux, 43 % d’entre eux citeront malheureusement les fenêtres. Le besoin de pédagogie et d’accompagnement demeure à cet égard.

Quant aux aides, elles sont complexes. Il conviendrait d’en assurer la distribution par un guichet unique – public ou privé – car la prime énergie, la future prime qui remplacerait le CITE et les autres aides existantes donnent lieu à des démarches diverses et variées auprès de plusieurs administrations et de plusieurs acteurs. Il y a peut-être moyen de créer des autorisations d’obtention de ces aides pour le compte du particulier. En tout cas, il est nécessaire de simplifier ces aides et de faire en sorte qu’elles soient versées au moment des travaux – pour éviter les besoins de trésorerie –, qu’elles soient fléchées vers les investissements les plus efficaces et qu’elles soient stables dans la durée. Il y a quand même énormément d’allers-retours d’un projet de loi de finances à l’autre en la matière.

M. Francis Lagier. Dans la filière du bâtiment, il y a beaucoup de petites entreprises, notamment pour la rénovation des maisons et des petits logements collectifs. Or, quand le carnet de commandes de ces entreprises est rempli, leurs devis augmentent, tandis que lorsqu’il est vide, leurs devis baissent. La complexité du chantier est appréciée à chaque fois par des techniciens qui n’ont pas forcément le même background. Ce n’est donc pas un annuel des prix qui résorbera les différences de prix, mais plutôt le jeu concurrentiel. Si plus d’entreprises font de la rénovation, les prix baisseront. Il est très difficile de trouver des artisans quand on veut faire des travaux.

S’agissant des changements de fenêtres, les aides sont efficaces puisque les volumes de vente ont crû. Ce n’est pas à moi de dire quelle performance énergétique ces changements de fenêtres permettent.

En ce qui concerne l’isolation par l’extérieur, le problème ne se pose pas pour les couvertures – on voit de plus en plus de rénovations effectuées sur un support existant comme le shingle – mais il se pose pour les murs, dans les cas très particuliers que vous avez cités, et qui sont quand même très rares dans le logement collectif ou individuel.

Enfin, pour ce qui est du bonus-malus, d’expérience il faut oublier l’idée du malus car il ne sera pas efficace. On a besoin que les gens – qui n’ont parfois qu’une résidence principale – investissent dans la promotion privée. Si vous les pénalisez, vous les dissuaderez de le faire. Le malus est risqué et je ne crois pas que nous y soyons culturellement prêts.

Mme Natacha Hakwik. Le tiers-financement est un système complexe dans lequel le tiers qui investit se rémunère sur l’économie financière réalisée par le consommateur grâce aux travaux d’économie d’énergie effectués. Il faut que cette économie soit prévue, mesurée et garantie, sans quoi l’investisseur prend un risque. Cela pose un problème technique, mais aussi des problèmes comptables aux entreprises : une entreprise ayant recours à un tiers financeur pour réaliser des travaux d’efficacité énergétique ne peut déconsolider cet investissement dans ses comptes, les normes IFRS – International Financial Reporting Standards – imposant à l’entreprise de grever sa capacité d’endettement alors même qu’elle a fait des travaux d’efficacité énergétique qu’elle n’a pas l’habitude de faire au jour le jour. Ces règles sont un véritable obstacle à l’engagement des consommateurs dans la démarche de tiers financement alors que cette dernière présente pour eux un intérêt majeur : les consommateurs n’ont pas à débourser un centime pour financer le reste à charge, le financement étant assuré par l’économie d’énergie. De nombreux rapports d’experts, dont ceux du plan « Bâtiment durable » et de la Cour des comptes, ont été rédigés à ce sujet et formulent des préconisations très intéressantes. Enfin, pour que l’investisseur ait envie d’investir auprès de consommateurs dans les travaux d’efficacité énergétique, il faut absolument qu’il y soit incité fiscalement. Il faut rediriger les fonds d’investissement vers le développement durable et l’efficacité énergétique, ce qui passe par une fiscalité incitative.

En ce qui concerne l’effacement, je vais essayer d’être plus claire que je ne l’ai été. Il est étonnant que l’effacement paraisse complexe alors que c’est la France qui en a inventé le concept avec les tarifs « effacement jour de pointe » (EJP) que nos grands-mères ont connus et que tout le monde a malheureusement oubliés aujourd’hui. L’idée était d’inciter le consommateur, par une tarification intelligente, à faire baisser sa consommation les jours dits de pointe, c’est-à-dire les jours où le système électrique est sous tension. Les tarifs EJP, qui étaient un peu statiques et imposaient beaucoup de contraintes aux consommateurs, sont en voie d’extinction aujourd’hui.

En 2006, le numérique et l’innovation ont amené les pouvoirs publics à inventer une notion d’effacement de consommation plus dynamique : on ne demande plus de manière statique au consommateur de faire baisser sa consommation pendant de longues heures, mais uniquement quand le système en a réellement besoin, en s’appuyant sur le numérique. Le consommateur reçoit par SMS ou par téléphone la consigne de faire baisser sa consommation pendant quelques minutes ou quelques heures et en contrepartie, il récupère une rémunération financière qui fait baisser sa facture d’énergie. Le rapport Poignant-Sido de 2010 souhaitait que l’effacement se développe progressivement pour accompagner l’essor des énergies renouvelables et le déclassement des centrales à fioul.

Depuis, les lois successives ont instauré un « appel d’offres effacement », confié à Réseau de transport d’électricité (RTE). Chaque année, RTE lance un appel d’offres et fixe le volume de mégawatts que les consommateurs devront s’engager à libérer au moment où le système électrique en a besoin. En compensation, RTE leur verse une prime. Cela fait dix ans que cet appel d’offres est lancé chaque année mais malheureusement, le niveau financier accordé à cet appel d’offres est complètement déconnecté des besoins des consommateurs et n’est donc pas suffisamment incitatif. Les chiffres, repris par l’ADEME, sont connus au niveau international. Dans l’industrie, il faut que le mégawatt soit entre 30 000 et 60 000 euros par an pour qu’un gisement émerge. Dans le tertiaire, le niveau se situe entre 60 000 et 100 000 euros ; dans le secteur résidentiel, il est au-delà de 100 000 euros. Mme Battistel pourrait très bien vous en parler puisqu’elle a fait un rapport il y a deux ans sur le secteur résidentiel, dans lequel elle évoquait ce niveau d’investissement – et vous-mêmes connaissez parfaitement le sujet. Aujourd’hui, le niveau a été fixé à 30 000 euros par mégawatt par an, ce qui explique que l’on 2 gigawatts et non pas les 5 gigawatts prévus par la PPE pour 2018. Cependant, si on prévoit en 2015 dans la PPE d’atteindre 5 ou 6 gigawatts entre 2018 et 2023, il faut prévoir aussi le niveau de soutien financier connu dans la littérature.

M. le président Julien Dive. Je vous remercie, mesdames et messieurs, de votre participation à cette table ronde, de vos remarques et de vos propositions. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous transmettre d’autres informations ultérieurement. Je le répète : cette table ronde était filmée et diffusée en direct et peut être revue sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’audition s’achève à seize heures quinze.


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11.   Jeudi 29 novembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’artisanat dans le secteur de la construction :
– M. Stéphane Sajoux, direction des affaires techniques, président du groupe Performance énergétique, service Énergie & environnement, M. Thibault Gimond, direction des affaires techniques, ingénieur énergie, service Énergie & Environnement, de la Fédération française du bâtiment ;
– M. Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales, M. Nicolas Cailleau, responsable du département Énergie et environnement, direction de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales de l’USH, et Mme Francine Albert, conseillère pour les relations avec le Parlement ;
– M. Christian Mourougane, directeur général adjoint de l’ANAH ;
– Mme Anne-Lise Deloron, directrice adjointe de Plan bâtiment durable ;
– M. Pascal Roger, président, M. Frédéric Gharbi-Mazieux, responsable des affaires institutionnelles et territoriales de la Fédération des Services Énergie Environnement (FEDENE), M. Alain Pommier, représentant du Syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique (Synasav) ;
– M. Benoît Robyns, vice-président transition énergétique et sociétale de l’Université catholique de Lille et M. Bertrand Derquenne, proviseur du lycée Jacques Le Caron.

L’audition débute à dix heures trente.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, merci d’être présents pour cette table ronde organisée dans le cadre de la mission d’information sur les freins à la transition énergétique. Je laisserai dans quelques instants la parole à Bruno Duvergé, rapporteur de cette mission. Les députés pourront ensuite vous interroger sur votre vision des freins à la transition énergétique dans vos domaines respectifs.

Je rappelle que cette audition est publique. Elle est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet de l’Assemblée nationale. Vous pourrez récupérer le podcast si vous le souhaitez. Elle fera en outre l’objet d’un compte rendu écrit.

Je vous informe également que nous avons acté le principe d’ouvrir, courant janvier ou février 2019, une consultation publique en ligne, à destination de l’ensemble des citoyens mais aussi des fédérations et des professionnels. L’objectif est de compléter notre information sur les thématiques suivantes : la méthode, la gouvernance locale, les énergies non renouvelables, les mobilités durables, les économies d’énergie, les filières, la transformation des grands groupes, les freins culturels, la fiscalité et les aides. Quiconque le souhaitera pourra contribuer à cette consultation sur le site de l’Assemblée nationale. Cette consultation sera également relayée sur les réseaux sociaux. Un point d’étape sera dressé en mars et les conclusions des travaux de la mission seront présentées en juin.

Je vous propose de commencer par présenter brièvement chacun des six organismes que vous représentez – la Fédération française du bâtiment (FFB), l’Union sociale pour l’habitat (USH), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), l’Université catholique de Lille et le lycée Jacques Le Caron d’Arras – et de nous faire part des freins que vous avez identifiés, ainsi que des quelques solutions que vous entrevoyez déjà.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je vous remercie, mesdames et messieurs, d’avoir répondu à notre invitation. L’objet de cette mission d’information vise à identifier les freins à la transition énergétique, articulés autour de sept grands axes.

Le premier axe est celui de la vision à long terme. Sommes-nous capables de proposer à nos concitoyens une vision du monde de demain quant à la production, la consommation et l’utilisation des nouvelles énergies ?

Le deuxième axe est celui des productions par filière – solaire, éolien, méthane, etc. Quels sont les freins, aujourd’hui, au développement de ces différentes productions ?

Le troisième axe concerne les mobilités. Comment nous déplacerons-nous demain ? Avec quel type de véhicule et quel type d’énergie ?

Le quatrième axe vous concerne plus particulièrement puisqu’il porte sur les économies d’énergie dans le bâtiment – collectif, individuel, tertiaire, industriel.

Le cinquième axe concerne les grands groupes de l’énergie. Comment imaginent‑ils le futur ? Comment imaginent-ils ce qu’ils seront dans dix, vingt, ou trente ans, sachant que la production d’énergie sera complètement différente de ce qu’elle est aujourd’hui et complètement décentralisée ?

Le sixième axe est celui des territoires. Comment les territoires, les régions et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) prendront-ils en compte ce changement fondamental ?

Enfin, le septième axe concerne la lisibilité de l’aspect fiscal et budgétaire. Comment la fiscalité est-elle utilisée pour accélérer la transition énergétique ?

Je sais que vous avez tous beaucoup de choses très intéressantes à nous dire, mais je vous demanderai de focaliser votre intervention sur votre diagnostic. Ne passez pas trop de temps à « vendre » ce que vous faites ! Présentez-nous plutôt votre diagnostic sur la question des freins à la transition énergétique, avec une clé de lecture fiscale, législative, réglementaire, technologique, financière, sociétale et informationnelle.

M. Stéphane Sajoux, président du groupe « Performance énergétique » de la Fédération française du bâtiment (FFB). Je vous prie d’excuser M. Jean Passini, qui n’a pu être présent aujourd’hui. Je suis accompagné par mes collègues de la direction des affaires techniques et des relations institutionnelles.

Les entreprises adhérentes de la Fédération française du bâtiment (FFB), toutes largement investies dans la rénovation énergétique, ont identifié cinq points qui ralentissent la mise en place du programme national de rénovation.

D’un point de vue général, le premier constat est celui de la complexité des marchés, les problématiques variant selon les territoires et le marché concerné (diffus, tertiaire, pavillonnaire, ou copropriété). Les retours sur investissement pour les maîtres d’ouvrage, quels qu’ils soient, sont peu intéressants, ce qui constitue un autre frein. Il est difficile de valoriser une rénovation énergétique, lot par lot comme en multi-lots, si l’on a comme seul prisme le retour sur investissement. Des points d’entrée élargis sont nécessaires pour la rénovation. Enfin, les travaux sont assez coûteux et souvent disproportionnés au regard de la capacité d’investissement des foyers pour la rénovation énergétique de leur logement.

L’autre constat est qu’une dynamique s’est engagée sur la labellisation « reconnu garant de l’environnement » (RGE) de nos entreprises. Environ 65 000 d’entre elles sont qualifiées RGE. Cette dynamique est à la fois pertinente et vertueuse. En revanche, le marché manque de lisibilité quant à l’avenir du RGE. Les freins et les remises en cause de cette qualification sont nombreux et pourraient faire s’écrouler cette dynamique. Ce sujet nous inquiète beaucoup et constitue, à nos yeux, un frein majeur à la mise en place d’un plan beaucoup plus massif – d’autant que nous avons déjà pris un important retard sur la rénovation énergétique des bâtiments. Ce sujet est primordial pour nous. Qui plus est, nous observons des contre-performances, qui sont le fait d’entreprises frauduleuses. La FFB s’attache, avec les organismes de qualification, à aller sur ce terrain. Les contre-performances peuvent avoir des effets très nocifs sur la dynamique globale. Le caractère frauduleux de certaines entreprises, qui ne sont pas qualifiées RGE et qui entreprennent des travaux d’une façon contestable, nous inquiète aussi. C’est un sujet sur lequel nous nous penchons avec beaucoup d’attention.

J’en viens à la question des entreprises opportunistes qui déploient des offres alors qu’elles ne sont pas du métier, en mettant l’accent sur des aspects marketing et commerciaux. Nous considérons qu’elles créent des contre-références, parmi lesquelles, entre autres exemples, la rénovation pour un euro. Ces opérations consomment de l’incitation fiscale au profit d’une démarche purement marketing ou commerciale. Voilà encore un sujet qui nous inquiète.

J’évoquerai également les problèmes de lisibilité. Nous sommes face à des clients qui peinent à percevoir les aides dont ils peuvent disposer. Nous parlerons, j’imagine, du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), au sujet duquel des discussions très importantes sont en cours, notamment sur la question des fenêtres, qui constituent un point d’entrée pour la réalisation de travaux multi-lots. Le manque de lisibilité est dû aussi à la multiplicité des guichets publics, qui rend difficile l’accompagnement des clients. Ce problème global de lisibilité sur les aides et les accompagnements est vraiment important.

D’un point de vue technique, il est évident que, pour faire une bonne rénovation énergétique avec l’objectif de consommer moins, donc de polluer moins, plusieurs briques doivent être combinées. Tout d’abord, la brique de l’audit. Il est extrêmement important que nos entreprises soient acteurs de cet audit, car elles sont « sachantes » sur différents sujets, quel que soit leur métier. Pour le RGE notamment, nous nous attachons à former nos entreprises à être capables, quel que soit leur corps de métier, d’accompagner cet audit et de le mettre en place. Cette démarche est en cours au sein de la FFB.

La deuxième brique est la détermination des travaux pertinents à mettre en œuvre. Nous savons aujourd’hui – c’est confirmé par des enquêtes de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), notamment l’enquête « Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles » (TRÉMI) – que l’obtention de bons résultats nécessite d’effectuer plusieurs types de travaux. Or cela ne peut pas se faire à l’instant t. Je ne parle pas ici de l’objectif consistant à changer sa chaudière ou à refaire son isolation : si l’on veut un résultat probant dans le temps, il faut être capable de déployer des travaux mono-lot puis multi-lots sur une certaine période, relativement longue.

Dans ce contexte, la FFB s’est aussi beaucoup investie sur la partie sociétale. En effet, vous savez que nous sommes preneurs, acteurs et force de proposition pour accompagner ce plan de rénovation énergétique y compris d’un point de vue sociétal. Pour cela, il nous semble aussi important d’accompagner l’usager dans le temps, qu’il s’agisse de la restitution des résultats de consommation – il faudra être capable de les commenter avec lui et de les analyser pour s’approcher de l’objectif fixé – ou qu’il s’agisse d’apporter un support pédagogique allant au-delà de la rénovation énergétique, traitant par exemple de la gestion des déchets.

La problématique de la maintenance d’un certain nombre d’équipements est connexe à celle qui nous intéresse aujourd’hui. Ces équipements, qui sont consommateurs d’énergie, doivent être maintenus. Je pense aux systèmes d’énergie renouvelable, par exemple, qui sont extrêmement performants sous réserve d’être correctement entretenus. Dans cette dynamique, nous proposons de l’audit et sommes en train d’élaborer un prototype d’accompagnement énergétique dans la durée, auquel tout le monde trouverait un avantage. L’objectif étant de consommer moins, donc de polluer moins, les actions « coup de poing » de type marketing ne sont pas adaptées.

Cet accompagnement inclurait éventuellement le pilotage des incitations fiscales associées. Cela favoriserait, d’une part, la pédagogie, l’accompagnement et l’orientation vers le résultat final – une meilleure consommation – tout en plaçant les usagers au centre des préoccupations. Ce faisant, les usagers seraient formés sur la durée : s’ils déménagent, par exemple, ils conserveront les bons réflexes.

M. Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d’ouvrage et des politiques patrimoniales de l’Union sociale pour l’habitat (USH). Le patrimoine des habitations à loyer modéré (HLM) est constitué d’environ 4,5 millions de logements. Les organismes HLM sont des constructeurs importants. Nous mettons tous les ans en service 80 000 logements hautement performants sur le plan énergétique et, demain, sur le plan environnemental. Nous réhabilitons environ 125 000 logements par an. Cela nous procure une vision assez claire des freins et des leviers de la transition énergétique, avec un focus particulier sur les bailleurs sociaux. Aujourd’hui, 31 % des ménages du secteur HLM se situent sous le seuil de pauvreté, contre 14 % dans le parc privé. Les charges, en particulier énergétiques, constituent donc un enjeu central pour l’action des organismes HLM. C’est pourquoi ils interviennent massivement depuis de nombreuses années sur la performance énergétique de leur parc et anticipent autant que possible l’ensemble des évolutions réglementaires associées au logement neuf. C’est ainsi que le parc HLM est classé pour un peu moins de 40 % en étiquette ABC et pour 26 % en étiquette ABC « vision gaz à effet de serre ».

Ainsi que l’a rappelé le représentant de la FFB, le cycle du logement est long. Du point de vue de la maîtrise d’ouvrage et de celui d’un gestionnaire de patrimoine, les effets d’apprentissage sont suffisamment importants pour l’ensemble des acteurs de la filière pour que les résultats attendus en termes de performances soient concrètement évalués et mesurés sur les bâtiments livrés. Pour vous donner un ordre de grandeur, le saut de performance attendu entre la réglementation thermique (RT) de 2005 et la RT de 2012 est équivalent à celui qui avait été réalisé entre 1982 et 2005 – lequel avait considérablement fait bouger un certain nombre de lignes et amené les acteurs à réinterroger leur mode de faire et leur mode de conception pour s’assurer que l’ensemble des pièces qui composent un bâtiment fonctionnent, afin que la performance réelle ou concrète soit très proche de la performance attendue dans le moteur de calcul.

En matière de bâtiment et de cycle de production des bâtiments, une réelle attention doit être portée aux effets d’apprentissage et à l’anticipation des réglementations à venir. En cela, la démarche lancée en 2016 par l’État et le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) autour de ce qui préfigure la prochaine réglementation énergétique et environnementale adossée aux bâtiments neufs, dite « E+C- », est tout à fait inédite et heureuse. En effet, ces deux instances ont décidé de créer une dynamique d’acteurs pour expérimenter les bâtiments de demain, créer les conditions des retours d’expérience et s’appuyer sur eux pour fixer les critères de la prochaine réglementation dans des conditions à la fois techniques et économiquement supportables. C’est tout à fait essentiel en matière de performance et de transition énergétiques.

Après la construction neuve, j’en viens au volet « rénovation ». Je le disais en introduction, les organismes HLM réhabilitent environ 125 000 logements par an. Les deux tiers d’entre eux voient leurs performances augmenter d’au moins une étiquette énergétique lors de ces réhabilitations. Ainsi, en 2017, 57 000 logements ont été portés dans une vision dite « BBC (bâtiment basse consommation) rénovation », avec l’appui de l’éco-prêt logement social. Le renouvellement de composants et le changement d’équipements représentent environ 30 % des interventions sur les logements : avec l’appui des certificats d’économies d’énergie (CEE), ils permettent d’implémenter dans les bâtiments de nouveaux systèmes beaucoup plus performants que ceux qui étaient antérieurement installés.

Concernant l’éco-prêt logement social, il me semble également utile de rappeler que le prix moyen d’une rénovation par logement représente 34 500 euros. Ce coût de l’investissement n’est évidemment pas composé des seuls travaux de rénovation énergétique. Mais, au-delà des gestionnaires de patrimoine professionnels pérennes comme le sont ceux du mouvement HLM, ce montant représente un investissement relativement lourd, voire très lourd, pour un maître d’ouvrage privé et particulier – donc pour un très grand nombre de nos concitoyens. Dès lors, la question du résultat et du retour sur investissement est tout à fait essentielle, de même que la question de la garantie de performance. Comment s’assurer que l’ensemble des actions portées aboutiront au résultat attendu et induiront une augmentation du pouvoir d’achat ?

J’en viens aux freins que le monde HLM identifie. Un certain nombre de conditions et de critères, y compris réglementaires, peuvent conduire à ce que les gains de consommation d’énergie liés aux interventions ne soient pas nécessairement synonymes de réduction des dépenses énergétiques des ménages, donc d’augmentation de leur pouvoir d’achat. Dans les moteurs de calcul également, certaines conditions conduisent bien souvent à ignorer, dans une vision économique, des coûts inhérents à l’ensemble des installations – notamment les coûts d’abonnement aux différentes énergies, voire les coûts d’entretien et de maintenance des équipements. Je crois tout à fait important d’adopter, demain, une vision de la performance énergétique élargie à la performance économique et à la performance environnementale. En cela, il nous paraît essentiel que le diagnostic de performance énergétique (DPE) puisse être rénové, actualisé – en tout cas qu’il puisse évoluer considérablement dans sa forme et dans le fond. Il convient également de s’attacher à mesurer la performance énergétique des bâtiments non pas en termes d’énergie primaire, notion qui ne parle pas à nos concitoyens, mais en termes d’énergie finale, c’est-à-dire l’énergie réellement consommée par les ménages et la traduction directe de leur facture en kilowattheures.

La plus grande attention doit également être portée aux dispositifs qui pourraient induire des coûts d’entretien et de maintenance. Un exemple emblématique, dans le monde HLM, était celui des dispositifs d’individualisation des frais de chauffage qui avaient été souhaités par la loi de transition énergétique – heureusement corrigée par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite « loi ELAN » – dans une optique de généralisation ne tenant pas compte du rapport coût-bénéfice pour les ménages. Or sur le plan social, la transition énergétique doit nécessairement se traduire par une minoration des charges, donc une augmentation du pouvoir d’achat des ménages. C’est essentiel, en tout cas pour le monde HLM. C’est même ce qui motive l’action des organismes HLM.

Il convient également de prendre en compte le carbone dans la performance des bâtiments. Le référentiel « E+C- » permet de prendre en compte les émissions carbone. Nous avons aussi à faire bouger un certain nombre de lignes sur les conditions d’octroi de certains dispositifs pour les organismes HLM, notamment l’éco‑prêt logement social, afin qu’elles prennent en compte cette dimension carbone.

Pour conclure, j’observerai qu’il est primordial que tous les travaux entrepris notamment dans le cadre des trois plans, et en particulier du programme d’action pour la qualité de la construction et la transition énergétique, mettent davantage l’accent sur les outils destinés aux professionnels de la filière – concepteurs, entreprises, maîtres d’ouvrage et exploitants – afin que nos modes de faire s’efforcent de plus en plus de répondre aux objectifs recherchés lors de la conception des logements.

M. Christian Mourougane, directeur général adjoint de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Je vous prie d’excuser notre directrice générale, Valérie Mancret-Taylor, qui n’a pu être présente ce matin.

Je voudrais d’abord, en quelques mots, préciser le champ d’intervention de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH). Nous pilotons un programme de lutte contre la précarité énergétique, lequel vise à permettre aux propriétaires occupants modestes ou très modestes ou à des propriétaires bailleurs, sous réserve de conventionner leur logement, de bénéficier d’aides et de subventions accordées par l’Agence pour rénover leur logement et en améliorer la performance énergétique. Le plan « Climat » nous fixe l’objectif de financer 75 000 logements par an. Cette année, nous devrions nous situer entre 65 000 et 70 000 logements financés, ce qui représente une augmentation de plus de 30 % par rapport à l’année dernière.

Pour ce qui est des freins à la transition énergétique, je distinguerai trois sujets différents. Le premier est celui du reste à charge pour les ménages, alors que je rappelle que nous nous adressons à des publics modestes. Après le financement de l’Agence à hauteur de 60 %, le reste à charge représente 40 % du coût du projet. Pour des coûts moyens de travaux compris entre 18 000 à 20 000 euros, cela représente environ 8 000 euros, soit plus de la moitié d’une année de revenus. Pour lever ce frein, nous nouons des partenariats, notamment avec le réseau immobilier Procivis et des collectivités locales. Toutefois, pour inscrire notre action dans la durée, il faudrait que ces dispositifs de financement du reste à charge soient généralisés et pérennes. Or nous constatons la difficulté des collectivités locales à accompagner la montée en charge du programme, de même que l’augmentation des objectifs fixés par l’État à l’Agence.

Le deuxième frein est lié à l’insuffisant développement et à l’insuffisante mobilisation du dispositif d’accompagnement. Nous nous appuyons principalement sur le réseau associatif Solidaires pour l’habitat (SOLIHA), partenaire majeur de l’Agence, et sur quelques bureaux d’études privés. Mais il faudrait généraliser au niveau national le soutien et l’accompagnement. C’est un axe majeur d’amélioration. Lorsque les territoires sont dotés d’outils d’accompagnement performants, les objectifs sont atteints. En revanche, dans certains territoires, il manque de l’ingénierie et de l’accompagnement. En corollaire de cette question de l’accompagnement, je rappellerais que la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu la création d’un service public de l’efficacité énergétique de l’habitat, porté par les conseils régionaux, ainsi que la création de plateformes territoriales de la rénovation énergétique. En l’occurrence, la constitution de ces plateformes est un enjeu majeur d’accompagnement des propriétaires à titre individuel. Ces plateformes auront trois vocations : une vocation d’information du public, une vocation de recensement de l’ensemble des aides disponibles sur un territoire et une vocation d’animation du milieu professionnel. Je rejoins ici l’ensemble des préoccupations exposées par la FFB.

Enfin, le troisième frein au développement du programme « Habiter mieux » vient de la prise de décision collective dans les copropriétés, dans lesquelles chaque propriétaire est finalement le maître d’ouvrage, ou au moins en partie, des travaux sur les parties communes. Les difficultés que nous recensons sont celles liés à la mise en place d’un accompagnement collectif et d’une facilitation de prise de décision collective autour des travaux de la rénovation énergétique. Nous constatons qu’il est plus facile d’inclure ces travaux lorsqu’il s'agit de requalifier globalement une copropriété et d’intégrer des normes de confort, d’adaptation au vieillissement ou d’accessibilité aux étages. Aussi engageons-nous les copropriétés à réfléchir à des projets ambitieux et des volumes de travaux importants. Mais, dès lors que seuls les travaux de rénovation énergétique sont financés par l’Agence, le reste à charge est important et empêche des prises de décisions rapides. C’est un frein important. Le coût de 34 000 euros par logement pour les réhabilitations, annoncé par l’USH, est à peu près équivalent pour la rénovation énergétique. Et l’Agence n’en finance que 10 % à peu près, soit 3 500 à 4 000 euros.

Certes, les résultats sont plutôt encourageants grâce à la prise de conscience des copropriétaires. Mais, dans certains centres anciens, notamment dans les villes moyennes, on se heurte à un niveau de dégradation et à un taux de vacance des logements qui rendent la prise de décision complexe, notamment pour les propriétaires-bailleurs. En effet, pour bénéficier d’un retour sur investissement, ceux-ci doivent trouver des locataires. Aussi lisons-nous les politiques de transition et de rénovation énergétiques en lien avec celles de l’habitat, notamment de repeuplement des quartiers anciens dégradés et de remise sur le marché de logements vacants.

M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE). Je me permettrai de donner quelques minutes de mon temps de parole à mon collègue du Syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique (SYNASAV), qui abordera plus spécifiquement les problématiques de logement individuel.

La Fédération des services énergie environnement (FEDENE) regroupe les entreprises de services énergétiques, celles qui montent des bouquets de solutions énergétiques, donc des actions de performance énergétique ayant pour objectif de générer des économies d’énergie. Force est de constater que nous ne sommes pas du tout en ligne avec les objectifs fixés – nous en sommes même très éloignés.

Au-delà des freins, j’identifie quelques explications historiques et différentes causes. Concernant les actions que nous menons depuis toujours, la valeur des économies d’énergie générées par un investissement a perdu 30 % du fait du décrochage de 30 % à 35 % du prix des énergies fossiles en 2014. L’équilibre financier des opérations, qui constituait un important levier de décision de nos clients, s’en est trouvé totalement déséquilibré. Qui plus est, non seulement le mécanisme d’aide que sont les CEE n’a pas été renforcé, mais il a même été réduit – pour des raisons un peu longues à expliquer. Cela s’est traduit par un coup de frein significatif pour les opérations de rénovation énergétique.

Ainsi que cela a été indiqué par les orateurs précédents, la rénovation énergétique recouvre plusieurs marchés. Le rapport de l’Observatoire des contrats de performance énergétique (OCPE) distingue trois types de bouquets d’actions de performance énergétique. Le premier concerne les actions qui visent à améliorer la performance par un pilotage plus fin et par des engagements d’exploitation. Ces actions permettent de générer entre 10 % et 15 % d’économies d’énergie sans trop investir.

Le deuxième bouquet d’actions porte sur la rénovation des équipements, avec des niveaux d’investissement plus importants. Le cœur de ce dispositif est souvent un changement de chaudière, qui doit être accompagné d’autres actions – éventuellement sur le bâti, mais aussi de pilotage ou de sensibilisation des usagers. Ces actions permettent de générer 20 % à 25 % d’économies d’énergie, avec des temps de retour sur investissement de l’ordre de huit ans. Ces économies permettent donc de couvrir une somme correspondant au montant de l’investissement duquel sont déduites les aides. Pour doper ce mécanisme, il suffit de réajuster les aides à la hausse. Cette impulsion serait donnée à moindre coût, grâce aux CEE. Nous considérons qu’il s’agit là d’un levier facile et immédiat à mettre en œuvre. J’ajoute que les économies générées par les rénovations techniques présentent un deuxième avantage, celui de demeurer au-delà de huit ans.

Le troisième bouquet d’actions concerne la rénovation du bâti, qui répond à des problématiques de confort et de rénovation patrimoniale. Le retour sur investissement ne se traduit pas uniquement en termes d’économies d’énergie, mais de valorisation du patrimoine, notamment du patrimoine vert. En l’occurrence, ce sont les économies générées par les rénovations techniques qui permettent de couvrir ces investissements qui, comme le rappelait mon collègue de la FFB, sont coûteux et ont des retours sur investissement sur vingt-cinq, trente, voire quarante ans.

Aussi considérons-nous que, plutôt que de traiter tous les sujets de la même façon, il faudrait encourager des démarches progressives, du service à la rénovation technique puis à la rénovation globale, pour entrer dans un cercle vertueux qui dégagera les ressources permettant de financer la rénovation énergétique.

Par ailleurs, il ne suffit pas de faire une action de rénovation énergétique, encore faut-il que la performance soit durable. De ce point de vue, les contrats de performance énergétique (CPE) ont toute leur importance sous toutes leurs formes. C’est au moins le cas pour les contrats d’exploitation. À défaut, les performances se dégraderont progressivement dans le temps et il faudra recommencer les rénovations une dizaine d’années plus tard.

Enfin, nous avons été un peu déçus de constater que le sujet de la rénovation énergétique n’était pas vraiment mis en exergue dans les récentes interventions du Gouvernement. Nous considérons pourtant qu’il s’agit du premier objectif quantitatif de la loi sur la transition énergétique. Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) précédente, cet objectif représentait 14,5 millions de tonnes d’équivalent pétrole (TEP) sur la période, les énergies renouvelables n’en représentant que 8 millions (dont 5 millions pour la chaleur). Ces sujets ont été assez peu abordés, et nous le regrettons.

Je cède la parole à mon collègue, sur le thème du logement individuel.

M. Alain Pommier, représentant du Syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique (SYNASAV). Le Syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique (SYNASAV) représente 300 entreprises et 12 000 techniciens, 1 000 recrutements par an, 12 millions d’appareils entretenus et 150 000 chaudières remplacées.

Nous identifions trois freins à la transition énergétique. Le premier concerne l’après‑travaux. La maintenance, notamment, est absente des discours sur la réglementation environnementale comme du plan rénovation. Pourtant, les systèmes de chauffage et d’eau chaude sanitaire constituent un levier important de la transition énergétique, car ils représentent 70 % de la consommation d’énergie finale. La maintenance est essentielle pour garantir la pérennité d’un système et réaliser des économies d'énergie. Selon l’ADEME, une chaudière entretenue annuellement représente 8 % à 12 % d’énergie consommée en moins.

Le deuxième frein vient du manque d’accompagnement des usagers à la livraison du bâtiment. Nos 12 000 techniciens de maintenance entrent chaque jour dans les logements et constatent que leurs occupants ne sont pas toujours avertis des modalités de bonne utilisation des équipements. L’enquête BVA-SYNASAV sur la qualité de l’air et de la ventilation montre que 45 % des Français interrogés ne savent pas de quel système ils sont équipés – VMC simple flux ou double flux. Il est donc indispensable de les accompagner, notamment dans la maintenance et l’entretien des systèmes de chauffage et de ventilation, afin d’améliorer les performances énergétiques des logements et la qualité de l’air intérieur.

Le troisième frein est le manque de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur. Nous éprouvons des difficultés à trouver des techniciens de maintenance. Le métier du bâtiment souffre d’un déficit d’image, car il reste considéré comme une filière de relégation. Les jeunes ne sont souvent pas informés sur le métier de technicien de maintenance et ses débouchés possibles. Le projet européen Pull up skills a souligné que l’insuffisance de travailleurs qualifiés pourrait ralentir les travaux d’efficacité énergétique.

Aussi, au-delà de la formation initiale, la qualification est un axe prioritaire développé par le SYNASAV. C’est pourquoi nous mettons à disposition des professionnels de la maintenance une qualification intitulée « Qualisav, efficacité énergétique ». Tous les techniciens sont formés à la connaissance technique et réglementaire de la maintenance des installations de chauffage.

Enfin, cette transition énergétique permet la création et le renouvellement d’un vivier local d’emplois non délocalisables. On estime à 1 000 le nombre de contrats à durée indéterminée (CDI) à renouveler chaque année, auxquels il faut ajouter 4 000 CDI à créer d’ici dix ans pour l’entretien des 3 millions de chaudières jamais entretenues et des pompes à chaleur.

Mme Anne-Lise Deloron. Je vous remercie d’avoir invité le Plan bâtiment durable à s’exprimer devant la représentation nationale. Cet organisme présidé par Philippe Pelletier a été mis en place par les pouvoirs publics en 2009 et a vocation à les accompagner dans la mise en œuvre de la transition énergétique et environnementale du secteur du bâtiment et de l’immobilier. À ce titre, l’ensemble des sujets dont nous avons traité ce matin font partie de notre quotidien et nous procurent une vision transversale et multi-sectorielle.

J’organiserai mon propos en trois temps : les freins et les propositions relatifs à la gouvernance, au suivi et la mise en œuvre des politiques publiques ; les freins et les propositions relatifs à l’environnement réglementaire et législatif ; les freins et les propositions relatifs à l’approche sociétale évoqués par M. le rapporteur. Ce faisant, je me concentrerai sur les sujets de rénovation énergétique. Je souscris pleinement à ce qu’a indiqué Christophe Boucaux sur la construction neuve et l’apprentissage de la filière. Les échanges de fin de séance nous permettront peut-être de revenir sur la dimension relative à la construction neuve.

S’agissant des freins et des propositions relatifs à la gouvernance et à la mise en œuvre des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, je citerai d’abord l’insuffisance du portage politique. Il est essentiel que, dans la continuité des annonces de ce début de semaine, la rénovation énergétique des bâtiments fasse l’objet d’un portage politique et d’une parole publique forts dans la durée et au plan national. C’est aussi l’une des conditions essentielles pour que les enjeux de la rénovation énergétique impriment une marque dans notre société, qu’il s’agisse des territoires, des acteurs économiques ou des concitoyens. Corrélativement à ce portage politique fort, la mise en œuvre de la politique de rénovation énergétique des bâtiments a besoin d’une coordination interministérielle puissante, affirmée et avérée. Ce sujet souffre trop d’un éclatement administratif. Vous savez qu’il se situe à la croisée de l’écologie, du bâtiment et du logement, mais qu’il touche aussi à l’apprentissage, à la culture pour la tutelle de l’architecture et aux affaires économiques et financières. Un lieu de pilotage interministériel est indispensable, de même qu’un observatoire, un suivi et un tableau de bord. En outre, toutes les politiques liées au bâtiment durable et plus particulièrement à la rénovation énergétique des bâtiments doivent être mises en œuvre de manière collective entre les pouvoirs publics et les acteurs privés mais aussi entre l’État et les territoires. Les régions, qui ont le rôle de chef de file dans ce domaine, ont été citées tout à l’heure. J’ajouterai les métropoles et les intercommunalités. Nous avons besoin de cette dualité entre un portage politique fort au plan national et une main donnée aux territoires pour conduire l’action.

Le deuxième ensemble de freins et de propositions est relatif à l’environnement réglementaire et législatif. L’instabilité actuelle des dispositifs dans le secteur du bâtiment, constitue un véritable frein au passage à l’action. Il faut parvenir à une stabilité des dispositifs incitatifs et réglementaires. On pourrait citer plusieurs exemples. Je n’en prendrai qu’un seul ce matin : si les modifications annoncées du CITE sont avérées, ce dispositif aura évolué à cinq reprises entre 2017 et 2020. Vous comprenez ce que cela peut avoir comme conséquences sur l’offre de services et sur la capacité des acteurs comme des concitoyens à comprendre les dispositifs. Le besoin de stabilité est réel.

Au-delà de l’environnement législatif et réglementaire, je voudrais également aborder la question du passage de la concertation à l’action. Le plan de rénovation énergétique, qui est aujourd’hui le principal creuset de la politique publique en matière de rénovation énergétique, a été présenté il y a quelques mois et fait l’objet d’une période de consultation et de concertation d’au moins dix-huit mois. Il est essentiel que les dispositifs annoncés dans ce plan fassent véritablement l’objet d’un passage à l’action et que la concertation ne demeure que sur des sujets très précis qui ne sont pas encore suffisamment travaillés. La difficulté d’opérer des concertations permanentes sur l’ensemble des sujets conduit à une certaine cristallisation des actions et des acteurs qui attendent des dispositifs complètement ficelés et bouclés pour engager des mesures d’envergure.

Enfin, je voudrais pointer l’incohérence, donc le besoin de cohérence, des dispositifs entre eux, mais aussi au regard de nos ambitions. Je citerai deux exemples. Premièrement, tous les dispositifs incitatifs à la rénovation des logements ne font pas encore l’objet de l’éco-conditionnalité des aides publiques. Peut-être serait-il intéressant d’avoir un ensemble de règles communes à tous les dispositifs incitatifs à la rénovation des logements, afin de ne pas risquer de perturber et de rendre plus compliquée la compréhension de ces aides. D’autre part, concernant le besoin de cohérence des dispositifs au regard de nos ambitions, les objectifs nationaux de neutralité carbone et d’un parc de bâtiments à basse consommation (BBC) à horizon 2050 ont été rappelés en début de semaine. Mais, sauf erreur, il n’existe pas aujourd’hui de dispositif qui incite les ménages à engager des rénovations globales, en une fois ou par étapes – je souscris pleinement à ce qui a été dit tout à l’heure à ce sujet.

J’en viens à ma troisième et dernière série de remarques relatives aux freins et aux propositions relevant de l’approche sociétale. Je souscris aux propos tenus par mes collègues précédemment : il faut renforcer l’envie des ménages, des collectivités territoriales et de l’État d’engager des travaux de rénovation énergétique. À cet égard, la campagne de communication « Faire » lancée par l’ADEME il y a quelques semaines est une première bonne réponse. Il est indispensable qu’elle s’inscrive dans la durée, qu’elle soit soutenue et qu’elle soit déclinée à l’ensemble de l’écosystème comme à l’ensemble des territoires. Il convient également de renforcer la confiance des Français dans les travaux de rénovation énergétique, d’où l’importance de la mise en place du service public de l’efficacité énergétique de l’habitat, évoqué par Christian Mourougane, et de son financement. Si l’ADEME obtient les crédits nécessaires, ce service public devra faire l’objet d’expérimentations. Je voudrais d’ailleurs appeler l’attention de la représentation nationale sur ce sujet. La confiance dans les travaux réalisés passe aussi par les contrats de performance énergétique et les garanties de résultat associées, comme l’ont montré Stéphane Sajoux et Christophe Boucaux.

Enfin, et j’en terminerai par là, c’est tout l’accompagnement de la filière de l’offre de services, donc l’accompagnement des hommes et des femmes de la filière du bâtiment et de l’immobilier qu’il faut renforcer. Ils ont clairement entamé leur métamorphose et leur mue depuis dix ans, avec une véritable montée en compétences. Pour autant, de nombreux sujets restent à traiter. Pour terminer sur la question de la construction neuve, Christophe Boucaux évoquait tout à l’heure l’entrée du paramètre carbone dans la future réglementation. C’est un enjeu d’apprentissage de la filière. À côté de toutes les mesures d’approche sociétale à l’égard de nos concitoyens, l’accompagnement de la filière est un pan essentiel si nous voulons réussir la transition énergétique de nos bâtiments.

M. Benoît Robyns, vice-président, en charge de la transition énergétique et sociétale, de l’Université catholique de Lille. Je vous remercie de permettre à l’Université catholique de Lille de s’exprimer sur un certain nombre de freins que nous rencontrons dans le cadre du développement de projets devant contribuer à la transition énergétique nationale.

L’Université catholique de Lille regroupe 30 000 étudiants, des facultés et des écoles d’ingénieurs, mais aussi des écoles de commerce, deux hôpitaux et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Son implantation est forte à Lille, avec une concentration particulière dans le quartier Vauban où nous disposons d’un véritable campus accueillant 18 000 à 20 000 étudiants – pour un nombre équivalent d’habitants. Les bâtiments, qui ont été construits depuis 1877, pour le premier et le plus emblématique, jusqu’à maintenant, dans différents îlots du quartier, reflètent une très grande variété architecturale. Ils sont reliés entre eux par des réseaux publics d’énergie, qu’il s’agisse des réseaux électriques, des réseaux de chaleur ou des réseaux de gaz. C’est ce qui nous distingue d’un campus classique dans lequel tous les bâtiments sont concentrés, avec des réseaux propres à l’université.

Nous avons lancé un programme démonstrateur de transition, dans une volonté d’innovation et d’expérimentation. L’objectif est d’atteindre progressivement une cible zéro carbone. Nous avons commencé par l’îlot historique – qui n’est pas le plus simple – en déployant de la production locale sous forme photovoltaïque en vue de l’autoconsommer et du pilotage de charge de véhicules électriques, donc du stockage d’énergie. Une particularité mérite d’être mentionnée : dans certains îlots, nous avons affaire à des réseaux électriques privés qui impliquent plusieurs acteurs juridiques. Je reviendrai sur ce point, car c’est un frein important. Dans le cadre de cette expérimentation, nous travaillons avec plusieurs partenaires et nous sommes intégrés dans un projet de démonstrateur d’expérimentation soutenu par l’ADEME à travers ses appels à manifestation d’intérêt. Ce projet, intitulé « So MEL, so connected », est coordonné par la Métropole européenne de Lille (MEL). Il regroupe plusieurs partenaires, dont Enedis.

Nous avons identifié plusieurs freins très concrets, dans le domaine énergétique. Tout d’abord, concernant l’autoconsommation individuelle que nous voulons mettre en œuvre dans un certain nombre de bâtiments, l’article L. 315-1 du code de l’énergie indique que le consommateur est le producteur, sans donner plus de précisions. Or tous nos bâtiments, qui sont principalement des bâtiments tertiaires avec aussi quelques bâtiments résidentiels pour les étudiants, appartiennent à des sociétés civiles immobilières (SCI) et sont exploités par les entités de l’université. Ce sont donc deux entités juridiques, avec des numéros différents dans le système d’identification du répertoire des établissements (SIRET). Or le gestionnaire de réseau fait valoir que cette situation n’entre pas dans la définition d’autoconsommation individuelle. Cela signifie qu’aucun de nos bâtiments ne pourra la mettre en œuvre – ce qui sera également le cas pour quasiment tous les bâtiments tertiaires en France. Et pour cause, les systèmes de SCI sont tout à fait courants, connus et légaux.

Une autre difficulté à laquelle nous nous heurtons est la reconnaissance d’un réseau électrique privé existant. Nous ne sommes pas un cas isolé. Plusieurs centres commerciaux sont dans la même situation, par exemple. Qui plus est, le réseau en question a été constitué il y a une dizaine d’années sous les conseils d’EDF et avec l’appui d’ERDF (ex Enedis) à l’époque – avant que l’on ne parle des nouveaux modes de consommation et d’autoconsommation. Or il semblerait que le code de l’énergie ignore la notion de réseau privé de distribution. Les discussions que nous entretenons avec le gestionnaire de réseau tournent donc au quiproquo. En effet, alors que certains arrêtés indiquent que le projet de loi prévu pour les réseaux publics s’appliquera aux réseaux privés, le gestionnaire ne peut pas entrer dans un réseau privé. Nous nous retrouvons donc dans une situation où le serpent se mord la queue !

Un troisième frein vient du fait que la mise en œuvre de l’autoconsommation collective oblige à passer par le réseau du gestionnaire public pour permettre la transmission d’une entité à l’autre. Mais quand on est déjà sur un réseau privé qui intègre plusieurs entités juridiques différentes, dans un système tout à fait optimal, il semble assez absurde de vouloir revenir sur le réseau public pour créer plusieurs points de connexion, augmenter le transit de l’énergie et réduire le rendement.

J’ajoute que nous souhaitons permettre les échanges entre les différents îlots du quartier. La loi du 24 février 2017 sur l’autoconsommation collective ne le permet pas actuellement, puisque l’autoconsommation collective est limitée à des interactions en aval d’un point à moyenne tension. Mais ce n’est pas ce qui est prévu par le plan « Place au Soleil » annoncé fin juin.

Pour permettre d’évoluer sur ces questions, en particulier celle des réseaux fermés de distribution, le gestionnaire fait valoir son monopole sur le décomptage de l’énergie mais le fait qu’il ne peut pas entrer dans un réseau privé. Pourquoi ne pourrait-il pas offrir un service de décomptage sur ces réseaux privés, comme le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) le fait pour les réseaux industriels, sur lesquels nous disposons d’un point de connexion à l’instar d’autres entreprises ? Cette piste permettrait d’évoluer. D’autres pistes semblent intéressantes pour aider la transition énergétique. Alors qu’il apparaît qu’en ville il est très difficile d’atteindre une cible « zéro carbone » en agissant uniquement localement, il serait intéressant de pouvoir travailler avec des certificats verts – qui existent pour l’électricité mais pas pour les réseaux de chaleur. Nous y réfléchissons avec l’entreprise Dalkia.

Concernant la mobilité électrique, nous déployons un certain nombre de bornes dans les parkings privés et nous voudrions encourager nos personnels à développer cette pratique. Là encore, plusieurs freins sont identifiés. Pourquoi ne pas imaginer des systèmes de prise en charge d’une partie du coût de transport, comme cela existe déjà pour les abonnements aux transports en commun ? Des freins peuvent être liés au mode de fonctionnement des Unions de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales (URSSAF), voire à la possibilité de rétrocéder de l’énergie.

Je terminerai mon intervention en abordant la question du modèle économique. En tant qu’établissement d’enseignement supérieur et de recherche, nous bénéficions de nombreux soutiens – de l’ADEME, de la région, de la Métropole européenne de Lille, de l’Union européenne et des entreprises partenaires. Cela nous permet de développer des systèmes qui, pour l’instant, ne sont pas économiquement viables. Le sujet du modèle économique mérite donc d’être traité, en particulier celui de la fiscalité liée à l’autoconsommation – qui s’avère assez rédhibitoire pour permettre l’atteinte d’un équilibre économique.

M. Bertrand Derquenne, proviseur du lycée Jacques Le Caron d’Arras. Je vous remercie de m’avoir invité. Le lycée Jacques Le Caron, des métiers du bâtiment et des énergies renouvelables, est devenu depuis le 1er août 2018 par arrêté officiel le Campus des métiers de qualification du bâtiment et des systèmes énergétiques intelligents 3.0 en Hauts‑de‑France.

Je ne témoignerai pas au titre de l’éducation nationale, mais en tant qu’établissement public local d’enseignement (EPLE) formant aux métiers du bâtiment depuis une cinquantaine d’années. Cet établissement regroupe 600 élèves en formation initiale, 250 apprentis et une centaine d’adultes. Nous couvrons tous les métiers du bâtiment, du niveau CAP au niveau BTS. Nous intégrons également une école de préparation au concours des écoles nationales d’architecture – sous la forme d’un dispositif expérimental.

Ainsi que l’a annoncé le ministre de l’éducation nationale, le campus intégrera un réseau de 7 000 apprenants en Hauts-de-France, une dizaine d’établissements publics et privés – lycées généraux et technologiques et lycées professionnels –, des universités, des instituts universitaires de technologie (IUT) comme celui de Béthune, des écoles comme l’École nationale supérieure d'ingénieurs en informatique, automatique, mécanique, énergétique et électronique (ENSIAME) de Valenciennes. Ce partenariat s’étendra donc sur un périmètre géographique très large. Une réflexion est en cours sur nos organisations et sur l’offre de formation. Notre expérience est nourrie par les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) de nos 900 apprenants. Les retours dont nous disposons sur les pratiques professionnelles des entreprises et des entrepreneurs sont ceux recueillis par nos enseignants lors des visites des lieux de stage. Sans être véritablement formalisés, ils mettent en lumière plusieurs préoccupations de nos partenaires du monde de l’entreprise.

Plutôt qu’un frein, j’identifierai un premier paradoxe concernant l’offre de formation. Cette thématique complexe est liée à la fois à l’organisation des territoires et à la mobilité de nos apprenants. L’offre de formation, du moins en ce qui concerne le réseau d’établissements que je représente, est tout à fait apte et prête à accompagner l’entreprise dans la transition énergétique. J’en veux pour preuve l’intitulé de nos diplômes : « mention complémentaire technicien en énergies renouvelables », « BTS enveloppe du bâtiment », etc. Nos formations sont pragmatiques et concrètes, et accompagnantes sur les niveaux 4 et 5 sur lesquels je souhaite axer mon propos – c’est-à-dire le niveau de l’exécutant qui viendra chez vous déposer la chaudière, éventuellement la démonter et l’entretenir, mais également celui du maçon qui, après une formation sur les parois opaques, pourra accompagner la volonté du ménage. Le paradoxe que j’évoquais vient du fait qu’alors que plusieurs lycées comptent de nombreuses places et disposent de plateaux techniques de grande qualité, grâce à l’accompagnement de l’État et des collectivités, notamment les régions, peu d’élèves décident d’entrer dans ces cursus. Cela pose la question de l’orientation de ces élèves au collège. Cette mission d’orientation sera d’ailleurs désormais confiée aux collectivités territoriales, et tout particulièrement aux régions. J’insiste, l’ingénierie de formation est de qualité. L’établissement que je pilote dispose de professeurs agrégés de génie civil, de professeurs certifiés, de formateurs issus du monde de l’entreprise, de plateaux techniques de très haute qualité et de formations tout à fait adaptées. Le module Praxibat, par exemple, financé par l’ADEME, forme à la fois aux parois opaques et à la ventilation. Ces propos concernent la formation initiale. Je pourrais les résumer en observant que le premier frein est lié au manque d’appétence pour nos métiers.

Un autre frein vient du fait que nos établissements sont très peu sollicités pour de la formation continue par les entreprises et les artisans. Ils commencent à l’être un peu plus par les industriels. En l’occurrence, je pense que le besoin d’accompagnement à la transition énergétique, qui est devenu une véritable préoccupation pour les acteurs du bâtiment au cours des quatre à cinq dernières années, a été renforcé par la transformation des matériaux et l’accompagnement des groupes industriels. Je pense à des académies d’architecture qui organisent de nombreuses rencontres entre les industriels et les professionnels du bâtiment. Mais cet accompagnement intervient hors du champ des établissements et de l’Éducation nationale. C’est dommage. Même si les liens existent entre l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) du bâtiment et nos instances, au travers des groupements d’établissements (GRETA) et de la formation continue, même si, à Lille, notre centre de formation d’apprentis (CFA) est très acteur et très dynamique, il me semble que l’un des freins à la transition énergétique réside dans la formation des salariés et des artisans.

Enfin, il a été indiqué que l’acte II était celui de l’accompagnement à la maintenance des bâtiments. Or nous constatons de plus en plus qu’une fois passée la pose de certains dispositifs, les formations ne sont pas vraiment adaptées à la maintenance et à la deuxième phase de ces dispositifs.

J’avais certainement d’autres choses à vous dire, mais je pense avoir abordé les sujets les plus importants.

M. le président Julien Dive. Je remercie l’ensemble des intervenants pour leurs témoignages. Je propose un temps d’échange avec les députés présents.

Mme Nicole Trisse. Je vous remercie pour vos interventions. Il me semble essentiel de disposer des contributions des professionnels du bâtiment. En effet, c’est vous qui concrétisez sur le terrain les mesures proposées. C’est également vous qui nous faites part des freins que vous rencontrez auprès des usagers. Vos propos nous aideront donc, si cela est nécessaire, à améliorer nos propositions pour atteindre l’objectif visant à consommer moins et polluer moins.

Mes premières questions s’adressent plus particulièrement à la FFB. Quel est le pourcentage d’entreprises frauduleuses qui surfent sur le marketing, la publicité et l’actualité ? Comment les déceler ? Comment avoir des entreprises vertueuses ?

Par ailleurs, je souscris pleinement aux considérations sur la formation. Je pense, moi aussi, qu’il existe un problème de formation, qu’il s’agisse des salariés, des artisans ou des professionnels. Le volet pédagogique en direction des usagers mérite également d’être développé, tant il est vrai que, depuis quelque temps, les réformes ont été nombreuses. Vous avez également évoqué l’évolution des matériaux. Le contenu de la formation mériterait sans doute d’être revu, à destination des salariés comme des professionnels. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Charles Colas-Roy. L’une des pistes envisagée consisterait à rendre opposable le diagnostic de performance énergétique (DPE). Que serait, d’après vous, un DPE de qualité ? Quel sera le coût de ce diagnostic, pour qu’il soit bien fait ?

Par ailleurs, le sujet de la qualité et des labels me semble très important. En effet, dès qu’il est question de crédit d’impôt, on peut nous renvoyer l’argument du manque d’efficacité de certaines mesures et nous imposer de faire un tri dans nos choix fiscaux. Je suis atterré de lire dans des études que de nombreux travaux ont été financés avec de la fiscalité incitative – donc avec l’argent de tous les contribuables – sans pour autant permettre à certains logements de changer d’étiquette énergétique. Pour être convaincants vis-à-vis de du ministère des finances, il faut que nous puissions démontrer que les travaux rénovent en profondeur et font changer d'étiquette énergétique.

Concernant la formation, je rejoins la question de ma collègue Nicole Trisse et j’aimerais connaître votre avis sur le plan d’investissement dans les compétences et le développement de l’apprentissage qui a été notamment annoncé par la ministre Muriel Pénicaud. Ces mesures vont-elles dans le bon sens ? Le rythme est-il le bon ? Le plan est-il à la bonne « maille » ? Alors que nous allons passer à l’échelle supérieure dans la rénovation des bâtiments, il est important que nous ne soyons pas freinés par le manque de main-d’œuvre d’apprentis qualifiés.

Un autre sujet est celui de l’intermédiation. Il existe aujourd’hui une myriade de dispositifs, que l’on pourrait même qualifier de magma. Il est difficile, pour les citoyens ou les acteurs, de s’y retrouver. D’où la volonté de créer des guichets uniques ou des interlocuteurs uniques. Quel est, selon vous, le bon interlocuteur ? Quelle doit être l’échelle géographique : la région, le département, l’intercommunalité, la commune ? Il ne s’agit pas d’entrer dans une guerre des différents acteurs pour savoir qui sera la porte d’entrée ou le guichet unique. Quoi qu’il en soit, ce sujet est fondamental.

(Présidence de M. Adrien Morenas, vice-président de la mission d’information.)

M. Stéphane Sajoux. Je vous remercie pour ces questions. En réalité, les entreprises frauduleuses sont assez peu nombreuses. Je ne saurais préciser leur pourcentage, d’autant qu’elles ne sont ni qualifiées, ni reconnues garantes de l’environnement (RGE). En revanche, nous constatons que les contre-performances qu’elles génèrent sont fortement médiatisées. Nous aimerions pouvoir intervenir davantage sur ce sujet.

Pour déceler les entreprises qui ne sont pas en ligne avec la qualification RGE sans pour autant être frauduleuses, il ne faut pas se tromper de cible. De très nombreuses entreprises sont déjà qualifiées et ont consenti d’importants efforts. Elles ont recours à l’offre de formation FEE Bat depuis quelques années. Je rappelais tout à l'heure que 60 000 à 65 000 entreprises sont labellisées RGE et évoluent dans cette dynamique de rénovation énergétique en termes de qualité, de savoir-faire et de travail transversal. Nous souhaitons, au travers de la qualification RGE, pouvoir accompagner et contrôler – sans pour autant durcir à l’infini la complexité et les incidences sur les entreprises qui sont déjà RGE, au risque de briser une dynamique.

Concernant la formation, je laisserai mes collègues répondre. En tant qu’entrepreneur du génie climatique dans le bâtiment, j’ai « les mains dans le cambouis » quand je ne suis pas à la FFB pour défendre nos intérêts et déployer des actions positives. D’un point de vue général, pour une entreprise, avoir un ou plusieurs apprentis requiert une véritable structure. Celle d’une PME n’est pas nécessairement adaptée. Aussi faudrait-il que la démarche de formation des apprentis soit mieux cadrée. Il serait également intéressant d’identifier des encadrants dans les entreprises. Les centres de formation d’apprentis (CFA) devraient se rendre davantage dans les entreprises, plutôt que se contenter de nous envoyer des apprentis. Pour cadrer cette démarche, il faudrait recueillir les attentes des CFA et identifier, dans les entreprises, des encadrants formés ou disposant d’une feuille de route pour accompagner les apprentis car, sur un chantier, s’occuper d’un apprenti censé mettre en œuvre ses acquis est très difficile. Confier les apprentis à des chefs de chantier ou à des chefs d’équipe ne va pas de soi dans le flux quotidien de l’exécution des travaux – sans compter qu’outre le champ du métier, il convient de ne pas éluder le champ du savoir-être en entreprise. En l’occurrence, nous voyons parfois arriver des apprentis qui peinent à s’adapter au monde de l’entreprise.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Vous parlez des entreprises RGE, mais la question qui nous remonte souvent est de savoir si les employés sont eux aussi RGE. J’aimerais vous entendre tous sur ce point. Comment faire, sans être trop contraignant, pour progresser dans la profondeur du RGE dans l’entreprise ?

Se pose aussi la question du contrôle des entreprises qui qualifient a posteriori les niveaux énergétiques des bâtiments. Je pourrais citer l’exemple de travaux de rénovation qui ont été effectués sans que le niveau de catégorie ait évolué. Et pour cause : l’entreprise ne s’est pas rendue sur place pour vérifier les travaux ! C’est très problématique. J’aimerais vous entendre sur ce sujet également.

M. Stéphane Sajoux. Concernant la profondeur du RGE dans l’entreprise, il importe avant tout que l’entreprise soit RGE, puisque c’est elle qui met en place le déploiement des travaux, y compris contractuel en travaillant avec des entreprises multi-lots. Par ailleurs, au sein de l’entreprise, il existe des référents. L’entreprise doit être capable d’égrainer ses process. Cela doit être vrai y compris pour les entreprises artisanales. À ce sujet, la FFB est intervenue à plusieurs reprises pour proposer des solutions de management de chantier et de projet fondées sur le lean construction. Ces méthodes sont intrinsèquement porteuses d’une démarche RGE.

Il existe un problème culturel, qui ne se résoudra pas en désignant des employés RGE dans l’entreprise. La démarche culturelle d’appui des entreprises qui sont déjà RGE et de celles qui veulent le devenir engendre aussi de la collaboration entre les différents lots. C’est ainsi, à mon avis, que le sujet doit être abordé.

M. Pascal Roger. Je voudrais compléter la réponse sur les entreprises frauduleuses. Le grand dispositif d’appui aux actions de rénovation énergétique, notamment dans l’habitat collectif, est celui des CEE, qui représentent un potentiel financier très important, évalué entre 3 et 4 milliards d’euros annuels. Nous considérons que ce système souffre d’un défaut d’agilité. Souvent, les entreprises frauduleuses se développent parce qu’il existe un effet d’aubaine. En l’occurrence, les formules d’aide sont figées dans le temps. Les offres d’isolation des combles à un euro existaient déjà lorsque les certificats étaient à trois euros. Maintenant qu’ils sont à six euros, il faudrait en quelque sorte nous redonner de l’argent... Inversement, certaines actions efficaces se produisent à un rythme insuffisant. Nous espérons donc que le pilotage des CEE produira davantage d’agilité pour doper les actions insuffisamment soutenues et ajuster les opérations qui pourraient créer des effets d’aubaine, au lieu de se bloquer dans des modèles mathématiques arrêtés une fois pour toutes.

Ce ressort financier pourrait être utilisé de façon très efficace. Notre message est très simple : nous sommes dans un monde où le prix de l’énergie va augmenter. Ce qui s’est observé pour les transports concernera aussi la chaleur. On peut toujours régler le problème en attribuant des aides aux plus défavorisés, mais la solution de fond consiste à faire faire des économies pérennes, qui permettront de consommer moins, donc d’équilibrer son budget dans la durée. C’est vrai pour les particuliers, les entreprises et les collectivités territoriales. Nous y voyons un moteur très puissant.

Enfin, il n’y a pas de possibilité de fraude lorsqu’il existe un engagement de performance. Si la personne qui est intervenue sur votre bâtiment s’engage, y compris financièrement, sur l’atteinte des objectifs, c’est elle qui supportera la conséquence de leur non-atteinte.

M. Adrien Morenas, président. Je vous demanderai d’être concis dans vos réponses, d’autant que Mme Meynier-Millefert souhaite poser encore une question.

Mme Anne-Lise Deloron. Sur l’intermédiation et le guichet unique, je pense qu’il faudra que nous essayions collectivement de trouver un autre objectif. Il s’agit plutôt de rechercher une perception unique, ou au moins identique, par les concitoyens des sujets de performance énergétique de leur logement. La question du guichet unique sous-entend peut-être une uniformisation des dispositifs sur le territoire. Or j’ai rappelé dans mon intervention liminaire toute la diversité des dispositifs en place sur les territoires – à laquelle s’ajoute la diversité de nos concitoyens. Certains préféreront aller chercher une information sur le site www.faire.fr. D’autres préféreront échanger de visu avec un conseiller. Il faut que nous soyons capables d’apporter des réponses complémentaires à la diversité de cette demande, l’essentiel étant d’obtenir une réponse cohérente quel que soit le canal utilisé.

Par ailleurs, il s’agit de distinguer ce qui relève du service public de l’efficacité énergétique de l’habitat – c’est-à-dire la brique « service public, information, conseil neutre et gratuit » – d’une brique complémentaire qui soit celle de l’ingénierie financière et technique et de l’accompagnement tout au long du projet. Celle-ci fera certainement l’objet de prestations payantes et doit trouver son modèle économique.

En résumé, recherchons une perception identique pour nos concitoyens plutôt qu’un modèle unique imposé aux territoires.

M. Christophe Boucaux. Je voudrais réagir à la question posée par M. Colas-Roy sur le DPE. La question de son opposabilité pose celle de l’objectif visé par ce dispositif. Aujourd’hui, le DPE est la traduction des politiques publiques énergétiques, et pas nécessairement celle de la performance énergétique réelle du bâtiment. Il est intéressant de faire le parallèle avec l’électroménager. On sait, par exemple, qu’un réfrigérateur A coûtera moins cher en énergie qu’un réfrigérateur B.

L’observatoire des charges locatives du logement social a simulé la situation d’un T3 qui supporte 660 euros de charges énergétiques – abonnement, consommation et contrat d’entretien et de maintenance des équipements compris. S’il consomme du gaz en chauffage et en eau chaude sanitaire, il sera plutôt dans le haut de la classe B, tandis que s’il utilise de l’électricité pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire, il sera dans le bas de la classe C. C’est la raison pour laquelle il importe de savoir ce que l’on recherche avec l’opposabilité du DPE. Cherche-t-on à donner aux ménages une indication claire sur la traduction économique de la performance de leur logement, ou cherche-t-on à en faire une traduction qui ne parle pas aux citoyens ? Je ne disconviens pas que les deux sont importantes. Mais si l’on veut en faire un guide de choix pour les ménages, il importe de permettre une lecture concrète et directe de ce que le bâtiment leur coûtera. Cette étiquette DPE est fondamentale, mais la manière de la fabriquer doit considérablement évoluer.

M. Christian Mourougane. À l’ANAH, nous utilisons un dispositif d’évaluation énergétique. En effet, il nous semblait important de montrer un état initial et un état final du logement en fonction des différentes typologies de projets possibles. Cela permet de raisonner en tenant compte de la performance initiale et de la performance finale possible. À cet égard, je rejoins les propos de Christophe Boucaux, qui invitait à raisonner sur la consommation du ménage plutôt que sur des valeurs absolues, qui sont des valeurs d’ingénieur et pas forcément d’usager. Aussi importe-t-il de retenir des notions de valeur d’usage du logement plutôt que des notions de valeur théorique qui ressemblent plus à des valeurs de politique publique.

Par ailleurs, nous distinguons la formation et le conseil apportés par les plateformes de l’accompagnement, qui est une prestation payante à la charge du propriétaire et que nous subventionnons. Nous considérons que cet accompagnement est un élément extrêmement stratégique dans la réussite du programme « Habiter mieux » dans la mesure où il développe d’abord des métiers d’ingénierie d’accompagnement, et notamment la question de la pédagogie vis-à-vis du propriétaire. À une époque, nous avions milité avec l’ADEME pour que le CITE intègre dans sa dépense subventionnable l’accompagnement et l’audit, c’est-à-dire l’évaluation et les outils d’ingénierie. Ceux-ci sont pour nous essentiels pour faciliter l’aide à la décision des propriétaires. Ils peuvent être portés par différents partenaires, qu’il s’agisse des opérateurs d’ingénierie ou d’entreprises RGE.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert. Je vous présente mes excuses pour mon retard. J’aurais voulu être avec vous plus tôt, mais nous avons été retenus dans l’hémicycle. Comme vous le savez, je suis en charge du suivi et de l’animation du plan de rénovation énergétique des bâtiments. C’est donc un sujet que je connais bien, et nous travaillons régulièrement ensemble. Néanmoins, je souhaite vous poser plusieurs questions.

Nous avons parlé des outils qui ont été mis en œuvre dans le cadre de la loi ÉLAN. J’ignore si vous avez abordé la question du carnet numérique des bâtiments. Qu’en attendez-vous ? Que pensez-vous qu’il puisse apporter ? En quoi peut-il favoriser la rénovation énergétique des bâtiments ?

Ensuite, toujours à propos du cadre législatif, pensez-vous que l'incitation à la rénovation est suffisante aujourd’hui ? De nombreux outils permettent une incitation. L’on évoque régulièrement la question de l’interdiction des « passoires thermiques » à la location. Qu’en pensez-vous ? Considérez-vous qu’il faudrait annoncer cette mesure à un horizon de dix ans ? Ce sujet revient régulièrement et j’aurais voulu connaître votre avis.

Par ailleurs, le DPE opposable est une très bonne première étape. J’aimerais savoir ce que vous pensez de l’idée de le transformer, à terme, en audit généralisé. Il s’agirait de passer vers une feuille de route davantage que vers un diagnostic, afin que les ménages aient la vision des étapes à passer jusqu’à l’objectif commun de zéro carbone et zéro énergie dans les bâtiments en 2050.

Vous avez parlé du service public de l’efficacité énergétique de l’habitat. Là encore, ce sujet mériterait d’être renforcé. Qu’en pensez-vous ? Cela pose la question de la place des territoires dans la rénovation énergétique des bâtiments. Il me semble que c’est actuellement l’une des faiblesses du plan de rénovation énergétique. Nous ne sommes pas suffisamment proches des initiatives de terrain. Or ce sont elles qu’il faut arriver à encourager et à massifier, plutôt qu’une vision verticale.

Se pose aussi la question de la stabilité des offres et des outils d’aide à la rénovation. Cette stabilité permettrait aux professionnels de s’en saisir pour créer à long terme des offres de massification. Quelles sont les offres que vous auriez besoin de voir stabilisées aujourd’hui ?

Je considère que le CEE subventionne trop la mesure, et pas suffisamment l’efficacité réelle. L’histoire des combles à un euro en est une bonne preuve. Faut-il arriver à un système dans lequel on finit par gagner de l’argent avec le CEE ? Ou bien la gratuité pour le ménage est-elle suffisante ? Faut-il avoir, en plus, une marge supplémentaire ? C’est une vraie question. Je pense qu’une plus grande agilité est nécessaire.

M. Adrien Morenas, président. Chère collègue, je vous demande de conclure votre intervention.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert. J’ai un tout dernier point, concernant l’accès aux travaux pour les précaires. N’aurions-nous pas intérêt à réfléchir tous ensemble à une filière plus directe pour les ménages les plus précaires qui, aujourd’hui, ne figurent pas dans les clients des professionnels du bâtiment parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer les travaux ? N’aurait-on pas intérêt à trouver une filière plus directe, sachant que le prix en sortie d’usine est parfois multiplié par cinq pour le client, y compris précaire. N’aurait-on pas intérêt à trouver une ligne plus directe pour ce public-là, peut-être portée par l’ANAH ?

M. Christophe Boucaux. Je pense que l’interdiction de la location des « passoires énergétiques » est une très mauvaise idée, pour les raisons que j’ai évoquées : la manière dont on gradue une passoire énergétique ne témoigne pas de la performance économique des logements. Cette piste me semble donc très hasardeuse au moment où les besoins en logements s’expriment dans de nombreux territoires. Le secteur HLM a la contrainte de ne pas pouvoir vendre les logements HLM qui sont en étiquette F ou G. Pourtant, nous sommes des professionnels de l’immobilier et nous avons des stratégies patrimoniales. Ce qui peut s’imposer à un moment pour la vente du patrimoine HLM ne doit en aucune manière, de notre point de vue, s’appliquer à la location – notamment dans les territoires où la demande n’est absolument pas comblée par l’offre.

Je ne suis pas compétent pour répondre sur le carnet numérique de suivi d’entretien, si ce n’est pour dire que cette mesure semble superfétatoire pour le monde HLM. En effet, nous disposons déjà d’outils qui nous permettent de gérer et de suivre notre patrimoine. L’information aux locataires fait déjà l’objet de nombreuses initiatives des organismes HLM. Le fait que la loi fixe un vecteur d’information plutôt qu’une obligation d’information me paraît également assez étrange.

Concernant les CEE, le sujet est extrêmement sérieux. Aujourd’hui, ils peuvent représenter 7 % du montant investi par les organismes HLM dans le cadre de leurs travaux de rénovation globale. C’est structurellement très important.

Mme Anne-Lise Deloron. Vous nous interrogez sur le carnet numérique et sur l’audit énergétique qui viserait, au-delà du DPE, à permettre une programmation des travaux. J’aurais tendance à dire que ce sujet ressemble à ce que nous avions appelé en son temps le passeport rénovation, qui est à l’œuvre dans quelques territoires. Clarifions les outils ! Lorsque l’on remet le citoyen et l’usager au cœur du système, la différence entre le carnet numérique, l’audit énergétique approfondi et le passeport rénovation n’est pas claire. C’est déjà complexe pour nous tous ici, qui sommes des initiés. Essayons de choisir parmi ces outils.

En outre, je regrette que la généralisation du carnet numérique ait été reportée assez loin dans le temps – même si j’entends les propos de Christophe Boucaux. Il est certain qu’il peut se déployer par la pratique. Partons de la dizaine d’expérimentations qui a été menée ces dix-huit derniers mois pour que, dans la traduction réglementaire de l’outil, l’on fasse un simple creuset assez général et que l’on laisse les multiples initiatives assez satisfaisantes qui se sont déployées vivre leur vie. Bref, ne bridons pas trop les initiatives privées, qui ont déjà montré leur grande qualité.

Concernant la place des territoires, je ne peux qu’encourager ce que vous dites et confirmer que ce point n’a pas été suffisamment travaillé. Faisons encore davantage remonter tout ce qui existe sur le territoire, parce qu’il y a des très bonnes choses. Essayons de mieux faire parler ensemble les ambitions nationales et les réalisations des territoires.

J’imagine que Christian Morougane répondra plus particulièrement à la question de l’accès aux travaux des plus précaires. Je signale simplement à la représentation nationale qu’au titre du Plan bâtiment durable nous travaillons à des rapprochements entre industriels de la filière des travaux de rénovation énergétique pour que certains puissent développer ensemble des offres solidaires sur des volumes restreints d’offre. En trouvant les partenariats entre des professionnels qui accepteraient de mettre en œuvre ces offres et des industriels, il faudrait que nous parvenions à des coûts maîtrisés qui seraient complémentaires de l’accompagnement que l’ANAH développe à l’égard des ménages les plus fragiles.

M. Christian Mourougane. Concernant les ménages précaires, nous tentons actuellement des expérimentations en partenariat avec des plateformes de négoce de matériaux comme Leroy-Merlin ou Saint-Gobain. L’objectif est de trouver des mécanismes qui permettent à ces dernières de proposer des méthodes d’achat solidaires. Nous expérimentons également le recours à des entreprises agréées RGE – qui permettrait de mesurer la qualité de la pose. Ces expérimentations sont notamment en cours dans la région Pays-de-la-Loire.

Concernant les CEE, je souhaite attirer l’attention de la représentation nationale sur le fait que, pour moi, il s’agit d’un outil. Nous l’utilisons d’ailleurs à l’ANAH. Il représente 10 % de nos recettes à peu près chaque année. C’est un outil extrêmement intéressant et intelligent de partenariat public-privé (PPP). Il ne faut pas regarder sa seule valorisation économique, mais aussi tous les partenariats qu’il permet de nouer entre les acteurs privés qui sont les financeurs de ce dispositif et les acteurs publics qui sont porteurs de politiques publiques et qui utilisent les CEE pour améliorer la qualité de service qu’ils apportent aux usagers.

Les combles à un euro ont effectivement un effet pervers. D’autres dispositifs peuvent probablement être ajustés et critiqués. Je pense aussi que, dans la réflexion sur la valorisation de la performance, certaines méthodes de calcul doivent être retravaillées. Il me semble important de faire la pédagogie de ce qu’est un CEE, notamment vis-à-vis des usagers. Ceux-ci ne voient pas nécessairement la valorisation de cette aide dans les devis et les factures. Il y a donc sans doute quelque chose à construire pour que l’usager soit aussi partie prenante de ce dispositif de CEE et qu’il puisse comparer le gain qu’il peut attendre en fonction des solutions.

Enfin, je fais mienne la réponse de Christophe Boucaux sur les passoires énergétiques. Je pense que l’interdiction de louer serait extrêmement prématurée et qu’il faut lui préférer une incitation des propriétaires-bailleurs grâce à un dispositif fiscal très particulier : si, malgré la pérennisation de ce dispositif fiscal, on constate qu’un trop grand nombre de propriétaires de « passoires » n’ont pas réagi à la menace de l’interdiction de louer, alors il conviendra de reconsidérer les politiques de l’habitat, notamment dans les zones en tension. À défaut, on risquerait d’obtenir des effets pervers, y compris sur le marché locatif privé. Ou alors, cela signifierait que les aides publiques d’incitation devront être massifiées – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans le parc locatif privé. Il faut donc trouver un équilibre.

M. Pascal Roger. Nous évoquions tout à l’heure la difficulté de comprendre ce qu’est un DPE. En fait, nous constatons que beaucoup de personnes ne connaissent pas leur consommation. Dès lors, le carnet numérique devrait être conçu comme un outil très simple, avec les mesures des consommations historiques et quelques informations sur le bâtiment et la zone géographique. Il permettrait ainsi de comparer sa consommation avec celle de bâtiments qui présentent les mêmes caractéristiques, donc d’évaluer le potentiel d’économies de son bâtiment. En l’occurrence, les bâtiments les plus consommateurs sont ceux qui présentent le plus gros potentiel d’économies au moindre coût.

Pour beaucoup, la véritable incitation à se lancer dans une opération d’économie d’énergie n’est pas la perspective d’amélioration du confort ou du patrimoine : c’est une économie tout simplement monétaire. Nous devons donc calibrer nos offres pour garantir que la facture énergétique sera légèrement diminuée – a fortiori dans un contexte d’augmentation du coût de l’énergie. Le CEE est un très bon système. Il faut simplement le piloter en fonction des résultats. Il ne suffit pas de regarder les mégawattheures théoriques, les mégawattheures « cumulés actualisés », également appelés « cumac » : il faut aussi regarder les mégawattheures réels. En l’occurrence, il serait intéressant de mesurer la performance énergétique réelle des CEE et d’identifier les opérations qui fonctionnent, celles qui ont besoin d’être plus aidées et celles qui ont moins besoin de l’être.

C’est un changement de paradigme, et l’administration n’est pas nécessairement outillée en conséquence. Aussi faudrait-il imaginer de nouveaux moyens. En tout cas, il existe une somme d’argent tout à fait considérable qui, si elle était bien utilisée, générerait demain des économies qui permettraient de financer d’autres opérations. Nous appelons de nos vœux l’entrée dans ce cercle vertueux, en franchissant progressivement les étapes. Le seul reproche que je ferai à la loi ÉLAN est d’avoir fixé un objectif de 40 % en 2030. C’est un objectif cash out. Les gens attendront le plus tard possible pour l’atteindre, à condition que les pénalités soient très élevées qui plus est. Je pense qu’il y a une place pour lancer une démarche vertueuse et spontanée de la part des acteurs concernés.

M. Stéphane Sajoux. Je voudrais, pour finir, souligner l’importance de l’audit, puisqu’il s’agit de qualifier la pertinence des travaux à mettre en œuvre. Par ailleurs, il importe de le prioriser et de l’étaler dans le temps. Il ne suffit pas de se contenter d’une photographie ou d’un diagnostic à un moment donné. Il faut aller plus loin, au travers de l’audit. La FFB dispose d’outils, notamment un logiciel qui permet de déterminer les bouquets de travaux. Nous dispensons également des formations dans cette optique, afin de se projeter dans le temps avec la meilleure pertinence et de s’acheminer vers un résultat.

Je partage aussi l’idée selon laquelle il convient de renforcer l’offre d’accompagnement, de la rendre lisible et de la stabiliser. Le parc à renouveler à court terme est important.

M. Adrien Morenas, président. Je remercie l’ensemble des intervenants pour cette audition très intéressante. Je vous rappelle qu’à compter du mois de janvier, une page sera ouverte sur le site de l’Assemblée nationale, sur laquelle vous pourrez apporter vos contributions. Cette consultation nationale sera prise en compte dans notre rapport.

Merci pour ce débat très riche.

L’audition s’achève à douze heures quinze.


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12.   Mardi 11 décembre 2018 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’énergie solaire et photovoltaïque :
– M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, direction générale de l’Énergie et du climat, au ministère de la Transition écologique et solidaire ;
– M. Dominique Jamme, directeur général adjoint de la Commission de régulation de l’énergie, Mme Domitille Bonnefoi, directrice des réseaux ;
– M Daniel Bour, président d’Énerplan et M. David Gréau, responsable des relations institutionnelles ;
– M. Guilhem Fenieys, chargé de mission relations institutionnelles d’UFC-Que choisir et M. Matthieu Robin, chargé de mission secteur financier ;
– M. Daniel Lincot, directeur scientifique de l’Institut photovoltaïque d’Île‑de‑France.

L’audition débute à dix-sept heures quinze.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, merci d’avoir répondu à notre invitation à participer à la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique, que nous avons séquencée en plusieurs thématiques.

Nous avons déjà mené une série d’auditions sur les biocarburants et les énergies alternatives à la mobilité, puis deux tables rondes sur le secteur du bâtiment. Après un propos introductif du rapporteur Bruno Duvergé, vous aurez la parole pour présenter, en cinq à sept minutes chacun, vos positions, les freins que vous avez identifiés, les solutions à apporter, ou tout au moins les pistes de réflexion que nous pourrions explorer. S’ensuivra un échange avec les parlementaires présents.

Cette table ronde est, bien entendu, enregistrée et filmée, disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale, et fera l’objet d’un compte rendu écrit.

Nous accueillons donc M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire ; M. Daniel Lincot, directeur scientifique de l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France, que nous remercions d’ailleurs pour nous avoir transmis l’article intitulé « Où en est la conversion photovoltaïque de l’énergie solaire ? » ; M. Dominique Jamme, directeur général adjoint de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), et Mme Domitille Bonnefoi, directrice des réseaux ; M. Daniel Bour, président d’Énerplan, et M. David Gréau, responsable des relations institutionnelles ; enfin, M. Guilhem Fenieys, chargé de mission pour les relations institutionnelles d’UFC-Que choisir et M. Matthieu Robin, chargé de mission pour les banques et assurances.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci d’être présents ce soir pour cette table ronde de la mission d’information sur les freins à la transition énergétique, qui travaille autour de sept thèmes : premièrement, la vision que l’on peut donner à nos concitoyens sur le monde de demain, en termes de nouveaux mix de production énergétique ou de consommation d’énergie ; deuxièmement, la production d’énergie, filière par filière– notre table ronde d’aujourd’hui portant sur l’énergie solaire et photovoltaïque ; troisièmement, les mobilités, qui feront usage des nouvelles énergies ; quatrièmement, les économies d’énergie, notamment dans le bâtiment, qu’il soit privé, public, tertiaire ou industriel ; cinquièmement, la façon dont les grands groupes de l’énergie se voient dans dix, vingt ou trente ans, autrement dit comment ils vont se transformer ; sixièmement, comment les territoires s’approprieront ces nouvelles énergies ; septièmement, comment imaginer la fiscalité de demain, à court ou à long terme, sachant que la fiscalité actuelle est très axée sur le pétrole – le sujet est d’actualité.

Enfin, je pense qu’il faudrait également mentionner la mise en place d’une consultation en ligne à partir du mois de janvier.

M. le président Julien Dive. En effet. Comme on le constate aujourd’hui, les Français ont le désir de s’exprimer. L’Assemblée nationale a épousé cette tendance depuis un bon moment et met en place, sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, une consultation en ligne qui sera accessible sur son site en janvier-février 2019 – nous vous enverrons le lien. Ainsi, tout citoyen, tout professionnel, tout acteur associatif qui s’intéresse aux freins à la transition énergétique, ou de manière plus globale à la transition énergétique dans notre pays, pourra participer à sa manière au débat.

Le laps de temps imparti à une telle mission – une année – limite le nombre d’auditions. Voilà pourquoi nous avons innové avec cette consultation en ligne, qui viendra enrichir le rapport qui sera rendu d’ici l’été prochain.

M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous présenterai en quelques mots introductifs la position de mon ministère et les actions que nous avons mises en œuvre pour identifier les freins à la transition énergétique, et les manières de les lever.

Le ministère de la transition écologique et solidaire soutient la filière du solaire photovoltaïque, et affiche en la matière une ambition particulière pour réussir la transition énergétique française. Ainsi, fin septembre 2018, la puissance du parc solaire photovoltaïque était de 8,8 gigawatts. Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui constitue la feuille de route du Gouvernement et qui a été présenté très récemment par le Président de la République, vise 20,6 gigawatts en 2023, et 35,6 à 45,4 gigawatts en 2028. Très concrètement, il s’agit de multiplier par quatre les capacités installées en dix ans. Pour le Gouvernement, cela implique de passer d’un rythme actuel de développement de l’ordre d’un gigawatt par an, à 3 ou 4 gigawatts par an dès 2023. La place de cette filière devrait donc augmenter de manière considérable.

Dans le cadre de la PPE, certains éléments, qui n’ont pas encore été rendus publics, devraient l’être prochainement. En effet, un calendrier d’appels d’offres sera fixé pour les différentes filières, permettant aux acteurs de disposer de visibilité sur plusieurs années s’agissant des appels d’offres, et des volumes qui seront ouverts par le ministère.

Pour atteindre ces objectifs, « remplir » ces appels d’offres et s’assurer des volumes suffisants, on essaie depuis un certain temps de repérer les freins et de les lever. Tel était l’objectif de la mission confiée au groupe de travail lancé en mai 2018 et piloté par M. Sébastien Lecornu, alors secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire. Deux mois plus tard, en juillet 2018, le Gouvernement lancera la démarche « Place au soleil », pour mobiliser tous les acteurs du photovoltaïque et du solaire thermique en France. Dans ce cadre, une quarantaine de mesures ont été identifiées, un plan d’action a été fixé pour chacune de ces mesures, qui sont en cours de déploiement.

Aujourd’hui, à ce stade, nous avons notre feuille de route. Mais bien évidemment, cela n’épuise pas le sujet. La nouvelle secrétaire d’État, Mme Emmanuelle Wargon, a annoncé son intention de réunir à nouveau ce groupe de travail pour poursuivre la dynamique qui avait été enclenchée par M. Lecornu. De nouvelles réunions sont prévues pour le début de l’année 2019. Y seront abordés des sujets majeurs, prioritaires, notamment celui de l’autoconsommation, où des blocages persistent.

En résumé, on dispose aujourd’hui d’un cadre qui commence à se cristalliser autour de la PPE, qui fixera une ambition pour les dix prochaines années, et qui donnera davantage de précisions pour les trois ou quatre premières années, avec un calendrier pluriannuel des appels d’offres. Des groupes de travail rassemblant tous les acteurs se réunissent périodiquement pour identifier les freins et des plans d’action.

M. Dominique Jamme, directeur général adjoint de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, merci d’avoir convié la CRE à participer à cette mission d’information sur les freins à la transition énergétique. Je précise que je suis accompagné par Mme Domitille Bonnefoi, qui est directrice des réseaux.

Comme vous le savez, la CRE est toujours à la disposition des députés et des sénateurs pour les éclairer dans le cadre de leurs travaux parlementaires. Cette mission sur les freins à la transition énergétique est essentielle. Si on veut réussir la transition énergétique de notre pays, il faut identifier les obstacles, mettre tous les éléments sur la table. Cela relève du bon sens. Nous sommes à l’heure des choix. Nous devons faire évoluer notre économie et notre société si nous souhaitons que les générations futures vivent dans un monde plus décarboné et plus propre.

Mais j’en viens au sujet qui nous réunit : le photovoltaïque et le solaire. Je commencerai par rappeler les missions de la CRE dans ce domaine.

La CRE évalue et calcule les charges de service public liées au soutien aux énergies renouvelables. Elle met en œuvre des appels d’offres en énergies renouvelables qui sont déjà très nombreux, très fréquents, de grande ampleur, et dont la taille et le nombre vont augmenter dans les prochaines années. Par ailleurs, la CRE fixe les tarifs d’utilisation des réseaux, ce qui est important et règle les différends relatifs à l’accès aux réseaux qui peuvent éclater, par exemple entre les producteurs d’énergie et les gestionnaires de réseaux.

M. Reizine, de la DGEC, vient de parler du développement du photovoltaïque et de la mise en œuvre de la politique énergétique. Je ne reviendrai pas dessus. Mes propos porteront plutôt sur ce que fait la CRE, s’agissant notamment du nouveau mode de production et de consommation qu’est l’autoconsommation. Quand on parle de photovoltaïque, on parle d’autoconsommation. Certes, on peut autoconsommer d’autres énergies que le photovoltaïque, mais le développement récent, anticipé et futur de l’autoconsommation se fera majoritairement avec du photovoltaïque.

Je traiterai donc de l’autoconsommation, puis du photovoltaïque lui-même.

Globalement, la CRE plaide pour une clarification des règles qui encadrent l’autoconsommation. Ce souci de clarification, qui profitera à tous, ne doit pas être interprété comme une réticence envers l’autoconsommation et son développement. L’autoconsommation est à la fois inéluctable et souhaitable. Pour autant, selon nous, il y a des précautions à prendre : d’abord, il faut assurer le financement des réseaux, et donc éviter que l’autoconsommation ne le mette en péril ; ensuite, il faut préserver l’équité territoriale, et donc la solidarité entre les différents territoires.

L’autoconsommation démarre vraiment avec l’ordonnance de 2016, ce qui est relativement récent. Cette ordonnance a notamment défini l’autoconsommation collective, qui permet à des consommateurs et des producteurs situés à proximité les uns des autres d’échanger de l’énergie au niveau local. On a ainsi pu mettre en place des projets qui, auparavant, ne pouvaient pas l’être. La conséquence en a été l’augmentation significative des autoconsommateurs, qui sont aujourd’hui plus de 30 000. C’est très peu, rapporté aux 37 millions de consommateurs d’électricité, mais c’est la dynamique qui importe : aujourd’hui, les trois quarts des demandes de raccordement de producteurs d’énergie photovoltaïque sont liées à l’autoconsommation. La CRE s’en réjouit, mais considère qu’il faut développer l’autoconsommation en synergie avec le système électrique, c’est-à-dire l’encourager là où elle présente de l’intérêt.

Nous nous sommes saisis de ces thématiques à partir de l’année 2017. Il faut dire que l’ordonnance avait demandé à la CRE de mettre en place un tarif de réseau spécifique pour l’autoconsommation. Celle-ci a procédé à une large concertation – tables rondes, auditions, consultations publiques, etc. – sur trois sujets : la simplification du cadre technique et contractuel appliqué aux autoconsommateurs afin de lever les freins non justifiés ; le tarif de réseau, dans la mesure où c’est sa mission principale ; des recommandations à l’adresse des pouvoirs publics sur des dispositifs de soutien équilibrés prenant en compte la diversité des situations et la maîtrise de la dépense publique.

Je ne vais pas entrer dans le détail des recommandations faites au niveau technique et contractuel. Je dirai seulement que l’on a demandé aux opérateurs de réseau de simplifier le système. En effet, la situation d’un autoconsommateur est délicate, puisqu’il est à la fois consommateur et producteur. Contrairement à un consommateur particulier, il est confronté à une double complexité, tarifaire et contractuelle.

Les opérateurs de réseau ont donc été invités à mettre en place un contrat unique pour les autoconsommateurs, ainsi qu’une plateforme dématérialisée et simplifiée par déclaration des installations, et à faire évoluer la réglementation technique de référence. Le travail est en cours. Cela peut paraître un peu compliqué, mais la vie des autoconsommateurs, en particulier des résidentiels, en sera facilitée.

J’en viens au tarif de réseau des autoconsommateurs. Je rappelle que les tarifs de réseaux doivent refléter les coûts générés par les différents utilisateurs des réseaux, et qu’ils doivent être non discriminatoires et incitatifs. Ces principes s’appliquent à toutes les consommations de manière générale, qu’elles soient individuelles ou collectives.

Comme le temps file, je vais passer rapidement à l’autoconsommation collective qui est le point sur laquelle la CRE a introduit une option tarifaire spéciale, fondée sur la distinction entre les flux locaux, c’est-à-dire ceux qui sont effectivement autoconsommés, et ceux qui ne le sont pas.

Retenez que notre objectif a été d’inciter les autoconsommateurs à autoconsommer. Si vous êtes en autoconsommation réelle, vous bénéficiez d’une réduction du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). Si vous ne l’êtes pas, vous ne bénéficiez pas de cette réduction, mais vous pouvoir toujours conserver le TURPE « normal ». Donc, si vous n’arrivez pas à autoconsommer – cela peut arriver si vous consommez en soirée et que vos panneaux produisent pendant la journée – vous n’y perdez pas. L’idée est que pour bénéficier de ce tarif et réduire son coût de réseau, il ne suffit pas de se déclarer autoconsommateur, il faut effectivement autoconsommer, ce qui signifie, dans la pratique, consommer en même temps qu’on produit.

Restent les mécanismes de soutien à l’autoconsommation. La position de la CRE, ou plutôt l’une de ses recommandations, a pu être interprétée comme « anti-autoconsommation ». Il ne faut pas le voir ainsi. La commission a recommandé, on ne va pas s’en cacher, de restreindre l’exonération de contribution au service public de l’électricité (CSPE) aux petits consommateurs, par exemple résidentiels – et le seuil est à fixer. Mais il y a une vraie raison à cela : l’exonération de CSPE ne peut pas être garantie dans la durée.

Quand vous êtes une entreprise et que vous souhaitez accéder à une autoconsommation un peu industrielle, d’un niveau élevé, et donc investir des millions d’euros dans les panneaux photovoltaïques, il vous faut faire un business plan. Or vous pouvez compter sur l’exonération de taxe pendant un an, deux ans, trois ans, mais pas sur vingt ans.

Il me semble qu’il vaudrait mieux clarifier la situation en remplaçant, par exemple, cette exonération de taxe par un soutien direct qui serait garanti au moment de la prise de décision, que de laisser les entreprises faire des business plans marqués par l’incertitude. Rien ne dit en effet que demain, dans un an, dans trois ans, dans cinq ans, lorsque l’autoconsommation se développera de façon massive, les pouvoirs publics ne vont pas supprimer cette exonération de CSPE. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la recommandation de la CRE.

Je terminerai sur le dispositif de soutien au solaire photovoltaïque lui-même. La CRE, chaque fois qu’elle travaille sur un appel d’offres, fait des recommandations au Gouvernement en la matière. Nous ne sommes pas critiques, et nous considérons que ce dispositif fonctionne plutôt bien. Il y a des appels d’offres à partir de 100 kilowatts et, jusqu’à présent, nos recommandations ont été en général prises en compte par l’administration.

La seule chose que nous pourrions conseiller, c’est de faire en sorte que le rythme de développement des appels d’offres soit toujours cohérent avec la capacité industrielle à développer. Si on lance de très nombreux appels d’offres sans qu’il y ait une offre en face, la pression concurrentielle risque de baisser, les prix de remonter, et cela coûtera plus cher en charges de service public. Mais hormis cette recommandation générale, nous considérons que le soutien public au photovoltaïque est bien organisé.

M. Daniel Bour, président d’Énerplan. Monsieur le président, mesdames et messieurs, Énerplan est le syndicat des professionnels de l’énergie solaire. J’ai la chance de parler après deux interventions importantes, celle du ministère et celle de la CRE, et donc de pouvoir y réagir en apportant le point de vue des professionnels.

En tant que professionnels, la PPE annoncée nous convient parfaitement. Pour être plus précis, c’est celle que nous avions recommandée, et que nous retrouvons totalement dans ces chiffres. De fait, nous nous sentons capables de passer en quelques années d’une production de 1 gigawatt par an à 4 gigawatts par an, ce qui constitue tout de même un beau pari.

Il y a les professionnels, les terrains et les toitures pour le faire. Mais avons-nous les moyens de cette accélération ? Avons-nous levé tous les obstacles ? Nous manquons d’éléments. Il nous faut, notamment, une feuille de route beaucoup plus précise.

La première question qui se pose est liée à la répartition du photovoltaïque. Le photovoltaïque est multiforme. On parle aussi bien de la petite installation qui devrait être quasiment systématiquement en autoconsommation, que des très grandes centrales au sol. Ce ne sont pas les mêmes acteurs, ce n’est pas la même économie. Il faut bien les différencier. C’est pourquoi il est très important pour nous que l’on définisse clairement les objectifs, qu’il s’agisse du solaire au sol, des toitures ou de l’autoconsommation.

Nous partageons totalement le point de vue qui a été développé sur l’autoconsommation, qui est certainement un mode de production d’avenir. Progressivement, tout ce qui se fait aujourd’hui en résidentiel passera en autoconsommation, comme c’est déjà le cas dans un certain nombre de pays. Progressivement, même ce qui peut se faire en toiture passera en autoconsommation, soit directement, soit dans le voisinage au niveau du territoire. Il faut garder cette évolution en tête car elle est fondamentale.

Mais si nous parlons beaucoup de l’autoconsommation, elle ne représente pourtant absolument rien en France : 0,001 % de la production ! Il y a 35 000 installations en France, ce qui est tout à fait ridicule. Certes, passer de zéro à un représente une énorme progression, mais, en réalité, nous sommes très en retard par rapport aux autres pays européens. La Belgique compte 380 000 installations ; l’Italie, 630 000 ; le Royaume-Uni, 700 000 ; l’Allemagne, 1,5 million. Nous sommes les champions pour parler de l’autoconsommation, alors même qu’elle ne fonctionne pas. Les professionnels ne s’y intéressent d’ailleurs plus, dans un contexte systématique de blocage des dossiers

Si l’autoconsommation plaît à beaucoup et constitue un sujet très politique, actuellement elle n’est pas possible en France. Pour produire 0,5 kilowattheure, soit absolument rien, il faut jusqu’à six mois à un particulier pour obtenir une autorisation, après avoir rempli un énorme fascicule. L’autoconsommation est très clairement bloquée en France. En 2028, normalement, elle devrait représenter 4 ou 5 gigawattheures. Mais, tels que nous sommes partis, je ne suis pas sûr du tout que nous y parvenions.

Pour les centrales au sol, on peut identifier un deuxième grand frein, spécifique à la France : le permitting, soit tout ce qui relève des permis et des autorisations des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). La construction des centrales solaires se fait en priorité sur des terrains artificialisés. Si nous partageons cette orientation, qui est logique en termes d’aménagement du territoire, il faut voir que ces terrains sont très souvent compliqués et qu’il est très difficile d’y obtenir le permitting. La situation est donc un peu schizophrénique, puisque nous sommes incités à construire dans des endroits où les dossiers sont difficilement validés. .

Qui plus est, pour obtenir le permis de construire d’une centrale solaire, il faut passer par quinze voire dix-sept commissions, sachant que, d’une commission à l’autre, il n’est pas rare que l’on nous demande exactement les mêmes informations. Il faut absolument remettre de l’ordre dans cette situation. Nous comptons beaucoup sur le Parlement pour nous aider à faire comprendre ce qu’il en est. Dans la mesure où cela relève de l’interministériel, mais également de directions différentes au sein d’un même ministère, les contacts ne sont pas toujours faciles. Si nous voulons atteindre nos objectifs, il est urgent de remettre de l’ordre dans ce permis et de revenir à un objectif simple : un dossier déposé doit mettre moins d’un an pour être validé, quand, actuellement, il faut entre dix-huit mois et deux ans, si ce n’est trois. C’est un écueil fondamental. Sans nettoyage du permis, les installations au sol sont compromises. Nous ne remettons pas en cause les services de l’État. C’est le manque de dialogue entre les différentes commissions qui est à l’origine de cet étonnant maelström.

Un troisième frein concerne plus particulièrement le monde agricole. J’ai entendu mon collègue de la CRE dire qu’ils étaient satisfaits du système actuel de soutien. Il fonctionne, de fait, plutôt bien. Cela étant, alors que le secteur agricole était très dynamique avant le moratoire, dans la mesure où il représentait, en puissance, jusqu’à 20 % du raccordement des centrales solaires entre 100 et 500 kilowatts, il n’en représente plus que 5 % à peine. Une anomalie inexplicable a brisé cet élan. De fait, alors que l’Europe demande que les appels d’offres commencent à 1 mégawatt, en France, ils commencent à 100 kilowatts, soit pour des centrales dont le chiffre d’affaires se situe entre 10 000 et 15 000 euros par an. Il faut environ un an pour boucler un projet d’appel d’offres, avec tous les aléas et toutes les incertitudes que cela suppose pour le propriétaire. En conséquence, le secteur ne marche pas. C’est un grand motif de mécontentement du monde agricole. Les bâtiments agricoles se retrouvent orphelins.

Nous demandons très vivement la suppression du seuil de 100 kilowatts et la définition d’un nouveau seuil à 500 kilowatts. La situation actuelle est un non-sens économique, du fait du surcoût lié à l’appel d’offres. Cela permettra au secteur de se redévelopper et au monde agricole de développer un système dont il a besoin. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il existe une si grande différence entre l’éolien, où la limite du guichet ouvert se situe à 18 mégawatts, et le photovoltaïque, où elle est à 100 kilowatts ! Cette anomalie est inexplicable.

Pour conclure rapidement, sachez qu’il existe d’autres sujets : la fiscalité et, plus particulièrement, le problème de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) ; la définition des acteurs qui devront supporter l’augmentation du réseau dans les régions. Ces questions se poseront dans les années à venir, certainement avant la fin de la PPE.

M. Daniel Lincot, directeur scientifique de l’Institut photovoltaïque d’ÎledeFrance. Je vous remercie pour votre invitation. Je suis directeur scientifique de l’Institut photovoltaïque d’Île‑de‑France (IPVF), créé dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA), en particulier dans le programme concernant les instituts pour la transition énergétique. Nous nous consacrons depuis 2013 au photovoltaïque. L’ADN de l’IPVF est de chercher à faire le lien entre la recherche fondamentale et les développements industriels, ainsi que d’accélérer le transfert de la recherche fondamentale vers l’industrie. Pour ce faire, nous avons créé une structure intéressante, en ce qu’elle réunit des acteurs académiques – le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l’École polytechnique –, de grands acteurs industriels – EDF, Total et Air Liquide –, ainsi que d’autres acteurs plus liés à la chaîne de valeur – Riber et Horiba Jobin Yvon.

Au niveau mondial, la conversion au photovoltaïque est en pleine accélération. Aussi, comment relâcher en France et en Europe ces freins qui sont lâchés au niveau international ? Nous sommes passés d’un coût de 359 dollars par mégawattheure en 2009, ce qui rendait inenvisageable un développement compétitif sans subvention, à un coût de 43 dollars du mégawattheure en 2018, selon Lazard, groupe de conseil financier et de gestion d’actifs. Les appels d’offres en France et en Allemagne commencent à être compétitifs, sans subventions. C’est un changement profond de paradigme, pour ne pas dire une révolution dans le domaine.

Cette évolution est destinée à se poursuivre, et probablement à s’accentuer encore. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) imagine 350 gigawatts installés par an en 2027, quand nous en étions à 100 gigawatts en 2017. Le marché est très important.

Quels sont les moteurs et les freins ? Les technologies sont matures depuis très longtemps – les satellites en sont la preuve. Du point de vue de la recherche, les progrès ont été constants. Ceux qui concernent les modules sont d’ailleurs impressionnants. L’élément majeur déclenchant a été la transition énergétique et le soutien volontariste des États suivis par l’opinion publique, en particulier au Japon, en Allemagne et en France, avec le Grenelle de l’environnement et la PPE. Nous nous demandons à l’IPVF comment rapprocher une recherche d’excellence du monde industriel, problème qui se pose dans tous les pays. Comment faire en sorte que les découvertes de la recherche amont se concrétisent dans l’industrie ? C’est pourquoi il est important d’associer des acteurs d’horizons différents en un même lieu.

Le contexte est extrêmement favorable à l’innovation technologique et scientifique. Les cellules photovoltaïques et les modules ont un énorme potentiel de croissance en matière de rendement. Si les technologies actuelles atteignent des rendements très intéressants, autour de 26 %, nous imaginons qu’elles pourront aller largement au-delà. L’IPVF s’est positionné sur les ruptures technologiques qui permettront de préparer et de construire l’industrie de demain. Lors de la COP21, en 2015, nous avons déposé une feuille de route baptisée « 30-30-30 », afin de parvenir en 2030 à 30 % de rendement pour les modules et 30 centimes de dollars ou d’euros par watt. Les études que nous avons menées montrent que deux ruptures seront nécessaires pour atteindre cet objectif. Il faudra une vraie rupture scientifique et technologique, les 30 % de rendement ne se trouvant pas sous le sabot d’un cheval. Qui plus est, fixer un montant de 30 centimes tout en augmentant le rendement, c’est définir un coût compatible avec un développement massif du photovoltaïque. Les représentants des grands instituts mondiaux dans le domaine ont soutenu notre intention.

Il faut également voir que le photovoltaïque s’étend et qu’il n’existe pas qu’un seul mainstream. Il se développe partout et de différentes façons, à l’image du photovoltaïque léger voire ultraléger, ou du photovoltaïque autonome. Le fait de maîtriser les technologies du moteur permet de diversifier les applications. Le travail de l’IPVF porte sur les technologies de rupture et les recherches fondamentales, mais consiste également à identifier les débouchés de ces technologies sur les marchés. Les grands industriels de l’énergie nous aident beaucoup à positionner les valeurs.

Nous voulons aussi développer, grâce à la technologie tandem, des cellules hybridées, des cellules multi-jonctions, qui pourraient offrir jusqu’à 42 % de rendement. Cette hybridation ne casse pas la dynamique de l’industrie actuelle, mais s’appuie bien dessus.

Enfin, je tiens à rappeler l’importance des collaborations internationales. La recherche tient une grande place dans le photovoltaïque. Elle doit faire partie intégrante de la chaîne de valeur. Il est très important de réunir des chercheurs d’excellence et d’être capables de fédérer et de susciter une attractivité sur le plan de la recherche, dans la mesure où une bonne partie des développements à venir seront basés sur des découvertes qui émergent dans les laboratoires aujourd’hui. La recherche, comme la transition énergétique, doit être internationale.

M. Guilhem Fenieys, chargé de mission pour les relations institutionnelles de l’UFC-Que choisir. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie d’accueillir l’UFC-Que Choisir dans le cadre de cette mission d’information, dont nous saluons la tenue. En tant qu’association de consommateurs, l’UFC-Que choisir s’inscrit dans cet objectif d’une société plus juste et plus durable, dans laquelle la transition énergétique deviendrait une réalité.

Notre position nous a permis d’identifier les freins à la transition énergétique au regard des litiges existants. L’un de ces litiges, dont le montant a été évalué à plus de 17 millions d’euros sur une année, est celui du démarchage effectué dans le cadre de travaux de rénovation énergétique. Il faut impérativement responsabiliser l’ensemble des acteurs, aussi bien les artisans et les conducteurs de travaux que les acteurs du secteur bancaire et assurantiel, afin de rétablir la confiance des consommateurs et de lever ce que nous avons identifié comme un frein à la transition énergétique.

M. Matthieu Robin, chargé de mission pour les banques et assurances de l’UFC-Que choisir. Nous avons effectivement réalisé une étude, parue au début de 2017, sur le démarchage dans la rénovation énergétique, qui fait l’objet d’un nombre croissant de litiges. Les manquements se caractérisent de deux façons : la limite des contrôles par les banques de leur partenaire démarcheur ; la divergence d’intérêts entre les établissements bancaires et les consommateurs.

Nous avons remarqué qu’en amont des travaux, les établissements bancaires sélectionnaient parfois des partenaires démarcheurs qui avaient réalisé des travaux particulièrement litigieux ou qui n’avaient pas les assurances obligatoires ou les labels nécessaires pour faire bénéficier le consommateur d’un crédit d’impôt. En aval, malgré les alertes lancées par des associations locales et nationales, ces mêmes sociétés apparaissaient dans des litiges pour des montants particulièrement importants. Le montant moyen d’un litige, dans le domaine du photovoltaïque, est de 20 000 euros. C’est pourquoi il nous semblerait judicieux que le consommateur puisse avoir recours à un expert indépendant qui, en amont, validerait le contrat et s’assurerait de l’absence d’allégation concernant de prétendus avantages fiscaux ou de prétendues possibilités de rendement, par exemple et qui, en aval, certifierait la bonne réalisation des travaux, qui sont relativement complexes.

M. le président Julien Dive. Merci à toutes et à tous pour vos interventions. Avant de passer la parole à mes collègues, j’aurai une question concernant le retour d’expérience sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015. Avant cette loi, les appels d’offres pour le développement du photovoltaïque manquaient de visibilité. Les choses sont-elles désormais rentrées dans l’ordre et permettent-elles d’assurer le développement du photovoltaïque ?

Par ailleurs, quand on parle de photovoltaïque, on pense aux bâtiments, aux toitures, mais vous avez évoqué, monsieur Lincot, plusieurs autres pistes d’application. Quels sont les potentiels pour la mobilité des biens et des hommes, dans les domaines fluvial, maritime et ferroviaire, puisque, s’agissant de l’automobile, nous sommes encore très loin d’une standardisation ?

Mme Nicole Trisse. Monsieur Bour, vous avez évoqué les blocages existants dans les permis de construction des centrales solaires, en regrettant l’épaisseur du fascicule à remplir, mais surtout le nombre de commissions. Comment expliquer qu’elles soient si nombreuses ? Certaines sont-elles redondantes ? Comment alléger le système d’obtention des permis ?

S’agissant de l’obsolescence, quelle est la durée de vie des panneaux photovoltaïques et sont-ils recyclables ?

M. Anthony Cellier. Hier est parue une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) sur les trajectoires d’évolution du mix électrique 2020‑2060. Qu’en pensez-vous ? Correspond-elle à vos prévisions sur le développement de la filière ?

M. Daniel Lincot. Monsieur le président, le photovoltaïque a vocation à se développer dans énormément de niches de marché : cela va en effet des calculettes aux centrales gigantesques qui sont implantées dans les déserts. Le photovoltaïque va devenir de plus en plus logique et sera installé partout où ce sera intéressant.

S’agissant de la mobilité électrique et solaire, aujourd’hui, pour faire cent kilomètres, il faut 10 kilowattheures environ avec une voiture électrique, soit une installation de 10 kilowatts tournant pendant une heure. Comment optimiser le rendement sur une voiture dont la zone d’exposition est limitée ? On entend souvent des choses fausses à ce sujet : une voiture a une surface qu’elle expose au soleil ; la puissance ne sera jamais plus que le produit de sa surface par le niveau d’éclairement et le rendement de la cellule photovoltaïque. En revanche, l’énergie renouvelable, stockable dans ce cas de la voiture, permettra des fonctions additionnelles. Mais il ne faut pas penser qu’un train à grande vitesse (TGV), par exemple, pourra fonctionner avec une bande de cellules solaires.

En revanche, la valeur de ces expériences, y compris pour les objets en eux‑mêmes, est très importante. Le photovoltaïque autonome, donnant directement de l’électricité, est en train de se développer. De même, on peut désormais, grâce au photovoltaïque, recharger des voitures à l’arrêt. Le photovoltaïque a donc vraiment du sens. Les meilleurs exemples en sont donnés par les bateaux autonomes ayant fait le tour du monde, ou encore par l’avion solaire Solar Impulse, qui constitue un formidable modèle de conjugaison des techniques : il fonctionne comme un mini-réseau associant production et stockage d’énergie. Le photovoltaïque autonome dans les transports est donc important.

Le photovoltaïque sur l’eau, qui se développe dans des endroits où il n’y a pas de conflit d’espace, tend effectivement à progresser. Il y a quelques années, personne n’envisageait d’installer des panneaux sur l’eau. Or, on constate que des entreprises françaises sont très bien positionnées dans le secteur. De fait, les plans d’eau offrent des zones où l’on peut installer des panneaux, voire les coupler ensuite avec de la production d’hydrogène par électrolyse.

Le photovoltaïque se développe donc à de nombreux niveaux, et il ne faut négliger aucune niche en matière de production d’électricité renouvelable : même les équipements à petite utilisation, par exemple les sonnettes, représentent des puissances non négligeables. Les petits ruisseaux, dit-on, font les grandes rivières : la transition énergétique, en matière d’énergies renouvelables, doit savoir travailler à la fois avec des ruisseaux et avec des fleuves.

M. Stanislas Reizine. La critique concernant l’absence de visibilité des appels d’offres valait effectivement avant la loi de transition énergétique, et dans l’ancien cadre. La précédente PPE définissait déjà clairement – et c’était une grande nouveauté, mise en place il y a donc environ trois ans – les volumes, et donnait un calendrier indicatif des appels d’offres pour toutes les filières, avec la date d’ouverture des guichets où les différents acteurs pouvaient déposer des dossiers. Comme c’est indicatif, nous avons pu, par exemple pour le solaire photovoltaïque, compte tenu de la baisse très importante des coûts qui est intervenue, augmenter les volumes vendus tout en restant dans l’enveloppe budgétaire de la première PPE. Cela dit, nous avons essayé de garder la cadence tout en ayant une visibilité sur plusieurs périodes. Dans la prochaine PPE, des objectifs seront définis de manière globale pour le solaire, tout en fixant des sous-objectifs pour les installations au sol, les bâtiments, ou encore les petits systèmes, et nous essaierons de donner autant de visibilité que possible, car ce ne sont effectivement pas les mêmes personnes qui répondent aux appels d’offres. En outre, le calendrier des appels d’offres sera établi par trimestre. La visibilité des appels d’offres constitue un réel point d’attention pour nous ; nous essayons de l’améliorer.

Monsieur Cellier, nous avons pris connaissance de l’étude de l’ADEME, même si son sujet dépasse l’objet de cette table ronde. Nous avions un peu échangé avec l’agence sur la partie concernant les hypothèses techniques. Le document apporte effectivement des éclairages intéressants. Indépendamment du fond de l’étude et de ses conclusions – qui sont celles que l’ADEME a souhaité lancer dans le débat –, les hypothèses de coûts retenues sont réalistes. Le photovoltaïque a effectivement connu une baisse de coût extrêmement importante. Les hypothèses concernant les coûts de l’éolien – en mer et terrestre – sont elles aussi crédibles. Toutefois, pour ce qui est de dire ce qui se passera en 2050, il convient d’être extrêmement modeste. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’hypothèse très forte. L’ADEME en a proposé, en revanche, concernant la flexibilité du système. Dominique Jamme en a un peu parlé dans sa présentation : le profil de production du photovoltaïque est très particulier. Dans un certain nombre de cas – mais pas dans d’autres –, le photovoltaïque correspond bien à la consommation. Le photovoltaïque pose la question de la flexibilité du système électrique et des manières de stocker, de déplacer de la production et de jouer sur la consommation pour essayer de concilier les différents paramètres. Dans l’étude de l’ADEME, des hypothèses sont formulées concernant le développement de capacités de stockage sous la forme de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), dans le cadre d’installations hydrauliques, en France et ailleurs en Europe. Ces hypothèses sont connues, bien documentées et ne paraissent pas aberrantes.

M. Daniel Bour. Je vous présenterai, pour ma part, la vision des professionnels du secteur. Depuis au moins trois ans, nous avons effectivement de la visibilité : j’approuve ce qui a été dit à cet égard. L’effet se fait clairement sentir en termes d’emploi, mais aussi au niveau industriel et, pour être honnête, le mouvement nous surprend nous-mêmes : on commence à observer une augmentation du volume et des capacités des usines de panneaux en France, alors qu’on nous annonçait un raz-de-marée en provenance de Chine. Il est vrai que le fait que les appels d’offres incluent le bilan carbone participe à la protection des produits européens mais, quoi qu’il en soit, on constate que la visibilité donne des résultats à tous les niveaux de la filière, y compris au niveau industriel ; c’est une très bonne nouvelle.

M. le président Julien Dive. Justement – je me permets de vous interrompre –, pouvez-vous nous donner des chiffres précis à propos de l’emploi industriel dans le photovoltaïque ? Y a-t-il un véritable avenir industriel en France dans le secteur – je parle bien d’industries de production –, contrairement à ce qui passe pour l’éolien ?

M. Daniel Bour. Je prendrai de nouveau l’exemple des panneaux, qui sont l’élément le plus symbolique. Nous nous attendions tous à ce qu’il n’y ait plus une seule usine en France. Or le fait est que de gros investissements sont en train d’être réalisés, et on nous annonce de nouveaux projets, dont certains sont considérables – je pense notamment à ceux d’une société détenue par EDF. Il faudra s’assurer qu’ils se concrétisent car ils sont très importants pour la filière. L’idée est de couvrir tout le processus de fabrication d’un panneau solaire, dès la première étape, que l’on appelle la production de « lingots » – à partir du silicium, on crée des lingots, et ce sont eux qui, après avoir été découpés, vont donner les cellules puis les panneaux.

Pour nous, il est très important que la visibilité aille au-delà de juin 2019, c’est‑à‑dire la date fixée pour la fin des appels d’offres CRE4. L’administration nous rassure en nous disant que la continuité sera garantie et qu’une prolongation interviendra dès le mois de décembre 2019. Beaucoup de sociétés, y compris à l’étranger, voient dans la France l’un des principaux vecteurs de l’accélération du photovoltaïque dans les années à venir. Le contexte global est donc favorable et, très clairement, la loi de transition énergétique a été un élément fondamental dans le développement des filières. Nous espérons aussi que la nouvelle PPE continuera à envoyer un signal favorable au secteur. Il ne nous reste qu’à entrer dans la deuxième phase, qui consiste à lever tous les obstacles.

Comme je le disais tout à l’heure en faisant le bilan des appels d’offres, ces derniers ont certainement répondu à un désir fort de diminuer les prix – ce qui s’est d’ailleurs fait de manière trop importante : quand on propose un volume très faible et qu’un grand nombre de projets sont en concurrence, il est sûr que ce sont ceux qui proposent les prix les plus bas qui l’emportent, ce qui fait beaucoup de dégâts. Ce mécanisme a provoqué un déséquilibre, notamment en ce qui concerne les toitures : les prix ont trop chuté, et je ne serais pas surpris que, dans les prochains appels d’offres, on retrouve un tarif un peu plus conforme aux prix de marché. Le fait que les prix soient trop bas a malheureusement conduit à éliminer un certain nombre d’entreprises. Le volume doit être ajusté pour permettre d’assurer une certaine harmonie. Nous insistons sur ce point : si nous avons de l’ambition en matière de solaire, il faut permettre à la filière de s’engager dans cette voie.

La recherche et les nouvelles technologies sont des éléments très importants. Daniel Lincot a parlé des nouveaux panneaux ; nous pensons que le domaine du stockage va devenir lui aussi fondamental avec le développement du photovoltaïque. Nous préconisons des appels d’offres spécifiques, permettant de voir ce qui se fait, notamment en matière de batteries. Au niveau international, le prix des batteries diminue très fortement – elles restent chères, mais les tarifs évoluent vite. Il existe des acteurs français dans le secteur ; ils sont puissants mais, comme le marché français n’est malheureusement pas très actif, le développement a surtout lieu en Allemagne ou encore en Italie, là où il y a de l’autoconsommation – car le stockage fonctionne très bien avec l’autoconsommation. Quand le démarrage aura lieu en France, il sera trop tard, et nous n’aurons pas l’outil industriel permettant de répondre aux besoins.

L’autoconsommation est un enjeu fondamental, y compris d’un point de vue industriel, parce qu’elle est liée au stockage. C’est le cas, par exemple, pour les véhicules électriques, qui possèdent une capacité de stockage : c’est une certaine manière d’utiliser l’électricité, que l’on accumule le jour et que l’on redistribue la nuit. Le lien entre autoconsommation et stockage est donc fort, même s’il n’a pas encore été vraiment formalisé. Cela doit constituer une piste de réflexion importante dans les années à venir.

S’agissant du permitting et des différentes commissions, le problème vient du fait que celles-ci se multiplient au fur et à mesure que vous, députés, votez de nouvelles lois – y compris, par exemple, sur l’eau et le littoral. Sachez que chaque nouvelle loi se traduit, pour nous, par la création d’une commission, donc par un souci supplémentaire. La question n’est pas de savoir si c’est justifié ou pas : je dis simplement que le problème, comme souvent en France, est celui du millefeuille qui se crée : on rajoute encore et encore, sans se préoccuper de ce qui existe déjà. In fine, ce sont les entreprises comme celles que je représente qui doivent faire face à une multitude de lois et de règlements, sans oublier la dimension interministérielle : tout cela est source de lenteurs.

Nous le disons très clairement : on ne peut pas « bricoler » en la matière. Il n’y a qu’une seule façon de faire, à mon avis : l’interministériel. Par ailleurs, on doit avoir pour objectif de délivrer les permis et de franchir les étapes indispensables en un an. C’est tout à fait possible, mais cela suppose de prendre une décision en ce sens. Il faut parvenir à établir une sorte de doctrine commune pour les services instructeurs. En effet, actuellement, il n’existe aucune égalité entre les territoires : dans certains départements, l’instruction d’un dossier peut être très rapide, quand elle est complètement bloquée dans d’autres. En l’absence d’une réelle doctrine, d’un protocole solide et potentiellement opposable, chaque service instructeur agit au gré de ses envies. C’est là un point important. Nous avons besoin du soutien de beaucoup de gens car l’interministériel est quelque chose de compliqué : il est difficile de faire en sorte que tout le monde se réunisse autour d’un objectif concernant un grand nombre de personnes.

En ce qui concerne l’obsolescence, madame Trisse, on estime la durée de vie des panneaux à quarante ans, ce qui est nettement supérieur à la durée prévue pour les contrats, dans le cadre des appels d’offres – en l’occurrence, vingt ans. Les panneaux d’une centrale solaire au sol dureront donc quarante ans ; pour ceux d’une toiture, les choses sont un peu différentes, car la toiture elle-même aura besoin d’une rénovation au bout de trente ou trente‑cinq ans, ce qui supposera de nouveaux investissements.

S’agissant du recyclage, la demande actuelle est faible. Quoi qu’il en soit, l'éco‑organisme PV Cycle est tout à fait en mesure de faire face. Il n’y a donc pas de problème de recyclage des panneaux. Beaucoup d’histoires ont été colportées sur le sujet. Peut-être y avait-il, pour les premières générations, des problèmes avec les colles utilisées, mais ce n’est plus du tout le cas : les panneaux se recyclent très bien.

Je rebondis sur les propos des représentants de l’UFC-Que choisir : les malfaçons sont un cheval de bataille pour nous aussi, car le problème concerne beaucoup de Français. Au début, lorsque l’engouement pour le solaire a commencé, il y a eu de nombreux abus : beaucoup d’installateurs n’étaient absolument pas formés, sans parler des margoulins qui ont profité du mouvement pour vendre des panneaux comme ils auraient vendu des tapis. Un travail important a été fait par la profession : la qualification Qualit’ENR a formalisé un certain nombre de règles que les professionnels doivent respecter. Je note d’ailleurs que, parmi les sociétés mises en cause par l’UFC-Que choisir, aucune n’avait cette qualification.

Cela dit, un effort doit être fait pour informer les consommateurs : ils doivent faire appel à de vrais professionnels ayant obtenu le label. Il convient aussi d’aller plus loin pour éviter que des margoulins ne vendent n’importe quoi. J’ajoute, à cet égard, que le fait de ne pas donner de cadre précis à l’autoconsommation est le meilleur moyen de voir se développer un secteur dans lequel certaines personnes promettront tout et n’importe quoi, installeront quelques panneaux dans un jardin, ou que sais-je encore, et diront aux gens : « C’est de l’autoconsommation, ne vous inquiétez pas, il n’y a besoin de rien de spécial. » Nous aurons alors de mauvaises surprises. Le photovoltaïque, c’est sérieux : il s’agit d’électricité, ce qui est potentiellement dangereux. Il faut établir des règles précises.

M. le président Julien Dive. J’ai été frappé par les chiffres que vous avez donnés, monsieur Bour : 35 000 installations d’autoconsommation en France, dix fois plus en Belgique et quarante-trois fois plus en Allemagne. J’en tire les conséquences pour l’industrie photovoltaïque en France : je suis persuadé qu’il y a, en l’espèce, un potentiel important, une chance de développer cette industrie, et donc, par essence, un métier autour de l’installation – par conséquent aussi des emplois. Le sujet est intéressant et méritera d’être creusé à l’avenir.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Lors d’une précédente table ronde, nous avons reçu la société d’économie mixte Énergies Hauts-de-France, dont les représentants nous ont dit qu’il était plus difficile de répondre à des appels d’offres de la CRE dans les Hauts‑de‑France que dans le Sud car la rentabilité n’est pas la même, pour des raisons que l’on peut comprendre. La question qu’ils posaient, et que je relaie auprès de vous, est la suivante : ne pourrait-on pas territorialiser les appels d’offres de la CRE, avec des tarifs de rachat régionalisés ? On rachèterait l’énergie photovoltaïque plus cher au Nord qu’au Sud. Ce serait une façon de développer le solaire dans les Hauts-de-France, sachant que la région est en retard par rapport à ce qui se fait en Belgique et aux Pays-Bas. On a beaucoup de panneaux solaires dans le Sud, de moins en moins quand on monte vers le Nord, puis on en retrouve en Belgique et aux Pays-Bas.

Ma deuxième interrogation concerne le ministère, pour l’organisation des futurs travaux : il faudrait peut-être travailler avec les architectes des Bâtiments de France (ABF). Je suis député d’une circonscription rurale comptant au moins 295 églises – puisqu’elle comprend 295 communes. Or les églises sont orientées est-ouest, avec un toit à 45 degrés, offrant ainsi des possibilités énormes pour des installations photovoltaïques. Il existe d’ailleurs un exemple esthétiquement très réussi dans la commune de Loos-en-Gohelle, Toutefois, le sujet doit être abordé avec les ABF car même s’il ne s’agit pas d’églises classées, les blocages surgissent rapidement. Pourrait-on travailler à lever ce frein ?

Troisièmement, et pour en revenir à l’autoconsommation, l’un des freins à son développement ne réside-t-il pas dans le fait que l’on ne sait pas coupler production et usage ? Des installateurs me disent, par exemple, qu’ils proposent d’associer une pompe à chaleur et des panneaux photovoltaïques, les seconds alimentant la première. On entre là dans du concret : peut-être cela parle-t-il davantage aux ménages. Par ailleurs, et même si le sujet n’est peut-être pas directement lié à l’autoconsommation, il a été question de stockage : y a-t-il des expériences de stockage par hydrolyse, c’est-à-dire par transformation de l’électricité en hydrogène ? S’agissant toujours de la recherche, où en est le développement des vitres transparentes électriques, dont il a été question à un moment donné ? La technique commence-t-elle à voir le jour ?

Quatrièmement, en ce qui concerne les assurances et les problèmes d’installation qui ont été évoqués par les représentants de l’UFC-Que choisir, j’ai eu l’occasion de recevoir les dirigeants d’une entreprise qui installe des panneaux depuis cinq ou dix ans. Ils étaient catastrophés. De fait, ils avaient eu beaucoup de mal à trouver la bonne compagnie d’assurance. Pour obtenir le certificat Qualit’ENR, il leur fallait être assurés. Or les assureurs demandaient, pour les couvrir, qu’ils soient déjà détenteurs de la qualification. Ils ont réussi à trouver un assureur parce qu’ils connaissaient bien le secteur, mais ils pensaient aux nouvelles entreprises qui souhaitent se lancer dans cette branche et rencontrent des difficultés à trouver un assureur.

M. le président Julien Dive. Je reprends la question de monsieur le rapporteur concernant les écarts d’installation entre le Nord et le Sud et entre la France et les Pays-Bas. Considérez-vous qu’il existe un frein psychologique à l’installation du photovoltaïque selon la région où l’on vit ? Je m’explique : je suis originaire du département de l’Aisne – situé lui aussi dans les Hauts-de-France – et, il y a quelques semaines, j’ai dialogué avec un habitant. Il me disait : « De toute façon, chez nous, dans le Nord, il n’y a pas assez de soleil pour installer des panneaux photovoltaïques. » C’est évidemment une idée reçue, qui peut prêter à sourire, mais je suis certain que de tels ressorts jouent sur le déploiement du photovoltaïque chez certains particuliers. Ce frein a-t-il été décelé – par l’UFC-Que choisir ou d’autres acteurs – et, si oui, quelle est son importance ?

M. Anthony Cellier. J’ai une autre question, ayant trait aux panneaux photovoltaïques hybrides, qui – même si mes connaissances en la matière sont limitées – me semblent constituer le summum de la production et de la rentabilité au mètre carré, entre la production d’énergie et le transfert de la chaleur à travers un fluide caloporteur. Je sais qu’Énerplan a déjà communiqué sur le sujet, mais j’aimerais savoir quels sont les freins au déploiement de ce type de dispositif. Est-ce le marché qui n’est pas suffisamment mûr ? Est‑ce la technologie qui n’est pas prête ?

M. Dominique Jamme. Je répondrai pour ma part à la première question de monsieur le rapporteur, la seule pour laquelle la CRE soit directement sollicitée, à savoir les appels d’offres pour le photovoltaïque et leur éventuelle régionalisation. J’en profite pour dire que l’on parle d’appels d’offres de la CRE, mais que c’est tout de même le Gouvernement qui fixe les règles du jeu, même si c’est la CRE qui s’occupe de les mettre en œuvre.

Il faut garder à l’esprit le fait que, même si les prix du photovoltaïque ont beaucoup baissé – et que la tendance va se poursuivre –, le soutien public reste pour l’instant nécessaire à son développement. Or le soutien public vient du budget de l’État, et les montants sont limités. Plus le soutien nécessaire est élevé, moins on développe de kilowattheures et de production renouvelable avec 1 euro d’argent public dépensé. La question de l’efficacité de la dépense publique pour assurer la tradition énergétique est donc fondamentale. On voit bien que, si l’on développe plus de photovoltaïque au Nord et moins au Sud, chaque kilowattheure produit va coûter plus cher. On n’ira donc pas dans cette direction. Ce n’est pas qu’il ne faille rien faire, mais mieux vaut avoir conscience de cette donnée.

On peut aussi envisager, même si je ne suis pas certain que cela était écrit noir sur blanc dans l’avis de la CRE, de faire du photovoltaïque sur des terrains dégradés, car c’est une démarche gagnant-gagnant. Au moins pour ces terrains, il faudrait envisager la possibilité d’établir des règles du jeu plus égalitaires entre le Nord et le Sud. On éviterait ainsi que ces terrains ne soient jamais valorisés à travers la production photovoltaïque, en plus de tous les autres problèmes qui se posent dans le Nord. Ce n’est pas pour cela qu’il faut généraliser les appels d’offres régionalisés, car cela aurait pour effet, à production équivalente, de coûter plus cher aux finances publiques.

M. Stanislas Reizine. Les régions ensoleillées, on le comprend aisément, sont particulièrement propices à la production d’énergie solaire photovoltaïque. C’est pourquoi les installations se trouvent plutôt dans le sud de la France. Toutefois, les appels d’offres sont conçus de telle manière qu’en matière d’installations au sol, 30 % des projets lauréats au cours de la dernière période concernaient le nord de la France – on observe également une remontée vers le nord dans la période actuelle. Ce phénomène s’explique, selon nous, par deux éléments. D’une part, le coût du foncier est plus élevé dans le sud que dans le nord et, d’autre part, un certain nombre de terrains dégradés – qui, pour des raisons historiques, sont nombreux dans les régions Grand-Est et Hauts-de-France – bénéficient de bonifications dans nos appels d’offres. Certes, les professionnels ont lancé un cri d’alarme, que nous avons entendu, parce qu’ils s’inquiètent que tous les projets soient situés dans le sud. Mais, en réalité, s’agissant notamment des installations au sol, on observe une remontée vers le nord.

Cela dit, vous avez raison, monsieur le président, il ne faut pas négliger l’aspect psychologique. Le ministère de la transition écologique a beaucoup travaillé à la reconversion du territoire de Fessenheim, par exemple, notamment en préparant un appel d’offres local. À cette occasion, nous nous sommes aperçus qu’aucun projet n’avait émergé dans le Haut-Rhin, alors que l’ensoleillement n’y est pas négligeable et que le réseau y est bien dimensionné, de sorte que des capacités d’accueil sont disponibles. Pourtant, des projets existaient dans les départements voisins. Il existe donc des facteurs locaux dont il est difficile de comprendre l’origine mais qui sont réels. Ainsi l’aspect psychologique peut être un frein dans certaines régions, où l’on croit inutile ne serait-ce que d’essayer de développer le photovoltaïque.

Par ailleurs, les Bâtiments de France représentent une piste très prometteuse. Deux mesures ont été prises dans le cadre plan lancé par Sébastien Lecornu. Premièrement, une doctrine générale concernant le solaire sur toiture doit être diffusée aux ABF, afin de favoriser des projets concernant des sites plus complexes, voire des bâtiments classés. Deuxièmement, un groupe de travail a été constitué avec les acteurs du patrimoine pour identifier une dizaine de réalisations exemplaires qui démontrent qu’il est possible de concilier énergie solaire et patrimoine. Nous avons la chance, en France, d’avoir des entreprises qui maîtrisent les technologies de fabrication des tuiles solaires, lesquelles peuvent être de couleur différente et être équipées d’un revêtement antireflets. Ces technologies innovantes représentent, pour l’instant, des marchés de niche, mais ils pourraient être amenés à se développer. Cette piste est donc intéressante pour deux raisons : d’une part, des toitures sont disponibles et, d’autre part, ces projets favoriseraient l’innovation des filières françaises.

M. Daniel Bour. En ce qui concerne la régionalisation des appels d’offres, je rappellerai un chiffre : le nombre annuel d’heures d’équivalent photovoltaïque est de 950 à Lille, contre 1 600 à Toulon. Rattraper un tel écart est difficile. Le système de l’appel d’offres conduit, de toute façon, à mettre en avant les meilleurs dossiers. Si le volume est faible, tous les dossiers se concentrent dans le sud ; c’est le cas pour les installations en toiture. De fait, la pression est trop élevée et le volume insuffisant pour permettre un développement plus harmonieux. En revanche, pour ce qui est des installations au sol, on est plutôt, à cause du permitting, à la recherche de dossiers ; le jeu est donc plus ouvert. Ainsi, un certain nombre de projets concernent notamment les Hauts-de-France, où de vastes friches industrielles permettent d’être assez compétitifs. J’ajouterai cependant un bémol : le coût de la transformation de ces sites, souvent pollués, en centrales solaires est beaucoup plus élevé qu’on ne le croit. Les points supplémentaires correspondant à ces terrains – je pense à des centres d’enfouissement, par exemple – ne sont pas suffisants, car les surcoûts, mal estimés, sont souvent très importants, si bien que les lauréats ne parviennent pas à finaliser les dossiers.

Comment faire ? Nous avons toujours été favorables à une forme de territorialisation nord-sud, afin de donner un coup de pouce aux projets dans le nord. Cependant, nous avons compris qu’au regard du droit européen, il était difficile d’envisager un dispositif de ce type – même s’il semble que, dans le secteur de la méthanisation, on distingue le nord du sud de la France. Il faut donc « biaiser » les mécanismes de soutien si on veut développer davantage du photovoltaïque dans le nord. Nous estimons, pour notre part, que le système du guichet contribuerait à une meilleure harmonisation sur l’ensemble du territoire, dans la mesure où, dans ce système, le prix est connu et où les différents projets ne sont pas en compétition. Ainsi, un rétablissement du guichet pour les installations dont la puissance est comprise entre 100 et 500 kilowattheures favoriserait le développement de ces installations dans le nord – c’est une piste de réflexion. Il s’agit, en tout cas, d’un véritable problème, car nous observons tous qu’aux Pays-Bas et en Belgique le photovoltaïque est plus développé que dans le nord de la France. Il est vrai que les soutiens publics y sont plus importants et l’autoconsommation beaucoup plus développée que dans notre pays.

En ce qui concerne le patrimoine, on est confronté à une véritable opposition des ABF, toujours enclins à la caricature : ils nous reprochent de vouloir équiper de panneaux solaires le château de Versailles ou Notre Dame de Paris. Lorsque j’ai évoqué le fait que certaines églises menaçant ruine avaient besoin de telles installations, on m’a fait cette réflexion extraordinaire : « Je préfère encore une vraie belle ruine d’époque ! » Je suggérerais que l’on conçoive un appel d’offres spécifique pour ce type de bâtiments, car les surcoûts sont considérables. En effet, je le rappelle, on ne peut pas mélanger subventions et tarif aidé. Dès lors, soit on privilégie l’autoconsommation, que l’on subventionne, soit on lance des appels d’offres spécifiques, qui seront beaucoup plus chers mais qui seront pris en charge par les collectivités.

Par ailleurs, l’hydrolyse est une technique de stockage d’avenir, qui peut être utilisée en complément dans les centrales au sol. Je crois, compte tenu des enjeux industriels à venir, que le moment est venu de promouvoir cette nouvelle technologie, en réfléchissant éventuellement à des appels d’offres spécifiques. Quant à l’hybride – qui est développé notamment par une société française, DualSun –, il a pour limite d’être réservé soit à des bâtiments résidentiels, soit à des bâtiments collectifs comprenant des habitations. Se pose également la question économique : cette technologie permet-elle des coûts moindres que du photovoltaïque qui va alimenter un chauffe-eau électrique ? Il y a un débat sur ce point. Quoi qu’il en soit, c’est un marché de niche dont je ne crois pas qu’il puisse se généraliser car, dès lors qu’intervient un circuit d’eau, l’installation est plus complexe que pour le photovoltaïque. Néanmoins, c’est une solution ; le marché existe – la société DualSun connaît bien ce produit. Par ailleurs, on évoque très peu le solaire thermique, car il n’entre pas dans la PPE. Il est vrai qu’en France ce marché est un peu moribond, même s’il se redéveloppe lentement actuellement. Il s’agit pourtant d’une très bonne réponse pour les bâtiments collectifs et le logement social. On devrait donc réfléchir aux moyens de le promouvoir. Il a en effet moins besoin de soutien que de publicité. Dans de nombreux endroits, il serait tout à fait rentable. Il existe donc une marge de progrès dans ce domaine.

Plus généralement, il convient d’insister sur l’aspect décentralisé du photovoltaïque. Il est évident que si l’on couvrait 10 000 hectares de panneaux solaires, les coûts seraient extrêmement bas, à hauteur de 30 euros le mégawattheure. Mais je ne crois pas que ce soit ce que nous recherchons et que les Français accepteraient de telles installations. C’est pourquoi, s’il est important de développer le photovoltaïque, il importe également qu’il corresponde à des territoires et se développe de manière harmonieuse. Évitons de construire de gros « mammouths », qui seraient certes emblématiques, mais se feraient au détriment de tout le reste. Les prix sont suffisamment bas pour que nous n’ayons pas besoin de tels projets, qui complexifieraient l’ensemble de la filière.

M. Stanislas Reizine. Je précise, à propos du stockage, qu’actuellement le ministère de la transition écologique et solidaire ne lance pas d’appels d’offres « stockage plus photovoltaïque » en France métropolitaine continentale. Des expérimentations sont menées sur des lignes virtuelles, mais il n’existe pas de besoin systémique en la matière, compte tenu du système électrique français et européen. En revanche, nous avons prévu de lancer avec la CRE, dans les territoires pour lesquels la question de la flexibilité va se poser rapidement – je pense aux zones non interconnectées, notamment les milieux insulaires –, de nouveaux appels d’offres « Photovoltaïque plus installations de stockage ». Dans ce cadre, le Gouvernement ayant lancé un plan « Hydrogène », nous souhaitons étudier le stockage par hydrolyse.

Par ailleurs, il a été indiqué que le rétablissement d’un guichet tarifaire pour les sites dont la production est inférieure à 500 kilowattheures aurait un impact positif sur la territorialisation de la production photovoltaïque en France. Or, les deux sujets me semblent distincts. On peut soulever la question de la complexité de l’appel d’offres et de la difficulté pour les porteurs de projets de proposer des projets matures pour des installations de petite taille, mais les tarifs fixés par le ministère de la transition écologique sont établis de telle sorte qu’une installation moyenne ait une rentabilité normale. Ainsi, la rentabilité sera un peu supérieure dans le sud, normale dans les territoires du nord suffisamment ensoleillés, mais les zones qui bénéficient d’un très faible ensoleillement ne seront pas aidées.

M. Daniel Lincot. Nous devons faire un effort important en faveur de la diversification des applications, car le photovoltaïque peut être couplé à des systèmes de stockage. Grâce à la baisse de ses coûts, ce qui n’était pas possible il y a quelques années l’est aujourd’hui. Or, on observe la même évolution pour le stockage, sous toutes ses formes – volants d’inertie, batteries lithium-ion et redox flow, stockage par hydrogène –, chacune correspondant à une échelle de temps différente. En effet, on ne stocke pas de la même manière pendant deux heures, une journée ou plus. La baisse du coût de l’électricité produite par le photovoltaïque favorise ainsi des progrès dans l’ensemble de la chaîne économique.

À cet égard, la différence se fera, dans les années qui viennent, grâce aux recherches qui sont menées actuellement. Il est donc très important que le tissu économique englobe la recherche. Dans le domaine du stockage, des laboratoires de recherche sont déjà structurés dans la région d’Amiens, par exemple, avec le CNRS, le CEA… Ce tissu est remarquable et extrêmement créatif. Il faut lui donner les moyens de créer un tissu économique pour la genèse de nouvelles industries. Il faut penser le coup d’après ! C’est pourquoi l’IPVF se préoccupe de la cellule, qui sera le moteur, mais aussi de son environnement. Les porteurs de projets doivent pouvoir progresser dans les échelons de TRL – technology readiness level, système de mesure employé pour évaluer le niveau de maturité d’une technologie.

M. Guilhem Fenieys. Je souhaite revenir sur les difficultés que rencontrent les professionnels pour s’assurer. La question qui se pose est celle de savoir comment faire en sorte que le marché soit plus vertueux et que tous les acteurs en bénéficient. Le consommateur qui s’aventure dans ce domaine technique complexe et qui doit débourser une somme égale ou supérieure à 20 000 euros attend un retour sur investissement et, si tel n’est pas le cas, il doit avoir l’assurance qu’il ne sera pas perdant.

Les labels évoqués par M. Bour peuvent être une solution ; nous n’y sommes pas radicalement opposés. Encore faut-il qu’ils ne soient pas trop nombreux et qu’ils restent lisibles pour les consommateurs. Au demeurant, si un margoulin affirme à Mme Michu qu’il est certifié par tel label, celle-ci ne les connaîtra pas et n’aura pas les moyens de procéder aux vérifications nécessaires. C’est pourquoi nous avons proposé l’intervention d’experts indépendants. L’idée peut paraître complexe, mais elle est inspirée du modèle en vigueur en Allemagne, qui est en avance sur nous en matière de rénovation énergétique et où les litiges sont bien moins nombreux qu’en France. L’intervention de tels experts permettra à Mme Michu de s’assurer que le dispositif proposé par le professionnel sera rentable et audit professionnel, s’il est validé à plusieurs reprises par des experts, de trouver plus facilement un assureur. Ainsi, tout le monde y gagnerait : professionnels, consommateurs et assureurs.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dans le domaine des bases installées, la France se classe au huitième rang, derrière le Royaume Uni, l’Italie et l’Allemagne et, pour ce qui est des nouvelles installations, elle ne figure pas parmi les dix premiers. Peut-être sommes-nous en train de perdre du terrain. Pouvez-vous nous dire quelle est la grande différence entre la France et l’Allemagne, par exemple ?

M. Dominique Jamme. Il n’est pas facile de répondre à cette question, mais il existe des différences fondamentales entre les deux pays. L’Allemagne a essuyé les plâtres, en quelque sorte. Dans ce pays, le montant de la taxe qui permet de financer les énergies renouvelables est de l’ordre de 65 à 68 euros par mégawattheure ; en France, la contribution au service public de l’électricité (CSPE) est de 22 euros par mégawattheure, et elle couvre, en sus du renouvelable, la péréquation tarifaire dans les zones non interconnectées. En Allemagne, le soutien public a été massif et plus précoce qu’en France, d’où l’avance prise par ce pays, mais la charge payée par les consommateurs y est également bien plus élevée. Par ailleurs, le prix de l’électricité, pour les consommateurs résidentiels, est nettement plus élevé qu’en France – un peu moins du double. C’est un facteur important, car l’avantage économique de l’autoconsommation dépend bien entendu du prix auquel on paie le kilowattheure normal.

M. Daniel Bour. Pour nous, la situation n’est pas forcément mauvaise, car le photovoltaïque est bon marché et peut se développer rapidement. Toutefois, en Allemagne, comme dans un certain nombre de pays du nord, le déploiement se fait avec une efficacité que nous n’avons pas toujours en France : un permis de construire s’obtient en moins de dix mois et les appels d’offres sont réglés en trois ou quatre mois.

M. Stanislas Reizine. Lorsqu’on évalue le rythme d’installation annuel en France, il faut se rappeler le passif de la filière solaire, qui a donné naissance à une bulle puis a fait l’objet d’un moratoire. Actuellement, le rythme d’installation remonte progressivement. Nous sommes ambitieux et nous pensons pouvoir atteindre nos objectifs. Pour cela, il faut identifier et lever tous les freins qui peuvent exister. Mais n’oublions pas que la filière a connu un stop-and-go très dur. Nous sommes actuellement dans un creux, mais on se rapproche du gigawatt par an, ce qui est tout de même significatif.

M. Daniel Lincot. L’installation de photovoltaïque a également connu un creux très important en Allemagne : elle est passée de 6 à 7 gigawatts par an, dans la période faste, à un niveau très bas, qui n’était pas éloigné du niveau français. On observe que l’Europe, qui a été initiatrice dans ce domaine, est en train de reprendre des couleurs, y compris en matière d’installation. Le phénomène est collectif. L’Allemagne est à 2 gigawatts cette année ; nous sommes à 1 gigawatt. Nous ne sommes donc pas si loin que cela.


M. le président Julien Dive. Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions. Je rappelle que vos interventions ont été diffusées en ligne et qu’elles sont disponibles sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu de cette table ronde sera également publié. Par ailleurs, si vous souhaitez ajouter des éléments complémentaires ou des approfondissements, je rappelle qu’une consultation en ligne sera organisée à partir du mois de janvier ou de février sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous souhaite de bonnes fêtes de fin d’année.

L’audition s’achève à dix-huit heures cinquante-cinq.


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13.   Jeudi 17 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’énergie éolienne terrestre :
– M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au ministère de la Transition écologique et solidaire ;
– M. Jean-Louis Butré, président de la Fédération pour l’environnement durable (FED), et Mme Bernadette Kaars, administrateur ;
– M. Olivier Pérot, président de France Énergie Éolienne, M. Frédéric Petit, président de la commission offshore, et Mme Pauline Le Bertre, déléguée générale;
– M. David Marchal, directeur adjoint Productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

M. Adrien Morenas, vice-président. En fin d’année dernière, nous avons organisé une réunion sur l’énergie solaire et la semaine prochaine, nous nous pencherons sur l’hydrogène et la méthanisation. Aujourd’hui, notre mission d’information s’intéresse à l’énergie éolienne.

Dans cette première table ronde, plus spécifiquement consacrée à l’éolien terrestre, nous avons le plaisir d’accueillir M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au ministère de la transition écologique et solidaire ; M. Olivier Pérot, président de France Énergie éolienne accompagné de Mme Pauline Le Bertre, déléguée générale ; M. David Marchal, directeur adjoint Productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; M. Jean-Louis Butré, président de la Fédération pour l’environnement durable (FED) et Mme Bernadette Kaars, administratrice de la FED.

Avant d’ouvrir cette table ronde, je précise que nous organiserons d’ici à la fin du mois une consultation publique qui permettra à chacun de s’exprimer pendant six semaines sur les freins à la transition énergétique et les solutions à y apporter pour l’accélérer. Il sera possible d’y participer via un lien qui figurera sur le site de l’Assemblée nationale.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous avons organisé les travaux de cette mission d’information autour de sept thèmes : le premier a trait aux freins liés à l’absence de vision de ce que sera l’avenir de la production et de la consommation d’énergie ; le deuxième concerne directement nos invités du jour, puisqu’il porte sur les grandes filières de développement des énergies renouvelables ; les autres thèmes concernent la mobilité, les économies d’énergie, l’évolution future des grands groupes énergétiques, le rôle primordial des territoires et, enfin, la fiscalité écologique. Vous interviendrez principalement, madame et messieurs, sur la production d’énergie renouvelable, mais vos propos recouperont sans doute les autres thèmes que je viens de présenter ; n’hésitez donc pas à les aborder.

M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables, direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Permettez-moi de vous présenter brièvement les objectifs et perspectives de développement de la filière éolienne terrestre. La France s’est fixé des objectifs très ambitieux en matière d’énergies renouvelables, qui devront constituer à terme 32 % de la production d’énergie et, conformément à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, 40 % de la production électrique. Pour y parvenir, le Gouvernement dispose d’un outil de programmation : la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), une feuille de route qui décline ces objectifs, filière par filière. Le Président de la République a annoncé fin novembre un projet de PPE qui prévoira notamment de doubler la capacité installée d’énergie renouvelable électrique en 2028 par rapport à 2017, ce qui suppose une augmentation de 50 % des capacités d’ici 2023. Dans ce contexte, l’énergie éolienne doit, selon nous, devenir l’un des piliers du système électrique français.

Au 30 juin 2018, la puissance du parc éolien installé était de 14 gigawatts. L’objectif annoncé par le Gouvernement dans le cadre de la PPE est d’atteindre une capacité installée de 34 à 36 gigawatts d’ici à 2028 – autrement dit, de multiplier par 2,5 la capacité installée en dix ans de sorte que l’éolien produise 15 % de l’électricité française. C’est une ambition très forte. Pour la concrétiser, il faudra installer chaque année une capacité de production de deux gigawatts. Cet objectif sur dix ans sera atteint pour partie par la création de nouveaux parcs et pour partie par le renouvellement de parcs existants, grâce à l’installation de machines neuves et plus puissantes qui permettront de doubler la production sans nécessairement doubler le parc éolien français.

La PPE fixe un objectif d’augmentation très significative du volume, mais aussi des travaux de renouvellement des parcs existants pour en optimiser la capacité et pour assurer la gestion collective de l’enjeu que constituent la valorisation, la réutilisation et le recyclage des sites et des machines en fin de vie.

Pour atteindre ces objectifs très ambitieux, le Gouvernement a adopté la même méthode que dans la filière solaire en créant des groupes de travail qui réunissent tous les acteurs concernés afin d’identifier les freins et, dans la mesure du possible, de les lever. C’est la filière éolienne qui, la première, a été jugée pertinente par le Gouvernement il y a un an, et un groupe de travail avait alors été constitué. Une dizaine de mesures ont été définies en janvier 2018, et la plupart d’entre elles ont déjà été mises en œuvre. Parmi les plus emblématiques, citons les mesures visant à accélérer la procédure contentieuse figurant dans un décret publié en décembre 2018, la clarification des règles de renouvellement, la publication d’arrêtés visant à modifier les règles de balisage afin d’en réduire les nuisances pour les riverains, ou encore la réforme de la fiscalité du secteur éolien introduite dans le projet de loi de finances pour 2019 afin de veiller à ce que les communes accueillant des éoliennes continuent de bénéficier des avantages fiscaux associés. En bref, c’est un ensemble d’une dizaine de mesures qui a été annoncé et qui est peu à peu mis en œuvre.

La secrétaire d’État Emmanuelle Wargon a annoncé que le groupe de travail se réunirait à nouveau à la fin du mois de janvier. La méthode consistant à réunir les professionnels et parties prenantes autour d’un projet a fait ses preuves. Le Gouvernement souhaite que l’éolien terrestre joue un rôle central dans la transition énergétique française. Encore une fois, les objectifs arrêtés sont extrêmement ambitieux et la méthode de travail qui a été définie permettra d’identifier au plus vite les freins et les leviers existants.

M. David Marchal, directeur adjoint Productions et énergies durables de l’ADEME. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) rejoint naturellement le point de vue de la DGEC, en particulier en ce qui concerne le rôle indispensable de la filière éolienne dans la transition énergétique française et de l’évolution du mix électrique. À l’échelle mondiale, cette filière connaît un très fort développement avec une croissance annuelle de l’ordre de 17 % depuis 2010 ; il serait regrettable que la France n’en bénéficie pas.

L’ADEME tient un rôle particulier dans cette filière. L’ambition du Gouvernement se déploie dans deux domaines : les tarifs d’achat et les mesures de soutien mises en œuvre par le ministère. L’ADEME ne finance donc pas les projets éoliens mais intervient plutôt en fournissant son expertise et en réalisant des études ; elle finance également l’innovation et accompagne le développement de plusieurs démonstrateurs.

Les études que nous conduisons visent à identifier les freins et les pistes de développement de la filière éolienne terrestre. Nous travaillons à partir de visions à long terme : à l’horizon 2050 voire 2060, l’éolien terrestre, grâce à sa compétitivité, pourrait occuper une place prépondérante dans le mix électrique. Ses coûts sont en baisse, comme en témoignent les derniers appels d’offres lancés par le ministère : le prix du mégawattheure s’établit à 65 euros, soit nettement moins que le tarif d’achat, qui s’élève à 72 euros. Les innovations qui surviendront d’ici à 2030 pourraient même faire baisser le prix du mégawattheure à 50 euros à cette date, car elles permettront tout à la fois de réduire les coûts de financement et d’allonger la durée de vie des machines. En clair, à long terme, cette filière occupera une place très importante dans le mix électrique et pourrait même, selon nos études, produire la moitié de l’électricité à l’horizon 2050-2060.

Nous réalisons également des études visant à affiner notre connaissance des gisements mais aussi des impacts de la filière sur la biodiversité et sur l’emploi ; une des études en cours porte sur le repowering, c’est-à-dire les conditions économiques dans lesquelles assurer le remplacement des machines existantes.

Je voudrais dire un mot de l’emploi. Dans cette filière en croissance et à laquelle sont attribués des objectifs importants, on entend souvent dire que les machines sont importées. L’ADEME réalise chaque année une étude intitulée « Marchés et emplois de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables » qui comprend un volet spécifique sur l’éolien terrestre. Selon la dernière livraison de cette étude, 14 000 emplois – pour 14 000 mégawatts – sont directement liés à la filière éolienne, ce à quoi s’ajoutent des emplois indirects, soit un total d’environ 18 000 emplois. Quelque 600 entreprises travaillent dans ce secteur en France, dont certaines exportent des composants pour un montant total de 700 millions d’euros. Toutes n’interviennent pas dans la fabrication d’éoliennes, mais 4 000 emplois équivalents temps plein (ETP) sont liés à l’exportation de composants, qu’il s’agisse d’électromécanique ou d’électronique de puissance.

L’ADEME finance également de la recherche-développement et des projets dans lesquels l’innovation vise à réduire les impacts ou à améliorer les performances. L’augmentation de la taille des machines concerne surtout l’éolien en mer mais d’autres projets portent sur des génératrices hybrides qui permettront de ne plus utiliser des aimants permanents, dont on connaît les incidences environnementales. Certains projets ont trait à la recyclabilité des pales : les pales actuelles, construites en fibre de verre, comme les coques de bateau, ne sont pas recyclables, mais la piste des thermoplastiques recyclables est en cours d’exploration. Autre projet : la production de mâts en béton pour l’exportation, ce produit connaissant un certain succès à l’étranger. Des industriels tels que Freyssinet, Jeumont, Arkema et d’autres sont impliqués dans ces différents projets, même s’ils ne sont pas toujours sur le devant de la scène, car les fabricants de turbines en tant que tels sont en effet assez peu nombreux.

L’un des enjeux majeurs de la filière éolienne tient à son appropriation territoriale. Nombreuses sont les collectivités locales qui s’impliquent, en particulier grâce aux retombées fiscales. Les collectivités peuvent d’ailleurs s’impliquer de bien d’autres manières dans les projets, pour peu qu’elles bénéficient d’un meilleur conseil. Il n’existe pas de réseau de conseillers éoliens ; c’est sans doute une piste à envisager pour mieux orienter les collectivités et mieux intégrer les projets dans les dynamiques territoriales.

M. Olivier Perot, président de France énergie éolienne. Permettez-moi de dresser un bref état des lieux complémentaire de la filière éolienne en France, avant de revenir sur les freins, les enjeux et les leviers. France énergie éolienne est une association professionnelle qui regroupe les entreprises et professionnels actifs dans le secteur éolien, quelles que soient leur taille et leur place dans la chaîne de valeur – des très petites entreprises (TPE) aux très grands groupes. À ce jour, nous comptons 330 entreprises adhérentes.

D’après le recensement que nous avons effectué en fin d’année et qui donnera lieu à un communiqué de presse dans la semaine, la capacité installée atteindrait désormais plus de 15 gigawatts ; la cible fixée dans la précédente PPE est donc atteinte. La filière a fait la preuve qu’elle était en mesure d’atteindre des objectifs ambitieux. Quelque 8 000 éoliennes sont installées et représentent un peu moins de 6 % de la consommation électrique nationale en 2018.

En termes de compétitivité économique, la filière a atteint une maturité industrielle et technologique mais reste jeune et peut encore réaliser des gains de productivité et améliorer sa compétitivité. La courbe décroissante des prix de l’électricité est un élément à prendre en compte dans une perspective à long terme.

La notion de fiabilité et de sécurité de l’approvisionnement est importante. La production d’électricité éolienne est prévisible plusieurs jours à l’avance et désormais bien intégrée au réseau électrique, les gestionnaires de réseau ayant accompli de nombreux progrès et maîtrisant bien cette source de production. Selon les scénarios prospectifs de Réseau de transport d’électricité (RTE), l’industriel chargé d’équilibrer le réseau de transport d’électricité, la production éolienne pourrait représenter jusqu’à 36 % de l’électricité en 2035 – contre 6 % aujourd’hui et 15 % prévus dans la PPE en 2028 – et encore ne s’agit-il pas d’un maximum mais d’un point de passage, car il reste une marge importante au-delà de cet horizon.

S’agissant des emplois, nous utilisons une méthode de recensement un peu différente de celle de l’ADEME – nous travaillons avec la société de conseil BearingPoint –, mais nous parvenons à un résultat similaire, de l’ordre de 17 000 emplois directs et indirects en 2017, soit une augmentation régulière de 8 % – 1 200 emplois supplémentaires – par rapport à l’année précédente. La filière crée quatre emplois par jour. À titre de comparaison, alors que l’éolien représente donc 5 à 6 % du bouquet électrique, le nucléaire en représente 70 à 75 %, soit douze fois plus ; or, il emploie environ douze fois plus de personnes que l’éolien. Autrement dit, la richesse en emplois de l’éolien est équivalente à celle du nucléaire.

J’en viens aux retombées économiques et fiscales, qui possèdent une forte dimension locale. Les travaux de construction supposent l’intervention de petites et moyennes entreprises (PME) et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) dans les secteurs du génie civil, du génie électrique et de l’installation. D’autre part, environ 3 500 des 17 000 emplois de la filière sont liés à la maintenance. La France compte 90 centres de maintenance qui emploient des techniciens jeunes et très qualifiés, installés dans des communes rurales ou de petite taille. L’impact sur l’emploi local est donc très apprécié par les maires que nous rencontrons régulièrement. En outre, le parc installé s’accompagne pour les collectivités locales – communes, intercommunalités, départements et régions – de retombées fiscales d’un montant d’environ 170 millions d’euros par an.

Le dernier élément d’importance est l’adhésion des Français. C’est une donnée que nous avons souhaité objectiver, au-delà de tout ce que l’on peut entendre. Nous avons donc commandé à Harris Interactive, entreprise d’études marketing et de sondages d’opinion, un sondage auprès de deux échantillons, l’un de mille personnes représentatives des Français dans leur ensemble et l’autre de mille riverains, c’est-à-dire de résidents de communes situées à moins de cinq kilomètres d’un parc. Il en résulte que l’éolien conserve une très bonne image pour près de trois Français sur quatre – 73 % précisément. Peu de politiques publiques peuvent se prévaloir d’un tel soutien… D’autre part, la dynamique constatée parmi les riverains est très intéressante : l’image qu’ils ont de l’éolien est meilleure de sept points que l’image qu’a l’échantillon général et elle s’améliore au fil du processus d’implantation, puisque 9 % des riverains sont réservés ou défavorables lors de l’annonce de l’installation d’un parc, mais la moitié de ces personnes y deviennent favorables une fois le parc installé. En d’autres termes, les peurs tendent à se dissiper lorsque l’éolien devient réalité et la dynamique d’acceptabilité est positive.

En somme, la vision du développement éolien est ambitieuse même s’il faudra surmonter certains freins, sur lesquels nous reviendrons sans doute au fil de la discussion.

M. Jean-Louis Butré, président de la Fédération pour l’environnement durable (FED). Je me demande franchement ce que je fais ici… Mme Kaars et moi-même représentons la Fédération pour l’environnement durable (FED) qui regroupe plus de 1 350 associations de riverains et de personnes à qui l’on annonce un projet d’installation de parc éolien, et qui ne sont pas du tout d’accord avec ce que nous venons d’entendre. J’ai l’impression d’entendre un énorme discours de marketing par lequel des sociétés qui gagnent beaucoup d’argent expliquent que tout est merveilleux dans l’éolien. Or ce que nous constatons ne correspond pas du tout à ces chiffres.

On nous annonce le triplement du nombre d’éoliennes – aujourd’hui 8 000 – en France. Chaque éolienne valant environ 3 millions d’euros, cet objectif ouvre un marché de plusieurs dizaines de milliards d’euros aux industriels qui fabriquent ces machines. De telles annonces ont des incidences colossales et tout sera fait pour convaincre la France qu’il faut installer des éoliennes. Bien sûr, il y aura des retombées, mais il faut aussi se demander d’où viendra l’argent : il vient des factures d’électricité des Français. J’ignore si les missions comme la vôtre se rendent compte de ce qui se passe sur le terrain : la hausse de la taxe sur le gazole a provoqué une explosion sociale et l’augmentation du prix de l’électricité est notamment liée aux énergies renouvelables ; plusieurs articles récents dont celui du Canard enchaîné révèlent que l’électricité est taxée à 54 %. Or tous les calculs des spécialistes montrent que ce nouveau programme de développement de l’éolien se traduira par un doublement du prix de l’électricité.

Nous représentons la société civile. Je peux vous dire que la colère est immense et que vous allez la transformer en explosion. La Fédération pour l’environnement durable est une organisation responsable : nous ne descendons pas dans la rue, nous essayons de nous battre pour qu’on n’impose pas des machines qui ne correspondent en rien à la vision idyllique qui nous en est présentée – Mme Kaars, qui est une riveraine, vous en dira davantage – à des gens qui n’en veulent pas et qui s’aperçoivent petit à petit qu’on est en train de les taxer ! Toutes les associations membres de la FED protestent : ce n’est pas possible, on se paie notre tête.

J’entends parler d’accélération du programme : de quoi s’agit-il ? Les citoyens protestent, et la seule réponse que leur apportent certains membres du Gouvernement consiste à les empêcher de se défendre ! La commission Lecornu, par exemple, a supprimé la possibilité pour les associations, qui n’ont pas de moyens, de se pourvoir en justice devant des tribunaux administratifs. Je n’ai jamais vu ni lu quoi que ce soit d’aussi antidémocratique ! Comme si cela ne suffisait pas, on a décidé de cristalliser les moyens. En clair, les gens n’ont même plus le temps de lire les dossiers puisque les délais passent de quatre à deux mois pour déposer des moyens. De surcroît, les enquêtes publiques sont supprimées. Nous ne sommes pas seuls à protester ! On ôte aux gens qui veulent se défendre légalement toute possibilité de le faire ! C’est totalement explosif. Nous engageons des démarches administratives et nous déposons des recours auprès de toutes les juridictions possibles et imaginables pour faire annuler ces décrets.

Résumons : d’un côté, une industrie qui prend le pouvoir sur la France en annonçant des chiffres merveilleux et des choses extraordinaires ; de l’autre, des Français saignés par le prix de l’électricité et des taxes en général, au bord de la révolte. Les gens qui font des calculs doivent sortir de leur petit monde et se rendre compte de ce qui se passe sur le terrain.

Mme Bernadette Kaars, administratrice de la Fédération pour l’environnement durable (FED). Je vous remercie de donner la parole aux riverains des éoliennes car nous avons besoin d’être entendus. Malgré tout ce que les professionnels de l’éolien peuvent dire, l’éolien est extrêmement contesté sur le terrain ; c’est même la seule énergie renouvelable à l’être. On peut se payer des pages entières pour prétendre que les Français adorent l’éolien, mais la vérité se trouve par exemple dans ce numéro du Courrier de l’Ouest qui date d’il y a deux jours : à Antoigné, au sud de Saumur, les riverains d’éoliennes existantes n’en veulent pas d’autres, et ils parlent en connaissance de cause ! Le taux de recours contre les éoliennes atteint 70 % – c’est le chiffre qu’a donné le ministre de l’écologie lui-même en janvier dernier. Autrement dit, sept permis de construire sur dix font l’objet d’une saisine du tribunal administratif par les associations locales. C’est le taux de recours le plus élevé de toute l’industrie ! Par comparaison, il n’est que de 5 % pour les porcheries industrielles… Lorsque vous voyez un parc éolien n’importe où en France, cela signifie qu’à cet endroit, une association a été écrasée, qu’un projet a été imposé aux populations. Nos élus et décideurs peuvent-ils en être fiers ? Sept fois sur dix, vous écrasez la population ! C’est la vérité, c’est le chiffre du ministère de l’écologie lui-même. Il n’y a pas de quoi être fier.

Pourquoi nous opposons-nous à l’éolien ? La distance minimale de 500 mètres entre une éolienne et des habitations, votée par l’Assemblée, est tout simplement dérisoire et méprisante. Nous sommes envahis, nous sommes écrasés. Je vous parle en connaissance de cause, puisque j’habite sous des éoliennes ; et pourtant, elles sont implantées à 850 mètres de chez moi. Je vous ai apporté des photos que je vous distribuerai. Je ne peux pas sortir de chez moi sans les voir. Et même quand je leur tourne le dos, j’aperçois leur reflet sur mes carreaux. C’est l’enfer ! Un enfer pour vingt ans. Ces nuisances ne s’arrêtent pas un seul instant : ni le week-end, ni les jours fériés, ni le soir, ni le jour. Nos paysages, notre cadre de vie ne sont pas renouvelables. Les éoliennes salissent, balafrent, polluent notre environnement. On vit moins bien sous ces machines.

C’est pour cela que nos maisons perdent de la valeur. La jurisprudence l’a acté : la présence d’un parc éolien ou un simple projet donne à un acquéreur un argument de poids pour faire baisser le prix de nos maisons. Cela est indiscutable. Deux appartements à Paris de superficie identique, l’un donnant sur le Champ de Mars, l’autre sur le périphérique, auront-ils le même prix ? Deux chambres d’hôtel identiques, l’une avec vue sur la mer, l’autre sur un parking, auront-elles le même prix ? À la campagne, nous avions l’espace et le silence ; l’un et l’autre nous ont été volés par les éoliennes. Au dos de mes photos, j’ai inscrit mon adresse et mon numéro de téléphone. Vous êtes tous invités à venir voir la réalité qu’on nous impose.

Le Gouvernement, qui a bien conscience de cette situation, s’est très bien organisé pour nous faire taire. Les collectivités locales sont indemnisées. L’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER), que paient les promoteurs et qui réjouit tant quelques élus, a été instituée au profit des communes subissant les nuisances environnementales liées à la présence des éoliennes. Quant aux particuliers, qui doivent être, eux aussi, indemnisés, voilà ce que répondait la ministre Mme Ségolène Royal à la question écrite d’une sénatrice, le 6 octobre 2016 : « Le porteur de projet est tenu de réparer le préjudice qu’il causerait à autrui. Ces réparations, négociées librement entre les personnes lésées et le porteur de projet, peuvent prendre la forme d’indemnisations financières ou autre compensation. » Si ces indemnisations peuvent adoucir, voire faire taire la colère, en aucune façon, elles ne nous rendent notre cadre de vie et notre qualité de vie. On essaie de nous faire taire avec de l’argent. Mais doit-on vraiment installer des éoliennes, alors que ce n’est pas une nécessité ? Il y a d’autres énergies renouvelables qui ne sont pas contestées.

Peut-être vous dites-vous que ces indemnisations coûtent une fortune aux promoteurs ? Pas du tout ! Il est plus rentable pour un promoteur éolien d’imposer des nuisances tout en sachant qu’il devra les indemniser que de renoncer à un parc. Le promoteur allemand WPD, adhérent de France énergie éolienne, vient de vendre pour 93 millions d’euros huit parcs éoliens français à des Canadiens, qui se sont gentiment fendus d’un communiqué de presse que je tiens à votre disposition. La société Innergex s’y réjouit d’annoncer à ses actionnaires que la France est une tirelire ouverte, avec 23 millions d’euros de revenus garantis par an – merci le tarif de rachat ! De son côté, WPD a fait 40 millions d’euros de plus-value qui sont partis, tout à fait légalement, vers la maison mère, en Allemagne. C’est une association qui se bat contre WPD qui m’a transmis ces informations. Je peux vous fournir tous les documents sur demande.

Nous, nous sommes au milieu de tout cela. Nous avons les nuisances, notre patrimoine dévalué et une dette à long terme. Nous sommes heureux de financer les Canadiens avec les subventions éoliennes. Est-ce vraiment cela que nous voulons ? Je m’emporte un peu… Mais j’habite sous les éoliennes, et c’est absolument terrible !

M. Jean-Louis Butré. Cela montre le décalage énorme entre les théories et la pratique quotidienne sur le terrain. Nous voulons vous alerter. Nous sommes au bord du gouffre !

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je suis élu d’une petite circonscription du Pas‑de‑Calais, déjà bien équipé en termes d’éoliennes, tout comme les Hauts‑de‑France, qui ont atteint leur objectif de développement éolien. J’ai été maire pendant neuf ans d’une commune qui compte désormais trois éoliennes. Le projet, qui avait été lancé avant que je ne sois maire, n’était toujours pas achevé lorsque j’ai terminé mon mandat… En fait, cela aura mis douze ans. Quoi qu’il en soit, l’expérience nous a montré que, dans certains endroits, les éoliennes sont bien acceptées, dans d’autres, moins. Je vous ai bien entendus, monsieur Butré, madame Kaars ; mais il existe aussi des endroits où cela se passe très bien.

Il y a une dizaine d’années, nous travaillions sur les zones de développement éolien (ZDE). Je trouvais que c’était une excellente méthode : cela en permettant de réunir les acteurs locaux et de déterminer ensemble les emplacements les plus pertinents et ceux qui ne l’étaient pas. Ce n’était d’ailleurs pas la vocation initiale des ZDE, mais c’est ainsi que nous nous étions approprié ce système, qui a disparu depuis. Je reste convaincu que c’est la bonne façon de faire pour résoudre les problèmes de résistance locale. J’aimerais avoir votre avis sur cette question, qui se pose également pour la méthanisation.

Il serait également possible d’améliorer ce qui existe. Pour lutter contre la pollution visuelle nocturne provoquée par le clignotant rouge de ces éoliennes, nous pourrions revoir la réglementation afin de le remplacer par un point blanc fixe, beaucoup moins agressif, en nous inspirant de l’exemple anglais.

Que pensez-vous des approches plus concertées ? Il existe, de fait, des effets d’aubaine dans les communes : certains maires se battent pour avoir des éoliennes, d’autres n’en veulent à aucun prix. Une concertation locale menée plus en profondeur serait sans doute plus adaptée.

M. Olivier Perot. Pour commencer, les professionnels de l’éolien sont sur le terrain, qu’ils connaissent très bien. Évitons la caricature : il n’y a pas, d’un côté, des gens qui sont sur le terrain et, de l’autre, des gens qui n’y connaissent rien, ne savent pas ce qu’ils font et travaillent n’importe comment. Le développement d’un projet éolien peut prendre beaucoup de temps, parfois trop. Le processus a été clarifié grâce à la notion d’autorisation environnementale, qui implique des études d’impact, diverses consultations, des commissions, comme la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS), des réunions spontanément proposées par les développeurs de projet avec les riverains et les collectivités, des outils de planification et de concertation. L’ensemble de l’instruction est mené par les services de l’État, par des services locaux, sous l’autorité du préfet qui accorde, in fine, l’autorisation, dans le cadre d’une réglementation et de procédures de consultation longues et complexes. Les éoliennes ne surgissent pas par génération spontanée sur le terrain…

Je veux bien reconnaître, en revanche, la complexité de la procédure. Certains maires ou certaines collectivités s’approprient correctement les outils et les procédures, d’autres sont un peu plus démunis. Nous souhaitons accélérer les chantiers en cours dans le cadre du groupe de travail national « éolien », de sorte que les élus disposent d’un guide, afin de bien utiliser les outils existants, de planification notamment, depuis le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) jusqu’au schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Par ailleurs, nous souhaitons éditer un guide des bonnes pratiques sur le développement éolien, comprenant les différentes étapes de concertation. Il nous paraît important que le Gouvernement et l’administration accompagnent les collectivités, pour faire connaître les outils développés durant une vingtaine d’années de pratique, et que tous les acteurs puissent s’en saisir.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Même si la région n’a pas de compétence dans ce domaine, le président des Hauts-de-France s’est dit déterminé à mettre un terme au développement éolien : c’est un signal important. De fait, nous manquons d’une vision d’ensemble. Certains endroits sont en situation de saturation, alors qu’il existe une demande pour d’autres. Tous les dispositifs dont vous avez parlé, monsieur Perot, ne sont que des dispositifs locaux. Ma circonscription compte 295 communes. Cela signifie qu’il peut y avoir 295 concertations locales, de qui ne donne pas une image globale du paysage. S’ils étaient le fruit d’une réflexion plus large, les dispositifs seraient sans doute mieux acceptés par la population. Mais nous n’avons pas d’outil pour cela.

M. Olivier Perot. Le SRADDET s’inscrit tout de même dans un maillage territorial d’un degré supérieur.

M. Adrien Morenas, vice-président. Avant de poser quelques questions, je tiens, monsieur Butré, à rappeler que, si l’État prélève des taxes, c’est pour entretenir son parc énergétique, qu’il soit éolien, nucléaire ou solaire. J’aimerais que l’on arrête de dire, dans nos débats, qui doivent se dérouler de façon apaisée, que lorsque l’État prélève une taxe, il rackette les gens.

Mme Nathalie Sarles. Très bien !

M. Adrien Morenas, vice-président. Si l’État cessait de prélever des taxes et que nous avions demain un accident nucléaire, nul doute que la population en souffrirait autrement plus. L’énergie coûte cher à l’État. Il faut la financer. Nous sommes aussi réunis ce matin pour voir de quelle façon nous pouvons le faire.

S’agissant des nuisances évoquées par Mme Kaars, je sais, pour avoir travaillé dans l’aéronautique, que pour réduire le bruit émis par les hélices des avions, on a mis au point des systèmes de pales débrayables. Ne serait-il pas intéressant d’installer sur les éoliennes un dispositif similaire, qui ferait gagner entre six et huit décibels ?

Par ailleurs, comment allez-vous gérer la fin de vie des premiers parcs éoliens ?

Enfin, comment anticipez-vous la baisse du coût de l’énergie éolienne ?

Mme Nathalie Sarles. Il est intéressant que l’audition rende compte des deux points de vue que les élus rencontrent dans la population. Dans ma circonscription, certains projets sont complètement bloqués et la population s’est crispée, parce que les installations n’ont pas été préparées suffisamment en amont. En revanche, une autre intercommunalité a travaillé sur un projet d’implantation éolienne avec des maires, organisé des réunions publiques et laissé un vrai temps de concertation, au-delà de celle qui était obligatoire. Se pose également la question des montages financiers permettant aux communes d’implantation et aux communes riveraines de bénéficier de retombées économiques. Les gens croient qu’ils devront payer sans que cela n’apporte rien à leur territoire, cela posera un réel problème.

Votre point de vue, madame Kaars, est aussi très intéressant et je le sais partagé par certains de nos concitoyens. À l’évidence, un temps de la concertation est nécessaire. Nous avons entendu les représentants des structures – les technocrates, comme on dit dans le jargon des gilets jaunes –, mais nous avons besoin du discours des experts tout autant que de l’expression du ressenti des citoyens, et de voir les différences entre les approches des uns et des autres. Alors que nous ambitionnons dans la PPE de multiplier les implantations pour garantir notre mix énergétique, comment pouvons-nous améliorer, sur le plan technologique, les dispositifs et faire en sorte que nos concitoyens en tirent un bénéfice économique ? Car s’ils ont l’impression qu’ils auront seulement des nuisances sonores et esthétiques et qu’ils resteront les dindons de la farce du point de vue économique, cela ne pourra jamais fonctionner. Nous devons trouver des modèles d’acceptabilité dans lesquels le citoyen sera également gagnant.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous avons beaucoup progressé sur la question du coût, mais aussi sur celle de l’acceptation sociale des projets. Peut-être est-ce lié à la création, dans la loi de transition, des financements participatifs qui permettent à tout un chacun de s’approprier le projet en y adhérant, dès son début, et de le suivre. Nous nous sommes fixé des objectifs plutôt ambitieux, dans la loi de transition et les différentes PPE, sur le nouveau mix énergétique, afin de remplacer une partie de l’énergie nucléaire par des énergies nouvelles : l’éolien, le photovoltaïque et l’hydraulique. À vous entendre, monsieur Butré, madame Kaars, le photovoltaïque et l’hydraulique étant parfaitement acceptés par les populations, il faudrait se tourner vers ces deux sources d’énergie renouvelable et abandonner l’éolien. Ou alors êtes‑vous favorables à l’éolien dans des zones particulières, sans habitation ?

Le photovoltaïque représente une emprise foncière importante et il serait aberrant de l’installer sur des terres agricoles, mais n’est pas facile de trouver des terrains qui ne soient pas agricoles. En revanche, les délaissés miniers, que la pollution rend impropres à d’autres usages, pourraient parfaitement être utilisés, y compris pour l’éolien.

Dans le sud Isère, un tout petit parc éolien de trois éoliennes a été implanté il y a une quinzaine d’années, non sans avoir provoqué une levée de boucliers. Aujourd’hui, je les vois de mes fenêtres sans être vraiment dérangée. Nous avons constaté, grâce à un sondage réalisé parmi la population locale qui s’était pourtant mobilisée à l’époque, un retour extrêmement positif : les habitants trouvent que les éoliennes ne sont finalement pas si bruyantes et se demandent même pourquoi il n’y en a que trois. L’acceptation sociale des éoliennes varie considérablement d’un territoire à l’autre ; encore faut-il que les implantations soient prévues dans des endroits qui s’y prêtent.

M. David Marchal. Lorsque des associations s’opposent aux projets, cela ne signifie pas pour autant que l’ensemble des citoyens y soit hostile. À l’instar de France Énergie Éolienne, nous faisons régulièrement des sondages sur des sujets relatifs à la transition énergétique et au climat. Quand on pose des questions spécifiques sur l’acceptation de l’éolien, 75 % des Français s’y disent favorables. Nous avons également mené une enquête auprès des communes sur lesquelles sont implantés des parcs éoliens : 50 % d’entre elles nous ont répondu qu’elles s’étaient impliquées, au sens large, dans le montage du parc. Il nous semble nécessaire de mieux accompagner les communes, afin qu’elles se saisissent des projets le plus en amont possible et mènent les concertations nécessaires que niveau local : la question est de savoir d’abord si elles souhaitent un parc, ensuite à quel niveau d’implication elles sont disposées. Une commune peut accepter un parc sans rien dire ; elle peut organiser des concertations et impliquer ses citoyens, les informer sur le fait qu’ils peuvent prendre des parts dans le projet ; elle-même peut y prendre des parts, sous forme de prêts ou en capital, au-delà de la seule perception de l’IFER ; elle peut aussi informer, expliquer le pourquoi de ces machines et leur rôle, plus globalement, dans la transition énergétique. Tout cela suppose que les maires de ces petites communes soient accompagnés par un regard indépendant, afin d’être en mesure d’anticiper la venue des parcs ; d’où cette idée que nous défendons d’un réseau de conseillers capable de porter ce regard neutre et d’éclairer un maire, lorsqu’il reçoit un promoteur, sur les différentes possibilités qui s’offrent à lui.

Enfin, nous soutenons l’émergence des projets citoyens. Il existe deux grandes catégories de financement participatif : le participatif au sens large, où les gens décident de prêter de l’argent à des projets sous forme d’emprunt ou d’obligations ; les projets plus ambitieux, où ce sont les citoyens qui sont à l’initiative des parcs. Nous avons recensé près de 300 projets citoyens. Cela signifie que certains de nos concitoyens veulent de l’éolien et sont prêts à prendre du temps pour monter des projets, même si cela reste évidemment une exception dans l’ensemble des projets éoliens présentés. Nous devons favoriser l’émergence de telles initiatives.

M. Jean-Louis Butré. J’ai honte ! La France jouissait d’une totale indépendance énergétique électrique. La France était un très beau pays. Actuellement, nous avons 8 000 éoliennes. Certaines régions, comme les Hauts‑de‑France, commencent à réaliser la catastrophe qu’est l’éolien. Malgré tout, on nous promet d’en installer deux fois plus ! Tout ce que j’entends, c’est une cuisine : on va donner un petit plus de taxes ici, acheter un petit peu plus là. Il faut savoir ce que l’on veut. S’il faut réduire le nucléaire, pourquoi pas ? Mais quel est l’avantage ? Et à supposer qu’il y en ait un, pourquoi passer de 75 à 50 % de nucléaire dans la production d’électricité ? Il faudrait tout arrêter, dans ce cas. À titre documentaire, sachez que j’ai commencé ma carrière dans le nucléaire – je suis peut-être le seul parmi vous à avoir vécu quatre ans dans des centrales –, j’ai été ensuite directeur d’un site Seveso, puis président-directeur général d’une société pharmaceutique, enfin président d’une filiale de l’Institut français du pétrole. J’avais une vision économique de la France. Or ce que je vois actuellement, ce sont des affairistes, des sociétés qui sont en train d’implanter des dizaines de milliers d’éoliennes provenant d’Allemagne et du Danemark, tout simplement parce que c’est subventionné. Puisqu’on me dit que l’éolien est compétitif, commençons par supprimer tous les tarifs bonifiés, toutes les subventions et aides dont l’éolien profite depuis 2001 !

Qui plus est, on se moque des citoyens en leur disant que des mesures ont été prises. Par exemple, en 2005, les éoliennes faisaient environ 120 mètres de haut. Aujourd’hui, celles que l’on installe dans l’Yonne font 250 mètres. Or la distance de protection des habitations a été maintenue à 500 mètres. Les promoteurs éoliens, parce que cela rognerait leur business, ont toujours refusé de l’augmenter. C’est absolument honteux pour les citoyens !

On parle d’écologie, mais je voudrais rappeler que le pied d’une éolienne est constitué de 2 500 tonnes de béton. Une fois que le parc aura triplé, cela signifiera que vous aurez coulé 50 millions de tonnes de béton dans le sol de la France… Pour vous donner un ordre d’idée : si l’on chargeait des camions toupies avec 50 millions de tonnes de béton, cela correspondrait au tour de la Terre ! Par comparaison, les éoliennes nécessitent dix à quinze fois plus de béton au térawattheure que le nucléaire, sites de La Hague et de Bure compris.

L’argument massue est le climat qu’on veut sauver. Mais les bilans réalisés par tous les gens scientifiquement honnêtes montrent que l’éolien ne réduit pas d’un gramme les émissions de gaz à effets de serre. L’argument ne tient pas ! La campagne « Sauvons le climat » de l’organisation internationale Greenpeace, avec ses 3 millions de signatures bidon, est d’ailleurs complètement manipulée. Où allons-nous ? Est-ce votre vision de la France, une France qui aura 25 000 ou 30 000 éoliennes ? Plus aucun petit village n’y échappera : les gens se baladeront au milieu des éoliennes, mais peut-être finiront-ils par s’y faire ! Ou voulez‑vous une France qui aura un peu préservé sa nature et qui essaie de retrouver une certaine écologie ? J’ai vécu la destruction du bocage. On l’a détruit, on l’a couvert de champs de maïs qui pompent de l’eau, et maintenant d’éoliennes. Si c’est cela l’écologie… L’éolien est en train de tuer l’écologie !

M. Stanislas Reizine. Le balisage et l’« agressivité » du système actuel sont un enjeu très bien identifié. C’est un véritable sujet de préoccupation sur lequel nous souhaitons travailler. La difficulté, c’est qu’il existe des utilisateurs de ce balisage, notamment l’aviation civile et l’armée de l’air. Le ministère doit donc conduire un travail d’équilibriste pour essayer d’alléger les nuisances tout en prenant en considération les impératifs de sûreté et de sécurité nationales liées au trafic aérien et aux vols à basse altitude.

Nous essayons d’adopter une approche graduée. Il a été publié un décret, j’en ai un peu parlé, qui rendra la signalisation de certaines éoliennes fixe et non plus clignotante. Pour les autres, nous allons nous efforcer de synchroniser le balisage pour qu’elles clignotent de manière plus homogène. Nous travaillerons aussi sur les couleurs et les intensités. Ce groupe de travail essaye de pousser le balisage circonstancié, autrement dit de faire en sorte que les éoliennes clignotent seulement lorsque les pilotes en ont besoin et restent éteintes lorsqu’il n’y a personne. Nous souhaitons sincèrement progresser. La marge de progrès est importante grâce aux innovations technologiques qu’il est possible d’intégrer. C’est un sujet bien identifié, traité, qui avance toutefois un peu plus lentement que ce qu’on pourrait espérer en raison des besoins bien réels de certains utilisateurs.

La planification territoriale est également pour nous un enjeu réel, qui est compliqué. L’approche retenue est de mettre à profit les documents d’urbanisme existants (SRADDET, PLU, etc.). Nous publierons des guides pour expliquer aux collectivités comment utiliser ces documents si elles souhaitent aider l’éolien ou, à l’inverse, préserver certains secteurs. Mais l’introduction d’un nouvel échelon dans ce qu’une bonne part des utilisateurs considère comme un mille-feuille assez incompréhensible, ne nous paraît pas des plus opportunes ; mieux vaut utiliser les dispositifs existants, quitte à les améliorer. Le fait que la région Hauts-de-France se mobilise aujourd’hui contre l’éolien est un signal fort qu’il nous faut, me semble-t-il, tous intégrer. Si le dispositif des ZDE a été supprimé par le Parlement, c’est qu’il ne fonctionnait pas très bien. Plutôt que de rajouter une surcouche, il faut améliorer ce qui existe, et mieux planifier.

S’agissant du mix cible et de la compétitivité de la filière, l’éolien coûte entre 60 et 70 euros par mégawattheure sur nos appels d’offres ; il n’est pas encore en état de se développer sans subventions – le prix de l’électricité tourne autour de 55 euros par mégawattheure. On n’en est pas très loin, on n’y est pas encore, mais on est sur une courbe descendante.

Pour ce qui est du risque lié à l’évolution du tarif de l’électricité, des analyses d’impact seront rendues publiques dans le cadre de la PPE. Comme je le disais, le tarif de l’éolien se rapproche de plus en plus du prix de marché. Le tarif du photovoltaïque au sol, qui pose d’autres problèmes d’acceptabilité, est déjà, pour certains projets, sous les prix de marché. Nous commençons à avoir des filières très compétitives, ce qui fait que nous pouvons faire plus d’ENR pour beaucoup moins cher que par le passé. L’augmentation des coûts, comme celle des subventions, sera documentée ; elle est d’un ordre de grandeur qui paraît aujourd’hui acceptable au Gouvernement. Mais il n’est pas question d’un doublement.

S’agissant de l’activité sociale des projets, je confirme que la participation des collectivités et des riverains est un sujet sur lequel nous souhaitons également avancer. Nous avons introduit pour la première fois il y a quelques mois dans les appels d’offres un bonus pour les projets avec participation citoyenne, bonus différencié selon qu’il s’agit de simples prêts ou d’une réelle participation dans la gouvernance. Tous les parcs éoliens qui ont réussi à attirer d’autres acteurs que des institutionnels bénéficient donc d’un bonus.

Mme Bernadette Kaars. Pour ce qui est de l’accompagnement des élus, faites attention à ne pas les accompagner de trop près : le maire, chez nous, a été condamné par le tribunal correctionnel pour prise illégale d’intérêts dans le projet éolien… Sachez aussi garder vos distances avec nos élus, s’il vous plaît !

S’agissant des retombées fiscales, il faut aussi savoir que, dans la mesure où notre environnement est dégradé, nous demandons une baisse de nos impôts fonciers correspondant à cette nouvelle nuisance. Il conviendra donc d’en tenir compte dans les avantages apportés aux communes.

Le sondage de France énergie éolienne prétend que les gens sont heureux de vivre sous les éoliennes. On ne peut pas reprocher à un organisme professionnel de faire son autopromotion, mais tenez compte du fait qu’en fait de riverains, ils ont interrogé les habitants de communes se trouvant à moins de cinq kilomètres d’un parc éolien. Mais compte tenu de l’étendue d’une commune rurale, une personne peut être interrogée et habiter en fait à sept, huit kilomètres d’un parc éolien ; comme nous le savons tous, les nuisances sont beaucoup plus tolérables à distance. Si vous demandez en zone rurale si nous sommes dérangés par les crottes de chien en ville, nous vous répondrons que cela ne nous gêne pas… C’est un peu ce qui se passe avec ce genre de sondages. La réalité, c’est que les gens qui connaissent l’éolien n’en veulent pas davantage.

L’éolien citoyen a deux grands avantages. Tout d’abord, il fait monter le tarif de l’électricité, comme l’a reconnu M. Reizine, me semble-t-il : dès lors qu’un projet éolien a un petit saupoudrage de citoyens, il bénéficie d’un bonus qui fait monter de plusieurs euros le prix de l’électricité. C’est un argument… Ensuite, dès lors que vous avez réussi à faire investir 50, 100 euros à un riverain, il perd tous ses droits de recours. Voilà ce qu’est l’éolien citoyen, voilà comment nous le recevons dans les campagnes. Nous avertissons donc les gens : attention, vous pouvez contribuer au financement, mais il ne faudra pas venir vous plaindre ensuite.

M. Olivier Perot. Je respecte, madame, monsieur, votre témoignage, mais il y en a beaucoup d’autres qui vont dans un sens différent. La réalité n’est pas binaire, loin de là, et notre sondage le montre d’ailleurs, vous avez raison de le souligner.

S’agissant de la dimension écologique, le bilan carbone d’une éolienne est environ de six mois : au terme de ce délai, elle a complètement remboursé la production de carbone nécessaire pour l’installer. Je ne comprends donc pas que vous disiez que le bilan carbone n’est pas positif.

Quant à la comparaison avec le nucléaire, je la trouve un peu curieuse, car le nucléaire pose tout de même de nombreuses questions de sûreté, de risques, de coûts de démantèlement et de retraitement des déchets, etc., ce qui explique qu’il y ait un fort enjeu de diversification du mix électrique français. Il est un peu étonnant de développer des arguments liés à l’environnement pour défendre le nucléaire. Pour une éolienne, il faut certes une fondation en béton, mais l’empreinte agricole d’une éolienne est, si tant est qu’on puisse la mesurer, proche de zéro puisqu’on peut cultiver au pied d’une éolienne. Par ailleurs, ce béton est démantelable ; le démantèlement des masses de béton a déjà été effectué sur plusieurs sites. Ce n’est pas quelque chose de permanent.

La règle de distance est en effet de 500 mètres mais c’est évidemment une distance minimale et non maximale. La distance est aujourd’hui appréciée dans un dossier à la suite d’études d’impact, en fonction de la biodiversité, de l’habitat, etc., et la décision est prise in fine par le préfet. Les textes réglementaires sont clairs à ce sujet : la distance des habitations est appréciée dans le dossier et ne peut en tout état de cause être inférieure à 500 mètres. Cela ne signifie pas que toutes les éoliennes se trouvent à 500 mètres des habitations. Le préfet peut tenir compte de la taille des éoliennes, de la configuration du terrain ; c’est une décision au cas par cas.

Des améliorations importantes ont été apportées ou sont en voie de l’être dans l’acoustique. Techniquement, on peut améliorer l’émission acoustique spécifique d’une pale, avec des technologies s’inspirant des ailes d’oiseaux, par le biais d’appendices acoustiques, c’est-à-dire sous forme de peignes. Par ailleurs, les logiciels permettent, en fonction de la vitesse et de l’orientation du vent, de la situation sur le terrain, de brider ou de débrayer la machine dans certaines circonstances de façon à réduire sa puissance acoustique. Ce sont des choses de plus en plus mises en œuvre sur le terrain.

Pour ce qui concerne le balisage, nos propositions vont même un peu au-delà de ce qui a été cité puisque nous promouvons un système qui permettra de maintenir les éoliennes éteintes et de ne les allumer que sur détection de l’arrivée d’un aéronef. Certes, cela n’est pas sans poser des questions et il faut que ce soit instruit par toutes les autorités. Il existe d’autres idées et initiatives. Le chantier national a engagé la mise en relation de tous les acteurs concernés pour travailler sur ces sujets et trouver des solutions satisfaisantes pour toutes les parties.

Nous sommes sur une courbe de baisse des coûts. La puissance publique a apporté et continue d’apporter des aides à l’investissement, mais c’est une politique réussie, en ce sens que le résultat est une réduction des coûts au fil du temps. Le but à terme est de se passer de soutien public, à un horizon probablement au-delà de la future PPE, mais pas forcément très au-delà.

La facture d’électricité inclut des taxes. La part qui revient à l’éolien, avec le parc actuel, et qui devrait rester constante dans les années à venir en raison de la baisse des coûts de l’éolien, représente pour le consommateur individuel un montant de l’ordre de 12 euros par an, soit un euro par mois. C’est un chiffre qu’il est important d’avoir en tête pour se faire une idée de l’impact de l’éolien sur la facture.

M. Jean-Louis Butré. Sur le CO2, j’ai entendu un certain nombre d’inexactitudes. L’éolien est une énergie intermittente. Quand on injecte de l’éolien dans le réseau, le rendement dépend du vent. Quand il n’y a pas de vent, il n’y a pas d’électricité. Il faut donc des moyens de substitution. Il ne s’agit donc pas uniquement de regarder le bilan de construction d’une éolienne, mais l’ensemble du fonctionnement de l’éolien sur une période et voir si le bilan CO2 est positif, si l’on veut sauver le climat. Or tous les experts indépendants le disent : l’éolien ne sauve pas le climat, ne diminue pas le CO2 ; au contraire, il l’augmente.

Il suffit de regarder le bilan en Allemagne. L’éolien fonctionne dans ce pays parce que les Allemands ont des centrales à charbon et à lignite en réserve, car eux ont de l’argent. Quand il n’y a pas de vent, ce sont elles qui tournent. En France, il faut savoir ce qu’on veut. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) l’a constaté, cette affaire de CO2 n’est pas du tout claire… On est en train de tromper les Français en leur disant qu’avec des éoliennes on sauve le climat.

Je veux bien croire que l’augmentation de distance va un petit peu pénaliser cette industrie, mais expliquez-moi pourquoi la distance de protection de cinq cents mètres imposée pour une éolienne haute de cent mètres reste exactement la même pour une éolienne haute de 250 mètres ! Prenez un décret, ce n’est pas difficile, pour augmenter la distance de protection des habitations à 1 000 mètres, 1 500 mètres, ou une fois et demie la hauteur en bout de pale ; ce sont là des décisions faciles et qui pourraient apaiser la colère qui monte sur le terrain. Car elle va bientôt devenir explosive, et je vous demande instamment de faire baisser cette pression, à défaut de quoi ce ne sont pas des gilets jaunes que vous aurez, mais des protestations locales autrement plus violentes – c’est la société civile qui vous le dit. Vous n’avez pas idée des milliers de remontées que je reçois chaque semaine de gens qui n’en peuvent plus. Vous pouvez ne pas les écouter, mais vous voyez ce que ça donne de ne pas écouter les gens. Ce n’est pas une demande anormale. Vous souhaitez prendre une mesure ? Commencez par augmenter les distances de sécurité.

J’entends dire depuis 2001, par France énergie éolienne et votre prédécesseur, monsieur Perot, que les éoliennes sont au bord de la rentabilité. Les coûts baissaient mais vous aviez toujours besoin des subventions ; aujourd’hui vous êtes presque à l’équilibre économique, mais il faut maintenir les subventions. Mettez fin à toutes les subventions et aux tarifs de rachat préférentiels ! Rappelez-vous que les appels d’offres ne sont valables que pour les parcs de plus de six éoliennes ; à moins de six éoliennes, c’est toujours l’ancien tarif. Que font les promoteurs ? Eh bien, ils construisent un parc de six, plus un parc de six, plus un autre parc de six… Ils ne vont pas s’amuser à construire des parcs plus grands puisque ce sera moins rentable. Supprimez toutes les subventions, nous pourrons alors peut-être commencer à discuter. Aujourd’hui nous ne discutons plus, nous sommes dans la lutte, sur le terrain, pied à pied, éolienne par éolienne, avec tous les moyens juridiques à notre disposition.

M. Adrien Morenas, vice-président. Vous parlez de décret et d’autres dispositions, c’est précisément le genre de décision qui sera prise à l’issue de ce rapport. Si nous avons souhaité recevoir des représentants des associations défavorables aux éoliennes, c’est justement pour prendre en considération tous les points de vue.

M. David Marchal. Il faisait clairement partie de nos missions d’évaluer l’impact environnemental des différentes technologies. Nous avons réalisé l’analyse de cycle de vie du parc éolien français, en prenant en considération les spécificités du parc et les machines installées. L’analyse de cycle de vie consiste à rapporter tout l’impact en multicritères à la construction, à l’utilisation en fin de vie, par rapport à l’énergie produite. Le résultat est de onze grammes de CO2 par kilowattheures. L’éolien apparaît donc de ce point de vue comme une énergie extrêmement performante ; en dessous, il n’y a que le nucléaire – sept grammes – et l’hydraulique.

S’agissant de l’impact sur le système électrique, le système français est interconnecté au niveau européen. Les moyens sont engagés dans ce qu’on appelle le merit order économique : quand de l’éolien, qui fait l’objet d’une obligation d’achat, arrive sur le marché, il pousse hors du marché les moyens les plus chers, qui sont les moyens carbonés. Le développement de l’éolien a donc eu pour effet, au niveau européen, de faire sortir petit à petit des moyens carbonés.

S’agissant de la distance aux habitations, il me semble nécessaire d’avoir une étude d’impact de son augmentation sur la taille du gisement. Je sais que le Syndicat des énergies renouvelables l’avait réalisé, mais uniquement en région Bretagne, me semble-t-il.

La hauteur en bout de pale a été mentionnée. Il faut préciser de quoi on parle. La hauteur du mat est la chose la plus visible ; la turbine se situe à la hauteur du mât. Les 250 mètres dont on a parlé correspondent à la hauteur en bout de pale des machines les plus grandes, en aucun cas à la hauteur des mats.

En ce qui concerne l’intégration progressive au marché, il faut certes prendre en considération le niveau de tarif d’achat par rapport au prix de marché, mais aussi la visibilité offerte aux investisseurs. Si l’on supprimait aujourd’hui les tarifs d’achat sur l’éolien et le photovoltaïque, cela produirait un contre-effet lié à la bancabilité des projets : les banques ne pourraient plus prêter à 80 % comme elles le font – aujourd’hui un projet éolien est financé à 80 % en prêts – et le coût de revient au mégawattheure augmenterait notablement.

Au demeurant, ces tarifs ne sont déjà plus le système de soutien privilégié dans la mesure où tous les projets en appels d’offres fonctionnent désormais selon un mécanisme de complément de rémunération, sur un modèle de contrat différent. Si jamais, demain, les prix de marché dépassaient les 65 euros dont on a parlé, les porteurs de projet devraient rembourser à l’État. C’est déjà un mécanisme très rassurant pour les finances publiques.

M. Olivier Perot. Il y a dans ce que j’ai entendu une grosse incompréhension, me semble-t-il, s’agissant de la place des moyens carbonés dans les systèmes électriques. L’Allemagne et la France ont des histoires et des mentalités très différentes relativement à leurs systèmes électriques. L’Allemagne a décidé, dans sa transition énergétique, d’éteindre d’abord le nucléaire avant les moyens carbonés. Dans le mix électrique allemand, la production carbonée d’électricité n’a pas varié au cours des dix dernières années ; c’est la production nucléaire qui a baissé et qui a été remplacée par la montée en puissance des énergies renouvelables. Dans les dix, quinze ou vingt prochaines années, le mouvement va se poursuivre et l’Allemagne ira à 100 % de renouvelables à long terme, éteignant petit à petit les moyens carbonés. La France a fait un choix différent : réduire d’abord les moyens carbonés et ensuite le nucléaire. Mais il n’y a pas de relation entre les renouvelables et les besoins de moyens thermiques.

Une phrase du rapport de RTE confirme ce point : « Développer un système reposant à 70 % sur des énergies renouvelables ne conduit en aucun cas à doubler la capacité renouvelable par des moyens thermiques et les argumentaires alarmistes consistant à considérer nécessaire le développement de moyens de secours systématiques font fi, d’une part, de l’interconnexion de la France avec ses voisins, qui permet de mutualiser les flexibilités, et, d’autre part, d’une analyse de la contribution statistique de l’éolien et du photovoltaïque à la sécurité d’approvisionnement. » Comme je l’indiquais en introduction, RTE, dont personne ne peut contester le professionnalisme, ne voit pas de difficulté à intégrer de très fortes proportions de renouvelables sans avoir besoin de moyens de secours thermiques.

Mme Bernadette Kaars. La distance est un enjeu important. Que puis-je dire sinon : « Excusez-nous d’habiter là ! Excusez-nous d’habiter la France… » La France a un habitat très dispersé, il faut en tenir compte. Vous nous refusez une protection à laquelle nous avons droit et que nous vous réclamons. Entendez-vous faire primer l’intérêt de l’industrie sur le cadre de vie et le bien-être de la population ? Il faut que le choix soit clairement fait.

Dans la même série « excusez-nous d’habiter la France », les promoteurs éoliens ont obtenu une dérogation au code de la santé publique. En zone rurale, nous ne sommes ainsi pas protégés par ce code. Les éoliennes peuvent faire plus de bruit qu’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) du même ordre, l’argument officiel étant que, comme il n’y a pas de bruit dans les campagnes, si on fait du bruit, forcément ça va s’entendre… Est-il acceptable que nous ne soyons pas protégés par le code de la santé publique ? C’est une mesure simple : les éoliennes doivent respecter le code de la santé publique. L’ADEME réalise des études environnementales et je regrette de ne pas être une chauve-souris : ces mammifères sont très bien étudiés mais l’impact des éoliennes sur notre santé, le bruit, ce clignotement quarante-deux fois par minute qui entre dans nos maisons, ce mouvement qui appelle le regard, cela n’est pas pris en compte. S’il vous plaît, remettez les éoliennes dans le code de la santé publique. Permettez-nous, en zone rurale, d’être nous aussi protégés par ce code.

Quant à la couleur du balisage, bleu, jaune ou vert, cela ne va pas changer grand-chose…

Pensez que nous habitons là et que nous vous demandons protection. Éloignez ces machines de nos habitations.

M. Stanislas Reizine. Je confirme que, dans la trajectoire PPE présentée par le Gouvernement, il n’y a aucun nouveau moyen thermique en France pour assurer le back-up des éoliennes ou du photovoltaïque. Il n’y a aucune augmentation du CO2 ; au contraire, à l’horizon 2028, les émissions de CO2 chiffrées dans le cadre de la PPE diminuent. Il n’y a pas non plus de transfert entre pays européens. Nous sommes sur une contribution globalement positive pour le climat de ces technologies.

M. Jean-Louis Butré. La Fédération Environnement Durable va continuer à se battre éolienne par éolienne. Je suis écœuré de ce que j’ai entendu car, scientifiquement et économiquement, un certain nombre de choses étaient inexactes. Je pense qu’un lobby a pris le pouvoir dans cette affaire ; il faudrait que l’État se ressaisisse très vite, sinon nous allons vers une véritable catastrophe environnementale, économique et sociale.

Je parle au nom de la Fédération environnement durable, mais également au nom d’une autre fédération, Vent de Colère, et de toutes les associations, dont on n’a pas parlé, de protection du patrimoine de la France. Nous déposons des recours actuellement devant le Conseil d’État.

M. Adrien Morenas, vice-président. J’aimerais que l’on cesse également de soutenir que nous sommes en permanence sous l’influence des lobbies !

Merci pour l’ensemble de vos interventions. Nous prendrons bonne note de tout ce qui s’est dit par les uns et les autres.

L’audition s’achève à onze heures trente-cinq.


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14.   Jeudi 17 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la filière de l’éolien maritime :
– M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la direction générale de l’Énergie et du climat au ministère de la Transition écologique et solidaire ;
– M. Nicolas Deloge, directeur adjoint à la direction des réseaux, et M. Adrien Thirion, chef du département Dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et aux consommateurs, de la Commission de régulation de l’énergie, Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles ;
– M. Olivier Perot, président de France Énergie Éolienne (FEE), M. Frédéric Petit, président de la commission Offshore, et Mme Pauline Le Bertre, déléguée générale ;
– M. François Gauthiez, directeur de l’appui aux politiques publiques de l’Agence française pour la biodiversité ;
– M. François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement.

L’audition débute à onze heures trente-cinq.

M. Adrien Morenas, vice-président. Mes chers collègues, nous abordons à présent la question de l’éolien maritime, dont les problématiques ne sont pas toutes identiques à celles de l’éolien terrestre.

Deuxième puissance maritime mondiale grâce à une zone maritime de 11 millions de kilomètres carrés et quatre façades maritimes métropolitaines, la France bénéficie d’une situation géographique privilégiée pour le développement de l’éolien en mer. Pourtant, elle ne compte pour l’heure qu’une éolienne flottante en service et aucun parc offshore. Il convient donc de se demander quels sont les freins au développement de ce mode de production d’énergie.

Pour en discuter, nous avons le plaisir d’accueillir M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire ; M. Nicolas Deloge, directeur adjoint à la Direction des réseaux, et M. Adrien Thirion, chef du département Dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et aux consommateurs, de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) ; M. Frédéric Petit, président de la commission Offshore de France énergie éolienne (FEE) ; M. François Gauthiez, directeur de l’appui aux politiques publiques de l’Agence française pour la biodiversité (AFB), et M. François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement (FNE).

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, je vous remercie d’être présents ce matin. Quelques mots pour replacer cette table ronde dans le contexte plus général de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique. Les travaux de celle-ci sont organisés autour de sept thèmes : la vision que nous avons de notre pays dans le nouveau monde de l’énergie ; le développement des filières d’énergie renouvelable, qui vous concerne directement ; la mobilité ; les économies d’énergie ; la manière dont les grands groupes de l’énergie se projettent dans l’avenir et intègrent le changement radical intervenu dans la production et la consommation d’énergie ; les territoires, qui ont un rôle primordial à jouer dans la transition énergétique ; enfin, la fiscalité et les taxes liées à cette transition. Vous n’êtes pas directement concernés par l’ensemble de ces thèmes, mais il nous intéresserait de vous entendre sur ces différents points.

M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la direction générale de l’Énergie et du climat (DGEC) du ministère de la Transition écologique et solidaire. Pour commencer, je me propose de vous présenter rapidement notre vision de l’éolien en mer, de la filière, ainsi que notre ambition dans ce domaine.

Je ne rappellerai pas, ici, quels sont les objectifs généraux de la politique énergétique de la France et combien il est important de développer les énergies renouvelables, notamment la filière éolienne. En ce qui concerne l’éolien en mer, nous estimons qu’il a vocation à être développé dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour constituer, à terme, une filière essentielle à la transition énergétique française. Pour l’instant, en France – à la différence d’autres pays européens –, cette filière est actuellement, sur le plan technologique, moins mature que celle de l’éolien terrestre, notamment parce qu’il n’existe aucun parc en fonctionnement. Or elle ne pourra être développée massivement que si l’on obtient des prix compétitifs. C’est pourquoi le Gouvernement a réduit le coût des projets engagés, qui concernent six parcs, et modernisé l’ensemble du cadre réglementaire, en tirant les leçons du passé – je pense au lancement, il y a plusieurs années, de parcs qui n’ont jamais été mis en service – et en offrant une visibilité pluriannuelle à la filière.

Dans cette perspective et compte tenu du fait que les coûts de l’éolien avaient baissé partout en Europe, le ministre de la transition écologique et solidaire a souhaité renégocier les contrats correspondant aux parcs existants, afin de réduire la charge pour le contribuable et de consolider ces projets en s’efforçant de moderniser ce qui pouvait l’être, sachant que le droit ne permet pas de tout modifier. C’est ce qui a été fait l’an dernier ; les décisions d’approbation définitive ont été publiées au Journal officiel fin novembre. Afin de soutenir cette dynamique, nous avons lancé, dans la foulée, le 15 novembre dernier, un nouvel appel d’offres concernant une zone située au large de Dunkerque dont le ministre souhaite désigner le lauréat au cours du premier semestre 2019.

En même temps que nous tirions les leçons des six premiers projets, nous avons examiné ce qui fonctionne en Europe et mené un grand nombre de réformes pour simplifier et favoriser le développement des énergies renouvelables en mer. Ainsi, nous avons créé une autorisation environnementale unique, accéléré le traitement des contentieux – si les six premiers projets accusent un retard très important, c’est en partie parce qu’aucun d’entre eux n’est soldé de recours –, instauré la possibilité d’un dialogue concurrentiel, utilisé pour la première fois à Dunkerque, pour disposer d’offres plus compétitives, et réformé le raccordement. Il est également prévu que, pour les prochains parcs, l’État organisera très en amont la consultation du public à l’échelle d’une façade, afin d’identifier les zones les plus propices et de savoir quelles pourraient être les oppositions locales, de sorte que le projet, une fois dimensionné, soit « dérisqué ». À cette fin, l’État réalisera également une partie des études environnementales : vent, biodiversité, bathymétrie… Il s’agit de « dérisquer » au maximum les projets en amont, de préparer le terrain, pour faciliter le déroulement des futurs projets.

Une fois ce cadre mis en place, nous avons annoncé, dans le projet de PPE qui a été lancé par le Président de la République en novembre, un certain nombre de nouveaux projets qui pourraient être mis en œuvre au rythme d’un par an. Un premier projet d’éolien posé devrait être ainsi lancé dans la Manche en 2019, après un débat public qui devrait débuter prochainement. Il sera suivi par des appels d’offres commerciaux d’éolien flottant en Bretagne et en Méditerranée ; de telles fermes éoliennes flottantes de grande taille constitueront une première en Europe. Le projet de PPE ouvre ensuite la voie au lancement d’autres projets qui permettraient d’atteindre 5 gigawatts de capacité installée en 2028.

En conclusion, le Gouvernement a conscience que ces filières font l’objet d’attentes extrêmement fortes. De fait, le potentiel est important, la technologie a montré sa maturité en Europe, la France réunit des conditions assez exceptionnelles pour le développement de l’éolien en mer ; sur le plan énergétique, la production est plus régulière qu’à terre. Autant d’éléments qui expliquent que le Gouvernement souhaite soutenir cette filière. Pour l’instant, la politique privilégiée vise plutôt à consolider les premiers projets, à moderniser le cadre réglementaire et à fixer un calendrier réaliste de développement de nouveaux projets, d’un point de vue technologique puis économique. Cependant, le ministre d’État a annoncé à plusieurs reprises que le Gouvernement pourrait envisager une augmentation des capacités dans le futur au cas où la baisse des prix serait supérieure à ce qu’on anticipe aujourd’hui.

M. Nicolas Deloge, directeur adjoint à la Direction des réseaux de la Commission de régulation de l’énergie. Si la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a, autour de cette table, deux représentants, c’est parce qu’elle remplit deux types de mission : le premier concerne la mise en œuvre des appels d’offres en matière d’énergies renouvelables et l’évaluation des charges de service public ; le second a trait à la régulation des réseaux, notamment du réseau public de transport d’électricité. Pour que nos interventions soient cohérentes, je vous propose de céder la parole à M. Thirion, qui va vous parler des appels d’offres ; je compléterai ensuite son propos en évoquant le raccordement.

M. Adrien Thirion, chef du département Dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et aux consommateurs de la Commission de régulation de l’énergie. Tout d’abord, je vous remercie d’offrir à la CRE l’opportunité de s’exprimer sur cette filière qui a fait couler beaucoup d’encre ces douze derniers mois, et mobilisé le Parlement et l’ensemble des administrations de l’énergie, de l’industrie et du budget. La CRE se félicite globalement de la conduite des renégociations des conditions de rémunération des lauréats des appels d’offres 1 et 2, pour lesquels elle avait évalué, dès 2011 et 2013, l’engagement budgétaire de l’État à une quarantaine de milliards d’euros sur vingt ans. Cette procédure peu commune, que vous avez autorisée, a en effet permis de corriger, au moins en partie, les prix élevés qui résultaient de ces deux appels d’offres. Ces prix élevés traduisent, certes, les spécificités des conditions géographiques et météorologiques des côtes françaises ; ils ont aussi et surtout été la conséquence des modalités d’organisation de ces appels d’offres, qui ont pu contribuer à limiter la concurrence. Pour rappel, il n’y avait que deux candidats par lot, sauf pour l’un d’entre eux, où ils étaient trois.

La mise en œuvre d’une procédure de dialogue concurrentiel – à laquelle il a été fait recours pour la première fois pour le développement d’un parc au large de Dunkerque –, puis la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, ont permis des améliorations significatives en matière de « dérisquage » des projets et augmenté ainsi l’appétence des porteurs de projets pour le développement de ces installations, puisque ceux‑ci peuvent candidater en évitant de prévoir des marges de risques excessives.

La CRE considère cependant qu’outre les mesures rappelées par la DGEC et mises en œuvre au cours des douze derniers mois, un certain nombre de points peuvent encore être améliorés. Je m’en tiendrai à deux d’entre eux.

Le premier concerne les études de levée de risque qui, à notre sens, devraient être réalisées par l’État très en amont du lancement de la procédure de mise en concurrence, afin que les candidats puissent disposer des résultats complets de ces études – conformes aux standards de l’industrie – au moment de la procédure de mise en concurrence. La durée des mesures des données de vent, par exemple, nécessite que celles-ci soient réalisées très en amont pour bénéficier d’un retour d’expérience suffisant.

Le second concerne les autorisations nécessaires au développement des projets. Il a été rappelé qu’un « permis enveloppe » avait été créé. Il conviendrait, nous semble‑t-il, de franchir une étape supplémentaire en prévoyant que les autorisations nécessaires au développement des projets soient obtenues par l’État, pour le compte des lauréats, en amont de la procédure concurrentielle et qu’elles soient, avant même le lancement de la procédure, purgées par l’État de tout recours. Il devrait en être de même pour les procédures liées aux travaux de raccordement dépendant du gestionnaire du réseau de transport (GRT). Ainsi, le candidat, au moment où il dépose son offre, ne supporterait plus aucun risque lié à ce type de procédure, ce qui n’est pas encore tout à fait le cas aujourd’hui. En effet, si le débat public permet de prendre la température et de déminer au maximum le terrain, il appartient encore au lauréat de déposer son autorisation environnementale et d’assumer les éventuels recours dont elle fera l’objet. Cette procédure a déjà été mise en œuvre aux Pays-Bas et nous semble avoir produit des résultats satisfaisants.

M. Nicolas Deloge. Les raccordements sont effectués par le gestionnaire du réseau de transport, Réseau de transport d’électricité (RTE). Selon les évaluations actuelles, pour les appels d’offres 1 et 2, qui concernent six sites, il faut compter, par raccordement, entre 170 millions et 270 millions d’euros, soit, pour la période courant jusqu’à 2024, un coût total de raccordement d’environ 1,3 milliard d’euros. Pour vous donner un ordre de grandeur, le budget d’investissement de RTE pour 2018 était d’environ 1,4 milliard d’euros. Ces travaux ont donc un impact significatif sur le programme de travaux du gestionnaire du réseau de transport. Pour les mêmes appels d’offres, le financement de ces raccordements, qui devait être assuré à l’origine par les lauréats, a été transféré par la loi pour un État au service d’une société de confiance  à RTE, donc aux tarifs de transport d’électricité. Cette disposition présentait notamment l’intérêt de « dérisquer » les projets dans ce domaine.

Il faut savoir que la CRE est compétente pour approuver les modèles de convention de raccordement. À la suite de cette modification législative, nous avons donc décidé, après une large concertation avec les acteurs – lauréats, Gouvernement, gestionnaire du réseau de transport –, d’adopter un nouveau modèle de convention de raccordement, lequel est aujourd’hui applicable et ne constitue plus un frein au développement des six sites.

Nous avons également pour mission de veiller à l’efficacité du gestionnaire de réseau de transport. Dans ce cadre, nous avons pris des décisions visant à inciter ce dernier à réduire les coûts en étendant un dispositif applicable aux très grands projets d’interconnexion, qui consiste à fixer un budget cible et à envoyer une incitation financière au gestionnaire du réseau de transport afin qu’il l’atteigne. Ce dispositif a été mis en œuvre fin décembre 2018 et sera donc applicable à ces projets.

M. Frédéric Petit, président de la commission Offshore de France énergie éolienne. Président de la commission Offshore de France énergie éolienne, je suis également chargé du « business développement » chez Siemens Gamesa.

Je vous remercie d’offrir à France énergie éolienne l’opportunité de s’exprimer sur ce sujet. L’énergie éolienne en mer est parfaitement compétitive et mature, comme en témoignent les 3 gigawatts installés par an en Europe. Pour les appels d’offres lancés depuis 2016 en Europe, les niveaux de prix se situent entre 49 et 70 euros du mégawattheure, sachant que quelques-uns d’entre eux ont été attribués sans mécanisme de soutien. Sans revenir sur la renégociation, qui a été largement abordée précédemment, je tiens à souligner que France énergie éolienne est convaincue que l’appel d’offres de Dunkerque permettra de démontrer la compétitivité de l’éolien en mer en France, puisque le prix sera de l’ordre de 60 euros du mégawattheure.

En matière d’emploi, alors même qu’aucune éolienne en mer n’est en service en France, les énergies marines représentent actuellement environ 2 000 emplois. Selon les engagements pris dans le cadre des deux premiers appels d’offres, ce secteur représentera, à terme, 15 000 emplois, soit un doublement par rapport au nombre d’emplois actuel dans l’éolien maritime et terrestre.

Par ailleurs, nous considérons que le cadre législatif et réglementaire précédent, applicable aux appels d’offres 1 et 2, a pu partiellement être à l’origine des retards
– l’attribution étant intervenue en 2012 alors que les premiers parcs entreront en service à horizon 2022. Ce délai de dix ans est, certes, particulièrement long, mais il est à comparer aux délais en vigueur dans l’éolien terrestre, qui sont en moyenne de huit ans. Force est de constater que la France est, hélas ! un pays où les projets mettent du temps à se réaliser… France énergie éolienne a été, au cours des dernières années, force de proposition pour améliorer ce cadre réglementaire, en s’inspirant des bonnes pratiques européennes : dialogue concurrentiel, « permis enveloppe », « dérisquage » en amont, raccordement à la main du gestionnaire de réseau… Nous nous félicitons donc des avancées significatives intervenues dans ce domaine, qui non seulement rendent le territoire français plus attractif mais favorisent également la nécessaire baisse des coûts.

Trois points retiennent néanmoins notre attention. Tout d’abord, nous souhaitons que le « permis enveloppe », en tout cas les procédures qui seront mises en œuvre, permette une réelle flexibilité, c’est-à-dire une sélection des technologies au plus près de la décision d’investissement. Ensuite, même si des progrès ont été faits, nous estimons qu’il est nécessaire de poursuivre l’optimisation du temps des recours. Les premières autorisations en France ont été obtenues en 2016 ; les recours ont donc pris trois ans sur dix, ce qui est particulièrement long. Enfin, nous souhaitons que la fiscalité soit adaptée, c’est-à-dire proche de celle qui est appliquée à d’autres énergies renouvelables, comme l’éolien terrestre ou le solaire, et proche de celle qui prévaut dans d’autres pays d’Europe.

Quant à l’environnement, c’est évidemment un sujet majeur pour le développement de la filière. Celle-ci a besoin de connaissances plus précises en amont, en lien avec la planification spatiale et maritime et les documents stratégiques de façade. L’étude de levée du risque, désormais conduite par l’État, permettra de répondre partiellement à cet enjeu. France énergie éolienne soutient plusieurs initiatives environnementales et programmes de recherche dans ce domaine. J’ajoute que le retour d’expérience sur la base des 16 000 mégawatts installés en Europe fournira également des éléments précis.

J’en viens à la PPE. Toutes les études montrent que l’éolien sera un contributeur majeur à la transition énergétique, non seulement en puissance mais également en énergie. La France, cela a été souligné, dispose du deuxième gisement d’Europe. Dix-huit gigawatts raccordés en 2030 occuperaient 0,67 % des eaux métropolitaines françaises, à comparer aux 6 % prévus en Belgique. Or, si les objectifs de la PPE sont satisfaisants pour l’éolien terrestre, les premières annonces sur l’éolien en mer sont clairement en deçà du potentiel français. L’évaluer à 5 gigawatts à l’horizon 2028, revient, selon nous à négliger ce potentiel et la compétitivité de la filière, alors que l’éolien en mer posé ne nécessitera pratiquement plus aucun soutien public et que l’éolien flottant est en passe de se développer industriellement partout dans le monde. Du reste, la France est en avance dans ce domaine, grâce aux quatre parcs pilotes prévus. L’industrie est prête à s’engager sur les prix, tant pour l’éolien posé, aujourd’hui mature, que pour le flottant, qui le sera demain.

Nous estimons qu’un volume de 1 gigawatt, donc 1 000 mégawatts, par an d’éolien en mer est un objectif minimal pour la période 2019 à 2023, afin de donner de la visibilité à l’ensemble de la chaîne de valeur – je pense aux industriels et surtout aux petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises. Ce volume serait, en outre, tout à fait cohérent avec l’objectif de 40 % d’ENR à l’horizon 2030 et avec les volumes annoncés et prévus dans les autres pays européens.

Qu’en est-il de l’adhésion à l’éolien en mer ? Selon les études réalisées lors du débat public, cette énergie est globalement très bien acceptée. La participation du public en amont de la procédure de mise en concurrence représentera une amélioration substantielle, car le choix de la zone concentre en général l’attention des parties prenantes. Nous considérons également que tous les usages, notamment les préoccupations environnementales et la pêche, doivent être pris en compte. Enfin, la taxe éolienne, qui représente, sur vingt ans, pour les six premiers parcs, un montant de 1 milliard d’euros environ, contribue à l’adhésion à l’éolien en mer mais elle doit être justement répartie entre les différentes parties prenantes.

M. François Gauthiez, directeur de l’appui aux politiques publiques de l’Agence française pour la biodiversité. Établissement public de l’État placé sous la tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire, l’Agence française pour la biodiversité (AFB) apporte un appui aux pouvoirs publics pour la prise en compte des questions de biodiversité. Elle est également responsable de la gestion de certaines aires marines protégées, comme les parcs naturels marins, et très impliquée dans la mise en œuvre des directives Natura 2000 en mer, notamment dans le cadre de la gestion de certains sites.

Il ne faudrait pas considérer la biodiversité comme un frein à la transition énergétique. C’est une réalité qui s’impose à tous et dont tous les projets industriels, il est important de le rappeler, doivent évidemment tenir compte. La voir comme un frein, c’est la reléguer en fin de processus. Or la prise en compte des enjeux de la biodiversité doit intervenir le plus en amont possible, au même titre que les conflits d’usages dans l’utilisation de l’espace marin, par exemple.

L’appui que nous fournissons notamment aux services instructeurs de l’État et à l’autorité environnementale s’inscrit dans la séquence « ERC » : Éviter, Réduire, Compenser. Le premier facteur d’évitement est, bien entendu, la planification, le choix des sites, dans le cadre d’une démarche d’identification de macro-zones dans les documents stratégiques de façade et de consultations sur les zones propices. À cet égard, les données détenues par nous‑mêmes ou certains de nos partenaires fournissent des clés pour l’identification des zones susceptibles de minimiser l’impact des éoliennes, notamment sur les habitats marins, particulièrement affectés par les installations fixes. Se pose également la question de la protection des oiseaux marins, puisque les installations ont sur l’avifaune un impact qu’il convient de minimiser. À cet égard, le choix du site est, comme pour les habitats, déterminant.

Par ailleurs, la phase de réduction des impacts conduit à envisager un certain nombre de mesures dont nous constatons, sans entrer dans le détail, qu’elles ne font pas forcément l’objet d’un consensus. Il est donc sans doute nécessaire de poursuivre les travaux sur ce sujet. Des études sont en cours, mais sans doute faut-il consolider une expertise au plan national, qui permettrait de sécuriser les opérateurs, non seulement en matière de recherche et développement mais aussi en ce qui concerne la prescription de mesures concrètes. Il convient de citer, à cet égard, l’initiative très intéressante de France énergies marines, qui a mis sur pied le Comité d’expertise pour les enjeux environnementaux des énergies marines renouvelables (COME3T). Ce comité n’est pas une instance nationale d’expertise, mais il pourrait en être la préfiguration.

M. François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement. France nature environnement est une fédération qui réunit 3 500 associations sur l’ensemble du territoire français, y compris ultramarin. Grâce à ce maillage territorial, les associations membres de France nature environnement participent à l’ensemble du processus de concertation inhérent aux projets éoliens en mer : débats publics, enquêtes publiques, réunions préfectorales… France nature environnement est favorable à l’éolien en mer, à condition évidemment que les projets ne soient pas réalisés n’importe où et n’importe comment – nous aurons l’occasion d’y revenir.

S’agissant des freins au développement de l’éolien en mer, nous partageons un certain nombre des propos entendus ce matin. Je retiendrai, pour ma part, quatre points.

Premièrement, il faut impérativement planifier notre espace maritime de manière claire et cohérente pour assurer visibilité et sérénité à la filière éolienne en mer. Or, dans ce domaine, l’État français a fait un peu les choses à l’envers, nous semble-t-il, en lançant deux appels d’offres, en 2011 et en 2013, qui ont abouti à six projets, alors qu’on ne disposera pas avant 2019 des documents stratégiques de façade, qui transposent la directive-cadre relative à la planification des espaces maritimes. Ces documents comporteront des cartes de vocation qui devraient, je l’espère en tout cas, établir des zones propices au développement de projets éoliens en mer. L’absence de planification aura été, en définitive, une faiblesse. En effet, jusqu’à maintenant, les premiers critères retenus pour choisir les zones propices étaient davantage fondés sur la météorologie ou la géologie que sur des considérations liées aux autres activités maritimes ou à la protection de l’environnement marin, qu’il s’agisse de l’impact des installations sur l’avifaune ou sur les habitats marins vulnérables, par exemple. De ce fait, le choix des zones a suscité de vives contestations sur le terrain, notamment à propos du projet Dieppe-Le Tréport. Nous attendons donc beaucoup des documents stratégiques de façade.

Je voudrais m’arrêter en second lieu sur le processus de concertation, qui doit, à notre sens, être amélioré pour associer davantage les territoires et les populations locales aux projets. Sur le terrain en effet, les associations et la population ont le plus souvent le sentiment que les projets éoliens en mer sont le résultat d’un processus très centralisé, voire sont parachutés dans les territoires, alors que, pour France Nature Environnement, les énergies renouvelables sont plutôt des énergies décentralisées, qui devraient être le fruit d’une ambition ou d’une dynamique territoriales et bénéficier d’un fort soutien de la population.

Comme pour l’éolien terrestre, on pourrait tout à fait imaginer de mettre en place, par exemple, un financement participatif qui permettrait aux citoyens de s’impliquer dans les projets éoliens en mer – j’en profite d’ailleurs pour indiquer que nous bannissons le terme d’acceptabilité, qui renvoie à une notion de contrainte, pour lui préférer ceux de concertation ou d’appropriation du projet.

Jusqu’à l’adoption de la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) le 10 août 2018, les débats publics concernant les projets éoliens en mer se déroulaient souvent à un stade de la concertation où un certain nombre de paramètres étaient déjà figés, ce qui créait beaucoup de frustration, non seulement chez les participants au débat public, – associations environnementales, pêcheurs ou populations concernées – qui n’avaient finalement plus leur mot à dire ni la possibilité de suggérer des évolutions significatives, mais aussi chez les porteurs de projet fragilisés par le fait qu’on leur imputait le choix des zones retenues, alors que celui-ci était déjà cadré par le cahier des charges rédigé par l’État.

La loi ESSOC permet désormais d’associer le public beaucoup plus en amont et de le consulter sur le choix des zones de développement de l’éolien en mer. Reste à éprouver sur le terrain la portée de cette avancée et à observer selon quelles modalités se déroulera concrètement le débat public : à l’échelle régionale où à l’échelle d’une façade maritime ? C’est un point qu’il faudra trancher rapidement.

J’ajoute qu’il est regrettable qu’il n’existe aucune structure nationale de concertation sur l’éolien en mer. Une telle structure pourrait tout à fait être rattachée au Conseil national de la mer et des littoraux, ce qui permettrait un échange entre l’ensemble des acteurs concernés, depuis les porteurs de projets jusqu’aux riverains. Des expérimentations ont déjà eu lieu au niveau local, en Bretagne et en Occitanie, où existent de telles instances de discussion, qu’il conviendrait de développer à l’échelle nationale.

Mon troisième point concerne les études d’impact, souvent lacunaires. Il faut mieux prendre en compte l’environnement marin pour avoir des projets exemplaires à la fois sur le plan de la transition énergétique mais aussi sur le plan de la protection de la biodiversité marine. Aujourd’hui, la séquence « Éviter, réduire, compenser » (ERC) n’est pas forcément bien appliquée, et on est en droit de reprocher aux porteurs de projet de privilégier les analyses faites par les bureaux d’études au détriment de celles des universités situées sur les territoires concernés, des associations environnementales locales, qui connaissent parfaitement la biodiversité locale, ou des grands ports maritimes, qui ont su mettre en œuvre des politiques de développement durable parfois très intéressantes. Il faut donc que les porteurs de projet soient beaucoup plus innovants dans leurs études d’impact.

J’en terminerai enfin par un mot sur la fiscalité. France Nature Environnement s’interroge avec inquiétude sur la répartition de la taxe sur l’éolien en mer, et nous comptons sur les parlementaires pour la faire évoluer. Il est prévu que la taxe soit reversée pour 50 % aux communes, pour 35 % au Comité national des pêches, pour 5 % à l’Agence française pour la biodiversité, pour 5 % aux services de secours en mer, les 5 % restants étant alloués au financement de projets de développement durable. Cela signifie concrètement que, lorsque les six projets qui ont été actés seront en service, le Comité national des pêches touchera 9 millions d’euros par an, ce qui représente deux fois et demie son budget annuel, tandis que l’Agence française pour la biodiversité devra se contenter de 3 millions d’euros par an, alors que les surfaces à protéger augmentent et que les problématiques que l’Agence doit prendre en charge, à budget constant, se multiplient elles aussi.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Ma première question sera technique : quels sont les avantages et les inconvénients du flottant par rapport au posé ? Lorsque vous faites un appel d’offres, précise-t-il systématiquement la technologie retenue, ou les porteurs de projet peuvent-ils indifféremment proposer du flottant ou du posé ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Monsieur Deloge, au sujet du coût de raccordement, vous avez évoqué un dispositif incluant un budget cible, que vous n’avez pas détaillé : pourriez-vous nous apporter quelques précisions ?

Monsieur Petit, vous nous avez dit que, selon vous, la fiscalité sur l’éolien marin n’était pas adaptée, notamment par rapport à la fiscalité européenne. Or il est assez peu courant que la fiscalité d’un État se cale sur la fiscalité européenne… Pourriez-vous préciser votre pensée ?

Vous considérez également que la PPE n’accorde qu’une place insuffisante au développement de l’éolien en mer. France Énergie Éolienne avait eu des propos assez durs sur le sujet, allant même jusqu’à parler de sabordage. J’aimerais savoir si cette analyse est partagée par la DGEC et la CRE, et comment peut s’expliquer une aussi faible prise en compte.

M. Adrien Morenas, vice-président. Qu’en est-il des appels d’offres lancés pour les DOM-TOM ? Ceux-ci ne constituent-ils pas un territoire particulièrement recommandé pour l’installation d’éoliennes en mer, compte tenu notamment du potentiel que représentent ces projets en termes de création d’emplois ?

Par ailleurs, quels sont les retours d’expérience des parcs éoliens déjà installés dans d’autres pays de l’Union européenne ? Quelles indications pouvons-nous en tirer par rapport au prix du kilowattheure ?

Enfin, estimez-vous que l’impact environnemental de l’éolien en mer reste le principal frein à son développement ?

M. Stanislas Reizine. En ce qui concerne l’arbitrage entre éolien posé et éolien flottant, il est surtout déterminé par la profondeur des fonds, dans la mesure où, au-delà d’une certaine profondeur, il n’est plus possible d’installer de l’éolien posé. Concrètement, par exemple, au large de la Bretagne, les fonds deviennent vite assez profonds et impliquent donc de passer au flottant ; schématiquement, on peut dire qu’en général l’éolien posé s’installe plutôt à proximité des côtes et le flottant plus au large. Cela veut dire que nos appels d’offres spécifient la technologie utilisée, puisqu’ils sont lancés pour des zones déjà déterminées, dans lesquelles on connaît la nature des fonds. Cela étant, certains pays d’Asie préfèrent lancer des appels d’offres ouverts, permettant de mettre en balance les avantages et les inconvénients de l’une ou l’autre technologie. Pour résumer, plus on est au large, plus il y a de vent, mais plus c’est cher.

En ce qui concerne la place de l’éolien marin dans la PPE, nous ne partageons pas l’analyse de France Énergie Éolienne. Certes, la programmation propose un objectif de cinq cents mégawatts produits annuellement, ce qui est en dessous des mille mégawatts demandés par la filière. Néanmoins, nous considérons que c’est une trajectoire réaliste, sachant qu’elle repose sur le déploiement d’un projet par an, d’abord avec la consolidation de l’éolien posé, puisque l’envergure du prochain projet, qui concerne la Manche, sur une zone qui reste à déterminer, est de l’ordre – assez considérable – de mille mégawatts par an. Ensuite, l’installation de fermes flottantes d’une capacité de deux cent cinquante mégawatts est également envisagée pour développer l’éolien flottant, sachant que nous n’avons pour l’instant que des installations pilotes, de petite taille.

Il faut savoir que, dans la PPE, le coût du mégawattheure produit par les fermes est de l’ordre de 150 euros. La filière est certes prometteuse – et nous pensons qu’à terme le posé et le flottant seront concurrentiels –, mais les projets d’éoliennes flottantes sont nécessairement plus chers. Miser sur des fermes d’une capacité de deux cent cinquante mégawatts nous paraît donc un bon compromis entre les fermes pilotes et les projets de plus grande envergure voués à voir le jour dans l’avenir.

Les objectifs proposés par la PPE nous semblent donc satisfaisants, d’autant qu’il faut faire avec un certain nombre de contraintes qui s’imposent à une filière qui reste à consolider, ce que nous ne pouvons faire que progressivement. Rien n’exclut d’ailleurs qu’en fonction des performances que nous obtiendrons avec les premiers projets et celui de Dunkerque, nous soyons en mesure d’adapter ces objectifs ; mais, pour l’heure, la PPE propose un bon compromis.

M. Nicolas Deloge. Je vais répondre à la question de Mme Battistel sur la régulation incitative que la CRE met en place pour les raccordements. Pour un projet donné, nous fixons un budget cible, déterminé à partir de nos propres expertises mais également à partir des données fournies par des auditeurs externes, spécialistes du secteur. Ce budget cible, établi avec RTE, correspond au coût le plus plausible du projet, en ménageant une « bande de neutralité » de 10 %. En cas de surcoûts supérieurs à 10 %, RTE devra prendre à sa charge 20 % de ces surcoûts ; si, au contraire, le coût final est inférieur de plus de 10 % au budget cible, RTE conservera 20 % des gains. Ce mécanisme de régulation, qui incite RTE à réduire au maximum le coût du projet, existait déjà pour les grands projets d’interconnexion ou de renforcement du réseau, dont le coût était supérieur à 30 millions d’euros. Il vient d’être étendu aux projets de raccordement de l’éolien en mer par une délibération de décembre 2018.

M. Adrien Thirion. Pour ce qui concerne les modalités de soutien à l’éolien flottant et le recours à des appels d’offres, nous considérons que la filière n’est pas encore suffisamment mature ni suffisamment concurrentielle pour faire l’objet d’appels d’offres. C’est la raison pour laquelle nous recommandons de passer par une approche de gré à gré, comme nous le faisons dans les territoires non interconnectés. Il s’agit d’une approche à livre ouvert, où l’opérateur présente en amont le détail de ses coûts à l’administration, le niveau d’aide étant corrigé ex post si ces coûts se révèlent plus bas que ceux annoncés.

M. Frédéric Petit. Il n’y a pas à proprement parler de différence technique entre les éoliennes flottantes et les éoliennes posées : les turbines sont les mêmes, au contrôle-commande près. C’est au niveau de l’ancrage ou du flotteur que se situe la différence. Dans le cas de l’éolien posé, la nature du sol va déterminer le choix d’un monopieu, d’une fondation « en jaquette », c’est-à-dire d’un tripode en forme de tour Eiffel, ou d’une fondation gravitaire. La même diversité de solutions existe pour l’éolien flottant.

Cela étant, je suis convaincu qu’à terme la distinction entre posé et flottant est vouée à disparaître et qu’on ne parlera plus que d’un seul marché éolien en mer, sachant que le soutien public au flottant ne sera pas éternel : il faut donc que ses coûts convergent avec ceux de l’éolien posé.

Pour l’instant cependant, seul l’éolien posé offre un marché très mature, avec des volumes de l’ordre de trois mille mégawatts par an. En revanche, l’éolien flottant a encore besoin de soutien, notamment pour que nos fabricants de flotteurs puissent se positionner sur un marché encore émergent mais qui, nous en sommes convaincus, sera compétitif à terme.

En ce qui concerne la fiscalité, chaque État de l’Union européenne fixe évidemment sa fiscalité en toute indépendance. Ce que je voulais signaler, c’est que les investisseurs ne manquent pas de comparer les conditions fiscales dans les différents pays et qu’il est donc important, pour l’attractivité de notre territoire, de mettre en œuvre une fiscalité adaptée.

Quant aux objectifs inscrits dans la PPE, ils sont en effet inférieurs à ce que nous attendions. Or, étant donné la compétitivité de l’éolien en mer, tous les autres pays européens sont en train d’accélérer le développement de leurs filières, pendant que nous manquons totalement d’ambition. À ce rythme et malgré l’assouplissement du cadre réglementaire, nous ne parviendrons jamais à égaler les délais en cours aux Pays-Bas ou au Danemark, où, après attribution, les parcs sont livrés en trois ou quatre ans. Nous sommes sur la bonne voie, mais il nous reste encore de sérieux progrès à faire.

En termes de prix, il est en effet intéressant de se référer aux exemples étrangers. Le projet de Kriegers Flak, au Danemark a été attribué en 2017, à 49,90 euros le mégawattheure – prix ferme puisque le closing financier s’est fait. En Allemagne et aux Pays‑Bas, les derniers appels d’offres ont été attribués sans aucun mécanisme de soutien, autrement dit à des prix très proches de ceux de l’électricité traditionnelle. Nous sommes donc convaincus que l’éolien en mer, comme aujourd’hui l’éolien terrestre ou le solaire, a déjà gagné la bataille de la compétitivité ; d’où notre volonté d’accélérer sans en rester aux objectifs de la PPE, d’autant que l’éolien en mer permet une production massive, puisque la production d’un parc éolien en mer sera près de deux fois supérieure à celle d’un parc terrestre et plus de trois fois supérieure à celle d’un parc photovoltaïque.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Pourquoi les appels d’offres se font-ils à l’étranger sur des prix compétitifs et pourquoi n’est-ce pas le cas en France ? Si la filière est mature à l’étranger, pourquoi ne l’est-elle pas chez nous ? Quels sont les points précis qui font la différence ?

M. Stanislas Reizine. Nous nous sommes posé toutes ces questions au moment de la renégociation, et nous avons lancé une étude assez exhaustive avec les porteurs de projet, pour essayer de comprendre pourquoi on allait en effet payer les parcs programmés dans les prochaines années à un tarif renégocié de l’ordre de 150 euros le mégawattheure, alors qu’à l’étranger les prix tournent plutôt autour de 70 euros.

Cela est lié à plusieurs facteurs. D’abord à la différence des fonds marins, qui ne sont pas partout les mêmes. Grossièrement, on a, en mer du Nord, des fonds plats et sablonneux, tandis que notre façade maritime ouvre sur des fonds plus accidentés et plus profonds. Il y a ensuite la question du vent : certaines zones sont plus ventées que d’autres, et l’on peut considérer que les six premiers projets de parc français sont situés dans des zones moins avantagées en termes de vent que d’autres zones d’Europe où les prix sont plus bas.

Le prix dépend donc des ressources, mais également de la maturité de la filière. Aujourd’hui, le Danemark, les Pays-Bas ou l’Allemagne disposent de filières matures avec des flottes de bateaux, des installateurs, des entreprises spécialisées dans l’éolien marin, pour lesquelles les coûts d’entrée – très élevés – ont déjà été amortis, ce qui fait que les nouveaux parcs construits ne représentent qu’un coût marginal. Mais il faut savoir que les premiers parcs au Royaume-Uni pratiquaient à l’origine des prix comparables aux nôtres, toutes choses égales par ailleurs.

En France, le ticket d’entrée reste à payer, même si nous espérons que nous pourrons bénéficier pour le projet de Dunkerque de certains investissements déjà engagés sur les six premiers parcs, et ainsi de suite. Mais malheureusement, nous restons en retard par rapport à d’autres pays, d’où les surcoûts qu’il nous faut assumer.

M. Frédéric Petit. Ajoutons que ce débat est pollué par la question du stock et du flux. Ce que j’appelle le stock, ce sont les deux premiers appels d’offres : il s’agissait d’une technologie nouvelle pour la France, et nous avons souffert, entre autres, d’une mauvaise évaluation et d’un manque de concurrence lors de l’attribution. D’où la renégociation pour parvenir à des niveaux de prix acceptables.

Mais ce dont il nous faut parler aujourd’hui, c’est du futur, c’est-à-dire du flux des projets à venir. Nous sommes convaincus qu’à Dunkerque nous parviendrons à un niveau de prix de l’ordre de 60 euros le mégawattheure, et donc à un éolien en mer parfaitement compétitif, d’autant que le vent y est à peu près identique à celui qui souffle au large de la Belgique et des Pays-Bas. Or on sait que les prix de l’éolien en mer sont d’une extrême sensibilité à la nature du vent. Nous ne prétendons donc pas qu’il faut construire de l’éolien partout, y compris là où il n’y a pas de vent, mais nos ressources en vent sont suffisantes dans certaines zones pour obtenir un éolien en mer compétitif.

Par ailleurs, les prix français intègrent une prime de risque liée au fait que le cadre réglementaire ne permet pas de garantir au lauréat attributaire qu’il dispose de toutes les autorisations nécessaires et qu’il sera prémuni contre tout recours, ce qui incite les investisseurs à intégrer dans leurs coûts une provision pour risque.

Dans ces conditions, nous estimons que l’heure est venue d’accélérer, car l’augmentation en volume est nécessairement un cercle vertueux : selon que vous achetez dix avions ou cent avions à Airbus, il est plus que probable qu’il ne vous les facturera pas au même prix… Si nous avons les volumes suffisants, nous aurons forcément un éolien en mer plus compétitif que ce que nous aurons sur le site de Dunkerque.

M. François Gauthiez. Je ne suis pas un expert technique des mérites comparés de l’éolien flottant ou posé. Ce que je sais en revanche, c’est que les oiseaux sont présents sur la côte mais qu’ils sont aussi présents au large ; l’impact des parcs sur la biodiversité sera donc sur ce point assez similaire. On peut néanmoins imaginer que, dans le cas de l’éolien flottant, la phase de travaux sera moins perturbante pour la faune et les mammifères marins, qui n’auront pas à subir les nuisances sonores liées au battage des pieux.

Quant à savoir si les enjeux environnementaux constituent le principal frein au développement de l’éolien en mer, ce que je peux vous dire, c’est que, dans les premières années, les travaux de planification visant à déterminer les zones favorables auxquels j’ai assisté se fondaient sur des cartes du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) qui ne tenaient pas compte des enjeux environnementaux mais uniquement des vents et des fonds marins, autrement dit des seuls paramètres techniques. Or les enjeux environnementaux sont une réalité qu’il faut bien prendre en compte, et si cela intervient trop tard dans le processus de développement du projet, ces enjeux deviennent nécessairement des freins. Aujourd’hui, l’on procède différemment, et la problématique environnementale est envisagée plus en amont dans le processus, ce qui permet de mieux la prendre en compte.

En ce qui concerne les mesures de réduction que j’ai évoquées tout à l’heure, il y a encore des choses à faire, grâce à des solutions technologiques déjà mises en œuvre dans d’autre pays. Je pense notamment au bridage, qui ne fait pas consensus mais qui se pratique déjà en Allemagne ou dans l’éolien terrestre, et qui permet, au prix de quelques difficultés techniques, de réduire l’impact des éoliennes sur l’avifaune ; cela consiste à arrêter les éoliennes au moment des grandes phases de migration.

M. François Piccione. Je partage totalement les propos de M. Gauthiez lorsqu’il explique que, lors des premières planifications, l’accent était avant tout mis sur les aspects géologiques et météorologiques mais très peu sur les aspects environnementaux. Or le développement de l’éolien en mer est évidemment une problématique environnementale : j’ai évoqué la question de l’application de la séquence « éviter, réduire, compenser » en mer, mais se pose également la question des impacts cumulés : dans la Manche, espace maritime somme toute assez contraint, se cumulent ainsi les effets d’un transport maritime de masse, de l’éolien en mer, de l’extraction de granulats marins et de la pêche. Il faut donc faire des choix et organiser une planification de l’espace maritime claire et lisible.

Quant à savoir si l’enjeu environnemental est le principal frein au développement de l’éolien en mer, je l’ignore. L’impact visuel est également un problème pour certains, et il est probable que, plus les projets seront éloignés de la côte, mieux ils seront acceptés. Il y a enfin un problème de pédagogie à destination des populations, qu’il faut davantage associer aux projets d’éoliennes en mer.

C’est dans cette optique que nous lancerons l’an prochain l’éoloscope marin, un outil d’aide au positionnement qui, tout au long du processus de concertation, grâce à un livret et à une grille multicritères, permettra entre autres à ceux qui le souhaitent de mieux évaluer si le projet répond objectivement à des attentes locales, si la concertation s’est articulée autour de considérations adéquates, si les matériaux utilisés ont un impact sur l’environnement ou si la procédure de planification est respectée.

M. Frédéric Petit. Les enjeux environnementaux sont évidemment importants, mais je voudrais souligner les progrès accomplis depuis les deux premiers appels d’offres, et qui plaident à nos yeux pour une augmentation en volume de l’offre éolienne en mer.

Le fait d’ouvrir la concertation publique en amont et de s’appuyer sur des études préalables conduites par l’État permet désormais de placer le curseur au bon endroit pour appréhender l’ensemble des enjeux. Nous disposons d’outils et d’un cadre réglementaire adapté ; les conditions sont donc favorables à l’accélération du développement de l’éolien en mer. Au regard du nombre de kilomètres carrés que cela nécessite, nous sommes convaincus qu’il y a largement de la place pour tout le monde.

M. Adrien Morenas, vice-président. Messieurs, il me reste à vous remercier pour vos éclairages.

 

L’audition s’achève à douze heures trente-cinq.

 


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15.   Jeudi 24 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la filière hydrogène :
– Mme Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire ;
– M. Philippe Boucly, président de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), et Mme Christelle Werquin, déléguée générale ;
– M. Marc Jedliczka, porte‑parole de l’association Negawatt ;
– M. Daniel Hissel, professeur à l’université de Franche-Comté, directeur de la fédération de recherche FCLAB-fuel cell lab au CNRS, responsable de l’équipe SHARPAC (systèmes hybrides électriques, actionneurs électriques, systèmes pile à combustible) de l’institut FEMTO-ST (CNRS) ;
– M. François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit « hydrogène » de Engie, Mme Mercédès Fauvel Bantos, déléguée aux relations avec le Parlement.

L’audition débute à neuf heures trente.

M. Adrien Morenas, vice-président. Monsieur le rapporteur, chers collègues, nous commençons cette matinée par une audition consacrée à la filière hydrogène.

Je précise à titre liminaire que l’hydrogène n’est pas une source d’énergie, mais un vecteur permettant le stockage de l’énergie.

Nous sommes très heureux d’accueillir ce matin M. Daniel Hissel, professeur à l’université de Franche-Comté, directeur de la Fédération de recherche FCLAB-fuel cell lab au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de l’équipe « systèmes hybrides électriques, actionneurs électriques, systèmes pile à combustible » (SHARPAC) de l’institut FEMTO-ST du CNRS, Mme Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire, M. François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit « Hydrogène » d’Engie et Mme Mercédès Fauvel Bantos, déléguée d’Engie aux relations avec le Parlement. Nous entendrons également M. Philippe Boucly, président de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et Mme Christelle Werquin, déléguée générale de l’AFHYPAC, ainsi que M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt.

En préalable à cette table ronde, je rappelle à l’attention des personnes que nous recevons ou qui suivent nos travaux à distance que la mission d’information va organiser à partir de début février, sur le site internet de l’Assemblée nationale, une consultation publique sur les freins à la transition énergétique et les solutions qui peuvent leur être apportées, à laquelle chacun est invité à contribuer.

Pour bien nous entendre sur le contexte, les mots et les techniques, je vous propose d’écouter tout d’abord le propos introductif de M. le rapporteur, puis de commencer cette table ronde en donnant la parole à M. Hissel.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Bonjour à toutes et tous. En matière de freins à la transition énergétique, notre mission a identifié sept domaines à investiguer. Le premier de ces thèmes est la vision que nous pouvons donner à la population de ce que sera le monde à un horizon de dix, vingt ou trente ans, tant en termes de production que de consommation. Le deuxième aspect renvoie au sujet certainement le plus classique et le plus discuté, que nous allons traiter aujourd’hui : il concerne les différents moyens permettant de développer les filières d’énergies renouvelables. Le troisième élément à considérer est celui des économies d’énergie, dans le bâtiment ou l’industrie notamment. La quatrième thématique est celle de la mobilité. Le cinquième domaine concerne les grands groupes de l’énergie et la manière dont ils imaginent leur évolution dans les décennies à venir, dans la mesure où ils travaillent essentiellement aujourd’hui avec les énergies fossiles. Le sixième volet est celui des territoires : puisque le mix sera, à l’avenir, essentiellement décentralisé, l’idée est de savoir comment les territoires s’approprient la question énergétique, sachant que cela nécessitera de se doter de méthaniseurs, d’éoliennes, de panneaux solaires et d’un réseau. Le dernier point enfin, essentiel, est celui de la fiscalité susceptible d’accompagner ces changements. Aujourd’hui, notre fiscalité est « addicte » au pétrole, et la question est donc d’envisager des pistes d’évolution.

C’est sur cette base de questionnements que nous organisons différentes auditions et tables rondes, dont celle de ce matin consacrée à la filière hydrogène.

M. Adrien Morenas, vice-président. Pour une bonne organisation des débats, je demanderai à chaque intervenant de s’exprimer pendant cinq minutes maximum, à l’issue desquelles nous disposerons d’un temps de questions et réponses.

M. Daniel Hissel, professeur à l’Université de Franche-Comté. Je souhaite, en guise d’introduction, vous présenter en quelques mots la Fédération FCLAB. Cette fédération travaille depuis vingt ans environ dans le domaine des systèmes pile à combustible, de la recherche amont jusqu’à l’accompagnement des industriels au service de la filière. Nous disposons donc d’une vision relativement complète, tant de la situation française que du contexte mondial.

En matière de transition énergétique, l’hydrogène présente, d’un point de vue scientifique, un atout qu’il convient de souligner : il est en effet l’élément le plus abondant, constituant 92 % des atomes de l’univers. Il s’agit d’un vecteur énergétique, fabricable en tout lieu à partir de l’électricité. Son intérêt est également lié au fait qu’il présente un bon rendement en termes de production, en particulier lorsque cette dernière est envisagée à partir d’énergies renouvelables, d’électrolyseurs. L’hydrogène est de surcroît facile à stocker et à transporter, quasiment sans perte. Il est surtout non polluant à l’usage, puisque lorsqu’il est utilisé dans des piles à hydrogène, il n’émet que de la vapeur d’eau. Il représente donc le vecteur énergétique par excellence, pour différentes applications, du domaine du transport à la production énergétique stationnaire.

Je travaille sur ces sujets depuis une vingtaine d’années et constate depuis deux ou trois ans une très forte évolution du marché, qui est passé d’une logique d’offre à une logique de demande, avec des enjeux sur des marchés précurseurs allant de la mobilité de niche à l’alimentation de sites isolés, aux groupes électrogènes, avec d’importants investissements publics et privés. Je recevais par exemple hier dans mon laboratoire un grand industriel chinois qui fabrique des véhicules et a décidé d’investir de façon considérable dans l’ensemble de la filière, avec un objectif de commercialisation de véhicules en 2022.

La France est très bien placée dans ce contexte mondial, avec une recherche reconnue de très haut niveau sur toute la chaîne de valeur et un tissu important de TPE, de PME et de grands groupes, présents ici ce matin.

Il est important de souligner que l’on se situe dans une logique de substitution, consistant à remplacer des technologies existantes par d’autres, ce qui engendre un certain nombre de freins.

Le premier frein est lié aux réticences de la part de certains industriels présents dans les industries carbonées. Nous faisons ainsi face aujourd’hui à divers lobbies.

J’estime par ailleurs que nous manquons d’une véritable feuille de route au niveau de l’État,  donnant une vision claire sur un grand nombre d’années tant au secteur de la recherche qu’au monde industriel. Nous nous interrogeons par exemple de façon récurrente sur la potentielle instauration d’une taxe sur l’hydrogène à moyen terme, qui pourrait infléchir les décisions d’investissement des industriels, tant au niveau de la recherche que pour le déploiement de la filière.

Il est également important, dans ce contexte, d’être en capacité de déployer un grand plan pluriannuel pour l’hydrogène en matière de recherche, via l’Agence nationale de la recherche (ANR), afin que les laboratoires puissent avoir une idée claire de la politique de l’État dans ce domaine. La mobilisation des chercheurs nécessite en effet d’avoir une perspective à moyen et long terme ; il ne s’agit pas de répondre à des sollicitations au coup par coup.

Il serait en outre intéressant de bénéficier du soutien de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) pour l’achat de systèmes hydrogène énergie à destination des particuliers et pas uniquement pour accompagner l’installation ou la démonstration. Cela permettrait de déclencher des achats, donc de mettre progressivement en place une filière.

Il convient par ailleurs d’insister sur l’enjeu majeur qui est la production propre d’hydrogène. Il existe différentes voies de production de l’hydrogène : à partir d’énergies fossiles, de la valorisation de l’hydrogène coproduit dans l’industrie ou encore et surtout à partir d’énergies renouvelables. Imaginons que l’on fasse rouler 100 % de la flotte de véhicules routiers française actuelle à l’hydrogène issu par électrolyse d’énergies renouvelables – hydraulique, photovoltaïque, éolien et biomasse–, alors il faudrait alors multiplier par cinq ce qui existe en matière d’énergies renouvelables, ce qui n’apparaît pas totalement insurmontable. Certes, cela n’a pas de sens d’un point de vue technologique, mais constitue une indication intéressante. e.

Il est également envisageable de mener une politique incitative ou coercitive pour développer des marchés et faire évoluer certains industriels vers ce domaine. Cela pourrait consister par exemple à interdire l’accès aux centres-villes pour les véhicules thermiques, à un horizon à définir, ce qui permettrait de créer un marché de flottes captives, de type bus, taxis ou bennes à ordures ménagères électriques, tout en apportant des améliorations en termes de nuisances sonores et de qualité de l’air, donc de santé.

Je terminerai en évoquant la question des normes et certifications. Nous avons réellement besoin d’un centre de référence français pour la certification des produits et, au niveau des normes, d’un véritable « choc de simplification ». L’installation d’hydrogène dans un établissement recevant du public est, par exemple, régie par un arrêté du 25 juin 1980, comportant 320 occurrences liées aux gaz combustibles, dont 23 concernent le butane et le propane et seulement deux  concernentl’hydrogène.

Mme Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l’énergie et du climat. Je vous remercie d’avoir invité le ministère de la transition énergétique et solidaire à participer à cette table ronde.

Je vais vous présenter, en quelques mots introductifs rapides, la feuille de route que nous nous sommes fixée et les actions que nous sommes en train de mettre en œuvre pour identifier les freins au déploiement de l’hydrogène et les manières de les lever.

Notre feuille de route est aujourd’hui essentiellement basée sur le plan « Hydrogène », présenté le 1er juin 2018 par le Gouvernement. Ce plan s’articule autour de trois principaux axes.

Le premier axe concerne l’hydrogène dans l’industrie. Aujourd’hui, l’industrie utilise déjà de l’hydrogène, qui présente la particularité d’être carboné. L’objectif est donc de parvenir à décarboner cet hydrogène pour déclencher les investissements et développer la filière. La production par électrolyse s’amorce et croît de manière conséquente, avec des baisses de coût très significatives. Il existe là un véritable potentiel. L’objectif fixé dans le plan hydrogène est d’atteindre une cible de 10 % d’hydrogène décarboné dans les usages de l’hydrogène industriel à l’horizon 2023 et de 20 % à 40 % en 2028. Ce but est indicatif, mais guide notre feuille de route.

Le deuxième axe sur lequel nous souhaitons travailler est celui de la mobilité. On observe dans ce domaine, comme l’a souligné M. Hissel, de réelles perspectives pour le développement de l’hydrogène, en complément d’autres solutions de mobilité que sont notamment le biogaz ou les options 100 % électriques. Le potentiel nous semble surtout considérable dans les mobilités lourdes, incluant les véhicules lourds mais aussi la mobilité ferroviaire et maritime, voire aéronautique. Nous nous inscrivons donc essentiellement dans une logique de développement de flottes captives et non dans l’optique d’une généralisation de l’hydrogène à tous les véhicules particuliers. Notre objectif est de 200 véhicules lourds et 5 000 véhicules utilitaires légers d’entreprises ou de collectivités en 2023 et de 800 à 2 000 véhicules lourds et 20 000 véhicules légers en 2028.

Le troisième axe concerne l’énergie. L’hydrogène dispose d’un énorme potentiel pour nous aider à gérer les énergies intermittentes renouvelables et permet notamment le stockage intersaisonnier, ce qui constitue une opportunité relativement importante. À court terme, cela représente un véritable potentiel pour les zones non interconnectées. Selon les divers scénarios de modélisation, les usages de stockage en France métropolitaine seraient réellement effectifs à moyen terme, à l’horizon 2025-2030. La logique actuelle consiste essentiellement à développer cela au niveau de zones non interconnectées, pour préparer un déploiement ultérieur plus massif.

Le deuxième sujet est celui de l’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz existants. Nous avons demandé aux gestionnaires de réseaux d’étudier les possibilités et les limites techniques, afin d’envisager les actions à mettre en œuvre pour permettre l’injection d’hydrogène : leurs travaux ont donné lieu à la rédaction et à la remise d’un rapport intermédiaire fin décembre 2018, dans l’attente d’un rapport final en 2019.

Depuis la présentation du plan hydrogène, nous avons lancé un important travail avec l’ensemble de la filière sur des engagements pour la croissance verte, qui prennent la forme de green deals comportant des engagements réciproques de la part de la filière et de l’État, avec pour objectifs de valoriser et faire connaître toutes les initiatives portées par la filière française, de faciliter le déploiement de la filière hydrogène grâce à un travail sur les freins à lever, et naturellement de faire en sorte que les différents acteurs prennent des engagements concrets. Le copilotage de ces travaux est assuré par l’AFHYPAC et le CEA-Liten, que je remercie au passage pour le travail considérable qu’ils mènent. Plusieurs groupes de travail, correspondant aux divers axes du plan hydrogène, ont été constitués dans ce cadre. Nous espérons ainsi aboutir à la signature des premiers engagements au cours du premier trimestre 2019 pour l’industrie et la mobilité terrestre.

Bien évidemment, un regard attentif est porté, dans le cadre de cette réflexion, sur les travaux réglementaires de simplification que nous avons déjà initiés au niveau du ministère et qui sont menés par la direction générale de la prévention des risques.

Concernant le secteur ferroviaire, nous attendons les conclusions du groupe animé par Pierre Izard suite aux travaux du député Benoît Simian pour décider s’il sera nécessaire ou non d’établir un engagement pour la croissance verte.

Le dernier point de mon exposé concerne les aspects financiers. Nous sommes conscients de la nécessité, pour parvenir à faciliter le déploiement de l’hydrogène, d’accompagner les projets. Un investissement de 100 millions d’euros est ainsi prévu dans le cadre du plan hydrogène, dont 70 millions en 2019. Nous avons lancé en octobre 2018 un premier appel à projets sur la mobilité, avec une première relève au 11 janvier 2019 : plus de vingt projets ont été déposés et sont en cours d’examen par l’ADEME. Nous allons par ailleurs publier très prochainement un appel à projets pour la production d’hydrogène décarboné dans l’industrie, puis, courant 2019, pour les zones non interconnectées, sur le dernier axe du plan hydrogène.

De nombreuses initiatives sont ainsi actuellement en cours. Je suis à votre disposition pour répondre à toute question les concernant et vous remercie de votre attention.

M. Philippe Boucly, président de l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC). L’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) compte 120 membres, dont une vingtaine de grands groupes, une soixantaine de PME-PMI et des centres de recherche dont la fédération FCLAB, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou le CNRS. Notre spécificité réside par ailleurs dans la présence en notre sein de collectivités territoriales, puisqu’à ce jour neuf régions sont adhérentes de l’AFHYPAC.

L’hydrogène est la clé de voûte de la transition énergétique, car il permet d’intégrer dans les réseaux d’énergie les énergies renouvelables, par essence variables, et ce faisant de les valoriser. Il s’agit, à notre connaissance, du seul moyen d’envergure permettant de stocker de grandes quantités, dans la durée. Cela permet également, comme nous l’avions montré dans une étude prospective menée en amont du plan national hydrogène et publiée début 2018, de décarboner l’ensemble des secteurs d’activité. Cette étude avait permis de mettre en lumière le fait qu’à l’horizon 2050, l’hydrogène pourrait représenter 20 % de la consommation finale d’énergie et contribuer à réduire les émissions de dioxyde de carbone de 55 millions de tonnes, c’est-à-dire de parcourir environ un tiers du chemin entre un scénario de référence de type business as usual et un scénario de type « Accord de Paris ». Nous ne nous sommes en effet pas placés dans l’objectif de neutralité carbone en 2050 affiché par le Gouvernement, mais plutôt dans la perspective de l’Accord de Paris.

La France dispose, en matière d’hydrogène, d’une filière dynamique, dont les acteurs sont présents sur toute la chaîne de valeur. Parmi les grands groupes adhérant à l’AFHYPAC, figurent notamment Total, EDF, Engie, Air liquide, la SNCF, la RATP, Keolis, Transdev, Faurecia, Plastic Omnium et Michelin. Nous comptons également, comme je le mentionnais en introduction, une soixantaine de petites et moyennes entreprises (PME) et petites et moyennes industries (PMI), ainsi que plusieurs collectivités engagées. Les territoires sont extrêmement motivés par le développement de l’hydrogène, qui pourrait leur permettre de répondre aux problématiques de qualité de l’air, de déchets, d’emploi, de bruit, etc. Nous avons publié il y a deux ans une plaquette énumérant l’ensemble des projets à l’œuvre dans les territoires.

Notre objectif est de consolider une filière française de l’hydrogène compétitive. Nous nous heurtons toutefois, ainsi que le laisse entendre le titre de la réunion de ce jour, à divers freins. Nous sommes ainsi confrontés à des modes de soutien inadaptés, ainsi qu’à une absence de suivi des objectifs ou de leurs modalités d’atteinte.

Les technologies de l’hydrogène sont matures : la France compte un grand nombre de démonstrateurs, comme le montre la plaquette à laquelle je faisais précédemment référence. Elles sont toutefois encore émergentes, donc coûteuses, et soumises à ce que les économistes qualifient de « traversée de la vallée de la mort ». Or il n’existe pas à ce jour de véritable schéma pour couvrir par exemple le risque de faible utilisation des équipements au cours de la période de montée en régime. Une station de recharge hydrogène ne devient en effet rentable qu’à partir d’un taux d’utilisation d’au moins 70 %, ce qui est rarement le cas lors de son implantation. Cette difficulté se rencontre dans de nombreux autres domaines, dépourvus également de schéma permettant de « dérisquer » l’activité.

La situation évolue toutefois, puisque la banque des territoires, la Caisse des dépôts, réfléchit à la mise en œuvre de ce type de moyens ; ce n’est toutefois pas encore effectif. Le rapport Canfin-Zaouati évoque par ailleurs la création de France Transition, susceptible d’intervenir également en ce sens. Il convient en outre de signaler l’existence, dans certains cas, d’avances remboursables. Ce n’est toutefois pas un réel soutien pour les PME-PMI, dans la mesure où ces fonds sont considérés comme une dette.

Nous observons en outre un manque de visibilité dans le temps des dispositifs de soutien. Ainsi, les bonus pour les véhicules propres sont annuels. Le plan national hydrogène, s’il a le mérite d’exister, n’apporte pas non plus d’éléments de visibilité à long terme. Nous avions, lors de la préparation de ce plan, milité pour que le soutien de 100 millions d’euros s’effectue sur une période de cinq ans, soit 500 millions au total, proposition qui n’a finalement pas été retenue. Le jour du lancement de ce plan, le ministre avait indiqué que le plan de soutien à la filière hydrogène s’élevait à 100 millions d’euros par an. Renseignements pris, 50 millions d’euros devaient provenir du programme d’investissements d’avenir (PIA) et 50 autres millions de l’ADEME. Nous avons alors contacté l’ADEME, qui nous a indiqué que 20 millions d’euros seraient débloqués en 2019, 20 millions en 2020 et 10 millions en 2021, ce qui ne correspondait pas aux annonces. Il s’avère que le budget de l’ADEME, que nous avons consulté, a augmenté pour le fonds « Chaleur », ce qui est très bien, et que les montants concernant l’hydrogène figurent dans la ligne air-mobilité, qui est certes passée de 20 à 30 millions d’euros, mais qui couvre tous les sujets de mobilité propre. À ce jour, je ne suis par conséquent pas en capacité de vous dire quel montant sera consacré au soutien du développement de l’hydrogène en 2019. Cela nous semble relativement grave, dans la mesure où l’ADEME a lancé dans le même temps son premier volet des appels à projets pour la mobilité, avec un fort écho puisque nous avons déjà reçu 24 projets, sachant que l’appel compte trois échéances, les 11 janvier, 3 mai et 8 novembre. J’ignore comment tout cela va être financé.

Le plan national hydrogène affiche par ailleurs un certain nombre d’objectifs, repris dans la présentation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Comment les atteindre ? J’ai été désagréablement surpris d’entendre Mme Vieillefosse préciser que ces objectifs étaient indicatifs : il est en effet difficile d’atteindre une cible mobile ! Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, des dispositifs tels qu’une obligation pour les fournisseurs d’intégrer du gaz propre ? La France entend être un leader de la transition énergétique, mais ne soutient pas véritablement son industrie.

M. Adrien Morenas, président. Nous y reviendrons, mais, le temps qui vous était imparti étant écoulé, il me faut à présent donner la parole à Mme Werquin, afin que chacun puisse s’exprimer.

Mme Christelle Werquin, déléguée générale de l’AFHYPAC. Je souhaite tout d’abord saluer le travail mené avec les services de l’État depuis la publication du plan national hydrogène, notamment sur les engagements pour la croissance verte auxquels nous travaillons quotidiennement à leurs côtés.

Dans ce contexte, deux éléments méritent tout particulièrement d’être soulignés. Le premier concerne le fait que la filière se structure et se mobilise dans le cadre de plusieurs groupes de travail, en vue de signer des engagements pour la croissance verte. L’enjeu pour nous est de disposer face à cela d’une équipe projet au niveau de l’État, réunissant divers services des ministères : nous travaillons ainsi avec la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et aimerions collaborer davantage avec la direction générale des entreprises (DGE).

Je souhaiterais à ce propos faire le lien avec les comités stratégiques de filière, placés sous l’égide du Conseil national de l’industrie. Nous sommes par exemple en train de travailler à l’élaboration du contrat stratégique de filière « nouveaux systèmes énergétiques ». Une fiche projet « hydrogène » existe et nous aimerions que la filière industrielle française puisse faire l’objet d’un accompagnement par la DGE et, d’une manière générale, par le ministère de l’économie et des finances. Il existe également un projet « hydrogène » au sein du contrat stratégique de la filière automobile, ainsi que des mentions de l’hydrogène dans le contrat stratégique de filière des industriels de la mer ou encore dans le secteur ferroviaire. L’hydrogène répond à des enjeux beaucoup plus larges qu’une simple brique technologique pour un usage donné : on pense bien entendu à la mobilité, à l’industrie, à l’énergie, mais aussi, sur les territoires, au développement d’écosystèmes complets comme les écosystèmes portuaires ou les zones industrielles ou de reconversion des territoires, où l’hydrogène peut apporter énormément de solutions. L’enjeu est, comme le soulignait Philippe Boucly, de disposer d’une vision claire quant à la volonté de l’État d’accompagner cette filière industrielle.

L’idée de définir des chaînes stratégiques au niveau européen se développe actuellement. La filière hydrogène fait potentiellement partie des dernières chaînes de valeur identifiées. Nous espérons que la France défendra auprès de Bruxelles l’idée selon laquelle cette chaîne de valeur est véritablement stratégique et pourrait faire l’objet de projets d’intérêts communs.

Nous disposons, avec l’hydrogène, d’une occasion de porter un nouveau souffle au niveau de l’Union européenne. Ce serait l’occasion de se doter d’une politique industrielle permettant de tenir face à la concurrence mondiale, à grande échelle, soit au travers de partenariats franco-allemands, soit plus largement, à partir d’une chaîne de valeur française structurée, avec un portefeuille de brevets, notamment sur l’électrolyse à haute température, avec des chercheurs de très haut niveau, des territoires engagés, des grands groupes, des PME et des start-up, en développant une valeur ajoutée européenne. L’Europe peut en effet jouer un rôle face à la Chine et à d’autres pays se mobilisant très fortement sur la question de l’hydrogène. Cela suppose toutefois que l’on défende, au niveau de la France, l’idée qu’une politique industrielle doit pouvoir se mener à l’échelle européenne et peut-être également, comme cela a été porté notamment dans un rapport réalisé par la Fondation pour la nature et l’homme, qu’il est possible d’isoler les investissements verts du calcul du déficit public sans déroger aux traités. Des propositions ont été émises en ce sens. On pense notamment à l’outil Invest for EU, qui figurera certainement dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne.

Le dernier point de mon intervention porte sur les financements public-privé. Nous avons noté avec plaisir le soutien de l’État, marqué notamment par le plan hydrogène et sa concrétisation. Des progrès sont réalisés tous les jours et nous espérons très vivement que les budgets pourront être abondés si les projets sont au rendez-vous, ce qui semble être le cas. Nous avons noté les objectifs de la PPE et avons conscience que le financement public seul ne pourra pas nous permettre de passer à l’échelle voulue. Nous souhaitons donc attirer votre attention sur la proposition, formulée dans le rapport de MM. Canfin et Zaouati, de création d’un outil, France Transition, répondant aux problématiques de guichet unique soulevées par Daniel Hissel et permettant de générer de l’investissement privé à partir d’une couverture du risque par la puissance publique.

M. François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit « Hydrogène » d’Engie. Groupe international présent dans 70 pays, Engie a axé son développement sur la production d’électricité bas carbone, les infrastructures énergétiques et les solutions clients. Cela nous positionne, au niveau français, comme le premier producteur d’électricité verte. Nous croyons véritablement à l’hydrogène pour libérer tout le potentiel des énergies renouvelables en France et dans le monde. C’est à ce titre que nous nous sommes intéressés très fortement à cette filière et y sommes actifs, considérant particulièrement trois usages dont le potentiel de développement est énorme : la mobilité, l’industrie et les réseaux de gaz et d’électricité.

Développer l’hydrogène à grande échelle impliquera de résoudre auparavant différents problèmes, en collaboration avec les acteurs publics. Lorsque l’on questionne les industriels et que l’on observe la situation à l’international, on s’aperçoit que les fonds publics ne sont pas la seule solution pour parvenir à déployer une filière. Mme Vieillefosse a cité précédemment les trois axes du plan hydrogène, qu’il convient de mettre en œuvre de façon équilibrée. Dans l’axe des usages, la mobilité se développe et les solutions sont là, même s’il existe un problème de compétitivité. Les acteurs publics peuvent jouer un rôle essentiel dans ce domaine, par la commande publique, en ayant une vision des modalités de développement de la mobilité hydrogène.

Concernant les réseaux, il est également important d’avoir une feuille de route assez claire. On ne parviendra à fédérer des investissements et à développer les solutions de transition énergétique et de stockage de l’électricité renouvelable que si l’on connaît l’objectif visé et les perspectives d’évolution d’ici 2020 ou 2030. Il est important, pour l’électricité comme pour le gaz, d’avoir des cibles construites avec les opérateurs de réseaux, afin de savoir jusqu’où l’on souhaite aller. Pour ne vous citer qu’un exemple international, sachez que la ville de Leeds en Angleterre est actuellement en train de développer un projet ayant pour objet de transformer complètement son réseau de transport de gaz naturel en transport d’hydrogène. Il existe donc des ambitions dans ce domaine. À l’international, tout cela est très mouvant et des partenariats sont en train de se nouer.

Le troisième aspect, sur lequel nous manquons tout particulièrement de visibilité, est celui de l’industrie. Dans ce secteur, le potentiel de l’hydrogène est immense. Pour autant, les acteurs industriels disent manquer d’une vision sur les standards qui vont leur être imposés. Cela engendre un problème majeur pour le développement de l’hydrogène vert, dans la mesure où l’on s’accorde à dire que la  finalité de toute cette démarche est de disposer d’un vecteur d’énergie décarboné, produit à partir d’énergies renouvelables. Faute de standards d’exigence de décarbonation inscrits dans le temps, faute d’un prix du carbone clair, rien n’est possible. Or, comme le mentionnait récemment lors d’une conférence mon collègue Bruno Seilhan de Total, il revient aux politiques de fixer la feuille de route et aux industriels, en fonction de la technologie et du coût, de trouver les moyens pour atteindre les objectifs définis. Il manque aujourd’hui un levier pour y parvenir.

Il est très intéressant d’observer la situation à l’échelle internationale et de voir comment des pays ou des régions comme le Japon ou la Californie abordent ces sujets. On s’aperçoit alors de l’importance de définir des standards, le cas échéant associés à des sanctions permettant de financer une partie de la filière. En Californie par exemple, la démarche a été largement axée sur la conversion d’une partie des flottes de véhicules en véhicules à zéro émission grâce à des programmes très ambitieux. Il existe également, mais dans une moindre mesure, quelques programmes dans l’industrie. Des standards sont définis, des feuilles de route rédigées en matière de décarbonation des réseaux, secteur dans lequel la France fait figure d’exemple : les États-Unis viennent ainsi voir nos démonstrateurs, dont les projets GRHYD (gestion des réseaux par l’injection d’hydrogène pour décarboner les énergies) et Jupiter 1000, afin d’étudier comment injecter de l’hydrogène dans les réseaux de gaz naturel. La France est à la pointe de ces technologies.

D’autres mécanismes sont en outre à trouver en matière d’aides et de subsides. Il faut savoir que la filière hydrogène ne bénéficie pas, comme le biométhane, de tarifs de rachat. On pourrait en revanche imaginer, puisque c’est là l’enjeu majeur, des mécanismes sur le modèle des contracts for difference développés par exemple en Angleterre, afin de compenser de manière temporaire l’écart de prix existant entre le carboné et le décarboné. Il existe aujourd’hui pour ce faire des poches de financement qui pourraient être utilisées pour développer la filière hydrogène. Prenons l’exemple des trains : des fonds très importants sont disponibles pour l’électrification des lignes. Or le développement d’une filière hydrogène peut être une alternative à l’électrification. C’est grâce à une telle agilité et surtout à un travail commun des acteurs publics et de l’industrie que l’on parviendra à lever ces freins. Il n’est pas possible, dans ce domaine comme dans nombre d’autres, de réussir seul.

M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt. Vous avez, dans votre propos introductif, évoqué la nécessité d’une perspective à long terme. L’association Negawatt, que je représente, partage totalement ce point de vue : il n’est pas possible de se projeter dans l’avenir immédiat, notamment sur les thématiques de l’énergie et du climat, si l’on ne dispose pas d’une vision à long terme du système énergétique vers lequel on se dirige. Cela doit tenir compte en premier lieu des usages, mais englober aussi la production et les questions de ressources, y compris physiques, minérales.

L’hydrogène apparaît comme la potentielle clé de voûte d’un système énergétique 100 % renouvelable, sur tous les vecteurs. Néanmoins, nous ne le percevons pas comme un vecteur à usage final dans tous les domaines.

Dans le domaine de l’industrie ou pour les services rendus au système électrique, le potentiel de l’hydrogène nous apparaît comme une évidence absolue. Dans le secteur de la mobilité en revanche, nous sommes plutôt réticents à l’idée de généraliser l’hydrogène. On n’imagine pas un réseau hydrogène allant jusqu’à transformer le parc complet des véhicules légers. Il est plus pertinent de réserver l’hydrogène aux véhicules lourds, dont les trains. L’hydrogène constitue en effet, comme cela vient d’être souligné, une alternative à l’électrification. Il est également très performant pour les bateaux.

À une période où les budgets sont contraints et les ressources économiques et physiques limitées, nous souhaitons alerter les décideurs publics et les inciter à investir l’argent public au meilleur endroit, à ne pas se disperser. Il va falloir faire des choix. De notre point de vue, l’hydrogène, tout comme les autres vecteurs, doit indéniablement occuper une place, mais pas toute la place. Aucun des trois grands vecteurs de réseau – quatre si l’on compte la chaleur – ne doit avoir une logique de monopole. C’est à l’interaction entre tous ces vecteurs qu’il convient de travailler. L’hydrogène constitue, de notre point de vue, un vecteur intermédiaire dans les réseaux.

M. Olivieri citait précédemment GRHYD et Jupiter 1000. Il me semble important de préciser qu’il existe une différence majeure entre ces deux démonstrateurs. GRHYD est basé sur le principe de l’injection d’hydrogène dans le réseau de gaz, dans une proportion limitée, de façon expérimentale. Il n’est en effet pas question d’avoir 20 % d’hydrogène partout dans le réseau gazier. Jupiter 1000 représente l’étape suivante, celle de la méthanation, qui consiste à combiner du dioxyde de carbone avec de l’hydrogène pour produire du méthane. Il s’agit d’une solution catalytique.

Il faut par ailleurs savoir que des solutions biologiques commencent à émerger en termes de recherche et développement, qui peuvent fonctionner avec le dioxyde de carbone issu du biogaz, composé quasiment à parts égales de méthane et de CO2. Il existe aujourd’hui des installations capables d’extraire le CO2 du biogaz, afin de l’injecter dans le réseau de gaz sous forme de biométhane, à 97 % de pureté. Il est ainsi possible d’utiliser ce dioxyde de carbone avec des solutions biologiques qui présentent un continuum technologique avec la production de biogaz. Ces solutions émergentes en sont au stade des premiers démonstrateurs au niveau européen et mondial. En France, des travaux de recherche sont menés dans ce domaine, autour de l’identification de bactéries. Nous avons notamment participé, avec l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse, à des travaux de laboratoire qui nous semblent très prometteurs, dans la mesure notamment où les outils industriels issus de ces recherches sont maîtrisables par les territoires, échelon auquel s’accomplira l’essentiel de la transition énergétique. Pour les acteurs des territoires, cette démarche est finalement moins liée au changement climatique ou à l’écologie qu’à des enjeux de développement et de valorisation des richesses locales. Or les techniques de méthanation biologique seront accessibles à terme à ce type d’acteurs. Il s’agit aujourd’hui d’aider et d’accompagner ce mouvement. Nous souhaitons pour notre part alerter sur la nécessité d’investir le peu de moyens dont on dispose au bon endroit. L’hydrogène doit, dans ce modèle, avoir toute sa place, mais rien que sa place. Il ne doit pas prétendre à équiper l’ensemble des véhicules légers. Il serait en outre également absurde de financer un troisième réseau, dans la mesure où le réseau gazier fonctionne très bien et mérite d’être optimisé tel qu’il est aujourd’hui.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci pour ces premières présentations. La principale question que je souhaite vous soumettre est la suivante : que représente le million de tonnes d’hydrogène produit aujourd’hui à partir d’énergies fossiles ? Si l’on devait produire cette même quantité d’hydrogène de façon décarbonée, imagine-t-on plutôt utiliser de grosses usines produisant beaucoup d’hydrogène avec des réseaux partout ou de petits hydrolyseurs disséminés sur le territoire ? Disposera-t-on sur les autoroutes de stations-service complètement autonomes, avec panneaux photovoltaïques et éoliennes, qui généreront de l’hydrogène ? D’une façon générale, quelle est aujourd’hui la vision de cette production et de cette consommation ?

L’un d’entre vous a également évoqué les lobbies ; je souhaiterais vous entendre plus précisément à ce sujet.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Merci beaucoup à chacune et chacun d’entre vous pour les informations que vous nous avez apportées.

Comparativement à l’Allemagne, mais surtout à la Californie ou au Japon, la France reste en retard. Monsieur Boucly, vous émettez de nombreux doutes sur les fonds réellement affectés à l’hydrogène et pointez le manque de visibilité à ce stade. Vous insistiez quant à vous, messieurs Hissel et Olivieri, sur une feuille de route insuffisamment claire. Je m’adresse par conséquent à Mme Vieillefosse, de la DGEC, pour lui demander de nous préciser les éléments de répartition des 100 millions d’euros évoqués, en termes d’affectation, mais surtout d’exercices budgétaires auxquels ils se rapportent. Cette somme étant déjà relativement faible, elle n’aura aucun impact si elle est trop diluée.

Vous avez aussi, monsieur Olivieri, abordé la question de l’écart de prix entre le carboné et le décarboné, qu’une aide pourrait éventuellement venir compenser. Quel est cet écart actuellement ?

La technologie power-to-gas est en outre directement liée à la production d’hydrogène propre. Où en est-on aujourd’hui ? Cela me semble ne pas aller très vite ; mais peut-être ai-je tort. Quelles informations pouvez-vous nous donner à ce sujet ?

M. Philippe Bolo. Ma question concerne essentiellement l’évaluation de la politique publique, mais va malgré tout faire émerger des aspects en lien avec les freins identifiés. J’ai eu le sentiment, en écoutant les différents intervenants, d’un manque de dialogue, tant à propos des 100 millions d’euros que des objectifs. D’où peuvent provenir les difficultés et divergences pointées lors de vos prises de paroles ? Conviendrait-il, pour améliorer la situation, de renforcer le dialogue entre les pouvoirs publics et les différents acteurs, qu’il s’agisse des associations faisant la promotion de l’hydrogène et des piles à combustible, des grands groupes ou des instances imaginant la trajectoire possible en matière de transition énergétique ? Cela provient-il des moyens financiers très contraints des services de l’État ? Est-ce dû au fait que la filière est en émergence et que les besoins industriels comme les mécanismes nécessaires sont encore fluctuants ? Quels paramètres pourraient, selon vous, expliquer les divergences que j’ai notées dans vos propos ?

M. Adrien Morenas, vice-président. Ma question porte sur les relations que vous pouvez entretenir avec les constructeurs automobiles français. Sont-ils intéressés par la filière hydrogène ? Quelles sont les voies de développement en cours ? Ne risquons-nous pas, comme pour l’électricité ou l’hybride, de « rater le virage » ?

Mme Alice Vieillefosse. Je vais tout d’abord répondre à la question de M. le rapporteur sur la façon dont l’État voit la structuration du marché. Nous avons choisi, suite au rapport qui a permis de bâtir le plan hydrogène, d’adopter une approche partant de l’industrie. Ce plan a vraiment été élaboré en partant des usages existants de l’hydrogène et en essayant dans un premier temps de voir comment les décarboner, avant d’envisager le développement de hubs autour de ces usages. Dans cette optique, il nous semble aujourd’hui que la démarche la plus rentable et nécessitant le moins d’aides publiques réside dans des usages diffus, pour lesquels il nous apparaît possible, avec un simple « coup de pouce », de déclencher des investissements. Certains acteurs plaident en revanche pour une vision beaucoup plus centralisée, avec de grosses usines, et se positionnent sur ce créneau. Nous cherchons ainsi, via nos appels à projets, à identifier les chaînes de valeur les plus pertinentes pour s’imposer sur le marché.

Concernant la question des fonds, il a en effet été annoncé, lors du plan Hulot, un montant de 100 millions d’euros. Plusieurs débats ont par ailleurs eu lieu au sein de l’Assemblée nationale, notamment à l’occasion de l’élaboration du projet de loi de finances (PLF) sur ce sujet. Aujourd’hui, le budget prévu en 2019, via le Programme d’investissements d’avenir (PIA), est de 50 millions d’euros pour l’appel à projets industrie que nous allons lancer. L’ADEME a également inscrit dans son budget près de 20 millions d’euros pour cette même année. Lors de la discussion du PLF, le ministre avait indiqué qu’il regarderait, en fonction des projets déposés, si des modifications du budget provisionné s’avéraient nécessaires. Comme nous raisonnons par ailleurs année après année, les budgets alloués les années suivantes dépendront des discussions des prochains PLF. À ce jour, il nous semble que le montant provisionné donne de la visibilité aux appels à projets. Nous sommes actuellement dans une phase au cours de laquelle il va falloir sélectionner les bons projets, structurants et intéressants. Une étude doit être menée à cette fin. Ensuite, l’argent provisionné étant versé sur plusieurs années, les 70 millions prévus devraient être suffisants. Nous surveillerons toutefois ce point avec attention.

L’une des questions portait en outre sur le dialogue entre l’État et les acteurs de la filière. L’idée qui préside aux engagements pour la croissance verte étant de structurer un dialogue entre l’État et la filière, des rendez-vous sont programmés très régulièrement pour identifier ensemble tous les freins et définir conjointement les moyens de les lever. Nous avons notamment, pour l’élaboration de l’appel à projets sur l’industrie, invité tous les acteurs de la filière afin de connaître précisément leurs attentes et envisager la manière d’y répondre au mieux. Bien évidemment, nous restons attentifs aux voies possibles d’amélioration de ce dialogue, afin qu’il soit le plus construit possible.

M. Daniel Hissel. Je vais en premier lieu répondre à la question de M. le rapporteur sur les lobbies. Comme indiqué dans mon exposé, nous sommes dans une logique de substitution, en termes de marché et d’acteurs, ce qui signifie que les acteurs de demain ne seront pas nécessairement ceux d’aujourd’hui. On comprend aisément que ces derniers ne voient pas tous d’un très bon œil se profiler un tel changement de paradigme. Ces réticences ne sont pas forcément structurées en permanence ; nous observons aussi des résistances de la part de quelques acteurs individuels.

Ceci est par ailleurs à mettre en lien avec un changement de positionnement de la filière. Vous évoquiez par exemple la filière automobile : on constate aujourd’hui que les équipementiers de rang 1, dont Faurecia en France, investissent dans la fabrication de piles à hydrogène, cette technologie étant appelée à terme à remplacer le moteur thermique qui alimente le véhicule. Les grands groupes industriels fabriquaient jusqu’alors pour l’essentiel leurs moteurs thermiques ; demain, la majeure partie d’entre eux ne fabriquera plus l’objet central associé à cette mobilité. Cela montre que le jeu des acteurs se modifie, ce qui peut créer une certaine crispation.

Ce problème est également lié à la formation. Pour reprendre l’exemple de l’automobile, les acteurs de ce secteur ont aujourd’hui, essentiellement, une formation dans le domaine du génie thermique et de la mécanique. Demain, il importera plutôt de maîtriser l’électrochimie et le génie électrique. Les filières de formation sont donc différentes. Cette situation conduit à ce que des corps informels, d’ingénieurs notamment, fassent éventuellement preuve de quelques réticences à l’idée d’aller vers de nouveaux sujets.

M. Philippe Boucly. Permettez-moi de vous communiquer quelques ordres de grandeur. Il faut ainsi savoir qu’un mégawatt d’électrolyseur permet de produire environ cent tonnes d’hydrogène par an. Ainsi, la production d’un million de tonnes nécessite de mobiliser 10 000 mégawatts d’électrolyseur, ce qui représenterait 20 % de la consommation finale, autour de besoins très spécifiques, dont la mobilité lourde.

En termes d’implantation, le modèle qui semble se dégager dans l’immédiat est semi‑centralisé, ce qui correspondrait à un électrolyseur de taille significative de plusieurs mégawatts pour atteindre les effets d’échelle, situé près d’un gros consommateur comme un important dépôt de bus ou une grande entreprise industrielle, et délivrant également de l’hydrogène dans des stations de recharge satellites, certainement par camions dans un premier temps, puis progressivement par réseau. Il conviendra ainsi d’imaginer, à terme, la mise en place de réseaux dédiés à l’hydrogène. Ce modèle permettrait également de participer aux besoins de flexibilité du réseau électrique. Au mois de décembre par exemple, lors d’une situation de tension sur le réseau, le Réseau de transport d’électricité (RTE) a immédiatement demandé à certains industriels de s’effacer. Les électrolyseurs sont très flexibles et pourront s’effacer si besoin.

Nous sommes, en matière de mobilité, favorables au développement de l’hydrogène pour la mobilité lourde, c’est-à-dire les camions, le ferroviaire, les bateaux, les bus. Un programme européen vise à terme le chiffre de mille bus à hydrogène. Au niveau national, Mobilité Hydrogène France, qui est l’un des groupes de travail de l’AFHYPAC, travaille sur un programme à 1000 bus en France. Il s’agit de fédérer un maximum de collectivités désireuses de s’engager dans cette voie. Citons notamment Pau avec huit bus, Versailles avec un projet de sept bus, Auxerre avec cinq bus ou encore le syndicat de transport Artois-Gohelle avec six bus. Tout cela monte progressivement en puissance. Nous avons en outre la chance de disposer d’un constructeur français, qui fabrique à Albi de très beaux bus de 12 mètres. Il faut développer cette filière.

Je confirme par ailleurs les propos de Mme Vieillefosse sur le fait que le dialogue avec les services de l’État est formidable, tant au niveau du comité stratégique de filière que de la DGEC ou de la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Les discussions entre la filière et la DGPR ont par exemple abouti à la publication d’un arrêté ministériel de prescription générale pour l’installation des stations de recharge hydrogène, en vigueur depuis le 1er janvier 2019. Il reste toutefois encore beaucoup à faire, pour les parkings souterrains, les tunnels ou les dépôts de bus. Pour autant, le dialogue est très satisfaisant, notamment au travers de ce très beau dispositif que sont les engagements pour la croissance verte.

Bien que n’ayant ni beaucoup de moyens, ni beaucoup de soutien, il convient de ne pas développer de complexe vis-à-vis de l’Allemagne par exemple, qui dispose d’un parc de 400 véhicules à hydrogène, contre 300 en France. La flotte de taxis hydrogène est par ailleurs plus importante en France qu’Outre-Rhin, avec par exemple 200 de ces véhicules à Paris actuellement et 600 en 2020. Je ne pense pas que d’autres villes dans le monde aient un parc aussi conséquent. Il faut aujourd’hui veiller à monter en puissance, à passer à l’échelle, d’où la nécessité d’un soutien accru.

Mme Christelle Werquin. Je souhaiterais compléter les propos concernant la relation avec les constructeurs automobiles français et revenir sur le fait que nous disposons, au sein de l’AFHYPAC, d’un consortium, intitulé Mobilité Hydrogène France, réunissant l’ensemble des acteurs de la mobilité. Ce groupe a imaginé le plan de déploiement de la mobilité en France, non seulement via les bus, mais aussi avec une vision du déploiement et du maillage du territoire, par le biais de flottes captives à usage intensif, des véhicules utilitaires aux véhicules lourds. PSA a rejoint cette année ce consortium, qui compte également des acteurs comme la société Symbio, qui a équipé les Kangoo électriques en range extenders, c’est-à-dire en prolongateurs d’autonomie à hydrogène, ou encore des équipementiers de rang mondial, dont Faurecia, Plastic Omnium ou encore Michelin. Le dialogue entre ces différents partenaires se construit et se concrétise notamment dans le cadre des engagements pour la croissance verte et plus particulièrement de celui consacré à la mobilité terrestre, qui pourra être signé d’ici la fin du mois de février 2019. Nous y travaillons, côté filière, avec la Plateforme automobile (PFA), qui réunit, de l’amont à l’aval, l’ensemble de la filière automobile française. Dans ce contexte, figurent parmi les engagements qui vont être portés par la filière des engagements relatifs aux véhicules et au déploiement des infrastructures. Le contrat stratégique de la filière automobile a créé une fiche projet dédiée à l’hydrogène, qui correspond aux objectifs de déploiement tels qu’ils ont été proposés dans le plan national hydrogène.

M. François-Xavier Olivieri. Je vais tenter de répondre aux questions relatives aux modalités d’installation des électrolyseurs afin d’être compétitif et aux écarts de prix. L’enjeu est avant tout un enjeu de compétitivité. Si l’on se projette à un horizon de temps où l’on sait que le coût des électrolyseurs va baisser, on peut considérer que l’hydrogène vert sera à un prix deux fois supérieur à celui de l’hydrogène gris, sachant que le gros problème de la France dans ce domaine réside dans le prix de l’électricité, notamment de l’électricité verte. Dans certains pays comme le Chili ou l’Australie, des contrats d’achat d’électricité (power purchase agreements) sortent à 20 euros le mégawatt, alors que l’on est, en France, à plus du double. Bien évidemment, il y a là un enjeu très important et les discussions sur la manière de réduire la fiscalité de l’électricité et sur le tarif d’utilisation des réseaux de transport et distribution d’électricité (TURPE) sont des questions clés si l’on veut véritablement parvenir à déployer cette filière d’énergie verte en France.

Quelle taille faudrait-il adopter pour réussir à réaliser des économies d’échelle et parvenir, avant 2030, à une parité entre l’hydrogène gris et l’hydrogène vert, à condition de bénéficier de sources d’électricité à un prix compétitif, voisin de 2 euros le kilowatt ? À l’évidence, cela nécessite de très grosses installations, de l’ordre de 100 mégawatts, avec une croissance ultérieure, dans une logique de hub.

Où peut-on développer de telles installations en France ? C’est possible là où l’on trouve de l’industrie intensive au niveau de l’hydrogène, des besoins de mobilité ou de véritables enjeux de santé publique sur la décarbonation, comme à Marseille. Si l’on parvient à créer des écosystèmes avec des hubs de production massifiés d’hydrogène et à accéder à de l’électricité moins chère, alors on réussira, en achetant à une échelle suffisamment grande (at scale), à résoudre la problématique de réduction de prix des électrolyseurs.

Se pose ensuite un enjeu de mobilité : si l’on veut vraiment engager les constructeurs automobiles à développer des véhicules à hydrogène, il faut disposer des stations nécessaires.

En termes de rapidité de développement, la logique actuelle consiste à considérer qu’il va falloir, pour résoudre le problème d’échelle, élaborer de très gros projets là où l’on dispose des meilleures conditions, c’est-à-dire d’un prix de l’électricité favorable, d’un cadre réglementaire permettant de bénéficier d’un écosystème dans lequel les industriels sont prêts à payer un premium (un surplus) parce qu’ils ont des obligations de décarbonation et où existent des multiusages. C’est dans cette logique d’écosystème que l’on trouvera la clé pour arriver à développer la filière, sachant que la France présente, de ce point de vue, certains intérêts. En marge du sommet de Davos, une réunion de l’Hydrogen Council va réunir un certain nombre de chief executive officers (CEO) et de représentants des États, pour essayer d’engager une discussion sur la manière de parvenir à une meilleure coopération et de mener un véritable travail entre industrie et Etat, pour trouver des outils adaptés. Cela fait partie de l’équation qu’il va falloir réussir à résoudre pour élaborer les bons mécanismes.

De ce point de vue, regarder ce qui se fait à l’étranger peut être instructif. On s’aperçoit ainsi que chaque pays a sa logique propre. La France est considérée comme un pays intéressant au niveau de son plan hydrogène, dans la mesure où celui-ci est ciblé. Plusieurs États soulignent ainsi que le plan Hulot comporte un volant d’aides disponibles focalisées sur l’hydrogène, ce qui n’est pas le cas partout. Bien que l’on n’arrive pas at scale, cet élément est remarqué. L’intérêt du développement français réside également dans le fait de privilégier des logiques d’écosystèmes. Nous disposons donc de forces, de leviers. Encore faut-il trouver comment les actionner tous en même temps, pour attirer les investisseurs. Il est bien évident que Shell, Engie et autres très gros acteurs ne pourront pas développer éternellement des gigawatts de capacité d’électrolyseurs sans attirer des investisseurs financiers. Or cela nécessite de sécuriser la démarche.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dans mon esprit, l’hydrogène représente aussi la possibilité de stocker l’électricité lorsque l’on ne peut pas l’utiliser. Ne pourrait-on, en termes de prix de l’électricité, imaginer un écosystème comportant des hydrolyseurs près de fermes solaires ou de grands parcs éoliens, permettant d’hydrolyser lorsque l’on ne sait pas quoi faire de l’électricité ? Dans votre modèle, j’entends que l’on se branche sur le réseau au prix standard.

M. Philippe Boucly. L’hydrogène représente du capital, des frais d’exploitation et, pour les deux tiers, de l’électricité. Or les dépenses en capital (CAPEX) s’amortissent sur une certaine durée. Si l’on est branché sur un parc éolien ou une ferme solaire, la durée de l’amortissement sera relativement longue, dans la mesure où l’on ne bénéficiera que d’un certain nombre d’heures de vent ou de soleil.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je comprends bien qu’il faut hydrolyser en continu, mais on peut imaginer qu’à un moment donné l’électricité soit moins chère car non utilisable autrement.

M. Philippe Boucly. Des projets commencent à se monter avec des producteurs d’énergies renouvelables en fin d’obligation d’achat par exemple. Il faut faire une moyenne sur l’ensemble de l’année.

M. Marc Jedliczka. Je renvoie notamment, sur ce dernier point, aux publications de l’ADEME, et en particulier à l’étude GRTgaz-GrDF sur la méthanation.

Je souhaite préciser que lorsque j’ai parlé de mobilité lourde, je pensais aux trains et aux bateaux. Concernant les camions, il faut savoir qu’aujourd’hui déjà des flottes entières passent au GNV, qui sera demain bio-GNV, sans aides de l’État. Il a été indiqué précédemment que l’on se situait dans une logique de la demande : cela ne me semble pas tout à fait vrai pour la mobilité aujourd’hui, qui s’inscrit davantage selon moi dans une logique de l’offre, la preuve étant que l’on demande des aides, des démonstrateurs, de l’argent public, de l’infrastructure pour un élément qui est encore aujourd’hui très cher. La pile à combustible n’a pas baissé ses coûts significativement. Il ne s’agit pas d’une technologie émergente : elle a été développée voici quelques dizaines d’années, à l’occasion de la conquête spatiale, avant que l’on change de trajectoire dans ce domaine. Nous craignons énormément, de même, cet effet d’éviction d’autres technologies matures.

Le réseau correspond par ailleurs à 130 térawattheures de stockage disponibles immédiatement. L’infrastructure est totalement amortie. Nous disposons d’opérateurs qui connaissent très bien leur métier. Il serait donc vraiment absurde d’imaginer stocker sous forme d’hydrogène si l’on part sur une logique massive. L’hydrogène est en effet composé de très petites molécules, qui présentent certains risques, même si l’on sait les maîtriser. Ce sont des coûts qu’il faut absolument éviter. La solution consistant à passer au power-to-gas, à la partie méthanation, serait de mon point de vue une erreur, dans la mesure où cela supposerait d’investir beaucoup de moyens, privés ou publics, dans une infrastructure de stockage d’hydrogène. L’hydrogène est un excellent vecteur intermédiaire, mais non un vecteur final, sauf pour quelques niches identifiables.

Mme Alice Vieillefosse. Nous envisageons potentiellement deux modèles sensiblement différents. Le premier est un modèle d’autonomie énergétique, avec des énergies renouvelables (ENR) à hydrogène. Aujourd’hui, on voit que les ENR commencent à être à des prix intéressants, voisins de 40 euros par mégawattheure (MWh), c’est-à-dire proches de celui de l’électricité, certaines grandes fermes photovoltaïques ne bénéficiant plus de soutien de l’État. Ces prix restent toutefois supérieurs à ceux de l’Australie et du Chili, situés aux alentours de 20 euros. Cette solution serait toutefois limitée à la durée de production de ces énergies intermittentes.

Le second modèle consiste en de l’hydrogène raccordé sur le réseau, donc en mesure de fonctionner sur des durées plus longues, avec une flexibilité plus importante.

Nous en sommes là de notre réflexion, qui évoluera selon la structuration du marché et l’offre que les industriels vont nous proposer.

Mme Christelle Werquin. Je souhaitais revenir brièvement sur l’enjeu de la mobilité, en fonction du type de mobilité dont il est question. Nous sommes face à un enjeu de décarbonation et de passage à zéro émission en zones urbaines. On compte actuellement sept millions de véhicules utilitaires légers en France, dont un certain nombre constamment présents dans les centres-villes. Nous considérons que l’hydrogène a toute sa place dans ce contexte.

Concernant les constructeurs automobiles, il me semble qu’un signal politique clair doit être donné. Je pense notamment à la loi d’orientation des mobilités. Si l’on indique dans le plan climat que l’on cessera en 2040 les ventes de véhicules émettant des gaz à effet de serre, il faut que cela se traduise dans la loi et les politiques publiques par des signaux adaptés.

M. François-Xavier Olivieri. Une partie du prix de l’électricité correspond, comme indiqué par M. Boucly, à des CAPEX, une autre à des taxes ou à des frais d’utilisation du réseau. L’un des enjeux aujourd’hui pour les industriels qui ont parfois à développer des capacités de production d’énergies renouvelables, notamment photovoltaïques, est d’envisager la possibilité d’un régime d’autoconsommation. Or actuellement, cette solution est limitée à un seuil qui n’est absolument pas applicable aux industriels. Il existe là un levier très concret, que l’on peut utiliser dès à présent pour diminuer le prix de l’électricité, dans une logique de décentralisation de la production d’électricité et de l’hydrogène vert.

Outre la diminution du prix de l’électricité et de l’hydrogène vert, un autre paramètre peut consister à valoriser les externalités : on peut ainsi, par un processus de certification, donner à de l’hydrogène vert une valeur sur le marché ou vis-à-vis des industriels qui veulent afficher des programmes de décarbonation, leur permettant non de réduire le prix globalement, mais de mieux valoriser l’hydrogène. La France et l’Europe se sont engagées dans un tel processus, qu’il faudrait accélérer pour être en mesure de donner des valeurs aux externalités.

M. Daniel Hissel. Vous demandiez, monsieur le président, si nous ne risquions pas de « rater le virage » de l’hydrogène. Nos amis asiatiques sont en train d’investir massivement dans le domaine de l’automobile et de la mobilité notamment. On pense par exemple au groupe Hyundai, qui a fait très récemment des annonces à ce sujet. Pas plus tard qu’hier, je recevais par ailleurs dans mes locaux les représentants d’une entreprise chinoise, qui « faisaient leur marché » en Europe, d’un point de vue technologique et en matière de ressources humaines, afin de mobiliser et investir sur ces sujets. Il est encore temps pour nous de réagir, dans la mesure où nous disposons en France de toutes les bases, depuis la recherche jusqu’à l’industrie, mais cela devient urgent.

M. Philippe Boucly. Je crois qu’il faut se garder d’opposer les énergies renouvelables, et surtout les gaz renouvelables, qu’il s’agisse du biométhane ou de l’hydrogène issu des ENR. L’étude de l’ADEME sur un gaz « 100 % renouvelable » montre trois sources possibles : la méthanisation, la pyrogazéifiation qui produit de l’hydrogène et le power-to-gas, qui produit de l’hydrogène ou du gaz de synthèse à partir d’hydrogène.

Je souhaite revenir brièvement sur la question du prix de l’hydrogène, qui est la clé. En effet, si cette solution était compétitive, elle n’aurait pas besoin de soutien. À terme, nous disposerons d’hydrogène vert ; nous préférons d’ailleurs parler d’hydrogène décarboné. Total réalise par exemple actuellement un pilote avec la société norvégienne Equinor pour faire du vaporéformage du méthane fossile, ce qui suppose une capture puis un restockage du dioxyde de carbone dans des couches profondes. Il ne s’agit pas de la solution miracle définitive, mais cela peut contribuer, dans une période de transition, à fournir les quantités nécessaires.

Il faut par ailleurs savoir que le mix électrique français est très décarboné, avec 72 grammes par kilowattheure. À moins de 180 grammes, il vaut mieux faire de l’hydrogène avec de l’électricité décarbonée plutôt que de l’obtenir par vaporéformage. J’ai bien conscience que cela peut heurter, mais nous avons en France un avantage compétitif avec de l’électricité décarbonée et je crois qu’il est important d’utiliser cet atout, tout en sachant que l’Allemagne, dont le mix se situe à 500 grammes par kilowattheure, produit pourtant de l’hydrogène.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Il me semble difficile de conclure cette table ronde, dans la mesure où nous sommes face à un débat très ouvert. Je pense que tous ces éléments mériteraient encore de nombreux développements, mais vos interventions, qui ont mis en lumière différents freins, vont assurément alimenter et enrichir notre réflexion. Nous vous remercions donc pour vos contributions.

L’audition s’achève à onze heures.

 

 


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16.   Jeudi 24 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la méthanisation :
– Mme Anne-Florie Coron, sous-directrice de la sécurité d’approvisionnement et des nouveaux produits énergétiques, en charge du développement du biométhane, à la direction générale de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire ;
– M. Marc Cheverry, directeur économie circulaire et déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;
– M. Bertrand de Singly, délégué stratégie à Gaz réseau distribution France (GRDF), Mme Magalie Seron, directrice territoriale du Maine-et-Loire et Mme Sarah Dalisson, chargée d’études affaires publiques ;
– M. Francis Claudepierre, président et agriculteur-méthaniseur de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France ;
– M. Nicolas Bernet, directeur de recherche, directeur du laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et M. Marc Gauchée, conseiller du président-directeur général pour les relations parlementaires et institutionnelles ;
– M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt ;
– Mme Marie‑Jo Hamard, vice‑présidente du Conseil départemental, chargée de l’environnement et du développement durable à la direction de l’environnement et du cadre de vie, département de Maine-et-Loire et M. Hervé Martin, conseiller départemental, membre de la commission Environnement et cadre de vie.

L’audition débute à onze heures.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Bonjour à tous. Je vais animer provisoirement ce débat, en attendant que le vice-président de la mission nous rejoigne, dans quelques minutes.

Cette table ronde sur la méthanisation s’inscrit dans le cadre des travaux de notre mission d’information sur les freins à la transition énergétique. Cette mission s’articule autour de sept grands thèmes. Le premier concerne les freins liés à la vision ou au manque de vision de ce que sera le paysage de l’énergie, en termes de production comme de consommation, dans dix, vingt ou trente ans. Le deuxième thème, qui nous réunit aujourd’hui, est consacré aux grandes filières de production d’énergies renouvelables, dont la méthanisation. Le troisième volet est dédié aux économies d’énergie, le quatrième à la mobilité et le cinquième à la manière dont les territoires s’emparent de cette question, dans la mesure où il apparaît qu’une grande partie de la production sera décentralisée. La sixième thématique est consacrée à la façon dont les grands groupes de l’énergie envisagent leur situation dans une, deux ou trois décennies, sans le pétrole. Le dernier sujet enfin concerne le rôle de la fiscalité, aujourd’hui « addicte » au pétrole, et son évolution future.

M. Adrien Morenas, vice-président. Nous sommes très heureux de recevoir, pour cette table ronde sur la méthanisation, M. Nicolas Bernet, directeur de recherche, directeur du laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et M. Marc Gauchée, conseiller du président-directeur général de l’INRA pour les relations parlementaires et institutionnelles, Mme Anne-Florie Coron, sous‑directrice de la sécurité d’approvisionnement et des nouveaux produits énergétiques, en charge du développement du biométhane à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au ministère de la transition écologique et solidaire, Mme Marie-Jo Hamard, vice‑présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, chargée de l’environnement et du développement durable à la direction de l’environnement et du cadre de vie, département de Maine-et-Loire et M. Hervé Martin, conseiller départemental, membre de la commission environnement et cadre de vie. Nous accueillons également M. Marc Cheverry, directeur économie circulaire et déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), M. Bertrand de Singly, délégué stratégie à Gaz réseau distribution France (GRDF), Mme Magalie Seron, directrice territoriale de GRDF pour le Maine-et-Loire, et Mme Sarah Dalisson, chargée d’études affaires publiques. Nous entendrons enfin M. Francis Claudepierre, président et agriculteur méthaniseur de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France et M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt.

Je rappelle que la mission d’information va organiser à partir du début du mois de février, sur le site internet de l’Assemblée nationale, une consultation publique sur les freins à la transition énergétique et les solutions qui peuvent leur être apportées, à laquelle toutes les personnes qui le souhaitent pourront participer en déposant une contribution.

Je vous remercie, mesdames et messieurs, d’être présents aujourd’hui. La méthanisation est en effet un élément important dans le cadre de la transition énergétique.

Je vous demanderai d’intervenir dans un premier temps pour une durée de cinq minutes, avant de passer à un échange de questions et réponses, limitées à deux minutes chacune.

Mme Anne-Florie Coron. Merci beaucoup d’avoir invité la direction générale de l’énergie et du climat à cette table ronde.

La méthanisation est l’une des filières qui contribuent à la transition énergétique. Elle est importante pour le développement des territoires et peut fournir un complément de revenu aux agriculteurs. Elle permet en outre de répondre aux objectifs fixés par le plan climat adopté par le Gouvernement en juillet 2017 en matière de développement des énergies renouvelables et de transition vers la neutralité carbone. À ce titre, elle bénéficie d’un soutien important de l’État, qui se doit d’être orienté vers les installations les plus efficaces du point de vue énergétique. Priorité est ainsi donnée aux installations produisant du biogaz à injecter dans les réseaux de gaz existants, ainsi qu’à l’utilisation directe sous forme de bio-GNV, c’est-à-dire de carburant pour les véhicules. La production d’électricité à partir de biogaz doit être réservée aux cas où les deux autres usages ne sont pas possibles.

La stratégie française pour l’énergie et le climat présentée le 27 novembre 2018 fixe des objectifs très ambitieux de développement du biogaz, tout en précisant que le rythme de soutien au développement de la méthanisation sera modulé en fonction de la baisse attendue des coûts de production. Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui sera prochainement soumis à consultation, prévoit une multiplication par un facteur compris entre 35 et 55 de la quantité de biogaz injectée en 2028 par rapport à 2017, avec une production comprise entre 14 et 22 térawattheures, en fonction des baisses de coût observées.

La filière méthanisation est en plein essor, ainsi qu’en témoignent les données chiffrées suivantes : au 30 septembre 2018, on comptait en France 67 installations de production de biométhane qui injectent environ un térawattheure par an dans les réseaux de gaz existants, soit une progression de 51 % par rapport à l’année précédente. 426 installations produisent de l’électricité, pour une capacité totale de 156 mégawattheures, ce qui représente environ 17 mégawatts de nouvelle capacité par an. Il existe ainsi pour le moment beaucoup plus d’installations produisant de l’électricité que du biométhane : c’est essentiellement dû au fait que la filière pour la production d’électricité s’est développée beaucoup plus tôt et a pris de l’avance. La priorité est toutefois désormais au développement du biométhane injecté dans les réseaux de gaz.

Pour accélérer le développement de la méthanisation, un groupe de travail a, comme pour les autres filières, été constitué voici environ un an. Il s’est réuni à quatre reprises déjà, présidé d’abord par Sébastien Lecornu, puis par Emmanuelle Wargon, avec entre temps des séances de travail techniques avec divers acteurs. Du côté de l’État, ce groupe a concerné la direction générale de l’énergie et du climat, mais aussi la direction générale de la prévention des risques, la direction de l’eau et de la biodiversité et d’autres ministères, parmi lesquels celui de l’agriculture, très impliqué dans le sujet de la méthanisation, en partenariat avec des établissements publics, dont l’ADEME. La dernière réunion en date de ce groupe a permis, le 14 janvier 2019, de faire le point sur les quinze mesures retenues en 2018 : il apparaît ainsi que la plupart ont été mises en place ou sont en passe de l’être. Ces mesures avaient été classées en quatre grands axes.

Le premier axe vise à accélérer les projets de méthanisation pour faire baisser les coûts de production et développer une filière française, avec comme mesure phare l’élargissement des gisements pour la méthanisation, tout en conservant la séparation des biodéchets. Cet axe prévoit la simplification de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), mise en place l’été dernier, ainsi que celle de la loi sur l’eau. Il vise également la création d’un droit à l’injection dans les réseaux de gaz naturel, dès lors que l’installation de méthanisation se situe à proximité d’un réseau existant. Cette disposition figure dans la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM, qui va désormais être déclinée dans le cadre d’un décret qui devrait être publié en avril 2019. Cet axe concerne enfin la réfaction des coûts de raccordement des installations de méthanisation aux réseaux de transport de gaz naturel, mesure publiée début janvier.

Le deuxième axe a pour objet de donner aux agriculteurs les moyens de compléter leurs revenus. L’utilisation du bio-GNV pour les engins agricoles est désormais possible. Cet axe prévoit par ailleurs la facilitation d’accès au crédit pour la méthanisation agricole : cette mesure est mise en place par le ministère de l’agriculture avec la Banque publique d’investissement (BPI) et un prêt vient d’être lancé.

Un autre volet concerne la professionnalisation de la filière méthanisation, avec le développement d’une offre dans ce domaine via les formations gérées par le ministère de l’agriculture, dans les lycées agricoles et les centres de formation.

Cet axe vise aussi au renforcement des démarches qualité et à la création d’un portail national de ressources sur la méthanisation, piloté par le syndicat des énergies renouvelables. Il a enfin pour objectif de compléter et sécuriser les dispositifs de soutien, avec la création d’appels d’offres pour les projets de méthanisation qui valorisent la production par injection dans les réseaux de gaz naturel. Cela viendra en complément du dispositif actuel de guichet ouvert pour un tarif d’achat. Il s’agit également, dans ce volet, d’assurer la sécurisation du dispositif d’obligation d’achat à un tarif réglementé.

La dernière disposition concerne la mise en place d’un dispositif de soutien pour le biométhane non injecté, lorsque le réseau de gaz n’est pas à proximité immédiate du méthaniseur et que plusieurs de ces installations souhaitent porter le biométhane pour l’injecter ensuite dans un point mutualisé. Le texte correspondant devrait être publié en février 2019.

Voici, brièvement exposé, les grandes lignes des mesures visant à lever les freins au développement de la méthanisation.

M. Nicolas Bernet, directeur de recherches, directeur du laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’INRA. Je vous remercie de m’avoir invité à participer à cette table ronde. Je dirige à l’INRA un laboratoire qui travaille depuis plus de trente ans sur la méthanisation et qui développe aujourd’hui de façon plus large le concept de bioraffinerie environnementale, visant à valoriser les déchets et résidus organiques pour produire non seulement de l’énergie, mais aussi des molécules d’intérêt, des matières fertilisantes et autres.

Le concept de méthanisation a beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années. Initialement développé dans un objectif de traitement des effluents, par la mise au point de procédés d’épuration, il n’accordait que relativement peu de place à la valorisation du biogaz. Aujourd’hui, le contexte a complètement changé, puisque la méthanisation a pour objectif la production de biogaz, associée à celle d’un co-produit, le digestat, qu’il ne faut pas négliger dans la mesure où l’essentiel de la matière organique qui entre dans un méthaniseur se retrouve non sous la forme de biogaz, mais d’un digestat qu’il convient ensuite de valoriser. Le contexte a également fortement évolué par le biais de la valorisation du biogaz, avec la possibilité de l’injection, qui représente aujourd’hui un booster important du développement de la filière.

Les objectifs fixés passent par un développement important de la méthanisation agricole. Il apparaît ainsi dans les différents scénarios envisagés que l’agriculture fournira l’essentiel des substrats à la méthanisation, non seulement à travers divers co-produits, d’effluents d’élevage notamment, mais aussi via le développement des cultures intermédiaires à vocation énergétique. Le lien entre le développement de la méthanisation et l’agriculture est donc un point très important, non seulement à cause des gisements, qui viendront essentiellement de l’agriculture, mais aussi de la problématique des digestats. C’est dans ce contexte qu’une convention a été signée en 2018 entre GRDF et l’INRA, dans le but de mener des recherches visant à développer la méthanisation.

La modification du contexte conduit parallèlement à une évolution des questions de recherche traitées dans les laboratoires. Il convient de signaler que les laboratoires effectuant des recherches en méthanisation mènent également des recherches plus académiques. Il ne peut en effet y avoir de bonne recherche finalisée sans, en amont, une recherche académique, et sans un continuum entre les deux. Cela permet de proposer des solutions et des améliorations dans le domaine de la méthanisation, avec notamment la mise au point de procédés nouveaux comme la méthanisation en voie sèche, qui pose des questions de recherche assez spécifiques, et tout ce qui concerne la problématique des pré-traitements, le pilotage des installations, la valorisation des digestats et le couplage de procédés.

Ce changement de contexte est également associé à une évolution au niveau des partenariats de la recherche. Le laboratoire de biologie de l’environnement (LBE) que je dirige avait par exemple auparavant pour partenaires essentiellement des industriels de l’assainissement et du secteur agroalimentaire ayant des effluents à traiter. Aujourd’hui, nombre de nos partenaires sont des acteurs de l’énergie et du gaz, notamment GRDF. Il est important de maintenir une collaboration entre les différents partenaires, de la recherche jusqu’aux acteurs de la filière, afin de favoriser son développement.

Il existe aujourd’hui en France une douzaine de centres de recherche et de transfert sur la méthanisation, auxquels ajoutent des laboratoires travaillant en aval, par exemple sur la valorisation agronomique des digestats, notamment à l’INRA. Pour favoriser les interactions entre le monde de la recherche et la filière, sont organisées depuis plusieurs années déjà des journées « recherche et innovation ». Dans cette même logique, un centre technique du biogaz et de la méthanisation a été créé récemment à l’initiative notamment d’un certain nombre d’organismes de recherche et du club biogaz de l’Association technique énergie environnement (ATEE), afin de promouvoir la filière et de favoriser l’émergence d’améliorations et les interactions avec la recherche.

Le rôle de la recherche est également important dans l’évolution des réglementations. Je pense par exemple au statut des digestats.

Elle tient enfin une place considérable en matière d’acceptabilité sociale de la méthanisation. On assiste en effet progressivement à l’émergence de collectifs qui s’opposent aux projets de méthanisation. Or des travaux de recherche sont nécessaires pour apporter des réponses argumentées dans ce débat, concernant notamment l’impact de la méthanisation sur la matière organique des sols, sur la fertilisation, en comparaison avec d’autres types de matière organique non méthanisée, sur la biologie des sols, le développement des cultures intermédiaires ou encore l’analyse environnementale de ces filières. 

M. Marc Cheverry, directeur de l’économie circulaire et des déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Je suis actuellement directeur de l’économie circulaire et des déchets à l’ADEME, mais ai également connu antérieurement l’Agence nationale pour la récupération et l’élimination des déchets (ANRED), si bien que j’ai vécu le développement de la méthanisation depuis les années 1990.

Je souhaiterais tout d’abord souligner le travail considérable, retracé par Mme Coron, effectué au niveau du groupe de travail méthanisation dont nous partageons les mesures et les conclusions : il est le fruit d’une dizaine d’années de mobilisation et de professionnalisation de l’ensemble des acteurs de la méthanisation.

Les enjeux de la méthanisation résident bien évidemment dans une production d’énergie renouvelable à partir de biomasse, mais également dans la possibilité de dégager de la valeur ajoutée sur les territoires. La méthanisation représente en effet un ensemble de filières qui obéissent à des substrats et des modèles économiques différents. Elle ne se limite pas à la filière de méthanisation agricole, bien que cette dernière soit prépondérante et vecteur de développement. Elle comporte aussi le développement de la méthanisation sur les stations d’épuration d’eaux usées urbaines ou industrielles, ce qui constitue un élément de développement fort pour les années à venir. Elle consiste également en la récupération et la valorisation du biogaz provenant des installations de stockage de déchets, notamment dans la partie organique. Elle renvoie enfin aux modèles des industries agroalimentaires et du monde agricole. Tous ces modèles économiques sont différents et il convient à chaque fois d’adapter l’installation et le procédé de traitement à des intrants spécifiques.

Dans ce contexte, l’ADEME a distribué, entre 2007 et 2018, 355 millions d’euros d’aides à la méthanisation, dont plus de 250 millions directement aux projets, c’est-à-dire soit au niveau des études de faisabilité, soit pour les investissements liés à ces projets, essentiellement dans le domaine de la méthanisation agricole. Notez que l’ADEME n’aide pas le dispositif de récupération de gaz sur les installations de stockage de déchets, puisque cela relève d’une obligation réglementaire. Elle intervient par ailleurs de manière ponctuelle sur les stations d’épuration, puisque d’autres acteurs, dont les agences de bassin, s’en chargent majoritairement. Plus de 980 projets ont ainsi été soutenus. Vous constaterez la différence entre le nombre de projets en fonctionnement et le nombre de projets soutenus : cela tient au fait qu’entre l’accord de soutien à un projet et sa mise en fonctionnement, quatre ou cinq années peuvent s’écouler. Même si ce délai tend à diminuer, il reste long, ce qui peut s’expliquer à la fois par l’existence de divers freins sur lesquels je vais revenir et par le fait que la filière est encore en phase d’apprentissage. Les directions régionales de l’ADEME ont recensé, pour 2019, 240 projets matures, dont 200 susceptibles d’être instruits dès cette année, pour un total d’aides demandées d’environ 140 millions d’euros. Or le budget de l’ADEME prévoit d’y consacrer quelque 50 millions d’euros d’aides directes. Cela vous donne un aperçu du décalage qui existe dans ce domaine. Je tiens ce faisant à signaler que l’ADEME a vraiment joué un rôle important pour aider à la construction, l’émergence et la professionnalisation de cette filière ; mais il convient aujourd’hui de trouver d’autres moyens, éventuellement hors de l’ADEME, pour être véritablement en phase avec l’ambition de développement de cette filière.

Notre expérience nous a par ailleurs permis d’identifier différents freins. Le premier concerne le financement de ces projets, essentiellement agricoles. Le principal écueil est lié à une certaine réticence des acteurs financiers habituels à s’engager dans cette filière et à une absence de fonds propres des porteurs de projets du monde agricole. Si je caricaturais, je pourrais dire que les acteurs financiers souhaitent une mise de fonds propres de 20 %, alors que le monde agricole, dans les dossiers aidés par l’ADEME, n’apporte qu’entre 4 % et 10 % : on attend donc que l’ADEME ou un autre organisme apporte le complément sous forme de fonds propres, en subventions. Il existe là un vrai problème et une réflexion à mener, à la fois sur le montage financier de ces opérations, sur le partage de la valeur et sur la façon d’être en cohérence avec les ambitions et le nombre de projets. Je précise que le dispositif de soutien financier de l’ADEME a pour vocation d’attribuer un complément de financement sous forme de subvention, pour faire en sorte que le modèle économique sur dix ans soit rentable, non pour apporter des fonds propres. Notre aide est calculée sur la rentabilité des projets à dix ans, compte tenu des autres soutiens existants, dont les tarifs d’achat. On se trouve donc aujourd’hui dans une situation de dérive ou de perversion du système, qui souhaiterait que l’ADEME, au-delà de l’apport de subventions pour un équilibre économique, apporte également des compléments de financement.

Nous constatons en outre aujourd’hui qu’un certain nombre de projets, y compris dans le monde agricole, compte tenu des tarifs de soutien existants ou des mesures prévues, deviennent rentables et n’auront plus besoin de financements aussi lourds que par le passé pour assurer leur rentabilité à moyen et long terme.

Mme Marie-Jo Hamard, vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire. Je suis vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, en charge de l’environnement. Le département, déjà doté d’une charte de l’environnement et du développement durable, a souhaité pouvoir relayer cette démarche auprès des territoires et favoriser la mise en réseau des acteurs locaux. Nous entendons ainsi contribuer à ce que notre département prenne le tournant économique des nouvelles énergies, notamment du biogaz. Nous sommes par ailleurs un département agricole, avec une forte orientation vers l’agroalimentaire. Cette démarche vise donc aussi à apporter à l’activité des agriculteurs une certaine valeur ajoutée.

La méthanisation apparaît comme un moyen de participer au maintien de l’élevage, par le traitement des effluents, la production d’énergie, en utilisant les cultures intermédiaires, mais en évitant d’avoir des cultures qui pourraient occuper les terres agricoles destinées à une autre vocation.

Dès 2015, un schéma spécifique a été mis en place par la chambre d’agriculture, à la demande du département et avec l’aide de l’ADEME, considérant qu’il était important d’avoir une vision concrète des capacités de notre territoire à fournir la matière et d’être en mesure de localiser l’ensemble des gisements du département. Ce schéma a fait émerger un fort potentiel de réalisation sur notre territoire départemental, évalué à quelque 49 installations. L’objectif était que ces unités puissent être mises en place à l’horizon 2030. Il était pour ce faire nécessaire de communiquer. Une large diffusion de ce schéma a donc été réalisée sur l’ensemble du territoire, au niveau des collectivités et de la profession agricole, avec le constat qu’il était important de mettre en œuvre une démarche non seulement informative, mais aussi collaborative pour fédérer les énergies.

Nous nous sommes attachés à structurer un réseau de partenaires, avec un comité technique déjà mis en place pour l’élaboration du schéma, avec la participation de la Chambre d’agriculture, de GRDF, de GRT Gaz, du syndicat d’électricité, de l’association AILE et de l’ADEME. Ces travaux ont été encadrés par une charte, qui va être signée sous peu. Cette démarche se fonde donc sur une dynamique forte : en 2018, 21 unités étaient ainsi en production en Maine-et-Loire, et 25 à 30 sont aujourd’hui recensées comme projets en cours. De nouveaux objectifs volontaristes ont donc été inscrits, afin que les 49 unités prévues pour 2030 puissent être réalisées dès 2025.

Sur cette base ont été déterminées de grandes lignes d’action, qui apportent des réponses pragmatiques, en essayant de lever les différents freins identifiés par le biais notamment de coordinations d’interventions, de répondre à un besoin de concertation accru entre les institutions et organismes concernés, mais aussi de disséminer au maximum l’information auprès des porteurs de projets, avec une vision territoriale parcellaire d’un développement réparti par ailleurs sur l’ensemble du territoire.

Une base de données commune a en outre été actualisée lors des revues des projets régulièrement programmées. L’outil que représente cette cartographie nous permet aujourd’hui d’aller à la rencontre des difficultés des porteurs de projets et de les accompagner, mais aussi de favoriser l’appropriation du sujet par les élus locaux.

Nous savons également combien il est important et nécessaire de faciliter la formation et d’accompagner la montée en compétences des acteurs, pour qu’ils soient en mesure de conduire et de réaliser au mieux ces projets.

Nous avons aussi travaillé à améliorer la lisibilité générale de la filière, avec une clarification de l’identification des acteurs, de leurs rôles respectifs, de la manière de les contacter, un accès facilité aux ressources documentaires et l’amélioration de la faculté de s’approprier les évolutions technologiques. Les changements dans ce domaine sont en effet constants et il est important que chacun puisse voir comment inscrire le mieux possible son projet dans ce contexte, pour qu’il devienne un vrai projet économique. Cela doit se doubler d’une levée des freins financiers, afin d’accompagner les porteurs de projets qui ne disposent pas toujours des fonds propres exigés par les banques. Au niveau du département, nous avons ainsi fait en sorte de rapprocher ces porteurs de projets de la société d’économie mixte (SEM) Anjou énergies, qui a vocation à développer les énergies renouvelables.

Voici, rapidement présentée, la démarche conduite par le département de Maine-et-Loire dans le cadre de l’accompagnement de la méthanisation.

M. Hervé Martin, conseiller départemental du Maine-et-Loire, membre de la commission environnement et cadre de vie. Je suis conseiller départemental de Maine-et-Loire et agriculteur : c’est à ce titre que je voudrais témoigner et apporter ma contribution à cette table ronde.

Je suis agriculteur dans la petite région des Mauges, très orientée vers l’élevage, avec des structures souvent familiales, assez modestes. On aurait pu croire que la méthanisation était le bon outil pour ce territoire, permettant d’envisager une diversification des productions, d’améliorer la gestion des effluents, qui peut être un problème dans les exploitations de faible dimension, et d’accompagner la transition énergétique.

Je souhaiterais toutefois mettre l’accent sur trois difficultés d’ordre général auxquelles nous nous sommes trouvés confrontés. La première réside dans la vulnérabilité des conditions financières des entreprises agricoles, auxquelles il est demandé de disposer de capitaux propres parfois bien au-delà de ce qu’elles sont en mesure d’investir.

Le deuxième point concerne la vision sociétale relativement à l’élevage. Nous pourrions ainsi avoir des doutes quant à la manière dont il sera possible d’approvisionner demain nos méthaniseurs, dans la mesure où l’élevage n’a pas actuellement le vent en poupe. Les agriculteurs ont ainsi plutôt tendance aujourd’hui à délaisser l’élevage, à la faveur par exemple de productions céréalières ou maraîchères.

Le dernier point que je souhaite souligner est celui de l’implication et du temps nécessaires pour monter ce genre d’outil, dans un monde agricole déjà soumis à un temps de travail important.

D’une manière plus précise, on s’aperçoit aujourd’hui, lorsqu’il est question de rentabilité et de financement de ces outils, que l’investissement évolue très peu. Ainsi, l’investissement peut être divisé en trois parts égales : un tiers autour de la voirie et réseaux divers (VRD), un tiers relatif au gros œuvre et un dernier tiers consacré au process, le seul quasiment à pouvoir éventuellement évoluer. En l’occurrence, les banques nous demandent globalement entre 20 % et 30 % de capitaux propres. Or lorsque l’enveloppe de subvention est stable et que les projets deviennent de plus en plus nombreux, le pourcentage d’aide par projet diminue mécaniquement. On est ainsi passé de 35 % à 20 % ou 25 % et je crains fort que l’on se situe plutôt, pour les prochains projets, aux alentours de 10 % à 15 %. Cela montre clairement le delta nécessaire pour abonder le capital propre demandé par les banques.

En matière de rentabilité, il apparaît par ailleurs un manque de 5 % à 10 % pour assumer à la fois le développement, l’exploitation et le retour des digestats sur les exploitations. Cela représente une difficulté financière assez importante pour parvenir à rentabiliser réellement ces outils et à trouver un profit dans la nouvelle production.

La deuxième difficulté réside dans la réglementation. Il me semble tout d’abord important de mettre en exergue un point relatif à l’agriculture biologique, pour laquelle il n’existe pas aujourd’hui de certitude quant à la réintégration des digestats dans les exploitations, pourtant indispensable pour l’équilibre des sols, notamment en termes de fertilisation. Je souhaiterais également soulever la question de l’hygiénisation : aujourd’hui, la réglementation n’est pas très précise dans ce domaine. Si toutefois l’évolution allait en ce sens, alors nous serions obligés de porter nos digestats à 70 degrés pour parvenir à les hygiéniser, ce qui représenterait inévitablement une charge supplémentaire.

Le troisième élément que je souhaite aborder est celui de la technique. Les technologies en matière de mobilité, qu’il s’agisse des bus, des voitures ou des tracteurs, ne sont pas suffisamment développées aujourd’hui pour pouvoir consommer en direct cette nouvelle énergie.

Voici les quelques points dont je souhaitais témoigner. Nous avons vécu deux échecs sur notre territoire et sommes actuellement en train de repartir, mais avec à chaque fois une diminution du nombre d’agriculteurs impliqués, dans la mesure où, comme on le comprend aisément, les échecs ne suscitent guère l’enthousiasme.

M. Bertrand de Singly, délégué pour la stratégie à Gaz réseau distribution France (GRDF). Merci de m’avoir convié à cette réunion. Je tiens à préciser en préambule que je suis également président de la commission gaz renouvelable de l’Association française du gaz et membre du syndicat des énergies renouvelables. Je m’exprimerai toutefois aujourd’hui au titre de mes fonctions au sein de GRDF.

Les 11 500 salariés de GRDF sont convaincus que la neutralité carbone est un enjeu essentiel. Notre nouveau projet d’entreprise, qui vient de démarrer, s’appelle « Vers l’avenir » et nous sommes au service des 9 500 communes propriétaires du réseau que nous exploitons pour les accompagner vers la neutralité carbone à long terme.

À nos yeux, parmi les trois filières de gaz renouvelable existantes et technologiquement connues, la méthanisation est celle qui, en 2019, apparaît comme la meilleure méthode de production de gaz renouvelable, puisqu’elle permet de donner de la stabilité aux exploitations agricoles, de gérer les déchets et d’améliorer la biodiversité grâce aux cultures intermédiaires. Cette filière est également la moins chère ; or cet aspect économique constitue un atout majeur pour les pouvoirs publics et est un élément structurant des choix politiques prochains effectués dans le cadre de la PPE.

Nous saluons le travail du groupe « méthanisation » mis en œuvre en 2018 par le ministre Sébastien Lecornu. Grâce à une initiative parlementaire, cela a débouché dans la loi dite EGALIM sur le droit à injection, dont Mme Coron nous a indiqué que le texte réglementaire correspondant serait publié en avril. C’est très important puisque nous avons certes 1 térawattheure d’injection de gaz actuellement dans les réseaux, mais à horizon 2023, les perspectives sont de plus de 10 térawattheures, ce qui suppose non seulement que les projets parviennent au bout de leur financement, mais aussi de préparer la suite. En effet, une fois cet objectif de 10 térawattheures atteint, il faudra, pour aller au-delà, faire évoluer les réseaux. La question se posera alors aux gestionnaires de réseaux, transporteurs et distributeurs de gaz, de savoir comment procéder pour déplacer le gaz renouvelable et le répartir. On peut, comme dans le domaine de l’électricité, imaginer que du gaz soit produit à un moment donné mais ne soit pas consommé sur place. Du gaz pourrait par exemple être produit dans une commune composée essentiellement de clients résidentiels et devoir être transporté dans la commune voisine où existerait un besoin industriel. Faire évoluer un réseau requiert du temps. Nous nous y préparons et avons besoin d’une vision de long terme sur le but visé.

Je salue l’implication forte des agriculteurs, des collectivités locales et des organisations non gouvernementales, tous convaincus que le gaz renouvelable a toute sa place dans la transition énergétique. Nous avons par ailleurs la chance de disposer en France du meilleur laboratoire de recherche en biotechnologies, dont l’un des représentants est présent aujourd’hui.

Les freins rencontrés sont de plusieurs ordres. Certains ont déjà été listés. Parmi les freins transverses, citons notamment le temps entre les annonces et la décision. Nous ignorons par exemple ce que sera la PPE, mais le seul fait d’en discuter depuis un certain temps fait que les gens se posent des questions : croit-on ou non au gaz renouvelable ? Où va-t-on ? Nous estimons pour notre part qu’en termes de processus, réfléchir deux ans tous les cinq ans mobilise beaucoup de ressources, que l’on pourrait utiliser plutôt pour développer la filière. On consacre ainsi beaucoup de temps à la réflexion et peut-être pas suffisamment à l’action, qui supposerait l’existence d’un droit à l’erreur. Il existe de très nombreuses règles et nous ne sommes pas sûrs de pouvoir les modifier et les faire évoluer intelligemment ; mais consacrer plusieurs années à une réflexion visant à définir la meilleure solution freine l’action pendant la période considérée. Depuis mon arrivée chez GRDF, voici un peu plus de trois ans, j’entends parler de certains aspects de façon récurrente, sans qu’il se passe quoi que ce soit : cette inertie s’explique par le fait que l’on n’est pas sûr d’avoir trouvé la meilleure solution. Mais en réalité, personne ne la connaît et il faudrait de temps à autre être en mesure de faire évoluer les choses, quitte à appliquer ensuite des actions de correction si les résultats n’étaient pas ceux escomptés. Attendre la solution parfaite conduit à l’inaction.

Il existe aujourd’hui de grandes incertitudes quant à l’évolution des mécanismes de soutien. L’ADEME a souligné qu’il fallait quatre à cinq ans pour construire un projet. Avant de faire évoluer le type de soutien, il importerait donc de mener une véritable réflexion sur les impacts potentiels de ces modifications. Imaginer que la méthanisation agricole revient au même qu’installer des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques est un raccourci certes sympathique, puisque les trois techniques renvoient à la production d’énergies renouvelables, mais qui ne correspond absolument pas à la réalité. On maîtrise en effet différemment le soleil, le vent et les intrants agricoles. « Copier-coller » les mécanismes est donc très séduisant, mais les choses sont plus compliquées.

Il existe, face à cette situation, divers leviers. On pense par exemple à des vecteurs législatifs : la « petite loi » sur l’énergie est ainsi annoncée, tout comme le projet de loi d’orientation des mobilités avec l’usage pour les collectivités du bio-GNV. Des réflexions sont par ailleurs en cours sur la fiscalité. Aujourd’hui, il n’existe par exemple, concernant les énergies renouvelables (ENR) gaz, aucune fiscalité pour les communes, alors que cela existe pour les ENR électriques. Il convient également d’envisager la question de l’acceptabilité : faut-il repenser la fiscalité pour que les communes qui acceptent d’accueillir des méthaniseurs en bénéficient ?

Mme Magalie Seron, directrice territoriale de GRDF pour le Maine-et-Loire. Bonjour et merci pour cette invitation. Je suis directrice de GRDF pour le Maine-et-Loire, la Mayenne et la Sarthe, et référente institutionnelle biométhane pour la région Pays-de-la-Loire. Je côtoie donc quotidiennement des porteurs de projets et les structures qui, à nos côtés, essaient de faire émerger les projets. Les discussions menées avec eux en préparation de cette audition nous ont permis d’identifier cinq freins, que je vais vous détailler durant les quelques minutes qui me sont imparties.

Le premier frein, dont il a déjà été largement question ce matin, est la question du financement et notamment des fonds propres. Comme il a été souligné précédemment, les porteurs de projets ne sont généralement pas des développeurs professionnels, mais le plus souvent des agriculteurs qui, comme cela vient d’être signalé par M. Martin, sont confrontés à des difficultés en matière de fonds propres. À titre d’exemple, on compte en Maine-et-Loire une vingtaine de projets dont 17 portés par des agriculteurs, un par une collectivité et deux par des développeurs. Je vais illustrer ce point par l’exemple d’un projet mené dans le Maine‑et‑Loire, qui tablait voici deux ans encore sur des subventions de l’ordre de 20 % à 25 %.

Il est toutefois apparu que l’ADEME ne pourrait pas apporter ce niveau de subvention, si bien qu’ont été scénarisées des entrées de tiers au capital. L’ingénierie financière n’étant pas à la portée de tout le monde, nous accompagnons ces porteurs de projet dans leur démarche de scénarisation d’entrée de tiers au capital, notamment auprès de SEM, de collectivités ou de structures privées.

Le deuxième frein réside dans le mécanisme de soutien. Le mécanisme du tarif de rachat, déterminé mensuellement et de façon constante toute l’année, est globalement bon. Il comporte néanmoins trois inconvénients. Ainsi, cette gestion mensuelle pénalise les producteurs en cas d’aléa technique ou de période de maintenance et ne tient pas compte de la saisonnalité des intrants. Or cette saisonnalité est très importante dans les régions d’élevage comme les Pays-de-la-Loire, qui disposent de moins d’intrants l’été, ce qui oblige à rechercher des compléments d’intrants pour maintenir la production constante. Le troisième frein tient à la non prise en compte de la saisonnalité de la consommation sur les réseaux. On est obligé, pour des raisons de contrainte de réseaux, de maintenir la production constante au plus bas niveau l’été. Je vais illustrer ce propos par l’exemple d’un projet du nord du département, pour lequel il existe une contrainte de débit d’injection qui force les porteurs soit à investir plusieurs centaines de milliers d’euros dans le stockage, soit à brider leur production de l’ordre de 30 %, soit à financer le maillage vers une zone de production proche afin d’augmenter la capacité d’injection, pour un montant de 1,5 million d’euros. L’un des leviers que nous avons identifiés consisterait à élargir la période de calcul du tarif d’achat d’un pas mensuel à un pas trimestriel.

Quant au mécanisme d’appel d’offres parfois évoqué, il faut savoir que les agriculteurs ne sont pas forcément habilités à entrer dans ce type de dispositif et que le tarif de rachat leur correspond très bien. Les appels d’offres sont plutôt adaptés à des projets territoriaux ou atypiques de type industriel.

Certains élus locaux sont très engagés en faveur des projets de méthanisation, d’autres plus attentistes, ce qui tient parfois au fait que les agriculteurs ne communiquent pas forcément, par manque de temps et d’habitude. On se trouve ainsi souvent confronté à des quiproquos et à des problèmes en termes d’acceptabilité. J’en donnerai deux exemples. Dans le cas d’un projet en Mayenne, le conseil municipal a donné un avis négatif sur le permis de construire et le dossier d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), alors que la maire avait exprimé un an et demi plus tôt un avis positif. Entre temps, quelques riverains se sont émus de ce projet et les élus ont suggéré de le déplacer, arguant du fait que cela coûterait moins cher avec la clause de réfaction. De même, dans le nord-est du Maine-et-Loire, suite à la plainte de riverains, des porteurs de projet ont dû modifier à plusieurs reprises le lieu d’implantation du projet, ce qui a entraîné un retard d’un an environ et des coûts liés au terrain et à des frais d’études. Outre la poursuite du dialogue territorial, on pourrait imaginer, pour lever ce frein, de repenser la taxation carbone ou de réfléchir à des dispositions financières de maintien de dotation pour les communes nouvelles. Cela pourrait certainement être appliqué pour la transition énergétique, afin d’aider les élus à convaincre les riverains qu’ils pourraient tirer avantage de l’implantation d’un projet de méthanisation ou d’énergies renouvelables sur leur territoire.

Le quatrième élément concerne le marché, très restreint, de la biomasse. Souvent, les producteurs achètent de la biomasse sur des marchés, en complément de leurs intrants. Il faut en effet savoir qu’en matière de production de méthane, plus le cocktail des intrants est diversifié, plus il est efficace. Le problème est que les producteurs ne parviennent pas toujours à produire ces intrants l’été et doivent les acheter sur des marchés, à des prix souvent plus élevés que ceux auxquels un éleveur les achèterait pour ses bêtes. Il en va de même pour les déchets agroalimentaires, dont les prix sont souvent supérieurs aux prix classiques. Il conviendrait donc, pour aplanir cette difficulté, d’élaborer un marché à destination de la méthanisation, qui s’appuierait sur les résidus agricoles et les cultures à vocation énergétique. Ces marchés existent déjà de la part de coopératives agricoles, mais il faudrait les solidifier et les encourager, en créant par exemple une plateforme.

Le dernier point enfin est la question des coûts. La filière méthanisation en France est très particulière et non adaptée à la technologie allemande largement adoptée. Nous avons en effet des mélanges hétérogènes, des fumiers pailleux difficiles à intégrer. Investir en dans la recherche-développement pour faire évoluer la situation pourrait représenter un vrai levier de compétitivité à l’international, notamment vis-à-vis du Japon qui utilise le même type de méthanisation que nous et ne dispose pas de technologies parfaitement adaptées.

M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt. Vous connaissez l’importance pour Negawatt du vecteur gaz, qui sera en 2050 à égalité avec l’électricité. Il faut savoir que l’on consomme déjà aujourd’hui quasiment autant de gaz que d’électricité en France. La quantité a diminué, car des efforts d’efficacité ont été réalisés. À horizon 2050, il s’agira toutefois de gaz 100 % renouvelable, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je me permets d’insister sur le fait que cela ne constitue pas seulement un exutoire pour les effluents de pratiques agricoles, dont on sait pertinemment aujourd’hui qu’elles ne sont pas durables, mais représente également un enjeu agroécologique, qui va entraîner des évolutions dans les pratiques agricoles. Cette démarche est notamment très vertueuse du point de vue du sol. Cet élément essentiel, bien qu’il n’ait ni coût ni prix, mérite d’être intégré à la réflexion.

En termes d’usages, nous pensons que la mobilité doit être prioritaire, contrairement à la production d’électricité. Avoir favorisé la production électrique constitue selon nous une erreur ; l’exemple allemand en témoigne. Concernant le secteur du bâtiment, il existe à terme d’autres solutions pour le chauffage. Il faudra ainsi que les réseaux gaziers « sortent » des bâtiments pour aller vers le secteur des véhicules légers et poids-lourds, dans lequel le gaz est irremplaçable, car il s’apparente beaucoup au pétrole du point de vue de l’usage, contrairement à l’électricité, dont la place est plus modérée.

La méthanisation est aussi, dans une logique systémique de long terme, productrice de CO2. Le biogaz est en effet composé pour moitié de méthane et pour moitié de dioxyde de carbone, qui est un déchet du point de vue de la méthanisation, mais une ressource pour la méthanation, le power-to-gas, en complément de l’hydrogène.

Selon les informations dont je dispose, il semblerait que de grandes inquiétudes pèsent sur les évolutions possibles des mécanismes de soutien. L’appel d’offres constitue selon nous une très mauvaise solution pour la méthanisation, car ce procédé conduit à éliminer les petits opérateurs et à favoriser les grandes structures. Les projets mettent du temps à se développer et ont besoin de stabilité. Si l’on veut prendre en compte les enjeux territoriaux, il est important d’inclure les énergies renouvelables dans la réflexion. Cela impose de disposer de systèmes d’aides adaptés à la typologie des opérateurs. Du reste, l’appel d’offres n’est pas non plus une solution adaptée à l’éolien et au photovoltaïque. Nous pourrons en discuter ultérieurement si vous le souhaitez.

Un autre sujet d’inquiétude réside dans le fait qu’il existerait aujourd’hui des velléités d’augmenter le seuil de 15 % de cultures énergétiques, ce qui serait une grave erreur. On ne parle pas là de cultures intermédiaires, qui permettent au contraire de bénéficier d’un couvert végétal en l’absence de cultures principales, mais bien de cultures dédiées.

On a enfin le sentiment qu’il existe, parmi les objectifs de production de biométhane et plus généralement de biogaz, des doubles comptes entre la production d’électricité et l’injection dans le réseau. Il faut veiller à avoir des objectifs très clairs et distinguer le biométhane injectable ou utilisé en direct pour des usages cohérents de celui utilisé pour la production d’électricité, qui représente le passé et avec laquelle il faut vivre, mais qui ne doit pas être déduite des objectifs de la France en matière de production de biométhane.

M. Francis Claudepierre, président et agriculteur méthaniseur de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France. Bonjour à tous. Je vous remercie de m’avoir invité à cette table ronde. Je suis éleveur de vaches laitières en Meurthe-et-Moselle et pratique la méthanisation et l’agriculture biologique depuis dix-huit ans.

Je représente aujourd’hui l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France, qui regroupe environ la moitié des installations agricoles, dont la plupart sont en cogénération. Nous avons participé au groupe de travail initié par Sébastien Lecornu. Mme Coron en a présenté précédemment les principales mesures, que nous accueillons favorablement. Nous partageons ainsi les priorités d’utilisation du biogaz, à savoir l’injection dans le réseau, la mobilité et la cogénération.

Je souhaiterais profiter de cette tribune pour rappeler les avantages de la cogénération. Les réseaux gaziers de collecte ou de distribution n’arrivent pas partout dans les campagnes, alors que le réseau Enedis est à la portée de toutes les exploitations, où qu’elles soient. Nous y produisons de manière efficace de l’électricité injectée en bout de réseau, ce qui, en électricité répartie, est très important. Par rapport aux deux autres sources de production intermittentes d’électricité renouvelable que sont le solaire et l’éolien, la production d’électricité par cogénération présente la particularité d’être stockable et prévisible, ce qui constitue indéniablement un atout. Bien entendu, chaque agriculteur va, quand il le peut, vers l’injection. Malgré tout, de petits projets de cogénération disséminés dans les campagnes permettent de traiter la matière première sur place, ce qui est parfois plus efficace que de l’acheminer à quinze ou vingt kilomètres de l’exploitation pour pratiquer de l’injection.

Les agriculteurs méthaniseurs cherchent à participer à la transition énergétique, mais n’ont pas l’ambition de changer de métier et souhaitent continuer à travailler pour nourrir la population, grâce entre autres à la méthanisation et malgré toutes les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Il nous est par exemple proposé de baisser les coûts. Or certains coûts sont incompressibles. Nous pensons ainsi que le volet « aides » ne doit pas être diminué, mais réorienté. Les aides à l’investissement sont parfois trop visibles des constructeurs, ce qui empêche la diminution du prix des équipements. Elles pourraient être réorientées vers les financements. Nous accueillons par conséquent favorablement le projet de financement par Bpifrance, même si le taux d’intérêt peut jouer le rôle de repoussoir : nous espérions en effet des taux zéro.

Les aides devraient également être orientées vers la formation et la professionnalisation de la filière. De trop nombreux porteurs de projets manquent encore de visibilité sur leurs projets, ont des difficultés à le formaliser, à l’exprimer lorsque se pose le problème de l’acceptabilité. Nous souhaiterions donc que des formations adaptées soient développées à leur attention.

La baisse des coûts devra aussi certainement être compensée un jour par la monétisation des externalités positives : il faut absolument y travailler. Il importe aussi de veiller à la baisse des coûts ou à l’amélioration des rendements des cultures intermédiaires, auxquelles il conviendra d’octroyer un statut de « vraies cultures » et de supprimer le qualificatif d’« intermédiaires ». Il faudra ainsi acter dans la politique agricole commune (PAC) le principe de base de trois cultures en deux ans.

Les freins administratifs restent considérables, même si nous avons constaté une réelle amélioration au fil du temps. Il est ainsi beaucoup question en ce moment d’hygiénisation obligatoire sur des projets collectifs. Je souhaiterais rappeler que les projets collectifs représentent souvent la possibilité pour de petites et moyennes exploitations de participer à l’enjeu de la méthanisation. Or une obligation d’hygiénisation totale engendrerait des surcoûts insupportables et injustifiés. Notre espoir est que les volontés politiques de voir se développer la méthanisation, qui sont exprimées en haut lieu, soient partagées dans les services administratifs. On se demande parfois qui gouverne.

Les freins à l’acceptabilité constituent une autre limite. Il est important d’imaginer des actions en ce sens, en donnant par exemple aux riverains, aux voisins, la possibilité de s’inscrire dans une démarche de financement participatif, afin de les intégrer dans les projets et de favoriser ainsi une meilleure acceptation. Nous constatons par ailleurs le développement de recours de la part d’associations qui se créent et font preuve de beaucoup d’opportunisme dans la contestation : il devient à la mode de contester un projet de méthanisation. Nous proposons donc que lorsqu’un recours administratif est formulé, les opposants déposent une caution équivalente au préjudice qu’ils entendent subir, de façon à ce qu’ils réfléchissent davantage avant de lancer une telle procédure de façon injustifiée.

M. Adrien Morenas, vice-président. Merci beaucoup. La parole est à présent à M. le rapporteur, puis à nos collègues, qui ont certainement des questions à poser.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Mes questions concernent essentiellement l’expérience du Maine-et-Loire et renvoient à l’un des points importants de notre réflexion, à savoir l’implication des territoires.

Quelles compétences avez-vous utilisées pour vous impliquer, en tant que conseil départemental, dans cette planification ?

J’ai par ailleurs effectué un rapide calcul : vous avez indiqué la présence de 50 méthaniseurs, ce qui, étant donnée la superficie du Maine-et-Loire, représente une installation tous les douze kilomètres. Je crois que Negawatt préconise 5 000 méthaniseurs à l’échelle du territoire national, ce qui correspond globalement à cette densité. Cela me renvoie à la question de l’acceptabilité. Je constate en effet dans ma circonscription l’existence de résistances à l’installation des méthaniseurs de la part des populations. Avez-vous identifié, dans votre étude d’implantation à l’échelle du Maine-et-Loire, les endroits où c’était le plus acceptable ?

Concernant l’intérêt des élus locaux pour ces projets, il faut savoir que, contrairement à l’éolien, il n’existe pas de taxe locale sur la méthanisation, c’est-à-dire aucun effet incitatif. Ainsi, dès que les populations manifestent des réticences, les élus, les maires notamment, s’écartent du sujet. Je souhaiterais vous entendre à ce propos.

Suite au groupe de travail, une nouvelle proposition a émergé de la part de la Caisse des dépôts et de Bpifrance, visant à apporter un complément de financement aux projets : si j’en crois les exposés, cela n’apparaît pas assez incitatif. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Bolo. Ma première question s’adresse à Mme Coron. Vous avez évoqué dans votre intervention une multiplication du biogaz injecté en fonction des baisses des coûts. J’aimerais en savoir plus sur ce sujet de baisse des coûts et sur le lien entre la capacité à injecter et le coût de production. Il m’apparaît en effet que ce que l’on injecte détermine le coût, lui-même déterminé par ce que l’on injecte. Comment peut-on par ailleurs prétendre atteindre les objectifs du plan climat et de la transition énergétique sachant que l’on est face à une incertitude sur la quantité injectée, déterminée par les coûts ? Je ne vois pas très bien comment relier les deux aspects. L’idée sous-jacente est surtout de ne pas décevoir les porteurs de projets en cours et à venir.

La deuxième question concerne M. Bernet et les travaux de recherche menés en matière d’acceptation sociale. Je pense qu’il faut faire très attention en présentant le sujet : dire que l’on a besoin de recherches supplémentaires pour disposer d’éléments visant à faciliter l’acceptation des projets revient à injecter dans le débat la difficulté que l’on rencontre et accrédite la thèse selon laquelle il faudrait attendre et appliquer le principe de précaution, donc ne pas implanter de méthaniseurs. D’autres recherches ne devraient-elles pas être menées, notamment sur les nuisances, les risques sanitaires et les bénéfices économiques, tant sur territoires qu’au niveau national ? Existe-t-il des travaux dans ces domaines ?

M. Adrien Morenas, vice-président. Quelles sont les contributions de l’Europe au programme de méthanisation ? À quelles aides pouvez-vous prétendre en tant que collectivité ?

Quid, par ailleurs, des collectivités ayant réalisé des investissements en prévision d’un méthaniseur qui, finalement, n’est pas installé ? Certaines villes de France ont en effet prévu des investissements en vue de produire du biométhane, mais une fois l’infrastructure en place, n’ont plus aujourd’hui des moyens financiers de mener ce projet à bien.

Mme Anne-Florie Coron. Concernant la question sur les coûts de production et le lien avec les objectifs, il faut savoir que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit de fixer des objectifs avec des trajectoires de baisse de coûts. Si toutefois ces objectifs ne sont pas atteints, cela ne signifiera pas pour autant l’arrêt du développement de la filière de méthanisation, mais cela se traduira simplement par son ralentissement, de manière à maîtriser les coûts de soutiens publics. Nous disposons d’une enveloppe de soutiens publics pour les dix prochaines années : si le coût au mégawattheure est plus élevé que prévu, alors le volume sera plus faible. Il sera du coup plus compliqué d’atteindre l’objectif fixé à l’horizon 2050, mais la PPE prévoit une trajectoire sur dix ans.

Je souhaiterais rappeler quelques chiffres relativement aux coûts de production du biogaz. Ils sont aujourd’hui de l’ordre de cent euros du mégawattheure pour le biométhane injecté et d’environ 150 euros du mégawattheure pour l’électricité produite à partir de biogaz, ce qui est plus cher que les autres énergies renouvelables. Il est bien évident que les énergies ne sont pas équivalentes et qu’il faut considérer les externalités positives. Nous sommes cependant soumis à une contrainte de maîtrise du soutien public et avons besoin de tracer une trajectoire, de faire en sorte que les coûts de production diminuent.

M. Philippe Bolo. Il s’agit donc d’une question de maîtrise des ressources financières pour accompagner la méthanisation. Ne vaudrait-il mieux pas, dans ce cas, affecter la ressource financière à un nombre de projets, ce qui correspondrait à un coût de production identique et présenterait l’avantage de multiplier les unités de production, donc de structurer une filière industrielle, avant d’envisager dans un deuxième temps une diminution des coûts, à partir du moment où la filière serait suffisamment stable et robuste pour permettre elle-même une réduction des coûts par la massification des productions ?

Mme Anne-Florie Coron. Il faut savoir qu’il n’y a pas, pour les contrats d’achat de biogaz déjà signés, d’évolution des tarifs. Cela ne concerne que les nouveaux projets, qui signeront avec un tarif plus bas dans les dix années à venir.

M. Nicolas Bernet. Peut-être ai-je mal présenté les choses : l’objectif des recherches n’est en effet pas de répondre aux difficultés d’acceptation sociale, mais simplement de disposer d’éléments à apporter au débat et d’être en mesure de répondre aux questions qui se posent, notamment au niveau agricole, sur l’impact de la méthanisation et de son développement sur le modèle agricole sur la fertilisation, le retour aux sols, le risque d’appauvrissement des sols en matières organiques. Les premiers travaux semblent montrer l’inverse.

Des recherches sont en outre menées sur le potentiel risque sanitaire, notamment sur l’impact de la méthanisation, ou au contraire sur l’abattement de ces risques en termes de microbiologie et de pathogènes par exemple. Dans le cas de la méthanisation des boues de stations d’épuration, des études sont également effectuées sur le potentiel abattement de composés comme des micropolluants organiques, grâce à la méthanisation.

Pour ce qui est des aspects économiques, l’INRA ne travaille pas directement sur ces questions, mais certains laboratoires le font.

M. Marc Cheverry. Concernant la baisse des coûts, nous réfléchissons, en tant que soutien ADEME, à des mécanismes de forfait. Aujourd’hui, nous avons, à la différence de la période 2007-2010, une meilleure connaissance des modèles économiques qui fonctionnent. Il existe par ailleurs un message de standardisation des installations par rapport à l’existant. Un gros travail reste toutefois à accomplir sur les coûts liés à la maintenance et aux matériels fournis, afin d’envisager leur diminution par une certaine standardisation, une industrialisation.

En matière de recherche-développement, des travaux de recherche, soutenus notamment par les investissements d’avenir, sont menés actuellement sur des procédés permettant de traiter des substrats pailleux pour s’adapter à certains substrats spécifiques au modèle agricole français, que l’on retrouve également dans d’autres pays. De nombreux travaux concernent par ailleurs les coûts externes ou les externalités de la méthanisation, notamment sur les bénéfices que celle-ci peut apporter soit au monde agricole, soit plus globalement à la maîtrise des produits organiques sur les territoires. Des études sont également en cours et méritent d’être poursuivies sur la meilleure façon de compléter des déchets existant au niveau local, avec les difficultés évoquées en termes de marché, par des cultures intermédiaires, caractérisées par une moins bonne prévisibilité des rendements.

Mme Marie-Jo Hamard. L’une des questions relatives à l’expérience du Maine-et-Loire concernait la compétence. Il faut savoir que la décision de s’engager dans cette démarche avait été prise en 2014. Elle faisait suite à la réflexion que nous avions conduite lors de l’élaboration de notre charte du développement durable et de l’environnement, mise en place en 2010. La volonté d’agir du département s’était notamment traduite par la création, avec le syndicat d’électricité, de la SEM Anjou Energies Renouvelables, devenue depuis Alter Energies. Il s’agissait donc d’inscrire le département dans la transition énergétique. Cela faisait également écho à la volonté de porter un regard sur l’aménagement du territoire et d’avoir une politique volontariste visant à maintenir l’agriculture, en lien avec l’ensemble des partenaires. Le département du Maine-et-Loire avait considéré qu’il pouvait être dans cette logique un véritable relais, en même temps qu’un lien et un partenaire susceptible de fédérer l’ensemble des acteurs susceptibles de travailler autour de la thématique de la méthanisation. C’est dans cet esprit que nous nous sommes engagés dans cette démarche, tout en ayant en tête l’importance et la diversité de l’agriculture dans le département, laquelle représente une réelle source d’emploi. Il nous semblait essentiel de ne pas perdre de vue le fait que la terre a avant tout une vocation nourricière. Rien n’empêche toutefois de valoriser les effluents, tout en permettant une bonne réintégration des digestats au niveau du sol.

Concernant la planification, l’élaboration du schéma nous a permis d’identifier la ressource potentiellement méthanisable. Nous avons ainsi considéré que 30 % à 40 % de la ressource permettraient la mise en place d’une cinquantaine de méthaniseurs, soit effectivement environ un tous les douze kilomètres. Dans ce contexte, l’acceptabilité en Maine-et-Loire est aujourd’hui satisfaisante : nous n’avons pas été confrontés à des levées de boucliers allant à l’encontre du développement de la méthanisation. Il est vrai que les réflexions sont conduites de façon partenariale, collective, ce qui évitera sans doute aussi d’essaimer les méthaniseurs. Le potentiel de ces installations a apparemment été bien compris et accepté. Nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’éventuelles résistances de la part d’associations, comme cela a pu être le cas dans le domaine de l’éolien notamment.

Quant aux élus, il est vrai que l’on entend régulièrement parler de l’absence de retombées fiscales pour les territoires. Les choses évoluent toutefois. Sont présents au sein de la SEM Alter Energies le département, le syndicat intercommunal d’énergies de Maine-et-Loire (SIEML) et les financeurs. Dans un premier temps, les projets conduits étaient essentiellement dédiés au photovoltaïque. Aujourd’hui, la volonté est de faire entrer au capital les neuf établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), afin qu’ils deviennent de vrais partenaires en matière de développement des énergies. À partir de là, les élus sont complètement investis et ont une réelle capacité à décider et à porter les projets. Nous sommes aujourd’hui en réflexion sur des projets éoliens dans lesquels la SEM pourra entrer dans une société par actions simplifiée (SAS), en apportant des financements. Ces SAS sont également souvent portées localement par des collectifs de citoyens. Nous voudrions essayer d’avancer de la même manière pour faciliter la mise en place des méthaniseurs, en développant une démarche similaire de collaboration financière, afin de répondre aux préoccupations de bouclage des financements sur de tels projets.

M. Hervé Martin. Je souhaiterais compléter les propos de Marie-Jo Hamard en donnant l’exemple du territoire du Chemillois, commune nouvelle de 22 000 habitants. Nous avons développé à partir de 2009 trois projets dans les domaines du photovoltaïque, de l’éolien et de la méthanisation. Les deux premiers n’ont posé aucun problème : dans ces domaines, l’installation, le financement, la rentabilité se déroulent relativement facilement, de façon presque mathématique, même si d’éventuels recours ne sont pas à exclure. Nous avons monté pour environ 8 millions d’euros de panneaux photovoltaïques et mis en place un groupe participatif, en lien avec les agriculteurs, pour parvenir à acheter un premier parc éolien d’une manière autonome sur le territoire. Nous sommes ainsi, en collaboration avec les collectivités, dans une dynamique d’investissement de plusieurs parcs éoliens.

La même démarche menée dans le domaine de la méthanisation s’est heurtée à davantage de problèmes. Cela s’explique par des effluents parfois difficiles à gérer,  par des  exploitations souvent mises en œuvre via des collectifs et par des projets qui se développent sur quatre ou cinq ans. S’ajoute à cela une communication vraiment difficile, dans un contexte où l’élevage n’est plus forcément considéré comme nécessaire à la santé humaine et est perçu comme ayant un impact carbone important et pouvant avoir des conséquences négatives sur les sols et sur la vie de chacun en raison de l’utilisation de produits pharmaceutiques et chimiques. L’ambiance actuelle ne permet pas une évolution favorable de la méthanisation. Je pense qu’il nous faut avoir aujourd’hui vis-à-vis de cette nouvelle énergie une communication nationale, présentant son intérêt en termes de production d’énergie, mais aussi d’impact carbone. Il faut absolument mettre en exergue cette volonté et cet intérêt de la méthanisation.

M. Bertrand de Singly. J’ai habité de nombreuses années le Maine-et-Loire et suis très fier des initiatives qui s’y développent. Ce département abrite d’ailleurs un siège de l’ADEME.

Nous avons besoin de tous les territoires pour réussir la méthanisation. La première région aujourd’hui pour la méthanisation est les Hauts-de-France : nous comptons sur elle pour poursuivre. Les premiers projets arrivent par ailleurs en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Permettez-moi un commentaire sur le prix des énergies renouvelables. Il s’agit d’un débat extrêmement complexe. Selon les documents fournis par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) concernant les installations nouvelles qui seront mises en service, il apparaît qu’en 2019 le prix moyen du photovoltaïque en France sera plus élevé que celui de la méthanisation en injection. Cela tient au fait que les panneaux photovoltaïques sont installés sur les toitures ; or lorsque l’on parle de prix en euro par mégawattheure on prend souvent l’exemple des meilleures fermes au sol. Si l’on se fonde sur ce seul critère, il faut arrêter le photovoltaïque ailleurs que dans les grandes fermes solaires. C’est un choix, sur lequel je ne me prononcerai pas. J’attire votre attention sur le fait que calculer des moyennes conduit à oublier que les chiffres obtenus recouvrent en réalité des projets différents. On pourrait par exemple ne faire que de la méthanisation de décharge, ce qui coûte moins cher que le photovoltaïque : pour autant, je ne suis pas sûr que l’on souhaite aller dans cette direction.

Les appels d’offres ont été conçus à l’origine, dans la loi du 10 février 2000, pour le cas où les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI) ne seraient pas atteints. Ensuite, un certain nombre de personnes qualifiées ont estimé que, pour des raisons d’efficacité, il valait mieux généraliser cette procédure. C’est ainsi que cette mesure a été appliquée au photovoltaïque dès 2011, puis à l’éolien. Mais à la base, l’appel d’offres visait à atteindre les objectifs fixés par le pouvoir politique, et n’était pas un instrument global. La filière méthanisation est la dernière arrivée et va être mise à la norme la meilleure. Il est toujours agréable d’être le meilleur élève, mais il nous faut un peu de temps.

On note par ailleurs des contradictions. Le prêt que Bpifrance est en train de structurer est essentiellement conçu pour de tout petits projets agricoles, donc de cogénération. Or j’ai entendu ce matin qu’il était peut-être plus pertinent de faire de l’injection. Nous avons pour ce faire besoin de soutien. Le fait que Bpifrance conçoive un mécanisme n’allant pas dans le sens de ce que recommande le ministère de l’énergie nous interroge.

Au niveau européen, vient d’être adoptée la directive RED II, deuxième directive sur les énergies renouvelables, qui est intéressante car elle pose la question des garanties d’origine en Europe. Nous aurons collectivement un travail à mener pour déterminer ce que nous souhaitons faire. Aujourd’hui, nous bénéficions d’un système de garantie d’origine national, géré par GRDF au titre d’une mission spécifique, pour une durée de cinq ans. Il existe par ailleurs une attente forte des collectivités pour que ces garanties d’origine soient locales. Adopter cette démarche impliquerait de faire évoluer le système vers davantage de traçabilité, ce qui le complexifierait considérablement.

Nous travaillons enfin avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour que la politique agricole commune (PAC) permette des financements spéciaux pour la méthanisation.

Mme Magalie Seron. Concernant la baisse des coûts, il faut savoir qu’il existe plusieurs méthanisations. Les méthaniseurs les plus efficaces utilisent plutôt des déchets de céréales et pas nécessairement des effluents d’élevage. Cette dernière méthode constitue pourtant sans doute le mode de méthanisation apportant le plus d’externalités positives, dans la mesure où le fumier existe, est laissé au sol, se composte naturellement et où le CH4 est libéré dans l’atmosphère, avec un pouvoir de réchauffement que l’on connaît. Elle permet également de créer le plus d’emplois directs et indirects : on parle en Maine-et-Loire d’une quinzaine de projets, représentant 150 à 200 exploitations bénéficiant d’une pérennité de revenus. Combien d’emplois crée-t-on lorsque l’on implante une éolienne ou des panneaux photovoltaïques ?

Maintenir la méthanisation permet en outre de capter le carbone. Le sujet n’est en effet pas seulement de produire des énergies renouvelables, mais aussi de capter le carbone, de diminuer les gaz à effet de serre et de maintenir la biodiversité.

Certes le gouvernement ne peut pas tout payer, mais peut-être la taxation carbone pourrait-elle être réorientée pour ce type de projets, ce qui permettrait de diversifier les sources de revenus pour les méthaniseurs.

Je terminerai en évoquant la question de l’acceptabilité. Il existe deux leviers dans ce domaine. On peut d’une part faire en sorte que les porteurs de projets communiquent mieux, avec l’aide de l’ADEME ou de France Nature Environnement (FNE) notamment. Une charte de bonnes pratiques a ainsi été élaborée dans les Hauts-de-France. La fiscalité est également un aspect important pour convaincre : si les élus pouvaient montrer à leurs concitoyens que ces projets apportent quelque chose aux territoires et ne constituent pas seulement une source de nuisances, alors la situation changerait certainement. On a mentionné la taxation carbone. Un élu de Mayenne m’a récemment informée de l’utilisation de ce dispositif dans le cadre de la fusion des communes nouvelles : cela a très bien fonctionné, sans nécessairement coûter très cher à l’État. Il s’agit d’un signal très positif pour les collectivités et les élus.

M. Marc Jedliczka. Il est beaucoup question ce matin d’agriculture, mais il me semble important de rappeler que la méthanisation ne concerne pas uniquement ce domaine, mais aussi les stations d’épuration, notamment dans les métropoles. C’est très structurant localement, y compris dans les petites villes. J’habite dans un territoire à énergie positive, qui s’appelle le Beaujolais vert, où se développent des projets de méthanisation collective : cela signifie que la collectivité porte le projet, qui a vocation à fédérer notamment les agriculteurs et les industries agroalimentaires, avec une vision territoriale du potentiel de matière méthanisable, mettant en œuvre des éléments scientifiques et techniques. Cela va bien au-delà de la seule production d’énergie et est très structurant en termes de développement local partagé.

M. Francis Claudepierre. Je souhaiterais vous faire partager trois constatations. La première concerne l’acceptabilité : on remarque que les plus gros problèmes proviennent des zones où il n’y a pas encore de méthaniseurs. En revanche, on ne rencontre pas de refus catégorique dans les cantons dans lesquels quelques méthaniseurs sont déjà implantés.

Le deuxième constat est que lors des travaux du groupe mis en place par M. Lecornu, nous nous sommes, en tant qu’agriculteurs, retrouvés face aux ONG, telles que FNE ou le WWF, et étions naturellement sur la défensive. Or au fil des débats, nous avons trouvé un terrain commun autour de la question de la mobilité au GNV et, depuis lors, nous nous parlons, nous faisons mutuellement confiance et travaillons ensemble. Cela a suscité chez nous l’espoir que la méthanisation réconcilie un jour l’agriculture et l’environnement. Nous réfléchissons également avec ces ONG sur la notion de troisième culture en deux ans, qui va nous permettre entre autres d’éviter les épandages de glyphosate.

À l’occasion de ce groupe de travail, nous avons ressenti également une forte pression des acteurs de la dépollution de l’eau, qui voulaient absolument que la méthanisation par le mélange des boues conduise à un changement de statut du digestat en produit. Nous nous sommes élevés contre cette suggestion. Nous ne sommes pas opposés à l’idée de traiter les boues d’épuration, qui sont un concentré de la dépollution de l’eau et qu’il faut bien épandre quelque part. Il s’agit d’un problème de société, société dont nous faisons partie, si bien que nous entendons cette demande. Mais nous sommes avant tout des producteurs de lait, de viande, de fromage, de céréales et notre devoir est de nourrir la population avec toutes les garanties de sécurité alimentaires et de qualité. Un digestat devenant un produit épandu sans répondre aux règles de plan d’épandage constitue de notre point de vue une dérive que nous ne pouvons accepter. Voici vingt ans, nous avons subi la crise de la vache folle, qui nous a énormément perturbés et a conduit à la disparition de nombreuses exploitations. Aujourd’hui, il est difficile pour nous d’envisager d’accepter un risque nouveau. Bien entendu, nous sommes là pour travailler ensemble, trouver des pistes, dont la méthanisation fera partie, puisque les boues sont déjà souvent traitées par des agriculteurs en co-compostage. Le co‑compostage présente l’avantage de pouvoir identifier et séparer des lots, alors qu’en méthanisation il existe un mélange qui rend la démarche plus compliquée, ce qui explique que nous prenions des précautions. Il faut savoir que les boues d’épuration ne présentent pas un grand intérêt méthanogène et que la méthanisation n’est pas une grande lessiveuse qui éliminera les micropolluants organiques et les traces d’éléments métalliques. Tout cela doit donc se faire dans le respect de règles d’épandage, sur des terres bien identifiées.


M. Adrien Morenas, vice-président. Mesdames, messieurs, nous vous remercions.

Je vous rappelle que vous pourrez, dès le mois de février, répondre à la consultation lancée sur le site de l’Assemblée nationale et nous faire part, en complément des échanges que nous venons d’avoir, des différents freins que vous rencontrez et surtout des solutions que vous envisagez

Mes chers collègues, la prochaine table ronde se tiendra jeudi 31 janvier à 9 heures et sera consacrée à la thématique de la voiture propre.

L’audition s’achève à douze heures trente.


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17.   Jeudi 31 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse sur la voiture propre (état des lieux) :
– M. Gaëtan Monnier, directeur du centre de résultat transports d’IFP Énergies nouvelles (IFPEN) et Mme Armelle Sanière, responsable des relations institutionnelles ;
– M. Yann Tréméac, chef adjoint du service transports et mobilité, de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ;
– M. Joseph Beretta, président de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere) et Mme Cécile Goubet, secrétaire générale ;
– M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques du Comité des constructeurs français de l’automobile (CCFA), et Mme Louise d’Harcourt, chargée des affaires parlementaires ;
– Mme Marie Chéron, responsable « Mobilité » à la Fondation pour la Nature et l’Homme.

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Mesdames et messieurs, une partie des travaux de notre mission d’information relative aux freins à la transition énergétique porte sur les mobilités. Nous organisons ce matin deux tables rondes sur la voiture propre. La première est centrée sur la mobilité électrique et les biocarburants.

Nous avons le plaisir d’accueillir  M. Yann Tréméac, chef adjoint du service « Transports et mobilités » de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; M. Gaetan Monnier, directeur du centre de résultat « Transports » d’IFP énergies nouvelles (IFPEN), accompagné de Mme Armelle Sanière, responsable des relations institutionnelles ; M. Joseph Beretta, président de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE), accompagné de Mme Cécile Goubert, secrétaire générale ; M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques du Comité des constructeurs français de l’automobile (CCFA), accompagné de Mme Louise d’Harcourt, chargée des affaires parlementaires ; Mme Marie Chéron, responsable « mobilité » à la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).

Avant de vous donner la parole, je souhaiterais vous faire part d’une consultation publique que nous organisons dans le cadre de la mission d’information. Elle permettra à tout un chacun de s’exprimer pendant six semaines sur ce qu’il considère être les freins et les solutions à apporter pour accélérer la transition énergétique. Cette consultation sera lancée mi‑février. Vous trouverez le lien vers cette consultation sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de donner la parole à M. le rapporteur, je poserai une question générale : quel regard portez-vous sur l’accord européen adopté en décembre dernier visant à réduire de 15 % d’ici 2025 par rapport à 2021 les émissions de CO2 des voitures ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, je vous remercie d’être présents ce matin. Quelques mots pour replacer cette table ronde dans le contexte plus général de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique. Les travaux de celle-ci sont organisés autour de sept thèmes : la vision que nous entendons donner à la population de notre paysage énergétique, en termes de production ou de consommation, d’ici dix, vingt ou trente ans ; le développement des filières d’énergie renouvelable ; la mobilité, qui vous concerne directement ; les économies d’énergie, en particulier dans les bâtiments ; la manière dont les grands groupes de l’énergie se projettent dans l’avenir ; les territoires, dans un monde où la production d’énergie sera beaucoup plus décentralisée qu’aujourd’hui ; enfin, la fiscalité.

M. Yann Tréméac, chef adjoint du service « Transports et mobilité » de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Je rappelle tout d’abord que la décarbonation et la dépollution des transports représentent des enjeux majeurs. En France, les transports sont responsables d’environ 30 % des émissions de CO2, part qui n’a pas baissé, ces dernières années. À 53 %, les véhicules particuliers sont de loin le mode de transport le plus émetteur de CO2. Dans les grandes agglomérations, le transport routier peut représenter jusqu’à 30 % des émissions de particules fines et 60 % des oxydes d’azote. Les particules fines sont à l’origine de 48 000 décès prématurés par an en France.

Au sens de l’ADEME, il n’existe pas de véhicule propre. Tout véhicule génère des impacts environnementaux lors de sa fabrication,  de son utilisation et en fin de vie. En fonction des technologies, les impacts sont plus ou moins importants dans chacune de ces phases. Le véhicule électrique génère des impacts environnementaux plus importants dans la phase de fabrication, qui sont principalement liés à l’extraction de matières entrant dans la composition de la batterie. Le véhicule thermique est, lui, plus impactant dans la phase d’usage en termes d’émissions de CO2 et de polluants atmosphériques. Néanmoins, même le véhicule électrique génère des impacts à l’usage. On pense bien sûr à la combustion et à l’échappement mais on oublie les émissions de particules liées à l’abrasion des pneus et au freinage, qui représenteraient environ la moitié des particules fines émises par un véhicule.

Une récente étude européenne comparative effectuée sur une Golf électrique et sur une Golf thermique montre des niveaux d’émissions de particules comparables. Si, grâce au freinage récupératif, le véhicule électrique émet assez peu de particules de frein, en revanche, la présence des batteries, qui le rendent 24 % à 25 % plus lourd qu’un véhicule thermique équivalent, génère davantage d’émissions de particules résultant de l’usure des pneus.

Nous privilégions un mix technologique non centré sur la mobilité électrique. Nous distinguons quatre segments avec des niveaux d’implication industrielle français différents : le classique thermique essence ou diesel ; l’électrification, avec les véhicules électriques, hybrides ou hybrides rechargeables ; le gaz, avec le gaz naturel pour véhicules (GNV), le bio‑GNV, le gaz de pétrole liquéfié (GPL) et l’hydrogène ; les biocarburants : avec le bioéthanol, l’ED95, le diesel et les huiles hydrotraitées (HVO). Chacune de ces technologies induit des impacts environnementaux variables. Je ne reviendrai pas sur les émissions hors échappement du véhicule électrique ni sur les effets du véhicule thermique, que nous connaissons tous. Le bio-GNV représente 75 % d’émissions de CO2 de moins que le GNV, lesquelles sont comparables aux émissions du thermique. Les biocarburants présentent globalement un bilan CO2 favorable du puits à la roue, avec toutefois une interrogation sur l’effet du changement d’affectation des sols, direct et indirect. L’hydrogène ne présente pas d’émissions à l’échappement, mais une analyse de cycle de vie (ACV) montre que le transport de ce vecteur énergétique est déterminant pour mesurer l’impact environnemental d’un véhicule hydrogène.

Afin de choisir une technologie plutôt qu’une autre, du point de vue du citoyen, de la puissance publique ou des constructeurs, nous considérions qu’il faut combiner l’approche économique et environnementale, c’est-à-dire adopter une approche total cost ownership (TCO), ou coût total de possession. Cette approche intègre l’amont – la conception et la fabrication – et l’aval, incluant le coût du cycle de vie et les externalités, notamment leur contrepartie monétaire, aussi bien positive, pour l’utilité créée, que négative, au titre des impacts sanitaires et environnementaux. L’approche environnementale d’analyse de cycle de vie doit prendre en compte les impacts environnementaux du puits à la roue au travers de différents indicateurs multicritères, tels que l’énergie primaire, l’épuisement des ressources, l’eutrophisation ou l’acidification des milieux.

Nous avons réalisé une étude conjointe avec l’IFPEN, intitulée « E4T » et téléchargeable sur les sites de l’IFPEN et de l’ADEME, visant à comparer les TCO et l’ACV de différents types de véhicules. En termes de TCO, sur le segment urbain, l’essence est à 30 centimes d’euros du kilomètre, contre 25 centimes le véhicule électrique, sur la base d’une utilisation intensive, puisque l’usage du véhicule électrique en substitution du véhicule thermique n’a de sens que dans ce cadre.

S’agissant du potentiel de réchauffement climatique, l’ACV donne, pour le véhicule essence, 130 grammes d’équivalent CO2 par personne et par kilomètre, et pour le véhicule électrique, 70 grammes d’équivalent CO2 par personne et par kilomètre.

Toutefois, si le véhicule électrique présente, dans certaines conditions, des avantages, et peut être intéressant pour la substitution de véhicules thermiques, en revanche, il produit bien des impacts. Les tendances du marché orientent la fabrication de véhicules électriques vers des véhicules lourds, ce qui représente une problématique au regard des particules d’usure des pneus et ne répond pas obligatoirement à des besoins de mobilité réelle. La plupart des déplacements, notamment du domicile au lieu de travail, sont de 10 à 12 kilomètres, et l’on n’a pas besoin d’un véhicule d’une autonomie supérieure à 250 kilomètres pour un tel usage.

Dès lors, plutôt que de parler de véhicules propres, mieux vaudrait parler de mobilité durable. L’offre technologique doit s’inspirer des besoins de mobilité réels du citoyen. En raison de la variété des usages, il faut penser mix technologique, en sachant que le déplacement le plus respectueux de l’environnement restant celui qu’on peut éviter. L’offre technologique dépend aussi de la réglementation – on parle beaucoup des zones à faible émission –, la fiscalité et les dispositifs d’incitation, ainsi que le contexte territorial, notamment le gisement des énergies à disposition. Il faut situer l’utilisation de l’hydrogène et l’analyse du cycle de vie du véhicule dans son contexte territorial, au regard de la capacité de production d’hydrogène liée notamment aux EnR, et veiller à avoir un bilan positif.

Nous constatons une érosion de l’idéal de la voiture possédée au profit d’un modèle de mobilité servicielle. On parle de mobility as a service (MaaS). Selon une étude que nous avons réalisée avec l’observatoire des mobilités émergentes, le nombre d’utilisateurs quotidiens de la voiture est passé, entre 2016 et 2018, de 59 % à 50 %, soit une baisse inédite et importante, tandis que la mobilité servicielle intéresse 50 % des personnes interrogées. Le futur de la mobilité durable, et pas obligatoirement du véhicule propre, lequel n’existe pas, ce sont les mobilités partagées, au fort potentiel de développement pour les années à venir, notamment pour les courtes distances, les transports en commun, qui doivent rester un moyen de transport de masse indispensable, notamment en environnement urbain, et les mobilités actives. Si la part modale de l’utilisation du vélo reste faible – 2,7 % seulement –, elle présente un potentiel majeur. Mais la manière la plus propre de se déplacer, c’est bien sûr la marche !

M. Gaétan Monnier, directeur du centre de résultat transports d’IFP Énergies nouvelles (IFPEN). L’IFPEN est un établissement public de recherche, de formation et d’innovation dans les domaines de l’énergie, de la mobilité et de l’environnement. Dans le domaine de la mobilité, l’IFPEN participe au développement des mobilités propres et économes en explorant différentes pistes complémentaires. Pour nous, il n’existe pas de solution unique de mobilité propre. Il ne s’agit pas d’opposer les solutions les unes aux autres mais bien de les considérer comme complémentaires, avec une transition à gérer, pour passer des solutions de mobilité actuelles, largement thermiques, à des solutions du futur, largement électriques.

Par mobilités propres, nous entendons des solutions à faibles émissions de CO2, de polluants et à faible consommation d’énergie. Pour nous, les principaux freins à la transition énergétique pour les véhicules particuliers sont le prix, la facilité d’usage et l’accessibilité. Un enjeu important pour rendre la transition énergétique acceptable par les citoyens est de développer des technologies à prix abordables pour le plus grand nombre et répondant le plus simplement possible aux besoins des usagers. C’est sur ces énergies que nous focalisons nos travaux.

Par ailleurs, il convient, à nos yeux, de distinguer le parc installé de véhicules et son évolution. Des solutions pour une mobilité propre existent pour les deux typologies de parcs.

Pour le parc installé, les principaux freins au changement nous paraissent être le coût d’investissement et la disponibilité des technologies. Afin de rendre les véhicules existants moins polluants au moindre coût, une solution rapide existe déjà visant à aider le conducteur à mieux utiliser son véhicule et à devenir un éco-conducteur pour les émissions de CO2 et de polluants. L’IFPEN a développé une application d’éco-conduite librement téléchargeable, GECO Air, destinée à accompagner le bénéfice de consommation et d’émissions. Par le simple fait d’adapter au mieux son comportement au volant, un conducteur peut réduire significativement ses émissions de CO2. Nous l’avons même démontré dans le cadre d’utilisation avec des poids lourds.

Un autre levier pour décarboner la mobilité de manière transparente pour l’usager est la poursuite de la banalisation de l’utilisation des biocarburants, notamment ceux de deuxième génération et ultérieurs pour éviter d’entrer en concurrence avec l’alimentation. Dans ce domaine, la France, et en particulier l’IFPEN, ont fait des efforts considérables de recherche technologique et sont aujourd’hui prêts à déployer à l’échelle industrielle, en complément des biocarburants existants, ces nouvelles solutions. Ce déploiement créerait sur le territoire national des emplois industriels et agricoles non délocalisables. Par ailleurs, il existe en France une filière agricole et industrielle pour les biocarburants conventionnels qui représente 25 000 à 30 000 emplois. C’est sur cette filière que la filière des biocarburants avancés doit appuyer son développement.

Afin que ce déploiement industriel soit effectif, il convient de mettre en place un cadre réglementaire et fiscal idoine, c’est-à-dire stable et de long terme, étant donné le niveau d’investissement en jeu. Il faut notamment instaurer des cibles d’incorporation ambitieuses, des mécanismes de soutien aux investissements, une fiscalité dédiée, et structurer la filière biomasse. Il faut enfin reconnaître un avantage aux constructeurs permettant une incorporation élevée des biocarburants.

J’en viens à l’évolution du parc.

Toute mesure incitant à remplacer un véhicule ancien par un véhicule plus récent, neuf ou d’occasion, nous semble efficace. Il en va de même pour la promotion du covoiturage ou des modes de mobilité douce. À ce propos, l’IFPEN travaille également avec une PME française qui a produit le premier GPS européen, Geovelo.

L’électrification de la motorisation est pour nous de nature à réduire les émissions de CO2. Une hybridation, même modeste, va dans le sens de la mobilité propre. Cependant son application cible, le véhicule électrique, se heurte aujourd’hui à des problématiques de prix et d’autonomie. Pour pallier ces inconvénients, IFPEN se penche sur la conception de moteurs électriques plus efficients, donc moins chers à réaliser que des moteurs classiques à aimant permanent, et présentant des rendements très élevés, c’est-à-dire une consommation énergétique moindre pour une puissance donnée, quel que soit l’usage. Nous industrialisons ces moteurs avec différents partenaires et avons notamment équipé les premiers véhicules électriques de la société Aixam depuis 2017.

Je souhaite également souligner le fait qu’en matière de véhicules propres, il importe, comme le disait mon collègue de l’ADEME, de réaliser des analyses globales de cycles de vie. Une étude menée récemment par IFPEN avec l’ADEME montre que, pour les véhicules particuliers ou les véhicules utilitaires, la solution hybride rechargeable est parfaitement capable de réduire la pollution locale et les émissions de gaz à effet de serre pour un coût d’usage très compétitif.

Enfin, dans le cadre de l’hybridation, la consommation des motorisations thermiques peut encore être sensiblement améliorée. Il ne faut pas le négliger. Au-delà de la combustion même, sont développées des solutions afin de récupérer l’énergie thermique perdue pour la transformer en électricité, ce qui procure un gain de consommation de 3 % à 5 %. Une solution alternative pour le véhicule propre pourrait être de combiner l’hybridation, l’utilisation de biocarburants et l’usage d’un moteur thermique optimisé pour l’hybridation.

En conclusion, l’IFPEN est engagé dans plusieurs voies de nature à accélérer la transition vers la mobilité propre et économe, en n’oubliant pas que l’énergie la plus propre est celle qu’on n’utilise pas. Par conséquent, toute avancée scientifique et technologique qui permet d’économiser l’énergie dans un véhicule, quelle qu’elle soit, est une priorité des activités de l’IFPEN.

M. Joseph Beretta, président de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE). Je préciserai, tout d’abord, que l’association AVERE représente l’écosystème de la mobilité électrique. Les interventions précédentes étaient focalisées sur les véhicules particuliers, mais il ne faut pas oublier les deux ou trois-roues, les poids lourds et les bateaux, car la transition énergétique est globale. Nous intégrons en outre les bus et les cars dont il convient d’analyser aussi tout le cycle de vie.

Plutôt que de véhicule propre, je préfère parler de véhicule à très faible émission ou à très faible impact environnemental. D’évidence, la mobilité électrique fait partie des solutions respectant ces critères. Mon intervention portera donc sur les freins au développement de la mobilité électrique.

Aujourd’hui, la mobilité électrique est une réalité. Les ventes mondiales augmentent. Les produits proposés par les constructeurs sont de plus en plus nombreux. Les technologies évoluent. Il serait intéressant d’évoquer le sujet mais je concentrerai mon propos sur les freins au développement de la mobilité électrique.

Le premier frein est le prix des véhicules électriques même si en additionnant le bonus, la prime à la conversion et les aides locales, on obtient un coût complet de possession équivalent à celui d’un véhicule à essence, voire inférieur en fonction des kilomètres parcourus. Pour les particuliers, le coût n’est donc plus vraiment un obstacle.

Le deuxième frein est l’autonomie même si les constructeurs ont fait évoluer la technologie et des véhicules dépassent les 300 kilomètres. Il serait bon d’adapter l’autonomie à l’usage de l’utilisateur. Il est inutile de transporter une grosse batterie si on n’en utilise pas tout le potentiel.

Le troisième et principal frein est la recharge, qu’il conviendrait de simplifier. Facile en pavillon, elle est plus compliquée en agglomération. De nombreuses propositions figurent dans le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM), mais elles doivent être clarifiées. Nous avons des propositions à faire, que nous vous transmettrons, car il serait trop long de les énumérer ici. Des évolutions sont souhaitables, notamment dans les copropriétés et les entreprises. L’AVERE essaie de les accompagner, car les installations de recherche sont coûteuses. Le programme Advenir vise, grâce au mécanisme des certificats d’économie d’énergie, à financer ces installations. Il serait bon d’étendre ce programme pour atteindre l’objectif de 100 000 points de charge en 2022 que s’est fixé la filière automobile. Il faudrait étendre notre objectif de financement de 15 000 points de charge à au moins 50 000 points de charge privés ou sur la voie publique.

Il faudrait aussi traiter la facilité de recharge, c’est-à-dire non seulement l’interopérabilité, qui est train de se développer, mais aussi l’itinérance qui permet de faire de longs trajets sans difficulté.

Le dernier frein est l’information du consommateur. Les différentes enquêtes que nous avons réalisées auprès des consommateurs montrent qu’ils sont très mal informés sur la mobilité électrique et ont une mauvaise perception de l’utilisation de ces véhicules. C’est pourquoi la filière a décidé de créer un site internet d’information complet pour passer de la mobilité carbonée à une mobilité électrique fortement décarbonée, de l’acte d’achat à l’installation de la prise de recharge en passant par l’utilisation.

Je reviendrai sur les impacts environnementaux. Le véhicule électrique est à très faible émission et à très faible impact environnemental. Les impacts environnementaux sont mis en évidence par les analyses de cycle de vie. La dernière feuille de route de la Commission européenne, qui accorde une grande part à la mobilité électrique, à batterie ou à hydrogène, fixe pour objectif zéro gramme de CO2 pour les véhicules arrivant sur le marché en 2040. En outre, une étude de l’ADEME datant de fin 2018 confirme les bénéfices environnementaux du véhicule électrique à batterie et en tire un bilan très positif voué à s’améliorer encore par l’intégration dans le cycle de vie du service rendu au réseau électrique. Le véhicule électrique peut intervenir en tant que batterie à roulettes afin de mieux traiter les énergies renouvelables, de plus en plus importantes dans le réseau électrique. Il représente une capacité de stockage potentielle, en première vie, quand le véhicule est utilisé, ou en deuxième vie, si on sort la batterie du véhicule. Bien entendu, il faut absolument la recycler. J’ajoute que notre coopération avec Enerplan permet d’envisager une mixité mobilité et énergie par l’utilisation de panneaux solaires et le stockage par la batterie du véhicule afin de minimiser toute la consommation énergétique.

M. Nicolas Le Bigot, directeur des affaires environnementales et techniques du Comité des constructeurs français de l’automobile (CCFA). Je représente le CCFA dont les membres sont les groupes PSA, Renault et Renault Trucks.

La filière automobile française est l’une des rares à avoir réussi à acquérir une véritable dimension internationale tout en restant ancrée dans les territoires. Elle représente 800 000 emplois en France, soit 8 % de la population active, et 7,8 millions de véhicules produits dans le monde en 2018, dont 81 % vendus hors de France. En France, la part de marché des producteurs français est de plus de 57 %. Ceux-ci totalisent une quarantaine de sites d’assemblage de mécanique, de production de moteurs et de centres de recherche et développement. Dans ce domaine, ils localisent environ 80 % de leurs activités de recherche en France. Si tous les indicateurs sont repassés au vert sur le plan économique, certaines difficultés subsistent, en particulier en raison de la fragilisation de certains sites de production industrielle, consécutive à la chute des ventes de véhicules diesel, qui se poursuit.

C’est dans ce cadre que nous devons préparer l’avenir, tout en maintenant notre compétitivité, face aux grands défis technologiques, numériques et sociétaux auxquels la filière est confrontée.

Je vous remercie vivement de nous avoir invités à nous exprimer aujourd’hui, parce que c’est bien aujourd’hui que tout se joue. Il faut en urgence lever les freins à la transition énergétique.

Je commencerai par rappeler le contexte dans lequel nous sommes. La réglementation sur les émissions de CO2 récemment adoptée au niveau européen est déterminante pour les choix des architectures techniques que prendront les constructeurs pour les années à venir. Au vu des consommations d’énergie en France, c’est une des filières où les enjeux de transition énergétique sont les plus forts.

Nous nous sommes engagés avec les pouvoirs publics à massifier le marché des véhicules électriques et hybrides rechargeables. Le contrat stratégique de filière cosigné avec l’État en mai dernier prévoit de multiplier par cinq les ventes de ces véhicules à l’horizon 2022. C’est un vrai défi qui vise à passer de 1,2 % de part de marché en 2017 à 6 % en 2022. Nous devons en outre respecter une réglementation extrêmement exigeante en matière d’émissions de CO2, avec 95 grammes par kilomètre en moyenne de vente sur le marché européen, dès l’année 2020, alors que nous sommes aujourd’hui autour de 115 grammes. Je rappelle qu’en cas de dépassement, sont prévues des pénalités très élevées. Du reste, la baisse des ventes de véhicules diesel, qui présente un avantage sur le plan des émissions de CO2, accentue la difficulté d’atteindre cet objectif.

Dans ce contexte, nous avons développé une offre de véhicules électriques, levier technologique prépondérant pour la baisse des émissions de CO2. Cette offre a déjà trouvé un marché, mais encore trop limité à cause des freins à son développement. Je précise que notre offre de véhicules électrifiés va considérablement s’élargir dans les années à venir et même dès cette année avec des véhicules électriques et hybrides rechargeables dotés d’une autonomie de roulage en mode zéro émission de 40 à 50 kilomètres, qui les rend très pertinents en usage urbain.

Au-delà de la mobilité électrifiée, notre stratégie vise à mobiliser tous les leviers de gain en émission de CO2, y compris sur les véhicules à motorisation thermique. Plus que la transition énergétique, c’est l’objectif de neutralité carbone qu’il convient de viser. C’est un objectif de performance davantage en ligne avec le principe de neutralité technologique, qui laisse le champ le plus ouvert possible à la recherche et au développement.

À court terme, les freins à la transition énergétique sont liés au développement du marché des véhicules électrifiés. On peut distinguer les freins de nature technologique et ceux liés à l’usage des véhicules.

Les principaux freins technologiques sont relatifs au coût, à l’autonomie et au temps de charge. Les véhicules électrifiés sont dotés d’un contenu technologique coûteux qui nécessite le maintien des aides à l’achat pour encore quelques années, puisqu’il s’agit de les positionner sur le marché à des niveaux de prix compétitifs par rapport aux véhicules conventionnels. En outre, comme toute technologie naissante, elle doit être soutenue pour atteindre le volume critique de production.

En outre, il faut offrir aux consommateurs, par le déploiement massif d’infrastructures de recharge public et un maillage satisfaisant, une bonne qualité de maintenance et une puissance suffisante pour limiter les temps de charge. Par ailleurs, l’installation des bornes de recharge dans les copropriétés et dans les espaces privés doit être facilitée. Le droit de la copropriété doit cesser d’être un frein au droit à la prise. Pour lever les freins à l’électromobilité, nous pourrions aussi nous inspirer du modèle norvégien qui accorde des avantages aux véhicules zéro émission, notamment en matière d’usage de voies. La mise en œuvre prochaine de zones à faible émission doit nous permettre de progresser dans ce domaine.

Quant aux freins liés à l’usage, nous assistons à une évolution des modes de transport qui va modifier le paysage des modes de mobilité à l’avenir. En tant que constructeurs automobiles, sommes pleinement engagés dans les nouvelles mobilités. En témoignent les offres Moov’in.Paris de Renault et Free2Move de PSA, qui ont remplacé récemment le service Autolib. Afin d’en tirer le meilleur parti de l’autopartage et d’assurer une intermodalité entre les différents modes de transport, les constructeurs doivent être considérés comme des opérateurs de mobilité à part entière et parties prenantes au sein des autorités organisatrices de mobilité.

Au-delà de ces aspects, il convient de prendre en compte la perception des clients sur l’autonomie des véhicules électriques qui, d’ores et déjà, couvrent sans difficulté une grande partie des besoins. Le marché étant trop faible, nous avons besoin de faire de la pédagogie sur ce plan.

Je ne voudrais pas conclure sans dire un mot de l’intérêt que représente l’électromobilité en tant qu’accélérateur de la transition énergétique par le pilotage intelligent de la recharge. La capacité des véhicules à restituer de l’énergie sur le réseau électrique constitue un vecteur de flexibilité au profit du développement des énergies renouvelables.

Vous l’avez compris, la transition énergétique se joue maintenant. Le levier majeur de réduction des émissions de CO2, c’est l’électromobilité. Il faut lever dès aujourd’hui tous les freins, qu’ils soient technologiques ou relatifs à l’usage. C’est ensemble, nous, les industriels, et vous, la représentation nationale et les pouvoirs publics, par la détermination du cadre législatif et fiscal, que nous réaliserons notre ambition commune de développement du marché de l’électromobilité.

Mme Marie Chéron, responsable « Mobilités » à la Fondation pour la nature et l’homme (FNH). J’interviendrai sur le véhicule électrique et pas sur les biocarburants. Je m’inscrirai dans la continuité de ce qui a été dit : il n’existe pas de véhicule propre. Plutôt que de penser en termes de conversion, le véhicule électrique doit nous amener à penser autrement la voiture et l’usage que l’on en fait.

Pour introduire mon propos, je citerai deux chiffres extraits d’un sondage publié il y a quelques jours par Réseau de transport d’électricité (RTE) : 60 % des Français ont une bonne image du véhicule électrique mais ne sont pas forcément prêts à en acheter, et pour 80 % d’entre eux le véhicule électrique n’est pas vraiment écologique. Le premier frein à lever, c’est de faire en sorte que son déploiement s’opère dans des conditions soutenables.

Dans une étude que nous avons publiée en 2017, nous avons comparé et projeté à l’horizon 2030 les cycles de vie d’un certain nombre de véhicules, ce qui nous a permis de faire des scénarios dans lesquels nous avons identifié des leviers actionnables pour améliorer l’empreinte des véhicules. Un véhicule électrique produit aujourd’hui deux à trois fois moins de gaz à effet de serre qu’un véhicule à essence ou diesel - trois fois moins pour une citadine, deux fois moins pour une berline. L’avantage est évident mais encore très insuffisant pour répondre aux enjeux de la transition énergétique et écologique. Les autres indicateurs, tels que l’impact sur les écosystèmes, l’eau, etc., montrent que des efforts restent à faire. Nous devons prendre en compte les impacts environnementaux ici et à l’autre bout de la planète, puisque la problématique principale, c’est la fabrication de la batterie qui est réalisée principalement en Asie. Nous avons des perspectives de relocalisation en Europe des productions de batteries, mais à l’horizon d’au moins une dizaine d’années, et il faut penser le véhicule électrique dans un système mondialisé. Comme l’a dit M. Le Bigot, il s’agit bien d’une industrie mondiale.

L’empreinte du véhicule électrique est donc deux à trois fois moindre que celle du véhicule thermique. À l’horizon 2030, elle devrait se réduire de 40 % et devenir plus ou moins pertinente en fonction d’un certain nombre de leviers.

Pour nous, trois conditions majeures sont nécessaires pour garantir la soutenabilité environnementale du véhicule électrique dans les dix années à venir.

Premièrement, le véhicule électrique doit accompagner l’évolution des usages. La propriété privée d’un véhicule n’est plus la référence. Les jeunes, en particulier urbains, s’en détachent. Une spécificité du secteur automobile est que les produits sont immobilisés 95 % du temps. L’originalité est suffisamment significative pour s’interroger, sachant qu’un des enjeux de la transition énergétique est l’optimisation de la gestion des ressources naturelles. Telles qu’elles sont aujourd’hui conçues, les batteries permettent, sur une durée de dix ans, de rouler deux fois, trois fois, voire quatre fois plus qu’un usage moyen et que les besoins d’un Français. On peut améliorer l’usage de certaines de certaines batteries sans réduire leur durée de vie et les utiliser mieux sans alourdir leur impact environnemental. C’est un avantage fort des véhicules électriques. C’est pourquoi nous recommandons de promouvoir les usages partagés, avec le développement des flottes partagées en ville, et d’accélérer la conversion des flottes des entreprises. Nous recommandons d’adapter les véhicules aux usages et aux besoins réels. La course à l’autonomie n’a aucune pertinence, hormis un effet marketing et celui de camper sur les valeurs des véhicules actuels, et elle est dangereuse du point de vue environnemental. La poursuivre ne ferait qu’alourdir l’empreinte dans les années à venir. Je rappelle qu’en moyenne, les Français font moins de 50 kilomètres par jour. Des batteries plus lourdes seraient donc inutiles pour la plupart des usages.

La deuxième condition, c’est de favoriser la transition énergétique. Aujourd’hui et demain, le véhicule électrique présente l’avantage de pouvoir entrer en synergie avec le système électrique. Un important travail actuellement réalisé par RTE montre la pertinence des services réseaux, ce qui est propice au développement des énergies renouvelables. Le véhicule électrique n’a pas besoin de capacités de production nucléaire supplémentaires et doit s’inscrire dans une trajectoire de réduction de la consommation d’électricité.

La dernière condition est d’ordre économique. Le véhicule électrique doit aussi s’inscrire dans la transition économique vers une plus grande soutenabilité du secteur. Comme le rappelait M. Le Bigot, le secteur automobile est un pilier économique qui pèse lourd en termes d’emploi. Mondialisé, il peut exercer un effet d’entraînement sur l’économie. Par conséquent, il peut exercer un important effet levier en termes d’économie circulaire, de responsabilité sociale et environnementale, depuis l’extraction des ressources minérales. En tant qu’organisation non gouvernementale (ONG), nous soutenons le véhicule électrique, car il est aussi de nature à améliorer la transparence des filières amont d’extraction des ressources minérales. Nous formulons deux recommandations fortes : agir de manière approfondie pour la programmation de la fin des véhicules essence et diesel d’ici à 2030 pour accélérer la conversion du secteur de l’automobile ; travailler sur l’application du devoir de vigilance en France et en Europe.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Je crois pouvoir dire que nous sommes unanimes à considérer qu’il n’existe pas de véhicule propre et que les solutions doivent être adaptées aux usages. Quand on habite en milieu urbain où l’on dispose de nombreuses offres de mobilité, on n’a pas les mêmes besoins ni le même usage de l’automobile que lorsqu’on habite à 50 kilomètres de son lieu de travail. La moyenne serait de dix ou vingt kilomètres par jour, mais pour certains habitants des zones rurales ou de montagne où la déclivité des routes donne tout son sens à la notion d’autonomie, la distance peut atteindre cent kilomètres.

Vous disiez qu’il fallait continuer à soutenir la filière. Combien d’années vous semblent nécessaires pour qu’elle atteigne la maturité ? Quel regard portez-vous sur les mesures annoncées récemment par le Gouvernement visant à faciliter le déploiement des bornes de recharge pour les véhicules électriques d’ici 2022 ? Quel sera l’impact sur la facture du consommateur de la prise en charge du raccordement des bornes de recharge par le gestionnaire de réseau ?

Le dispositif des certificats d’économie d’énergie est souvent critiqué. Nous l’avons évoqué à différentes reprises dans les différentes lois et dans les lois de finances successives. Est-ce un bon outil pour financer des bornes de recharges privées ouvertes au public ?

Nous avons parlé essentiellement aujourd’hui des véhicules légers. Quel développement de la mobilité électrique prévoyez-vous sur le segment des bus et des véhicules lourds ? S’agissant de la maturité de la filière, l’échéance est-elle encore plus lointaine ?

D’après le rapport de RTE, les véhicules électriques représenteront en 2035 entre 200 et 600 térawattheures (TWh) de capacité de stockage totale. La mise à profit d’une fraction de ce parc peut-elle, selon vous, représenter un axe de développement de la flexibilité électrique en France ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Après avoir beaucoup entendu parler d’énergie électrique, j’évoquerai les biocarburants. Plutôt que d’annoncer la fin des moteurs thermiques en 2040, il vaudrait mieux parler de la fin des moteurs à hydrocarbures fossiles, car les moteurs thermiques restent nécessaires pour utiliser du GNV et des agrocarburants. Nous tâcherons d’apporter cette correction dans la LOM.

J’ai été ravi d’entendre que le bio-GNV permettait une baisse de 75 % des émissions de CO2. On parle peu du « Power2gas », c’est-à-dire de l’utilisation de l’hydrogène pour la méthanation. Quelle part du combien du parc automobile pourrait fonctionner au bio-GNV ?

Je poserai la même question pour les agrocarburants. Si nous commençons à avoir une vision de la quantité de biométhane que nous pourrions produire – on envisage 45 TWh, volume que l’on pourrait doubler avec la méthanation -, en revanche, on n’a pas d’estimation pour les autres agrocarburants comme l’éthanol ou le biodiesel. Jusqu’où peut-on aller sans attaquer les surfaces agricoles alimentaires ? Quelle est la masse potentiellement disponible ? Combien de véhicules pourraient fonctionner avec cette énergie ?

M. Nicolas Le Bigot. Concernant les aides à l’achat de véhicules électriques, il existe en France le système bonus-malus. Les bonus, financés par les malus pesant sur les véhicules les plus émetteurs de CO2, sont actuellement concentrés sur les véhicules électriques dont le contenu technologique rendra le prix plus élevé que leurs équivalents thermiques pendant encore un certain temps, au-delà même de 2022. Nous demandons aux pouvoirs publics de la visibilité sur les aides au moins jusqu’à la fin du quinquennat. Nous en avons besoin pour concevoir nos modèles économiques et le consommateur a besoin de confiance dans la stabilité des politiques publiques de promotion du véhicule électrique.

Le constructeur français Renault Trucks propose d’ores et déjà des véhicules lourds de transport de marchandises totalement électriques. C’est pourquoi, dans la dernière loi de finances, nous avons obtenu l’extension aux véhicules électriques du dispositif de suramortissement jusqu’à présent uniquement éligible aux véhicules à gaz. Il s’agit de véhicules jusqu’à 25 tonnes, très intéressants pour assurer en milieu urbain la livraison du dernier kilomètre en mode zéro émission.

Nous avons besoin aussi d’une visibilité accrue sur les politiques publiques en matière de biocarburants et de bio-GNV. Nous approuvons le principe de l’utilisation des biocarburants et du biogaz en vue de décarboner la mobilité et nous serons les premiers à investir dans ce domaine si nous percevons une réelle volonté politique d’agir massivement en ce sens. Mais aujourd’hui, la politique publique pour le biogaz, le bio-GNV et les biocarburants n’est pas suffisamment visible. Au moment où nous investissons massivement dans l’électrification, nous ne pouvons pas courir tous les lièvres technologiques à la fois, d’autant que nous avons d’autres investissements à réaliser face aux autres grands défis que doit relever la filière automobile, c’est-à-dire ceux liés à la disruption numérique, avec l’avènement du véhicule autonome et connecté, et ceux liés à la disruption sociétale pour laquelle nous investissons dans les nouvelles mobilités avec nos services d’autopartage et de covoiturage. Bien entendu, si nous observions des politiques publiques pouvant conduire à massifier les marchés de véhicules à énergies alternatives, nous construirions des modèles économiques et de rentabilité pour nos investissements technologiques mais, à ce stade, ce n’est pas le cas.

M. Joseph Beretta. Le programme CEE, piloté par l’AVERE et associant notamment l’ADEME et l’État lui-même, permet d’orienter l’installation des points de charge. Nous nous sommes focalisés sur des cibles où l’installation des points de charges est problématique, notamment les immeubles en copropriété, où le coût peut être élevé, ainsi que sur les parcs d’entreprise et la voie publique, avec pour contrainte d’agir en complément des programmes précédemment financés via l’ADEME dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA), en développant un dispositif de bornes à la demande. Quand un particulier achète un véhicule, il fait une demande à la municipalité qui installe une borne de charge à proximité de son domicile, sur une place publique accessible à tous. On brise ainsi le paradoxe infernal de la poule et de l’œuf. Au lieu d’installer des bornes sans véhicule, l’arrivée du véhicule est concomitante de l’installation de la borne.

Nous avons déjà financé environ 5 000 points de charge. À la fin du programme pour 2020, nous comptons en avoir financé environ 15 000. Il conviendra de s’interroger sur la poursuite de ce mode de financement après 2020, mais c’est une très bonne utilisation de ces fonds.

Nous approuvons, dans le projet de loi LOM, la prise en charge à hauteur de 75 % du coût de raccordement dans le cadre du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), car il existe des zones blanches, éloignées des grandes lignes électriques, où les coûts de raccordement sont très élevés. C’est vraiment du service public puisqu’il faut absolument installer, pour l’itinérance avec les véhicules électriques, des bornes de charge à des coûts identiques à ceux des bornes installées dans des zones à réseau électrique dense. Cela permet un maillage optimal lié à l’usage de la mobilité et non limité aux secteurs où le réseau électrique est présent.

Nous avons piloté un groupe de travail RTE-AVERE réunissant toutes les parties prenantes, au sein duquel nous avons examiné les implications, à court et moyen terme, du véhicule électrique sur le réseau électrique. Nous avons identifié beaucoup d’opportunités. Nous avons voulu démystifier l’idée selon laquelle le véhicule électrique entraînerait une consommation supplémentaire et obligerait à construire d’autres centres de production d’électricité. Il faut toutefois maîtriser les potentielles pointes de puissance demandées au réseau, plutôt en hiver lors des départs en vacances, en même temps que la période de chauffage. Cela est facile à condition de prévoir une charge intelligente en décalant le début de charge du véhicule, tout en garantissant le service de mobilité. C’est pourquoi dans le programme Advenir, nous orientons les financements vers des bornes intelligentes.

Au-delà de la charge intelligente, nous étudions dans le programme RTE-AVERE le service que peut rendre le véhicule électrique en tant que moyen de stockage du réseau, et les sources de gains de performances, à la fois financiers et d’usage. Selon RTE, le gain financier pourrait atteindre 1,4 milliard d’euros par an en économie de combustible et de l’ordre de 2 milliards d’euros en économie d’investissement. Le consommateur s’y retrouvera aussi, qui paiera jusqu’à deux moins cher la recharge par rapport au tarif classique, si des tarifs permettent l’effacement durant les périodes de forte demande de puissance.

L’hydrogène est une solution qui commence à émerger. Elle peut être intéressante pour les véhicules lourds, mais la distribution et les possibilités d’économies d’échelle doivent encore être étudiées.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Tout le monde s’accorde à dire que la production traditionnelle d’hydrogène est très polluante et qu’il faudrait s’orienter vers une technologie plus vertueuse, c’est-à-dire « Power2gas », mais on n’avance pas beaucoup sur le sujet. Quels en sont les freins ? Comment favoriser le développement de la technologie « Power2gas » ?

M. Joseph Beretta. Je ne suis pas au fait de la technologie « Power2gas », car nous nous intéressons plutôt à la mobilité électrique.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Je pense à l’utilisation d’hydrogène produite à partir de l’électrolyse de l’eau, technique plus vertueuse, dans des usines de production vertes. Sinon, il n’y a aucun intérêt.

M. Joseph Beretta. La condition sine qua non pour développer la mobilité électrique, c’est de décarboner le carburant électricité ou hydrogène. Il n’y a pas de sens à utiliser de l’hydrogène à partir de l’hydrocarbure.

M. Yann Tréméac. Nous avons fait une analyse de cycle de vie de l’hydrogène. Il est indispensable que ce soit de l’hydrogène vert, produit à partir des surplus énergétiques ENR, avec, je le répète, un regard très attentif sur le transport. Afin de ne pas impacter fortement la balance environnementale, il est indispensable d’avoir une vision territoriale, puisque plus de 30 % de l’impact environnemental sont liés directement au transport de l’hydrogène comme vecteur énergétique. Cela a d’ailleurs un sens pour une utilisation pour les véhicules lourds, notamment le transport maritime ou ferroviaire. Pour les parts de réseaux non électrifiés, le développement de l’hydrogène a tout à fait un sens, pour peu qu’il s’opère dans un environnement qui permet cet approvisionnement.

L’intervention de M. Monnier m’a rappelé que l’ADEME porte le programme « Engagements volontaires pour l’environnement des acteurs de la chaîne logistique et du transport de voyageurs » (EVE), visant à mettre en œuvre des actions au sein des organisations des acteurs du transport routier et de marchandises pour améliorer leurs performances environnementales. Or une des actions qui a suscité le plus d’intérêt était l’écoconduite, qui permet de limiter la consommation de carburant et donc de dégager une marge supplémentaire. Cette action que nous promouvions nous a échappé puisque les transporteurs se la sont appropriée, jusqu’à la création dans plusieurs entreprises de transport de challenges d’écoconduite. La prime n’a plus récompensé le meilleur conducteur, le plus rapide qui livrait en temps et en heure, mais celui qui avait la meilleure écoconduite !

Je souscris au propos de Joseph Beretta au sujet du dispositif des bornes à la demande, qui fonctionne très bien aux Pays-Bas.

M. Joseph Beretta. À Amsterdam !

M. Yann Tréméac. Il ne figure pas dans le projet de loi d’orientation des mobilités mais il nous paraît pertinent. J’alerte tout de même sur le fait qu’une trop forte prise en charge du coût de raccordement pourrait entraîner une course à la puissance qui serait néfaste pour le réseau. Il conviendrait d’envisager un taux inférieur à 75 % si les puissances sont plus élevées.

D’une manière générale, l’utilisation de la batterie en seconde vie est fondamentale, afin de disposer de stocks tampons via de grands racks de batteries afin d’alléger le réseau à certains moments.

Monsieur le rapporteur, nous considérons que le bio-GNV présente un intérêt pour la problématique des poids lourds. Nicolas Le Bigot s’interrogeait sur le positionnement des pouvoirs publics. Je ne représente pas les pouvoirs publics, mais l’ADEME a lancé un dispositif destiné à financer des camions, notamment dans les zones blanches non couvertes par des stations d’avitaillement. Développer de tels camions crée une demande et les énergéticiens ont intérêt à construire une station d’avitaillement, avec un fort effet de levier de financement de la part de la puissance publique.

L’hydrogène peut présenter un intérêt, notamment pour les longues distances. Dans le cadre du PIA, nous finançons certains projets de développement de nouveaux poids lourds à hydrogène.

Afin de développer le bio-GNV, nous proposons de se pencher sur sa fiscalité, notamment en cas de non injection dans le réseau et d’utilisation directe dans le transport au pied des unités de méthanisation.

Nous sommes tous conscients de la transformation en cours dans la distribution de marchandises. Le développement du e-commerce porte en lui une réelle capacité d’optimisation du transport. On voit aujourd’hui des gros camions transportant quelques petites caisses, alors qu’un e-commerce avec des chargements optimisés et raisonnés éviterait le déplacement de citoyens avec leurs voitures.

Concernant les biocarburants, je propose de vous adresser des éléments plus précis. Nous nous demandons pour quelle filière leur utilisation pourrait être la plus intéressante. Nous pensons notamment au transport aérien, dont l’impact environnemental est important. Le biocarburant pourrait être dans les années à venir un axe de développement d’un mode de transport aérien plus respectueux de l’environnement.

M. Gaétan Monnier. Les véhicules lourds électrifiés nécessitent beaucoup d’énergie, donc des batteries de taille importante à durée de chargement longue, incompatible avec l’usage. Les camions intermédiaires peuvent être utiles pour la livraison de proximité et l’entrée en ville, mais l’offre ne rencontre pas un grand succès. L’hydrogène étant plutôt une réponse pour le futur, il faut trouver des solutions intermédiaires. Dans ce contexte, les biocarburants ont du sens pour le transport routier. Le frein à leur utilisation n’est pas d’ordre technologique mais dépend de la durée de vie de la politique publique sur ces sujets. La limite des biocarburants n’est pas liée à la ressource mais à l’industrie. Pour les produire, il faut construire des usines, investissements lourds amortissables sur une certaine durée. À défaut d’une visibilité suffisante, ces investissements ne se feront pas, et la difficulté de la transition subsistera.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Comment expliquez-vous le peu de succès du carburant B10 ? Quelles peuvent être les conséquences de l’exclusion de l'huile de palme de la liste des biocarburants ouvrant droit à un taux réduit de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ?

M. Nicolas Le Bigot. Nous avons besoin d’une harmonisation de la disponibilité des carburants à l’échelle européenne. On trouve aujourd’hui le B7, qui contient jusqu’à 7 % de biogazole, sur l’ensemble du marché européen. Certains modèles de véhicules sont compatibles avec du B10, mais l’écart entre le B7 et le B10 n’est pas suffisamment important pour justifier le financement d’infrastructures de distribution spécifiques.

Pour le transport de marchandises par les poids lourds, nous avons des perspectives d’utilisation de B100. Par ce biais, la disponibilité des biogazoles pourrait être optimisée. Au travers du B100, on pourrait profiter de l’intérêt CO2 des biogazoles dont l’usage pourrait se développer.

Mme Marie Chéron. Avec l’ensemble des ONG du Réseau action climat, nous recommandons de sortir le plus rapidement possible des agrocarburants de première génération et de développer les filières d’agrocarburants avancés en soutenant le respect des critères de soutenabilité, notamment au niveau européen. La France pourrait le faire. Ces critères de soutenabilité nous semblent indispensables. Les biocarburants qui les respectent ne représentent qu’une infime part des biocarburants sur le marché.

M. Joseph Beretta. Nous avons parlé des véhicules lourds, mais pas encore des bus. Dans le cadre de la transition énergétique vers des véhicules de très faible émission et à très faible impact environnemental, il convient de considérer aussi les bus électriques, auxquels de plus en plus de collectivités commencent à réfléchir. Mais, au-delà, une réflexion est à mener en vue de créer une offre française de bus électriques de qualité car on voit plutôt des étrangers répondre aux appels d’offres. Il importe que la France propose une solution, ce qui implique des infrastructures de recherche. Elles doivent être faciles à installer et remplir toutes les conditions de sécurité. Des contraintes superfétatoires à l’installation des infrastructures ne devraient pas être imposées par les textes. Notre association essaie de les réduire.

M. Belkhir Belhaddad. Avez-vous un retour d’expérience sur la mise en œuvre et l’exploitation des bus à haut niveau de service, notamment hybrides ?

M. Joseph Beretta. Nous n’avons pas de retour direct d’exploitation. S’agissant de bus hybrides, il faut examiner comment ils ont été dimensionnés et pour quelles lignes ils ont été mis en œuvre.

Mme Cécile Goubet, secrétaire générale de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (AVERE). Nous n’avons pas eu de retours d’expérience mais des retours de commandes de bus électriques au niveau européen, rapportés par la Fédération européenne pour le transport et l’environnement, en fin d’année dernière. Nous constatons une explosion du nombre des commandes de bus électriques au niveau européen, avec environ 9 % des ventes de bus en 2018, et ce chiffre devrait encore augmenter cette année. Si les commandes suivent, c’est que les retours d’expériences sont bons.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Il me reste à vous remercier pour vos contributions.

L’audition s’achève à dix heures cinquante-cinq.


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18.   Jeudi 31 janvier 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse sur la voiture propre (prospective et recherches) :
– M. Laurent Antoni, responsable du programme « hydrogène & piles à combustible » au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et président de l’association européenne de recherche Hydrogen europe research, et M. Jean-Pierre Vigouroux, directeur affaires publiques ;
– M. Christian Hector, directeur général des services techniques de la communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences, et M. Jean‑Bernard Barthel, vice‑président en charge de la transition énergétique ;
– M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA), et Mme Louise d’Harcourt, chargée des affaires parlementaires ; – M. Jacques Lévy, géographe.

L’audition débute à onze heures cinq.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Nous entamons notre seconde table ronde de la matinée, qui portera essentiellement sur l’hydrogène dans la mobilité. Nous nous interrogerons aussi, plus largement, sur le rapport entre mobilité et espace urbain et sur la manière dont la mobilité de demain influera sur l’aménagement du territoire et sur la différence des usages de l’automobile.

Nous recevons aujourd’hui : M. Laurent Antoni, responsable du programme « hydrogène et piles à combustible » au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), accompagné de M. Stéphane Laveissière, chargé d’affaires publiques ; M. Christian Hector, directeur général des services techniques à la communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences pour nous présenter la station autonome de rechargement appelée « FaHyence », accompagné de M. Jean-Bernard Barthel, vice-président en charge de la transition énergétique ; M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA), accompagné de Mme Louise d’Harcourt, chargée des affaires parlementaires, et M. Jacques Lévy, géographe, spécialiste des questions de mobilité et d’aménagement du territoire.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Quelques mots pour replacer cette table ronde dans le contexte plus général de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique. Les travaux de celle-ci sont organisés autour de sept thèmes : la vision que nous entendons donner à la population de notre paysage énergétique, en termes de production ou de consommation, d’ici dix, vingt ou trente ans ; le développement des filières d’énergie renouvelable ; la mobilité, qui vous concerne directement ; les économies d’énergie, en particulier dans les bâtiments ; la manière dont les grands groupes de l’énergie et de l’automobile se projettent dans l’avenir ; les territoires, dans un monde où la production d’énergie sera beaucoup plus décentralisée qu’aujourd’hui ; enfin, la fiscalité, notamment comment sortir de son lien étroit avec le pétrole.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Dans la table ronde précédente, nous avons évoqué l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie. Quel est le bilan des véhicules à pile à combustible par rapport à celui des véhicules à batterie ?

L’amélioration des technologies et des stratégies d’amorçage a permis d’abaisser le prix de l’hydrogène à la station de 30 % en cinq ans. Quelles nouvelles baisses de prix peut‑on attendre à court, moyen et long terme ?


M. Laurent Antoni, responsable du programme « hydrogène et pile à combustion » au commissariat à l’énergie atomique (CEA) et président de l’association européenne de recherche Hydrogen Europe Research. Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, le CEA-LITEN est un institut du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Composé de 950 personnes, il développe les nouvelles technologies dans le domaine des énergies alternatives, notamment le solaire avec le photovoltaïque, les batteries et l’hydrogène, comme acteurs énergétiques, du matériau à l’intégration des systèmes.

S’agissant de véhicules « propres » ou, pour le dire plus justement, à très faible émission ou à très faible impact environnemental, il convient de considérer quatre types de véhicules en termes d’électromobilité : les véhicules hybrides, les véhicules hybrides rechargeables, les véhicules à batterie et les véhicules électriques à hydrogène. On pense trop souvent aux seuls véhicules électriques à batterie. Or le véhicule électrique à hydrogène est aussi, comme son nom l’indique, électrique. Il convient d’autant plus de le préciser que ce sont les deux seuls véhicules qui soient à zéro émission à l’usage, donc de nature à résoudre la problématique du changement climatique et celle de la qualité de l’air, directement liée à la santé publique.

Ces deux technologies, à batterie et à hydrogène, doivent être considérées comme complémentaires et non concurrentielles, quel que soit le type de véhicule. Il a beaucoup été question des véhicules lourds, mais il faut aussi prendre en compte les véhicules électriques à hydrogène pour les particuliers. Il importe donc que les lois et réglementations traitent de manière équitable les véhicules électriques à batterie et les véhicules électriques à hydrogène.

Les véhicules électriques à hydrogènes doivent être privilégiés pour des usages intensifs, pour des transports longue distance, pour des transports de charges lourdes et si l’on veut conserver la flexibilité de la recharge, c’est-à-dire la même durée courte pour « faire le plein » qu’avec les véhicules thermiques.

Les véhicules électriques à hydrogène, ce n’est pas seulement le futur, c’est déjà aujourd’hui. Il faut développer la production de masse et abaisser les coûts, mais la technologie est mature.

Pour accélérer ce développement, je vois trois principaux axes.

Le premier axe est le déploiement des infrastructures. Pour les véhicules électriques à batterie, le coût de l’infrastructure doit inclure non seulement la borne de recharge, mais également le transport du courant, les sous-stations et la connexion au réseau électrique, que l’on a parfois tendance à omettre, et le développement des charges intelligentes pour réduire l’impact sur le réseau. À cela s’ajoute l’intégration dans un foncier urbain de plus en plus contraint. C’est facile dans les pavillons, mais, en ville, comment recharger un grand nombre de véhicules électriques à batteries ? La recharge rapide, est une solution, mais elle n’est pas sans effet sur la durée de vie des batteries. Le véhicule électrique hybride rechargeable permet de réduire la taille des batteries et de répondre aux inconvénients de la recharge rapide et de l’engorgement potentiel des bornes de recharge électriques en milieu urbain.

La connectique et le protocole de recharge des stations d’hydrogène sont déjà normalisés au niveau international. Il n’y a pas de problème d’interopérabilité. Je peux acheter un véhicule au Japon et le recharger en France, ailleurs en Europe ou aux États-Unis. Cependant il faut adapter la réglementation afin de faciliter l’implantation des stations d’hydrogène sans affecter le niveau de sécurité, en particulier en cas de production locale autour de la station, de nature à réduire l’impact environnemental du transport de l’hydrogène décarboné. Plus généralement, il est nécessaire de pérenniser la feuille de route nationale qui a été publiée le 1er juin par le ministère de la transition écologique et solidaire.

Le deuxième axe est l’amélioration des performances globales des batteries et des piles à combustible.

Pour les batteries, il faut gérer l’emploi des matériaux critiques en termes de ressources et de géopolitique, notamment le cobalt. Il s’agit de développer de nouvelles technologies s’affranchissant des matériaux critiques ou en diminuant fortement la sensibilité. Du côté de l’hydrogène et des piles à combustible, le seul matériau critique est aujourd’hui le platine, utilisé comme catalyseur. Au cours des dix dernières années, on a déjà réduit de plus de 70 % la quantité de platine entrant dans la conception d’un véhicule. En laboratoire, celle-ci a été réduite de 90 % par rapport à il y a dix ans, et les premiers catalyseurs sans platine sortent des laboratoires.

Le recyclage des batteries et des piles à combustible est un sujet de recherche et développement, mais des industriels comme Umicore ou la Société nouvelle d’affinage des métaux (SNAM) savent déjà recycler les batteries, à un coût certes élevé. Côté hydrogène, il s’agit essentiellement de récupérer le platine grâce à une technologie déjà éprouvée. Umicore annonce pouvoir récupérer de 90 % à 95 % du platine présent dans une voiture.

Enfin, il ne faudrait pas gagner en performance et perdre en sécurité. Il faut garder au moins le même niveau de sécurité que les véhicules actuels, ce qui passe aussi par la recherche et le développement.

Toutes ces actions nécessitent une recherche nationale à un excellent niveau. Le CEA travaille activement sur l’ensemble de ces barrières scientifiques et technologiques en collaboration avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et en lien direct avec les industries françaises. Le CEA a pour objectif de se maintenir à un niveau d’excellence et de contribuer à la compétitivité de l’industrie française dans ces domaines. La pérennisation de l’excellence de la recherche française dans le domaine des batteries, de l’hydrogène et des piles à combustible devrait se concrétiser par la mise en place de programmes dédiés par l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans ces deux domaines.

Le troisième axe vise à favoriser l’émergence de deux filières industrielles et de recherche d’excellence dans les domaines des batteries et de l’hydrogène, dans un cadre européen favorable. La Commission européenne a lancé, dans le courant de l’année dernière, une initiative visant à identifier et favoriser la création de neuf chaînes de valeurs critiques pour l’Europe. Cela se traduira notamment par la facilitation de la mise en place d’usines de production de masse de ces chaînes de valeurs. Parmi elles figurent les batteries et les technologies de l’hydrogène. Dès lors, il nous paraît important que la France soutienne ces deux initiatives, comme elle vient de le faire, courant novembre, pour la filière microélectronique, sachant qu’aujourd’hui, la production de batteries s’effectue essentiellement en Asie et en Chine. Cela commence également à apparaître dans le domaine de l’hydrogène, avec notamment la Chine qui se réveille très fortement.

La Commission européenne soutient aussi depuis des années les activités de recherche et d’innovation dans ces deux domaines. Une alliance européenne des batteries a été annoncée l’année dernière. M. Šefčovič, vice-président de la Commission européenne, a annoncé, lors de la dernière assemblée générale « hydrogène, piles à combustible », que l’Europe devrait faire de même pour soutenir et même augmenter le soutien au développement de la filière hydrogène en termes de recherche et développement dans le cadre du programme-cadre Horizon Europe. Pour permettre aux acteurs français de la recherche de bénéficier au mieux du soutien européen, il convient, en application du principe d’additionnalité, que la France mette en place, comme ses homologues européens, des programmes de recherche coordonnés au niveau national et doté de plusieurs dizaines de millions d’euros.

En conclusion, les seuls véhicules à zéro émission ou à très faible impact sont les véhicules électriques à batteries et les véhicules électriques à hydrogène. Pour les véhicules électriques à batteries, les véhicules hybrides rechargeables peuvent apparaître comme une solution appropriée pour réduire très sensiblement les émissions de gaz à effet de serre, tout en préservant une activité industrielle en France, sachant que les batteries sont plutôt importées d’Asie, contrairement aux moteurs thermiques qui sont toujours fabriqués en France et ailleurs en Europe.

Les deux technologies, à batterie et à hydrogène, doivent donc être soutenues et reconnues de manière équivalente dans les lois et règlements mis en place par les pouvoirs publics. La concurrence internationale, notamment asiatique, est rude, mais les acteurs français de la recherche et de l’industrie sont encore au niveau. Pour réussir le passage à la production de masse de ces deux technologies et maintenir notre capacité d’innovation, il nous paraît indispensable d’établir des feuilles de route claires entre l’État, l’industrie et les acteurs de la recherche, accompagnés de budgets pluriannuels adaptés, à la fois pour l’industrialisation et pour garantir l’innovation pour les générations à venir. Le CEA est heureux d’y contribuer, voire d’accepter ses efforts pour la réussite de la transition écologique.

M. Christian Hector, directeur général des services techniques de la communauté d’agglomération Sarreguemines Confluences. La communauté d’agglomération de Sarreguemines Confluences totalise 66 000 habitants et 38 communes. Depuis onze ans, nous travaillons avec M. Barthel sur la mobilité durable à partir d’un plan climat réalisé en interne. Dans le cadre d’une démarche pragmatique, nous nous sommes dotés des compétences nécessaires pour réaliser nous-mêmes les bilans carbone. Les stations, réalisations et infrastructures que je vais décrire ne nous ont rien coûté zéro en termes d’études. Elles résultent de travail en interne ou de travail effectué en partenariat avec des acteurs locaux.

Nous avons retenu trois volets de mobilité durable : un volet électrique « batteries » ; un volet gaz naturel compressé et de préférence biométhane, pour la mobilité lourde, et un volet électrique « pile à combustible », pour résoudre les problèmes de temps de recharge et d’autonomie, ainsi que les difficultés, pour les entreprises, de gérer la mobilité électrique avec des utilitaires pas toujours stationnés dans les dépôts, notamment les véhicules utilisés par des collaborateurs et remisés à domicile.

La station que nous avons réalisée est la première en Europe à produire, compresser et distribuer sur place de l’hydrogène vert. Comme le disait M. Antoni, nous avons respecté les protocoles existants. Nous avons également utilisé un protocole visant à réduire la température de l’hydrogène à moins 20 degrés, afin de pouvoir distribuer de l’hydrogène à des véhicules allemands en 700 bars, alors que les dix utilisateurs de notre territoire utilisent du 350 bars pour leurs véhicules hybrides à batteries et à pile à combustible. La station est ouverte au public. Ces dix véhicules n’appartiennent pas à la flotte de la communauté d’agglomération mais sont des véhicules professionnels utilisés par des entités différentes.

Nous n’avons rien à vendre, ni hydrogène, ni infrastructures, ni mobilité. Les mobilités sont complémentaires. Nous ne rencontrons plus de difficultés technologiques. Les matériels existent, des entreprises savent les fabriquer, mais nous rencontrons un problème de dimensionnement des entreprises par rapport à l’enjeu. McPhy, un producteur d’électrolyseurs et de compresseurs d’hydrogène, exploite pour nous la station et en assure la maintenance, car nous n’avons pas les compétences pour le faire. Les techniciens viennent d’Italie ou de Grenoble pour dépanner la station, ce qui est difficile à gérer. En revanche, un gazier a installé notre station gaz pour véhicules lourds et en assure la maintenance, à l’instar de Total avec ses stations de distribution de carburant.

Nous avions approché des majors pour nous aider dans ce projet mais nous n’avons pas été entendus. Air Liquide a des stations à Paris pour des grosses flottes, Engie aussi, même pour le méthane ou le biométhane. Leur modèle, c’est Paris. Bordeaux est déjà trop petit, Strasbourg, est bien trop petit et Sarreguemines n’est même pas sur la carte… Nous avons besoin que les majors acceptent d’assurer la maintenance, comme un gazier ou un producteur de pétrole gère des stations.

Notre station peut produire 40 kilogrammes d’hydrogène par jour, car nous étions confiants en la capacité d’avoir de nouveaux clients. Nous distribuons 1,5 à 2 kilogrammes par jour. Les clients viennent s’approvisionner quotidiennement, ils n’utilisent plus la batterie, seulement l’hydrogène. Ils font le plein en quelques minutes et repartent aussitôt, aptes à parcourir leurs 150 kilomètres. Plutôt que d’immobiliser leur véhicule pour recharger les batteries, ils préfèrent venir faire le plein d’hydrogène. D’autres véhicules de marques étrangères qui roulent entièrement à l’hydrogène, excepté la petite batterie assurant l’interface entre la motorisation et la pile à combustible, viennent faire le plein.

Nous rencontrons le même problème de maintenance avec nos véhicules, qui nous ont été vendus par Symbio, fabricant de piles à hydrogène. Si le constructeur Renault se dit intéressé par l’hydrogène, les concessions ne le sont pas du tout. Notre problème n’est pas de trouver des clients, mais de réaliser les infrastructures. Nous avons une infrastructure de véhicules électriques pour 2 500 habitants pour la ville de Sarreguemines, et nous en aurons bientôt une pour 2 500 habitants pour la communauté d’agglomération. Quand des infrastructures avec de bonnes conditions de recharge existent, les véhicules arrivent. Si l’on peut faire entretenir une Zoé dans un garage à Sarreguemines, pour les véhicules à l’hydrogène, les techniciens de Renault, bien que formés, ne souhaitent pas intervenir et n’ont pas les moyens disponibles pour le faire. Si nous avions de bonnes conditions d’entretien et de maintenance de la station et de bonnes conditions d’entretien et de maintenance des véhicules, nous aurions pu avoir 20 Kangoo à l’hydrogène sur le territoire, mais nous n’engageons pas de développement car les dépannages sont longs. Même si Symbio et McPhy font des efforts, ils n’ont pas la structure nécessaire pour être efficaces. Or tel n’est pas le cas avec la station de gaz ouverte depuis plusieurs mois. Les bus et les bennes à ordures ménagères roulent au gaz, et nous avons trouvé un modèle économique.

L’effort industriel ne servira à rien si des territoires ne suivent pas. Plutôt que de « start-up nation », je préfère parler de « start-up territoires ». Ainsi, le territoire de Saint‑Julien‑en‑Quint, avec lequel nous sommes liés, s’est lancé dans l’aventure avec l’association communale de production d’énergies vertes (ACOPREV), avec la participation du CEA. Nous avons envie d’agir mais nous n’avons pas en interne les ressources en temps nécessaires pour ce faire.

Au cours des dernières années, j’ai consacré, avec la bénédiction de nos élus, un tiers de mon temps à ce dossier, mais, avec 150 personnes sur le terrain tous les jours, on n’attend pas principalement le directeur des services techniques que je suis sur cette mission. Nous avions un chargé de mission dans le cadre de notre label « territoire à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV), mais nous ne sommes plus aidés. Une association comme l’ACOPREV est basée sur le bénévolat. Nous pouvons trouver des clients mais nous avons besoin de support pour développer cette activité. Des entreprises sont d’accord pour acquérir au prix de 40 000 euros un véhicule à hydrogène plutôt qu’un véhicule à batterie, parce que cela correspond à leur démarche de qualité et de performance environnementale, sans même s’interroger sur le prix de vente de l’hydrogène, de même, que l’on trouve facilement des acquéreurs des véhicules à mobilité lourde au gaz, mais nous avons besoin de main-d’œuvre. En investissement, nous avons été aidés par un programme européen par le biais du consortium Fuel Cells ans Hydrogen, à hauteur de 50 % pour l’ensemble du projet FaHyence, nom donné en référence au passé industriel et à la faïencerie de Sarreguemines, mais il nous manque du temps. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls, des territoires ruraux en manquent aussi.

Quels services les infrastructures de recharge pour les batteries et pour l’hydrogène peuvent-elles rendre au réseau électrique ? Comment effacer les pointes ? Comment faire de la recherche intelligente ? Comment produire de l’hydrogène au bon moment, voire utiliser l’ensemble des capacités de production puis de restitution de l’électricité au bon moment ? On parle plutôt d’intelligence autour de la station ou autour des batteries par un opérateur agrégateur. Ce volet est chez nous transfrontalier. L’interopérabilité des branchements étant assurée la mobilité transfrontalière durable est pour nous également possible.

M. Marc Mortureux, directeur général de la Plateforme automobile (PFA). La Plateforme automobile regroupe l’ensemble de la filière, constructeurs, équipementiers, soit environ 4 000 entreprises industrielles de fournisseurs qui représentent une part importante de l’innovation de l’automobile. Dans le cadre du comité stratégique de la filière automobile, elle représente également l’ensemble de l’aval de la filière, c’est-à-dire tous les services, les concessionnaires étant aussi appelés à jouer un rôle important dans la transition.

En mai dernier, nous avons signé le contrat stratégique de la filière automobile 2018‑2022. Nous vivons une période à la fois fascinante et inquiétante de transformation extraordinairement profonde avec la transition écologique, énergétique, digitale et sociétale, incarnée par un véhicule propre, connecté, autonome et partagé. Au travers de ce contrat et de la démarche engagée avec tous les acteurs, nous sommes entrés résolument dans une logique d’acteurs de cette transition. Nous n’avons pas le choix, cela fait partie des attentes de la société, pour des raisons écologiques, énergétiques, compte tenu de l’évolution du rapport à la voiture et des besoins croissants en matière de mobilité. Nous sentons bien qu’au travers des évolutions technologiques, la frontière traditionnelle entre transport public collectif et transport individuel privé tend à s’estomper. Une des caractéristiques de l’époque actuelle, c’est, pour réussir cette transition, l’obligation de travailler ensemble : public, privé, acteurs traditionnels de la filière automobile et des transports, ainsi que nouveaux acteurs. La philosophie de ce contrat de filière est la mobilisation collective et l’ouverture en vue de réussir cette évolution.

Dans ce cadre, nous traiterons des aspects technologiques et énergétiques, mais à moyen terme, la plus grande contribution s’inscrira dans la volonté d’être acteurs des nouvelles mobilités par une combinaison intelligente de tous les modes. En tant que filière automobile, nous ne sommes pas encore clairement identifiés par les élus locaux comme des acteurs des nouvelles mobilités. C’est l’un des travaux importants que nous allons mener cette année, en association avec tous les acteurs, pour contribuer aux réflexions au niveau d’agglomérations et de territoires. Nous voulons être des apporteurs de solutions, aux côtés d’autres acteurs, car nul ne peut revendiquer être le seul acteur. Les défis sont considérables. Nous devons jouer collectif. C’est pourquoi nous travaillons avec un certain nombre de territoires et collaborons et échangeons beaucoup sur les nouvelles technologies avec le CEA‑LITEN.

Dans cette transition, nos horizons temporels sont les suivants.

À très court terme, dans les deux années à venir, nous devons réussir le décollage du véhicule électrique et du véhicule hybride rechargeable. Les deux sont nécessaires car ils correspondent à des types d’usage différents. Je ne suis pas sûr que le véhicule électrique soit la seule solution d’avenir mais à court terme, cette technologie mature est adaptée pour répondre à certains types d’usages. Le cadre réglementaire oblige les constructeurs à vendre beaucoup plus de véhicules électriques et hybrides rechargeables dans les deux ans qui viennent. Nous nous sommes engagés à multiplier par cinq les ventes de véhicules électriques d’ici à 2022 par rapport à 2017. C’est un enjeu très concret pour le secteur de l’automobile qui investit des milliards d’euros. Quantité de nouveaux véhicules vont être mis sur le marché. Le grand enjeu est de les vendre. Nous avons besoin de cohérence et d’un écosystème favorable.

À moyen terme, à l’horizon 2030, il est prévu de diviser par un peu plus de deux les émissions de CO2 des véhicules neufs par rapport à leur niveau actuel. C’est une transition extrêmement rapide au regard de la lourdeur de cette industrie. Au-delà de 2030, nous devons nous ouvrir à toutes les options technologiques possibles. Nous souhaitons que le cadre réglementaire et législatif respecte le principe de neutralité technologique. Notre collègue du CEA invitait à traiter pareillement le volet batteries et le volet hydrogène. J’irai plus loin. Il est important qu’on nous fixe des objectifs, et nous avons le devoir de nous mobiliser pour les respecter, qu’il s’agisse des enjeux globaux de baisse des émissions de CO2 ou des enjeux locaux de pollution de l’air, mais ils doivent être formulés sous la forme la plus neutre possible pour ne pas fermer a priori des pistes technologiques dont on ne peut aujourd’hui garantir le succès mais qu’il serait dommage de ne pas pouvoir développer. L’histoire a montré qu’il fallait se méfier de l’idée d’une solution miracle pour régler toutes les questions et répondre à tous les usages. Il faut trouver un juste équilibre entre ceux qui, a priori, critiquent le véhicule électrique à batteries, alors qu’il répond pleinement à certains types d’usages, et ceux qui considèrent que c’est la seule solution.

Au-delà de la problématique des batteries, pour lesquelles nous entrons dans une massification du marché, avec l’enjeu considérable de notre capacité à développer une filière européenne de batteries maîtrisée technologiquement, l’hydrogène est une piste extrêmement prometteuse dans laquelle des constructeurs et de grands équipementiers comme Michelin, Faurecia ou Plastic Omnium s’investissent fortement. En termes de parts de marché d’ici à 2030, cette technique concernera probablement moins le véhicule particulier que des créneaux d’usage intensif et lourd, mais c’est une piste importante. Il faut résoudre les problèmes de coûts et de construction d’infrastructures. Une de nos craintes est de pouvoir atteindre les objectifs ambitieux qui nous sont fixés et que nous partageons bien volontiers, car nous dépendons d’écosystèmes complexes. Nous avons déjà des inquiétudes sur la montée en puissance des infrastructures de bornes de recharge pour les véhicules électriques et hybrides rechargeables. L’hydrogène et le gaz sont des pistes intéressantes à titre temporaire ou définitif. La difficulté réside dans la capacité à développer à grande échelle des infrastructures de nature à convaincre les consommateurs que les conditions sont réunies pour qu’ils puissent faire tel ou tel choix. Dès l’année prochaine, il faudra vendre trois fois plus de véhicules électriques qu’aujourd’hui. En ce début d’année, les consommateurs seront-ils assez nombreux à être convaincus que c’est le bon moment pour basculer ? Nous avons besoin d’une cohérence d’ensemble.

D’autres sujets technologiques peuvent être intéressants, d’autres types de combustion décarbonés peuvent être développés. Traditionnellement, l’industrie automobile investit énormément en matière de recherche et développement. Sur les cinq premières entreprises en tête de classement en matière de dépôt de brevet, trois relèvent de l’automobile. C’est la seule possibilité de survie pour l’industrie automobile. Il faut laisser le spectre ouvert, mais opérer des choix parmi les technologies, car le déploiement à grande échelle nécessite des investissements très lourds, et il n’est pas certain que le pays soit en capacité de suivre à grande échelle toutes les pistes envisageables.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. La parole est à M. Jacques Lévy, géographe qui a beaucoup travaillé sur les questions de mobilité. Il considère que les techniques de la mobilité sont fondamentalement politiques et qu’un modèle de mobilité est toujours aussi un modèle d’urbanité. Je crois adhérer par avance à bon nombre de ses propos.

M. Jacques Lévy. Le passage du mot « transport » au mot « mobilité » traduit d’ailleurs bien la prise de conscience du fait que les acteurs principaux sont les humains mobiles. Le mouvement des Gilets jaunes et, précédemment, le mouvement des Bonnets rouges ont montré l’hypersensibilité d’une partie de la population à toute augmentation du coût de la mobilité automobile. Dans les deux cas, ils ont été capables de s’opposer victorieusement à des décisions politiques qui pouvaient paraître légitimes, parce qu’elles étaient élaborées dans le cadre de la démocratie représentative et parce qu’elles correspondaient à un bon équilibre entre la liberté de mouvement et d’autres considérations, notamment celle qui vous anime, à savoir le développement durable.

Contrairement à d’autres dimensions de la transition énergétique, comme l’isolation des bâtiments qui ne posent pas de problèmes de principe politiques et sociétaux, les questions de mobilité sont liées à des systèmes de pensée et à des visions de la vie réussie. Le choix des modèles d’habiter est plus accessible qu’avant. De nouvelles possibilités d’arbitrage sont apparues, y compris pour des catégories de personnes aux revenus relativement modestes. La différence entre habiter au centre d’une grande ville et habiter dans le périurbain tend à devenir économiquement neutre dans la mesure où le supplément de dépense entraîné par la mobilité privée est compensé par l’économie réalisée sur le prix du foncier. Des équivalences mises en évidence il y a une vingtaine d’années se sont confirmées dans le temps.

Contrairement à une légende, la pauvreté est moins forte dans le périurbain. Les gradients d’urbanité périurbains sont ceux où il y a le moins de pauvres, parce qu’on peut aussi économiser sur le foncier dans la zone centrale, notamment grâce au logement social.

Je dirai donc un peu caricaturalement que ça se joue donc surtout dans la tête de nos concitoyens. Les solutions techniques règlent un aspect du développement durable qu’est l’émission de CO2, mais d’autres aspects comme la biodiversité et la santé publique ne sont pas ou peu pris en compte. La santé publique l’est en partie dans la mesure où les carburants ne sont plus polluants, mais le changement de carburant ne modifie en rien l’organisation de l’espace. Si l’on veut desservir un espace à faible densité, on doit avoir un réseau viaire très consistant, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’environnement naturel.

En outre, la mobilité est un pôle du modèle d’habiter lié à d’autres comme le pôle fixe, le pôle résidentiel et le pôle de l’emploi. Le système fonctionne de façon cohérente, l’un n’allant pas sans l’autre. Le rapport à l’espace public est décisif en matière de choix. Les gens qui préfèrent habiter dans les zones centrales aiment bien l’espace public, qu’ils soient fixes ou mobiles, alors que ceux qui décident d’habiter dans le périurbain sont plutôt en rupture avec ce qui leur semble être une promiscuité ou une coprésence avec des populations indésirables. Autant de critères reliant la mobilité et ce qui n’est pas la mobilité, c’est-à-dire les autres choix en matière d’habitat.

Par conséquent, c’est davantage par le débat, par un travail de lente évolution culturelle qu’on peut espérer faire bouger les choses que par des mesures exclusivement techniques. Il est partiellement faux de dire que les pauvres gens du périurbain aimeraient bien avoir les mêmes services et les mêmes aménités que dans les centres villes, dans la mesure où ils ont fait des choix et où une partie du mode de vie urbain inspire leurs motivations négatives. Ils ne souhaitent pas habiter en ville. Ils n’ont pas été déportés dans le périurbain.

Il faut avoir le courage de dire que faire évoluer la société prendra du temps et passera par le débat politique. C’est aussi un plaidoyer pour faire du « grand débat national » un dispositif permanent de mise en relation des initiatives de la scène politique et de la dynamique de la société. Nous avons nombre de dispositifs concrets pour écouter la société, ses mouvements, ce qu’elle accepte de changer, ce qu’elle refuse de changer ou sa division. La possibilité de choix en matière de modèle de mobilité et de mode d’habiter en général, la possibilité nouvelle de choix offerte à plus de gens se sont traduits par une sorte de sélection des espaces. Le clivage entre une partie de la société qui se « démotorise », valorise la marche à pied et les transports publics et l’autre partie pour qui l’automobile est un choix de vie très fort montre la nécessité du travail sociopolitique à réaliser.

Concernant l’action sur les transports, Marc Mortureux a raison de dire que le couple individuel-collectif et le couple privé-public, qui paraissent identiques, ne le sont pas. Un des enjeux est d’intégrer d’une façon ou d’une autre le transport individuel dans la sphère de la mobilité publique. À côté du covoiturage et de l’autopartage, qui existent déjà, le véhicule autonome, qui profitera des innovations énergétiques, représentera un élément très intéressant. En dissociant le mouvement du conducteur, il ouvrira des scénarios de collectifs d’usage, par exemple entre voisins qui amènent leurs enfants à l’école sans les conduire eux-mêmes, et un champ de relations beaucoup plus ouvertes et créatives entre l’individuel qui peut être collectif sans être nécessairement sociétal et le public. Ces marges de manœuvre pourraient avoir des effets économiques intéressants. L’histoire a montré que les automobilistes avaient accepté de payer une grande partie du prix du transport qu’ils n’acceptaient pas de payer sous forme de transport public. Le véhicule autonome peut maintenir la mobilisation économique des usagers de l’automobile tout en facilitant le déplacement du transport individuel vers la sphère de la mobilité publique.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Aujourd’hui, il n’est question de l’hydrogène que pour alimenter la pile à combustible. On parle peu d’une autre utilisation, la méthanation, qui consomme du CO2 pour faire du méthane utilisé comme carburant bio-GNV.

L’expérience de Sarreguemines établit la connexion entre la station d’hydrolyse et le smart grid. Quels sont les bons endroits pour positionner les stations d’hydrolyse ? Il ne faudrait pas inverser le problème en voulant produire de l’hydrogène vert à tout prix. S’il fallait construire plus de centrales nucléaires à cet effet, on n’aurait pas gagné grand-chose. Comment intégrer l’hydrolyse dans le smart grid ?

On voit des constructeurs faire des choix d’investissement différents. Les constructeurs nationaux, Renault et PSA, sont plutôt tournés vers la batterie. Des équipementiers comme Faurecia proposent des solutions hydrogène et des constructeurs étrangers comme Hyundai ou Toyota ont fait le pari de l’hydrogène. J’ai eu l’impression, en visitant le Mondial de l’auto, que pour PSA et Renault, la seule solution était l’électrique à pile en excluant l’électrique à l’hydrogène.

Élu rural, je considère qu’on ne différencie pas assez le rural de l’urbain. On ne sait pas proposer de vision à nos concitoyens. On discute de la mobilité en général, de la trottinette au partage de véhicules, mais il faudrait être beaucoup plus précis en fonction des lieux où habitent les gens. De même, on évoque un pic de demande d’électricité au moment des départs en vacances. À mon sens, on n’utilise pas une voiture électrique pour partir en vacances. En matière d’usage, des éléments sont à clarifier et des visions à donner.

M. Christian Hector. La méthanation nous intéresse, puisque nous avons opté pour la mobilité lourde au méthane. Du point de vue industriel, la rupture technologique est bien moindre pour le gaz que pour l’hydrogène ou l’électricité en mobilité lourde – camions, bennes, bus et transport logistique. C’est intéressant quand il y a de l’hydrogène fatal dans une industrie. Au regard des quantités disponibles, nous ne pouvons utiliser l’hydrogène en direct pour la mobilité. La mobilité lourde au gaz est facile à mettre en œuvre rapidement, puisque les moteurs existent déjà. La démarche de Paris a contraint les constructeurs à développer rapidement leur production et la concurrence commence à naître. Nous avons acheté nos bus chez Iveco et nos bennes chez Scania, faute d’offre équivalente des constructeurs français.

Quand nous avons démarré l’électrolyse, il y a dix ans, il s’agissait d’acheter deux compteurs marins, l’un pour l’électrolyseur, l’autre pour la compression, de brancher de l’électricité et de l’eau pour assurer la mobilité électrique hydrogène partout, y compris en milieu rural pour améliorer l’autonomie et faire des pleins rapidement. Mais avec le smart grid auquel nous sommes venus plus récemment, nous avons un électrolyseur capable de produire 40 kilogrammes par jour et il faut qu’il tourne, pour la mobilité ou pour un autre usage.

Nous nous demandons s’il est installé au bon endroit. Nous l’étudions avec Enedis dans le cadre du projet Smart Border Initiative. Nos amis allemands qui rencontrent beaucoup plus de problèmes d’intermittence et de contraintes locales de réseaux sont très intéressés pour travailler avec nous sur ce sujet car, à l’endroit de la station, il n’y a pas de contrainte de réseau. Un équilibre devra être trouvé. Notre station est installée à un endroit où une consommation est possible, à l’entrée de la zone industrielle, tout près de la zone commerciale et de l’entrée des grands axes, comme une station de carburant normale. Il faut trouver l’adéquation entre les contraintes du réseau, la production d’hydrogène et la cogénération d’électricité. Pour la cogénération et pour réinjecter de l’électricité, il faut trouver quelqu’un pour utiliser la chaleur. Nous n’avons pas encore assez suffisamment avancé sur ce sujet pour répondre à la question. Nous avons un type d’utilisation qui peut correspondre, c’est-à-dire une grosse station d’épuration, mais elle n’est pas forcément au bon endroit pour distribuer de l’hydrogène pour des véhicules.

M. Laurent Antoni. Concernant la méthanation et le positionnement des électrolyseurs de production d’hydrogène décarboné, il faut garder à l’esprit que l’hydrogène est un vecteur d’énergie. De ce fait, il peut intégrer les énergies renouvelables par le lien avec le réseau et stocker les énergies renouvelables. De ce point de vue, l’hydrogène par l’électrolyse est intéressant. Le positionnement doit être lié à la localisation des lieux de production d’énergie renouvelable. Une étude européenne réalisée l’an dernier, portant sur plusieurs cas, dont un en France, près d’Albi, et d’autres en Allemagne et dans d’autres pays, a montré que réaliser une production massive d’hydrogène à côté de grands parcs d’énergie renouvelable avait du sens. En outre, on peut prévoir une connexion au réseau capable de fournir un service de support comme peuvent le faire aujourd’hui les batteries de puissance pour contribuer à la stabilisation et à la résilience du réseau. Les électrolyseurs ont aujourd’hui une puissance suffisante, à l’échelle du mégawatt et non plus à l’échelle du kilowatt, comme c’était le cas il y a encore cinq ou dix ans. Un tel service au réseau peut permettre, comme à Albi, de réduire de 40 % à 60 % la durée de retour d’amortissement. On peut ouvrir un volet économique en étant proche des grandes productions d’énergie renouvelable grâce à une connexion réseau pour stocker l’énergie intermittente et offrir un service de résilience du réseau électrique.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Vous faites bien état de connexion au réseau électrique dans la mesure où on reproduit de l’électricité à partir de l’hydrogène ?

M. Laurent Antoni. Non, mais en me demandant quand produire l’hydrogène. Si je veux amortir mon électrolyseur, il doit tourner un maximum d’heures. Autant utiliser de l’électricité décarbonée avec le mix français. Il ne faut pas avoir honte de se servir de cette énergie décarbonée pour produire de l’hydrogène. Mais je dois parfois aussi m’effacer. Soit en me branchant, soit en m’effaçant, je peux apporter un service comme on peut le faire avec la batterie.

Afin de décarboner les usages, on peut utiliser l’hydrogène comme matière première de valorisation du CO2. Encore faut-il que l’on puisse capter massivement le CO2 pour faire massivement du méthane de synthèse à partir d’hydrogène. Des initiatives en ce sens existent en France, comme « Jupiter 1000 », mais aujourd’hui, ne devrait-on pas plutôt se servir du gaz naturel directement sur le lieu de production en cas de besoin ou le réinjecter dans le réseau de gaz naturel qui pourrait ensuite le distribuer vers des applications industrielles ou de transport ? Il ne faut pas faire de la méthanation spécifiquement pour du transport mais plus largement pour l’injection vers le réseau de gaz naturel.

Concernant le choix des constructeurs, vous avez souligné à juste titre que les visions coréenne, japonaise et maintenant chinoise ou française ne sont pas équivalentes. Il faut considérer non seulement l’aspect transport mais aussi l’approche de la problématique énergétique des différents pays. Le Japon a fait le pari de l’hydrogène. Ce n’est pas un choix de Toyota ou de Honda, c’est un choix du Japon dans sa politique énergétique globale, afin de redynamiser son industrie, et pas uniquement dans le transport, de se désensibiliser de sa dépendance géopolitique en matière de ressources en énergie et d’exercer un impact environnemental positif. La Corée vient d’annoncer, le 17 janvier, une politique énergétique ambitieuse visant à la fois la mobilité et l’énergie. Les Coréens ont commencé par les grosses stations de piles à combustible pour fournir de l’énergie électrique au réseau coréen. Avec le plan hydrogène, la France vise à la fois la décarbonisation à hauteur de 10 % de l’hydrogène industriel, le transport et le stockage avec intégration des énergies renouvelables, aspect en l’occurrence moins sensible en raison de notre mix électrique.

Quant au développement des stations et de l’infrastructure hydrogène, une révision de la directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs, dite directive AFI, est prévue en 2019. Avec 30 stations, la France a affiché un objectif très modeste. Le plan national hydrogène vise plutôt 100 stations pour 2023, 400 à 1 000 stations d’ici 2028. En vue de créer une dynamique industrielle, il serait bon d’investir pour développer la maintenance et de revoir un peu nos ambitions à la hausse.

M. Marc Mortureux. Je partage ce qui vient d’être dit au sujet des constructeurs. L’époque actuelle est caractérisée par l’incertitude. Dans ce secteur hyperconcurrentiel où il est déjà compliqué d’ajouter un élément à 10 euros dans une voiture, tout le monde se demande quelles seront les bonnes technologies. Tout choix fait par les uns ou par les autres est un pari et peut être une question de survie. Quand des équipementiers s’engagent résolument dans l’hydrogène, c’est un pari.

Pour avoir évolué dans le public et dans le privé, je peux dire qu’une des difficultés est la méfiance qui règne entre les différents types d’acteurs. Il y a beaucoup de questionnements sur la capacité réelle à traduire concrètement toutes les ambitions affichées, car les enjeux d’infrastructure sont considérables. L’enjeu à très court terme est de réussir le décollage du véhicule électrique. On s’interroge aussi sur l’évolution du coût des batteries et des piles à combustible, sur les différents scénarios possibles pour la production d’hydrogène et sur les circuits de distribution. Nous avons la chance en France d’avoir production d’électricité décarbonée qui donne du sens au développement de l’électromobilité au travers de la batterie ou de l’hydrogène, et c’est un atout que nous peinons à valoriser. Attirer en France une usine de fabrication de batteries aurait plus de sens que dans d’autres pays.

S’agissant des constructeurs, il est difficile de dire qu’il existe une approche française, parce que Renault et PSA n’ont pas exactement la même. Renault, qui a depuis longtemps misé fortement sur le véhicule électrique à batterie, a gagné une expérience intéressante qu’il a l’intention de capitaliser et de développer. PSA, qui développe des véhicules hybrides à batteries rechargeables et proposera une gamme ouverte, s’intéresse aussi clairement à la pile à combustible. Il peut y avoir des hybrides entre pile à combustible et batterie. Mais au-delà du développement de la technologie et de quelques flottes, comment créer les conditions d’un développement massif de ces technologies ? J’ai été frappé d’entendre l’ex-patron de Renault-Nissan, qui prévoyait tout de même 50 milliards d’euros d’investissements dans les quatre années à venir, dire que, malgré sa taille, son groupe était obligé de faire des choix et ne pourrait pas tout développer ! Sur le plan de la technologie et de la recherche, il faut rester le plus ouvert possible à toutes les technologies, mais pour opérer des déploiements, il faut faire des choix.

Au niveau européen, nous nous sommes fixé des objectifs exigeants et justifiés de baisse des émissions de CO2, mais non accompagnés d’obligations précises de la part des différents pays pour créer les conditions de vente et d’utilisation de ces véhicules. Or un certain nombre de pays européens n’auront absolument pas les infrastructures nécessaires pour développer l’électromobilité. Les objectifs étant globaux, un pays comme le nôtre devra aller encore beaucoup plus loin que le niveau moyen fixé en Europe afin de compenser, ce qui laisse planer un doute sur la capacité à les atteindre.

M. Jacques Lévy. Monsieur le rapporteur, je partage votre avis sur la nécessité d’une clarification sur les différents espaces concernés. En raison de la faible culture géographique dans les médias et sur la scène publique en général, on mélange souvent l’espace périurbain et des espaces beaucoup plus éloignés des villes. L’espace périurbain se situe à l’intérieur des aires urbaines. C’est une partie relativement moins dense, de l’ordre de 100 à 500 habitants au kilomètre carré, qui représente 25 % de la population. Au-delà, il y a d’abord une zone grise dénommée « espaces multipolarisés », car polarisée par plus d’une agglomération, puis ce qu’on pourrait éventuellement encore appeler le rural, avec les communes isolées, qui représente 4 % de la population. Autant c’est dans le périurbain qu’il y a le moins de pauvres, autant la pauvreté remonte dans les aires les plus éloignées des villes. On y trouve de faibles revenus et de faibles taux d’emploi. Ce sont souvent des gens qui ont renoncé au marché de l’emploi, parce qu’ils ont été chômeurs de longue durée, qui pratiquent des échanges non monétaires avec le milieu local et qui ont une faible charge foncière du fait de la disponibilité de logements issus de la ruralité.

Si l’on veut réintégrer le transport individuel à la mobilité publique dans le périurbain, la problématique du dernier kilomètre est très intéressante. On peut inciter les gens à utiliser davantage les transports publics jusqu’au bout du réseau, mais à condition de leur proposer un type de mobilité leur offrant le confort du véhicule privé tout en les intégrant dans un système où il y a un peu moins de production de véhicules, moins de voirie, donc une économie d’espace profitable. Il faudrait donc beaucoup de véhicules faisant relativement peu de kilomètres, et très disponibles, en tenant compte de la pendularité, tandis que, dans les communes isolées, on a globalement moins de mobilité pendulaire et besoin de moins de véhicules mais pour plus de kilomètres.

Il faut réfléchir de façon plus analytique, en associant la dimension proprement technique de l’espace. La densité et l’existence de centralité sont des paramètres essentiels. Le mouvement des gilets jaunes est très politique. Il rassemble des gens de ces deux aires, très différents par certains aspects mais qui se rejoignent sur d’autres. On retrouve ce qu’on a pu voir en matière de cartographie des mouvements populistes, dans toute l’Europe et même dans tout l’Occident. On doit aussi travailler sur des modèles politiques individualisés. C’est dans la rencontre entre les contraintes techniques et les attentes sociopolitiques qu’il faut proposer des politiques publiques précises, qui ne se trompent pas de cible, faute de quoi nous perdrons notre temps et notre argent.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Je fais partie de ceux qui habitent cette ruralité des villages isolés. Je mesure la différence entre vivre dans ces territoires et les autres, et constate qu’on oublie largement la mobilité ferroviaire. De petites lignes régionales peinent faute d’investissements forts, et nous en débattrons lors de l’examen de la LOM. Pour ces territoires où l’on n’a d’autre choix que d’utiliser la voiture, souvent pour 50 kilomètres aller et 50 kilomètres retour, ce serait un atout de pouvoir utiliser les lignes ferroviaires au moins jusqu’au bord des agglomérations, puis un véhicule pour parcourir le dernier kilomètre. Or, on montre peu d’intérêt pour la mobilité ferroviaire : on n’en parle quasiment pas dans nos tables rondes.

M. Jacques Lévy. J’ai vécu treize ans en Suisse, pays qui a réalisé une expérimentation intéressante. On y a sauvé beaucoup plus de « petits » trains. Une partie de l’espace périurbain, au sens large, est desservie par des lignes ferroviaires, ce qui a aussi contribué à l’étalement urbain. Ce sont souvent les femmes qui utilisent le train et les hommes qui utilisent la voiture, pour des raisons diverses que vous pouvez imaginer…

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. C’est bon pour la Suisse, pas pour la France !

M. Jacques Lévy. Bien sûr ! Cela résulte de l’importance du travail à temps partiel. Un aspect conservateur de la Suisse est que le travail à temps partiel est massivement pratiqué par les femmes. Cela libère les routes pour ceux qui utilisent la voiture.

Par ailleurs, après le rapport Spinetta, on a beaucoup parlé du périmètre des petites lignes. Là aussi, il faut être précis. Je vous invite à emprunter de temps en temps la ligne R du Transilien et vous constaterez le déficit d’investissement de la partie banlieue dont la SNCF s’est rendue responsable pour des logiques qui la dépassent en partie. Si l’on veut investir dans le transport public ferroviaire, il faut appliquer le principe du nombre d’euros par habitant. Faut-il sauver une ligne qui n’a que 50 passagers par jour, alors qu’on ne créerait même pas une ligne de bus ? Les habitants des villes ne se plaignent pas que l’on ne construise pas un tram ou un métro à la place de leur ligne de bus. Ils considèrent comme normal qu’en dessous d’une certaine demande on privilégie le bus. Il faudrait désidéologiser le débat et cesser de défendre le maintien d’une ligne de chemin de fer que les gens ne veulent plus prendre. Il existe des effets de spirale, mais c’est surtout le fait que le confort de la motorisation a détourné une partie de la demande vers l’automobile. Quel est le mix entre les attentes des mobiles, c’est-à-dire de tout le monde, et la réponse technique possible ? Entre Toulouse et Auch, il existe une zone de développement périurbain considérable. On prend souvent le Gers pour un département rural, alors que la moitié de sa population vit dans des aires urbaines. Il serait intéressant d’y créer une ligne périurbaine pour attirer les gens qui vivent dans l’aire urbaine de Toulouse. En revanche, dans d’autres endroits, mieux vaudrait utiliser des bus qui seraient probablement, grâce à l’hydrogène, moins polluants que les locomotives diesel actuellement utilisées.

M. Laurent Antoni. Je reviendrai sur les propos de M. Hector concernant son expérience à Sarreguemines et le manque de personnel formé à la maintenance, grave problème pour les nouvelles technologies. C’est à l’État d’adapter le circuit de formation scolaire et professionnel pour former la main-d’œuvre aux nouvelles technologies. Il faudrait non seulement créer des filières spécialisées, mais aussi enseigner les nouvelles technologies dès les cursus généraux.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Vous avez raison. On parle souvent de développer les nouvelles filières, mais encore faut-il avoir préparé la formation.

M. Christian Hector. Nous n’avons pas abordé l’évolution de la demande des clients potentiels de la mobilité. Lorsque les technologies seront avancées, plus un client n’achètera un bus et une station pour faire fonctionner l’ensemble. Les derniers appels d’offres concernent des ensembles. On commande à un groupement ou à un consortium deux bus sur telle ligne pour tel cadencement, le système de production d’hydrogène et la station pour remplir les réservoirs, à charge pour moi d’engager les chauffeurs.

C’est vrai aussi pour les trains, notamment en milieu rural. L’hydrogène a aussi un rôle à jouer lorsque l’électrification nécessite des investissements lourds. Au lieu d’électrifier une ligne à grands frais, on pourra jouer la carte de l’hydrogène, moins coûteuse que les batteries et ainsi décarboner la ligne. On demandera aussi à un consortium de fournir le train, la station de production d’hydrogène et l’interface.

Pour la production d’énergie renouvelable, nous avons aussi la chance d’avoir en France le système des certificats d’origine. Nous avons de l’électricité verte. Nous ne la fabriquons pas sur place mais nous avons les certificats d’origine. On peut faire des interfaces avec le réseau. On s’efface au moment où ça intéresse le réseau.

Mme Marie-Noëlle Battistel, vice-présidente. Je vous remercie tous pour vos contributions.

L’audition s’achève à douze heures vingt-cinq.

 


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19.   Jeudi 7 février 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la transition énergétique dans le transport maritime :
– M. Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes de la direction générale des Infrastructures, des transports et de la mer au ministère de la Transition écologique et solidaire ;
– Mme Charlotte Lepitre, coordinatrice du Réseau santé-environnement à France nature environnement (FNE) ;
– M. Camille Bourgeon, fonctionnaire technique, division de l’Environnement marin à l’Organisation maritime internationale (OMI) ;
– M. Hervé Thomas, délégué général d’Armateurs de France, organisation professionnelle des entreprises françaises de transport et de services maritimes ;
– M. Victorien Erussard, fondateur et capitaine d’Energy Observer.

L’audition débute à neuf heures quarante.

Mme Véronique Riotton, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une table ronde consacrée à la transition énergétique dans le transport maritime.

Nous sommes heureux d’accueillir M. Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire, Mme Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé-environnement à France Nature Environnement (FNE), M. Camille Bourgeon, fonctionnaire technique à la division de l’environnement marin de l’Organisation maritime internationale (OMI), M. Hervé Thomas, délégué général d’Armateurs de France, organisation professionnelle des entreprises françaises de transport et de services maritimes et M. Victorien Erussard, fondateur et capitaine d’Energy Observer.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. Quelques mots pour replacer cette table ronde dans le contexte plus général de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique. Les travaux de celle-ci sont organisés autour de sept thèmes : la vision que nous avons de notre pays dans le nouveau monde de l’énergie ; le développement des filières d’énergie renouvelable ; la mobilité et les nouveaux modes de transport, thème qui vous concerne plus particulièrement ; les économies d’énergie ; la manière dont les grands groupes de l’énergie se projettent dans l’avenir ; les territoires et la manière dont ils s’approprient l’enjeu de la transition énergétique ; enfin, la fiscalité et les taxes liées à cette transition.

Mme Véronique Riotton, présidente. Nous vous proposons de présenter en cinq minutes les constats et les enjeux qui vous tiennent à cœur mais surtout les solutions que vous préconisez, avant de laisser place au débat.

M. Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, en matière de transition énergétique, nos deux axes prioritaires sont la réduction des émissions de gaz à effet de serre et celle des pollutions atmosphériques causées par les navires, enjeux majeurs qui préoccupent nos concitoyens à juste titre.

Il existe une dynamique générale très positive marquée par une grande convergence entre les acteurs maritimes, qu’il s’agisse des armateurs français et européens, des organisations non gouvernementales ou des services de l’État.

Agir sur le transport maritime permet d’avoir un impact fort : il achemine 80 % à 90 % des marchandises mondiales et revêt un caractère vital pour les produits et services nécessaires à nos sociétés.

Pour les émissions de gaz à effet de serre, selon le chiffre communément admis en 2015, le transport maritime représente de 2,6 % des émissions totales, soit 800 millions à 900 millions de tonnes. Beaucoup de comparaisons sont faites avec les voitures mais il faut bien voir que les émissions diffèrent selon les polluants. Les émissions de CO2 varient entre 10 et 30 grammes par tonne transportée sur un kilomètre contre 90 grammes pour les camions. En revanche, les émissions de polluants atmosphériques sont plus élevées et atteignent des niveaux très significatifs. Nous avons étudié très précisément les trajectoires des navires en Méditerranée et avons abouti aux constats suivants : la pollution est équivalente à celle produite par quelques milliers de voitures pour les particules fines et les oxydes d’azote, les navires de croisière et, dans une moindre mesure, les porte-conteneurs émettant autant que 3 000 à 4 500 voitures. Pour les oxydes de soufre, les émissions sont particulièrement élevées et peuvent atteindre l’équivalent de 5 000 voitures pour un ferry à quai et de 800 000 à 900 000 voitures pour un navire de croisière.

Ce qui a structuré notre action, c’est le constat suivant : depuis vingt-cinq ans, les émissions de polluants atmosphériques liées au transport maritime ont diminué dans des proportions assez modérées allant de 10 % à 15 % alors que les émissions terrestres, elles, ont connu une réduction forte, de l’ordre de 80 % pour les oxydes d’azote et de plus de 50 % pour les oxydes de soufre. La trajectoire pour le transport maritime n’est pas aussi positive que pour le transport terrestre. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de prendre un virage.

Une dynamique internationale est à l’œuvre en matière de réduction des émissions de CO2. Les premières décisions remontent à 2011 et, à la suite de la COP21 et de l’Accord de Paris, une accélération très nette des travaux de l’Organisation maritime internationale (OMI) s’est produite si bien que nous avons abouti en 2018 à la définition d’une stratégie et à la fixation d’objectifs. Les deux principaux sont la réduction de moitié des émissions de CO2 en 2050 et le plafonnement des émissions le plus tôt possible.

Nous travaillons au niveau international sur la réduction des gaz à effets de serre, en particulier sur des mesures de court terme à mettre en œuvre avant 2023. Il s’agit principalement de la réduction de la vitesse et d’actions pour réduire la pollution en Méditerranée. Une première étape sera franchie dans moins de dix mois avec un abaissement du taux de la teneur en soufre des carburants au 1er janvier 2020 mais nous voulons aller plus loin.

Au niveau national, nous avons retenu plusieurs axes.

Le premier consiste à créer un environnement favorable. La priorité de court terme est de développer le plus possible le gaz naturel liquéfié (GNL) qu’il s’agisse de l’équipement des navires ou des infrastructures portuaires car les possibilités d’avitaillement jouent un rôle fondamental. Par ailleurs, nous nous focalisons sur la fiscalité. Aujourd’hui, le GNL est exonéré de droits d’accise et nous travaillons sur d’autres outils comme l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou encore le dispositif dont votre collègue Saïd Ahamada est à l’origine, je veux parler du suramortissement pour les armateurs investissant des navires utilisant le GNL ou d’autres énergies, en particulier décarbonées.

Le deuxième vise à donner une visibilité à nos objectifs, notamment ceux qui concernent les laveurs de fumées, les scrubbers, ou les particules fines.

Enfin, nous nous associons à la démarche encouragée par le Cluster maritime français de définition d’une vision à 2050. Nous voulons accompagner les acteurs économiques dans cette voie.

M. Victorien Erussard, fondateur et capitaine d’Energy Observer. En tant qu’officier de la marine marchande, de pont et de machine, j’ai pu voir de près quels problèmes posaient ces grosses machines thermiques que sont les navires de croisière avec les émissions élevées de particules fines et de CO2. En tant que coureur au large, à l’occasion de nombreuses courses transatlantiques comme la Route du Rhum, j’ai eu l’occasion de naviguer sur des bateaux très techniques qui avancent non grâce à des énergies fossiles mais avec la force du vent. Un jour, j’ai subi un black-out énergétique au beau milieu de l’Océan atlantique et j’ai vraiment regretté que le navire ne soit pas assez intelligent pour exploiter le vent et le soleil. D’où l’idée de créer un navire à la pointe de la technologie qui soit un symbole des énergies de demain, Energy Observer. Ce démonstrateur de trente mètres a été développé avec de nombreux partenaires industriels français et le laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) situé à Grenoble. Il est propulsé grâce aux énergies renouvelables et à de l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau de mer et dispose d’un double système stockage.

Nous avons constaté des défaillances sur les batteries. Elles ont une densité massique problématique car elles sont extrêmement lourdes. Le stockage de l’hydrogène sur notre bateau contient 7,35 fois plus d’énergie. Par ailleurs, nous nous heurtons au problème du cycle de vie. Vous avez tous constaté avec vos téléphones portables qu’au bout de quelques mois, les batteries se déchargent plus vite. L’hydrogène n’est pas une source d’énergie primaire mais un vecteur d’énergie. Il faut utiliser de l’énergie pour le produire mais l’avantage, c’est qu’il peut être produit n’importe où. Il suffit de maximiser la production des énergies renouvelables. À l’image de l’agriculture raisonnée, il s’agit d’une production locale et responsable.

Nous testons les capacités de l’hydrogène à travers un tour du monde qui durera six ans. Après la France en 2017, la Méditerranée en 2018, nous parcourrons l’Europe du Nord. Nous passerons même par le canal de la Mer blanche pour rejoindre le Spitzberg.

Je suis convaincu que la rupture technologique et la transition énergétique se feront par l’hydrogène. Le GNL pose certains problèmes. Je sais que la Compagnie maritime d'affrètement Compagnie générale maritime (CMA-CGM), qui a investi dans neuf porte-conteneurs au GNL, s’intéresse déjà à l’hydrogène. Certes, avec le GNL, il y a 50 % de particules fines et 15 % d’émissions de CO2 de moins, mais il suffit de 4 % de fuites pour que les émissions de CO2 soient aussi importantes qu’avec le charbon. Les publications scientifiques montrent qu’il ne peut s’agir d’une vraie solution. L’hydrogène, lui, ne produit pas de CO2 en cas de fuite. À poids égal, il libère quatre fois plus d’énergie que le charbon, trois fois plus que l’essence et deux fois plus que le gaz. Dès lors que vous diminuez les atomes de carbone dans l’énergie, la densité énergétique devient en effet de plus en plus importante. La masse volumique de l’hydrogène est, quant à elle, extrêmement faible : il est soixante-dix fois plus léger que l’air.

On entend beaucoup dire dans les médias et ailleurs que le rendement de l’hydrogène n’est pas bon. En réalité, il faut prendre en compte son rendement global. Il constitue un bon vecteur énergétique. Pour la conversion de l’énergie photovoltaïque en batterie, le rendement est de l’ordre de 90 %. Les moteurs électriques ont un rendement exceptionnel, de l’ordre de 97 %, mais ils alourdissent le poids des navires ce qui nécessite de consommer beaucoup plus d’énergie pour avancer. La production de l’hydrogène implique certes de passer par l’électrolyse, le stockage, la compression et la pile à combustible mais elle repose sur des systèmes beaucoup plus légers et une utilisation des matières premières beaucoup plus vertueuse.

Je considère que la transition énergétique doit se faire très rapidement à travers l’hydrogène. En France, nous avons du retard. Nous voyons tous nos voisins européens mais aussi les Japonais, les Chinois, les Coréens investir massivement dans cette énergie. Une accélération est nécessaire !

Mme Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé-environnement à France Nature Environnement (FNE). En matière de transport maritime, France Nature Environnement joue un rôle de lanceur d’alerte depuis 2015. Nous nous sommes focalisés sur les polluants atmosphériques en effectuant des mesures dans différents ports français méditerranéens, en commençant par Marseille. Cela nous a permis de faire émerger une prise de conscience des conséquences de cette pollution de l’air.

Si nous ne sommes pas opposés au transport maritime, nous tenons à promouvoir des solutions alternatives, inspirées notamment d’exemples étrangers.

Les chiffres qui nous ont le plus alarmés sont liés à l’impact sanitaire de ces pollutions. Chaque année en Europe, la pollution atmosphérique du transport maritime est à l’origine de 60 000 décès prématurés, soit un coût de 60 milliards d’euros pour la santé publique.

Nous nous sommes appuyés sur le vaste réseau de France Nature Environnement pour enquêter sur le terrain afin de cerner le ressenti des citoyens mais aussi leur degré de connaissance dans des villes du bassin méditerranéen. De nouveaux groupes citoyens se sont formés à l’initiative de plusieurs associations et nous avons pu recueillir des témoignages à Marseille, Nice, Toulon et en Corse. Désormais, nous sommes sollicités par d’autres villes : Sète et des ports de la façade atlantique.

Nous avons porté notre attention sur les bénéfices que l’on pourrait tirer de la création d’une zone de contrôle des émissions maritimes (ECA) en Méditerranée, objectif partagé par le gouvernement français, à notre grande satisfaction. Nous avons suivi les études menées par les autorités françaises, la Commission européenne et le Centre régional méditerranéen pour l’intervention d'urgence contre la pollution marine accidentelle (REMPEC). Nous avons également pris connaissance des derniers résultats de l’étude de l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués IIASA qui sera présentée dans le cadre de la 74e session du Comité de la protection du milieu marin – Marine Environment Protection Committee (MEPC).

Nous soutenons les autorités françaises dans leur volonté de mettre en place une zone ECA en Méditerranée et, pour voir aboutir cette solution, nous avons créé un réseau d’associations en Espagne, en Italie et en Grèce. Nous comptons aussi sur l’action des associations de pays méditerranéens non européens pour qu’un maximum d’États se rallient à cette initiative.

Une autre piste réside dans les carburants alternatifs. Nous nous tenons informés pour faire évoluer nos avis et notre plaidoyer.

Nous avons également réfléchi aux initiatives prises à une échelle plus locale, au niveau des ports, des régions, des collectivités, qu’il s’agisse des bonus de fiscalité ou des branchements à quai. Même si le GNL n’est pas une solution parfaite, le développement des possibilités d’avitaillement nous paraît intéressant.

Nous reviendrons sur les autres solutions au cours de la table ronde.

M. Hervé Thomas, délégué général d’Armateurs de France. Quelques mots pour présenter Armateurs de France. Il s’agit d’une organisation professionnelle des entreprises françaises de transports et de services maritimes. J’insiste sur la notion de services car, à la différence d’autres associations nationales d’armateurs, Armateurs de France se caractérise par une très grande diversité de métiers : transport de marchandises et de passagers mais aussi grandes entreprises de services dont on ignore parfois le caractère majeur, voire stratégique. Je pense à celles qui s’occupent de la pose et de l’entretien des câbles sous-marins par lesquels transitent 99 % des données numériques dans le monde, contrairement à ce que croient bon nombre de nos concitoyens qui pensent que ce sont les satellites qui jouent un rôle clef.

La flotte mondiale est composée de 60 000 navires de commerce et les armateurs français possèdent ou opèrent un millier de navires. Nous comptons plusieurs acteurs majeurs parmi nos adhérents. Je citerai CMA-CGM qui opère plus de 500 navires dans le monde, ce qui fait de lui le quatrième opérateur mondial en matière de porte-conteneurs, après avoir occupé pendant longtemps la troisième place, d’où il a été délogé par le jeu des alliances asiatiques.

Nous avons ainsi la capacité de faire peser nos choix dans la transition énergétique. Les armateurs français sont plutôt partants et nous travaillons très bien avec notre administration de tutelle – j’ose presque dire partenaire – et avec le Gouvernement. Nous sommes également très bien entendus par les parlementaires pour mettre en œuvre diverses mesures.

Notre activité s’exerce dans le contexte d’une compétition internationale très agressive. Le transport maritime est un gros consommateur de carburants, c’est aussi ce qui lui donne un poids dans les choix techniques qui vont être opérés. Il pourra entraîner avec lui des filières entières. Nous reviendrons sur le GNL.

Pour nous, deux axes s’imposent.

Il y a d’abord un enjeu de court terme de santé publique : réduire l’impact des oxydes de soufre et d’azote et les particules fines, comme l’attendent nos concitoyens.

Il y a ensuite un enjeu de moyen et long terme : la décarbonation du transport maritime.

Nous sommes très favorables aux mesures de court terme. Le président d’Armateurs de France s’est rendu il y a une quinzaine de jours à Marseille pour la présentation de la fameuse étude d’impact sur la création d’une zone ECA en Méditerranée. Les armateurs français sont favorables à cette solution, dès lors que les mêmes règles s’appliquent à tous. L’intervention de l’OMI nous aidera, je pense, à comprendre les dynamiques de décision.

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, nous disposons d’une palette de solutions. Par exemple, l’alimentation électrique à quai est déjà mise en œuvre, notamment en Méditerranée, par La Méridionale et Corsica Linea. C’est une solution intéressante, particulièrement adaptée aux flottes domestiques et aux compagnies de ferries assurant des liaisons pendulaires, même si elle est ponctuelle et limitée. Ce système, qui nécessite un équipement du navire et du quai, représente un vrai investissement.

La filtration des carburants, grâce aux scrubbers, est également une solution. Le système, particulièrement efficace sur les oxydes de soufre, est encore en phase d’expérimentation sur les particules. S’il est efficace à terre, sur un bateau, c’est plus compliqué. Il serait aussi possible d’utiliser un carburant intrinsèquement moins polluant, en passant du fioul lourd au fioul léger.

Une autre solution très intéressante reviendrait à réduire la vitesse. Immédiatement opérationnelle, elle est facile à contrôler et s’applique à une grande partie de la flotte. Sans être la solution universelle, elle est extrêmement intéressante, notamment pour le transport du vrac.

Il faut aussi favoriser le passage à des carburants moins impactants : le fioul léger, le GNL et l’hydrogène. Aujourd’hui, le GNL est plus cher à la construction et sa chaîne d’approvisionnement n’est pas encore mature. Nous réfléchissons à des pistes fiscales, afin d’inciter à investir dans ces constructions et de soutenir la filière logistique d’approvisionnement.

Quant à l’hydrogène, c’est l’une des pistes, sinon la piste d’avenir, si et seulement s’il est d’origine décarbonée. Le transport maritime nécessitant une énorme puissance, l’hydrogène ne constitue pas encore la solution pour la propulsion principale ; mais il peut l’être pour la production d’énergies auxiliaires. Nous y travaillons. L’une de nos compagnies a ainsi établi un partenariat de recherche avec le Commissariat à l’énergie atomique, pour un petit navire alimenté à l’hydrogène.

M. Camille Bourgeon, fonctionnaire technique à la division de l’environnement marin de l’Organisation maritime internationale (OMI). Le transport maritime possède aujourd’hui une dimension internationale indéniable. Prenons l’exemple d’un navire possédé par un armateur norvégien, immatriculé à Singapour, affrété par une entreprise suisse ou française, qui va opérer dans toutes les mers du globe : à quel État rattacher ses émissions de gaz à effet de serre ? C’est très compliqué. Depuis la ratification du protocole de Kyoto, les États parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) reconnaissent la responsabilité de l’OMI pour limiter et réduire les émissions du transport maritime international et celle de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pour limiter et réduire les émissions en provenance de l’aviation civile.

L’OMI est une agence spécialisée des Nations unies, fondée en 1948. Son siège est à Londres. Elle compte aujourd’hui 174 États membres, dont la France qui est un membre actif. Elle comporte également plus de quatre-vingts organisations internationales, intergouvernementales ou non gouvernementales, des représentants d’armateurs, mais également des associations environnementales, qui ont un statut consultatif. L’organe de l’OMI chargé des questions environnementales est le Comité de la protection du milieu marin (MEPC), qui se réunit trois fois tous les deux ans. Il est l’organe en charge du développement et de la mise à jour du droit international en matière de protection du milieu marin et de prévention des pollutions causées par les navires. L’OMI a notamment élaboré deux grandes conventions : la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires, dite MARPOL, et la Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires.

Au sein des Nations unies, l’organisation a la réputation d’être relativement technique et de produire un nombre significatif d’instruments de nature obligatoire. Plus de cinquante instruments internationaux, conventions et instruments obligatoires ont été adoptés depuis sa création et sont en vigueur ou en cours de ratification à travers le monde. Elle a également édité plus de mille guides et directives.

Comme l’ont dit mes collègues, la réduction des émissions atmosphériques est une priorité de l’OMI. Si j’insiste sur les émissions de gaz à effet de serre, se pose également la question des polluants atmosphériques locaux. L’annexe VI de la convention MARPOL traite d’ailleurs d’abord de cette question – oxydes de soufre et d’azote. En 2011, les États membres ont ajouté un chapitre 4 à l’annexe VI sur l’amélioration du rendement énergétique des navires et, partant, la réduction de la consommation et des émissions de gaz à effet de serre associées.

En 2011, deux grandes mesures d’amélioration de la performance énergétique des navires ont été adoptées. L’indicateur opérationnel de l’efficacité énergétique des navires neufs (EEDI) est un standard de performance, et non pas technique, qui laisse toute liberté aux armateurs et aux chantiers pour développer les mesures les plus adaptées afin d’atteindre les objectifs de performance, qui sont de plus en plus stricts. Par exemple, un porte-conteneurs construit en 2025 devra être 30 % plus performant, en matière de consommation d’énergie, que le même bateau construit en 2008. Aujourd’hui, près de 4 000 navires sont certifiés EEDI.

Pour l’ensemble des navires, soit 60 000, l’OMI a adopté le plan de gestion de l'efficacité énergétique des navires (SEEMP), un système permettant de superviser les efforts d’amélioration de la performance énergétique à bord, dans une logique d’amélioration continue. Qui plus est, depuis le 1er janvier 2019, les plus gros navires, qui émettent 85 % des gaz à effet de serre du secteur, doivent collecter leurs données de consommation de soute à destination de l’OMI, afin d’informer les futures décisions de l’organisation.

À la suite de l’adoption, en décembre 2015, de l’Accord de Paris, qui a représenté un événement majeur, non seulement pour le monde mais aussi pour le secteur, même si le transport maritime n’y est pas explicitement cité, l’OMI a souhaité développer une stratégie fixant des objectifs de réduction des émissions. L’accord est ambitieux, puisqu’il a défini un objectif d’au moins 50 % de réduction des émissions absolues, dans un secteur qui est quasiment exclusivement dépendant des énergies fossiles. La stratégie a été adoptée en avril 2018.

En octobre 2018, le MEPC a adopté un programme de travail pour déterminer les objectifs de la stratégie qui s’appliquera après la prochaine session du MEPC, en 2019 : lancement d’une étude pour quantifier les émissions de gaz à effet de serre et les mettre à jour entre 2012 et 2018 ; adoption d’une procédure pour étudier l’impact des mesures proposées sur les États ; début de l’examen de propositions concrètes, dont certaines ont été citées, de court, moyen et long termes, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur. Parmi les nombreuses options sur la table, il est difficile de savoir celles qui seront retenues par l’OMI et les États membres.

Certaines propositions visent à renforcer les exigences de l’EEDI pour les navires neufs ; d’autres à réduire la vitesse des navires en activité. À moyen et long termes, c’est un changement de paradigme qui s’esquisse. Les futurs carburants utilisés par le transport maritime font l’objet de discussions. Un effort de recherche, de développement et d’innovation a été exigé des États développés. Il est également nécessaire de définir un cadre réglementaire pour réduire les risques d’investissement dans les nouvelles technologies. Si certaines existent déjà, c’est toute la question de leur mise à l’échelle qui est réellement déterminante.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dans vos interventions, vous avez parlé de changement de paradigme. À court terme, la solution est celle des zones à faible émission ; à moyen terme, du GNL ; et de l’hydrogène à long terme. Comment pouvons-nous atteindre plus rapidement les objectifs fixés pour le long terme ? Le GNL, intéressant à court terme, reste une énergie fossile, et, même si la France pourrait produire en biogaz 50 térawattheures, le dédier entièrement au maritime ne serait pas une bonne idée. Comment accélérer la transition vers l’hydrogène ? Peut-on imaginer des bateaux autonomes ?

Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans nos débats actuels, beaucoup s’interrogent sur l’absence de taxation du fioul lourd des navires, alors que les carburants des voitures et des camions sont taxés. Nos concitoyens ont un peu de mal à comprendre cette différence de traitement. La transition écologique dans le monde maritime n’est pas un mince problème, comme vous venez de nous le montrer. Lors des Assises de l’économie de la mer, à Brest, le ministre François de Rugy avait expliqué que le transport maritime s’inscrivait dans une démarche volontariste et que ses transformations passeraient moins par la fiscalité que par les normes, lesquelles sont, paraît-il, plus contraignantes. Or ne doit-on pas craindre qu’une transformation fondée sur le seul volontarisme soit synonyme d’inertie ou, au mieux, de lenteur ? Ne pourrait-on pas créer, en parallèle, une fiscalité destinée au monde maritime ? Enfin, à quel terme envisagez-vous que des navires fonctionnent totalement à l’hydrogène, lequel semble être le virage le plus vertueux et pertinent, à condition que sa production soit verte, bien sûr ?

Mme Nathalie Sarles. Je souhaiterais savoir quelle est la durée de vie d’un navire et s’il est possible d’envisager une reconversion du parc existant. Pour avoir vécu en Afrique, je sais qu’on y envoie toutes nos vieilles voitures, mais aussi nos vieux navires. Devrons-nous attendre que notre parc de navires arrive à bout de souffle, ce qui pose, par ailleurs, la question du retraitement des épaves ?

M. Victorien Erussard. Pour ce qui de l’autonomie énergétique des bateaux, le tour du monde d’Energy Observer fait rêver, mais nous ne naviguons pas vite du tout ! Je suis complètement d’accord avec vous, monsieur Thomas, lorsque vous parlez d’essayer d’encadrer la vitesse des navires. L’énergie cinétique étant proportionnelle à la vitesse au carré, chaque nœud supplémentaire est extrêmement énergivore. Lorsque j’étais officier sur des navires à grande vitesse, entre Saint-Malo et les îles anglo-normandes, nous brûlions neuf tonnes de diesel à chaque aller-retour, pour couvrir une distance de seulement 37 milles, en quarante minutes. En réduisant la vitesse et en mettant une heure, nous divisions par deux la consommation de carburant. Cela m’avait profondément frappé ! En produisant notre énergie à bord d’Energy Observer, nous nous rendons mieux compte à quel point elle est précieuse... Les bateaux ne pourront pas être autonomes. Invité par la Fédération française des pilotes maritimes, il y a quelques semaines, pour partager mon expérience sur l’hydrogène, on m’a fait remarquer que des bateaux alimentés à l’hydrogène n’iraient pas vite. C’est faux : un système électrique et un stockage d’hydrogène adéquats permettent d’aller aussi vite qu’avec des énergies fossiles.

Vous avez cité des objectifs à court, moyen et long termes. À mon sens, le point de vue français n’est pas le meilleur. Nos voisins européens, américains ou asiatiques envisagent le GNL à court terme et l’hydrogène à moyen voire à court terme également. Dans le terrestre, les technologies sont matures. Si nous sommes perçus comme des communicants, sur Energy Observer, en réalité, nous avons différencié nos activités et, forts de notre expérience et de notre savoir-faire, nous allons mettre des ingénieurs au travail pour fabriquer des petits bateaux destinés à tester les technologies matures de piles à combustible d’une puissance allant jusqu’à 500 kilowattheures.

Dans le cadre de son programme Horizon 2020, l’Union européenne a lancé un appel à projet pour perfectionner la technologie des piles à combustible de haute puissance, après avoir réduit à 2 mégawattheures l’ambition initiale de 5 mégawattheures. L’hydrogène liquide a récemment fait l’objet d’avancées considérables. Lorsque cette technologie sera maîtrisée, le transport maritime en sera bouleversé. Sur mon bateau, de l’hydrogène gazeux est stocké à 350 bars – contre 700 bars pour le terrestre.

La question du reconditionnement est complexe. Nous en avons fait l’expérience avec Energy Observer, un bateau de course au large de trente mètres, qui avait remporté le trophée Jules Verne. Nous avons dépensé beaucoup d’argent pour trouver des solutions pour installer le système énergétique – le stockage d’hydrogène et la propulsion électrique. Nous allons reproduire l’expérience sur un vieux gréement, afin de voir ce qu’il est possible de faire dans ce secteur.

Concernant l’approvisionnement, nous avons des partenaires industriels très importants : Engie, qui travaille sur la production d’hydrogène vert, Air Liquide, qui travaille sur l’hydrogène gris et la captation de CO2 et investit aussi dans l’électrolyse et la production d’hydrogène vert, et Toyota. Le problème, c’est que les stations existantes coûtent très cher et n’ont pas suffisamment d’utilisateurs. Des collectivités investissent dans des stations produisant vingt kilogrammes d’hydrogène par jour, alors qu’elles n’ont que cinq véhicules à alimenter. Le modèle économique ne tient pas. Sans un nombre suffisant d’utilisateurs, l’hydrogène sera cher. Actuellement, il coûte entre 10 et 14 euros le kilo. Or, pour qu’il soit compétitif, il faudrait passer sous la barre des 8 euros. Les navires de commerce sont de gros consommateurs d’énergie. La navette verte qui transporte des passagers entre Saint-Raphaël, Sainte-Maxime et Saint-Tropez a besoin de 100 kilos d’hydrogène par jour, contre 10 kilos pour un bus. Pour favoriser le recours à l’hydrogène, il faut trouver des solutions pour approvisionner les ports en hydrogène et l’utiliser pour les véhicules terrestres et les bateaux.

M. Hervé Brulé. S’agissant des taxes, comme l’a dit le ministre, la priorité est à l’édiction de normes. Néanmoins, la France a mis sur la table, à l’OMI, la question des mesures de marché, notamment celle des taxes. Nous considérons qu’une taxation ne peut se concevoir qu’au niveau mondial, comme la plupart des mesures de régulation du transport maritime. Compte tenu de l’autonomie des navires, qui peuvent très peu souter, une taxe franco-française sur les carburants maritimes n’aurait pas d’effet, dans la mesure où elle pourrait être très aisément contournée. Néanmoins, cette taxation fait partie des orientations de l’OMI et des mesures que nous appelons à étudier, dans une approche internationale.

L’hydrogène est une énergie à laquelle nous croyons. Le chantier technique sur l’hydrogène est ouvert à l’OMI. Au niveau national, nous avons participé, il y a plusieurs années, au projet d’une navette fluviale dotée d’une propulsion à hydrogène à Nantes. La question majeure qui se pose est celle de la puissance. Cette technologie équipera de petits navires avant de se développer.

Pour ce qui est de la production d’électricité, certains petits navires offrent une voie au tout-électrique. Nous avons d’ailleurs signé un partenariat avec une entreprise pour mettre au point un semi-rigide électrique, afin de montrer que cela est possible. L’exemplarité fait aussi partie de notre stratégie.

M. Hervé Thomas. La durée de vie d’un navire transportant régulièrement de lourdes cargaisons est de quinze à vingt ans, et elle peut atteindre quarante ans pour un bateau transportant des passagers. Cela montre que les choix que nous faisons aujourd’hui nous engagent jusqu’en 2050 environ. C’est la raison pour laquelle, si l’utilisation du gaz naturel liquéfié comme carburant de transition – j’insiste bien sur cette dimension –, représente un grand bénéfice au plan environnemental, ce n’est pas la solution à terme puisque c’est une énergie carbonée.

Comme l’a indiqué M. de Rugy, la transformation passe par la norme. C’est ce que l’on voit pour une activité maritime au niveau international. Malgré tout, et on peut rendre hommage à un certain nombre d’armateurs français, le volontarisme existe. C’est le cas par exemple lorsque CMA-CGM fait le choix pionnier, mais coûteux, de construire neuf navires de 22 000 conteneurs propulsés intégralement pour la première fois au GNL. Comme la technologie n’est pas nouvelle, elle est rassurante. Il faut éviter en effet de jouer les apprentis sorciers en utilisant des carburants qui pourraient se révéler dangereux. Mais si la technologie est maîtrisée, il n’en demeure pas moins qu’un tel choix représente un saut dans l’inconnu. C’est un choix raisonné sur le plan économique, mais il serait hasardeux de dire que 100 % des paramètres sont maîtrisés. Il y a en effet une volatilité des coûts, et il reste toujours la question de la chaîne logistique. Mais cela montre la voie. Tels sont les choix technologiques qui nous engagent pour une bonne vingtaine d’années. C’est la raison pour laquelle il est important de mettre en place des dispositifs. En l’occurrence, le suramortissement ne bénéficiera pas à ces navigations internationales, mais pour les ferries par exemple les solutions sont adaptées.

À quel terme y aura-t-il des navires fonctionnant à l’hydrogène ? C’est pratiquement possible dès demain pour les petites unités. C’est la force que nous avons avec cette flottille extrêmement diversifiée. Parmi les adhérents d’Armateurs de France, la Fédération française des pilotes maritimes a de petites unités qui ont besoin d’intervenir rapidement en sécurité, mais qui restent à proximité de nos côtes. Cela peut constituer une solution. L’utilisation de navires électriques pour transporter des passagers est aussi une solution tout à fait intéressante. Il faut donc s’engager dans cette voie.

Un navire est un système complexe qui a besoin de beaucoup de puissance quand il s’agit de navigations transocéaniques, intercontinentales, l’objectif étant d’aller d’un point A à un point B en transportant une grande quantité de marchandises. Là, il faut alimenter le moteur principal. Mais quand le navire est en escale, on peut parfaitement imaginer, comme cela commence à se faire, d’arrêter le moteur principal et d’utiliser des moteurs de moindre puissance afin de produire l’énergie électrique nécessaire pour les besoins à bord. L’hydrogène peut donc être une solution sur ces moteurs auxiliaires. L’autre gisement peut être celui d’une énergie qu’on ne consomme pas : les panneaux solaires. On peut très bien imaginer, comme cela se fait pour les balises qui assurent le balisage des côtes, alimenter un point isolé du navire avec des panneaux photovoltaïques, ce qui pourrait éviter de faire cheminer un câble sur 200 ou 300 mètres. Ce n’est pas du tout de la science-fiction et, mis bout à bout, cela permet de faire des économies, d’alléger les poids et c’est une autre manière de réfléchir à la conception des navires. C’est aussi ce à quoi nous réfléchissons avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui est un acteur majeur dans ce domaine.

L’autre point crucial concerne le recyclage des navires en fin de vie. L’Union européenne s’est engagée dans un mouvement d’agrément d’un certain nombre de chantiers. Aujourd’hui, le marché international se situe dans le bassin asiatique et en Turquie. Il faut aider ces pays, en agréant les chantiers, parce qu’il est illusoire de penser qu’on va ramener toutes la capacité de démantèlement dans des installations qui n’existent pas ou plus aujourd’hui en Europe. Les navires devenant très techniques, il est important de prendre en compte cet élément dans les polluants finaux. J’insisterai également sur le rôle de l’administration en ce qui concerne la sécurité de la navigation à laquelle les armateurs sont très sensibles. Le diesel, qu’il s’agisse du fioul lourd ou du fioul léger, a l’avantage d’être disponible et d’avoir un bon rendement énergétique, ses inconvénients étant ses émissions polluantes et, en cas de sinistre, la marée noire qu’il risque de provoquer. C’est aussi un carburant extrêmement sécurisant pour les personnes. Quant à l’hydrogène, il faut savoir maîtriser les risques d’explosivité. Chacun a encore en tête l’explosion du dirigeable allemand Hindenburg, il y a près d’un siècle. Il convient donc de savoir rassurer nos concitoyens en leur expliquant qu’on réfléchit à l’utilisation de l’hydrogène de façon sécurisée. C’est un impératif des armateurs et des administrations de tutelle au niveau national et international.

M. Camille Bourgeon. On voit bien quel est le défi technique et logistique en matière d’approvisionnement en soute partout dans le monde et la nécessité de gérer la question au niveau international.

Mme Battistel nous demande comment accélérer la transition vers l’hydrogène. Il ne faut pas trop se projeter sur un mix énergétique avec demain un seul combustible. On ne passe pas du fioul lourd à l’hydrogène. Aujourd’hui, le shipping, c’est 85 % de fioul lourd et 15 % de distillat. Mais demain, ce qui est sûr c’est que le mix énergétique du transport maritime sera beaucoup plus diversifié. Voilà le défi. Comme le disait à l’instant M. Thomas, que vous alliez à Mombasa, à New York ou à Shanghai, vous trouvez le même combustible stable. Comment faire demain avec un mix énergétique plus diversifié ? On parle de l’hydrogène, mais aussi des biocarburants, de l’ammoniac comme vecteur d’énergie, des piles à combustible et des packs de batteries pour la navigation domestique. Comme l’a indiqué M. Brulé, dans le cadre des normes techniques de l’OMI, notamment du code IGF, il est possible d’immatriculer et de faire naviguer des navires avec des carburants alternatifs. Il faut également noter que la stratégie de l’OMI a représenté un signal important pour le secteur. Vous avez peut-être entendu parler du danois Maersk, le premier armateur de porte-conteneurs du monde, qui a annoncé, au mois de décembre dernier, viser la neutralité carbone en 2050. Ce n’est pas rien quand cela vient du premier acteur du secteur. Il s’est engagé également dans l’innovation et la recherche pour atteindre cet objectif. Outre le volontarisme des acteurs privés, il ne faut pas oublier celui des États. Je ne ferai pas ici l’incitation des mesures locales, ce qui serait mal vu de la part du secrétariat de l’OMI, mais les États peuvent, via la commande publique ou des encouragements à des programmes de recherche, accompagner cette transition. Par exemple, l’Allemagne a annoncé, au mois de décembre dernier, le lancement d’un programme de recherche de 45 millions d’euros pour un moteur marin zéro émission.

Mme Véronique Riotton, présidente. En tout cas, il est nécessaire d’accélérer cette transition. Il faut pouvoir sortir de l’entre-soi, et que chacun prenne ses responsabilités dans cette organisation internationale, qu’il s’agisse des constructeurs ou des exploitants.

M. Hervé Brulé. Je souhaite apporter quelques précisions.

Le navire qui fonctionne à l’hydrogène dont je parlais tout à l’heure est à La Rochelle. Par ailleurs, l’association française qui se préoccupe de développer l’hydrogène est porteuse d’un certain nombre d’engagements. Enfin, un travail est précisément engagé sur l’hydrogène et le transport maritime et fluvial. Ce travail avance.

Nous espérons proposer, peut-être dans un nouveau One Planet Summit, un projet de charte qui dresse la liste d’un certain nombre d’engagements environnementaux qui seraient proposés aux compagnies mondiales.

Quant au programme d’investissements d’avenir (PIA), il est tout à fait ouvert à des projets de recherche ou de mise au point de ces nouvelles technologies. C’est un des axes du comité stratégique de la filière de l’industrie navale. J’espère que des choses déboucheront.

Mme Charlotte Lepitre. En tant que fédération nationale, nous travaillons avec les acteurs ici présents, tant au niveau international que national. Nous travaillons aussi avec les riverains qui exercent une certaine pression sur nous car ils souhaiteraient que les choses changent du jour au lendemain. Leur expliquer les difficultés tant politiques que techniques qui existent est compliqué.

Lorsqu’on parle du retrofit ou du parc existant, la mise en place d’une zone ECA avec un changement de carburant est une solution qui, même si elle n’est pas idéale, aurait des impacts positifs sur la qualité de l’air. Au niveau régional, voire très local, elle montrerait un certain volontarisme qui est encore souvent trop lent et isolé, même si l’on félicite ceux qui vont de l’avant. On a besoin d’aller plus vite, de montrer une vraie volonté pour éviter l’incompréhension et la disparité entre les différentes échelles.

Enfin, nous n’oublions pas la santé des travailleurs à bord et dans les ports qui est une grande préoccupation.

M. Victorien Erussard. Il ne faut pas voir l’hydrogène comme un carburant dangereux. On parle souvent d’explosion, ce qui fait peur. Pour ma part, j’ai déjà parcouru 10 000 milles avec ce navire, j’ai emmené mes enfants en bas âge, je suis allé dans plus de quatorze pays, j’ai navigué dans des conditions difficiles, j’ai souvent subi des coups de vents, mais jamais je ne me suis senti en danger.

Des problèmes de reconversion des marins vont se poser. En effet, les mécaniciens vont devoir devenir à moyen terme des électriciens. Il faudra donc anticiper leur formation.

J’ai travaillé avec Marc Van Peteghem, un architecte naval incroyable qui a dessiné tous les bateaux vainqueurs de la Route du Rhum – pour ma part, j’ai fait la Route du Rhum en 2006 – et qui a mis au point des ailes rigides intelligentes. J’ai essayé l’aile de kite, mais je n’ai pas réussi. Beyond the Sea, l’allemand SkySails et Airbus font également des essais. Mon bateau n’est pas adapté, mais peut-être cette technologie se développera-t-elle un jour. Pour essayer de viser l’autonomie énergétique à des vitesses intéressantes en ce qui concerne la navigation de plaisance – je ne crois pas du tout à l’autonomie énergétique pour le transport maritime – j’ai trouvé plus opportun de tester la mixité énergétique, notamment en intégrant cette technologie ancestrale qu’est est voile. Mais je n’ai pas envie de parler de voile, sinon on va dire que je reviens en arrière… J’ai installé deux ailes d’avion de treize mètres de haut sur mon bateau – cela fait un an qu’on travaille avec le groupe CNIM et le cabinet VPLP. On part en Europe du Nord avec ces ailes qui sont intelligentes et arisables. Elles n’ont pas de gréement dormant, elles sont relatives à 360 degrés, elles peuvent s’affaler intégralement et elles sont asservies, c’est-à-dire que de mon poste de pilotage il me suffit de tourner une petite molette pour que les ailes se règlent automatiquement. On veut même intégrer des panneaux photovoltaïques sur ces ailes à partir du chantier prochain. Il est possible d’intégrer ces ailes sur les gros navires de commerce pour réduire, paraît-il, de 12 à 42 % les consommations énergétiques.

M. Hervé Thomas. Je suis heureux que M. Erussard évoque la question de la propulsion vélique. C’est un élément intéressant dans la palette des outils, mais pas en énergie de substitution ou bien de manière très spécifique sur certaines lignes. Nous avons en effet des projets de ce type sur des lignes régulières où la voile peut vraiment constituer une réponse en appoint, en complément.

On peut donc dire qu’il n’y a pas une solution unique mais bien une palette de solutions. Il convient aussi d’insister sur l’enjeu de la compétition internationale qui est vraiment la caractéristique du transport maritime au niveau mondial. Mais je crois que vous l’avez bien compris. La régulation par l’OMI est donc importante. Nous considérons que la réduction de la vitesse est une réponse tout à fait significative. Enfin, les personnels vont devoir se former à ces nouvelles techniques. Aussi faut-il les accompagner. En France, nous avons la chance d’avoir un appareil de formation maritime secondaire et supérieure de très grande qualité. Aussi faut-il porter beaucoup d’attention à la pérennité de ce système.

En conclusion, permettez-moi un petit clin d’œil. Le Président de l’Assemblée nationale nous fait l’honneur d’accueillir, pour un après-midi de conférence, le 9 avril prochain, le Shipping Day des armateurs de France. Nous aurons donc d’occasion de mettre en avant toutes les solutions que nous venons d’évoquer avec bon nombre d’acteurs du secteur maritime. Nous serons très heureux de vous y accueillir, à l’invitation du président Ferrand.

Mme Véronique Riotton, présidente. J’imagine que c’est une compétition internationale à la transition écologique.

Je vous remercie, messieurs, pour votre participation. Soyez sûrs que votre contribution sera prise en compte dans nos travaux.

L’audition s’achève à onze heures.


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20.   Jeudi 7 février 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la transition énergétique dans le transport aérien :
– Mme Nathalie Simmenauer, directrice du développement durable d’Air France et M. Laurent Timsit, directeur des affaires internationales et institutionnelles d’Air France et Air France KLM ;
– Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat-transports de Réseau action climat (RAC) ;
– M. Stéphane Cueille, président du Comité de pilotage (Copil) du CORAC (Conseil pour la recherche aéronautique civile) ;
– Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice « recherche et développement, Espace et environnement » du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) ;
– M. Patrick Gandil, directeur général de l'aviation civile, ministère de la transition écologique et solidaire, Mme Anne-Laure Gaumerais, conseillère au cabinet du directeur général et M. Louis Teodoro, chef du bureau environnement à la direction du transport aérien.

L’audition débute à onze heures cinq.

Mme Jennifer de Temmerman, présidente. Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde sur la transition énergétique dans le transport aérien. Nous sommes très heureux d’accueillir Mme Nathalie Simmenauer, directrice du développement durable d’Air France, M. Laurent Timsit, directeur des affaires internationales et institutionnelles d’Air France et d’Air France KLM, Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat-transports du Réseau action climat (RAC), M. Stéphane Cueille, président du comité de pilotage du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC), Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice « Recherche et développement, espace et environnement » du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile, Mme Anne-Laure Gaumerais, conseillère au cabinet de ce dernier, et M. Louis Teodoro, chef du bureau Environnement de la direction générale de l’aviation civile (DGAC).

Vous êtes très nombreux ; je vous demanderai donc de bien vouloir ne pas dépasser cinq minutes pour votre présentation liminaire. Je laisse en préalable la parole à M. Bruno Duvergé, rapporteur.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je rappellerai très rapidement le cadre de réflexion de la mission relative aux freins à la transition énergétique. Nous explorons sept thématiques : la vision prospective – comment imagine-t-on notre monde en termes de mix de production et de consommation de nouvelles énergies dans dix, vingt et trente ans ? ; les productions d’énergies renouvelables – solaire, éolien, méthanisation, etc. ; la mobilité ; les économies d’énergie ; l’évolution des grands groupes de l’énergie face à cette transition ; l’appropriation territoriale, la production étant essentiellement locale ; la fiscalité, notre économie étant « accro » à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Je souhaiterais que vous ne vous attardiez pas sur les constats mais insistiez plutôt sur les freins et les solutions.

M. Patrick Gandil, directeur général de l’aviation civile. Les émissions de gaz à effet de serre dans l’aviation ne sont pas au cœur des enjeux climatiques puisque ce secteur ne représente que 2 % des émissions mondiales. Pour autant, cela ne justifie en rien que l’aviation ne prenne pas sa part, non seulement en France mais aussi ailleurs en Europe. Ce combat est mené à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), organisation spécialisée des Nations unies en charge de l’aviation. La politique définie à l’OACI combine quatre mesures ; nous nous mobilisons sur chacune d’entre elles.

La première mesure porte sur l’amélioration de la performance énergétique des aéronefs. En France, la politique de recherche aéronautique – ancienne – a connu de multiples succès. Elle est menée par les grandes entreprises – de rang mondial – du secteur, en partenariat et avec le soutien significatif de l’État et d’organismes publics, au premier rang desquels l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA).

Nos échanges se déroulent au sein du comité de pilotage du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) ; M. Stéphane Cueille, président du CORAC, vous en parlera.

La deuxième mesure concerne les procédures de navigation aérienne. Nous essayons de mettre en place les routes les plus courtes possibles, afin de ne pas consommer inutilement du carburant. Des évolutions significatives sont intervenues dans le cadre du programme européen de la Coalition environnement et santé pour un transport aérien responsable (CESAR), les différentes structures de navigation aérienne travaillant de concert sur ce dossier.

En outre, au voisinage des aéroports, nous réfléchissons à l’amélioration des procédures de montée et de descente, afin d’aboutir à des descentes et montées continues. Grâce aux moyens satellitaires, désormais opérationnels, les procédures d’approche vont évoluer, alors qu’elles sont actuellement limitées : les avions ne peuvent réaliser que des arcs de cercle ou des segments de droite ; demain, ils pourront monter et tourner simultanément plus facilement et en toute sécurité. Cela permettra des progrès significatifs en matière de bruit et, moindres, sur les consommations.

Le troisième levier est lié au développement des biocarburants durables. L’aviation restera encore longtemps inféodée aux carburants chimiques car c’est l’énergie stockée dans la molécule chimique qui dégage de l’énergie en brûlant. Pour cela, on utilise actuellement du kérosène ; demain, peut-être, d’autres produits seront disponibles. Au regard du poids des batteries, l’avion électrique ne pourra se positionner que sur des trajets de très courte distance – ceux sur lesquels il existe déjà des moyens de transport de substitution.

Les molécules qui stockent l’énergie ont un inconvénient majeur : elles sont composées de carbone fossile. Si l’on arrive à substituer du carbone atmosphérique à ce carbone fossile, le problème pourrait être réglé – même si ce n’est pas si facile et si nous devrons rester attentifs aux éventuels effets pervers du cycle de production. La voie de travail sur des biocarburants durables est importante.

Enfin, quatrième mesure, dans le cadre de l’OACI, l’aviation internationale s’est engagée à ne pas dépasser le niveau de ses émissions de 2020, la croissance ultérieure devant être neutre en carbone. Les deux premières mesures nous permettent d’atteindre la moitié de notre objectif – ainsi que les biocarburants durables, pour le moment, dans une très faible proportion, mais nous devons progresser. L’aviation internationale s’est également engagée à financer des économies de carbone dans d’autres secteurs d’activité par le biais de l’accord de réduction et de compensation des émissions de dioxyde de carbone dans l’aviation internationale – Carbon offsetting and reduction scheme for international aviation (CORSIA), voté à la quasi-unanimité des pays, avec beaucoup de difficultés.

Un dernier point, l’aviation intérieure n’est pas tenue par la convention de Chicago interdisant la taxation des billets d’avion, puisqu’elle est nationale. En conséquence, elle participe à la stratégie nationale et aux efforts liés aux engagements pris lors de la COP21. Son activité est en décroissance, la baisse étant fortement corrélée à la politique de déploiement des trains à grande vitesse (TGV) – les liaisons aériennes diminuent ou disparaissent sur les lignes radiales au fur et à mesure de l’apparition de liaisons TGV – et à l’amélioration générale des moyens de transport terrestre.

L’aviation intérieure reste pertinente pour les liaisons transversales, pour désenclaver les petites villes qui seront jamais reliées à un réseau ferroviaire efficace et pour les destinations encore distantes de Paris en l’absence de TGV ou malgré sa présence, comme Nice, Toulouse, Pau, Brest ou la Corse par exemple.

Mme Nathalie Simmenauer, directrice du développement durable d’Air France. Je vous remercie de nous donner l’occasion de nous exprimer comme opérateur aérien. À titre liminaire, je rappellerai que le transport aérien répond à un besoin sociétal de déplacement, très largement démocratisé au cours des quinze dernières années. C’est un vecteur de rapprochement des hommes et des cultures, d’ouverture, de progrès social, mais également de croissance économique et de désenclavement du territoire – cela a été rappelé.

Quel est son poids dans l’économie française ? Il représente 80 milliards d’euros de notre produit intérieur brut (PIB) et 1,14 million d’emplois, incluant les effets catalytiques. Le groupe Air France contribue pour plus d’un point au PIB national, générant 22 milliards d’euros de retombées économiques et plus de 300 000 emplois directs et indirects.

Même si le transport aérien ne représente que 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, il assume de longue date ses responsabilités environnementales par le biais de l’Association internationale du transport aérien – International air transport association (IATA). Dès 2009, il s’est fixé des objectifs ambitieux à court terme avec une amélioration de son efficacité énergétique de 1,5 % par an, à moyen terme en visant une croissance neutre en carbone à compter de 2020, et sur le long terme avec la réduction de ses émissions de CO2 de 50 % en 2050 par rapport à 2005.

Pour atteindre ces objectifs, les compagnies aériennes mettent en œuvre tous les leviers à leur disposition pour réduire les consommations de carburant, en étroite coopération avec l’ensemble des acteurs de la chaîne du transport aérien – constructeurs, motoristes, aéroports, autorités, start-up innovantes, etc. Différents leviers sont actionnés : renouvellement de la flotte, allégement du poids embarqué à bord des avions, optimisation des programmes de vols et des coefficients de remplissage, adoption de procédures d’écopilotage et de roulage au sol plus durable – en coupant un des moteurs par exemple –, électrification de nos opérations au sol, optimisation des trajectoires de vol et mise en œuvre du ciel unique européen.

En outre, nous nous acquittons des compensations carbone réglementaires depuis 2012 dans le cadre du système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) – en anglais, Emission Trading System (ETS) – et, demain, dans le cadre de CORSIA, accord extrêmement important et contraignant qui s’imposera à l’ensemble des pays de l’OACI et des compagnies aériennes dès 2027.

Nous avons divisé par deux la consommation moyenne de nos appareils depuis les années quatre-vingt-dix et amélioré notre efficacité énergétique de plus de 13 % entre 2011 et 2018. Grâce à l’effet combiné de ces initiatives, les émissions nettes du groupe ont été quasiment stables entre 2005 et 2018, alors que le trafic passagers a augmenté de plus de 30 %. Si l’on intègre nos compensations d’émissions de CO2 dans d’autres secteurs d’activité, la réduction atteint plus de 10 %.

Faut-il pour autant s’en satisfaire ? Sans doute pas. En conséquence, nous devons renforcer la transition énergétique du secteur. Le renouvellement de la flotte reste un levier important et traduit concrètement les progrès de recherche et développement réalisés par les constructeurs et les motoristes. En exploitant nos nouveaux avions, nous constatons ces progrès extrêmement importants. En la matière, nos investissements sont conséquents : en 2017, sur nos 3 milliards d’euros de cash flow opérationnel, 2 milliards ont été consacrés au renouvellement de la flotte. La poursuite de cette politique très volontariste dépend de notre santé financière, et donc de l’environnement fiscal et social. Or, actuellement, notre situation est moins favorable que celle de nos compétiteurs. La flotte pourrait sans doute être renouvelée plus rapidement si des mesures incitatives – de type suramortissement ou crédit d’impôt – étaient adoptées pour les aéronefs ou les véhicules de piste. Nous l’avons d’ailleurs suggéré lors des Assises du transport aérien.

Il faut également être audacieux et poursuivre les investissements dans la recherche et le développement – Stéphane Cueille et le GIFAS en parleront mieux que moi – et dans la modernisation des outils de navigation aérienne, qui présentent un potentiel non négligeable de réduction des émissions de CO2.

Enfin, dans l’attente d’innovations de rupture et en complément des renouvellements de flottes à venir, le développement des carburants alternatifs durables, déjà testés en conditions opérationnelles et commerciales sur plusieurs milliers de vols dans le monde, notamment par Air France et par KLM, est une piste extrêmement intéressante. Ces kérosènes alternatifs sont parfaitement miscibles avec le kérosène fossile. Ils sont utilisables en toute sécurité et sans modification des aéronefs.

Pourtant, leur déploiement à échelle industrielle nécessite encore de lever de nombreux freins et soulève des questions : il faut s’aligner sur des critères de durabilité exigeants et acceptés par tous ; il faut s’assurer d’un accès en volume suffisant à cette biomasse durable ; il conviendrait peut-être de définir une politique d’achat prioritaire de ces carburants par les secteurs qui n’ont pas ou que peu d’alternatives aux carburants fossiles. Or les industriels – qui doivent gérer leurs investissements – et les utilisateurs finaux – pour s’engager sur des volumes – ont besoin de visibilité et, surtout, de stabilité. Enfin, pour amorcer la création de ces filières, des mécanismes incitatifs de soutien à la demande sont indispensables.

Pour conclure, il conviendrait d’inscrire l’ensemble de ces dispositions dans un cadre réglementaire global et international, pour ne pas créer de distorsions de concurrence. Seul un tel cadre peut garantir intégrité et bénéfice environnemental, mais également éviter les fuites de carbone en détournant le trafic aérien vers d’autres hubs.

Dans un contexte éminemment international et concurrentiel et dans l’attente d’un cadre réglementaire global harmonisé – indispensable –, l’accélération de la transition énergétique du secteur sera favorisée par des mesures incitatives d’accompagnement. Si tel est le cas, nous poursuivrons nos initiatives et entendons maintenir notre leadership d’acteur responsable.

Mme Jennifer de Temmerman, présidente. Mme Riotton devant nous quitter avant la fin de la réunion, je me permets de lui donner la parole avant la troisième intervention.

Mme Véronique Riotton. Je suis députée de Haute-Savoie et, comme mes collègues, très investie dans les questions de transition énergétique. Vous êtes focalisés sur vos activités, mais notre mission doit dépasser le constat – déjà réalisé : le transport représente 10 % dans la non-atteinte des objectifs français. Nous souhaitons donc entendre vos propositions de réduction de consommation d’énergie et d’intégration des énergies renouvelables dans votre activité. En moins d’une heure, comment trouvons-nous collectivement les moyens d’accélérer la transition énergétique dans le secteur aérien ?

Mme Lorelei Limousin, responsable des politiques climat-transports de Réseau Action Climat (RAC). Je suis responsable des politiques de transport du Réseau Action Climat (RAC), réseau d’organisations non gouvernementales (ONG) nationales qui luttent ensemble contre les changements climatiques et qui comprend notamment la Fondation pour la nature et l’homme, France nature environnement (FNE), la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT), la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), Oxfam ou Greenpeace. Nous nous coordonnons afin de proposer des solutions pour accélérer la transition climatique dans tous les secteurs, en l’occurrence ici le transport aérien.

Je tiens en préalable à rétablir quelques vérités. On entend souvent que le transport aérien est responsable de 2 % des émissions internationales de CO2. Cette estimation est ancienne et ne tient pas compte des autres impacts du secteur sur les dérèglements climatiques – vapeurs d’eau qui créent des cirrus dans l’atmosphère, oxydes d’azote. Le pouvoir radiatif – donc réchauffant – du transport aérien est plutôt de l’ordre de 5 %. Il convient de le garder en tête, d’autant que ces impacts ne sont donc pas intégrés dans les accords comme CORSIA. Même si l’on s’en tient à 2 %, c’est l’équivalent de l’empreinte carbone de l’Allemagne, un des pays les plus industrialisés et les plus émetteurs au monde.

S’agissant des émissions de CO2 au niveau français, vous avez raison, celles du trafic aérien intérieur ont diminué, notamment grâce au développement du TGV. Mais l’analyse de l’ensemble des émissions de CO2 du trafic aérien national est plus mitigée : en additionnant les vols métropolitains et internationaux, la hausse est d’environ 60 % depuis 1990, alors que tous les autres secteurs – hors transports – ont réduit leurs émissions…

Il nous semble essentiel de rappeler que tous les secteurs doivent être mis à contribution pour réduire – donc non pas seulement limiter ou compenser – leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de tenir les engagements de l’accord de Paris. La logique est la même dans tous les secteurs : il faut faire moins, mieux et autrement. Certes, la performance énergétique ou les carburants alternatifs sont importants, mais un autre levier indispensable est pour le moment passé sous silence : la maîtrise de la demande.

Le trafic aérien européen et international a explosé et double environ tous les quinze ans. Les chercheurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), comme David Lee qui travaille plus spécifiquement sur le transport aérien, estiment qu’une réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien de l’ordre de 50 % à l’horizon 2050 passe aussi par un mécanisme de tarification de la pollution du transport aérien. Les scénarios de ces études prennent en compte les avancées technologiques et des substitutions très poussées de carburant fossile par des carburants alternatifs. Mais cela ne suffira pas… Une maîtrise de la demande par la tarification du CO2 est donc indispensable.

Quels sont les freins soulevés lorsque l’on évoque la mise en place d’une telle mesure ? Le premier est d’ordre juridique : on présente la Convention relative à l’aviation civile internationale, dite Convention de Chicago, comme un frein à la mise en place d’une taxe sur le carburant. C’est faux : ce sont les accords bilatéraux de services aériens passés entre États pour favoriser le transport aérien entre leurs pays qui l’interdisent, mais ils peuvent être revus. Cela n’a donc rien d’inéluctable.

En outre, la taxation du kérosène est possible au niveau intérieur et européen, entre les pays qui le souhaitent. Une étude de nos collègues de la Fédération européenne pour le transport et l’environnement vient d’être publiée sur le sujet, que je pourrai vous transmettre.

Le deuxième frein est social : c’est celui de l’acceptabilité. Vous avez parlé de la démocratisation du transport aérien ; elle est indéniable en Europe où de plus en plus de personnes ont accès à l’avion. Mais ce constat mérite d’être nuancé : à l’échelle internationale, le transport aérien reste un mode de déplacement réservé aux populations économiquement les plus favorisées ; même en France, je vous rappelle que 40 % de la population ne part pas en vacances. Elle ne prend donc pas l’avion… En outre, selon les enquêtes nationales transports et déplacements (ENTD), les 20 % de personnes les plus aisées prennent autant l’avion que les 80 % des plus pauvres. Les Français sont donc très inégaux face au transport aérien.

Le dernier argument opposé est économique : un tel blocage n’est d’ailleurs pas l’apanage du transport aérien. C’est un véritable défi pour la transition écologique dans tous les secteurs. Cela ne devrait pas nous empêcher d’avancer, comme c’est malheureusement le cas depuis des années : il est impossible de débattre d’une éventuelle taxation du kérosène sur les billets d’avion, car cet argument nous est toujours opposé. Pourtant, on peut trouver des solutions : des reconversions professionnelles sont envisageables si la transition est organisée dans le secteur, d’autant que des emplois peuvent être créés dans d’autres secteurs, en l’espèce dans le transport ferroviaire.

Nous avançons donc deux propositions : d’une part, mettre en place une contribution sur les billets d’avion nationaux, qu’ils soient métropolitains ou internationaux. La taxe de solidarité sur les billets d’avion, dite « Chirac », est très faible par rapport à celles applicables à l’étranger – en Suède, en Norvège, au Japon ou aux États-Unis par exemple.

En second lieu, il y a un combat complémentaire à mener à l’échelle européenne, dont on sait qu’il est long à cause des questions fiscales. Il faudra, à terme, mettre fin à l’exonération de taxe sur le kérosène, ce qui constituera une mesure bénéfique sur le plan écologique, mais aussi sur le plan économique et social.

Nous avons commandé au consultant néerlandais C E Delft une étude qui met en évidence les effets de l’institution d’une taxe sur les billets d’avion sur l’économie, sur les émissions de C02 ainsi que sur la réduction de la demande.

M. Stéphane Cueille, président du comité de pilotage du Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC). Je précise que je suis aussi directeur de la recherche et de l’innovation du groupe Safran. Je préside le CORAC, instance collective et paritaire entre les pouvoirs publics et l’industrie, qui oriente la recherche aéronautique.

S’agissant du pourcentage d’impact de l’aviation sur le réchauffement climatique, on peut prendre les études dans le sens que l’on veut ; il n’en est pas moins vrai que des incertitudes demeurent quant à un certain nombre de paramètres, notamment les traînées de condensation et les oxydes d'azote (NOx).

Le CORAC fait réaliser des études par les laboratoires du GIEC sur ces thèmes afin d’en mieux comprendre les effets ; on constate beaucoup d’incertitudes au sujet des traînées de condensation et moins au sujet des NOx, dont l’impact est plus avéré. Aussi, le thème fondamental demeure-t-il l’efficacité énergétique, donc le C02 qui est le principal contributeur.

Ce constat étant établi, les choses doivent être mises en perspective : si l’ordre de grandeur est de 2 %, c’est parce que nous avons réalisé des évolutions technologiques fondamentales au cours des quarante à cinquante dernières années. Comparé à ceux d’aujourd’hui, un jet conçu dans les années 1950 est énergétiquement cinq fois moins efficace. Ainsi un avion de dernière génération bien rempli consomme-t-il environ deux litres de kérosène au kilomètre par passager, ce qui est très efficace énergétiquement.

Cela traduit le fait que, dans un contexte de croissance, l’industrie française en particulier a gagné des parts de marché par l’apport de solutions propres à réduire la consommation de carburant des avions, singulièrement grâce à des avions plus légers et des moteurs dont la conception est en rupture avec ce qui se faisait auparavant. Cela était vrai hier et reste l’élément moteur premier de notre investissement dans le domaine de la recherche : la capacité à réduire l’impact énergétique et C02 de l’avion ; c’est l’objectif qui est devant nous.

Pour la seule filière française, nous dépensons environ 1,5 milliard d’euros de recherche pure, donc hors développement, très majoritairement financé par les acteurs et aidé par l’État au titre de l’effet de levier. C’est là l’élément fondamental.

Il faut en outre conserver à l’esprit que les solutions à trouver sur les avions doivent leur être adaptées, car sur le plan technique ils ne sont ni des trains ni des automobiles ; il existe des facteurs spécifiques, particulièrement la masse qui produit un effet « dramatique » – au sens anglais du terme, c’est-à-dire spectaculaire – sur l’efficacité énergétique. Cela fait que les solutions applicables au domaine terrestre, les batteries par exemple, ne sont pas applicables au cas de l’aviation commerciale dans un avenir raisonnablement proche.

À titre d’exemple, une batterie Tesla représente 200 wattheures par kilo de densité énergétique ; le kérosène fait soixante fois mieux. Et si je suppose que, dans vingt ans, j’aurai cinq fois cela, bien que ce qui est prévu aujourd’hui soit plutôt trois fois, j’aurai un avion trois fois plus gros et trois fois plus lourd pour accomplir la même mission, ce qui n’est pas viable avec de telles batteries.

Cela signifie que nous devons trouver d’autres solutions, car l’efficacité énergétique de l’avion en tant que telle demeure l’élément fondamental, ensuite la substitution du carburant est un élément important : en premier lieu parce que l’on a besoin de carburant chimique pour la masse, qui peut avoir un lien énergétique, en second lieu parce qu’une autre caractéristique de notre industrie est la production, non pas de biens de consommation, mais de biens d’équipement à forte valeur et de longue durée de vie.

Cela signifie qu’il est important de privilégier l’amélioration des avions en les remplaçant par des modèles plus modernes et plus efficaces. Si Air France remplace ses A320 par des avions de dernière génération, elle gagnera 15 % de consommation de carburant, ce qui est énorme. C’est là le premier levier. Mais nous sommes à la tête d’une flotte comprenant des avions appelés à rester quinze ou vingt ans en service, et il faut apporter des solutions à ces matériels.

L’accélération du renouvellement des appareils constitue le premier levier, en revanche, apporter des solutions sur le carburant ou d’autres solutions opérationnelles portant sur les avions existants est aussi très important, car il est alors possible d’agir sur l’ensemble de la masse de la flotte.

Un exemple précédemment mentionné réside dans le choix de ne plus utiliser les moteurs au sol pour propulser l’avion, ce qui est très inefficace, et recourir à des moteurs électriques pour cette phase ; les gains sont alors d’environ 3 % sur la consommation totale de l’appareil grâce à cette solution susceptible d’être mise en œuvre sur l’existant.

Voilà les données du problème : l’aviation doit trouver des solutions technologiques, effort que nous avons fourni par le passé et que nous poursuivrons. Ces solutions seront spécifiques, et la question du carburant demeure fondamentale, du fait de l’inertie de la flotte, mais aussi des particularités de l’aviation en termes de masse.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. À plusieurs reprises nous avons entendu qu’il fallait « emmener la molécule à bord » : pourquoi pas, s’il s’agit d’une molécule de biocarburant ? Des études ont-elles été conduites à ce sujet ?

Dans l’hypothèse où l’aviation serait la priorité, le biocarburant serait réservé à ce seul moyen de transport. Avez-vous quantifié en termes d’énergie disponible la biomasse disponible, sans entrer en concurrence avec l’exploitation de terre destinée à une production alimentaire ou avec la méthanisation ?

Mme Jennifer de Temmerman, présidente. Où en êtes-vous de la mise en œuvre du mécanisme mondial du marché carbone mis en œuvre par l’OACI ? Les premières mesures de suivi et de déclaration devaient être opérationnelles au début du mois de janvier dernier.

Quel est le degré de réalisation de l’objectif de réduction de 33 % des émissions des avions ? Quels sont les leviers de performance énergétique de ces aéronefs ?

La question des carburants durables a été évoquée à plusieurs reprises ; pourriez-vous nous fournir des informations supplémentaires sur les progrès récents et à venir dans ce domaine ? Quelle est votre analyse au sujet des perspectives offertes par ces carburants ainsi qu’au sujet de leur coût ?

Enfin, dans le domaine des énergies durables, quelles sont les avancées du secteur aéronautique : avion électrique, projet d’avion régional Airbus, etc. ?

Mme Nathalie Sarles. Nous savons que nous ne réduirons pas le volume du transport aérien, qui correspond à une demande sociétale ; il faut toutefois mesurer ce que cette activité apporte à ses utilisateurs sur le plan économique. Puisque le principe pollueur-payeur existe, je m’interroge sur le principe de la taxation des billets. À cette question est souvent opposé le modèle économique des vols intérieurs qui sont fragiles.

Par ailleurs, comme dans beaucoup d’autres domaines, le développement du low cost provoque une incapacité du consommateur et du citoyen à comprendre quel est le modèle économique et à partir de quel moment le billet qu’il achète est rentable en termes économiques et au regard de la pollution, car nous sommes dans un domaine erratique.

M. Stéphane Cueille. Les biocarburants sont de deux sortes : les drop-in, carburants mélangeables ou substituables au kérosène pouvant aisément être utilisés par la flotte ; les non-drop-in, carburants très différents dont l’hydrogène constitue l’exemple.

Dans le domaine du non-drop-in, existent un certain nombre de filières technologiques de transformation de biomasse en kérosène, qui sont qualifiées et dont on a pu démontrer techniquement la pertinence, notamment par des expériences conduites par Air France sur la ligne Paris-Toulouse. Le CORAC continue de travailler sur le plan technique à la bonne compréhension des propriétés de ces carburants afin notamment de s’assurer des conditions de sécurité de fonctionnement.

La technique est au point, mais la question de l’utilisation des biocarburants et de certification de la durabilité de la biomasse se pose à l’échelle globale, par-delà le seul secteur de l’aviation. Par ailleurs, sur le plan économique, le coût de ces carburants est très supérieur à celui du kérosène, ce qui freine son utilisation par les compagnies aériennes, mais également l’investissement par les acteurs économiques de l’énergie, qui, au regard de la demande éventuelle, ne voient pas la rentabilité possible.

Mme Nathalie Simmenauer. Des travaux sont en cours sur le type et la quantification du volume de biomasse nécessaire à une incorporation substantielle de ce carburant au secteur de l’aviation. Ils ne sont pas encore achevés, ni ceux de l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE) ni ceux résultant de l’engagement pour la croissance verte pris avec nos partenaires qui sont Safran, Total, Airbus et Suez.

Ces travaux portent sur tous les aspects de la question : critères de durabilité, estimation de la quantité de biomasse disponible afin de savoir si elle est suffisante, étude des modèles économiques permettant de dégager des modalités de développement de filières de biocarburants pour l’aviation, si possible en France.

Mme Anne Bondiou-Clergerie, directrice « Recherche et développement, espace et environnement » du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS). Plusieurs filières de biocarburant font d’ores et déjà l’objet d’études, elles portent sur la question de leur durabilité, et en particulier sur l’évitement de tout conflit avec l’usage alimentaire. Dans l’exemple pris par Mme Nathalie Simmenauer, il s’agit de l’utilisation de biocarburants fabriqués à partir de l’huile usagée, qui ne sont donc pas concernés par ce conflit.

Les autres filières certifiées utilisent une biomasse issue de débris forestiers, de forêts dégradées, etc., ce qui ne s’inscrit pas non plus dans le cadre du conflit alimentaire.

Toutefois, plutôt qu’une question de disponibilité de biomasse, dans la mesure où beaucoup de technologies possibles et certifiées existent, le problème est surtout celui du coût. C’est un cercle vicieux, car moins on produit de biomasse, plus elle est chère, et plus elle est chère, moins on en produit.

M. Patrick Gandil. En ce qui concerne l’OACI, le vote politique du CORSIA date de 2016, mais, comme chez nous, une fois la loi adoptée les décrets doivent être pris. La partie réglementaire s’est donc mise en place petit à petit et a été adoptée l’an dernier par le Conseil de l’OACI. C’est en 2019 que les premiers éléments doivent être rendus, toute la base réglementaire est donc en place, même si nous avons rencontré des difficultés notamment dues au changement de l’administration américaine qui, de moteur en 2016 est devenue plus suiveur, ce qui a poussé l’Europe en première ligne. Le CORSIA a malgré tout été adopté dans de bonnes conditions, et je ne perçois aucun signe négatif. Toutefois, je ne pourrai vous indiquer que tout est fait que dans un an seulement.

Pour ce qui regarde la valeur économique du système de transport aérien commercial, on peut dire que chaque fois que le TGV s’est développé, cela a conduit à annuler ou à réduire de façon importante l’avion sur la ligne concernée. Ainsi n’y a-t-il plus aujourd’hui de ligne aérienne reliant Paris à Bruxelles, qui était une ligne majeure, ni de ligne reliant Paris à Strasbourg, ce qui nous est d’ailleurs reproché. Il n’y a plus beaucoup de vols à destination de Nantes et de Lyon, sauf pour prendre de longs courriers ; mais pour les trajets de ville à ville il n’y en a quasiment plus. Le nombre de vols s’est un peu réduit sur Marseille et Bordeaux à cause du développement du TGV ; le trafic demeure important à Toulouse et à Nice parce que l’accès en train n’est pas très commode. Il reste important pour des villes éloignées comme Brest ou Pau, par exemple.

On constate un effet de substitution au fur et à mesure du développement des liaisons ferroviaires. Il n’y a en revanche pas de substitution possible sur les lignes de désenclavement. On cite souvent des villes comme Aurillac ou Rodez où il n’y aura jamais une massification suffisante pour justifier un transport ferroviaire puissant. Le transport routier n’étant pas non plus substituable, l’avion est nécessaire, faute de quoi il n’y aurait plus de chefs d’entreprise présents dans ces territoires.

En revanche, cet avion est très cher, même s’il est aidé ; ces lignes sont plus à considérer comme du transport d’affaires mutualisé, donc moins cher que du transport d’affaires pur, que comme un moyen de déplacement destiné à monsieur Tout-le-monde. En tout état de cause, il n’y aurait plus un seul chef d’entreprise dans de telles villes s’il n’y avait pas ces liaisons aériennes ; ce qui souligne l’importance de leur rôle.

Les lignes aériennes transversales sont aussi assez importantes ; nous travaillons à des lignes comme Limoges-Lyon, ville importante, qui est aussi un nœud pour Easyjet et Air France permettant d’aller un peu partout. Toutefois, la ligne ne se ferait pas spontanément, présentant un intérêt économique limité, elle a besoin d’un certain nombre d’aides.

Par ailleurs, le développement du low cost et des marchés touristiques accroît le trafic aérien, mais la croissance européenne est aussi en cause : l’augmentation du trafic a été beaucoup plus rapide dans les aéroports de province que dans les grands aéroports de Paris. Il s’agit principalement de liaisons internationales mi-touristiques, mi-professionnelles à destination de la plupart des capitales européennes, auxquelles il faut ajouter l’Afrique du Nord. Il y a encore très peu de long-courriers, mais à peu près toute la gamme du court-courrier est représentée.

Le long courrier va apparaître dans les grandes métropoles européennes ; c’est l’arrivée de l’A321 Neo long range, qui est une révolution, car des avions de 200 places pourront être utilisés pour le long courrier au lieu de gros avions d’environ 300 places. Ainsi, dans toutes les métropoles de province, verra-t-on apparaître une liaison vers New York, qui aujourd’hui n’existe pas, car il faut passer par Paris. Un certain nombre de choses seront ainsi rééquilibrées, et la demande augmentera peut-être, à des prix qui ne sont pas encore connus.

Dans ce contexte, qu’est-il possible de faire ?

La réduction du transport aérien ne peut être obtenue que par des mesures autoritaires, soit en renchérissant drastiquement les coûts, soit en limitant l’accès aux aéroports. Cela relève d’un choix politique qui n’appartient pas au secteur aérien, et qui est d’autant plus complexe que ce secteur est très tiré par le tourisme et que la France est le premier marché touristique mondial.

Les équilibres et les choix en cause excèdent largement le secteur aérien. Pour avoir été un des négociateurs du CORSIA, je suis profondément engagé dans la question du changement climatique et de l’effet de serre. Mais considérer cette dernière de façon analytique, secteur par secteur sans la prendre en compte dans sa globalité, a failli nous faire échouer dans le CORSIA. En effet, à part l’Europe qui poussait dans ce sens, tous les autres pays étaient contre : à un moment, nous avons eu le monde entier contre nous, aussi bien de grands pays que de petits, de pays riches que pauvres. Tous ont dit que le transport aérien leur était vital, qu’ils ne voulaient pas en brider la croissance ; qu’ils étaient d’accord pour travailler à émission de C02 constante, mais pas dans une perspective de réduction de la croissance.

Parmi ces pays, certains sont engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais veulent laisser le transport aérien se développer. Cette question est importante, nous ne disposons pas de structure démocratique à l’échelle mondiale plus forte que l’ONU ; c’est dans ce cadre que nous avons travaillé.

Je vous fais en quelque sorte part de mon désarroi, pour un sujet qui ne trouvera pas sa réponse dans le seul secteur de l’aviation, et constitue un sujet politique majeur.

Mme Lorelei Limousin. Il est vrai que le Président de la République a considéré que l’on ne peut pas taxer les vols intérieurs parce qu’ils ne sont pas rentables. En termes de dépense publique, et de manque à gagner, ces vols représentent 350 millions d’euros au titre de l’exonération de TICPE. Si le kérosène était taxé comme l’essence, cette somme avoisinerait 600 millions d’euros ; ce qu’a montré l’étude réalisée par C E Delft, alors que, par ailleurs, la TVA ne pèse pas sur le carburant. Une TVA à taux réduit de 10 % est appliquée aux billets d’avion, si ce taux était porté à 20 %, le produit serait de 300 millions d’euros.

À ces montants viennent s’ajouter toutes les subventions accordées aux petits aéroports et aux compagnies aériennes. La FNAUT, association membre du Réseau Action Climat, estime entre 19 et 25 millions d’euros par an le montant des subventions d’investissement pour les aéroports, et à 25 millions d’euros par an celui des aides aux lignes soumises à une obligation de service public. Cette aide pourrait être aménagée si une nouvelle taxe sur le transport national était créée. Ces aides représentent généralement un montant situé entre 20 et 200 euros par passager utilisateur de ces lignes ; il s’agit donc d’un coût pour le contribuable au profit du transport aérien. Ces dispositifs induisent par ailleurs une inégalité de traitement au regard des autres moyens de transport.

Contrairement à ce qui a été dit, les lignes transversales du transport aérien sont en croissance, comme les liaisons Bordeaux-Lyon et Lyon-Nantes, autrefois assurées par des lignes ferroviaires classiques de type Intercités de jour et de nuit ; ce qui démontre la pertinence du train sur les longues distances.

Je ne souhaite pas donner l’impression que Réseau Action Climat soit anti-technologies, mais les pays qui ont instauré une taxation du kérosène utilisé par les avions, comme le Japon, connaissent une baisse significative des émissions de C02 dues au trafic aérien. Lorsque, vers les années 2010, cette taxe a dû être réaménagée pour être réduite de 10 % par an, une augmentation des émissions de C02 a été constatée. D’après l’ONG International Council on Clean Transportation (ICCT), l’examen des différences de performance énergétique entre les compagnies aériennes montre que, pour les axes transatlantiques, Norwegian est, avec 33 %, la mieux placée, alors que la Norvège est l’un des pays qui a institué une taxation sur le kérosène et les billets.

Cela démontre l’intérêt de la taxation pour améliorer l’efficacité énergétique et accélérer la transition vers des solutions énergétiques alternatives si elles existent, car le message que j’ai entendu ce matin est qu’en réalité les travaux continuent et que ce n’est pas technologiquement et économiquement viable, et il faut également viser l’impact sur le trafic et la demande.

Mme  Bondiou-Clergerie a fort justement souligné l’importante problématique de la concurrence dans l’usage des terres, l’huile de palme n’est d’ailleurs pas la seule concernée, mais c’est le cas de toutes les cultures entrant en compétition avec l’alimentation. À l’instar de la compensation, il faut être très vigilant au sujet des conséquences pour les pays du Sud en termes d’accaparement et de dégradation des terres.

M. Laurent Timsit, directeur des affaires internationales et institutionnelles d’Air France et d’Air France KLM. Je rappelle que la France est le deuxième pays d’Europe pour la taxation du trafic aérien, ce qu’a montré une étude récente réalisée par l’IATA. Au regard des autres pays européens, le niveau de taxe n’est donc absolument pas faible en France, bien au contraire.

L’équilibre économique du réseau domestique français est extrêmement fragile, et c’est un terme poli que j’emploie. On peut parfaitement taxer plus le transport aérien, mais, comme l’a dit Patrick Gandil, il faudrait en assumer les conséquences. Car pour certaines liaisons il n’existe pas aujourd’hui d’alternative ; par ailleurs de nombreux emplois sont concernés. Il s’agit donc d’un choix de politique publique dont il faudra assumer les conséquences en termes de déplacements, de désenclavement des territoires et d’emplois.

Comme l’a souligné Mme Simmenauer, une des marnières d’améliorer nos performances environnementales réside dans le renouvellement des flottes. Or, peser encore plus sur la santé financière des compagnies aériennes reviendrait à retarder ce renouvellement ; ce qui conduirait à une performance environnementale dégradée.

En ce qui concerne la question des subventions, il faut rappeler que le transport aérien, par rapport aux autres modes de transport, paie l’intégralité de ses coûts d’infrastructure, contribuant ainsi largement au budget de l’État. Par ailleurs, les subventions pour obligation de service public, donc aux lignes d’aménagement du territoire, existent bien, mais ne représentent que 30 millions d’euros par an, hors Corse ; on ne peut pas dire que ces sommes sont considérables.

Par ailleurs, il est vrai que certaines compagnies low cost bénéficient de montants assez élevés de subvention de la part des collectivités locales, sujet bien connu, et la compagnie à laquelle je fais allusion pratique les tarifs les plus bas du marché. Outre les subventions que j’ai mentionnées, ces bas tarifs sont aussi dus à des pratiques sociales dont la presse se fait très largement l’écho.

M. Stéphane Cueille. L’exemple de Norwegian est particulièrement intéressant. Ce qui vient en fait d’être démontré, c’est qu’une compagnie aérienne en fort développement qui a des avions neufs a une meilleure performance environnementale qu’une compagnie aérienne qui n’a pas les moyens de remplacer ses avions. Expliquer qu’en taxant la compagnie qui n’a pas les moyens de remplacer ses avions, sa performance va s’améliorer, c’est une contre-vérité. Des compagnies émergentes ayant des avions neufs ont forcément une meilleure performance énergétique, parce que les avions récents ont une bonne performance énergétique. Le premier levier, c’est la performance énergétique.

Je reviens sur la question politique. Si l’on supprime la demande, il faut offrir une substitution. La question est aussi économique : les moyens de substitution sont-ils économiquement efficaces ? On parle de la substitution des terres pour les biocarburants ; si je construis une ligne de chemin de fer à grande vitesse, le budget est colossal, cela se chiffre en dizaines de milliards d’euros, et je prélève des terres. La question qu’il faut donc se poser, dans un investissement, c’est si c’est la meilleure façon d’investir l’argent pour décarboner. S’il suffisait de construire des lignes de chemin de fer, cela se saurait. Dans le désenclavement, le point fort de l’aéronautique est qu’il ne nécessite pas d’infrastructures, l’empreinte au sol est très faible ; il suffit d’acheter des avions.

Sur les lignes transversales, les avions régionaux sont aujourd’hui très anciens. Il y a eu peu de progrès technologiques récents sur ces marchés car il n’existait pas d’impact économique pour les justifier chez les constructeurs. Demain, il se peut que des technologies sur lesquelles nous travaillons, notamment l’électrification, c’est-à-dire l’hybridation, le mélange de propulsion thermique et électrique, puissent changer la donne dans ces secteurs, car il s’agit de distances plus courtes, avec moins de passagers. Cela pourrait être plus intelligent que de dire : « j’arrête de voler et je prévois des solutions de substitution qui coûtent très cher ».

Je reviens sur votre question concernant les solutions techniques. Il faut distinguer la distance franchie et la taille de l’avion. L’électrification n’est pas viable pour des distances et des tailles d’avion importantes, et ce pour des raisons techniques : il existe des verrous techniques sur la puissance et sur la masse. Sur de courtes distances, en mélangeant le thermique et l’électrique, il y a peut-être des choses à faire, avec des avions de forme différente. Des travaux sont conduits en France à ce sujet, y compris par le CORAC. Pour les gros avions, à court terme on restera sur des leviers classiques, en poussant les technologies. Il y a encore beaucoup de progrès à faire sur les moteurs. Dans le facteur cinq que nous avons gagné, 70 % de ce gain est dû à la technologie des moteurs, qui a énormément progressé. Nous avons encore devant nous une ou deux générations d’amélioration. Au-delà, il faudra aller vers des moteurs et des avions différents. Nous avons aujourd’hui des avions de forme classique tube and wing, des moteurs sous aile, dans les nacelles, depuis quarante ans ; nous avons optimisé, allégé, amélioré l’aérodynamique, les moteurs… Le coup d’après, ce sera de faire des avions de forme différente, avec des moteurs intégrés différemment, donc de nouveaux types de moteurs qui permettront des gains supplémentaires mais présentent un niveau de risque plus important, ce qui nécessite de la recherche. C’est pourquoi l’investissement en recherche est fondamental, ainsi que l’accompagnement de la prise de risque par les pouvoirs publics pour chercher ces nouvelles technologies.

M. Patrick Gandil. Ce que j’ai entendu sur le financement du transport aérien est excessif. Mettre en évidence comme aides à l’infrastructure les quelques aides de collectivités locales à de petits aéroports, c’est méconnaître tous les grands aéroports, qui sont entièrement payés par le transport aérien. Il n’en va pas du tout de même dans le ferroviaire, où les investissements se sont retrouvés dans la dette ferroviaire qui se chiffre en milliards et est un problème budgétaire majeur. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas le faire, ce n’est pas mon propos ni ma responsabilité, mais il faut regarder les choses de façon équilibrée. Les constructions de lignes TGV ne sont pas non plus neutres en matière de carbone. Il faut tout regarder. Les dépenses de sûreté, contre le terrorisme, sont considérables dans l’aviation, environ un milliard d’euros par an ; l’équivalent ne se retrouve pas dans les autres modes, et c’est entièrement acquitté, en France, par le transport aérien.

Quant aux lignes aidées d’aménagement du territoire, les lignes de désenclavement – Aurillac, Rodez, Castres… – représentent à peu près 5 millions par an. Nous espérons l’augmenter un peu car nous sommes très étriqués mais c’est cet ordre de grandeur là. Le reste de l’enveloppe concerne la Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, si je ne m’abuse, Wallis, et la desserte internationale de Strasbourg en raison du Parlement européen. Ce genre de service est absolument vital pour une partie des petites préfectures du sud de la France, notamment du Massif central, qui sont loin de Paris, et ne coûte pas très cher.

Je ne dis pas cela pour nier que le transport aérien bénéficie d’un certain nombre d’avantages fiscaux, mais chaque mode est aujourd’hui dans un type d’équilibre économique, et la question n’est pas de savoir s’il existe une équité entre les modes – je ne sais pas ce que cela veut dire – mais si nous voulons changer ces paramètres économiques pour réduire le nombre de passagers aériens, ce qui n’est pas sans conséquences. Et ce sont ces conséquences qu’il faut apprécier.

Mme Jennifer de Temmerman, présidente. Ce sera peut-être une remarque un peu provocatrice de ma part, mais vous ramenez toujours tout aux vols intérieurs. Est-ce à dire que vous n’avez pas de solution à proposer à l’international, qui est tout de même le cœur du problème qui nous intéresse ? Avez-vous engagé une réflexion au niveau des usages ? Comment faire face à la demande qui explose ? Comment limiter le temps perdu lors des atterrissages, par exemple ? J’aimerais recentrer le débat sur l’international.

Par ailleurs, vous avez évoqué le chiffre d’un milliard pour la recherche et le développement. Quelle part du budget cela représente-t-il ?

M. Patrick Gandil. Quand on parle de substituabilité et de politique de transport, c’est sur les vols intérieurs que l’on peut agir. Sur les vols internationaux, il n’y a pas de substituabilité possible. Aujourd’hui, Nantes-Bruxelles par le train, c’est au moins quatre heures, et Bruxelles est la ville européenne la plus accessible. L’accessibilité européenne par le train est trop longue et c’est pourquoi le mode aérien a été plébiscité et a connu une telle croissance. Sur les longues distances, le temps des paquebots est fini. Dans l’international, il n’y a donc pas de substituabilité possible. La question est de savoir s’il existe une pression économique pour aller vers moins, et c’est là un choix politique, mais on ne trouvera pas de réponse dans l’économique.

La croissance du trafic, les évolutions de la situation sécuritaire, le fait qu’aient été suspendues des facilités de la zone Schengen, que les contrôles de sûreté soient beaucoup plus exhaustifs en raison de l’antiterrorisme ont assez fortement dégradé la situation dans la plupart des grands pays. Cette dégradation n’a pas de coût particulier en termes de CO2. Cela occasionne des désagréments, qui nous désolent, pour les passagers aériens mais les réponses sont difficiles, elles passent par une augmentation du nombre de policiers.

M. Stéphane Cueille. Je souhaite dissiper le malentendu : la technologie sur laquelle nous travaillons concerne l’ensemble des vols. La discussion a beaucoup porté sur les vols intérieurs du fait de ce que vient d’expliquer Patrick Gandil.

La croissance du trafic aérien et la demande d’avions sont tirées essentiellement par des zones hors Europe, en particulier l’Asie du Sud-Est. La demande est dans ces pays-là, c’est donc leur politique qui compte. Nous avons la chance d’avoir une industrie capable de vendre à l’international et qui représente 17 milliards d’euros d’excédent commercial, ce qui n’est pas négligeable du point de vue budgétaire.

Nous travaillons sur l’ensemble du spectre des avions. Le régional est assez faible. Il pourrait être revitalisé par les nouvelles technologies qui le rendraient plus économique et écologiquement acceptable, mais le cœur du marché, ce sont les moyens et longs courriers.

Un milliard d’euros, c’est pour la recherche et technologie. Au-delà, il y a le développement des produits, qui coûte beaucoup plus cher. Si je prends l’exemple de Safran, le budget de recherche est, en autofinancement, c’est-à-dire hors subventions, de l’ordre de 460 millions en 2018 et tend vers plus de 600 millions en 2022, sur un chiffre d’affaires de quelque 20 milliards d’euros. C’est significatif. Si je rajoute le développement, c’est bien plus élevé. Nous sommes dans une industrie technologique et nous consentons un effort très important sur la technologie. Il est important d’intensifier l’effort dans l’hybridation car, à la fin des fins, l’efficacité énergétique sera fondamentale. Nous prenons largement notre part du fardeau pour répondre à ces enjeux.

Plus les avions vont loin, plus c’est technologiquement compliqué. Dans le futur, il pourra peut-être y avoir une petite part d’électrification sur les moyennes distances. Pour les longues distances, il faudra des révolutions technologiques pour que cela se produise. Cela signifie que nous allons trouver d’autres solutions : la forme de l’avion, peut-être de nouveaux types de carburant – l’hydrogène est compliqué car il pose des problèmes de stockage, pourquoi pas le gaz naturel ? Notre capacité à investir technologiquement est une part très importante de l’équation.

Mme Lorelei Limousin. Je constate que nous ne sommes pas d’accord sur les chiffres de subventions, il serait donc utile de les rendre publiques. Depuis 2012, on ne trouve plus ces données sur le site de la DGAC, ou bien nous ne parvenons pas à les trouver… Il me semble très important, pour vos travaux, que vous ayez un état des lieux des subventions publiques accordées au transport aérien, en particulier aux aéroports et aux compagnies aériennes. Vous avez souligné l’inéquité que cela peut créer entre les compagnies low cost et les compagnies classiques.

Je reviens sur le fait qu’il existe un lien entre la taxation du kérosène et l’efficacité énergétique. Le kérosène représente environ 20 % des charges ; si ce prix augmente, tout acteur économique cherchant à baisser ses charges, il cherchera dans ce cas à augmenter son efficacité énergétique. Nous voyons des différences entre compagnies aériennes en matière de performance énergétique : cela varie de 50 % entre la moins efficace et la plus efficace en termes de CO2 par passager-kilomètre. Il est donc important de souligner cette efficacité du signal-prix.

Notre solution porte aussi sur l’échelon international. Le Canada est en train de réfléchir à une taxation du carbone dans le transport aérien au niveau fédéral. Cela commencerait par une taxation au sein des provinces. Si nous préconisons, à très court terme, la mise en place d’une taxation des compagnies aériennes sur les vols de la France, nous préconisons aussi la taxation du kérosène. Le développement parallèle de ce qui se passe à l’étranger permettra de taxer aussi les vols internationaux et pas seulement les vols au niveau intra-européen, car la demande, vous l’avez tous souligné, va continuer à augmenter. Que d’autres parties du monde voient leur trafic augmenter ne devrait pas nous dissuader d’agir mais nous inciter au contraire à assumer nos responsabilités en tant que pays du Nord, pour avoir émis le gaz à effet de serre qui se trouve dans l’atmosphère, et à réduire ces émissions le plus tôt possible.

Vous avez posé une question sur les objectifs 2020 de performance énergétique. Je crois que c’est de l’ordre de 2 %. Depuis 2010, le taux d’amélioration de l’efficacité énergétique est de 1,1 %, selon une étude ICCT, dont les données sont disponibles en ligne. Je me demande donc si cet engagement volontaire sera atteint, sachant que c’est l’an prochain.

Mme Anne Bondiou-Clergerie. Les données sont assez faciles à obtenir puisqu’il s’agit de diviser la consommation par le nombre de passagers-kilomètres. Ce n’est donc pas un chiffre mystérieux, contrairement à celui de l’empreinte carbone, qui est complexe et impose de recourir à des modèles climatiques compliqués. Nos chiffres sont plutôt entre 1,5 % et 2 % que 1,1%, précédemment cité. Ce sont des chiffres publics de la communauté du transport aérien ; ils se trouvent sur les sites de l’IATA et du Groupe d’action pour le transport aérien – Air Transport Action Group (ATAG).

M. Louis Teodoro, chef du bureau « Environnement » de la direction générale de l’aviation civile (DGAC). Je confirme ce dernier chiffre. J’ai apporté une brochure que nous éditons annuellement avec le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA). Nous aboutissons à une amélioration d’efficacité de 1,7 % en moyenne annuelle depuis 2011, donc dans la fourchette entre 1,5 % et 2 %.

Par ailleurs, sur la tarification du CO2, il faut rappeler le dispositif européen, l’Emission Trading System (ETS), système d’échange de quotas d’émission qui existe depuis 2012 dans l’aviation, le seul mode de transport soumis à ce dispositif. Si le système a connu quelques petits soubresauts à ses débuts, nous sommes à présent dans une phase de développement. Les prix des quotas étaient encore relativement bas il y a deux ou trois ans, autour de cinq euros la tonne, mais ils sont aujourd’hui dans des fourchettes entre 22 et 25 euros la tonne. Dire que le CO2 n’est pas tarifé, n’est donc pas vrai dans l’intra-européen.

Mme Jennifer de Temmerman. Merci à tous.

L’audition s’achève à douze heures vingt-cinq.


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21.   Jeudi 7 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur les grands groupes du monde de l’énergie et la transition énergétique :
– M. Bruno Bensasson, directeur exécutif groupe en charge du pôle « énergies renouvelables » d’EDF et M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques ;
– M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur de la régulation d’Engie et Mme Mercedes Fauvel Bantos, déléguée aux relations avec le Parlement ;
– M. Laurent Fabre, délégué aux institutions publiques-France de PSA ;
– Mme Catherine Girard, experte énergie de la direction du « Plan environnement » de Renault et M. Nicolas Tcheng, chargé des relations avec le Parlement à la direction des affaires publiques ;
– M. Bertrand Deroubaix, conseiller auprès du président‑directeur général, directeur des affaires publiques du groupe Total et M. Damien Steffan, directeur délégué aux relations institutionnelles France ;
– M. Armand Laferrère, directeur des affaires publiques d’Orano.

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, merci de votre participation à cette table ronde matinale organisée dans le cadre des travaux de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique.

Je rappelle que cette mission d’information, créée en juillet 2018, a commencé ses travaux en septembre 2018 et a mené depuis une vingtaine d’auditions. Ouverte à la presse, elle est retransmise sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Nous recueillons vos préconisations, remarques, analyses et propositions mais, compte tenu du nombre d’intervenants, nous manquons parfois de temps pour approfondir la réflexion. C’est pourquoi nous avons mis en ligne, hier, sur le site de l’Assemblée nationale, une plateforme de contribution ouverte aux citoyens, associations, experts et professionnels. Vous pourrez y contribuer jusqu’au 17 avril prochain, notamment en complétant vos interventions de ce matin. Vous pourrez même voter, puisqu’elle permet aux citoyens non seulement de formuler leurs propositions et remarques, mais aussi d’exprimer leurs choix et de sélectionner. Ces contributions permettront d’alimenter le rapport qui sera fait par M. le rapporteur d’ici l’été 2019.

Vous pourrez vous exprimer durant cinq à sept minutes, avant un échange avec les parlementaires présents, M. le rapporteur et moi-même,

Pour cette première séquence de la matinée, nous accueillons : M. Bruno Bensasson, directeur exécutif groupe en charge du pôle « énergies renouvelables » d’EDF, et M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques ; M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur de la régulation d’Engie, et Mme Mercedes Fauvel Bantos, déléguée aux relations avec le Parlement ; M. Laurent Fabre, délégué aux institutions publiques France de PSA ; Mme Catherine Girard, experte énergie de la direction du « plan environnement » de Renault et M. Nicolas Tcheng, chargé des relations avec le Parlement ; M. Bertrand Deroubaix, conseiller auprès du président-directeur général, directeur des affaires publiques du groupe Total, M. Damien Steffan, directeur délégué aux relations institutionnelles France ; M. Armand Laferrère, directeur des affaires publiques d’Orano.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, bienvenue à toutes et tous. Je rappellerai d’abord que les travaux de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique sont articulés autour de sept thèmes : la vision du paysage énergétique de notre pays d’ici dix, vingt ou trente ans ; le développement des filières d’énergie renouvelable ; les mobilités ; les économies d’énergie ; le rôle des territoires ; la fiscalité ; les grands groupes.

Vous représentez tous de grands groupes opérant dans le secteur de l’énergie, et dont la transformation dans les décennies à venir sera une tâche vaste et compliquée. Votre fonctionnement actuel et les objectifs que vous visez peuvent être des freins. Jusqu’à présent, nous n’avons pas traité du nucléaire, nous concentrant sur l’abandon du pétrole, mais nous entendrons aujourd’hui le représentant d’une entreprise liée au nucléaire qui devra aussi envisager des transformations.

M. Bruno Bensasson, directeur exécutif groupe en charge du pôle énergies renouvelables d’EDF. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, si, depuis quelques années, des progrès importants ont été accomplis grâce au travail du législateur, et nous vous en remercions, de l’État et de l’administration, d’importantes avancées économiques ont également été réalisées par l’industrie avec la baisse spectaculaire des coûts de l’hydroélectricité, de l’éolien et du solaire, lesquels, monsieur le rapporteur, permettent de concevoir dès aujourd’hui et, a fortiori, d’ici trente ans, un mix énergétique et un mix électrique contenant de plus en plus d’énergies renouvelables.

Même si le système ne peut être aujourd’hui fondé sur les seules énergies renouvelables - vous avez cité le nucléaire qui a un rôle très important à jouer dans le mix du pays et dans le mix d’EDF -, en tant que premier acteur français des énergies renouvelables, nous nous sommes fixés pour ambition d’en doubler la puissance à travers le monde, avec singulièrement une accélération en France via l’éolien maritime et le solaire. Afin d’éviter ou de réduire les appréhensions, les incompréhensions, les tensions, il est normal de fixer un cadre et des limites, et quelques freins restent à lever dans les quatre énergies que sont l’éolien maritime, l’éolien terrestre, le solaire et l’hydroélectricité.

Concernant l’éolien maritime, du point de vue conjoncturel, nous espérons dans les semaines à venir voir purgés les premiers recours concernant l’appel d’offres dit « 1 », de 2012. Après sept ans, sous réserve de la sagesse du Conseil d’État, nous allons pouvoir engager nos premiers projets. C’était long mais c’est une bonne nouvelle. Déjà vient l’appel d’offres « 3 » de Dunkerque dont nous remettrons des offres d’ici quelques jours. Nous constatons que le cadre « régulatoire » a beaucoup progressé en sept ans. De notre point de vue, l’appel d’offres « 3 » fixe un cadre beaucoup plus agile et instruit que les précédents, et l’administration a appris de l’expérience des premiers appels d’offres. Il montrera l’ampleur des progrès économiques accomplis par l’éolien maritime et la plus grande place qu’il doit tenir dans la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) aujourd’hui en débat.

L’éolien terrestre, qui a également fait beaucoup de progrès, subit deux freins essentiels. En premier lieu, depuis un peu plus d’un an, il n’y a malheureusement plus en France d’autorité environnementale à même d’accorder des autorisations. Des solutions doivent être trouvées de manière urgente au niveau réglementaire ou législatif, sinon, d’ici trois ou quatre ans, nous aurons un blanc. En second lieu, un travail législatif et réglementaire doit être réalisé en vue de simplifier le repowering, c’est-à-dire la modernisation des parcs les plus anciens arrivés à la fin de leur durée de vie ou de leur tarif d’achat réglementé.

En ce qui concerne l’énergie solaire, pour laquelle de nombreux progrès ont aussi été réalisés, je ferai trois suggestions. D’abord, nous avons besoin de visibilité sur les appels d’offres régulièrement lancés par le ministère. Aujourd’hui, nous ne l’avons que jusqu’à juin prochain, ce qui est très insuffisant pour un industriel. Nous avons besoin de savoir dès maintenant ce que nous devrons déposer en décembre. Ensuite, s’il est normal de fixer des limites ou des cadres et de veiller à l’acceptation de nos productions d’énergie, nous avons besoin, pour satisfaire aux exigences de la PPE en production éolienne et solaire, c’est-à-dire pour multiplier par trois ou cinq la puissance installée en France, d’obtenir des aménagements sur la taille des champs solaires. Il y a de la place pour du petit, avec la toiture, et pour du moyen, mais nous pensons qu’il serait utile d’ouvrir, sous le contrôle de l’État, d’autres catégories, afin de créer des fermes de plus de 30 MWh, c’est-à-dire d’une surface au moins égale à 30 hectares. Un dialogue avec l’ensemble des parties, en particulier avec le monde agricole, nous paraît utile. Enfin, EDF est propriétaire d’une petite société, Photowatt, dans l’Isère, qui, avec 300 emplois, est une des dernières petites et moyennes entreprises (PME) fabriquant des panneaux solaires en France. Si, dans le cadre législatif et réglementaire communautaire et français, on pouvait veiller à ce que notre industrie persiste, voire prospère, en dépit de la concurrence internationale, ce serait très bien.

Je conclurai sur l’hydroélectricité. Il nous semblerait utile de soutenir non seulement la rénovation des petites installations jusqu’à 4,5 MWh, mais aussi des installations de taille moyenne, jusqu’à 30 MWh. La rénovation des installations anciennes par un soutien comparable à celui dont bénéficie l’éolien ou le solaire représente un enjeu important. Quant aux plus grosses installations, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a prévu la réalisation de travaux, en particulier sur deux cours d’eau, le Rhône et la Truyère – je m’exprime sous le contrôle de Mme Battistel. Quelques années plus tard, il serait utile que cela soit mis en œuvre.

M. Jean-Baptiste Séjourné, directeur de la régulation d’Engie. J’évoquerai la stratégie d’Engie et les freins à la transition énergétique.

Comme vous l’avez lu, Engie a présenté récemment sa stratégie pour les trois ans à venir, de 2019 à 2021. Au cours des trois années écoulées, l’entreprise a déjà inscrit la transition énergétique au cœur de sa stratégie pour en faire un groupe bien différent de ce qu’il était en 2016. Il s’est focalisé sur trois grands domaines : l’efficacité énergétique – la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas –, les énergies renouvelables – électricité, gaz, chaleur – et le gaz dans nos activités d’infrastructure. Nous avons développé une stratégie articulée autour de trois grandes orientations, dites « 3D » : décarbonation, digitalisation et décentralisation. Nous avons ainsi renoué avec la croissance organique.

Pour la nouvelle période qui démarre en 2019, nous entendons demeurer à l’avant de la vague de la transition énergétique. Les « 3D » restent d’actualité. La décarbonation et la digitalisation se poursuivent au même rythme soutenu, tandis que la décentralisation accélère, parce que les collectivités territoriales et les entreprises industrielles doivent répondre à l’urgence climatique et à l’impératif « zéro carbone ». Alors que, dans le passé, la transition énergétique était poussée par les États, elle est tirée aujourd’hui par les collectivités territoriales et les entreprises, sous l’impulsion des citoyens et des clients qui font monter la pression. D’ailleurs, la consultation que vous évoquiez y participe.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Depuis hier, nous avons déjà reçu 200 contributions sur la plateforme !

M. Jean-Baptiste Séjourné. Dès lors, ces collectivités territoriales et ces entreprises industrielles se trouvent en première ligne pour répondre au défi climatique. Elles ont besoin d’offres pour traiter du mieux possible ces problématiques. Engie souhaite se positionner pour apporter des réponses en matière de solutions intégrées de transition « zéro carbone ». Il s’agit de procéder à une analyse fine des besoins des clients afin de remettre à plat les usages de l’énergie pour réduire drastiquement les consommations, puis de remplacer les équipements anciens par des équipements intelligents et sobres et alimenter l’ensemble avec de l’énergie décarbonée sur la base de leur profil de consommation. Bien entendu, le financement est un élément-clé. Cela doit se faire à un prix compétitif pour être acceptable par le client, ce qui mobilise beaucoup de compétences en matière de dialogue stratégique avec les clients, de conception, d’ingénierie, de construction d’actifs sobres en énergie ou de big data, à travers des plateformes numériques.

C’est un axe sur lequel nous entendons nous positionner fortement. Nous pensons avoir la légitimité et les atouts pour ce faire car, entre 2012 et 2018, nous avons réduit par deux nos émissions de CO2 et, en direction des clients, nous avons développé 1,5 million d’offres de fourniture d’électricité verte. Cela nécessite d’avoir, au niveau de l’ADN de l’entreprise, à la fois la capacité à maîtriser des infrastructures de production d’électricité renouvelable et des solutions clients auprès desquels nous très présents, avec 100 000 techniciens sur site dans le monde, dont 40 000 en France. Nous allons rapprocher les solutions clients des infrastructures et les infrastructures des clients. Ces activités à haute valeur ajoutée sont attendues par les collectivités territoriales et les entreprises. Dans les trois années à venir, nous irons donc, avec les territoires et les clients plus dynamiques, vers une transition énergétique que nous qualifions de compétitive.

Pour ce qui est des freins, je citerai le manque d’ambition et le frein administratif à la dynamique de développement.

Si l’ambition est présente dans la PPE pour l’éolien terrestre et le photovoltaïque, comme l’a dit Bruno Bensasson, ce n’est pas le cas pour l’éolien maritime. Nous pensons qu’eu égard à la compétitivité de la filière de l’éolien posé, les volumes sont insuffisants. Si l’on veut assurer à la France une place de leader dans l’éolien flottant, il convient d’augmenter les volumes.

Nous croyons beaucoup au biométhane et au biogaz qui présentent de nombreux atouts pour le monde agricole. Dans ce domaine, il y a clairement un manque d’ambition, puisque celle-ci est même en retrait par rapport à la loi de transition énergétique. La trajectoire de coût est irréaliste et se situe à un niveau qui n’a jamais été demandé à d’autres énergies renouvelables. La mise en place des appels d’offres est à la fois prématurée et assortie de seuils mal calés.

Dans le domaine de l’efficacité énergétique, nous comprenons mal la réduction de l’objectif de consommation d’énergie finale par rapport à l’objectif de la loi de transition énergétique. L’acceptabilité des factures d’énergie payées par les consommateurs français passe principalement par une amélioration substantielle de l’efficacité énergétique dans toutes les énergies : chaleur, gaz et électricité. Nous ne comprenons donc pas ce recul de l’ambition.

Quant aux freins administratifs, nous attendons un cadre réglementaire stable, des mécanismes de soutien prévisibles, une visibilité à moyen et long terme sur les volumes et sur les calendriers d’appels d’offres par filière, ainsi que des simplifications des procédures pour atteindre des rythmes de développement comparables à ceux des meilleurs pays européens. Or nous en sommes loin.

Je conclurai sur une note d’optimisme. Nous allons dans la bonne direction avec les groupes de travail de M. Lecornu et de Mme Wargon, au travers de la loi d’août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) que vous avez votée. Nous ne sommes pas encore au niveau souhaité, mais la méthode est bonne. Les professionnels connaissent ce sur quoi il faut agir aux niveaux législatif et réglementaire. Un cadre simplifié, favorable au développement des énergies renouvelables (ENR) commence à être mis en place. La levée des freins est possible si l’on s’y engage. C’est une condition d’autant plus importante que, au‑delà du développement des énergies, eu égard à l’ambition de développer en France une filière industrielle des ENR, si on ne réussit pas le premier point, on sera incapable de réussir le second.

M. Laurent Fabre, délégué institutions publiques France de PSA. Nous sommes, bien sûr, un constructeur d’automobiles mais nous sommes aussi un opérateur de mobilités. Notre travail de tous les jours, c’est de garantir la liberté de mouvement des Françaises et des Français à un prix absorbable par le marché.

Nous sommes profondément inscrits dans la mobilité durable. Depuis douze ans, nous sommes dans le « top 3 » des constructeurs européens en termes d’émission de CO2, sur un marché particulièrement réglementé et complexe. Nos ingénieurs expriment tout leur potentiel pour mettre sur le marché les solutions techniquement les plus optimisées et, je le répète, absorbables par le marché.

Concernant la transition énergétique, notre stratégie est simple, elle est basée sur les usages. Nous développons une stratégie complémentaire. À l’horizon 2030, les études du Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE) prévoient 30 % de mix énergétique pour les véhicules propres, dont environ deux tiers pour les véhicules électriques et 10 % pour les véhicules hybrides à essence rechargeables. Nous croyons que le moteur thermique a encore un rôle à jouer. Nous continuons à optimiser les moteurs thermiques à essence. Cette stratégie complémentaire vise à mettre sur le marché, à partir du mois de septembre, des modèles hybrides à essence rechargeables puis électriques. Il faut répondre aux usages de nos concitoyens. Le tout-électrique ne suffit pas, car son autonomie reste aujourd’hui limitée. C’est pourquoi nous croyons beaucoup, chez PSA, à la solution hybride essence rechargeable. Nous pensons que les solutions diesel, en particulier pour les flottes et les consommateurs finaux, vont progressivement basculer vers des solutions hybrides essence rechargeables.

J’en viens aux freins.

Il faut garantir la liberté de mouvement à prix raisonnable pour nos concitoyens. Nous devons travailler avec l’État afin de co-construire des solutions à prix abordables. Nous comptons beaucoup sur le soutien de l’État pour avoir une visibilité sur les éléments incitatifs de type bonus pour les véhicules électriques et les véhicules hybrides essence rechargeables. Notre ambition est de mettre sur le marché des solutions de mobilité qui soient à iso-coût total de possession par rapport aux véhicules thermiques. Notre ambition est de raisonner en loyers. Le coût de possession, c’est le loyer plus les usages. Le surcoût est aujourd’hui de l’ordre de 5 000 euros pour les véhicules hybrides essence rechargeables et de 10 000 euros pour un véhicule électrique par rapport à une voiture thermique équivalente. Il faudra donc raisonner en loyer et proposer aux Français des solutions « à iso-loyer » comparées aux solutions thermiques. Pour ce faire, les constructeurs font des efforts, ils s’engagent à absorber une partie du surcoût technologique. Les concessionnaires feront aussi des efforts. L’accompagnement de l’État, en proposant des bonus sur les véhicules électriques et en réintroduisant un bonus sur les véhicules hybrides à essence rechargeables à partir de 2020, est essentiel. Il est essentiel d’avoir une visibilité à un horizon pluriannuel.

Un autre frein est le maillage du territoire, à la fois quantitatif et qualitatif, par les bornes. Le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) traitera en partie ce point.

En outre, la transition doit s’opérer à un rythme raisonnable, parce que nous adaptons progressivement nos structures industrielles. La valeur ajoutée directe affectée à une solution électrique ou plug-in hybrid electric vehicle (PHEV) par rapport à une solution thermique est d’environ 30 % inférieure. Si l’on n’y prend pas garde et si le switch s’effectue brutalement, il y aura des impacts sociaux. Le switch entre le véhicule thermique et les solutions électriques ou hybrides à essence rechargeables ne se décrète pas, il doit être souhaité par les consommateurs. Il faudra donc lever les freins psychologiques, les freins à l’usage, lancer des campagnes de communication massive associant l’État et les constructeurs automobiles.

Il importe de maintenir la neutralité technologique. Raisonnons collectivement en termes d’usages. Les moteurs thermiques ont encore une place, les moteurs full electric ont une place, les motorisations PHEV ont aussi leur place. C’est en mixant toutes ces solutions que l’on obtiendra une transition énergétique aux impacts sociaux limités, absorbable par le marché et de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Mme Catherine Girard, experte énergie de la direction du « Plan environnement » de Renault. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de nous fournir l’occasion de nous exprimer sur ce sujet important.

Renault s’est pleinement engagé dans le développement du véhicule propre qu’il conçoit électrique depuis maintenant une dizaine d’années. Aujourd’hui, en Europe, un véhicule électrique vendu sur cinq est une Zoe. Les constructeurs et l’ensemble de la filière sont maintenant tournés vers l’avenir. Ils ont intégré le caractère ambitieux des objectifs « climat » de la France à horizon 2040 et de la trajectoire de baisse des émissions de CO2 à l’horizon 2030, initiée par la Commission européenne. Nous les avons intégrés dans notre feuille de route parce que le véhicule électrique est une réponse immédiate à des enjeux climat centraux, à condition que l’écosystème correspondant soit mis en place. Cela suppose d’identifier les freins sur lesquels nous devons agir collectivement pour assurer le développement constant du marché du véhicule électrique et surtout de s’assurer de la mise en cohérence entre le court terme, le moyen terme et le long terme.

Les freins sont aujourd’hui de deux natures, dont certains ont déjà été indiqués par mon collègue de PSA.

Les freins de nature technologique sont largement dans notre cour. Aujourd’hui, les constructeurs investissent beaucoup sur l’amélioration de l’autonomie et du temps de charge. Ces éléments sont extrêmement importants dès lors que l’on veut vendre un véhicule à des consommateurs attentifs à ces deux points. Notre volonté est de proposer un portefeuille de véhicules élargi, qui permette à chacun de trouver le modèle répondant à son usage.

Nous poursuivons également nos investissements en vue d’une évolution des coûts. Nous profitons de notre expérience pour baisser les coûts, car un écart subsiste entre le coût d’un véhicule électrique et celui d’un véhicule thermique. C’est pourquoi le maintien durable d’un bonus écologique de 6 000 euros est une condition sine qua non au maintien de la dynamique du marché électrique. Garder cette visibilité à moyen terme est également un élément important. Rappelons que Renault est clairement positionné sur un véhicule électrique abordable.

Le second type de frein est lié à l’usage. Trois enjeux sont clairement définis.

Le premier est d’assurer le développement en termes de nombres et d’évolution spatiale des bornes de recharge publiques en voirie, dans les commerces, dans les parkings, les aéroports, les gares. Il faut assurer une cohérence territoriale optimisée pour obtenir une cohérence territoriale de la distribution des points de charge, sans oublier les points de charge rapide, lorsque cela le nécessite, sur des axes de voies rapides ou autoroutiers.

Le deuxième enjeu, c’est la notion de qualité. Ce n’est pas un vain mot, car il faut faire de la pédagogie auprès des usagers ou des futurs usagers, les rassurer, être attentif à l’accessibilité des points de charge publics, à la signalisation, à la maintenance et à l’adaptation aux changements technologiques.

Le troisième enjeu lié à l’usage concerne la simplification et la clarification du droit à la prise. L’obtenir dans le cadre d’une copropriété relève aujourd’hui du parcours du combattant. Il est essentiel d’accompagner les demandes collectives.

Sur ces sujets, nous avons proposé aux députés un certain nombre de mesures dans le cadre du projet de loi LOM.

Parallèlement, nous continuons à investir et à développer nos expérimentations dans les domaines de la charge intelligente, ou smart charging, de la réutilisation des batteries et des batteries de seconde vie, du stockage de l’énergie et des énergies renouvelables au travers d’un certain nombre de projets. C’est le cas de la mise en place, à Belle-Île-en-mer, d’un écosystème électrique intelligent visant à créer une dynamique vertueuse autour de l’électrique. En ce sens, le véhicule électrique est une aide incontournable à la transition énergétique dans sa multiplicité des usages tout au long de son cycle de vie, en même temps qu’un soutien au développement des énergies renouvelables.

Je conclurai en citant deux chiffres. L’essor du véhicule électrique, c’est aujourd’hui + 45 % en Europe et + 27 % en France. On part d’assez bas, et tout reste à construire. En tant que constructeur, nous sommes un maillon de la chaîne, mais nous voulons aussi être un acteur de l’écosystème global. Nos efforts doivent être poursuivis. Privé et public, nous devons travailler en partenariat, parce que nous avons besoin de cohérence. Nous avons besoin que l’État porte un discours pérenne et nous aide à mettre en place un écosystème favorable pour faire de la France un pôle d’excellence du véhicule électrique. De grands défis s’offrent à nous mais aussi de belles opportunités. Sachons les saisir et maintenons nos efforts conjoints pour assurer une trajectoire bas carbone optimisée.

M. Bertrand Deroubaix, conseiller auprès du président-directeur général, directeur des affaires publiques du groupe Total. Puisque vous nous demandez à la fois de parler des freins et d’exprimer le point de vue des grands groupes, je rappellerai d’abord que Total est une entreprise mondiale, active dans 130 pays et dans toutes les formes d’énergie sauf deux : le charbon, que nous avons quitté récemment, et le nucléaire, pour lequel nous avons cédé nos activités, il y a plusieurs décennies, à la Compagnie générale des matières nucléaires (COGEMA).

Depuis plusieurs années, Total intègre le scénario « 2 degrés » dans sa stratégie d’investissement de court, moyen et long terme. C’est peut-être moins connu, mais nous produisons mondialement davantage de gaz que de pétrole. On nous qualifie toujours de société pétrolière, mais nous préférerions être reconnus comme une société gazière, pétrolière et active dans l’électricité bas carbone. Nous sommes également très actifs dans le solaire et l’éolien. Comme chacun le sait sans cette salle, nous le serons peut-être prochainement en France dans l’hydraulique. Nous sommes également très actifs dans le stockage d’énergie.

Les batteries représentent un point central du secteur de l’automobile. Nous avons acquis, il y a quelques années, la société Saft, un des leaders du domaine. On parle beaucoup de développer des solutions de batteries européennes, ce qui n’est pas évident de notre point de vue, même si nous avons la volonté forte de nous développer dans ce domaine.

Total est donc entièrement engagé dans la transition énergétique, au niveau français, au niveau mondial et au niveau européen.

L’étude des évolutions montre que toutes les formes d’énergie resteront présentes durant des dizaines d’années, y compris en France. Pour certaines activités, comme le transport aérien, le transport maritime et des industries telles que les cimenteries, la sidérurgie ou la pétrochimie, les chercheurs ne voient pas, pour les années qui viennent, d’autre solution à l’échelle industrielle que le pétrole. Quoi qu’on en pense, et nous pensons que la diminution du recours au pétrole est une bonne chose, on ne le voit pas disparaître avant assez longtemps.

Concernant les freins, je ne reviendrai pas sur le problème des coûts, pour les citoyens mais aussi pour l’État, dont on a déjà parlé. J’entends dire que l’État doit attribuer des subventions, mais tout le monde sait bien que ce n’est pas si évident.

Le point qui nous paraît essentiel, c’est la progressivité. Il convient certes d’avoir des objectifs ambitieux et clairs mais, paradoxalement, il faut aller assez vite pour être efficace et pas trop pour ne pas braquer tout le monde. La vitesse peut être un frein si l’on se heurte à des ensembles, des corporations ou des citoyens qui ne peuvent pas suivre et qui sont brutalisés dans leur vie. Il y a un rythme à trouver. Je ne dis pas qu’il faut aller lentement, mais que la brutalité peut être contre-productive.

J’en viens aux accélérateurs possibles.

Le premier, ce sont les économies d’énergie. C’est pour nous le gisement évident, notamment dans le bâtiment. La meilleure énergie est bien celle qu’on ne consomme pas.

Le deuxième exemple, qui n’a pas été cité, ce sont les biocarburants. Ils économisent environ 50 % des émissions de CO2 par rapport aux carburants fossiles historiques. Nous pensons qu’il y en Europe, notamment en France, un vrai champ pour le développement des biocarburants, soit à base d’éthanol, pour l’essence, soit à base de biodiesel ou d’huile végétale, pour le diesel, car il y aura encore du diesel en France pour un petit moment.

J’ajouterai le travail sur les puits de carbone, dont on parle peu en France mais beaucoup dans le monde et même en Europe. Il s’agit non seulement des solutions naturelles – espaces verts, forêts ou zones humides – mais aussi de la possibilité d’injecter du CO2 dans des structures souterraines. Nous y sommes assez engagés avec plusieurs de nos confrères, notamment en Norvège où nous réalisons d’importantes expérimentations à taille réelle. C’est une autre voie pour diminuer significativement les émissions de CO2 dans les décennies qui viennent.

J’évoquerai enfin quelques sujets qui peuvent être des freins ou des accélérateurs selon la façon dont on les utilise Je ne m’étendrai pas sur la stabilité des règles dont on a déjà amplement parlé. Quand une règle change tout le temps, les acteurs individuels, collectifs ou les entreprises, perdent confiance, et il n’y a plus de visibilité. Certes, il faut s’adapter parce que la société bouge. Comme pour la vitesse, il ne faut pas ne jamais rien changer, mais changer constamment est néfaste.

Tout cela doit être traité dans le cadre d’une dynamique européenne et dans un contexte européen. Nous sommes en Europe, il y a encore des frontières, mais plus tellement. L’Europe est le cadre adéquat. Elle doit nous aider, mais aussi nous protéger. Nous sommes nombreux à être motivés, y compris plusieurs autour de cette table, pour produire des batteries européennes pour les voitures électriques. Encore faut-il que nous ayons un minimum d’instruments de défense contre les batteries asiatiques, notamment chinoises, qui ne manqueront pas de nous envahir, comme cela a été le cas pour les panneaux solaires, si nous restons centrés sur la libre concurrence et le marché totalement ouvert.

Nous pensons qu’il faut mettre en place un système de tarification du carbone, au minimum à l’échelle européenne, car le faire à l’échelle d’un seul pays n’aurait aucun sens, avec un prix plancher du CO2. Nous avons émis l’idée que ce prix plancher ne soit pas inférieur à 20 euros par tonne. Ce chiffre à un intérêt économique mais c’est aussi un signal pour inciter les acteurs à évoluer. Nous militons pour que ce signal soit envoyé à l’ensemble des acteurs de l’énergie.

Enfin, le fait d’être un frein ou un accélérateur est aussi une question d’acceptabilité sociale, non seulement par les citoyens – nous en voyons quotidiennement la nécessité à la télévision – mais aussi par les professionnels. Nous pensons que les professionnels peuvent être un frein s’ils sont brutalisés et un moteur s’ils sont engagés et si l’on a pu convenir avec eux d’une trajectoire.

M. Armand Laferrère, directeur des affaires publiques d’Orano. Orano est la société en charge du cycle nucléaire en France et pour les exportations françaises. Ce n’est donc plus exactement Areva, puisque toute la partie service aux réacteurs est assurée par une filiale d’EDF, sous le nom de Framatome. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons changé de nom.

En tant que responsable du cycle nucléaire, les objectifs de la transition environnementale, c’est-à-dire la décarbonation et la responsabilité environnementale en matière d’électricité, font partie de notre ADN depuis des décennies. Nous n’assurons qu’une partie de la production énergétique, nous avons quelques applications non électriques, qui représentent une très faible partie de notre activité générale.

La France doit sa faible empreinte carbone à l’électricité nucléaire. Ce résultat issu du passé doit être préservé et accentué dans la transition énergique. Nous partageons ses objectifs, puisqu’ils étaient les nôtres avant même qu’elle soit engagée. Il s’agit maintenant de préparer l’avenir.

Nous avons agi en interne, car fournir à la France une électricité sans CO2 ne nous dispense pas de travailler sur nos propres process industriels. Nous avons réduit notre consommation électrique par un changement technologique essentiel. Nous avons ainsi libéré l’équivalent de deux centrales nucléaires pour le reste de la France en passant, au début de cette décennie, d’un enrichissement par diffusion gazeuse à un enrichissement par centrifugeuse. Nous continuons à faire en sorte que l’industrie du cycle nucléaire soit de plus en plus environnementalement responsable en réduisant radicalement les effluents et en rendant les usages et les pratiques industrielles plus efficients. Nous sommes à la pointe de la digitalisation. On ne travaille plus du tout dans une usine du cycle à La Hague ou à Melox comme il y a quinze ans. Nous poursuivrons cet effort qui nous permet d’améliorer nos propres résultats environnementaux en plus de ce que nous faisons pour la communauté.

Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, nous devons nous adapter à un mix énergétique dans lequel du « sans CO2 » sera remplacé par du « sans CO2 », c’est-à-dire comportant plus de renouvelable et moins de nucléaire, sans perdre les avantages de la situation actuelle.

Nous avons un programme précis, qui a représenté une part importante du travail interministériel de préparation de la PPE, visant à garantir que les usines du cycle nucléaire continuent à avoir une charge compatible avec leur viabilité dans la situation post-2035, avec un nucléaire constituant 50 % du mix électrique, au lieu de 75 % aujourd’hui. Cela implique des changements fondamentaux. Nous travaillons avec EDF sur le « moxage » de certains réacteurs de 1 300 MWh afin que la charge perdue par la fermeture de certains réacteurs de 900 MWh soit en partie retrouvée ou, du moins, soit compensée pour nous maintenir au‑dessus du seuil de viabilité à long terme. Nous sommes déterminés à faire en sorte que la réduction de la part du nucléaire se fasse bien, c’est-à-dire sans perdre l’avantage d’une électricité de base décarbonée et sans perdre l’avantage environnemental du cycle fermé qui fait que la France, contrairement à la plupart des grands pays industriels, a une solution à plusieurs millénaires pour le traitement des déchets ultimes du cycle nucléaire.

Il faut aussi prévoir la nouvelle situation post-2035 avec une électricité nucléaire constituant 50 % du mix électrique, l’électrification des usages, beaucoup plus d’énergies renouvelables, et faire en sorte qu’elle n’ait pas d’effet pervers.

Cela signifie qu’il faudra répondre aux pics de demandes liés à l’électrification des usages. Le développement rapide des véhicules électriques, auquel nous croyons beaucoup, entraînera inéluctablement des pics de demandes pour le rechargement, à des moments où le soleil ne brillera pas et où personne ne pourra garantir que le vent sera en train de souffler. Avoir une énergie de base décarbonée est un élément essentiel de la stratégie à long terme : cela évitera d’avoir recours à une production d’électricité émettrice de CO2 lorsque les renouvelables intermittents ne fonctionneront pas.

Il faut aussi, parce que c’est un obstacle simple à la transition énergétique, maintenir certaines activités qui apportent un solde commercial positif à la France et qui maintiennent ses compétences. Les pays qui ont moins d’argent et moins de compétences ont également moins de marges pour mettre en place une transition énergétique. Le nucléaire, pas seulement Orano mais l’ensemble de la filière, est une activité made in France qui contribue, bon an, mal an, pour 6 milliards d’euros à la balance commerciale française. Il faut préserver cela afin de disposer de ressources suffisantes pour faire autre chose.

Enfin, au-delà des enjeux propres à Orano, il convient de maintenir une approche responsable de la fin de cycle : cela est essentiel pour l’avenir de la transition énergétique et de la France. La France a opté pour une stratégie de fin de cycle qui permet de résoudre le problème pour des dizaines de millénaires, notamment grâce à ce que font nos amis de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) pour le projet de centre industriel de stockage géologique (CIGEO). Nous fournissons des déchets ultimes sous une forme manipulable, moins active et enterrable. Toute remise en cause de ce système créerait des hangars remplis de déchets nucléaires dont on ne saurait que faire pendant des siècles, détériorerait la situation environnementale de la France et créerait un risque pour les générations futures.

M. le président Julien Dive. Merci à tous pour vos interventions. Nous en venons au temps d’échange avec les parlementaires.

Je voudrais interroger les deux constructeurs, Renault et PSA, ainsi que le groupe Total, sur une solution à même de contribuer au mix énergétique, à savoir l’éthanol et le super éthanol. Vous avez peu abordé le sujet. En 2018, l’engouement des Français pour le super éthanol a fortement augmenté, avec une consommation en hausse de 55 % de consommation, mais il y a peu d’offres de véhicules en série sur le marché français. Récemment un constructeur étranger a annoncé qu’il allait commercialiser un véhicule éthanol sur le marché français. En attendant, l’unique solution est l’installation d’un boîtier en seconde monte, car les concessions des deux constructeurs français ne proposent pas de véhicules au super éthanol. Pourtant, ce carburant émet moins de CO2, peut être made in France, et est avantageux pour le pouvoir d’achat des ménages, puisqu’il est deux à trois fois moins cher qu’un carburant classique super ou diesel.

Parallèlement, le groupe allemand Südzucker a annoncé, il y a dix jours, la fermeture de sites sucriers en France, qui produisent non seulement du sucre mais de l’éthanol, avec des moyens performants. Ce choix du groupe n’appelle pas de commentaire particulier de ma part, puisqu’un travail au sujet de ce groupe allemand est mené par les parlementaires et par le Gouvernement, mais j’aimerais connaître l’avis de Total sur la possibilité de fabriquer de l’éthanol en France.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dans leur approche industrielle des nouvelles énergies, les grands groupes semblent être tentés de répliquer les modèles des anciennes énergies avec une tendance au gigantisme. Il faudrait, selon eux, faire d’immenses parcs de panneaux photovoltaïques, au risque de se heurter au risque d’empiètement sur les surfaces agricoles alimentaires disponibles. De même, on voit de grands groupes proposer de gros projets exigeant une alimentation des méthaniseurs sur des périmètres de biomasse très éloignés, largement au-delà de 30 ou 40 kilomètres. Concernant les biocarburants, on est tenté d’aller chercher de l’huile de palme industrielle ailleurs plutôt que de se fournir localement. Cette tendance à faire du grand peut aller à l’encontre de l’effet recherché et du modèle plus décentralisé, plus local qui commence à émerger.

M. Bruno Bensasson. Monsieur le rapporteur, je dirai, pour vous rassurer que, même si nous sommes un grand groupe, nous travaillons avec des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des PME et nous réalisons à la fois de très grands projets et des tout petits. Dans mon introduction, à propos du solaire, j’ai cité à la fois des objets qui peuvent paraître grands et des toitures individuelles. Avec notre activité commerciale, nous sommes le leader du marché des toitures solaires. Il y a de la place pour le grand et pour le petit. Tout dépend des besoins de la société, des collectivités, des entreprises, des ménages. La question du coût est importante. Le local et petit est tantôt moins cher et tantôt plus cher. La transition énergétique, effort consenti pour les générations les plus jeunes et les générations suivantes, a un coût. Mérite-t-elle d’y consacrer 20, 50 ou 100 euros par tonne de CO2 ? La question se pose à nous tous. Le coût est un élément important de l’acceptabilité.

S’agissant de l’électricité renouvelable, en particulier du solaire, il reste une grande place pour les toitures commerciales et individuelles, mais si nous voulons multiplier par cinq la puissance installée à l’horizon 2028, pour atteindre 40 GWh, il faudra envisager autre chose. Un parc de 30 MWh représente 30 hectares, soit environ 500 mètres sur 500 mètres. Sous votre contrôle, je ne qualifierai pas cela de gigantesque… Les 40 000 MWh figurant dans la PPE proposée par le Gouvernement représentent 40 000 hectares. Cela peut sembler beaucoup, mais l’espace agricole total est de 30 millions d’hectares et l’espace agricole non cultivé est de 2 ou 3 millions d’hectares. Les 40 000 hectares en question sont commensurables. Il y a une large place pour des objets de taille petite, de taille moyenne, peut-être plus grands, à condition de travailler en concertation, en choisissant les bons projets, pour prévenir, éviter, réduire les incompréhensions et les oppositions que les énergies renouvelables, biocarburants et éoliennes, ont pu connaître à leur début.

M. Jean-Baptiste Séjourné. Dans le mouvement de décentralisation que j’évoquais précédemment, nous voyons monter de la part des clients, collectivités territoriales ou industriels, le besoin de développer sur leur territoire des infrastructures complexes et variées, avec du chaud et du froid à travers des réseaux et des renouvelables sur sites, de la cogénération, de l’électricité, de l’éclairage public, des stations de recharge pour la mobilité électrique, et nous nous préparons à y répondre. Nous pensons également qu’au-delà des garanties d’origine, les clients souhaiteront de plus en plus signer des contrats de long terme, du type green power purchase agreement, afin de savoir avec quels actifs renouvelables et avec quels actifs thermiques ils seront alimentés. De ce fait, avec le développement du biogaz et du biométhane, nous voyons un intérêt à rapprocher de plus en plus des territoires nos infrastructures de réseaux de distribution et de transport de gaz. Le droit à l’injection qui a été voté est un élément essentiel pour accélérer cette dynamique. Il y aura toujours des appels d’offres pour l’éolien en mer, il y aura toujours un certain nombre d’activités, mais nous voyons évoluer ce type de projets dans les trois prochaines années.

M. Laurent Fabre. La question de M. le rapporteur fait penser à l’hydrogène. Nous commençons à travailler sur des véhicules utilitaires à hydrogène et, avec certains acteurs représentés autour de la table, à la production et à la distribution d’hydrogène vert correspondant à certains usages de véhicules utilitaires.

M. le président Julien Dive. Quel est votre point de vue au sujet de l’éthanol ?

M. Laurent Fabre. Nous observons avec toute l’attention nécessaire le mouvement qui se dessine. Nous sommes hostiles aux boîtiers de seconde monte pour des raisons de sécurité et de réglage des véhicules. Nous n’avons pas décidé développer des solutions éthanol, tout simplement parce que nous ne pouvons pas tout faire. La transition énergétique nécessite des investissements massifs, chiffrables en milliards d’euros, à l’horizon 2016-2023, et nous sommes concentrés sur cette feuille de route. Si un mouvement de fond se dessine et si nous estimons qu’il y a un marché, nous irons.

M. le président Julien Dive. Il y a tout de même un marché !

M. Laurent Fabre. Nous verrons. On est toujours prudent dans l’automobile.

Mme Catherine Girard. Renault a développé des véhicules de ce type, pendant quelques années.

M. le président Julien Dive. Plutôt Dacia, me semble-t-il ?

Mme Catherine Girard. Non, Renault.

Il a arrêté son offre faute de demande et parce qu’à un moment donné la sévérité renforcée de la réglementation avait pour effet un investissement technologique complémentaire alourdissant le coût des véhicules. Nous étions pris en tenaille entre une demande insuffisante et un coût en augmentation. Depuis un an, la baisse du prix du pétrole a notablement modifié le rapport coût-avantage. Mais cela va-t-il se maintenir ? Les contraintes budgétaires sont telles qu’il faut être vigilant sur un avantage qui pourrait ne pas durer.

Nous sommes très vigilants aussi sur la mise en place de boîtiers, car nos véhicules ne sont pas adaptés, et nous commençons à identifier des effets secondaires et des risques. Ce n’est pas si simple, il faut adapter les véhicules, ce qui représente un investissement lourd.

Vous l’avez dit, c’est une solution très franco-française. Développer des véhicules spécifiques à ce carburant suppose un engagement et de la visibilité à moyen et long terme, parce que l’on peut investir sur tout dans le même temps. Ce n’est pas une adaptation technologique légère. En outre, ces biocarburants de première génération sont issus de plantes habituellement cultivées à des fins alimentaires. Il faut aussi avoir de la visibilité sur les solutions qui, à moyen terme, n’entreront plus en concurrence avec l’alimentaire. Nous n’affichons pas un non catégorique mais, quel que soit le choix d’investissement, il nous faut de la visibilité et de la clarté. Or nous n’avons pas les éléments nécessaires pour ce faire.

M. le président Julien Dive. Puisque le boîtier de seconde monte remet en question la garantie de la motorisation, pourquoi les constructeurs ne sont-ils pas prêts à s’engager résolument dans cette voie, comme vous le faites pour l’électrique et comme d’autres le font pour l’hydrogène qui présente des risques au moins comparables à ceux de l’éthanol, produit franco-français ? De nombreux citoyens qui envisagent d’acheter un véhicule à l’éthanol ou au super éthanol n’en trouvent pas de de série sur le marché et veulent installer ce boîtier qui, vous venez de le dire, n’est pas sans risque pour le moteur. Le prix du litre de E85, de 70 centimes, est inférieur. Certes, il risque d’évoluer s’il y a davantage de consommateurs, mais il est bon de connaître le point de vue de nos constructeurs sur le sujet.

En revanche, je ne peux entendre l’argument de la concurrence avec l’alimentaire. Une sucrerie qui fabrique de l’éthanol dédié au carburant le fait à partir de résidus non dédiés à l’alimentaire. De nombreux process précèdent la fabrication d’un éthanol dédié aux carburants.

Mme Catherine Girard. Nous suivons attentivement la directive européenne « RED 2 » qui définit la trajectoire des biocarburants de première, deuxième et troisième générations. En termes d’émissions, des positions sur les biocarburants de première génération avaient évolué au cours du temps, avec même certaines volte-face. Je partage vos arguments, mais avant de nous engager dans des investissements, nous sommes attentifs aux directives et à la législation.

M. Bertrand Deroubaix. En moins de dix ans, le nombre de stations de notre groupe et de nos concurrents délivrant de l’E85 en France a triplé. Elles sont presque un millier et leur nombre augmente chaque année. Le volume vendu a aussi été multiplié par trois. Avec un peu plus de 1 % des ventes d’essence, il reste un carburant de deuxième ordre, mais on constate une dynamique de marché qui n’existe pas pour d’autres.

J’ai entendu votre remarque relative aux biocarburants diesel, qui visait probablement notre usine de La Mède. Nous pensons que pour être pérenne, une usine doit être durablement profitable. Nous ne faisons pas de grosses usines par plaisir, et celle de La Mède n’est d’ailleurs pas très grosse, comparée à d’autres en Europe. Nous avons adopté la taille qui nous paraissait correspondre à une usine durable.

En outre, à la suite d’un accord avec le ministre Nicolas Hulot, nous nous étions engagés à ce que la part des matières premières provenant d’huiles de palme durables, certifiées européennes, soit inférieure à 50 % de la charge, le reste étant de l’huile de colza française, pour laquelle nous avons passé un accord avec les agriculteurs français, des graisses animales, que nous souhaitons le plus possible françaises, et des huiles usagées collectées en France. Rien n’est parfait, mais ce n’est peut-être pas si mauvais que certains peuvent le penser.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, contraint de me rendre à une autre réunion, je cède la présidence à M. le rapporteur. Je vous prie de m’en excuser. Merci encore pour votre participation.

Mme Nathalie Sarles. Mesdames, messieurs, nos concitoyens et nous-mêmes ne sommes pas convaincus que l’économie réalisée par les énergies renouvelables et les besoins nécessaires pour retraiter les matériaux consommés se solde par un bilan positif. Les constructeurs que vous êtes ont une responsabilité en ce domaine. On peut faire appel à la puissance publique mais pouvez-vous nous convaincre que le retraitement des batteries, des panneaux solaires et des pâles d’éoliennes n’aggrave pas le bilan carbone ? Faute de bilan global, comment être certain d’une amélioration de l’efficacité énergétique et d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre ?

M. Bruno Bensasson. À côté de la question du CO2, certes importante, celles des ressources naturelles et des déchets doivent aussi être prises en compte. Aucune activité humaine n’est sans impact environnemental. Même les solutions d’efficacité énergétique appellent de l’investissement, notamment en matière d’isolation.

Concernant l’électricité renouvelable, qu’il s’agisse des batteries, des panneaux solaires ou des pales d’éolienne, j’ai peu de doute que le bilan CO2 soit très positif, mais il n’y a pas que cela. Avec les fabricants de batteries, d’éoliennes et de solaire, nous devons veiller à limiter les effets négatifs et à apporter des réponses aux questions que vous posez et que les citoyens posent, par exemple, au sujet de la production des métaux ou des terres rares. Le sujet préoccupe de plus en plus, comme le montre la consultation que vous avez ouverte hier. Nous étions habitués à traiter du CO2 et du paysage, il nous faut aussi répondre à ces questions avec les fabricants. En tant qu’électricien, nous développons des projets, nous achetons des pales d’éoliennes et des panneaux solaires. En tant que producteurs de panneaux, à Bourgoin-Jallieu, dans l’Isère, nous sommes attentifs au cycle complet.

Les enjeux sont comparables en matière d’efficacité énergétique. C’est peut-être la solution qui a le moindre impact environnemental et nous devons la pousser. J’en profite pour dire, car je sais que cela fait partie de vos préoccupations, que pour conduire la transition énergétique, c’est-à-dire pour multiplier les volumes par trois ou par cinq et rénover l’ensemble des bâtiments, nous aurons besoin de prévoir davantage d’emplois, non seulement précocement lors de l’apprentissage et de l’orientation scolaire, mais aussi dans le cadre de la formation professionnelle, faute de quoi nous verrons monter la demande et les prix sans que l’offre suive. J’évoque ce point important car je sais que nous sommes suivis par le public. Ce sont des filières d’avenir qui recrutent. Nous devons travailler davantage avec les acteurs de la formation professionnelle pour améliorer les compétences et l’offre en parallèle de la demande, et au bon rythme - je suis d’accord sur ce point avec ce qui a été dit précédemment par le représentant de Total -, sinon, ce sera un frein.

Mme Catherine Girard. L’analyse du cycle de vie est une notion fondamentale. Il y a la phase d’usage, la phase amont et la phase aval. C’est un point auquel nous, constructeurs, sommes très attentifs. Renault s’est engagé, à chaque sortie de véhicule, à améliorer le bilan de l’analyse du cycle de vie. Nous sommes audités et nous devons prouver que nous faisons mieux qu’avant.

Les analyses publiques de cycles de vie sont nombreuses, et il faut être vigilant sur celles que l’on utilise. Selon le territoire et la temporalité on peut faire dire tout et son contraire. Dans le contexte français, le rapport conjoint de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN) démontre, pour des véhicules de segments moyens, qu’il existe un rapport du simple au double en faveur de l’électrique comparé à un véhicule à essence, compte tenu d’un certain nombre d’hypothèses associées. D’autres rapports font apparaître un rapport de 2 à 3, selon le scope pris en compte.

S’agissant des éléments de la chaîne de valeur, nous pouvons exercer une influence en amont, à ceci près que le mix énergétique d’un pays ne dépend malheureusement pas entièrement de nous, constructeurs. Concernant la phase d’usage, nous savons que le choix de la solution chimique associée à nos batteries et le choix de la puissance ont un impact direct sur l’analyse du cycle de vie. C’est un point important, dont nous sommes conscients et auquel nous sommes attentifs pour nos développements à venir. En aval, niveau essentiel en matière d’énergie, il faut veiller à mettre en œuvre les « 4R » de l’économie circulaire. Nous avons créé la fondation Ellen MacArthur qui promeut la transition vers l’économie circulaire. Quand une solution crée des effets de bord, il faut tout faire pour limiter les effets ou les risques associés, ce qui signifie réduire, réutiliser, « remanufacturer », recycler. Nous travaillons avec nos recycleurs, qui sont les partenaires français que vous connaissez. Ils doivent nous aider à mettre en place des filières optimisées de recyclage, parce que le recyclage peut apporter un bénéfice environnemental réel. C’est un vrai enjeu auquel nous sommes attentifs à tous les niveaux de la chaîne de valeur.

M. Jean-Baptiste Séjourné. C’est une question importante. Pour les panneaux solaires, il existe une directive européenne sur le recyclage. Un éco-organisme, PV Cycle, a été créé à cette fin, ce qui va à l’encontre de l’idée selon laquelle les panneaux solaires ne seraient pas recyclables. Comme pour les téléviseurs, une éco-participation est acquittée par les acheteurs. Les sommes sont provisionnées pour financer les charges futures de collecte, tri et recyclage. Cette préoccupation est déjà bien intégrée.

Il importe de prévoir les métiers et les formations de demain. La nouvelle filière industrielle des nouveaux systèmes énergétiques est attachée, avec l’ensemble des acteurs, à faire évoluer les formations pour faire en sorte que cela profite aux jeunes, aux apprentis ou à ceux qui, en cours de carrière, souhaiteraient s’orienter vers ces nouveaux métiers.

M. Bruno Duvergé, rapporteur, président. Merci pour votre participation et vos contributions. La table ronde a fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel et elle fera l’objet d’un compte rendu intégral, mais il vous est loisible de compléter vos interventions sur la plateforme du site internet de l’Assemblée nationale.

L’audition s’achève à onze heures.

 

 


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22.   Jeudi 7 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur les visions et scénarios portant sur le paysage énergétique de demain pour l’avenir :
– M. Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt ;
– M. Cédric Philibert, analyste à la Renewable energy division de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ;
– M. Rémi Chabrillat, directeur des productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), M. Jérôme Mousset, chef du service « Forêt, alimentation et bioéconomie », et M. Bruno Gagnepain, ingénieur ;
– M. Gaëtan Lechantoux, directeur général adjoint du pôle technique de la communauté urbaine d’Arras, et M. Pierre Forgereau, directeur de territoire Artois-Cambrésis-Hainaut de Veolia (projet de technocentre régional d’Arras) ;
– M. Mathieu Saujot, coordinateur des travaux sur la fiscalité écologique du programme climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

L’audition débute à onze heures cinq.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Mesdames et messieurs, nous poursuivons les auditions organisées dans le cadre des travaux de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique, en vue d’en établir le diagnostic et de faire des propositions pour les lever.

Nous accueillons : M. Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt ; M. Cédric Philibert, qui représente la division des énergies renouvelables de l’agence internationale de l’énergie (AIE) ; M. Rémi Chabrillat, directeur des productions et énergies durables de l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et M. Jérôme Mousset, chef du service « Forêt, alimentation et bioéconomie » ; M. Mathieu Saujot, coordinateur des travaux sur la fiscalité écologique du programme Climat de l’institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) ; M. Gaëtan Lechantoux, directeur général adjoint du pôle technique de la communauté urbaine d’Arras, et M. Pierre Forgereau, directeur de territoire Artois-Cambrésis-Hainaut Veolia pour le projet de technocentre régional d’Arras. Cette communauté urbaine a signé le premier contrat de transition écologique (CTE).

Après un propos introductif pour lequel vous disposerez chacun d’un temps de parole de cinq à sept minutes, nous vous interrogerons.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, je rappellerai d’abord que les travaux de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique sont articulés autour de sept thèmes : la vision du paysage énergétique de notre pays d’ici dix, vingt ou trente ans, sujet qui va nous occuper maintenant ; le développement des filières d’énergie renouvelable ; les mobilités ; les économies d’énergie ; le rôle des territoires ; la fiscalité ; les grands groupes.

On entend dire souvent qu’on ne sait pas trop où l’on va et qu’il y a encore beaucoup de flou sur ce que sera le paysage énergétique dans dix, vingt ou trente ans, en mix de production comme en mix de consommation. Nous souhaiterions vous entendre à ce sujet.

Je vous informe que nous avons ouvert hier une plateforme de consultation citoyenne. Vos propos sont enregistrés et font l’objet d’un compte rendu, mais vous pourrez les compléter sur cette plateforme qui rencontre un franc succès, puisque nous avons déjà reçu plus de 300 contributions.

M. Yves Marignac, porte-parole de l’association négaWatt. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je suis ravi de représenter ici l’association négaWatt afin de restituer les enseignements de ses analyses prospectives en les illustrant par quelques exemples. J’indiquerai d’emblée à votre mission que nous considérons ce travail mené par l’association depuis plus de quinze ans comme un accélérateur de la transition énergétique.

L’analyse prospective est nécessaire pour dessiner un projet commun, une vision à long terme et concevoir les moyens de les atteindre. Nous sommes depuis longtemps convaincus de l’importance du rôle et de la société civile et des experts indépendants dans le travail collectif de conception et de construction de cette représentation à long terme. C’est ainsi que l’association négaWatt essaie depuis longtemps d’apporter sa contribution sur les usages de l’énergie, afin de favoriser tous les moyens techniques de nature à améliorer les rendements, à réduire les pertes, en vue de privilégier des ressources renouvelables, c’est-à-dire des ressources de flux par opposition aux ressources de stock que sont notamment les énergies fossiles et l’uranium. C’est que nous appelons la sobriété.

Cette analyse prospective sert aussi à identifier des objectifs à long terme. L’association a ainsi largement contribué à l’élaboration de la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte et à l’élaboration des différents scénarios définis en amont. Ce travail a révélé la pertinence des options défendues dès cette époque par notre scénario, ainsi que celle des scénarios de l’ADEME. Je pense notamment à la division par deux de la consommation d’énergie finale à l’horizon 2050 comme condition de la décarbonation complète du système énergétique – car nous considérons qu’agir sur l’offre est insuffisant –, et pour s’inscrire dans une perspective de neutralité carbone à plus long terme.

Si nous sommes satisfaits des objectifs à moyen et long terme définis dans la loi de 2015, nous sommes plus réservés sur les décisions politiques et les mesures qu’elle contient. L’analyse prospective permet de penser ce que négaWatt appelle l’urgence de long terme, c’est-à-dire l’inscription dès maintenant, dans les décisions politiques et les mesures à court terme, des éléments conformes à l’atteinte des objectifs à long terme.

L’analyse prospective sert à identifier des manques, des besoins, des rythmes d’action. Elle sert d’abord à identifier tous les leviers d’action possibles. Ainsi, alors que la mobilité est généralement pensée en termes d’efficacité des véhicules ou changement de type de véhicules – je pense évidemment au véhicule électrique –, l’analyse prospective montre qu’il faut aussi jouer sur la sobriété en se penchant sur l’aménagement du territoire pour maîtriser les distances à parcourir, permettre le transfert modal dans toutes les situations – milieu rural, milieu urbain et milieu périurbain – et améliorer le taux de remplissage des véhicules particuliers, notamment avec le covoiturage, comme pour les camions ou le fret.

L’analyse prospective a également pour objet d’évaluer les bons niveaux d’action. C’est le cas pour la rénovation thermique des bâtiments. Nous savons tous que la rénovation est nécessaire, mais nous constatons dans les politiques et les mesures actuelles une logique de petits pas, de rénovation par étapes qui n’est pas à la hauteur des besoins et qui risque même, à terme, de tuer le gisement des besoins de rénovation thermique complète, performante, en profondeur de l’ensemble de notre parc. L’analyse prospective sert à la fois à identifier le besoin et à penser des politiques et mesures. L’association négaWatt est porteuse de propositions visant à s’orienter progressivement vers une sorte d’obligation de rénovation, vers le développement de solutions simples de tiers financements et d’équilibre de trésorerie pour ces opérations, afin de permettre leur massification.

L’analyse prospective permet également d’identifier des ruptures. Les acteurs industriels, qui ont tendance à penser de manière incrémentale à partir de leur situation actuelle, peinent à se projeter dans le niveau de rupture nécessaire par rapport aux enjeux 2050. Nous avons beaucoup échangé sur ce point avec la DGEC dans le cadre de l’élaboration de la stratégie nationale bas-carbone.

Un autre exemple est l’identification d’enjeux pour la cohérence de l’action dans le temps. Ainsi est-il nécessaire de réfléchir à la possibilité de verdir, à moyen et à long terme, des vecteurs énergétiques comme le gaz et l’électricité, d’envisager l’équilibre entre ces vecteurs par rapport aux usages, aux ressources disponibles, aux infrastructures et aux réseaux. Par exemple, il importe de se préoccuper de la nécessaire revalorisation du réseau gaz existant dans des trajectoires à long terme. Cela nous conduit à privilégier un équilibre entre le gaz et l’électricité, tous deux devenant 100 % renouvelables à long terme, et à envisager l’utilisation du gaz pour la mobilité.

Cette vision prospective permet de penser à long terme le renforcement et le confortement de l’ambition. Nous avons été précurseurs en France dans l’affirmation que le 100 % renouvelable est possible. Nous avons été rejoints depuis par de nombreux acteurs. Cela se traduit fortement dans la vision du système électrique par la possibilité d’aller vers une électricité 100 % renouvelable, avec ce que cela implique au regard de la trajectoire définie par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). De notre point de vue, en maintenant plus qu’il n’est nécessaire la capacité nucléaire à long terme, cette trajectoire est beaucoup trop prudente et contre-productive.

Mesdames, Messieurs, ces quelques illustrations montrent l’utilité de l’analyse prospective pour penser l’urgence de long terme et accélérer la transition énergétique.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Si vous partagez les objectifs de la loi relative à la transition énergétique, vous considérez que nous ne mettons pas en place de mesures politiques suffisamment fortes pour y parvenir, ce qui relève des freins à lever. Il y a des obstacles à surmonter mais aussi un dynamisme à impulser.

M. Cédric Philibert, analyste à la Renewable energy division de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Nous vivons un moment paradoxal, puisque nous assistons en même temps à une forte progression des énergies renouvelables dans le monde, à une baisse de leurs coûts remarquable et, après trois ans de stagnation, à une remontée continue des émissions mondiales de CO2 liées au secteur de l’énergie. Sur la base de l’Accord de Paris, nous ne sommes pas sur une trajectoire soutenable à même de limiter le changement climatique à 2 degrés, encore mois à 2,5 degrés.

À notre sens, un scénario soutenable doit prévoir la réduction de la pollution dans les villes et dans les habitats, ainsi que l’accès universel à l’électricité, les trois objectifs n’étant nullement incompatibles. Nous en séparent essentiellement une progression bien plus rapide de l’efficacité énergétique – je rejoins Yves Marignac sur ce point – et un développement bien plus soutenu des énergies renouvelables. Tels sont les deux piliers de la transition énergétique.

Nous assistons aujourd’hui à une progression forte de l’électricité d’origine renouvelable, notamment le solaire et l’éolien, dont les coûts sont devenus très compétitifs dans de nombreuses régions du monde et continuent à baisser.

Dans nos scénarios à long terme, dominent trois technologies : l’hydroélectricité, le solaire et l’éolien, suivies par le nucléaire et le gaz, tandis que la production à partir du charbon s’effondre, élément indispensable dans les scénarios compatibles avec la limitation du changement climatique à un niveau supportable.

L’électricité représente aujourd’hui 20 % de la demande finale d’énergie et 40 % de la demande primaire d’énergie, donc des émissions de CO2 liées au secteur énergétique. Au rythme actuel, l’électrification, plus la décarbonation de l’électricité si nous sommes capables de l’accélérer, réduira environ de moitié les émissions mondiales de CO2. C’est bien, mais insuffisant, puisqu’il faut aller vers la neutralité carbone, vers zéro émission net à échéance de 2050-2060.

Restent la mobilité et la chaleur dans les bâtiments et dans l’industrie. Nous pensons avoir identifié, au-delà de l’efficacité énergétique, un certain nombre de solutions dans lesquelles les énergies renouvelables peuvent jouer à nouveau un rôle prédominant, en allant les chercher là où elles sont surabondantes, donc pas chères, et en les apportant dans les zones de forte consommation, probablement sous forme de molécules plutôt que sous forme d’électrons. Avec du solaire, du vent et de l’hydroélectricité, on peut fabriquer de l’hydrogène et le transformer immédiatement dans des formes plus commodes, correspondant à ses usages finaux. Il s’agit aussi de l’ammoniac, dans ses usages industriels actuels et comme combustible dans les centrales électriques qui resteront nécessaires pour les périodes sans vent ni solaire dans nos régions. Il s’agit d’une série de combustibles allant du gaz renouvelable à des liquides renouvelables : jetfuel, essence, ou méthanol pour la chimie. Ces produits seront fabriqués sur place par un mélange de carbone extrait de l’air par la biomasse, car la réserve de biomasse est importante mais son énergie ne l’est pas. Il s’agit de profiter de tout le carbone extrait dans l’air par la biomasse pour fabriquer des carburants de synthèse avec de l’hydrogène produit avec du solaire, du vent et de l’hydroélectricité, afin d’obtenir des produits faciles à stocker, faciles à transporter d’une région à l’autre.

L’Australie, la Patagonie, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord ont des ressources considérables comparées à leurs besoins, tandis que d’autres régions ont des besoins plus importants que leurs ressources raisonnablement exploitables. C’est le cas du Japon, de la Corée, d’une bonne partie de l’Europe. Un certain nombre de pays membres ont d’ailleurs admis qu’ils auraient besoin d’importer de l’énergie renouvelable comme ils importent aujourd’hui massivement des produits pétroliers et du gaz. Avec les renouvelables, on va vers plus d’indépendance énergétique, mais on ne va pas vers l’autarcie énergétique partout, parce que les ressources sont très inégalement distribuées sur la planète. Il faudra trouver des formules permettant d’échanger des produits faciles à stocker, faciles à transporter, faciles à mettre à bord de véhicules, pour certains ne contenant pas de carbone - ce sera notamment le cas de l’ammoniac - et pour d’autres, contenant du carbone extrait de l’atmosphère.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Merci pour cet exposé qui décrit des perspectives intéressantes et optimistes mais délivre aussi le message qu’une accélération est nécessaire pour atteindre nos objectifs, puisqu’aujourd’hui, nous ne sommes pas dans la trajectoire fixée par l’accord de Paris. C’est aussi l’objet de la mission de donner un coup d’accélérateur.

M. Rémi Chabrillat, directeur des productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Merci de nous recevoir de nouveau, puisque nous avons déjà eu l’occasion de participer aux réflexions initiales et à quelques tables rondes. Aujourd’hui, nous avons choisi de moins parler des freins pour nous concentrer sur ce sur quoi nous pouvons et voulons aller. L’ADEME a déjà cherché à répondre à la question au travers de plusieurs exercices prospectifs que certains d’entre vous ont sans doute vus. Il s’agit d’études de vision que nous avons publiées en 2013, actualisées en 2017 et à la réactualisation desquelles nous nous apprêtons à travailler pour 2020, car le sujet est évolutif et itératif. Je vous ai remis une présentation succincte, je tiens à votre disposition des exemplaires de la synthèse des visions, qui sont aussi disponibles sur internet. Ce sont des travaux internes à l’ADEME, fondés sur des réflexions prospectives de nos équipes et enrichis progressivement par une série d’études structurantes dont certaines ont été citées en creux. L’une, réalisée avec GRDG, porte sur un mix électrique 100 % renouvelable, une autre sur un mix gaz très fortement renouvelable.

Je relèverai des convergences avec les scénarios un peu ambitieux et prospectifs qui ont été cités par les deux intervenants précédents, et je les en remercie, à savoir la maîtrise des consommations et le rythme de développement des solutions alternatives aux énergies fossiles que sont les renouvelables.

La première page de notre présentation montre « les résultats en un clin d’œil » de notre étude actualisée en 2017. Ce travail a été fait avec des perspectives ambitieuses, notamment sur toutes les technologies que nous avons imaginées, de notre point de vue, réalistes. En prenant en compte le rythme de l’évolution et les modalités du financement, nous aboutissons à des scénarios de nature à contribuer à une situation économique plus favorable, en termes de PIB, à l’horizon 2030-2050. Lors du premier exercice, nous avions un seul et unique attendu : la division par quatre des émissions de gaz à effet de serre. Pour le reste, nous avons cherché à voir comment agir à partir de ce que l’on connaît, à partir de ce que l’on anticipe, à partir des technologies accessibles et envisageables aujourd’hui disponibles à moyen et court terme. Nous avons cherché à éviter les effets magiques.

Dans ces conditions, la perspective d’évolution des consommations par rapport à une base 2010 et en reprenant les hypothèses de croissance et d’évolution de la population de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) est de moins 29 % en 2035 et de moins 45 % en 2050.

La part de la demande finale d’origine renouvelable, qui était de 10 % en 2010, pourrait être, suivant des hypothèses portant essentiellement sur un mix électrique, de 34 % à 41 % en 2035 et de 46 % à 69 % en 2050.

En termes d’émissions de CO2, compte tenu des hypothèses mentionnées, nous avons du mal à obtenir la division par quatre des émissions, puisque nous serions plutôt à 72 % de baisse qu’à 75 %.

Concernant les grandes hypothèses pour la demande d’énergie, nous avons retenu un effort important de la rénovation dans le bâtiment : 500 000 puis 750 000 rénovations thermiques en moyenne par an dans le résidentiel, des équipements de chauffage performants et la généralisation des équipements électroménagers les plus performants. C’est un sujet que tout le monde voit, et ces objectifs ont été repris.

Nous avons élaboré des visions en 2013, en raison de l’organisation du premier débat national sur la transition énergétique, et nous les avons réactualisées en 2017 pour alimenter la préparation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Entre-temps, nous avions contribué à l’élaboration de la loi de transition énergétique. Les grandes masses se retrouvent et sont cohérentes, notamment l’objectif de rénovation qui est aujourd’hui le plus compliqué. C’est celui sur lequel nous avons du mal à démarrer, même si un certain nombre de mesures déployées depuis quelques mois vont dans ce sens et rejoignent ce qu’a évoqué notre collègue de l’association négaWatt : tiers financement, coût zéro pour le consommateur ou l’usager. L’idée des travaux à un euro va dans ce sens.

En matière de transports, nous avons retenu une amélioration des motorisations et la pénétration progressive de nouvelles motorisations. Je laisserai mon collègue Jérôme Mousset s’exprimer sur ce sujet, puisque vous souhaitez un focus sur les déplacements, voire sur les biocarburants. Nous prenons aussi en compte la possibilité évoquée tout à l’heure d’une évolution des choix d’aménagement et d’urbanisme, visant une recentralisation sur la ville et l’inversion de la tendance à l’étalement urbain qui pose des problèmes, y compris en termes de consommation d’espaces agricoles dont nous avons besoin pour faire tout ce que nous envisageons avec la biomasse dans les domaines de l’énergie, des matériaux et de la chimie.

Dans l’industrie, nous avons maintenu des hypothèses de croissance de la production physique et des gains d’efficacité énergétique. Nous savons qu’il existe des gisements conséquents d’efficacité énergétique dans l’industrie, même si celle-ci a déjà fait des progrès de ce point de vue, sans oublier le développement de l’économie circulaire, le recyclage des matières.

Concernant l’agriculture, nous avons retenu la réduction des pertes, l’évolution des pratiques agricoles vers des modes intégrés et raisonnés.

Nous soulignons la nécessité d’un engagement rapide de la transition, en particulier dans les transports.

Dans les hypothèses, nous avons prévu que certains leviers à long terme seraient saturés. À un moment donné, nous ne pourrons pas prélever plus de biomasse.

Nous avons présenté une répartition des mix en termes de sources envisagées. À noter, la part croissante prise par l’électricité, mais dans un contexte de baisse globale des consommations, de sorte que la production resterait à peu près identique.

M. Jérôme Mousset, chef du service « Forêt, alimentation et bioéconomie » de l’ADEME. Dans nos scénarios, nous partons de l’hypothèse d’une réduction de 60 % de la consommation d’énergie dans le transport à l’horizon 2050, avec toutes les solutions disponibles : mobilité, télétravail, etc. À partir de là, nous avons fait une évaluation du mix énergétique du transport, orienté progressivement vers trois vecteurs : les biocarburants, l’électricité et le gaz.

Nous avons retenu l’hypothèse de 16 % de biocarburants dans le mix énergétique du transport, ce qui correspond à peu près au niveau de consommation actuel. Nous n’avons donc pas envisagé un scénario d’explosion de l’usage des biocarburants mais plutôt de stabilité, compte tenu de la réduction de la consommation. Nous faisons l’hypothèse d’une évolution de la première vers la deuxième génération de biocarburants à l’horizon de 2050, conformément aux directives européennes, notamment la directive « RED 2 » actuellement en discussion. Toutefois, l’émergence de la deuxième génération n’est pas pour tout de suite. Elle consiste à valoriser des ressources ligneuses en biocarburant sous toutes ses formes. Quelques projets pilotes montrent que la maturité technologique et économique n’apparaîtra pas immédiatement. Il faut poursuivre l’innovation et l’accompagnement des entreprises dans ces solutions.

Un autre point qui nous semble stratégique pour les biocarburants – mais aussi, plus largement pour les autres énergies – est la disponibilité de la ressource en biomasse. Elle est renouvelable mais limitée et doit être utilisée au mieux. Dans nos scénarios, quand on additionne tous les besoins en énergie, on aboutit au doublement de la ressource en biomasses, forestières et agricoles, d’ici à 2050.

Trois points nous paraissent importants.

Premièrement, il faut mieux connaître la ressource disponible à l’échelle des territoires. Nous travaillons avec les organismes forestiers et agricoles pour produire des références en vue d’évaluer les plans d’approvisionnement, avec des situations complètement différentes dans le monde de la forêt et dans le monde agricole.

Le deuxième point concerne l’articulation des usages. Plus les technologies avancent, plus les filières deviennent poreuses. Avec de la biomasse, on peut faire de plus en plus de choses, et toutes les filières s’appuient sur la même ressource. Nous avons donc besoin d’une vision globale sur la ressource disponible, forestière, agricole ou algues, avec l’ensemble des usages, et d’éviter les raisonnements en silo.

Le troisième point concerne la durabilité des filières, donc l’évaluation environnementale de chacune d’entre elles, car les bilans sont différents selon les ressources utilisées. Les bilans énergétiques des carburants sont fiables et bons. Les bilans de gaz à effet de serre sont différents selon les filières et font toujours l’objet de débats scientifiques, notamment eu égard au changement d’affectation des sols. Dans le cadre de la directive « RED 2 », il s’agit d’identifier les carburants à fort risque de changement d’affectation des sols, qui devraient sortir progressivement du mix énergétique.

M. Mathieu Saujot, coordinateur des travaux sur la fiscalité écologique du programme climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). Je suis heureux de vous présenter les travaux de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), institut de recherche basé à Sciences Po, qui entend jouer un rôle de think tank entre les responsables de la recherche et des politiques publiques. Je formulerai des éléments de vision par trois entrées concrètes, l’une technique, l’autre sociétale et la dernière relative au pilotage politique de la transition.

Du point de vue technique, nous partageons le constat sur l’insuffisance de notre capacité d’action pour répondre à l’enjeu de la rénovation de logements. Nous manquons grandement de données pour piloter cette politique. Nous voyons bien que nous n’agissons pas au rythme souhaité, mais nous avons peu de données précises sur le nombre de logements et le niveau de la qualité de rénovation à viser. Nous constatons une réelle insuffisance de l’ampleur de la rénovation. Le gain unitaire après une rénovation n’est pas cohérent avec l’objectif en termes de bâtiments basse consommation à 2050, au risque, comme le disait Yves Marignac, de tuer le gisement par une approche à petits pas. Nous soulignons l’intérêt de fusionner les aides financières en une aide globale à la hauteur de l’ambition annoncée. Il faut unifier la diversité des aides existantes afin d’apporter une aide globale porteuse de promesses de rénovations d’une ampleur suffisante. Cela existe déjà. Beaucoup d’acteurs locaux apportent des aides globales. Avec son programme « Habiter mieux », l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) en apporte une aussi, et produit des données d’évaluation de qualité. Néanmoins, si un consensus existe pour apporter l’aide globale nécessaire, il ne faut pas sous-estimer le besoin de structuration de l’offre de rénovation de la part de ceux qui vont réaliser les travaux, la gestion de l’avant-travaux et de l’après-travaux, en réponse à cette aide. Structurer progressivement les offres de rénovation est un enjeu important pour piloter la transition.

Le deuxième point notable sur la vision de long terme est d’ordre sociétal et a trait aux modes de vie et aux comportements. Ces sujets sont souvent insuffisamment traités dans les travaux prospectifs et les grandes stratégies. On ne sait pas toujours comment les qualifier ni les chiffrer. L’association négaWatt a réussi depuis longtemps à quantifier les efforts de sobriété, mais c’est une exception. On a du mal à identifier la faisabilité des politiques. En quoi doivent consister des politiques de changements de modes de vie ou de comportements ? Au plan international, les derniers travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) font naître des interrogations fortes sur les comportements et les modes de vie, notamment parce que, dans une perspective de limitation de la hausse moyenne des températures à 1,5 degré, à même d’éviter le recours à des technologies incertaines de stockage du carbone à long terme, on se demande comment agir plus fortement sur la demande et la sobriété. Il s’agit d’un véritable vrai enjeu politique.

En outre, il importe de ne pas céder à la tentation de placer ces changements à un niveau purement individuel, comme cela a été le cas pour la taxe carbone, avec les résultats qu’on connaît. Vouloir responsabiliser le changement à un niveau individuel se heurte à un certain nombre de blocages. J’indique d’ailleurs que l’IDDRI rendra public, la semaine prochaine, le fruit de ses réflexions au sujet de la taxe carbone. De tels changements sont collectifs. Les travaux de l’ADEME et de négaWatt le rappellent en évoquant la structuration de la mobilité et notre accès à l’alimentation. Un des enjeux des prochaines années est de mieux outiller les politiques publiques, ce qui renvoie à votre introduction : comment rendre désirable une vision de la transition énergétique à long terme ? Beaucoup de leviers restent aujourd’hui inutilisés, dont le marketing. Dans un rapport récent du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), des responsables du marketing déclaraient qu’ils avaient la responsabilité de vendre des produits dans un monde qui n’est plus le monde du « toujours plus ». Il existe des enjeux concrets et nous allons travailler dans la perspective de la future stratégie nationale bas-carbone (SNBC) avec l’ADEME et la DGEC, notamment sur un meilleur traitement de la demande.

La troisième entrée est le pilotage politique et la gouvernance de la transition. À l’IDDRI, nous nous réjouissons de la création du Haut Conseil pour le climat (HCC). En juillet, nous avions rédigé une étude sur le comité britannique, afin d’inciter à aller dans cette direction. Nous pensons que l’Assemblée nationale a un rôle à jouer pour que ce Haut Conseil agisse utilement pour la transition. Je me fais l’écho du point de vue de mes collègues en disant qu’à l’exemple de ce qui se fait en Grande-Bretagne, le Haut Conseil devrait rendre compte directement de ses travaux à l’Assemblée, lesquels devraient être utilisés pour le suivi et l’évaluation de la transition. Nous avons publié en septembre un rapport d’évaluation de l’état d’avancement de la transition, pointant qu’on se lançait dans une révision de la SNBC malgré une évaluation insuffisante de ce qui marche et de ce qui marche moins bien. Le HCC aurait donc, avec l’Assemblée, un rôle très important à jouer dans ce travail d’évaluation. En outre, à l’instar de la Grande-Bretagne, le Gouvernement devrait rendre compte devant le Parlement de l’évaluation réalisée par le Haut Comité. Cela nous paraît cohérent avec la logique des budgets carbone et de la révision de la SNBC. C’est bien dans cette logique qu’on doit construire la transition par morceau. En cohérence avec la loi de transition énergétique, il conviendrait de muscler l’usage de ce Haut Conseil.

M. Gaëtan Lechantoux, directeur général adjoint du pôle technique de la communauté urbaine d’Arras. Je présenterai notre contrat de transition écologique (CTE). La communauté urbaine d’Arras (CUA) est depuis longtemps engagée dans la transition énergétique. Dès 2016, nous avions lancé une étude importante, qui a duré plus de deux ans, afin d’établir un diagnostic et de définir des objectifs. Les conclusions en ont été livrées en novembre 2017. Le président, qui était aussi vice-président du conseil régional, et très actif dans le domaine de la transition énergétique, a interpellé M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires, qui est venu annoncer, le 11 janvier 2018, que la CUA était retenue pour élaborer le contrat de transition écologique. Souhaitant un avancement rapide du dossier, il nous a donné trois mois pour élaborer ce contrat avec les services de l’État capable de produire trente ans de fruits. Le ministre souhaitait donner la main aux territoires, puisque ce sont eux qui connaissent le mieux leurs besoins et parce que c’est la bonne échelle pour agir. Il considérait que les services de l’État devaient jouer un rôle de facilitateurs auprès des collectivités et faire droit à l’expérimentation afin de contribuer à simplifier les normes.

Cette forte volonté politique locale a permis de mobiliser 400 acteurs publics ou privés, bien impliqués dans la démarche, avec des ambitions fortes pour le territoire : obtenir une production d’énergie à hauteur de 42 GWh d’ici quatre ans, produire 47 GWh d’énergie renouvelable sur le territoire sur le territoire et créer 130 emplois. La trajectoire à horizon 2050, c’est que 40 % de notre consommation d’énergie soit désormais locale.

Nous avons retenu 100 principales actions concrètes et réalistes, que nous sommes capables d’atteindre, avec le concours d’acteurs publics et privés. Elles sont articulées autour de cinq axes : les énergies renouvelables, la mobilité, les ressources du territoire, les performances énergétiques du patrimoine et les espaces naturels, car il s’agit d’un contrat de transition écologique. Les principales actions sont : la construction d’un technocentre avec un partenariat public et privé, qui représente 70 % des nouveaux apports énergétiques ; le basculement de la flotte de véhicules publics – bus, bennes à ordures ménagères – en filière gaz ; le développement du transport en commun pour tous sur le territoire, y compris en milieu rural ; le développement des modes de déplacement doux, surtout pour les trajets domicile-travail ; le traitement des points dangereux à certains carrefours ; l’accompagnement au changement en ingénierie et en aides financières nos communes membres ; la réhabilitation de nos bâtiments en label « bâtiment basse consommation » (BBC) et la construction de nouveaux bâtiments en énergie positive.

À cela s’ajoute la sensibilisation des habitants et des enfants dès l’école.

Dans le cadre d’un contrat, la communauté urbaine a désigné un référent qui suivra aussi bien les actions publiques que les actions privées afin de s’assurer du respect la trajectoire et de l’avancement de nos dossiers, avec un soutien de l’État si nécessaire. Il est prévu la réunion annuelle d’un comité de pilotage avec le préfet, le président de la communauté urbaine et le président de la région, afin de procéder éventuellement à une adaptation du contrat, dont la durée sera de quatre ans.

À titre d’exemple, pour le seul budget 2019 que nous voterons ce soir, les actions labellisées CTE représentent déjà 20 millions d’euros. La collectivité va ainsi consacrer chaque année plus de 20 millions d’euros à la transition énergétique, sachant que les bailleurs, les partenaires publics et privés compléteront par des financements importants.

Le secteur public et le secteur privé, tous les organismes de formation nous suivent, mais il faut pouvoir embarquer les habitants. Nous y travaillons avec les réseaux sociaux et nos commissions thématiques.

Concernant les freins, tout le monde repousse à demain le changement de comportement. Nous disons tous qu’il faudrait faire quelque chose, mais il faudrait passer du « nous » au « je ».

Les procédures d’instruction des services de l’État sont aussi un frein. Bien qu’on nous dise que nous avons droit à l’expérimentation et que les normes peuvent être simplifiées, dès qu’on le demande, on nous le déconseille sous couvert de fragilisation de la procédure.

De plus, nous souhaiterions un retour de la fiscalité écologique vers le local pour conforter la démarche.

Nous constatons aussi toujours des freins de la part du ministère. Malgré la volonté politique forte du ministre, l’élaboration des documents est toujours longue. La mise en œuvre du CTE en a apporté la preuve. Il a fallu un coup de force politique pour réussir à le signer dans le délai de neuf mois.

M. Pierre Forgereau, directeur de territoire Artois-Cambrésis Hainaut. La création du technocentre est une des cent actions de notre contrat de transition écologique. Il vise à produire 70 % de l’énergie renouvelable.

Le projet de technocentre comporte trois volets. Il vise, d’abord, à produire du biogaz et à le réinjecter dans le réseau grâce à une unité de production industrielle apparaissant comme une filière viable pour d’autres porteurs de projet. Il est, ensuite, une plateforme d’innovations et de recherche et développement visant à accompagner le développement de la filière de méthanisation dans la région des Hauts-de-France au travers d’une construction adaptée, en vue de « plugger » des équipements, des sondes et tous les matériels que les entreprises peuvent développer. Il est, enfin, une interface de tous les organismes régionaux de formation de différents niveaux, des métiers de terrains aux porteurs de projets.

Ce projet est porté par un partenariat public et privé, associant la communauté urbaine d’Arras, le syndicat mixte Artois valorisation (SMAV), qui gère le traitement des déchets de trois collectivités, dont la communauté urbaine d’Arras (CUA), et deux acteurs privés, Veolia et Engie, qui ont créé une société de droit privé pour monter ce projet. Nous en sommes à la phase d’étude et nous avons lancé un certain nombre de démarches administratives.

Les principaux freins sont d’ordre réglementaire. Ils concernent le statut des intrants. Le non-mélange des boues et le non-mélange de la fragmentation fermentescible des ordures ménagères sont des freins majeurs au développement du projet. On passe à côté d’incroyables pouvoirs méthanogènes de la biomasse. Les boues n’ont pas un grand pouvoir méthanogène mais, dans un mix d’intrant, elles ont un pouvoir de stabilisation de la méthanisation qui, dès lors, nous échappe. Il en est de même pour la foam issue des centres de tri présents tout à côté du technocentre.

Un autre frein est l’instabilité des normes, notamment en vue du rachat du biogaz. En effet, la nouvelle PPE pourrait instaurer des appels d’offres au-dessus de 15 GWh par an, ce qui impacterait le technocentre. Selon les estimations, le projet perdrait 500 000 euros de chiffre d’affaires par an, autrement dit, cette action ne se ferait pas.

Les délais d’instruction par les services de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ou de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) sont aussi un frein. On met les délais les uns derrière les autres sans pouvoir les superposer. Par exemple, nous travaillons depuis neuf mois avec les services de l’État pour savoir quelle réglementation appliquer sur chacun des digesteurs.

L’acceptabilité est un autre frein, moins pour le technocentre, même si nous restons vigilants, que pour la filière de méthanisation agricole, industrielle ou pour la collectivité, qui souffre d’un gros problème médiatique. Des projets sont décriés à tort par manque de communication préventive nationale sur l’intérêt de la filière dans le cadre de la PPE. Les risques d’explosion sont fortement erronés, les risques liés aux odeurs sont pris en compte dans la construction des nouveaux projets, etc. Un déficit d’acceptabilité peut empêcher des projets de se faire.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Vous avez tous pointé la nécessité d’accélération, puisque nous sommes bien en deçà des objectifs que nous nous sommes collectivement fixés à l’échelle mondiale, notamment dans l’Accord de Paris. La PPE, telle qu’elle a été proposée, vous semble-t-elle suffisamment ambitieuse pour atteindre ces objectifs, notamment en termes de développement des énergies renouvelables et quant aux appels à projets prévus, dont certains nous semblent en deçà des possibilités d’action ?

Vous avez évoqué la stabilité et la lisibilité des politiques de soutien, ainsi que l’acceptation sociale. Pensez-vous que les citoyens sont suffisamment associés à la définition des objectifs avant la définition et la mise en œuvre des mesures politiques ? Sans doute seraient-ils plus enclins à l’acceptation s’ils se sentaient plus concernés, d’où la création de la plateforme de consultation dont a parlé M. le rapporteur, qui connaît déjà un grand succès.

Enfin, nous avons mis en place ce matin une commission d’enquête sur le fléchage de la fiscalité. Quelle fiscalité pèse aujourd’hui sur le consommateur ? Où va-t-elle ? Finance-t-elle réellement les énergies renouvelables ou la transition énergétique ? Ce sera aussi l’occasion, en collaboration avec notre mission, de lever un certain nombre de freins et d’orienter les objectifs de manière plus efficace et plus pertinente.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci pour toutes vos présentations. Je reviendrai sur l’utilisation de la biomasse. Alors que je suis dans le sujet, je bute sur la quantification. Pour la mobilité comme pour le chauffage, on la dit limitée pour ne pas empiéter sur les surfaces agricoles alimentaires, et j’y souscris entièrement. Mais de combien dispose-t-on sans attaquer la surface alimentaire ? Répondre à la question permettrait de résoudre d’autres problèmes. Une fois cette masse connue, à quoi l’utiliser ? Dans une autre table ronde, le représentant de l’association négaWatt avait préconisé l’utilisation du biogaz pour les véhicules et des pompes à chaleur électriques pour le chauffage. C’est un scénario possible mais ce n’est pas la tendance actuelle puisqu’on réinjecte systématiquement le biogaz dans le réseau. Cela nous donne d’autres idées. Moi le premier, quand j’ai un méthaniseur dans ma campagne, je me demande pourquoi ne pas alimenter les villages en biogaz. On entre ainsi dans une concurrence d’utilisations.

Il y a aussi une concurrence entre les types d’utilisation de la biomasse. Pour la mobilité, combien réserver à l’électricité et combien réserver à la biomasse ? Doit-on utiliser la biomasse pour faire du biogaz, de l’éthanol ou du biodiesel ? J’ai tenté de clarifier ce point, hier, dans le cadre de la discussion du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM). On m’a répondu que, n’étant pas dans une économie socialiste, on n’allait pas dire ce qu’il faut faire. Il y a néanmoins des directions à trouver. C’est pour moi un élément déterminant de la mission.

M. Cédric Philibert. Je fournirai quelques éléments de réponse aux questions de M. le rapporteur au sujet de la biomasse. Je n’ai pas de chiffres à l’échelle nationale mais, à la suite d’une étude que nous avons réalisée, il y a deux ans, en vue de déterminer comment mobiliser de façon soutenable la biomasse au plan mondial, il est apparu que le volume de biomasse utilisable pouvait être doublé. Des travaux que nous avons conduits plus récemment montrent que dans un certain nombre de pays, des quantités très importantes de déchets végétaux brûlés en plein air, en pure perte, sauf pour la pollution atmosphérique, pourraient être utilisées de façon énergétique, y compris dans un pays comme la Chine dont on pouvait penser qu’il était plus en avance sur le sujet.

Nous sommes bien entendu conscients de la nécessité d’être attentifs aux bilans et au fait qu’il faut se garder d’épandre des quantités phénoménales d’engrais pour faire pousser des végétaux, alors qu’on pourrait utiliser directement l’énergie qui a servi à faire l’engrais. On entre en conflit non seulement avec la production alimentaire mais aussi avec la biodiversité. Mais il y a tout de même du potentiel, notamment dans les déchets et, comme l’a souligné l’ADEME, grâce à la deuxième génération. Quelques usines réalisent des expérimentations. Elles rencontrent parfois des difficultés, mais progressent vers la deuxième génération.

En outre, il faut cesser de regarder la biomasse comme une source d’énergie pour la considérer plutôt comme une source de carbone contenant un peu d’énergie. Ce carbone est neutre, puisque pris dans l’atmosphère, il peut y retourner sans dommage. Quand on fabrique des biocarburants ou du biogaz, on utilise un tiers ou un quart du carbone, le reste étant renvoyé dans l’atmosphère sous forme de CO2. Si on a une autre forme d’énergie, par exemple de l’hydrogène, on peut le faire réagir avec le CO2 et produire des carburants de synthèse, en volume jusqu’à quatre fois plus important qu’avec la seule énergie de la biomasse. Regardons la biomasse d’abord comme une source de carbone et secondairement comme une source d’énergie.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Par exemple, peut-on produire une certaine quantité de méthane et la réinjecter de l’hydrogène pour doubler la quantité obtenue ?

M. Cédric Philibert. C’est tout à fait possible, mais ma préférence va aux carburants liquides, plus commodes d’emploi pour la mobilité. Comme l’électricité, la biomasse est versatile et peut servir à beaucoup de choses mais elle ne peut pas faire tout à la fois. Je ne suis guère tenté de mettre des quantités phénoménales de biogaz ou de gaz renouvelable dans les véhicules. Les liquides ont le mérite de la simplicité. Pour les bâtiments, on considère que la pompe à chaleur atteint sa limite dans les pays froids sujets à des pics de basse température, lesquels, de surcroît, exigent un appel d’énergie très important. Vouloir répondre à ce besoin uniquement par l’électricité, même avec des pompes à chaleur efficaces, c’est risquer de surbâtir le système électrique aux dépens des réseaux de gaz, au moins dans les centres urbains. Or le stockage du gaz est beaucoup plus commode que le stockage de l’électricité. Il faut garder un peu de chauffage au gaz en combinaison avec les pompes à chaleur pour écrêter les points de froid, et utiliser ainsi la méthanation.

M. Rémi Chabrillat. Il convient de s’interroger sur le gisement et sur l’articulation des usages plutôt que sur leur hiérarchisation, en fonction de leur rendement, de leur facilité de production, des moments, de la situation des gisements et des besoins de tel ou tel territoire, car la mobilité intégrale de la ressource n’est pas évidente. Par exemple, à tel endroit, on s’orientera plutôt vers certains usages directs du bois, notamment si l’on peut obtenir un rendement maximal pour alimenter un réseau de chaleur qui irriguera des bâtiments performants. La question de l’articulation doit être considérée d’une manière pragmatique en fonction des situations, des productions et des besoins locaux.

Les ordres de grandeur sont ceux qui ont été évoqués. Comme dans ces travaux de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) que je ne connaissais pas, on table aussi sur une augmentation de la mobilisation de biomasse en France de l’ordre du doublement. À partir d’un certain nombre d’études que nous avons réalisées, dont un important travail sur la ressource forestière entrepris il y a trois ans avec l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) et l’Institut technologique FCBA, nous considérons que c’est un objectif atteignable, mais il exige des efforts et des évolutions, notamment des leviers capables de mobiliser la forêt.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Doublement par rapport à quoi ?

M. Rémi Chabrillat. Par rapport au niveau actuel de mobilisation.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Pouvez-vous répondre à la question relative aux objectifs de la PPE ?

M. Rémi Chabrillat. Nous y avons fortement contribué et nous y retrouvons beaucoup d’éléments que nous avons apportés. Le principal sujet est l’ambition donnée à la mise en œuvre des segments pour la maîtrise des consommations plutôt que l’ambition de la PPE proprement dite, ne serait-ce que parce que c’est la PPE de la France et que nous sommes un établissement public de l’État.

La PPE avance différentes hypothèses donnant des résultats différents selon que l’on retient la fourchette haute ou la fourchette basse de la production et des consommations. Nous sommes parfaitement en phase avec les hypothèses de la fourchette basse, mais cela demande de l’ambition.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Donc, la PPE est adaptée. Il faut maintenant les mesures politiques et de mise en œuvre nécessaires pour atteindre les objectifs.

M. Rémi Chabrillat. Les objectifs les plus ambitieux, notamment en ce qui concerne la consommation !

M. Jérôme Mousset. Concernant l’important sujet de la quantification de la biomasse, il convient de distinguer la forêt et l’agriculture. Concernant la forêt, la ressource disponible est quantifiée, et la question est de savoir quels moyens économiques mettre en œuvre pour la valoriser. Du côté de l’agriculture, la totalité de l’espace agricole étant déjà utilisée, l’évaluation est plus complexe à réaliser, en raison des effets de concurrence possibles avec d’autres usages, alimentaires ou non. La question doit être traitée en fonction des évaluations environnementales relatives aux changements d’affectation des sols. Il convient notamment d’évaluer l’impact indirect de l’expansion d’un produit quel qu’il soit sur des changements d’affectation ailleurs que dans le pays.

L’intérêt des scénarios est d’offrir une vision globale. On ne peut dissocier l’évaluation de la part de biomasse agricole disponible pour l’énergie d’un autre usage lié à l’évolution des régimes alimentaires. Selon la manière dont ils vont évoluer, il y aura plus ou moins d’espace disponible pour autre chose. Notre scénario d’un possible doublement des ressources de la biomasse pour les usages énergétiques repose sur l’hypothèse du maintien du potentiel nourricier actuel et exclut la concurrence entre les usages.

La question de plus en plus stratégique est celle de l’articulation de la biomasse avec l’ensemble des usages concurrents disponibles. Nous travaillons sur des outils destinés à cartographier ces flux en vue de faire des propositions de meilleurs usages possibles eu égard aux services environnementaux que l’on cherche à apporter. Nous avons une seule biomasse disponible pour différents usages.

M. Pierre Forgereau. Au regard du projet que nous pilotons avec la communauté urbaine d’Arras, l’ambition de la PPE nous inspire des craintes. Si elle est mise en place, ce projet de méthanisation territoriale – 85 % des gisements se trouvent dans un rayon de 50 mètres autour de l’implantation prévue - pourrait ne pas voir le jour. On ne les met pas sur la route, ils sont là. Le périmètre de recherche d’intrants est inférieur à 20 kilomètres. Or, compte tenu de la baisse du prix de rachat prévu par la PPE, ces intrants iront ailleurs. Un industriel dont les installations se trouvent à 4 kilomètres du site envoie ses déchets à 120 kilomètres, en Belgique, parce qu’il a plus intérêt à le faire qu’à les envoyer dans une usine de méthanisation toute proche. Si la PPE considère la filière de méthanisation comme aujourd’hui mature, alors qu’elle a besoin de trois à quatre ans pour devenir plus productive, plus efficace et réduire les coûts, donc baisser les tarifs de rachat, des projets globalement bons risquent d’être reportés ou arrêtés.

M. Yves Marignac. Concernant la vision globale du rôle du citoyen et la faisabilité de politiques de long terme, pour reprendre votre expression, monsieur le rapporteur, nous ne sommes pas dans une économie socialiste mais, en l’occurrence, nous sommes confrontés à une situation inédite. Dans des démocraties rythmées par des temps courts comparés à ceux des logiques planificatrices que nous avons connues par le passé, dans nos sociétés d’économie libérale dont les acteurs économiques raisonnent rarement en temps long, nous devons inscrire dès aujourd’hui toutes nos actions pour la transition énergétique dans une perspective à long terme. Je dis bien toutes nos actions, puisque les impératifs de neutralité carbone et de soutenabilité en général nous imposent de traiter non seulement de la question climatique mais aussi de la biodiversité, des usages des sols et des matériaux. Dès lors, nous avons besoin de nouvelles politiques. Ce que disait Mathieu Saujot au sujet de la sobriété, nous le traduisons par la nécessité de politiques publiques organisant de manière douce les changements de comportement. Nous avons plein d’idées en ce domaine.

Nous avons besoin de visibilité en matière de fiscalité. Rendre lisible la fiscalité, son rôle et la manière dont les taxes comme la taxe carbone pourront exercer un effet de levier pour la transition représente un enjeu fondamental.

Nous devons aussi associer les citoyens. Nous avons quelques retours d’expérience à la suite des dispositifs citoyens mis en place dans le débat national sur la transition énergétique ou, plus récemment, du débat public sur le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie. Dès lors qu’on associe les citoyens, dès lors qu’ils intègrent que l’effort ne reposera pas sur leur seul comportement et qu’on leur propose de s’inscrire dans un effort collectif des collectivités et des acteurs économiques, ils comprennent la nécessité et l’opportunité de la transition énergétique et sont prêts à s’y engager beaucoup plus qu’on ne l’imagine.

Je n’ai pas en tête le coefficient multiplicateur d’usage de la biomasse dans le scénario de négaWatt. Il repose, en tout cas, sur la multiplication par 3,5 de l’ensemble de la production d’énergie renouvelable.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. C’est-à-dire 45 térawatts-heures ?

M. Yves Marignac. Bien plus que ça ! Il s’agit de la multiplication par 3,5 de la production d’énergie renouvelable dans laquelle la biomasse, essentiellement la biomasse solide et le biogaz, fournit pratiquement la moitié de la production énergétique. On ne doit pas être très loin des chiffres de l’ADEME. Dès lors qu’on fixe le même cadre de réflexion pour ces visions prospectives et qu’on réfléchit aux mêmes types de contraintes, on aboutit aux mêmes conclusions.

Il est essentiel de mobiliser le potentiel de la biomasse, d’abord pour autre chose que l’énergie, ensuite pour l’énergie. La combustion représente aujourd’hui 75 % de nos besoins en énergie, et il est difficile d’envisager d’obtenir cela par l’électrification sans garder de la combustion à base de biomasse. Nous avons donc besoin de biomasse combustion, mais pour maintenir ou libérer ce potentiel, il est indispensable d’agir dans les domaines de l’utilisation des sols, de la logique de la mobilité, de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire et sur les besoins. Je rejoins ce qui a été dit sur les changements de modes alimentaires, notamment vis-à-vis de la part carnée, ainsi que sur les modes de productions agricoles. Dans le scénario de négaWatt, toute la biomasse provient de coproduits ou sous-produits d’usages prioritaires de la biomasse pour l’alimentation et pour la production de matériaux.

En outre, il convient de bien réfléchir aux notions d’usages, d’infrastructures et de ressources. D’où l’importance pour nous de valoriser le réseau gaz est de s’orienter vers un usage gaz, y compris à terme vers le power to gas comme clé de voûte du système, et d’être toujours très vigilant sur les conditions d’usage de la biomasse au regard de la soutenabilité.

De notre point de vue, la PPE marque un glissement préoccupant des objectifs de la loi. Il est paradoxal de voir, quatre ans après l’adoption de la loi de transition énergétique, une PPE qui appelle à réviser les objectifs de la loi, alors que la logique serait d’avoir une PPE conforme à ses objectifs. La PPE s’écarte aussi de la SNBC. Nous nous retrouvons bien davantage dans la vision à long terme de la SNBC, malgré des divergences avec le scénario défendu par la DGEC. La PPE marque un glissement de l’approche formulée dans l’article 1er de la loi relative à la transition énergétique, favorable la sobriété et à l’efficacité de la part des énergies renouvelables, vers du tout-électrique décarboné. Porté par l’illusion de la facilité à court terme, celui-ci représente un vrai danger potentiel à long terme. D’une façon générale, les objectifs de la PPE en matière d’énergies renouvelables et plus spécifiquement de biomasse – je ne reviens pas sur les évolutions des mécanismes pour le biogaz – sont pour nous des signaux d’alerte inquiétants sur un glissement de la vision politique de la transition énergétique et une perte de vue de l’importance d’actions permettant d’aller au bout d’une trajectoire et d’atteindre les objectifs de long terme.

M. Mathieu Saujot. Pour évaluer le gisement de biomasse disponible pour produire de l’énergie, il convient de faire des hypothèses sur le système agricole et sur les régimes alimentaires. Des collègues ont réalisé une étude pour déterminer s’il serait possible de nourrir l’Europe en 2050 avec un scénario d’agroécologie. Ils ont fait une hypothèse sur le régime alimentaire et sur la quantité de biomasse ou de surface à préserver pour produire de l’énergie. Ils ont pu identifier l’importance de ce gisement selon les trajectoires ou les choix politiques.

M. Rémi Chabrillat. Est-ce qu’ils arrivaient à boucler ?

M. Mathieu Saujot. Ils arrivaient à boucler.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci beaucoup pour vos interventions très utiles et intéressantes, de nature à enrichir la réflexion de la mission d’information.

La table ronde s’achève à midi trente.


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23.   Jeudi 21 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la chaleur renouvelable :
– Mme Catherine Trautmann, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, et M. Constant Espargilière, conseiller technique ;
– M. Rémi Chabrillat, directeur « production et énergies «  de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;
– M. Jean Riondel, président et directeur technique de la start-up Minigreenpower, et M. Pierre du Baret, directeur général et directeur commercial ;
– Mme Julie Purdue, déléguée générale adjointe d’Amorce, association des collectivités territoriales et des professionnels ;
– M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU).

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

M. le président Julien Dive. Bonjour à toutes et à tous. Merci d’avoir répondu à l’invitation de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique. Je rappelle que, créée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale en juillet 2018, elle est entrée en fonction en septembre 2018 et a depuis réalisé une vingtaine d’auditions et organisé une série de déplacements.

Notre mission est notamment composée d’un président, de trois vice-présidents – je serai d’ailleurs remplacé vers dix heures et demie par Marie-Noëlle Battistel – et d’un rapporteur, Bruno Duvergé, à qui je donnerai la parole avant de vous entendre.

Les auditions de notre mission d’information sont ouvertes à la presse et enregistrées.

Nous n’avons pu répondre à toutes les demandes d’audition. C’est pourquoi nous avons mis en ligne, le 6 mars dernier, une plateforme de consultation sur le site internet de l’Assemblée nationale, sur laquelle vous pourrez compléter vos interventions si vous estimez vous être insuffisamment exprimés. Suivant une démarche inédite, elle est ouverte à tous, aux citoyens comme aux professionnels, jusqu’à mi-avril, et depuis quinze jours, elle a déjà recueilli quelque deux mille contributions. Vous avez la possibilité de vous y exprimer sur les sept thématiques - la mobilité durable, l’économie d’énergie, le rôle des groupes industriels, le développement des nouvelles énergies renouvelables, les pratiques usuelles, la fiscalité et l’organisation territoriale de la transition énergétique - autour desquelles sont articulées nos auditions. C’est pourquoi nous avons souhaité vous auditionner ce matin sur la chaleur renouvelable.

Nous recevons ce matin : M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) ; M. Rémi Chabrillat, directeur « production et énergies durables » de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; M. Jean Riondel, président et directeur technique de la start-up Minigreenpower, et M. Pierre du Baret, directeur général et directeur commercial ; Mme Julie Purdue, déléguée générale adjointe d’Amorce, association de collectivités territoriales et des professionnels ; Mme Catherine Trautmann, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, et M. Constant Espargilière, conseiller technique.

Vous disposerez chacun d’un temps de parole limité à cinq ou six minutes, car nous devrons en avoir terminé à onze heures, pour enchaîner avec une autre audition.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, bienvenue à toutes et tous. Je rappellerai que les travaux de notre mission sont articulés autour de sept thèmes : la vision du paysage énergétique de notre pays d’ici dix, vingt ou trente ans ; le développement des filières d’énergie renouvelable, dont la chaleur fait partie ; les mobilités ; les économies d’énergie ; l’appropriation de cette transition par les territoires avec une énergie devenant décentralisée ; la fiscalité et la transformation des grands groupes d’ici vingt à trente ans.

M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, la Fédération des services énergie environnement (FEDENE) réunit des sociétés de services énergétiques. Elle conçoit, met en œuvre et exploite dans la durée des solutions contribuant à la transition énergétique, notamment dans deux domaines : l’efficacité énergétique, dont nous parlerons peu aujourd’hui, et l’énergie renouvelable, en particulier la chaleur renouvelable. Nos entreprises décident du montage de projets lorsque les conditions sont réunies. Nous connaissons les conditions à réunir pour engager des projets et avons une vision opérationnelle du sujet.

L’importance de la chaleur est souvent sous-estimée dans les débats politiques ou médiatiques relatifs à la transition énergétique. Pourtant, alors que la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) soutient clairement l’objectif de la décarbonation, on trouve en France les énergies carbonées dans deux domaines : la chaleur, qui représente un peu moins de 50 % des consommations, et les transports, qui en représentent un peu moins d’un tiers, sachant que l’électricité, qui représente environ 25 % des consommations énergétiques, est aujourd’hui décarbonée à 80 %.

Quand nous montons des projets et observons les freins ou les obstacles au développement de la chaleur, nous constatons que les résultats sont mauvais. Nous ne nous inscrivons pas dans la trajectoire fixée il y a quelques années en matière de développement des énergies renouvelables dans le domaine thermique. Nous en sommes à environ la moitié du rythme prévu, et la question est de savoir pourquoi. En tant qu’entreprise, nous partons des clients. Quand on développe un projet de chaleur renouvelable, sur ses fonds propres ou au travers d’un prestataire comme les entreprises de la FEDENE, on s’engage sur une longue durée, de l’ordre de huit, dix ou quinze ans. Quand on monte une centrale biomasse, un réseau de chaleur ou un dispositif de valorisation énergétique des déchets, on prend des engagements de très long terme. Pour ce faire, il faut avoir un intérêt à agir, et la dimension économique est un élément important.

Jusqu’aux années 2014, ce développement a été soutenu, grâce au fonds chaleur, qui a très bien fonctionné et qui, à l’époque, était reconnu comme l’outil le plus efficace pour développer divers projets de chaleur renouvelable : réseaux de chaleur, utilisation industrielle, chaufferie biomasse pour le tertiaire. Le rythme s’est inversé en 2014 par suite de la chute du prix des énergies fossiles. Entre 2014 et aujourd’hui, le prix de la molécule de gaz livrée a baissé de 10 euros, tandis que la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), sous l’effet de la contribution climat énergie (CCE), regagnait 8 euros, de sorte que la compétitivité relative des projets de chaleur renouvelable est encore obérée de 2 euros environ par mégawattheure (MWh).

On aurait pu penser que les aides apporteraient une compensation et rétabliraient cette compétitivité relative. Certes, l’ADEME a revu ses grilles pour améliorer le niveau d’aide. À l’époque, nous nous étions demandé, avec l’ADEME, comment aller un peu plus loin au regard des règles européennes, et nous avions travaillé sur un concept d’avance renouvelable complémentaire. Mais cette idée nous est revenue comme un boomerang, dans la mesure où cette avance renouvelable venait en déduction des aides. Une compétitivité obérée conjuguée à une baisse réelle du niveau d’aide ne favorise pas le développement des projets. On le mesurera mieux aux résultats dans les années qui viennent parce que le temps de maturation des projets est lent.

Nous le voyons déjà un peu dans les statistiques de l’ADEME. La première ressource de chaleur renouvelable est la biomasse, suivie de la valorisation énergétique des déchets. Or le volume annuel des projets énergie renouvelable financés par le fonds chaleur, qui reste l’outil privilégié et le plus efficace, est passé d’environ 300 000 tonnes équivalent pétrole (TEP) en 2010 à environ 60 000 TEP en 2017. Les projets biomasse ont largement décru faute de compétitivité et la tendance se poursuit.

Dès lors, comment rétablir la tendance ? Nous souhaitons transmettre deux messages.

En premier lieu, nous relevons l’incohérence entre les objectifs poursuivis ou l’importance des différents sujets et les moyens publics mobilisés. Des rapports de la Cour des comptes et de la direction du Trésor montrent clairement que les projets de nature à économiser les plus gros volumes de CO2 par rapport aux euros investis, sont de très loin les projets de chaleur renouvelable. Mais comme ils ont besoin de moins d’argent, on leur en donne moins ! Votre collègue Julien Aubert a d’ailleurs demandé la création d’une commission d’enquête visant à comprendre cette attitude illogique et inefficiente.

En second lieu, il s’agit de projets territoriaux de développement. N’oublions pas qu’un projet de chaleur renouvelable est un investissement local visant à valoriser des ressources locales, tels que la biomasse, les déchets ou la géothermie, afin de produire de la chaleur en substitution d’importation d’énergie fossile, donc générateur d’emplois. Ce sont de vrais projets d’économie circulaire et de croissance verte. Au regard des objectifs quantitatifs de production de chaleur renouvelable et de leur intérêt termes de croissance verte, on est au sommet du podium, tandis qu’en termes d’allocation de ressources, ce sont les derniers du peloton sans ajustement réel en fonction des résultats. L’augmentation du fonds chaleur annoncée n’est pas suffisante. Le niveau d’aide par projet doit être relevé pour favoriser l’émergence de projets, sachant que les décisions prises aujourd’hui n’auront d’effet que d’ici deux à trois ans.

La bonne nouvelle, c’est que ce ne sont pas des freins, mais des décisions inappropriées prises dans la gestion du dossier, ce qui est facile à corriger. La mauvaise nouvelle, c’est que beaucoup des moyens financiers ont déjà été obérés par les choix arrêtés les années précédentes, et qu’on va devoir vivre dans un environnement plus contraint en termes de ressources publiques disponibles pour relancer le sujet. Nous pensons qu’il y a urgence à changer de cap. Si cette ambition est clairement affichée dans l’introduction de la PPE, on n’en retrouve pas la traduction dans les chiffres.

M. le président Julien Dive. Vous avez raison de préciser que les projets de chaleur renouvelable sont des projets de territoire, ce qui permet de mettre en lumière l’exemple de l’Eurométropole de Strasbourg qui, depuis 2009, a réduit de 25 % ses émissions de gaz à effet de serre et porte un projet fort de géothermie.

Mme Catherine Trautmann, vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci de nous accueillir ce matin. Nous sommes en pleine période chaude sur la question de la géothermie, puisque nous avons saisi avant-hier le ministre de la transition écologique et solidaire, M. de Rugy, au côté de l’organisation France urbaine, du sujet que je vais présenter à l’Assemblée nationale à travers vous, lequel ne concerne pas seulement un territoire ou une région, même si nous sommes les plus avancés dans cette technologie d’énergie renouvelable.

L’Eurométropole de Strasbourg a décidé, en septembre 2017, de se doter d’un schéma directeur des énergies pour atteindre l’objectif ambitieux d’un fonctionnement à 100 % en énergies renouvelables et de récupération en 2050. Nous avons pour ce faire déterminé les énergies renouvelables prioritaires. La première est la géothermie profonde. L’éolien n’est pas envisageable, faute de vent dans la vallée rhénane. Nous transportons, à partir du port de Strasbourg, les éoliennes fabriquées à côté de chez nous, mais nous nous contentons de les voir passer. Concernant les énergies de récupération, à partir d’une expérience de plus de trente ans du partage de la chaleur produite par notre usine d’incinération, nous avons aujourd’hui un projet de partage de chaleur avec une aciérie dans le port allemand voisin de Kehl. Quant à l’énergie solaire, nous partons de très loin puisque nous ne l’avions pas jusqu’à présent privilégiée, mais pour atteindre notre objectif, nous devons prévoir un mix énergétique favorable. C’est pourquoi nous souhaitons développer l’ensemble de ces procédés.

Nous avons considéré que nous devions d’abord adopter un comportement et une consommation sobres par une baisse drastique, de 67 %, des consommations d’énergie. C’est beaucoup. Cela peut être obtenu par un travail sur l’habitat, le transport et l’industrie et cela passe par une transition vers les modes de production d’énergie renouvelable.

Avec le soutien de l’ADEME, nous avons mis en service une centrale biomasse sur le territoire portuaire.

L’hydroélectricité est aujourd’hui notre première source d’énergie renouvelable, mais elle est fragilisée par les basses eaux du Rhin.

Nous développons massivement le solaire, au travers des panneaux photovoltaïques. Nous avons déjà réalisé une expérimentation de solaire lacustre et créé un cadastre solaire en vue d’optimiser le niveau d’ensoleillement. Une manifestation permettra prochainement au public d’exprimer des choix et de s’associer à la démarche.

Je citerai enfin la géothermie profonde, qu’il ne faut pas confondre avec la géothermie sur nappe pratiquée à Paris. La nôtre descend de 3 000 à 5 300 mètres, pour un des puits, à l’emplacement de notre ancienne raffinerie, et donne accès à des eaux de 150 à 200 degrés. Cette eau extrêmement chaude est chargée en lithium. Nous avons deux puits en cours de construction. Avec ces quatre puits, nous pourrions fournir la quasi-totalité des besoins nationaux en lithium. Cela montre qu’une énergie renouvelable peut apporter une valeur ajoutée stratégique, au moment où nous avons besoin de ce produit rare, nécessaire à nos technologies.

À titre d’exemple, le projet d’Illkirch-Graffenstaden, commune importante du sud de l’agglomération, mené par Électricité de Strasbourg, pourrait produire 28 000 MWh de chaleur et 22 000 MWh d’électricité par an et éviter l’émission dans l’atmosphère de 11 000 tonnes de CO2, ce qui est un résultat tout à fait optimal. Le bureau d’études islandais Verkis, qui nous conseille, estime que le développement des projets de géothermie devrait nous permettre de couvrir jusqu’à 35 % des besoins de chaleur en 2050.

M. le président Julien Dive. Pour la région ?

Mme Catherine Trautmann. Pour la métropole. Mais, en creusant des puits, la faille rhénane étant longue, on peut faire de la géothermie ailleurs que dans notre territoire métropolitain. Les essais n’ont d’ailleurs pas été réalisés sur le territoire métropolitain, mais dans la commune de Soultz-Sous-Forêts, en lien avec l’entreprise industrielle Roquette.

Cette filière est vectrice d’un développement important d’emplois qualifiés et de savoir-faire exportables. Les Allemands observent notre expérimentation et notre développement afin de nous solliciter pour réaliser des puits de géothermie de leur côté. Ils peuvent en bénéficier également, et pas seulement dans la vallée rhénane. Si cette filière est soutenue, elle peut aussi offrir des débouchés à ceux qui connaissent l’exploitation souterraine du gaz ou du pétrole.

Les récentes annonces du Gouvernement dans le cadre du projet de PPE, qui a déclaré vouloir cesser tout soutien à la production d’électricité issue de la géothermie profonde, font peser sur nous – et sur le modèle économique à la base de nos calculs pour la construction de ces puits – une menace et nous mettent complètement en suspens. Nous pourrons réaliser les puits dont la construction est engagée, mais les deux autres sont remis en question. Nous reconnaissons que le prix de rachat 246 euros le MWh, fixé aux termes d’un accord visant à inciter les industriels à s’engager dans la filière avec un certain degré de sécurité, est élevé. Aujourd’hui, la sécurité est réelle, le retour sur investissement rapide, mais il faudrait trouver des modalités de lissage pour ne pas arrêter brutalement des projets considérés comme étant d’un niveau économique suffisant. Abaisser les tarifs de rachat serait une solution. Cela inciterait les opérateurs à fournir plus de chaleur et répondrait aux impératifs d’économie du Gouvernement tout en préservant la filière.

La problématique des filières d’énergie renouvelable, c’est leur modèle économique. Je peux dire aujourd’hui, après avoir travaillé sur ces sujets au niveau européen, que nous ne sommes pas assez sensibles à l’intégralité de ce qui est nécessaire pour créer le meilleur écosystème possible pour les énergies renouvelables, à savoir, le soutien à l’innovation, un déploiement rapide, des mesures réglementaires favorables, le recours à la commande publique. C’est pourquoi nous avons décidé, avec l’Eurométropole, de nous orienter vers un portage de l’investissement dans les tuyaux de nos réseaux de chaleur pour soulager la portée de l’investissement des concessionnaires qui fourniront cette énergie et favoriser ainsi l’équilibre des coûts. Nous porterons la part du fardeau. Nous pouvons le faire. Ce sera très coûteux, mais la durée d’amortissement des réseaux à construire pour acheminer la chaleur fatale peut atteindre quarante ans. Or on ne peut pas demander à un concessionnaire sur vingt ans de porter le même investissement sur une période aussi courte.

C’est la raison pour laquelle nous avons beaucoup plaidé auprès du ministre pour qu’on ne nous impose pas des dispositions qui nous fragiliseraient et qui fragiliseraient la filière et pour qu’il ouvre des discussions avec nous en vue de trouver les meilleures solutions en termes de prix, de retour d’investissement et d’efforts partagés.

Quant au projet industriel avec l’aciérie de Kehl, dont les fours électriques particulièrement efficaces consomment en une journée le potentiel électrique de la ville de Stuttgart, il pourrait fournir une grande partie de notre besoin, en produisant une chaleur comparable à celle de la géothermie, à 200 degrés. Nous sommes en discussion. L’opération peut être « gagnante-gagnante » avec le Land, le ministère, l’ADEME, son équivalent allemand, et un accord de garantie auquel nous sommes en train de travailler.

En ce qui concerne la source la plus importante, l’usine d’incinération, après avoir été longtemps à l’arrêt pour des raisons liées à l’amiante, elle va redémarrer prochainement et pourra fournir 20 000 équivalents logements. Nous ne pouvons pas basculer la géothermie uniquement sur la chaleur puisque nous avons cherché à récupérer cette énergie fatale.

Un opérateur énergétique a découvert, en développant une action de mutualisation et de coopération d’écologie industrielle, de l’hydrogène fatal sur le territoire portuaire. Nous installerons prochainement la première pompe qui alimentera des véhicules du Parlement européen. Ce qui est dommage, c’est que ce sont des Mercedes !

M. le président Julien Dive. C’est en effet un autre sujet important que nous avons déjà abordé.

Mme Julie Purdue, déléguée générale adjointe de l’association Amorce. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci pour cette invitation à m’exprimer au nom de l’association Amorce, qui représente l’ensemble des collectivités territoriales, de la petite commune à la région.

Amorce est mobilisée pour l’accompagnement des collectivités, notamment en matière de chaleur, car elles ont un rôle majeur à jouer à plusieurs niveaux. Elles peuvent verdir les consommations de leur patrimoine. La chaleur représente un enjeu majeur puisque, comme l’a rappelé M. Roger, le premier poste de consommation de la chaleur, ce sont les bâtiments, à hauteur de 80 %. La collectivité peut aussi jouer un rôle en matière de production et de valorisation des énergies renouvelables et de récupération sur son territoire par la géothermie, le solaire, la biomasse et les énergies fatales. Elle peut en faciliter la distribution via ses réseaux de chaleur, d’électricité et de gaz, ce qui est le sujet de votre table ronde suivante.

La prise de conscience de l’importance de la chaleur s’est opérée en France via la loi de transition énergétique, après le niveau européen. Pour la première fois, une directive, celle relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, adoptée en décembre dernier contient un article sur la chaleur. Cet enjeu majeur est maintenant reconnu à tous les niveaux.

Au regard des objectifs français, nous avons pris du retard. Avec la FEDENE et les acteurs des différentes filières – solaire, géothermie, chaleur fatale –, nous avons organisé conjointement, à la fin de l’année dernière, la semaine de la chaleur renouvelable. Nous avons essayé de porter, en lien avec l’ADEME qui nous a soutenus dans cette démarche, le message de cette prise de retard. Nous en sommes aujourd’hui à environ 300 kilowattheures d’énergie primaire par mètre carré et par an (kWhep/m2/an) de chaleur collective et 300 kWhep/m2/an de chaleur individuelle, soit 600 kWhep/m2/an, contre les 900 kWhep/m2/an nécessaires pour atteindre l’objectif de 38 % de consommation finale d’énergie prévu pour 2030 par la loi relative à la transition énergétique. Comme nous n’atteignons pas non plus les objectifs de réduction de consommation d’énergie, l’effort de production d’énergie renouvelable devra être accru. D’ailleurs, le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie, tout en maintenant les objectifs pour 2030, infléchit les objectifs pour 2023 et 2028. On repousse encore un peu l’effort.

Nous partageons avec la FEDENE la nécessité de faire un état de lieux de ces objectifs. Il conviendrait de définir plus précisément quels sont, dans ces 38 %, les objectifs pour la chaleur collective et pour la chaleur individuelle, notamment par segmentation, pour que chacun d’entre nous perçoive mieux quels sont ses objectifs précis.

À l’échelle du territoire français, comment partage-t-on l’effort ? Certes, notre réunion ne porte pas sur les réseaux de chaleur, mais pour illustrer mon propos, il est tout de même intéressant de le savoir. L’objectif est aujourd’hui de multiplier par cinq la quantité de chaleur renouvelable et de récupération livrée par les réseaux entre 2012 et 2030. Au regard du potentiel maximal de développement des réseaux de chaleur en France, il apparaît possible, en Ile-de-France, de le multiplier par deux, mais pas par cinq. Autrement dit, pour atteindre l’objectif, l’effort sur les réseaux de chaleur doit être plus important sur les autres territoires, en fonction de leurs spécificités.

L’ADEME a commencé à faire cet exercice mais, à l’heure où les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) sont en cours de finalisation et où des plans climat sont bien engagés, il serait bon de clarifier ces éléments.

Avec la FEDENE, nous considérons aussi qu’il importe de rendre les projets plus attractifs. Nous constatons le ralentissement du rythme des opérations de construction de réseaux de chaleur. S’ils se développent indéniablement, c’est plus sous la forme d’extension de gros réseaux ou de création de petits réseaux que de créations dans des villes moyennes ou grandes. Nous avons besoin d’un dispositif d’accompagnement stable, plus visible et renforcé.

Avec le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU), ici représenté par Marie Descat, l’association Amorce réalise chaque année une enquête sur le prix de la chaleur. L’année dernière, pour la première fois, nous avons constaté que les réseaux de chaleur « vertueux », c’est-à-dire alimentés par plus de 50 % d’énergie renouvelable et de récupération, étaient devenus plus coûteux que les réseaux fonctionnant à l’énergie fossile. Il est difficile pour des collectivités de continuer à aller dans le bon sens quand cela devient économiquement compliqué.

Je ne reviendrai pas sur la stabilité des règles du fonds chaleur dont il a déjà été question. Concernant la visibilité, nous continuons à demander à l’ADEME qu’un niveau d’aide prévisionnel soit indiqué dès l’étude de faisabilité afin de fluidifier les réalisations. Le renforcement de l’accompagnement est indispensable pour l’émergence de nouveaux projets, car se pose aujourd’hui, pour les porteurs comme pour les usagers, la question de leur attractivité économique. Des études intéressantes sur les modalités d’aide ont été réalisées l’année dernière par différentes missions, notamment celles du Comité de gestion des entreprises d’électricité (CGEE) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).

J’évoquerai enfin des mesures ponctuelles. Nous considérons que le potentiel des énergies renouvelables doit être mieux valorisé dans les plans locaux d’urbanisme. Par ailleurs, Amorce avait proposé, il y a quelques années, l’opération « une ville égale un écoréseau », ouvrant droit au financement à 80 % ou 90 % d’une étude de faisabilité réalisée sur un temps donné, au lieu des 70 % fournis par l’ADEME. De mémoire et sous le contrôle de M. Rémi Chabrillat, une étude de faisabilité sur trois débouche sur la création d’un réseau de chaleur.

M. Rémi Chabrillat, directeur « production et énergies durables » de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Tout à fait !

Mme Julie Purdue. Enfin, nous travaillons sur le raccordement des bâtiments publics de l’État aux réseaux de chaleur vertueux, lorsqu’il en existe à proximité.

M. Jean Riondel, président et directeur technique de la start-up Minigreenpower. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci de donner à notre start-up provinciale, installée à Hyères, dans le Var, l’occasion de présenter devant la représentation nationale les difficultés que nous rencontrons au jour le jour.

Cela fait vingt-cinq ans que j’évolue dans le secteur de l’énergie et dans l’entreprenariat. Les vingt premières années, j’ai contribué, en tant qu’expert international, au lancement des plus grosses cogénérations du monde à base de turbines à gaz, principalement pour des clients américains ou anglo-saxons, le plus souvent dans des pays en guerre comme l’Iran, le Nigéria, l’Angola, l’Algérie et Israël.

Il y a cinq ans, j’ai créé à Hyères, avec mon associé, la start-up Minigreenpower. Nous sommes aujourd’hui trente et venons de recevoir le premier prix de l’excellence opérationnelle décerné par le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) dans la catégorie PME, qui compte quatre millions de sociétés.

Dès 2013, mon intuition était que l’énergie de demain serait faite en circuit court, avec des petites unités locales, entièrement automatisées, commandées à distance et à base d’énergie renouvelable. Aujourd’hui, c’est devenu une certitude.

En France, on n’a pas de pétrole mais on a de l’or vert. Nous avons inventé et breveté des mini-centrales vertes carbone zéro qui produisent de la chaleur, de l’électricité à partir de résidus végétaux de mauvaise qualité et de déchets de bois locaux. Nous couplons GreenTech et numérique au service de l’environnement, nous fournissons une solution d’énergie propre et rentable aux industriels et aux collectivités locales. Notre technologie est unique au monde. Nous l’avons mise au point grâce au big data.

Nous jouons sur les deux leviers de la transition énergétique : les déchets et l’énergie. En France, nous disposons de 6 millions de tonnes de déchets verts par an, peu ou pas valorisés, et de 10 millions de tonnes de bois de classe B qui partent principalement à l’étranger, faute de valorisation en France. Avec ces résidus, nous pourrions chauffer 4 millions de foyers et créer 4 000 emplois pérennes sur le territoire. Malheureusement nous subissons des freins importants, d’ordre réglementaire, administratif et financier.

Pour ce qui est des freins réglementaires, l’application de la réglementation est plus dure qu’ailleurs en Europe. Nous avons une centrale qui tourne depuis deux ans en Italie, une autre en Angleterre. Nous commençons à réaliser des tests sur des plastiques et des ordures ménagères dans ces pays. Rien de cela n’est possible en France, aucune centrale ne fonctionne industriellement. Concernant la valorisation des déchets, la majorité du bois de classe B produit en France est exportée vers la Belgique, l’Allemagne, la Suède, l’Italie et l’Espagne pour produire de l’énergie, parce que la réglementation y est plus simple.

En ce qui concerne les freins administratifs, le fonds chaleur a été augmenté pour faciliter le développement de la chaleur verte. Malheureusement, il est inaccessible aux nouvelles technologies, même éprouvées. Il faut plusieurs années avant d’être qualifié alors que nos centrales fonctionnent déjà en Europe. À ce jour, nous n’avons perçu aucune aide du fonds chaleur. Les cogénérations produisent 80 % de chaleur et 20 % d’électricité. Les subventions aujourd’hui octroyées sont très insuffisantes pour les petits projets, alors qu’il faudrait attribuer la majorité de ces aides aux petits projets qui, par définition, font appel à des circuits courts. D’autres filières comme la méthanisation sont bien plus subventionnées, alors que la filière bois-énergie à laquelle nous appartenons est plus mature et plus rentable.

Autre frein administratif, la commande publique. En Allemagne, en Espagne et dans les pays voisins, les commandes publiques aident à lancer les nouvelles technologies. Ce n’est pas le cas de la France. Les décrets sur les projets d’innovation qui ne seraient pas soumis à appel d’offres ne paraissent pas. Ce serait pourtant la solution. Par ailleurs, nous avons difficilement accès aux subventions européennes. Pourquoi les start-up italiennes, espagnoles, allemandes obtiennent-elles beaucoup de subventions, alors que les start-up françaises en ont très peu par rapport à ces pays-là ?

À cela s’ajoutent des freins financiers importants. Les financements sont très insuffisants pour une start-up qui produit des infrastructures de l’énergie. Nous sommes dans la même cour que ceux qui font du numérique, des jeux vidéo ou des robots pour alimenter les chiens. Les financements publics sont très faibles au regard des enjeux. Les financements privés, comme le capital-risque, sont très insuffisants lorsqu’on est entre la preuve de concept et le décollage commercial. Depuis quatre ans, nous sommes scotchés dans cette « vallée de la mort », c’est-à-dire incapables de décoller faute financements adéquats, alors que notre technologie est reconnue dans le monde entier.

Les banques françaises ne nous aident pas non plus. Aujourd’hui, nous avons 600 000 euros de créances d’État sûres. Pourtant, aucune grande banque n’a accepté de nous consentir un prêt de trois à quatre mois, garanti à 100 % par des créances d’État, qui nous permettrait de payer les salaires dans les semaines à venir. Nous avons besoin d’un engagement des services de l’État pour créer de l’emploi, de l’énergie, de la richesse.

(Présidence de Mme Marie-Noëlle Battistel.)

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Merci pour cette présentation claire de la problématique de développement de vos projets.

M. Rémi Chabrillat. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, merci de nous accueillir de nouveau dans le cadre des travaux de votre mission d’information.

 Je rappellerai tout d’abord qu’un tiers environ des consommations sont à relativement basse température. Mme Trautmann évoquait la géothermie et la chaleur de récupération à 200 degrés. Beaucoup d’usages chaleur en France sont accessibles aux énergies renouvelables. Les consommations d’énergie à haute température destinées à des usages industriels de cuisson, par exemple, pour le ciment, difficiles à atteindre avec la géothermie, le solaire et la chaleur de récupération, représentent une part minoritaire. Il y a un potentiel considérable de développement d’énergies renouvelables, lesquelles, pour ce qui est de la chaleur, disposent d’un panel de technologies matures, éprouvées, proches de la compétitivité. Pascal Roger évoquait le prix du gaz. Je suis surpris de ne pas en avoir entendu parler dans les recommandations ou les attentes de certains intervenants, mais ils l’ont cité en creux.

Les énergies renouvelables thermiques sont un sujet de compétitivité à court et moyen terme, car nous disposons de technologies matures aux coûts de fonctionnement et de combustibles faibles, avec la biomasse, ou nuls, avec le solaire et la géothermie. Pour cette dernière, encore faut-il être descendu à 1 500 mètres en Ile-de-France et 3 000 à 4 000 mètres dans la vallée du Rhin. Une ressource gratuite ou moins onéreuse, dans le cas de la biomasse, nécessite toutefois des coûts d’investissement plus élevés. En conséquence, comme Pascal Roger le disait, il convient de gérer des engagements pour des périodes de temps relativement longues et les articuler autour de soutiens ou des mécanismes capables de gommer en partie le surinvestissement pour bénéficier à plein des économies de fonctionnement. C’est le principe du fonds chaleur, outil d’aide à l’investissement pour les projets des collectivités et des entreprises, les investissements particuliers étant soutenus au travers des mécanismes de crédits d’impôt fondés sur le même principe.

Le sujet de base, c’est la compétitivité intrinsèque avec les concurrents pour les 50 % de chaleur très majoritairement produits à partir d’énergie fossile : fioul et, plus particulièrement, gaz. Pascal Roger l’évoquait tout à l’heure, le prix du gaz a baissé lourdement après la crise de 2008-2009 et le développement de la production des gaz de schiste aux États-Unis, avec quelques années de décalage, en 2013, et n’a depuis que partiellement remonté. Pour prononcer un gros mot dans la période actuelle, on a clairement un sujet de taxe carbone. Si on veut développer la chaleur renouvelable sur la durée, on doit faire face à la compétitivité des énergies renouvelables par rapport au prix du gaz qui s’est effondré. Tout le monde se félicitait, il y a dix-huit mois, que la loi de finances initiale pour 2018 ait prévu une trajectoire visible, « anticipable », intégrable d’augmentation de la composante carbone de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN).

Lors de notre audition à l’ouverture de ces travaux, en septembre, Fabrice Boissier, mon directeur général, et moi-même avons dit : si l’on souhaite développer visiblement et massivement la chaleur renouvelable sans être obligé de jongler en permanence avec des ajustements de niveaux d’aide et d’augmenter encore plus régulièrement les crédits publics affectés, les acteurs doivent pouvoir anticiper le prix du gaz et constater qu’il y a un intérêt, moyennant les aides existantes ou à développer, à mettre en place des solutions de chaleur renouvelable. Nous avions dit aussi que ceci impliquait impérativement un accompagnement et une compensation des mécanismes de nature à amortir le choc, voire de préserver de ces augmentations les plus vulnérables, en particulier ceux qui se trouvent dans des situations de dépendance. Nous en sommes toujours là. Si on ne se pose pas cette question, on rate la cible ou, plus exactement, on évite de la regarder.

Le frein essentiel est donc d’ordre économique. Nous avons des technologies qui fonctionnent et se développent. Nous les accompagnons. Je ne peux laisser dire que le fonds chaleur est inaccessible aux nouvelles technologies.

J‘ai fait figurer des éléments d’ordre de grandeur sur les documents que je vous ai remis. Quand on fait du biogaz que l’on injecte au réseau cela fait du gaz utilisé pour produire de la chaleur. La biomasse représente un énorme enjeu. Dans la géothermie et le solaire, le combustible ne coûte rien, pour le biogaz un peu car il faut acheter le bois. Même s’il est globalement moins cher que les combustibles fossiles, pour les très gros consommateurs de gaz qui ont accès à des prix très bas, ce n’est pas évident. Le bois a été le premier combustible concurrencé par la baisse du prix du gaz. On voit bien que les objectifs importants fixés pour la biomasse ne seront pas faciles à atteindre.

Le tableau des résultats du fonds chaleur conforte des propos de Julie Purdue. L’an dernier, nous avons financé plus de 500 projets, avec un budget qui a déjà commencé à augmenter, ce qui est une bonne nouvelle. Mais au bout du compte, cela ne produira que 225 000 TEP par an, soit l’équivalent du chauffage de 220 000 à 250 000 logements. C’est un résultat intéressant mais pour atteindre les objectifs de la PPE, il faudrait, suivant les hypothèses, faire deux à trois fois mieux.

Enfin, vous m’avez demandé de citer un exemple. J’ai retenu celui du réseau de chaleur de Saint-Chély-D’apcher, en Lozère, pendant des installations de l’Eurométropole évoquées par Catherine Trautmann. Le réseau de Saint-Chély-D’apcher, commune d’un peu plus de 4 000 habitants, a été mis en service en 2015, après un engagement de la collectivité et une très forte mobilisation du maire. Composé d’un réseau de 7 kilomètres alimentant bâtiments publics, logements sociaux, quelques copropriétés, le lycée et d’une chaufferie biomasse de 2,9 MWh, il a nécessité 6 millions d’euros d’investissement, dont la moitié sous forme d’aides à parité de l’ADEME et de la région.

Dès le début et par anticipation, la contrainte avait été fixée d’installer la chaufferie à proximité du grand site industriel local d’ArcelorMittal. En 2018 a été mise en service une récupération de chaleur sur les fours de recuit de l’usine. La chaufferie biomasse est calibrée pour produire 12 gigawattheures (GWh) par an, et 12 GWh sont également récupérés chez ArcelorMittal. Cela ne fait pas deux fois trop de chaleur parce que le réseau n’était pas à 100 % renouvelable et parce que ArcelorMittal récupère une partie de la chaleur, environ 9 GWh, pour ses usages propres, 3 GWh pouvant être réinjectés sur le réseau. Cela représente 4 millions d’euros d’investissement, dont un peu plus de 2 millions d’euros apportés par la région et l’ADEME.

Cet exemple repose sur un fort engagement de la collectivité, une anticipation et la présence d’un tiers investisseur. Ce montage peut être intéressant pour accompagner des industriels qui considèrent que ce n’est leur métier de produire de la chaleur. Le tiers investisseur prend le risque à leur place. On en revient aux moyens de financement, en l’occurrence de l’ADEME et de la région. Mais pour revenir à mon premier sujet, les freins sont le prix du gaz, la compétitivité relative et le niveau des soutiens publics. Les moyens affectés à l’ADEME ont été augmentés mais le soutien n’est pas encore tout à fait au niveau souhaitable.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Merci à toutes et à tous pour vos interventions. Vous avez été un certain nombre, dont M. Roger, de la FEDENE, à nous faire part de votre sentiment d’inadéquation entre les objectifs de la PPE et les moyens mobilisés pour les atteindre, ce qui a conduit à une diminution importante du nombre de projets qui est passé de 300 000 à 60 000. Imputez-vous cela uniquement à l’insuffisance du complément de rémunération et de maturité de la filière ?

Madame Trautmann, vous avez l’également évoqué pour vos projets, dont le premier nous semble financé et suffisamment encadré mais le suivant mis en péril par l’absence de soutien dans le cadre de la nouvelle PPE. À combien évaluez-vous le montant de ce complément de rémunération ? Vous parliez des 246 euros prévus préalablement et vous évoquiez la possibilité de trouver un juste équilibre. À combien l’estimez-vous ?

Monsieur Chabrillat, la taxe carbone revient régulièrement dans les débats. Elle est nécessaire à l’atteinte des objectifs, mais elle doit être suffisamment équilibrée et compensée pour être acceptée et efficace. La réussite de la transition énergétique ne se fera évidemment qu’avec tous et pas les uns contre les autres. C’est ce point d’équilibre que nous devons trouver. Avez-vous sur ce point des éléments à apporter ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous avons été marqués par notre visite récente à la communauté urbaine de Dunkerque. Elle conduit une politique énergétique très intégrée dont la pièce maîtresse est un schéma de flux pour tout le territoire, identifiant toutes les sorties positives des différentes entreprises, comme ArcelorMittal pour le CO2 et le laitier des fours, et les entreprises à même de les réutiliser localement. Est-ce que vous utilisez de telles méthodes ? Est-ce que les territoires commencent à s’intéresser à une vision globale des choses ?

Utiliser la chaleur fatale de grosses industries, comme une aciérie, comporte des risques, celle-ci pouvant s’arrêter. La pérennité du modèle est-elle un problème ?

J’évoquerai enfin l’utilisation du biogaz et la compétition entre les utilisations de certaines énergies. Le scénario de l’association NégaWatt privilégie l’usage des pompes à chaleur électrique plutôt que du biogaz pour le chauffage et réserver le biogaz à la mobilité. Prévoyez-vous une augmentation de l’usage du biogaz pour la production de chaleur ?

Mme Catherine Trautmann. Comme nous sommes en phase de construction et que les 246 euros le MWh sont un prix d’objectif, calculé en fonction d’une récupération sur huit ans, il faut, pour changer le prix, modifier tous les paramètres. C’est un prix pour l’électricité, mais si on veut plus de chaleur, tout bouge. Aujourd’hui, nous pensons que nous sommes aux alentours de 150 euros, mais je ne peux vous donner de prix précis aujourd’hui. Cela étant, nous sommes préoccupés par l’homogénéisation des tarifs pour les concessionnaires, les industriels et les habitants. Les prix peuvent varier en fonction des prix de la biomasse ou de la chaleur récupérée. La géothermie est chère à cause du processus industriel. Elle est présente dans le sous-sol, mais les coûts d’exploitation et d’investissement sont beaucoup plus élevés que pour d’autres sources d’énergie.

Nous souhaitons qu’on se mette autour de la table. L’intérêt de la France, c’est d’avoir un modèle économique viable, puisque d’autres régions, comme l’Aquitaine et le centre de la France, sont intéressées, sans négliger la capacité d’exportation de notre expertise. Il importe donc de maintenir la dimension recherche et la dimension production. Même si certaines technologies sont matures, toutes les questions que vous nous avez posées supposent encore, dans l’exploitation et le fonctionnement industriel, une part d’évaluation économique et de recherche. Il faut assortir la phase de transition d’un accompagnement de la recherche.

Le risque industriel existe. Nous l’avons vécu comme un choc lorsqu’il y a eu des grèves, donc un risque social, dans notre usine d’incinération. Un certain nombre d’entreprises qui utilisaient en vapeur environ 10 % de la ressource à un prix très bas, en fonction d’un accord ancien, ont souffert. Après en avoir discuté, nous avons décidé que le schéma énergétique devrait comprendre les processus de sécurisation. Ce n’est pas fait du tout, nous sommes en cours de discussion. Nous étudions aussi la récupération d’énergies fatales d’un certain nombre d’industries du port autonome de Strasbourg. C’est un risque pour les industriels qui intègrent un processus vertueux d’utilisation d’énergie fatale, mais c’est aussi un risque pour nous au regard de la fourniture qui peut tout à coup s’interrompre. Quand on atteint des niveaux aussi élevés que ceux que j’évoquais, c’est important.

Par ailleurs, une source d’énergie renouvelable comme un puits de géothermie n’est pas éternelle. L’arrivée de l’eau dans les veines du sous-sol finit par se tarir. Il faut aussi, et c’est un élément important dont on parle peu, intégrer les processus de renouvellement du procédé industriel et de la ressource. Nous le constatons sur le Rhin : si on n’a plus d’eau, on n’arrivera pas à la renouveler, ce qui provoquera des difficultés pour la nappe phréatique et la production d’hydroélectricité. Alors qu’on pensait avec l’hydroélectricité être tranquilles pour toujours, le réchauffement climatique induit d’autres problèmes.

On est en train de se rendre compte qu’il ne faut pas, dans le mix énergétique, pousser trop loin la biomasse pour garantir un bon équilibre carbone. C’est un calcul à intégrer dans la recherche de l’homogénéité du coût, parce que le consommateur voudra un prix, quelle que soit l’origine ou la source.

M. Rémi Chabrillat. Je répondrai à la question posée par M. le rapporteur au sujet de la pérennité et des garanties. Catherine Trautmann le disait, des chaufferies sont nécessaires ne serait-ce que pour gérer le secours ou les phases d’entretien et de réparation. Pour tous les réseaux de chaleur mis en place par des exploitants privés ou publics, on ne dimensionne pas la solution renouvelable à 100 % des besoins mais à 50 % ou 60 %, tout simplement parce que la courbe de consommation ne révèle une forte pointe que pendant trois jours par an. Dans la mesure où une chaufferie biomasse coûte significativement plus cher en investissement qu’une chaufferie à gaz, on a intérêt à prévoir une chaufferie gaz dimensionnée à la pointe pour gérer les quelques jours d’ajustement annuels, mais tout le monde sait le faire.

La question est de savoir comment, économiquement et sur la durée, gérer le coût que pourrait représenter le tarissement de la solution renouvelable de récupération de la chaleur pour laquelle on a investi. Depuis plus d’un an, nous avons commencé à y réfléchir avec nos collègues de Hauts-de-France à partir d’exemples comme celui d’ArcelorMittal. Dans un premier temps, est venue l’idée d’un fonds de garantie, mais après avoir exploré un panel de solutions un peu plus large, nous travaillons sur des mécanismes financiers capables de couvrir le risque. On pense à la disparition de l’industrie qui alimente le réseau de chaleur, mais il peut aussi arriver que le voisin alimenté par l’industriel disparaisse, en sorte que celui-ci n’ait plus de débouché. Il existe des solutions assurantielles compliquées à monter pour des raisons de nature de risque, mais le sujet est identifié. Les professionnels, notamment ceux de la FEDENE, nous en avaient saisis, il y a plusieurs années. Ils participent d’ailleurs à nos travaux.

Pour rejoindre un des propos de Mme Catherine Trautmann, nous avons mis en place un fonds de garantie pour la géothermie, qui a été dimensionné au développement des projets en Ile-de-France. Tant qu’on n’a pas creusé à 1 500 mètres, on n’est pas assuré de la présence de la ressource. On sait que le Dogger, avec ses formations empilées comme des assiettes, existe mais on n’est jamais sûr d’obtenir le résultat escompté à l’endroit précis où l’on creuse. Au travers de l’ADEME, un fonds de garantie a donc été mis en place, avec un apport initial de l’État et les cotisations de ceux qui y font appel. La collectivité ou l’entreprise qui veut faire un puits cotise. Si elle trouve la ressource, c’est-à-dire la température et le débit prévus, la garantie n’intervient pas, sinon la garantie intervient pour partie. La région et nous couvrons à 90 %.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Cela existe aussi pour les petits puits ?

M. Rémi Chabrillat. Oui. J’ai cité cet exemple pour expliquer le mécanisme.

C’est aussi une garantie de long terme. Le débit doit se maintenir sur la durée. Il y a une deuxième tranche. C’est un système de cautionnement mutuel qui fonctionne bien. Le taux d’échec est faible et rarement intégral. On n’abandonne pas, on remonte un peu et en creusant en biais, on finit par trouver, mais le surcoût est pris en charge.

Enfin, nous avons retenu dans nos visions l’hypothèse d’une part assez importante de biogaz pour la mobilité. Nous ne sommes pas en contradiction avec NégaWatt. Nous avons fait des choix un peu différents, mais nous prenons aussi en compte le développement des pompes à chaleur, notamment pour le logement individuel. À terme, la mobilité pourra être largement basée sur le biogaz – en 2060, un certain nombre d’entre nous ne sera plus là pour le voir.

M. Pierre du Baret, directeur général et directeur commercial de la start-up Minigreenpower. J’évoquerai le prix des combustibles. S’agissant de la TICGN, sans même parler de la trajectoire d’augmentation, il y a aujourd’hui beaucoup d’exemptions, notamment pour des industries. On ne peut donc pas parler de problème social. C’est un frein réel au développement de solutions biomasse, car le rapport de compétitivité n’est pas le même.

Nous sommes porteurs d’une technologie particulière qui donne accès à des biomasses peu chères, à coût faible ou nul. Nous n’avons pas de problème de prix du combustible, ou plutôt, nous avons une position relative intéressante dans un contexte de faible prix de gaz. Nous avons plutôt à faire face à des problèmes d’accès au marché dans des technologies innovantes. Ce n’est pas que nous n’avons pas accès au fonds chaleur, mais les délais d’accès sont trop longs. Pour promouvoir une nouvelle technologie, on doit suivre le processus « nouvelle technologie émergente » (NTE). Il faut au moins un an et demi pour obtenir une validation et devenir éligible au fonds chaleur.

M. Rémi Chabrillat. Avec le système NTE, nous aidons directement des projets chaque année. Le dispositif a été spécifiquement conçu et mis en place pour cela, il focntionne.

M. Pierre du Baret. Après le dépôt du dossier, le temps que l’objet soit construit puis évalué, il s’écoule un an et demi, durée pendant l’entreprise porteuse de la technologie ne peut pas déposer d’autre demande au titre du fonds chaleur. Le temps de vie d’une start-up n’est pas le même que celui des processus d’aide existants. Une start-up vit ou meurt dans un délai de six mois à un an, en fonction de son accès au marché. Nous trouvons très intéressant tout ce que fait l’ADEME, ce n’est pas une critique. Le fonds chaleur est un très bon outil dont nous aimerions bénéficier, mais le délai nécessaire nous semble aujourd’hui préjudiciable.

Mme Julie Purdue. Je répondrai à la question relative à la communauté urbaine de Dunkerque. Ce travail de spatialisation des flux s’intégrait dans une démarche de schéma directeur des énergies. Nous avons comptabilisé une vingtaine de collectivités, le plus souvent des agglomérations, ayant engagé cette démarche volontaire. L’intérêt est une meilleure connaissance des caractéristiques du territoire, et cela devrait s’intégrer dans le plan climat, outil obligatoire pour animer et coordonner la transition énergétique. Cela consiste en un diagnostic du territoire et en la définition d’un certain nombre d’objectifs de développement énergétique à moyen et long terme. Le diagnostic revêt une importance essentielle pour la planification. Certaines contributions ne vont pas assez loin. Des agglomérations ont établi parallèlement un schéma directeur des énergies, parce qu’elles n’étaient pas allées suffisamment loin dans le plan climat. Pour bien faire ces diagnostics, il faut des données réelles de consommation, ce qui est parfois compliqué. Il y a eu une avancée avec l’article 179 de la loi de transition énergétique, relatif à la mise à disposition des données des réseaux d’énergie, mais des limites liées aux données de consommation empêchent d’aller suffisamment loin.

Après que la collectivité a mis en place la planification énergétique, on en revient aux coûts de mise en œuvre et à la contribution climat énergie. Nous demandons que cette recette retourne aux territoires pour mettre en œuvre leur transition énergétique.

M. Pascal Roger. Il existe un potentiel important en termes de ressources, qu’il s’agisse de la biomasse ou de l’énergie fatale gaspillée. Par conséquent, les démarches de mutualisation, qu’elles soient entreprises au niveau d’une plateforme industrielle ou au niveau d’un territoire, sont extrêmement porteuses. Pour la chaleur renouvelable, il n’y a pas de problème de ressources ni même de mécanisme.

Le mécanisme du fonds chaleur fonctionne. Le moteur a bien fonctionné mais il est en panne d’essence en raison des effets de la chute du prix des énergies fossiles sur la compétitivité relative. On en est aujourd’hui à dire : qu’est-ce qui va décider un client à se lancer dans un projet de cette nature ? Ce client dit : si je veux me lancer dans un projet de chaleur renouvelable, je dois m’engager financièrement sur quinze, vingt ou vingt-cinq ans ; quelle sera ma contrepartie, au-delà d’être climatiquement responsable ? Si vous êtes une collectivité, vous avez des contraintes budgétaires, si vous êtes un industriel, vous évoluez dans un contexte de compétitivité, si vous êtes une personne physique desservie par un réseau de chaleur, vous avez tout simplement un problème de pouvoir d’achat. Qu’est-ce qui peut inciter des gens à s’engager dans des projets longs, dans un contexte dépourvu de perspective de croissance du prix des énergies fossiles ? Aux époques du pic pétrolier et du pic gazier, on pensait que les énergies allaient devenir rares, donc de plus en plus chères, ce qui incitait à se décider sans tarder afin de générer des économies.

De même, concernant la fameuse contribution climat énergie, on prévoyait que ça allait augmenter indéfiniment, et nous sommes aujourd’hui, comme on dit, dans un scénario flat. Pour que les gens décident de s’engager, le mode de calcul aujourd’hui retenu par l’ADEME tendant à dire qu’il faut être 5 % moins cher que le gaz n’est plus suffisant. Il faut aussi que le prix du gaz reflète bien la réalité du marché. Nous avons engagé une réflexion avec l’ADEME en vue de définir le prix de référence du gaz à retenir pour le calcul des opérations. Il ne faut pas attendre car les projets mettent du temps à surgir.

Nous avons été très heureusement surpris en lisant l’introduction de la PPE. Elle énonce deux objectifs. Le premier est la décarbonation, laquelle concerne chaleur et transport, qui représentent les trois quarts des consommations énergétiques en France. Le second objectif est un « coût collectif maîtrisé ». C’est la réaction aux problématiques qui se sont exprimées dans la rue. On ne peut pas faire n’importe quoi à n’importe quel prix, ce qui était un peu une tendance des dernières années. Tout naturellement, dans ce chapitre introductif, deux typologies de solution sont mises en avant : la chaleur renouvelable et les économies d’énergie ayant une rentabilité intrinsèque possible, ce que les auteurs appellent la « rénovation technologique et comportementale ». Le discours politique et médiatique reste axé sur l’électricité renouvelable et l’isolation des bâtiments. Enfin, la programmation pluriannuelle dit que cela coûte trop cher et qu’il convient de se concentrer sur les opérations efficientes et efficaces. Nous étions très contents de lire cela. Mais, en découvrant le contenu de la PPE, on s’aperçoit qu’elle ne tient pas compte de cette inflexion. Les chiffres sont identiques, l’allocation des moyens n’est pratiquement pas abordée et la suspension de la contribution climat énergie n’est pas traitée dans ce document.

Vous aurez compris de l’ensemble de nos interventions que le sujet n’est ni quoi faire ni comment, mais quels moyens mettre à disposition pour que ça se passe. C’est facile, car il y a beaucoup d’argent sur la table. C’est une simple question de réallocation des moyens. Il est devenu difficile de parler de taxation carbone, mais il faut continuer à parler de valorisation carbone. Cela correspond à une importante préoccupation de nos concitoyens sur des problématiques climatiques. Les gens sont bien conscients qu’il existe un risque, qui pourrait avoir demain un coût très élevé. Compte tenu du principe pollueur-payeur, à un moment donné, il faudra bien tenir compte de cette valorisation carbone, peut-être pas sous forme d’une taxe. Il faudra la gérer de façon astucieuse, mais il ne faut pas abandonner ce sujet. Nous espérons que le Grand débat aura été l’occasion de le faire. La FEDENE a produit une douzaine de fiches d’information sur ces thématiques, afin que les gens disposent de ces éléments.

Mme Véronique Riotton. Nous mesurons clairement l’importance du financement face à un problème de compétitivité. Monsieur Roger, contrairement à vous, je n’ai pas le sentiment que nous soyons dans une dynamique où l’on en ait beaucoup. Soit on aide, soit on taxe plus lourdement les énergies fossiles. Comme il est difficile d’échapper à cette alternative, il faut trouver d’autres méthodes pour soutenir l’investissement. L’enjeu, c’est de soutenir l’investissement de la valorisation pour trouver un business model pérenne.

M. Rémi Chabrillat. Il y a un problème de visibilité. Pascal Roger a indiqué que la question était de savoir ce qui peut amener le client à faire un choix. Les facteurs économiques purement rationnels sont une chose, mais plus on a de visibilité et plus on peut accepter un équilibre économique tendu. Cela vaut aussi pour le prix du carbone.

L’engagement de la collectivité, l’engagement du territoire, la réflexion, une politique territoriale ambitieuse, dont a parlé Mme Trautmann, donnent de la visibilité. Un réseau de chaleur à base d’énergie renouvelable est un outil structurant, un outil d’aménagement, un outil d’équilibre et de péréquation sociale.de nombreux enjeux peuvent être portés par une planification à un niveau opérationnel. Les schémas directeurs, quel que soit leur nom, sont extrêmement intéressants.

Mme Catherine Trautmann. Avec ces politiques, nous souhaiterions démontrer que le coût de l’énergie a baissé pour le consommateur et que, par conséquent, il peut accepter de payer plus cher la contribution énergie.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. C’est un enjeu important pour l’acceptabilité sociale de la trajectoire carbone.

Je vous remercie toutes et tous pour vos présentations et vos réponses qui vont alimenter un pan de notre mission d’information relative aux freins à la transition énergétique.

L’audition s’achève à onze heures.

 


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24.   Jeudi 21 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur les réseaux d’énergies :
– M. Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis, et M. Pierre Guelman, directeur des affaires publiques ;
– M. François Brottes, président du directoire de RTE, M. Arthur Henriot, chargé de mission au cabinet du président, M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles, et Mme Lola Beauvillain-de-Montreuil, attachée de presse ; 
– M. Edouard Sauvage, directeur général de GRDF, M. Bertrand de Singly, délégué stratégie, et Mme Muriel Oheix, chargée des relations institutionnelles ;
– M. Pierre Duvieusart, directeur général adjoint de GRT Gaz et Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles ;
– M. Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), M. Jean Facon, directeur adjoint et M. Charles-Antoine Gautier, chef du département énergie ;
– M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) ;
– M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), Mme Domitille Bonnefoi, directrice des réseaux, et Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles.

L’audition débute à onze heures.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Bonjour à toutes et tous ! Merci d’avoir répondu à l’invitation de la mission d’information relative aux freins à la transition énergétique. Je rappelle que, créée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale en juillet 2018, cette mission a commencé ses travaux en septembre 2018 et a, depuis, réalisé une vingtaine d’auditions et organisé une série de déplacements. Il était très important que nous puissions orienter notre réflexion sur les réseaux d’énergie, qui sont indispensables à notre système électrique, au développement des énergies renouvelables et à l’équilibre de notre mix énergétique.

Pour ce faire nous accueillons : M. Jean-François Carenco, président de la commission de régulation de l’énergie (CRE), accompagné de Mme Domitille Bonnefoi et de Mme Olivia Fritzinger ; M. Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis, accompagné de M. Pierre Guelman ; M. François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d’électricité (RTE), accompagné de M. Philippe Pillevesse, de M. Arthur Henriot et de Mme Lola Beauvillain de Montreuil ; M. Edouard Sauvage, directeur général de GRDF, accompagné de M. Bertrand de Singly ; M. Pierre Duvieusart, directeur général adjoint de GRT Gaz, et Mme Agnès Boulard ; M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) ; M. Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), accompagné de M. Jean Facon et de M. Charles-Antoine Gautier.

Je vous indique que nous avons lancé, le 6 mars, pour une durée de six semaines, une consultation publique permettant à chacun de s’exprimer sur ce qu’il considère comme les freins à la transition énergétique et les solutions à apporter pour l’accélérer. Un lien vers cette consultation se trouve sur le site de l’Assemblée nationale. Depuis quinze jours, 4 000 contributions ont été déposées.

La question des réseaux est évidemment au cœur du système, et les opérateurs innovent pour accompagner la transition énergétique, à l’interface entre la production et la consommation.

Avant que vous vous exprimiez, M. le rapporteur va rappeler les contours de cette mission.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, je préciserai brièvement le cadre de notre mission. Elle fonctionne depuis juin 2018, pour un an, afin de traiter de sept thèmes : la vision et notre incapacité, peut-être, à nous projeter d’ici dix, vingt ou trente ans dans le nouveau paysage énergétique ; le développement des filières d’énergie renouvelable ; les mobilités ; les économies d’énergie ; la capacité des grands groupes de l’énergie à se transformer ; l’appropriation par les territoires d’un nouveau paysage énergétique plus décentralisé ; la fiscalité et les financements.

En tant qu’intéressés par les réseaux, vous êtes concernés par un grand nombre de sujets, dont la transformation des grands groupes et le développement des nouvelles énergies.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Comme nous avons une très large table ronde, je propose que votre intervention liminaire n’excède pas la durée de sept minutes. Nous sommes conscients que le temps imparti est très court. Vous pourrez toutefois compléter votre intervention lors de la séquence de questions et réponses qui suivra.

M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Madame la présidente, monsieur le rapporteur, merci de nous avoir invités. Je suis notamment accompagné par Domitille Bonnefoi, directrice des réseaux. Vous le savez, la CRE est toujours à la disposition des parlementaires.

Je vous invite, tout d’abord, à noter que le régulateur et les régulés forment une sorte d’équipe. Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, la qualité de l’ambiance entre nous est un des éléments du paysage et un bien commun.

En matière de réseaux électriques, mais cela vaut aussi pour les lieux de production de gaz en France, nous passons d’un système hérité de Charles VII, Charles De Gaulle et Marcel Paul, avec une centaine de lieux de production, à un système comportant des centaines de milliers, voire des millions de lieux de production, ce qui change radicalement la perception des réseaux. Philippe Monloubou pourra vous dire qu’il gère 1,3 million de kilomètres de réseaux…

Ne serait-ce que pour cette raison, les réseaux ont un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique. Ma mission et celle de mes collaborateurs sont de les réguler, afin de les aider à jouer pleinement un rôle de facilitateurs. L’enjeu est non seulement d’atteindre les objectifs fixés en matière de transition énergétique, mais surtout de le faire à un coût maîtrisé. Le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE) représente aujourd’hui un gros tiers de la facture du consommateur final. Cet élément pèse lourd sur les chiffres d’affaires des uns et des autres.

La régulation des réseaux a été au cœur de la construction du marché intérieur et de l’ouverture des marchés à la concurrence par la non-discrimination. Cette concurrence agit certes aujourd’hui sur les prix, mais son véritable enjeu, c’est l’innovation. Sans la concurrence, la liberté et la non-discrimination, on n’aura pas l’innovation et pas de transition énergétique. La CRE doit y veiller. Elle a pour cela publié récemment son onzième rapport sur le respect par les gestionnaires de réseaux des codes de bonne conduite et d’indépendance, au bénéfice du développement de l’innovation.

Les réseaux et les interconnexions ont été la pierre angulaire de la construction du marché intérieur de l’énergie. Je me félicite que, tous ensemble, avec les fonctionnaires du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne à Bruxelles, nous ayons été très actifs dans la mise en œuvre de règles optimisées à l’échelle européenne pour l’utilisation des interconnexions, sujet compliqué. Nous avons des sujets de préoccupation avec la Suisse et ceux liés au Brexit sont gigantesques : doit-on ou non couper et dans quelles conditions ?

Les gestionnaires se sont impliqués dans le couplage des marchés. L’équilibre entre achats et ventes sur les réseaux s’effectuant toutes les minutes ou toutes les trente secondes sur les réseaux,…

M. François Brottes, président du directoire du Réseau de transport d’électricité (RTE). Toutes les secondes !

M. Jean-François Carenco. …l’interconnexion européenne change complètement la donne. L’intégration des réseaux est fondamentale.

Concernant les enjeux européens, il convient de poursuivre le développement des interconnexions en veillant à ne le faire que pour celles utiles à la collectivité. Il s’agit d’éviter de faire porter au consommateur final français des coûts inutiles, de limiter les risques de coûts échoués et d’éviter des violences environnementales inutiles. Je rappelle que nous devons exporter 15 % de l’électricité française en chiffres bruts et 11 % en chiffres nets. Nous jouons donc aussi avec les réseaux un rôle économique considérable.

Au titre des succès, je citerai le projet d’interconnexion Golfe de Gascogne, réalisé, et le projet Celtic, sur le point de l’être. En revanche, nous sommes radicalement hostiles au projet STEP (South Transit East Pyrenees), qui n’apporterait pas d’avantage au consommateur final français et serait coûteux en termes de violences environnementales et de TURPE.

Face à un secteur énergétique en forte évolution, certains acquis doivent être préservés, mais il faut aller plus loin : les gestionnaires des réseaux doivent devenir des facilitateurs de la transition énergétique.

Les compteurs intelligents coûtent un peu cher, mais ils vont tellement rapporter qu’ils représentent un bon investissement. Économiquement, c’est déjà pas mal, mais Philippe Monloubou vous dira peut-être qu’Enedis a exporté récemment la technologie française en Inde.

Il convient d’anticiper les évolutions des usages sur les réseaux, induites par l’autoconsommation, les véhicules électriques et le stockage.

Je me permettrai de revenir sur l’autoconsommation. Je n’ai pas compris le sens de la rédaction de l’article 43 bis du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE). J’ai la réputation d’être contre l’autoconsommation. À mon sens, le cadre proposé pour les expérimentations d’autoconsommation n’est pas une bonne affaire pour les réseaux. Où est l’équilibre financier ? Où est la recherche des méthodes d’équilibre des réseaux ? Où est le financement ? Je ne crois pas à l’isolationnisme énergétique, pour ne pas employer des mots plus lourds.

L’innovation, ce sont les réseaux. Il n’y a pas d’innovation sans un rôle parfait des réseaux.

Quant au rôle de la CRE, nous avons mis en place un comité de prospective dont un groupe « réseaux » participe toujours aux travaux, pour essayer d’anticiper. Il nous faut travailler sur des tests. Autant j’ai été surpris par les dispositions adoptées en matière d’autoconsommation, autant je me réjouis de la possibilité de mettre en œuvre un « bac à sable réglementaire » afin de réaliser des tests de manière intelligente. Je me félicite surtout qu’on y ait inclus le gaz. Ce qui va se passer en matière de gaz vert doit être testé et financé dans le cadre d’une expérimentation.

M. Philippe Monloubou, président du directoire d’Enedis. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, merci de nous fournir l’occasion de nous exprimer sur un sujet clé. Vous l’avez intitulé « Freins à la transition énergétique », or, sans avoir atteint les objectifs affichés dans le projet de PPE, nous avons déjà fait beaucoup, en sorte que nous pourrions d’ores et déjà parler de leviers.

Quelque 17 gigawatts (GW) d’énergies renouvelables (ENR) sont d’ores et déjà raccordés aux réseaux. En dix ans, 24 000 bornes de recharge ont été installées, certes pas toutes publiques. On compte 17 millions de compteurs communicants et près de 400 000 producteurs. Ils ne sont pas tous du niveau des producteurs historiques, mais ce sont tout de même des producteurs, avec des contrats de production, c’est-à-dire avec l’ingénierie nécessaire et les impacts sur le réseau. Autrement dit, nous avons acquis une expérience ENR, parfois au prix d’adaptations réalisées au pas de course, aujourd’hui installée dans le processus industriel.

Madame la présidente, vous avez évoqué à juste titre la transformation fondamentale des entreprises. Il nous revient de le faire, et cela ne doit pas être un frein. J’ai coutume de dire, d’une façon un peu simplificatrice, qu’après avoir été des industries du temps long et de la linéarité, nous devenons des industries du temps réel et de la dimension systémique. Il ne s’agit plus de délivrer un kilowattheure top-down mais d’équilibrer à toutes les mailles l’intégration massive d’énergie renouvelable et de gérer des véhicules ou du stockage. Cette dimension doit être rendue industriellement soutenable, ce qu’il nous appartient de faire.

J’en reviens aux leviers. La transition énergétique s’effectue de plus en plus à l’initiative des territoires eux-mêmes, dans une logique de valorisation de leurs ressources. Leur capacité à développer les principes fondamentaux de la transition énergétique s’exerce à plusieurs niveaux. François Brottes le dira peut-être différemment, mais, pour intégrer massivement et raccorder ces énergies renouvelables, il convient d’en anticiper au maximum l’impact sur les réseaux dans la programmation, la vision, la mise en œuvre de la production des énergies renouvelables comme de la mobilité électrique. Nous avons eu ces débats à l’occasion de certaines évolutions législatives. C’est un point clé.

On peut parler de schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), de plan climat air-énergie territorial (PCAET), de schémas directeurs à différents niveaux, des schémas que les syndicats d’électrification ont pu développer par eux-mêmes ou de la vision propre des collectivités, un des vecteurs de l’efficacité est la capacité de coordination. Nous avons une part de responsabilité, mais elle ne saurait être exclusive, elle devra être soutenue à tous les niveaux en vue d’une optimisation globale. C’est une question d’efficience, de rapport coût/efficacité, d’optimisation des investissements réseaux. Je rejoins ce que disait Jean-François Carenco : en fonction des modalités d’implantation et de la vision d’ensemble, l’impact sur le réseau et l’atteinte des ambitions de la transition énergétique seront différents. Compte tenu du fait que les constantes de temps ne sont plus les mêmes que celles que nous avons connues historiquement, il est indispensable que cette vision d’ensemble soit meilleure que celle que nous avons connue jusqu’à présent.

S’agissant des raccordements, nous sommes régulièrement sollicités, pour ne pas dire challengés, voire critiqués, parfois à juste titre. Par définition, les 100 % de qualité des processus industriels ne sont pas de ce monde. En outre, et le sujet avait été souligné par la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), certaines procédures de simplification tardent à venir. Certaines procédures administratives datent d’une époque où le numérique n’existait pas, où l’urbanisation et l’environnement des villes ou des collectivités n’obéissaient pas aux mêmes logiques de coordination. Si l’on veut éviter d’être confronté à des difficultés pour tenir les objectifs fixés localement et nationalement, il convient d’accélérer la simplification, non seulement au sein des entreprises, et cela relève de notre responsabilité, mais aussi dans le champ administratif.

En résumé, la clarification des liens entre les différents espaces de planification, la mise en cohérence des ambitions et la simplification en matière de raccordement seraient sans nul doute un facteur de réussite ou, à tout le moins, d’accélération de la réussite des ambitions de la transition énergétique.

Par ailleurs, il convient de donner au consommateur les moyens d’agir. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) contient de nombreux éléments liés au mix énergétique et d’autres liés à l’efficacité énergétique. Ce sujet concerne l’ensemble des parties prenantes, c’est-à-dire les collectivités mais aussi le citoyen consommateur dans une logique d’équité d’accès à la maîtrise de l’empreinte énergétique et de la consommation.

Jean-François Carenco a évoqué le compteur communicant Linky, outil en cours de déploiement. Aujourd’hui, le compteur communicant n’est plus une option. Cela vaut pour l’Inde comme pour n’importe quel autre pays. Comme l’a dit Jean-François Carenco, il n’y aura pas de transition énergétique sans compteur communicant, pour la simple raison que pour développer l’efficacité énergétique, comprendre la facture à l’échelle d’un bâtiment ou d’une collectivité, et tout simplement pour déployer massivement des ENR à l’échelle des territoires, il faut des données. Nous y travaillons. Plus de la moitié des foyers français sont équipés d’un compteur Linky. Il ne vous échappe pas qu’il subsiste encore quelques résistances, relevant parfois d’archaïsmes ou de visions exacerbées. Je souhaite là aussi l’envoi d’un message fort afin que l’opposition à certains dogmes ou visions hérités d’une autre époque soit soutenue l’ensemble des acteurs. Je ne vise pas le régulateur qui, sur ce point, nous apporte un soutien indéfectible.

J’évoquerai enfin la dimension tarifaire pour laquelle nous travaillons activement avec la CRE. L’évolution de l’autoconsommation justifie une révision de la structure même des tarifs afin d’envoyer des signaux économiques bons et justes. De plus, des niveaux d’investissement élevés seront nécessaires. Pour sécuriser durablement la capacité d’investissement sur les réseaux avec les bons actionnaires, il faut faire en sorte que le tarif rémunère durablement les investissements au bon niveau. Par conséquent, la PPE doit être juste et soutenable du côté actionnarial et du client final. Cet équilibre auquel travaillons avec la CRE sera un autre élément déterminant de la transition énergétique.

En conclusion, la solidarité et la péréquation deviennent plus que jamais des facteurs clés. La transition énergétique ne se fera pas sans une exigence accrue en matière de résilience et de qualité des réseaux. Parce que les métiers changent profondément, qu’il s’agisse du transport du gaz ou de la production d’énergie, il est besoin de niveaux d’opérateurs industriels d’une tout autre dimension que ceux que nous avons connus. Il nous faut aussi la durée, parce que les engagements et les durées d’investissement portent sur du temps long. C’est pourquoi nous gérons actuellement de nouveaux équilibres contractuels entre concédants et concessionnaires.

M. François Brottes. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je ne pourrai pas, en cinq minutes, faire beaucoup plus que lire mon sommaire, avant de répondre à vos questions, bien que j’aie préparé une intervention pour vous être utiles. Merci de cette mission sur les freins à la transition énergétique. Je sais que, dans cette maison, on sait parfois lever les freins, et ce travail est destiné à vous éclairer sur des possibilités de déblocage…

Je rappelle que RTE est au cœur de la transition énergétique électrique aussi bien que gazière, secteur avec lequel nous entretenons des liens de plus en plus étroits, le gaz étant un élément de la réussite de la transition. Sans raccordement à un réseau, il n’y a pas de production. Or les producteurs autonomes potentiels ne souhaitent pas forcément se couper complètement du réseau, faute de quoi ils n’auraient plus d’assurance. Je remercie le président de la CRE d’y être attentif. Qu’on n’utilise pas le réseau ou qu’on veuille l’utiliser à n’importe quel moment, le prix est identique, puisqu’il est essentiellement constitué de charges fixes.

L’entreprise RTE travaille en France continentale et en Europe. Agir sur un réseau européen est une chance pour nous tous, car cela permet d’organiser nombre de solidarités. Nous regrettons toutefois que les parcs de production de nos différents pays ne soient pas coordonnés. Les pays prennent des initiatives, les parlements des pays prennent des initiatives, des PPE s’organisent ici ou là, mais chacun fait son mix dans son coin sans parler avec le voisin. Or les réseaux étant interconnectés, ils doivent parfois gérer les éléments de vulnérabilité qui se compilent faute de coordination.

Mon « sommaire » est ainsi composé : chapitre 1er, les contraintes liées aux lois de la physique, lesquelles ne font pas de politique ; chapitre 2, les contraintes liées aux règles du marché ; chapitre 3, les contraintes liées à des problèmes politico-sociétaux d’acceptabilité des ENR. Je pourrais développer longuement chacun de ces chapitres, mais je crains de ne pas en avoir le temps.

Concernant les lois de la physique, un réseau de transport doit être maintenu à une fréquence de 50 hertz, ce qui se joue à la seconde près. Quand la fréquence s’écroule, le réseau s’écroule, et c’est le « black-out », avec lequel on ne peut faire ni renouvelable ni non renouvelable. On peut battre des records d’exportation, comme cela a été le cas de la France le 22 février 2019, avec 17 415 mégawatts (MW), soit 23 % de la production, et avoir de temps en temps – quatre jours cette année, une quinzaine de jours l’année dernière – des moments de fragilité liés à des éléments de météo, qui ne fait pas non plus de politique. Un degré en moins, c’est un besoin de 2 400 MW supplémentaires. Je rappelle que nous sommes les plus thermosensibles d’Europe, avec beaucoup de chauffage électrique, et nous portons à nous seuls 50 % de cette thermosensibilité.

Le réglage de la tension est un autre sujet. Si la tension n’est pas maintenue, le réseau s’écroule. La question se pose plutôt par plaques régionales. Alors que l’équilibre entre demandes est au rendez-vous, on est obligé de recourir à des outils pour mettre la tension au niveau. Philippe Monloubou recourt de plus en plus au réseau de transport. Comme il y a de plus en plus de production locale, qu’il n’est pas chargé de l’équilibre entre demandes mais que cela relève de notre compétence, les équipes de Philippe Monloubou, quand elles en ont trop, en envoient chez le voisin. En décembre 2016 et décembre 2017, les deux mêmes mois, c’était plus 180 %, ce qui n’est pas rien. En moyenne, c’est plus 50 %. C’est bon signe, cela signifie qu’il y a de plus en plus de production décentralisée, mais cela nous oblige à changer nos modes de gestion, de langage, d’équilibre, donc d’exercer un nouveau métier, avec des milliers d’acteurs en plus.

Les énergies renouvelables sont très sensibles à la météo. Quand il n’y a pas de vent, c’est difficile pour l’éolien et quand il n’y a pas de soleil, c’est difficile pour le photovoltaïque. Cela se prévoit de plus en plus facilement mais c’est une prévision qu’on subit. Il y a tout de même lieu de se réjouir d’avoir battu, il y a peu, le record de production éolienne, avec l’équivalent de 82 % de la puissance installée. Là aussi, il y a un « faux ami » : ce n’est pas parce qu’on installe tant de GW en éolien que l’on obtient autant de GW en production. C’est beaucoup moins le cas pour le nucléaire, qui reste tout de même le principal élément du parc de production français, mais au cours du mois de décembre 2018, la production éolienne a varié entre 1 % et 82 % de la puissance installée. C’est un sport où il faut être assez flexible.

Concernant la contrainte des règles du marché, je ne reviendrai pas sur la multiplication des acteurs. Les règles de marché ne sont pas compatibles avec la physique. Ceux qui les conceptualisent considèrent que les blocs d’énergies vendus au pas horaire sont bâtis de la même façon et démarrent en même temps de la même façon. Or l’écroulement de fréquence auquel nous avons été confrontés le 10 janvier, à 21 h 02, était dû au fait qu’à l’heure ronde de 21 heures, un certain nombre de productions s’arrêtent et d’autres productions arrivent sur le marché. Le délai de prévision se raccourcit puisque les prévisions se font désormais  plutôt en infrajournalier et non plus la veille, comme auparavant,. Le temps de démarrage d’une production éolienne n’a rien à voir avec celui d’une production thermique, nucléaire ou autre. On appelle cela du ramping. Cela ne fonctionne pas comme on veut et il y a du « retard à l’allumage ». Il est difficile de faire coïncider exactement la courbe de consommation avec la courbe de production. Il faut donc améliorer les règles du marché pour ne pas subir une nouvelle catastrophe, comme celle subie le 10 janvier.

J’ajouterai que 42 % du volume de l’électricité sont aujourd’hui échangés dans la journée sur les marchés, contre 2 % à 3 % auparavant. Cela signifie que les marchés fonctionnent, qu’il y a de plus en plus d’acteurs, mais aussi que la logistique doit suivre avec des moyens nouveaux. Heureusement que les régulateurs sont là !

De plus, il y a encore de l’idéologie. L’Europe nous dit que 15 % du volume de notre production potentielle devra être mis en interconnexions. Pour quoi faire ? Combien cela coûte-t-il ? Est-ce sérieux ? L’Europe nous dit : les interconnexions, c’est bien, mais nous en avons 50 avec les autres pays et 420 en Europe. Dès lors, 70 % des tuyaux doivent être laissés au marché, le reste pouvant être à la main des gestionnaires de réseau de transport. Ces 70 % sont-ils applicables sur l’année ou par seconde ? On peut se retrouver dans l’embarras en appliquant une règle débile pour la sûreté électrique du réseau.

Je vous alerte sur ces sujets, parce que les énergies renouvelables ont la chance d’avoir un réseau interconnecté. Comme il y a toujours du vent quelque part, elles trouvent une place pour s’exprimer sur les réseaux.

Nous travaillons sur la mutualisation, mais, pour moi, les contraintes sont politico‑sociétales. Le droit au recours fait partie de la démocratie, comme le droit de manifester. Mais nous avons affaire à des opposants qui usent en permanence d’arguments dilatoires et pour qui il ne s’agit pas d’aménager un projet mais de l’empêcher. Depuis 2012, aucun projet de parc offshore n’a épuisé l’ensemble de ses recours. Des ouvrages indispensables à la sûreté électrique du pays sont arrêtés parce que les tribunaux prennent leur temps pour répondre. Il faut absolument que vous leur forciez la main en raccourcissant les délais. Il est inutile de fixer des objectifs à atteindre pour le climat ou pour la PPE si l’on est incapable de les mettre en œuvre. Or, aujourd’hui, dans beaucoup d’endroits, on en est incapable.

M. Édouard Sauvage, directeur général de GRDF. Je rebondirai sur les sept thèmes évoqués par le rapporteur. À GRDF, nous avons la conviction que deux de ces thèmes doivent être développés ensemble : la vision et les territoires. Nous sommes convaincus que la transition énergétique ne peut procéder de décisions de l’État seul mais qu’elle relève de choix sociétaux. Compte tenu de la complexité du challenge visant à aller vers un monde décarboné, la vision ne peut être acceptée par la société que si elle part des territoires. Cela doit être une préoccupation permanente du législateur et de tous les acteurs. Sommes-nous bien, dans les décisions qui sont prises, dans l’anticipation des attentes réelles des territoires ?

Philippe Monloubou parlait des PCAET, des SRADDET, de toutes les initiatives prises par des entreprises, des individus ou des collectivités locales pour participer à la transition énergétique. Le projet de PPE mentionne sur deux pages l’existence de ces schémas mais ne l’analyse pas. On ne peut réussir la transition énergétique si elle ne part pas des territoires. À l’évidence, les gestionnaires de réseau des territoires sont un opérateur essentiel. Le président Carenco rappelait que la distribution est un bien commun ; j’ajouterai qu’elle est un bien qui appartient aux collectivités locales, donc un bien public. Le challenge est bien pour GRDF de trouver le juste équilibre entre l’efficacité que permet un opérateur national et l’attente des collectivités locales. C’est bien parce que les attentes sociétales seront reflétées dans les différentes politiques mises en place que nous pourrons réussir la transition énergétique. Il convient en priorité de définir l’ambition des collectivités locales et les attentes de la société.

J’ai eu l’occasion de dire que nous avions été surpris de constater dans les annonces relatives à la PPE que les arbitrages budgétaires allaient à l’encontre du développement des énergies renouvelables plébiscitées lors du débat public. Je pense à la méthanisation et à la géothermie, alors que plus grand budget est prévu pour l’énergie renouvelable, qui avait recueilli le moins d’enthousiasme et qui correspondait le moins à une attente sociétale ou à une attente des territoires. Là aussi, la transition énergétique réussira si elle correspond aux attentes de la société, sauf à démontrer que des choix différents font sens économiquement.

Il faut être capable de justifier de plus en plus la pertinence économique. D’où l’intérêt d’avoir un régulateur qui monte en compétence et qui anime les débats pour définir le choix économique et indiquer les euros de dépense publique évités par tonne de CO2. J’ai vainement cherché dans la PPE une explication politique par politique, tout comme j’y ai cherché vainement la dépense publique attachée à certaines politiques. Il y a bien une annonce de milliards prévue pour les énergies renouvelables, mais le bilan en euros par tonne de CO2 évitée par ces différentes politiques n’est pas indiqué.

Plutôt que de ne voir le carbone que sous forme de taxe, ce qui provoque un rejet, une saine politique publique consiste pour nous à définir la valeur tutélaire du carbone, et quel est le bilan en euro par tonne de CO2 évitée des différentes politiques et les différents investissements proposés. Le frein majeur à un développement économique réussi et partagé, c’est l’absence de tels chiffrages et l’absence de débat contradictoire. Certes, l’analyse du bilan carbone d’un cycle de vie complet d’un véhicule électrique est complexe et peut donner lieu à des débats d’experts, mais il est incontournable et d’ailleurs souvent bien réalisé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Les données existent, mais elles ne sont pas suffisamment débattues et mises sur la place publique. Seuls des débats comme on peut en avoir dans les groupes prospectifs de la CRE permettront de faire comprendre certains choix qui ne répondent pas à l’envie spontanée des habitants.

Des freins techniques évidents ont été mentionnés par mes collègues, notamment les délais. Pourquoi, dans notre pays, certains projets nécessitent trois à quatre fois plus de temps pour être réalisés que d’autres ? Ainsi, le Parlement, et je m’en réjouis, a voté le droit à l’injection pour les projets de méthanisation. Mais six mois après la promulgation de la loi, le décret définissant qui paie quoi n’est toujours pas publié. Ce sont six mois de perdus pour la transition énergétique et le développement de la méthanisation.

Un autre élément évident d’une transition énergétique réussie est la stabilité. Des règles changeant en permanence ne peuvent influer positivement sur les acteurs. C’est le cas du crédit d’impôt transition énergétique. Il donne lieu chaque année à des débats sans fin pour savoir s’il faut ajouter ceci ou supprimer cela, ce qui crée de l’incertitude. Lorsqu’il y a de l’incertitude, les seuls projets qui se réalisent et qui bénéficient de la subvention publique sont ceux qui se seraient réalisés de toute manière, en sorte qu’une dépense publique reste inefficace. Si nous sommes en retard en matière d’efficacité énergétique, c’est non seulement parce que ce n’est pas une priorité, mais aussi et surtout parce que les subventions et les certificats d’énergie changent tout le temps.

Enfin, comme nous sommes, à GRDF, intimement convaincus de la nécessité de l’efficacité énergétique, nous avons beaucoup plaidé pour l’instauration d’une prime à la casse des vieilles chaudières. Nous nous réjouissons que le décret soit enfin paru. Je rappelle que le potentiel est de 50 térawattheures (TWH) économisés, pour un parc de chaudières équivalent à celui des Pays-Bas. Il ne s’agit pas de rêver à des innovations technologiques qui arriveront dans dix ans. Il s’agit simplement de subventionner ce qui est le plus efficace. Remplacer sa vieille chaudière à gaz par une chaudière à condensation représente une économie immédiate de 30 %. Il n’y a pas à réfléchir sur des bouquets de travaux compliqués que personne ne fera. Il faut du pragmatisme, écouter la société, adopter une approche claire de l’avantage des différentes solutions. Or nous sommes convaincus, et Pierre Duvieusart y reviendra certainement, que le gaz est indispensable, notamment pour les usages chaleur, parce qu’il permet un stockage saisonnier. Le parc électrique français a appris à moduler sa production pour suivre le chauffage. Il doit le faire aussi en suivant la météo. S’il y a moins de soleil ou moins de vent, il ne pourra pas réaliser les deux modulations en même temps. Certains plaident pour une relance du chauffage électrique. Nous pensons que ce serait irresponsable du point de vue économique et environnemental.

M. Pierre Duvieusart, directeur général adjoint de GRT Gaz. Je souhaiterais vous faire partager deux convictions fortes de GRT Gaz à l’aune de la stratégie nationale bas‑carbone.

La première, c’est qu’il y a plusieurs manières d’aboutir à la neutralité carbone à l’horizon 2050. Par définition, il y a beaucoup d’incertitudes sur le chemin : incertitudes technologiques, incertitudes sur l’évolution du développement de certaines filières, incertitudes comportementales d’acceptation. Il est important de rester collectivement ouverts aux différentes solutions possibles et de ne pas se fermer de portes trop vite. Autrement dit, il ne faut pas mettre trop tôt tous ses œufs dans le même panier.

La seconde conviction, c’est que, quelle que soit la cible en 2050, il y aura un vecteur gazier décarboné significatif. Pour gérer l’intersaisonnalité – je fais écho à ce qu’on dit certains de mes prédécesseurs – le fluide gazier a des atouts naturels. Aisément stockable, il se prête à des usages nécessitant de la puissance embarquée, c’est-à-dire des usages de mobilité. La complémentarité des systèmes énergétiques a déjà été évoquée et semble assez partagée au niveau européen tant par les gaziers que par les électriciens. Nous avons l’espoir que le quatrième « paquet énergie » européen qui va entrer en discussion en fera la démonstration. Un mix qui ne laisserait pas de place au gaz serait un mix désoptimisé pour la collectivité, pour les consommateurs comme pour les producteurs.

Forts de ces convictions, regardons, plus près de nous, les orientations à prendre à l’horizon 2030. La filière gazière soutient plusieurs vecteurs, notamment la production de biométhane en tant que source de gaz en développement et le nouvel usage du gaz en mobilité. Nous sommes convaincus que ces deux orientations seront sans regret pour la collectivité, parce qu’elle s’inscrit dans la cible et parce qu’elles présentent des externalités complémentaires positives.

On parle souvent – j’ai entendu le président Carenco l’évoquer – des quatre politiques soutenues par le biométhane : énergie et climat, aménagement du territoire, agriculture et agroécologie, déchets et économie circulaire. On peut d’ailleurs noter qu’aujourd’hui, seule la politique « énergie et climat » soutient le développement du biométhane et que la volonté de verdir le gaz ne bénéficie que d’une très faible partie de la contribution de l’énergie gazière aux équilibres budgétaires du pays.

Ces deux orientations sont très fortement soutenues par les territoires et se retrouvent dans les SRADDET.

J’évoquerai maintenant quelques freins concrets et immédiats. 

Concernant les orientations, nous considérons que les cibles aujourd’hui affichées ne sont pas suffisamment ambitieuses - je pense principalement au biométhane – et sont même revues à la baisse, ce qui n’est pas un bon signal donné pour développer ces filières, qui plus est avec des conditions de rachat qui se durcissent. À notre connaissance, cela n’avait jamais été envisagé pour aucune autre filière ENR.

Dans certains cas, les textes sont publiés en décalage temporel par rapport aux votes du législateur. Un texte a été évoqué. Nous pensons également à un arrêté tarifaire sur la réfaction, pour lequel il s’est écoulé une bonne année entre le vote de la loi et l’opérationnalité, donc à l’utilisation par les porteurs de projets.

Un troisième frein est représenté par le stop-and-go, qui envoie un signal très négatif sur le biométhane. Annoncer une baisse des prix assez forte induit une efficience économique et une efficience de la dépense publique évidentes, mais annoncer rapidement des baisses de soutien fortes conduit à une accumulation de projets en un temps resserré. Les porteurs de projets disent que cela conduit mécaniquement à un renchérissement des coûts immédiat, avec un risque de réduction brutale. Nous militons pour réduire ces stop-and-go.

On peut d’ailleurs prendre exemple sur ce qui a été fait en matière de mobilité, où l’aide est plus permanente. Le développement du gaz dans les mobilités poids lourds et pour les véhicules utilitaires est positif. Nous espérons que ce soutien perdurera, nous en espérons même davantage sur certaines filières.

Il faut être vigilant sur l’action au niveau européen. Je rejoins ce qu’a dit Édouard Sauvage sur l’importance de l’analyse des cycles de vie. Elle n’est pas réalisée au niveau européen. On s’en tient aux émissions des pots d’échappement, ce qui ne va pas dans le bon sens pour prendre les bonnes décisions collectives.

À un horizon plus lointain, concernant les « nouveaux gaz », c’est-à-dire les filières power to gas, ou pyrogazéification, il importe de passer dès à présent de la phase expérimentale à la phase industrielle et de mettre en place des mécanismes de soutien plus pérennes.

En conclusion, le réseau de gaz, qui est aujourd’hui construit et en bonne partie amorti, et dont le coût marginal est donc assez faible, constitue un actif collectif plus que précieux. Il dispose d’une puissance d’appel considérable, aujourd’hui 50 % supérieure à celle du réseau électrique, et est très rapidement mobilisable. D’une longueur de plus de 200 000 kilomètres en France, le réseau gazier est discret, opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, quelles que soient les conditions climatiques. Il présente une grande qualité pour les paysages et la biodiversité. C’est donc un atout à cultiver pour notre transition énergétique.

M. Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Merci, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, d’avoir invité les représentants des territoires que nous sommes. Les collectivités locales et les territoires sont des acteurs incontournables de la réussite de la transition énergétique. Nos territoires sont présents sur tous les maillons de la chaîne énergétique, de la production aux usages en passant par les réseaux. Au regard du format de cette audition, j’évoquerai plus particulièrement les réseaux.

Le dénominateur commun des trois réseaux de distribution d’énergie – électricité, gaz et chaleur – est leur appartenance aux collectivités locales en leur qualité d’autorités concédantes de la distribution d’énergie de réseaux et, parfois, de maîtres d’ouvrage de travaux.

Nous représentons les collectivités décentralisées et nous pensons que la décentralisation ajoute à l’efficacité de la transition. Pour autant, comme l’évoquait le président Carenco, nous sommes attachés à la préservation de la cohésion territoriale et de ce qui l’incarne, c’est-à-dire la péréquation, notamment s’agissant de l’électricité. Le sujet est pour nous de bien positionner nos collectivités sur une synthèse entre l’efficacité territoriale locale et la participation à une vision nationale incontournable.

Je me livrerai à un « zoom » rapide sur les trois réseaux d’énergie.

Les collectivités que nous représentons, c’est-à-dire, pour l’essentiel, de grands syndicats d’énergie et des métropoles, sont les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, qu’elles concèdent aux gestionnaires de réseau que sont Enedis et les entreprises locales de distribution non nationalisées. Je signale au passage que ces concessions comprennent également un volet fourniture, puisqu’elles conduisent la collectivité à concéder de l’activité de fourniture au tarif réglementé de vente à l’opérateur de fourniture, par exemple, à EDF pour la majeure partie du territoire. Dans le cadre de ces concessions, les collectivités ont d’abord un rôle d’impulsion qui s’incarne dans les contrats de concession.

Rappelons ici que nous avons opéré en partenariat avec France Urbaine et Enedis, à la fin de l’année 2017, une rénovation des contrats de concession en diffusant un nouveau modèle qui avait pour ambition d’inclure très largement les enjeux de la transition énergique. Nous avons évoqué à plusieurs reprises la nécessité d’avoir une vision. C’est un point important de ces nouveaux modèles, puisque nous y avons intégré de nouveaux outils : des schémas directeurs, des programmes pluriannuels d’investissement qui ont précisément pour vocation de clarifier la façon dont la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables vont s’opérer dans les territoires. Il y a donc des leviers intéressants.

Il y a également des freins. Je me limiterai à signaler l’insuffisante agilité de l’outil pourtant remarquable qu’est le compte d’affectation spéciale (CAS) « financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale » (FACE). Ce fonds, ancien, qui a joué un rôle fondamental dans l’équipement du territoire en réseaux d’électricité, doit aujourd’hui s’adapter à la transition énergétique. D’ailleurs, la Cour des comptes, après l’avoir contrôlé, l’a signalé dans son rapport public de l’année dernière. Il ne s’agit pas de renoncer au caractère rural du FACE. La ruralité est un partenaire essentiel de la transition énergétique, car c’est bien dans la ruralité que l’on peut déployer des capacités d’énergie tout simplement parce que c’est là que le foncier se trouve. Toutefois, cet outil n’a pas été suffisamment adapté aux nouveaux objectifs de la transition énergétique. S’il est bien adapté au financement des extensions et des renouvellements de réseaux, à la sécurisation physique des réseaux, en revanche, toute une série d’objets nouveaux évoqués par la Cour des comptes - économies d’énergie, rationalisation des réseaux, rénovation énergétique, stockage – mériteraient d’être inclus dans ce dispositif. Nous en avons fait la demande à plusieurs reprises.

Nous trouvons que l’État tarde un peu à prendre les mesures réglementaires capables de mettre en place les sous-programmes correspondants. En particulier le FACE pourrait traiter le déploiement des bornes de recharge des véhicules électriques. Les autorités concédantes que nous représentons ont assuré le déploiement d’environ les deux tiers des infrastructures de recharge actuellement présentes sur le domaine public. Pour autant, l’équipement du territoire n’est pas terminé et doit être parachevé. Pour ce faire, nous avons besoin de financements complémentaires. Il nous semble que, compte tenu de l’articulation entre les bornes de recharge, la mobilité électrique et le stockage, il y aurait un intérêt à l’inclure dans le périmètre du FACE.

J’évoquerai également les questions gazières qui viennent d’être abordées. Nous adhérons à l’idée que le gaz concourt positivement au mix énergétique local et qu’il peut être un point d’appui de la transition énergétique, notamment par le développement du biométhane. Toutefois, je partage les points de vue avancés notamment par Edouard Sauvage. Nous trouvons que les signaux qu’on s’apprête à donner dans la PPE manquent d’ambition au regard du développement du biométhane.

Nous rencontrons aussi un problème de réglementation. Si le législateur, dans la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi EGALIM », a bien intégré les collectivités que nous représentons dans les boucles de procédure du déploiement du biométhane sur le territoire, en revanche, nous ne sommes pas associés à la préparation des textes réglementaires d’application. Les quelques informations fragmentaires que nous avons captées nous laissent craindre que, dans la rédaction de ces projets de décrets, les collectivités locales soient purement et simplement oubliées, à la fois comme parties prenantes de la planification énergétique locale et comme cofinanceurs du développement des réseaux qui raccorderont les méthaniseurs au réseau de distribution. Ce serait créer une fragilité juridique et une insuffisance en termes de bouclage financier. Nous pensons qu’il faut rapidement remettre les choses en place sur ce plan.

La CRE est un acteur important. Il faut travailler à une meilleure coordination entre le régulateur national qu’est la CRE et les régulateurs locaux que sont les autorités concédantes. Nous intervenons parfois sur des sujets communs, tels que des indicateurs de performance ou une vision prospective du développement des réseaux, mais nous trouvons que cette coordination est insuffisamment assurée.

Les collectivités organisent également les réseaux de distribution de chaleur et de froid. La chaleur renouvelable étant un bon vecteur de la décarbonation des systèmes énergétiques. Nous soutenons son développement, mais nous regrettons que la PPE mette insuffisamment l’accent sur le froid renouvelable. On ne lui a pas fixé d’objectifs spécifiques, alors que l’évolution du climat va rendre la problématique des îlots de chaleur et de la climatisation de plus en plus prégnante.

Pour conclure, vous l’avez compris, nous pensons que les territoires sont des points d’appui incontournables de la transition énergétique et surtout des lieux de synthèse entre l’efficacité environnementale, l’efficacité économique et la préservation de la cohésion sociale et territoriale, à condition que l’on sache situer les compétences au bon niveau, c’està-dire un niveau de collectivités organisatrices de taille suffisante, ce qui est le modèle que nous défendons.

M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE). Je tiens à vous remercier tout particulièrement de nous avoir conviés à ce débat puisque, au regard de notre taille de représentants des réseaux de chaleur, avec 5 000 kilomètres de réseau, nous sommes des nains. Nous sommes d’ailleurs souvent traités comme tels dans le débat public comme dans le débat politique, voire dans les comités de prospective ou les conseils nationaux. Toutefois, paradoxalement, en matière de transition énergétique, notamment en matière de décarbonation de l’énergie, donc de développement d’énergie renouvelable, nous sommes un des principaux vecteurs de soutien au développement de la distribution et de la promotion de la chaleur renouvelable.

Nous sommes un nain particulièrement efficace si l’on considère notre parcours sur les dernières années, depuis la création du fonds chaleur. Les réseaux qui véhiculaient 8 TWH de chaleur renouvelable en 2009 en véhiculaient 17 TWH en 2017, soit une progression tout à fait notable de notre contribution. Ces térawatt-heures pèsent très lourd dans le bilan national en matière d’émission de carbone. En pratique, nous avons divisé par deux, les émissions de CO2 par kilowattheure (KWh) produit et distribué par les réseaux de chaleur.

Nous sommes également efficaces en matière économique. M. Carenco le rappelait tout à l’heure, on a souvent oublié ce qu’on appelle aujourd’hui la maîtrise des coûts collectifs, que la PPE désigne comme un objectif majeur. De ce point de vue, avec la chaleur renouvelable et les réseaux qui les véhiculent, d’après le rapport de la Cour des comptes et le rapport de la direction du Trésor, nous sommes de très loin la solution la plus efficiente en termes d’euros de soutien public par tonne de CO2 économisée.

Dernier point sur lequel nous ne sommes pas des « nains » : nos projets, et les projets de chaleur renouvelable de façon générale, sont des projets de croissance verte. Si la loi du 17 août 2015 est intitulée « loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte », c’est parce que la chaleur renouvelable véhiculée par les réseaux se substitue à des importations d’énergie fossile, puisque la production de chaleur reste majoritairement d’origine fossile. Il s’agit de solutions locales, qui passent par des investissements, des emplois locaux, l’exploitation de ressources locales comme la biomasse et la géothermie. Ces projets sont des leviers de la croissance économique, parce qu’à travers les investissements, on génère, en substitution des importations des emplois locaux.

Tout cela fait que les réseaux de chaleur sont reconnus comme étant un vecteur important de cette transition.

Or, dans la pratique, nous ne sommes pas traités comme tels. Les résultats sont en retard. Nous sommes à environ la moitié du rythme de développement annuel attendu dans la précédente programmation pluriannuelle et répété dans la suivante, tout simplement parce que, bien que nous soyons économiquement le plus efficients, l’allocation de moyens financiers n’est pas suffisante. Nous réclamons non pas une enveloppe globale d’un fonds chaleur mais un peu plus d’aides par projet, d’autant plus indispensables que la trajectoire de la valorisation carbone à travers la contribution climat-énergie est actuellement suspendue. Nous pensons avoir une capacité de réaction importante pour atteindre ces objectifs. Nous estimons que la chaleur transportée par les réseaux de chaleur pourrait être multipliée par cinq. Nous l’avons vérifié auprès des territoires en matière de ressources et de capacité à le faire. C’est un objectif facilement atteignable pour autant qu’on le mette en tête de gondole et qu’on lui en donne les moyens.

À court terme, nos demandes et préconisations sont donc de réévaluer les dispositifs d’aide en fonction des projets. En outre, une partie de la compétitivité des réseaux de chaleur a été obtenue au travers de cogénérations de gaz, outils particulièrement efficients en matière de performance énergétique. Dans les prochaines années, ces installations vont sortir des dispositifs d’aide à travers des tarifs d’achat. Nous souhaiterions la mise en place d’un dispositif de soutien destiné à tout le moins à amortir au moins les installations existantes, de sorte qu’elles puissent continuer à contribuer, comme par le passé, à la compétitivité de la chaleur distribuée par réseau.

Enfin, les réseaux de chaleur doivent faire l’objet d’approches systémiques, ce qui est le cas d’à peu près tous. Un point d’équilibre doit être trouvé dans les plans d’aménagement urbain et les projets territoriaux entre la nécessité de garder une consommation suffisante et le besoin d’extension des réseaux. Nous souhaitons que ce sujet soit mieux pris en compte dans les SRADDET, les PCAET et les dispositifs de cette nature. 

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Nous en arrivons au jeu des questions et réponses.

Au fil de toutes ces auditions, nous avons mis en évidence le fait que le rôle des gestionnaires de réseau est amené à évoluer. Chacun d’entre vous l’a dit, l’adaptation et la transformation des entreprises sont nécessaires. Votre rôle premier de transporteur va passer à celui de facilitateur d’énergie produite. Quels freins identifiez-vous à cette évolution ?

Nous avons aussi mis en évidence la complémentarité entre les réseaux de gaz et d’électricité, mais il en est moins souvent question avec les réseaux de chaleur. Une telle complémentarité doit-elle être, comme je le pense, renforcée ?

Quel rôle peut jouer l’hydrogène ?

Monsieur Monloubou, vous avez parlé de la révision de la structure tarifaire. Quelles pistes pouvez-vous nous indiquer en ce sens ?

L’autoconsommation a été évoquée à plusieurs reprises. Il convient de veiller à l’équilibre entre la production centralisée et la production décentralisée avec, en arrière-plan, la pérennité ou le danger que pourrait présenter la péréquation tarifaire. C’est aussi un sujet de débat régulier. Quel est votre regard sur ce sujet ?

Le développement du biogaz peine. La projection de la PPE à 2030 est-elle atteignable avec les moyens qui y sont alloués ?

Un élargissement de périmètre du FACE à enveloppe constante risquerait de provoquer une dilution des aides. Quels apports complémentaires voyez-vous pour cette enveloppe ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je n’arrive pas encore à visualiser où l’on va stocker l’électricité fatale. Sera-ce localement ou centralement ? Avez-vous eu connaissance d’une expérience de power to gas, où l’électricité devient hydrogène réinjecté dans le méthane pour chauffer des logements ? Ce paysage est encore flou. Les collectivités locales imaginent pouvoir récupérer cette électricité fatale pour la mettre dans leurs réseaux. Où en est-on sur ce sujet ?

M. Philippe Bolo. Merci pour vos explications et vos présentations respectives. Je vous interrogerai sur un sujet que plusieurs d’entre vous ont mis en évidence, à savoir la place des territoires dans la réussite de la transition énergétique. Vos propos ont également mis en évidence deux échelles aux antipodes l’une de l’autre : d’un côté, l’échelle européenne avec des contraintes liées aux interconnexions, et, de l’autre côté, l’échelle des territoires, avec des productions décentralisées injectées dans vos réseaux respectifs. Entre ces deux échelles, où vous situez-vous ?

Vous avez décrit des objectifs communs : l’envie de réussir la transition énergétique, sa nécessaire efficience nécessaire et la stabilité réglementaire. Vos propos ont également mis en évidence des éléments de différenciation. Ils concernent la composition du mix énergétique, les innovations variables selon qu’on considère les énergies ou les objets utilisateurs de ces énergies, et les simplifications administratives qui peuvent varier selon le mix et selon qu’on considère la mobilité ou le chauffage dans les bâtiments. Compte tenu de ces différences, comment voyez-vous la coordination au niveau des territoires, que vous appelez de vos vœux ? De surcroît, cette coordination vient se heurter au millefeuille de dispositifs qui complexifie la mise en place de la transition énergétique par les uns et les autres, animés chacun d’une volonté politique pour leurs territoires – je pense au SRADDET, au PCAET, aux différents schémas qui, pourtant, devraient dialoguer entre eux. Comment voyez-vous cette coordination indispensable à l’acceptabilité sociétale du développement des énergies renouvelables, donc à l’atteinte des objectifs de la transition énergétique ?

M. Raphaël Schellenberger. Ma question porte sur l’hydrogène, qui peut être un élément de rencontre des différents réseaux que vous gérez.

S’agissant de la production, nous sommes aujourd’hui dans une logique de soutien de l’hydrogène vert considéré comme un outil de stockage de l’électricité. Mais on peine à admettre que l’hydrogène « gris » et l’hydrogène fatal, issus de process industriel, puissent aussi être valorisés. Ils ne sont pourtant pas moins verts que d’autres hydrogènes issus d’une électrolyse anticipée dans le cadre de la gestion d’une pointe d’électricité. Je pense à une entreprise de ma circonscription qui produit de l’hydrogène fatal par électrolyse de l’eau, parce que le process industriel comprend une électrolyse. On n’arrive pas à mettre en place les règles relatives à la valorisation de ce produit, alors qu’il est techniquement et environnementalement tout à fait comparable à celui réalisé dans une usine spécialisée dans l’électrolyse. Alors que la transition énergétique devrait nous inciter à être ouverts à l’expérimentation, alors que vous dites qu’il faut se garder des certitudes et que nous sommes plutôt dans une phase de questionnement, n’est-on pas en train de répéter une attitude qui a conduit souvent la France à l’échec en matière d’innovation ?

Après la production se pose la question du stockage de l’hydrogène. L’acceptabilité de stockage d’hydrogène peut-elle être mise sur la place publique ? Est-on prêt à porter ce genre de débat ? J’ai conscience de l’incongruité de la question, puisque c’est un politique qui la pose à des techniciens alors que cela devrait être l’inverse, mais votre réponse m’intéresse.

Comment voyez-vous se construire le marché de la mobilité hydrogène ? On a beaucoup parlé de la mobilité électrique. J’ai retenu que l’essentiel serait la pluralité des modes énergétiques pour la mobilité mais, pour l’hydrogène, j’ai l’impression qu’on prend du retard.

Enfin, est-ce qu’on n’est pas en train, par dogmatisme, parce que l’on considère que le gaz n’est pas suffisamment vert, de se priver d’unités de production d’électricité au gaz, alors qu’on peut verdir le gaz et qu’on pourrait ainsi anticiper des cycles plus vertueux dans la production d’électricité ou d’autres sources de chaleur à base de gaz, qui auraient été verdies ?

M. Jean-François Carenco. Aujourd’hui les engagements de la nation pris pour les trente ans qui viennent varient, suivant que l’on estime le prix du marché à 42 euros ou à 60 euros le MWh, entre 100 et 130 milliards d’euros. On ne peut pas échapper à cette donnée.

Tout est intéressant, mais les réseaux doivent obéir à un minimum de rationalité économique pour les réseaux, c’est-à-dire dépenser moins et produire moins d’agressions environnementales. Cela s’appelle la flexibilité, mot qui n’a pas été employé ce matin. La flexibilité par le stockage, les interconnexions, le stockage interne sur les réseaux est une donnée essentielle qu’on ne prend pas encore suffisamment en compte. Tous les moyens de productions sont bons, mais certains ne trouvent pas leur modèle économique. J’ai le souvenir d’un haut responsable d’un groupe de production par éoliennes, qui m’avait dit : nous serons entre 100 et 150 euros le MWh d’ici dix ans. Je l’avais invité à ne rien faire. Les réseaux doivent donner de la flexibilité mais ils ne peuvent permettre tout.

Quant à l’hydrogène, il n’a pas de modèle économique, sauf l’hydrogène fatal, dans des conditions particulières. La Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA), en Martinique, qui dispose d’hydrogène fatal dans une raffinerie a annoncé son intention de s’en servir pour produire de l’électricité. On n’a pas besoin de produire plus d’électricité en Martinique, puisqu’il y a surcapacité dans tous les outre-mer, mais on en fait quand même, pour l’innovation. J’ai dit au dirigeant de la SARA : donnez-la nous puisqu’elle ne vaut rien. Il m’a répondu : non, je vais la vendre. Le sujet est le même pour les ordures ménagères et le gaz. On doit maintenant s’attacher à la valorisation de ce qui était auparavant res nullius, comme l’hydrogène fatal ou les ordures ménagères.

Monsieur Bolo, j’ai la réputation d’être hostile à l’autoconsommation et d’être un vieux jacobin. Mais, en matière de production d’énergie, je considère que nous devons nous entraider pour créer de la richesse dans les territoires à leur profit, au-delà des problèmes juridico-juridictionnels ou judiciaires. La présidente du conseil régional d’Occitanie, Carole Delga, « met le paquet » sur tel ou tel schéma d’énergie en vue de créer de la richesse.

Par ailleurs, comment aider, à des échelles plus petites, l’échange et l’innovation ? Il y a des innovations intéressantes comme les smart grids, dont Philippe Monloubou est un spécialiste. Concernant la production du gaz vert, une planification est nécessaire pour la création des réseaux et ne pas installer n’importe quoi n’importe où. Mais il faut veiller à ne pas couper la France en vingt-huit territoires…

M. François Brottes. Dans le prolongement de ce que vient de dire Jean-François Carenco, n’oubliez pas, dans cette enceinte qui se préoccupe d’aménagement du territoire, la péréquation. Les réseaux n’y sont pas pour rien. Les décalages entre les territoires, et ce que nous vivons dans notre pays aujourd’hui, le montrent aussi : il est inacceptable de ne pas garantir la même qualité et le même service partout sur le territoire. Le gaz est sur un marché, mais l’électricité est fournie en égale qualité et en même temps partout, et beaucoup y sont attachés.

Madame la présidente, vous parliez de facilitation. Comme il est de plus en plus difficile de réaliser des infrastructures, il est indispensable de « booster » les infrastructures existantes. Nous marchons maintenant sur deux jambes : une jambe électrique et une jambe numérique. Nous gérons 300 000 données à la seconde et, demain, ce sera 3 millions ! On met partout des capteurs et de l’intelligence déportée, on installe des outils de flexibilité que sont les batteries pour réduire les investissements d’infrastructure et faciliter l’entrée des renouvelables. Nous n’avons pas le choix car s’il fallait attendre quinze ans pour accueillir confortablement les renouvelables, vos calendriers prévisionnels prendraient beaucoup de retard. C’est une course contre la montre.

De même, nous mutualisons. Nous sommes un monopole, que justifie la mission éthique que nous ont confiée la loi et la Constitution. Cela nous permet d’optimiser les coûts, de limiter les délais et de réduire l’impact environnemental. Si chacun se raccorde au poste qu’il veut à l’heure qu’il veut, on ne s’en sortira pas, et cela coûtera beaucoup plus cher pour tout le monde.

Concernant l’acceptabilité, dont j’ai dit tout à l’heure qu’elle était le frein majeur, on ne fera rien sans l’appétence des territoires, sans la contribution des élus locaux, sans la compréhension des populations, même si c’est long et parfois coûteux. Sur 4,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, nous versons presque 600 millions d’euros d’impôts locaux, mais je ne souhaite qu’on en verse moins parce que la fiscalité est un dialogue.

Philippe Monloubou évoquait le FACE, qui permet aux territoires d’être à l’écoute et en compréhension. Si une contrainte est imposée, il est normal qu’elle donne lieu à contrepartie. Nous plaidons, et c’est à la main du législateur, pour marier le temps des SRADDET et celui des ENR. Il faut maintenir les SRADDET, qui sont la parole politique d’un territoire régional, et qui participent de l’acceptation. Mais si le technicien que nous sommes, en lien avec les distributeurs, est capable d’indiquer aux élus politiques les éléments techniques capables d’accélérer le développement à tel endroit, cela rationalise le débat et évite de découvrir qu’une zone déterminée ne sera pas raccordable avant dix ans. Vous pourriez imposer la concomitance des deux, afin de rationaliser le débat. Il ne s’agit pas d’éliminer l’un, les deux sont utiles, voire indispensables.

Nous faisons d’ailleurs en sorte de booster les schémas de raccordement. Quasiment arrivés au taquet pour les possibilités de raccordement aux ENR, sous la vigilance du régulateur, nous dénouons des parties du réseau pour faciliter un accueil beaucoup plus important dans le même schéma. Mais le jour où nous serons arrivés à saturation, il faudra faire le schéma d’après. C’est ainsi que nous devenons facilitateurs.

Concernant le stockage de l’énergie fatale, nous avons considéré que nous, transporteur d’électricité, ne pouvions pas ne pas nous intéresser au stockage de l’hydrogène et de l’aspect power to gas, sachant que, même si ce n’est pas tendance, le gas to power a encore de beaux jours devant lui. On ne peut pas tout éliminer. Quand nous avons besoin de démarrer rapidement une production sur le réseau, le thermique, et celui-ci en particulier, est utile, car visiblement moins polluant. On me reproche de défendre le gaz alors que je transporte de l’électricité, mais je suis lucide. Je ne suis pas un intégriste des sujets. Nous travaillons avec GRT Gaz, via le projet Jupiter 1000 dont ils sont porteurs, dans lequel nous explorons les pistes, les coûts, la faisabilité de plusieurs technologies de stockage de l’hydrogène pour la remettre dans les réseaux de gaz ou dans les transports. Mon collègue Thierry Trouvé, absent ce matin, sera d’accord pour organiser une visite de parlementaires sur le site de Jupiter 1000. Situé à Fos-sur-Mer, il est quasiment fini, et il est desservi par le train. Vous verrez ainsi par vous-mêmes où nous en sommes. Ce n’est pas gagné, on n’est pas sûr que ça ne coûte pas cher. Le président de la CRE a raison de pointer le coût, mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’intéresser à l’expérimentation.

M. Jean-François Carenco. Surtout qu’on vous a autorisés à le faire !

M. François Brottes. Absolument ! Merci, monsieur le président. Nous avons le devoir collectif d’essayer de mieux comprendre, et quoi de mieux qu’un prototype pour ce faire ?

Grâce au régulateur, nous avons l’autorisation d’utiliser les batteries pour le réseau. La directive européenne n’interdit pas de le faire. Demain, les voitures électriques constitueront un volume de stockage extrêmement important. Mais le problème de cette énergie fatale stockée, c’est de savoir comment la délivrer, quel volume, quelle puissance délivrer. Le sujet n’est pas tant de stocker que de déstocker. On a toujours un peu de perte en ligne, mais après il faut restituer. Je suis de ceux qui pensent que le vehicle to grid, donc l’injection via le stockage massif, facilitera la gestion du système électrique. C’est un grand enjeu pour l’avenir, qui court-circuite un peu l’intérêt économique de l’hydrogène, mais il faut travailler sur les deux.

S’agissant du dialogue avec les territoires, j’ai dit le fond de ma pensée.

Je rappelle enfin que pour faire de l’hydrogène, il faut de l’électricité. Nous raccordons des producteurs d’hydrogène, comme H2V Industry, à Dunkerque et en Normandie, qui réalisent actuellement des usines. Nous essayons d’être facilitateurs afin qu’eux-mêmes deviennent des exploitants à titre expérimental, mais si on ne part jamais on est sûr de n’arriver jamais.

M. Pierre Duvieusart. Madame et messieurs les députés, j’ai le plaisir de vous inviter à une visite des installations de Fos-sur-Mer, à une date à convenir avec mon directeur général.

Concernant l’hydrogène, sachez également que le ministre de Rugy nous a demandé, à nous, opérateurs de réseau, d’examiner dans quelle mesure les réseaux de gaz pourraient répondre directement non pas à une filière hydrogène qui n’est pas encore un modèle économique complet mais à l’utilisation de l’hydrogène fatal. Nous vous communiquerons les résultats de l’étude en juin. Toute la filière gazière a travaillé de conserve pour évaluer dans les différents maillons – transport, distribution, stockage, utilisateur – le taux d’hydrogène qui pourrait facilement et rapidement, être accepté dans nos réseaux.

S’agissant des convergences entre les opérateurs, des éléments ont été communiqués par M. Brottes. Nous réalisons de nombreux travaux en commun. Nous croyons aussi au gas to power, même si nous croyons d’abord au power to gas. Ces convergences se sont plutôt développées récemment. Nous avons toujours coopéré historiquement avec GRDF, mais à la suite du développement du biométhane, nous préparons ensemble des schémas directeurs pour définir la meilleure manière d’implanter les raccordements d’hydrogène sur nos réseaux. Avec RTE, nous réalisons des exercices de simulation communs et de publications de données communes. Nous travaillons ensemble sur ces sujets.

Enfin, madame la présidente, vous avez évoqué le biométhane dans la PPE. Nous estimons que le projet de décret n’est pas à la hauteur des ambitions nourries par beaucoup de porteurs de projet, par les territoires et par nous-mêmes. S’il y avait trois éléments à retenir, ce serait, d’abord, de rehausser la cible d’ambition, ou de plutôt confirmer la cible de la précédente PPE avec 8 TWH en 2023 et un « vrai » 10 % de biométhane injecté en 2013 ; ensuite, de permettre une visibilité des coûts pour les porteurs de projet et une plus grande progressivité dans la baisse ; enfin de s’adapter à la taille des projets. Il y a des projets de petite taille et des projets de taille plus importante. Les projets de petite taille ont besoin de visibilité, avec un guichet unique, tandis que les appels d’offres doivent être réservés aux plus grands projets, soit au-delà de 40 GWH par an.

M. Philippe Monloubou. Nous avons vu au travers des échanges qu’il existe une dimension nationale industrielle, qui est l’apanage de grands opérateurs dont nous avons la chance de disposer dans notre pays, et une dimension hyperlocale qui est celle des territoires. Cela mérite d’être mis en regard du savoir-faire de la France, au moment où tous les pays s’interrogent sur leur capacité à conduire la transition énergétique. Il est intéressant, comme levier de la transition énergétique, de capitaliser sur notre capacité à gérer deux dimensions en apparence opposées, la gestion du temps, voire du long terme, et la gestion du temps réel, contrairement à d’autres pays qui peinent à investir durablement dans les réseaux ou à en maîtriser la planification et la « smartisation ». Jean-François Carenco ne me démentira pas, ce n’est pas seulement une question de dogme ou de principe républicain, c’est une question de solidarité des territoires et de capacité d’action dans une logique maîtrisée de coûts, de ressources et de faisabilité, au regard des enjeux.

Il est évident qu’entre la part fixe et la part consommation, une évolution est nécessaire. Je n’indiquerai pas de pourcentage. Nous y travaillons avec la CRE. C’est une évidence, François Brottes l’a souligné. On pourrait parler de « part assurantielle du réseau ». Des coûts de réseau seront nécessaires, quel que soit le développement de l’autoconsommation collective et des communautés énergétiques locales. Ils pourront même se renforcer, car la transition énergétique nécessite des investissements importants.

Je soulignerai aussi la transformation : transformation des entreprises, des compétences, des organisations, de la capacité à fonctionner de manière horizontale. Vous y avez insisté d’emblée et vous l’avez repris à juste titre dans votre formulation. C’est une autre innovation, non exclusive des grands groupes que nous sommes. Elle est de plus en plus horizontale, transverse, on parle d’« open innovation ». Je peux vous le dire par mon engagement dans l’association pour les réseaux électriques intelligents, nous avons un vrai savoir-faire. Il convient de le renforcer, car c’est la condition pour être dans le time to market, le temps d’accès au marché, et permettre la réactivité de nos entreprises.

L’énergie fatale peut être associée à la logique de flexibilité, à la logique de stockage, à la logique de développement des smart grids. La transition énergétique pose de plus en plus de questions, mais jamais, sans doute, autant de réponses ne nous avaient été apportées par les évolutions des technologies numériques et digitales, qui sont aussi des outils nouveaux mis à notre disposition. L’énergie fatale, nous en voyons une expérimentation à la frontière avec le Luxembourg, qui permet la recharge directe de véhicules électriques. Il faudra en vérifier les conditions économiques, mais il y a un espace potentiel pour ces nouveaux outils.

Quant aux territoires, il nous faut, là encore, capitaliser sur ce que nous savons faire pour développer demain la valeur industrielle et la réactivité nécessaires pour s’adapter à des enjeux de plus en plus locaux. On a parlé de schémas directeurs, d’engagements sur la durée, donc de compréhension mutuelle beaucoup plus fine. Nous savons le faire en France.

M. François Brottes. J’ai parlé d’intelligence des réseaux. Nous avons absolument besoin du compteur Linky, qui permet de communiquer du début à la fin, du transport au consommateur final. C’est un outil majeur dont nous en avons un besoin impérieux pour améliorer la flexibilité du réseau. Je le dis au risque de prendre des coups sur le terrain alors que nous ne sommes pas concernés.

M. Philippe Monloubou. Merci !

M. Pascal Sokoloff. Je répondrai à la question sur le FACE et sur le risque de dilution des aides. Nous avons connu trois temps dans l’histoire. Nous avons commencé par assurer la desserte électrique de la France. Après les tempêtes de 1999, le FACE a eu une mission importante de sécurisation des réseaux, qui va à son terme. La transition énergétique est une nouvelle phase dans laquelle nous entrons.

Nous avons la conviction qu’à enveloppe constante, il est possible d’opérer un redéploiement des moyens du FACE sur des actions considérées par les territoires comme légitimes, pertinentes, voire urgentes. La rénovation énergétique n’est pas déconnectée des problématiques de réseaux, parce qu’elle réduit la consommation de pointe et permet de repousser les besoins de renforcement des réseaux. Il faut procéder à plusieurs rénovations, par exemple en matière d’éclairage public.

Concernant la mobilité propre, je ne peux qu’acquiescer à ce qui a déjà été dit. Une capacité de stockage améliorée qui confortera les équilibrages des réseaux. Il serait dommage de priver les territoires de cette opportunité. Mais il faut financer les bornes de recharge. Si les collectivités ont une capacité de maîtrise d’ouvrage, en revanche, il y a un besoin de financement que le FACE peut satisfaire. Nous vous incitons à veiller, dans le cadre des lois de finances, à assurer à cet outil les moyens qui lui sont nécessaires.

Quant à l’hydrogène, il fait l’objet de nombreuses expérimentations par des syndicats d’énergie. C’est le cas dans le Morbihan, pour le ferroviaire ou la recharge de bateaux. Dans les DOM, on peut voir à La Réunion, sur le site de La Nouvelle, alimenté jusqu’à présent par des panneaux photovoltaïques, l’expérimentation d’une solution de stockage d’électricité via l’hydrogène. L’énergie fatale excédentaire alimente un électrolyseur. L’hydrogène est stocké et utilisé par une pile à combustible quand le soleil fait défaut. Cela préfigure peut-être ce que nous pourrions faire demain avec cette technologie.

M. Pascal Roger. Je rebondirai sur deux mots : « innovation » et « flexibilité », deux maîtres mots des problématiques énergétiques que nous rencontrons. Les solutions sont encore en cours de déploiement. À cet égard, les réseaux de chaleur sont un outil extrêmement flexible en termes d’évolution d’une énergie par rapport à l’autre. Nous avons montré comment passer très rapidement d’une énergie plutôt carbonée à des réseaux devenus majoritairement ENR. Demain matin, une nouvelle technologie innovante et à coût collectif maîtrisé pourrait parfaitement être véhiculée par les réseaux de chaleur.

Les réseaux de chaleur étant généralement multi-énergies, nous pouvons jouer un rôle de buffer pour la régulation de la demande. C’est une façon de massifier des actions d’effacement ou d’appel d’énergie en période creuse pour trouver un optimum économique et contribuer à l’équilibre global de la démarche réseaux. Les réseaux doivent être vus en termes d’aménagement, en termes d’outils et en termes de systèmes intégrés. De ce point de vue, nous avons encore pas mal de travail à faire, y compris entre nous.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Il me revient de vous remercier tous pour vos interventions et pour les contributions que vous nous avez fournies en tant que gestionnaires de réseaux, à l’interface de la production et la consommation. Nous avons bien compris qu’il n’y aura pas de transition énergétique sans réseaux. Nous allons alimenter les recommandations de notre mission avec l’ensemble de vos contributions.

L’audition s’achève à douze heures cinquante.

 


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25.   Jeudi 28 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’industrie et la transition énergétique :
– M. Gildas Barreyre, président de la commission électricité de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN), et M. Édouard Oberthur, responsable des contrats long terme en gaz naturel et électricité chez ArcelorMittal ;
– M. David Marchal, directeur adjoint à la direction productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et M. Thomas Gourdon, responsable adjoint du service entreprises et dynamiques industrielles ;
– M. David Bardina, directeur général adjoint de Métron ;
– M. Philippe-Emmanuel Rauzier, expert industrie au sein de l’Association négaWatt.

L’audition débute à dix heures.

M. le président Julien Dive. Messieurs, j’ai le plaisir de vous accueillir à cette réunion de la mission d’information commune sur les freins à la transition énergétique. J’ai à mes côtés M. Bruno Duvergé, rapporteur de cette mission. Cette audition est ouverte à la presse. Elle est enregistrée et visible en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. Un compte rendu détaillé sera produit à son issue. Vous avez par ailleurs la possibilité de déposer vos contributions sur une plateforme consultative, lancée le 6 mars dernier. Voilà une démarche assez nouvelle, qui permet aux personnes auditionnées de compléter leurs propos et d’apporter des précisions à la suite de leur audition. Enfin, elle permet à chaque citoyen, quel que soit son engagement, de contribuer à l’objet de la mission et au rapport final. La plateforme est ouverte jusqu’à la mi-avril, 4 000 contributions ont déjà été fournies, selon sept rubriques que je détaillerai rapidement. Les contributeurs sont aussi amenés à voter sur chacune des contributions, pour distinguer celles qui retiennent le plus leur attention.

Nous avons mené, depuis le mois de septembre, 25 auditions. La mission a été créée en juillet 2018 par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale. Les auditions ont été organisées selon différents thèmes. La thématique de ce matin porte sur l’industrie et la transition énergétique et concerne principalement les acteurs de l’énergie. Les sept thèmes des auditions sont les suivants : équation entre production et consommation d’énergie, développement des énergies renouvelables, mobilité, économies d’énergie, évolutions et mutations des grands groupes énergétiques – vous en êtes les témoins –, place des territoires, notamment des intercommunalités – le témoignage, la semaine dernière, de l’eurométropole de Strasbourg était très intéressant –, et enfin fiscalité écologique.

Notre audition sera suivie d’une seconde audition à onze heures trente. Je vous propose d’intervenir à tour de rôle entre cinq et dix minutes, d’aller directement au but pour nous exposer les freins que vous avez identifiés, les réponses, les solutions et les écueils à éviter. Nous aurons ensuite un moment d’échange. Je passe la parole à M. le rapporteur.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Monsieur le président, vous avez été très complet dans la description de la mission. Je rajouterai un point important : l’un des freins est l’absence d’une vision, à terme, du monde de demain, dans dix, vingt ou trente ans, ce dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la mobilité, des économies d’énergie, des filières énergétiques, etc. À quoi ressemblera l’industrie de demain, dans un nouveau contexte énergétique ?

M. le président Julien Dive. Nous recevons ce matin M. Gildas Barreyre, président de la commission électricité de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) ; M. Édouard Oberthur, responsable des contrats long terme en gaz naturel et électricité chez ArcelorMittal ; M. David Marchal, directeur adjoint à la direction productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et M. Thomas Gourdon, responsable adjoint du service entreprises et dynamiques industrielles ; M. David Bardina, directeur général adjoint de Métron, start-up française innovante d’intelligence énergétique pour l’industrie ; M. Philippe-Emmanuel Rauzier, expert industrie au sein de l’association négaWatt.

M. Gildas Barreyre, président de la commission électricité de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN). Monsieur le président, je vous remercie. L’UNIDEN représente les industries énergo-intensives, pour lesquelles la consommation d’énergie représente une part importante des coûts de production. Nous sommes environ 50 membres, et représentons 70 % de la consommation énergétique industrielle française, qu’il s’agisse d’énergie électrique ou d’énergie chaleur.

Concrètement, pour la transition énergétique, nous souhaitons faire passer un message sur l’indicateur de performance des politiques publiques. Nous mesurons aujourd’hui les émissions domestiques. Or, le seul véritable indicateur efficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial est celui de l’empreinte carbone : il porte non seulement sur les émissions domestiques, mais aussi sur les émissions des produits importés. Un aluminium importé de Chine a un contenu en CO2 bien supérieur à celui produit en France. Notre message est donc positif. L’industrie et la relocalisation de l’activité industrielle en France accélèrent la transition écologique et la réduction de nos émissions de GES.

Entre 1995 et 2015, les émissions françaises de C02 ont diminué de 20 %, essentiellement grâce aux efforts consentis par le secteur industriel, dont les émissions de CO2 ont massivement chuté. Cependant, dans le même temps, l’empreinte carbone française, c'est-à-dire la contribution nette de la France au réchauffement climatique, a augmenté de 11 %, d’après les chiffres du ministère de la transition écologique et solidaire. Tous les efforts investis dans cette transition ont conduit chaque Français à émettre plus de CO2, à cause de leur consommation de produits importés de pays à fort contenu carbone.

Aujourd’hui, nous sommes convaincus que, du point de vue du climat, il faut relocaliser l’industrie en France. La stratégie nationale bas carbone (SNBC) propose par ailleurs un tel scénario, qui permet, selon elle, de réduire notre empreinte carbone de l’ordre de 10 % en 2050, par rapport au scénario de base sans relocalisation de notre industrie. Ce point est crucial.

Un second point très important concerne l’innovation, notamment l’apport de l’industrie à l’innovation dans les technologies à bas carbone. Or, que ce soient les éoliennes, les panneaux photovoltaïques, les batteries, les infrastructures, les véhicules, etc., ces technologies ne pourront se développer dans un désert industriel. Ne reproduisons pas l’erreur des panneaux photovoltaïques : si les technologies sont développées dans d’autres régions du monde, la France ne sera pas motrice et ces solutions seront peut-être développées sur un mix énergétique plus carboné. Notre message sur les apports de l’industrie à la transition écologique est donc positif.

Concernant les freins que subissent nos industries, le premier est celui de la compétitivité : compétitivité de l’industrie et compétitivité de l’accès à l’énergie. La compétitivité actuelle est fortement altérée par la fiscalité écologique et par le système des quotas de GES. Or, en grevant cette compétitivité, nous réduisons les marges de manœuvre pour l’innovation et les investissements dans la transition écologique. Voilà un point à prendre en compte à très court terme.

À moyen terme, un soutien fort des pouvoirs publics dans la transition énergétique est plus efficace qu’une fiscalité punitive. Le soutien est un levier beaucoup plus fort que la fiscalité. C’est le choix qu’ont fait la France et l’Europe pour le secteur électrique, où la transition écologique a été accélérée par un soutien aux énergies renouvelables. Pourquoi ne pas reproduire ce modèle dans l’industrie française, pour en faire une vraie tête de pont de l’efficacité énergétique et des solutions bas-carbone de demain ?

Enfin – je rejoins ici les propos de M. le rapporteur –, nous avons besoin de visibilité. Investir dans des solutions lourdes pour accélérer la transition énergétique exige une visibilité à long terme. En vingt ans, l’industrie a réduit de plus de 50 % son intensité énergétique, c’est-à-dire la consommation d’unité énergétique par unité de produit fini. Tout ce qui était facilement accessible, nous l’avons fait, très clairement. Pour faire un pas en avant, nous demandons une certaine visibilité, car les investissements dans ces nouvelles technologies sont lourds.

Voilà les messages que nous souhaitions vous transmettre. Certains freins existent, mais le point essentiel est de considérer enfin l’industrie comme une solution. Nous ne pourrons pas développer les solutions bas-carbone dans un désert industriel.

Je citerai un autre exemple : l’industrie peut apporter les « flexibilités » demandées. Nous parlons beaucoup d’énergie renouvelable intermittente, qu’elle soit électrique ou chaleur. L’industrie, par la nature de sa production, peut baisser instantanément sa consommation ; elle peut également soutenir une réduction du coût de l’intégration de ces énergies renouvelables pour la collectivité.

M. Édouard Oberthur, responsable des contrats long terme en gaz naturel et électricité chez ArcelorMittal. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, ArcelorMittal est l’acteur principal de la sidérurgie en France. L’entreprise représente 70 % de la production sidérurgique et 70 % des emplois dans la sidérurgie française. Nous sommes membres de l’UNIDEN, en tant que gros consommateur d’énergie. Je souhaite vous présenter quelques ordres de grandeur. ArcelorMittal Atlantique et Lorraine est l’un de nos principaux outils de production, avec ArcelorMittal Méditerranée à Fos. La consommation d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine représente plus de 3 % de la consommation électrique totale française, en considérant le charbon et toutes les autres énergies nécessaires – électricité, gaz naturel et chaleur – à la production de l’acier.

Nous sommes donc de gros consommateurs d’énergie. À ce titre, nous cherchons depuis longtemps à réduire nos consommations, pour limiter notre facture globale, optimiser notre autoconsommation, grâce à la chaleur fatale issue des processus de production sidérurgique, et recycler l’ensemble de nos coproduits, qu’ils soient énergétiques ou non, dans notre tissu industriel propre, ou dans un tissu industriel ou sociétal environnant. Notre site de Dunkerque, depuis 1982, produit de la chaleur utilisée par la ville et l’agglomération de Dunkerque : sont ainsi chauffés plus de 6 000 logements, les écoles, l’hôpital et la piscine municipale de Dunkerque. Ces actions sont anciennes.

Je rejoins les propos de M. Barreyre : nous avons beaucoup fait. Pour continuer dans cette voie, les nouveaux projets sont de plus en plus difficiles à trouver et à financer, du fait de leur faible profitabilité. Nous avons donc besoin d’outils, élaborés par l’État. Nos principaux sites sont certifiés ISO 50001. Les plans de réduction de consommation énergétique sont, selon nous, particulièrement importants. Nous sommes particulièrement sensibles aux décisions incluses dans les politiques publiques, pour réussir à atteindre ces objectifs.

Je vous livrerai des éléments précis. Nous avons des difficultés à trouver des aides de financement, alors qu’elles nous sont extrêmement nécessaires – nous parlons parfois de plusieurs dizaines de millions d’euros –, pour des cas particuliers à l’industrie de l’acier qui ne rentrent pas dans des mécanismes de soutien. Je pense notamment aux turbines TRT – top pressure recovery turbines – qui produisent de l’électricité sur les hauts-fourneaux, et qui, étant trop spécifiques, ne rentrent ni dans le fond chaleur, ni dans les mécanismes de certificats d’économie d’énergie (CEE).

Je souhaite porter un autre élément à votre connaissance, qui rejoint la nécessité de la visibilité. Le législateur nous apporte un certain nombre d’aides fiscales. Cependant, lors de leur mise en œuvre, notamment avec les douanes, nous souhaiterions plus d’efficacité. Dans la pratique, les douanes sont particulièrement tatillonnes. Cela est respectable, mais ce n’est pas ce qui était attendu du législateur.

Je reviens sur un élément très important, mentionné par M. Barreyre : les mécanismes de fuite carbone, qui sont des compensations indirectes aux émissions de CO2. Très clairement, pour continuer à investir en Europe, et en France en particulier, ces mécanismes doivent être pérennisés. Nous avons besoin de visibilité. À défaut, la fuite carbone continuera, vers d’autres territoires, tout comme la réduction de consommation énergétique de l’industrie française, qui n’est pas seulement liée à l’optimisation de nos outils, mais aussi, pour beaucoup, à la réduction du tissu industriel français.

Je souhaite conclure par un propos très positif. La sidérurgie française rencontre des barrières pour réduire sa consommation de CO2. Nous avons des objectifs importants de réduction pour les dix prochaines années. Nous devrons utiliser des technologies de rupture. 800 des 1 300 salariés employés dans la recherche-développement d’ArcelorMittal sont installés en France. Nous ne développerons ces technologies de rupture qu’à partir des technologies développées par nos concurrents. Le lien entre la recherche-développement et l’outil industriel est primordial pour déployer ces technologies, qui, paradoxalement, nous obligeront à augmenter massivement notre consommation de gaz naturel et d’électricité, pour réduire notre production de GES. Il sera particulièrement important, dans les prochaines années, de nous donner une visibilité sur le prix des utilités, que ce soit le CO2, le gaz naturel et l’électricité, pour que les technologies de rupture soient intégrées à nos sites.

Comme le disait M. Barreyre, il est crucial de maintenir le tissu industriel en Europe, pour que l’acier ne soit pas produit en Chine, en Inde ou aux États-Unis, à partir de mix énergétique beaucoup plus carbonés.

M. David Marchal, directeur adjoint à la direction productions et énergies durables de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). L’ADEME est un acteur de la transition énergétique de l’industrie, grâce au soutien à l’innovation, à des guides, à la diffusion de bonnes pratiques, au soutien à des financements, tels que le Fonds chaleur. Vous avez auditionné précédemment d’autres représentants de l’ADEME à ce sujet.

Concernant l’industrie – nous pourrons vous transmettre des chiffres précis – nous constatons que le secteur a déjà fait beaucoup de progrès, puisque les consommations d’énergie ont diminué de 10 % en vingt-cinq ans. Dans le même temps, le secteur a diminué de 50 % ces émissions de GES, alors qu’il représente un quart de la consommation d’énergie et un tiers de la consommation d’électricité en France.

Dans les visions prospectives que nous avons publiées en 2017, nous estimons cependant que le secteur peut encore augmenter de 20 % son efficacité énergétique d’ici 2035. Dans ces 20 % supplémentaires, la plus grande partie est constituée de solutions matures ou organisationnelles. Seulement un quart tient à l’innovation. Le soutien à l’innovation est très important, mais beaucoup de solutions existent déjà.

Nous sommes assez convaincus – mes prédécesseurs l’ont dit – que la performance énergétique et la performance économique sont synonymes. Cependant, cela varie en fonction des secteurs d’activité, puisque le monde industriel est varié. Du point de vue de la consommation énergétique, nous pouvons distinguer trois groupes. Le premier est constitué des très forts consommateurs, que représente l’UNIDEN, pour lesquels la facture énergétique peut représenter 10 % à 20 % de la valeur ajoutée. Le second secteur se situe à 5 % : chimie organique, papier, etc., activités pour lesquelles l’énergie est aussi une question importante. Le troisième secteur est constitué d’un très grand nombre de petits sites, pour lesquels la facture énergétique représente moins de 1 % de la valeur ajoutée, et pour lesquels les dispositifs d’accompagnement à imaginer sont différents. Un pourcent des sites industriels en France concentre les deux tiers de la consommation d’énergie.

Pour les deux premières catégories, gros et moyens consommateurs, la question de la performance énergétique est la plus importante. Deux leviers existent pour améliorer cette performance : abaisser le prix de l’énergie et baisser les consommations. Grâce au Fonds chaleur, l’ADEME agit sur le premier levier, en subventionnant les énergies renouvelables notamment. Des entreprises montrent que la marche n’est pas si grande, et que la performance économique est au rendez-vous. Par exemple, la plateforme chimique du Roussillon, dans la vallée du Rhône, a mis en place un opérateur énergétique sur site, dont la mission est de vendre des utilités aux entreprises présentes sur le site. La plateforme consomme 30 % d’énergie renouvelable, et ils envisagent d’atteindre 60 % ou 70 % d’ici 2020, grâce à une chaufferie bois et au raccordement d’un incinérateur. Cette plateforme attire : un fabricant de carbone destiné à l’aéronautique s’est installé. Voilà un exemple intéressant en termes de compétitivité.

Dans le secteur agro-alimentaire, nous avons soutenu, dans le cadre du Fonds chaleur, l’entreprise Chamtor, dans le département de la Marne : elle récupère de la chaleur fatale pour des processus agro-alimentaires tels que la fabrication de protéines d’amidon. L’investissement s’élevait à 2,2 millions d’euros pour l’entreprise : l’ADEME a fourni une subvention de 450 000 euros, et le montant restant sera rentabilisé en trois ans, grâce à environ 600 000 euros d’économies réalisées par an. Des projets sont donc fortement rentables, et répondent aux exigences de rentabilité du secteur industriel.

Concernant ArcelorMittal, nous avons soutenu des investissements pour de la récupération de chaleur fatale sur son site de Saint-Chély-d’Apcher, en Lozère. Dans ce cas, un tiers financeur est intervenu, a pris en charge les investissements, et a permis à ArcelorMittal de réduire ses coûts, sans avoir à investir.

M. Édouard Oberthur. Sans avoir à investir en direct !

M. David Marchal. Exactement. La question est de savoir comment démultiplier ces exemples probants. C’est un peu la quadrature du cercle : nous voulons maintenir la compétitivité et l’industrie sur notre territoire, et les pouvoirs publics utilisent le prix de l’énergie ; cependant, l’ADEME constate que cette baisse ne favorise pas les projets d’efficacité énergétique et de passage aux énergies renouvelables : ils sont moins rentables et réclament davantage de subventions.

Voilà le cœur de mon propos. Pour favoriser la compétitivité à court terme, abaisser le prix de l’énergie est pertinent. Pour la favoriser à moyen terme, il faudrait accompagner ces baisses du prix de l’énergie par des politiques qui orientent les investissements industriels vers la transition énergétique et écologique. Je vous donnerai deux exemples. Concernant la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), nous sommes assez choqués de constater que 40 % de la consommation de gaz de l’industrie est exonérée de cette taxe ou fait l’objet de tarifs réduits. Certes, nous pouvons le comprendre pour des secteurs soumis à une forte concurrence. Mais tout de même : 40 % ! Sans contrepartie exigée ! Concernant ces contreparties, je préciserai ensuite mon propos. L’autre exemple est celui des exonérations de tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) : les sites électro-intensifs font l’objet d’une exonération, sous réserve de produire un plan de performance énergétique (PPE). L’année dernière, l’ADEME a instruit ces plans auprès des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Nous sommes convaincus qu’il s’agit d’une bonne mesure, qui pousse les industries énergivores à établir des PPE. Nous sommes toutefois déçus par l’ambition de ces PPE, ou plutôt par l’hétérogénéité des ambitions : certains sites présentent des plans tout à fait à la hauteur des attentes, d’autres présentent des PPE dans lesquels les investissements consentis par les industriels sont bien en dessous de la subvention indirecte perçue via l’exonération de TURPE. Ce système pourrait être amélioré si nous exigions un niveau de qualité et d’engagement de ces PPE qui soit au moins à la hauteur de l’exonération perçue. Nous souhaitons en même temps favoriser la compétitivité et donner un signal à l’investissement, qui aille dans le sens de la transition énergétique, pour qu’à moyen terme ces industries abaissent leur consommation.

J’en viens aux mesures que nous proposons. En termes de soutien public, le bâton est toujours moins attractif que la carotte. Cependant, exiger des contreparties solides quand nous octroyons des exonérations diverses permettrait de nous assurer de maintenir, à moyen terme, le tissu industriel français, parce qu’il aura su se moderniser. Notre tissu industriel est ancien, ce qui est à notre avantage ; cependant, les usines qui se développent à l’étranger sont souvent modernes. Nous sommes face à un enjeu immense de modernisation de notre outil industriel, qui peut rejoindre l’enjeu de la transition énergétique, tout comme celui du numérique. Nous souhaiterions que les aides à la politique industrielle, par exemple numériques, incluent les co-bénéfices de la transition énergétique. Je pourrai également évoquer l’effacement, si vous le souhaitez.

Sur le long terme, le secteur de l’industrie présente cette particularité d’avoir une vision moins claire sur ses feuilles de route à long terme. De plus, nous constatons un manque de vision commune sur l’ensemble des effets que pourrait avoir la transition énergétique sur ce secteur, et sur les pans qui exigent un développement impératif. Il faut construire cette vision. Dans le cadre du comité national de l’industrie (CNI), la perspective de feuilles de route industrielles bas-carbone a été évoquée, pour aller dans ce sens.

Les gros industriels pourraient devenir des opérateurs énergétiques territoriaux – vous parliez, monsieur Oberthur, du Site de Dunkerque, et j’ai pour ma part évoqué la plateforme de Roussillon. Ces sites ont vocation à devenir des hubs énergétiques territoriaux, où les consommateurs auront vocation à fournir des services et différents vecteurs énergétiques sur le territoire.

M. le président Julien Dive. Je propose maintenant à M. David Bardina, directeur général adjoint de la start-up Métron, spécialisée dans l’intelligence énergétique pour l’industrie, de nous présenter son activité et les leviers et les freins à la transition énergétique qu’il a identifiés.

M. David Bardina, directeur général adjoint de Métron, start-up française innovante d’intelligence énergétique pour l’industrie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer devant vous aujourd’hui. Métron est une tout petite société. Elle a cinq ans, fait moins de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel et a moins de 100 collaborateurs. C’est une jeune petite pousse, qui est néanmoins innovante, et dont le métier est de développer des solutions digitales pour optimiser l’efficacité énergétique de l’industrie. C’est le seul segment dans lequel nous intervenons à ce stade – peut-être en sera-t-il autrement à long terme.

Notre innovation consiste à apporter à l’industrie de nouvelles technologies digitales : manipuler un grand nombre de données en temps réel, se connecter aux réseaux informatiques et aux compteurs des sites de manière « agnostique », si je puis dire. Nous pouvons déployer nos solutions de manière peu coûteuse et efficace, en ayant cependant des résultats intéressants, avec des retours sur investissements inférieurs à un an. Dans la pratique, Métron est une jeune société qui se développe sans compter sur grand monde. Nous comptons sur nous-mêmes. Nous intervenons de manière agnostique par rapport aux politiques publiques. Métron est une toute petite société, mais nous sommes présents en France, à Bogota, à São Paulo, à Dubaï, à Singapour et en Italie. Nous nous intégrons à des contextes de politiques publiques très différents et notre mission est d’être efficaces quels qu’ils soient.

Les politiques publiques sont pour nous un peu anecdotiques. Néanmoins, dans certains pays, il existe des politiques publiques qui nous aident plus. L’Italie a mis la force de la preuve au service des certificats blancs, ce qui n’est pas le cas en France. Nous pouvons d’ailleurs nous étonner qu’il ait fallu attendre la quatrième période des certificats d’économie d’énergie en France pour voir apparaître une fiche standard CEE spécifiquement dédiée au sujet de la mesure de la performance énergétique industrielle. Ceci étant, nous nous développons sans ces outils, et nous sommes très satisfaits de voir cette fiche apparaître. Elle donnera sûrement un petit coup de pouce. D’ici quelques années, nous pourrons probablement présenter un retour d’expérience intéressant sur ce sujet.

En revanche, ce qui nous aide, c’est de constater que nous aidons nos clients : l’industrie directement, mais aussi tous les acteurs qui proposent des services d’efficacité énergétique à ces clients industriels. Je parle des utilités, des sociétés de services énergétiques et des fournisseurs d’équipements. Nous nous rendons compte que mettre en place une transition énergétique dans l’industrie est porteur de nombreux risques et de nombreuses difficultés. Je ne les citerai pas tous : risque technologique, risque de l’innovation technologique, risque de performance technologique, risque des projets, risque de marché sur les prix de l’énergie, difficultés de financement des projets, etc. Voilà qui n’est pas simple. Le métier de l’industriel lambda est de produire, et non de produire en émettant le moins de CO2 possible. Ce dernier objectif devient certes inhérent à son métier, mais le premier métier reste bien de produire.

Nous voyons d’un bon œil l’émergence des contrats de performance énergétique portés par des tiers. Voilà de bonnes solutions pour répartir les risques de manière efficace. Ainsi les industriels peuvent s’engager sur la performance de leurs technologies, et une concertation a lieu pour une meilleure répartition des risques. Aider ces acteurs, c’est nous aider. Dans ce type de montage, restent des risques peu couverts. J’en citerai deux.

Le premier risque est celui de contrepartie : quand on élabore un tel montage, il faut que l’ensemble des acteurs autour de la table aient confiance dans le fait qu’ils existeront, tous, dans dix ans. Ce risque n’est pas couvert, peu de solutions existent actuellement. Des compagnies d’assurances et des actions privées peuvent en proposer, mais des fonds de garantie pourraient les prendre en charge à l’échelle de l’État.

Le second risque est le suivant : les acteurs doivent pouvoir compter sur un cadre réglementaire et fiscal stable. Les clients comptent dessus, et nous-mêmes, pour nous développer, avons besoin que nos clients aient confiance. Nous aider directement, ce n’est pas vraiment nécessaire ; en revanche, il faut absolument aider nos clients. Nous apportons aujourd’hui des solutions, comme d’autres acteurs de ce marché en pleine expansion. Nous levons des fonds pour financer notre recherche-développement sans trop de difficultés. En revanche, nos clients doivent pouvoir avoir confiance en l’avenir, et avoir à disposition des mécanismes qui leur permettent de bien faire leur métier. Ainsi, nous pourrons bien faire le nôtre.

M. le président Julien Dive. M. Philippe-Emmanuel Rauzier, expert industrie au sein de l’association négaWatt, nous a remis un scénario pour l’industrie française à l’horizon 2050. Je lui cède la parole.

M. Philippe-Emmanuel Rauzier, expert industrie au sein de l’association négaWatt. Monsieur le rapporteur, monsieur le président, je vous remercie pour votre invitation.

L'association négaWatt, depuis une quinzaine d'années, s’intéresse à notre préoccupation commune : léguer des bienfaits et des rentes à nos générations futures, plutôt que des fardeaux et des dettes. Nous essayons de mettre des chiffres derrière ces paroles, c'est-à-dire de construire, au-delà de la stratégie bas-carbone, un véritable scénario de développement durable à l'horizon 2050.

Ce scénario est avant tout une démarche : plutôt que de nous préoccuper des moyens de production d'énergie futurs, nous commençons, en aval, par nous interroger sur les services énergétiques dont nous souhaitons disposer dans le futur et la demande énergétique que cela impose, et par réduire les gaspillages en faisant preuve de sobriété.

Sobriété n’est pas austérité. La sobriété signifie plutôt citoyenneté, organisation des moyens et économie circulaire. Nous nous intéressons ensuite à l’efficacité des moyens mis en œuvre – chaudière, voiture, moyens de chauffage et processus industriels – et aux vecteurs énergétiques nécessaires à cette transition énergétique – énergies renouvelables, et vecteurs propres à l’industrie, tels que l’hydrogène. Si l'efficacité et les moyens de production d'énergie sont relativement bien étudiés, j’insisterai davantage sur ce qui fait l'originalité notre scénario : une tentative pour chiffrer la sobriété dans l'industrie, c'est-à-dire une mise en œuvre de l'économie circulaire.

L'économie circulaire s’intéresse aux besoins en matériaux, à la demande de biens de consommation et d'équipement et aux matériaux que leur fabrication induit, ce à l'horizon 2050. Il faut prendre en compte la baisse en demande de matériaux qu’implique l’utilisation de produits durables. La loi de transition énergétique a banni l’obsolescence programmée. Les produits peuvent être réutilisés, réparés, réutilisés par le biais des consignes, par le biais de « ressourceries », etc. Nous préconisons que les emballages puissent être consignés dans le verre et les plastiques. La réparation est aujourd’hui en déclin en France, malgré la présence du secteur automobile. Selon une étude de l’Union européenne, ces deux leviers de la réparation et du recyclage, permettraient, selon chaque point gagné, de générer 23 milliards d’euros et entre 200 000 et 400 000 emplois. Voilà pour ce qui concerne les biens de consommation.

Tout ceci a une incidence sur les matériaux utilisés. Nous avons élaboré une sorte de matrice qui fait la relation entre ces biens de consommation et d'équipement et les matériaux. Cette matrice a beaucoup attiré l'attention de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) avec laquelle nous avons eu de nombreux contacts lors de la préparation des scénarios bas-carbone et lors de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

La question n’est pas seulement de savoir comment produire, mais aussi que produire. Certains diront qu’une réduction de la demande peut induire une baisse de l’activité industrielle. Je rejoins les propos de M. Barreyre : aujourd'hui, il faut s'interroger sur la relocalisation de certaines activités, notamment celles qui correspondent à nos besoins futurs.

 Je vais vous donner un exemple. Une agriculture raisonnée signifierait une baisse de 50 % de la consommation des engrais azotés, qui aujourd'hui sont trop répandus et qui épuisent les sols. Cela a des conséquences sur la consommation d'ammoniac ; or, la France est largement déficitaire en ammoniac : nous en produisons à peu près 1 000 kilotonnes, pour une consommation de 1 600 kilotonnes. Il en va de même pour les engrais azotés : nous sommes très importateurs. Nous pourrions imaginer une baisse de la consommation qui n’affecte pas la production française, mais qui touche davantage les importations. Ainsi, nous continuerions de moderniser notre industrie et de la valoriser, tout en faisant en sorte qu’elle réponde à nos besoins, et que la baisse de la demande soit répercutée sur les importations.

Quant au recyclage, la France n’est pas la plus performante, alors qu’il est une partie intégrante de l’économie circulaire. Le recyclage concerne, d’une part, la collecte des déchets et leur valorisation, et, d’autre part, le taux d’incorporation dans la fabrication, qui demande parfois des schémas industriels différents. Par exemple, pour les plastiques, le taux de collecte sur le gisement de déchets et de 21 %, y compris les chutes de transformation. Nous exportons une partie de ces déchets à l’étranger, car les systèmes de régénération des résines ne sont pas aussi performants en France. Ce taux de collecte est plus élevé dans certains pays : 38 % dans nos pays voisins. Par ailleurs, nous exportons des résines régénérées. Finalement, le taux d’incorporation dégringole de 21 % à 4 % dans les plastiques. Nous pourrions imaginer, demain, un système de valorisation du tri plus performant, et un système industriel d’incorporation qui nous permettrait de répondre au défi de l’économie circulaire.

Nous sommes aussi très importateurs d’activités d’avenir, comme le numérique et les énergies renouvelables. Dans notre scénario, nous essayons de mettre en évidence ce que peut représenter en termes de matériaux le développement des énergies renouvelables. Nous disposons d’un scénario sans relocalisation et d’un autre avec relocalisation, pour comprendre les conséquences en termes de consommation énergétique.

Ce défi est important. Le frein à la transition énergétique est le manque de vision d’avenir, à cause de préoccupations économiques particulières. Les investissements dans l’industrie sont lourds et les transformations, nécessaires, doivent être bien préparées en amont, pour s’appuyer sur les modèles de demande et de société pertinents à l’horizon 2050.

M. le président Julien Dive. Messieurs, je vous remercie. Je cède la parole à M. le rapporteur.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. J’aurais trois questions. Les chiffres fournis par le rapport négaWatt montrent que la consommation énergétique de l’industrie est stable, voire à la baisse. Pour expliquer ce fait, quelles sont les parts respectives de la désindustrialisation et des économies d’énergie ?

Ma deuxième question est inspirée par notre visite de la communauté urbaine de Dunkerque, où ArcelorMittal était présent. La communauté urbaine a modélisé le paysage des flux énergétiques – gaz, produits, etc. – entre les différentes industries du territoire et met en relation les émetteurs et les récepteurs, dans une logique de valorisation. Plusieurs exemples ont été présentés par ArcelorMittal : chaleur, laitier réutilisé pour fabriquer des enrobés, CO2 revendu à une société belge pour fabriquer de l’éthanol, etc. Voilà qui est très intéressant. L’entreprise valorise son activité au sein de son écosystème. Pourriez-vous développer ce point, monsieur Oberthur ? Nous parlons peu, aussi, de la chaleur fatale des datacenters, alors que leur production d’énergie est importante.

Enfin, monsieur Marchal, vous avez fait une proposition intéressante, à savoir que le niveau d’investissement dans les réductions d’énergie soit égal aux exonérations de taxe consenties. La question est de savoir comment. Quels dispositifs mettre en place pour rendre cette proposition effective ?

M. Philippe-Emmanuel Rauzier. Depuis une dizaine d’années, les baisses de consommation d’énergie dans l’industrie sont dues pour moitié à une baisse de l’intensité énergétique, et pour moitié à la désindustrialisation. Le scénario négaWatt ne prévoit pas de désindustrialisation, mais plutôt une réorientation de la production industrielle. Le recyclage génère des économies d’énergie, mais certainement pas une baisse de l’activité industrielle. Les secteurs sont différents. Il faut s’intéresser, pour les plastiques, à la régénération, qui consomme beaucoup moins d’énergie et crée des emplois dans le domaine du tri, plutôt que d’utiliser le vapocraquage, dont les éléments de chimie organique consomment beaucoup d’énergie. Vous trouverez dans le document que je vous ai distribué un diagramme, principalement fondé sur la demande. Le scénario sans relocalisation permet environ 46 % d’économie d’énergie. Le scénario avec relocalisation génère entre 40 à 60 térawattheures (TWh) supplémentaires de production, est soutenable, et permet d’atteindre 100 % d’énergie renouvelable.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Cependant, si nous relocalisons, nous allons peut-être baisser l’empreinte carbone de la France, car nous serons peut-être plus performants que la Chine, par exemple. Est-il possible que la consommation d’énergie en France augmente, tout en réduisant l’empreinte carbone ? Êtes-vous d’accord avec cette hypothèse ?

M. Philippe-Emmanuel Rauzier. Oui et non. Nous sommes très surpris de constater, dans certains pays émergents, que les processus de production sont plus économes en énergie qu’en France. Dans le scénario négaWatt, nous n’avons pas vraiment évalué cette empreinte carbone. Cette évaluation est très complexe, car elle demande de bien connaître les processus de production et de connaître précisément les pourcentages d’importation en fonction des pays. En revanche, nous avons essayé d’évaluer les conséquences, en termes d’augmentation d’énergie, d’une relocalisation de l’activité en France, avec des techniques et un mix énergétique performants.

Dans les accords internationaux, nous parlons de la réduction de GES, et non de l’empreinte de chacun des pays. Si demain, par exemple en 2040, nous nous préoccupions de cette empreinte carbone, cela changerait beaucoup la donne pour nos pays développés.

M. Gildas Barreyre. Pour l’empreinte carbone, trois aspects sont à prendre en compte pour l’industrie. Le mix électrique, en France, est l’un des plus faiblement carboné ; nous avons donc intérêt à orienter la consommation, en France, vers ce mix, quitte, d’ailleurs, à imaginer des transferts d’usage de la chaleur vers l’électricité. Le mix énergétique, plus général, a plutôt tendance à être moins carboné ; nous utilisons plus massivement du gaz que la Chine, qui utilise plus le charbon. Enfin, notre tissu industriel est plus ancien que les pays émergents. Certains procédés industriels pourraient être plus performants. Néanmoins, un certain nombre de nos industries sont en benchmark, notamment l’industrie de l’aluminium française, et la chimie française, qui a beaucoup investi ces dernières années, n’en est pas loin. Le groupe auquel j’appartiens est présent sur la plateforme de Roussillon. Pour vous donner un exemple, nous avons récemment investi dans une distillation réactive, pour lequel nous avons reçu le prix Pierre-Potier de l’innovation, qui utilise la chaleur de la réaction pour distiller. Nous consommons ainsi « zéro » énergie, puisque la réaction est exothermique et distille directement le produit. Pour réaliser une telle innovation, mon groupe doit décider d’investir en France ; il doit se trouver sur une plateforme compétitive, en l’occurrence la plateforme de Roussillon, avec des infrastructures de qualité et un tissu industriel existant. Sans investissement, nous n’aurions pas développé un nouveau procédé moins émetteur.

M. David Marchal. J’apporterai aussi quelques éléments de réponse. Nous confortons les chiffres sur la part de la baisse d’activité par rapport à celle des économies d’énergie, qui s’élèvent chacune à environ 50 % pour les vingt dernières années.

Vous parliez de l’aspect territorial de la question, qui englobe celle des schémas directeurs. Avant de développer un réseau de chaleur, l’ADEME exige que les collectivités aient mis en place des schémas directeurs de développement des réseaux, qui doivent permettre d’identifier notamment les ressources de chaleur fatale dans les industries, les quartiers à construire, et les baisses de consommation dans certains autres quartiers. Ces anticipations sont nécessaires pour planifier la bonne rentabilité d’un réseau de chaleur.

Plus globalement vous parliez des flux de matière, ce qui intègre ce que nous appelons l’écologie industrielle territoriale. Nous animons un réseau d’animateurs territoriaux sur cette question. Un travail, intitulé Synapse, a été réalisé ces dernières années, pour mettre en place un plan d’action, qui inclut notamment l’élaboration d’une base de données commune, en partie mis en place par la chambre de commerce et d’industrie de France. D’autres outils, par ailleurs, existent. Cette base de données vise à référencer les flux. Cette « bourse aux flux » détaille les gisements de déchets comme les besoins, et permet de distinguer les mises en relation potentielles : elle a une grande valeur. Nous essayons aussi, via ce groupe de travail, de normaliser les codifications des flux, pour que les acteurs puissent mieux s’orienter. Nous pourrons vous en dire plus sur ce point, si vous le souhaitez.

Nous avons réalisé un important travail sur le gisement de chaleur fatale. Douze térawatt-heure d’énergie à plus de 100 degrés Celsius, sur une cinquantaine de TWh de gisement, se trouvent proches d’un réseau de chaleur. Voilà qui est significatif. Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, les objectifs fixés portent sur deux térawatt-heure. Nous sommes encore loin d’avoir utilisé les ressources du gisement global. Les data centers ne sont qu’un exemple, et ne sont pas les plus gros sites de production. Nous pourrions imaginer soit d’accompagner, soit d’obliger – nous savons que les obligations sont souvent mal perçues – les sites fortement consommateurs d’énergie à faire une étude de valorisation de leur chaleur fatale.

Enfin – je le confirme – la question de l’empreinte nous intéresse beaucoup. Elle se heurte à des difficultés méthodologiques : calculer l’empreinte est évaluer les conséquences des relocalisations, voilà qui est loin d’être simple.

Mme Jennifer de Temmerman. Ma question s’adresse à MM. Marchal et Gourdon. Vous accompagnez le projet Rev3 dans les Hauts-de-France, projet industriel tourné vers l’écologie et la transition énergétique, lancé en 2017. Avez-vous d’ores et déjà du recul quant à l’évolution du projet ?

Par ailleurs, pourriez-vous préciser vos propos sur les exonérations fiscales dont peuvent bénéficier les industries électro-intensives ? Si ces exonérations ne constituent pas la meilleure solution pour pousser les industries à investir, que préconisez-vous ? Pensez-vous qu’il faille revoir ces exonérations et orienter les fonds vers des investissements en recherche et développement, pour accompagner les industries de manière plus incitative ?

M. David Marchal. Pour Rev3, nous pourrons demander à nos collègues des Hauts-de-France s’ils disposent d’ores et déjà de retours d’expérience. Nous avons chiffré le nombre d’emplois liés au scénario Rev3, en vue de comparer ce chiffre avec d’autres scénarios régionaux, tel que le scénario Région à énergie positive (REPOS) en Occitanie, afin de mieux évaluer les dynamiques territoriales. Je ne pourrai cependant vous en dire plus aujourd’hui.

Quant aux exonérations, les éléments les plus précis dont je dispose concernent les exonérations de TURPE. Une centaine d’entreprises ont fourni des plans de performance énergétique (PPE), ce qui constitue la contrepartie principale aux exonérations et est, en soi, très positif. Cependant, nous signalons que le niveau d’ambition de ces PPE pourrait être amélioré. L’État, dans sa bienveillance, lorsqu’il attribue l’exonération de TURPE, devrait être plus exigeant sur un niveau minimum des PPE. Dans ces plans à cinq ans, les industriels proposent des mesures d’investissement dans des dispositifs plus économes. Ces PPE nous ont appris que, parmi les actions identifiées, nous pensions qu’un grand nombre d’entre elles était déjà mis en œuvre ! Je m’inscris en faux, monsieur Barreyre, contre vos propos, lorsque vous disiez avoir tout fait sur vos sites très consommateurs. Pour les électro-intensifs, des actions aussi simples que la mise en place de moteurs à vitesse variable, procédé connu depuis longtemps, se trouvaient inscrites dans les PPE comme des actions à mener dans le futur. Voilà des points d’amélioration possibles.

Sur la centaine de PPE fournis, un tiers proposait des investissements deux fois inférieurs à la subvention reçue. Cela nous semble insuffisant par rapport au niveau d’ambition attendu. En pratique, nous pourrions exiger que le niveau d’ambition et d’investissement prévisionnel affiché soit au moins égal à la subvention. Cette mesure, qui demande d’être affinée, ne devrait pas être trop complexe à mettre en œuvre.

M. Gildas Barreyre Les PPE constituent une contrepartie importante aux réductions de TURPE. Il faut cependant garder à l’esprit que les industriels ne sont pas tous au même niveau de maturité quant à l’efficacité énergétique. Par exemple, les cycles d’investissement dans une électrolyse chlore-soude sont très longs, et les industriels ne réinvestissent que tous les vingt ou trente ans. Si un industriel français, installé en France, vient d’investir dans l’électrolyse chlore-soude la plus performante, qui consomme 90 % de l’électricité du site, il aura du mal à atteindre 10 % d’efficacité énergétique. Au contraire, si un industriel souffre d’un léger retard d’investissement par rapport à un concurrent, il lui sera très facile d’atteindre 20 % d’efficacité énergétique.

Donner des chiffres bruts est risqué, car les industriels connaissent des niveaux de maturité différents, de même qu’un particulier, s’il vient de réaliser de lourds travaux chez lui, tardera par exemple à changer ses fenêtres. Ce point doit être pris en compte. C’est pourquoi ces PPE doivent être validés par les autorités locales, en l’occurrence les DREAL. Certes, les objectifs pourraient être plus ambitieux, mais les industriels n’ont ni la même maturité ni la même capacité d’investissement. De plus, tous les industriels n’ont pas la même visibilité à long terme : pour certains, investir avec un retour sur investissement à cinq ans ne pose pas de problème ; pour d’autres, des taux de retours plus courts sont malheureusement nécessaires. Nous ne sommes pas tous égaux dans l’industrie.

M. Édouard Oberthur. Pour compléter, je vous dirai que la sidérurgie a connu un cycle bas très dur. Il est possible que des opérations de maintenance n’aient pas été réalisées comme prévu. Je ne pense pas que ce soit le cas pour les sites que nous avons évoqués, mais cela aurait pu être une possibilité. Les investissements, même pour les variateurs, sont lourds et peuvent parfois se chiffrer en millions d’euros. Nous cherchons à ne pas les intégrer dans nos propres dépenses d’investissement ; si nous le faisions, nous n’investirions pas dans nos hauts-fourneaux.

Je vous rappelle un élément important : voulons-nous garder nos industries fortement émettrices de CO2 sur notre sol, ou, voulons-nous, en les obligeant à réduire leur consommation, les pousser potentiellement à partir vers d’autres pays ? Depuis le début de cette table ronde, les débats sont intéressants, mais je pense que nous nous focalisons trop sur la France – ce qui par ailleurs est normal. La réduction de TURPE a été nécessaire, et reste nécessaire, au sein d’une compétition intra-européenne et mondiale. Gardons bien cela à l’esprit ! Les sites français d’ArcelorMittal sont comparés toutes les semaines aux sites espagnols, aux sites allemands, aux sites belges, aux sites italiens, aux sites polonais, etc. Certes, nous avons accepté que la réduction de TURPE soit mise en regard de PPE. Je rappelle toutefois que la présence de l’industrie est importante pour la stabilisation du réseau et du type de consommation, qui ne sont pas entièrement valorisés – cela dépend des courbes de charge. Or, rappelons-nous bien que ces exonérations de TURPE ont été octroyées pour conserver les industries sur notre territoire, et non seulement en échange d’une meilleure efficacité énergétique.

M. le président Julien Dive. Monsieur le rapporteur, une dernière question ?

M. Édouard Oberthur. Excusez-moi, je souhaitais réagir quant à la question sur Dunkerque. À Dunkerque, à Fos, et partout en Europe, nous intégrons nos usines dans un tissu industriel et parfois urbain. Depuis longtemps, nous valorisons notre chaleur et des coproduits. Monsieur Marchal, vous parliez de Synapse : ArcelorMittal fait partie d’un réseau européen qui s’appelle Enhanced energy and resource Efficiency and Performance (EPOS), et qui met en place des données et un outil pour la réutilisation d’énergie et de coproduits sur des bases industrielles, entre acteurs industriels. ArcelorMittal est active dans le réseau EPOS et, je pense, très probablement dans Synapse. Notre action est très importante. Nous cherchons par exemple à valoriser notre laitier au mieux. À cette fin, nous avons développé des sociétés autour d’ArcelorMittal, et nous continuons dans cette voie. Ces produits peuvent être utilisés pour des routes, du remblai, dans des innovations telles que le ballaste sur des éoliennes. Cette valorisation est très importante pour nous, et notre recherche et développement y travaille, pour tous les coproduits, qu’ils soient énergétiques ou non.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Mes deux questions portent sur le niveau international. M. Bardina, vous avez expliqué être implanté un peu partout dans le monde, comme à Dubaï, qui a tendance à investir dans les nouvelles énergies. Au niveau international, voyez-vous des nouveautés très compétitives par rapport à la France ? De plus, je souhaite revenir au point évoqué par M. Oberthur, celui de la prise en compte du contexte européen et des quotas de GES ? Ces dispositifs sont-ils efficaces ? Je souhaite que nous ne restions pas trop focalisés sur la France.

M. le président Julien Dive. Ma question s’adresse à M. Barreyre. Monsieur, vous avez évoqué dans vos propos liminaires la question du photovoltaïque en France. La France a selon vous raté le coche, puisque les panneaux sont construits à l’étranger. Cette question a fait l’objet d’une autre audition, dont la conclusion rappelait que les installations françaises sont dix fois moins nombreuses qu’en Belgique et cinquante fois moins qu’en Allemagne. L’industrie du photovoltaïque n’a-t-elle plus lieu d’être en France ? Est-ce définitif ?

De plus, vous avez abordé la question de l’incitation, au contraire de la fiscalité punitive. Je suis tout à fait d’accord avec ce contre-pied. Par exemple, pourrions-nous imaginer une sorte de crédit d’impôt recherche tourné vers la transition énergétique ?

Messieurs Rauzier et Barreyre, vous avez tous deux présenté l’exemple de la relocalisation et de la réindustrialisation sur notre territoire national. Les leviers de la délocalisation furent la compétitivité prix, la compétitivité produit et la compétitivité travail. Il s’agit d’éléments factuels du libéralisme et de l’économie de marché. Pourrions-nous imaginer un nouveau concept de « compétitivité environnementale » – certes beaucoup plus psychologique et beaucoup moins factuel du point de vue de l’économie de marché – pour agir comme un levier et rompre certains freins, dont la plupart sont bel et bien psychologiques ?

M. David Bardina. Nous sommes effectivement présents à une grande échelle internationale, mais nous ne sommes pas sûrs d’avoir une vision parfaitement claire et précise des situations que connaissent les différents pays où nous travaillons. Je ne suis pas sûr de pouvoir vous parler de Dubaï. En revanche, nous savons que dans certaines zones du monde, en fonction de leurs caractéristiques et de leur histoire – comme le Japon qui a un lien particulier avec le nucléaire – certains sujets sont plus porteurs que d’autres. L’hydrogène a le vent en poupe en Asie. Les pays asiatiques sont moteurs pour les solutions mises sur le marché. Je vous donnerai un autre exemple. L’Australie est un pays immense qui a très peu d’habitants : neuf fois la superficie de la France pour deux fois moins d’habitants. Il est impossible qu’un réseau d’électricité maille le pays. Les solutions de production locale intéressent beaucoup les Australiens, tel que le développement d’énergie solaire, par définition intermittente, ce qui implique un stockage sur des micro-réseaux. Voilà un sujet porteur.

Notre approche est très simple : nous nous intéressons à un grand nombre de sujets, et nous intervenons dans des pays où ces sujets sont critiques. Nous tentons d’apporter des solutions de régulation. Parler de recharges de batteries associées à des réseaux d’électricité n’a pas beaucoup de sens en France, contrairement à l’Australie. Nous intervenons là où les questions sont critiques et où le time to market – je vous prie de m’excuser pour cet anglicisme – est le plus court possible. Partout dans le monde, nous rencontrons des situations intéressantes, y compris en France.

J’ajouterai un point. Nos clients sont principalement des grands comptes, c’est-à-dire des grands groupes industriels internationaux. Nous sommes frappés – ce n’est qu’une remarque, et non une critique – par le fait que même des grands groupes industriels internationaux français ont tendance à nous tester à l’étranger, et non en France. Voilà qui suscite nos interrogations. Nous travaillons avec des verriers en Colombie ou en Amérique du Sud, alors qu’ils sont en fait français. Nous travaillons avec des cimentiers français à Dubaï, mais pas en France. Nous n’avons pas d’influence, nous sommes un petit acteur ; nous intervenons là où on nous le demande, et c’est généralement hors de France.

M. Édouard Oberthur. Concernant la question relative au CO2, nous sommes soumis aux quotas. Très clairement, les conséquences sont importantes par rapport à nos concurrents qui n’y sont pas soumis. En Europe, nous constatons une certaine homogénéité. Le facteur prix, pour le gaz naturel et l’électricité et pour l’accès aux utilités telles que l’oxygène, devient pour nous particulièrement critique. Il est donc crucial de maintenir une compétitivité pour les prix de l’électricité et du gaz naturel grâce à l’effet taxe, tout comme pour le transport. Ainsi nous pouvons rester compétitifs, notamment par rapport aux Allemands.

In fine, la compétition devient internationale. Nous pourrions importer des boîtiers Slabes, de la matière produite en Chine, en Inde ou aux États-Unis, sur d’autres structures de coûts, hors CO2, et les terminer en Europe. Ainsi, nous pourrions maintenir une partie de notre tissu industriel en Europe et le lien avec les producteurs de produits finaux, comme l’automobile, etc. Cependant, toute la partie amont de la production de l’acier disparaîtrait. Nos émissions de CO2 chuteraient clairement, mais l’acier continuerait à être produit ailleurs, sur une base CO2 qui n’est pas la nôtre. Voilà le cœur du problème.

Deux mécanismes clefs sont concernés : le CO2 indirect et le CO2 aux frontières. Le CO2 indirect neutralise le coût du CO2 dans le coût de l’électricité. Jusqu’à présent, la France l’a intégré. L’évolution du prix du CO2 fait qu’aujourd’hui nous courons potentiellement le risque, dans les années à venir, de ne pas toucher pleinement cette compensation. Il va falloir que l’État nous dise ce qu’il en est. Le CO2 coûte aujourd’hui plus de 20 euros la tonne, contre 5 ou 7 euros auparavant. Ces coûts vont-ils rentrer dans le budget de l’État ? Notre direction générale pense qu’il faut – nous en revenons à la discussion préliminaire sur l’empreinte européenne – installer des barrières au CO2 aux frontières, de telle manière que nous intégrions, sur le marché européen, le coût du CO2 dans les produits qui ne sont pas soumis à cette réglementation. Voilà le moyen de nous inciter à produire en Europe, avec des processus de production compétitifs, et sans avantager nos concurrents extra-européens. Nous n’avons qu’une seule terre. Sans ces mécanismes, au niveau mondial, nous produirons beaucoup plus de CO2.

M. Gildas Barreyre. Concernant votre question sur le photovoltaïque, notre remarque précédente portait plus généralement sur l’ensemble des technologies impliquées dans la transition énergétique. Aujourd’hui, de grands groupes français, membres de l’UNIDEN, investissent dans la recherche et les nouvelles technologies pour le photovoltaïque. Le potentiel semble infini. Nous sommes loin d’avoir fini d’inventer des panneaux photovoltaïques plus efficaces et moins coûteux en termes environnementaux.

Cependant, pour le moment, une grande partie de la recherche se déroule non pas en France, mais dans d’autres pays européens, en Chine et aux États-Unis, où les investisseurs locaux ont de grandes capacités d’investissement, notamment en Californie. Nous sommes en retard, nous n’avons pas été pionniers. Au contraire, nous avons été incités à nous tourner vers les solutions les moins coûteuses venues de Chine, à cause du tarif d’obligation d’achat. Ce tarif, au lieu d’inciter les acteurs français producteurs de panneaux photovoltaïques à produire en France, a incité des opérateurs, des vendeurs de service, à acheter des panneaux chinois.

Nous sommes en train de répéter exactement les mêmes erreurs pour les batteries et les électrolyses d’hydrogène ; puisque nous voulons décarboniser l’hydrogène, nous le ferons avec les électrolyses chinoises, puisqu’il n’existe pas d’électrolyse française. Nous faisons la même erreur avec les éoliennes : l’acier vient de Chine, et les nouveaux investissements se portent hors de France. Voilà qui est dommage, alors que nos groupes chimiques, sidérurgiques et énergétiques sont de taille mondiale.

Mon groupe, qui est minuscule, possède une société à Nîmes qui s’appelle Protéus et qui fabrique des enzymes pour accélérer et catalyser la méthanisation, permettant de doubler les rendements des méthaniseurs. L’État, aujourd’hui, ne nous considère pas. Il réclame un tarif d’obligation d’achat de méthanisation, peu importe le rendement, puisque le tarif d’achat est garanti. À quoi cela sert-il de se tourner vers des acteurs locaux, à quoi cela sert-il d’innover ?

Je souhaite lutter contre l’idée que tous les opérateurs, aujourd’hui, ont l’État comme client. On nous dit d’augmenter le prix de l’énergie de 20 à 40 unités, si bien qu’une solution à 35 unités, non innovante, serait acceptée par tous. Notre discours est plus positif. Plutôt que de passer notre temps à discuter avec l’État, si nous consacrions nos ressources intellectuelles à innover, nous pourrions passer de 35 à 20 unités l’ensemble de ces solutions. Nous savons que les solutions existent, par exemple dans le photovoltaïque, l’éolien ou la méthanisation. L’idée n’est pas de monter de manière dogmatique de 20 à 40 unités le coût des énergies pour tout le monde, pour les gilets jaunes ou pour les entreprises énergo-intensives. Le but est de faire en sorte que toutes les solutions passent de 35 à 20 unités. C’est ainsi que nous pourrons gagner face à des pays comme la Chine et les États-Unis. Sinon, dans vingt ou trente ans, ce sont eux qui passeront de 35 à 20 unités.

M. le président Julien Dive. Je vous remercie, monsieur Barreyre. Je constate que vous avez beaucoup fait réagir l’ADEME ; monsieur Marchal, vous avez la parole.

M. David Marchal. Pour le photovoltaïque, deux centres de recherche, l’Institut national de l’énergie solaire (INES) et l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France (IPVF), sont installés en région parisienne et sont des leaders européens. Effectivement, les capacités de production de l’industrie sont faibles. Dans les vingt prochaines années, au moins 100 gigawatts (GW) de photovoltaïque seront installés. Si l’un veut investir dans le photovoltaïque en Europe, le marché existera bien ! L’automatisation de la production fait que le facteur humain compte beaucoup moins. D’ores et déjà, de grands industriels alimentent ce marché : Air Liquide fournit par exemple des gaz industriels qui sont utiles pour la fabrication des panneaux photovoltaïques. Ces faits sont moins connus, car il s’agit de fournisseurs de second rang. Toutefois, ce marché mobilise déjà des acteurs importants. Concernant le crédit d’impôt, je cède la parole à M. Gourdon.

M. Thomas Gourdon, responsable adjoint du service entreprises et dynamiques industrielles de l’ADEME. Les crédits d’impôt sont des mesures qui reviennent de façon intermittente. Nous avons chiffré pour l’industrie un crédit d’impôt qui viserait à orienter les 5 % d’économies d’énergie sur les utilités. Nous pensons que le crédit d’impôt est facile à mettre en œuvre, et qu’il ne faut pas aller chercher les gisements sur les procédés, qui sont beaucoup trop compliqués. Pour les utilités, nous avions chiffré le crédit d’impôt à hauteur de 20 %, soit 1 milliard d’euros pour l’État pour 5 milliards d’euros d’investissements. Nous tenons à votre disposition une fiche sur ce sujet.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je terminerai par une remarque. Monsieur Barreyre, nous sommes intéressés par votre procédé sur la méthanisation. Pourrez-vous nous transmettre des informations ?

M. le président Julien Dive. Tout comme nous sommes intéressés par votre dernière proposition sur le crédit d’impôt, monsieur Gourdon… Messieurs, je vous remercie pour votre participation à cette table ronde. Nous sommes contraints par le temps, il est un peu frustrant de clôturer des échanges si intéressants. N’hésitez pas à participer en ligne à la consultation citoyenne sur le site de l’Assemblée nationale. Vous avez encore une quinzaine de jours pour contribuer.

L’audition s’achève à onze heures vingt-cinq.


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26.   Jeudi 28 mars 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la fiscalité :
– M. Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) du Ministère de l’économie et des finances ;
– M. Olivier David, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique à la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du Ministère de la transition écologique et solidaire, et M. Timothée Furois, sous‑directeur des marchés de l’énergie et des affaires sociales ;
– M. Gaël Callonnec, économiste à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;
– Mme Meike Fink, responsable « transition juste » de Réseau action climat (RAC) ;
– M. Benoît Ferres, président de Caméo, et Mme Isaure d’Archimbaud, chargée des relations institutionnelles de Caméo (IA conseils).

L’audition débute à onze heures trente.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, je vous remercie d’être présents pour cette seconde audition matinale de la mission d’information sur les freins à la transition énergétique. Cette mission a été créée en juillet 2018 et a commencé ses travaux au mois de septembre. Depuis, elle a mené environ 25 auditions, organisées selon sept thématiques, que M. le rapporteur vous présentera dans quelques instants. Nous menons nos auditions depuis plusieurs mois. Pour des raisons de temps et d’organisation, il est difficile de recueillir les contributions de tous les acteurs, et parfois d’approfondir les échanges au sein même des auditions. Nous avons donc lancé, le 6 mars dernier, une consultation en ligne sur le site de l’Assemblée nationale ; elle sera ouverte jusqu’à mi-avril. Elle est organisée selon les mêmes sept thématiques. Les citoyens, les professionnels, les associations et les experts peuvent y contribuer et voter pour privilégier certaines propositions. Cette consultation servira entre autres, à alimenter le rapport final de cette mission d’information. Notre audition est enregistrée et diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale, elle est ouverte à la presse et un compte rendu sera élaboré à l’issue de l’audition.

Mesdames et messieurs, je vous propose d’intervenir entre cinq et dix minutes, pour présenter votre activité et nous exposer les freins à la transition énergétique, mais aussi les leviers que vous auriez pu identifier, ce en allant droit au but, de manière à pouvoir ensuite privilégier l’échange avec les parlementaires.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Cette mission d’information est structurée selon plusieurs axes. Le premier d’entre eux concerne le manque de vision, à terme, que nous avons du paysage énergétique de la France dans dix, vingt ou trente ans, en termes de production comme de consommation, et porte aussi sur le mix énergétique de production et celui de consommation. Une seconde thématique concerne les filières d’énergies renouvelables, point plus traditionnel, que ce soit le photovoltaïque, l’éolien, la méthanisation, etc. Un thème concerne les économies d’énergie, que ce soit dans l’habitat ou l’industrie, et un autre porte sur la vision qu’ont les grands groupes d’énergie de leur transformation, à terme, dans un monde sans pétrole ; je précise que nous avons pris le biais d’un objectif « zéro » pétrole, en mettant le nucléaire de côté, puisque nous ne traitons pas cette question. Nous nous intéressons aussi à la façon dont les territoires s’approprient cette transition, puisque l’énergie est produite partout, et que le rôle des territoires – régions et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) – est primordial dans cette planification. Un dernier thème concerne la fiscalité dans la transition énergétique, et particulièrement la fiscalité de l’énergie. Voilà notre manière de travailler.

M. le président Julien Dive. Nous sommes très heureux d’accueillir M. Gaël Callonnec, économiste à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ; Mme Meike Fink, responsable « transition juste » de Réseau action climat (RAC) ; M. Benoît Ferres, président de Caméo, accompagné de Mme Isaure d’Archimbaud, en charge des relations institutionnelles ; M. Olivier David, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire, accompagné de M. Timothée Furois, sous-directeur des marchés de l'énergie et des affaires sociales. Nous rejoindra sous peu M. Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques (DGFIP) du ministère de l’économie et des finances. Vous avez la parole.

M. Gaël Callonnec, économiste à l’Agence nationale de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je représente l’ADEME, agence publique sous la tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire. Nous sommes chargés de conseiller nos tutelles et d’accompagner la transition énergétique sur les territoires en France, via subventions et conseils. Je suis pour ma part responsable des programmes de modélisation macroéconomiques de la transition énergétique et de l’évaluation des effets économiques des politiques fiscales environnementales.

L’ADEME a constaté que, pour atteindre les objectifs assignés par le législateur, à savoir une diminution de nos émissions de gaz à effets de serre (GES) de 40 % en 2030, il faudrait doubler le taux de taxe carbone qui était prévu par la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015. La loi prévoyait un taux de 100 euros la tonne de CO2 en 2030. D’après nos modèles macroéconomiques, la taxe devrait s’élever à environ 200 euros par tonne de CO2 à ce même horizon 2030. Ce n’est pas rien.

Nous considérons qu’il faut impérativement, pour renforcer l’acceptabilité de cette mesure, redistribuer les recettes de cette taxe, aux agents, au prorata de leur contribution : nous rendrions aux ménages ce que nous prélèverions aux ménages, et nous rendrions aux entreprises ce que nous prélèverions aux entreprises. D’après les études macroéconomiques que nous avons menées, si nous redistribuions les recettes de la taxe aux agents, croissance du PIB et créations d’emploi seraient au rendez-vous, avec une amélioration de la balance commerciale et une amélioration du ratio déficit public sur PIB.

En instaurant une taxe carbone, nous encouragerons les ménages et les entreprises à réaliser des investissements d’efficacité énergétique, principalement des investissements d’isolation du bâti pour les ménages. Ce regain d’investissement induira un accroissement de l’activité de l’économie française, et une diminution de l’importation de combustibles fossiles, qui pèsent lourdement dans la balance commerciale. Une facture énergétique de 70 milliards d’euros correspond à peu près au montant du déficit commercial de la France, du moins pour l’année dernière. L’amélioration de la balance commerciale de la France et le regain d’investissement pourraient déboucher sur des créations d’emploi, impliquant une diminution du chômage, une hausse de la consommation et un accroissement des débouchés des entreprises. S’engagerait donc un cercle vertueux.

À l’inverse, si nous instaurons une taxe carbone et que nous ne redistribuons pas les recettes aux agents, alors les ménages perdraient du pouvoir d’achat. Avec une tonne de CO2 à 70 euros, les ménages perdraient en moyenne 240 euros par an de revenu disponible. La consommation diminuerait, les entreprises subiraient une augmentation de leur coût unitaire de production et une diminution de leur compétitivité, dégradant ainsi la balance commerciale française. Le PIB diminuerait.

Il nous paraît essentiel d’accélérer la trajectoire de la taxe carbone pour atteindre nos objectifs, et redistribuer ces recettes pour ne pas pénaliser l’activité économique et ne pas aggraver la précarité énergétique et la situation des plus précaires. Si nous redistribuions les recettes de la taxe carbone payée par les ménages aux ménages de manière forfaitaire, le dispositif serait en lui-même redistributif. Par exemple, en 2020, avec une taxe carbone de 70 euros la tonne de CO2, nous reverserions en moyenne 240 euros de recettes par foyer, via un crédit d’impôt sur le revenu ou une baisse de la contribution sociale généralisée (CSG). De toute manière, les prélèvements obligatoires sont opérés à la source, il ne serait donc pas très compliqué de passer par une baisse de l’impôt sur le revenu, grâce à un crédit d’impôt. Comme les ménages les plus défavorisés consomment moins d’énergie que les classes moyennes et les classes les plus favorisées, il y a fort à parier qu’elles recevraient plus d’argent d’une main qu’elles n’en auraient à payer de l’autre. Nous estimons que les ménages du premier et deuxième déciles pourraient gagner entre 100 et 150 euros par an. À l’inverse les ménages du dixième décile, les plus favorisés, pourraient perdre 150 euros en moyenne, ce qui ne représente même pas 0,1 % de leur revenu disponible.

Nous pouvons envisager, d’après les simulations de l’ADEME, une redistribution dégressive : doubler le montant redistribué au premier décile de la population et faire décroître ce reversement jusqu’au huitième décile de la population. De cette manière, nous serions certains que les ménages appartenant au premier décile, vivant à la campagne et loin des accès de transport collectif, prisonniers d’un véhicule diesel ancien et consommateur, ceux vivant dans des logements qui sont des « passoires thermiques », recevraient plus d’argent qu’ils n’en auraient à payer via la taxe. Voilà qui nous semble être une condition essentielle à l’atteinte de nos objectifs climatiques et à l’acceptabilité de cette taxe, sans laquelle il serait assez vain d’espérer que nous puissions diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050.

Mme Meike Fink, responsable « transition juste » de Réseau action climat (RAC). Je vais vous exposer le point de vue de Réseau action climat sur la question posée, à savoir en quoi la fiscalité écologique peut représenter un frein à la transition énergétique. Mes propos seront complémentaires de ceux de M. Callonnec. Je vais intervenir particulièrement sur la fiscalité énergétique et carbone.

La taxe carbone a été mise en place en France en 2014. Elle est incluse dans la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Elle génère aujourd’hui environ 8 milliards d’euros, pour un taux de 44 euros la tonne de CO2. Effectivement, avoir une taxe carbone à la hauteur des ambitions climatiques de la France est essentiel, car la taxe rend cher ce qui est polluant. Aujourd’hui, il est clair que le signal donné rencontre des limites. Il n’existe pas souvent de solution alternative à la voiture, et les coûts de rénovation énergétique peuvent être très importants, d’où un problème d’acceptabilité sociale. Les solutions alternatives pour réduire la consommation des énergies fossiles ne sont pas accessibles à tous, notamment aux ménages aux plus faibles revenus.

La taxe carbone existante représente en moyenne 340 euros pour les ménages : 40 % sont liés au chauffage et 60 % à la mobilité. Cette taxe est régressive, puisque le premier décile de la population paie 2,7 fois plus que le dixième décile par rapport à son revenu disponible, d’où un problème d’acceptabilité sociale. La trajectoire de hausse de la taxe carbone a donc été gelée, à la suite de la crise des « Gilets jaunes ».

Aujourd’hui, plusieurs propositions sont sur la table, celles de l’ADEME, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), de Terra Nova, de l’Institut for Climate Economics (I4CE) et d’organisations non gouvernementales (ONG). Nous-mêmes allons publier une nouvelle proposition la semaine prochaine, plus élaborée, pour laquelle nous avons travaillé avec une économiste. Nos points de vue convergent pour dire qu’une nouvelle taxe carbone plus juste est possible. Toutes les propositions insistent sur la redistribution.

Notre proposition, sans entrer dans le détail, est la suivante : il s’agit de redistribuer une partie de la hausse de la taxe carbone. Nous reprendrions la trajectoire décidée auparavant, puis nous redistribuerions une grande partie de cet argent aux premiers déciles, selon un principe de progressivité, en fonction du lieu de vie – le volet transport pèse plus lourd pour les personnes qui vivent à la campagne – et de la composition du ménage. Un ménage du premier décile qui vit en ville, qui a une voiture diesel et se chauffe au gaz pourrait recevoir 274 euros, soit un gain de 200 euros. Nous allons publier cette étude la semaine prochaine, je ne détaillerai donc pas les chiffres. Il est important de retenir que beaucoup de personnes cherchent à rendre la taxe carbone socialement acceptable, grâce à ce volet de redistribution aux ménages, par exemple via un crédit d’impôt. Voilà donc le premier frein, celui de l’acceptabilité sociale de la fiscalité écologique.

Un deuxième frein identifié est celui de la compréhension de cette taxe et de l’affectation des recettes. La taxe carbone génère d’importantes recettes, d’environ 8 milliards d’euros. Certes, une affectation directe n’est pas possible ; mais le message politique sur cette question n’est pas clair. Il existe un compte d’affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique », qui inclut le financement des énergies renouvelables. Il serait cependant beaucoup plus intéressant de dire à la population quelles solutions sont financées avec cet argent, par exemple la rénovation énergétique pour les ménages en situation de précarité, l’accès à des véhicules moins polluants, la création d’infrastructures de mobilité douce, la célèbre « dotation climat », etc. Voilà qui constituerait un signal fort pour les collectivités, en insistant sur le fait qu’elles sont le maillon qui met en œuvre, pour une grande partie, les politiques de la transition énergétique. Il s’agit d’une question d’ingénierie et de mobilisation des acteurs dans les territoires.

Le troisième frein est celui de la justice entre les acteurs, quant à la taxe carbone, et plus globalement quant à la TICPE. Un grand nombre d’exemptions ou de taux réduits existent. La loi de finances pour 2019 contient 11 milliards d’euros d’exonérations ou de réduction de taux. Il s’agit d’une estimation, car la hausse de la taxe carbone doit intervenir. Quoi qu’il en soit, c’est un montant assez important, qui profite à certains secteurs d’activité. Le message est ainsi contradictoire : taxe carbone versus exemptions sur les énergies fossiles. L’une des propositions de Réseau action climat, depuis longtemps, est de mettre fin progressivement à ces niches, en accompagnant les secteurs d’activité et les entreprises concernés. Je rappelle que nous défendons l’objectif « zéro chômeur de la transition écologique ». Ces contraintes doivent être prises en compte. Donner de l’argent aux industries polluantes et s’intéresser en même temps à une taxe carbone, voilà qui est très contradictoire.

Pour comprendre comment aborder le problème, je prendrai l’exemple du kérosène. Une suppression de cette niche n’est pas possible, car elle résulte d’un accord international. Nous nous intéressons à la mise en place d’une taxe sur les billets d’avion. Il s’agirait de partir du modèle français, une nouvelle version de la taxe de solidarité sur les billets d'avion, la « taxe Chirac », déjà existante, avec une modulation en fonction de la longueur du trajet et de la classe de voyage. En parallèle, nous souhaiterions mener une réflexion, à l’échelle européenne, pour, dans un premier temps, harmoniser les taxes déjà existantes sur les billets d’avion, puis, dans un second temps, établir une taxe kérosène européenne. Voilà une mesure que la France pourrait soutenir.

Concernant cette question de la justice entre les acteurs, je signale un autre point. En France, deux prix carbone existent : le prix de la composante carbone et le prix du système européen d’échange des quotas CO2, qui sont très différents, puisqu’ils s’élèvent respectivement à 44 euros et 21 euros. Par ailleurs, un grand nombre d’entreprises n’ont pas payé ces 21 euros ; en effet, la montée des prix est récente et un grand nombre de quotas sont distribués gratuitement. La problématique est similaire à celle des exemptions et taux réduits pour la TICPE, mais nous devons travailler ces questions. La taxe carbone doit être harmonisée entre les acteurs, pour améliorer l’acceptabilité de la taxe carbone en France par les ménages. Cela implique, dans un deuxième temps, de mener une réflexion sur l’accompagnement de ces acteurs, ainsi qu’à l’échelle européenne.

M. Christophe Pourreau, directeur de la législation fiscale à la direction générale des finances publiques (DGFIP), au ministère de l'économie et des finances. Madame, Messieurs les parlementaires, je vous prie de m’excuser pour mon léger retard. Je m’exprime ici en tant que directeur de la législation fiscale, c’est-à-dire en tant que fonctionnaire, et non en tant que porte-parole du Gouvernement sur ces questions. Le sujet est en cours de discussion, et le Gouvernement ne nous a pas encore adressé d’orientations. Mon propos ne se limitera pas à la taxe carbone et à la décision prise à la fin de l’année dernière d’interrompre la chronique de hausse des tarifs de la TICPE ; d’après ma compréhension du sujet, il s’agit de s’interroger plus largement sur l’existence éventuelle de freins fiscaux à la transition énergétique.

Du point de vue un peu général d’une direction chargée de l’élaboration de la loi fiscale, il est difficile d’identifier des freins fiscaux à la transition énergétique. Il n’existe pas de dispositif fiscal qui interdise à des acteurs de choisir des modes de logement, de transport ou de production moins polluants. Il n’existe aucune incitation fiscale qui va dans ce sens. Au contraire, les dispositifs s’efforcent, à la fois en matière de taxation indirecte, comme les accises, ou en matière d’impositions directes, comme l’impôt sur le revenu, d’inciter les ménages et les entreprises à adopter des comportements ou à choisir des modes de transport moins polluants. Ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation tendancielle de l’imposition des produits énergétiques – c’est ce que nous appelons de façon un peu rapide la taxe carbone ou la TICPE – et à la création successive de nombreux dispositifs fiscaux incitatifs en matière environnementale, qu’il s’agisse de réductions et de crédits d’impôts ou de dispositifs de suramortissement en matière d’impôt sur les sociétés, qui incitent, par le biais de l’outil fiscal, à l’acquisition de biens d’investissement économes en énergie ou qui permettent de limiter la pollution.

Il me semble que notre système fiscal, de façon générale, encourage plutôt qu’il ne freine la transition énergétique. Cela ne veut pas dire que des dispositifs traitent différemment certains types de transport ou de consommation. Mais, si nous prenons un peu de recul, de manière générale, ces dernières années ont vu le développement de mesures fiscales favorables à la transition énergétique.

Le cadre juridique constitutionnel ou européen ne comporte pas non plus de dispositions qui freinent la transition énergétique. Le cadre européen, en matière fiscale, agit essentiellement par le biais de la fiscalité indirecte, grâce à la directive 2008/118/CE relative au régime général d'accise et à la directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. À l’origine, elles n’ont pas été élaborées pour favoriser la protection de l’environnement ou les économies d’énergie, mais dans une perspective d’amélioration du fonctionnement du marché intérieur. Elles créent des règles communes pour la définition des taxes sur les produits énergétiques, avec la nécessité, pour les États membres qui veulent instaurer de telles taxes, de respecter le cadre européen, pour ce qui est des modalités de calcul de l’assiette de la taxe, la détermination de son redevable et la nécessité de ne pas créer des impositions potentiellement discriminatoires entre les produits fabriqués sur le territoire national et ceux fabriqués dans d’autres États membres ou qui sont importés.

La directive sur le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité fixe simplement des tarifs minimums, que les États membres peuvent dépasser. La France compte parmi les États membres pour lesquels les tarifs de TICPE sont les plus élevés de l’Union européenne. À cet égard, elle présente une fiscalité plutôt favorable à la transition énergétique. Cela étant, cette directive comporte des dispositions qui soit prévoient la possibilité de tarifs réduits, soit obligent à accorder des exonérations. Ces exonérations, évoquées par Mme Fink, concernent les carburants et combustibles utilisés par le transport aérien et maritime, avec quelques exceptions. Si nous considérons que des tarifs réduits ou une exonération sont des freins à la transition énergétique, elles sont des dispositions qui pourraient rentrer dans le champ de vos travaux. Des tarifs réduits sont également autorisés pour le transport routier professionnel et les taxis ; il ne s’agit que de facultés, offertes aux États membres, et non pas d’une obligation. La France est donc libre, si elle le souhaite, d’aligner le tarif d’imposition du transport routier ou des taxis sur le tarif d’imposition des personnes privées. Aucun obstacle juridique ne s’y opposerait. Il s’agit plutôt d’une décision de politique publique que d’évaluer l’opportunité d’un tel alignement. Voilà pour le cadre général.

Nous pouvons mentionner rapidement les dispositions du cadre constitutionnel qui est le nôtre. Il est arrivé, au cours des années passées, que certains dispositifs, qui avaient des visées environnementales, aient été censurés par le Conseil constitutionnel, comme la taxe carbone, la contribution climat énergie en 2009, et déjà une taxe environnementale en 1999. À chaque fois, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, non pas parce que le droit constitutionnel s’opposerait à une fiscalité environnementale, mais parce que la manière, à ces yeux, dont avaient été dimensionnées des taxes à visée environnementale n’était pas conforme à l’objectif fixé et prévoyait notamment des exonérations pour un pan important de notre économie, ce qui était contradictoire avec l’objectif affiché de mettre à contribution l’ensemble des personnes ou entreprises qui consomment des produits énergétiques. Il existe une forte exigence, au plan constitutionnel, de cohérence entre l’objectif du législateur d’instaurer des taxes à visée environnementale et la taxe effectivement votée.

Je vous donnerai un exemple pertinent de taxe qui réponde à ces objectifs et à ces contraintes, même si elle n’est pas très connue : la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) afférente aux biocarburants, renommée « taxe incitative relative à l’incorporation des biocarburants » (TIRIB) dans la loi de finances pour 2019. Cette taxe vise à inciter les distributeurs de produits pétroliers à incorporer des biocarburants dans leurs carburants à des niveaux qui ont augmenté au cours de ces dernières années. Elle est assise sur la différence de taux d’incorporation entre les objectifs affichés et la réalité de ce que font les producteurs pétroliers. Elle a véritablement une visée incitative et est vraiment bien dimensionnée pour encourager à l’incorporation de biocarburants, car le coût fiscal qui serait supporté par les redevables, si jamais ils ne respectaient pas ces objectifs, serait assez élevé. La recette de cette taxe est quasiment nulle, car elle a atteint son objectif. Cette taxe à visée environnementale respecte le cadre européen et notre cadre constitutionnel. Nous pouvons donc proposer des taxes à visée environnementale efficaces dans notre cadre européen et constitutionnel.

Quant à la taxe carbone et aux autres dispositifs fiscaux que nous connaissons, la hausse des tarifs de la TICPE a été interrompue à la fin de l’année dernière. Des organismes extérieurs ont contribué à la réflexion sur le sujet. Nous pourrions envisager une reprise de cette hausse de ce tarif. Il reviendra aux pouvoirs publics et au législateur d’en décider. Nous pouvons également envisager des dispositifs de redistribution des produits de la taxe, selon des modalités qui restent à définir. La contribution climat énergie, conçue en 2009 et finalement censurée par le Conseil constitutionnel, comportait un dispositif similaire, puisqu’à côté de la hausse du tarif de la TICPE était prévu un crédit d’impôt forfaitaire pour tous les ménages, avec deux tarifs différents, selon que les ménages résidaient dans une aire couverte par des transports en commun ou dans des territoires qui n’étaient pas couverts par de tels dispositifs. Nous prévoyions déjà un retour, sous forme de crédit d’impôt, plus important pour les ménages situés en zone rurale. Nous pouvons réfléchir à de tels dispositifs, mais prévoir une telle redistribution ne correspond à aucune nécessité juridique et constitutionnelle. Il s’agit simplement d’un outil, d’une décision politique pour favoriser l’acceptabilité d’une hausse des taxes sur les carburants. Si vous souhaitez que nous évoquions d’autres sujets que les taxes indirectes, et notamment l’impôt sur le revenu, nous pourrons y revenir.

M. Olivier David, chef du service du climat et de l’efficacité énergétique à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire. Nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux, à la fois de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de réduction des consommations d’énergie et de développement des énergies renouvelables. La fiscalité dont nous parlons ce matin constitue l’un des outils pour les atteindre, avec la réglementation, les obligations et les incitations. Notre travail vise à trouver un équilibre, en jouant sur l’ensemble des outils disponibles. En effet, tous les outils ne sont pas absolument nécessaires pour atteindre nos objectifs carbone, et la taxe carbone n’est pas l’alpha et l’oméga des solutions. L’outil réglementaire et l’outil d’incitation existent aussi. La fiscalité environnementale est un sujet extrêmement large : les dispositifs sont très variés, pour l’énergie, le carbone, les déchets ou la pollution de l’air. Une grande variété de secteurs est couverte. Les dispositifs prennent la forme soit de taxes indirectes, soit d’impositions directes. Certaines sont très anciennes, comme la TICPE, ancienne taxe intérieure pétrolière (TIP) créée en 1928, soit bien avant que l’on ne se préoccupe des problématiques de carbone.

Du point de vue de la DGEC, au sein du ministère de la transition écologique et solidaire, cette fiscalité environnementale a plusieurs buts : accompagner la transition énergétique et modifier les comportements. Le changement des comportements doit intervenir grâce à la taxe elle-même, en taxant plus les activités polluantes que les activités vertueuses pour l’environnement. Par exemple, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) déchets taxe plus la mise en décharge des déchets que leur recyclage, et rend ainsi le recyclage des déchets plus économique. Il en va de même pour la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui obéit à une logique incitative. Pour cette dernière…

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Je souhaiterais un peu recadrer nos échanges. Nous ne traitons pas de l’ensemble de la fiscalité écologique aujourd’hui. Nous avons identifié trois thèmes : transition énergétique, économie circulaire et biodiversité. Nous nous intéressons aujourd’hui à la transition énergétique, et donc, ce matin, à la question de l’énergie.

M. Olivier David. Très bien, monsieur le rapporteur. J’en viens donc à la partie « énergie ». Les problématiques sont similaires. Nous souhaitons rendre plus rentables les investissements dans la transition énergétique. Ainsi, dans les projets de chaleur renouvelable, les investisseurs comparent directement, par exemple, le coût d’une chaudière au gaz et d’une chaudière biomasse. Dans ce cadre, la taxe additionnelle sur le gaz vient rendre plus rentable les projets de biomasse, en défavorisant les projets gaz.

Cette taxation énergétique génère des recettes fiscales qui viennent accompagner la transition énergétique. Nous souhaitons concentrer sur les ménages les plus modestes l’ensemble de nos dispositifs d’accompagnement. C’est le cas par exemple du chèque énergie, qui représente 800 millions d’euros versés à 5,8 millions de ménages, pour les aider à payer leur facture d’énergie et faire leurs travaux de rénovation.

Un dispositif fiscal similaire existe pour les voitures. Il est le résultat d’un équilibre : les malus sur les véhicules viennent renchérir le coût des véhicules les plus polluants, ils génèrent des recettes fiscales et permettent ainsi de verser un bonus à l’achat de véhicules propres et une prime à la conversion, qui aide les ménages les plus modestes à remplacer une vieille voiture par une voiture plus récente et donc moins polluante. Quelque 300 000 primes ont été versées en 2018. Le dispositif a été réorienté en 2019 vers les ménages les plus modestes. À l’heure actuelle, plus de 80 % des ménages bénéficiaires sont des ménages non imposables, et la prime est doublée pour les ménages des deux premiers déciles.

Nous proposons aussi des aides et des crédits d’impôts pour la rénovation des bâtiments. Nous préparons actuellement une réforme du crédit d’impôt sur la transition énergétique, pour le rendre à la fois plus efficace, c’est-à-dire pour mieux aider les gestes en faveur du développement de la chaleur renouvelable et des rénovations énergétiques les plus efficaces, et pour le réorienter vers les ménages les plus modestes, en transformant pour ces ménages ce crédit d’impôts en prime, versée par l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).

À ces mesures s’ajoutent nos dispositifs d’aide aux énergies renouvelables. Elles sont financées par le CAS « Transition énergétique » : 5,4 milliards d’euros en faveur des énergies renouvelables sont financés directement par les taxations sur les carburants. Je signale aussi le Fonds chaleur et les dispositifs de suramortissement, qui aident les entreprises à investir dans des dispositifs favorables à la transition énergétique. Si vous le souhaitez, nous pourrons revenir sur ces différents points par la suite.

M. Benoît Ferres, président de Caméo. Je vais très brièvement vous présenter Caméo, avant de rentrer dans le vif du sujet. Caméo, start-up de l’énergie en hypercroissance, a six ans d’expérience et réalise 29 millions d’euros de chiffre d’affaires. Nous avons contribué à débloquer, en 2018, entre 55 et 60 millions d’euros de flux de financement de projets d’efficacité énergétique, tous segments confondus. Nous travaillons dans le bâtiment, l’industrie, auprès des entreprises comme des particuliers.

Les certificats d’économies d’énergie (CEE) constituent le principal flux financier pour les projets d’efficacité énergétique, ils représentent environ 2 milliards d’euros par an. Dans cet écosystème des CEE, Caméo, qui travaille avec des fournisseurs d’énergie qui représentent environ les deux tiers de l’obligation, a structuré un modèle de mandataire. D’autres acteurs, que vous avez auditionnés, proposent un autre modèle, celui de la délégation. Nous pourrons revenir, au cours de la discussion, sur les différents acteurs de cet écosystème et sur les modèles économiques associés.

Je souhaiterais centrer mon intervention sur deux points. Premièrement, je souhaiterais vous présenter une vision un peu différente sur les certificats d’économies, appliqués à l’énergie, mais pas seulement. Il s’agit d’un outil innovant de politique publique en faveur de la transition énergétique, qui n’est pas obligatoirement un outil fiscal. Deuxièmement, au sein de ces outils innovants, des points d’amélioration existent. Ces outils sont jeunes, mais nous disposons d’un recul de douze ans pour les CEE. Nous avons ainsi détecté certains freins à leur démultiplication.

Le dispositif des CEE a donc douze ans d’ancienneté. Je n’exposerai pas le détail du mécanisme, mais ce qu’il faut en retenir, c’est-à-dire les principes qui ont présidé à la genèse de ce que nos amis anglais ont inventé dans la seconde moitié des années 1990. Avec ces CEE, nous distribuons un gain immédiat, dans le présent, proportionnel aux économies d’énergie futures. Dans le domaine du bâtiment, certaines économies d’énergie doivent être comptabilisées sur des périodes de dix, quinze, vingt ou vingt-cinq ans : nous comprenons donc aisément l’intérêt d’obtenir aujourd’hui un gain de ce que nous aurons demain, après-demain, etc. ; en effet, ce gain, si dilué dans le temps, devient impalpable.

C’est pourquoi ces CEE sont des outils efficaces de massification de lancements de projets d’efficacité énergétique. La France a atteint, depuis que les CEE existent, l’essentiel de ses obligations européennes grâce à ce dispositif. En Europe, les CEE, les white certificates ou les energy efficiency obligations sont devenus, dans la majorité des États, le principal outil de lancement de projets d’efficacité énergétique, au-delà du carbone et de la fiscalité écologique. Les energy efficiency obligations existent désormais sur les cinq continents, elles ont explosé depuis dix ans. C’est un outil efficace, alors que l’enjeu de massification est crucial.

Le deuxième niveau d’originalité du dispositif est qu’il n’affecte en rien le budget des États. En France, 2 milliards d’euros de projets sont financés, avec un effet de levier que nous pouvons grosso modo estimer entre 10 et 15 milliards d’euros en ce qui concerne l’investissement global déclenché par an. Ce flux d’investissement est colossal. Le dispositif mobilise l’ensemble des agents économiques – entreprises, collectivités, fabricants, installateurs, usines, copropriétés, particuliers, ménages, etc. – vers un objectif commun, sans affecter le budget de l’État.

Le troisième avantage et la troisième particularité de ce type de dispositif est le suivant : non seulement il favorise une économie d’énergie dans le futur, à laquelle s’ajoute le gain immédiat, qui constitue un élément de sensibilisation pour les actions les plus innovantes, mais surtout il est redistributif. Le gain immédiat est perçu quasiment au moment de l’action. La France fait partie des pays relativement innovants, avec, entre autres, le Royaume-Uni. Elle a mis en place, depuis 2016, un fléchage de ces flux financiers vers les populations les plus fragiles, ce qui représente environ 2 milliards d’euros pour les trois ans à venir. Une régulation intrinsèque permet de flécher ces gains vers ceux qui en ont le plus besoin.

Ces mécanismes de CEE, qui essaiment à travers le monde, inspirent même, aujourd’hui, d’autres secteurs d’activité que celui de l’énergie. Il existe une version de certificat d’économie dans les produits phytosanitaires, et le secteur du recyclage réfléchit à la question.

Nous souhaitions aussi intervenir dans cette enceinte parce que, au regard de son ampleur, le sujet n’est probablement pas assez documenté et connu. Il est massif, mondial, représente des flux d’investissement énormes et reste complexe. Nous avons besoin de définir une intelligence collective sur ces nouveaux modèles. Parlementaires, économistes, groupes de réflexion, etc., doivent documenter le phénomène, le rendre intelligible, et exploiter les retours d’expérience, pour comprendre comment ces outils hybrides et innovants peuvent aider à soutenir les objectifs, ceci en dehors des politiques classiques d’incitation publique.

Une piste vient peut-être de la comptabilité. Finalement, les CEE comptabilisent les économies d’énergie dans un indicateur un peu barbare, le kilowattheure (KWh) dit « cumac », c’est-à-dire « cumulé actualisé », qui ne parle à personne. Si nous parlions en tonnes de CO2 évitées, nous favoriserions une convergence des réflexions avec les problématiques de la taxe carbone, etc. En effet, le mécanisme actuel récompense le CO2 évité de manière massive.

Ces outils sont innovants, mais ils sont perfectibles, et nous devrions les rendre plus faciles d’utilisation. L’un des points qui peut susciter des inquiétudes dans l’élargissement de ces mécanismes, ce sont les contrôles et les fraudes. Il est proposé que l’arsenal juridique associé aux contrôles et aux fraudes soit renforcé – ce qui est absolument normal – mais il ne faut pas associer une chose relativement marginale, les fraudes, à l’ensemble de ce type de dispositifs. Ce qui permet la massification des CEE, c’est le fait que les contrôles se font a priori. C’est en standardisant les normes a priori que nous serons sûrs que les travaux réalisés seront bien faits, et que nous pourrons verser une prime pour ces travaux. Si le contrôle est réalisé a posteriori, pour des travaux mal faits, c’est déjà trop tard. Nous n’allons pas retirer la prime déjà versée à un ménage qui l’aurait reçue. La massification de l’utilisation de tels outils nécessite de continuer à travailler non pas sur les sanctions a posteriori, mais à travailler à une meilleure professionnalisation de l’ensemble des acteurs qui interviennent dans cet écosystème : obligés, délégataires, mandataires, éligibles. Peu importe le modèle économique des acteurs. Nous devons être sûrs que ceux qui constituent des dossiers de demande de CEE, qui sont très complexes, qui nécessitent du savoir-faire, des technologies, une étude de la réglementation, etc., établissent un référentiel qui pourra sécuriser l’ensemble des acteurs. Ainsi, une fois la demande déposée, il n’y aura aucune raison de rencontrer des problèmes et d’être soumis à des contrôles.

Nous sommes l’un des membres fondateurs de l’association des professionnels intermédiaires certificateurs de CEE. Nous travaillons sur la construction d’un référentiel qui permette d’identifier la professionnalisation des acteurs intermédiaires et qui permette de les auditer et les certifier, de manière à réellement sécuriser l’écosystème. Voilà qui est vraiment important. Les contrôles a priori sont la clef et la condition de la massification des CEE. Que tous les acteurs aient confiance en ces contrôles est crucial.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Le point de départ de notre réflexion, au sein de la mission d’information, est de dire que le budget de l’État est finalement très addict aux produits pétroliers, ce qui pose plusieurs problèmes. Quelle est notre vision du budget de l’État, à long terme, si l’objectif est de réduire la consommation de produits pétroliers ? Comment remplacer les taxes sur les produits pétroliers par d’autres taxes ? Aujourd’hui, nous constatons que lorsque nous augmentons la taxe carbone, tout ne revient pas dans les dispositifs d’accompagnement aux usagers et aux entreprises. Voilà un symptôme de cette addiction du budget de l’État aux produits pétroliers. Ma question est donc la suivante : quelle est notre vision du budget de l’État, à terme, sans le pétrole ?

Ma deuxième question porte sur la complexité des mécanismes. Vous nous avez donné une liste à la Prévert de tous les dispositifs qui existent. Ils sont difficilement lisibles, tout d’abord, par l’usager. Le particulier qui souhaite faire des demandes de travaux d’amélioration de son habitation devra faire une demande à l’ANAH, demander un crédit d’impôt, s’intéresser aux certificats d’économie d’énergie, etc. Malgré l’existence des Espaces Info Énergie, voilà qui est complexe pour les ménages. Des dispositifs sont aussi complexes pour les décideurs, et pour nous les législateurs. Quand nous souhaitons rendre le système fiscal lié à la transition énergétique plus efficace et compréhensible, nous, les premiers, sommes en difficulté pour comprendre les dispositifs. Notre collègue Bénédicte Peyrol a produit un excellent rapport sur la fiscalité écologique générale, qui inclut la fiscalité énergétique. Cette grande spécialiste de la question doit travailler des heures durant pour comprendre l’ensemble des dispositifs. Nous, législateurs, ne disposons pas d’une information suffisamment simple et synthétique pour pouvoir légiférer correctement. Voilà les freins nous concernant. Nous souhaiterions avoir votre avis sur ce point.

Ma troisième question ouvre les perspectives. Nous avons organisé, tout à l’heure, une table ronde sur la transition énergétique dans l’industrie. L’une des discussions portait sur le fait que nous sommes très focalisés sur l’Hexagone ; or, les produits que nous importons ont une empreinte carbone importante. Je lance une piste : si nous taxions les importations en fonction de leur empreinte carbone, nos industries en deviendraient peut-être plus compétitives. Nous partons de l’hypothèse selon laquelle, alors que nous sommes plus performants, dans l’Hexagone, pour la production décarbonée, nous achetons à l’étranger des produits plus carbonés. Ainsi, nous pourrions relocaliser une partie de la production en France. Pourrions-nous imaginer des dispositifs qui iraient dans ce sens ? Voilà des questions très larges.

M. Benoît Ferres. Monsieur le rapporteur, vous soulevez là l’un des points essentiels concernant les mécanismes fiscaux. En effet, dès que nous abordons la fiscalité favorisant la transition énergétique, nous devons revenir nécessairement à la question de la compétition fiscale entre les pays et, de fait, aux stratégies d’évitement et aux stratégies de non-coopération, qui ont des impacts directs sur le tissu industriel.

Nous avons déjà du mal à nous mettre d’accord, au sens large, ne serait-ce qu’en Europe, sur les questions de fiscalité. Si nous devons, en plus, nous mettre d’accord sur les sujets de fiscalité environnementale, nous ajoutons une couche de complexité qui n’est pas – c’est en tout cas mon opinion – compatible avec notre agenda ; le temps de mettre tout le monde d’accord sur tous ces sujets, il sera malheureusement trop tard. Nous sommes au pied du mur et devons agir très vite.

Je fais le lien avec le propos précédent, pour vous dire que je trouve le modèle du certificat d’économie intéressant. Je suis, par ailleurs, d’accord avec vous s’agissant de sa complexité et du manque de mobilisation des groupes de réflexion pour rendre cet outil plus facile d’accès à tous, notamment à la décision publique ; il est nécessaire de développer plus d’intelligence collective pour bien utiliser ces outils.

S’agissant du modèle du certificat d’économie, si nous pouvons l’appliquer à l’énergie, nous pouvons également l’appliquer à un certain nombre d’autres sujets où une économie doit être réalisée, puisque nous faisons porter l’obligation sur un pays par les distributeurs. Les obligés sont donc les distributeurs, à une échelle locale, qui appliquent les mêmes règles de mise sur le marché que celles de l’ensemble des distributeurs. En logeant tous les distributeurs à la même enseigne, vous exonérez de la problématique de production dans ce que vous prenez en compte.

C’est la raison pour laquelle ce type de dispositif a explosé en Europe. Il ne nécessite pas une harmonisation inter-pays, chaque pays imposant à tous ses distributeurs les mêmes conditions d’accès au marché. Un distributeur étranger bénéficiera des mêmes conditions d’accès au marché, et ainsi la structure de production sera beaucoup moins déstabilisée, contrairement à ce que nous avons pu voir, par exemple, avec la problématique des quotas carbone, où nous avons été obligés de pratiquer des exonérations en dessous d’une certaine taille ou d’un certain type d’industriel, pour éviter une compétition renforcée avec d’autres sites, en dehors de l’Europe.

M. Christophe Pourreau. Je souhaiterais apporter quelques réponses aux interrogations que vous avez formulées, monsieur le rapporteur.

Concernant l’« addiction du budget de l’État à la fiscalité énergétique », je ne sais pas s’il convient d’employer cette expression, mais il s’agit, effectivement, d’impôts qui ont été créés dans un objectif de rendement. La taxe sur les produits pétroliers a été créée bien avant nos préoccupations climatiques et n’avait donc pas un objectif environnemental. Cela n’est toujours pas le cas, en tout cas juridiquement, sinon, elle ne serait pas conforme aux exigences constitutionnelles. Il s’agit bien d’une taxe de rendement, qui est d’ailleurs élevé.

Cette taxe est affectée au budget de l’État, mais une partie est aujourd’hui allouée aux collectivités territoriales. Or, selon le principe général de l’universalité budgétaire, telle ou telle recette ne doit pas être affectée à telle ou telle catégorie de dépenses. Cependant, la redistribution des recettes ou d’une partie de ces recettes liées à cette taxe échappe à ce principe général, si elle vise à renforcer son acceptabilité ou si elle est réalisée dans une logique de double dividende. Il s’agit en effet d’un dispositif fiscal qui peut se prêter, plus que d’autres, à cette logique de redistribution.

Notre système est relativement complexe, cela a été dit, mais je ne pense pas que la France se distingue beaucoup des autres pays, notamment de ses principaux voisins. Le fait que nos systèmes fiscaux se complexifient en même temps que nos économies est un mouvement général au sein non seulement de l’Union européenne, mais également des autres pays développés, de d’autant plus que l’outil fiscal reste l’un des derniers outils à disposition des gouvernements nationaux.

La direction de la législation fiscale est favorable à la diminution du nombre de niches fiscales, ainsi qu’à la réévaluation régulière de leur efficacité. Nous devons cependant tenir compte de la volonté du législateur, qui est parfois désireux de créer de nouveaux dispositifs. Il est cependant préférable que, à chaque objectif, soit associé un outil ou un dispositif fiscal plutôt que de multiplier différents outils pour poursuivre un même objectif, ou qu’un même outil poursuive plusieurs objectifs.

Des dispositifs fiscaux peuvent parfois avoir des effets puissants : c’est le cas du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE), dont le coût a fortement varié au cours du temps – il a parfois pu coûter 3 ou 4 milliards d’euros. Le taux de réduction d’impôt était élevé, de 30 % à 40 % – il a également varié au fil des années. Or, de tels dispositifs créent des habitudes et influent sur le comportement des acteurs économiques. Il est ensuite très difficile de les supprimer, même quand leur efficacité environnementale ou leur efficience sont mises en cause. En effet, avec ces dispositifs, nous avons incité des opérateurs et industriels à se positionner sur tel ou tel marché et à adapter leur politique de prix à l’existence de ces dispositifs fiscaux puissants. Il est ensuite difficile de supprimer ces dispositifs, que ce soit progressivement ou brutalement. Nous avons pu le constater avec le CITE au cours de ces deux dernières années. Le Gouvernement, qui voulait sortir un certain nombre de travaux du champ du dispositif, notamment le remplacement de portes et de fenêtres, s’est heurté à une certaine résistance et a dû revoir ses intentions.

M. Olivier David. Je poursuis sur le CITE, pour répondre à votre question relative à la rénovation. Le CITE est utilisé essentiellement par les ménages aisés. Il s’agit d’un crédit d’impôt uniforme : il aide de la même façon les gestes très bénéfiques pour la rénovation énergétique et le développement de la chaleur renouvelable, et les gestes qui le sont beaucoup moins. Par ailleurs, le fait qu’il s’agisse d’un crédit d’impôt, c’est-à-dire que l’argent soit avancé la première année, puis que les bénéficiaires perçoivent l’aide l’année suivante, est un frein important pour les ménages modestes.

La réforme que nous préparons prévoit, d’une part, une forfaitisation du CITE ; l’idée est d’offrir non plus un pourcentage de réduction, mais un forfait par geste – par exemple, tant d’euros pour l’installation d’un chauffage performant et tant d’euros pour isoler son logement. D’autre part, elle prévoit des forfaits alloués en fonction des revenus : beaucoup plus importants pour les ménages très modestes, plus importants pour les ménages modestes et moins importants pour les autres ménages. Il s’agit donc de forfaits dégressifs en fonction du niveau de revenus.

Enfin, pour faciliter le passage à l’acte et l’investissement des ménages très modestes et modestes, ce crédit d’impôt sera transformé en prime, versée par l’ANAH, de sorte que les ménages investiront et percevront l’aide la même année. Cela permettra de simplifier le dispositif en fusionnant les aides allouées par l’ANAH et celles allouées par le CITE.

S’agissant des importations de produits, l’un des objectifs de la fiscalité énergétique et environnementale, de la fiscalité carbone, est d’éviter que l’effet de ces taxes se résume à une simple délocalisation d’industries à l’étranger, alors même que l’empreinte carbone du produit consommé sera la même. C’est la raison pour laquelle la France défend – mais cela ne peut se faire qu’au niveau européen – ce que l’on appelle le mécanisme d’inclusion carbone. L’idée est de mettre en place une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, les produits étant taxés en fonction de leur empreinte carbone.

La mise en place de ce mécanisme est un combat important que mène la France au sein de l’Union européenne. Elle est soutenue par une coalition d’États membres, notamment les Pays-Bas, qui défendent ce système. Un sujet a été mis, de façon ferme, à l’ordre du jour de l’agenda européen pour pouvoir avancer très concrètement. Ce mécanisme pourra en effet se mettre en place techniquement, dès que nous obtiendrons l’accord politique de l’Union européenne.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Nous avons bien compris votre proposition : faire payer une taxe carbone qui sera ensuite redistribuée, en faveur notamment des ménages les plus modestes. Simplement, il est très difficile, d’un point de vue psychologique, de mettre cela en place. Nous avons pu le constater, plus globalement sur le pouvoir d’achat. L’augmentation du prix du diesel a eu un impact direct sur la population qui a réagi très vivement. En revanche, quand nous réduisons les charges sur les salaires ou quand nous supprimons la taxe d’habitation, les contribuables ne le perçoivent pas. Je crains, de la même façon, que l’augmentation de la taxe carbone et du CITE ne soit pas perçue comme un gain de pouvoir d’achat ou une compensation de l’augmentation du prix du diesel.

M. Gaël Callonnec. Je me permettrai de répondre, tout d’abord, à votre première question concernant les pertes de recettes fiscales à long terme. Lorsque nous faisons tourner nos modèles macroéconomiques, et pas seulement à l’ADEME, mais également au Trésor, au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED), à l’université de Paris 1 et autres, nous arrivons tous au même résultat. Si les recettes de la taxe carbone sont redistribuées, nous assisterons à une augmentation du PIB et de l’activité économique, par rapport à une situation où nous ne lutterions pas contre le changement climatique.

Nous aurions environ trois points de PIB de plus, à l’horizon de 2050, avec un effondrement des recettes de fiscalité énergétique, puisque l’assiette, si nous atteignions la neutralité carbone, serait presque nulle. Elle ne sera pas totalement nulle, puisque nous émettrons encore entre 50 et 80 millions de tonnes de CO2 – la neutralité signifie ne pas émettre davantage que ce que notre couvert forestier est en mesure d’absorber. Il resterait donc une consommation de combustibles possible, mais très faible, et, du coup, la perte de fiscalité énergétique serait très importante. Cependant, comme le PIB serait en augmentation, tout comme les activités économiques, nous toucherions plus de recettes d’impôts sur les sociétés, de TVA, d’impôts sur le revenu. Ainsi, ceci compensera largement cela. Nous avons estimé, à l’horizon de 2050, que le solde public, en pourcentage du PIB, serait amélioré de trois points, de sorte que l’État gagnerait plus de recettes d’une main qu’il n’en perdrait de l’autre.

D’où l’intérêt de procéder à des analyses macroéconomiques. Quand nous raisonnons de manière comptable, en ne considérant qu’une ligne de recette, bien souvent nous nous trompons ; en effet, les coûts des uns sont les gains des autres en macroéconomie. J’ai donc envie de vous dire que le problème de l’addiction de l’État aux taxes sur les énergies fossiles ne devrait pas, à long terme, être un souci pour vous.

Je ne m’attarderai pas sur la taxe carbone aux frontières, le représentant de la DGEC l’a déjà évoquée.

S’agissant de la visibilité de la redistribution, le chèque crédit d’impôt énergie, prévu par la loi de finances 2010, et qui a été malheureusement censuré à l’époque par le Conseil constitutionnel, était finalement une bonne manière de démontrer que les recettes de la composante carbone étaient effectivement redistribuées aux ménages. Il s’agissait, techniquement, d’un crédit d’impôt sur le revenu, mais avec délivrance d’un chèque ; or un chèque, c’est visible. Pour le Gouvernement, voilà une bonne façon de garantir qu’une partie des recettes de la taxe carbone soit distribuée aux ménages. C’est une bonne piste, selon moi, même si elle exige un travail important de communication. De plus, le gain serait simultané.

Vous évoquiez, monsieur le rapporteur, le problème de la compensation de la hausse de la fiscalité énergétique par la suppression de la taxe d’habitation. Toutefois, elles ne sont pas intervenues de façon simultanée, du point de vue du calendrier – voilà pourquoi les mesures n’ont pas été acceptées. Si cette redistribution instantanée était effectuée sous forme de chèque – physiquement palpable par les ménages –, une bonne partie du problème serait résolue.

Mme Meike Fink. Je compléterai pour ma part les réponses aux trois premières questions. S’agissant de l’enjeu budgétaire, nous devons l’appréhender dans le cadre d’une transition globale de la société, et non pas seulement du système énergétique ; nous parlons aussi de la pollution de l’air, des dépenses publiques de santé, etc. Si nous devons réfléchir à l’évaluation du budget de l’État dans le cadre d’une transition écologique globale, nous devons le faire de manière plus holistique, et donc tenir compte également des gains que nous pourrions percevoir sur d’autres postes.

S’agissant de la lisibilité des aides financières pour la rénovation, les projets de rénovation restent très complexes dans leur montage financier. Le message clef que nous souhaitons faire passer est le suivant. Une réflexion portant sur la réorganisation des dispositifs devrait être menée, selon deux critères : d’une part, la performance des rénovations et, d’autre part, le public-cible, à savoir les ménages en situation de précarité. Il conviendra ensuite, quand ces deux critères seront appliqués et que les dispositifs seront facilités, d’évaluer les résultats.

Enfin, j’évoquerai trois points relatifs aux CEE. Premièrement, si ce certificat ne pèse, effectivement, pas sur le budget de l’État, il est bien payé par quelqu’un : nous le retrouvons dans les factures des ménages. Il s’agit donc d’un certificat dont la fiscalité est cachée. Il est important de le dire. Deuxièmement, les prix sont fluctuants. Aujourd’hui, ce qui est rentable en termes de travaux – et c’est la raison pour laquelle de nombreuses start-up se sont positionnées sur ce secteur –, ne le sera peut-être plus l’année prochaine. Or, si les prix fluctuent, il en va de même pour les programmes qui ne sont pas coordonnés avec un budget d’État. Troisièmement, s’agissant des rénovations, les isolations des combles à un euro peuvent être intéressantes, car elles sont nécessaires. En revanche, les programmes relatifs aux chaudières à un euro ne sont pas intégrés dans nos réflexions globales de rénovation. Cela peut rapidement poser un problème, les gains  pouvant ne plus être au rendez-vous.

Par ailleurs, à partir d’un certain niveau, une réflexion devra être menée sur les taxes d’ajustement carbone aux frontières – ou mécanisme d’inclusion –, ce à l’échelle des différents secteurs industriels. En effet, l’exposition et l’impact d’une taxe carbone ne sont pas les mêmes selon les différentes filières – d’où le caractère complexe du système. Il conviendrait, pour commencer, de mettre fin aux quotas gratuits. Sinon, pourquoi mettre en place un ajustement à la frontière, si les industries n’ont pas payé leurs quotas ?

Enfin, concernant votre question relative à une taxe carbone acceptable, juste, l’enjeu pédagogique de communication est effectivement très important. La fiscalité n’étant pas audible, elle pose un problème d’acceptabilité. La population est sensibilisée à la question du changement climatique. Nous devons donc parvenir à lui expliquer qu’il s’agit d’un des outils nécessaires, même si nous savons bien qu’il a un effet différencié selon les catégories de ménages ; nous en sommes conscients. Ces outils sont, par exemple, le chèque énergie, la prime à la conversion, mais également la redistribution. Cette dernière est nécessaire, puisque nous sommes dans une phase de transition, et que les solutions alternatives ne sont pas encore élaborées ; nous ne voulons pas mettre les ménages en difficulté, notamment ceux qui ont du mal à boucler leur fin de mois.

Si cette fiscalité est présentée dans un package, elle sera audible, nous en sommes convaincus. Les débats menés par les groupes locaux du Secours catholique, composés de personnes en situation de précarité, ont démontré qu’elles étaient sensibles à l’écologie. Toutefois, si cette fiscalité s’ajoute à un quotidien déjà très compliqué, cela ne passera pas. En revanche, une taxe carbone avec redistribution est une possibilité tout à fait favorable.

La contrepartie la plus importante doit être l’envoi d’un signal fort pour commencer à créer des solutions alternatives. Ce qui m’amène à vous dire un mot sur les trains : la fermeture de lignes ferroviaires ne va pas du tout dans le sens des discours en faveur de la transition écologique et de la création de solutions alternatives dans tous les territoires.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dans son rapport sur la fiscalité écologique, notre collègue Bénédicte Peyrol proposait que, pour le PLF 2020, nous ayons une vision des mesures en faveur de la transition écologique dans le budget, avec un vrai « jaune » budgétaire. Travaillez-vous sur cette question, qui nous permettrait notamment d’être plus pertinents dans la discussion ?

M. Christophe Pourreau. Ce qui a été voté, sauf erreur de ma part, c’est l’obligation faite au Gouvernement de produire un nouveau document budgétaire qui synthétiserait les efforts des politiques publiques en ce domaine, sachant qu’il existe déjà un grand nombre de documents budgétaires, variés et riches.

Je souhaiterais faire une remarque sur la question du remboursement aux ménages, voire aux entreprises. Nous pourrions imaginer des recettes tirées d’une éventuelle hausse des taxes de consommation sur les produits énergétiques ; cela pourrait concourir à son acceptabilité.

Une autre question se pose, celle de savoir si une telle restitution devrait être différenciée en fonction des revenus des ménages. Faut-il ajouter à l’objectif environnemental de la taxe et de la redistribution des recettes, un objectif de redistribution en fonction des revenus ? Cela ne va pas de soi. De manière générale, les économistes enseignent qu’il vaut mieux prévoir un objectif pour chaque outil. Pour un objectif environnemental, il ne va pas forcément de soi que la restitution du produit de la taxe doit être différenciée en fonction des revenus des ménages, alors même que la consommation énergétique des ménages n’est pas décroissante en fonction du revenu.

Cette question peut se poser, mais nous pourrions aussi imaginer une restitution qui soit forfaitaire et qui garderait son caractère incitatif. Cet objectif de redistribution, qui peut se concevoir, n’est pas forcément une obligation, loin s’en faut.

M. Benoît Ferres. Je souhaiterais revenir sur votre première question concernant les effets de la politique budgétaire. Il est vrai que, aujourd’hui, une grande partie de notre création de richesse est carbonée, ce qui se retrouve directement dans le budget de l’État, selon une vision très « seconde révolution industrielle », qui nous a permis d’obtenir des gains de productivité exceptionnels et de les redistribuer pour améliorer, par exemple, la durée de la vie, la santé, le temps libre, etc.

Ces réflexions sur la fiscalité doivent être menées sur plusieurs plans : d’abord, celui des recettes qui vont disparaître, en raison de notre sortie de notre addiction au carbone, et, ensuite, sur celui des nouveaux domaines qui n’auront pas de fiscalité propre, et qui seront peut-être les moteurs de l’économie du XXIème siècle.

Je vous présente là un raisonnement de coin de table, mais prenons par exemple la fiscalité sur le numérique ; il existe des pans entiers, aujourd’hui, qui en sont dehors de notre champ de vision. Ces domaines représentent la création des valeurs du XXIe siècle et peuvent probablement compenser la perte de richesses et de valeurs du XXe siècle.

Je voudrais revenir sur le mécanisme du certificat d’économie. Je ne voulais pas être trop technique, mais vous avez soulevé des points importants sur la compréhension du modèle. Je vais donc prendre un peu de temps pour vous expliquer comment il fonctionne.

Quand il est dit que nous ponctionnons le budget des ménages, en réalité, cela est faux ; il faut en effet tenir compte du mécanisme de redistribution qui s’applique. Par ailleurs, il existe bien une assiette de cotisation, car d’une manière ou d’une autre, l’ensemble des flux d’investissement, les 2 milliards d’euros que j’évoquais tout à l’heure, et les coûts externes se retrouvent dans la structure de prix des fournisseurs d’énergie. Cependant, aujourd’hui, l’ensemble des consommateurs d’énergie est concerné par cette intégration à la structure de prix, alors que les ménages sont plus largement bénéficiaires.

Ainsi, la péréquation est la suivante : les cotisants sont tous les types de consommateurs d’énergie, alors que plus de la moitié du flux financier va vers les particuliers et les ménages. La redistribution concerne de manière beaucoup plus forte les ménages, avec, en outre, une orientation vers les ménages précaires. J’évoquais tout à l’heure l’effet de levier économique, qu’il ne faut pas oublier de prendre en compte.

En revanche, et je suis parfaitement d’accord avec vous, nous intégrons effectivement ces mécanismes dans l’économie de marché, ce qui pose des problèmes de mécanisme de prix ; or, la mécanique de prix est assez complexe, et l’hypervolatilité des prix que nous avons pu connaître en un peu plus de deux ans, qui allait de l’arrêt total à des fortes pointes, nous oblige à inventer des régulations. Nous avons besoin de régulations, de corridors de prix, comme dans d’autres pays, qui permettent une certaine stabilité et une meilleure lisibilité.

Enfin, nous ne devons pas opposer des démarches d’excellence – vous disiez « aller vers une approche globale, en faire toujours plus, le chauffage, l’isolation, etc. » – et des démarches de massification. Voilà qui est très important. Nous sommes face à un autre enjeu, celui de l’accélération de la prise de décision ; nous devons toucher très vite beaucoup de personnes, même si nous ne réalisons pas tout de suite les meilleures actions possibles. Il est important de suivre les deux dynamiques dans nos politiques d’incitation : faire beaucoup et très vite, et faire le mieux possible et très bien. Nous devons donc travailler en deux temps.

Mme Meike Fink. S’agissant des jaunes budgétaires, des travaux sont en cours au Comité pour l’économie verte, auxquels nous contribuons. Si vous le souhaitez, je vous enverrai la page que nous avons rédigée.

Je souhaiterais soulever un point qui n’apparaît pas dans les mesures votées dans le cadre de la loi de finances : l’absence des subventions à la pollution. Nous envoyons des signaux contradictoires, avec les niches, les exonérations, les taux réduits pour la TICPE. Cela nous tient à cœur et devrait figurer dans la loi de finances.

J’en viens à la redistribution forfaitaire. Ce qui est surtout critiqué, s’agissant de la taxe carbone, c’est la régressivité. Nous avons bien compris le principe « un outil, un message », mais, finalement, l’objectif est de rendre acceptable un outil. Or, nous considérons qu’une redistribution forfaitaire à tous les ménages ne correspond pas au problème soulevé.

M. le président Julien Dive. Mesdames et messieurs, je vous remercie de vos contributions. Sachez que vous avez la possibilité d’approfondir vos propos sur le site internet de l’Assemblée nationale, en allant sur l’onglet de la consultation citoyenne en ligne. De plus, vous pourrez retrouver le compte rendu de cette audition en ligne.

Je vous remercie.

L’audition s’achève à treize heures.

 


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27.   Jeudi 4 avril 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur l’hydroélectricité :
– M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), M. Alexandre Roesch, délégué général, M. Louis Lallemand, responsable de la filière « hydroélectricité & territoires » ; M. Jean-Charles Galland, président de la commission hydroélectricité et directeur adjoint d’EDF, M. Alexandre de Montesquiou, consultant ;
– M. Yves Giraud, directeur d’EDF Hydro, et M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques d’EDF ;
– M. Olivier Métais, président de la Société hydrotechnique de France (SHF), professeur des universités à l’Institut polytechnique de Grenoble ;
– M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG), et M. Géry Lecerf, président du collège fourniture de l’AFIEG, directeur des affaires publiques d’ALPIQ France ;
– M. Jacques Pulou, référent hydroélectricité de France Nature Environnement (FNE) ;
– Mme Anne Pénalba, vice-présidente de France Hydro Électricité, et M. Jean-Marc Lévy, délégué général.

L’audition débute à neuf heures vingt.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Mes chers collègues, je vous remercie de votre forte mobilisation pour le sujet intéressant qui nous réunit aujourd’hui dans le cadre de notre mission d’information relative aux freins à la transition énergétique, qui, je le rappelle, s’articule autour de sept axes, à savoir la vision pour l’avenir sur le mix énergétique en matière de consommation et de production, le développement des filières des énergies renouvelables (EnR), les questions relatives à la mobilité, celles portant sur les économies d’énergie, la projection des grands groupes sur cet enjeu, la fiscalité et le financement, et enfin le rôle des collectivités territoriales dans la transition énergétique.

Cette mission a pour objet d’identifier les nombreux freins à la transition énergétique, présents au sein des différentes filières, afin d’être en mesure de formuler ensuite des propositions et recommandations qui se traduiront, nous l’espérons, par des décisions qui permettront de lever un certain nombre de freins.

La table ronde d’aujourd’hui, qui a pour objet l’hydroélectricité, ne porte pas tant sur la remise en concurrence des concessions hydroélectriques que sur les freins au développement de l’hydroélectricité – notamment la petite hydroélectricité – et des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP).

Elle porte également sur les leviers permettant de concilier les enjeux de maîtrise des impacts environnementaux avec le développement des nouvelles installations, ainsi que le maintien des performances énergétiques et des installations existantes.

Vous tous qui êtes dans ce milieu savez mieux que moi que l’hydroélectricité joue un rôle crucial dans la production d’énergie renouvelable et que c’est l’un des secteurs éminemment stratégiques, à la fois pour le mix énergétique et pour l’équilibre de nos systèmes électriques, d’où l’importance de cette thématique pour notre mission.

Nous accueillons donc M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), M. Alexandre Roesch, délégué général, et M. Louis Lallemand, responsable de la filière « hydroélectricité et territoires » ; M. Jean-Charles Galland, président de la commission hydroélectricité et directeur adjoint d’EDF, M. Yves Giraud, directeur d’EDF Hydro, et M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques chez EDF ; M. Olivier Métais, président de la Société hydrotechnique de France (SHF), professeur des universités à l’Institut polytechnique de Grenoble ; M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG), et M. Géry Lecerf, président du collège fourniture de l’AFIEG, directeur des affaires publiques d’ALPIQ France ; M. Jacques Pulou, référent hydroélectricité de France Nature Environnement (FNE) ; enfin, Mme Anne Pénalba, vice-présidente de France Hydro Électricité, et M. Jean-Marc Lévy, délégué général.

Je vais maintenant donner la parole à un représentant de chaque société pour un exposé liminaire d’environ cinq minutes, avant que nous ne passions à un échange de questions et de réponses.

M. Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, l’hydroélectricité est effectivement un élément essentiel dans la transition énergétique, en particulier dans le domaine de l’électricité, puisque c’est aujourd’hui encore la première énergie renouvelable électrique en termes de puissance et de production d’énergie, mais aussi et surtout un moyen de production extrêmement réactif, flexible et permettant le stockage de masse de l’électricité. De ce point de vue, l’hydroélectricité constitue un moyen absolument indispensable pour intégrer un maximum d’énergies variables non commandables telles que l’éolien et le solaire photovoltaïque.

Cependant, le développement de cette filière possédant encore un vrai potentiel est aujourd’hui extrêmement restreint, puisque l’hydroélectricité ne représente qu’environ 20 % du parc installé en puissance et 10 % à 15 % en énergie, en fonction de la pluviométrie annuelle – c’était 13,4 % en 2018. L’objectif de l’actuelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est d’augmenter la capacité de production de 1 gigawatt (GW) à l’horizon 2028. Nous avons revendiqué et nous revendiquons toujours d’augmenter la capacité de production de 1,7 GW, et nous avons identifié un potentiel mobilisable de plus de 4 GW, à la fois sous la forme d’équipements de sites neufs – en concession ou en autorisation –, mais aussi par la rénovation ou l’optimisation de sites existants, pour lesquels il serait nécessaire de disposer d’un cadre économique stable et incitatif, notamment à travers la pérennisation et la simplification des appels d’offres existants en matière de petite hydroélectricité, et en lançant des procédures d’octroi pour de nouvelles concessions.

La rénovation et l’optimisation du parc actuel constituent un aspect essentiel de notre activité. Alors que nous avons affaire à des technologies ayant une durée de vie très longue, il est aujourd’hui interdit d’augmenter la puissance des centrales en concession ; pour ce qui est des centrales en autorisation, l’augmentation de puissance est limitée à 10 %.

Un autre frein, que vous avez évoqué dans votre introduction, réside dans l’insuffisante visibilité dont disposent les acteurs de la filière sur les modalités et perspectives de renouvellement des concessions hydroélectriques, de manière à apporter davantage de sécurité aux investissements sur ces installations.

Comme je l’ai dit en introduction, l’une des caractéristiques essentielles de l’hydroélectricité est sa flexibilité. Il convient donc de préserver les capacités de flexibilité de l’hydroélectricité en évitant toute mesure qui pourrait conduire à les brider, et en sensibilisant les services de l’État aux impacts énergétiques, climatiques et économiques du recours à l’hydroélectricité lors de l’élaboration des différentes instructions. Il faut également identifier les moyens de mieux rémunérer cette flexibilité et, pour cela, nous proposons d’expérimenter des marchés locaux de la flexibilité afin de faire émerger des solutions dimensionnées aux enjeux des réseaux électriques.

Par ailleurs, l’État doit être appelé – je pense que c’est prévu dans la PPE – à lancer le développement de nouvelles stations de transfert d’énergie par pompage, de façon à ce que nous ne soyons pas pris au dépourvu au moment où cette capacité deviendra absolument nécessaire, avec le développement du solaire et de l’éolien – étant précisé que plusieurs années sont nécessaires pour instruire des dossiers de développement de STEP.

Un autre frein que nous identifions est celui de la fiscalité, en particulier de la fiscalité locale. L’hydroélectricité est l’une des énergies les plus touchées par la fiscalité, qui représente aujourd’hui un cinquième du prix de vente de l’énergie – on compte environ 600 millions d’euros de fiscalité locale –, ce qui peut constituer un frein non seulement à l’investissement, mais aussi à la rénovation ou à la maintenance de sites actuels. Nous proposons donc de laisser la main aux collectivités pour prendre des mesures d’exonération temporaire de taxe foncière, pour assurer les investissements de rénovation de certaines centrales, ou pour participer au développement de nouvelles installations.

Faute de temps, je m’arrête là et je laisse à l’un des intervenants suivants le soin d’évoquer la conciliation des enjeux énergétiques et environnementaux.

M. Yves Giraud, directeur d’EDF Hydro. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation à cette audition de la mission d’information et, en tant que directeur d’EDF Hydro, je suis à la fois ravi et honoré de vous parler de cette énergie qu’est l’hydraulique. Curieusement, en France, cette énergie est souvent la belle oubliée des débats portant sur la transition énergétique. C’est bien dommage car, comme l’a dit M. le président Jean-Louis Bal, l’hydraulique est la première des énergies renouvelables en termes de production d’électricité, en France et dans le monde. Elle représente en effet près des deux tiers de la production d’EnR, le tiers restant étant composé d’éolien, de biomasse et de solaire.

En 2018, elle a produit 63 térawattheures (TWh), soit 13,4 % de la consommation. L’hydraulique est ainsi en France, non seulement la première des énergies nouvelles, mais aussi la deuxième source de production d’électricité après le nucléaire, et elle joue un rôle essentiel à la pointe. En effet, un lac de barrage n’est pas seulement une gigantesque retenue d’eau, mais aussi une gigantesque retenue d’énergie – puisqu’avec l’eau, nous faisons de l’énergie. Je précise que c’est de l’énergie à la demande : par exemple, près de Grenoble, dans l’Isère, il suffit d’ouvrir les robinets de Grand’Maison pour disposer quasi instantanément d’une puissance de 1,8 GW sur le réseau, c’est-à-dire l’équivalent de deux réacteurs nucléaires.

La puissance totale hydraulique installée est de 25,5 GW, c’est-à-dire 40 % de la puissance nucléaire, ce qui n’est pas rien. Comme M. le président du SER l’a dit, ce n’est pas une énergie renouvelable comme les autres, car elle est flexible et stockable et permet ainsi l’intégration des autres énergies renouvelables dites variables.

Je veux insister sur le fait que le secteur de l’hydraulique fait intervenir de nombreux acteurs – parmi lesquels EDF, qui réalise 66 % de la production d’électricité, mais il y en a beaucoup d’autres –, pour un total de près de 21 000 emplois directs et indirects en France. Sur ce point, je renvoie au Livre blanc de l’hydroélectricité élaboré par la profession, ainsi qu’au cahier d’acteur du SER et de France Hydro Électricité. C’est une filière industrielle française d’excellence, dynamique, innovante, sans parler du rôle essentiel – a fortiori en ces temps de changement climatique – que joue cette filière dans la gestion de l’eau.

Il y a cependant une autre raison de remettre l’hydraulique au cœur de la transition énergétique, à savoir son potentiel de développement. Sans reprendre les chiffres cités par Jean-Louis Bal, je veux insister sur le fait qu’il y a, contrairement aux idées reçues, un vrai potentiel de développement de l’hydroélectricité en France. Il nous faut donc rapidement libérer ce potentiel, notamment en raison de l’enjeu que représentent les milliers d’emplois correspondants dans des territoires souvent ruraux ou de montagne.

Pour ce faire, je propose d’actionner trois leviers qui permettront de débloquer les freins à la transition énergétique. Le premier est celui des appels d’offres pour de nouveaux aménagements, le deuxième est celui des améliorations sur les aménagements existants, afin d’en tirer plus d’énergie et plus de puissance, et le troisième, prévu par la loi, consisterait en la prolongation de quelques concessions en contrepartie d’investissements, ce qui permettrait également de tirer plus d’énergie et de puissance des installations existantes.

Pour ce qui est des appels d’offres pour de nouveaux aménagements, il y en a eu pour la petite hydraulique sous forme d’autorisations, qu’il faut évidemment poursuivre, mais nous attendons d’autres appels d’offres pour des aménagements de plus grande puissance, sous la forme de concessions. Si l’État a estimé lui-même en 2013 qu’il existait un potentiel de 1,2 GW d’hydroélectricité neuve – dans le respect des classements des cours d’eau – aucun appel d’offres de ce type n’a été lancé pour le moment, alors qu’une quarantaine de sites avaient été identifiés par l’État.

Comme l’a dit Jean-Louis Bal, il faut lancer des appels d’offres pour le développement du stockage de l’électricité, qui représente aujourd’hui en France 5 GW d’hydroélectricité sous forme de STEP. Il y a en la matière des possibilités quasi infinies de développement en termes de puissance : il suffit d’avoir un réservoir en amont et un réservoir en aval, et de placer une STEP entre les deux !

Le deuxième levier, celui des améliorations sur les aménagements existants, est difficilement actionnable, pour des raisons qui paraissent aberrantes. Nous avons la possibilité d’augmenter la puissance et l’énergie de certains aménagements sans conséquences environnementales, sans modifier le barrage existant, en construisant simplement un nouveau groupe, comme nous le faisons actuellement à La Coche, en Savoie, où nous avons apporté un groupe de 240 MW sur un aménagement existant, ce qui produit l’équivalent en énergie supplémentaire de la consommation de 40 000 habitants – il suffit parfois même de changer les roues, comme nous le faisons à La Bâthie, en Savoie, pour obtenir un considérable gain en termes d’énergie produite.

L’augmentation de puissance obtenue par ce type d’améliorations peut aller jusqu’à 20 % en puissance ou en énergie – cela a notamment été le cas à la suite de l’entrée en vigueur de la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique (POPE) de 2005.

Pour réaliser ce type d’opérations, nous ne demandons aucun soutien public, pas même une prolongation de concession : tout ce qu’il nous faut, c’est une autorisation. Or, il se trouve qu’à l’heure actuelle, cette autorisation est extrêmement difficile, voire impossible à obtenir, car l’amélioration d’un ouvrage existant est considérée comme une modification substantielle du contrat de concession, équivalant à la fin du contrat… C’est vraiment une histoire de fous !

Le troisième levier est celui consistant en la prolongation de certaines concessions. Alors que les démarches liées aux appels d’offres prennent beaucoup de temps, dans un certain nombre de cas, nous pourrions obtenir très rapidement des augmentations d’énergie et de puissance sur des concessions existantes, grâce aux prolongations de concession prévues par la loi. Nous souhaitons que ce dispositif puisse être mis en œuvre, en particulier pour permettre à notre projet dans la vallée de la Truyère d’aboutir. Ce magnifique projet, qui procurerait des gains importants en termes de flexibilité et de stockage, mais aussi en termes d’emploi, y compris dans les départements voisins – en particulier l’Aveyron –, est aujourd’hui bloqué par des discussions avec la Commission européenne.

J’aurais pu parler de la fiscalité et de bien d’autres choses, mais j’en laisse le soin à mes collègues. En conclusion, je dirai qu’à l’heure où l’hydraulique se développe et où les STEP fleurissent un peu partout dans le monde – il suffit de traverser les Alpes pour voir le soutien extraordinaire dont bénéficie la petite hydraulique en Italie –, il serait incompréhensible que, dans une France comptant cinq grands fleuves, sept massifs montagneux et des milliers de rivières, on ne puisse pas exploiter davantage l’hydraulique, qui représente 17 % de la production d’électricité dans le monde et constitue la troisième source d’énergie électrique après le charbon et le gaz. À mon sens, nous sommes tout à fait capables d’en faire autant en France, et donc d’atteindre une production d’électricité hydraulique représentant 15 % à 17 % de la production totale – tout cela en respectant l’environnement, bien entendu.

M. Olivier Métais, président de la Société hydrotechnique de France (SHF), professeur des universités à l’Institut polytechnique de Grenoble. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, beaucoup de choses ont déjà été dites, que je vais m’efforcer de ne pas répéter : mon propos portera donc sur des aspects complémentaires.

De par son statut de société savante, la Société hydrotechnique de France (SHF) peut se prévaloir d’une parfaite neutralité. Notre rôle consiste à promouvoir le partage de la connaissance et l’innovation et, au-delà, l’aide à la prospective. Rassemblant environ 600 membres, notre société présente l’avantage de compter en son sein des profils très divers, puisqu’on y trouve des industriels, des bureaux d’études, des universitaires, des centres de recherche publics et privés, et des acteurs publics.

L’une de nos divisions est dédiée à l’hydroélectricité et, à ce titre, nous organisons chaque année un colloque sur ce thème, Hydro energy and Sustainability, dont les dernières éditions reprenaient exactement ce qui vient d’être dit sur les enjeux et les verrous associés à l’hydroélectricité. En 2011, ce colloque portait sur le thème « Les stations de pompage hydraulique, défis et opportunités » ; en 2014, sur la rénovation des centrales hydroélectriques ; en 2016, sur le thème « Environnement et hydroélectricité » ; et en 2019 – la dernière édition, à laquelle vous nous avez fait l’honneur de participer –, sur le thème « Quel avenir voulons-nous pour l’hydroélectricité en France et en Europe ? »

Notre société organise un certain nombre de groupes de travail chargés de rassembler des données objectives, de réfléchir et de faire des propositions d’actions sur des questions concrètes liées à l’ingénierie de l’eau. Au passage, je veux rappeler que l’hydroélectricité, ce n’est pas seulement les barrages, les retenues et le fil de l’eau, mais aussi l’énergie marine, un domaine dans lequel la France a un atout majeur à jouer – sur ce thème, nous avons récemment édité un dossier intitulé Un nouveau regard sur l’énergie des marées, dont je vous communiquerai un exemplaire.

À mon sens, on ne peut parler des freins au développement de l’hydroélectrique sans évoquer, à l’inverse, les points nécessaires à la réussite d’un projet dans ce secteur, qui constituent quatre piliers principaux, à savoir l’intégration territoriale, la viabilité économique, l’intégration environnementale et la faisabilité technique, que l’on doit s’efforcer de concilier de façon harmonieuse.

En matière de réglementation, les principaux freins sont l’inflation normative et le foisonnement des réglementations, ce qui apparaît clairement dans le Livre blanc de l’hydroélectricité. J’estime qu’en France, nous ne laissons pas suffisamment de place à l’expérimentation, contrairement à ce qui se fait dans d’autres pays, notamment au Royaume-Uni.

Pour ce qui est de la viabilité économique, si on parle souvent de production d’énergie, on évoque plus rarement les autres volets que sont la gestion optimisée de la ressource en eau et les multi-usages de l’eau, dont l’extrême importance doit être reconnue et qui doivent bénéficier, à ce titre, d’une fiscalité adaptée – ce qui n’est pas le cas actuellement.

J’en viens à la faisabilité technique, qui passe par l’innovation. Depuis des années, je me bats pour qu’on cesse d’affirmer que l’hydraulique et l’hydroélectricité constituent une science nature : en réalité, le développement de ce secteur nécessite encore énormément d’innovation.

Pour ce qui est de la fonction de stockage de l’hydraulique, certains font valoir que d’autres moyens de stockage sont en train de se développer. En réalité, chaque moyen de stockage a ses particularités et, pour ce qui est de l’hydraulique, elle permet de stocker de grandes quantités d’énergie sur une longue période et de les restituer, de façon presque instantanée, c’est-à-dire en quelques secondes. Cela dit, l’innovation doit désormais permettre le couplage entre les différentes sources de stockage, en particulier les batteries. Nous devons également concevoir la turbine hydraulique du futur – c’est l’un des points sur lesquels je travaille –, c’est-à-dire la turbine hydraulique flexible.

La Société hydrotechnique de France veut insister sur le fait que l’effort d’innovation se doit d’être soutenu et encouragé aux niveaux national et européen par une feuille de route clairement définie : en d’autres termes, il faut définir des programmes de recherche et d’innovation cohérents. À cet égard, je mentionnerai l’initiative HydroPower Europe, financée par l’Union européenne, qui interroge tous les acteurs de l’hydroélectricité afin de définir des axes stratégiques de recherche et une feuille de route cohérente.

En tant que professeur, je suis sollicité pour participer à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, et je pense que toutes les actions mises en œuvre dans le cadre des stratégies de la recherche doivent inclure très clairement l’hydraulique et l’hydroélectricité en tant que telles qui, je le répète, ne sont pas une science ringarde.

Mme Anne Pénalba, vice-présidente de France Hydro Électricité. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation. Je vais m’exprimer devant vous au nom de France Hydro Électricité, qui est le syndicat de filière de la petite hydroélectricité, et j’axerai mon propos sur les problématiques de type environnemental.

Je dirai en préambule qu’en hydroélectricité, on a besoin essentiellement de trois choses, à savoir d’équilibre, de sujets étudiés au cas par cas, et de beaucoup de science. Sur ce point, je rejoins M. Métais pour considérer que l’innovation, la science, l’objectivation et la rationalité sont des aspects extrêmement importants, du point de vue technique comme de ceux de la biologie, des milieux aquatiques et de la biodiversité.

France Hydro Électricité identifie trois grands leviers : premièrement, la gouvernance et l’organisation de l’État en matière de petites centrales hydroélectriques, deuxièmement, les questions proprement environnementales, troisièmement, les questions relatives à l’énergie et aux mécanismes de soutien de la filière.

Pour ce qui est de l’organisation de l’État, la situation actuelle ne paraît pas normale, car elle n’est pas équilibrée. En effet, nos dossiers sont instruits au niveau des départements par les seuls services de police de l’eau et, quand on dépose un dossier de renouvellement ou de nouveau projet, l’arrêté d’autorisation qui est rendu est composé de dix ou douze pages, parmi lesquelles une seule ligne concerne l’énergie – pour spécifier la puissance maximale brute. La quasi-totalité du regard porté sur un dossier concerne en effet son aspect environnemental, et plus spécifiquement le milieu aquatique. Il ne s’agit pas même de considérer le bon état écologique des eaux, mais simplement la continuité écologique : en d’autres termes, aujourd’hui, le développement ou la mise en conformité d’une installation se font – ou ne se font pas – presque exclusivement au regard de critères relatifs à la migration des poissons, ceux portant sur la finalité des installations, à savoir la production d’énergie renouvelable et la contribution que la filière peut apporter aux grands enjeux environnementaux au sens global du terme – qualité de l’air, dérèglement climatique, etc. – étant laissés de côté. Il paraît donc urgent de rééquilibrer l’instruction des projets, afin de permettre aux préfets de prendre une décision elle aussi plus équilibrée.

Du point de vue de l’environnement, il convient de rappeler le principal blocage, aujourd’hui malheureusement considéré comme un fait accompli, à savoir le fait que la plupart des cours d’eau relèvent de la liste 1. Les cours d’eau sont en effet classés en trois catégories : la liste 1, où il est interdit de construire des obstacles, la liste 2, où c’est possible à condition de veiller à la continuité écologique, tous les autres cours d’eau ne faisant pas l’objet d’un classement. Aujourd’hui, le classement en liste 1 oblitère 75 % des projets de développement du potentiel hydroélectrique, alors que le caractère objectif et scientifique de ce classement a été mis en cause à de nombreuses reprises : la qualité de l’expertise présidant à son établissement laisse un peu à désirer, et nous plaidons pour la mise en œuvre en la matière – mais aussi pour tous les classements réalisés au niveau des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) – d’une expertise contradictoire de nature scientifique et intégrant les connaissances les plus récentes, à la lumière de laquelle tous les classements auraient vocation à être revus.

Le deuxième frein à la filière hydroélectrique, qui repose sur un parc vieillissant, est celui touchant à la perte de productibles. On sait qu’on a perdu environ 3 milliards de kilowattheures (KWh), tous acteurs confondus, du fait du relèvement des débits réservés, c’est-à-dire du niveau d’eau qu’il faut obligatoirement laisser dans le lit des cours d’eau pour permettre la migration piscicole : quand vous regardez les chiffres annuels de production hydroélectrique, vous constatez que 3 milliards de kilowattheures ne sont pas délivrés, ce chiffre correspondant à ce que la profession doit laisser pour la biodiversité.

Nous continuons à mettre en conformité des centrales. Là aussi, nous demandons une évaluation au cas par cas, l’établissement de très bons diagnostics par des bureaux d’études qualifiés et un partage de ces diagnostics avec les services déconcentrés de l’État, une réelle concertation et surtout que soit portée une attention sur la perte de productibles et sur le rapport coût-bénéfice des aménagements qui nous sont demandés. Il est indispensable en effet de regarder quel est le coût des aménagements demandés et le réel bénéfice pour la biodiversité afin de prendre une décision, là encore, équilibrée.

En matière de soutien économique et de freins au développement, cela vous surprendra peut-être si je vous dis que je demande de bonnes statistiques. En effet, j’aimerais savoir de quoi l’on parle en matière de suivi de développement de la filière. Aujourd’hui, beaucoup de statistiques existent, mais il y a parfois confusion entre rénovations et nouvelles centrales. Je ne suis donc pas tout à fait sûre que l’on ait les vrais chiffres sur la trajectoire de développement de l’hydroélectricité.

Comme l’a rappelé M. Giraud, nous souhaitons davantage de souplesse dans nos contrats de mécanisme de soutien pour l’augmentation de puissance. Tout ce qui existait auparavant qui nous permettait d’augmenter la puissance très facilement a disparu – je pense notamment aux contrats additionnels. Comme lui, je pense que c’est une histoire de fous.

Les derniers appels d’offres nous obligent malheureusement à soumettre le projet à enquête publique, c’est-à-dire lorsqu’il est déjà très avancé dans son développement. Bien évidemment, si l’appel d’offres n’est pas un succès, les coûts échoués sont très élevés. Il faut savoir que le coût d’un dossier est de 300 000 euros, ce qui freine les petits acteurs à participer aux appels d’offres.

Enfin dans le parcours du combattant qu’est le développement de petites centrales aujourd’hui, la maîtrise foncière et l’accès à la maîtrise foncière constituent un obstacle supplémentaire en raison d’une mise en concurrence sur le foncier public.

Je vous remercie de votre attention. Nous restons, bien évidemment, à votre disposition.

M. Marc Boudier, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG). Beaucoup de choses ont déjà été dites.

L’hydroélectricité, qui est une énergie importante, est particulièrement développée en France puisqu’elle représente de 12 % à 15 % de la production d’électricité – c’est la première source de production après le nucléaire – même si dans d’autres pays la production hydroélectrique est bien plus importante. C’est le cas en Suède où elle atteint 45 %, et le pourcentage est encore plus élevé en Autriche et en Suisse.

L’hydroélectricité présente une série d’avantages en termes de modulation, de capacité de répondre à la pointe et, comme l’a dit M. Giraud, il est possible d’améliorer encore ses performances. C’est un secteur qui a la capacité de croître grâce aux installations existantes, notamment les grands barrages, et il existe aussi certainement des possibilités sur la petite hydroélectricité.

Le respect des considérations environnementales pourrait être considéré comme un frein, alors qu’il est tout à fait normal de le prendre en compte. Ce n’est pas en augmentant le nombre d’ouvrages que l’on parviendra à développer l’hydroélectricité et, pourquoi pas, à atteindre en France de 15 % à 17 %, comme le disait M. Giraud, mais en améliorant l’existant grâce à des investissements importants.

L’un des freins principaux à la réalisation d’investissements dans cette filière, c’est l’absence de décision en ce qui concerne le renouvellement des concessions hydroélectriques. Ce sujet empoisonne la filière depuis des années, il empoisonne évidemment ceux qui, comme les membres de l’AFIEG, aspirent à pouvoir participer à ces investissements, ces installations. Ce climat d’incertitude, ce manque de visibilité empoisonnent aussi l’acteur historique. Il faut sortir de ces débats et clarifier une situation qui correspond à l’application du droit français. En effet, alors qu’on a défini la politique à suivre à partir de 2006, quasiment rien ne s’est passé depuis dans ce domaine. Nous sommes dans une situation où des concessions, alors qu’elles sont échues depuis longtemps, ne sont pas renouvelées. Aussi est-il nécessaire, je le répète, de clarifier la situation.

Je ne reviendrai pas sur tous les éléments de ce dossier, sur ce que l’on peut considérer comme de faux débats sur la privatisation, sur le fait que des acteurs étrangers seraient intéressés alors qu’un groupe français comme Total aspire à participer. Un des freins potentiels est aussi le coût de cette amélioration. Peut-on considérer qu’un seul acteur, quels que soient ses mérites, doit porter les investissements massifs nécessaires si l’on veut vraiment améliorer la situation ? Il est important, au contraire, de pouvoir diversifier les sources de financement. L’ordre de grandeur des investissements à opérer peut être fixé à 10 milliards d’euros, avec un coût estimé entre 1 et 2 millions par MW installé sur de l’existant – rehaussement des barrages, suréquipement, changement de turbines, connexion de lacs existants, bassin de démodulation, contrôle commande, modernisation des conduites forcées –, de 2 à 4 millions par MW installé pour des nouveaux seuils en petite hydroélectricité, et de 2 à 4 millions par MW en cas de STEP. D’ailleurs, certains projets sont à réaliser, d’autres ne sont peut-être pas forcément rentables aujourd’hui.

J’ajoute que le renouvellement des concessions est aussi l’occasion de remettre à plat toute une série de considérations d’ordre environnemental et de sécurité. Certains cahiers des charges datent de dizaines d’années. Il est vraiment important et utile de profiter de cette occasion pour relancer la filière hydroélectrique. Ce serait utile, non seulement pour les grands acteurs de l’électricité, mais aussi pour toute une série d’entreprises qui attendent qu’il se passe des choses importantes dans cette filière qui représente un potentiel important de création d’emplois. Il convient donc d’avancer aujourd’hui dans ce domaine.

M. Jacques Pulou, référent hydroélectricité de France nature environnement (FNE), vice-président du comité de bassin Rhône-Méditerranée. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je remercie votre mission d’information de permettre à France nature environnement de s’exprimer, peut-être dans une tonalité un peu différente de ce que l’on vient d’entendre, même si certains éléments se recoupent.

J’ai organisé mon intervention en cinq fiches que je vous transmettrai.

La première fiche concerne la situation alarmante de nos cours d’eau et le rôle de l’hydroélectricité dans cet état.

Les trois quarts des cours d’eau du bassin Rhône-Méditerranée-Corse n’atteindront pas le bon état en 2027. Or, je vous rappelle que, lors du Grenelle de l’environnement, c’est un objectif de 66 % de cours d’eau en bon état qui avait été fixé. Je vous ai fourni un tableau émanant du bureau du comité de bassin de l’agence de l’eau et de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), qui témoigne de l’importance des différentes pressions qui s’exercent sur nos cours d’eau. On s’aperçoit que les pressions qui n’ont pas d’impact direct sur la qualité de l’eau sont celles qui sont déterminantes pour l’atteinte du bon état. Il s’agit du régime hydrologique, de la morphologie et de la continuité écologique qui occupent les trois premières places.

Pour atteindre l’objectif de bon état, il faut améliorer l’insertion du parc existant dans son environnement naturel et limiter la création d’installations nouvelles aux sites les moins sensibles. L’hydroélectricité est donc un enjeu très important pour atteindre un bon état des eaux.

J’en viens à la deuxième fiche : le développement de l’hydroélectricité joue un rôle marginal dans la transition écologique. Le tableau vous montre que la part relative du développement hydroélectrique dans celui des énergies renouvelables représentera, en 2028, 1 % du total. Comme cela fait cent ans que l’on exploite l’hydroélectricité en France, il est normal que l’on arrive au bout de ce gisement. Bien sûr, certains chiffres circulent, mais ceux-ci ne tiennent pas compte des réalités du terrain. De nombreux endroits, notamment dans les Alpes, n’ont pas été équipés, parce que, lorsque vous creusez un tunnel, la montagne vous tombe dessus – on pourrait citer quelques sites en Tarentaise.

Le développement de l’hydroélectricité ne jouera donc, en toute hypothèse, qu’un rôle marginal dans la transition écologique. L’importance de l’hydroélectricité réside dans sa souplesse et son caractère pilotable, mais cette caractéristique n’est l’apanage que d’une partie du parc actuel : les deux tiers en comptant les STEP, 50 % sans les STEP, et 45 % du productible.

La transition écologique dans le domaine de la production d’électricité – 20 % à 25 % de la consommation d’énergie finale en France – vise entre autres à injecter massivement dans le réseau l’énergie produite par des sources variables, voire intermittentes comme le photovoltaïque. Au-delà de la production électrique, les points durs concernent l’adaptation du réseau à la multiplication des sites de production dispersés et sa régulation. Sur ce dernier point, l’hydroélectricité, et plus particulièrement les grands ouvrages concédés, dotés de réservoirs et fonctionnant par écluses, peuvent apporter une contribution intéressante. Lorsque le parc renouvelable aura atteint une certaine taille et que sa production excédera parfois les besoins, des services de stockage peuvent être utiles et, là encore, la grande hydraulique, dotée de réservoirs, peut jouer ce rôle. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.

Le développement de la production électrique ne revêt qu’un caractère marginal dans la transition écologique pour laquelle le maintien, voire l’accroissement de la pilotabilité du parc hydroélectrique constitue par contre un enjeu significatif.

La troisième fiche concerne les perspectives climatiques et sociétales, point qui n’a pas été abordé. Les débits sont menacés. Mme Ayrault, présidente de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), parle d’une baisse de 40 % du module du Rhône, et les exploitants des ouvrages EDF du Drac de la Romanche, que Mme Battistel connaît très bien, évoquent couramment une perte de module avérée de 10 % à 20 %.

Par ailleurs, les études des volumes prélevables, réalisées dans le bassin Rhône-Méditerranée-Corse, montrent que 70 territoires de ce bassin manquent ou risquent de manquer d’eau à brève échéance.

Ce risque de pénurie se conjugue avec une augmentation de la variabilité des débits et la multiplication des épisodes de crues ou d’étiages.

Toutes ces perspectives sont préoccupantes, et nous sommes loin d’en avoir pris toute la mesure.

Toute la production hydroélectrique sera affectée, surtout la production au fil de l’eau, et notamment des petites centrales qui n’ont pas de réservoir pour concentrer les apports.

Parallèlement, les besoins en eau à d’autres fins que l’hydroélectricité ne vont pas baisser – alimentation en eau potable (AEP), irrigation, loisirs – compte tenu des épisodes de pénurie qui s’annoncent. Face à ces perspectives peu encourageantes, les investissements hydroélectriques doivent se limiter aux secteurs les moins exposés en tenant compte de ces évolutions inéluctables, et il faut faire attention à tout ce qui concerne le fil de l’eau et la petite hydraulique.

Que peut-on faire d’intelligent en matière d’hydroélectricité en France ? C’est l’objet de la quatrième fiche.

Il faut d’abord focaliser les aides sur les véritables enjeux du parc hydroélectrique dans le contexte de la transition écologique, c’est-à-dire en maintenir la pilotabilité et la souplesse d’intervention.

Le développement anarchique de la petite hydraulique que l’on voit aujourd’hui – plus de 100 projets sont en cours dans les Alpes du nord – fonctionnant au fil de l’eau, sans intérêt pour la souplesse du parc, qui affecte fortement les milieux aquatiques, notamment par sa pullulation sur les bassins versants, en particulier sur les têtes de bassins, doit être stoppé.

Le développement des chutes au fil de l’eau en site vierge doit être limité, et l’équipement des seuils existants doit être mis en balance avec leur effacement, en particulier dans les réservoirs biologiques et les cours d’eau habités par des espèces amphihalines.

Les appels d’offres « petite hydraulique » en cours sont menés sans transparence – pas de réelle concurrence puisque les sites sont différents, choix discrétionnaire entre des réponses non connues – excluent les aménagements des chutes sur les réseaux existants – AEP, assainissement – et le turbinage des débits réservés. L’environnement naturel est peu pris en compte dans l’appréciation des projets. Tout cela conduit bien souvent à de mauvais projets qui suscitent le rejet.

FNE a été consultée sur un certain nombre de sites non équipés en vue d’appels d’offres « concessions ». On a répondu, mais on ne nous a jamais recontactés. De toute façon, la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) ne répond à aucune de nos lettres.

Jusque dans les années soixante, l’hydraulique, très proche du parc actuel, faisait jeu égal avec le thermique, constitué de centrales minières au charbon que l’on n’hésitait pas à conserver comme réserve tournante pour assurer les pointes, et des centrales au fioul qui ont été arrêtées après les chocs pétroliers. Cela montre que tout le parc a été construit dans des conditions économiques totalement différentes de ce que l’on connaît aujourd’hui, et totalement différentes de celles que l’on connaîtra en 2035. Aussi le potentiel pour améliorer le parc est-il très grand.

À titre d’exemple, si l’on examine l’équipement du Rhône – 25 % du productible environ –, on ne peut qu’être frappé par le sous-équipement de tout le bas Rhône. Si cet effort d’équipement était réalisé aujourd’hui, on aboutirait à un parc bien différent.

Je tenais donc à appeler l’attention sur le potentiel de modernisation du parc grand hydraulique existant et son adaptation à la transition écologique et au changement climatique. La PPE, indique un potentiel de 400 MW, sans autre précision. Quid du productible ? Qui le connaît vraiment ? Personne en fait, sauf peut-être les exploitants.

Nous sommes favorables à des suréquipements de chutes existantes, sur le Rhône et ailleurs, comme à Gavet sur la Romanche, surtout celles augmentant la souplesse d’intervention du parc si les effets de leurs éclusées en sont maîtrisés. C’est ce que font nos voisins suisses, et c’est ce que fait EDF à La Bâthie-Roselend. Nous sommes favorables à certaines extensions de chutes concédées existantes – ce que termine EDF à La Coche n’a pas appelé de réaction de notre part –, ce qui renvoie à leur renouvellement pour les plus anciennes d’entre elles.

En ce qui concerne les STEP, nous remarquons : que le besoin de stockage ne s’affirme pas avant 2035 ; que la PPE n’identifie ce besoin que de façon très imparfaite puisque le temps de cycle des 1,5 ou 2 GW prévus n’est pas donné alors que ce paramètre essentiel conditionne le volume des réservoirs ; que des technologies existent – pompes turbines à vitesse variable – qu’elles sont disponibles sur le marché, notamment chez l’ex-Alstom à Grenoble, mais qu’elles ne sont pas utilisées pour moderniser l’existant ; que des solutions de stockage de longue durée innovantes existent – je pense à l’hydrogène et au power-to-gas ; que nous avons demandé à la ministre de publier les seize sites de pompage-turbinage sur les infrastructures existantes identifiées par le projet européen e-Storage. Nous n’avons pas eu, là non plus, de réponse aux lettres que nous avons envoyées.

Il y a donc beaucoup à faire sur l’existant tout en diminuant les impacts sur l’environnement. Aussi nous ne comprenons ni n’acceptons que des fonds publics soient engagés aujourd’hui pour détruire notre patrimoine naturel avec des infrastructures nouvelles en sites vierges, souvent sensibles.

La cinquième fiche concerne les concessions hydroélectriques dont nous souhaitons le renouvellement. Nous pensons que l’ouverture à la concurrence est la seule façon aujourd’hui d’y parvenir, au vu de l’état actuel de déliquescence des services de l’État. Il faut disposer pour chaque site d’un ensemble de variantes crédibles que l’on puisse vraiment comparer. J’en veux pour preuve les errements auxquels on assiste à Poutès-Monistrol, et dans le prolongement de la concession du Rhône, où il n’y aura qu’une seule offre de prolongation.

En conclusion, les freins à la transition énergétique sont dus à de mauvais projets. On veut en effet faire accepter à la population des choses qu’elle ne souhaite pas. Si vous revenez à des projets acceptables en matière d’environnement et d’énergie, tout ira bien et il n’y aura plus de freins.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. À l’issue de toutes ces interventions très complètes, je crois que vous êtes tous d’accord, y compris M. Pulou, pour dire que l’hydroélectricité est une énergie vertueuse et une filière d’excellence.

M. Jacques Pulou. Tout à fait !

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Avant de donner la parole à M. le rapporteur qui nous a rejoints, je souhaite insister sur le potentiel de la petite hydroélectricité. Il y a dix ans, on parlait d’un développement de 12 TWh. Puis au vu des différentes contraintes, on s’est finalement mis d’accord sur 3 TWh. Je crois qu’on en est bien loin aujourd’hui, alors que les innovations en matière d’hydroélectricité permettent aujourd’hui de concilier production d’énergies renouvelables, continuité des milieux, respect de la biodiversité dans certains secteurs. Considérez-vous que cet objectif sera un jour atteignable ? Quels freins identifiez-vous ?

Monsieur Pulou, je ne peux pas vous laisser dire qu’il n’y a aucune transparence dans les dépôts de dossiers de la petite hydroélectricité. Pour ma part, je suis présidente d’une commission locale de l’eau (CLE), dans le département de l’Isère, où tous les projets de petite hydroélectricité nous sont soumis pour avis par le préfet.

M. Jacques Pulou. Ce n’est pas de cela dont je voulais parler, mais des appels d’offres.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Ces projets sont étudiés par le bureau de la CLE, composé à la fois d’élus, d’industriels, d’associations environnementales – d’ailleurs, vous y êtes représentés –, de la fédération des pêcheurs et des services de l’État. Les avis de la CLE sont publiés et c’est le préfet qui décide ou non d’autoriser les projets. Ces dossiers font largement débat, et un consensus est dégagé dans une partie des cas, parce que la petite hydroélectricité peut encore se développer dans certains secteurs.

Quant à la question du classement des cours d’eau que vous évoquez, la loi relative à la transition énergétique a prévu que ces classements pouvaient être révisés. Cela ne veut pas dire que tous les cours d’eau classés en site 1 passeraient en site 2, mais que la modification des milieux et l’évolution des innovations permettent peut-être d’avoir un regard différent, avec un passage de la liste 1 à la liste 2, mais peut-être aussi de la liste 2 à la liste 1 dans certains cas. Comme vous l’avez tous dit, le cas par cas est extrêmement important sur cette question.

Monsieur Giraud, vous dites que l’hydroélectricité est la « belle oubliée » des débats sur la transition énergétique. Effectivement, il en est très peu question dans la PPE. J’ai été très déçue qu’on ne parle pas davantage de l’hydroélectricité qui est un pilier majeur dans l’équilibre de notre système électrique.

Monsieur Boudier, vous savez que je ne suis pas d’accord avec tout ce que vous avez dit, notamment sur la question du renouvellement des concessions, qui n’est pas le sujet du jour. On peut concilier les renouvellements et les séparer des appels d’offres qui peuvent être totalement ouverts, concilier l’ouverture des marchés et le maintien de l’exploitation du patrimoine français. On regarde souvent l’hydroélectricité sous l’angle de la production d’énergie, mais pas suffisamment en matière de gestion de la ressource en eau, et surtout du multi-usage de l’eau – irrigation, tourisme, écrêteur de crues, etc. C’est un ensemble qui la rend un peu particulière par rapport aux autres énergies renouvelables.

Monsieur Métais, vous avez dit que l’hydroélectricité n’était pas une science mature et qu’elle avait besoin d’innovations importantes. Effectivement, d’autres innovations sont possibles. On dit souvent, dans notre jargon de parlementaires, que c’est une énergie mature parce qu’elle ne nécessite plus ou peu de financements complémentaires.

Vous avez tous parlé de potentiel d’optimisation, mais seul M. Pulou l’a évalué à 1 % de l’ensemble de la PPE. Qu’en pensez-vous, les uns et les autres ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Mesdames, messieurs, je vous prie de m’excuser pour mon retard.

S’agissant de l’hydroélectricité, je ne pourrai pas faire beaucoup mieux que Mme la présidente dont c’est la grande spécialité. Pour ma part, j’ai plutôt une vue de « plat pays », avec de petits cours d’eau. Je pense que demain l’énergie sera plutôt produite et utilisée localement.

Ma question concerne les difficultés que l’on rencontre pour restaurer les moulins. Dans le Pas-de-Calais, il y a beaucoup de petites rivières et d’anciens moulins désaffectés. Leurs propriétaires veulent les remettre en route, mais ils font face à d’énormes difficultés bien qu’ils soient très respectueux de la biodiversité – ils font tout ce qu’il faut, notamment des passes à poissons. N’oublions pas que jadis ces moulins fonctionnaient et que cela n’empêchait pas la présence de poissons. Je ne comprends pas bien cette opposition entre les associations de pêcheurs et ces projets qui permettent de restaurer notre patrimoine local.

Mme Jennifer de Temmerman. Je souhaite vous interroger sur un sujet qui tient particulièrement à cœur à l’un de mes collègues sénateurs du Nord. En Flandres se pose la problématique des wateringues. Pouvez-vous nous parler du potentiel de cette hydroélectricité très particulière ?

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Mesdames, messieurs, je vous propose de répondre de manière synthétique à ces questions.

M. Jean-Charles Galland, président de la commission hydroélectricité du SER, directeur adjoint chez EDF. Les objectifs de la PPE sont de 26 400 à 26 700 MW à l’horizon 2028. Pour le syndicat des énergies renouvelables, l’objectif est plus ambitieux puisqu’il devrait, qu’il pourrait être plutôt de 27 200 MW.

Nous avons décomposé la façon de passer de 25 500 MW installés aujourd’hui à 27 200 MW. Le potentiel de développement identifié en nouvelles concessions sur de nouveaux sites est de l’ordre de 300 MW. Il s’agit de sites préidentifiés, qui ont été communiqués aux services de l’État et qui font l’objet d’un inventaire, sur lesquels on peut lancer des démarches d’appels d’offres. 400 MW sont identifiés sur de la rénovation et du suréquipement d’aménagements existants. Enfin, 900 MW environ concernent la petite hydraulique, dont l’équipement des seuils de moulins qui ne sont pas ou plus exploités et qui présentent un potentiel certain même s’il s’agit de petites puissances. Mais, en l’occurrence, les petites rivières font les grands fleuves.

Voilà comment se décomposent, de notre point de vue, les possibilités de développement de la filière.

M. Jacques Pulou. Ce que j’ai mis en cause, c’est la façon dont sont menés les appels d’offres sur les autorisations. Rien d’autre. Dans votre bassin, on est effectivement consultés sur les dossiers, sur lesquels on donne notre avis et sur lesquels on livre des éléments d’information, avant que le bureau compétent prenne ses décisions : ce n’est pas du tout ce que je mets en cause.

Ensuite, en ce qui concerne les moulins, leur potentiel énergétique est relativement faible. On est moins dans le domaine de l’énergie que dans le domaine du patrimoine, domaine également très intéressant du reste. Avec les moulins, un problème se pose cependant souvent, et notamment dans votre région : ils sont parcourus par des poissons grands migrateurs comme les truites de mer, les anguilles ou, parfois, les saumons, quand vous avez de la chance, dans la Canche et l’Authie.

Mais le problème est que le fonctionnement des centrales hydroélectriques n’a rien à voir avec le fonctionnement d’un ancien moulin. Pour ce dernier, des règlements d’ouverture de vannes faisaient qu’il y avait des périodes de chômage très importantes, alors qu’une centrale hydraulique fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, 361 jours par an à peu près. Une même mesure n’aura donc pas autant d’impact sur les moulins que sur des centrales hydroélectriques.

Quant aux ouvrages de franchissement, ils existent en effet, mais aucun d’entre eux ne marche à 100 %. Dans des rivières où il y a énormément de moulins, même si elles sont équipées d’ouvrages de franchissement, au bout de cinq ou six moulins, il n’y a plus de poissons qui arrivent à passer. Les questions environnementales, par rapport au moulin, se cristallisent là-dessus.

Par contre, je pense que les questions patrimoniales peuvent être prises en compte, grâce à la mise en place de dispositifs réellement efficaces. Mais il ne faut pas que les propriétaires de moulins croient qu’ils ne seront pas soumis à des obligations importantes. Cette année, sur le golfe d’Oléron, une micro-centrale a été endommagée par une crue ; il a fallu entre dix et quinze jours, pendant la migration du saumon, pour qu’elle soit réparée. Ainsi, on voit que l’arasement d’ouvrage est tout de même la solution la plus sûre.

Mme Anne Pénalba. Va-t-on réussir à obtenir les 3 TWh supplémentaires attendus ? Vous avez compris, alors qu’on part de moins 3 TWh, que cela va être extrêmement compliqué, vu tous les freins au développement des petites centrales qu’on a identifiés. Je me permets d’insister sur les statistiques : quand on entend, d’un côté, que l’hydroélectricité « pullule » et « prolifère », alors que nous pensons qu’elle complètement freinée, il y a vraiment un problème d’objectivation des données. Il serait tout de même bon que chacun sache quelle est exactement la réalité du développement.

Ensuite, je voudrais reprendre la question des appels d’offres sous un angle un petit peu différent. D’une part, il y a déjà, dans l’appel d’offres, un pré-cadrage environnemental de la part de l’État et des services de l’environnement, de sorte que les candidats déposent un dossier qui inclut ce pré-cadrage environnemental et une notation faite par les services de l’État. D’autre part, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) évalue la qualité du dossier, sur la base des différents critères, avant de décider qui est lauréat. Ainsi, le dossier a déjà été parfaitement vu du point de vue de l’environnement. Par la suite, le dossier suit un déroulé classique : il arrive à l’instruction, c’est-à-dire qu’il y a tout de même une enquête publique, laissant toute possibilité aux acteurs de s’intéresser à ces projets, de donner leur avis et de prendre connaissance du dossier. Cela ne se développe donc pas dans le dos tout le monde ; la démarche est parfaitement transparente, au contraire.

Quant à l’intérêt de l’hydroélectricité dans la transition énergétique, un phénomène devient prégnant, à savoir que les citoyens eux-mêmes prennent en compte ce sujet-là. Ils veulent eux-mêmes produire leur électricité, ou alors veulent s’approvisionner en électricité verte. Pour ma part, j’assiste à un phénomène très récent pour les centrales que j’exploite aujourd’hui, à savoir une demande de petite hydroélectricité sur le marché, parce qu’il y a une véritable demande des citoyens, aujourd’hui, pour avoir de l’énergie verte produite à côté de chez eux. Cela fait un mois et demi que je reçois une demande par semaine de d’acteurs ou de fournisseurs divers, qui veulent de la petite hydroélectricité traçable avec ses garanties d’origine, dont ils savent qu’elle est produite sur telle centrale et à tel endroit. Voilà un phénomène assez nouveau : le fait que les citoyens eux-mêmes demandent aujourd’hui ce type d’énergie. Je pense que l’on va voir en partie le même phénomène avec les moulins : une volonté des acteurs d’être autonomes – outre l’aspect patrimonial, bien entendu, qui est indiscutable et qu’on salue tous. Toutes les nouvelles notions telles que l’énergie répartie ou l’autoconsommation, prévues par les directives européennes, mais déjà incluses dans notre réglementation, sont des sujets sur lesquels hydroélectricité a aussi son mot à dire.

L’hydroélectricité dans la transition énergétique ne s’apprécie pas simplement dans une dimension pondérale. Ce n’est pas simplement de la quantité. Son apport passe aussi par la manière dont l’hydroélectricité stabilise les courbes de charges d’énergies qui sont un petit peu plus variables qu’elle dans la journée. L’eau ne s’arrête pas de couler d’un instant à l’autre comme cela peut être le cas, pour d’autres équipements, si un nuage passe devant le soleil. Au fil de l’eau, l’hydroélectricité permet de lisser les courbes de charges et permet aux gestionnaires du réseau de distribution de repousser des investissements qu’il devrait faire plus rapidement, vu le développement important d’autres énergies renouvelables.

Ainsi, l’hydroélectricité permet une transition énergétique de bonne qualité, plus facile que dans d’autres pays européens. Car on aura toujours besoin de toutes les formes d’hydroélectricité pour stabiliser le réseau, que ce soit en effet aux heures de pointe ou s’agissant de l’énergie en base. Le plan de tension de la petite hydroélectricité participe parfaitement aux réglages de la tension sur le réseau. C’est un fait qui est absolument indiscutable. Il ne faut donc absolument pas oublier l’ensemble des services rendus par l’ensemble des formes d’hydroélectricité. Toutes sont nécessaires à la transition énergétique.

M. Marc Boudier. En ce concerne l’hydroélectricité, il ne faut pas se concentrer uniquement sur la partie énergétique du sujet, même si on en connaît les vertus dans ce domaine-là. Il y a cependant des considérations globales à prendre en compte : animation des vallées, tourisme… C’est pourquoi il est important qu’il y ait, dans le cadre du renouvellement des concessions, une capacité à jauger trois critères : le critère économique, à savoir le montant des redevances versées à l’État, ainsi que les retombées pour les collectivités locales ; le critère environnemental ; le critère énergétique.

L’approche économique doit embrasser une vision globale des choses. On sait que la Suisse ou la Suède présentent des exemples intéressants dont on peut s’inspirer. Ce qui est certain, c’est que, pour gagner, à partir du moment il y aura une compétition, il faudra faire la meilleure offre dans ces trois critères. Il ne s’agit pas de se concentrer uniquement sur la rentabilité future, sans aller jusqu’à ces projets caricaturaux qui ne prévoient pas d’investissements.

Ily a un autre point sur lequel je voudrais insister : nous avons besoin, dans ce secteur d’activité, de visibilité sur le long terme. On ne peut pas rester dans une situation où, depuis neuf ans, on n’a aucune idée du calendrier.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Je suis d’accord !

M. Marc Boudier. Il est important, pour tous les acteurs, de disposer d’une vision actualisée et précise de la façon dont les choses vont se passer, et ce d’autant plus qu’il faudra s’assurer qu’aux délais passés ne s’ajouteront pas des freins futurs.

Permettez-moi de prendre un exemple tout simple : lorsque vous arrivez en fin de concession, vous êtes censé publier largement à l’avance un dossier de fin de concession. Je pense que les concessionnaires sortants ont fait ou feront leur travail, mais j’insiste sur le fait que, dans ce secteur qui est prioritaire et dont tout le monde reconnaît l’importance pour le mix énergétique et pour l’économie française en général, il faut qu’on ait une vision du temps. Il ne faut pas perdre trop de temps dans des débats finalement un peu dogmatiques, mais aussi, demain, du fait d’éventuels freins strictement administratifs ou techniques à l’action.

M. Olivier Métais. Je vous remercie d’avoir relevé le fait que l’hydroélectricité n’est pas une science mature. Pour réagir à ce qu’a dit madame Penalba, la science n’est effectivement pas uniquement importante dans les aspects technologiques, mais aussi du point de vue de la biodiversité et de la continuité écologique. Il faut donc beaucoup d’innovations dans ce domaine.

Ces dernières années, ni l’hydroélectricité ni, d’ailleurs, l’énergie hydraulique n’ont jamais tenu une place centrale dans les appels d’offres en recherche. Or il faut qu’elles retrouvent cette place centrale. Dans le dernier congrès qu’on a organisé à Grenoble, un commissaire européen nous a fait comprendre qu’en gros, l’hydraulique n’était « pas sexy ». Peut-être faut-il y remédier, mais il y a surtout besoin, dans l’énergie renouvelable, d’innovations dans tous les domaines et d’interfaçage entre les agents et entre les disciplines. Cet interfaçage ne joue pas forcément un rôle en lui-même, mais il joue un rôle en relation avec les autres énergies renouvelables.

Pourquoi des organismes comme l’ADEME ne placent-ils jamais l’hydraulique au centre de leurs recherches et de leurs appels d’offres ? Y a-t-il moyen d’améliorer les choses à ce niveau-là ? L’Europe ne propose pas de programme centré sur l’hydraulique et l’hydroélectricité, toujours envisagés non certes comme roue de secours, mais tout de même seulement comme moyen de stockage. Je serais donc heureux que l’hydraulique trouve ou retrouve une place centrale sur le plan scientifique.

J’appelle aussi à la revalorisation de l’avis scientifique dans les conflits. Car je pense que, dans des situations tendues, lorsqu’il y a des blocages sur des aménagements, il faut revaloriser l’avis scientifique, fondé sur une expertise neutre qui repose sur des arguments qui ne soient ni passionnels ni dogmatiques.

M. Jean-Louis Bal. J’aurai appris un mot aujourd’hui : « wateringue ». Sans doute un mot flamand francisé ? Je ne sais pas quel est le potentiel d’exploitation des wateringues, mais nous allons examiner la question.

Quant à l’impact du changement climatique, devant entraîner une plus grande variabilité de la pluviométrie et du débit de nos différents cours d’eau, il posera un problème de gestion de l’ensemble des usages de l’eau, non seulement pour la production d’électricité, mais aussi pour l’approvisionnement en eau potable, l’irrigation et l’utilisation de l’eau pour le tourisme. Il engendrera surtout un besoin supplémentaire en capacité de stockage. Plus on aura de contraintes sur l’utilisation de l’eau, plus grande sera la nécessité de stocker l’eau et, partant, de disposer de barrages de bonne capacité.

En Nouvelle Aquitaine, la région a mené, sous la direction du climatologue bien connu Hervé Le Treut, des études visant à mesurer l’impact à moyen terme, à l’horizon 2050, du changement climatique. Je pense qu’il serait extrêmement utile que chacune des régions françaises mène le même travail. Car cela permet de bien identifier tous les impacts liés à l’approvisionnement en eau, notamment. Mais l’agriculture va aussi être impactée : il faudra peut-être des cultures qui demandent moins d’eau pour l’irrigation. La forêt sera aussi concernée.

Des prévisions sur le changement climatique, je retiens la nécessité d’avoir un bon stockage et, sur cette base, une gestion des différents usages et une hiérarchisation entre eux qui sera peut-être différente de celle qui existe aujourd’hui.

M. Yves Giraud. Je voudrais revenir sur trois points : les questions de potentiel, les questions d’investissement et les questions d’environnement et de changement climatique.

D’abord, je voudrais redire que l’hydraulique a un énorme potentiel. Le SER l’a chiffré à une centaine de TWh à l’horizon 2030, soit un tout petit peu plus loin que l’horizon de la PPE 2028, contre seulement 67 TWh aujourd’hui. La différence est donc considérable : on en a sous le pied ! Vous m’interrogiez sur le potentiel en termes de rénovation : eh bien, si nous faisions ce que nous autorise à faire la loi POPE, c’est-à-dire augmenter de 20 % la capacité actuelle de la France, c’est-à-dire 25,5 GW, nous obtiendrions 5 GW supplémentaires. Atteindre 2 gigawatts devrait du moins être facile.

Monsieur Pulou, en ajoutant des groupes, comme nous l’avons fait à La Coche, ou en modernisant les installations comme nous le faisons à la Bâthie, nous ne touchons pas nécessairement à l’environnement, c’est-à-dire au barrage. Quant au stockage, je redis que les possibilités sont quasi infinies, sur le plan technique en tout cas. Si vous disposez d’un réservoir en haut et d’un réservoir en bas, il suffit de pomper et de turbiner pour disposer d’une solution de stockage d’une capacité immense –de la même manière que vous chargez et déchargez une batterie. De surcroît, cette solution est écologique ; en tout cas, elle présente un intérêt, sur le plan environnemental, par rapport à d’autres solutions.

Sur les investissements, je voudrais reprendre ce que disait monsieur Marc Boudier. Je ne crois pas que la question de la mise en concurrence soit l’objet de cette matinée, mais je voudrais corriger l’idée reçue selon laquelle les investissements sont gelés dans l’attente de la mise en concurrence et de l’échéance des titres. La filiale EDF Hydro a investi, sur le territoire de la France métropolitaine, 83 millions d’euros sur des titres échus, au cours des quelques années passées. C’est considérable.

Nous faisons évidemment des investissements de sûreté, en particulier vis-à-vis de la gestion des crues. Nous faisons aussi des investissements de continuité écologique et des investissements d’amélioration de la production. Plus largement, EDF Hydro investit, chaque année, de l’ordre de 400 millions d’euros sur ces ouvrages, ainsi qu’une centaine de millions d’euros pour le développement. Ce sont des chiffres considérables. Je ne suis pas sûr que les électriciens européens en fassent autant dans leur propre pays.

Troisièmement, s’agissant de l’environnement, je remercie monsieur Pulou d’avoir souligné que La Coche, Romanche-Gavet ou la Bâthie où les travaux et aménagements ne lui causent pas de soucis. Je crois qu’on ne doit pas s’interdire de développer de l’hydro-électricité, même si on doit évidemment le faire dans le plus grand respect de l’environnement. Comme l’a dit monsieur Métais, il y a aujourd’hui des solutions techniques permettant d’avoir des turbines ichtyphiles, qui laissent passer les poissons. Beaucoup de PME en France s’en font une fierté. Nous, Français, avons des références en la matière.

Cela dit, plusieurs rapports parlementaires soulignent les difficultés liées à la mise en œuvre de la continuité écologique, notamment le rapport Vigier-Dubois de votre assemblée, ou celui du sénateur Pointereau. Ces rapports montrent l’intérêt qu’il y aurait à avoir des approches coût-bénéfices, comme l’a souligné Madame Pénalba.

Dans le domaine du changement climatique, EDF Hydro fonde ses convictions sur des études météo et sur des travaux de recherche et développement. Car la France a des spécialités en la matière. Plus précisément, notre conviction est qu’il n’y aura pas moins d’eau, mais qu’il y aura de l’eau différemment : pas dans les mêmes endroits et pas aux mêmes moments, la fonte nivale étant en particulier anticipée par rapport à ce que nous connaissions auparavant. Notre sentiment est que les spécialistes de l’hydraulique ne doivent pas voir cela comme une menace, mais, au contraire, comme une opportunité. C’est ce qu’ils le font déjà.

Ce sont, de fait, déjà des acteurs de l’eau. Nous, à EDF, nous gérons 75 % du stockage artificiel des eaux de surface en France. Nous devons intégrer cette problématique de gestion de l’eau dans le cadre du réchauffement climatique, au même titre que nous y intégrons notre métier premier, qui est celui de produire de l’électricité. C’est une opportunité supplémentaire et c’est une opportunité pour l’hydraulique.

M. Jean-Charles Galland. Sur le changement climatique, je crois qu’il faut avoir en tête que, aujourd’hui, on a de fait un soutien du débit des cours d’eau effectué par de grands réservoirs placés en tête de nos cours d’eau. Si vous vous remémorez un petit peu l’hydrologie des dernières années, les étés et les automnes que nous avons connus, vous constatez que ces barrages ont permis d’éviter des catastrophes écologiques, au sens où ils ont permis de soutenir le débit des cours d’eau, de façon constante, sur toute la durée de ces étiages, de plus en plus sévères ces dernières années, du fait de cette nouvelle répartition de la ressource dont parlait Yves Giraud.

Les aménagements hydroélectriques jouent aussi un rôle très important dans l’aménagement du territoire, au sens où la gestion de l’eau permet de concilier de très nombreux usages. Madame la présidente, on avait travaillé sur le sujet sous votre égide : dans un certain nombre de vallées, la valeur ajoutée créée par les aménagements hydroélectriques est très largement inférieure à celle qui est créée par les autres usages, que ce soit l’agriculture, l’eau potable, la navigation… On avait, dans ce cadre, évalué que, sur la vallée de la Durance, la valeur ajoutée de l’hydroélectricité représentait seulement 25 % de la valeur ajoutée totale apportée par les aménagements hydroélectriques, le reste étant créé par l’eau potable, par l’agriculture et par le tourisme, composante également importante.

Enfin, la préservation de l’environnement est une préoccupation vraiment première des hydro-électriciens. La profession a estimé qu’elle avait dépensé de l’ordre d’un milliard d’euros pour les problématiques de continuité écologique ces dernières années. Je pense que cela conduit à un certain nombre de succès. Nombre de cours d’eau qui sont situés à l’aval de nos aménagements sont classés réservoirs biologiques ou sont classés en liste 1. Cela montre bien que les efforts faits produisent leurs résultats. Autre illustration, peut-être plus emblématique : la Dordogne par exemple a été classée réserve mondiale de biosphère par l’Unesco, alors que c’est un cours d’eau très aménagé. Cela montre que la conciliation des usages est tout à fait possible, comme cette conciliation l’est également avec l’environnement.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Je vous remercie. Nous avons entendu vos propositions pour lever les freins au développement de l’hydroélectricité, mais aussi votre appel à la vigilance qu’on doit avoir sur la question climatique et environnementale. Je retiendrai plus particulièrement l’amélioration des aménagements existants, puisque c’est ce qui fait le plus largement consensus.


S’agissant du renouvellement des concessions, on ne peut pas rester dans cette situation de statu quo. Mais je suis totalement d’accord avec vous pour dire que l’ouverture large du marché n’est peut-être pas forcément la solution à tout, sinon l’ensemble des pays y seraient venus. D’autres solutions existent. En tout cas, il faut trouver une solution dans des délais les plus rapides possible.

L’audition s’achève à dix heures cinquante.

 


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28.   Jeudi 4 avril 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur le transport de marchandises :
– Mme Sylvie Charles, directrice générale du pôle transport ferroviaire de marchandises et multimodal de la SNCF, administratrice de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP), et Mme Laurence Nion, conseillère parlementaire ;
– M. Didier Léandri, président du Comité des armateurs fluviaux ;
– M. Benoit Daly, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) ;
– M. Raymond Lang, membre des directoires « Transports et mobilités durables » et « Énergie » de France nature environnement (FNE) ;
– Mme Brigitte Delanchy, directrice générale du groupe Delanchy et M. Yannig Renault, directeur technique.

L’audition débute à onze heures.

M. Bruno Duvergé, rapporteur, président. Je remercie d’emblée l’ensemble de nos interlocuteurs de leur présence devant cette mission d’information de la Conférence des présidents, dont les travaux portent sur sept thèmes : la vision – ou le manque de vision – de ce que sera demain le paysage énergétique en termes de production et de consommation, le développement des filières d’énergies renouvelables, la mobilité – c’est à ce titre que vous êtes auditionnés aujourd’hui –, les économies d’énergie dans l’habitat et l’industrie, le rôle des territoires – l’énergie de demain étant destinée à être produite et consommée localement –, les perspectives qu’envisagent les grands groupes énergétiques dans le nouveau paysage qui apparaîtra au cours des prochaines décennies, et enfin le financement et la fiscalité.

La table ronde publique que nous ouvrons portera sur le transport de marchandises. Vous pourrez éventuellement compléter vos interventions par des contributions écrites sur la plateforme de concertation publique qui est ouverte sur le site de l’Assemblée nationale jusqu’au 17 avril.

Mme Sylvie Charles, directrice générale du pôle « Transport ferroviaire de marchandises et multimodal » de la SNCF, administratrice de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP). Je commencerai par un constat : toutes les prévisions montrent qu’au niveau européen, les besoins de transport liés au développement économique augmenteront de 30 % d’ici à 2030, ce qui signifie, à part modale inchangée – une gageure ! – l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone d’environ 80 millions de tonnes par an, l’augmentation du nombre de décès prématurés d’environ 8 000 et l’augmentation du temps perdu dans les transports du fait de la congestion. Aujourd’hui, un citoyen européen perd en moyenne 120 heures par an dans les embouteillages routiers.

Les externalités négatives liées aux différents modes de transport montrent que le ferroviaire a un rôle à jouer pour éviter un tel scénario catastrophe qui, à l’évidence, finirait par affecter la croissance économique elle-même. Pourtant, l’expérience montre que la part du transport ferroviaire de marchandises stagne aux alentours de 18 % en Europe et 10 % en France, où ce mode de transport représentait environ 50 milliards de kilomètres en 2000, puis 41 milliards en 2006 avant toute ouverture à la concurrence – ce qui prouve que les problèmes préexistaient – pour descendre à 29 milliards entre 2008 et 2010 en raison de la crise économique et stagne depuis lors à 32 ou 34 milliards selon les années.

Que peut-on faire ? La corrélation entre l’évolution des secteurs industriels et celle du transport de marchandises est manifeste. Elle explique que l’Allemagne, où nous sommes également présents, soit une terre beaucoup plus favorable au transport ferroviaire car la densité industrielle est forte et ce pays a su conserver son industrie, contrairement à la France.

Vous nous avez invités à nous projeter vers l’avenir, monsieur le président : toutes les études dont nous disposons établissent que la décroissance des industries lourdes a atteint un plancher et que dans les dix à quinze années à venir, ce secteur devrait se stabiliser voire connaître une légère croissance. Je pense naturellement à la sidérurgie et à la chimie lourde, sans oublier le secteur agro-alimentaire. Dans le même temps, le secteur du transport combiné – de conteneurs, de caisses mobiles ou de semi-remorques – connaîtra une croissance beaucoup plus forte, ce qui témoigne de l’importance de deux éléments sous-jacents de l’économie : d’une part, la généralisation du juste-à-temps, qui va dans le sens d’une plus grande fréquence de transport et de la réduction du volume des lots – deux tendances qui ne favorisent pas le transport massifié que sont le fer et le fluvial ou le cabotage – et, d’autre part, l’inscription complète de l’Europe dans la mondialisation avec la croissance des échanges intercontinentaux.

Dans ce contexte, l’enjeu pour que le ferroviaire réponde en partie à la demande de transport consiste tout d’abord à savoir répondre aux besoins de lots plus petits et à ne pas se contenter que du massif, et ensuite à agir main dans la main avec le transport routier car le transport ferroviaire n’a pas vocation à livrer les marchandises du commerce en ligne chez les particuliers, pas plus qu’il n’a vocation à parcourir les derniers kilomètres.

Nous, acteurs du ferroviaire, n’y parviendrons ensemble qu’en parvenant à activer trois leviers. Il faut d’abord mobiliser les entreprises ferroviaires, qui ont encore beaucoup de travail à faire. Grâce à la concurrence, elles ont déjà beaucoup évolué, sont devenues plus agiles et se sont adaptées à un monde où l’économie connaît des fluctuations croissantes. Elles ont encore à faire, néanmoins, en termes d’offre de produit, car le triptyque train massif–train du combiné–wagon isolé perdure, mais aussi et surtout parce que le transport ferroviaire de marchandises suppose encore de nombreuses tâches manuelles et pénibles. Nous sommes convaincus que le numérique peut enfin déboucher sur des modèles économiques permettant l’automatisation de nombreuses tâches afin d’offrir au client – comme ce devrait déjà être le cas – un suivi en temps réel de ses marchandises.

Cela étant, les efforts, quels qu’ils soient, qui sont déployés par les entreprises ferroviaires – et je peux témoigner du fait qu’ils sont nombreux, notamment chez les opérateurs historiques – ne suffiront pas. Pour transporter des marchandises, nous avons besoin de rails et de sillons de bonne qualité. De ce point de vue, nous nous heurtons à plusieurs difficultés, particulièrement en France où la maintenance des installations a pris beaucoup de retard. Très souvent, le transport ferroviaire de marchandises utilise des lignes communes avec le transport de voyageurs mais le chargement et la livraison se font généralement dans des endroits moins fréquentés – c’est la problématique des lignes capillaires.

D’autre part, le transport de marchandises suppose des changements de conducteurs, car les trains de marchandises n’ont pas la vitesse des trains à grande vitesse (TGV) ni même des intercités. Or les voies de service n’ont pas du tout été entretenues. À Somain, Gevrey-Dijon, Miramas ou Hourcade, pour ne citer que les sites les plus connus, moins de 50 % des voies de service sont utilisables. Nous devons parfois refuser des commandes de clients et renoncer à certains trains faute de pouvoir utiliser ces voies.

Ensuite, nous avons besoin de sillons de qualité. Le potentiel de transport de marchandises étant de plus en plus souvent transfrontalier, nous nous heurtons à une difficulté : le transport ferroviaire de marchandises a été libéralisé mais, dans le même temps, les gestionnaires d’infrastructures sont restés très nationaux et dépendants des priorités de chaque État ; de ce fait, ils coordonnent très mal leurs travaux entre eux, ce qui constitue un obstacle direct au développement du transport ferré passe-frontières.

Dernier levier à mobiliser, et non des moindres : les politiques de transport en général. Il convient de prendre en compte les externalités négatives et d’assurer leur bonne couverture par chacun : à l’heure actuelle, le principe du pollueur-payeur n’est pas appliqué de la même manière selon les modes. Tant que ce ne sera pas le cas – il faudra du temps pour y parvenir – et que l’équité des règles du jeu n’aura pas été rétablie, la question du subventionnement des modes qui dégagent moins d’externalités négatives se posera. À cet égard, les politiques sont extrêmement différentes d’un pays à l’autre et celles de la France sont plutôt en retrait, même si l’on ne peut que se réjouir des récentes avancées relatives à la stabilisation du péage.

Je conclurai en évoquant deux enjeux qui s’annoncent. Le premier concerne le bruit, le second le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). Au-delà, la France fait face à une difficulté particulière qui tient à la prise en compte de l’importance de la logistique pour continuer de servir l’économie, qu’elle soit industrielle ou agricole. Travaillant dans toute l’Europe et même jusqu’en Chine, je ne peux que constater l’écart de prise de conscience entre des pays tels que l’Allemagne ou la Chine d’un côté et, de l’autre, la France qui ne se rend pas compte de l’intérêt que présente la logistique ni de la nécessité de concilier le transport de marchandises avec le transport de voyageurs.

M. Didier Léandri, président du Comité des armateurs fluviaux. Je partage en tous points l’analyse économique de Mme Charles, s’agissant notamment de l’évolution du tissu industriel français et européen depuis les années 1960 et ses effets sur l’évolution des modes de transport massifiés, qu’il s’agisse du transport ferroviaire ou du transport fluvial. Les deux cartes juxtaposées qui ornent la salle dans laquelle nous nous trouvons, la première du réseau routier de la France et la seconde de son réseau ferré et fluvial, montrent, au-delà du symbole, à quel point le ferroviaire et le fluvial obéissent à des logiques comparables.

La France est un pays maritime, comme chacun sait, mais c’est aussi un pays fluvial, ce que l’on sait moins. Elle possède 8 500 kilomètres de voies navigables, soit le réseau le plus étendu d’Europe. À ce record s’en ajoute un autre : la part de marché du transport fluvial en France est la plus faible d’Europe – environ 2 % des marchandises transportées en France, selon le critère de la tonne-kilomètre, le sont par les voies navigables.

Cette situation est le fruit de plusieurs facteurs : le développement du transport fluvial français – comme celui du ferroviaire – s’est fondé sur le développement de l’industrie lourde, c’est-à-dire du charbon et de la sidérurgie. Nos marchés se sont étiolés au fil du déclin de ces activités. La situation actuelle résulte également du choix conscient qu’ont fait les pouvoirs publics de ne pas investir dans ce mode de transport jugé passéiste et inadapté aux nécessités de son temps. Le dernier investissement structurant dans le domaine des voies navigables date des années 1950 : il s’agit du canal du Nord. Selon moi, il est impossible de fonder une stratégie de développement d’un mode de transport sans l’appuyer sur une politique d’investissement dans les infrastructures. Or c’est ce qui s’est produit d’où, ipso facto, l’absence de développement du transport fluvial en France. Parallèlement, le transport routier est devenu extrêmement performant, son évolution ayant tout simplement correspondu à la demande des clients. Cette performance est non seulement économique mais tient aussi à une constante amélioration sur le plan environnemental.

Tout cela explique la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons. A priori, pourtant, le transport fluvial constitue un choix économique et écologique rationnel. Qu’il s’agisse du bruit, de la congestion routière, de l’accidentologie ou encore des émissions de dioxyde de carbone, la performance du transport fluvial est très bonne dans tous ces domaines.

Pour se projeter en 2050, à l’horizon des engagements internationaux que la France a pris en matière de neutralité carbone, il faut envisager comment faire plus de fluvial et comment faire « mieux de fluvial ». Pour en faire plus, il faut remédier au déséquilibre du réseau : c’est comme si nous disposions d’autoroutes à quatre voies qui s’arrêtent au bout de trois cents kilomètres pour devenir des chemins vicinaux. On ne saurait bâtir un plan de transport à partir d’un réseau d’infrastructures qui présente autant de discontinuités sans se heurter à un plafond – d’où le projet que nous souhaitons et qui est déjà très avancé, même s’il subira peut-être quelque retard, d’une liaison à grand gabarit Seine-Nord.

Autre problème : l’absence de priorité accordée dans les ports maritimes français aux modes massifiés. De ce point de vue, le ferroviaire et le fluvial sont logés à la même enseigne : la France a bâti et modernisé – encore récemment – des ports en partant du principe que le pré‑acheminement et le post-acheminement maritime ne pouvaient passer que par le transport routier. Cette situation provoque la thrombose inexorable des ports et impose un plafond de verre à leur développement, qu’il s’agisse de Marseille-Fos ou du Havre. Il est donc impératif de réorganiser ces ports afin d’orienter les flux en direction des modes massifiés.

Troisième difficulté, que nous partageons avec le secteur ferroviaire : le vieillissement du réseau des voies navigables. Hormis la Seine – encore que ! – et le Rhône, le reste du réseau, soit 7 500 kilomètres, est dans un état pitoyable et nécessite une remise à niveau – je renvoie aux discussions qui se tiennent actuellement dans le cadre de la préparation du projet de loi d’orientation des mobilités et de son volet programmatique. Il faut inverser la tendance et doter l’établissement principal gestionnaire des infrastructures, Voies navigables de France (VNF), de moyens supplémentaires et significatifs.

Pour faire plus de fluvial, il faut également orienter notre politique foncière et d’aménagement du territoire. Comme – encore une fois – pour le transport ferroviaire, les clients ne sauraient recourir au transport fluvial en l’absence de terrain en bord à voie d’eau. Par nature, le transport fluvial est combiné ; les bateaux ne se rendent pas jusqu’au pas-de-porte des clients. Il faut donc faire intervenir un mode de transport terrestre, camion ou train. Or la multiplication des ruptures de charge tue la solution fluviale. À Paris ou à Lyon, on ne cesse d’aliéner des terrains en bord à voie d’eau, condamnant du même coup définitivement l’utilisation de la voie d’eau en question. Il est donc urgent de sanctuariser, de planifier et de structurer la politique foncière sur le domaine public au service du fluvial – mais Mme Charles dirait sans doute la même chose du ferroviaire.

Comment faire mieux en matière de transport fluvial ? C’est à la fois très simple en théorie et très compliqué en pratique. Il faut tout d’abord un cadre réglementaire adapté. Aujourd’hui, tous les bateaux fluviaux sans exception utilisent du gazole, et pour cause : la réglementation ne les autorisait jusqu’à très récemment pas à utiliser d’autres types de carburant – c’est aussi simple que cela. Il faut également un cadre de planification des installations d’avitaillement : pour utiliser d’autres types d’énergie comme l’hydrogène, le gaz comprimé, le gaz de ville ou bien d’autres encore, il faut créer un circuit de distribution cohérent et maillé sur le réseau d’infrastructures. Hélas, nous ne disposons pas encore d’un outil de planification de ces installations, qui pourraient d’ailleurs fournir plusieurs types d’énergie à plusieurs modes de transport. Encore une fois, cependant, si elles ne sont pas placées en bord à voie d’eau, les bateaux ne pourront pas en profiter. En fin d’année, le port de Gennevilliers inaugurera une station de gaz naturel comprimé. Or elle est placée de telle manière que les bateaux n’y auront pas accès ! Autrement dit, elle est entièrement consacrée au transport routier. À Paris, au pont de l’Alma se trouve une station à hydrogène : elle est à plusieurs dizaines de mètres du fleuve ! En clair, il est indispensable de structurer et de planifier ces installations qui coûtent extrêmement cher et qui peuvent être financées par le secteur privé, pourvu que ce soit dans un cadre cohérent qui porte naturellement un regard sur le transport routier mais aussi sur le transport ferroviaire.

Au-delà du cadre de planification, la fiscalité doit être incitative. Le gazole est actuellement détaxé pour le transport de marchandises ; toutes les énergies alternatives, y compris les énergies totalement vertes, sont taxées. Cherchez l’erreur !

Plus globalement, il faut qu’une stratégie de développement des modes massifiés soit défendue au plus haut niveau ; aujourd’hui, cette stratégie, si elle existe, n’est ni incarnée ni défendue. Nous touchons selon moi aux limites du modal ; il faut donc prendre un certain nombre de mesures.

M. Benoît Daly, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). Les freins que nous identifions en tant que profession du transport routier de marchandises sont de plusieurs natures.

Le premier est l’atomisation de notre secteur. Le transport routier de marchandises français est dominé par des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) : 36 000 entreprises pour 400 000 emplois directs. Il est soumis à la concurrence extrêmement forte des pavillons low cost, notamment d’Europe centrale ou d’Europe du sud : en vingt ans, la France est passée de la troisième à la quinzième place en Europe. Cela explique que sa marge moyenne soit de 1,5 %. Les postes de charges concernés par la transition énergétique – la possession du véhicule et le carburant – représentent globalement 46 % des coûts de revient d’un véhicule lourd pour une entreprise de transport. Changer de technologie pour un transporteur, particulièrement s’il s’agit d’une TPE ou d’une PME, constitue une prise de risques majeure qui n’est pas à portée de toutes les entreprises dans ce secteur fragilisé.

Nous avons par ailleurs à prendre en compte le contexte réel dans lequel évoluent nos entreprises. Dans l’environnement des chefs d’entreprise du transport routier de marchandises, peu d’acteurs sont animés d’une forte exigence en matière énergétique. Or la transition écologique se joue au niveau de l’écosystème local de nos entreprises qui sont profondément ancrées dans les territoires : avec le concessionnaire local, représentant du constructeur ; avec leurs clients directs ; avec les pouvoirs publics locaux. Cette transition passe par une pédagogie préalable ainsi que par une appropriation par l’entreprise des contraintes nouvelles induites par les véhicules utilisant une énergie alternative. Dans notre secteur, le temps de l’entreprise est un temps court : c’est celui des opérations quotidiennes et non d’une projection sur dix ou vingt ans. Si les entreprises se sont efficacement approprié la trajectoire des normes Euro des véhicules, c’est que celle-ci correspond à un rythme compatible avec la durée de possession des véhicules, de l’ordre de cinq à huit ans, et avec la fréquence de renouvellement du parc de poids lourds, donc à la valeur de revente des véhicules qui entre dans le calcul de la valeur de l’entreprise elle-même. Ainsi 80 % du parc de poids lourds de nos adhérents sont aux normes Euro 5 ou Euro 6, les normes Euro les plus favorables.

La marge moyenne de 1,5 % dans notre secteur d’activité équivaut à une moyenne de 7 kilomètres par jour Autant vous dire qu’un transporteur est hors marché si ses véhicules doivent effectuer un détour supérieur à 7 kilomètres pour aller s’approvisionner en carburant alternatif dans une station d’avitaillement.

Les transporteurs sont soumis à une communication tous azimuts de constructeurs sur les solutions alternatives – véhicules à l’hydrogène ou à l’électricité – qui ne trouveront d’application industrielle réaliste s’approchant des conditions actuelles d’utilisation des véhicules au diesel que dans plusieurs décennies. Le modèle économique pour ces solutions alternatives est totalement inexistant. Les véhicules sont trois à cinq fois plus chers que les modèles en fonction. Les réseaux d’avitaillement sont inexistants alors que le transport routier de marchandises a de gros besoins en carburant. Les retours d’expérience sur la fiabilité de ces véhicules sont absents. Et comme il n’y a pas de marché revente, leur valorisation dans les comptes des entreprises est de zéro. En outre, il n’y a pas de formation des concessionnaires, ce qui n’est pas le moindre des obstacles. Enfin, leur autonomie est largement insuffisante : celle d’un véhicule électrique de 4 tonnes en test actuellement chez l’un de nos adhérents est de 120 kilomètres contre 700 à 800 kilomètres pour les véhicules en usage.

Il n’y a qu’une seule technologie qui fait aujourd’hui exception, c’est le gaz naturel pour véhicules, le GNV. Il a su convaincre certaines entreprises de notre secteur, de toutes tailles, ce qui un élément extrêmement positif. Cette transition a pu s’effectuer grâce à plusieurs facteurs : une offre de véhicules fiables, dont l’autonomie était consistante, prérequis indispensable pour nos entreprises ; la mise en place d’un réseau d’avitaillement atteignant aujourd’hui 140 stations, à la suite d’actions menées par les pouvoirs publics à partir de 2015, notamment l’appel à projets GNV ; un coût opérationnel sensiblement comparable aux véhicules actuels grâce à une fiscalité favorable, notamment le suramortissement qui permet de lisser le surcoût d’achat et de possession des véhicules ; la loi de finances pour 2018 qui a donné une trajectoire intéressante pour la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au GNV jusqu’à 2022.

En termes de trajectoire, l’un des éléments à prendre en compte, c’est la réglementation européenne. Pour les camions, l’Union européenne s’intéressait principalement aux émissions d’oxyde d’azote, les NOx, mais le Parlement européen vient de fixer deux objectifs assortis de pénalités pour les constructeurs en matière d’émissions de gaz à effet de serre : une réduction de 15 % en 2025 et de 30 % en 2030 par rapport à 2019, ce qui constitue une baisse spectaculaire, compte tenu du fait que les véhicules sont déjà considérés comme étant très performants.

La transition énergétique n’est pas une fin en soi. L’objectif que nous avons collectivement, c’est la baisse concomitante des émissions de gaz à effet de serre et des polluants.

On a tendance à sous-estimer les efforts actuellement déployés par les transporteurs français pour faire baisser les émissions. Je voudrais rappeler que, depuis 2008, nous avons mis en œuvre avec le soutien de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et du ministère des transports un dispositif d’engagement volontaire unique en Europe, « Objectif CO2 » qui a permis de réduire de plus de 2 millions de tonnes de CO2 les émissions du secteur. Notons que ce dispositif est d’autant plus pertinent qu’il est accessible aux PME et TPE. Il fait la jonction entre les gains environnementaux attendus collectivement et les gains économiques nécessaires à chaque entreprise.

Grâce au transport routier de marchandises, la France présente la plus grosse progression en Europe en matière de véhicules lourds au GNV. Ceux qui ont initié cette démarche en 2015 rachètent aujourd’hui des véhicules car c’est un modèle qui correspond à leurs attentes, notamment en termes économiques et opérationnels.

Il existe un parallèle entre le report modal mis en avant par Mme Charles et M. Léandri et la transition énergétique du transport routier de marchandises. Pour se concrétiser, les solutions alternatives doivent proposer en premier lieu un modèle économique sensiblement similaire à la solution existante majoritaire. Elles doivent garantir une fiabilité technologique éprouvée car il est impossible pour les TPE et PME d’essuyer les plâtres d’une nouvelle technologique. Elles doivent assurer une souplesse conforme à l’agilité attendue par le consommateur final en matière de mobilité. Elles doivent proposer une pérennité sur le long terme, qu’il s’agisse de la fiscalité, du réseau d’avitaillement ou de l’offre des constructeurs. Elles doivent dessiner une trajectoire positive d’améliorations pour le secteur, par exemple la possibilité de développer du GNV bio, renouvelable et produit en France. Enfin, elles doivent s’accompagner d’une parfaite objectivité grâce à la comptabilisation des émissions réelles de chaque mode, du puits à la roue.

M. Raymond Lang, membre des directoires « Transports et mobilités durables » et « Énergie » de France Nature Environnement. Je partage l’analyse qu’a faite M. Léandri du transport fluvial, qui est assez proche, par certains côtés, du transport ferroviaire. Il s’agit de deux modes alternatifs au transport routier qu’il faut essayer de développer pour parvenir à une transition énergétique satisfaisante pour l’amélioration de la qualité de l’air. Nous savons que celle-ci est affectée par les transports de deux manières : par les polluants que sont les oxydes d’azote et par les particules fines et ultrafines qui proviennent de la motorisation diesel, présente dans tous les modes de transport mais dans une moindre mesure dans le secteur ferroviaire. C’est ce qui fait, je crois, l’intérêt majeur du rail : il peut se passer en grande partie du gazole. À cela s’ajoutent les émissions de gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone mais aussi le méthane qui a un effet plus marqué sur le court terme qu’il faudra davantage prendre en compte avec l’aggravation du réchauffement climatique. Le transport routier, mode de transport des marchandises dominant, est à l’origine d’émissions de CO2 élevées que nous devrons essayer de réduire.

Pour parvenir à une bonne transition énergétique, il faut voir comment les modes les plus respectueux de l’environnement peuvent cesser de perdre des parts de marché.

L’humanité commence à prendre conscience des enjeux environnementaux. On le voit à travers les manifestations récentes qui ont mobilisé les jeunes générations. En contestant les positions prises par les générations antérieures, elles nous montrent sans doute le chemin qu’il faut suivre.

Il faut bien sûr trouver des modes alternatifs. Le transport routier aura toujours une pertinence mais il doit évoluer et les propos que vient de tenir Benoît Daly me rassurent car ils montrent que des motorisations plus adaptées que le diesel commencent à émerger. Le moteur diesel a été un excellent moteur sur le plan du rendement mais quand on en fait l’analyse écologique, il s’avère qu’il pollue énormément et que jusqu’à présent, il n’y a eu que de fausses solutions pour l’améliorer. Il faut savoir renoncer à cette motorisation et au carburant d’origine fossile qui y est associé, le gazole. Cela prendra du temps mais il y a des ouvertures qui se profilent.

Sur le long terme, le transport ferroviaire a perdu depuis la seconde guerre mondiale beaucoup de parts de marché. Lors de la première crise pétrolière, on aurait pu penser qu’il reprendrait de l’essor mais cela n’a pas été le cas : il a hélas perdu 10 % de son trafic et n’a par la suite jamais repris sa place. Sa part de marché s’est stabilisée depuis 2011 pour se fixer à 10 % avec, en 2016 et 2017, une légère diminution car les récoltes de céréales n’ont pas été excellentes. Le transport ferroviaire n’a pas connu un environnement favorable pour pouvoir se maintenir.

Il faut redonner de l’élan au fret ferroviaire comme au fret fluvial afin de créer les conditions d’un vrai report modal, comme la Commission européenne en a exprimé le souhait en 2001 dans son Livre blanc consacré aux transports. Cette reconquête ne s’est pas produite et la Commission en porte une part de responsabilité car elle n’a pas suffisamment intégré le fait que la concurrence entre mode ferroviaire et mode routier est souvent déloyale. Il appartient aux pouvoirs publics de fixer un cadre pour qu’elle se déroule de façon plus honnête.

Le mode ferroviaire a des atouts à faire valoir. Du fait des caractéristiques du contact rail-roue, il a une très faible résistance à l’avancement. Il permet de faire des économies d’énergie : par tonne utile transportée, les dépenses d’énergie sont six fois moindres. Toutefois se pose le problème de l’extension des réseaux. Il faudrait que le mode ferroviaire soit en mesure de renoncer au diesel même pour la desserte terminale mais nous savons que l’électrification des derniers kilomètres coûte encore trop cher. Or je ne vois pas poindre de solutions matures comme dans le transport routier avec le gaz naturel.

Le gaz naturel est une énergie fossile mais il a la possibilité de se transformer en énergie renouvelable et écologique. C’est peut-être la seule énergie qui soit dotée de cette caractéristique. La même molécule, le méthane, CH4, peut être soit d’origine fossile soit d’origine renouvelable. On va désormais laisser le carbone enfoui dans la croûte terrestre depuis des millions d’années pour utiliser le cycle court du carbone, ce qui permettra de réduire les émissions de CO2 de l’ordre de 80 %.

Le déclin du rail tient aussi à d’autres raisons. Accéder au réseau ferroviaire est plus complexe que d’accéder au réseau routier, car cela nécessite des embranchements particuliers dont l’amortissement nécessite un trafic régulier. Sur le plan international, des contraintes techniques comme l’écartement des voies pèsent aussi.

Le trafic marchandises ne paie pas réellement le coût des infrastructures, qui est payé essentiellement par le véhicule léger, dont l’impact sur l’infrastructure est 10 000 fois moindre qu’un véhicule lourd. Sur le réseau concédé, la tarification est trois fois supérieure. Elle est donc très éloignée du rapport d’usure.

Ce sont autant de raisons pour revoir le cadre de fonctionnement du mode de transport routier et des modes de transports alternatifs.

Mme Brigitte Delanchy, directrice générale du groupe Delanchy. La transition énergétique doit se faire rapidement, avec une vision claire et à long terme. En tant que représentante d’une entreprise de transport, je crois pouvoir dire qu’il n’y a pas de freins humains au sein du transport de marchandises routier. Les consciences sont éveillées. Il va nous falloir réussir ensemble mais avant tout changer ensemble. Si par le passé le transport fluvial, le transport ferroviaire et le transport routier se sont opposés, ne serait-ce pas le moment d’envisager une nouvelle manière de concevoir les choses ?

Il ne s’agit pas pour autant de stigmatiser le bon vieux moteur diesel qui n’est pas le diable qu’on se plaît à présenter. La mixité des carburants est nécessaire aujourd’hui.

Nous avons besoin que les pouvoirs publics impriment une volonté. Les initiatives privées existent, ce qui est une note positive. Elles sont soutenues par nos différents collaborateurs et elles pourront l’être par toute sorte d’acteurs si on ne procède pas de manière hégémonique et qu’on laisse plus de temps à certaines entreprises. Il manque simplement des déclencheurs.

Les gouvernements doivent pouvoir s’opposer à la gouvernance de l’Europe. Y a-t-il besoin d’autant de normes ? Faut-il vraiment aller vers des normes Euro 7, Euro 7+, voire Euro 8 qui imposeraient aux constructeurs de délais très courts pour s’y conformer ? Les budgets de développement ne devraient-ils pas plutôt être consacrés à l’émergence de nouvelles énergies ? Nous sommes lestés par la lourdeur administrative des réglementations alors qu’on nous parle d’un monde agile et souple.

Il faudrait parvenir à fédérer les initiatives privées au niveau national. La France a des atouts incroyables. Elle est très en avance en matière de gaz. Des circuits courts permettraient de favoriser le biogaz. Il importe d’apprendre à vivre ensemble dans une économie qui soit davantage circulaire. Nous ne devons pas transporter l’énergie que nous consommons. Et si nous produisons de l’énergie, il faut pouvoir la remettre dans les réseaux pour qu’elle profite à d’autres utilisateurs. Je suis persuadée que nous avons la capacité de réussir ensemble aujourd’hui.

Je considère qu’il faut faciliter les passerelles entre la recherche et les applications industrielles. Je suis une fervente partisane de l’hydrogène mais je déplore que les merveilleuses recherches menées à Grenoble par le Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) restent dans un caisson étanche. Comment les ouvrir aux constructeurs ? Comment faire en sorte que nous testions ces nouvelles technologies pour en faire ensuite profiter le plus grand nombre ? Nous avons besoin de vous pour décloisonner. C’est grâce aux porteurs de projets que nous pourrons atteindre demain l’ensemble de la profession. Au sein du transport routier de marchandises, il n’y a plus personne à convaincre. Nous savons tous que nous n’avons qu’une seule planète. Nous ne souhaitons pas être pointés du doigt comme étant les plus gros pollueurs au monde. Nous avons la capacité à rebondir rapidement : il est dans notre ADN de savoir être agiles puisque les flux hyper-rapides sont notre quotidien. Préparez-nous un terrain fertile pour nous permettre de nous adapter.

Aujourd’hui, les consommateurs sont en train de changer leurs habitudes. Et certains commerçants ne savent pas quel sera le commerce de demain. Ne rendons pas complètement imperméables les centres-villes. Certaines municipalités interdisent leur accès aux poids lourds et aux véhicules diesel, de sorte que vous voyez s’y multiplier de petites camionnettes qui ne sont pas soumises aux normes. Ceux qui les conduisent ne sont astreints à aucune exigence professionnelle et peuvent se rendre coupables d’incivilités ou d’infractions au code de la route alors que les professionnels de la route que sont nos chers collaborateurs sont relégués aux portes des villes. Est-ce souhaitable ? Quelles solutions trouver ensemble ? Ne pourrait-on envisager une harmonisation des décisions municipales afin d’éviter toute anarchie et toute application brutale ?

Bref, nous avons besoin de vous pour travailler ensemble.

M. Bruno Duvergé, rapporteur, président. Ma circonscription du Pas-de-Calais verra passer le canal Seine-Nord Europe, initiative que je soutiens ainsi que le développement des infrastructures devant l’entourer.

Vous avez affirmé que le transport routier est très performant, et qu’il a su s’imposer. On a aussi pu assister au développement de la logistique qui accompagne ce mode de transport, et qui constituait le pendant de la désindustrialisation ; il faut ainsi songer aux plateformes multimodales qui équiperont le canal Seine-Nord et savoir si elles pourront prendre en charge l’acheminement des mêmes marchandises que le transport routier.

À côté de la plateforme multimodale de Marquion se trouve une base aérienne, qui je l’espère, sera transformée en l’une des plus grandes bases de commerce en ligne d’Europe. Mais l’entrepreneur l’a située à cet endroit pour la proximité du réseau routier, pas pour celle du canal ; il n’est donc pas prévu que les marchandises puissent circuler par train ou sur le canal.

Je suis parfaitement d’accord avec l’utilisation du bio-GNV dans le transport poids-lourd, qu’il faut développer ; les constructeurs de camions s’y intéressent. En revanche, la problématique du dernier kilomètre demeure ; à cet égard, beaucoup reste à faire dans le domaine de l’organisation logistique des centres-villes, et le transport utilisant l’électricité ou l’hydrogène pourrait être la solution.

On peut aussi imaginer le recours au ferroviaire en centre-ville : pourquoi pas le RER fret ou le métro fret pour entrer en ville ? Au dernier Mondial de l’automobile, des constructeurs ont présenté des véhicules autonomes de fret destinés à desservir toute la e-logistique des centres-villes. Quelle vision avez-vous de ce sujet ?

Au mois d’avril 2018, notre collègue Damien Pichereau a remis à la ministre chargée des transports un rapport sur l’utilisation des véhicules utilitaires légers, notamment pour couvrir les grandes distances. En effet, ces véhicules ne sont pas astreints aux mêmes normes que vous, transporteurs, et on voit désormais ces camionnettes bâchées circuler sur les autoroutes. Or ce rapport montre que le bilan CO2 de cet usage des véhicules légers est pire ; mieux vaut un gros camion que dix petits véhicules !

En ce qui concerne la SNCF, la ministre des transports met l’accent sur la rénovation du réseau plutôt que sur la création de nouvelles infrastructures, ce que nous approuvons, mais cela concerne-t-il les voies de service ? Ne faudra-t-il pas que le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) le prévoie ?

À cet égard, vous pourriez peut-être m’aider à rédiger un amendement tendant à prévoir que les stations fournissant aux transports de l’électricité, de l’hydrogène, etc. soient implantées aux bons endroits afin que chacun puisse en profiter… (Sourires.)

M. Benoit Daly. S’agissant du dernier kilomètre, il faut avoir conscience qu’il s’agit d’une logistique dont les coûts sont élevés et les recettes faibles. C’est un secteur dans lequel la possession de véhicules excède rarement deux ans, ce qui d’ailleurs est aussi la durée de vie moyenne des entreprises concernées. Nous sommes donc en présence d’une concurrence franco-française extrêmement sauvage, dans le cadre de laquelle agissent des acteurs souvent non déclarés, très faiblement formés et utilisant des véhicules généralement en fin de vie.

Pire encore, l’un des facteurs qui jouent contre toute amélioration est l’attente des consommateurs. Vous avez évoqué la plateforme de commerce électronique qui se crée dans votre circonscription ; le pendant de cette forme de consommation, c’est que le client veut tout, tout de suite, sans payer les conséquences économiques et environnementales résultant de cette rapidité. Pour vous en convaincre, il vous suffit de vous connecter à une plateforme américaine bien connue et de commander un colis aujourd’hui : vous serez livré ce soir par un véhicule qui ne peut pas être plein, qui ne peut pas être optimisé. Cette évolution est poussée par le consommateur à qui on propose toujours plus, ce qui est le cas de cette plateforme notamment, du transport gratuit, car il est offert. Dans la mesure où vous ne payez pas la conséquence de vos actes, vous n’en êtes absolument pas conscient.

C’est un des éléments à prendre en compte dans la logistique du dernier kilomètre, domaine dans lequel il y a fort à faire, et dans lequel l’utilisation de véhicules performants sur le plan écologique pourrait avoir des effets bénéfiques pour une grande partie de la population française. Mais c’est aussi le secteur où il sera sans doute le plus difficile d’imprimer cette trajectoire.

Pour répondre à la question sur la possibilité de favoriser le report modal en faisant transporter des colis de la messagerie par des trains ou sur des voies navigables, je dirai que, malheureusement, l’attente du consommateur porte aussi sur une certitude de qualité et de rapidité. Sans connotation péjorative, je rappelle qu’il s’agit de modes de massification, ce qui fait leur efficacité, mais ce qui les soumet aussi à des contraintes liées à la nature même des infrastructures utilisées, voire à la concurrence existant entre le transport ferroviaire de passagers et celui de marchandises, qui joue toujours en faveur du premier.

Nous avons une expérience dans ce domaine puisque, jusqu’au milieu des années 1990, une partie des colis était acheminée en transport combiné. Pendant cinq ans, j’ai participé au développement du transport combiné par le tunnel sous la Manche. J’ai ensuite été amené à diriger une des entreprises françaises de transport combiné, qui malheureusement a subi les hausses tarifaires de la SNCF.

M. Bruno Duvergé, rapporteur, président. Qu’entendez-vous par transport combiné ?

M. Benoit Daly. Le transport combiné consiste à mettre des conteneurs, des caisses mobiles, sur des wagons, dans des terminaux et à les expédier à 400 ou 600 kilomètres de distance. Ce mode de transport fonctionnait très bien, mais rencontrait des problèmes, car lorsque survient une grève ferroviaire de trois mois, cela entraine forcément des conséquences sur la qualité de la prestation. Ce mode est toutefois efficace, il est d’ailleurs abondamment utilisé aux États-Unis, y compris par les opérateurs de messagerie, car il est massifié et économique sur la longue distance.

Les Allemands l’utilisent beaucoup, car les lieux de production et de consommation sont assez harmonieusement répartis sur l’ensemble du territoire. Pour sa part, la France présente la particularité qu’une bonne partie de l’activité se situe à l’est d’une ligne passant entre Le Havre et Marseille, et ne bénéficie pas de cet effet d’harmonisation qui prévaut en Allemagne, alors que son opérateur ferroviaire historique a fait des choix parfois contestables.

Mme Sylvie Charles. Je rappelle que le secteur est ouvert depuis plus de dix ans, et que l’on a le choix entre une trentaine d’entreprises ferroviaires, ce qui n’exclut pas quelques difficultés.

Des opérateurs agissent dans le transport combiné ; ils proviennent aussi bien des grands groupes que des entreprises familiales, et leur rôle est de lancer une ligne, soit à partir d’un port, soit de manière continentale. La difficulté qu’ils rencontrent est celle du remplissage suffisant de cette ligne ; ils sous-traitent le plus souvent la traction sur rails à une entreprise ferroviaire, car celle-ci est rarement intégrée, par ailleurs, ils investissent dans de la caisse mobile.

La difficulté du transport combiné est double : il faut trouver des zones de remplissage suffisant, et les ports sont des points naturels de massification, c’est pourquoi beaucoup de lignes partent de Fos-Marseille, du Havre, d’Anvers ou de la région bordelaise ; vos clients sont alors des transporteurs routiers pour tout ce qui concerne le transport continental ou des armateurs et des transitaires pour tout ce qui vient de la mer.

Attirer les entreprises de transport routier nécessite une grande fiabilité. À cet égard, les grèves de 2016 et 2018, pendant laquelle nous ne pouvions pas circuler en France, ou très mal puisque les postes de circulation du gestionnaire de l’infrastructure n’étaient pas tenus, ont été désastreuses. Cela pose le problème de la continuité d’un service qui s’apparente à un monopole naturel, qui vous paralyse, s’il n’est pas assuré.

Dans le même temps, le transporteur routier doit réaliser un investissement spécifique dans des caisses mobiles ou des semi-remorques préhensibles. L’effort que nous avons fourni, auquel nous avons été incités par notre actionnaire l’État français, a consisté à adopter un système complètement adapté au transport routier ; c’est donc le transport ferroviaire qui a dû s’adapter. Ce fut le choix de ce que l’on a appelé les autoroutes ferroviaires, appuyé sur une technologie de wagons surbaissés sur lesquels sont chargées horizontalement des semi-remorques développées par le groupe alsacien Lohr.

À travers notre filiale VIIA, nous visons tout le trafic de la France ; c’est pourquoi nous sommes parfaitement complémentaires avec les transporteurs routiers qui sont nos clients, et qui hélas, battent désormais très rarement pavillon français. Nous prévoyons de transporter en 2019 environ 135 000 semi-remorques, ce qui est certes faible, mais n’en constitue pas moins un élément tangible de transfert de la route au rail, qui économisera près de 100 millions de tonnes de CO2 à travers toute la France.

Vous avez demandé, monsieur le président, à quel type de marchandises pouvait s’adresser le transport massifié. Nous devons continuer à servir, et à bien servir, ce qu’il reste de nos grandes industries – sidérurgie, chimie, agroalimentaire – qui ont le mieux passé la crise, ainsi que ce qu’il reste des exportations de céréales françaises. À cette fin, nous devons continuer à améliorer le rapport tonne tirée par une seule locomotive : ainsi, à partir de Dunkerque, nous tirons des trains de 4 600 tonnes. Ce qui est une manière pour l’industrie sidérurgique de trouver un intérêt à développer ses usines en France.

Toutefois, si nous voulons augmenter à nouveau la part du ferroviaire et du transport combiné dans le transport pour consommer moins d’énergie, nous devons parvenir à nous adapter enfin à cette économie du XXIe siècle, qui est une économie de petits lots. À cette fin nous devons disposer de solutions plus flexibles ; être capables de prendre des coupons de wagon, mais aussi de jouer complètement la multimodalité, que ce soit avec des caisses mobiles, des semi-remorques et des conteneurs.

La question est de savoir comment intégrer dans une chaîne une rupture de charge tout en offrant, in fine, le même coût qu’un long parcours effectué par un camion. Le faire pour de courtes distances ne sert à rien, sauf pour un trafic très intensif. Pour le reste, en revanche, cela signifierait travailler main dans la main avec des routiers ; c’est ce que nous faisons, en créant même des joint-ventures avec eux afin d’offrir des solutions à l’industrie automobile.

Cela appelle encore un environnement réglementaire qui, pour l’avenir, n’obère et n’empêche pas, ces solutions. M. Léandri l’a fort bien souligné ; dès lors que nous n’avons plus de bord à bord possible, nous ne pouvons plus travailler de cette façon avec des transporteurs routiers. En Allemagne, par exemple, toute zone logistique nouvelle dispose obligatoirement d’un embranchement ferroviaire et d’un accès fluvial, c’est pourquoi il est plus facile de construire des solutions multimodales avec les routiers.

M. Raymond Lang. Dans le numéro du mois de mars dernier de la Revue générale des chemins de fer, j’ai lu un article sur la solution retenue par les chemins de fer suisses autour de Genève. J’ai été relativement stupéfait de voir à quel point on peut arriver à faire de la distribution extrêmement pointue en couplant le ferroviaire et le routier.

Cela exige un important travail initial de préparation, mais la grande entreprise de distribution Coop a fait le pari d’alimenter de l’agglomération de Genève à la fois par le ferroviaire et le routier. Des trains partent ainsi régulièrement d’une zone de distribution située à environ 67 kilomètres de Genève, au-dessus de Lausanne, et transportent des conteneurs parfaitement adaptés au trafic qui rejoignent des camions dans la zone de la Praille afin de desservir la quarantaine de supermarchés du groupe par route, ce qui évite l’encombrement de l’autoroute entre Genève et Lausanne.

Ce dispositif paraît rentable et le groupe envisage de le développer au-delà. De façon générale, contrairement à la plupart des autres, les chemins de fer suisses n’ont jamais abandonné la messagerie, ce qui montre bien que des solutions existent aujourd’hui. Nous pourrions envisager d’aller voir comment nos voisins suisses procèdent, car ce modèle pertinent et constant dans la durée peut être développé au-delà de l’agglomération genevoise.

M. Didier Léandri. Si le transport fluvial et le transport ferroviaire restent cantonnés dans leurs marchés historiques, ils n’auront aucune perspective de contribution supplémentaire à la transition énergétique, au règlement de la question de la saturation de certaines parties du réseau routier ou à la réduction des nuisances.

Notre secteur est tout entier tourné vers la diversification de ses marchés, dont le transport de conteneurs. Par construction, le conteneur héberge plusieurs lots appartenant à différents clients, et c’est le marché de la grande consommation et du petit lot qu’il doit viser. Nous avons la chance que des volumes considérables transitent dans les ports maritimes ; la situation est d’ailleurs paradoxale, car il n’y a jamais eu autant de flux entrants dans les ports maritimes français qu’aujourd’hui.

Les nouvelles alliances maritimes conduisent à une très grande concentration de l’activité sur trois jours de la semaine, ce qui nécessite ensuite de passer le goulot d’étranglement du port pour distribuer à l’autre bout de la France la brosse à dents que le client a commandée sur Amazon. Dans ce contexte, les extrêmes se combinent, et je ne crois pas que le transport fluvial ou ferroviaire puisse constituer une solution universelle.

En revanche, une contribution de quelques points supplémentaires de ces modes de transport dans le volume global serait de nature à diminuer un certain nombre de phénomènes importants de nuisances. Nous ne prétendons toutefois pas porter la part du transport fluvial à 20 % et celles du transport ferroviaire à 50 %, c’est totalement impossible.

Par ailleurs, je rappelle que nous faisons déjà la livraison de petits colis ; depuis quatre ans, des barges porte-conteneurs accostent au port de la Bourdonnais, aux pieds de la tour Eiffel, pour livrer les magasins Monoprix de Paris. Un modèle économique autour de cette activité ne peut cependant pas exister si ni l’effet d’intégration et d’image, ni les externalités, qui ne le sont pas aujourd’hui, n’y sont intégrés.

Ainsi, un certain nombre de solutions pouvant sembler hors cadre ne sont-elles pas encore rentables, mais il est possible de rebâtir un modèle économique autour d’elles ; nous en sommes convaincus. Au mois de juin prochain, une ligne parisienne de desserte fluviale de messagerie va être lancée à Paris, avec de la préparation de commandes à bord des bateaux. Avec un peu d’imagination, on peut développer ce type de solutions, en ayant toutefois conscience qu’elles ne seront jamais majoritaires dans le concert des modes de transport.

Vous avez évoqué, monsieur le président, le cas des stations d’avitaillement. Une initiative est effectivement à prendre dans le cadre de la LOM sur la question de la transversalité. Beaucoup d’initiatives sont prises dans le domaine de la transition énergétique, mais elles sont isolées, et demeurent cloisonnées par mode de transport ; en quelque sorte, nous ne nous parlons pas. Cela est d’autant plus regrettable que les activités de recherche-développement comme d’application nécessitent beaucoup de moyens, et c’est pourquoi j’appelle à leur mise en synergie entre les différents modes de transport.

Aujourd’hui, par exemple, la production de moteurs pour le secteur fluvial en Europe représente 150 unités par an ; il est évident que les motoristes ne vont pas investir dans la recherche-développement pour ces engins. En revanche, combien de moteurs routiers sont-ils produits chaque année en Europe, monsieur Daly ?

M. Benoit Daly. Chaque jour en Europe, 1 500 véhicules lourds sortent des chaînes de production des constructeurs.

M. Didier Léandri. Cela montre qu’il vaut mieux travailler avec le secteur routier pour faire de la « marinisation » afin de profiter d’effets d’échelle et de synergies. Il en va de même lorsque l’on parle de stations d’avitaillement ; il faut toujours avoir ce réflexe transversal que nous n’avons pas suffisamment aujourd’hui.

M. Yannig Renault, directeur technique du groupe Delanchy. Nous avons évoqué la pertinence de l’utilisation du biométhane, mais celle-ci nécessite une orientation véritable propre à rassurer les constructeurs, lesquels, pour pouvoir produire un matériel, ont besoin de visibilité sur un marché. En ce sens, je partage les propos de M. Léandri.

Certains constructeurs de poids-lourds ne se lancent pas dans la construction de véhicules utilisant cette énergie parce qu’ils n’ont pas la certitude de pouvoir amortir leurs frais de développement. Une vraie stratégie de promotion du biométhane permettant une exonération de l’émission de CO2 serait de nature à les rassurer, ils pourraient alors produire des moteurs à gaz susceptibles d’être utilisés pour divers modes de transport. Les constructeurs ont besoin d’être assurés de l’existence d’un marché pour décider de développer la gamme, faute de quoi, nous ne pouvons pas aujourd’hui acquérir certaines catégories de véhicules fonctionnant au gaz dont nous aurions besoin.

M. Bruno Duvergé, président. J’ai été interpellé par un constructeur qui propose une solution mixant du GNV et 5 % de diesel ; cette initiative vous semble-t-elle pouvoir prospérer ?

M. Yannig Renault. Ce type de matériels présente un vrai intérêt écologique ainsi qu’une réelle pertinence ; la difficulté résidera dans leur homologation. Beaucoup de grandes agglomérations font la guerre au diesel, et si ces moteurs sont homologués diesel au titre de la part de ce carburant qu’ils utilisent, ils seront, de façon paradoxale, interdits en ville. C’est d’autant plus regrettable que le diesel ne sert qu’à produire l’étincelle, alors que le carburant réellement consommé est du gaz. Ce dual fuel représente une très belle technologie, mais les réglementations prohibant le diesel pourraient la tuer dans l’œuf.

Mme Sylvie Charles. Permettez-moi un dernier mot sur la desserte des ports, compte tenu du volume de conteneurs qui y transite. Le port du Havre illustre parfaitement les difficultés que connaît cette transition : le développement du ferroviaire y est entravé par le fait que les sillons sont largement consacrés aux trains de voyageurs – et le seront davantage encore demain avec Éole, de Paris à Mantes et au-delà. Conscients de cette situation, les pouvoirs publics ont quelque peu anticipé la difficulté – même si nous peinons déjà beaucoup à obtenir les sillons dont nous avons besoin sur l’axe Le Havre-Paris vers l’Allemagne ou vers Lyon, c’est-à-dire tout l’hinterland du port. Il a donc été prévu de remettre à niveau la fameuse ligne Serqueux-Gisors. Or cette décision a aussitôt provoqué une levée de boucliers parmi les responsables politiques du Val-d’Oise, poussés par les habitants qui, pourtant, ont souvent acheté leur logement alors que la voie ferrée existait déjà – et leur a même permis d’acheter moins cher ! Ailleurs, la politique d’urbanisme a consisté à bâtir sur les terrains proches de la voie ferrée non pas des zones d’activité mais des immeubles de logements, alors que des trains circulaient déjà. Dans ces conditions, le gestionnaire d’infrastructures et les pouvoirs publics ont beaucoup de difficultés à faire accepter le projet Serqueux-Gisors.

Admettons néanmoins qu’il se fasse : nous, entreprise ferroviaire, ne serons pas pour autant tirés d’affaire car, pour le gestionnaire d’infrastructures, cette ligne ne relève pas des critères d’investissement correspondant à la règle d’or qui lui a été imposée. Il n’aura donc d’autre choix que de fixer des péages. Or, si Serqueux-Gisors coûte plus cher que ce que coûte actuellement la desserte du Havre, nous aurons favorisé non pas un report modal mais, au contraire, un contre-report modal. N’oublions pas, en effet, que le transport ferroviaire de marchandises suit avant tout le coût du transport routier. Si le coût des infrastructures explose sur la ligne Serqueux-Gisors, nous ne pourrons pas développer le trafic ferroviaire et ne pourrons donc pas augmenter la part du ferroviaire dans le transport des marchandises arrivant au Havre.

M. Bruno Duvergé, rapporteur, président. Je vous remercie pour vos interventions. Je retiens de cette table ronde que nous associons trop rarement l’ensemble des acteurs du transport de manière transversale comme aujourd’hui ; c’est une idée à creuser, car la multimodalité permet de répondre à de nombreuses questions.

 

L’audition s’achève à douze heures trente.


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29.   Jeudi 9 mai 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur le financement de la transition énergétique :
– M. Jean Jouzel, climatologue, président d’honneur et co‑initiateur de Pacte « Finance climat », et M. Pierre Larrouturou économiste et co‑initiateur de Pacte « Finance climat »;
– Mme Virginie Chapron-du Jeu, directrice des finances du groupe Caisse des dépôts, Mme Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic, groupe Caisse des dépôts, et Mme Aurélia Brunon, chargée des relations institutionnelles ;
– Mme Pascale Courcelle, directrice du financement de l’immobilier et de l’énergie environnement de la Banque publique d’investissement BPI France, et M. Jean-Baptiste Marin Lamellet, responsable des relations institutionnelles ;
– M. Hadrien Hainaut, chef de projet de Institute for Climate Economics (I4CE), M. Michel Cardona, conseiller senior, et M. Damien Demailly, directeur de la stratégie et de la communication ;
– M. Sébastien Jamme, directeur financier d’Enerfip et co-fondateur, M. Jérôme Blanc et M. Guilhem Roux, chefs de projet.

L’audition débute à neuf heures trente-cinq.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Nous poursuivons nos travaux sur les freins à la transition énergétique, avec cette table ronde consacrée au financement de la transition énergétique. Pour ce faire, notre mission d’information accueille ce matin M. Jean Jouzel, climatologue, président d’honneur et co-initiateur du Pacte « Finance-Climat », ainsi que M. Pierre Larrouturou, économiste et co-initiateur de ce pacte ; Mme Virginie Chapron du Jeu, directrice des finances du groupe Caisse des dépôts, et Mme Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic, accompagnées de Mme Aurélia Bruno, chargée des relations institutionnelles ; Mme Pascale Courcelle, directrice du financement de l’immobilier et de l’énergie-environnement chez BPI France, accompagnée de M. Jean-Baptiste Marin Lamellet, responsable des relations institutionnelles ; M. Hadrien Hainaut, chef de projet, et M. Michel Cardona, conseiller senior, pour Institute for Climate Economics ; M. Sébastien Jamme, directeur financier et cofondateur d’Enerfip accompagné de M. Guilhem Roux, chef de projet.

Mesdames et messieurs, nous comptons sur vous pour nous présenter les différentes sources de financement de la transition écologique et leur besoin d’articulation, la force de leur effet de levier, celles qui méritent d’être éventuellement abandonnées ou recentrées. Nous aborderons également la question des prêts aidés ainsi que celle des financements publics.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Cette mission d’information sur les freins à la transition énergétique a démarré en septembre dernier et se terminera en juin. Nous avons, dès le départ, organisé nos travaux autour de plusieurs thèmes : la vision – ou le manque de vision – de ce que sera le paysage mondial de la transition énergétique dans dix, vingt ou trente ans, organisé autour de nouvelles ressources et de nouveaux usages ; le développement des filières d’énergies renouvelables, et notamment de l’éolien, du solaire et de la méthanisation ; les économies d’énergie, dans l’habitat ou dans l’industrie ; la capacité des grands groupes de l’énergie à se remettre en question ; la transition énergétique dans les territoires et la manière dont ces derniers se la sont appropriée ; le financement enfin, et la fiscalité, au sujet desquels nous vous entendons ce matin et qui constituent évidemment une problématique transversale à toutes les précédentes.

M. Jean Jouzel, président d’honneur et co-initiateur du pacte Finance-Climat. Climatologue, je me suis intéressé à la transition énergétique comme co-rapporteur d’un avis du Conseil économique, social et environnemental et co-rapporteur, toujours au titre du CESE, de la loi sur la transition énergétique.

Je voudrais faire un simple rappel au sujet de cette transition énergétique, qui est aujourd’hui plus qu’urgente : la première source d’énergie en France reste de loin les combustibles fossiles. Or, si l’on veut limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré – et il y a de bonnes raisons pour le faire – il faut laisser 90 % de ces combustibles, facilement accessibles, là où ils sont. Il faut en effet, pour s’en tenir à 1,5 degré, diviser par deux, entre 2020 et 2030, les émissions de gaz à effet de serre, dont 80 % sont liés aux combustibles fossiles. En disant cela, nous disons la même chose qu’il y a trente ans, peut-être de façon plus claire. Quant au Pacte « Finance Climat » dans lequel je me suis beaucoup impliqué aux côtés de Pierre Larrouturou, il procède de notre conviction que la transition énergétique a besoin de financements, comme elle a besoin non seulement d’efficacité mais également de sobriété énergétique.

M. Pierre Larrouturou, économiste et co-initiateur du Pacte « Finance-Climat ». Vous avez évoqué le manque de vision dont nous souffrons en matière de transition énergétique : cela reste en effet selon moi, le principal problème. Quand le Président Kennedy a déclaré que les Américains iraient sur la lune, tout le monde a compris, l’information a fait le tour du monde en deux minutes, et les moyens ont suivi : le budget de la NASA a été multiplié par quinze ; mais, au départ, il y avait d’abord une ambition. Quand Roosevelt, après Pearl Harbor, a décidé d’entrer en guerre, en quelques semaines, l’ensemble de l’économie et de la société américaine se sont transformées dans cette perspective.

Il y a encore eu huit mille morts tout récemment au Mozambique, combien en faudra-t-il de plus pour que la dynamique s’enclenche ? Face à une échéance beaucoup moins cruciale, toute la France avait su se mobiliser pour éviter le « bug » de l’an 2000. Or, je n’ai pas le sentiment qu’aujourd’hui cette tension positive traverse notre pays et que la société converge dans une même lutte contre le réchauffement climatique.

Cela étant, si l’on se fixe des objectifs, on trouvera les moyens de les financer. En Belgique, le ministre de l’économie et du climat wallon, qui a lu l’ouvrage que nous avons publié avec Anne Hessel et Jean Jouzel, a d’abord pensé que les chiffres qui y figuraient étaient tous faux, notamment les 2 600 milliards d’euros injectés dans l’économie par la Banque centrale européenne (BCE). Après vérification, il veut désormais fédérer l’ensemble de la classe politique autour de la lutte contre le réchauffement climatique, à la suite de la société civile, qui s’est déjà mise en mouvement, avec, entre autres, des manifestations d’étudiants considérables. Des pistes se font jour, qui jusqu’à présent paraissaient totalement farfelues.

En ce qui concerne le financement, nous sommes partis du constat, avec Jean Jouzel et avec d’autres, qu’aucun pays n’était en mesure de financer tout seul sa transition énergétique : en France, Nicolas Hulot a démissionné car il manquait de moyens ; en Allemagne, Peter Altmayer vient d’annoncer qu’il ne savait pas comment financer la loi sur l’efficacité énergétique ; aux Pays-Bas, l’État a été condamné par la justice pour son inaction, mais Mark Rutte ne sait pas où trouver les financements ; en Espagne, enfin, Teresa Ribera prépare une loi très ambitieuse mais ne sait pas non plus où trouver l’argent. Dans chaque pays, on se heurte à la même falaise financière, d’où notre idée d’un traité européen.

Concernant l’Union européenne en effet, la Cour des comptes européenne a sorti un rapport au vitriol dénonçant les scénarios qui finissent tous bien en 2050 parce que, miraculeusement, les budgets permettant d’atteindre la neutralité seront trouvés en 2040 et qu’en 2043 surviendra l’indispensable saut technologique ! Comme les climatologues, la Cour estime que cette manière de miser sur des miracles en série dans la dernière décennie n’est pas sérieuse, et que c’est dès l’an prochain, en 2021, qu’il faut trouver chaque année 1 115 milliards d’euros dans le budget européen. Le chiffre est très précis, au point d’être un peu ridicule car aucun de nous ne sait, au milliard près, ce qu’il faudra investir au niveau européen, mais il donne un ordre de grandeur : nous aurons besoin chaque année de 1 100 milliards d’euros de financement privé et public.

Sans prétendre apporter ces 1 100 milliards, nous proposons deux pistes pour améliorer le financement. Il s’agit premièrement d’utiliser autrement les liquidités existantes. Sans doute êtes-vous au courant, mais beaucoup de gens ignorent, comme le ministre de l’économie wallon, que la BCE a, comme on le disait autrefois, fait marcher la planche à billets, c’est-à-dire, comme l’on dit de façon plus chic aujourd’hui, fait du quantitative easing.

Et je ne parle pas de 2008, lorsqu’il a fallu injecter dans le système 1 000 milliards d’euros pour éviter l’effondrement du système financier, mais de ces trois dernières années où, de façon pérenne et en toute sérénité, la BCE a créé 2 600 milliards d’euros, mis à disposition des banques pour relancer l’activité, avant de s’apercevoir au bout du compte que seulement 11 % de cette somme était allée à l’économie réelle, le reste étant soit redéposé immédiatement à la BCE, soit parti sur les marchés financiers – lesquels ont atteint des niveaux records qui font dire au Fonds monétaire international (FMI) que l’on risque une crise financière bien pire que celle de 2008.

Nous proposons donc un autre usage de cet argent, ainsi que le défendait le regretté Philippe Maystadt, à nos côtés lorsque nous avons lancé notre initiative. Selon l’ancien ministre des finances belge, qui avait mis de l’ordre dans les comptes de la Belgique, avec deux fois moins de création monétaire mais entièrement dévolue à la transition écologique, la bataille du climat pouvait être gagnée.

Concrètement, il s’agit de créer une banque du climat qui serait une filiale de la Banque européenne d’investissement (BEI), comme il existe déjà le Fonds européen d’investissement (FEI). Cette banque, dont nous avons déjà créé les statuts avec l’aide de la BEI aurait pour obligation de prêter chaque année à chaque État membre 2 % de son PIB, à taux zéro – chiffre donné comme ordre de grandeur par Nicholas Stern – pour financer la transition. Cette somme viendrait s’ajouter à ce qui existe déjà, sachant qu’il faudrait inciter les banques et les assurances à mettre un terme aux investissements bruns et à les réorienter vers ce qui est bon pour la planète. Enfin, l’inscription de cette banque du climat dans un traité européen apporterait la stabilité qui manque aujourd’hui à la transition écologique, freinée par le changement perpétuel des règles, que ce soit en matière de logement, d’agriculture, et j’en passe. Après la chute du mur de Berlin, six mois ont suffi pour créer la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ; aujourd’hui, les membres de la BEI ou du Trésor estiment que la création de cette banque du climat pourrait se faire en moins d’un an.

En second lieu, nous proposons la mise en place d’un budget climat européen d’environ 100 milliards d’euros chaque année. Ce budget serait composé de trois enveloppes majeures, la première, de l’ordre de 40 milliards, étant consacrée à un plan Marshall pour l’Afrique, car le continent court à sa dislocation sans un plan d’investissement massif dans les énergies renouvelables et les politiques d’adaptation.

La seconde, de l’ordre de 10 milliards d’euros, doit permettre de financer la recherche : puisque l’Europe a su investir des milliards pour lancer la fusée Ariane ou pour faire voler des Airbus ; puisqu’on a mis des milliards dans la recherche du boson de Higgs, pour le trouver et inventer internet en chemin, cela vaudrait la peine d’investir pour améliorer le stockage des énergies renouvelables et inventer la voiture du futur, même s’il faut de préférence, et quand c’est possible, utiliser son vélo ou les transports en commun.

Une troisième enveloppe enfin doit servir aux subventions, en matière notamment d’isolation thermique des bâtiments, publics et privés. Nous pensons en effet qu’il faudra, de même qu’on a rendu obligatoire le désamiantage, rendre obligatoire l’isolation des bâtiments, laquelle ne peut être financée uniquement par les intéressés, qu’il s’agisse des administrations, des ménages ou des entreprises. Pour trouver ces 100 milliards d’euros sans heurter le besoin de justice fiscale qui a mis des centaines de milliers de Gilets jaunes dans la rue, nous reprenons une idée de Jacques Delors, qui dénonçait déjà, il y a vingt ans, la concurrence fiscale à laquelle se livrait l’Europe.

Or le taux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés est tombé de 45 % dans ma jeunesse à 19 % aujourd’hui, tandis que les bénéfices explosent. De cela, nous sommes les seuls responsables puisque, sur la même période aux États-Unis, de Roosevelt jusqu’à l’arrivée de Trump, il est demeuré à 38 %. En d’autres termes, l’Europe taxe deux fois moins les bénéfices que les États-Unis… C’est le monde à l’envers !

Nous proposons donc d’instaurer une fiscalité européenne, suivant en cela les préconisations de Mario Monti, selon qui, pour renforcer les moyens de l’Europe dans quelque domaine que ce soit, il faut des ressources propres, pour lesquelles la meilleure solution nous paraît un impôt européen sur les bénéfices, compris entre 1 % et 5 % mais qui ne toucherait ni les artisans ni les petites entreprises. Cela est juridiquement faisable puisque, au moment où il a été question de faire une taxe sur les transactions financières, la Cour de justice a confirmé que, en dépit de l’opposition du Royaume-Uni, c’était envisageable par le biais d’une coopération renforcée entre certains États membres.

Mme Virginie Chapron du Jeu, directrice des finances du groupe Caisse des dépôts. Le groupe Caisse des Dépôts accompagne de longue date les acteurs de la transition énergétique et écologique, en particulier dans les territoires. Depuis plus de vingt ans, notre action s’inscrit ainsi dans une perspective globale de long terme, qui intègre à la fois, en matière d’investissement, les problématiques sociales mais également celles liées au climat et à la biodiversité. Cela participe des missions d’intérêt général de la Caisse.

Ainsi, nous avons contribué au développement de la notion d’investissement responsable, en créant notamment, en 2001, Novethic et, en 2008, CDC Biodiversité. Nous sommes également l’un des sponsors historiques de l’Institute for Climate Economics (I4CE).

Dans le cadre de notre politique durable, nous nous sommes dotés d’une « feuille de route 2° » entièrement compatible avec l’Accord de Paris et, dès 2014, nous nous sommes saisis de la question de la transition énergétique en souhaitant accompagner la transformation des territoires et celles des entreprises, non seulement au travers de l’établissement public mais également au travers de ses filiales comme Bpifrance, Icade ou la CNP. Cette approche globale nous confère une certaine force de frappe.

Pour ce qui concerne nos leviers d’action, nous disposons tout d’abord d’un portefeuille d’investissements important, géré selon des critères ESG, c’est-à-dire des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, ce qui nous permet de nous inscrire dans une trajectoire de décarbonation de nos investissements.

Nous jouons également un rôle d’entraînement vis-à-vis des entreprises dans lesquelles nous investissons, avec lesquelles nous définissons des plans d’action et des objectifs bas carbone, en exigeant que ceux-ci soient pris en compte à la fois dans leur politique d’investissement dans leurs activités opérationnelles.

Nous agissons en troisième lieu en ayant décidé d’encadrer plus strictement le financement du secteur fossile, ce qui nous a conduits à mettre en place des contrats de transition écologique pour accompagner les territoires dans la fermeture des centrales à charbon.

Nous disposons enfin d’un quatrième levier avec le développement d’outils d’évaluation et de mesure des risques climatiques. Ce scoring permet d’améliorer objectivement les trajectoires empruntées dans la perspective de la transition énergétique.

En ce qui concerne le financement de la transition énergétique, la Caisse des dépôts s’est engagée à la financer à hauteur de 18 milliards d’euros, entre 2014 et 2017, et nous avons pris, fin 2018, avec Bpifrance, 16 milliards d’euros d’engagements supplémentaires, ce qui représente plus de 20 % des financements du groupe. Par ailleurs, la CNP s’est engagée de son côté à investir 5 milliards d’euros.

Ces investissements servent en particulier à financer, via la Banque des Territoires, tous les projets d’énergie renouvelable, que ce soit l’éolien offshore ou terrestre, l’hydraulique – nous sommes actionnaires de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) –, le solaire, le photovoltaïque et la biomasse. Nous nous engageons par ailleurs au travers de participations dans les sociétés d’économie mixte ou des prêts. Cela nous permet en particulier de financer des projets liés à la mobilité durable où à la rénovation thermique des bâtiments publics, industriels ou tertiaires et résidentiels. Ce dernier point est à nos yeux particulièrement important, eu égard à l’enjeu que représente la réduction de notre consommation énergétique, et nous privilégions donc les prêts aux collectivités territoriales et aux organismes de logement social qui contribuent à lutter contre les passoires thermiques pour développer une croissance verte.

En termes plus prospectifs, nous estimons que les collectivités locales sont vouées à jouer un rôle croissant dans la transition énergétique. C’est donc un axe fort de notre action. Présents depuis longtemps dans les territoires, nous souhaitons y accroître encore notre présence, en déconcentrant davantage nos interventions, c’est-à-dire en étant vraiment sur le terrain pour pouvoir soutenir le développement des projets territoriaux. Il me semble qu’en la matière, la Caisse des dépôts a fait la preuve de son savoir-faire.

J’insisterai pour conclure sur le fait que la Caisse des dépôts, grâce à sa capacité de consolidation et de synthèse des données, est à même d’inscrire son action dans une perspective globale, essentielle pour la réalisation de la transition énergétique partout dans notre pays.

Mme Catherine Husson-Traoré, directrice générale de Novethic. Je vais centrer mon intervention sur l’épargne, qui est un moyen de mobiliser les citoyens. C’est un des enjeux sur lesquels a travaillé le groupe d’experts européens dont j’ai fait partie et qui a contribué à dessiner la politique de finance durable prônée par la Commission européenne. La mobilisation de l’épargne des citoyens constitue en effet un bon moyen d’accroître la lisibilité de notre action en faveur de la transition énergétique, ce qui est politiquement essentiel dans la mesure où, si la compréhension du risque est aujourd’hui de plus en plus forte, les propositions faites pour contrer ce risque demeurent en revanche assez inintelligibles.

Depuis près de vingt ans, Novethic surveille les encours investis dans des stratégies durables et vertes. Notre dernier indicateur du marché des fonds montre ainsi qu’il reste des marges de progrès, puisque nous avons identifié 74 fonds « verts » pour un encours de 23 milliards d’euros, ce qui est certes beaucoup à l’échelle d’un portefeuille, mais très en deçà des besoins exprimés par Pierre Larrouturou, alors qu’il existe une vraie clientèle pour ces fonds permettant de contribuer à financer la protection de la biodiversité ou la lutte contre le changement climatique.

Pour répondre à cette demande par une offre adaptée, la France a développé une démarche pionnière en mettant en place le label « Transition énergétique et écologique » pour le climat (TEEC), actuellement attribué à neuf fonds accessibles aux particuliers, chiffre qui devrait augmenter avec la mise en œuvre de la loi PACTE.

Cela étant, outre le manque de vision globale qu’évoquait Pierre Larrouturou, le véritable problème est aujourd’hui celui du manque de lisibilité des instruments financiers proposés aux investisseurs particuliers comme aux investisseurs institutionnels. Un chiffre illustrera mon propos : pour neuf fonds labellisés, il existe aujourd’hui quatorze indicateurs d’impact environnemental, ce qui rend tout arbitrage impossible.

Il est donc urgent de rationaliser ces indicateurs de performance pour permettre aux investisseurs de faire leur choix en privilégiant, s’ils le souhaitent, tel ou tel aspect environnemental – climat, eau… C’est la seule manière de développer un potentiel considérable mais qui reste encore insuffisamment exploité du fait de ce manque de lisibilité.

À cet égard, l’idée d’une labellisation sur le modèle de l’éco-label européen serait un très bon outil pour mobiliser une épargne estimée en France à 2 000 milliards d’euros. Concrètement, il s’agirait d’appliquer aux produits financiers ce même éco-label présent dans les rayons des supermarchés, selon une taxinomie définissant les activités durables et mettant en exergue les produits offrant des garanties environnementales, importantes.

Je compléterai mon propos en mettant à votre disposition, d’une part, un panorama des fonds européens labellisés développement durable, qui vous permettra de constater par vous-mêmes qu’une harmonisation s’impose en matière de critériologie, et, d’autre part, une étude que nous avons réalisée et qui montre que les fonds verts européens non cotés ne représentent que 6,5 % des encours, ce qui donne une idée de nos marges de progression.

Mme Pascale Courcelle, directrice du financement de l’immobilier et de l’énergie environnement BPI France. En tant que filiale de la Caisse des dépôts, Bpifrance peut reprendre à son compte la plupart des propos qui viennent d’être tenus par les deux précédentes intervenantes.

Plus spécifiquement, Bpifrance, qui a vu le jour en 2013, donc assez récemment, intervient sur six principaux axes en matière de transition énergétique : le cofinancement, en tant que banque de place qui intervient avec les banques commerciales ; le financement de projets par des prêts classiques, qui concerne l’ensemble des énergies renouvelables ; la garantie octroyée aux banques sur leurs financements ; des prêts sans garantie dédiés à des filières énergétiques spécifiques sur lesquelles je reviendrai ; le financement de l’innovation en partenariat avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et enfin, depuis plus récemment, l’accompagnement d’entreprises permettant notamment à des PME d’atteindre le statut d’entreprise de taille intermédiaire (ETI), voire d’établissement de plus grande taille.

Certains de ces dispositifs sont très récents, et nous réfléchissons en permanence à leur adaptation. Quant à notre action, elle est d’envergure, puisque, depuis notre création, c’est plus de 11,4 milliards d’euros qui ont été investis, dont 55 % dans du financement de projets, soit 1,4 milliard pour 2018, ce qui représente un triplement de notre effort en trois ans. Tous dispositifs confondus, ce sont 2,5 milliards d’euros sur les 11,4 milliards qui ont été engagés en 2018, soit une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente.

Les efforts fait en direction des énergies renouvelables sont prioritaires et concernent aussi bien les filières matures que celles plus complexes. Nos interventions sur fonds propres sont également importantes, que ce soit au travers de sociétés sponsors ou de fonds de fonds. Bpifrance a ainsi investi 280 millions d’euros dans treize fonds qui couvrent tous les secteurs-clés de la transition énergétique et écologique, des énergies renouvelables aux clean tech, en passant par la chimie verte et la smart city.

Si notre action est aussi massive, c’est qu’elle est décentralisée, qu’il s’agisse de nos compétences techniques, sectorielles, juridiques ou financières. Nous disposons d’une quarantaine d’équipes implantées régionalement, ce qui est d’autant plus important que les entreprises qui participent aujourd’hui à la transition énergétique en développant de la production d’énergie, sont les entreprises implantées dans les territoires. Ces équipes sont pilotées à un niveau plus central, qui donne les orientations des politiques de risque et d’accompagnement. Cette organisation a prouvé son efficacité, puisqu’elle a permis à Bpifrance de multiplier par trois ses interventions en trois ans, et qu’elle nous permet également d’avoir un rôle d’entraînement auprès des banques commerciales.

Pour ce qui concerne les principaux enjeux d’avenir, nous entendons renforcer les aides à l’innovation afin d’accélérer le développement de solutions contribuant à la transition énergétique, sachant qu’autour des développeurs d’énergies environnementales, gravitent une série d’entreprises connexes, qui participent à ce développement grâce aux solutions innovantes qu’elles proposent, par exemple en matière d’autoconsommation ou de stockage.

Nous souhaitons également déployer une offre de crédit incitative, pour permettre aux entreprises d’investir dans l’amélioration de leurs performances énergétiques. S’il est important en effet de financer les énergies renouvelables, il est primordial d’investir dans l’efficacité énergétique et la réduction de la consommation d’énergie. Pour cela, il nous appartient d’abord de trouver un successeur au dispositif « Prêt vert », soit un nouveau prêt destiné à couvrir 500 millions d’euros de financements, pour lesquels nous avons besoin d’une dotation de 60 millions via un fonds de garantie qui crée un effet de levier. Ce nouveau dispositif pourrait être consacré à la rénovation énergétique industrielle.

Nous avons par ailleurs proposé il y a un an la mise en place d’une autre forme de crédit incitative, qui s’apparente à une sorte de crédit-bail immobilier, destiné à améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments des entreprises, laquelle est souvent externalisée par ces dernières à des acteurs dont c’est le métier et qui constituent une cible dont l’étroitesse est selon nous un frein à la transition énergétique.

Nous souhaitons donc mettre en place une offre de financement dédié, qui permettrait aux entreprises de s’approprier cette question de l’efficacité énergétique et de participer ainsi à la réduction des gaz à effets de serre émis par les bâtiments industriels, les bâtiments commerciaux et les bâtiments du tertiaire. Cette offre de crédit-bail immobilier a fait l’an dernier l’objet d’une conférence fiscale. Si la direction générale du Trésor (DGT) a pointé certains obstacles juridiques, ou constitutionnels, notamment l’inégalité devant le financement, l’idée a néanmoins été reprise dans le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale sur les outils publics encourageant l’investissement privé dans la transition écologique, remis le 30 janvier dernier. Nous avons donc fait réaliser par un cabinet d’avocats spécialisé en droit public, une étude, qui a démontré que notre proposition n’était pas contraire au principe d’égalité.

Concernant les filières d’énergie renouvelable émergentes, nous avons déployé, avec l’appui du ministère de l’agriculture, un système de prêts sans garantie destiné à financer la méthanisation à la ferme, et nous espérons aussi pouvoir déployer un mécanisme similaire pour la méthanisation par voie d’injection : nous travaillons avec un grand acteur privé sur ce périmètre, mais nous aurons besoin de bailleurs complémentaires.

Notre ambition est également de déployer plus largement notre accélérateur PME, qui permet aux entreprises de grandir grâce à des audits stratégiques, des audits de gouvernance ou des audits technologiques.

Nous avons lancé en 2009, une première promotion de 30 PME et ETI, que nous avons fait accélérer, et nous envisageons également le lancement d’un fonds « éco-tech »de 150 millions d’euros, dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, sachant que nous gérons déjà les fonds « Ville de demain » et « Écotechnologies », qui nous ont été confiés par l’ADEME.

J’en terminerai par un mot sur les freins à la transition énergétique. Il nous semble qu’ils sont moins liés aux questions de financement qu’au manque d’investissement. Il est en effet complexe aujourd’hui pour les entrepreneurs d’investir dans le secteur de l’éolien, où les projets nécessitent des années de portage, ou d’investir dans le solaire, domaine dans lequel les ambitions de la programmation pluriannuelle de l’énergie sont très importantes mais pour lequel il n’est pas simple de trouver des réceptacles.

D’autres freins tiennent également au manque de visibilité des dispositifs qui évoluent en permanence. On est ainsi passé d’un système d’arrêtés tarifaires à un système d’appels d’offres. Ainsi, dans le cas de l’éolien, les appels d’offres doivent à l’heure actuelle concerner les projets de fermes éoliennes de plus de six éoliennes de 3 mégawatts chacune, mais un projet vise à réduire ce seuil. C’est problématique pour les développeurs, qui travaillent sur des temps longs, et il arrive que les appels d’offres ne soient pas pourvus en totalité.

M. Hadrien Hainaut, chef de projet à l’Institute for Climate Economics (I4CE). L’article 2 de l’Accord de Paris pose comme objectif d’aligner les flux financiers avec les efforts de réduction des émissions et les efforts d’adaptation. Aligner ces flux financiers, c’est s’assurer de leur contribution aux investissements bas carbone, mais c’est aussi, et peut-être avant tout, réduire leur verrouillage – ce qu’on appelle le lock-in – dans les projets fossiles.

I4CE examine depuis plusieurs années les investissements réalisés en France, car nous pensons que ces investissements sont un bon marqueur du futur. Cette analyse des investissements permet d’établir un diagnostic en trois phases. Premier constat : il y a déjà des efforts importants engagés pour réduire nos émissions, efforts que nous évaluons à 41 milliards d’euros pour 2017, soit un peu plus de 10 % des capitaux investis et des projets engagés au cours de l’année. Près de la moitié de ces investissements sont conduits par les pouvoirs publics, l’autre moitié l’étant par les agents privés, ménages, entreprises, banques et marchés.

Deuxième constat : il subsiste d’importants écarts par rapport à la trajectoire qui découle de la loi sur la transition énergétique de 2015. Il manque ainsi entre 10 et 30 milliards d’euros d’investissement chaque année, dont une moitié pour la seule rénovation des bâtiments – c’est une fourchette qu’il faut considérer comme un minimum, tant on ignore en réalité le montant des investissements qu’il faudrait engager dans des secteurs comme l’agriculture, l’industrie, la recherche et développement et l’adaptation.

Troisième constat : il y a une persistance des investissements fossiles, à hauteur d’environ 73 milliards d’euros en 2017 et qui augmentent en France depuis 2015. Certains de ces investissements pourraient, moyennant de meilleurs signaux, être réorientés vers des solutions alternatives, notamment dans le domaine des transports.

Lors de vos précédentes auditions, les intervenants ont pu mettre en évidence de très nombreux freins, dont beaucoup sont spécifiques à certains secteurs et ne sont pas des freins financiers, même si ceux-ci existent.

M. Michel Cardona, conseiller senior de l’Institute for Climate Economics (I4CE). On a beaucoup parlé jusqu’à présent de financements publics ou parapublics, mais je voudrais insister sur le fait que le décalage entre les investissements et les besoins provient en majeure partie d’un déficit de financement privé. Il faut donc absolument arriver à mobiliser les financements des banques, des compagnies d’assurance et autres investisseurs.

Ce déficit d’investissement privé me semble résulter d’une double défaillance. D’une part, la défaillance des autorités publiques en matière d’envoi de signaux clairs. Pour que les acteurs économiques de l’économie réelle et les acteurs de l’économie financière s’engagent en faveur de la transition énergétique, ils ont besoin d’une stratégie. La transition énergétique est en effet un phénomène complexe, qui va modifier tous les secteurs de l’économie, nos modes de vie et de consommation. On ne peut donc être opérationnels sans une vision globale de long terme.

La seconde défaillance que je constate est celle des marchés, les prix et les taux d’intérêt actuels ne reflétant absolument pas les risques climatiques tels qu’on peut les percevoir. Cela s’explique, d’une part, par le fait que l’horizon des acteurs financiers est un horizon à court terme tandis que les risques climatiques s’inscrivent dans un horizon à moyen et long termes, et, d’autre part, par le fait que les méthodologies d’évaluation de ces risques ne sont pas encore au point.

Quelles solutions pouvons-nous envisager ? Premièrement, les pouvoirs publics doivent envoyer des signaux clairs. La définition de plans de transition sectoriels, tels que celui sur lequel travaille l'ADEME, pourrait être un signal très important pour les acteurs économiques, dès l'instant où l'ensemble des pouvoirs publics s'appuieraient dessus, afin de leur donner une véritable crédibilité. Deuxièmement, pour que les acteurs financiers prennent réellement en compte les risques climatiques, il faut certainement accélérer le développement de méthodologies robustes et convergentes pour les évaluer. L'intervention des régulateurs et des superviseurs, dans un contexte d’urgence, est certainement un levier très important.

Au-delà, il faut mobiliser des ressources publiques pour réduire les risques d'un certain nombre d'investissements et leurs coûts. Certains projets verts trouveront des financements tout seuls, presque naturellement, auprès des acteurs privés ; d'autres auront besoin de l'intervention publique pour leur apporter une garantie et réduire leurs coûts. En France, les montants de l’épargne réglementée sont très importants. Aussi faut-il certainement réfléchir à la façon de mieux mobiliser une partie de ces fonds au service de la transition énergétique, comme la loi PACTE a commencé à le faire. Cette question renvoie aussi à des points qui ont déjà été évoqués : les labels, la lisibilité ou encore l’information des consommateurs.

M. Sébastien Jamme, directeur financier d’ENERFIP. Le financement participatif est l’une des solutions pour mobiliser l'épargne des Français. Si vous avez tous parlé en milliards, je parlerai plutôt en millions… Mais, même à notre échelle, il est très important de continuer de développer ce secteur. ENERFIP est une start-up qui a lancé son activité en 2015. Nous réalisons du financement dans le domaine de la transition énergétique, essentiellement dans les énergies renouvelables. Concrètement, nous mettons en relation des porteurs de projets et des investisseurs. Nous avons financé une centaine de projets pour environ 20 millions d'euros. Il y a une très forte augmentation de la demande des investisseurs, et partant des épargnants, d'investir dans ce type de projets. Nous devons nous donner les moyens d'accélérer, pour que tous ceux qui ont envie de participer concrètement à la transition énergétique puissent le faire.

Nous nous rendons presque à chaque fois dans les territoires pour échanger avec les citoyens au cours d’une réunion, organisée très souvent par la collectivité et le porteur du projet. Dans la mesure où ils ont pour objectif d'investir dans ces projets qui sont à côté de chez eux, ils sont très à l'écoute. Cela nous permet de discuter avec des gens qui veulent mieux connaître la transition énergétique et s'approprier les projets. Contrairement aux plateformes de crowdfunding, qui sont très abstraites, particulièrement dans les territoires agricoles, notre présence permet de matérialiser le projet. Nous les aidons dans leur processus d'investissement, ce qui favorise également le développement de ce type de financement. Selon nous, le financement n'est vraiment pas un frein dans le domaine des énergies renouvelables : un projet solaire ou éolien de 500 000 euros, ouvert à tout le monde, part en deux heures sur la plateforme. Les gens sont très intéressés.

Un autre exemple : nous avons conclu un partenariat avec la banque privée de certaines caisses du Crédit agricole, qui font preuve d’une volonté forte d’investir dans des projets de leur territoire. Les retours étant excellents, nous pensons établir d'autres partenariats avec d'autres caisses, voire d'autres banques, pour ce type de financement.

En 2018, la finance alternative a représenté, selon le barème KPMG, 52 millions d'euros dans le domaine de l’environnement, dont 38 millions d'euros pour les plateformes de financement participatif dans le domaine des énergies renouvelables. Même si ce montant représente une augmentation de 89 % par rapport à 2017, cela reste, comme vous le voyez, très faible, bien en deçà de ce qui pourrait être fait. La totalité de l'épargne disponible des Français s’élevant à 5 000 milliards d’euros, nous avons de quoi faire pour améliorer ces chiffres, d'autant plus quand on voit l'engouement que suscite le sujet.

Un sondage, commandé par le ministère de la transition écologique et solidaire et réalisé par l'institut YouGov, a montré que 41 % des Français sont d'ores et déjà prêts à investir dans ce secteur et que 34 % n'ont pas d'opinion, ce qui suppose qu’ils pourraient être convaincus. Actuellement, moins d'un Français sur cinq a déjà investi dans les énergies renouvelables – le livret de développement durable compris ; et 3 % ont investi sur des plateformes de financement participatif. Nous sommes convaincus que, plus il y aura d'investisseurs qui investiront en direct dans ce type de projets, mieux les Français connaîtront le sujet et plus ils pourront s'approprier ces projets, dont l’acceptabilité grandira.

De fait, pour nous, le frein aux énergies renouvelables n'est pas le financement – les banques et les fonds d’infrastructures ont toutes les liquidités nécessaires –, mais l'acceptabilité des projets et leur rythme de développement. En Allemagne, la moitié du parc énergétique est détenue par des citoyens, et l’on y met quatre ans à sortir un parc éolien contre dix ans en France. Il y a vraiment quelque chose à faire, d’autant que notre législation est adaptée.

La loi de 2014 sur le financement participatif, l'une des plus abouties en Europe, va être renforcée par la loi PACTE, grâce à une augmentation du plafond par émetteur et par an, lequel passe de 2,5 à 8 millions d'euros. La loi de 2015 sur la transition énergétique permet aux collectivités d'investir dans les projets de leur territoire, ce qui représente un levier très important.

Depuis 2016, le cahier des charges des appels d'offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) octroie un bonus au financement participatif, si 40 % des fonds propres et quasi fonds propres sont réunis par au moins vingt citoyens dans le département et les départements limitrophes. Ce bonus qui fonctionne très bien, puisque 80 % des lauréats avaient coché cette case, et dont les développeurs et les collectivités sont très friands. Il a permis de mettre en lumière ce que nous faisons, même s’il faudra aller encore plus loin.

Il ne s’agit donc pas tant de savoir si les citoyens ont envie de participer et comment ils pourraient le faire, mais de savoir comment faire plus. Je vais vous soumettre trois propositions, issues des différents groupes de travail auxquels nous participons, avec la direction générale de l’économie et du climat (DGEC), Financement Participatif France et la Plateforme verte notamment.

Première proposition : il conviendrait de revoir le système actuel des bonus dans les appels d’offres. Actuellement, c’est tout ou rien. Si le développeur coche la case « financement participatif » et parvient à le mettre en œuvre, il bénéficie d’un bonus de 3 euros par mégawattheure (MWh) ; s’il n’y parvient pas, il supporte un malus de 3 euros par MWh, ce qui ôte toute viabilité économique au projet. Nous proposons d’introduire une progressivité dans le bonus et de le rendre éventuellement obligatoire à terme, comme au Danemark ou en Écosse, avant de l’étendre à d’autres secteurs – éolien offshore ou chaleur renouvelable.

Deuxième proposition : une campagne de communication de masse serait très utile, pour que les Français connaissent le sujet et sachent qu’ils peuvent investir dans les énergies renouvelables, grâce à des plateformes de financement participatif, et flécher leur épargne de manière très simple. Cette communication pourrait s’appuyer sur le label « financement participatif pour la croissance verte », créé par le ministère de la transition écologique et solidaire, et le mettre en valeur, alors qu’il n’est pas du tout utilisé à l’heure actuelle.

Troisième proposition : intégrer les collectivités, les développeurs et les citoyens aux projets, grâce au financement participatif, en formant les collectivités au système existant pour qu’elles le mettent en avant dans leurs discussions avec les porteurs de projets.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Aujourd’hui, contrairement à ce qui a été avancé, beaucoup de petites entreprises ont, en réalité, des problèmes de garanties bancaires, qu’il s’agisse d’installateurs de pompes à chaleur ou d’agriculteurs qui veulent développer des méthaniseurs.

Nous sommes en effet en retard en matière de financement citoyen. Au Danemark, nous avons vu de très beaux projets, entièrement financés par des citoyens. D’après mon expérience, les dispositifs de financement participatif sont trop lents et arrivent trop tard, par rapport à l’investissement privé. Ma région fait face à une quasi-saturation en matière d’éolien. S’il y avait eu plus d’investissements locaux, peut-être n’assisterions-nous pas à un tel phénomène. Le financement participatif ôte des freins au développement ; mais les sociétés d’économie mixte (SEM) arrivent trop tard, étant donné que les entreprises bloquent les projets. De même, dans le cas des méthaniseurs, une fois que les agriculteurs ont leur projet, ils ne veulent pas le partager, ce qui crée également des freins, parce que les riverains ne sont pas impliqués dans le développement. Ce n’est peut-être pas tant un problème d’argent qu’un problème d’acteurs.

M. Philippe Bolo. Presque tous, vous nous avez signalé l’urgence à agir, tout en nous démontrant que l’argent était disponible et qu’il n’existait pas de réels problèmes de financement. Sans doute manque-t-il une prise de conscience générale de la société pour se lancer. Se pose également le problème des acteurs : qui paie quoi ? Chacun est conscient de l’importance des investissements, sans savoir ni qui paie, ni au bénéfice de qui.

Vous nous avez également tous fait part des possibilités d’investissements qui existaient. Mais, comme c’est souvent le cas, leurs retombées économiques n’ont pas été évoquées. On parle de l’économie du futur et des entreprises de demain, sans jamais évaluer précisément les bénéfices en matière de TVA, d’impôt sur les sociétés ou d’impôt sur le revenu des salariés de ces nouvelles entreprises. Or cela permettrait de montrer que les investissements contribuent à l’élaboration d’un bien commun et qu’ils ont des retombées qui bénéficient à l’économie dans sa globalité ainsi qu’à d’autres services qui semblent, de prime abord, éloignés de la transition énergétique. Disposez-vous d’évaluations fines sur ce sujet ?

Enfin, n’y a-t-il pas, dans le financement participatif, deux leviers que vous n’avez pas mentionnés et qui expliqueraient la frilosité des investisseurs et la faiblesse des montants : la sécurisation – n’est‑il pas risqué de mettre de l’argent dans une start-up ? – et les contreparties, pour donner à plus de Français l’envie d’investir ?

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Jean-François Caron, le maire de Loos-en-Gohelle, m’a appris que, dans sa commune, à la suite de travaux de rénovation énergétique, très peu de gens paient plus de 150 euros de chauffage par an. Ne pourrait-on pas encourager la transition énergétique, en proposant une assurance de retour sur investissement ?

M. Jean Jouzel. La transition énergétique dans le domaine de l’énergie semble, de fait, facile. En revanche, elle ne l’est pas du tout dans le domaine de l’isolation ou de la mobilité. L’argent est disponible pour la transition énergétique dans le domaine énergétique et les énergies renouvelables. Mais n’oublions pas que l’objectif est de diviser par deux notre consommation d’énergie à l’horizon 2050. Ce volet est tout aussi important, et il ne faudrait pas réduire le financement de la transition énergétique au renouvelable.

M. Pierre Larrouturou. J’appuie ce que vient de dire Jean Jouzel. Contrairement à ce qui se passait il y a une vingtaine d’années, les énergies renouvelables sont clairement rentables, si bien qu’il ne se passe pas une semaine sans que Total, Engie ou EDF achète une entreprise de renouvelables. Peut-être est-ce lent, peut-être y a-t-il un problème de garanties, mais globalement, c’est en train de se développer. Le cœur du problème, c’est l’efficacité énergétique : l’isolation de tous les bâtiments publics et privés ne serait pas rentable aussi rapidement. Selon les chiffres de l’ADEME, il faut 25 000 euros en moyenne pour réaliser l’isolation d’une maison. Le temps de retour ne sera pas bon. Qui plus est, est-ce au propriétaire de payer, alors que c’est le locataire qui fera des économies ? Nous pensons qu’il faut un système simple, robuste et efficace : des travaux obligatoires et une facture divisée par deux grâce à un système de subventions. C’est pourquoi nous voulons un budget européen. Les États membres et l’Europe demanderaient de réaliser les travaux, en s’assurant qu’il existe des gens compétents pour les faire – l’incertitude sur la compétence représente aussi un frein – ; la moitié de la facture serait réglée par un chèque des États membres et l’autre grâce à un prêt à taux zéro, que les économies réalisées sur les dépenses de chauffage permettraient de rembourser aisément.

Le président de la Fédération française du bâtiment, Jacques Chanut, la Fondation Abbé Pierre, l’ADEME, tous disent que, sans aides, jamais on ne pourra rendre obligatoire la rénovation des bâtiments privés et publics. C’est la même chose pour les transports en commun. Le secteur privé comprend quels domaines sont rentables et s’en empare à toute allure ; mais vous imaginez que les transports en commun dans les zones peu denses… Sur les 1 100 milliards d’euros annuels que la Cour des comptes européenne estime nécessaires pour la transition énergétique, le plus gros poste est celui des transports, qui est, en France comme dans beaucoup de pays, le premier secteur émetteur de CO2­. Les maires ruraux et ceux des petites villes soutiennent notre initiative pour le traité européen sur le climat. Après le début du mouvement des Gilets jaunes, j’ai été invité par les maires ruraux de l’Ain, qui sont vraiment préoccupés par la question du climat, sans quoi ils ne nous auraient pas invités, Jean Jouzel et moi. Ils nous ont dit que tous ceux qui avaient un travail devaient prendre leur voiture tous les matins pour aller à Lyon. Que faire ? Mettre en place des transports en commun ? Ou des systèmes pour travailler à distance, de sorte que, deux jours par semaine, on puisse rester dans son village au lieu de prendre sa voiture ? Ce sont des investissements très lourds, mais très nécessaires, et qui sont peu rentables à court terme.

C’est pourquoi nous pensons qu’il y a besoin de subventions, d’investissements publics, et que seule la question du climat peut débloquer, au niveau européen, la négociation sur le budget. Dans sa dernière interview, Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, qui sera peut-être le prochain patron de la BCE, flingue, comme à chaque fois depuis dix-huit mois, l’idée d’un grand budget avancée par Emmanuel Macron et d’autres. Mais il dit également, à chaque fois, qu’il faut faire les choses dans le bon ordre et remarque que les problèmes nationaux que l’on ne sait pas régler nationalement – la protection de l’environnement et celle des frontières, par exemple – pourraient nécessiter un budget commun adossé à un transfert de compétences et à une fiscalité européenne. De même, Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, « flingue », avec huit autres pays, l’idée d’un grand budget. Mais, comme il ne sait pas comment financer sa transition, il y a un sujet sur lequel il accepterait un budget européen et une fiscalité européenne : c’est bien la question du climat.

Beaucoup de choses bougent, ce qui nous permet de garder espoir. L’objectif de diviser par deux notre consommation d’énergie n’est pas très rentable. Des investissements communs sont nécessaires, puisqu’ils sont impossibles à réaliser par chaque pays, étant donné le niveau de leurs contraintes, des autres dépenses et les critères des 3 %. Une bonne nouvelle : l’Ambassadeur d’Allemagne à Paris m’a confirmé que, dans l’accord de coalition signé par le SPD et la CDU, il y avait bien le projet d’un budget européen plus ambitieux pour mettre en place l’Accord de Paris.

Mme Virginie Chapron du Jeu. Nous travaillons à l’élaboration de modèles, intégrant tout le spectre des objectifs du développement durable, pour prendre en considération l’ensemble des effets, négatifs et positifs. Il est important de pouvoir faire la démonstration de l’efficacité de ce que l’on met en place. Nous accompagnons tout ce qui concerne le financement de la rénovation thermique des bâtiments publics, pour lesquels, grâce à des effets de masse importants, nous obtenons des résultats rapides. Par ailleurs, avec La Poste et Egis, nous avons développé Sobre, une filiale qui a pour objectif de réduire les consommations énergétiques des bâtiments tertiaires de 25 %, en s’appuyant sur des technologies digitales et du big data, soit de l’évaluation de données. C’est également important d’avoir des mesures concrètes sur le terrain.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Concernant la rénovation des bâtiments publics, pourriez-vous nous faire un bilan chiffré du dispositif de prêt à taux zéro qui avait été fléché pour les collectivités ? Est-il efficace ?

Mme Virginie Chapron du Jeu. Pour la rénovation thermique des bâtiments publics, 2 milliards d’euros de prêts, notamment dans le cadre du Grand plan d’investissement, avaient été débloqués, ainsi que 500 millions d’euros en fonds propres. Ces prêts ont répondu à une attente. Pour le logement social et la politique de la ville, le montant des éco-prêts signés représente un engagement d’à peu près 3 milliards d’euros.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. C’est donc un dispositif qui peut être considéré comme efficace et incitatif, qu’il faut sans doute poursuivre ou amplifier.

Mme Pascale Courcelle. Vous nous avez dit, monsieur le rapporteur, que beaucoup de petites entreprises avaient des problèmes de financement et de garanties. Nous avions conçu le prêt vert, sans garantie sur le projet, dont le fonds a été épuisé. Cette dotation de l’État n’a pas été renouvelée. Nous proposons un successeur du prêt vert pour offrir 500 millions d’euros de financements aux entreprises réalisant ce type d’investissements de petite taille. Il nous faut une dotation de 60 millions d’euros, idéalement avec une bonification de taux d’intérêt. Ce sont des dispositifs destinés aux entreprises de petite taille qui ont besoin de changer leur système énergétique.

Concernant les agriculteurs qui rencontrent des difficultés à financer la méthanisation, c’est un sujet que, pour s’en occuper depuis longtemps, BPI France connaît bien. Malgré la complexité du sujet et certains insuccès, nous poursuivons, parce que nous sommes certains que c’est important pour le territoire. Le prêt sans garantie pour la méthanisation, que nous proposons avec le ministère de l’agriculture, est tout récent. Nous souhaitons accompagner les banques qui interviennent dans ces projets, pour les « dérisquer » et avoir un effet de boost. Malgré tout, le procédé n’étant pas complètement mature, cela reste un risque industriel et très technique. Un processus de professionnalisation est en cours, dont les chambres d’agriculture ont conscience. Les constructeurs travaillent en vue de contractualiser et d’apporter des garanties à l’agriculteur qui investira dans un métier complémentaire. Nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements et avons bon espoir que cela progresse.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Ne pensez-vous que les banques devraient améliorer leur compréhension de la technologie ? Peut-être n’est-ce pas l’agriculteur qui n’est pas au niveau, mais la banque ?

Mme Pascale Courcelle. Les technologies sont en effet très complexes. Peu de banques interviennent, mais ce sont des équipes de spécialistes. Il serait probablement intéressant qu’elles se rapprochent des projets pour les comprendre – il y a de très belles réussites agricoles –, mais il faut aussi tenir compte de tout ce qui est périphérique, des constructeurs et des auditeurs qui doivent se professionnaliser pour rendre plus lisible la rentabilité des projets, des technologies et des garanties. Nous devons tous œuvrer pour augmenter la lisibilité. Bpifrance est un acteur doté d’un historique fort : ce qui n’a pas fonctionné doit nous servir d’expérience pour les prochaines propositions. C’est ce que nous faisons par le biais de ce prêt sans garantie, notamment.

Pour ce qui est de l’évaluation, selon une étude que nous avons menée autour de notre projet de crédit‑bail immobilier efficacité énergétique, pour 1 milliard d’euros d’investissements par an, ce qui reste assez peu au regard des 5 milliards nécessaires, et à supposer qu’il y ait à peu près 20 % de travaux de rénovation énergétique – c’est un minimum – dans un investissement immobilier, l’État gagnerait 300 millions d’euros, du fait des travaux de second œuvre, des diagnostiqueurs, des transactions chez des notaires ou encore de la TVA.

Mme Catherine Husson-Traoré. La question du risque de transition, qui est massive pour un très grand nombre de secteurs, commence seulement à être intégrée. La filière agro-industrielle est à risque maximal de transition. Par exemple, un grand fabricant de céréales ne pourra pas alimenter les rayons des supermarchés avec quarante-cinq modèles différents pendant très longtemps, quand la baisse des grandes céréales est estimée à 30 % à l’horizon de 2030, à cause du changement climatique et de l’érosion des sols. Dans le domaine financier, la manière dont on évalue un risque de retour sur investissement, quand on émet de la dette ou quand on fait un investissement, pose un énorme problème. La finance durable travaille sur ce sujet qui n’est pas documenté, aussi bien du point de vue des risques physiques et de transition que des opportunités.

L’un des risques les plus documentés est celui de la dépréciation d’actifs. Les marchés, qui ne valorisent pas les risques, n’intègrent pas non plus le fait qu’un certain nombre d’actifs ne vaudront bientôt plus grand-chose, parce que leurs modèles ne sont pas soutenables. Or la question de la soutenabilité des modèles est au cœur du sujet. Natixis a réalisé des démarches pour quantifier le green supporting factor et voir comment intégrer la notion de risque de transition dans les investissements, pour favoriser les investissements verts qui ont des effets sociaux bénéfiques, en contribuant à la création d’emplois non délocalisables, comme la plupart des emplois verts. La logique de disruption majeure que représente la transition énergétique est aujourd’hui de mieux en mieux comprise par les acteurs. Elle est aussi forte que la disruption digitale. Malheureusement, elles se conjuguent assez peu. Peu d’entreprises comprennent que ces deux disruptions sont déjà là et que leurs stratégies ne sont pas adaptées.

M. Sébastien Jamme. Monsieur le rapporteur, vous vous demandiez si les financements participatifs n’arrivaient pas trop tard dans la conception d’un projet. C’est également notre opinion, chez ENERFIP. Nous privilégions une approche intégrant les collectivités, les développeurs et les citoyens, que nous souhaitons en amont, dès les premières phases de réflexion. Cependant, les collectivités ne savent pas toutes que nous existons, que nous pouvons les aider à construire le projet avec elles et voir si les citoyens ont envie d’investir dedans, en tant qu’actionnaires ou que prêteurs. Au contraire des Danois et des Allemands, qui privilégient la prise d’actions, en France, on privilégie le prêt, un instrument plus simple qui offre plus de visibilité. Mais, de ce fait, le financement participatif arrive un peu plus tard. Malgré tout, cela fonctionne et les gens sont ravis de pouvoir participer aux projets d’une manière ou d’une autre. Nous avons déjà accompagné des collectivités et des citoyens qui voulaient investir en capital.

Pour ce qui est des retombées économiques, nous faisons beaucoup de pédagogie sur le terrain et expliquons les retombées à venir sur le territoire, ce qui permet aux citoyens de mieux accepter les projets. Nous sommes actuellement sur le terrain en Normandie et en Vendée, pour expliquer que des emplois seront créés grâce aux éoliennes en mer.

S’agissant de la sécurisation des investissements, nous intervenons une fois que la banque a audité et accepté le projet. Pour intéresser les citoyens, nos taux de rentabilité sont bien supérieurs à ceux d’une banque : quand la banque propose 2 %, nous proposons au moins 5 % – soit 3,5 % après imposition. En revanche, puisqu’il s’agit d’une dette junior, nous n’avons pas de garanties. Mais ce système convient très bien aux citoyens : ils sont prêts à prendre de tels risques et font preuve d’une vraie appétence pour ces sujets.

M. Hadrien Hainaut. Tous ceux qui s’intéressent de manière globale aux projets de transition concluent aux effets très positifs de ces investissements et de ces réalisations, en matière de balance commerciale et de contenu en emplois, et même sur la compétitivité vis‑à‑vis des pays voisins. En revanche, peu de gens s’intéressent à cette vision globale, lorsqu’ils évaluent la pertinence de la dépense, privée ou publique. Cela ne fait pas encore partie de la norme d’analyse, ni des budgets publics, au niveau national ou local, ni des investissements privés. Cette culture d’analyse économique n’est pas partagée.

M. Pierre Larrouturou. D’après l’ADEME, 900 000 emplois nets pourraient être créés, en quelques années, si nous nous donnons les moyens de financer sept ou huit grands chantiers, dont la transformation de l’agriculture, l’investissement dans les transports en commun et l’efficacité énergétique dans les bâtiments. L’intérêt social est évident. Quant au pouvoir d’achat, des gens de la Fondation Abbé Pierre montrent l’exemple de familles qui ont gagné 800 euros annuels sur leurs dépenses de chauffage, après que leur HLM a été isolée. Nous comprenons mal pourquoi nous n’accélérons pas.

Au mois de février, le quotidien Le Monde nous a donné une page : 60 % des députés soutiennent notre projet. Dans un régime parlementaire, la France l’aurait repris à son compte. Les soutiens proviennent de toutes les tendances confondues, à l’exception du Rassemblement national (RN), depuis Alain Juppé jusqu’à Podemos. Nous comptons, parmi eux, aussi bien Laurence Parisot du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) que le patron de tous les syndicats européens. Nous avons été reçus par le pape François, et les francs-maçons du Grand Orient nous soutiennent. Je suis très heureux d’une telle union, dans un pays qui se morcelle autant et dans une Europe qui va aussi mal. Parfois, il est normal de cliver et de se différencier ; mais, vu l’urgence, notre projet, que nous proposons depuis déjà deux ans, permettrait de rassembler nos pays. Une telle inertie est regrettable. Peut-être votre commission pourrait‑elle nous aider ?

Nous savons très bien qu’il ne se passera rien au niveau international, avec Donald Trump et Jair Bolsonaro, ni au niveau du G7. L’Europe est-elle capable d’avancer ? C’est dans les mois qui viennent que nous devons définir son projet. Quand vous rendrez votre rapport, nous serons en plein débat sur la direction que devra donner à l’Europe le successeur de Jean-Claude Juncker. L’Europe va-t-elle se donner les moyens de changer de braquet ? C’est trop facile de critiquer Donald Trump, si nous-mêmes, en Europe et en France, n’avançons pas beaucoup plus vite…

M. Sébastien Jamme. Je tenais à préciser à M. Bolo que, si ENERFIP disparaît, l’argent des gens n’est pas perdu… Il s’agit de livrets détenus par une banque.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Je vous remercie pour cette précision importante. Merci également à toutes et tous pour vos interventions, qui viendront enrichir notre réflexion sur la question majeure du financement de la transition énergétique. Nous avons terminé sur une note optimiste de rassemblement très large qui laisse augurer la réussite de la transition énergétique, si nous levons nous-mêmes tous les freins que nous avons commencé à lister.

 

L’audition s’achève à onze heures cinq.

 


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30.   Jeudi 9 mai 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse sur les actions menées par les collectivités territoriales :
– M. Philippe Pichery, président du département de l’Aube, et Mme Ann-Gaëlle Werner‑Bernard, conseiller, Assemblée des départements de France (ADF) ;
– M. Jacky Aignel, maire de la commune de Le Mené, et M. Laurent Gaudicheau, directeur général des services ;
– M. Louis Donnet, maire de la commune de Domazan, vice‑president CCPG et président PETR Uzes Pont du Gard ;
– M. Didier Vignolles, conseiller municipal en charge de l’urbanisme de la commune d’Aramon (Gard).

L’audition débute à onze heures.

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Nous poursuivons nos travaux par cette table ronde consacrée aux actions menées par les collectivités territoriales en faveur de la transition énergétique.

Pour nous faire part de leurs expériences dans ce domaine, nous accueillons ce matin : M. Philippe Pichery, président du conseil départemental de l’Aube ; Mme Anne-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère à l’Assemblée des départements de France (ADF) ; M. Jacky Aignel, maire du Mené, dans les Côtes-d’Armor, et M. Laurent Gaudicheau, directeur général des services ; M. Louis Donnet, maire de Domazan, vice-président de la communauté de communes du Pont du Gard, président du pôle d’équilibre territorial rural (PETR) Uzège-Pont du Gard, et M. Didier Vignolles, conseiller municipal d’Aramon, délégué à l’urbanisme.

Je laisse d’abord la parole au rapporteur pour préciser les contours généraux de notre mission, qui arrive bientôt à son terme. Ensuite chacun d’entre vous pourra s’exprimer pendant une dizaine de minutes.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Madame, messieurs, merci d’être présents ce matin. Cette mission d’information sur les freins à la transition énergétique a commencé en septembre dernier et s’achèvera au mois de juin. Nous l’avons structurée autour de sept thèmes : la vision, c’est-à-dire la lisibilité et la visibilité de ce que sera le monde dans dix, vingt ou trente ans compte tenu de la transition vers de nouvelles énergies et de nouvelles consommations. Deuxièmement, le développement des filières d’énergies renouvelables : nous avons regardé, filière par filière, ce qui se passait dans l’éolien, le solaire, la méthanisation, etc. Troisièmement, les économies d’énergie dans le bâtiment, l’industrie et le tertiaire. Quatrièmement, les mobilités, qui sont le contributeur le plus important. Cinquièmement, la transformation des grands groupes de l’énergie : comment des entreprises comme EDF ou Engie envisagent-elles leur transformation à l’horizon de dix, vingt ou trente ans ? Sixièmement, donc, les territoires, qui jouent un rôle prépondérant dans cette transition d’une énergie distribuée de façon centralisée à une énergie produite et utilisé localement. Enfin les financements et la fiscalité.

La question des territoires a donc été abordée tout au long de la mission, mais il était important que nous organisions une table ronde sur ce sujet. À titre indicatif, nous nous sommes rendus à Dunkerque, nous avons reçu la communauté urbaine d’Arras, nous sommes allés au Danemark sur l’île de Samsø.

M. Philippe Pichery, président du conseil départemental de l’Aube. C’est un sujet d’intérêt général, dans lequel la politique n’y a pas sa place. Pour l’anecdote, je dois être le seul président de conseil départemental qui n’ait jamais été encarté politiquement.

La transition énergétique, dans nos départements, est une préoccupation quotidienne et les économies d’énergie en particulier. Nous avons un parc de bâtiments, nous rénovons les collèges, nous gérons des réseaux routiers qui consomment des hydrocarbures, nous étudions des formules qui permettent de restaurer ce réseau en utilisant des produits plus respectueux de l’environnement. Nous avons une politique forte en matière de logement, qui fait intervenir les organismes du logement social et le Fonds social du logement pour traiter la précarité énergétique. Nous sommes aussi interpellés régulièrement sur les mobilités, qu’il s’agisse de la réalisation d’aires de covoiturage, de l’installation de bornes pour véhicules électriques, ou encore des « vélo-voies » et de toutes les infrastructures douces. Enfin, nous devons agir sur nos réserves foncières, nécessaires pour créer des installations importantes en matière de photovoltaïque ou de circuits courts.

Donc, la transition énergétique, c’est vraiment le quotidien des départements. C’est encore plus vrai dans l’Aube, département où il y a deux établissements nucléaires majeurs, la centrale de Nogent et le centre de stockage des déchets de Soulaines, un parc éolien qui est l’un des plus importants de France, ainsi que, depuis peu, la « Biogaz Vallée » : nous sommes en train de réaliser, avec une communauté de communes, dans le cadre du projet « Certiméthane », un démonstrateur qui permettra de faire de la certification dans ce domaine.

Nous avons aussi une grosse activité en matière de stockage d’énergie puisque le département a accompagné le développement d’une start-up qu’il abrite désormais et qui a créé des volants d’inertie : ce sont des volants qui tournent dans le vide et qui permettent de stocker de l’énergie à grande dimension, comment on en stocke dans les batteries. Nous avons enfin un champ photovoltaïque très important, installé sur une propriété départementale, et même un site d’extraction d’hydrocarbures.

Concernant plus précisément les freins à la transition énergétique, mon propos s’articulera autour de trois thématiques : les freins liés au cadre réglementaire, ceux liés aux moyens financiers et aux compétences, ceux liés aux comportements et aux réticences des citoyens.

Sur le plan réglementaire, le frein principal, pour moi, ce sont les rigidités de la loi « NOTRe », auxquelles je suis confronté tous les jours en tous domaines. Le département de l’Aube a la chance de disposer encore de quelques moyens, mais nos EPCI ont des compétences qu’ils n’ont pas les moyens d’exercer. Heureusement, nous avons une collaboration extrêmement efficace avec le préfet, et nous avons pu faire des montages très compliqués pour que le département apporte les moyens en les faisant transiter par des tiers, mais tout cela allonge considérablement les choses. Bien souvent, nous contournons la loi NOTRe, à la demande du préfet lui-même, dans des dossiers économiques ou d’intérêt général, parce que le département est le seul qui ait à la fois les moyens et les compétences

J’ai eu l’occasion, lors de la rencontre avec M. le Président de la République, d’attirer son attention sur ce point et j’ai eu l’outrecuidance de demander qu’on rétablisse la clause de compétence générale pour tous les niveaux de collectivités l’on m’a répondu que ça conduirait à un nouveau développement trop important des financements croisés. D’abord, c’est faux : on n’a jamais fait autant de financements croisés qu’aujourd’hui. Ensuite, ces financements croisés ne sont pas une tare mais une vertu : ils permettent d’unir les forces, les intelligences et les initiatives. Or nous avons besoin de confiance, de liberté d’action et de capacité d’initiative.

Il y a une mesure qui pourrait être assez simple, puisque la loi NOTRe va être toilettée – je prêche dans le désert, je le sais bien, en redemandant la clause de compétence générale – ce serait d’y inscrire la compétence partagée en matière de transition énergétique afin que chacun puisse se saisir des sujets en fonction des caractéristiques de son territoire. Nous sommes dans une grande région qui, par souci d’équité, est obligée de définir un standard général et qui ne peut pas traiter les spécificités locales. C’est le département, collectivité de proximité connaissant bien son territoire, qui peut agir en ce domaine.

À mes yeux, le plus important dans le cadre réglementaire c’est donc de corriger les rigidités liées à la loi NOTRe. Par ailleurs, quand les porteurs de projets viennent me voir, ils ont besoin de lisibilité quant au modèle économique. Les projets prennent souvent plusieurs années. Aujourd’hui, par exemple, pour un projet éolien, les gens qui viennent me voir me disent : on se lance mais c’est pour dans cinq ans, tant le parcours est compliqué. Les certificats d’économie d’énergie ne sont tout de même pas très simples, les fonds européens non plus – mais ce n’est pas propre à la transition énergétique. On a vu se développer les appels à projets, les appels à manifestation d’intérêt en tous domaines : c’est bien, mais cela doit être réservé à des opérations à grande échelle, qui nécessitent de gros moyens. Il faut aussi permettre à des projets plus modestes, plus locaux de se développer.

S’agissant des moyens, il faut stabiliser le modèle économique et le cadre fiscal. Ne pourrait-il y avoir de nouvelles incitations fiscales ? Je sais bien qu’elles n’ont pas le vent en poupe, mais faut quand même se poser la question.

Concernant les finances, je rappelle que les actions en faveur de la transition énergétique engendrent des dépenses de fonctionnement vertueuses, qui vont produire de la ressource et donc s’équilibrer. Mais nos collectivités sont dans un dispositif de contrat financier avec l’État, qui encadre et plafonne les dépenses de fonctionnement. Il serait dommage de devoir renoncer à des projets vertueux parce qu’ils nous feraient sortir de l’épure. Il y a probablement une réflexion à mener pour faire sortir les dépenses réalisées en faveur de l’environnement du cadre de ces contrats.

Autre sujet : les compétences et l’ingénierie. Porter un projet est compliqué, et nécessite des moyens au stade du montage du dossier. Les départements sont en première ligne auprès des communautés de communes en termes d’ingénierie, au titre de chef de file pour la solidarité territoriale. C’est important, mais le problème demeure pour des territoires qui ont un vrai potentiel et qui n’ont pas de moyens d’agir.

Troisième thématique, enfin : les comportements et les réticences. Les porteurs de projets s’interrogent et sont inquiets : aujourd’hui tout projet, même très vertueux par rapport à la transition énergétique, qu’il s’agisse d’éolien ou de biogaz, donne lieu à la création d’associations d’opposants. C’est la démocratie, et on ne va pas l’empêcher de s’exprimer, mais il faudrait vraiment réfléchir à un cadre réglementaire qui permette cette expression tout en la contenant dans le temps. On ne peut pas continuer à avoir des projets sur lesquels il y a des recours et un ensemble de procédures qui font qu’au bout de plusieurs années les porteurs du projet abandonnent. Il faut vraiment arriver à réduire tout cela.

Il faut aussi que les acteurs publics soient vraiment plus actifs. Je pense à des sociétés comme Engie, comme Total. On n’a pas le sentiment qu’ils fassent preuve d’un réel enthousiasme par rapport à cette transition énergétique. Il y a un acteur important avec lequel c’est compliqué : c’est Météo France, à cause des radars et de l’éolien. On ne trouve jamais à qui il faut s’adresser, on n’a jamais le bon interlocuteur. Et si on le trouve, on nous dit : « c’est comme ça », sans justification. Dans l’Aube, nous avons un champ éolien qui a pu s’installer grâce au fait que le porteur du projet a attaqué l’avis de Météo France devant le tribunal et a a gagné car l’avis n’était pas motivé. Il faut donc mobiliser les grands acteurs publics autour de cet enjeu et les sensibiliser. Voilà, en préambule, quelques éléments d’éclairage qui constituent mon vécu quotidien de président de conseil départemental.

M. Jacky Aignel, maire du Mené. Monsieur le président, mesdames, messieurs, merci pour votre invitation. Je suis maire de la commune nouvelle du Mené, qui a regroupé sept petites collectivités, et qui compte 6 500 habitants sur 163 kilomètres carrés. C’est un territoire atypique, assez vaste mais peu peuplé. Laurent Gaudicheau, directeur général des services, présentera la partie administrative, puisqu’il a en charge le montage des dossiers, et je vais vous présenter ce que nous avons fait sur le territoire et notre volonté politique.

Notre développement, depuis cinquante ans, est le résultat d’une volonté du territoire, d’une volonté des habitants de « faire ensemble ». Si nous en sommes là aujourd’hui, sur un si petit territoire avec si peu de moyens, c’est grâce à la volonté des gens, des habitants et des élus.

Nous n’avons pas attendu ces dernières années pour envisager la transition énergétique. Nous y sommes engagés depuis 1995, et surtout depuis 1999 avec l’idée de construire une usine de méthanisation, l’usine de Géotexia, qui fonctionne. Nous nous trouvons dans une région très agricole, très agroalimentaire, donc avec beaucoup de déchets à traiter, et avec de nombreux paysans – dont je fais partie – qui sont accusés par nos amis côtiers d’apporter des algues vertes dans la Manche. C’est ainsi que les agriculteurs se sont mobilisés, avec des associations, et que cette volonté de transition énergétique a démarré chez nous en 1999. On n’a pas attendu que ça vienne d’en haut pour le faire. On s’est relevé les manches, comme on sait le faire au Menée depuis cinquante ans. Nous sommes un territoire pauvre, et si nous ne mettons pas la main à la pâte, il ne se passe pas grand-chose. Tous mes prédécesseurs et tous les gens qui sont engagés là-dedans peuvent être fiers du résultat. Aujourd’hui, nous possédons le premier outil de méthanisation en France, qui a mis – je rejoins Philippe Pichery sur la question des délais – plus de dix ans à aboutir.

Nous avons aussi de l’éolien participatif : ce sont 147 familles qui se sont investies dans ce parc participatif depuis 2011, et nous sommes en train de monter un deuxième parc.

La collectivité, avec ses bâtiments publics, a mis en place des chaufferies pour les sept anciennes communes. Nous avons cinq chaufferies qui chauffent des bâtiments publics mais aussi des bâtiments privés. Nous avons également du photovoltaïque. Même en Bretagne où, comme on dit plaisamment, il fait beau plusieurs fois par jour, on peut faire du photovoltaïque. La collectivité a aussi construit des maisons solaires dont le chauffage et l’eau chaude sont assurés par 20 m2 de maisons solaires. Voici donc la preuve que c’est possible. Aujourd’hui, nous avons un projet de station biogaz d’un type assez nouveau, sur une fosse à lisier qui permet de récupérer directement le biogaz à partir du méthane.

Il y a un potentiel énorme en Bretagne. On va épurer ce méthane, et puis on va faire tourner des véhicules : ceux de la collectivité mais aussi ceux de La Poste, avec laquelle nous avons un partenariat. La Poste est très intéressée par ce projet, et nous, La Poste nous intéresse parce que ce sont des gens qui font des circuits et un nombre régulier de kilomètres chaque semaine. C’est donc très intéressant aussi pour nous et pour le « business plan ». Ce sont nous, les collectivités et les agriculteurs, qui avons été le fer de lance de ces différents projets. Chez nous, l’associatif est très dynamique et les gens n’hésitent pas à s’engager.

Je laisserai Laurent parler des freins, mais selon moi – je rejoins Philippe Pichery – il faut absolument lâcher la bride aux territoires, qui savent de quoi ils ont besoin. Je comprends l’encadrement des crédits, je comprends l’encadrement des subventions, je comprends tout à fait qu’il y ait besoin de contrôle, mais, de grâce, lâchons la bride aux territoires ! Les besoins de mon territoire ne sont pas identiques à ceux des autres territoires. Nous, les élus, sommes bien placés, avec nos représentants, pour savoir de quoi nos territoires ont besoin.

On peut appeler cela décentralisation ou autrement, mais cette question est un des principaux freins à cette transition énergétique. Au niveau politique, il faut quand même définir une ligne, un fil rouge. Ensuite, on travaille dessus, on s’y tient et puis c’est tout. Il faut arrêter d’aller un coup à gauche, un coup à droite, car à force de zigzaguer on ne sait plus trop où on va. Il faut regarder en face et puis y aller. Si nous n’avions pas mis ce développement en place sur le territoire, nous serions aujourd’hui à la remorque pour ce qui est de la transition énergétique. Or, on en a énormément besoin parce que l’agriculture est en pleine transition, tout comme l’économie. Si l’on veut réussir demain une vraie transition énergétique, il va falloir se poser les bonnes questions. Si l’on continue à faire fonctionner notre économie comme aujourd’hui, jamais on n’y arrivera.

M. Laurent Gaudicheau, directeur général des services de la commune du Menée. Les freins ayant déjà été exposés, je vais plutôt parler de ce qui fonctionne.

Ces six derniers mois, le Mené s’est engagé dans un travail avec trois autres communes de France, Grande-Synthe, Loos-en-Gohelle et Malaunay, pour réfléchir à ce qui fonctionne. Certaines politiques sont engagées depuis maintenant dix ou quinze ans, donc on regarde ce qui marche et ce qui ne marche pas, et pourquoi.

La première chose, c’est d’avoir une approche systémique. La transition, ce n’est pas saupoudrer de petites choses. C’est avoir une vision globale. Au Mené, on a écrit un plan d’action pour devenir autonomes en énergie dès 2004, et en octobre 2005 – vous voyez, ce n’est pas hier –, le conseil communautaire – car à l’époque, nous étions une communauté de communes – a délibéré pour se fixer un objectif de transition énergétique. Quand on relit ce document-là, quinze ans plus tard, on constate que les ressources sont toujours les mêmes, que le vent n’a pas tourné, que l’agriculture produit toujours autant de déchets mais qu’on peut les valoriser, que le soleil n’a pas changé tant que ça, que les gens se déplacent toujours. En revanche, l’habitat et sa réglementation ont évolué, et c’est un point sur lequel il faut avoir une action.

Le problème, c’est qu’en face de cette approche systémique, il y a des moments où se présentent des opportunités. Il peut y avoir une entreprise, une collectivité, un groupe d’habitants qui souhaitent faire quelque chose. Mais, en face, l’État nous propose de la contractualisation. Cela crée un décalage dans le temps entre le moment où naît l’initiative et l’appel à projets qui peut avoir lieu deux ans après. Il est alors trop tard, l’entreprise est partie et c’est terminé. Il y a donc quelque chose à revoir. Cette logique de contractualisation – qui est intéressante parce qu’elle oblige à avoir une vision globale – a tendance à placer les territoires en concurrence. C’est dommage parce que tout le monde n’est pas « premier de cordée », mais peut pour autant souhaiter avancer.

La deuxième condition observée au sein de notre groupe de travail, c’est l’engagement des habitants. Pour que ça fonctionne et que ça se pérennise, il faut que les gens, les collectivités, les habitants et les entreprises d’un territoire y croient, s’engagent et s’approprient la démarche. Cela signifie qu’il faut reconnaître le bien-fondé des petites choses, qui peuvent commencer au bout de la rue et pas forcément pas avec des unités de méthanisation ou des parcs éoliens à 15 millions d’euros. C’est le petit comportement et l’accompagnement de la petite chose qui font que, au final, ça fait système et que ça fonctionne. Or, aujourd’hui ce n’est pas connu, reconnu, intégré dans les politiques nationales.

Concernant la question de temps, de stabilité juridique, effectivement, il faut avancer là-dessus.

Philippe Pichery a évoqué la clause de compétence générale. Moi, je peux parler du principe de subsidiarité. Là encore, on peut faire des choses sur une petite échelle sans renoncer à faire des choses sur une plus grande échelle. Il ne doit pas y avoir de règle. Créer une règle revient à créer des blocages. Par exemple, alors que nous étions une communauté de communes, nous avons pu répondre à des appels « Territoires à énergie positive pour la croissance verte ». Aujourd’hui, nous sommes le même territoire, mais nous sommes une commune et nous ne pouvons pas signer de contrat d’engagement transition énergétique de sûreté. Nous sommes le même territoire, avec les mêmes élus, les mêmes habitants, le même diagnostic, mais du seul fait que nous avons changé de catégorie, nous ne pouvons plus faire. Ça démontre l’absurdité des choses.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Les représentants de la Communauté de communes du Pont du Gard vont maintenant nous expliquer comment celle-ci a mis en place un contrat de transition écologique à la suite de la fermeture d’une centrale thermique au fioul.

M. Louis Donnet, maire de Domazan, vice-président de la Communauté de communes du Pont du Gard (CCPG), président du Pôle d’équilibre territorial rural (PETR) Uzège-Pont du Gard.

Je vous remercie de nous donner la parole. Je vais d’abord laisser Didier Vignolles, conseiller délégué à l’urbanisme de la commune d’Aramon, intervenir, après quoi je reviendrai sur le volet d’ensemble et détaillerai la démarche mise en place dans le cadre du contrat de transition écologique (CTE).

M. Didier Vignolles, conseiller municipal délégué de l’urbanisme de la commune d’Aramon. Notre commune a effectivement été concernée par ce contrat de transition énergétique et par la fermeture de sa centrale électrique.

Aramon est une commune à la fois rurale et urbaine, dotée d’un grand dynamisme démographique. Aujourd’hui, nous comptons 4 300 habitants contre 1 800 en 1954, et nous sommes à un quart d’heure d’Avignon.

Aramon a une vocation industrielle, à la fois du fait des projets de la région Occitanie, mais aussi en raison de son histoire, avec l’implantation de Sanofi et d’Expansia, qui sont des entreprises performantes avec des grosses productions.

Concernant les freins – mon collègue insistera sur les points plus positifs –, je m’attarderai sur notre ressenti local relatif au CTE et aux transports.

Concernant les freins liés au CTE, l’ambition de l’État est clairement énoncée et c’est une ambition ambitieuse, si j’ose dire. Je cite ce que Mme Wargon, secrétaire d’État, a déclaré lorsqu’elle est venue à la signature en décembre dernier et a écrit dans son communiqué de presse : « La dynamique Cleantech Vallée s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire grâce à la valorisation et à la maîtrise des ressources et le développement d’une écologie industrielle territoriale. Le projet vise à faire de la Cleantech Vallée le leader au niveau national dans le domaine, en s’appuyant sur le passé industriel du territoire et sur les compétences à la fois existantes et à développer. » Je n’oublie pas que nous ne sommes pas la seule commune concernée par le CTE : il y a également la communauté de communes de Bagnols-sur-Cèze, qui est concernée par le site nucléaire.

Mais cette ambition peut générer quelques inquiétudes – qui ne remettent pas en question les bonnes volontés qui se sont exprimées – quant à l’impact fiscal. Le député de la circonscription et les services de la communauté ont agi pour que l’impact soit retardé. Mais l’impact existera si le CTE ne nous offre pas de possibilité de développement. C’est là-dessus que notre inquiétude est forte.

Concrètement, je suis chargé de l’urbanisme, nous sommes en train d’achever notre plan local d’urbanisme (PLU), qui doit être approuvé par le conseil municipal mardi prochain. Dans la phase finale, EDF a demandé que la totalité du site – dont il est propriétaire, qui est actuellement clôturé et que nous souhaitons dédié à ce contrat de transition écologique – puisse accueillir des panneaux photovoltaïques. Pour nous, cela obérerait toute l’ambition citée précédemment. Nous avons besoin qu’EDF, propriétaire, joue son rôle, car s’ils ont l’intention de mettre des panneaux, on ne pourra pas aller au-delà du simple accompagnement de fermeture de sites, et c’est justement ce que nous ne voulons pas. Nous avons toutes les installations pour évacuer l’énergie, nous avons toutes les lignes haute tension, nous avons un port sur le Rhône, etc.

Donc, nous avons peur. Nous voyons bien que ce service public d’EDF, tel que nous le connaissions et qu’il existait lorsque j’ai modestement participé au programme nucléaire, n’existe plus. Nous aurions besoin des mêmes moyens, de quelque chose d’équivalent. Or, nous voyons bien qu’il n’a plus d’outils pour le faire et que nous avons besoin de retrouver un service public de l’énergie.

Nous avons aussi besoin d’intelligence et de bienveillance de la part des services de l’État. Pour un territoire comme le nôtre, nous aurions besoin, et le préfet est d’accord avec nous, d’un plan de prévention du risque d’inondation afin d’évaluer les dispositions à prendre.

Venons-en aux transports. Nous attendons depuis des années la réouverture aux voyageurs de la gare SNCF d’Aramon. Il y a une forte dynamique associative, qui a pris en charge ce dossier. Depuis des années, la région s’est engagée, y compris financièrement. La région Rhône-Alpes, qui est concernée par la même rive du Rhône, est également très engagée depuis décembre. Nous avons travaillé sur un écoquartier avec des cabinets. On a travaillé notre plan d’urbanisme en fonction de ce projet. Là aussi, nous butons sur une SNCF qui n’a pas les moyens. Elle freine donc le projet, et cela reporte la réouverture de cette gare qui nous serait bien utile du point de vue de la transition énergétique.

Pour conclure : ces deux projets ont fait naître beaucoup d’espoir et d’attente mais aussi beaucoup de scepticisme de la part de la population et des élus car on ressent les freins et les limites qui font craindre un grand décalage entre les intentions affichées et les moyens octroyés pour les mettre en œuvre.

M. Louis Donnet. Je vais vous resituer le contexte dans lequel le CTE a été mis en place entre nos collectivités et l’État. La Communauté de communes du Pont du Gard (CCPG) compte 17 communes, 26 000 habitants, et Aramon est la plus grosse commune de ce territoire. Cette collectivité est située aux confins de l’agglomération d’Avignon, de celle de Nîmes, de celle de Bagnols et, plus au nord, de la communauté de communes de l’Uzège. Elle s’appuie économiquement, comme d’ailleurs celle de l’agglomération du Gard rhodanien, sur trois piliers : l’agriculture, l’industrie et le tourisme.

L’industrie, ce sont les usines dont a parlé M. Vignolles, la centrale d’Aramon, ainsi que le secteur de Marcoule et son parc nucléaire situé dans le bassin rhodanien.

Pour nous, tout a commencé en avril 2016 lorsqu’EDF a arrêté l’exploitation de la centrale avec sept ans d’avance par rapport à la date prévue initialement. Très rapidement, notre collectivité s’est rapprochée d’EDF et des partenaires institutionnels – conseil régional, ADEME, DIRECCTE, DTTM – pour travailler à un projet de reconversion du site. Sont alors nées les « Cleantech Booster », initiative d’EDF et de la CCPG autour de la transition énergétique et de la Cleantech Vallée. Le but est de faire émerger des start-up dans le domaine de l’économie circulaire et du recyclage. Début 2018, l’agglomération du Gard rhodanien est entrée dans le projet pour élargir la démarche. C’était au moment où le Gouvernement souhaitait mettre en place les contrats de transition écologique. Nous nous sommes donc intéressés à cette thématique et nous nous sommes rendu compte que nous entrions bien dans le dispositif, de sorte qu’en l’espace de quelques mois nous avons signé le troisième contrat de transition écologique au niveau national. L’idée de ce contrat – et on reprend là les idées et le concept de bottom-up développés par M. Aignel – est de partir des acteurs locaux pour faire émerger des idées et des actions, puis d’aller chercher auprès de l’État les moyens de les faire naître et de les mettre en œuvre.

Aujourd’hui, nous avons plusieurs « fiches actions » qui découlent de ce CTE, et cela représente 200 millions d’euros. L’État contribue pour 1,7 million d’euros via l’ADEME, et la région contribue aussi, bien que plus modestement. Tous les acteurs du territoire sont engagés. C’est un réel outil, qui permettra de passer le cap. Avec la fermeture d’Aramon, en effet, la communauté de communes du Pont du Gard s’est retrouvée privée de 30 % de ses recettes fiscales. Aujourd’hui, elle ne survit que parce qu’elle avait un bas de laine. Nous espérons, avec ce contrat de transition écologique et toutes les actions qu’il permet en faveur de l’éolien, du photovoltaïque et du recyclage, pouvoir développer l’économie et redynamiser le territoire.

On a parlé des freins réglementaires, et je rejoins M. Pichery. Il y a effectivement la loi NOTRe, mais lorsqu’on rencontre des porteurs de projets, on comprend que tout ce qui est lié à la protection de l’environnement et à la biodiversité peut être source de grandes difficultés dans l’élaboration des projets.

Le manque d’acceptation par le tissu social est effectivement le frein principal pour nos projets, aussi bien pour l’éolien que pour le photovoltaïque. Même lorsque l’on s’y prend suffisamment en amont les projets, on se rend compte qu’il existe de grandes difficultés à les faire accepter. Ce sont donc des sujets très importants.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Merci pour vos interventions. J’ai trois types de questions.

La première porte sur le rôle qui pourrait être le vôtre en matière de planification. Avant, par exemple, il y avait des zones de développement éolien. Une discussion s’engageait au niveau des communautés de communes, puis avec la population, et à la fin on pouvait dire : des éoliennes, on peut en mettre là, là et là. Ça permettait de cadrer, d’avoir une vision, et de préparer ensuite la population au développement. Mais on a supprimé cela. Je voudrais savoir ce que vous en pensez et à quel niveau on peut le rétablir : au niveau des départements, des communautés de communes ? C’est la même chose pour la biomasse. Aujourd’hui, le département de Maine-et-Loire s’interroge sur les moyens de développer la méthanisation sans prendre sur les terres agricoles alimentaires. Il a fait réaliser trois études et a conclu que, pour le seul Maine-et-Loire, 49 méthaniseurs, soit un tous les 12 ou 13 kilomètres, seraient nécessaires. Est-ce que ce n’est pas aussi le rôle d’un département de réfléchir à cela ?

La même question se pose aussi pour le solaire si l’on veut éviter d’utiliser des terres agricoles. Ce rôle de planification des territoires me paraît donc important.

Concernant le biogaz, vous parliez de son utilisation pour la mobilité. Ne pensez-vous pas qu’il serait souhaitable d’utiliser l’électrique sous forme de pompes à chaleur pour le chauffage et de réserver le biogaz pour la mobilité ? On ne remplacera jamais tout le gaz de pétrole par du biogaz, et on se trouve donc limité. Il faudra donc faire des choix. Vos réflexions vous conduisent-elles vers cette éventualité ?

Vous nous aviez dit vous être rapprochés des communes de Grande-Synthe et de Loos-en-Gohelle, dont j’ai rencontré le maire récemment. Ils ont eux aussi une grande expérience dans le domaine de la transition et s’appuient sur leur passé énergétique pour aller vers la nouvelle énergie. Est-ce que, du côté d’Aramon, vous faites également cette démarche ?

Ces échanges entre collectivités sont importants et me conduisent à formuler une quatrième question. Lors de cette mission, nous nous sommes rendu compte que de nombreux territoires se prenaient en main et faisaient de belles choses. Que faut-il faire pour que ces acteurs avancent ensemble, motivent ceux qui n’ont pas encore avancé dans ce domaine ?

M. Philippe Pichery. Sur le premier point, je partage votre questionnement : il faut que l’on concrétise une planification. Si les opérations prennent tant de temps, c’est parce qu’à chaque fois on recommence de zéro. Une planification permettrait de ne pas reprendre sur chaque dossier des préalables et des considérants déjà traités collectivement. Les choses pourraient certainement avancer plus vite, et l’on pourrait jouer sur les complémentarités d’usages. Concernant le choix du type d’énergie par rapport aux types de consommation, tels que véhicules et chauffage, la planification est vraiment indispensable et fait aujourd’hui défaut.

À quel niveau cette planification devrait-elle être envisagée ? Je représente les départements et je constate que les atouts et les caractéristiques de nos territoires sont très divers. Cette diversité fait la richesse de notre pays. C’est un atout exceptionnel et si l’on veut le valoriser, il faut pouvoir prendre en compte ces caractéristiques différentes au plus près du terrain. Je pense que l’échelon départemental est totalement pertinent grâce à sa proximité, à son rôle de solidarité territoriale. Je sais qu’il ne s’agit pas d’un cadeau : cela veut dire qu’il va falloir prendre des décisions, faire des arbitrages, et que cela fera des satisfaits, mais aussi des déçus. Mais, honnêtement, si on veut avancer… J’appelle de mes vœux cette planification au niveau du département.

Sur le dernier point que vous avez évoqué, l’effet d’entraînement, il y a un rôle pédagogique à développer. Régulièrement, on découvre de nouvelles initiatives qu’il serait pertinent de reproduire. Pour moi, la base, c’est l’échange d’expériences, qui existe déjà entre nos collectivités mais qu’il faut renforcer et animer. On ne va pas réinventer chacun de son côté ce qui a déjà été réalisé à proximité. Il vaut mieux se rencontrer, en parler, et on gagnera ainsi beaucoup de temps.

M. Jacky Aignel. La planification est certainement ce qui nous manque aujourd’hui. Nous, nous l’avons faite en 2005, Laurent Gaudicheau l’a expliqué tout à l’heure. Je regrette les zones de développement éolien (ZDE), car elles avaient le mérite de positionner un territoire : les choses étaient claires. Ce n’était pas du « n’importe quoi » comme aujourd’hui, où les entreprises démarchent pour obtenir des terrains, signer des baux, avant de constater que le projet ne peut avancer au niveau administratif. C’est une perte de temps et d’argent monumentale. Je suis donc favorable à un retour de ce type de schéma, qui est indispensable. C’est moins vrai pour le photovoltaïque, surtout dans notre région. Mais ça l’est pour l’éolien. C’est quand même assez vallonné par chez nous, et l’habitat très diffus ne permet pas de « caser » facilement un projet éolien, compte tenu de la règle des 500 mètres.

Pour la méthanisation, c’est exactement la même chose. À plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion de rencontrer Mme Royal quand elle était ministre et qu’elle parlait d’installer 1 500 méthaniseurs en France. Cela ne veut rien dire ! Ce qu’il faut d’abord, c’est faire un diagnostic. Le Maine-et-Loire l’a fait, mais il faut analyser les choses à l’échelon régional. Aujourd’hui, chez nous, les agriculteurs montent leur propre méthaniseur parce qu’il y a des fumiers et des lisiers, mais ce sont des produits qui ne sont pas tous méthanogènes. C’est donc la course aux intrants auprès des industries agroalimentaires de la région, qui, demain, se feront payer ces déchets pour les valoriser dans le digesteur. Le modèle économique du digesteur risque donc de plonger, et c’est pourquoi on a besoin d’un bon diagnostic, d’une bonne autopsie du territoire ; il faut absolument que les collectivités soient partenaires et amènent leurs déchets. Il y a une quantité de déchets dans nos collèges, dans nos lycées, qui sont méthanisables. Quand je pense au pain qui est gâché dans les restaurants scolaires, c’est incroyable ! Là aussi, il faut absolument planifier car on court à l’échec.

Sur l’essaimage, je laisserai la parole à Laurent Gaudicheau dans quelques instants. Au Mené, en 2010, nous avons mis en place le premier « territoire à énergie positive » (TEPOS). L’an prochain, c’est chez nous que se déroulera la rencontre pour le dixième anniversaire, car cela tourne chaque année : l’an dernier nous étions à Montmélian, cette année nous serons à Clamecy. Je crois qu’aujourd’hui nous sommes une centaine de territoires engagés dans cette démarche. Ce n’est donc pas rien en termes de mobilisation.

Il faut surtout éviter de faire deux fois les mêmes erreurs. Avec cette usine de méthanisation de Géotexia, nous avons attendu deux ans que l’ANSES valide le digestat qui allait être répandu. Pendant deux ans, l’entreprise a donc perdu de l’argent, car il fallait exporter ce digestat qui n’était pas homologué chez nous alors qu’il l’était depuis belle lurette en Allemagne et en Belgique. Mais le lisier de porc, qu’il soit belge ou allemand, c’est à peu près la même chose… Aujourd’hui, malheureusement, pour beaucoup d’appels à projets, il faut dépenser 20 000 ou 30 000 euros en études. Mais des études, il y en a partout qui sont en train de pourrir dans les tiroirs ! C’est d’action que nous avons besoin !

Il faut revaloriser l’expérience et mettre en mouvement les gens afin de réaliser des choses. Je suis agriculteur et je crois à la vulgarisation « par-dessus le talus » : c’est en faisant des choses et en les montrant qu’on mobilisera les gens et qu’on avancera.

Il faut aussi aller voir ailleurs. Nous avons « fait » tous les pays d’Europe depuis 2005. Tous les ans, au niveau de la commune, on se fait un petit voyage. On va voir ailleurs ce qui se fait, ce qui se fait de bien, ce qui se fait de mal, parce que c’est comme chez nous : tout n’est pas bien. Mais il faut absolument bouger et je crois que c’est un des leviers indispensables : amener les gens à regarder par-dessus le talus, à aller voir ailleurs ce qui se passe, et puis à avancer en suivant le fil rouge.

M. Laurent Gaudicheau. Les exemples le démontrent, il faut effectivement planifier. La première question à se poser est donc : à quel niveau ? Là encore, je pense que nous retombons dans nos travers, en disant que seule la région, ou seul le département, peut planifier. Il y a des ressources à gérer sur des périmètres différents.

Des logiques adaptées doivent être trouvées en fonction des ressources, des besoins et de l’engagement des gens. La planification ne doit pas freiner cette volonté des gens de s’impliquer, de s’engager. Quand il y a un acteur qui veut faire quelque chose quelque part, il ne faut pas que, sous prétexte de planification, ce soit impossible et que rien ne soit fait.

Sur l’idée de réseau, tout a été dit. Le réseau des TEPOS fonctionne depuis maintenant dix ans. Il reste à développer les échanges de pratiques, afin d’éviter de réinventer la roue à chaque fois. Pour cela, il faut permettre aux différents niveaux de se rencontrer : le maire parle au maire, l’habitant parle à l’habitant, le président d’association parle au président d’association, le chef d’entreprise parle au chef d’entreprise, le DGS parle au DGS. C’est indispensable, puisque ce sont des gens qui parlent le même langage.

En ce moment nous réfléchissons à notre régime indemnitaire. Cela n’a rien à voir avec la transition énergétique, mais cela illustre le fait que l’implication des populations était déterminante. C sont ces petites choses-là qui font que les choses peuvent avancer et que le travail en réseau est indispensable.

Faut-il affecter le biogaz à la mobilité, et l’électricité au chauffage ? Là encore, pour moi, il n’y a pas de réponse. Il y a des territoires qui ont un potentiel biogaz important mais pas de potentiel électrique. Le Mené n’est pas dans une logique autarcique : nous n’avons aucune envie de couper le réseau EDF et de nous fermer. Pour autant, il faut accepter que le Mené n’ait pas un mix énergétique identique à celui de l’Aube ou du Gard, parce que les ressources naturelles, les comportements des gens, la densité de l’habitat ne sont pas les mêmes.

M. Louis Donnet. Je suis président du PETR Uzège-Pont du Gard, qui porte le schéma de cohérence territoriale (SCoT) du territoire. Pour la partie « production d’énergie renouvelable », nous arrivons à mener des actions de planification. Celanous est demandé – voire quasiment imposé maintenant – par les services. Nous allons finaliser notre SCoT début juin, et nous avons identifié des zones qui seraient favorables à l’éolien ainsi qu’au développement du photovoltaïque au sol. Mais nous nous apercevons qu’il existe un antagonisme entre notre projet et l’État, puisque les énergies renouvelables sont favorisées mais qu’en même temps l’usage de panneaux photovoltaïques est limité en zone forestière. On a cependant réussi à trouver une solution intermédiaire en proposant des surfaces maxima d’utilisation de photovoltaïque réparties sur deux secteurs, de telle sorte que les communes du territoire, en fonction des projets, pourront produire.

En termes de planification, les SCoT peuvent être des solutions. Évidemment, tous les territoires français ne sont pas couverts par des SCoT. Dans le Gard, il y en a trois ou quatre, qui couvrent quasiment le département et qui permettraient de remonter une planification consolidable au niveau régional, puisque la région Occitanie souhaite devenir d’ici 2030 la première région française à énergie positive.

S’agissant du retour d’expérience, il y a encore beaucoup de travail. Nous le faisons dans le cadre de l’assemblée des territoires de la région Occitanie, où se tissent des liens assez récurrents et fréquents entre territoires. Nous partageons nos expériences aussi bien sur la transition écologique que dans d’autres domaines.

M. Didier Vignolles. Je siège au conseil syndical du PETR, où nous avons abordé cette question des freins. Bien des élus – qui participent au débat et sont très volontaires pour le photovoltaïque – le sont plus pour des considérations financières et fiscales que pour des considérations de transition énergétique. Souvent, j’ai vu à cette réunion des maires dire : « Nous avons des entraves pour la protection de la biodiversité, etc. ». Mais quand on creuse un peu, on s’aperçoit que ces communes qui ne s’en sortent plus s’engagent dans le projet photovoltaïque pour des considérations financières et non en raison d’une véritable adhésion à la transition énergétique. Ce n’est pas sans fausser parfois nos débats…

Quant à la question sur la biomasse et la production de combustible à partir de déchets et sur nos attentes vis-à-vis du CTE, nous espérons que ce partage d’expérience, notamment avec l’ADEME et les grands acteurs publics, nous permettra d’innover et d’investir vraiment. C’est pourquoi nous souhaitons maintenir une partie du territoire non neutralisée par du photovoltaïque, afin de pouvoir développer les activités industrielles qui découleraient du CTE.

M. Philippe Pichery. Cette question de la planification est très importante, et j’abonde dans le sens des autres interlocuteurs. Du fait de la diversité de nos territoires, il faut une certaine proximité, et le SCoT, si je prends l’exemple de mon département, pourrait être pertinent. Il ne faut pas forcément définir un niveau de responsabilité, car il vaut mieux laisser les acteurs locaux s’organiser. En revanche, il me semble important de définir le niveau de prescription. Veut-on un document prescriptif, ou un document de cohérence qui organise les choses ? C’est une question très importante, à laquelle il faudrait réfléchir entre acteurs locaux. Quand on saura à quel niveau organiser les choses en termes de prescriptions et de contraintes, on pourra préciser le niveau ou le document adapté. Aujourd’hui, il y a le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) au niveau de la région, il y a les SCoT, il y a les plans départementaux. Ce n’est pas une question de pouvoir : c’est une question liée aux caractéristiques du territoire et à la nécessité de trouver la meilleure organisation entre les acteurs. J’insiste sur cette mise en question du prescriptif : j’ai vécu l’émergence et l’évolution des documents d’urbanisme, et je me suis rendu compte que les documents les plus précis sont loin d’être toujours les meilleurs, car ils ne cadrent pas forcément avec les contraintes que l’on s’est données. C’est la même chose pour les PLU, et il faudra bien réfléchir à cela pour la planification.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Dernière question, qui conclura notre table ronde : quel est le lien entre transition énergétique et développement économique ? On entend souvent dire que l’une favorise l’autre. Comment percevez-vous et vivez-vous les choses ? Constatez-vous vraiment un regain économique local grâce à cette transition énergétique ?

M. Philippe Pichery. Ma réponse est : oui, mais pas nécessairement dans la gestion régulière. S’agissant du photovoltaïque, par exemple, il y a une activité économique importante quand on le crée, mais ensuite, cela ne représente pas un nombre d’emplois très important. En revanche, il y a des effets indirects : des retombées fiscales qui permettront de générer d’autres activités économiques. Je suis convaincu, en tout cas, que ce lien entre transition énergétique et développement économique est une réalité.

Pour en revenir aux freins que nous évoquions, mon département, qui n’a plus la compétence du développement économique, se trouve face à des incohérences. Ainsi, je pourrais favoriser la création d’un champ photovoltaïque en mettant gratuitement à disposition un terrain qui ne sert pas. Ce serait une excellente opération, qui aurait des retombées fiscales. Eh bien, je n’en ai pas le droit car, aux termes de la loi NOTRe, ce serait une aide économique. Il faudrait adapter la loi NOTRe à la transition énergétique.

M. Jacky Aignel. C’est un sujet très vaste. Il n’y aura pas de transition écologique réussie sans de remise en cause de l’activité économique globale : pas simplement au niveau d’une commune, ni d’un département, ni même d’un pays, mais au niveau de la planète. Va-t-on continuer de faire circuler des camions de marchandises du sud au nord de l’Europe ? Souvent, on a les ressources chez soi mais on ne s’en satisfait pas parce qu’on sait qu’on va trouver un peu plus de valorisation ailleurs.

Tout ça, c’est le commerce, on ne va pas le remettre en cause. Regardez ce qui se passe en Bretagne : on fait venir, depuis des années, des tourteaux de soja du Brésil ou d’Argentine pour nourrir un bétail que nous avons ensuite du mal à vendre. Les agriculteurs périclitent parce qu’il y a chez nous une transition agricole très, très, très profonde. On en parlera encore dans quelques années, car cela va être très compliqué pour les agriculteurs qui vont rester. Dans notre petite commune, nous avons construit une huilerie où l’on triture du colza. Pas besoin, donc, d’acheter ces tourteaux qui viennent d’Argentine ou du Brésil : nous avons tout !

La richesse est dans les territoires. Nous l’avons sous les pieds. Donc, réorganisons-nous. Les transports représentent 40 % des dépenses énergétiques. C’est sans doute un vœu pieux, car ce n’est pas moi qui vais le faire, mais il faut réorganiser les transports. Tout dépend de ça. La Bretagne importe aujourd’hui du lait qui vient du Danemark. Toutes les semaines, il entre en Bretagne 53 camions de poudre de lait qui arrivent du Danemark et de Hollande. Et nous, les producteurs laitiers bretons, nous envoyons notre lait en Espagne, en Suisse, etc. Il faut arrêter tout ça, mais je sais bien que ça ne va pas être réglé tout de suite.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. L’huile de colza, comment est-ce que vous la valorisez ?

M. Jacky Aignel. Je l’ai valorisée dans mon tracteur quand le pétrole était cher, tout simplement. Et aujourd’hui, je la valorise en alimentaire parce que c’est avec l’huile que je mettais dans mon tracteur que ma femme fait la salade. L’huile Cauvin est produite chez nous, en Bretagne. Je dis souvent qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait Saint-Cyr pour trouver les bonnes solutions. Il suffit d’être un peu pragmatique et d’avoir un petit peu de bon sens. La richesse, elle est là, elle est dans les territoires. C’est cela qu’il faut bien comprendre. Il faut lâcher un peu la bride et vous verrez que ça marchera.

M. Laurent Gaudicheau. Nous avions fait un rapide diagnostic en 2005. La facture énergétique de notre petit bout de territoire, c’était 9 millions d’euros par an. À l’époque, on considérait qu’on ne produisait rien. Aujourd’hui, nous en sommes à 39 % d’autonomie énergétique sur le territoire, c’est-à-dire que 39 % de l’énergie qui y est consommée y est produite. On voit bien, donc, que ça génère de la richesse sur un territoire, et on peut s’amuser à le traduire en emplois. Sur les dix dernières années, plus de 30 millions d’euros ont été investis : à l’échelle d’une métropole, c’est peu, mais à l’échelle d’un territoire de 6 500 habitants, c’est important. Donc, effectivement, cela représente de l’activité pour les entreprises et de l’argent pour les ménages, puisqu’un parc éolien où les gens ont investi, c’est aussi une petite épargne.

M. Jacky Aignel. Ce que nous attendons du CTE, ce sont des réponses économiques, industrielles et créatrices d’emplois. La fermeture de la centrale électrique nous a coûté très cher en emplois et en emplois induits.

Concernant les transports, nous sommes bordés par une route départementale, où une véritable noria de camions porte-conteneurs arrive du port de Fos en faisant du contournement autoroutier qui les fait passer devant la centrale, qu’on a arrêtée parce qu’elle émettait trop de CO2. Vous ne le savez peut-être pas, mais cette centrale, qui avait une grosse capacité de production et avait été conçue durant le tout-pétrole des années 1970, ne tournait que quelques heures dans l’année. En termes de pollution, son impact était faible comparé à celui que génère le transport dans la commune. La route passe entre le site qui fait partie du CTE et le Rhône, sur lequel passe seulement un porte-conteneurs de temps en temps. La personne que nous avons rencontrée au port autonome de Marseille nous dit que le transport fluvial représente 5 % du trafic observé sur le port autonome…

Mme Marie-Noëlle Battistel, présidente. Messieurs, je pense que vous avez tous pu répondre aux questions du rapporteur. Je crois que le bon sens et l’intelligence des territoires feront que c’est depuis eux que se fera la transition énergétique. Il y a en effet des incohérences dans les choix actuels, qui montrent qu’on arrête souvent des orientations avant de se rendre compte un peu plus tard que ce qu’on a fait n’était pas pertinent.

Merci de vos contributions, qui alimenteront naturellement notre rapport. Nous tiendrons compte de vos préconisations afin d’avancer davantage et, surtout, plus vite, car les territoires sont souvent en attente de réglementations dont l’absence entrave la bonne fin de leurs projets.

 

L’audition s’achève à douze heures quinze.

 

 


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31.   Jeudi 16 mai 2019 : Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la manière de faire évoluer les pratiques sociales :
– M. Stéphan Giraud, chef de projet en sciences comportementales au sein de la direction interministérielle à la transformation publique (DITP) ;
– M. Guillaume Martin, administrateur bénévole au sein de l’association Avenir climatique ;
– Mme Solange Martin et Mme Anaïs Rocci, sociologues au sein de la direction exécutive de la prospective et de la recherche à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;
– M. Géraud Guibert, président de La fabrique écologique et M. Noé Deschanel, chargé de mission ;
– Mme Fanélie Carrey-Conte, directrice du pôle « coopération » d’Enercoop.

L’audition débute à onze heures dix.

M. Julien Dive, président. Nous sommes réunis pour une table ronde qui a pour thème « faire évoluer les pratiques sociales » dans le cadre de cette mission d’information sur les freins à la transition énergétique.

Cette mission d’information a été créée à l’été 2018 pour une durée d’une année. Le rapporteur en est Bruno Duvergé, à mes côtés, à qui je laisserai la parole dans un instant, avant de vous présenter et de vous donner la parole.

L’idée de cette mission est de pouvoir, pendant une année, organiser des auditions, des tables rondes, comme celle-ci, sur différents thèmes. Sept thèmes ont été référencés pour identifier les freins à la transition énergétique en France, comment les lever selon les différents territoires et les différentes typologies d’acteurs.

Nous avons jusqu’alors mené une trentaine d’auditions et de tables rondes, mené des déplacements, que ce soit à la communauté urbaine de Dunkerque, au Danemark et bientôt à Berlin, pour aller aussi rencontrer les acteurs.

Chose novatrice, puisque l’on ne peut pas auditionner l’ensemble des acteurs, nous avons mis en place au cours des mois de mars et d’avril une contribution en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. Il était possible pour chacun, que ce soient les ONG, professionnels, les acteurs économiques, les collectivités, les particuliers et citoyens, de pouvoir réagir à des propositions, identifier des leviers et des freins, faire des remarques et même voter sur ces propositions. C’est un peu plus de 4 000 contributions qui ont été faites sur le site. Elles nous permettent d’alimenter le rapport et de nourrir le débat.

Je me dois de vous préciser que cette table ronde, qui est en ligne sur le site de l’Assemblée nationale, est ouverte à la presse.

Nous avons défini, avec l’ensemble de membres parlementaires de cette mission d’information, sept axes sur les freins à la transition énergétique :

– l’équation entre la production et la consommation d’énergie ;

– le développement des énergies renouvelables ;

– la mobilité, ce qui fait sens avec l’actualité parlementaire - il y a dans une salle voisine des débats en ce moment même sur la loi de réorientation des mobilités ;

– les économies d’énergies ;

– les évolutions, les mutations des grands groupes, particulièrement énergétiques

– la place et le rôle des territoires – j’évoquais l’exemple de la communauté de Dunkerque – des collectivités, des intercommunalités et des régions ;

– la fiscalité énergétique qui a nourri les débats de ces derniers mois.

Voilà pour le schéma de cette mission d’information. Je propose à Monsieur le rapporteur de compléter. Ensuite, je vous présenterai les uns et les autres. L’idée est d’avoir cinq à dix minutes de propos liminaires pour favoriser les échanges. Je vous remercie.

M Bruno Duvergé. Je vous remercie, Monsieur le Président.

La présentation que vous avez faite est assez complète. Je dirais que les aspects sociaux sont à travers les sept thèmes qui ont été décrits.

Le premier thème que Monsieur le Président a décrit comme étant l’adéquation entre production et consommation d’énergie est plutôt sur la vision à long terme, la lisibilité de là où on doit être, et au niveau social, sur cette appropriation par le Nouveau monde, de cette même façon de produire et de consommer l’énergie. Bien évidemment, l’appropriation ou la résistance de la société se retrouve dans tous les thèmes. À vous, maintenant, de vous exprimer sur ce sujet.

M. Julien Dive. Ce matin, nous accueillons pour cette audition :

 la direction interministérielle à la transformation publique(DITP). Elle nous doit d’excuser Monsieur Thomas Cazenave, délégué interministériel à la transformation publique, qui est retenu sur un événement. Monsieur Stéphan Giraud, chef de projet en sciences comportementales au sein de la DITP, pourra parfaitement le relayer ;

– Monsieur Guillaume Martin, administrateur bénévole au sein de l’association Avenir climatique ;

– Madame Solange Martin et Madame Anaïs Rocci, sociologues au sein de la direction exécutive de la prospective et de la recherche, à l’ADEME ;

– Monsieur Géraud Guibert, président de La Fabrique écologique, accompagné de Monsieur Noé Deschanel, chargé de mission ;

– Madame Fanélie Carrey-Conte, directrice du pôle « coopération » d’Enercoop.

Je propose à la DITP, par l’intermédiaire de Monsieur Stéphan Giraud, de passer aux propos liminaires.

M. Stéphan Giraud, chef de projet à la DITP. Je vous remercie, Monsieur le Président. Je vous remercie de nous donner l’opportunité d’évoquer ces travaux que l’on conduit dans le domaine des sciences comportementales. Je remercie aussi une personne absente aujourd’hui, à savoir l’un des camarades de Guillaume Martin, Thibaud Griessinger, la principale plume du rapport que nous avons rédigé sur les apports des sciences comportementales à la transition écologique.

Qu’y a-t-il dans ce rapport, du moins, tout d’abord, que n’y a-t-il pas ? Il n’y a pas de solutions miracles. Nous n’avons pas de martingale particulière qui serait issue des sciences comportementales qui permettrait de régler de manière générale les enjeux écologiques, notamment la transition énergétique.

Ce qu’il y a dedans principalement, c’est un discours de la méthode, appliquée à une politique publique particulière. Ce discours de la méthode vise à aborder un « impensé » des politiques publiques, à savoir le comportement humain. Quand on fait des politiques publiques, on le fait avec un ensemble de techniques, mais on le fait aussi avec un schéma hérité des concepts de l’économie néo-classique, selon lequel les citoyens seraient des individus rationnels et cartésiens.

Or, il ne s’agit pas d’un jugement de valeur mais d’une réalité biologique et sociale, nos concitoyens ne sont pas de surhommes cartésiens comme on voudrait parfois le penser. C’est ce sur quoi nous éclairent les sciences comportementales et cognitives. Il y a un ensemble de corpus scientifiques derrière cela, de psychologie, donc de sciences cognitives, différentes disciplines avec lesquelles nous travaillons qui nous invitent à considérer la réalité des modes de prises de décision des individus.

Les individus ne fonctionnent pas comme des supercalculateurs et ne sont pas des optimisateurs d’intérêt. Ils sont davantage affectés par des barrières psychologiques, par des freins comportementaux qui font que leurs choix, leurs comportements sont davantage des raccourcis mentaux - on parle d’heuristique. Il y a des formes de réflexes probabilistes qui font que leurs comportements ne sont pas forcément ceux que l’on aurait escomptés à la mise en œuvre de politiques publiques. C’est spécialement vrai dans le champ environnemental.

Je vais être très schématique – si un docteur en sciences cognitives m’écoute, il trouvera sans doute que je suis un barbare : vous avez de grandes catégories de phénomènes de barrières comportementales qui affectent nos comportements. Certains ont trait à ce que l’on appelle la rationalité limitée, le fait que ces barrières comportementales nous empêchent d’avoir des comportements totalement cohérents par rapport à ce qui est supposé être de notre intérêt. Nous avons également une volonté limitée, nous avons affaire à des phénomènes que l’on qualifie de dissonance cognitive, qui créent des tensions entre nos valeurs et nos actes et qui sont particulièrement prégnants dans les problématiques environnementales. On est souvent dans des problématiques de passage à l’acte : on a parfois du mal à faire ce que l’on voudrait faire.  

L’autre difficulté, dans la manière dont on considère l’individu dans les politiques publiques, est justement de tendre à le considérer comme un individu. Je crois que les sociologues ici présentes le confirmeront : nous ne sommes pas uniquement des individus, nous sommes aussi des êtres sociaux et devons composer avec des contextes. 

Pourquoi la DITP s’est-elle intéressée à ces sujets ? Elle l’a fait parce qu’on a constaté au fil des années que l’efficacité des politiques publiques avait beaucoup à gagner à s’intéresser aux individus, à nos concitoyens – ce que vous avez également fait en mettant cette consultation en ligne. On le fait avec différentes méthodes que nous qualifions d’innovantes, qui mêlent des enquêtes d’usagers qualitatives et quantitatives, qui utilisent des outils de démocratie participative et qui s’intéressent au champ des sciences comportementales.

Les sciences comportementales se sont développées depuis des dizaines d’années en recherche académique. Elles ont, depuis plus d’une dizaine d’années, également investi la sphère publique avec des initiatives du côté anglo-saxon, principalement avec la montée en puissance du concept de nudges qui a été utilisé au sein de l’administration Obama. La principale structure qui s’est constituée autour de cela au sein du gouvernement anglais est la Behavioural Insight Team qui occupe aujourd’hui près de 200 personnes. Vous avez de manière générale quelque 200 unités comportementales qui sont instituées dans la sphère publique, de par le monde, avec des visées plus ou moins prospectives ou opérationnelles. Nous, nous essayons d’être à mi-chemin entre les deux. 

On l’a fait dans le champ environnemental. Si ces méthodes dites de nudges sont entrées en France par le champ comportemental, avec une note il y a quelques années sur les nudges verts, nous avons eu depuis l’occasion de travailler sur un certain nombre de ces sujets. Nous avions travaillé dans le cadre de la COP 21 à l’identification d’éco gestes et nous avons, depuis lors, enclenché avec des partenaires ministériels différents types de projets. J’en ai deux principalement en tête. L’un a trait à la réparabilité dans les actes d’achat des consommateurs. L’autre, qui est plus en lien direct avec vos problématiques, a trait au mode de chauffage, quelque chose qui est à la frontière entre la problématique de la pollution atmosphérique et les questions de pouvoir d’achat liées à des modes de chauffage plus intéressants pour nos concitoyens. On réfléchit, avec le ministère de l’environnement, à travailler sur les aides énergétiques.

On essaie de faire tout cela avec des méthodes qui se veulent assez rigoureuses : la méthode commence par une phase de diagnostic comportemental, s’appuyant sur l’ensemble des corpus scientifiques que j’évoquais en amont qui tendent à être des revues de littérature, des benchmarks, des études complémentaires de type ethnographique, suivi par des phases d’idéation. Les barrières comportementales que j’évoquais au départ peuvent être transformées en leviers comportementaux. On peut aussi s’efforcer de transformer les freins cognitifs avec lesquels doivent composer nos concitoyens, nos décideurs et nos agents publics en quelque chose de plus positif, notamment en s’efforçant de simplifier au maximum les contextes dans lesquels ils évoluent.

Je le disais, nous sommes des êtres de contexte, des êtres sociaux, et il est utile de s’appuyer sur le regard d’autrui et sur la manière dans les autres fonctionnent. On peut ainsi utiliser différents leviers - je ne vais pas tous vous les lister - qui permettent d’optimiser l’efficacité des politiques publiques.

Il n’y a néanmoins pas de solutions miracles. Nous nous efforçons de tester systématiquement les solutions en aval, en utilisant des méthodes scientifiques robustes, notamment des essais randomisés contrôlés. C’est cet ensemble de solutions que l’on essaie de promouvoir, sur la transition énergétique, mais également sur de nombreux autres sujets. Nous sommes une direction interministérielle et nous travaillons sur tout type de politique publique.

Cette approche comportementale n’est pas non plus autosuffisante. Certains sujets sont plus techniques ou économiques. Nous voulons juste éviter que cet « impensé » de l’action publique, à savoir que le comportement humain, dans ce qu’il a de plus complexe et de plus réel, soit oublié au moment de la mise en œuvre des politiques publiques. Clairement, il y a beaucoup à faire sur le champ environnemental.

Le rapport avait vocation à donner un éclairage à travers différents exemples de nudges. Aucun n’était spécifiquement sur la transition énergétique mais il s’agissait plus d’un hasard que d’autre chose. En effet, beaucoup d’initiatives conduites de par le monde ont trait à ce champ. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a produit un rapport qui montre que 50 % des initiatives comportementales traitant de questions environnementales étaient directement liées aux questions énergétiques, qu’elles soient appréhendées directement ou indirectement, à travers les questions liées à l’électroménager. Je vous remercie.

M. Julien Dive. Je vous remercie. Je propose à Monsieur Guillaume Martin qui est bénévole au sein de l’association Avenir climatique de prendre la parole. En propos liminaire, l’association est composée d’étudiants et de jeunes actifs. Son objectif est de faire monter en compétences les jeunes bénévoles pour transformer les acteurs de la transition énergétique.

M. Guillaume Martin, administrateur bénévole, association Avenir Climatique. Avenir climatique est une association qui est née il y a onze ans avec pour objectif de faire des enjeux climatiques une priorité nationale. L’idée est de prendre des personnes déjà sensibilisées et de les transformer en ce que l’on appelle vulgairement des  « poils à gratter sociétaux »  capables de convaincre leurs amis, leurs grands-mères, leurs chefs d’entreprise ou leurs élus de s’occuper du climat, parce que c’est une priorité.

On a développé un certain nombre d’outils qui sont en open source ainsi qu’une conférence et un cours vidéo en ligne. Nous proposons également des réflexions sur la manière de faire porter un message, de parler en public, de débattre et d’argumenter. C’est pour cela que nous expérimentons aussi les changements de comportement avec Thibaud Griessinger, cité précédemment par mon voisin.

Nous avons lancé cette année deux projets. Le premier s’appelle Edu-climat. Il a pour but d’outiller les professeurs de l’école primaire, du collège et du lycée à parler de ces enjeux en classe. Nous sommes surpris de l’engouement suscité. Plus de 300 professeurs qui nous ont rejoints et ont sensibilisé en une année 1 500 élèves. Le second projet s’appelle « approche comportementale de la transition écologique ». Il a été initié en partenariat avec les chercheurs en sciences cognitives. L’objectif est d’identifier avec des recherches-actions quels sont les bons leviers à utiliser pour faire changer les usages.

Pour répondre à la question posée par cette table ronde, on identifie trois freins :

– le premier est la nécessité de former massivement et beaucoup plus rapidement l’ensemble des citoyens à ces enjeux qui sont complexes ;

– le deuxième est le manque de cohérence entre le discours de sensibilisation de certains acteurs sur le terrain et la réalité du monde, la réalité des politiques menées, à l’échelle nationale ou locale ;

– le troisième, le nerf de la guerre, est les moyens en général et la priorité politique que l’on peut donner à ces sujets.

Pour ce qui est du sujet autour de la formation, qui est le cœur de métier d’Avenir climatique, pour que le citoyen s’embarque dans la transition, il faut qu’il sache pourquoi et comment. Le citoyen n’est pas différent des autres personnes constitutives de la société, que ce soient les élus, les chefs d’entreprise ou les étudiants. De notre point de vue, personne n’est suffisamment formé à ces enjeux. Le sujet est, certes, de plus en plus médiatique mais les ordres de grandeur ne sont pas connus. L’ampleur des ruptures à mettre en place n’est pas encore comprise, les impacts et les risques du changement climatique encore moins.

Par exemple, j’aimerais savoir qui, au sein de ces murs, connaît le pourcentage d’énergie fossile dans la consommation d’énergie en France, la vitesse actuelle de réchauffement du climat. Qui connaît le rythme des émissions de gaz à effet de serre en France comparé au rythme que l’on devrait se fixer pour suivre les recommandations des scientifiques ? Qui connaît l’ordre de grandeur de l’impact carbone d’un vol transatlantique ?

Le citoyen, pris individuellement, n’est qu’un reflet de la société française qui n’a pas encore compris l’ampleur du sujet. Quand on parle de climat en France, on perd encore beaucoup de temps à parler nucléaire versus énergies renouvelables. En faisant cela, on ne traite que 30 % du sujet parce que l’électricité ne représente que 30 % des consommations d’énergie en France.

Dans ce cadre, Avenir climatique s’inscrit pleinement dans les recommandations du Shift Project qui demande de massifier l’enseignement des enjeux énergie-climat au sein de l’enseignement supérieur. Par exemple, avoir un minimum de 20 heures sur le sujet, quel que soit le cursus, nous paraît le strict minimum.

L’autre sujet qui nous préoccupe est la formation des élus, notamment des élus locaux. On parle beaucoup des prochaines élections municipales, avec près de la moitié des élus qui ne se représenteraient pas. Je pense qu’il faut profiter de ce moment pour former correctement toutes ces personnes aux enjeux. Ce sera certainement la dernière génération de décideurs et on sait que la plupart des solutions à ce problème se trouvent à l’échelle locale.

Le deuxième point, c’est l’incohérence entre les discours, la politique menée et le travail qui peut être fait en termes de sensibilisation. Cette année, nous avons pu voir une montée en puissance de la prise de conscience des enjeux auprès des citoyens, et pas uniquement auprès de la jeunesse : l’Affaire du siècle, les marches pour le climat, Extinction rebellion. Le nombre de personnes sensibilisées n’a jamais été aussi important et n’a jamais été aussi visible. Les sujets ne sont pas complètement consensuels, mais une partie de la société civile est déjà mobilisée, prête à faire des choses. Je dirais qu’elle est presque en avance par rapport à la politique. Toutefois, cette société civile a aussi besoin de la politique parce que c’est elle qui maîtrise l’échelle et la profondeur de l’action.

Par exemple, sur le terrain, on parle d’un côté de sobriété énergétique, d’agriculture de proximité, de mobilité douce, et de l’autre, on agrandit des aérogares, on ferme des lignes de train, on déclare Europa city d’utilité publique, on négocie des accords commerciaux mondialisés, on urbanise de tous les côtés et on investit dans des télésièges qui seront complètement inutilisables parce que dans cinq ou dix ans, il n’y aura plus de neige. Du coup, on fait peser toute la réussite de la transition sur le pauvre citoyen. Certes, cela est absolument nécessaire. Nous défendons l’exemplarité citoyenne par rapport à ces sujets.

Toutefois, quand le citoyen essaie de le faire, il trouve un monde qui n’est pas cohérent avec ce qu’il a envie de faire. Il souhaite faire du vélo ? Bon courage sur les routes départementales françaises. Il veut arrêter de prendre l’avion ? Il trouve des publicités pour des vols Paris-New York à moins de 500 euros. Il désire faire des courses zéro déchet ? La démarche est quelque peu compliquée dans les grandes surfaces par rapport aux produits qui sont proposés.

Le message est brouillé. Les personnes qui, comme nous, essaient de prendre leur casquette de bénévoles et de sensibiliser les gens passent souvent pour des marginaux ou des dictateurs en puissance qui veulent restreindre les gens dans leur liberté fondamentale. En outre, le citoyen n’est pas stupide : il a bien compris que mettre un couvercle sur sa casserole pour faire des économies d’énergie est dérisoire quand on agrandit un aéroport près de son domicile.

On rejoint le problème de formation aux enjeux. On n’a pas encore pris conscience de l’ampleur des changements opérés et surtout, de mon point de vue, on pense que l’on va pouvoir changer à la marge, notamment en s’appuyant sur des améliorations technologiques qui nous permettront de ne changer ni notre aménagement du territoire ni nos modes de vie.

Or, il faut une véritable rupture basée sur la sobriété. Cela va passer par l’interdiction de certaines pratiques commerciales que l’on sait nocives pour le climat, l’encadrement de la publicité au même titre qu’on le fait pour l’alcool ou le tabac, l’accompagnement social du démantèlement de certains pans de l’économie, nocifs pour le climat, pour réorienter les gens, les financements et les activités vers des choses beaucoup plus positives. Par exemple, on manque aujourd’hui d’artisans pour atteindre nos objectifs dans tout ce qui a trait à la rénovation énergétique.

Le citoyen n’a pas forcément les clés pour agir tout seul. S’il essaie d’agir dans son coin, il se heurte à un mur parce que nos sociétés ne sont pas adaptées à ces nouveaux modes de vie. Par exemple, je vous mets au défi de vivre pendant un an avec un budget carbone de deux tonnes de CO2. C’est ce que nous devrions tous avoir comme budget pour rester sous les deux degrés de réchauffement climatique. C’est de l’ordre de la mission impossible parce que la société n’est pas adaptée à tout cela. Ce qui se passe, c’est que les personnes qui arrivent sont militantes et très motivées. Toutefois, le citoyen normal qui doit se préoccuper d’autres sujets va se décourager très vite et ce, quels que soient les mécanismes de sensibilisation que l’on peut mettre en presse.

En ce qui concerne le troisième sujet relatif aux moyens, il rejoint la problématique de cohérence et de portage politique. Il faut des moyens qu’il faut aller chercher là où ils sont, donc au détriment de certains sujets. Rénover des maisons et construire des pistes cyclables ne se font pas gratuitement. L’un des problèmes est que tout cela rapporte peu d’argent. Qui veut rénover sa maison quand cela ne rapporte que 2 % par an sur 20 ans, quand on peut faire 5 % à 10 % sur d’autres produits financiers en 4 ou 5 ans ? Il faut changer les règles du jeu pour que la dynamique puisse s’inverser. Mais, c’est pareil, le citoyen n’a pas forcément toutes les clés.

Pour moi, le chiffre qui illustre le mieux ce sujet est le budget publicité des constructeurs automobiles, de l’ordre de 3,5 milliards d’euros. C’est 1 000 fois le budget communication de l’ADEME. Je peux prendre ma casquette bénévole pour sensibiliser les gens au changement climatique mais je ne me bats pas avec les mêmes armes que certains. Il faut des moyens énormes sur l’animation dans les écoles, les collèges, les lycées, l’enseignement supérieur, les villes les territoires. La réalité du terrain est que toutes les associations ont le couteau sous la gorge, que les collectivités territoriales peinent à embaucher ne serait-ce qu’une personne pour gérer leur plan climat et énergie territorial. Une vraie volonté politique est nécessaire pour mettre des moyens sur la table.

Pour résumer, il y a trois leviers :

– accélérer la formation aux enjeux, qui sont devenus une priorité citoyenne au même titre que savoir lire, compter et écrire;

– mettre en cohérence toutes les politiques nationales et locales, avec le discours de sensibilisation à destination du citoyen ;

– mettre des moyens pour accompagner cette transition et construire un monde où le citoyen pourra facilement changer de comportements parce qu’on aura adapté la société à ces changements d’usage.

M. Julien Dive. Je vous remercie. Vous avez presque fait une transition avec les intervenants suivants de l’ADEME, Madame Solange Martin et Madame Anaïs Rocci. Elles nous ont remis un support sur les freins à la transition énergétique. L’ADEME a mené il y a quelques années, en 2014, un travail sur l’évolution des comportements et des modes de vie dans le cadre d’une réduction par deux de la consommation énergétique finale, avec une consommation énergétique fortement renouvelable.

Madame, je vous propose de revenir sur cet exemple et préciser le travail mené par l’ADEME.

Mme Solange Martin. Bonjour. Je vous remercie de votre invitation. Le propos portera essentiellement sur les pratiques sociales et tout ce que cela engage. Le titre de cette table ronde laisse à penser qu’il va de soi que les pratiques doivent évoluer. En même temps, on peut se demander pourquoi maintenant. Dans les politiques énergétiques et environnementales, les pratiques sociales n’étaient pas originellement celles qui devaient évoluer, c’étaient les équipements. On a beaucoup focalisé sur l’efficacité énergétique. On peut dater cette inflexion à 2006. Une directive européenne fait le constat que les gains énergétiques ne permettront pas d’accéder à nos objectifs de réduction de consommation et que les gains sont dans les comportements des consommateurs d’énergie.

Se dessine alors la place du social dans la transition énergétique, ce que la technique ne permet pas de faire. Se dessine également un peu la manière dont on appréhende ce social, c’est-à-dire le comportement du consommateur - je reviendrai un peu sur ce qu’a dit l’intervenant précédent.

Le titre de cette table ronde en termes de pratiques sociales nous immunise contre l’idée que l’on pouvait se réduire uniquement aux aspects comportementaux des individus, non êtres sociaux, mais j’y reviendrai dans le cadre de cette présentation parce qu’on n’est jamais trop prudent.

Comment fait-on pour faire évoluer les pratiques sociales ? Une première partie de la réponse est de comprendre ce qu’est une pratique sociale, les leviers multiples que l’on peut actionner et les outils que l’on peut mettre en place (comment bien les articuler et les cibler). C’est la partie facile de la question. Après, vient la question de la responsabilisation des individus, ce qu’ils sont prêts à endosser. Ensuite, il y a la gouvernance et les conditions de gouvernance. Les événements récents ont montré que cela se complique sérieusement.

Commençons par ce qui est facile. Qu’est-ce qu’une pratique sociale et comment la faire évoluer ? On la fait évoluer en ne se centrant pas uniquement sur un individu rationnel qui a un total libre-arbitre et une maîtrise complète de ses choix individuels. Nous sommes des êtres sociaux, nous sommes inclus dans des collectifs (petits groupes familiaux, amis, collègues, communautés diverses) où se joue un conformisme social très fort. Ces petits groupes sont eux aussi inclus dans des collectifs plus importants tels que les catégories socioprofessionnelles (CSP), les classes d’âge, les générations, les territoires. Nos actes à tous sont aussi le reflet de la CSP à laquelle on appartient, du territoire dans lequel on vit. Il faut donc arriver à penser à la fois à l’individuel et au collectif pour avoir des politiques centrées sur la cible, donc sur les individus réels, mais non considérer uniquement comme des individus.

Le social prend place dans un monde matériel, physique, naturel et technologique fait d’objets, de dispositifs, d’aménagements qui contraignent aussi énormément nos actions. On le voit bien en matière de mobilité. Prendre le vélo pour aller travailler à 20 kilomètres de chez soi est un peu compliqué. Il faut donc arriver à penser individuel et collectif, mais aussi l’humain et ce qui ne l’est pas, pour avoir des politiques adaptées à la cible. Ceci veut dire que lorsqu’on parle d’évolution des pratiques sociales, on a souvent l’image d’un comportement volontaire que l’on va inciter à l’aide d’outils de communication, éventuellement d’outils économiques.

Il ne faut pas oublier que les outils d’aménagement de l’infrastructure ainsi que les outils réglementaires sont fondamentaux pour faire évoluer les pratiques sociales. L’ensemble des déterminants de l’agir individuel n’est pas uniquement réduit à l’individu lui-même mais à l’ensemble des individus autour, dont les acteurs économiques qui ont une marge importante sur ce que peut faire un individu. Il ne faut donc pas s’en remettre uniquement à cet individu fantasmé qui n’existe pas dans la réalité.

Si on regarde ce que les individus sont prêts à endosser comme responsabilité, c’est-à-dire à faire comme efforts, on a un certain nombre de baromètres à l’ADEME, d’enquêtes de sondage récurrentes, notamment une sur le changement climatique qui date de l’an 2000. On présente quatre propositions pour réduire le changement climatique : faut-il changer majoritairement nos modes de vie, est-ce à l’État d’agir, est-ce la technique qui va nous sauver ou n’y a-t-il rien à faire ? Ce sont les modes de vie qui sont majoritaires dans les réponses mais cela n’est plus qu’un Français sur deux. Nous sommes au plus bas niveau depuis que l’on pose l’enquête sur cet item. Environ 20 % des personnes interviewées ont choisi l’État, 17 % qu’il n’y avait rien à faire, ce qui représente une montée du fatalisme. La technologie, elle, reste relativement basse.

Donc, un Français sur deux cite les modes de vie. Quand on dit mode de vie, on s’imagine que ce sont eux qui vont faire, mais non. Quand on demande aux Français qui serait le plus efficace pour résoudre le changement climatique, ils citent les états, les collectivités locales, les instances internationales, toutes les autorités publiques, à tous les niveaux de gouvernance. Une réponse sur quatre évoque les individus et une personne sur huit, les entreprises.

Si on pose la question un peu différemment - vous le savez, les réponses aux sondages sont très dépendantes du contexte du sondage et de la formulation de la question - à savoir qui a le plus des moyens pour concrètement agir, les entreprises arrivent en premier, puis les États et enfin, les individus. Les individus veulent bien agir mais ils estiment qu’ils sont en bout de chaîne. On ne peut pas leur donner complètement tort sur cette idée.

Pour ce qui est de connaître leur appétence, c’est-à-dire ont-ils réellement envie de changer par rapport à ce qu’ils imaginent devoir être fait, est-ce plutôt une opportunité ou une contrainte, la population est très partagée. A l’heure actuelle 52 % répondent qu’il s’agit d’une contrainte et 47 % qu’il s’agit d’une opportunité, soit un score d’élections présidentielles. Toutefois, on relève depuis quatre ans une inflexion : la contrainte est passée devant l’opportunité.

Pour terminer avec les questions de gouvernance, les Français veulent bien qu’on leur applique un certain nombre de politiques publiques, mais à quelles conditions ? L’autorité, vous le savez mieux que personne, n’est pas uniquement la force. C’est aussi la légitimité. Celle-ci se fonde sur un savoir légitime et sur l’idée que l’on défend quelque chose de l’ordre du bien commun.

Côté crédibilité des faits scientifiques, on a demandé aux Français s’ils pensaient que le changement climatique était la faute de l’homme, si c’était une cause entropique ou si ce phénomène avait toujours existé. Vous le savez, le consensus scientifique est total sur la question. Cependant, 25 % de nos concitoyens continuent de penser que c’est un phénomène naturel comme il en a toujours existé. Pour ce qui est de la crédibilité des scientifiques eux-mêmes, 29 % des gens pensent que les scientifiques exagèrent les risques. Pourtant, les scientifiques font partie d’une catégorie d’acteurs qui a extrêmement bonne presse. Quand on réalise des enquêtes de confiance, les scientifiques sont plutôt bien vus.

Si on regarde l’ensemble des acteurs de la société, selon le baromètre politique du CEVIPOF - que vous connaissez je pense - ceux qui sont à un niveau de plus de 50 % de confiance sont les institutions qui incarnent l’intérêt collectif : l’hôpital, l’école et les PME. Pour ce qui est des gros acteurs économiques (les banques, les grandes entreprises publiques ou privées), on est très largement en-dessous de 50 % de confiance, de même que les organes de gouvernance tels que la justice et les médias. Les partis politiques, quant à eux, tiennent le bas du tableau. En gros, on a confiance uniquement dans son maire. Plus le niveau de gouvernance est élevé, plus la défiance est importante.

On voit bien le problème politique que l’on a. Les gens considèrent qu’il appartient aux personnes qui ont du pouvoir d’agir, mais c’est justement en elles qui n’ont plus confiance. Si on creuse les raisons de ce manque de confiance, c’est une question d’incarnation d’intérêt général. 90 % des Français pensent que les fabricants conçoivent délibérément des produits qui s’useront ou tomberont en panne rapidement. La sphère économique n’est donc pas au service des consommateurs. Elle n’est pas non plus au service des salariés puisque 72 % considèrent que l’économie actuelle profite aux patrons, aux dépens de ceux qui travaillent.

Dans la sphère publique, 74 % des Français considèrent que l’État est conduit dans l’intérêt de quelques-uns et non dans l’intérêt du plus grand nombre. Il ne faut donc pas s’étonner si, quand on leur demande s’ils veulent faire des efforts importants, la première condition qu’ils donnent est celle de l’équité. Elle est deux fois plus citée que toutes les autres et de façon très stable. Il faut entendre cette équité entre les membres de la société, mais aussi entre les différents acteurs.

En conclusion, une approche uniquement centrée sur les seuls comportements individuels est à proscrire, d’une part, parce qu’elle est irréaliste, elle ne correspond pas à la réalité de ce qu’est une pratique sociale, et d’autre part, parce qu’elle sera considérée comme illégitime de la part de nos concitoyens. La demande d’équité qui est la leur implique d’agir sur tous les types d’acteurs, à hauteur de leurs possibilités d’agir. Les freins à la transition sont relatifs à la transition elle-même plutôt qu’au contexte de défiance envers le pouvoir, qu’il soit scientifique, économique ou politique.

L’urgence est bien climatique, mais elle est aussi politique et sociale. Il s’agit de réincarner l’intérêt général et la cohésion sociale au sein de la transition. Ceci implique d’arriver à le faire également à l’extérieur de la transition. Je vous remercie de votre attention.

M. Julien Dive. Je vous remercie. Monsieur Géraud Guibert, vous êtes le président de La Fabrique écologique qui a publié un rapport sur l’incitation aux comportements écologiques. Il peut être intéressant d’avoir ce retour d’expérience.

M. Géraud Guibert, président de La Fabrique Écologique. Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre invitation. Nous nous réjouissons beaucoup de cette mission d’information, de la qualité de ses travaux et de sa méthode. Nous aimons beaucoup, à La Fabrique Écologique, les méthodes innovantes et les méthodes de co-construction que l’on met d’ailleurs en œuvre pour nos notes, puisque toutes nos notes ont une phase de co‑construction. Le fait que vous ayez vous-même une méthode de ce type me paraît extrêmement positif.

Pourquoi est-ce un sujet essentiel pour la transition écologique ? Parce que tout le monde reconnaît que l’évolution des comportements représente un tiers de la marge qu’il faut faire pour atteindre l’objectif à l’horizon 2050. Les deux tiers sont des changements structurels, d’infrastructures. Notre sentiment, à La Fabrique Écologique, est qu’une véritable course de vitesse s’engage dans la prochaine décennie entre, d’un côté, le développement nécessaire de l’éthique environnementale, et de ce point de vue, toute une série de dispositifs peuvent l’encourage - j’y reviendrai. De l’autre côté, si cela ne va pas assez vite, inévitablement se posera la question des obligations comportementales, c’est-à-dire des obligations qui pèsent directement sur le consommateur. Elles finiront un jour ou l’autre par s’imposer, si le développement de l’éthique environnementale n’était pas suffisant. C’est pour cela que ce sujet est à notre avis absolument essentiel.

Très rapidement, voici quatre points qui sont directement issus de nos notes. Nous avons en effet beaucoup travaillé sur ces sujets. Nous avons réalisé une note sur les nudges en 2016, ce qui était un peu précurseur. Toutefois, la plupart de nos travaux comportent des volets de propositions d’évolution des comportements. Je reviendrai sur les deux ou trois suggestions que nous faisons. En tout cas, voici quatre recommandations pour que cela marche et que l’on puisse, en termes de politique publique, inciter clairement un comportement. Plusieurs ont déjà été dites.

La première condition est évidemment le sentiment d’injustice. Si vous voulez faire évoluer les comportements mais si au bout du compte cela est considéré comme injuste, vous aurez beaucoup de mal.

La deuxième condition est la transparence. Revenons un instant sur la taxe carbone. Je pense que l’un des éléments qui explique la difficulté qu’il y a eu sur la taxe carbone est la transparence insuffisante sur l’objectif. La transparence est importante quand des mesures d’incitation sont prises.

Le troisième élément est l’absence de confiance à l’égard de l’émetteur. De ce point de vue, plusieurs retours nous ont été faits sur, par exemple, l’isolation des combles à un euro. Il faut bien le dire, ce dispositif utile de rénovation atteint ses limites compte tenu des méthodes utilisées pour essayer de faire avaler aux consommateurs ce type de dispositif.

Le quatrième élément est le sentiment que l’émetteur ne fait pas lui-même des efforts suffisants. Je prendrai l’exemple de la pollution de l’air en région parisienne. Il y a un sujet voiture évident et un sujet diesel évident mais je pense que l’on ne parle pas suffisamment du chauffage au bois qui joue un rôle majeur. Les gens peuvent avoir ce sentiment que l’on se concentre à l’excès sur un segment et que l’on est assez laxiste sur les autres, comme en témoigne d’ailleurs l’absence de mesures cette dernière décennie sur ce sujet.

Pour notre part, le sujet a quand même avancé, en témoigne sa prise en charge par les administrations, même si, honnêtement, elles devraient le faire avancer davantage, au niveau de l’administration centrale et au niveau des collectivités locales. Quelques idées et suggestions importantes dans ce domaine. Vous le savez, on est un think-tank et notre valeur ajoutée est d’essayer d’être innovant. C’est ce que nous essayons de faire sur plusieurs sujets.

La première idée concerne la rénovation des logements. L’une des clés tout à fait insuffisamment expertisée est de donner envie aux gens de rénover leur logement. Des milliards d’euros sont dépensés chaque année pour faire des travaux dans les logements. Si un pourcentage extrêmement réduit était basculé de ces travaux généraux vers des travaux de rénovation énergétique, on aurait avancé considérablement dans la rénovation énergétique des logements. À partir de là, comment donne-t-on envie aux gens ? On donne envie aux gens en permettant qu’un logement rénové soit un élément de valorisation considérable. Nous avons fait dans une note des propositions à ce sujet.

La deuxième idée concerne la pollution de l’air. Nous avons proposé que soit affichée, même dans les abribus, la réalité de la pollution de l’air de l’endroit où l’on vit, avec la signalétique vert, orange et rouge. Nous avons d’ailleurs parlé longuement l’autre jour, dans le cadre d’un dîner-débat pour le Grand Paris où nous étions invités, sur la pollution de l’air. Nous avons le sentiment que si chacun voit le matin, en sortant de chez lui, pour aller au travail ou pour accompagner les enfants à l’école que l’air est orange ou rouge, cela sera une incitation majeure pour peser sur les décideurs et déclencher des actions en la matière. Voilà un deuxième exemple d’incitation indirecte mais qui nous paraîtrait extrêmement utile. Les techniques, aujourd’hui, existent. Je reconnais que c’est un challenge pour les élus de vouloir ce genre de dispositif.

Le troisième élément évident est la publicité. On ne peut plus aujourd’hui avoir un régime permissif en matière de publicité climatique, plus exactement de publicité anti-climatique. Des efforts considérables ont été faits en matière de publicité tabac, des efforts moins considérables mais qui existent en matière de publicité alcool. Nous devons aujourd’hui avoir une réflexion exhaustive sur la façon de mieux encadrer la publicité anti-climatique. Le sujet est ouvert et mérite réflexion.

Le quatrième et dernier élément est l’importance de plus en plus forte de l’articulation entre les pratiques individuelles et les pratiques collectives et donc, le rôle absolument décisif sur toutes les politiques, en particulier locales, en matière de transition écologique, compte tenu du fait que les citoyens se sentent informés, consultés et totalement associés aux décisions prises localement pour la transition énergétique. De ce point de vue, nous avons beaucoup de retard en France sur ce sujet, compte tenu de notre histoire, de notre jacobinisme persistant et de notre manque de confiance à l’égard des citoyens pour trouver ou discuter de solutions. Or, quand vous discutez sur des solutions concrètes, vous passionnez les gens. Les gens ont des choses à dire et vous pouvez mettre en place des solutions innovantes.

Par exemple, je suis assez frappé de voir que se développe assez lentement cette idée que les collectivités locales devraient aider des lignes de covoiturage qui seraient l’équivalent des lignes de transports en commun. Je suis moi-même habitant d’une commune périurbaine. Je vois tous les matins les files de voiture qui vont travailler dans l’agglomération à 15 kilomètres. Je me dis que la collectivité devrait proposer l’équivalent d’une ligne de transports collectifs en covoiturage, avec une aide financière, en partant des besoins de l’utilisateur, c’est-à-dire avec au départ une co-construction avec les utilisateurs. Cela pourrait très bien marcher. C’est ce genre de dispositif qu’il faut inventer, qui commence à se faire mais, à notre avis, à un rythme tout à fait insuffisant. Toutefois, c’est l’une des clés de l’avenir pour la transition écologique. Je vous remercie.

M. Julien Dive. Je propose à Madame Fanélie Carrey-Conte, directrice du pôle coopération d’Enercoop d’intervenir. Enercoop est un système coopératif qui fournit de l’électricité 100 % renouvelable. Il a plus de 42 000 clients, 27 000 sociétaires et 11 coopératives.

Mme Fanélie Carrey-Conte, directrice du pôle coopération d’Enercoop. Bonjour à toutes et à tous. Je vous remercie également pour l’invitation. À travers l’exemple d’Enercoop, je vais insister sur l’idée qu’à notre sens, le soutien aux démarches citoyennes et coopératives de transition énergétique est une condition indispensable à sa réussite. De ce point de vue, je m’associe à ce que disait Géraud Guibert sur la méthode de travail de votre mission d’information et comme tout le monde ici, je tiens à la saluer.

Enercoop, vous l’avez dit, est un fournisseur d’électricité qui a été créé en 2005 au moment de l’ouverture à la concurrence du marché de l’électricité, avec cette idée centrale qui est au cœur de notre projet, permettre aux citoyens de se réapproprier la transition énergétique et d’en être acteurs, à travers notamment leurs factures d’électricité et les choix qu’ils font en matière de financement de l’électricité à travers leur consommation.

Notre entreprise a plusieurs spécificités. La première, c’est notre offre en électricité puisque nous fournissons, chez Enercoop, une offre d’énergie 100 % renouvelable souscrite en contrat direct avec les producteurs d’énergies renouvelables, ce qui est une vraie différence avec la plupart de nos concurrents qui achètent l’électricité sur le marché de gros et y accolent des garanties d’origine. Ce sont des certificats financiers qui permettent aujourd’hui dans la réglementation de se prévaloir d’une offre "verte" et qui, pour autant, ne garantissent pas la traçabilité de l’électricité achetée physiquement au producteur. Nous, nous le faisons.

Notre deuxième spécificité, c’est d’être une coopérative, mais pas n’importe quelle coopérative puisque nous sommes une SIC (société coopérative d’intérêt collectif). Elle a un statut que l’on dit innovant mais plus les années passent, moins il l’est. En tout cas, il reste innovant dans sa philosophie. L’idée de la SIC est d’associer comme coopérateurs différentes parties prenantes. Dans notre cas, ce sont les différentes parties prenantes de la chaîne énergétique qui sont sociétaires : les consommateurs, les clients, les producteurs, les salariés de la coopérative, les partenaires et les collectivités territoriales. En effet, la spécificité des SIC, c’est que les collectivités peuvent être sociétaires au même titre que les personnes privées ou publiques. L’idée est donc de regrouper des personnes et des catégories qui, a priori, pourraient avoir des intérêts qui ne sont pas les mêmes pour les dépasser et construire l’intérêt collectif autour des questions énergétiques.

Enfin, nous sommes un réseau de coopératives avec une coopérative nationale historique et dix coopératives locales dans les régions. Notre enjeu, en tant que modèle Enercoop, est aussi de permettre un ancrage territorial qui permet une mise en lien des producteurs, des consommateurs, des partenaires, au plus près des territoires pour développer localement la transition énergétique.

Pour remettre à jour les chiffres que vous avez cités, Enercoop, c’est aujourd’hui 70 000 clients sur l’ensemble du territoire national, un réseau de 38 000 sociétaires, 47 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 240 producteurs avec lesquels nous contractualisons sur tout le territoire.

Nos enjeux sont de sensibiliser les citoyens au fait qu’ils peuvent être acteurs de la transition énergétique et d’avoir un impact accru sur le développement des énergies renouvelables, et en particulier, les énergies renouvelables citoyennes - je vais y revenir tout à l’heure. C’est pour cela qu’il y a bien dans Enercoop l’idée, à travers ces contrats directs, de pouvoir soutenir davantage les producteurs d’énergies renouvelables. Nous proposons aujourd’hui un certain nombre de tarifs de soutien, à des prix bien plus élevés que ceux pratiqués aujourd’hui sur le marché de l’électricité, pour permettre à des projets de production d’énergies renouvelables que nous appelons "exemplaires", portés par des citoyens ou des collectivités locales, de se développer. Ainsi, des projets qui ne pouvaient pas bénéficier des mécanismes de soutien public ont pu voir le jour à travers ces tarifs de soutien proposés par Enercoop.

Pour citer quelques-uns de nos enjeux, sur lesquels nous pensons qu’un certain nombre d’évolutions ou de réglementations, notamment de la part des pouvoirs publics, pourraient être utile. Le premier sujet, ce sont les aspects d’amélioration de la transparence et de l’information sur le marché de l’électricité. Aujourd’hui, le marché de l’électricité est de plus en plus concurrentiel. On a aujourd’hui près d’une quarantaine de fournisseurs d’électricité et six nouveaux sont arrivés cette année. De plus en plus d’offres sont présentées comme des offres vertes, sans la possibilité pour le consommateur de pouvoir vraiment distinguer ce qui relève d’une offre comme la nôtre, c’est-à-dire une offre dont on peut garantir la traçabilité. En effet, il est également possible aujourd’hui pour un fournisseur d’électricité de s’approvisionner sur le marché de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique) qui est l’obligation faite à EDF de rendre accessible à ses concurrents une partie de son approvisionnement nucléaire, à des prix beaucoup plus compétitifs, d’y apposer des garanties d’origine et de la présenter comme une offre verte.

Pour nous, c’est un vrai sujet de problème de transparence vis-à-vis du consommateur qui pense de bonne foi soutenir la transition énergétique à travers sa facture d’électricité mais ne va pas pouvoir faire la différence entre les offres. De la même manière, il ne peut pas vraiment voir aujourd’hui quelles sont les offres qui auront un impact plus ou moins important sur le développement de nouveaux projets d’énergies renouvelables.

Aujourd’hui, l’ADEME a rendu un avis sur cette différence entre les offres vertes et réfléchit à la mise en place d’un label pour mieux distinguer les offres premium, comme l’offre d’Enercoop, d’autres offres. Nous considérons qu’il est important que les pouvoirs publics s’emparent également de cette question. D’ailleurs, la DGEC est sensibilisée à la question et de nombreuses réflexions sont en cours. Si on veut permettre une véritable modification des pratiques et des comportements des citoyens, il faut qu’ils puissent bénéficier de toutes les informations pour leur permettre de se comporter de la manière la plus éclairée possible sur leurs choix de consommation, notamment à travers leur facture d’électricité.

Le deuxième point, c’est la question du développement des énergies renouvelables citoyennes. Enercoop et le mouvement Énergie partagée, que nous avons créé, un fond d’investissement et de collecte des épargnes citoyennes pour financer des projets d’énergies renouvelables. Nous considérons qu’il y a un vrai enjeu à ce que des projets détenus, soit à majorité de capital soit avec une minorité de blocage, par des collectifs citoyens ou par des collectivités locales, puissent se développer. C’est un élément extrêmement important sur l’appropriation des projets d’énergies renouvelables sur les territoires.

Lorsque des projets sont portés par des citoyens, depuis la conception même du projet, le choix de la localisation, etc., ils sont acceptés avec beaucoup moins de recours et les retombées locales en termes de développement, d’emploi, de dynamique de mobilisation à la transition sont beaucoup plus importantes. Les projets détenus par des fonds d’investissement, des acteurs privés lucratifs n’ont pas nécessairement le même impact sur le territoire. Il y a donc pas mal de choses à faire aujourd’hui pour développer ces énergies citoyennes. Nous portons beaucoup l’idée qu’il puisse y avoir une planification d’objectifs de création et de développement d’énergies citoyennes.

Ce sujet n’est pas uniquement national. Il est aujourd’hui européen. Certains pays, comme les Pays Bas ont un objectif dans leur trajectoire énergétique que 50 % des projets d’énergies renouvelables soient détenus pour partie par des citoyens. Nous aimerions au niveau de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), que l’on puisse avoir une trajectoire d’énergies citoyennes.

Par ailleurs, dans le paquet « Énergie propre » au niveau européen, est apparue la notion de communauté d’énergies citoyennes qu’il va falloir à présent retranscrire dans le droit français. Vous serez saisis en tant que parlementaires sur cette retranscription. Une consultation sera ouverte par la DGEC. Pour nous, ces communautés énergétiques citoyennes sont un élément important pour soutenir des démarches citoyennes et coopératives sur les territoires, pour développer cet investissement, ce soutien des citoyens, avec derrière, un vrai vecteur de modification des pratiques sociales. C’est aussi un enjeu sur les économies d’énergie. Un certain nombre d’études démontrent qu’aujourd’hui, quand des citoyens sont sociétaires ou investissent dans des démarches comme celles-ci, ils sont beaucoup plus sensibles à la problématique de la maîtrise de l’énergie, des consommations d’énergie.

C’est un système global pour faire progresser et réussir cette transition énergétique.

M. Julien Dive. Je vous remercie. Merci à toutes et à tous. Monsieur le rapporteur et moi-même avons plusieurs questions. Pour ma part, j’en ai tout d’abord deux.

Monsieur Martin, vous qui avez touché du doigt le sujet sur le projet que vous avez mené auprès de 1 500 élèves. Les ministres se sont rendus en début d’année dans une école des Yvelines pour lancer un concours d’économie d’énergie. Pour vous, quel est le rôle que devrait jouer le modèle éducatif pour mieux sensibiliser les élèves, ils sont les citoyens de demain, à l’évolution des comportements dans le cadre d’une transition énergétique ?

La deuxième question est un peu déliée. L’évolution technologique est parfois un frein même à la transition énergétique. On a le cas concret avec les compteurs Linky qui, en vérité, irritent parfois nos concitoyens. On pourrait rencontrer la même situation demain avec Gazpark qui est un peu le pendant de Linky sur le gaz. Comment, selon vous, pouvons-nous aider au mieux les ménages à tirer profit de ces outils pour maîtriser au mieux leur consommation d’énergie ?

M. Bruno Duvergé. Je vous remercie pour vos contributions qui sont très pertinentes et claires. Il y a beaucoup de réflexion derrière, beaucoup de travail.

Mes questions vont partir du terrain. Je suis député dans le département du
Pas-de-Calais, un territoire urbain mais aussi très rural, avec beaucoup de développement éolien et de méthanisation, avec des problèmes d’acceptabilité qui sont un peu différents.

Tout d’abord, sur l’éolien, on a, au début, passé un cap qui a permis une certaine acceptabilité, avec un fort développement. Aujourd’hui, on arrive à un phénomène de saturation. On commence à voir apparaître certaines résistances, là où il n’y en avait pas auparavant. Je trouve que l’on n’est pas très bien équipé, que l’on n’a pas très bien travaillé le sujet. À une époque, on avait la définition de zones de développement éolien qui nous permettait d’avoir une discussion avec la population pour voir si c’était ou non pertinent. On a fait sauter cela. Aujourd’hui, le développement un peu anarchique. Moi qui l’ai beaucoup encouragé, je suis obligé à présent de prendre en compte ce problème. 

Nous sommes allés au Danemark. Nous avons vu que la participation citoyenne dans les investissements est à un niveau très élevé. Nous sommes allés sur l’île de Samsø qui est autonome et qui a conscience de ses besoins en termes d’éolien. Quasiment 100 % des éoliennes sont la propriété des citoyens.

En France, on a des mécanismes pour le faire. Nous avons créé sur mon territoire des sociétés d’économie mixte - je pense qu’Enercoop en fait partie. Toutefois, c’est tellement long que lorsqu’on arrive pour investir sur le territoire, tous les terrains ont déjà été préemptés par les investisseurs et il n’y a plus de place pour l’investissement citoyen. J’aimerais avoir votre avis là-dessus.

Le deuxième aspect est la méthanisation. J’ai une circonscription de 294 communes essentiellement rurales, mais avec différents types de ruralité. Sur la partie très rurale du territoire, on implante des méthaniseurs et tout se passe bien. Plus on se rapproche de l’agglomération, plus apparaissent des zones de résistance très organisées, avec un discours très structuré mais pas du tout rationnel sur les dangers de la méthanisation, les risques d’explosion et de pollution, etc. Je ne sais pas si vous avez regardé cela de près.

Voilà mes interrogations très pragmatiques.

M. Guillaume Martin. Sur la question du rôle que doit jouer le système éducatif, notre parti pris depuis le début est de dire que l’on ne peut pas faire de la sensibilisation en étant prescripteur de ce qui doit être fait. Cela est très confrontant quand on va vers le public. En revanche, expliquer les racines du problème et donner les bons ordres de grandeur permet ensuite aux citoyens de faire des changements de mode de vie en connaissance de cause. À l’inverse, si on n’a pas une bonne photographie de la situation, il y a de bonnes chances que l’on mette en place des solutions qui ne soient pas cohérentes par rapport au temps long.

L’un de nos objectifs, c’est de former tout le monde à réaliser son bilan carbone et à comprendre ce qu’est un bilan carbone, quels sont les grands ordres de grandeurs pour que, lors de n’importe quel choix de consommation au quotidien, on identifie cela. Quand je parlais de budget carbone, c’est de cette idée.

Bruno Duvergé. Existe-t-il une application qui permette de faire cela ?

M. Guillaume Martin. Nous avons développé un outil qui s’appelle Micmac (mon impact carbone-mes action concrètes). Il est disponible en open source sur le site de l’association, je pourrais vous faire parvenir les liens. Nous nous appuyons sur ces outils pour les projets dans les écoles primaires, les collèges et les lycées. On sait que sur le tri des déchets, l’un des facteurs qui a permis la diffusion du tri, c’est d’avoir formé les enfants qui allaient ensuite casser les pieds à leurs parents. Ici, l’objectif est le même : former les élèves et les étudiants à faire le bilan carbone de leur foyer afin qu’ils aillent ensuite faire des suggestions à leurs parents pour réduire leur consommation carbone. On retrouve la notion de comportement social. L’élève va en effet se comparer avec ses camarades de classe. Certes, celui qui aura le plus grand bilan carbone ne sera pas pointé du doigt mais il ne sera pas à l’aise. L’autre élément est de comprendre les mécanismes. Pour la compréhension du système climatique, on s’appuie sur des outils qui ont été développés par une association, La Fresque du climat. Ils permettent en une heure de comprendre ce que sont les gaz à effet de serre, les raisons pour lesquels ils réchauffent le climat, d’où ils proviennent. Ce sont des choses pédagogiques que tout le monde peut faire. Quand on est public de cette activité une fois, on est capable de l’animer. Elle a donc un effet démultiplicateur très important.

Notre association n’a aucun salarié. Elle n’est constituée que de bénévoles, nous nous appuyons uniquement sur des outils open source. Le but est de former des gens afin qu’ils diffusent ces outils.

M. Stéphan Giraud. J’apporterai un éclairage comportemental sur ce sujet du rôle stratégique de la jeunesse dont je ne pense pas qu’il faille vous en convaincre. Juste deux compléments. Le premier a trait au fait que les comportements, il est plus facile de les ancrer, d’éduquer que de les changer. Plus on intervient tôt, mieux cela sera. Le deuxième point rejoint parfaitement ce qu’a dit Guillaume Martin. Il y a quelque chose que l’on appelle l’effet messager. La personne qui nous dit quelque chose est déterminante sur la conviction que l’on peut porter avec. La jeunesse, sur ces sujets d’intérêts généraux où les adultes ne sont pas particulièrement pointus, c’est quelque chose qui marche particulièrement bien. C’est vrai pour l’environnement, c’est vrai pour la santé publique et c’est aussi vrai pour la sécurité routière.

Mme Fanélie Carrey-Conte. Quelques réactions, Monsieur Duvergé, par rapport à vos questions sur les énergies renouvelables.

Les projets citoyens nécessitent des conditions et des soutiens différents d’un projet  « classique » porté par les plus gros investisseurs. La constitution de la capitalisation est différente parce que cela va essentiellement sur de l’épargne et de la mobilisation citoyennes, avec des enjeux de rémunération derrière ne seront pas les mêmes car ce sont des projets dont la profitabilité n’est pas l’objectif premier. Et puis, il y a un certain nombre de coûts liés à la consultation, à l’accompagnement à la mobilisation citoyenne qui sont des coûts qui n’existent pas dans les projets traditionnels. Je pourrais vous envoyer la liste des propositions pour faciliter cette dynamique.

Je citerai deux choses, notamment parce l’une d’elles est d’actualité. Je voudrais attirer votre attention sur un projet de modification d’un arrêté qui a été discuté au Conseil supérieur de l’énergie hier. Il modifie les conditions d’accès à ce que l’on appelle au guichet ouvert de l’éolien, c’est-à-dire les conditions de financement des projets d’éolien qui ne nécessitent pas de passer par un appel d’offres. Il y a actuellement un projet de modification des conditions d’éligibilité au guichet ouvert qui aura pour conséquence une restriction.

Un certain nombre de projets citoyens vont être sortis du guichet ouvert et vont devoir passer par des logiques d’appels d’offres, ce qui est extrêmement compliqué pour des projets citoyens. De fait, par rapport aux coûts de mobilisation, on ne peut pas rivaliser de la même manière que les plus gros investisseurs. On essaie donc de sensibiliser les modifications de cet arrêté et je pourrai, là aussi, vous donner des éléments.

Je voudrais aussi insister sur un partenariat très important pour nous avec le monde agricole, notamment sur l’accès au foncier. Nous travaillons avec le réseau Terre de lien, que vous devez connaître, qui permet l’appropriation collective d’un certain nombre de terres. Il y a notamment un projet, la ferme d’Ambricourt, qui est située dans le Pas-de-Calais où il y a eu un vrai partenariat. Ce n’est pas, dans ce cas, de l’éolien mais du photovoltaïque, mais la démarche est la même. Je crois que ces acteurs, dans le monde rural sont essentiels pour permettre le développement des énergies citoyennes.

C’est un peu la même chose pour la méthanisation. Tous les projets de méthanisation ne se valent pas. Certains projets peuvent avoir des conséquences négatives sur l’environnement, à un certain volume. Enercoop expérimente le lancement d’une offre biogaz autour d’un projet de méthanisation dans le sud de la France. C’est un projet citoyen monté avec des agriculteurs dans une démarche d’appropriation collective et coopérative. Nous pensons que la valorisation de ces bons exemples est aussi une manière de faire évoluer les mentalités et de mettre l’accent sur les projets à dynamique et retombées locales positives.

M. Géraud Guibert. Sur Linky, ma conviction personnelle, c’est que l’argument du développement de l’autoconsommation et du rôle de Linky sur l’autoconsommation n’est pas suffisamment souligné. Or, c’est l’outil important pour développer l’autoconsommation dans de bonnes conditions. Cet argument devrait être davantage souligné parce que l’on est sur une dynamique, en principe parce qu’il y a encore beaucoup de facteurs qui gênent l’autoconsommation qui est une voie d’avenir. Cela intéresse et mobilise beaucoup de gens, y compris ceux qui sont sensibles à des argumentaires sur le sujet de Linky. Je pense que cet élément est important, y compris dans le fait de profiter ensuite de Linky dans de bonnes conditions.

Sur les problèmes d’acceptabilité que vous avez évoqués sur l’éolien et la méthanisation, notre sentiment - nous avons fait plusieurs travaux - c’est que l’on a, en France, un vrai sujet de décentralisation énergétique. Je vais vous donner quelques exemples.

Aujourd’hui, vous avez une planification pluriannuelle de l’énergie qui ne prend absolument pas en compte les décisions des régions en matière de développement énergétique. Nous avons fait des propositions, y compris d’un tarif régional pour un certain nombre d’énergies renouvelables, financé par un supplément régional sur la facture d’électricité. On souhaite que ce genre de proposition soit expertisée, analysée. On est prêt à venir en parler. Il nous semble que c’est l’une des conditions majeures, presque la condition majeure, pour que les projets soient acceptés. Concrètement, il faut impliquer les citoyens, les collectivités locales, etc. dès le départ dans les projets pour qu’ils se passent dans de bonnes conditions, pour que les gens y aient un intérêt, pour que les gens puissent y adhérer. C’est malheureusement ce travail qui n’est pas suffisamment encore fait dans notre pays, à notre avis, largement pour des raisons de gouvernance.

Notre sentiment est que nous n’avons pas encore tiré toutes les conséquences, du fait que, quoique l’on en dise – je ne prends pas parti sur les sujets d’énergies centralisées –l’avenir, c’est le développement d’énergies décentralisées. On ne peut pas faire autrement. C’est l’ensemble du monde qui fait comme cela. Imaginez que nous fassions différemment et que nous décidions de nous confier uniquement sur des énergies centralisées. Ce n’est pas possible. L’avenir est dans les énergies décentralisées, ce qui veut donc dire, une certaine décentralisation des systèmes énergétiques. À notre avis, cette décentralisation n’est pas suffisante. Dans les textes, elle est assez bonne puisque les collectivités locales ont le droit de faire beaucoup de choses, les projets citoyens ont le droit de se faire. La réalité, quand on décrit très précisément les mécanismes de gouvernance, n’est pas tout à fait celle-ci.

M. Solange Martin. Je souhaite apporter deux éléments.

En ce qui concerne la question des EnR, les enquêtes d’opinion montrent qu’elles sont très corrélées au gain écologique et mais pas du tout au gain en termes de développement local ni aux aspects géostratégiques, d’indépendance énergétique et delimitation des risques de guerres et de conflits. Peut-être la communication doit-elle être renforcée sur ce point pour montrer qu’il ne s’agit pas uniquement d’une bonne action mais que l’on y a aussi des intérêts très nets.

Pour ce qui est des jeunes, je ne voudrais pas que l’on reproduise sur la jeunesse les erreurs que l’on pourrait faire globalement sur l’individu lui-même, à savoir leur faire porter l’intégralité de la charge de sauver la planète. Nous avons fait dans l’enquête sur le changement climatique un focus spécifique sur les jeunes. Il apparaît que s’ils sont moins climato-sceptiques, ils sont moins vertueux que leurs aînés, sauf en matière de mobilité, d’une part pour des raisons de coûts - ils n’ont pas les moyens d’avoir une voiture - d’autre part, parce que culturellement, ils sont plus ouverts aux mobilités douces et au covoiturage. On retrouve au sein de la jeunesse les mêmes fractures que dans l’ensemble de la société. S’il y a un intérêt stratégique à travailler sur la jeunesse spécifiquement, le meilleur levier est l’exemplarité des générations précédentes, sachant que dans les enquêtes qualitatives, ils expriment très clairement qu’ils ne veulent pas être les seuls à payer cette facture. Moralement, on ne peut pas rejeter la responsabilité et l’intégralité des efforts à faire sur les générations futures. C’est bien tout l’objet de toutes ces questions environnementales.

M. Julien Dive. Je vous remercie. Je voudrais interroger Monsieur Giraud, de la DITP sur les nudges verts. Vous avez réalisé un rapport cette année sur les nudges verts et aucun n’est en rapport avec la sobriété énergétique, les économies d’énergie. Pourquoi y a-t-il des effets pervers dans les nudges verts ? Avant d’écouter votre réponse, je laisse la parole à Bruno Duvergé pour ses dernières questions.

M. Bruno Duvergé. Ma question est issue de ce que vous avez dit sur l’être social. J’entends que vous préconisez de regarder l’être social plutôt que l’individu Or, on a l’impression aujourd’hui que l’être social s’individualise. L’individualisme augmente de façon exponentielle, notamment avec cette puissance de communication individuelle au monde entier. Cela paraît s’opposer à vos recommandations. Vous l’avez dit, on ne peut pas non plus considérer l’être comme un surhomme cartésien. Il est difficile aujourd’hui d’y voir clair dans toutes ces notions. Chacun se regarde lui-même et ce que la société lui apporte à lui-même. Or, toutes les notions que nous développons ici sont plutôt des notions de société. J’aimerais vous entendre sur ce point.

S’agissant du rôle des réseaux sociaux, Facebook a fait des expériences. Suivant le type d’images suggérées, on avait plus ou moins tel comportement. Y a-t-il des choses à étudier là-dessus ?

M. Stéphan Giraud. En ce qui concerne les nudges, je l’ai clairement évoqué tout à l’heure, il y a un effet de hasard sur les exemples qui sont cités dans le rapport. Mais, je le disais, quantité d’expérimentations qui ont pu être menées de par le monde ont trait à la transition énergétique. Il n’y a pas de contraintes particulières sur ce sujet. Sur les limites, il s’agit avant tout d’avoir une approche comportementale globale qui ne se contente pas de se focaliser sur la solution, qui serait la nouvelle martingale qui viendrait tout résoudre. Il s’agit d’appréhender les choses dans leur globalité et le faire avec une certaine forme de rigueur.

La principale limite des nudges est qu’ils ont vocation à être testés en termes d’efficacité, efficacité dans des contextes, efficacité dans la durée. Il faut surtout éviter de dire que c’est l’Alpha et l’Omega des solutions sur ce volet comportemental. Je le redis, on est, pour moi, sur des approches à géométrie variable qui parfois ont intérêt à s’intéresser au comportement individuel, parfois au comportement social. Sur le chauffage au bois, on va clairement s’intéresser à des comportements individuels. On s’efforce de faire quelque chose le plus rigoureux possible. Cette rigueur inclut aussi, c’est un aspect important de la démarche nudges, de s’intéresser à la partie éthique, à savoir être vraiment sur des problématiques de passage à l’acte et ne pas essayer de faire le bonheur des gens malgré eux. Voilà pour les principaux réflexes que l’on s’efforce d’avoir sur ces nudges. En tout cas, il n’y a aucune problématique spécifique technique sur le sujet de la transition énergétique. C’est une approche qui peut s’y prêter.

J’en profite pour rebondir sur la notion d’exemplarité. On parlait des jeunes, de leur aspect stratégique, il y a aussi un autre univers qui, pour moi, a vocation à avoir un rôle d’exemplarité, ce sont les pouvoirs publics, en s’emparant de ces méthodes de manière rigoureuse, en le faisant aussi dans la manière dont fonctionnent les décideurs publics. Quand on parle de ces biais cognitifs, on essaie aussi de sensibiliser les décideurs publics à leur existence et au fait que leurs manières de fonctionner et de prendre des décisions peuvent aussi être affectées par ces phénomènes.

L’exemplarité, c’est aussi au niveau des agents. Il convient de faire en sorte que nos agents publics s’emparent de ces méthodes, ce qui leur permet de les diffuser dans la sphère privée, parce qu’un agent public, c’est aussi un être humain qui, quand on l’intéresse à ces enjeux comportementaux, peut être amené à les transposer dans la sphère privée. C’est aussi une occasion pour eux de retrouver des marges de manœuvre. Utiliser ces méthodes, les sensibiliser à ces enjeux est aussi une manière de redonner du sens aux métiers et aux pratiques des agents publics.

Mme Solange Martin. Il y a différentes couches qui visent différentes réalités. L’individualisme, en synonyme d’égoïsme, et l’individuation de la société, qui est une forme de désinstitutionalisation, sont deux choses un peu différentes. Pour ce qui est de la désinstitutionalisation, c’est bien tout le problème de gouvernance actuel : les organes qui permettaient d’organiser le social et de le conduire sont dans une crise de confiance et de défiance. Ce n’est pas définitif et l’une des manières est de s’appuyer sur des corps intermédiaires plus ou moins constitués, comme les associations ou la société civile. D’où l’intérêt de ne pas leur mettre le couteau sous la gorge et de continuer à les faire vivre - ils ont en effet une capacité d’entraînement et de représentation - et de laisser advenir des collectifs plus éphémères (collectifs de riverains, porte-paroles, communauté internet). Il s’agit vraiment de s’appuyer sur d’autres émergences de corps intermédiaires. Un certain nombre de dispositifs politiques permet de continuer à donner un cap et une direction. Ce qui est sûr, c’est que quel que soit le niveau d’individuation de la société ou d’égoïsme, l’individu est de toute façon un être social pris dans un faisceau de contraintes sociales et matérielles. Qu’il en soit conscient ou non, il sera déterminé par ce qu’il a comme offre commerciale dans son supermarché et comme offre d’infrastructures autour de chez lui. Il y a donc une action à faire sur les aménagements, les dispositifs, la régulation de la sphère économique qui va cadrer les agir, aussi individuels ou égoïstes soient-ils. De toute manière, cela ne dispense pas de tenter de le faire.

M. Guillaume Martin. Pour revenir sur la question de l’acceptabilité des projets, vous avez cité des projets en lien avec les énergies renouvelables, notamment l’électricité. Encore une fois, c’est une partie du sujet. Je pense que cette question d’acceptabilité est valable pour toute politique publique et pour toute politique d’aménagement. L’un des facteurs, c’est la compréhension du problème. Quand on a électrifié la France, personne ne s’est opposé à l’installation des pylônes électriques. Aujourd’hui, nous sommes habitués à voir ces pylônes. On avait conscience des enjeux et on savait ce que l’électricité allait pouvoir nous apporter.

Quand la France aura vraiment compris les enjeux qui sont devant nous d’un point de vue transition écologique et transition énergétique, l’acceptabilité des projets de méthanisation, par exemple, qui est une alternative au carburant fossile sera tout autre. On reboucle en fait sur cette question de former les gens et leur faire comprendre l’urgence du problème.

M. Julien Dive. À une nuance près : quand on a mis des pylônes partout en France, les moyens d’expression et de contestation étaient beaucoup plus restreints que ceux que nous avons aujourd’hui du fait du développement numérique, entre autres.

Mme Solange Martin. Une toute dernière chose. Les dernières recherches en psychologie montrent que le bonheur est extrêmement déterminé au sens que l’on peut donner à ses actions et à son existence. Les gens sont capables de renoncer à un bien-être dès lors qu’ils ont un gain en termes de sens. La transition est riche de sens à donner et permet de dépasser les individualités et les égoïsmes.

M. Julien Dive. Ce sera la conclusion de notre table ronde matinale. Je vous remercie pour avoir répondu présents, pour votre participation, vos présentations, vos avis et je vous remercie d’avoir répondu à nos questions. Nous restons disponibles si vous avez d’autres éléments à nous faire parvenir. Quand, Monsieur le rapporteur, le rapport sera-t-il prêt ?

M. Bruno Duvergé. On votera le rapport le 24 juin 2019.

Julien Dive. Je vous remercie.

 

 

L’audition s’achève à douze heures trente-cinq.

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.