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N° 2685

 

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2020

 

RAPPORT D’INFORMATION

posé

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

 

En conclusion des travaux d’une mission d’information ([1]) 

 

relative à l’immunité parlementaire

et présenté par

MM. Sébastien HUYGHE et Alain TOURRET,

Députés

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La mission d’information relative à l’immunité parlementaire est composée de MM. Sébastien Huyghe et Alain Tourret, rapporteurs.


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SOMMAIRE

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Pages

SynthÈse du rapport

I. RENFORCER LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DES PARLEMENTAIRES

A. L’IRRESPONSABILITÉ, UNE PROTECTION SUBSTANTIELLE DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION INHÉRENTE AU MANDAT PARLEMENTAIRE

1. Une protection destinée à garantir l’indépendance du pouvoir délibérant

a. Une protection indispensable à la délibération parlementaire

b. Une garantie nécessaire à la séparation des pouvoirs

2. Une protection généralement absolue au sein des démocraties représentatives modernes

a. Une protection absolue des opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires

b. Une protection commune aux démocraties représentatives modernes

B. MODERNISER UNE PROTECTION INADAPTÉE AUX NOUVELLES CONDITIONS D’EXERCICE DU MANDAT PARLEMENTAIRE

1. Un champ d’application trop restreint

a. Une conception restrictive des opinions émises dans l’exercice des fonctions parlementaires

b. Une application en retrait par rapport à la protection européenne de la liberté d’expression

2. Une nécessaire adaptation aux conditions modernes d’exercice du mandat parlementaire

a. Protéger la liberté d’expression des parlementaires hors les murs des assemblées

b. Renforcer, en contrepartie, le pouvoir disciplinaire des assemblées

c. Créer une exception d’irresponsabilité devant les tribunaux judiciaires

II. PRÉSERVER LA LIBERTÉ D’ACTION DES PARLEMENTAIRES

A. L’INVIOLABILITÉ, UNE PROTECTION FORMELLE DE LA LIBERTÉ D’ACTION DU PARLEMENTAIRE DANS SON MANDAT

1. Une protection destinée à garantir la capacité de siéger du pouvoir délibérant

a. Une protection destinée à contrôler les entraves à l’exercice du mandat parlementaire

b. Une garantie importante pour l’opposition politique

2. Une protection relative des entraves au mandat parlementaire

a. Deux modèles d’inviolabilité

b. Une protection de portée relative et au contenu variable

B. PRÉSERVER L’ÉQUILIBRE TROUVÉ EN 1995 DANS LA DÉFINITION DU RÉGIME DE L’INVIOLABILITÉ

1. L’équilibre issu de la loi constitutionnelle de 1995 doit être préservé…

a. Une limitation justifiée des mesures soumises à autorisation du Bureau de l’assemblée

b. Le maintien d’une possibilité de suspension des poursuites et mesures privatives ou restrictives de liberté

2. … sous réserve de plusieurs aménagements

a. Mieux protéger les sources des parlementaires

b. Encadrer les perquisitions dans les locaux liés aux fonctions parlementaires

c. Renforcer les garanties applicables à la procédure de levée de l’inviolabilité

LISTE DES PROPOSITIONS

TRAVAUX DE LA COMMISSION

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

ANNEXE 1 : DEMANDES RELATIVES À L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE PRÉSENTÉES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

ANNEXE N° 2 : CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Contribution du Conseil national des barreaux

Contribution du barreau de Paris

Contribution du Syndicat des avocats de France

Contribution de Me François Saint-Pierre, avocat aux barreaux de Lyon et Paris

Contribution de Me Jean Veil, avocat au barreau de Paris

Contribution de Mme Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation

Contribution de l’Union syndicale des magistrats

Contribution de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation

Contribution du Syndicat de la magistrature

Contribution de M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, président de la Fondation René Cassin

Contribution de la direction des affaires civiles et du Sceau et de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice

Article 94

Article 95

Contribution de M. Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien député de Haute-Savoie

Contribution de MM. Gilbert Collard, député européen, ancien député du Gard, Jean-Marc Descoubès, avocat au barreau de Paris, et Jean-Richard Sulzer, conseiller régional des Hauts-de-France

Contribution de M. Denis Baranger, professeur de droit public  à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Contribution de M. Olivier Beaud, professeur de droit public  à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Contribution de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public  à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Contribution de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, présidente de  l’Association française de droit constitutionnel

Contribution de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des  facultés de droit, conseiller d’État en service extraordinaire

Contribution de M. Serge Sur, professeur émérite de droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas


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   SynthÈse du rapport

Ni privilège personnel, ni impunité générale, l’immunité parlementaire, aujourd’hui prévue à l’article 26 de la Constitution, est une protection fonctionnelle accordée aux députés et sénateurs pour le bon exercice de leur mandat. Loin d’être totale et inconditionnelle, cette protection, qui existe dans la plupart des démocraties représentatives modernes, prend la forme de deux mécanismes – l’irresponsabilité et l’inviolabilité – qui conservent de solides justifications :

–  l’irresponsabilité, qui interdit de poursuivre ou condamner un parlementaire pour les votes et opinions émis dans l’exercice de ses fonctions, protège la liberté d’expression du député ou du sénateur ;

–  l’inviolabilité, qui soumet à l’autorisation préalable de l’assemblée le prononcé de certaines mesures de contrainte contre un parlementaire pour des faits étrangers à son mandat, garantit au député ou au sénateur sa liberté de mouvement pour exercer ses fonctions face aux risques d’instrumentalisation de l’autorité judiciaire à des fins d’entrave politique.

La mission d’information préconise de conserver ces deux protections mais d’en moderniser les règles, en formulant dix propositions.

  • Le régime protecteur de la liberté d’expression des parlementaires, en pratique cantonnée à l’enceinte des assemblées, devrait être adapté aux conditions dans lesquelles la parole politique s’exprime aujourd’hui.

L’article 26 de la Constitution ou, à défaut, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pourraient être modifiés afin d’empêcher toute action contre les propos tenus par un parlementaire, en lien avec l’exercice de ses fonctions, dans le cadre de débats d’intérêt général organisés en dehors des assemblées, à l’exclusion des injures publiques (proposition  1). Cette protection s’appliquerait sous réserve du pouvoir disciplinaire de l’assemblée à laquelle le parlementaire appartient, dont le champ devrait être étendu aux propos provocateurs, menaçants ou outrageants des députés et sénateurs en dehors des assemblées (proposition n° 2).

Il serait par ailleurs utile d’inscrire dans la loi sur la liberté de la presse la protection des discours devant le Parlement réuni en Congrès, au même titre que ceux tenus au sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat (proposition n° 3).

Il est enfin proposé de consacrer une exception d’irresponsabilité afin que la juridiction d’instruction ou de jugement statue sur l’application de cette protection aux propos litigieux, avant toute mise en examen ou jugement au fond du parlementaire (proposition n° 4).

 

  • Le régime actuel de contrôle des mesures susceptibles d’entraver l’exercice du mandat parlementaire ne devrait être ni supprimé, ni étendu (propositions nos 5 et 6). En revanche, plusieurs aménagements pourraient être apportés à l’état du droit.

En premier lieu, le « secret des sources » des parlementaires devrait être renforcé afin qu’ils ne puissent pas être poursuivis, du chef d’entrave à la saisine ou à l’exercice de la justice, pour avoir refusé de livrer à la justice des informations détenues en raison et pour le besoin des fonctions qu’ils tiennent de la Constitution, notamment dans le cadre de leurs activités de contrôle (proposition n° 7).

En deuxième lieu, les perquisitions dans les locaux liés aux fonctions parlementaires (bureau, permanence, domicile d’un député ou sénateur) mériteraient d’être mieux encadrées sur le modèle du régime applicable aux avocats : réalisation par un magistrat, présence d’un membre du Bureau de l’assemblée concernée, possibilité de s’opposer à la saisie d’un document le temps qu’un juge des libertés et de la détention statue sur la régularité de celle‑ci… (proposition n° 8).

En troisième lieu, les garanties applicables à la procédure d’autorisation des mesures privatives ou restrictives de libertés contre un parlementaire pourraient être renforcées afin de mieux concilier l’exigence de bonne administration de la justice, le besoin qu’expriment nos concitoyens de mieux comprendre les décisions prises par les assemblées dans ce domaine et la nécessaire protection des droits du parlementaire concerné (proposition  9) :

–  instauration d’un délai maximal d’examen par l’assemblée d’une demande de mainlevée de l’inviolabilité transmise par l’autorité judiciaire ;

–  consécration du caractère secret des délibérations et du vote du Bureau lorsqu’il statue sur une telle demande et des critères de motivation de ses décisions ;

–  affirmation du droit du parlementaire d’être avisé sans délai d’une demande le concernant et de la décision prise par le Bureau, de consulter le dossier de la demande, d’être entendu et de désigner un représentant pour assister aux travaux du Bureau lorsqu’il n’est rattaché à aucun groupe politique.

En dernier lieu, il conviendrait de permettre au parlementaire pour lequel le Bureau a autorisé le prononcé de mesures privatives ou restrictives de liberté de demander à l’assemblée de statuer en dernier ressort, afin de tenir compte de la situation des parlementaires d’opposition dont la sensibilité politique n’est pas représentée au Bureau (proposition n° 10).


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   AVANT-PROPOS

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

Voilà deux-cent trente ans, le 23 juin 1789, Mirabeau bénissait « la liberté de ce qu’elle mûrit de si beaux fruits dans l’Assemblée nationale » et exhortait les États Généraux à affirmer la volonté du peuple contre l’autorité royale « en déclarant inviolable la personne des députés ». Dans son sillage, l’Assemblée nationale votait l’inviolabilité de ses membres dans ces termes : « tous particuliers, (…) corporation, tribunal, cour ou commission, qui oseraient (…) poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député pour raison d’aucune proposition, avis, opinion ou discours par lui fait aux États Généraux (…) sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital » ([2]).

Ainsi naissait en France, en même temps que la souveraineté nationale, l’immunité parlementaire, conférant aux élus du peuple un régime juridique protecteur contre les menaces des autres pouvoirs.

Ce nom d’immunité, que d’aucuns ont tôt fait d’assimiler à l’impunité, est aujourd’hui la source de malentendus persistants. C’est la raison pour laquelle il a été jugé opportun, le 3 juillet 2019, d’engager une réflexion sur la pertinence de ce régime ainsi que sur l’opportunité d’en modifier le champ et les modalités d’application.

Emprunté du latin ([3]), le vocable a deux significations qui résument les principales caractéristiques de ce régime. Exemption fixée, par la loi ou l’usage, d’une charge, d’un impôt ou d’une disposition légale, l’immunité désigne aussi, en biologie et médecine, l’état de résistance d’un organisme contre la pénétration ou la présence d’agents extérieurs. Dérogation aux règles pénales de droit commun, justifiée par la différence objective de situation dans laquelle se trouvent députés ou sénateurs afin de les protéger d’immixtions excessives ou arbitraires dans l’exercice de leur mandat, elle peut être considérée, par ses critiques, comme la rémanence d’un privilège indu et d’un autre temps.

Il n’en est pourtant rien. Protection de la fonction et non privilège de la personne, l’immunité, étroitement liée au fonctionnement des institutions démocratiques, a des fondements solides.

Prévue en France par l’article 26 de la Constitution de 1958, l’immunité puise ses racines dans l’histoire de notre pays. Née en même temps que le régime représentatif moderne, elle était d’abord destinée à assurer l’indépendance des représentants vis-à-vis du pouvoir exécutif, dont ils voulaient s’émanciper, mais aussi à les délier des électeurs, dont les instructions étaient incompatibles avec la prohibition nouvelle du mandat impératif.

Elle est apparue dans notre pays à la suite de sa consécration au Royaume‑Uni puis aux États-Unis. Au Royaume-Uni, dont l’expérience parlementaire influença les révolutionnaires français, cette protection, mentionnée par l’article 9 du Bill of Rights de 1689 ([4]) et liée aux fonctions juridictionnelles qu’occupaient le Parlement aux XIVe et XVe siècles, était le corollaire de l’immunité dont bénéficiait le souverain : elle y a accompagné le renforcement progressif des pouvoirs d’initiative et de contrôle des assemblées. Issue des garanties accordées aux membres des assemblées coloniales américaines pour s’autonomiser des gouverneurs, l’immunité fut instituée aux États-Unis au bénéfice des membres du Congrès dès les Articles of Confederation de 1777 puis à l’article Ier, section 6, de la Constitution de 1787 ([5]).

« Mesure d’ordre public pour mettre le pouvoir législatif audessus des atteintes du pouvoir exécutif » ([6]), l’immunité protège les assemblées parlementaires non dans l’intérêt personnel de leurs membres mais dans celui du mandat représentatif et du rôle dévolu au Parlement dans une démocratie. Elle permet, selon les mots de Guy Carcassonne, « de protéger le mandat parlementaire, de sorte qu’il s’exerce de manière libre, sans que ni l’exécutif ni le judiciaire ne puissent restreindre son indépendance, condition de la souveraineté » ([7]). Comme le rappelle aujourd’hui, au niveau européen, la Commission de Venise, l’immunité existe « dans l’idée que les élus du peuple doivent bénéficier de certaines garanties pour remplir effectivement leur mandat démocratique sans crainte de harcèlement ou d’accusations indues de l’exécutif, des tribunaux ou de leurs adversaires politiques » ([8]).

Étroitement liée au fonctionnement du régime démocratique dont le corollaire est la séparation des pouvoirs, l’immunité parlementaire a son équivalent pour le pouvoir exécutif, dont les représentants, qu’il s’agisse du Président de la République ([9]) ou des membres du Gouvernement ([10]), ne peuvent voir leur responsabilité engagée à raison des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions que sous certaines conditions.

Loin d’être générale, la protection accordée aux parlementaires varie selon la nature de leurs actes. Elle recouvre, en France, deux régimes distincts, dont le périmètre a évolué au fil du temps pour tenir compte des critiques qui étaient formulées à son encontre :

–  d’une part, l’irresponsabilité, immunité de fond absolue, qui empêche définitivement toute poursuite à l’encontre d’un parlementaire pour les seuls votes et opinions émis dans l’exercice de ses fonctions, par la suppression de l’élément légal de l’infraction empêchant ainsi toute action juridictionnelle ;

–  d’autre part, l’inviolabilité, immunité d’exécution relative, qui protège provisoirement le parlementaire de certaines mesures de contrainte prononcées par un juge dans le cadre de poursuites pour des faits étrangers à son mandat.

Les membres du Parlement européen sont aussi soumis à un régime protecteur proche de celui prévu pour les députés et sénateurs. Ils ne peuvent être « recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions » ([11]). Ils bénéficient, pendant la durée des sessions, de l’inviolabilité de leur pays lorsqu’ils sont poursuivis par une juridiction de celui-ci et d’un régime d’inviolabilité européenne indépendant des règles nationales lorsqu’ils sont poursuivis par une juridiction étrangère à leur pays d’origine ([12]).

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Protection historique du mandat représentatif vis-à-vis des autres pouvoirs, l’immunité parlementaire est-elle encore pertinente aujourd’hui, alors que l’indépendance des assemblées ne semble plus sérieusement menacée et que le respect de l’État de droit implique une égale soumission de tous aux lois de la République ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que le principe même de la représentation paraît de plus en plus contesté et que la défiance à l’égard des élus et du personnel politique dans son ensemble grandit.

Pour vos rapporteurs, l’un de la majorité (Alain Tourret, La République en marche), l’autre de l’opposition (Sébastien Huyghe, Les Républicains), l’immunité demeure légitime.

Comme l’a fait observer la constitutionnaliste Anne Levade, le raisonnement justifiant sa suppression au motif que les parlementaires n’auraient plus à craindre ni l’exécutif, ni les juges, « présume la stabilité de situations institutionnelles que l’on peut légitimement espérer pérennes mais dont nul ne peut assurer qu’elles ne seront pas remises en cause un jour » ([13]). Consubstantielle à la démocratie représentative et à la liberté politique, l’immunité est « une protection, non pas seulement des fonctions parlementaires (…) mais plus largement encore du fait qu’un représentant de la nation est un gouvernant, quelqu’un qui exerce par délégation la liberté du peuple de se gouverner luimême », ainsi que le souligne le professeur de droit public Denis Baranger ([14]).

Car derrière la multiplicité des justifications qui en fondent le maintien, ce régime protecteur repose sur la nécessité, dans un régime démocratique, de protéger la liberté de faire de la politique au nom de la collectivité et celle des représentants de déterminer, par délégation du peuple, les conditions de l’autonomie collective en fixant la loi commune.

Les exigences qu’expriment nos concitoyens en matière de respect du principe d’égalité devant la loi, de moralisation de la vie publique et de transparence sont légitimes et doivent être prises en compte : l’immunité ne doit donc conduire à aucune impunité. Mais d’autres exigences, tout aussi fondamentales, justifient un traitement particulier des parlementaires, notamment la séparation des pouvoirs, qui préserve de l’oppression et sans laquelle il n’y a pas de garantie des droits, conformément à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, ainsi que la liberté – d’expression et d’action – inhérente au mandat parlementaire, dont la vocation est de permettre aux élus nationaux d’exercer la souveraineté nationale au nom du peuple à qui elle appartient, sans être intimidés ni entravés.

Les parlementaires qui se rendent coupables d’infractions, a fortiori lorsque ces infractions sapent la confiance que les électeurs leur ont accordée au moment de les élire, doivent être sanctionnés : aucune règle ne doit permettre leur impunité. Pour autant, l’autorité judiciaire devrait pouvoir travailler sereinement, sans être instrumentalisée à des fins malveillantes, en particulier au cours de périodes pré‑électorales ou électorales durant lesquelles une « affaire » peut venir opportunément perturber le débat politique, voire empêcher des candidats de se présenter ou de mener campagne sereinement. Cette situation est d’autant plus problématique que la violation récurrente du secret de l’enquête et de l’instruction, en permettant la publication dans la presse d’extraits de procès-verbaux d’auditions, conduit parfois à la pré‑condamnation, dans l’opinion publique, de personnalités politiques, au mépris de la présomption d’innocence.

Les parlementaires doivent aussi répondre de leurs engagements devant les électeurs, seuls juges des idées politiques qu’ils défendent. Cette seconde responsabilité, de nature politique, à laquelle députés et sénateurs sont périodiquement soumis au moment de se présenter devant le suffrage universel, est primordiale et ne saurait s’effacer derrière la responsabilité pénale. Elle devrait même prévaloir lorsque sont en cause des votes ou des propos se rattachant à l’exercice de leur mandat, sous réserve des sanctions disciplinaires susceptibles de s’appliquer en cas de comportement inapproprié. Pourtant, nombreuses sont les contestations, devant l’autorité judiciaire, des interventions des élus dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Ces contestations se doublent d’une recrudescence des menaces et actes d’intimidation contre la personne des parlementaires, leur famille et les locaux qu’ils occupent pour leurs opinions ou leur soutien à une réforme.

Pour concilier ces exigences et apprécier la responsabilité à laquelle s’expose un parlementaire à raison de ses agissements et propos, il importe de déterminer la nature exacte et le périmètre précis du mandat représentatif, dont les contours ne se limitent pas aux seules fonctions de vote de la loi, de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques. S’y ajoutent, aux yeux de vos rapporteurs, une mission de représentation, une fonction tribunitienne et un rôle particulier dans l’animation du débat public.

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La complexité et la sensibilité de ces questions ont amené vos rapporteurs à procéder à de nombreuses auditions pour recueillir l’avis de professeurs de droit constitutionnel, de magistrats, d’avocats ou de parlementaires ayant eu à connaître de cette question à un titre ou à un autre. Vos rapporteurs remercient ces personnes pour la qualité de leur contribution aux travaux de la mission d’information et pour la richesse de leurs analyses.

Ces auditions ont d’abord souligné la nécessité d’expliquer le sens et le bienfondé des protections dont bénéficient les parlementaires pour l’exercice de leur mandat. À cet égard, cette mission d’information est, pour vos rapporteurs, l’occasion d’alimenter la réflexion sur un sujet méconnu de nos concitoyens, peu étudié par l’université ([15]) et sur lequel une prise de position assumée du Parlement est attendue et, selon eux, nécessaire.

Les travaux de la mission d’information ont révélé, au-delà de ce besoin de pédagogie, la nécessité de préserver certaines règles protectrices du mandat parlementaire pour garantir le bon fonctionnement de notre démocratie. Le débat a moins porté sur le principe même de ces règles que sur leur nature et leur portée, différentes selon qu’est envisagée la liberté d’expression des parlementaires ou leur liberté d’action.

Partagée par toutes les démocraties représentatives, l’irresponsabilité, qui consacre une liberté spéciale d’expression et de décision au bénéfice des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions, s’avère une protection indispensable au mandat représentatif. En témoigne la remarquable stabilité dans le temps des règles la régissant, qui mériteraient toutefois d’être modernisées pour tenir compte du rôle joué par les parlementaires dans l’animation des débats d’intérêt général, en particulier à l’âge du numérique.

Il en va différemment de l’inviolabilité, dont l’objet, empêcher des entraves injustifiées à l’exercice du mandat parlementaire à l’occasion de poursuites pour des faits étrangers à celui-ci, est davantage débattu. Reconnue de manière variable à l’étranger, elle est aujourd’hui limitée à un contrôle des atteintes les plus graves à la liberté d’aller et de venir des parlementaires. Sans revenir sur cette limitation bienvenue de son champ d’application, il est possible d’améliorer la procédure permettant la levée de cette inviolabilité et de renforcer les garanties dont les parlementaires devraient bénéficier s’agissant du secret des informations qu’ils détiennent dans l’exercice de leurs fonctions et des perquisitions dont ils peuvent être l’objet.

 


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I.   RENFORCER LA LIBERTÉ D’EXPRESSION DES PARLEMENTAIRES

Reconnue depuis 1789 comme l’« un des droits les plus précieux de l’Homme » ([16]), la libre communication des pensées et des opinions est particulièrement précieuse pour les parlementaires s’ils veulent pouvoir exercer le mandat qui leur a été confié par les électeurs. Elle justifie une immunité spécifique, l’irresponsabilité, historiquement indissociable de ce mandat mais que les modalités nouvelles d’exercice de celui-ci invitent à moderniser.

A.   L’IRRESPONSABILITÉ, UNE PROTECTION SUBSTANTIELLE DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION INHÉRENTE AU MANDAT PARLEMENTAIRE

Les auditions de vos rapporteurs ont toutes souligné le lien étroit qui unit la protection des opinions et votes émis par les parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions et le régime représentatif, dont le fonctionnement repose sur l’indépendance du Parlement vis-à-vis des autres pouvoirs constitués.

1.   Une protection destinée à garantir l’indépendance du pouvoir délibérant

Si le régime de l’irresponsabilité qui s’applique aux parlementaires revêt une telle importance pour le fonctionnement du régime représentatif, c’est parce qu’il garantit le caractère sincère de la délibération et la séparation des pouvoirs. Comme l’a souligné le professeur de droit public Serge Sur, « c’est parce que et dans la mesure où les représentants de la nation doivent exercer le mandat dans des conditions d’indépendance garantie, exempte de toutes pressions extérieures, qu’ils bénéficient d’une irresponsabilité judiciaire dans l’exercice de leurs fonctions » ([17]).

a.   Une protection indispensable à la délibération parlementaire

L’irresponsabilité dont bénéficient les membres du Parlement pour les opinions ou votes émis dans l’exercice de leurs fonctions, condition nécessaire au bon fonctionnement du Parlement, est apparue concomitamment à la transformation des assemblées en instances indépendantes de délibération.

« Vecteur de la transformation des assemblées en instances délibérantes » ([18]), comme le retrace Céline Guérin‑Bargues dans sa thèse consacrée aux immunités parlementaires, l’irresponsabilité est née au Royaume‑Uni au XIVe siècle et a été revendiquée pour la première fois dans une pétition par la chambre des Communes en 1523, sous le règne d’Henri VIII. La liberté de débat ne va cesser de s’y renforcer au cours des XVIe et XVIIe siècles pour accompagner la transformation du rôle institutionnel du Parlement ([19]). Elle aboutit à la revendication d’un « droit ancestral et incontestable des sujets anglais » de débattre et de se prononcer sur « les questions délicates et urgentes relatives au Roi, à l’État, à la défense du royaume et à l’Église d’Angleterre ». Loin de se limiter aux propos tenus dans l’assemblée, cette liberté s’est étendue aux « proposition, parole, raisonnement ou déclaration sur toute matière relative au Parlement ou à son action » ([20]).

En France, l’évolution des évènements de 1789 a conduit à l’adoption, soudaine mais influencée par l’expérience britannique, d’un régime plus global d’immunité parlementaire, associant étroitement l’irresponsabilité et l’inviolabilité. Cette seconde protection semble d’ailleurs prédominer dans l’histoire française, les révolutionnaires français ayant été avant tout soucieux de protéger leur intégrité physique contre les tentatives d’intimidation du Roi.

Moyen de conquête du pouvoir délibérant, l’irresponsabilité est, depuis son adoption, un facteur d’authenticité et de sincérité de la délibération parlementaire.

Cécile Guérin-Bargues rappelle ainsi que, « dans un régime représentatif, la délibération parlementaire remplit deux fonctions cardinales, qui justifient chacune l’irresponsabilité » : d’une part, « c’est l’ultime étape dans la genèse de l’accord des volontés indispensable à la participation du Parlement à la fonction gouvernementale, compte tenu du caractère collégial de l’instance parlementaire » et, d’autre part, « c’est l’un des vecteurs essentiels du jugement de la collectivité sur les résolutions qu’elle arrête, compte tenu du caractère public des débats » ([21]). Il ne s’agit pas de surestimer le rôle de la délibération parlementaire dans la conduite de l’action publique, nombre de décisions étant aujourd’hui prédéterminées par des rapports de forces politiques préexistant à ces décisions. Mais « l’inévitable prédétermination des volontés qui en résulte ne saurait invalider la nécessité d’une irresponsabilité » qui apparaît au contraire « comme l’ultime garantie du caractère représentatif du mandat, c’est-à-dire de la liberté qu’a le représentant – peut-être pas politiquement, mais au moins juridiquement – de changer d’avis » ([22]).

Lieu particulier de formation de la majorité politique et de détermination de la volonté générale, la salle des débats parlementaires doit créer les conditions d’une délibération libre, en permettant la confrontation d’arguments et d’opinions parfois radicalement opposés. La liberté qui doit régner dans l’enceinte de chacune des assemblées permet la critique par les représentants du peuple de toutes les initiatives, de tous les projets et de toutes les personnes.

Cette liberté protège également le parlementaire des éventuelles pressions des électeurs. Ces derniers pourraient être tentés de remplacer l’absence de responsabilité politique de celui-ci au cours de son mandat par une mise en cause de sa responsabilité pénale à raison des propos ou des votes qu’il a émis dans l’exercice de ses fonctions dès lors qu’ils les estimeraient incompatibles avec les engagements pris devant eux au moment de son élection. L’irresponsabilité se trouve ainsi étroitement liée au respect de la prohibition du mandat impératif, posée à l’article 27 de la Constitution.

Le lieu de la délibération est d’ailleurs un élément historiquement constitutif de l’irresponsabilité. La relative sanctuarisation de l’enceinte parlementaire, dont la sûreté intérieure et extérieure est garantie par le président de chaque assemblée ([23]), se traduit par une inviolabilité complète de la salle des séances, dont la police et l’ordre relèvent de la compétence du président de séance ([24]). Le non-respect de cet ordre ne peut donner lieu qu’à l’application de sanctions disciplinaires par le Bureau de chacune des assemblées, hors faits délictueux ou criminels commis de manière flagrante dans l’enceinte de l’assemblée ([25]).

b.   Une garantie nécessaire à la séparation des pouvoirs

Protectrice de la liberté d’expression des parlementaires, l’irresponsabilité est aussi une conséquence du principe de la séparation des pouvoirs, qu’elle a vocation à maintenir. Sa contribution au respect de ce principe est d’autant plus importante que cette séparation n’a d’autre objet que de limiter les effets et les excès des pouvoirs, de préserver la liberté politique et de prévenir l’arbitraire.

L’irresponsabilité, historiquement liée à ce principe, empêche les pouvoirs exécutif et judiciaire de s’immiscer sans justification dans le fonctionnement démocratique du pouvoir législatif.

Au Royaume‑Uni, l’irresponsabilité a accompagné la recherche par le Parlement de possibilités nouvelles d’intervention dans des matières que la Couronne considérait comme relevant de sa compétence exclusive. Constitutive du régime parlementaire, l’irresponsabilité l’est également du modèle présidentiel américain, qui repose sur l’indépendance organique des pouvoirs et une répartition claire de leurs fonctions : la protection de la liberté d’expression des parlementaires y garantit leur capacité à exercer pleinement l’intégralité de la compétence législative qui leur est confiée.

L’irresponsabilité parlementaire évite donc que des pouvoirs concurrents fassent pression sur des parlementaires à l’occasion de fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions. Comme l’a fait observer à vos rapporteurs la professeure Cécile Guérin-Bargues, « on ne saurait autoriser des juridictions à substituer leur propre appréciation de la correction et de l’exactitude des propos tenus par un parlementaire (…) à celle de l’opinion publique » ([26]).

Aujourd’hui, la séparation des pouvoirs n’est plus que très rarement totale : au sein d’un régime parlementaire, le Gouvernement s’appuie généralement sur une majorité politique au Parlement tandis que le régime présidentiel repose, dans une logique d’équilibre des pouvoirs, sur un système de freins et de contrepoids. Cela étant, même transformée, la séparation des pouvoirs continue de justifier une protection spécifique des parlementaires.

L’irresponsabilité revêt une importance décisive au sein d’un régime parlementaire comme la France où, en raison du fait majoritaire, c’est moins la distinction et la spécialisation des pouvoirs qui compte que la nécessité d’un contrôle effectif de la majorité par l’opposition. La protection de la liberté d’expression et de vote des parlementaires contribue donc à l’effectivité du contrôle par le pouvoir délibérant des décisions gouvernementales :

  elle préserve les minorités politiques contre la domination de la majorité ;

–  elle limite les pressions dont peuvent être l’objet les parlementaires au sein même de la majorité, dont le mode de désignation, qui fait suite à l’élection présidentielle, crée une forte discipline de vote et un lien de dépendance entre le groupe majoritaire et le pouvoir exécutif.

2.   Une protection généralement absolue au sein des démocraties représentatives modernes

Étroitement liée au mandat représentatif, l’irresponsabilité s’applique dans la plupart des démocraties modernes pour protéger, de manière absolue, les votes et opinions liés à l’exercice des fonctions parlementaires.

a.   Une protection absolue des opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires

Pour être efficace, la protection du parlementaire agissant dans le cadre de son mandat doit être absolue : elle rend impossible toute poursuite et paralyse l’action juridictionnelle contre le parlementaire pour des faits pourtant susceptibles de recevoir une qualification pénale, en supprimant l’élément légal de l’infraction. Elle doit être aussi permanente, pour permettre au parlementaire de l’invoquer même après qu’il a cessé d’exercer son mandat, sous réserve que soient en cause des votes ou opinions émis pendant qu’il l’exerçait.

L’irresponsabilité n’instaure toutefois nullement un droit à l’impunité :

–  d’une part, son champ est restreint, en vertu du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution, aux seuls « opinions ou votes émis par [le membre du Parlement] dans l’exercice de ses fonctions » ;

–  d’autre part, elle ne fait pas échec à l’application de sanctions disciplinaires par l’assemblée à laquelle appartient ce parlementaire : à l’Assemblée nationale comme au Sénat, peuvent faire l’objet de telles sanctions les députés et sénateurs qui adressent à leurs collègues des injures, provocations ou menaces, qui se rendent coupables d’outrages ou de provocations envers l’assemblée ou son président ou encore d’injures, de provocations ou de menaces envers le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement ou les assemblées prévues par la Constitution ([27]).

b.   Une protection commune aux démocraties représentatives modernes

Ces caractéristiques sont partagées, de manière relativement uniforme et stable, par un grand nombre de démocraties représentatives.

Pour ne citer que ces pays, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Canada, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède, tout comme le Parlement européen, protègent, sous une forme ou sous une autre, les membres du Parlement pour les votes et déclarations qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions. Les législations de ces pays révèlent, en substance, une protection généralement absolue des votes et déclarations émis par les parlementaires « dans l’exercice de leurs fonctions » ou du mandat, certains précisant que cette protection s’applique en séance comme en commission, d’autres l’étendant en dehors du Parlement (Italie, Pays-Bas, Portugal).

Selon la Commission de Venise, des pays soumettent l’irresponsabilité parlementaire à des restrictions, en écartant de son champ des propos particulièrement graves ou nécessitant une conciliation avec d’autres intérêts individuels ou publics. Si, dans de nombreux pays, les parlementaires se trouvent protégés contre les procès en diffamation ou pour insulte, ailleurs, toute protection est exclue pour ces motifs ou en cas de discours de haine ou de menaces et d’incitations à commettre des violences ou un crime. Enfin, des pays sortent du champ de l’irresponsabilité certains propos mais soumettent leurs poursuites à une autorisation préalable du Parlement. Quoi qu’il en soit, dans la plupart des pays, l’irresponsabilité parlementaire est considérée comme une mesure d’ordre public à laquelle le parlementaire concerné ne peut renoncer ou dont il ne peut pas solliciter la levée ([28]).

comparaison des rÉgimes d’irresponsabilitÉ en France et À l’Étranger

Pays

Nature des actes couverts par l’irresponsabilité

FRANCE

Opinions ou votes émis dans l’exercice des fonctions, notamment les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, les rapports et toutes les autres pièces imprimées par l’ordre de l’une de ces assemblées

ALLEMAGNE

Votes émis ou déclarations faites au Bundestag ou dans l’une de ses commissions dans l’exercice du mandat, en dehors des injures diffamatoires et des déclarations faites hors du domaine parlementaire

AUTRICHE

Votes ou déclarations liés directement à l’exercice du mandat parlementaire en séance plénière, dans les commissions permanentes ou devant les groupes politiques (rapports, propositions de loi, questions)

Possibilité d’engager la responsabilité du membre du Conseil national devant celui-ci à la suite d’une déclaration verbale ou écrite

BELGIQUE

Opinions ou votes dans l’exercice des fonctions (comptes rendus, questions, réponses, documents parlementaires, propositions de loi, résolutions, motions), dès lors qu’ils ont un lien avec celles-ci et quel que soit le lieu où ils ont été émis (hors répétition des propos devant la presse)

CANADA

(régime de « privilège parlementaire »)

Liberté de parole lors des délibérations parlementaires : propos en séance publique ou en commission

ESPAGNE

Opinions émises dans l’exercice des fonctions, au sein ou en dehors du Parlement (Congrès des députés)

Opinions et votes émis dans l’exercice des fonctions ainsi que toute activité considérée comme l’exercice de ces fonctions, au sein ou en dehors du Parlement (Sénat)

ITALIE

Opinions exprimées et votes accomplis dans l’exercice des fonctions (projets et propositions de loi, amendements, motions, résolutions, autres interventions connexes à l’activité parlementaire, y compris celles effectuées hors du Parlement sous réserve de l’existence d’un « lien fonctionnel » entre l’acte incriminé et la fonction parlementaire)

PAYS-BAS

Propos et éléments soumis par écrit au Parlement pendant les séances publiques ou celles des commissions

PORTUGAL

Votes et opinions émis dans l’exercice des fonctions ou à cause de ces fonctions, au sein ou en dehors du Parlement, y compris les contacts directs avec les citoyens et les opinions politiques exprimées dans les médias s’ils ont trait à la représentation parlementaire (hors cas abusifs, mise en cause de la vie privée, jugements exprimés dans des articles de presse, rencontres avec les électeurs, débats publics ou pendant la période électorale ou pré-électorale)

ROYAUME-UNI

(régime de « privilège parlementaire »)

Liberté de parole dans la limite des travaux parlementaires (notamment les séances du Parlement, les votes, décisions et actions des parlementaires), sous réserve qu’existe un lien avec les fonctions parlementaires et hors expressions inconvenantes ou contraires aux usages parlementaires

SUÈDE

Propos exprimés ou actes accomplis dans l’exercice des fonctions, au sein et en dehors du Parlement, sauf décision du Riksdag prise à la majorité des 5/6 des votants membres autorisant les poursuites

PARLEMENT EUROPÉEN

Opinions ou votes émis dans l’exercice des fonctions, sous réserve qu’ils soient liés de façon « directe et évidente » au mandat parlementaire, quel que soit le lieu de leur émission : les tribunaux nationaux statuant sur l’affaire sont seuls habilités à déterminer si l’irresponsabilité s’applique, le Parlement européen n’émettant, dans ce cas, que des avis

Source : Note de législation comparée du Sénat sur l’immunité parlementaire, novembre 2014.

Relativement homogène dans son application, l’irresponsabilité est de surcroît généralement ancienne, étant apparue concomitamment à la naissance de ces régimes politiques :

–  elle est inscrite à l’article 9 du Bill of Rights depuis 1689 au Royaume‑Uni et à l’article Ier, section 6, clause 1ère, de la Constitution des États‑Unis de 1787 ;

–  elle est également d’une stabilité remarquable en France où sa définition, posée par l’article 7 de la Constitution des 3 et 4 septembre 1791 ([29]), fait figure de tradition républicaine jamais remise en cause depuis 1789 ([30]), à l’exception de périodes politiques particulières ([31]).

B.   MODERNISER UNE PROTECTION INADAPTÉE AUX NOUVELLES CONDITIONS D’EXERCICE DU MANDAT PARLEMENTAIRE

Solidement justifié et largement partagé, le régime de l’irresponsabilité, tel qu’il est défini et interprété en France, n’est pas sans poser des difficultés qu’une modification de son champ d’application permettrait de lever pour l’adapter aux conditions actuelles d’exercice du mandat parlementaire.

1.   Un champ d’application trop restreint

Le champ des opinions émises par les parlementaires susceptibles d’être protégées est singulièrement restreint, notamment au regard de la conception européenne de la liberté d’expression politique et de l’importance attachée à la vitalité du débat démocratique.

a.   Une conception restrictive des opinions émises dans l’exercice des fonctions parlementaires

Faute de définition, par l’article 26 de la Constitution ou une autre disposition législative, des actes couverts, en France, par l’irresponsabilité, la jurisprudence en a précisé la nature et l’étendue.

Les actes « classiques » de la fonction parlementaire sont couverts par l’irresponsabilité : interventions et votes en séance et en commission, propositions de loi et amendements, rapports ou avis dont le député ou le sénateur est l’auteur ([32]) ou encore questions écrites ou orales.

De manière générale, sont couverts les votes et opinions émis par un parlementaire au cours d’une réunion d’un organe institué par la Constitution, l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ou le règlement de celles-ci : séance publique, commissions permanentes, spéciales ou d’enquête, missions d’information, Bureau, Conférence des Présidents, collège des Questeurs… Une limite est cependant posée à l’irresponsabilité résultant des opinions émises dans le cadre des travaux d’une commission d’enquête : un parlementaire qui ne respecte pas la décision de la commission de garder confidentiel le déroulement de ses travaux peut être poursuivi sur le fondement de l’article 226-13 du code pénal pour atteinte au secret professionnel ([33]) ou sur le plan disciplinaire ([34]).

L’irresponsabilité résultant du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution est confortée par le premier alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit toute action contre « les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées ». La rédaction de cette seconde disposition, qui ne précise pas l’identité de l’auteur des discours tenus, pourrait même étendre le bénéfice de la protection aux propos tenus dans les assemblées par des personnes qui ne sont pas parlementaires.

Il ressort également du deuxième alinéa de l’article 41 de la même loi que les comptes rendus officiels des travaux du Parlement bénéficient d’une immunité absolue, à la différence des comptes rendus, synthétisés ou simplifiés, dont ces travaux font l’objet dans la presse, qui, pour ne pas être poursuivis, doivent être « faits de bonne foi », c’est-à-dire être sincères et honnêtes ([35]) et ne pas dériver vers des commentaires à caractère accusatoire ([36]).

Enfin, les déclarations des personnes appelées à témoigner devant les commissions d’enquête sont elles aussi protégées contre certaines actions judiciaires, afin de ne pas entraver la fonction de contrôle du Parlement à laquelle ces commissions contribuent fortement. Cette protection, qui n’a été reconnue par le législateur qu’en 2008 pour clarifier une jurisprudence jusque-là fluctuante, interdit les actions en diffamation, injure ou outrage ([37]) contre « les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête » ainsi que « le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi » ([38]).

En revanche, les propos tenus par un parlementaire dans le cadre d’une mission que lui a confiée le Gouvernement en application de l’article LO. 144 du code électoral, laquelle ne s’inscrit pas dans l’exercice de sa fonction de député ou de sénateur, ne peuvent pas être couverts par une quelconque immunité ([39]).

Ces actes, par leur nature, ne soulèvent donc pas de réelles difficultés, à la différence des propos formulés en dehors de l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire. Si la Cour de cassation affirme ne pas limiter, en principe, l’immunité aux discours tenus dans les assemblées ([40]), une analyse des décisions qu’elle a rendues dans ce domaine, corroborée par les auditions organisées par vos rapporteurs, révèle une conception restrictive de l’irresponsabilité, limitée aux seules opinions litigieuses directement rattachables au mandat.

Deux critères sont utilisés par les magistrats pour juger si une opinion peut être protégée au titre du premier alinéa de l’article 26 de la Constitution.

En premier lieu, la Cour de cassation examine si l’acte a été accompli dans l’exercice des fonctions parlementaires telles qu’elles sont définies par les titres IV et V de la Constitution relatifs aux compétences législatives, de contrôle et d’évaluation du Parlement. Elle a ainsi refusé le bénéfice de l’irresponsabilité à Raymond Forni, député, rapporteur d’un projet de loi sur la Nouvelle-Calédonie, au motif que ses propos, qui critiquaient une décision de justice condamnant un leader indépendantiste kanak, avaient été émis à la radio ([41]) ainsi qu’à Henri Emmanuelli, député, condamné pour recel de trafic d’influence sur le fondement de propos tenus devant une commission d’enquête parlementaire sur le financement des partis politiques en qualité de témoin ([42]) et non de membre ([43]).

En second lieu, la Cour de cassation tend à apprécier si le député ou le sénateur a agi en tant que parlementaire ou, dans un registre plus politique ou partisan, en tant que citoyen engagé. Cet exercice, par nature délicat, l’a amenée à développer une conception extensive de la notion d’opinion détachable de l’exercice des fonctions parlementaires, en confirmant – avant que la Cour européenne des droits de l’homme ne la conduise à reconsidérer sa position sur le fondement de la liberté d’expression – la condamnation du député Noël Mamère pour complicité de diffamation publique envers un fonctionnaire lorsqu’il avait accusé, au cours d’une émission télévisée, un spécialiste de la radioactivité d’avoir tu les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl ([44]).

Cette jurisprudence est confortée par celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui, à propos de l’irresponsabilité des députés européens, exige un « lien direct et évident » des propos litigieux avec l’exercice des fonctions parlementaires, ce lien direct devant « s’imposer avec évidence » ([45]).

b.   Une application en retrait par rapport à la protection européenne de la liberté d’expression

Restrictive, l’interprétation jurisprudentielle du champ des opinions émises dans l’exercice des fonctions parlementaires susceptibles de faire bénéficier leur auteur du régime de l’irresponsabilité apparaît de surcroît en décalage avec la protection résultant des dispositions européennes relatives à la liberté d’expression. Ainsi que l’a souligné le professeur Denis Baranger devant vos rapporteurs, les juridictions françaises sont restées en retrait en se concentrant sur une notion abrupte de la liberté d’expression, sans regarder en quoi consistait la fonction des parlementaires ([46]).

Pour la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), l’immunité parlementaire est légitime : « pratique de longue date, qui vise des buts légitimes que sont la protection de la liberté d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire » ([47]), l’irresponsabilité vise en particulier à « empêcher que des poursuites partisanes puissent porter atteinte à la fonction parlementaire » ([48]) et remettre en cause « l’autonomie du législateur et l’opposition parlementaire » ([49]). Elle ne peut, en principe, être considérée comme imposant une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal.

La CEDH accorde une importance toute particulière à la liberté d’expression, notamment à l’égard des responsables politiques, y compris dans des débats d’intérêt local comme lors d’un conseil municipal : « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour les partis politiques et leurs membres actifs » ([50]) ainsi que pour un élu du peuple, qui « représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts » ([51]). Pour la Cour, « l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général » ([52]), et, dans ce domaine, l’invective politique, qui déborde souvent sur le plan personnel, « sont les aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garants d’une société démocratique » ([53]).

Cette conception exigeante de la liberté d’expression dans le domaine politique a d’ailleurs conduit la CEDH à juger contraire au droit à la liberté d’expression la condamnation par la France du député Noël Mamère pour complicité de diffamation publique, au motif notamment que « les propos tenus (…) relevaient de sujets d’intérêt général » et que Noël Mamère « s’exprimait sans aucun doute en sa qualité d’élu et dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l’expression politique ou militante », laquelle permet « une certaine dose d’exagération, voire de provocation » ([54]).

C’est à la suite de cette décision que la Cour de cassation a cassé la condamnation du député Christian Vanneste pour délit d’injure et de provocation homophobes ([55]), en ne se fondant pas sur l’irresponsabilité parlementaire – les propos avaient été tenus dans deux quotidiens régionaux – mais sur le droit à la liberté d’expression tel qu’il est garanti par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) et la jurisprudence de la CEDH.

2.   Une nécessaire adaptation aux conditions modernes d’exercice du mandat parlementaire

Vos rapporteurs considèrent que la liberté d’expression des députés et sénateurs mériterait d’être mieux protégée pour l’adapter, sous certaines conditions, aux nouvelles formes d’exercice du mandat parlementaire.

a.   Protéger la liberté d’expression des parlementaires hors les murs des assemblées

La conception restrictive de la notion d’opinion émise dans l’exercice des fonctions parlementaires soulève des difficultés, que plusieurs personnes auditionnées par vos rapporteurs ont appelé à lever.

Le professeur Bertrand Mathieu a fait observer que « l’action politique ne peut être considérée comme s’exerçant exclusivement » dans l’enceinte parlementaire. Constatant que les limites ainsi apportées à la liberté d’expression des parlementaires paraissent « particulièrement dangereuse[s] pour la liberté du débat politique [que la Cour de cassation] tend à encadrer dans des limites très réduites », il a proposé « d’inclure dans les propos protégés par l’immunité tous ceux qui s’inscrivent dans un débat sur des questions politiques, questions qui relèvent de la compétence des parlementaires et sur lesquelles ils doivent pouvoir s’exprimer librement, sans être enfermés dans le respect de dispositions législatives, dont ils sont légitimes à demander la modification et ce, non seulement devant leurs collègues, mais aussi devant leurs électeurs et plus largement l’opinion publique » ([56]).

Ces propos rejoignent ceux de M. Denis Baranger, professeur de droit public, pour qui « une garantie plus explicite de l’expression des titulaires de mandats publics, au premier rang desquels se trouvent les parlementaires », est souhaitable : « la parole des députés, du moment qu’elle porte sur le cadre de leur activité parlementaire et sur des questions de politique nationale ou locale, doit être protégée même en dehors de l’enceinte du Parlement » ([57]), notamment à la télévision ou sur un réseau social.

M. Bernard Fau, membre du conseil de l’ordre du barreau de Paris, a quant à lui relevé le paradoxe qu’il y avait à confier en totalité la mise en œuvre du régime de l’irresponsabilité aux juridictions et appelé de ses vœux une actualisation de ce régime, afin de tenir compte des nouveaux moyens de communication à la disposition des personnalités politiques.

Même les personnes réservées sur une possible extension du champ de l’irresponsabilité parlementaire ont souligné le caractère inadéquat de la jurisprudence française, comme la constitutionnaliste Cécile Guérin-Bargues pour laquelle « dans un État libéral et démocratique, il est sain que les parlementaires puissent nourrir librement le débat public, sans être tenus de moduler leurs propos en fonction du lieu où ils s’expriment par crainte d’éventuelles poursuites » ([58]).

Ces évolutions s’avèrent d’autant plus nécessaires qu’en l’état, les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse posent de sérieuses difficultés dans la protection de la liberté de la parole politique.

Si l’interdiction, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 41 de cette loi, de toute action contre « le compte rendu des séances publiques des assemblées (…) fait de bonne foi dans les journaux » pourrait bénéficier au parlementaire se bornant à répéter la teneur des arguments développés en séance, la rédaction de cet alinéa a pour objectif principal de protéger les journalistes faisant état des travaux parlementaires. D’après Cécile Guérin-Bargues, la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur cette question, en confirmant la condamnation du député Jean‑Pierre Brard pour diffamation publique en raison des propos qu’il avait tenus dans un entretien à la presse sur les témoins de Jéhovah à la suite des travaux de la commission d’enquête sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes qu’il avait rapportés ([59]). Toutefois, « la décision est difficile à interpréter en raison des spécificités de l’espèce », « la Cour de cassation ne [paraissant] pas rejeter le principe même de l’application de l’immunité prévue à l’article 41, alinéa 2 à un parlementaire » ([60]).

À cette ambiguïté s’ajoutent les spécificités et complexités de la loi du 29 juillet 1881. Ses dispositions en matière de diffamation paraissent de plus en plus incompatibles avec la conception européenne de la liberté d’expression des élus ([61]) : comme le souligne Denis Baranger, « notre droit de la diffamation constitue un obstacle non négligeable à la liberté d’expression et notamment à la liberté d’expression politique » ; même si le juge écarte la diffamation en présence d’un débat d’intérêt général ou public ou en cas de bonne foi, « la simple menace que constitue l’existence d’une plainte suivie automatiquement en la matière d’une mise en examen limite significativement la liberté de parole, y compris celle des élus » ([62]) ([63]).

Enfin, vos rapporteurs ne croient pas que la protection accordée, au niveau européen, à la liberté d’expression, suffirait à elle seule à préserver la libre parole politique des parlementaires et rendrait superflue toute disposition nationale relative à l’irresponsabilité parlementaire, pour au moins trois raisons :

–  protection collective du Parlement et non individuelle des parlementaires, l’irresponsabilité diffère, sur la forme, du droit – personnel – à la liberté d’expression protégé par l’article 10 de la CESDH ;

–  sur le fond, l’irresponsabilité, qui marque, dans un régime représentatif, la nécessité de préserver la liberté du débat politique au sein du pouvoir délibérant, ne saurait s’effacer derrière des dispositions européennes de portée plus générale ;

–  l’irresponsabilité présente l’avantage procédural de protéger les parlementaires contre la multiplication d’actions en justice malveillantes, sans attendre d’obtenir gain de cause au terme d’une longue procédure.

Si un renforcement de la liberté d’expression des parlementaires est nécessaire, il n’est toutefois pas question d’instituer un régime d’immunité absolue de toutes leurs opinions, quels que soient leur nature et leur cadre d’expression.

Une telle évolution, a fortiori sans modification de l’article 26 de la Constitution, se heurterait au principe constitutionnel d’égalité devant la loi ([64]), et aux droits d’accès à un tribunal, au respect de la vie privée et à la protection de la réputation protégés par les articles 6, 8 et 10 de la CESDH ([65]).

C’est pourquoi vos rapporteurs, soucieux de défendre une conception exigeante mais équilibrée de la libre parole politique, proposent d’étendre la protection de la liberté d’expression des parlementaires aux propos qu’ils tiennent, en dehors des assemblées, lorsqu’ils participent à un débat d’intérêt général.

Si l’opportunité d’une révision constitutionnelle se présentait, cette évolution mériterait d’être inscrite au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution. À défaut, il semble à vos rapporteurs qu’une modification de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est possible à droit constitutionnel constant, sous réserve de définir précisément le champ des prises de parole concernées pour ne pas porter une atteinte disproportionnée au principe d’égalité devant la loi pénale et le droit pour tout justiciable d’accéder à un tribunal :

–  seules devraient être protégées les opinions émises par les parlementaires en lien direct avec l’exercice des fonctions parlementaires entendues comme celles mentionnées aux titres IV et V de la Constitution – le vote de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques – et élargies à la participation aux débats d’idée sur des sujets d’intérêt public ;

–  devraient être exclus les propos constitutifs d’une injure publique, définie par la loi de 1881 comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », dont la nature exige que la personne visée puisse faire valoir ses droits en justice.

Proposition n° 1

Étendre la protection de la liberté d’expression des parlementaires aux propos qu’ils émettent en dehors des assemblées, dans le cadre de débats d’intérêt général en lien avec l’exercice de leurs fonctions, à l’exclusion des propos constitutifs d’injures publiques.

L’évolution proposée rapprocherait les règles applicables en France de celles que d’autres pays ont adoptées et où la liberté spéciale d’expression des parlementaires s’étend à tout propos tenu par le député ou le sénateur en lien avec l’exercice de son mandat, au sein comme à l’extérieur du Parlement, notamment dans les médias ou les réunions et débats publics ([66]).

Par ailleurs, vos rapporteurs suggèrent de clarifier les règles applicables aux opinions ou votes des parlementaires lorsque le Parlement est convoqué en Congrès ainsi qu’aux comptes rendus de ce dernier.

À première vue, le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution n’exclut pas une telle protection, les opinions ou votes protégés devant seulement être émis dans l’exercice des fonctions parlementaires.

En revanche, les deux premiers alinéas de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, repris par l’article 9 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui précisent l’application des dispositions de la Constitution, réserve l’irresponsabilité aux « discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat » et aux « rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées » et au compte rendu des séances publiques de ces assemblées fait de bonne foi dans les journaux. C’est le constat également formulé par l’Union syndicale des magistrats pour qui « il pourrait éventuellement être envisagé de prévoir que l’immunité s’applique également au Congrès, composé des seuls parlementaires, lequel se réunit dans l’aile sud du château de Versailles » ([67]).

Vos rapporteurs proposent donc de compléter l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour interdire toute action en justice à l’encontre des discours et votes devant le Parlement réuni en Congrès et des comptes rendus de ses séances.

Proposition n° 2

Prévoir expressément que les propos ou votes émis devant le Parlement réuni en Congrès et les comptes rendus des séances de celui-ci sont couverts par l’irresponsabilité.

b.   Renforcer, en contrepartie, le pouvoir disciplinaire des assemblées

Vos rapporteurs estiment nécessaire, comme l’ont fait valoir plusieurs de leurs interlocuteurs, que l’extension proposée du champ de la liberté d’expression des parlementaires soit contrebalancée par un renforcement du pouvoir de sanction disciplinaire des assemblées lorsqu’ils en abusent.

Comme l’a souligné François Molins, procureur général près la Cour de cassation, « si jamais une réflexion devait être engagée sur un élargissement de cette protection, il devrait y avoir nécessairement, de manière corrélative, la possibilité d’une sanction disciplinaire en cas de débordements » ([68]). Dans le même esprit, le professeur de droit public Olivier Beaud a suggéré qu’un éventuel élargissement de l’irresponsabilité parlementaire aux opinions émises en dehors du Parlement soit compensée « par une extension du pouvoir disciplinaire de la Chambre sur ses membres qui auraient abusé de leur liberté de parole en dehors de l’enceinte parlementaire », extension à laquelle rien ne s’oppose dès lors que ces propos se rattachent à l’activité de parlementaire ([69]).

Le pouvoir disciplinaire est destiné à préserver la sérénité des débats au sein de chaque assemblée. Exception à l’irresponsabilité ([70]), il en représente une contrepartie importante, en veillant à ce que les parlementaires ne fassent pas un usage abusif de leur liberté de parole. Ce pouvoir propre et autonome des assemblées, qui aboutit essentiellement à une condamnation morale compte tenu de la faiblesse des sanctions financières encourues ([71]), permet de s’assurer que les membres du Parlement ont une conduite conforme aux exigences de leur mandat sans entraver de manière directe l’exercice de ce dernier.

Vos rapporteurs recommandent donc d’étendre le pouvoir disciplinaire des assemblées ou de leur Bureau afin qu’il couvre d’autres propos inappropriés que ceux limitativement mentionnés aux articles 70 du Règlement de l’Assemblée nationale et 95 de celui du Sénat. Ces dispositions, qui ne visent aujourd’hui, pour l’essentiel, que des injures, provocations et menaces adressées au Président de la République, au Gouvernement ou aux membres du Parlement, pourraient être élargies à toutes les formes de provocations, de menaces, d’appels à la violence ou d’outrages de la part d’un député ou d’un sénateur à l’encontre de toute personne. À cette fin, vos rapporteurs suggèrent non seulement de modifier ces dispositions mais aussi d’asseoir la compétence de chaque assemblée ou de leur Bureau dans ce domaine à l’article 9 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Proposition n° 3

Compenser l’extension de la protection de la liberté d’expression des parlementaires par un renforcement des sanctions disciplinaires qu’ils encourent, au sein de leur assemblée, pour les propos provocateurs, menaçants ou outrageants qu’ils tiennent à l’extérieur.

L’évolution suggérée par vos rapporteurs s’inscrirait dans le prolongement de l’élargissement récemment opéré du régime disciplinaire des députés et sénateurs en cas de manquement aux obligations déontologiques. Comme l’a fait observer à vos rapporteurs le professeur Denis Baranger, « la discipline parlementaire semble un excellent moyen pour le Parlement de montrer aux citoyens qu’il n’a pas plus de tolérance qu’eux pour des pratiques que le mandat parlementaire ne saurait en aucun cas justifier ou exonérer ».

c.   Créer une exception d’irresponsabilité devant les tribunaux judiciaires

Pour rendre plus effective la protection de la liberté d’expression des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions, il serait par ailleurs souhaitable de permettre qu’il soit plus rapidement statué sur le lien entre les propos litigieux et ces fonctions afin de déterminer, le plus en amont possible de la procédure pénale, si l’irresponsabilité est applicable au litige.

Au cours de son audition par vos rapporteurs, l’avocat François Saint‑Pierre a par exemple estimé qu’« un recours préalable serait (…) utile pour qu’une (…) exception d’immunité parlementaire soit jugée avant toute mise en examen ou tout débat au fond devant une juridiction de jugement » ([72]).

En l’état du droit, le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution constitue une cause objective d’irresponsabilité pénale, qui non seulement fait obstacle à l’exercice de l’action publique en s’opposant définitivement à toute poursuite – comme la prescription – mais supprime aussi l’élément légal de l’infraction, en faisant disparaître le caractère illicite du propos.

L’autre versant de l’immunité parlementaire, l’inviolabilité, sur laquelle vos rapporteurs reviendront infra, constitue une exception de procédure touchant à l’ordre public ; elle est susceptible d’être relevée d’office par le juge et en tout état de la procédure, au même titre, par exemple, que la prescription de l’action publique ou l’autorité de la chose jugée ([73]), comme l’a déjà admis la Cour de cassation ([74]).

Même si elle est d’une autre nature, dans la mesure où elle constitue davantage une disposition de fond qu’une règle de procédure, l’irresponsabilité parlementaire devrait pouvoir être invoquée rapidement devant la chambre de l’instruction avant l’éventuelle mise en examen du parlementaire par le juge d’instruction, ainsi que devant la formation de jugement avant tout débat au fond.

Vos rapporteurs suggèrent donc de compléter l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin d’y consacrer l’existence d’une exception d’irresponsabilité parlementaire, d’ordre public et devant être jugée à titre prioritaire :

–  par la chambre de l’instruction, compétente pour statuer sur les nullités d’une information judiciaire, afin qu’elle statue, sur la requête du juge d’instruction, du procureur de la République ou du parlementaire, avant que celui‑ci ne soit convoqué aux fins de mise en examen : la chambre pourrait être saisie par requête du juge d’instruction, du procureur de la République ou du parlementaire lui-même ;

–  par la juridiction de jugement lorsque le parlementaire est cité à comparaître devant elle en qualité de prévenu, afin qu’elle statue, d’office ou à la demande du ministère public ou du parlementaire, immédiatement dessus, sans la joindre au fond ([75]).

Proposition n° 4

Consacrer une exception d’irresponsabilité afin que la juridiction compétente statue sur l’application de l’irresponsabilité aux propos pour lesquels le parlementaire est poursuivi, avant toute mise en examen ou jugement au fond.


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II.   PRÉSERVER LA LIBERTÉ D’ACTION DES PARLEMENTAIRES

Pour que les parlementaires puissent s’exprimer et décider librement dans l’exercice de leur mandat, encore faut-il qu’ils ne soient pas entravés de manière excessive et injustifiée, à l’occasion de la poursuite de faits détachables de leurs fonctions. C’est l’objet des règles d’inviolabilité, dont le champ et les modalités d’application ont trouvé, en France, un point d’équilibre qu’il convient de préserver, sous réserve des aménagements proposés par vos rapporteurs.

A.   L’INVIOLABILITÉ, UNE PROTECTION FORMELLE DE LA LIBERTÉ D’ACTION DU PARLEMENTAIRE DANS SON MANDAT

Immunité procédurale destinée à contrôler les entraves les plus graves à la liberté de siéger des parlementaires, l’inviolabilité, parce qu’elle concerne des actes étrangers à l’exercice des fonctions parlementaires, a une portée plus limitée que l’irresponsabilité.

1.   Une protection destinée à garantir la capacité de siéger du pouvoir délibérant

Quoique débattue dans son principe et ses effets, l’inviolabilité conserve, aux yeux de vos rapporteurs comme d’un grand nombre des personnes qu’ils ont entendues, de sérieuses justifications. Destinée à mettre les parlementaires à l’abri de mesures susceptibles d’entraver leur capacité à siéger, elle constitue une protection particulièrement importante pour l’opposition politique au sein du pouvoir délibérant.

a.   Une protection destinée à contrôler les entraves à l’exercice du mandat parlementaire

L’inviolabilité vise à interdire d’empêcher l’exercice de l’activité parlementaire à l’occasion de poursuites judiciaires engagées pour des faits étrangers à l’exercice du mandat. Elle participe donc, comme l’irresponsabilité, à la préservation de la séparation des pouvoirs, comme l’a fait observer à vos rapporteurs, M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés de droit ([76]), même si elle ne concerne pas des actes au cœur de la fonction parlementaire.

Sous cette réserve, l’inviolabilité ne bénéficie pas des mêmes fondements, universellement partagés, que l’irresponsabilité. En témoigne la divergence des trajectoires des deux modèles « historiques » d’immunité que sont le Royaume-Uni et la France, dans lesquels la nécessité d’un contrôle des entraves à l’exercice du mandat n’a pas évolué de la même manière.

Au Royaume-Uni, l’inviolabilité, qui remonte aux XVe à XVIIe siècles ([77]), est historiquement liée à la fonction juridictionnelle de cassation dévolue aux membres de Westminster, qui devaient pouvoir disposer de l’équivalent d’un contempt of court ([78]). Elle a peu à peu décliné, avec l’exclusion du champ pénal dès le XVe siècle et la suppression de la protection contre les poursuites au XVIIIe siècle. « Comprise dans un ensemble plus vaste, la freedom from molestation, sorte d’"immunité d’atteinte", [qui] interdisait toute saisie des biens des parlementaires entendus au sens large », l’inviolabilité s’est trouvée « mis[e] au service des intérêts particuliers des membres du Parlement » ([79]) entre 1640 et la fin du XVIIIe siècle. Elle a quasiment disparu à la suite des nombreux abus qu’elle avait engendrés et grâce à la confiance accordée, dans ce pays, au pouvoir judiciaire et au rôle de la procédure d’habeas corpus dans la lutte contre les privations arbitraires de liberté.

À l’inverse, en France, l’inviolabilité constitue, plus de deux siècles après son instauration, une véritable tradition constitutionnelle. Historiquement, elle « se fonde sur une prééminence institutionnelle du Parlement à l’égard des pouvoirs constitués concurrents », l’exécutif menaçant et le judiciaire discrédité par l’activisme des parlements d’Ancien Régime, « qui exclut toute idée de subordination de l’instance représentative à une autre autorité » ([80]). Cette conception, que les auditions conduites par vos rapporteurs ont en grande partie confirmée, se retrouve chez le pouvoir constituant lorsqu’il a statué pour la dernière fois sur cette question : ainsi le Sénat considérait-il, en 1995, que si, « avec l’enracinement de la démocratie, l’hypothèse d’arrestations arbitraires ou de poursuites injustifiées de parlementaires sur ordre de l’exécutif n’a certes plus la même vraisemblance qu’il y a deux siècles », « il ne faut pas sousévaluer les risques de harcèlement judiciaire non plus par des autorités publiques mais par des personnes privées » ([81]).

b.   Une garantie importante pour l’opposition politique

L’inviolabilité ne saurait donc être considérée comme une condition sine qua non du régime démocratique, comme en atteste son déclin au sein du régime britannique. En effet, la représentation, contrairement au mandat impératif, s’accommode de l’absence provisoire d’un ou de plusieurs membres de l’assemblée délibérante, qui bénéficient d’une investiture collective et d’un mandat national, chacun d’entre eux représentant la Nation toute entière.

Le contrôle des entraves à l’exercice du mandat parlementaire que permet le régime de l’inviolabilité, à défaut d’être indispensable au régime démocratique, présente un réel intérêt pour le fonctionnement de celui-ci, en limitant les risques d’instrumentalisation de l’action judiciaire à des fins politiques. Cette contribution à l’exercice serein du mandat représentatif est d’autant plus importante qu’elle peut intervenir dans un contexte de tensions entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs ou lorsque l’institution judiciaire n’est pas jugée totalement indépendante du pouvoir exécutif, comme c’est le cas, à tort ou à raison, en France.

Si plusieurs dispositions de la Constitution concourent à l’indépendance des magistrats du parquet ([82]) et la loi du 25 juillet 2013 interdit d’adresser aux procureurs de la République « aucune instruction dans des affaires individuelles » ([83]), ceux-ci demeurent placés sous l’autorité du garde des Sceaux et leur statut diffère de celui des magistrats du siège ([84]). Cette situation a été évoquée à plusieurs reprises devant vos rapporteurs comme un motif de défiance à l’égard des décisions prises par les représentants du ministère public, qui disposent d’importantes prérogatives en matière de poursuites et d’enquête, a fortiori si les actes qu’ils diligentent visent des personnalités politiques de l’opposition.

Vos rapporteurs rappellent à cet égard le débat ouvert par les perquisitions au domicile de M. Jean-Luc Mélenchon et au siège de La France insoumise, lesquelles, menées sous l’autorité du procureur de la République par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, avaient pourtant été autorisées par un juge des libertés et de la détention.

Les juges d’instruction, dotés de solides garanties d’indépendance, ne sont pas davantage épargnés par les critiques lorsqu’ils ordonnent certains actes ou mesures à l’encontre d’un parlementaire. Ce fut tout particulièrement le cas durant la campagne de la dernière élection présidentielle, au cours de laquelle l’information judiciaire ouverte à l’encontre du candidat François Fillon a donné lieu à la réalisation d’actes d’investigation et à sa mise en examen en un temps record.

Dès lors, l’inviolabilité apparaît comme la garantie pour les oppositions qu’un contrôle minimal sera opéré par le Parlement sur certains actes mettant en cause les conditions d’existence des formations politiques concernées et les modalités d’exercice du mandat parlementaire de leurs représentants. La CJUE, récemment saisie du cas de l’ancien vice‑président du Gouvernement autonome de Catalogne, poursuivi pour sécession et empêché de prendre possession de son mandat au Parlement européen en raison du refus de la justice espagnole de lui accorder une autorisation extraordinaire de sortie de prison, a estimé que l’inviolabilité, en garantissant « la possibilité de se rendre sans entraves à la première réunion de la nouvelle législature », concourrait à assurer « l’effectivité du droit d’éligibilité » et « aux institutions de l’Union une protection complète et effective contre les (…) risques d’atteinte à leur bon fonctionnement et à leur indépendance » ([85]). La CEDH a également reconnu l’utilité de cette protection, en considérant que « l’inviolabilité contribue à permettre cette pleine indépendance [du Parlement] en prévenant toute éventualité de poursuites pénales obéissant à des mobiles politiques (…) et en protégeant ainsi l’opposition des pressions ou abus de la majorité » ([86]).

C’est aussi la conclusion à laquelle le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur le statut des députés, mis en place au début de la législature, était parvenu : pour lui, l’inviolabilité constituait « une garantie pour l’opposition » car « une assemblée, qui serait privée d’une partie de ses membres en raison de procédures abusives destinées à éviter que certains députés puissent y siéger, pourrait continuer à délibérer mais pas dans des conditions satisfaisantes » ([87]). De même, pour la Commission de Venise, qui recommande pourtant de restreindre le champ de l’inviolabilité, si « les règles et principes d’indépendance et d’impartialité de la justice et du ministère public jouent à présent un rôle bien plus important et plus pertinent que des régimes un peu désuets d’immunité parlementaire », « la justice ne semble pas non plus dans tous les pays agir en toute indépendance sans se laisser indûment influencer par l’exécutif » et « les parlementaires, surtout d’opposition, peuvent ici ou là être exposés au harcèlement politique, sous forme d’accusations judiciaires infondées » ([88]).

2.   Une protection relative des entraves au mandat parlementaire

Fruit de traditions constitutionnelles divergentes et se rapportant à des faits sans lien direct avec l’exercice des fonctions parlementaires, l’inviolabilité fait logiquement l’objet de règles hétérogènes qui conduisent cependant toutes à une protection relative du parlementaire contre un nombre limité d’actes susceptibles d’entraver un exercice serein du mandat.

a.   Deux modèles d’inviolabilité

Comme l’a souligné devant vos rapporteurs la constitutionnaliste Anne Levade, deux traditions, constitutives de deux modèles apparus successivement, s’observent en matière d’immunité parlementaire selon l’importance respective accordée à l’irresponsabilité et à l’inviolabilité ([89]).

Dans le modèle anglo-saxon, issu de la conception anglaise de l’immunité reprise par la Constitution des États-Unis, c’est d’abord et principalement la liberté d’opinion des parlementaires qui est consacrée. Ces derniers ne sont souvent pas protégés contre les autres formes d’action en justice, sauf lorsqu’elles auraient pour conséquence de conduire à l’arrestation du parlementaire ou en cas de délits de droit civil. Dans les pays qui ont suivi ce modèle, les parlementaires doivent généralement invoquer leur « privilège » lorsqu’ils se sentent menacés et la protection ne vaut pas en matière pénale.

Dans le modèle français, fortement influencé par le contexte révolutionnaire ([90]), l’inviolabilité prédomine par rapport à l’irresponsabilité. Ce modèle a été adopté par de nombreux pays européens, en particulier par les démocraties nouvelles d’Europe centrale et de l’est au moment de la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques. Les pays qui s’en sont inspirés dressent généralement une liste de mesures dont l’exécution est subordonnée à une levée d’immunité décidée par l’assemblée dont le parlementaire est membre.

Seuls dérogent à ces deux modèles les Pays-Bas, qui ne connaissent aucune inviolabilité pour les parlementaires. D’après la professeure Anne Levade, « c’est un cas isolé qui, sans doute, s’explique aussi par la conception néerlandaise très atypique de la souveraineté », laquelle considère que la Constitution est normativement subordonnée aux traités ratifiés, ce qui conduit à écarter toute protection particulière au bénéfice de ceux qui exercent la souveraineté ([91]).

b.   Une protection de portée relative et au contenu variable

L’inviolabilité constitue, quoi qu’il en soit, une protection relative et d’ordre processuel contre certains actes judiciaires limitativement énumérés susceptibles d’entraver l’action du parlementaire.

Pour les professeurs Avril et Gicquel, à la différence de l’irresponsabilité, « qui soustrait l’élu au droit commun parce qu’une justification le couvre [et] présente de ce fait un caractère absolu », l’inviolabilité « s’analyse en une immunité de procédure, garantissant le parlementaire pris en qualité d’individu contre des poursuites pénales abusives ou vexatoires intentées contre lui à raison de faits étrangers à l’exercice du mandat » ([92]). Ayant pour effet de retarder l’exécution de certaines mesures judiciaires coercitives à l’égard du parlementaire pendant une durée limitée, l’inviolabilité est une protection provisoire qui peut être levée par le Parlement au cours du mandat et disparaît à son terme.

L’évolution qu’a connue le régime de l’inviolabilité au cours des dernières décennies dans les pays qui l’ont conservé, y compris la France, témoigne du caractère relatif de cette protection, dont le champ n’a cessé de se réduire. Cet amoindrissement de l’inviolabilité, qui ne remet pas en cause la solidité de ses fondements puisque son principe demeure dans nombre de ces pays, a surtout contribué à mieux concilier l’exigence, dans un régime parlementaire, d’une telle protection avec le principe d’égalité devant la loi, en prenant en compte la nécessité de renforcer la confiance du public dans le système démocratique.

Comparaison des rÉgimes d’inviolabilitÉ en France et À l’Étranger

Pays

Mesures soumises à autorisation de l’assemblée

FRANCE

Toutes mesures privatives ou restrictives de liberté en matière criminelle et délictuelle, sauf flagrance (libre ouverture d’une enquête et libre engagement des poursuites)

Possibilité de suspendre les poursuites ou ces mesures sur décision de l’assemblée

ALLEMAGNE

Autorisation individuelle d’une déclaration sous serment dans une procédure d’insolvabilité d’un membre du Bundestag et, en matière pénale, d’une mise en accusation, d’une arrestation, d’une perquisition ou d’une saisie, sauf flagrant délit (présence obligatoire d’un autre député en cas de perquisition ou saisie et, lorsque celles-ci se tiennent au Bundestag, présence d’un représentant du président)

Autorisation générale, en début de législature pour la durée de celle-ci, des poursuites en matière pénale, sauf injures à caractère politique ; avant le lancement des poursuites, information du président du Bundestag et du membre concerné par l’enquête, sauf si celle-ci serait compromise ou entravée de ce fait, et l’enquête ne peut commencer qu’à l’expiration d’un délai de 48 heures après la notification

AUTRICHE

Poursuites sans l’autorisation de l’assemblée si l’acte répréhensible n’est « manifestement pas lié à la fonction politique » du parlementaire

Arrestation et perquisition domiciliaire, sauf crime flagrant

En cas d’arrestation pour crime flagrant, information sans délai du président du Conseil national

BELGIQUE

Renvoi ou citation directe devant un tribunal et arrestation, sauf flagrant délit

Mandat d’amener en vue d’un interrogatoire ou d’une confrontation, mandat de perquisition sans l’accord du parlementaire, saisie effectuée dans le cadre d’une telle perquisition, repérage d’appels sans l’autorisation de l’intéressé, écoutes téléphoniques et exploration corporelle : autorisation de l’assemblée non requise mais information de son président et ces actes doivent « de préférence » être ordonnés par le premier président de la cour d’appel

Possibilité pour le parlementaire de demander la suspension des poursuites à l’assemblée, qui statue à la majorité des deux tiers ; l’assemblée peut requérir de sa propre initiative la suspension de la détention d’un de ses membres, à la majorité simple

CANADA

(régime de « privilège parlementaire »)

Immunité d’arrestation et d’emprisonnement en matière civile, dispense d’obligation de comparaître devant un tribunal et exemption du devoir de juré (exclusion du privilège pour les affaires pénales)

Information de la chambre en cas d’arrestation ou de détention d’un parlementaire pour une période « relativement longue » ou de condamnation à une peine d’emprisonnement

ESPAGNE

Poursuites et inculpation, arrestation sauf flagrant délit

En cas d’arrestation d’un sénateur pour flagrant délit, information immédiate du président du Sénat

En cas de détention d’un député ou de tout acte pouvant faire obstacle à l’exercice de son mandat, le président de la Chambre des députés prend les mesures nécessaires pour préserver les droits et prérogatives de la chambre et de ses membres

ITALIE

Perquisition personnelle ou domiciliaire, arrestation ou privation de liberté, maintien en détention (sauf exécution d’une condamnation définitive ou flagrant délit), écoutes téléphoniques, saisie et interception des correspondances

PAYS-BAS

Pas de régime spécifique d’inviolabilité

PORTUGAL

Déposition comme témoin ou prévenu (compétence liée de l’assemblée en cas d’indices importants de crime intentionnel puni de plus de trois ans de prison), arrestation ou détention sauf crime intentionnel puni de plus de trois ans de prison ou flagrant délit

Possibilité pour l’Assemblée de la République de suspendre un député condamné pour un crime, cette suspension étant de plein droit en cas de crime intentionnel puni de plus de trois ans de prison ou de flagrance

ROYAUME-UNI

(régime de « privilège parlementaire »)

Poursuites libres devant les tribunaux pour les crimes de droit commun commis par un membre du Parlement (liés d’aucune façon au processus législatif ou délibératif)

Protection contre les arrestations en matière civile, extrêmement rares depuis l’abolition en 1870 de l’emprisonnement pour dette (exclusion du privilège pour les affaires pénales)

SUÈDE

Application des procédures de droit commun en matière criminelle, d’arrestation et de détention si le parlementaire admet sa culpabilité, en cas de flagrant délit ou si la peine minimale encourue est supérieure à deux ans de prison

Possibilité pour le parlementaire de perdre son mandat en cas d’acte criminel « manifestement incompatible » avec celui-ci, sur décision d’un tribunal

PARLEMENT EUROPÉEN

Sur le territoire national dont ils viennent, les parlementaires européens bénéficient des mêmes immunités que celles reconnues aux membres du Parlement de leur pays

Sur le territoire de tout autre État membre de l’Union européenne, protection contre toute mesure de poursuite ou de détention, sauf flagrant délit

Source : Note de législation comparée du Sénat sur l’immunité parlementaire, novembre 2014.

Au sein des pays relevant du modèle français, les règles relatives à l’inviolabilité des parlementaires sont donc très variables :

–  certains pays exigent que les poursuites ou les enquêtes soient autorisées au même titre que d’autres mesures plus privatives ou restrictives de liberté ;

–  d’autres soumettent à l’autorisation de l’assemblée un nombre limité d’actes, particulièrement attentatoires à la liberté de mouvement du parlementaire ;

–  plusieurs pays prennent en compte la gravité de l’infraction alléguée.

Dans nombre de ces pays, comme l’Autriche, la Belgique, l’Italie ou la France, l’inviolabilité, initialement large, a vu son champ se rétrécir pour tenir compte des difficultés que son existence même et les conditions de sa mise en œuvre soulevaient.

B.   PRÉSERVER L’ÉQUILIBRE TROUVÉ EN 1995 DANS LA DÉFINITION DU RÉGIME DE L’INVIOLABILITÉ

Modifié pour la dernière fois en 1995, le régime français de l’inviolabilité est apparu relativement équilibré à la plupart des personnes auditionnées.

Vos rapporteurs partagent ce constat et ne proposent pas de remettre en cause cet équilibre mais seulement d’en aménager certains aspects.

1.   L’équilibre issu de la loi constitutionnelle de 1995 doit être préservé…

Depuis cette date, seuls les actes judiciaires les plus attentatoires à la liberté de déplacement des parlementaires doivent faire l’objet d’une autorisation préalable des assemblées, celles-ci conservant la possibilité de requérir la suspension de ces mesures ou de toute poursuite.

a.   Une limitation justifiée des mesures soumises à autorisation du Bureau de l’assemblée

Le régime de l’inviolabilité est fixé par les trois derniers alinéas de l’article 26 de la Constitution.

Avant 1995, l’inviolabilité pendant la durée des sessions était large : l’assemblée à laquelle appartenait le parlementaire concerné devait autoriser à la fois l’engagement des poursuites et l’arrestation. Elle ne se trouvait limitée qu’hors session, durant laquelle le bureau, alors compétent, n’autorisait que l’arrestation, hors les cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive ([93]).

En 1995 ([94]), le pouvoir constituant a modernisé ce régime pour trois raisons principales :

–  tenir compte du passage à la session unique, qui augmentait mécaniquement la période pendant laquelle le cours normal de la justice pénale pouvait être affecté par les décisions des assemblées ;

–  tirer les conséquences de l’introduction, en 1970, du contrôle judiciaire, dont certaines obligations étaient susceptibles d’entraver la liberté d’action des parlementaires ([95]) ;

– ne pas donner à l’acte de poursuite, susceptible d’être considéré comme un acte préfigurant la culpabilité du parlementaire, une publicité inutile et contreproductive.

Cette réforme a permis de parvenir « à un heureux compromis entre le souci de ne pas faire des élus des citoyens à part et la nécessité de leur permettre d’exercer normalement leur mandat » ([96]) afin que l’inviolabilité ne soit pas perçue « comme un privilège permettant aux parlementaires de retarder sans raison le cours de la justice à leur encontre » ([97]).

Depuis lors, en vertu du deuxième alinéa de l’article 26 de la Constitution, « aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie », sauf en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ([98]).

L’inviolabilité ne fait donc plus obstacle à l’engagement des poursuites à l’encontre d’un parlementaire (mise en examen) mais conditionne son arrestation ou le prononcé à son égard d’une mesure privative ou restrictive de liberté (garde à vue, détention provisoire, contrôle judiciaire…) à l’autorisation du Bureau de l’assemblée à laquelle il appartient.

Relevant auparavant de la compétence de l’assemblée plénière en période de session, l’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité est désormais une compétence exclusive du Bureau de chaque assemblée.

Le Bureau peut accepter ou rejeter globalement la requête ou n’en retenir que certains éléments. Depuis une décision du Conseil constitutionnel de 1962, il ne doit statuer que « sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande (…) au regard des faits sur lesquels cette demande est fondée et à l’exclusion de tout autre objet » ([99]) : sans se prononcer sur le fond de la procédure judiciaire, il vérifie que la demande présentée repose sur des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit imputable au parlementaire et qu’elle n’est pas motivée par d’autres considérations que des motifs de droit.

Entre 1958 et 1995, l’Assemblée nationale ou le Bureau de celle-ci avaient été destinataires de trente-six demandes de mainlevée de l’immunité de députés : dix furent accordées, cinq rejetées et vingt-et-une ne firent l’objet d’aucune décision ou furent considérées sans objet en raison de la clôture de la session ou de la fin de la législature. Depuis 1995, le Bureau de l’Assemblée nationale, saisi à dix-huit reprises, a répondu favorablement, en tout ou partie, à dix demandes de levée d’immunité et en a rejeté huit autres ([100]).

Vos rapporteurs ont écarté toute suppression du régime de l’inviolabilité, qui n’a d’ailleurs été proposée que par un nombre très limité de personnes auditionnées, pour des motifs similaires à ceux justifiant le maintien de la procédure de suspension des poursuites et des mesures privatives ou restrictives de liberté ([101]) ou le renforcement des garanties applicables aux perquisitions concernant des parlementaires ([102]).

À la dépendance des magistrats du parquet envers le pouvoir exécutif et aux risques d’instrumentalisation politique de la justice, à travers le déclenchement de l’action publique par des plaintes avec constitution de partie civile à caractère malveillant, il faut ajouter les « tentatives d’usurpation de la part du corps judiciaire » ([103]), comme en attestent les formes d’engagement pour le moins surprenantes de certains magistrats, à l’instar du « mur des cons » sur lequel le Syndicat de la magistrature avait épinglé les photographies de plusieurs parlementaires.

Par ailleurs, comme l’a fait valoir le professeur Olivier Beaud, une telle suppression « serait vraiment aventureuse, surtout à l’époque actuelle où le risque d’en revenir à des pratiques autoritaires est – hélas – aujourd’hui un peu moins improbable qu’hier » ([104]) .

Vos rapporteurs ont également rejeté toute extension du périmètre actuel de l’inviolabilité parlementaire ou tout retour en arrière par rapport à 1995, pour plusieurs raisons liées à la bonne administration de la justice :

–  la suppression de l’autorisation d’engager les poursuites du champ de l’inviolabilité doit être maintenue, dans la mesure où la mise en mouvement de l’action publique et la saisine d’une juridiction d’instruction ou de jugement, pas davantage que la mise en examen, n’emportent nécessairement le prononcé d’une mesure coercitive contre un parlementaire ni n’entravent l’exercice de son mandat ;

–  l’inviolabilité doit également continuer à être limitée aux procédures criminelles et correctionnelles, seules susceptibles de perturber réellement et de manière significative le cours d’un mandat parlementaire ([105]), à l’exclusion de la matière contraventionnelle ([106]) et des cas de flagrance, justifiés par l’urgence, l’assemblée conservant la faculté de suspendre toute poursuite ou mesure qu’elle estimerait abusive ;

–  de même, devrait être laissée inchangée la référence, au deuxième alinéa de l’article 26 de la Constitution, à l’« arrestation ou (…) toute autre mesure privative ou restrictive de liberté », qui ne soulève pas de difficulté particulière dans son interprétation par la jurisprudence et les assemblées ([107]).

Ainsi redéfinie en 1995, l’inviolabilité est désormais bien circonscrite et fait l’objet d’une application stricte, conformément aux préconisations formulées au niveau européen dans ce domaine ([108]) :

–  elle ne couvre ni toutes les procédures susceptibles d’entraîner la mise en œuvre de mesures coercitives, ni l’ensemble des infractions pénales ;

–  sa durée est limitée dans le temps et n’empêche pas la conduite des enquêtes ou l’engagement de poursuites ;

–  elle peut être levée, ce qui n’en fait pas une protection inconditionnelle.

Vos rapporteurs n’ont pas davantage retenu l’idée d’instituer un régime procédural dérogatoire pour l’ensemble des élus locaux pour tenir compte de leur qualité particulière, préserver la sérénité de la justice et écarter tout soupçon de partialité de nature à pénaliser l’élu ou à lui profiter :

–  une telle évolution conduirait à rétablir en partie un régime auquel le législateur avait renoncé depuis 1993, celui des « privilèges de juridiction » ([109]) ;

–  par ailleurs, les magistrats sont soumis à des obligations statutaires ([110]) et déontologiques particulières, de nature à prévenir toute situation de conflit d’intérêts et à garantir l’exercice indépendant, impartial et objectif de la justice ([111]) ;

–  enfin, le droit actuel permet déjà, avant toute mise en mouvement de l’action publique, le dessaisissement d’un magistrat du parquet ([112]) lorsque la personne mise en cause ou la victime est habituellement en relation avec les magistrats de la juridiction à raison de ses fonctions ou, après la mise en mouvement de l’action publique, le dépaysement d’une affaire pour la bonne administration de la justice ([113]), pour cause de suspicion légitime ([114]) ou en raison d’incompatibilités ([115]) ainsi que la récusation d’un membre de la juridiction si son impartialité est suspectée ([116]).

Proposition n° 5

Conserver le régime actuel d’autorisation des mesures privatives et restrictives de liberté susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un parlementaire, sans étendre son périmètre.

b.   Le maintien d’une possibilité de suspension des poursuites et mesures privatives ou restrictives de liberté

La réduction du champ de l’inviolabilité soulève d’autant moins de difficultés que, conformément aux deux derniers alinéas de l’article 26 de la Constitution, l’assemblée concernée peut requérir la suspension des poursuites de l’un de ses membres ou toute mesure privative ou restrictive de liberté prononcée à son encontre, possibilité qui n’a pas été remise en cause en 1995 ([117]).

La suspension relève, à la différence de la demande de mainlevée de l’inviolabilité, de la compétence de l’assemblée plénière, sur l’instruction préalable d’une commission permanente à l’Assemblée nationale et d’une commission ad hoc au Sénat, respectivement composée, à la proportionnelle des groupes, de 15 et 30 membres.

La mise en œuvre de ces dispositions est définie par le Règlement et l’Instruction générale du Bureau de chaque assemblée, selon des modalités quelque peu différentes.

Examen des demandes de suspension des poursuites et des mesures privatives
ou restrictives de liberté à l’Assemblée nationale et au Sénat

À l’Assemblée nationale, la demande de suspension, qui prend la forme d’une proposition de résolution ([118]), est examinée par une commission permanente de 15 membres constituée au début de la législature puis renouvelée chaque année, « en s’efforçant de reproduire la configuration politique de l’Assemblée et d’assurer la représentation de toutes ses composantes ».

Cette commission entend son auteur et le député intéressé ou son représentant. Si ce député est détenu, elle peut le faire entendre personnellement par des membres délégués à cet effet.

La demande est inscrite d’office à l’ordre du jour de la plus prochaine séance réservée aux questions au Gouvernement et à leur suite, après la distribution du rapport de la commission. À défaut de distribution du rapport dans un délai de vingt jours à compter du dépôt de la demande, l’inscription à l’ordre du jour est laissée à la discrétion de la Conférence des Présidents. En séance, seuls peuvent prendre part au débat le rapporteur de la commission, le Gouvernement, le député intéressé ou son représentant ainsi qu’un orateur pour et un orateur contre ([119]).

Au Sénat, la demande de suspension, qui prend également la forme d’une proposition de résolution, est examinée par une commission de 30 membres constituée à chaque fois qu’il y a lieu, « selon la représentation proportionnelle ».

Les conclusions de la commission doivent être déposées dans un délai de trois semaines à compter de la désignation de ses membres et sont inscrites à l’ordre du jour du Sénat par la Conférence des Présidents dès la distribution du rapport de celle-ci ([120]).

Si cette disposition, qui avait bénéficié à dix-huit parlementaires avant 1995 sur vingt demandes de suspension présentées ([121]), est aujourd’hui plus rarement mise en œuvre ([122]), elle conserve une importance décisive à deux égards :

–  elle est une garantie du respect par l’autorité judiciaire du régime de l’irresponsabilité prévu au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution, en offrant aux assemblées la faculté de faire cesser des poursuites qu’elles considèreraient irrégulièrement engagées contre l’un de leurs membres pour des votes ou opinions émis dans l’exercice de ses fonctions ;

–  elle permet de mettre un terme à des poursuites engagées à l’encontre d’un parlementaire dans le cadre d’une procédure pénale portant sur des faits étrangers à ses fonctions mais que l’assemblée dont il est membre jugerait abusives ([123]) ou malintentionnées – le cas de poursuites malveillantes par des parties civiles n’est pas à exclure – ou à des mesures privatives ou restrictives de liberté qu’elle ne jugerait plus nécessaires, en raison d’un changement de circonstances.

Dans ces conditions, vos rapporteurs proposent de ne pas supprimer la faculté laissée aux assemblées de suspendre, pour la durée de la session, les poursuites engagées à l’encontre d’un de leurs membres ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté prononcée à son égard.

Proposition n° 6

Conserver la possibilité pour les assemblées de suspendre, pour la durée de la session, les poursuites et les mesures privatives ou restrictives de liberté concernant un parlementaire.

2.   … sous réserve de plusieurs aménagements

Si, pour vos rapporteurs comme pour la plupart des personnes qu’ils ont entendues, les règles régissant le régime de l’inviolabilité sont satisfaisantes, trois aménagements qui lui sont intrinsèquement liés pourraient être apportés au droit existant.

a.   Mieux protéger les sources des parlementaires

Le premier porte sur les conditions dans lesquelles les parlementaires pourraient être inquiétés à raison des informations qu’ils reçoivent dans l’exercice de leurs fonctions et qui sont susceptibles de révéler des infractions pénales ou l’identité de leurs auteurs.

Cette question, qui relève en quelque sorte de la « protection des sources » des parlementaires, n’est à ce jour pas clairement résolue, à la différence, par exemple, de ce que prévoit le Parlement européen en la matière ([124]). Pourtant, comme l’a fait remarquer la constitutionnaliste Anne Levade, « il y a tout lieu de penser que les parlementaires puissent, soit dans le cadre de leurs missions d’information et de contrôle, soit ès qualités, être destinataires d’informations qui, par leur teneur, présente un intérêt pour le plein exercice de leur mandat tout en constituant les éléments d’une infraction » ([125]).

Pour le ministère de la Justice, une telle protection ne serait pas nécessaire, compte tenu des moyens d’information dont dispose le Parlement, notamment dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement. Selon lui, « l’irresponsabilité prévue par l’article 26 [de la Constitution] protège par définition les sources des parlementaires, puisqu’aucune autorité ne peut exiger de ces derniers qu’ils divulguent par quel moyen s’est forgée leur opinion ».

Vos rapporteurs considèrent au contraire qu’une protection de cette nature pourrait s’avérer nécessaire dans certaines situations particulières, notamment :

–  celle d’un parlementaire informé, dans le cadre de travaux d’information ou d’enquête, de l’imminence d’une infraction qu’il n’aurait finalement pas dénoncée, constitutive d’une entrave à la saisine de la justice en application des articles 434-1 et 434-2 du code pénal ([126]) ;

–  ou celle du parlementaire qui refuserait de témoigner devant l’autorité judiciaire au sujet d’éléments obtenus confidentiellement dans l’exercice de ses fonctions et qu’il garde secrets, refus susceptible d’être qualifié d’entrave à l’exercice de la justice au sens de l’article 434-15-1 du même code devant la juridiction d’instruction ([127]) ainsi que des articles 326, 438 et 536 du code de procédure pénale devant les juridictions de jugement ([128]).

Or ces faits ne semblent pas relever de l’irresponsabilité stricto sensu prévue au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution, qui ne vise que les « opinions ou votes » émis dans l’exercice des fonctions parlementaires. Ils pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires sauf si l’assemblée en requerraient la suspension sur le fondement du troisième alinéa de cet article, et donner lieu à des mesures privatives ou restrictives de liberté dont la mise en œuvre serait toutefois conditionnée à l’autorisation préalable du Bureau de l’assemblée, en vertu du deuxième alinéa de ce même article. Mais la possibilité même que des poursuites puissent être engagées est problématique, dans la mesure où sont en cause des informations recueillies dans l’exercice du mandat parlementaire.

C’est la raison pour laquelle vos rapporteurs proposent d’instituer une protection spécifique des sources des informations détenues par les parlementaires en raison et pour le besoin des fonctions qu’ils tiennent de la Constitution, principalement le vote de la loi, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.

Pour ce faire, la liste des exceptions aux entraves à la saisine ou à l’exercice de la justice pourrait être complétée par la mention du secret dont les députés et sénateurs peuvent être dépositaires à raison de leurs fonctions ou de la mission qu’ils ont remplie pour le compte de l’assemblée à laquelle ils appartiennent. Cette protection pourrait se fonder sur le rôle reconnu par la Constitution aux parlementaires en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques ainsi que sur l’exigence constitutionnelle récemment consacrée de « liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat » ([129]).

Proposition n° 7

Protéger le secret des informations dont les parlementaires sont dépositaires à raison de leurs fonctions afin que la justice ne puisse pas exiger d’eux de les révéler.

b.   Encadrer les perquisitions dans les locaux liés aux fonctions parlementaires

Par ailleurs, vos rapporteurs se sont interrogés sur le régime applicable à la perquisition. Ni mesure privative, ni mesure restrictive de liberté au sens constitutionnel de ces termes, cet acte d’enquête n’en demeure pas moins, d’après le Conseil national des barreaux, « une mesure attentatoire aux libertés » ([130]), « de nature à entraver de manière effective les conditions d’exercice [du] mandat » ([131]), pour le Syndicat de la magistrature.

Or les perquisitions et saisies effectuées dans les locaux d’un parlementaire ne sont assorties, formellement, d’aucune garantie, à la différence des perquisitions réalisées dans les locaux de certaines professions afin de protéger le secret professionnel et les droits de la défense (avocats ([132]), médecins, notaires, huissiers ([133]), magistrats ([134])), la liberté d’expression (entreprises de presse ([135])) ou la sécurité nationale (lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale ([136])).

Lorsque la perquisition doit avoir lieu dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ou du Sénat, la possibilité de pénétrer en leur sein est subordonnée à l’autorisation du président de l’assemblée concernée, en vertu du pouvoir de police dont celui-ci est doté pour garantir la sûreté intérieure et extérieure des locaux des assemblées ([137]). Mais aucune disposition du code de procédure pénale ou du règlement des assemblées ne mentionne expressément de s’opposer à la réalisation d’une telle perquisition ni les motifs susceptibles de justifier un refus. Ne sont pas davantage prévues les conditions dans lesquelles une perquisition peut se dérouler dans l’enceinte d’une assemblée lorsque le président de celle-ci ne s’oppose pas à l’entrée des personnes chargées de la réaliser : information préalable du président, présence obligatoire d’un magistrat, règles applicables à la saisie de documents…

Cette situation, ambigüe, n’a pas semblé satisfaisante à vos rapporteurs et à de nombreuses personnes auditionnées.

D’une part, cette situation contraste avec le régime applicable à d’autres actes d’enquête, comme les interceptions de correspondances des députés et sénateurs, soumises à l’information préalable du président de l’assemblée à laquelle ceux-ci appartiennent ([138]).

D’autre part, députés et sénateurs peuvent détenir des documents ou objets sensibles, de nature politique ou portant sur des matières relevant exclusivement du mandat parlementaire. Or les conditions de mise en œuvre d’une perquisition, qui peut être diligentée, lors d’une enquête préliminaire ou de flagrance, sans autorisation préalable d’un magistrat du siège, ne prémunissent pas contre un risque d’instrumentalisation à des fins politiques. Comme le fait valoir l’Union syndicale des magistrats, « il faut éviter que le pouvoir exécutif (auquel le parquet est actuellement subordonné du fait d’un statut insuffisamment protecteur) ne soit à l’origine de perquisitions qui peuvent entraver l’action de l’opposition : saisies de documents liés à la préparation de listes électorales, documents de travail en lien avec des propositions de loi, documents financiers sans aucun lien avec les raisons de la perquisition par exemple » ([139]).

Sans recommander leur intégration dans le régime de l’inviolabilité, qui aurait pour effet de les soumettre à une autorisation préalable peu compatible avec l’effet de surprise sur lequel reposent ces actes, vos rapporteurs proposent d’assortir la mise en œuvre des perquisitions visant le bureau, la permanence ou le domicile d’un parlementaire de garanties renforcées, à peine de nullité, inspirées de celles applicables aux perquisitions dans le cabinet ou le domicile d’un avocat en application de l’article 56-1 du code de procédure pénale :

–  la réalisation de la perquisition par un magistrat, sur décision écrite et motivée de celui-ci ;

–  la présence d’un membre du Bureau de l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire, qui pourrait être informé la veille d’une perquisition prévue le lendemain, sans précision sur le lieu précis de celle-ci ni sur l’identité du parlementaire concerné, comme c’est le cas pour les avocats ;

–  l’interdiction de saisir des documents ou objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision du magistrat ;

–  seul le membre du Bureau présent pourrait consulter ou prendre connaissance des documents ou objets préalablement à leur saisie ;

–  la faculté pour le membre du Bureau présent de s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il l’estime irrégulière afin qu’un juge des libertés et de la détention statue, le document ou l’objet litigieux devant être placé sous scellé fermé dans l’intervalle.

Par ailleurs, lorsque la perquisition doit se tenir dans un local des assemblées parlementaires, le pouvoir d’autorisation de celle-ci que semble détenir le président de l’assemblée concernée en vertu de ses prérogatives de police dans l’enceinte parlementaire devrait être expressément reconnu.

Proposition n° 8

Soumettre les perquisitions dans le bureau, la permanence ou le domicile d’un parlementaire à des règles similaires à celles prévues pour les perquisitions dans le cabinet ou le domicile d’un avocat et reconnaître expressément le pouvoir d’autorisation par le président de l’assemblée concernée des perquisitions dans un local de cette assemblée.

c.   Renforcer les garanties applicables à la procédure de levée de l’inviolabilité

Le dernier aménagement susceptible d’être apporté au régime de l’inviolabilité porte sur la procédure de sa levée, qui a concentré plusieurs critiques de la part des personnes entendues par vos rapporteurs.

Régie par l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires s’agissant des dispositions communes à l’Assemblée nationale et au Sénat, cette procédure est détaillée, chacune pour ce qui les concerne, dans l’Instruction générale du Bureau de ces assemblées.

Aux termes de l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, la demande d’autorisation de l’arrestation d’un parlementaire ou d’une mesure privative ou restrictive de liberté à son égard doit être formulée, « à peine de nullité », par le procureur général près la cour d’appel compétente et adressée au président de l’assemblée concernée par le garde des Sceaux. Manifestement issues d’une « coutume constitutionnelle » ([140]), ces exigences ont été inscrites dans l’ordonnance de 1958 en 1996 afin d’en renforcer l’opposabilité. Ni le procureur général, ni le garde des Sceaux ne disposent, en principe, d’un pouvoir de blocage de la demande, le premier devant seulement veiller à la conformité formelle de celle-ci aux prescriptions légales quant à leur contenu et à leur énoncé, le second ayant été considéré comme le seul interlocuteur possible pour les assemblées.

La demande doit indiquer « précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués ».

L’autorisation éventuellement donnée par le Bureau ne peut valoir que pour les faits mentionnés dans la demande.

Pour le reste, chaque assemblée a fixé ses propres règles d’examen des demandes par le Bureau :

–  à l’Assemblée nationale, après avoir été préparée par la délégation chargée de l’application du statut du député, la décision du Bureau est notifiée au garde des Sceaux et publiée au Journal officiel (premier, deuxième et dernier alinéas de l’article 16 de l’Instruction générale du Bureau) ;

–  au Sénat, l’article III bis de l’Instruction générale du Bureau se borne à indiquer que les décisions du Bureau sont notifiées au garde des Sceaux ainsi qu’au sénateur visé par la demande et sont publiées au Journal officiel.

En France, la décision prise par le Bureau n’est susceptible d’aucun recours, interne ou juridictionnel ([141]), à la différence, par exemple, des décisions prises par le Parlement européen dans ce domaine ([142]).

L’hétérogénéité des règles applicables en matière d’inviolabilité au sein des principales démocraties représentatives en Europe et en Amérique du Nord conduit à une grande variété de procédures de levée de l’immunité : autorités compétentes pour formuler la demande et statuer dessus, forme et contenu de la demande, préparation de son examen, délais, possibilité pour le parlementaire concerné de formuler des observations, possibilité de recours, existence d’un contrôle juridictionnel…


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comparaison des procÉdures de levÉe de l’inviolabilitÉ en France et À l’Étranger

Pays

Autorité compétente pour demander la mainlevée

Voie de transmission de la demande

Contenu de la demande

Autorité compétente pour statuer sur la demande

Délais, délibération et formes de la décision de mainlevée

Recours contre la décision

FRANCE

Le procureur général près la cour d’appel

Par le garde des Sceaux au président de l’assemblée

Précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués

Le Bureau de l’assemblée (après instruction d’une délégation en son sein à l’Assemblée nationale)

Aucun délai

Possibilité pour la délégation d’entendre le député

Délibérations du Bureau qui statue sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande

Non

ALLEMAGNE

(*)

Le ministère public, les tribunaux ou les organisations professionnelles exerçant une surveillance en vertu de la loi

Le tribunal en cas d’action pénale engagée par une partie lésée sans concours du parquet

Un créancier lors d’une procédure d’insolvabilité

 

Par voie hiérarchique (procureur général, ministère de la justice du Land puis ministère fédéral de la Justice) au président du Bundestag

 

 

 

Par le créancier directement

Pas de précision

Le Bundestag, après instruction à huis clos par la commission permanente chargée de la vérification des scrutins, de l’immunité et du règlement

Au plus tôt dans les 3 jours suivant la distribution de la proposition de la commission

Possibilité pour la commission d’entendre le parlementaire sur demande d’un groupe

Vote à main levée en séance (sauf affaires de faible importance), sans motivation ni débat

En cas de « procédure pour régler un litige entre organes », la Cour constitutionnelle contrôle l’absence de motifs subjectifs et arbitraires et le fait que la décision n’est ni incohérente, ni disproportionnée

AUTRICHE

Le ministère public ou la direction de la police fédérale

Par le ministère public ou la direction de la police fédérale

Pas de précision

Le Conseil national, après instruction à huis clos de la commission permanente chargée des questions d’immunités

8 semaines (à défaut le consentement est réputé donné)

Vote à main levée en séance, sans motivation obligatoire

Non

BELGIQUE

De préférence le procureur général près la cour d’appel compétente

Au président de l’assemblée

Dossier reprenant les faits reprochés, les plaintes éventuelles, les témoignages, les aveux et les pièces justificatives

L’assemblée concernée, après instruction à huis clos de la commission des poursuites à la Chambre des représentants et de la commission de la justice au Sénat

Pas de délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations et de prendre la parole

Débat en séance ; au Sénat, vote à la majorité simple (tradition d’assentiment unanime)

Non

CANADA

(régime de « privilège parlementaire »)

Un parlementaire

Par le parlementaire

Le président de l’assemblée vérifie qu’il existe une suspicion d’atteinte au privilège et que la question a été soulevée à la première occasion

L’assemblée concernée, après instruction d’une commission

Examen par priorité

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Motion éventuellement amendée et mise aux voix en séance

Non

ESPAGNE

Le président du Tribunal suprême

Directement au président de l’assemblée

Les diligences que le tribunal a jugées nécessaires et l’avis du parquet

L’assemblée concernée, après instruction du Bureau et de la commission sur le statut des députés au Congrès des députés et de la commission des demandes au Sénat

La commission dispose de 30 jours pour statuer à compter de l’audition de l’intéressé ou de la réception de ses observations

Demande considérée comme rejetée si la chambre n’a pas statué dans les 60 jours à compter du lendemain de la réception de la demande

Adoption en séance (comité secret et vote par scrutin électronique secret au Sénat)

Non

ITALIE

L’autorité qui souhaite obtenir l’autorisation de procéder à la mesure demandée

Directement à l’assemblée

Le fait incriminé, les dispositions présumées violées et les éléments qui fondent la demande

L’assemblée concernée, après instruction de la commission des autorisations à la Chambre des députés ou de la commission des élections et des immunités parlementaires au Sénat

Délai de 30 jours, susceptible d’être renouvelé une fois

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Délibération en séance

Devant la Cour constitutionnelle, qui vérifie que l’acte litigieux relève ou non des fonctions parlementaires

PAYS-BAS

Pas de régime d’inviolabilité

PORTUGAL

Le juge compétent

Directement à l’assemblée

Pas de précision

L’Assemblée de la République, après instruction de la commission compétente

Pas de délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Avis de la commission examiné en séance : pas de débat préalable au vote mais explications de vote possibles

Non

ROYAUME-UNI

(régime de « privilège parlementaire »)

Un parlementaire

Par le parlementaire

Pas de précision

La chambre, après instruction par la commission sur les normes et les privilèges

Pas de délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations

Motion susceptible d’être amendée par la chambre lors des débats en séance

Non

SUÈDE

Le parquet ou toute personne qui poursuit un député

Directement

Des éléments non lacunaires

Le Riksdag, après instruction de la commission de la Constitution

Pas de délai

Adoption en séance

Non

PARLEMENT EUROPÉEN

L’autorité compétente dans le pays où la demande est formulée

Par l’autorité compétente au président du Parlement

La commission des affaires juridiques peut demander à l’autorité de fournir toutes les informations et précisions nécessaires

Le Parlement européen, après instruction de la commission des affaires juridiques

Examen sans délai

Possibilité pour le parlementaire de formuler des observations devant la commission

Irrecevabilité de tout amendement, motivation de la décision et débat en séance pour/contre

Devant le Tribunal de l’Union européenne

(*) Alors que, dans la plupart des pays, la décision est prise au cas par cas, le Bundestag procède à une levée générale d’inviolabilité de ses membres au début de chaque législature et pour la durée de celle-ci, pour toute enquête ou procédure pénale et toute inculpation d’infraction, sauf en matière de diffamation politique. Il conserve toutefois la possibilité de rétablir l’immunité en fonction des circonstances de l’espèce.

Source : Note de législation comparée du Sénat sur l’immunité parlementaire, novembre 2014.

 


—  1  —

Comparée à celle prévue dans un certain nombre d’autres démocraties européennes, la procédure de levée de l’inviolabilité en France suscite des critiques récurrentes. Dans le silence des textes, les garanties accordées au parlementaire qui est l’objet de la demande sont apparues, aux personnes entendues par vos rapporteurs, pour le moins limitées.

Pour ne prendre que l’exemple de la procédure suivie à l’Assemblée nationale :

–  la possibilité pour le député de consulter le dossier de la demande n’est qu’une pratique et il ne peut en obtenir copie ou transmission ;

–  le député n’est pas autorisé à venir présenter ses observations devant le Bureau, même si les usages lui permettent d’être entendu par la délégation chargée d’instruire la demande de levée de l’immunité ou d’adresser des observations écrites ;

–  à la différence de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Autriche notamment, aucune règle n’encadre le délai d’instruction de la demande par la délégation chargée de l’application du statut du député et celui de son examen par le Bureau, même si « les délais de traitement des demandes de levée d’immunité parlementaire sont en pratique relativement courts (délai moyen inférieur à un mois) » ([143]) ;

–  à la différence du Sénat, les textes ne prévoient même pas l’information du député concerné des suites données à la demande de mainlevée de son inviolabilité ;

–  les travaux de la délégation et du Bureau ne sont pas publics, pas davantage que les modalités de vote, ce qui est respectueux de la présomption d’innocence du député mais alimente la suspicion de nos concitoyens ;

–  contrairement à l’Allemagne, à l’Italie ou au Parlement européen notamment, la décision est prise en premier et dernier ressorts par le Bureau, sans contestation possible devant un autre organe, juridictionnel ou non.

Or, comme l’a souligné devant vos rapporteurs M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés de droit, « la procédure actuelle (…), si elle a le mérite de la simplicité, peut poser problème du fait que tous les courants politiques ne sont pas nécessairement représentés au bureau » ([144]), comme c’est le cas des députés non-inscrits.

La compétence conférée par la Constitution aux Bureaux des assemblées dans ce domaine est d’une nature particulière. D’une part, elle les conduit à être destinataires d’éléments de procédure couverts par le secret de l’enquête et de l’instruction qui, en l’état des dispositions du code de procédure pénale, n’ont pas vocation à être connus de tiers ou des personnes mises en cause. D’autre part, elle n’institue ni une procédure juridictionnelle, ni une phase de « pré‑jugement » du parlementaire auxquelles pourraient s’appliquer les exigences relatives au droit à un procès équitable. Comme l’ont toutefois souligné de nombreuses personnes auditionnées, la décision du Bureau est susceptible de faire grief, dans la mesure où elle produit des effets juridiques à l’égard du parlementaire concerné et de tiers, et ce d’autant plus qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une procédure pénale.

Vos rapporteurs recommandent donc d’apporter à la procédure de levée de l’inviolabilité parlementaire plusieurs aménagements destinés à garantir une bonne administration de la justice, à améliorer la compréhension par nos concitoyens du sens de la décision prise et à renforcer les droits du parlementaire concerné.

Plusieurs précisions pourraient ainsi être apportées aux modalités d’instruction et d’examen des demandes de mainlevée, au sein des Règlements et des Instructions générales du Bureau des assemblées :

–  un délai encadrant le temps laissé au Bureau pour statuer sur la demande, afin de ne pas ralentir à l’excès le cours de la justice : à l’expiration de ce délai, la demande serait réputée acceptée si elle n’a pas été examinée ;

–  le droit pour le parlementaire concerné de consulter le dossier de la demande, d’être entendu par l’organe chargé d’instruire celle-ci et le Bureau, assisté, s’il le souhaite, de son avocat, et de prendre connaissance des conclusions de l’instruction afin de formuler en réponse des observations ;

–  l’information sans délai du parlementaire concerné dès réception de la demande de mainlevée de son inviolabilité, afin qu’il soit en mesure d’exercer ses droits dans des conditions satisfaisantes ;

–  la faculté pour le parlementaire, lorsqu’il est non-inscrit, d’en désigner un autre pour assister, sans voix délibérative, à la réunion au cours de laquelle le Bureau statue sur la demande ([145]) ;

–  le secret des délibérations et du vote du Bureau, qui est nécessaire à la sérénité de ses travaux et à la liberté de décision de ses membres ;

–  la nécessité pour le Bureau de motiver ses décisions au regard du caractère sérieux, loyal et sincère de la demande, conformément aux critères dégagés par le Conseil constitutionnel ;

–  la notification obligatoire et sans délai au parlementaire concerné du sens de la décision prise par le Bureau et de ses motifs.

Proposition n° 9

Préciser la procédure applicable à l’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité afin de concilier l’exigence de bonne administration de la justice et la nécessaire garantie des droits du parlementaire concerné :

–  instituer un délai maximal d’examen d’une demande de mainlevée transmise par l’autorité judiciaire, à l’expiration duquel la demande serait réputée acceptée si elle n’a pas été examinée ;

–  consacrer le droit du parlementaire concerné de consulter le dossier de cette demande et d’être entendu par les organes compétents ;

–  prévoir que le parlementaire concerné est avisé sans délai de la transmission par l’autorité judiciaire d’une demande de mainlevée ;

–  permettre au parlementaire de désigner un représentant pour assister, sans voix délibérative, aux travaux du Bureau lorsqu’il n’est rattaché à aucun groupe politique ;

–  inscrire dans le Règlement des assemblées le secret des délibérations et du vote du Bureau et la nécessaire motivation de ses décisions au regard du caractère sérieux, loyal et sincère de la demande de mainlevée de l’inviolabilité ;

–  notifier systématiquement et sans délai au parlementaire concerné la décision du Bureau.

Vos rapporteurs proposent par ailleurs que l’assemblée plénière puisse se prononcer en dernier ressort, à la demande du parlementaire concerné, lorsque le Bureau a décidé d’autoriser une ou plusieurs mesures privatives ou restrictives de liberté à son encontre.

Il n’apparaît pas nécessaire que les décisions de rejet par le Bureau de ces mesures puissent faire l’objet d’un tel recours, dans la mesure où il suffit à l’autorité judiciaire de formuler une nouvelle demande, le cas échéant motivée différemment, pour qu’elle soit de nouveau examinée.

Afin de ne pas rallonger à l’excès les délais d’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité parlementaire, l’assemblée devrait se prononcer lors de la plus prochaine séance réservée par priorité aux questions au Gouvernement, sur le modèle des règles régissant, à l’Assemblée nationale, le vote sur les demandes de suspension de la détention, des mesures privatives ou restrictives de liberté ou de la poursuite d’un parlementaire ([146]). Ce recours serait suspensif jusqu’à la décision finale de l’assemblée, sous réserve des dispositions spécifiques à prévoir lorsque la réunion du Bureau se tient hors session ou n’est suivie d’aucune séance de questions au Gouvernement.

Même si le constituant a réservé, en 1995, cette compétence au Bureau afin de moins exposer les parlementaires et ainsi de mieux préserver leur droit au respect de la présomption d’innocence, l’inviolabilité parlementaire participe à la protection institutionnelle du Parlement, dont les assemblées ne sauraient se désintéresser au profit de l’un de leurs organes, fût-il représentatif de la composition de celles-ci. De surcroît, une telle forme de « recours interne » constituerait une garantie importante pour les parlementaires d’opposition n’appartenant à aucun groupe et dont la sensibilité politique n’est en conséquence pas représentée au Bureau, en leur permettant de faire valoir leurs arguments devant l’ensemble de leurs collègues.

Cette proposition est préférable à celle qui consisterait à instaurer une véritable voie de recours contre les décisions prises dans ce domaine par le Bureau devant une tierce institution. D’une part, comme l’a fait observer la constitutionnaliste Anne Levade, une telle évolution aurait été « contraire au principe d’autonomie du Parlement et à l’esprit même de la levée d’immunité parlementaire qui en fait une affaire interne aux assemblées » ([147]). D’autre part, elle impliquerait de déterminer l’autorité compétente pour examiner un tel recours. S’il ne pourrait s’agir de la Cour de cassation, juridiction suprême de l’ordre auquel appartient le magistrat ayant sollicité la levée de l’inviolabilité, la compétence du Conseil constitutionnel, envisagée par certaines personnes auditionnées, aurait conduit à transformer en profondeur le rôle de cette institution en renforçant, comme l’a souligné le professeur de droit Bertrand Mathieu, « d’une manière (…) excessive le contrôle juridictionnel de l’activité politique » ([148]).

Proposition n° 10

Permettre au parlementaire à l’égard duquel le Bureau a autorisé le prononcé de mesures privatives ou restrictives de liberté de demander à l’assemblée de statuer en dernier ressort, à la suite de la plus prochaine séance de questions au Gouvernement.

 


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   LISTE DES PROPOSITIONS

Proposition n° 1 : Étendre la protection de la liberté d’expression des parlementaires aux propos qu’ils émettent en dehors des assemblées, dans le cadre de débats d’intérêt général en lien avec l’exercice de leurs fonctions, à l’exclusion des propos constitutifs d’injures publiques.

Proposition n° 2 : Prévoir expressément que les propos ou votes émis devant le Parlement réuni en Congrès et les comptes rendus des séances de celui-ci sont couverts par l’irresponsabilité.

Proposition n° 3 : Compenser l’extension de la protection de la liberté d’expression des parlementaires par un renforcement des sanctions disciplinaires qu’ils encourent, au sein de leur assemblée, pour les propos provocateurs, menaçants ou outrageants qu’ils tiennent à l’extérieur.

Proposition n° 4 : Consacrer une exception d’irresponsabilité afin que la juridiction compétente statue sur l’application de l’irresponsabilité aux propos pour lesquels le parlementaire est poursuivi, avant toute mise en examen ou jugement au fond.

Proposition n° 5 : Conserver le régime actuel d’autorisation des mesures privatives et restrictives de liberté susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un parlementaire, sans étendre son périmètre.

Proposition n° 6 : Conserver la possibilité pour les assemblées de suspendre, pour la durée de la session, les poursuites et les mesures privatives ou restrictives de liberté concernant un parlementaire.

Proposition n° 7 : Protéger le secret des informations dont les parlementaires sont dépositaires à raison de leurs fonctions afin que la justice ne puisse pas exiger d’eux de les révéler.

Proposition n° 8 : Soumettre les perquisitions dans le bureau, la permanence ou le domicile d’un parlementaire à des règles similaires à celles prévues pour les perquisitions dans le cabinet ou le domicile d’un avocat et reconnaître expressément le pouvoir d’autorisation par le président de l’assemblée concernée des perquisitions dans un local de cette assemblée.

Proposition n° 9 : Préciser la procédure applicable à l’examen des demandes de mainlevée de l’inviolabilité afin de concilier l’exigence de bonne administration de la justice et la nécessaire garantie des droits du parlementaire concerné :

–  instituer un délai maximal d’examen d’une demande de mainlevée transmise par l’autorité judiciaire, à l’expiration duquel la demande serait réputée acceptée si elle n’a pas été examinée ;

–  consacrer le droit du parlementaire concerné de consulter le dossier de cette demande et d’être entendu par les organes compétents ;

–  prévoir que le parlementaire concerné est avisé sans délai de la transmission par l’autorité judiciaire d’une demande de mainlevée ;

–  permettre au parlementaire de désigner un représentant pour assister, sans voix délibérative, aux travaux du Bureau lorsqu’il n’est rattaché à aucun groupe politique ;

–  inscrire dans le Règlement des assemblées le secret des délibérations et du vote du Bureau et la nécessaire motivation de ses décisions au regard du caractère sérieux, loyal et sincère de la demande de mainlevée de l’inviolabilité ;

–  notifier systématiquement et sans délai au parlementaire concerné la décision du Bureau.

Proposition n° 10 : Permettre au parlementaire à l’égard duquel le Bureau a autorisé le prononcé de mesures privatives ou restrictives de liberté de demander à l’assemblée de statuer en dernier ressort, à la suite de la plus prochaine séance de questions au Gouvernement.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa première réunion du mercredi 12 février 2020, la commission des Lois a examiné ce rapport d’information et, à l’unanimité, en a autorisé la publication.

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu et sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8741096_5e43b58069af5

 


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   LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

AVOCATS

     M. Xavier Autain, président de la commission Communication institutionnelle

     M. Jérôme Karsenti, membre de la commission Liberté et droits de l’homme et de la commission Égalité

     Mme Beatrice Voss, présidente de la commission Liberté et droits de l’homme

     Mme Anne‑Charlotte Varin, directrice des affaires publiques

     M. Jacques‑Edouard Briand, chargé des relations avec les pouvoirs publics

     M. Bernard Fau, membre du conseil de l’ordre de Paris, président de la commission des affaires publiques au sein du conseil de l’ordre

     M. Julien Aubignat, responsable des affaires publiques

     M. Benoît Chabert, membre du Bureau

     M. Jean-Baptiste Blanc, président

     M. Simon Warynski, vice-président province

     Mme Catherine Glon, membre du Bureau et du conseil syndical

MAGISTRATS

     Mme Chantal Arens, première présidente

     M. François Molins, procureur général

     Mme Audrey Prodhomme, secrétaire générale du parquet général

     Mme Nina Milesi, secrétaire nationale

     Mme Cécile Mamelin, trésorière nationale

     M. Vincent Charmoillaux, secrétaire général

     Mme Sarah Massoud, secrétaire nationale

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

     M. Jean-François de Montgolfier, directeur

     M. Hervé Cozic, adjoint au chef du bureau du droit constitutionnel et du droit public

     Mme Catherine Pignon, directrice

     M. Thibault Cayssials, chef du bureau de la législation pénale spécialisée

PARLEMENTAIRES

UNIVERSITAIRES

 


—  1  —

   ANNEXE 1 : DEMANDES RELATIVES À L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE PRÉSENTÉES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Liste des demandes d’autorisation de poursuites ou d’arrestations
(avant la loi constitutionnelle du 4 août 1995)

Député concerné

Auteur et motif de la demande

Numéro et date de dépôt de la demande

Numéro et date du rapport

Décision de l’Assemblée nationale

1ère législature

Pierre LAGAILLARDE

Ministère public (insurrection d’Alger)

1016

2 décembre 1960

Oral

7 décembre 1960

Levée le 7 décembre 1960

Marc LAURIOL

Ministère public
(crime d’atteinte à la sûreté de l’État)

1193

17 mai 1961

lettre rect. 1248

21 juin 1961

1237

15 mai 1961

1249

21 juin 1961

Levée le 21 juin 1961

Jean-Marie LE PEN

Ministère public
(crime d’atteinte à la sûreté de l’État)

1604

9 décembre 1961

Non rapportée

Non discutée

Jean-Marie LE PEN

Partie civile
(coups et blessures volontaires)

1611

11 décembre 1961

Non rapportée

Non discutée

Georges BIDAULT

Ministère public (complot contre l’autorité de l’État)

1767

16 juin 1962

lettre rect. 1795

27 juin 1962

1827

5 juillet 1962

Levée le 5 juillet 1962

2ème législature

Raymond SCHMITTLEIN

Assignation directe (diffamation)

175

15 février 1963

228

3 mai 1963

Demande sans objet (clôture de la session extraordinaire)

Henri FIEVEZ

Plainte avec constitution de partie civile

(infraction au code électoral)

998

19 juin 1964

1150

4 novembre 1964

Demande sans objet (clôture de la session extraordinaire)

3ème législature

Henri GUIDET

Plainte avec constitution de partie civile (diffamation)

332

20 juin 1967

Non rapporté

Pas de décision

4ème législature

Jean BONHOMME

Plainte avec constitution de partie civile (diffamation)

2683

24 novembre 1972

2780

14 décembre 1972

Pas de décision
(fin de législature)

7ème législature

Paul BLADT

Plainte avec constitution de partie civile (diffamation)

608

11 décembre 1981

619

18 décembre 1981

Rejet de la demande

Michel BERSON

Citation directe (diffamation)

828

26 avril 1982

845

4 mai 1982

Rejet de la demande le 6 mai 1982

Joseph PINARD

Citation directe (diffamation)

1160

20 octobre 1982

1227

18 novembre 1982

Rejet de la demande le 8 décembre 1982

Jean JUVENTIN

Gaston FLOSSE (diffamation)

2873

28 juin 1985

Demandes caduques (fin de session)

Alain VIVIEN

M. W. LAARHUIS (diffamation)

2874

28 juin 1985

Alain VIVIEN

Église de scientologie (diffamation)

2875

28 juin 1985

Jean JUVENTIN

Gaston FLOSSE (diffamation)

2940

10 juillet 1985

2930

25 juillet 1985

Commission ad hoc constituée le 24 juillet 1985

Alain VIVIEN

M. W. LAARHUIS (diffamation)

2905

10 juillet 1985

Alain VIVIEN

Église de scientologie (diffamation)

2906

10 juillet 1985

8ème législature

Gérard FREULET

MRAP (délit de presse)

252

7 juillet 1986

Caducité des demandes (fin de session)

André LAIGNEL

Département de l’Indre, MM. BERNARDET et JAMET
(détournement de deniers et ingérence)

254

8 juillet 1986

Henri BOUVET

M. MALINVAUD (diffamation)

340

4 août 1986

9ème législature

Jean-Michel BOUCHERON

Procureur général près la cour d’appel de Paris

1765

28 novembre 1990

Commission ad hoc constituée le 5 décembre 1990

Demande caduque (fin de session)

Jacques FARRAN

Procureur général près la cour d’appel de Montpellier

2538

8 janvier 1992

lettre rect. 2540

11 janvier 1992

Commission ad hoc constituée le 14 janvier 1992

Demande caduque (fin de session)

Jean-Michel BOUCHERON

Procureur général près la cour d’appel de Bordeaux

3028

10 novembre 1992

3092

1er décembre 1992

Commission ad hoc constituée le 19 novembre 1992

Immunité levée le 3 décembre 1992

Jean-Michel BOUCHERON

Procureur général près la cour d’appel de Bordeaux

3155

16 décembre 1992

3210

20 décembre 1992

Commission ad hoc constituée le 18 décembre 1992

Immunité levée le 20 décembre 1992

Jean-Michel BOUCHERON

Lettre du garde des Sceaux du 13 janvier 1993

Décision du Bureau du 21 janvier 1993 acceptant la demande d’arrestation

(demande déposée hors session)

10ème législature

Bernard TAPIE

Procureur général près la cour d’appel de Paris (diffamation)

605

15 octobre 1993

722

17 novembre 1993

Commission ad hoc constituée le 18 décembre 1993

Immunité levée le 7 décembre 1993

Bernard TAPIE

Lettre du garde des Sceaux du 5 janvier 1994

Décision du Bureau du 10 janvier 1994 : la demande de mise sous contrôle judiciaire ne constituant pas une demande d’arrestation au sens de l’article 26 de la Constitution, le Bureau ne lui a pas donné suite

(demande déposée hors session)

Michel NOIR

Lettre du garde des Sceaux du 14 mars 1994

Décision du Bureau du 16 mars 1994 : la demande de mise sous contrôle judiciaire ne constituant pas une demande d’arrestation au sens de l’article 26 de la Constitution, le Bureau ne lui a pas donné suite

(demande déposée hors session)

Édouard CHAMMOUGON

Lettre du garde des Sceaux du 23 mars 1994

Décision du Bureau du 30 mars 1994 acceptant la demande d’arrestation

(demande déposée hors session)

Bernard TAPIE

Procureur général près la cour d’appel de Douai (complicité de corruption et subornation de témoins)

1371

13 juin 1994

1424

22 juin 1994

Immunité levée le 28 juin 1994

Bernard TAPIE

Procureur général près la cour d’appel de Paris (abus de biens sociaux)

1372

13 juin 1994

1425

22 juin 1994

Immunité levée le 28 juin 1994

Gilbert BAUMET

Procureur général près la cour d’appel de Nîmes (abus de confiance)

1784

9 décembre 1994

Demande caduque (fin de session)

Bernard CHARLES

Lettre du garde des Sceaux du 17 mars 1995

Décision du Bureau du 23 mars 1995 rejetant la demande d’arrestation au motif que les motivations de la requête étaient insuffisantes (hors session)

Philippe de CANSON

Procureur général près la cour d’appel d’AixenProvence (recel d’extorsion de fonds et prise illégale d’intérêts)

2074

6 juin 1995

2087

21 juin 1995

Rejet de la demande

Marc FRAYSSE

M. PREVOT, avocat de M. CHABROUX, maire de Villeurbanne

2114

28 juin 1995

Demande caduque (fin de session)


—  1  —

Liste des demandes d’autorisation d’arrestations
ou de mesures privatives ou restrictives de liberté
(après la loi constitutionnelle du 4 août 1995)

Député concerné

Objet de la demande

Date de la décision du Bureau

Contenu de la décision du Bureau

10ème législature

Bernard TAPIE

Arrestation, placement en garde à vue ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté

21 novembre 1995

Autorisation de placement sous contrôle judiciaire

Bernard CHARLES

Placement sous contrôle judiciaire (répondre aux convocations, cautionnement et interdiction d’activités professionnelles)

21 novembre 1995

Rejet

André THIEN AH KOON

Placement sous contrôle judiciaire (interdiction de rencontrer différentes personnes et interdiction de sortir du territoire national sans autorisation)

29 janvier 1997

Rejet

Franck MARLIN

Arrestation, placement en garde à vue ou sous contrôle judiciaire (interdiction de prendre l’attache des personnes mises en cause ou mises en examen et cautionnement)

25 février 1997

Le Bureau décide, en cas de mise en examen, de ne pas s’opposer à la mise en œuvre, en tant que de besoin, des mesures de contrôle judiciaire prévues aux 9° (interdiction de rencontrer certaines personnes) et 11° (cautionnement) de l’article 138 du code de procédure pénale

Claude HOARAU

Placement sous contrôle judiciaire (interdiction de tout contact avec les victimes et témoins et interdiction d’utiliser une voiture de fonction)

26 novembre 1997

Rejet

Marc DUMOULIN

Placement sous contrôle judiciaire (interdiction de tout contact avec la partie civile, ses parents et les témoins, obligation de répondre aux convocations de la juridiction)

16 décembre 1998

Autorisation des mesures de contrôle judiciaire demandées. En cas de manquement aux obligations du contrôle judiciaire, le Bureau doit être saisi d’une demande d’autorisation d’arrestation préalable à la délivrance d’un mandat d’arrêt ou de dépôt

Denis JACQUAT

Placement en garde à vue

12 octobre 2005

Rejet

13ème législature

Sylvie ANDRIEUX

Garde à vue et placement sous contrôle judiciaire (sans précision supplémentaire du juge)

7 avril 2010

Autorisation de la mesure de contrôle judiciaire prévue au 9° de l’article 138 du code de procédure pénale

Georges TRON

Placement sous contrôle judiciaire : interdiction de tout contact avec certaines personnes parties prenantes à l’affaire (9° de l’article 138 du code de procédure pénale)

30 juin 2011

Autorisation de la mesure de contrôle judiciaire prévue au 9° de l’article 138 du code de procédure pénale

14ème législature

Bernard BROCHAND

Garde à vue et placement sous contrôle judiciaire (notamment interdiction de rencontrer des personnes parties prenantes à l’affaire)

16 avril 2014

Rejet

Lionnel LUCA

Garde à vue

28 mai 2014

Rejet

Philippe BRIAND

Garde à vue et mesures de contrôle judiciaire (notamment interdiction de rencontrer des personnes parties prenantes à l’affaire mais demande non relayée par le procureur général)

21 janvier 2015

Autorisation de la garde à vue

Patrick BALKANY

Placement sous contrôle judiciaire (notamment retrait du passeport, interdiction de quitter le territoire et interdiction de rencontrer des personnes parties prenantes à l’affaire)

18 mars 2015

Autorisation (avec possibilité pour le Bureau d’autoriser des sorties du territoire exceptionnelles nécessaires à l’accomplissement du mandat parlementaire)

Paul GIACOBBI

Garde à vue et mesures de contrôle judiciaire (cautionnement et interdiction de rencontrer des parties prenantes à l’affaire)

13 juin 2016

Rejet

Gilbert COLLARD

Interrogatoire de première comparution sans préciser les mesures envisagées pour y parvenir

22 février 2017

Rejet


15ème législature

Gilbert COLLARD

Délivrance d’un mandat de comparution puis, le cas échéant, d’un mandat d’amener, pour un interrogatoire de première comparution

27 septembre 2017

Autorise la délivrance d’un mandat d’amener (pas besoin d’autorisation pour le mandat de comparution)

Marine LE PEN

Délivrance d’un mandat de comparution puis, le cas échéant, d’un mandat d’amener, pour un interrogatoire de première comparution

8 novembre 2017

Autorise la délivrance d’un mandat d’amener (pas besoin d’autorisation pour le mandat de comparution)

Thierry SOLÈRE

Garde à vue

11 juillet 2018

Autorise la garde à vue

Max MATHIASIN

Garde à vie

15 janvier 2020

Rejet


 


Liste des demandes de suspension de détentions ou de poursuites depuis 1958

Député concerné

Objet de la demande

Dépôt

Rapport

Décision de l’Assemblée nationale

1ère législature

Tetuaapua POUVANAA OOPA (détenu)

Poursuites

159

23 juin 1959

302

10 octobre 1959

Pas de décision

Pas de décision

Pierre LAGAILLARDE

Détention

578

25 avril 1960

883

13 octobre 1960

nc

Rejet le 1er juin 1960

Rejet le 15 novembre 1960

2ème législature

Raymond SCHMITTLEIN

Poursuites

454

11 juillet 1963

500

24 juillet 1963

Suspension des poursuites jusqu’à la fin de la session, adoptée le 26 juillet 1963, dernier jour de session

6ème législature

Jean AUROUX

Poursuites

1991

15 octobre 1980

2054

12 novembre 1980

Suspension des poursuites jusqu’à la fin de la législature, adoptée le 14 novembre 1980

Raoul BAYOU

Claude EVIN

Laurent FABIUS

Pierre GUIDONI

Pierre JAGORET

François MITTERRAND

Gilbert SENES

Maurice NILES

Poursuites

1994

17 octobre 1980

2055

12 novembre 1980

Jacques BRUNHES

Poursuites

2265

2 avril 1981

2307

non déposé

Pas de décision (dissolution le 22 mai 1981)

Colette GOEURIOT

Poursuites

nc

2309

non déposé

14ème législature

Henri GUAINO

Poursuites

1954

16 mai 2014

1989

28 mai 2014

Rejet le 3 juin 2014, par un scrutin public (pour : 103 ; contre : 137)

Gilbert COLLARD

Poursuites

4523

20 février 2017

 

Pas de décision

Source : informations communiquées par la présidence de l’Assemblée nationale à vos rapporteurs.

 


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   ANNEXE N° 2 : CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Ces contributions ont été annexées au présent rapport avec l’autorisation de leurs auteurs. Aucune modification n’y a été apportée.

 

SOMMAIRE DES CONTRIBUTIONS

Les contributions sont présentées suivant l’ordre de la liste des personnes entendues.

Contribution du Conseil national des barreaux

Contribution du barreau de Paris

Contribution du Syndicat des avocats de France

Contribution de Me François Saint-Pierre, avocat aux barreaux de Lyon et Paris 

Contribution de Me Jean Veil, avocat au barreau de Paris

Contribution de Mme Chantal Arens, premiere présidente de la Cour de cassation 

Contribution de l’Union syndicale des magistrats

Contribution de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation 

Contribution du Syndicat de la magistrature

Contribution de M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, président de la Fondation René Cassin             

Contribution de la direction des affaires civiles et du Sceau et de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice             

Contribution de M. Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien député de Haute-Savoie             

Contribution de MM. Gilbert Collard, député européen, ancien député du Gard, Jean-Marc Descoubès, avocat au barreau de Paris, et JeanRichard Sulzer, conseiller régional des Hauts-de-France             

Contribution de M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas             

Contribution de M. Olivier Beaud, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas             

Contribution de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas             

Contribution de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel             

Contribution de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés de droit, conseiller d’État en service extraordinaire             

Contribution de M. Serge Sur, professeur émérite de droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas             

 


—  1  —

Contribution du Conseil national des barreaux

 


—  1  —

Contribution du barreau de Paris

Octobre 2019

 

 

Retour sur l’audition de la profession d’avocat du 18 septembre 2019

 

Le 18 septembre 2019, le barreau de Paris et le CNB ont été auditionnés par les deux rapporteurs de la mission d’information sur l’immunité parlementaire, les députés Alain TOURRET (LREM) et Sébastien HUYGHE (LR).

 

L’objet de la mission d’information est de déterminer si l’immunité parlementaire peut, et doit, être renforcée. Au terme du cycle d’auditions, les co-rapporteurs présenteront un rapport à la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le sujet. Il n’est pas encore déterminé si ce rapport donnera lieu à une proposition de loi.

 

Afin de nourrir leur rapport, les co-rapporteurs ont invité les représentants de la profession d’avocat à leur remettre une note de position.

 

 

 

     De la sémantique

L’ensemble des règles désignées sous le vocable immunité parlementaire mériterait d’être désignées sous le vocable plus clair d’inviolabilité parlementaire. Les mots ont un sens et les qualifications employées ont sur l’opinion publique un impact que l’on ne peut négliger.

L’inviolabilité fait appel à un critère organique et à la notion de séparation des pouvoirs. Il s’agit de règles visant à mettre obstacle à des perturbations du plein exercice de la fonction parlementaire. Ainsi, ce dispositif n’est par sa nature même, pas transposable aux exécutifs locaux. Mais ce point mérite débat.

La catégorie de l’inviolabilité parlementaire est réunie dans les alinéas 1, 2 et 3 de l’article 26 de la Constitution et il pourrait être souhaitable que la déclinaison de ces textes prenne la forme dans le Code pénal ou le Code de procédure pénale d’un corpus autonome réunissant les différents mécanismes actuels.

 

     De l’irresponsabilité parlementaire

L’irresponsabilité parlementaire prévue à l’article 26 alinéa 1er de la Constitution relève de la compétence exclusive des autorités judiciaires. Dans l’objectif de recentrer ce mécanisme sur son objectif de séparation des pouvoirs, il est paradoxal que ce soit l’autorité judiciaire – et plus particulièrement le Parquet – qui est autorité de poursuite. L’implication liminaire de l’assemblée dont est membre le parlementaire en cause, pourrait être utilement introduite.

Par ailleurs, une réflexion mériterait d’être conduite pour s’assurer que l’apparition de nouveaux modes de communication n’est pas de nature à complexifier la notion d’opinion émise par le parlementaire dans l’exercice de ses fonctions.

 

     De l’inviolabilité parlementaire

Le dispositif actuel est satisfaisant mais pourrait être amendé en ce qui concerne la mise en examen compte tenu de la nature juridique de cette mesure (art. 80-1 CPP) :

« Les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions ».

La mise en examen est la sanction publique de cette situation, avant d’être productive de certains droits de la défense. C’est pourquoi elle est ressentie par l’opinion et par l’intéressé comme une pré-condamnation.

On pourrait imaginer que le statut du parlementaire impose de ne pas franchir le statut du témoin assisté.

 

     De la perquisition du parlementaire

 

Au sujet des perquisitions des parlementaires, il serait opportun que ces derniers puissent être accompagnés de leur avocat. Cela participerait de l’apaisement et du bon déroulé de ces perquisitions. Pour cela, il s’agit d’étendre les dispositions de l’article 56-2 du code de procédure pénale (qui s’appliquent aux entreprises de presse ou de communication audiovisuelle) au cas des parlementaires.

A titre d’exemple, dans les cabinets d’avocat, les perquisitions se font nécessairement en présence d’un délégué ou représentant du bâtonnier. Dans cette hypothèse, c’est le juge des libertés et de la détention qui se prononce in fine sur les documents perquisitionnés qui doivent ou ne doivent pas être communiqués à la justice. Se pose la question de l’autorité qui prendrait ce rôle dans le cas des parlementaires.

Si la présence de l’avocat auprès du parlementaire se justifie pleinement, c’est aussi le cas pour les autres cas de perquisition (fiscale…), pour les mêmes raisons d’apaisement et de bon déroulé de cette dernière. Il convient donc de généraliser la présence de l’avocat dans le cadre des perquisitions.

 

 

Rappel des propositions du barreau de Paris

 

  1. Désigner l’ensemble des règles liées à la notion d’immunité parlementaire sous le vocable d’inviolabilité parlementaire.

 

  1. Concernant le parlementaire dont l’irresponsabilité parlementaire est en jeu, introduire – à titre liminaire – l’assemblée dont il est membre comme autorité de poursuite.

 

  1. Imposer que le statut du parlementaire ne puisse franchir le statut du témoin assisté, pour ne pas atteindre celui de mis en examen.

 

  1. Permettre au parlementaire d’être assisté de son avocat dans le cadre des perquisitions qui le visent.

 


—  1  —

Contribution du Syndicat des avocats de France


—  1  —

Contribution de Me François Saint-Pierre,
avocat aux barreaux de Lyon et Paris

François Saint-Pierre

          Avocat   

 

 

 

Monsieur Alain Tourret

Monsieur Sébastien Huyghe

Députés

 

 

Mission d’information sur l’immunité parlementaire

Audition du mercredi 25 septembre 2019

Le 30 septembre 2019

 

 

   Messieurs les députés,

 

 

 Vous avez souhaité m’auditionner mercredi 25 septembre 2019 dans le cadre de vos travaux sur le régime juridique et procédural de l’immunité et de l’inviolabilité parlementaires. Je vous remercie de m’avoir ainsi donné l’occasion de réfléchir et de m’exprimer sur ce thème essentiel tant à la protection des députés et sénateurs qu’à la bonne marche de la justice.

 

 Je vous adresse le résumé écrit des observations et des propositions que j’ai formulées.

 

 

 1- Sur la question des perquisitions des locaux des parlementaires et des partis politiques.

 

 

 Hasard du calendrier, la semaine ayant précédé mon audition plusieurs députés de la France insoumise avaient comparu devant le tribunal correctionnel de Bobigny, les 19 et 20 septembre 2019, poursuivis pour des actes de rébellion qu’il leur était reproché d’avoir commis lors d’une perquisition menée au siège de leur mouvement politique, en octobre 2018.

 

 Il ne s’agit pas ici de revenir sur ces évènements mais de tirer les enseignements des débats très intéressants qui se sont tenus devant le tribunal correctionnel — il est évident que chacun des prévenus demeure présumé innocent, puisque le jugement ne sera rendu qu’au mois de décembre.

 

 Je rappelle seulement, pour les nécessités de mon propos, que cette perquisition avait été conduite dans le cadre de deux enquêtes préliminaires par le procureur de la République, sans juge d’instruction mais sur autorisation du juge des libertés et de la détention (le JLD), à la recherche d’éléments de preuves d’infractions de nature financière (indemnités d’assistants au Parlement européen et financement de campagnes électorales). Je précise aussi être personnellement intervenu lors de ce procès en qualité d’avocat de plusieurs fonctionnaires de l’OCLIFF, parties civiles, qui ont tenu à affirmer leur professionnalisme, leur neutralité et leur souci constant de la légalité.

 

 De leur côté, les députés et les militants de la France insoumise ont tous fait état d’une vive émotion lors de cette perquisition, qui explique selon eux leur réaction subjective face aux policiers ; ils ont de même et surtout souligné leur suspicion sur les raisons de cette opération, qu’ils considèrent avoir été commanditée par le pouvoir politique ayant instrumentalisé la justice.

 

 Au cours des débats, Monsieur Lachaud, député, a fait observer que les perquisitions des locaux des mouvements et partis politiques se déroulent suivant la procédure de droit commun, sans aucune garantie spécifique, à la différence des perquisitions conduites dans les cabinets d’avocats.

 

 Cette observation est très pertinente. L’article 56-1 du code de procédure pénale prévoit en effet que ces dernières sont nécessairement conduites par un magistrat, sur la base d’une ordonnance préalable qui en précise les raisons et le but, en présence du bâtonnier ou de son représentant, qui veille au respect du secret professionnel de l’avocat et peut contester la saisie d’un document ; cette saisie est dans ce cas soumise au contrôle du JLD.

 

 Les articles suivants prévoient des garanties similaires pour les perquisitions opérées dans les cabinets médicaux, les entreprises de presse, les bureaux et domiciles de magistrats, ainsi que dans les lieux abritant des secrets de défense nationale (articles 56-1 à 56-5).

 

 Une disposition parallèle pourrait utilement être inscrite dans un nouvel article 56-6 du code de procédure pénale pour les persistions des bureaux et domiciles des parlementaires et des locaux des partis et mouvements politiques représentés au Parlement, afin de garantir le but et le déroulement de ces opérations, ainsi que l’objet des saisies qui sont alors pratiquées.

 

 Cette nouvelle disposition pourrait prévoir que ces perquisitions doivent nécessairement être conduites par un juge d’instruction ou à tout le moins être autorisées par le JLD (ce qui avait été le cas en l’espèce). Un doute subsiste dans l’esprit de nombreuses personnes ainsi que dans l’opinion publique sur la neutralité et l’indépendance des magistrats du ministère public envers le gouvernement, à tort ou à raison, bien que la loi de juillet 2013 ait interdit toute directive du ministre de la justice aux procureurs de la République (CPP, art. 30) et que le Conseil constitutionnel ait affirmé lors de deux décisions de 2016 et 2017 l’indépendance fonctionnelle des procureurs dans la conduite de leurs enquêtes et l’exercice de l’action publique (Cons. const., 8 décembre 2017, n° 2017-680 QPC, Cons. const. 22 juillet 2016, n° 2016-555 QPC).

 

 Je considère pour ma part que cette suspicion persistera tant qu’une réforme constitutionnelle du statut des magistrats du parquet n’aura pas abouti, précisant le régime de leurs nominations, la chaîne hiérarchique interne du ministère public, les modalités des communications des procureurs dans le public (pour rendre compte de leur activité et des enquêtes en cours) et les conditions de leur responsabilité professionnelle — ce thème dépasse le cadre de la présente note.

 

 Cette nouvelle disposition prévoirait de plus la présence lors de la perquisition du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ou de leur représentant ; la présence d’un tiers permet en effet de prévenir et de modérer les tensions que suscitent souvent ces opérations de perquisitions.

 

 Mais surtout, le président ou son représentant, à l’instar du bâtonnier, pourrait s’opposer à la saisie de tel ou tel document sans lien avec l’objet de la perquisition, tel qu’il devrait être défini avec précision dans l’ordonnance préalable autorisant la mesure. Par exemple, les fichiers des adhérents d’un parti politique méritent une protection particulière et ne devraient pas pouvoir être saisis (la Cour de cassation et la CEDH développent une jurisprudence utile sur les saisies massives de fichiers informatiques). Cette opposition serait ensuite soumise au contrôle du JLD.

 

 Une proposition de rédaction d’un nouvel article 56-6 du code de procédure pénale est présentée en annexe de cette note d’observations, dans un esprit clair : garantir le fonctionnement de la justice sans entrave, dans le respect de l’article 4 de la Constitution, qui prévoit, rappelons-le, que les partis et les groupements politiques « se forment et exercent leur activité librement ».

 

 

 2- Sur la question de l’immunité de parole des parlementaires.

 

 

 L’immunité de parole des parlementaires pose de même des difficultés d’interprétation et de mise en œuvre comme en témoignent les poursuites dont fait actuellement l’objet Madame Marine Le Pen (qu’elle a elle-même rendues publiques et c’est pourquoi je m’autorise à les évoquer).

 

 Mise en examen pour avoir publié sur des réseaux sociaux des images de crimes terroristes, afin selon elle d’en montrer l’atrocité, elle a fait l’objet d’une ordonnance d’expertise psychiatrique de la part du juge d’instruction (une telle expertise est légalement obligatoire dans ce cas de figure).

 

 Choquée par cette mesure, Madame Le Pen a de nouveau publié sur les réseaux sociaux une reproduction de cette ordonnance d’expertise psychiatrique afin de protester contre son traitement qui lui semble inapproprié. Elle a du coup fait l’objet d’une nouvelle convocation pour être mise en examen cette fois-ci du chef de publication d’acte de procédure avant une audience publique.

 

 Mais Madame Le Pen a refusé de se rendre au cabinet du juge d’instruction, invoquant son immunité parlementaire. Pour l’y contraindre, le magistrat devrait solliciter la levée de cette immunité au bureau de l’Assemblée nationale, en application de l’article 26 de la Constitution.

 

 L’état de la jurisprudence est le suivant. La Chambre criminelle de la Cour de cassation juge que l’immunité « ne se limite pas aux seuls discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais s’étend aux propos émis dans l’exercice des fonctions parlementaires » (Cass. crim., 10 mai 2016, n° 15-86600, NP). Mais elle a défini de manière restrictive cette notion d’exercice des fonctions parlementaires, aux seules « activités prévues aux titres IV et V de la Constitution », c’est-à-dire de discussion et de vote des lois et de contrôle du gouvernement, excluant les considérations sociales, idéologiques, etc. (Cass. crim., 12 nov. 2008, n° 07-83398, Bull. crim., n° 229).

 

 Le Parlement européen suit la même ligne, de même que le Tribunal et la Cour de justice de l’Union européenne devant lesquels les parlementaires européens peuvent recourir : « une déclaration effectuée par un député européen en dehors du Parlement européen ayant donné lieu à des poursuites pénales dans son État membre d’origine […] ne constitue une opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires relevant de l’immunité prévue à cette disposition que lorsque cette déclaration correspond à une appréciation subjective qui présente un lien direct et évident avec l’exercice de telles fonctions » (CJUE C-163/10, Patriciello, 6 septembre 2011) ; « ce lien doit être direct et s’imposer avec évidence » (Trib. UE, 14 juin 2017, 2017/2019).

 

 Cette jurisprudence, aussi restrictive soit-elle, laisse un espace de discussion dans de nombreux cas de figure ; Madame Le Pen, qui se défend librement, est-elle bien fondée à invoquer son immunité parlementaire dans la poursuite dont elle fait l’objet ? Le bureau de l’Assemblée nationale se prononcera le cas échéant, de même qu’ensuite la chambre de l’instruction de la Cour d’appel, qu’elle pourrait alors saisir d’une demande de nullité de la procédure la visant, si elle devait être finalement mise en examen, après levée de son immunité.

 

 Un recours préalable serait à mon avis utile pour qu’une telle exception d’immunité parlementaire soit jugée avant toute mise en examen ou tout débat au fond devant une juridiction de jugement. Il s’agit en effet d’une garantie constitutionnelle de la liberté d’expression des parlementaires qu’il serait préférable de faire juger de manière prioritaire.

 

 Une proposition de rédaction de modification de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est présentée en annexe 2 de cette note d’observations, dans le même esprit que la proposition précédente : garantir l’exercice d’une liberté fondamentale avec un fonctionnement rapide et sûr de la justice. Cette proposition vise aussi les avocats dont le statut est à cet égard similaire, ce qui permettrait d’accorder notre droit interne avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 23 avr. 2015, n° 29369/1, Morice c/France).

 

 À défaut d’un tel recours, Madame Le Pen pourra se défendre utilement sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des nombreux arrêts rendus par la CEDH qui lui garantissent un très haut niveau de liberté d’expression — ce qui la convaincrait je l’espère de l’utilité de cette juridiction pour la protection et l’amélioration de notre État de droit et l’inciterait à renoncer à en réclamer la dénonciation et le retrait par la France…

 

 

 Veuillez croire, Messieurs les députés, à l’assurance de ma considération distinguée.

 

 

 François Saint-Pierre, 30 septembre 2019.

 

 

______

 

 

 

 

 

 

Annexe 1 : suggestion de rédaction d’un nouvel article 56-6 du code de procédure pénale.

 

« Les perquisitions dans le bureau ou le domicile d’un parlementaire ainsi que dans les locaux d’un parti politique ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du président de l’Assemblée nationale ou du Sénat (ci-après le président), ou de leur délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du président ou de son délégué par le magistrat. Celui-ci et le président ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité.

Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice des fonctions du parlementaire ou à l’activité du parti politique.

Le président ou son délégué peut s’opposer à la saisie d’un document ou d’un objet s’il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l’objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l’objet d’un procès-verbal mentionnant les objections du président ou de son délégué, qui n’est pas joint au dossier de la procédure. Si d’autres documents ou d’autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l’article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l’objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure.

Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée non susceptible de recours.

À cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que le parlementaire au bureau ou au domicile duquel elle a été effectuée, ou le représentant du parti politique où elle a eu lieu, et le président ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes.

S’il estime qu’il n’y a pas lieu à saisir le document ou l’objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure.

Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n’exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l’instruction.

Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions ou visites domiciliaires effectuées, sur le fondement d’autres codes ou de lois spéciales, dans le bureau d’un parlementaire ou à son domicile ou dans les locaux d’un parti politique ».

 

 

 

 

 

Annexe 2 : suggestion de modifications de rédaction de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 (modifications soulignées).

 

« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ou en dehors mais en lien direct avec les fonctions de parlementaire, ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées.

Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l’alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits par les avocats et les parties devant les tribunaux, ou en dehors dans les médiats mais en lien direct avec les faits de la cause et dans le respect de la présomption d’innocence et des droits fondamentaux des personnes concernées.

Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.

Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers.

Tout parlementaire, tout avocat convoqué par un juge d’instruction aux fins de mise en examen ou cité à comparaître en qualité de prévenu devant une juridiction de jugement peut faire valoir l’immunité prévue au présent article, sous forme d’exception qui doit être jugée prioritairement. La Chambre de l’instruction, dans le premier cas, saisie par requête, statue après audience contradictoire dans un délai maximal de deux mois, par un arrêt motivé susceptible d’un pourvoi en cassation suspensif. La juridiction de jugement, dans le second cas, statue par décision avant-dire droit motivée, de même susceptible d’un appel ou d’un pourvoi en cassation suspensif. »

 

 


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Contribution de Me Jean Veil, avocat au barreau de Paris

MISSION INFORMATION ASSEMBLEE NATIONALE – Jeudi 19 septembre 2019

 

En présence des députés Sébastien HUYGHE (LR) et Alain TOURRET (LREM) et des avocats Jacqueline LAFFONT (Cabinet Haïk et associés) et Jean VEIL (Cabinet Veil Jourde).

 

Propos liminaires

 

Cette mission information s’inscrit dans un climat ambiant de défiance à l’égard de la République et, plus particulièrement, à l’égard des parlementaires, cibles de nombreuses attaques. Ces derniers bénéficient, de par leur statut, d’une protection spécifique prévue par l’article 26 de la Constitution française qui dispose :

« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert.

L’assemblée intéressée est réunie de plein droit pour des séances supplémentaires pour permettre, le cas échéant, l’application de l’alinéa ci-dessus ».

La Constitution a ainsi prévu, pour préserver l’indépendance juridique et matérielle des parlementaires, qu’ils bénéficient d’une protection : l’immunité parlementaire. Profondément enracinée dans la tradition républicaine, l’immunité parlementaire a pour objet essentiel de garantir au parlementaire une jouissance paisible de son mandat sans s’exposer à des poursuites de nature arbitraire ou politique.

Il faut rappeler que, par ce terme d’immunité, il faut comprendre en réalité deux mécanismes : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. L’irresponsabilité « soustrait les actes qui font partie intégrante de l’exercice des fonctions parlementaires au régime normal de la responsabilité ». Elle est prévue par le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution. L’inviolabilité « s’applique en revanche aux actes extérieurs aux fonctions parlementaires ». Depuis la réforme de 1995, le deuxième alinéa de l’article 26 se contente désormais, en la matière, « de soumettre à autorisation du Bureau de l’assemblée concernée, les seules arrestations et mesures privatives de liberté ».

Néanmoins, le principe de l’immunité parlementaire, proclamé lors de la Révolution française, peut parfois sembler vétuste : de manière non exhaustive et à titre d’exemple, à l’ère de l’expansion grandissante des réseaux sociaux, une jurisprudence constante se borne à protéger les propos des députés tenus au sein de l’hémicycle.

Il appert donc évident que, si la restauration d’un lien de confiance des citoyens à l’égard des institutions et de leurs représentants est devenue primordiale, une réflexion doit être menée sur la manière de rendre le Parlement plus efficace et plus représentatif, dans le respect de la nécessaire transparence, tout en renforçant la liberté, la protection et les moyens d’action des parlementaires.

I)         La légitimation du régime dérogatoire de l’immunité parlementaire

 

A)    Un régime dérogatoire également présent dans les professions d’avocats et de journalistes

Les parlementaires jouissent « d’un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice, non dans leur propre intérêt, mais dans celui de l’institution au sein de laquelle ils représentent le peuple souverain »[149]. Élu par le peuple pour représenter la Nation, le député participe à l’exercice de la souveraineté nationale. Il est donc naturel qu’il bénéficie, comme le sénateur, d’un statut protecteur, conçu non comme un privilège mais comme une faculté destinée à lui garantir l’indépendance et la liberté d’expression nécessaires à l’exercice de son mandat.

Cette protection peut s’apparenter à celle dont bénéficient les avocats ou les journalistes même si sa raison d’être diverge. En effet, la protection du secret professionnel de l’avocat tire sa légitimité du droit au respect de la vie privée, des garanties de la défense et du droit au procès équitable. Quant à la protection des sources journalistiques, consacrée par la loi du 29 juillet 1881 et inspirée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, elle tire sa légitimité de la liberté de la presse[150] et de la liberté d’expression. Les organes de presse bénéficient également d’un régime dérogatoire et protecteur en matière d’écoutes téléphoniques et de perquisitions.

Néanmoins, cette liberté médiatique, bien que fondamentale dans un État de droit, se présente souvent comme très critique, voire démagogique, à l’égard des pouvoirs publics et de leurs représentants. Notamment, l’actualité récente a contribué à alimenter le réquisitoire à l’encontre de l’immunité parlementaire. Cette remise en question de l’immunité parlementaire trouve son essence dans le doute perpétuel planant sur la classe politique. Or, les médias et la presse exercent une influence considérable sur l’opinion publique, alimentant davantage la controverse de l’immunité parlementaire. Aux yeux des citoyens français, ce régime dérogatoire au droit commun est perçu comme non conforme avec les fondements mêmes de l’immunité parlementaire, à savoir, le respect de la séparation des pouvoirs et de la démocratie.

Par conséquent, les impératifs de déontologie et de transparence de l’action politique sont désormais exigés tant par la justice que par l’opinion publique. C’est ainsi qu’ont vu le jour des lois contre la fraude fiscale et la corruption sous le quinquennat Hollande et que son successeur, Emmanuel Macron, a lancé le chantier d’une loi de moralisation de la vie politique. Différents axes tels que la prévention des conflits d’intérêt, le non-cumul des mandats, la publication des déclarations de patrimoine des parlementaires, l’emploi des proches dans des fonctions administratives... ont émergé ; l’objectif étant une République exemplaire. Le débat sur l’immunité parlementaire n’est donc pas nouveau. Il avait déjà ébranlé le Sénat en 2014 à cause de l’émoi suscité par la résistance de la Haute assemblée à lever l’immunité de Serge Dassault.

Bien entendu, qu’on ne s’y trompe pas, dans de nombreux cas, les abus de certains parlementaires sont tels qu’ils justifient la levée, sans l’ombre d’un doute, de l’immunité parlementaire. Mais dans d’autres cas, dont la presse se fait hélas peu l’écho, le règlement de compte est évident et la chasse au parlementaire devient l’objectif principal. C’est alors contre ces tentatives qu’il semble que l’immunité parlementaire, fondamentale à l’exercice de la démocratie, doit être maintenue et préservée. En effet, la modification trop importante du régime de l’immunité parlementaire aurait pour conséquence son affaiblissement : or, les parlementaires, en tant qu’élus, possèdent une légitimité certaine rendant nécessaire leur protection.

B)    Une immunité parlementaire contrant les risques de dérives

La démocratie est un régime politique et social fragile, parce qu’il repose sur une adhésion, un consentement de la population, à la différence des régimes autoritaires, qui reposent sur la crainte, la censure et la répression. Ce risque de vacillement de la démocratie peut d’ailleurs s’apprécier au regard de l’actualité, dans des pays voisins de la France. La nécessité de protéger, aujourd’hui plus que jamais, la démocratie, impose donc de garantir la souveraineté et l’indépendance de son Parlement, à travers, notamment, l’immunité parlementaire. En effet, cette disposition du statut des parlementaires a pour objet de les protéger dans le cadre de leurs fonctions des mesures d’intimidation venant du pouvoir politique ou des pouvoirs privés et de garantir leur indépendance et celle du Parlement. De ce fait, elle semble aujourd’hui être la garante, bien que régulièrement contestée, de la séparation des pouvoirs[151]. En effet, « la conception française de la séparation des pouvoirs » défend aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître des litiges intéressant l’administration : c’est pourquoi, ont été soustraits au contrôle des juridictions judiciaires, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Était argué au soutien de cette thèse que les juridictions judiciaires ne disposaient pas d’une légitimité suffisante pour juger des actes émanant d’autorités procédant du suffrage universel et agissant au nom de l’intérêt général. L’immunité parlementaire donne ainsi la possibilité aux propositions les plus audacieuses des parlementaires de ne pas être menacées par les partis pris du gouvernement en place ou de certains juges.

Par ailleurs, il convient de remarquer qu’aujourd’hui, l’immunité parlementaire est avant tout symbolique et, surtout, n’a jamais été un obstacle à l’exercice de la justice, notamment depuis la réforme constitutionnelle de 1995. L’immunité parlementaire dans son volet « inviolabilité » n’attribue pas au parlementaire un privilège personnel qui le placerait au-dessus du droit commun. L’immunité parlementaire n’élimine donc pas le caractère illicite de l’acte perpétré par le parlementaire hors de ses fonctions et ne lui permet pas d’échapper à ses conséquences judiciaires. Seulement, afin d’éviter que le parlementaire ne soit abusivement empêché d’exercer ses fonctions et que le fonctionnement et l’indépendance du Parlement ne soient altérés, l’arrestation et les poursuites sont donc uniquement et éventuellement différées, ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans de nombreux arrêts : « s’agissant du principe de la séparation des pouvoirs, il résulte de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 26 de la Constitution que le juge judiciaire ne peut intervenir dans l’exercice du pouvoir législatif », que « néanmoins l’immunité dont bénéficient les parlementaires, permanente, perpétuelle et absolue, est limitée à l’impossibilité de poursuivre, arrêter, détenir ou juger un parlementaire à raison de ses discours, écrits, opinions ou votes émis dans l’exercice de ses fonctions dans les enceintes parlementaires », que « comme le rappelle le ministère public, il résulte des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme que les immunités parlementaires visent à permettre la libre expression des représentants du peuple et empêcher que des poursuites partisanes puissent porter atteintes à cette fonction parlementaire », que « cette immunité parlementaire qui obéit à une finalité déterminée ne dispense pas les parlementaires du respect des principes de la démocratie » ; que « comme l’ensemble des libertés ayant valeur constitutionnelle et conventionnelle, la liberté parlementaire ne peut se concevoir sans aucune limite ; qu’« aucune disposition constitutionnelle ou conventionnelle ne confère au parlementaire l’impunité générale et absolue, alors même que cette qualité de parlementaire, concourant à l’élaboration de normes s’imposant à tous, l’astreint à une exigence accrue de probité et d’intégrité » et qu’« une telle immunité générale et absolue constituerait une différence de traitement injustifiée et contreviendrait aux principes d’égalité des citoyens devant la loi en ce qu’elle garantirait à certains l’impunité »[152].

Qui plus est, depuis 1995, les poursuites en matière pénale ou correctionnelle sont désormais possibles en toutes hypothèses. Il est ainsi tout à fait envisageable pour le juge de convoquer un parlementaire dans le cadre d’une instruction, l’entendre comme témoin ou le mettre en examen. En l’absence d’opposition du parlementaire, une procédure peut ainsi théoriquement aller jusqu’à son terme sans entrave, y compris, jusqu’à une condamnation éventuelle.

Dans le cas contraire, s’agissant des mesures coercitives (par exemple : un mandat d’amener à son encontre, sa garde à vue, sa mise en détention provisoire ou une liberté conditionnée sous contrôle judiciaire et/ou interdiction de quitter le territoire) et sauf l’hypothèse du flagrant délit, le juge doit obligatoirement obtenir préalablement l’autorisation du Bureau de l’assemblée parlementaire pendant la durée de l’instruction.

En outre, on note un accroissement des hypothèses d’autorisation de levée de l’immunité parlementaire par le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat, en dépit du fait que, les poursuites ayant été rendues possibles par la réforme de 1995, une procédure peut parfois être conduite jusqu’à la condamnation éventuelle du parlementaire sans qu’ait été levée son immunité, permettant à la Justice de s’exercer. A contrario, il est important d’avoir à l’esprit que la levée de l’immunité parlementaire ne présume pas de la culpabilité du parlementaire qui en fait l’objet et ne concerne strictement que les faits et l’incrimination pour lesquels elle a été précisément demandée.

S’agissant des interrogations au sujet de la pertinence de l’immunité parlementaire, peut être opposé l’argument que, certes les pressions et l’intimidation que peut exercer l’exécutif (au moins hors période de cohabitation) sont plus discrètes que celles pouvant exister aux 18ème et 19ème siècles, mais un acteur nouveau est intervenu, à savoir le pouvoir judiciaire, qui peut parfois tendre à se transformer en « gouvernement de juges » voire en « justicier ». Cette dérive vers une « justice militante » trouve notamment une illustration à travers l’affaire du « Mur des cons », panneau sur lequel était affiché, dans le local du Syndicat de la Magistrature, les photos de diverses personnalités publiques - hommes politiques, intellectuels ou journalistes - de hauts magistrats ou de syndicalistes policiers, et ayant laissé transparaître un doute quant à l’impartialité de la justice.

Ainsi, même si la confiance dans les institutions de la République, dont ses représentants ou son pouvoir judiciaire, est primordiale ; celle-ci doit être encadrée pour faire face aux potentielles dérives.

Le propos de cette mission-information est donc de se concentrer sur le régime de l’immunité parlementaire et de se demander si celui-ci doit évoluer et pourquoi.

II)     La nécessité de modifier le régime de l’immunité parlementaire

 

A)    Les lacunes du régime actuel

 

1)     La nécessité de clarifier le système auprès de la population française

Il peut être observé qu’il existe une forme de consensus s’agissant du principe de l’immunité parlementaire qui se retrouve dans pratiquement toutes les démocraties. Une étude de législation comparée effectuée par le Sénat en 2014 relative au régime de droit commun applicable aux immunités parlementaires dans les assemblées de niveau national ou fédéral et prenant pour base des exemples relatifs à l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, le Parlement européen et le Canada, avait mis en lumière l’omniprésence de cette immunité parlementaire, même si parfois organisée selon des régimes divergents.

Cette concorde sur le principe de l’immunité parlementaire ne suffit pas à faire taire les reproches auxquels se régime fait face depuis une période récente. Bien au contraire, les impératifs de transparence et de déontologie sont aujourd’hui au cœur de la réflexion et sont, surtout, exigés par l’opinion publique. C’est pourquoi, il semble important, en premier lieu et avant toute autre chose, de fournir un « effort d’explication » quant au régime de l’immunité parlementaire, ses fondements et son encadrement. Si, en effet, il s’agit d’un régime dérogatoire et de protection, celui-ci ne rime pas avec impunité. En effet, l’immunité parlementaire subit un encadrement strict. Celle-ci étant « personnelle », elle ne s’applique qu’au parlementaire concerné. Elle ne concerne donc ni sa famille, ni les personnes à son service, ni ses éventuels complices. De plus, elle ne recouvre ni son domicile, ni son lieu de travail et permet ainsi la saisie de ses biens ou une perquisition domiciliaire.

L’inviolabilité voit par ailleurs son périmètre encore restreint car celle-ci ne concerne que les infractions pénales (criminelles et correctionnelles) à l’encontre de faits commis ou non dans l’exercice des fonctions parlementaires (mais non rattachées à elles). Elle ne concerne donc ni les infractions fiscales, ni les contraventions, ni les poursuites civiles dès lors qu’elles ne conduisent pas, en principe, à des mesures privatives de liberté. C’est pourquoi un parlementaire pourrait être poursuivi sur le plan civil et condamné pendant l’exercice de ses fonctions. Il en serait de même en matière pénale et correctionnelle du moment que les mesures prises n’enfreignent pas l’inviolabilité parlementaire.

2)     Une procédure lacunaire

Il ressort par ailleurs que le pouvoir d’appréciation du Bureau l’autorise non seulement à accepter ou rejeter globalement la requête mais, le cas échéant, à n’en retenir que certains éléments.

Enfin, en application du troisième alinéa de l’article 26 de la Constitution, ces mesures privatives ou restrictives de liberté, ou toute autre mesure caractérisant une poursuite à l’encontre d’un député, peuvent être suspendues sur décision de l’Assemblée nationale.

Pour ce faire, les demandes de suspension des poursuites, des mesures privatives ou restrictives de liberté, ou de la détention, sont adressées au Président de l’Assemblée par un ou plusieurs députés, distribuées puis renvoyées à la commission constituée en application de l’article 80 du Règlement, qui doit entendre le député concerné ou le collègue qu’il a chargé de le représenter et présenter un rapport. Dès la distribution de ce dernier, la discussion de la demande est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée. L’examen en séance fait alors l’objet d’un débat limité au terme duquel l’Assemblée se prononce. La décision de l’Assemblée s’impose aux autorités administratives et judiciaires et entraîne, pour la durée de la session, soit la suspension de toute procédure judiciaire, soit la levée du contrôle judiciaire et/ou la mise en liberté du parlementaire détenu, soit l’une ou l’autre seulement de ces deux mesures.

Ainsi, la procédure de levée de l’immunité parlementaire peut surprendre en ce qu’elle ne respecte pas le principe du contradictoire : bien que le parlementaire puisse être entendu, celui-ci n’est pas aidé d’un conseil. En outre, l’absence de publicité des requêtes qui lui sont présentées, le secret des délibérations du Bureau, le caractère limité, voire dans un cas inexistant, de la motivation de ses décisions et l’absence de recours possible ne permettent pas d’apprécier avec certitude la manière dont il exerce son rôle et ne semblent donc pas être des solutions souhaitables.

B)    Les modifications proposées par la Mission-Information

 

1)     Sur l’étendue spatio-temporelle de l’immunité parlementaire

Alors que la jurisprudence a tranché le débat en retenant une interprétation restrictive de l’étendue de l’irresponsabilité, excluant notamment les propos tenus par un parlementaire au cours d’un entretien radiodiffusé ou télévisé - même directement liés à un rapport parlementaire couvert par  l’irresponsabilité - et les opinions exprimées par un parlementaire dans le rapport rédigé à l’occasion d’une mission confiée par le Gouvernement ; il convient de se demander si une conception extensive de l’irresponsabilité ne serait pas souhaitable.

Autrement dit, l’irresponsabilité du parlementaire doit-elle s’étendre en dehors des propos tenus au sein de l’hémicycle pour atteindre l’intégralité du territoire français, à partir du moment où le parlementaire agit dans l’exercice de ses fonctions ?

Ici encore, le régime de l’irresponsabilité du parlementaire est comparable avec celui de l’avocat qui bénéficie d’une protection pour ses propos tenus au cours de l’audience, protection s’effaçant lorsqu’il se retrouve face aux journalistes ou sur les marches du palais.

Or, pour un parlementaire, au regard des spécificités de sa fonction, il appert souhaitable que cette liberté d’expression soit élargie afin que ceux-ci puissent s’exprimer librement, dans le cadre de leurs fonctions, hors de l’hémicycle, sans craindre les poursuites. Cette solution, déjà présente dans la jurisprudence italienne, part du postulat que la fonction parlementaire existe également hors « des murs de l’assemblée ». Ainsi, la protection de la parole des députés, du moment qu’elle porte sur le cadre de leur activité parlementaire et sur des questions de politique nationale ou locale, doit bénéficier d’une protection, même en dehors de l’enceinte du parlement. Les prises de parole d’un parlementaire à la télévision ou sur un réseau social peuvent revêtir la même importance et doivent recevoir la même protection qu’au sein de l’hémicycle. Des considérations spatio-temporelles sont alors indifférentes : importe seulement que les actes et paroles soient en lien avec la fonction parlementaire, qui n’est pas bornée à l’hémicycle ou à la session parlementaire. En effet, il semble préférable que le régime de l’immunité parlementaire, conçu lors de la Révolution française, évolue au regard de la décentralisation et des nouveaux modes de communication. De ce point de vue, l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, s’avère plus protecteur et mieux adapté : « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leur préoccupations et défend leurs intérêts »[154]. Bien entendu, cette liberté ne saurait être absolue et cette protection ne doit pas couvrir des paroles diffamatoires ou des injures.

2)     Sur les décisions rendues par le Bureau (absence de motivation, de contradictoire et de recours)

Les juges ont l’obligation de motiver leurs décisions, c’est-à-dire d’expliquer les raisons de fait et de droit qui les ont conduits à rendre cette décision. Ce principe est une garantie essentielle pour le justiciable. Moralement, la motivation est censée prévenir l’arbitraire, mais ses vertus sont aussi d’ordre rationnel, intellectuel, car motiver sa décision impose à celui qui la prend la rigueur d’un raisonnement, la pertinence de motifs dont il doit pouvoir rendre compte. En cas de désaccord avec les motifs de la décision, le justiciable peut alors s’appuyer dessus pour la contester et exercer, le cas échéant, un recours. La motivation donnera alors l’appui nécessaire pour contester de façon rationnelle la décision. De ce point de vue, la motivation, en ce qu’elle livre à autrui les raisons qui expliquent la décision, constitue également une information. Comme l’observe M. Grimaldi, « ce peut être une simple information : la motivation vise à renseigner, mais n’appelle pas la discussion. […]. Ce peut être aussi une motivation en vue d’un contrôle. Souvent, le plus souvent même, l’obligation de motiver se prolonge par la soumission à un contrôle. Et l’on rejoint ici la première observation : le droit à la motivation, s’il existe, ce n’est pas seulement le droit de savoir, c’est aussi l’amorce du droit de contester »[155].

Le principe du contradictoire, quant à lui, constitue le principe cardinal de notre procédure civile, pénale et administrative. Il est d’ailleurs consacré par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d’État comme un principe général du droit et l’une des principales traductions concrètes de la notion de procès équitable. Il garantit tout d’abord aux parties qu’elles ne seront pas jugées sans avoir été sinon entendues, du moins appelées. Chaque partie a alors le droit de prendre connaissance des arguments de fait, de droit et de preuve à partir desquels elle sera jugée. Les différents intervenants du procès doivent donc se montrer loyaux et diligents dans la communication de leurs pièces et conclusions : tout élément produit en justice doit pouvoir faire l’objet d’un débat, il doit en conséquence être communiqué à l’adversaire. Le juge lui-même est tenu de respecter le principe du contradictoire, par exemple lorsqu’il envisage de soulever d’office un argument de droit : il doit dans ce cas mettre les parties en mesure de s’expliquer sur ce point, sous peine de ne pouvoir l’utiliser dans sa décision. Le caractère contradictoire de la procédure permet ainsi de s’assurer de la préservation des droits de chaque partie. Son non-respect est d’ailleurs sévèrement sanctionné : le juge peut, par exemple, écarter des débats des éléments communiqués tardivement ou partiellement par une partie à ses adversaires.

Enfin, le principe du droit au recours est également un principe général du droit à valeur constitutionnelle qui permet d’assurer aux citoyens la possibilité de contester les décisions prises à leur égard. Il s’agit par ailleurs d’une caractéristique essentielle de l’État de droit.

De fait, il appert qu’une décision non motivée, rendue non-contradictoirement et insusceptible de recours n’est pas une véritable décision de justice. Et, si la décision rendue par le Bureau au sujet de l’acceptation ou du refus de la levée de l’immunité parlementaire n’est pas une décision de justice au sens strict, celle-ci s’en rapproche car elle est souvent perçue, à tort, comme une forme de pré-condamnation. La protection de la fonction parlementaire rend donc souhaitable que l’élu ait accès à une copie de son dossier et puisse être aidé par un conseil, que la décision soit motivée et qu’un recours soit possible (se posera alors les questions de l’entité devant laquelle exercer ce recours et du délai imparti pour l’exercer).

3)     Sur l’encadrement de la perquisition

L’article 26 de la Constitution française dans son second alinéa dispose qu’« aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie ». Cependant, sous la pression du terrorisme et de l’état d’urgence, le régime de la garde à vue ainsi que de la perquisition a évolué, de sorte qu’il convient de se demander si la perquisition ne devrait pas rentrer dans le cadre des « mesures privatives ou restrictives de liberté ».

La problématique des perquisitions au domicile ou dans les locaux du parti auquel appartient le parlementaire s’est posée à de nombreuses reprises au cours de certaines affaires. Encore une fois, un parallèle avec la profession d’avocat peut être fait : la procédure de perquisition d’un cabinet d’avocat ne peut être menée que par un magistrat, en présence du bâtonnier, sous le contrôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention. Le bâtonnier est habilité à voir chacune des pièces que le juge prétend saisir. S’il s’y oppose, le document est aussitôt mis sous scellés fermés pour être dans les cinq jours déféré au juge des libertés et de la détention qui dira par ordonnance si le document peut être saisi ou non.

En matière de protection de la fonction parlementaire, mettre en place une solution similaire serait appréciable. La perquisition aurait alors lieu sous le contrôle d’un représentant qui évaluerait la pertinence des documents saisis, ferait une copie, le cas échéant, de ces derniers.

 

Conclusion

 

Le souci de concilier la nécessaire protection de l’exercice du mandat parlementaire et le principe de l’égalité des citoyens devant la loi ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’un statut spécifique des parlementaires. Malgré les attaques que subit ce dernier, il est nécessaire et fondamental de protéger et préserver l’immunité parlementaire et non de l’affaiblir. Cependant un effort d’explication s’impose afin que l’opinion publique comprenne, de façon transparente, les fondements et le régime de l’immunité parlementaire.

 


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Contribution de Mme Chantal Arens,
première présidente de la Cour de cassation

 


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Contribution de l’Union syndicale des magistrats

 


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Contribution de M. François Molins,
procureur général près la Cour de cassation

Audition du 10 octobre 2019

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Les caractères généraux de l’immunité parlementaire

1. Quels sont les fondements de l’immunité parlementaire ? Ces fondements sont-ils communs à l’irresponsabilité et à l’immunité ? Sont-ils toujours d’actualité ?

En France, l’immunité parlementaire est une tradition qui existe depuis la Révolution française. En 1789, les députés instituent l’inviolabilité du parlementaire comme un acte de résistance à l’autorité royale. L’objectif est de protéger l’indépendance du législateur face aux deux autres pouvoirs, judiciaire et exécutif.

Élu pour représenter la Nation, le député participe à l’exercice de la souveraineté nationale. Il vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement. Il bénéficie, comme le sénateur, d’un statut protecteur, conçu non comme un privilège mais comme un moyen destiné à lui assurer l’indépendance et la liberté d’expression nécessaires à l’exercice de son mandat.

Cette protection spécifique est consacrée par le principe des immunités parlementaires, qui trouvent leur fondement dans la Constitution elle-même.

Garantie par l’article 26 de la Constitution du 4 octobre 1958, l’immunité parlementaire englobe en conséquence un ensemble des dispositions assurant aux parlementaires un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice afin de préserver leur indépendance.

Le souci de concilier la nécessaire protection de l’exercice du mandat parlementaire et le principe de l’égalité des citoyens devant la loi a cependant conduit à distinguer deux catégories d’immunités : l’irresponsabilité et l’inviolabilité, le régime de cette deuxième catégorie de l’immunité parlementaire ayant été assoupli à l’issue de la réforme constitutionnelle du 4 août 1995.

Ces fondements, communs aux deux catégories d’immunité, permettant de garantir la séparation des pouvoirs, apparaissent d’autant plus d’actualité à ce jour au regard des exigences accrues de ces dernières années quant à la moralisation de la vie politique, plusieurs scandales politico-financiers ayant conduit à la création d’entités spécifiques (HATVP et PNF).

Ce n’est pas seulement la garantie de l’indépendance des parlementaires dans l’exercice de leurs missions qui est ainsi protégée par ce régime dérogatoire, assouplie dans sa version de 1995, mais également l’indépendance de l’autorité judiciaire, dans l’exercice de l’action publique, sereinement, à l’abri des pressions, dès la révélation des faits incriminés, et non à l’issue du mandat du parlementaire.

Le régime actuel de l’immunité apparaît finalement pondéré et équilibré.

2. Quels sont les points de concordance et de divergence entre les législations étrangères et le droit français en matière d’irresponsabilité et d’inviolabilité ? Quelles conséquences en tirer ?

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3. L’immunité parlementaire est-elle compatible avec le droit européen à un procès équitable ?

La Cour EHD considère que le droit d’accès à un tribunal, qui constitue un élément inhérent au droit à un procès équitable qu’énonce l’article 6 § 1 de la Convention (Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A n° 18, § 36), n’est pas absolu et peut faire l’objet de limitations. Les États contractants jouissent en la matière d’une certaine marge d’appréciation.

La Cour vérifie néanmoins que les limitations mises en œuvre ne restreignent pas l’accès offert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint dans sa substance même. Elle vérifie également que la limitation tend à un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d’autres, Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], n° 26083/94, § 59, CEDH 1999-I).

      Sur la légitimité :

–  la Commission considère qu’est légitime l’immunité accordée aux députés de la chambre basse du Parlement irlandais qui a pour finalité de leur permettre de participer de façon constructive aux débats parlementaires et de représenter leurs électeurs sur des questions d’intérêt public en formulant librement leurs propos ou leurs opinions, sans risque de poursuites devant un tribunal ou une autre autorité (n° 25646/94, décision de la Commission du 17 janvier 1996, DR 84-B, p. 122).

–  la Cour considère également que constitue un but légitime d’assurer la régulation des relations entre les pouvoirs législatif et judiciaire, c’est-à-dire le maintien de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire (CEDH, A. c. Royaume-Uni, n° 35373/97).

      Sur la proportionnalité :

Dans le cas où l’immunité parlementaire entrave l’exercice du droit d’accès à la justice, la Cour recherche si les actes incriminés étaient liés à l’exercice de fonctions parlementaires stricto sensu afin de conclure sur la proportionnalité ou non de la mesure mise en cause (Cordova c. Italie (n° 1), n° 40877/98, § 62, CEDH 2003‑I et De Jorio c. Italie, n° 73936/01, § 53, 3 juin 2004).

La CEDH a par exemple considéré, concernant le régime de l’immunité parlementaire au Royaume-Uni, que l’application d’une règle consacrant une immunité parlementaire absolue ne saurait être considérée comme excédant la marge d’appréciation dont jouissent les États pour limiter le droit d’accès d’une personne à un tribunal, et qu’en conséquence, il n’y a pas violation de l’article 6 § 1 à raison de l’immunité parlementaire dont bénéficient les députés. En l’espèce cette immunité ne couvre que les prises de position exprimées dans le cadre des débats au sein de la Chambre des communes ou de la Chambre des lords. En revanche, elle ne s’applique pas aux propos tenus à l’extérieur du Parlement, dussent-ils répéter ceux déjà prononcés dans l’enceinte parlementaire. Elle ne couvre pas non plus les prises de position dans la presse qui ne feraient qu’anticiper des propos qui seraient ultérieurement tenus au Parlement.

En revanche, s’agissant d’un régime d’immunité en Grèce, elle a conclu à une violation de l’article 6-1 de la Convention EDH après avoir constaté en l’espèce que la constitution de partie civile du requérant, pour chantage et forfaiture, dirigée contre un maire élu ultérieurement député avait été déclarée irrecevable à la suite du refus des autorités parlementaires compétentes d’engager des poursuites pénales contre ledit député, et alors que le renouvellement du mandat parlementaire, de manière consécutive, était de nature à priver le requérant de son droit à demander l’engagement de poursuites pénales.

Le droit à un tribunal retrouve toute son effectivité lorsque l’immunité est invoquée pour couvrir des propos ou des faits qui ne sont plus liés à l’exercice des fonctions parlementaires stricto sensu (CEDH 30 janvier 2003, Cordova, n° 1 et n° 2, préc.). Ainsi les propos diffamatoires ou injurieux exprimés par un sénateur italien (ancien président de la République) à l’occasion d’une querelle de nature politique ou liée à une activité politique ne sont plus considérés comme relevant de l’exercice du mandat parlementaire. Il en est de même des propos insultants prononcés au cours d’une réunion électorale. Au passage, on notera que la Cour manifeste apparemment une défiance particulière à l’égard du pouvoir des organes politiques appelés le cas échéant à statuer sur le bien-fondé de l’invocation de l’immunité parlementaire ; elle spécifie en effet qu’en pareille hypothèse « son contrôle doit être particulièrement rigoureux » (§ 53 de l’arrêt Cordova, n° 1).

4. Vous paraît-il opportun d’étendre le régime de l’immunité à certains élus locaux, par exemple aux présidents des exécutifs régionaux ? modifier les dispositions du code de procédure pénale relatives au dépaysement afin de le rendre systématique ou d’en étendre la possibilité dans le cas où le président d’un exécutif local est mis en cause.

Les missions confiées aux élus locaux, même dans les exécutifs régionaux, ne sont pas de même nature que celles confiées aux parlementaires qui participent à l’élaboration de la loi et, à ce titre, justifient que leur indépendance soit garantie. Partant, la légitimité de leur accorder une telle protection n’est pas évidente d’autant plus qu’il existe déjà des mesures permettant de garantir l’ensemble des protagonistes en cause d’un risque d’impartialité.

L’article 665 alinéa 2 du CPP permet déjà la Cour de cassation, statuant à la requête de son procureur général ou du ministère public près la juridiction saisie, de dessaisir celle-ci et de renvoyer la cause devant une autre juridiction quand l’intérêt d’une bonne administration de la justice le commande.

Il s’agit notamment des requêtes dites en dépaysement sollicitées au regard de la qualité des personnes mises en cause ou victimes, qui pourrait empêcher les magistrats saisis d’exercer sereinement leurs fonctions, à l’abri des pressions ou des complaisances éventuelles et d’éviter que puissent être soupçonnés de partialité des juges appelés à connaître des poursuites dirigées contre des personnes dont, en raison des fonctions qu’elles exerçaient, pouvaient jeter un doute sur leur impartialité.

En outre, l’article 43 du CPP organise également une possibilité de dessaisissement du procureur de la République compétent au stade l’enquête. En effet, tandis que le premier alinéa fixe les critères de compétence territoriale du procureur de la République, le second alinéa prévoit une dérogation à l’application de ces règles. Il permet au procureur général près la cour d’appel, avant toute mise en mouvement de l’action publique, de décider d’office, soit à la demande du procureur de la République, soit à la demande de l’intéressé, de renvoyer la procédure devant le procureur de la République près du tribunal de grande instance le plus proche de la cour d’appel lors que « les faits [mettent] en cause, comme auteur ou comme victime, un magistrat, un avocat, un officier public ou ministériel, un militaire de la gendarmerie nationale, un fonctionnaire de la police nationale, des douanes ou de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public qui est habituellement, de par ses fonctions ou sa mission, en relation avec les magistrats ou fonctionnaires de la juridiction ». Il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire insusceptible de recours. La loi du 23 mars 2019 a d’ailleurs prévu des dispositions identiques s’il s’agit d’une personne en relation avec des magistrats ou fonctionnaires de la cour d’appel.

Cette possibilité de dessaisissement se distingue des procédures de renvoi organisées par les articles 662 et 667-1 du CPP car ces dernières ne sont exercées qu’après la mise en mouvement de l’action publique et sont soumises à des magistrats du siège, tandis que la procédure de l’article 43 ne peut être utilisée qu’au stade de l’enquête et relève de la compétence des procureurs généraux. Il résulte d’ailleurs du rapport présenté au Sénat à l’époque de l’adoption de ce texte que cette procédure était « « utile » et même « nécessaire », puisque les causes de renvoi prévues par le CPP (articles 662 et suivants) ne s’appliquaient « que lorsqu’une juridiction (était) saisie », de telle sorte que le second alinéa de l’article 43 viendrait, au fond, combler une lacune du CPP » (issue du commentaire de la décision Cons. const. n° 2011-156 QPC du 22 juillet 2011).

5. Vous semble-t-il opportun de prévoir une protection spécifique des sources des parlementaires ?

La protection des sources d’information des journalistes, appelée aussi « secret professionnel », est la base de la déontologie du journalisme et de la liberté de la presse, avec la vérification des faits. Elle permet aux journalistes la vérification des faits, auprès de personnes qui acceptent de leur parler bénévolement à condition que leur identité ne soit pas divulguée.

La déontologie donne aux journalistes professionnels le devoir de prendre toutes les précautions pour que leurs sources ne puissent être identifiées contre leur gré, afin de protéger la liberté de parole de ces sources d’information. Ils doivent respecter strictement l’anonymat demandé. Garanti par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce droit et devoir a fait l’objet d’une jurisprudence des plus protectrices de la Cour européenne des droits de l’homme, qui le définit comme une « condition essentielle au libre exercice du journalisme et au respect du droit du public d’être informé des questions d’intérêt général ».

Les parlementaires n’étant pas chargés en premier lieu d’une mission d’intérêt général d’information du public, il serait difficilement compréhensible qu’une protection de leurs sources leur soit accordée.

L’irresponsabilité

6. Les propos et actes du parlementaire couverts par l’irresponsabilité sont-ils pertinents et suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (opinions ou votes ; lien avec l’exercice des fonctions parlementaires) ?

L’irresponsabilité, immunité absolue, soustrait les parlementaires à toute poursuite pour les actes liés à l’exercice de leur mandat. Elle est établie par la Constitution dont l’article 26, dans son premier alinéa, dispose qu’« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

L’irresponsabilité couvre tous les actes de la fonction parlementaire : interventions et votes, propositions de loi, amendements, rapports ou avis, questions, actes accomplis dans le cadre d’une mission confiée par les instances parlementaires.

La loi sur la presse du 29 juillet 1881 protège également, par son article 41, les députés et sénateurs contre des poursuites en diffamation pour des propos tenus par eux au sein de leur assemblée respective. Ainsi ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées.

En revanche ne bénéficient pas de cette irresponsabilité :

–  le rapport rédigé par un parlementaire dans le cadre d’une mission qu’il exerce à la demande du gouvernement en application de l’article LO144 du code électoral ;

–  les agissements de l’élu dans un cadre strictement privé.

L’irresponsabilité protège les parlementaires contre toute action judiciaire, pénale ou civile, motivée par des actes qui, accomplis hors du cadre d’un mandat parlementaire, seraient pénalement sanctionnables ou susceptibles d’engager la responsabilité civile de leur auteur (diffamation ou injure par exemple).

Toutefois, la jurisprudence a exclu les propos d’un parlementaire au cours d’un entretien radiodiffusé (Cass. Crim., 7 mars 1988) ou les opinions exprimées par un parlementaire dans le rapport rédigé dans le cadre d’une mission confiée par le Gouvernement (Cass. Crim., 16 décembre 1997).

Ainsi il entre dans l’office du juge de déterminer ce qui relève ou non des fonctions du parlementaire, dans le respect du dialogue des juges et particulièrement de la jurisprudence de la CEDH en la matière (sur le fondement de l’article 10 CEDH).

Il est certainement plus opportun de laisser cette appréciation souveraine à l’office du juge plutôt que de légiférer davantage, au risque de rigidifier les textes et de créer pour certaines situations un vide juridique.

7. Les lieux dans lesquels ces actes se produisent ou ces propos se tiennent et leurs supports sont-ils suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (séance, commission, autres organes, médias, réseaux sociaux, mission confiée par le Gouvernement…) ?

À ce jour, cette irresponsabilité concerne exclusivement les actes accomplis au sein de l’assemblée (Cass. Crim., 30 septembre 2003, n° 03-80.039). Les parlementaires ne peuvent donc être poursuivis pour les discours et propos tenus dans l’hémicycle au cours des séances, comme ceux prononcés devant les commissions parlementaires, le Bureau de l’Assemblée ou lors de la Conférence des Présidents.

S’il est vrai que cette situation peut interroger, comprenant mal pourquoi le parlementaire, en tenant les mêmes propos, serait protégé dans l’hémicycle et pas dans le couloir y menant, il importe cependant de rappeler que cette irresponsabilité est compensée, précisément dans ces endroits, par le pouvoir disciplinaire de chaque assemblée, le bureau étant finalement responsable et comptable de cette liberté de parole alors qu’un tel mécanisme de contrôle n’est pas prévu pour les propos tenus en tout autre lieu.

Si jamais une réflexion devait être engagée sur un élargissement de cette protection, il devrait y avoir nécessairement, de manière corrélative, la possibilité d’une sanction disciplinaire en cas de débordements, comme c’est le cas actuellement pour les lieux protégés.

Il semble notamment important de ne pas étendre cette irresponsabilité aux médias ou aux réseaux sociaux, à l’heure où il faudrait au contraire moraliser et responsabiliser davantage les utilisateurs.

8. Cette irresponsabilité doit-elle être davantage compensée par un renforcement des pouvoirs de sanction disciplinaire propres à chaque assemblée ?

Voir infra.

 

L’inviolabilité

L’inviolabilité tend à éviter que l’exercice du mandat parlementaire ne soit entravé par certaines actions pénales visant des actes accomplis par les députés en tant que simples citoyens. Elle réglemente les conditions dans lesquelles s’exerce l’action pénale pour les actes étrangers à leur fonction.

Si, depuis la réforme du 4 août 1995, le régime de l’inviolabilité ne protège plus contre l’engagement de poursuites (mise en examen), en revanche, le parlementaire ne peut faire l’objet d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté (contrôle judiciaire) sans l’autorisation du Bureau, sauf les cas de crime ou délit flagrant, ou de condamnation définitive. L’inviolabilité est exclusivement attachée à la personne des parlementaires. Elle ne joue qu’en matière criminelle et correctionnelle.

Contrairement à l’irresponsabilité dont les effets ne sont pas limités dans le temps, l’inviolabilité a une portée réduite à la durée du mandat.

9. La limitation du champ de l’inviolabilité aux procédures criminelles et délictuelles est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

Lors des travaux préparatoires à la réforme du 4 août 1995, M. Guy Carcassonne indiquait que la meilleure solution aurait consisté à soumettre intégralement les membres du Parlement au droit commun de la procédure pénale, sous la seule réserve du maintien de leur irresponsabilité pour les opinions ou votes émis dans l’exercice de leurs fonctions, soulignant que la Grande-Bretagne, qui a inventé le régime des immunités, venait de supprimer l’inviolabilité et qu’il n’était pas bon que les parlementaires français - même si leur situation n’est pas celle des autres citoyens - semblent, aux yeux de l’opinion, bénéficier non pas d’une immunité, mais d’une sorte d’impunité.

Le champ de l’inviolabilité est donc naturellement circonscrit aux matières criminelles (relevant des assises) et correctionnelles (tribunal correctionnel), car les investigations y afférentes peuvent être de nature à perturber la poursuite normale de l’exercice de ses missions par le parlementaire. Ce n’est pas le cas des poursuites civiles, ou des contraventions de police, pour lesquelles il apparaît donc normal que le parlementaire soit soumis au droit commun, au titre de l’égalité de tous devant la loi.

10.  L’exclusion de l’engagement des poursuites du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

L’article 7 de la loi constitutionnelle du 4 aout 1995 est venu apporter d’importants changements au régime de l’inviolabilité parlementaire prévu par l’article 26 de la Constitution, en réécrivant entièrement les alinéas 2,3 et 4, et qui ont pour objet d’éviter que l’exercice du mandat d’un élu national ne soit entravé par des poursuites pénales visant des actes non couverts par l’irresponsabilité, et qui seraient abusivement engagées par l’exécutif ou par des particuliers.

Pour l’essentiel ces changements sont la conséquence de l’institution d’une session parlementaire unique. Les nouvelles dispositions de l’article 28 de la Constitution prévoient en effet que le Parlement se réunit de plein droit pour une session unique d’octobre à juin, soit pendant 9 mois alors qu’existait auparavant une session de printemps et une session d’automne de trois mois chacune.

Si l’article 26 de la Constitution était resté en l’état, l’institution de la session unique aurait abouti non seulement à allonger de trois mois la période pendant laquelle les parlementaires bénéficiaient du régime d’inviolabilité le plus large, mais à les soustraire au droit commun pendant neuf mois consécutifs par an. Une telle perspective ne pouvait qu’être mal comprise de l’opinion qui voyait de plus en plus un privilège personnel réservé aux députés et aux sénateurs dans ce qui n’est qu’un ensemble de règles destinées à assurer l’indépendance de l’institution parlementaire et donc à sauvegarder la liberté.

L’un des principaux objets de la loi constitutionnelle a donc précisément été de supprimer le fait que des poursuites ne pouvaient être engagées contre un élu national en période de session, hors l’hypothèse du crime ou du délit flagrant, qu’avec l’autorisation de l’assemblée dont il était membre, autorisation qui a cependant été maintenue en ce qui concerne les mesures d’arrestation, auxquelles dont désormais expressément assimilées les mesures privatives et restrictives de liberté.

Considérant que s’il était parfaitement compréhensible que l’arrestation et la détention d’un parlementaire soient de nature à porter atteinte au fonctionnement régulier des assemblées parlementaires, ce n’était quand même plus le cas de l’engagement de poursuites et de la mise en examen, qui n’impliquent nullement la mise en détention automatique, soulignant au demeurant, l’incongruité du fait que les poursuites judiciaires, lorsqu’elles ont été engagées hors session parlementaire, n’étaient pas interrompues lorsque débutait la session suivante et le parlementaire mis en examen pouvait continuer à siéger normalement dès lors qu’il n ‘avait pas été mis en détention.

L’immunité parlementaire contre les poursuites judiciaires n’impliquant pas l’arrestation concomitante était en outre mal comprise par nos concitoyens, qui la percevaient comme un privilège permettant aux parlementaires de retarder sans raison le cours de la justice à leur encontre, et par là même la découverte de la vérité. Ceci était d’autant plus mal ressenti que les autres personnes mises en cause dans la même affaire peuvent être dans le même temps mises en examen et en détention.

Enfin, la « médiatisation » à laquelle donnait inévitablement lieu la procédure de levée d’immunité parlementaire pouvait finalement inverser le système : le parlementaire visé par la demande voyant la décision de lever son immunité interprétée comme une reconnaissance implicite de sa culpabilité ; en revanche, la décision de refus de lever l’immunité ou la caducité de la demande pouvait être perçue comme une manœuvre dilatoire, destinée à retarder l’action de la justice.

L’ensemble de ces motifs sont encore parfaitement d’actualité.

11. L’exclusion des arrestations ou mesures privatives ou restrictives de liberté ordonnées en cas de flagrance du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

L’exigence d’une autorisation en matière d’arrestation doit être maintenue car, à la différence de la poursuite, celle-ci constitue une entrave directe à l’exercice du mandat ; de même, doit être conservée la faculté reconnue à l’assemblée de requérir la suspension des poursuites ou de la détention.

12. Les formes de privation ou de limitation de liberté concernées par le régime de l’inviolabilité sont-elles pertinentes et suffisamment bien définies ou doivent-elles être précisées ou évoluer (contrôle judiciaire, garde à vue, détention provisoire, arrestation, perquisition, saisie…) ?

Oui, elles sont suffisamment définies par la jurisprudence : il s’agit des atteintes fondamentales à la liberté d’aller et venir qui empêcheraient les parlementaires d’exercer leur mandat. En aucun cas la perquisition ne doit entrer dans cette catégorie, il s’agit d’un acte d’enquête, qui peut même être réalisé hors la présence du mis en cause.

Par conséquent, l’exercice du mandat n’étant pas entravé par une perquisition, il n’y a aucune justification à la faire entrer dans le champ du régime de l’inviolabilité.

13. Faut-il modifier la forme de la demande de levée de l’inviolabilité (autorité compétente pour la formuler, contenu de la demande…) ?

Les demandes d’autorisation d’arrestation ou de mesures privatives ou restrictives de liberté concernant un parlementaire sont formulées par le procureur général près la cour d’appel compétente, transmises par le garde des Sceaux au Président de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Il n’y a pas objectivement de raison de modifier le formalisme des demandes.

Les conditions d’instruction de la demande de levée de l’inviolabilité sont-elles satisfaisantes ou convient-il de les préciser ou de les modifier (autorité d’instruction, publicité des travaux, motivation…) ?

14. L’autorité habilitée à lever l’inviolabilité est-elle la bonne (Bureau, assemblée, commission ad hoc…) ?

15. Les modalités d’adoption de la décision de levée de l’inviolabilité sont-elles satisfaisantes ou doivent-elle être précisées ou évoluer (forme de la décision, motivation, délai, publicité des délibérations…) ?

16. Est-il nécessaire de prévoir un recours contre la décision du Bureau ? Le cas échéant, ce recours doit-il être interne à l’assemblée ou être de nature juridictionnelle, devant le Conseil constitutionnel par exemple ?

17. Le champ des mesures susceptibles d’être suspendues par l’assemblée concernée à la demande d’un parlementaire est-il pertinent ou doit-il évoluer (inclut les poursuites, à la différence de la demande de mainlevée) ?

18. La durée de la suspension décidée par l’assemblée concernée est-elle adéquate ou doit-elle être revue (session, mandat…) ?

19. La procédure d’examen de la demande de suspension est-elle satisfaisante ou doit-elle être modifiée (délais, organe compétent, discussion en séance…) ?


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Contribution du Syndicat de la magistrature

 


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Contribution de M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, président de la Fondation René Cassin

 

Immunité parlementaire

Contribution aux travaux de la mission d’information
de l’Assemblée nationale sur l’immunité parlementaire

 

Jean-Paul COSTA, ancien juge et ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme

 

À sa demande, j’ai été entendu le 19 septembre 2019 par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’immunité parlementaire (MM. Sébastien Huyghe et Alain Tourret, Députés).

Cette contribution écrite complète mon audition.

Compte tenu de mon expérience à la CEDH où j’ai siégé 13 années de 1998 à 2011, comme juge (élu au tire de la France) puis comme Président), c’est essentiellement sur la compatibilité de l’immunité parlementaire avec le droit européen des droits de l’homme, et notamment sur le droit à un procès équitable, qu’a porté mon audition et que porte cette contribution écrite.

Le problème me semble le suivant :

Que comporte le droit européen qui soit en conflit possible avec l’immunité parlementaire ? (I)

Quelle est la position de la CEDH, dans sa jurisprudence sur cette question ? (II)

Faut-il envisager une modification du droit français ? (III)

 

  1. Sur le droit européen

 

La Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »), que la CEDH est compétente pour interpréter et appliquer, comme ultime recours (articles 19 et 32), contient plusieurs dispositions susceptibles d’entrer en conflit avec l’immunité parlementaire : il s’agit principalement des suivantes :

 

–  le droit au procès équitable (article 6) et notamment le droit d’accès de tout justiciable à un tribunal ;

–  le droit de chacun, y compris les parlementaires bien entendu, à la liberté d’expression (article 10, § 1) ;

–  le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale (article 8) ;

–  le droit de chacun à la protection de sa réputation et de ses droits, y compris par rapport à la liberté d’expression (article 10, § 2).

 

  1. La position de la CEDH

 

–  la CEDH a reconnu dans plusieurs arrêts la légitimité de l’immunité parlementaire, dont le but est notamment de permettre la libre expression des membres du Parlement et la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif (affaire A. c Royaume-Uni de 2002). Par ailleurs, elle a souvent jugé que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicites, qui sont acceptables si elles ne portent pas atteinte à la substance même de ce droit et restent proportionnées au but recherché (affaire Golder c. Royaume-Uni de 1975 et une jurisprudence abondante) ;

–  la CEDH considère en outre que l’immunité parlementaire est une pratique de longue date, qui existe dans de nombreux pays et qui empêche des poursuites pénales de porter atteinte à la fonction des représentants du peuple (affaire Cordova c. Italie, n° 2, de 2003) ;

–  cependant, les propos injurieux et diffamatoires en dehors de l’enceinte du Parlement ne sauraient être protégés (affaire Cordova c. Italie, n° 1, de 2003) ;

–  l’affaire A. c. Royaume-Uni précitée est un cas-limite où la CEDH a jugé les propos d’un membre de la chambre des Communes tolérables, alors même qu’ils visaient de façon très critique une électrice de sa circonscription et sa famille, ce qui leur valut des attaques de la part d’autres électeurs, prenant appui sur ces propos du Parlementaire. J’avais voté en faveur de cette solution, tout en exprimant une opinion concordante, montrant mes hésitations (cette opinion est annexée à l’arrêt et est donc publique). S’il me fallait juger à nouveau à présent, je pense que je voterais en sens inverse ;

–  dans l’affaire Kart c. Turquie de 2009, paradoxalement le requérant souhaitait la levée de son immunité parlementaire, que l’Assemblée avait refusé à ce député. La CEDH a rejeté sa requête, dirigée contre l’État Turc, notant que l’inviolabilité parlementaire n’était pas en soi constitutive d’une limitation excessive au droit d’accès à un tribunal, et qu’en outre le requérant conservait d’autres moyens de se défendre dans la procédure pénale engagée contre lui (et était protégé par la présomption d’innocence).

 

  1. Faut-il modifier le droit français ?

Je ne le pense pas.

–  l’article 26 de la Constitution (révisé en 1995) énonce les deux principes de l’irresponsabilité parlementaire et de l’inviolabilité parlementaire. Des dispositions analogues existent dans d’autres Constitutions européennes, par exemple dans la Constitution turque, et la Cour a jugé que ce n’était pas contraire à la Convention (affaire Kart) ;

–  mais il serait sans doute souhaitable que le droit en France vienne clarifier la matière, et préciser que la protection qu’offre l’irresponsabilité parlementaire ne doit pas être absolue (pour l’inviolabilité les choses me paraissent différentes) ; et qu’elle trouve des limites dans le respect nécessaire de la vie privée et familiale des citoyens, et dans leur droit à l’honneur et à la réputation, sous peine de créer des situations de déni de justice, qui ne sont pas convenables, et qui pourraient même retourner l’opinion publique contre les élus, ce qui serait fâcheux ;

–  cependant si une telle interprétation est fournie par le législateur elle risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel. Celui-ci, il est vrai, a au moins une fois censuré une loi qui étendait l’irresponsabilité des membres du Parlement (décision n° 89-262 du 7 novembre 1989). On pourrait imaginer qu’il pourrait a contrario juger conforme à la Constitution une loi qui restreindrait cette irresponsabilité ;

–  en tout état de cause, cette remarque va un peu au-delà de la compatibilité avec le droit européen, et n’est mentionnée que pour mémoire.

Strasbourg, le 14 novembre 2019

 

 


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Contribution de la direction des affaires civiles et du Sceau et de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice

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Questionnaire en vue de l’audition des personnes invitées
à s’exprimer devant la mission d’information

 

 

 

Les caractères généraux de l’immunité parlementaire

 

  1.      Quels sont les fondements de l’immunité parlementaire ? Ces fondements sont-ils communs à l’irresponsabilité et à l’immunité ? Sont-ils toujours d’actualité ?

Au sens large, l’immunité parlementaire constitue l’ensemble des dispositions qui assurent aux membres du Parlement un régime dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la justice afin de préserver leur indépendance[156].

Cette protection du mandat parlementaire figure à l’article 26 de la Constitution.

Le premier alinéa de cet article prévoit une irresponsabilité pour les opinions et votes émis par les parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions. Cette irresponsabilité est reprise à l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Les deuxième à quatrième alinéas consacrent une inviolabilité du membre du Parlement. Ils prévoient des immunités de procédure qui prohibent, en matière criminelle et correctionnelle, hors les cas de flagrance ou de condamnation définitive, l’arrestation ou toute mesure privative ou restrictive de liberté à l’encontre d’un sénateur ou d’un député sans autorisation du Bureau de l’assemblée à laquelle il appartient. L’assemblée a également la faculté de décider la suspension de ces mesures ainsi que des poursuites visant l’un de ses membres pendant la durée de la session en cours.

L’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit la procédure par laquelle l’autorité judiciaire demande la levée de l’inviolabilité parlementaire par l’intermédiaire du garde des sceaux. Les règlements des assemblées et les instructions générales de leur bureau prévoient pour chacune des chambres des règles relatives à la procédure d’instruction de la demande[157].

Ces immunités parlementaires sont ancrées dans les racines mêmes du régime parlementaire et ont été consacrées par toutes les Constitutions que la France a connues. Il s’agit, non pas de privilégier personnellement et individuellement les membres du Parlement, mais de protéger l’exercice de leur mandat et, ainsi, de garantir le fonctionnement d’une assemblée représentative.

Ces considérations sont toujours d’actualité.

D’une part, l’irresponsabilité pour les propos et votes émis sont la condition d’une parole et d’une conviction totalement libres.

D’autre part, elles sont de nature à garantir aux membres de l’opposition l’absence de harcèlement par des arrestations et des poursuites (qui peuvent également être engagés par les parties civiles).

  1.      Quels sont les points de concordance et de divergence entre les législations étrangères et le droit français en matière d’irresponsabilité et d’inviolabilité ? Quelles conséquences en tirer ?

Comme le relève la Commission de Venise[158], l’immunité parlementaire est profondément ancrée dans la tradition constitutionnelle européenne. On retrouve par ailleurs ces immunités dans d’autres pays du monde. S’il est difficile de dresser un panorama précis de l’intégralité des régimes des immunités parlementaires dans le monde, des grandes tendances peuvent néanmoins se dégager. Ainsi, alors que nous observons une nette concordance des systèmes destinés à préserver l’irresponsabilité des membres de Parlement, nous observons parallèlement une grande variété d’approche et de mécanismes de l’inviolabilité.

L’irresponsabilité parlementaire se retrouve ainsi dans presque tous les systèmes parlementaires démocratiques avec toutefois de notables variations concernant, par exemple, l’étendue, les bénéficiaires ou encore la durée de cette protection. Alors qu’en France, le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution prévoit que l’irresponsabilité ne protège que « les opinions exprimées et les propos tenus dans l’exercice du mandat parlementaire », l’étendue de cette irresponsabilité est différente dans d’autres systèmes. Si l’irresponsabilité peut ainsi valoir pour des propos politiques tenus en dehors du Parlement (Italie, Pays-Bas, Portugal…), elle peut également s’appliquer exclusivement pour des propos et opinions tenus dans l’enceinte du Parlement (Norvège, Irlande…).

En France, l’irresponsabilité est absolue de telle sorte qu’elle ne peut jamais être levée par l’assemblée concernée contrairement à d’autres systèmes dans lesquels la levée peut être prononcée par le Parlement (Danemark, Finlande, Grèce…) ou par d’autres institutions (la Cour suprême au Pays-Bas).

Enfin, en France, les bénéficiaires de cette irresponsabilité parlementaire sont les parlementaires eux-mêmes. Certains pays prévoient à l’inverse une protection étendue aux personnes associées aux travaux et activités parlementaires (Irlande, Pays-Bas…).

L’inviolabilité parlementaire existe dans de nombreux autres pays et notamment en Europe. On observe toutefois que cette protection est moins répandue que le système de l’irresponsabilité parlementaire et est susceptible d’intervenir sous des formes encore plus variées.

Ainsi, dans certains pays, l’inviolabilité parlementaire est complètement absente (Pays-Bas). Dans d’autres systèmes, l’inviolabilité est circonscrite à la seule matière civile, le parlementaire ne jouissant ainsi d’aucune protection particulière s’agissant de la matière pénale (modèle anglo-saxon). En France, comme dans d’autres pays, l’inviolabilité parlementaire prend une forme différente dans la mesure où l’accomplissement de certains actes mettant en cause la liberté des membres du Parlement (une telle autorisation n’étant ainsi pas requise en cas de crime ou de délit flagrant) est soumis à l’autorisation de la chambre à laquelle le parlementaire appartient.

En définitive, comme le relève la Commission de Venise, si des principes communs tendent à se dégager, les variations quant au régime des immunités parlementaires sont toutefois nombreuses et toutes légitimes. Il est alors difficile de tirer de quelconques conséquences quant à l’hétérogénéité des systèmes des immunités parlementaires tant ces règles sont finalement très dépendantes de la tradition et du système institutionnel propre à chaque pays.

  1.      L’immunité parlementaire est-elle compatible avec le droit européen à un procès équitable ?

Cette question se pose pour l’irresponsabilité prévue au premier alinéa de l’article 26 de la Constitution qui empêche toute personne s’estimant lésée par des propos émis par un membre du Parlement dans l’exercice de ses fonctions de saisir un tribunal afin d’obtenir la réparation de son préjudice. L’existence d’une telle irresponsabilité entre en confrontation directe avec le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention EDH.

La Cour estime toutefois que les règles nationales relatives à la protection accordée aux membres de Parlement visent « les buts légitimes que sont la protection de la liberté d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire », ce qui peut justifier une atteinte au droit garanti par l’article 6 de la Convention qui n’est pas un droit absolu[159]. Il n’en demeure pas moins que si la CEDH n’interdit pas en tant que telle l’irresponsabilité parlementaire, son usage doit toutefois toujours être justifié et ne jamais enfreindre les impératifs de proportionnalité et de nécessité. Elle juge en ce sens – et de manière constante – que plus une immunité est large, plus les raisons la justifiant doivent être impérieuses. La Cour a pu ainsi conclure à une violation de l’article 6 de la Convention lorsque l’irresponsabilité s’étendait aux propos tenus par un membre du Parlement lors de déclarations à la presse, estimant ainsi que les propos n’étaient pas rattachable à l’exercice strict des fonctions parlementaires[160].

Le régime prévu par l’article 26 de la Constitution apparaît compatible à la Convention EDH dès lors que sont seuls couverts par l’irresponsabilité les actes directement liés à l’exercice du mandat (votes, opinions, amendements, rapports) et que l’irresponsabilité ne s’étend pas aux autres activités du membre du Parlement, par exemple le rapport rédigé par un député ou un sénateur en mission auprès du Gouvernement[161], les discours prononcés à l’occasion d’une campagne électorale ou encore les propos tenus dans un article de presse[162].

  1.      Vous paraît-il opportun d’étendre le régime de l’immunité à certains élus locaux, par exemple aux présidents des exécutifs régionaux ?

À titre liminaire, il convient de relever que la modification du régime de responsabilité pénale des élus est susceptible d’être regardé comme contraire à la Constitution car il n’est pas certain que la situation juridique dans laquelle ils se trouvent suffise à justifier l’atteinte portée au principe d’égalité devant la loi s’agissant des infractions qu’ils ont pu commettre. Dans sa décision du 7 novembre 1989, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution des dispositions qui instauraient un régime d’irresponsabilité des membres du Parlement, au motif que, « pour des infractions identiques la loi pénale ne saurait, dans l’édiction des crimes ou des délits ainsi que des peines qui leur sont applicables, instituer au profit de quiconque une exonération de responsabilité à caractère absolu, sans par la même porter atteinte au principe d’égalité »[163]. Parce qu’elle porte atteinte au principe d'égalité devant la loi pénale, la création d’une irresponsabilité pénale ne peut résulter que de la Constitution.

Par ailleurs, il n’est pas certain que les raisons qui justifient l’existence de règles dérogatoires pour les parlementaires puissent être totalement pertinentes pour les élus locaux. D’une part, les élus locaux ne sont pas membres du corps législatif et les fonctions qu’ils exercent sont d’une autre nature que celles des parlementaires. En ce sens, il semble que la question de la séparation des pouvoirs relève d’enjeux distincts de ceux liés à la décentralisation. D’autre part, il n’apparaît pas envisageable d’accorder une telle irresponsabilité aux exécutifs locaux alors qu’elle n’existe pas pour les membres du Gouvernement.

En outre, l’extension d’un tel mécanisme n’apparaît pas nécessaire pour assurer aux élus locaux une protection satisfaisante de leur liberté d’expression dans le cadre de l’exercice de leur mandat. La liberté d’expression doit en effet déjà s’exercer pleinement au profit des élus locaux. C’est en ce sens que la Cour EDH rappelle de manière constante que l’article 10 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique et les questions d’intérêt général. Elle considère ainsi qu’au même titre que le parlement, les propos relevant de l’intérêt général tenus dans une assemblée locale (conseil municipal…) doivent bénéficier d’une protection accrue dans la mesure où ces assemblées constituent des « tribunes indispensables au débat politique » (CEDH, 12 avril 2012, DE LESQUEN c./ France, n° 54216/09). N’oublions pas enfin que les élus bénéficient, à l’instar des agents publics, d’un régime de protection qui s’apparente à la protection fonctionnelle lorsqu’ils font l’objet de poursuites à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de leurs fonctions.

Enfin, l’introduction d’un régime procédural dérogatoire pour la poursuite des élus locaux s’inscrirait à rebours de toutes les évolutions que la France a connues depuis la fin du XIXème siècle[164]. En outre, de tels mécanismes dérogatoires concernant les élus locaux produisaient des effets contreproductifs. C’est d’ailleurs pour cette raison que la loi du 4 janvier 1993 a supprimé, s’agissant des procédures dans lesquelles sont mis en cause les magistrats, préfets et élus locaux, la saisine obligatoire de la chambre criminelle de la Cour de cassation aux fins de dépaysement de l’affaire et de désignation de la juridiction compétente. En effet, cette saisine, et la décision ordonnant le dépaysement, étaient perçues dans l’opinion comme une confirmation de la culpabilité de la personne mise en cause.

  1.      Vous semble-t-il opportun de prévoir une protection spécifique des sources des parlementaires ?

Une telle protection n’apparaît pas nécessaire.

Le Parlement est placé dans une position différente de celle des journalistes pour lesquels il importe de ne pas tarir leurs sources et garantir ainsi la liberté d'information.

Le Parlement dispose quant à lui de tous les moyens nécessaires d’information, notamment dans le cadre de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.

Par ailleurs, l’irresponsabilité prévue par l’article 26 protège par définition les sources des parlementaires, puisqu’aucune autorité ne peut exiger de ces derniers qu’ils divulguent par quel moyen s’est forgée leur opinion.

 

L’irresponsabilité

  1.      Les propos et actes du parlementaire couverts par l’irresponsabilité sont-ils pertinents et suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (opinions ou votes ; lien avec l’exercice des fonctions parlementaires) ?
  2.      Les lieux dans lesquels ces actes se produisent ou ces propos se tiennent et leurs supports sont-ils suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (séance, commission, autres organes, médias, réseaux sociaux, mission confiée par le Gouvernement…) ?

Les questions 6 et 7 peuvent faire l’objet d’une réponse commune dans la mesure où elles interrogent toutes les deux sur le champ de l’irresponsabilité des membres du Parlement prévue par le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution. L’alinéa 1er de cet article prévoit qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions. Ces dispositions apparaissent suffisamment précises pour circonscrire le champ de l’irresponsabilité des députés et sénateurs.

D’autres dispositions – de nature législative – et la jurisprudence en la matière apportent d’importantes précisions sur les actes et lieux couverts par cette irresponsabilité parlementaire.

D’une part, l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse éclaire sur le champ de cette irresponsabilité que ce soit tant sur la nature des actes couverts (compterendu des séances publiques, les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une des assemblées…) que sur la nature des lieux couverts par cette même irresponsabilité (discours tenus dans le sein des assemblées, propos tenus devant une commission d’enquête).

D’autre part, la jurisprudence joue pleinement son rôle en définissant, au gré des affaires soumises aux juridictions, les contours de cette irresponsabilité des membres du Parlement :

  la mission qu’exerce un député ou un sénateur à la demande du Gouvernement ne s’inscrit pas dans l’exercice de la fonction parlementaire (décision n° 89-262 DC du 7 novembre 1989, Loi relative à l’immunité parlementaire, cons. 9) ;

  l’audition publique faite par un député ou un sénateur devant une commission d’enquête parlementaire dont il n’est pas membre n’est pas un acte prévu par les titres IV et V de la Constitution et n’est donc pas couverte par les dispositions relatives à l’irresponsabilité des membres du Parlement (Cass. crim., 16 décembre 1997, n° 96-82509) ;

  l’irresponsabilité parlementaire ne s’étend pas aux propos tenus dans un article de presse, dès lors que ces propos sont prononcés à l’occasion d’une interview dite de vulgarisation et non dans le cadre étroit de la publication d’un rapport parlementaire (Cass. crim., 30 septembre 2003, n° 03-80039) ;

  l’immunité parlementaire ne peut viser que les propos tenus au cours de l’une des activités prévues aux titres IV et V de la Constitution (Cass. crim., 12 novembre 2008, n° 0783398) ;

  l’immunité parlementaire ne se limite pas aux seuls discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais s’étend aux propos émis dans l’exercice des fonctions parlementaires (Cass. crim., 10 mai 2016, n° 15-86600).

  1.      Cette irresponsabilité doit-elle être davantage compensée par un renforcement des pouvoirs de sanction disciplinaire propres à chaque assemblée ?

Si l’irresponsabilité des membres du Parlement assure une large protection, elle n’entraîne pas une « immunité » totale puisque, pour leurs interventions, les députés et sénateurs restent toujours soumis au régime disciplinaire prévu par le règlement de leur assemblée.

Le régime de sanction prévu par le règlement des assemblées fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières découlent de la nature de ses fonctions. Ce régime se rattache ainsi à l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement (Conseil d’Etat, 28 mars 2011, n° 347869). Dès lors, la question du renforcement des pouvoirs de sanction disciplinaire nous semble relever de la compétence des assemblées en vertu du principe d’autonomie qui leur est reconnu.

La définition des fautes disciplinaires ainsi que l’échelle des peines figurent dans le règlement de chaque assemblée (rappel à l’ordre avec inscription ou non au procès-verbal, censure simple ou avec exclusion temporaire).

On peut remarquer que les membres du Parlement ne peuvent être sanctionnés disciplinairement que pour les injures, provocations et menaces qui visent le Président de la République, les membres du Gouvernement et les membres du Parlement. Aucun manquement à l’honneur ou à la dignité ne figure parmi les fautes disciplinaires.

Règlement de l’Assemblée nationale

Règlement du Sénat

Article 70

 

Peut faire l’objet de peines disciplinaires tout membre de l’Assemblée :

 

1° Qui se livre à des manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse ;

 

2° Qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ;

 

3° Qui a fait appel à la violence en séance publique ;

 

4° Qui s’est rendu coupable d’outrages ou de provocations envers l’Assemblée ou son Président ;

 

5° Qui s’est rendu coupable d’injures, de provocations ou de menaces envers le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement et les assemblées prévues par la Constitution ;

 

6° Qui s’est rendu coupable d’une voie de fait dans l’enceinte de l’Assemblée ;

 

7° À l’encontre duquel le Bureau a conclu, en application de l’article 80-4, à un manquement aux règles définies dans le code de déontologie.

 

Article 94

La censure est prononcée contre tout sénateur :

1° Qui, après un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal, n'a pas déféré aux injonctions du Président ;

2° Qui, dans le Sénat, a provoqué une scène tumultueuse ;

3° Qui a adressé à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces.

Article 95

1. - La censure avec exclusion temporaire du Palais du Sénat est prononcée contre tout sénateur :

1° Qui a résisté à la censure simple ou qui a subi deux fois cette sanction ;

2° Qui, en séance publique, a fait appel à la violence ;

3° Qui s'est rendu coupable d'outrages envers le Sénat ou envers son Président ;

4° Qui s'est rendu coupable d'injures, provocations ou menaces envers le Président de la République, le Premier ministre, les membres du Gouvernement et les assemblées prévues par la Constitution.

 

 

L’inviolabilité

  1.      La limitation du champ de l’inviolabilité aux procédures criminelles et délictuelles est‑elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

L’inviolabilité des membres du Parlement ne concerne que les procédures criminelles et correctionnelles à l’exclusion des procédures contraventionnelles.

Cette limitation du champ de l’inviolabilité apparaît cohérente dès lors que seules les procédures criminelles et correctionnelles peuvent donner lieu à des mesures privatives et restrictives de liberté (garde à vue, contrôle judiciaire, détention provisoire).

L’existence d’une procédure contraventionnelle à l’encontre d’un député ou sénateur n’est jamais de nature à affecter la possibilité pour ces derniers de poursuivre leurs activités parlementaires.

Cette restriction pourrait donc être supprimée du texte constitutionnel sans que cela ait pour effet d’étendre le champ de l’inviolabilité (elle devrait même être supprimée pour étendre l’inviolabilité aux mesures privatives ou restrictives de liberté de nature administrative : cf. infra question 12).

Enfin, il convient de noter que la matière contraventionnelle est également exclue du régime dérogatoire de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement pour les infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions (article 68-1 de la Constitution).

  1. L’exclusion de l’engagement des poursuites du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

Jusqu’à la révision de la Constitution opérée par la loi n° 95-880 du 4 août 1995, les membres du Parlement ne pouvaient être poursuivis, pendant la durée des sessions, qu’avec l’autorisation de l’assemblée à laquelle ils appartiennent. En revanche, en période d’intersession, des poursuites pouvaient être librement exercées à l’encontre d’un député ou d’un sénateur sans autorisation préalable, et la procédure engagée pouvait alors valablement continuer en période de session.

La loi précitée a mis un terme à cette autorisation préalable pour les raisons suivantes.

En premier lieu, il était à craindre que l’institution d’une session unique de neuf mois par cette même loi ne vienne augmenter les cas dans lesquels une autorisation préalable dût intervenir.

En deuxième lieu, la délivrance d’une telle autorisation s’avérait contreproductive dès lors qu’elle donnait à l’acte de poursuite (par exemple la saisine d’un juge d’instruction) une publicité accrue et qu’elle pouvait être perçue dans l’opinion comme une confirmation de la culpabilité du parlementaire mis en cause.

En troisième lieu, à la différence des mesures privatives et restrictives de liberté, il apparaît plus délicat de justifier que l’existence de poursuites empêche, en elles-mêmes, le libre exercice par le député ou le sénateur de son mandat.

Ces motifs nous apparaissent toujours pertinents.

  1. L’exclusion des arrestations ou mesures privatives ou restrictives de liberté ordonnées en cas de flagrance du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

L’absence d’autorisation de l’assemblée pour prendre des mesures privatives ou restrictives de liberté en cas de crime ou de délit flagrant nous apparaît pleinement justifiée.

D’une part, la flagrance se caractérise par une forme d’évidence qui rend moins nécessaire le contrôle par le Parlement.

D’autre part, la flagrance se caractérise par une situation d’urgence qui n’est pas compatible avec une procédure d’autorisation préalable.

Enfin, il convient de rappeler que l’assemblée conserve toujours la possibilité de suspendre les mesures coercitives et les poursuites décidées à l’encontre d’un membre du Parlement pour la durée de la session en cours. Le Parlement dispose donc déjà du pouvoir de réagir en cas de crime ou délit moins flagrant qu’il n’apparaît ou si ces mesures coercitives font obstacle à la présence du député ou sénateur en séance alors que sa participation apparaît indispensable.

  1. Les formes de privation ou de limitation de liberté concernées par le régime de l’inviolabilité sont-elles pertinentes et suffisamment bien définies ou doivent-elles être précisées ou évoluer (contrôle judiciaire, garde à vue, détention provisoire, arrestation, perquisition, saisie…) ?

La formulation générale de l’article 26 nous apparaît de nature à couvrir l’ensemble des atteintes à la liberté d’aller et de venir des membres du Parlement ordonnées dans le cadre d’une procédure pénale.

En revanche, le deuxième alinéa du même article restreint l’exigence d’une autorisation préalable aux seules procédures criminelles et correctionnelles, ce qui paraît exclure les autres mesures privatives ou restrictives de liberté, en particulier les mesures administratives (hospitalisation d’office, assignation à résidence pendant l’état d’urgence, etc.).

Il est vrai cependant que le troisième alinéa ne comporte pas cette restriction et que l’assemblée pourrait par conséquent demander la levée de la mesure ordonnée dans un cadre non pénal.

  1. Faut-il modifier la forme de la demande de levée de l’inviolabilité (autorité compétente pour la formuler, contenu de la demande…) ?

L’article 9 bis de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précise la procédure de demande de levée de l’inviolabilité d’un membre du Parlement.

Cette disposition, qui résulte de l’article 2 de la loi n° 96-62 du 29 janvier 1996 prise pour l’application de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, est directement inspirée des règles auparavant édictées par l’instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale. Étant précisé que, selon un rapport sénatorial, cette procédure remonte à « une coutume constitutionnelle dont l’origine remonte même à la Troisième République »[165].

Ainsi, les demandes de levée de l’inviolabilité sont formulées par le procureur général près la cour d’appel compétente et transmise par l’intermédiaire du garde des sceaux au Président de l’assemblée concernée.

Il doit être précisé que les débats parlementaires de la loi constitutionnelle du 4 août 1995 ont clairement mis en évidence que le procureur général « n’a pas la possibilité de refuser de formuler une demande d’autorisation souhaitée par la juridiction ». Le rôle du procureur général n’est pas de se prononcer sur le fond du dossier mais seulement de veiller à ce que les demandes soient conformes aux prescriptions légales quant à leur contenu et leur énoncé.

Cette demande doit indiquer précisément les mesures envisagées (détention provisoire, contrôle judiciaire, etc.) ainsi que les motifs invoqués, c’est-à-dire la nature des faits reprochés et les raisons justifiant les mesures envisagées.

Cette procédure de transmission ne soulève aucune difficulté particulière.

  1. Les conditions d’instruction de la demande de levée de l’inviolabilité sont-elles satisfaisantes ou convient-il de les préciser ou de les modifier (autorité d’instruction, publicité des travaux, motivation…) ?

Les conditions d’instruction de la demande de mainlevée de l’inviolabilité sont relativement imprécises. Tout au plus, l’article 16 de l’Instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale prévoit que les décisions sont préparées par une délégation désignée en son sein. Rien n’est précisé s’agissant de l’instruction devant le Sénat.

Au demeurant, les travaux ne semblent faire l’objet d’aucune publicité. On peut noter que par rapport à d’autres pays (Allemagne, Belgique, Canada…), le membre du Parlement en cause ne peut formuler aucune observation au stade de l’instruction de la demande de levée d’immunité. De même, il n’est à aucun moment précisé si l’instruction de cette demande est enfermée dans un délai (par exemple 30 jours en Italie) ou si elle fait l’objet d’un traitement prioritaire (comme c’est prévu au Canada par exemple).

  1. L’autorité habilitée à lever l’inviolabilité est-elle la bonne (Bureau, assemblée, commission ad hoc…) ?

Le second alinéa de l’article 26 de la Constitution précise que la levée de l’inviolabilité parlementaire est autorisée par le Bureau[166] de l’assemblée saisie. La compétence du Bureau en la matière est donc constitutionnellement prévue ce qui est assez rare pour le souligner dans la mesure où la Constitution ne mentionne qu’incidemment le Bureau de l’Assemblée nationale (articles 26 et 89 de la Constitution).

Avant la réforme constitutionnelle de 1995, la Constitution prévoyait que la demande était examinée en séance publique, ce qui présentait l’inconvénient de conférer une publicité qui se retournait contre le député ou sénateur lui-même et portait une atteinte au secret de l’enquête et de l’instruction. Les inconvénients de cette solution ont conduit le constituant à confier cette responsabilité au bureau de l’assemblée (loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995).

Depuis 1995, la compétence est désormais attribuée aux Bureaux[167]. Elle n’a pas de caractère public et, partant, est plus respectueuse de la présomption d’innocence et du secret nécessaire à la sérénité dans laquelle doit œuvrer la justice.

  1. Les modalités d’adoption de la décision de levée de l’inviolabilité sont-elles satisfaisantes ou doivent-elle être précisées ou évoluer (forme de la décision, motivation, délai, publicité des délibérations…) ?

Les modalités d’adoption de la décision de levée de l’inviolabilité semblent souffrir des mêmes imprécisions que celles relatives à la procédure d’instruction.

Le Bureau se prononce après avoir entendu le rapport de la délégation des immunités représentative des groupes, qui auditionne le membre du Parlement. Les Bureaux adoptent directement la décision en se prononçant sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande, au regard des faits sur lesquels cette demande est fondée et à l'exclusion de tout autre objet, c’est-à-dire dénuée d’arrière-pensées politiques[168]. Il est toutefois uniquement précisé que la décision est notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et publiée au JO s’agissant des décisions du Bureau de l’Assemblée nationale[169] et notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice ainsi qu’au sénateur concerné s’agissant du Bureau du Sénat[170].

Cette question est largement réglée par la coutume et les usages constants. En effet, comme a pu le rappeler le Sénat[171], il existe en la matière des pratiques, des coutumes, utilisées par les assemblées alors même qu’elles ne sont prévues par aucun texte. C’était le cas par exemple de la règle selon laquelle la demande de levée d’une immunité est toujours adressée par la garde des sceaux au Président de l’assemblée concernée.

Enfin, il convient de relever que les délais de traitement des demandes de levée d'immunité parlementaire sont en pratique relativement courts (délai moyen inférieur à un mois).

S’agissant de la nécessité de renforcer la motivation de la décision, celle-ci est étroitement corrélée à la possibilité de former un recours. La motivation d’une décision s’impose habituellement au bénéfice du justiciable et du juge. Or si la décision du Bureau de levée de l’inviolabilité est de nature administrative, elle n’est pas justiciable. La question relative au renforcement de la motivation (mais également de sa forme et des règles de publicité) de la décision de levée de l’inviolabilité ne peut donc qu’être une question d’opportunité.

  1. Est-il nécessaire de prévoir un recours contre la décision du Bureau ? Le cas échéant, ce recours doit-il être interne à l’assemblée ou être de nature juridictionnelle, devant le Conseil constitutionnel par exemple ?

Il a été récemment jugé que la levée de l’immunité d’un parlementaire échappe au contrôle du juge administratif (TA Paris, 28 décembre 2017, n° 1715258). Cette jurisprudence applique la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière qui, à plusieurs reprises, a rappelé sa position selon laquelle les actes parlementaires ne peuvent, en principe, faire l’objet d’un recours compte tenu de leur nature.

Le caractère radical de ce principe est aujourd’hui atténué par l’article 8 de l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires aux termes duquel :

  les actions en responsabilité pour des dommages de toute nature causés par les services des assemblées parlementaires sont portées devant les juridictions compétentes pour en connaître ;

  la juridiction administrative est appelée à connaître de tous litiges d'ordre individuel concernant les agents titulaires des services des assemblées parlementaires ;

  la juridiction administrative est également compétente pour se prononcer sur les litiges individuels en matière de marchés publics.

Toutefois, la levée de l’immunité est une décision qui n’est pas détachable de l’exercice de la souveraineté.

Attribuer au juge constitutionnel la compétence pour juger du bien-fondé des décisions des bureaux des assemblées en cette matière, constituerait un bouleversement du rôle du Conseil constitutionnel qui serait amené à trancher une question de fait. Il conviendrait également qu’il puisse être saisi, non seulement par le membre du Parlement, mais également par l’autorité judiciaire à l’origine de la demande.

Enfin, l’intérêt d’introduire un tel recours, même relevant d’un organe interne à l’assemblée, est discutable. D’une part, un tel recours donnerait très probablement une publicité accrue à la demande (cf. supra question n° 14). D’autre part, cette voie de recours allongerait d’autant la procédure qui se doit d’être la plus rapide possible.

  1. Le champ des mesures susceptibles d’être suspendues par l’assemblée concernée à la demande d’un parlementaire est-il pertinent ou doit-il évoluer (inclut les poursuites, à la différence de la demande de mainlevée) ?

Depuis la réforme de 1995, l’inviolabilité n’englobe plus la poursuite (c’est-à-dire la mise en mouvement de l’action publique ou la saisine de la juridiction d’instruction ou de jugement). Un juge d’instruction peut donc mettre un membre du Parlement en examen, selon la procédure de droit commun.

En revanche, une assemblée peut requérir et obtenir la suspension des poursuites pendant la durée de la session (jusqu’en 1995, pendant la durée du mandat, selon une interprétation des assemblées).

À la différence des mesures privatives et restrictives de liberté, il est plus délicat de considérer que la poursuite empêche, en elle-même, le membre du Parlement d’exercer son mandat.

Il convient par ailleurs de rappeler que l’article 30 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2003-669 du 25 juillet 2013, interdit au garde des sceaux de donner des instructions individuelles : il ne peut par conséquence pas exister de poursuites ordonnées par l’exécutif, ce qui constitue une garantie pour les membres du parlement de l’opposition.

Toutefois, il n’est pas à exclure que des poursuites à des fins malveillantes puissent être engagées par des parties civiles.

Par ailleurs, les exigences de la procédure pénale peuvent être incompatibles avec celles tenant à l’exercice du mandat parlementaire, notamment en cas de convocation devant les juridictions pendant les séances.

Certes, les juridictions ne peuvent contraindre les membres du Parlement à comparaître par la force publique sans autorisation préalable.

Toutefois, le refus de comparaître peut être sanctionné, en particulier pour les témoins[172].

  1. La durée de la suspension décidée par l’assemblée concernée est-elle adéquate ou doit‑elle être revue (session, mandat…) ?

Aux termes du troisième alinéa de l’article 26 de la Constitution, la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement peuvent être suspendues pour la durée de la session.

Là encore, la réforme de 1995 a restreint la possibilité pour les assemblées de s’opposer à l’action pénale puisqu’auparavant, la suspension de l’action publique pouvait couvrir la durée du mandat.

La session a le mérite d’être une durée cohérente (puisqu’elle couvre la période de l’activité parlementaire effective, stricto sensu), et relativement courte (session ordinaire du premier jour ouvrable d'octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin et possibilité réduite de session extraordinaire).

À l’issue de la session, les poursuites peuvent reprendre sans qu’il soit nécessaire de prendre un acte particulier.

La session présente l’avantage de pouvoir ressaisir l’assemblée concernée d’une demande de levée de l’inviolabilité pour les mêmes faits à l’issue de la session.

  1. La procédure d’examen de la demande de suspension est-elle satisfaisante ou doit-elle être modifiée (délais, organe compétent, discussion en séance…) ?

L’article 26 de la Constitution ne fait que prévoir que la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement peuvent être suspendues si l’assemblée dont il fait partie le requiert.

Les Règlements des assemblées détaillent plus précisément la procédure à suivre dans le cadre d’une demande de suspension (encore plus détaillée s’agissant du Règlement de l’Assemblée nationale). C’est une commission ad hoc qui étudie la demande et présente ses conclusions sous la forme d’une proposition de résolution qui sera ensuite inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée par la Conférence des présidents dès la distribution du rapport de la commission. Cette dernière est saisie à la suite du dépôt d’une proposition de résolution déposée par le sénateur ou député concerné[173] ou par d’autres membres du Parlement. Au cours de l’instruction de la demande, la commission entend l’auteur de la proposition de résolution, le député intéressé ou le membre du Parlement qu’il a chargé de le représenter.

L’assemblée concernée statue après un débat en séance publique sur les conclusions et la proposition de résolution proposée par la commission.

La procédure paraît finalement plus précise et encadrée (forme de la demande, délais, autorités compétentes, contradictoire…) que la procédure de levée de l’inviolabilité.

On notera toutefois un manque de précision s’agissant des formalités de publicité. Il est seulement précisé par les textes que, s’agissant des décisions de l’Assemblée nationale en la matière, ces dernières sont notifiées au Premier ministre.

 


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Contribution de M. Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, ancien député de Haute-Savoie

 

25 Septembre 2019

 

Les caractères généraux de l’immunité parlementaire

 

  1.                Quels sont les fondements de l’immunité parlementaire ? Ces fondements sont-ils communs à l’irresponsabilité et à l’immunité ? Sont-ils toujours d’actualité ?

 

Le principal fondement de l’immunité parlementaire est l’indépendance des parlementaires vis-à-vis de toutes formes de pression dans l’exercice de son mandat. Depuis 1789 cette exigence de liberté pour les représentants des citoyens reste la même.

 

Elle reste d’actualité évidemment vis-à-vis de l’exécutif mais aussi de toute forme d’autorité ou de groupe de pression. Elle mérite sûrement d’être réévaluée à la lumière des technologies et des tensions contemporaines entre les pouvoirs.

 

2.et 3. Quels sont les points de concordance et de divergence entre les législations étrangères et le droit français en matière d’irresponsabilité et d’inviolabilité ? Quelles conséquences en tirer ?

L’immunité parlementaire est-elle compatible avec le droit européen à un procès équitable ?

 

La décision de la CEDH concernant Noël Mamère tend à placer le régime de l’irresponsabilité des parlementaires français à un niveau inférieur à la norme européenne.

 

4. Vous paraît-il opportun d’étendre le régime de l’immunité à certains élus locaux, par exemple aux présidents des exécutifs régionaux ?

 

Non, le rôle constitutionnel des parlementaires justifie le régime des immunités, ce n’est pas le cas des élus locaux fussent-ils présidents d’importantes collectivités.

 

5. Vous semble-t-il opportun de prévoir une protection spécifique des sources des parlementaires ?

 

Non, à l’exception des citoyens appelés à témoigner sous serment dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire. Certains ayant été attaqués par des tiers qu’ils avaient mis en cause dans leur témoignage.

 

L’irresponsabilité

 

6. Les propos et actes du parlementaire couverts par l’irresponsabilité sont-ils pertinents et suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (opinions ou votes ; lien avec l’exercice des fonctions parlementaires) ?

 

Oui, ils me paraissent pertinents.

 

7. Les lieux dans lesquels ces actes se produisent ou ces propos se tiennent et leurs supports sont-ils suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (séance, commission, autres organes, médias, réseaux sociaux, mission confiée par le Gouvernement …) ?

 

Les immunités parlementaires prévalent depuis plus de deux siècles. Il apparaît que les supports actuels de communication et globalement la dérégulation de l’information justifient un réexamen des lieux strictement limités aux activités à l’intérieur des assemblées.

 

8. Cette irresponsabilité doit-elle être davantage compensée par un renforcement des pouvoirs de sanction disciplinaire propres à chaque assemblée ?

 

Oui, si le cadre des irresponsabilités devait évoluer.

 

 

L’inviolabilité

 

9. La limitation du champ de l’inviolabilité aux procédures criminelles et délictuelles est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

 

Oui elle est pertinente.

 

10. L’exclusion de l’engagement des poursuites du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

 

Elle me paraît pertinente.

 

11. L’exclusion des arrestations ou mesures privatives ou restrictives de liberté ordonnées en cas de flagrance du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

 

Oui, elle me paraît pertinente.

 

12. Les formes de privation ou de limitation de liberté concernées par le régime de l’inviolabilité sont-elles pertinentes et suffisamment bien définies ou doivent-elles être précisées ou évoluer (contrôle judiciaire, garde à vue, détention provisoire, arrestation, perquisition, saisie …) ?

 

Oui, elles me paraissent suffisamment bien définies.

 

13. Faut-il modifier la forme de la demande de levée de l’inviolabilité (autorité compétente pour la formuler, contenu de la demande …) ?

 

Non

 

14. Les conditions d’instruction de la demande de levée de l’inviolabilité sont-elles satisfaisantes ou convient-il de les préciser ou de les modifier (autorité d’instruction, publicité des travaux, motivation ….) ?

 

À l’Assemblée nationale, composée à la proportionnelle des groupes la commission dispose d’une majorité politique qui est la même que celle qui soutient le Gouvernement. Ce point mérite réflexion.

 

 

15. L’autorité habilitée à lever l’inviolabilité est-elle la bonne (Bureau, assemblée, commission ad hoc …) ?

 

Même réponse pour le Bureau de l’Assemblée nationale qu’à la question 14.

 

16. Les modalités d’adoption de la décision de levée de l’inviolabilité sont-elles satisfaisantes ou doivent-elles être précisées ou évoluer (forme de la décision, motivation, délai, publicité des délibérations …) ?

 

Oui, dans le cadre actuel de la procédure.

 

17. Est-il nécessaire de prévoir un recours contre la décision du Bureau ? Le cas échéant, ce recours doit-il être interne à l’assemblée ou être de nature juridictionnelle, devant le Conseil Constitutionnel par exemple ?

 

Non, au nom de l’indépendance des assemblées.

 

18. Le champ des mesures susceptibles d’être suspendues par l’assemblée concernée à la demande d’un parlementaire est-il pertinent ou doit-il évoluer (inclut les poursuites, à la différence de la demande de mainlevée) ?

 

Il me paraît pertinent.

 

19. La durée de la suspension décidée par l’assemblée concernée est-elle adéquate ou doit-elle être revue (session, mandat …) ?

 

Elle me paraît adéquate.

 

20. La procédure d’examen de la demande de suspension est-elle satisfaisante ou doit-elle être modifiée (délais, organe compétent, discussion en séance …) ?

 

Sur la commission d’instruction, même réponse que pour la question 14.

 

*

* *

 

 

En conclusion, il me semble que les immunités mériteraient une réévaluation au regard de la révolution de la communication et de la dérégulation de l’information.

 

« L’affaire Mamère », comme « l’affaire Guaino » ou les tensions entre certains magistrats et le personnel politique tendent vers cette réévaluation.

 

Enfin, à l’heure où la démocratie représentative est confrontée à la montée d’autres systèmes politiques dits participatifs, il convient d’être attentif à la protection des représentants du peuple quant à leur indépendance et à leur liberté.

 

 


—  1  —

Contribution de MM. Gilbert Collard, député européen, ancien député du Gard, Jean-Marc Descoubès, avocat au barreau de Paris, et Jean-Richard Sulzer, conseiller régional des Hauts-de-France

 

 


—  1  —

Contribution de M. Denis Baranger, professeur de droit public
à l’Université Paris II Panthéon-Assas

ASSEMBLEE NATIONALE – MISSION D’INFORMATION
SUR L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE

 

Messieurs les députés,

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour m’avoir demandé d’intervenir devant votre mission.  Vous avez souhaité nous entendre en vue d’aborder la question des immunités parlementaires. Votre questionnaire distinguait :

Je suivrai donc ce plan dans mon propos liminaire, même si naturellement j’ai choisi de mettre l’accent sur certaines seulement des questions posées.

I. LES CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE L’IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE

 

1)     Éléments de définition

 

Il importe évidemment de rappeler que le régime de l’immunité est actuellement gouverné par l’article 26 de notre Constitution, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 4 août 1995. La rédaction de 1958 ne faisait que reprendre celle de l’article 21 de la Constitution de 1946, elle-même reprise de l’article 13 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875. L’article 26 de la Constitution de la Cinquième République reprend de ces textes antérieurs la distinction entre irresponsabilité et inviolabilité. Son alinéa 1er vise en effet les cas d’irresponsabilité :

 

« Aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

 

Les trois alinéas suivants portent au contraire sur l’inviolabilité. En particulier, l’alinéa n°2 dispose que :

 

« Aucun membre du parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée dont il fait partie ».

 

Les deux régimes de l’irresponsabilité et de l’inviolabilité se distinguent par plusieurs aspects. L’irresponsabilité a pour objet les opinions ou votes émis dans l’exercice des fonctions parlementaires. Ce n’est pas le cas de l’inviolabilité qui porte par définition sur d’autres types d’actes, extérieurs aux activités parlementaires proprement dites, et qui protège leur auteur dans la limite nécessaire pour lui permettre de participer aux travaux de la chambre.

 

Par ailleurs, la nature de l’immunité conférée n’est pas la même. L’irresponsabilité de l’alinéa 1er correspond à une immunité de fond : le champ d’application de l’infraction – qui existe par ailleurs - ne s’étend pas aux parlementaires. Par conséquent, l’élément légal de l’infraction est supprimé : ainsi « un discours injurieux ou diffamatoire devient légal dès lors qu’il est prononcé par un parlementaire au sein de l’assemblée »[174]. Le juge pénal doit déclarer irrecevable l’action formée devant lui. Cela fait une différence importante, par exemple, avec l’application de la CEDH et notamment de son article 10 (dont j’aurai l’occasion de parler : cf supra). Dans ce cas, l’action est examinée au fond et la garantie de la liberté d’expression est appréciée lors du procès. Au contraire, l’inviolabilité prévue également dans l’article 26 de notre Constitution s’analyse comme une immunité d’exécution : elle ne déroge pas à la loi pénale en faveur des parlementaires mais les protège contre certaines mesures de coercition.

 

2)     « Quels sont les fondements de l’immunité ? Sont-ils toujours d’actualité ? »

 

En France, l’immunité a longtemps été conçue sous le couvert de principes très généraux, en particulier ceux de la souveraineté nationale et de la « loi, expression de la volonté générale ». On pouvait comprendre, sous les précédentes républiques, l’existence d’une immunité très protectrice sur la base d’une « forme de révérence envers la chose publique » (C. Bargues) en général, et envers les élus du peuple en particulier. Mais à notre époque, si cette révérence n’a pas disparu, elle doit être confrontée à une autre préoccupation : celle des principes conjoints d’égalité et de respect de l’état de droit. Ils imposent une « égale sujétion de tous, gouvernants et gouvernés, à la légalité »[175].

 

Les immunités parlementaires s’analysent comme des régimes dérogatoires au droit commun, et en tant quel tels, à tort ou à raison, elles sont suspectes pour une partie de l’opinion. On sait que cette suspicion se nourrit de la multiplication des affaires judiciaires concernant des parlementaires depuis les années 1990 et à l’accroissement significatif des requêtes en levée d’immunité (affaire Tapie, affaire Jean-Michel Boucheron …). Le point commun à toutes ces immunités, c’est la fonction parlementaire elle-même, pour ne pas dire la conception que l’on se fait de l’institution parlementaire.

 

À cet égard, on peut dire comme les professeurs Avril et Gicquel que l’inviolabilité protège l’exercice du mandat tandis que l’irresponsabilité en protège l’indépendance. Mais la référence aux principes du mandat représentatif, voire de la souveraineté nationale, pour utile qu’elle soit, peut cependant se révéler moins pertinente lorsqu’il s’agit de définir le périmètre et le régime des immunités parlementaires. En effet, il est permis de penser que la vraie justification est fonctionnelle. C’est l’activité parlementaire elle-même qui est protégée, à travers les élus. Reste à cerner en quoi consiste cette activité. J’y reviendrai en traitant de votre seconde série de questions relatives à l’irresponsabilité.

 

À mon sens, il faut envisager l’immunité comme une protection, non pas seulement des fonctions parlementaires au sens large, mais plus largement encore du fait qu’un représentant de la nation est un gouvernant, quelqu’un qui exerce par délégation la liberté du peuple de se gouverner lui-même. Ce qu’il faut donc viser à protéger – et même à promouvoir - c’est la liberté politique de l’élu, au sens d’une liberté pour l’élu de faire de la politique. Les assemblées parlementaires sont des enceintes privilégiées où s’exprime cette liberté. Mais elles n’en sont pas le lieu exclusif d’exercice, et peut-être le sont-elles de moins en moins. Le droit applicable ne reflète pas toujours assez cette diversification de l’activité des parlementaires. Mais il est opportun, en de telles matières, d’en remonter à nos principes constitutifs, ne serait-ce que pour esquisser des voies de réforme du droit positif.

 

II.  L’IRRESPONSABILITÉ

 

1)     Le champ de l’irresponsabilité

 

Il est demandé dans votre questionnaire si « les propos et actes du parlementaire couverts par l’irresponsabilité sont pertinents et suffisamment bien définis ? ». Vous nous interrogez également sur l’interaction entre l’irresponsabilité parlementaire et le droit de la Convention européenne des droits de l’homme. Je vais si vous le permettez joindre ces deux questions.

 

La Cour Européenne de Strasbourg combine, dans sa jurisprudence la protection au titre de l’article 6 (droit à un procès équitable, mais surtout droit d’accès à un tribunal) et la protection au titre de l’article 10 (liberté d’expression). L’article 6 est souvent utilisé par la Cour dans le contexte des litiges relatifs à la parole publique des élus. La protection de l’article 6 a ainsi conduit la Cour de Strasbourg à sanctionner l’Italie, par exemple, pour avoir accordé une protection excessive à la parole publique de parlementaires alors que leur action ne relevait pas de leurs fonctions de membres du Parlement[176].

 

Mais je voudrais mettre avant tout l’accent sur l’article 10 de la Convention et sur la protection conventionnelle de la liberté d’expression. Il n’existe guère de doute, ni de véritable débat, sur la nécessité de maintenir l'irresponsabilité constitutionnelle des parlementaires :  elle est nécessaire à la vie démocratique. Il faut même à mon sens l’étendre et la rapprocher du périmètre couvert par l’article 10 de la convention européenne des droits de l'homme. Pour citer la cour de Strasbourg, le Parlement constitue, « dans une société démocratique, le lieu essentiel du débat public »[177].

 

On peut juger plutôt heureuse, de ce point de vue, la formule de principe retenue par la cour de Strasbourg : « le fait pour les États d'accorder généralement une immunité plus au moins étendue aux parlementaires constitue une pratique de longue date, qui vise à permettre la libre expression des représentants du peuple et à empêcher que des poursuites partisanes puissent porter atteinte à la fonction parlementaire »[178].

 

En effet, et c’est un aspect qui devrait être central dans toute réflexion sur la réforme des immunités parlementaires, la protection de la parole des députés, du moment qu’elle porte sur le cadre de leur activité parlementaire et sur des questions de politique nationale, devrait être protégée même en dehors de l’enceinte du parlement : il y a désormais une activité parlementaire « hors les murs », par exemple sur les réseaux sociaux. Le problème ne me semble pas résider dans les hypothèses où la députée ou le député s’expriment dans l’enceinte parlementaire ou dans des documents parlementaires. Leur irresponsabilité est alors totalement protégée. Mais il y a plus de débat sur la protection des propos tenus et des actes accomplis en dehors des chambres.

 

En France, comme chez nos grands voisins (Grande Bretagne, États-Unis) un parlementaire qui fait valoir son point de vue dans une réunion publique ou dans des médias, donc en dehors du parlement ou du Congrès, est considéré par le droit comme un simple citoyen, non en tant qu’élu. La protection fonctionnelle accordée à la délibération parlementaire ne le protège normalement plus. On l’a vu avec le refus exprimé par la Cour de cassation en 1988 d’accorder le bénéfice de l’irresponsabilité au député Raymond Forni pour des propos radiodiffusés[179].

 

Pour le moment, en droit français, les juridictions ont entrepris par la combinaison de plusieurs critères de délimiter en quoi consistaient les activités couvertes par l’irresponsabilité de l’article 26 C. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle circonscrit « l’exercice des fonctions parlementaires » par le biais de la référence aux titres IV et V de la Constitution (v. les décisions précitées et aussi la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation dans l’affaire « Vanneste »[180]). La décision « Vanneste » représentait déjà un effort de la part des juges français en vue de prendre en compte la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, telle qu’elle s’était exprimée par exemple dans la décision « Mamère c. France » de 2002[181].

 

L’arrêt « Vanneste » rendu en 2008 par la Cour de cassation appelle deux remarques. Premièrement, la décision (une cassation sans renvoi) est motivée de manière très cursive. La Cour de cassation relève d’une part que les restrictions à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite. Elle ajoute que « si les propos litigieux, qui avaient été tenus dans la suite des débats et du vote de la loi du 30 décembre 2004, ont pu heurter la sensibilité de certaines personnes homosexuelles, leur contenu ne dépasse pas les limites de la liberté d'expression ». En second lieu, dans cette décision, la qualité de parlementaire de l’intéressé n’est pas prise en compte, sinon de manière très implicite (« qui avaient été tenus dans la suite des débats et du vote de la loi du 30 décembre 2004 ») : il s’agit « des limites de la liberté d’expression » en général.

 

La jurisprudence « Vanneste » constitue donc un pas dans la bonne direction, mais il est permis de se demander si le droit ne devrait pas aller vers une garantie plus explicite de l’expression des titulaires de mandats publics, au premier rang desquels se trouvent les parlementaires. Il est en effet permis de penser que la protection de la parole des députés, du moment qu’elle porte sur le cadre de leur activité parlementaire et sur des questions de politique nationale ou locale, doit être protégée même en dehors de l’enceinte du parlement. Il faudrait donc étendre l’irresponsabilité à la parole politique légitime – car il n’est pas question non plus de permettre des abus – hors de l’enceinte parlementaire. Ce que dit désormais une députée à la télévision ou un député sur un réseau social peut revêtir la même importance et doit recevoir la même protection que ce qui a été proféré « entre les murs du parlement », selon la formule du droit britannique.

 

Le droit parlementaire des immunités doit évoluer au regard de ces transformations qui affectent le débat public et par voie de conséquence la parole politique des élus. Si l’appel à une « revalorisation du Parlement » a perdu de son tranchant à force d’être répété sans beaucoup d’effet, on peut voir là une évolution qui contribuerait de manière effective à la réalisation d’un tel objectif. En effet, la dématérialisation des activités dans la société affecte aussi le Parlement et l’activité des élus du peuple tout entier – en particulier les députés qui sont élus au suffrage universel direct – ne se fait plus dans la seule enceinte parlementaire, quelle qu’en soit la solennité et l’importance.

 

De ce point de vue, l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, s’avère plus protecteur et mieux adapté que les règles du droit interne[182]. La cour adopte une conception large de la liberté d’expression des détenteurs de mandats politiques : « précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts »[183]. Dans le même temps, la Convention ne crée évidemment pas une liberté absolue, exempte de toute restriction. Mais la jurisprudence en la matière est dominée par l’idée qu’« on ne saurait restreindre le discours politique sans raisons impérieuses »[184].

 

Reste que ni l’article 10 de la Convention ni la jurisprudence de la Cour de Strasbourg n’apportent de solution pleinement satisfaisante. La Cour européenne semble hésiter entre la protection pure et simple de la liberté politique telle que je la définis ici et la protection « fonctionnelle » de l’activité parlementaire plus strictement délimitée (en termes de séparation des pouvoirs)[185]. Par ailleurs, d’autres que moi (en particulier le professeur Cécile Bargues) ont pu regretter le côté casuistique de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Il faut rappeler que la Cour opère toujours une appréciation in concreto et que cette technique juridictionnelle limite d’autant la portée des formules générales qu’elle emploie.

 

La question de la diffamation

 

Il faut enfin faire mention d’une question qui va au-delà de celle des immunités parlementaires au sens strict, mais qui est à mon sens d’une particulière importance : celle de notre droit de la diffamation. Je me bornerai à en dire quelques mots : il constitue un obstacle non négligeable à la liberté d’expression et notamment à la liberté d’expression politique. Car il ne suffit pas que la jurisprudence soit rigoureuse, en s'opposant par exemple à l’application des articles 29 et suivants de la loi de 1881 au motif que les imputations diffamatoires se rapportaient à un débat d’intérêt général ou d’intérêt public, ou encore en créant de toutes pièces une excuse tirée de la bonne foi[186].

 

Encore faut-il relever que la simple menace que constitue l’existence d’une plainte suivie automatiquement en la matière, d’une mise en examen, limite significativement la liberté de parole, y compris celle des élus. Le récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Lacroix c. France – qui concerne d’ailleurs la parole publique d’un élu, même s’il s’agissait en l’occasion d’un élu local – pourrait d’ailleurs imposer une simplification d’un droit français devenu trop complexe et, par-là, potentiellement liberticide[187].

 

2)     Le renforcement du pouvoir disciplinaire : vers un pouvoir de destitution

 

a) La légitimité du pouvoir disciplinaire

 

Votre questionnaire ouvre la voie à une discussion sur le renforcement du pouvoir disciplinaire. Il existe en effet un lien entre cette question et celle des immunités. La Cour de Strasbourg indique ainsi que si la protection fonctionnelle qu’apportent les immunités conférées aux parlementaires n’est pas en soi contraire à la Convention, elle impose à ses bénéficiaires un devoir de réserve. Des formes d’expression outrepassant cette obligation peuvent, selon la Cour, faire l’objet d’une réprimande interne à l’assemblée concernée[188].

 

L’examen du droit comparé va dans le même sens. Ainsi, au Royaume Uni, par exemple, où le Parlement était historiquement une « cour », le pouvoir disciplinaire des assemblées parlementaire est bien établi. Non seulement les parlementaires eux-mêmes peuvent faire l’objet de sanctions. Mais encore l’outrage au Parlement (« contempt of Parliament ») peut aussi sanctionner des non-parlementaires.

 

b) France : les évolutions possibles

 

1)        Réconcilier discipline parlementaire et liberté d’expression des élus

 

En France, la discipline parlementaire existe, mais on sait que son usage est rare : sous la Cinquième République, il a fallu attendre 1984 pour que des députés fassent l’objet, exceptionnellement, d’une censure simple (sur la base à l’époque de l’article 72 du Règlement AN)[189] .

 

Les cas de rappel à l’ordre sont un peu plus fréquents. Dans la période récente, ils ont fréquemment concerné des situations de conflit d’intérêt[190] sur le double fondement de l’article premier du Code de déontologie des députés et de l’article 79 RAN. L’un des rappels à l’ordre récents, intervenu en 2017, a par exemple visé la confusion commise par une élue entre ses activités parlementaires et ses activités privées de chef d’entreprise.

 

Si de telles sanctions disciplinaires intervenant dans la matière des conflits d’intérêts ne soulèvent pas de problème particulier, d’autres cas suscitent plus d’interrogations. Sans nullement se prononcer sur le fond des affaires concernées, et avec la plus grande considération pour les décisions prises en la matière par l’institution parlementaire, il est toutefois permis de s’interroger sur les cas où la poursuite disciplinaire sanctionne la parole d’une ou d’un élu(e). Cela a pu se produire récemment. En 2014, un député a été sanctionné d’un rappel à l’ordre pour avoir refusé d’employer le terme « présidente » plutôt que « président » en s’adressant à la vice-présidente de l’assemblée. Ce comportement lui a valu un rappel à l’ordre et une inscription au procès-verbal. Dans un autre cas, en 2017, un député a été sanctionné pour avoir porté en séance le maillot d’un club local de football amateur pour manifester son soutien à une proposition de loi sur la taxation des transferts entre clubs professionnels. Il s’est vu infliger un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal accompagné d’un retrait pour un mois d’un quart de son indemnité parlementaire[191].

 

Sans nullement porter d’appréciation sur l’opportunité des sanctions infligées, on incline à penser que ce type de mesures disciplinaires doit être envisagée avec la plus grande circonspection du moment qu’elle est de nature à limiter la liberté politique d’un élu.

 

Certes, ce problème ne peut normalement pas être soulevé devant les juridictions nationales. Le principe est en effet que les décisions à caractère disciplinaire des assemblées relèvent de la catégorie des actes parlementaires insusceptibles de recours en annulation devant la juridiction administrative. Mais cette immunité juridictionnelle n’interdit pas, comme cela a été récemment rappelé en doctrine[192], de poser le problème de fond que posent de telles peines disciplinaires.  Elles posent à notre sens un problème de compatibilité avec l’article 10 CEDH. Mais plus largement, elles posent la question de la liberté de l’activité politique d’un élu dans un régime républicain. Dans un tel contexte, il y a des actions ou des paroles méritant d’être réprimées disciplinairement. Mais il y en a beaucoup qui relèvent de la simple expression politique, laquelle doit rester aussi libre que possible y compris lorsqu’elle est dérangeante ou de mauvais goût. Est-il permis d’ajouter qu’en de telles matières, loin de délégitimer la pratique réprimée, la sanction disciplinaire est susceptible de renforcer la position du « contrevenant » et de lui apporter de nouveaux arguments au soutien de son combat politique ? L’illicéité juridique peut ne pas entrainer l’illégitimité politique. C’est souvent le contraire qui se produit.

 

L’analyse en termes de conventionnalité et celle en termes de conformité à nos principes constitutionnels nationaux convergent au moins en partie : « il peut sembler (…) fort curieux d’exiger des parlementaires d’être neutres alors qu’ils sont élus sur la base d’un programme politique, par nature orienté, et pour le mettre en œuvre (…). Ces interdictions ne constituent-elles pas, comme l’a récemment rappelé la Cour Européenne des droits de l’homme affaire Karacsony et autres c. Hongrie, 17 mai 2016 des limitations disproportionnées de la liberté d’expression des parlementaires »[193]. Il faut cependant rappeler que la Cour reconnait une « marge d’appréciation étendue » aux États en la matière, même si elle s’autorise à contrôler la proportionnalité de la sanction et l’existence de « garanties procédurales adéquates »[194].

 

Le texte servant de fondement juridique aux sanctions infligées occupe, en proportion de l’importance de la limitation apportée à la liberté d’expression des parlementaires, une place assez peu élevée dans l’ordre juridique. Il s’agit en effet de l’Instruction Générale du Bureau, et en particulier de son article 9 issu de la rédaction nouvelle adoptée par cet organe le 24 janvier 2018[195]. Le hiatus entre les principes mis en cause et la valeur normative réduite du texte opérant cette remise en cause – qu’on la juge ou non adéquate, d’ailleurs – est assez apparent. L’instruction Générale du Bureau échappe d’ailleurs, dans le silence de la Constitution, au contrôle obligatoire que le Conseil constitutionnel opère sur le règlement de votre Assemblée : de minimis non curat praetor, pourrait-on dire, mais en l’occasion, ce n’est justement pas exact si ce texte limite par trop la liberté d’expression des députés.

 

Pour autant, on ne préconise pas ici une réforme située à un niveau constitutionnel, voire législatif. Ce qui a été fait par l’Assemblée dans le cadre de son autonomie constitutionnelle pourrait tout à fait être changé par elle dans son propre règlement, voire par une rédaction nouvelle de la disposition contenue dans l’Instruction Générale du Bureau. Et dans cette attente, un simple assouplissement de la pratique de ce texte serait probablement suffisant.

 

2)        Élargir les compétences de la déontologue en matière disciplinaire

 

Dans sa jurisprudence relative aux immunités parlementaires, la Cour Européenne des droits de l’homme a insisté sur deux aspects : la nécessité pour le droit national applicable d’assurer des « garanties procédurales adéquates » (cf. la jurisprudence citée infra), et l’autonomie des assemblées parlementaires en la matière[196].

 

La réconciliation de ces deux exigences ne va pas de soi. La solution retenue dans certains Etats membres a consisté dans le fait de transférer une partie des pouvoirs d’investigation et de sanction à une autorité indépendante.

 

C’est le cas au Royaume Uni avec l’intervention de l’IPSA (Independent Parliamentary Standards Authority). Cette autorité est assistée d’une « compliance officer » qui est habilité par la loi à procéder à des investigations dans le domaine des salaires et des dépenses des parlementaires. Cette procédure, mise en place pour faire face à des abus en matière de remboursements de frais de mandats n’a pas été exempte de critiques quant à son efficacité. En 2010, la Chambre des Communes a de fait récupéré une partie de son autonomie concernant la déontologie des parlementaires en matière financière (Constitutional Reform and Governance Act 2010) mais s’est vu retirer par le législateur le pouvoir de fixer les salaires de ses membres[197].

 

On pourrait s’interroger sur l’opportunité de créer une autorité comparable en France. Mais le principe cardinal doit à mon sens demeurer l’autonomie disciplinaire de chaque chambre. De ce point de vue, si une amélioration des garanties procédurales – consistant par exemple dans la création de voie de recours internes aux assemblées, sur le modèle existant déjà au Parlement Européen (article 177 du règlement de cette institution[198]) – serait opportune, il ne semble pas souhaitable de conférer en la matière une compétence à des autorités extérieures – comme le Conseil constitutionnel. L’atteinte à l’autonomie parlementaire serait en effet excessive[199]. Il est à remarquer par ailleurs que ce rôle est d’ores et déjà joué par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

 

Une manière de réconcilier les deux exigences conventionnelles (existence de garanties procédurales adéquates et autonomie parlementaire) pourrait toutefois consister à étendre les pouvoirs de la déontologue en matière disciplinaire. Pour le moment, la déontologue n’a pas de pouvoir général d’intervention en matière disciplinaire. En l’état du droit applicable, l’article 80-4 RAN prévoit que lorsque la déontologue constate un manquement au code de déontologie des députés, elle doit en informer le Président de l’Assemblée nationale ainsi que la ou le député(e) concerné. A défaut pour l’intéressé(e) de se conformer aux recommandations de la Déontologue, le président de l’Assemblée nationale doit saisir le Bureau pour qu’il statue sur ce manquement et décide, le cas échéant, d’appliquer une sanction disciplinaire[200].

 

Cette compétence n’a eu lieu d’être exercée, pour le moment, que dans des domaines importants, mais relativement circonscrits. Il s’agit en particulier des conflits d’intérêts et de la lutte contre le harcèlement. Dans le cadre de l’extension progressive des pouvoirs de la déontologue, il pourrait être envisagé de faire de cette autorité l’organe d’instruction de droit commun en matière de poursuites disciplinaires, hormis bien entendu les cas où les sanctions sont infligées de manière immédiate, par exemple en cours de séance. Cette extension des pouvoirs de la déontologue supposerait naturellement de doter cette autorité des pouvoirs d’instructions nécessaires, mais aussi des moyens (budget, personnels rattachés) adaptés à ces compétences nouvelles.

 

3)        Vers une procédure parlementaire de destitution[201] ?

 

Si la parole politique doit rester aussi libre que possible, certains comportements ne sont pas pour autant acceptables, que ce soit de la part de parlementaires ou de citoyens ordinaires. Ils sont même plus répréhensibles encore de la part de titulaires de hautes fonctions publiques et de représentants de la Nation. La politique ne justifie en effet pas tout, ni verbalement (insultes ou appels à la violence) ni du point de vue des comportements. Nous entrons pourtant dans des temps de retour de la virulence rhétorique dans le domaine politique, et les pratiques parlementaires dans des pays voisins (comme l’Italie, voire le Royaume Uni en ces temps de Brexit) n’incitent pas à l’optimisme[202].

 

La discipline parlementaire semble un excellent moyen pour le Parlement de montrer aux citoyens qu’il n’a pas plus de tolérance qu’eux pour des pratiques que le mandat parlementaire ne saurait en aucun cas justifier ou exonérer. On pourrait à mon sens concevoir un équivalent pour les parlementaires de la procédure de destitution prévue par l’article 68 de la Constitution en ce qui concerne le président de la République : en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » un député pourrait être destitué. La destitution serait prononcée par chaque chambre (car il semble fort difficile qu’elle soit décidée de l’extérieur) avec des garanties procédurales protégeant les droits de la défense et au terme d’un vote à une majorité qualifiée suffisamment forte (par exemple des 3/5e) pour garantir que la destitution ne soit pas un acte partisan.

 

On a pu constater, à la suite de faits divers d’une particulière gravité, que la découverte de faits susceptibles de condamnation pénale de la part de parlementaires posait un problème quant à leur maintien dans l’assemblée à laquelle ils appartiennent. Une telle procédure – par nature exceptionnelle – pourrait y remédier. Il est bien clair que ce procédé reviendrait sur la tradition française dans laquelle le ou la député (e) élu(e) ne peut se voir retirer son mandat que par l’électorat lui-même à l’occasion d’une élection politique. Je ne pense pas que ce soit là un problème insurmontable. Les mécanismes du type de celui de l’article 68 sont des réponses à la mutation de la moralité politique collective. Nos concitoyens n’admettent plus tous les comportements de la part de leurs élus. L’opinion n’a plus de tolérance pour des fraudes ou des malversations manifestes, pour des propos inacceptables, des violences graves à la personne, ou toute autre action de nature à porter une atteinte grave à l’honorabilité des élus et à celle de leur assemblée. La non-réélection éventuelle ne suffit pas à les punir, sinon indirectement.  La possible réélection ne les exonère pas plus. La destitution, décidée par une large majorité d’une assemblée serait un acte de censure qui dépasse le fait partisan et le combat politique pour sanctionner de tels actes. Elle peut être, plus simplement, un moyen d’exprimer dans toute sa rigueur l’exigence éthique qui pèse sur l’action politique.

 

S’il existe aujourd’hui – à en croire les sondages d’opinion - un danger croissant de retour de l’antiparlementarisme, de la défiance envers les élus, voire des idéologies anti-démocratiques, c’est aux Assemblées parlementaires qu’il revient d’être les premières, par leur exemplarité, à combattre ces fléaux.

 

  1. L’INVIOLABILITÉ

 

J’en viens à ma dernière série de développements touchant à l’inviolabilité. N’étant nullement spécialiste des aspects de procédure pénale, je parlerai avec une certaine prudence, mais je voudrais dire une chose assez simple : ce n’est pas que la procédure actuelle me paraisse mal organisée (1) c’est que, par-delà certains aménagements qui pourraient se révéler opportuns (2), son existence même suscite des ambiguïtés difficilement surmontables (3)

 

1)     La procédure actuelle ne soulève pas de graves difficultés

Il faut d’abord souligner que le nombre de demandes de levées d’immunité est assez réduit.

Sauf erreur de ma part, le décompte s’élève à 25 levées d’immunité pour les deux assemblées parlementaires depuis 1995. La suspension des mesures judiciaires est une pratique encore plus rare. Il faut ensuite insister sur la nature exacte de la procédure. Le Bureau a pour seul rôle de se prononcer sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande. Il ne porte d’appréciation ni sur la qualification pénale, ni sur la réalité des faits invoqués dans la demande d’autorisation. Au demeurant, le bureau n’a pas à sa disposition un dossier judiciaire complet, mais seulement la demande de levée d’immunité que lui adresse le parquet.

Il semble par ailleurs que le bureau de votre Assemblée a adopté une « jurisprudence » relativement souple, soucieuse de ne pas donner le sentiment que les élus échappent à la justice ordinaire. Ainsi dans deux cas récents, le bureau a décidé la levée de l’immunité pour une mesure de garde à vue. D’abord concernant, en 2015, le député Philippe Briand (affaire dite « Bygmalion »). Ensuite, en Juillet 2018, le bureau a prononcé "à l'unanimité" la levée de l’immunité du député Thierry Solère, soupçonné de fraude fiscale.

Par ailleurs, et comme le montre aussi le précédent exemple, l’idée que l’autorité judiciaire est prompte à souhaiter obtenir la levée de l’immunité n’est pas toujours fondée. Ainsi, dans le cas de la levée de l’immunité du député Gilbert Collard en 2017, si le bureau a été conduit à se prononcer, c’est que l’élu avait refusé de se rendre à une convocation du juge. Il avait donc fait l’objet d’un mandat d’amener et d’un mandat de comparution, ce qui s’apparentait dès lors à une mesure privative de liberté.

2)     Certains ajustements peuvent néanmoins être envisagés

 

a)      Le calendrier

La question de la rapidité des procédures de levée a été parfois soulevée : ex. de l’instruction « à géométrie variable » des deux demandes dans l’affaire Boucheron : très lente en 1990, très rapide en 1992, et la levée d’immunité étant prononcée quelque peu à contre-tems, alors que l’intéressé était en fuite à l’étranger et avait quitté son parti de rattachement[203]. Les mêmes interrogations ont été soulevées s’agissant de la levée d’immunités de Bernard Tapie en en 1994 à deux jours de la fin de la session[204].

b)     La procédure

 

Il faut distinguer la phase de saisine et la procédure interne à l’assemblée

 

- la saisine par le parquet a pu poser problème dans le passé. Par exemple dans l’affaire « Pradille » intervenue en 1994 devant votre assemblée sœur du Palais du Luxembourg, il a fallu que le parquet soumette quatre demandes successives pour que le Sénat se considère comme valablement saisi[205] La procédure avait achoppé car elle n’émanait pas du procureur général concerné et n’avait pas été transmise par le Garde des Sceaux.

 

- à ma connaissance, la procédure au sein de votre Assemblée, régie par l’article 16 de l’instruction générale du Bureau, est assez peu contraignante et ne comporte pas d’instruction à proprement parler. L’impératif de rapidité, requis par la nécessité de ne pas entraver la procédure judiciaire, justifie cet état de choses.

c)      La transparence : motivation et publicité

 

On sait qu’avant 1995 la levée d’immunité était, en cours de session, débattue en séance publique, ce qui conférait à cette procédure une publicité jugée en général assez néfaste. Toutes les demandes, y compris très peu sérieuses, étaient examinées, probablement par crainte de paraître en écarter certaines pour des motifs purement politiques. La pratique actuelle du bureau, qu’il faut apprécier au regard du caractère limité de l’appréciation portée par cet organe, ne semble pas justifier d’être remise en cause.

 

Il en va de même pour la motivation des décisions. Elle a pu être jugée trop sommaire, notamment dans le cas des refus de levée. Mais d’un autre côté, le bureau a peu « de grain à moudre » : il n’est pas saisi de tout le dossier judiciaire, mais seulement de la demande de levée. Motiver plus sa décision irait dans le sens soit de la « pré-condamnation », soit au contraire de l’exonération prématurée.

 

Reste la question de la publication des décisions. Il serait envisageable que celle-ci se fasse de manière plus transparente et plus facilement accessible sur le site de l’Assemblée, avec un éventuel renvoi au site Légifrance.

 

d)     L’absence de recours

On peut aussi discuter le fait que le parlementaire n’ait pas de recours contre la décision du bureau. Mais il ne s’agit pas d’une décision sur le fond : elle ne porte pas d’appréciation sur le fond de l’affaire et ne vise qu’à lever éventuellement une garantie de procédure.

3)     Une procédure mal perçue par l’opinion, et qui pourrait être supprimée ?

Quoi qu’il en soit, le danger n’est pas tant la réalité du contrôle auquel se livre le bureau que la perception dont il fait l’objet : soit comme d’une pré-condamnation si la levée est adoptée (ce qui n’a pas manqué d’intervenir lors des derniers cas déjà recensés dans cette contribution), soit d’une exonération et d’une garantie d’impunité si elle est refusée.

Au total, je ne dirais pas que la procédure actuelle pèche gravement. Je dirais que ses ambiguïtés profondes qui tiennent à la rencontre de deux institutions dont les relations sont nécessairement complexes (assemblées d’un côté, juridictions de l’autre) ne permettent pas de parvenir une procédure idéale. Tout cela fait penser à une réponse célèbre du Dr Freud à des parents inquiets de ce qu’il leur fallait dire à leurs enfants pour assurer leur santé mentale : « dites tout ce que vous voulez, de toute façon ce sera mal ». On pourrait dire ici : « faites aussi bien que vous voulez, l’opinion y trouvera à redire ».

La suppression serait à bien des égards la meilleure solution. Elle a été préconisée par les spécialistes de la question, en particulier le professeur Cécile Bargues dans son étude de référence sur cette question.

Il est couramment admis que l’inviolabilité a pour finalité de garantir « le fonctionnement normal des assemblées, en évitant que l’exercice de la fonction élective soit entravé par des poursuites abusives » ayant pour objet « d’empêcher les élus d’exercer leur mandat et de participer aux travaux de l’assemblée »[206]. Pourtant, comme l’a brillamment démontré le professeur Bargues, cet argument ne tient pas : « le régime représentatif (…) s’accommode fort bien de l’absence d’un ou plusieurs députés dans la mesure où chacun d’entre eux est censé représenter la nation tout entière »[207].

 

Les députés peuvent s’émouvoir de la possible vindicte de tel ou tel magistrat judiciaire contre l’un d’entre eux. Mais hormis quelques coups d'éclat, le problème est resté relativement marginal. Qui plus est, il ne semble pas que l’inviolabilité ait pu véritablement servir de protection contre des mesures judiciaires dont les motivations auraient été clairement politiques. En revanche l’opinion publique ne comprend pas toujours bien la raison d’être de levées d’immunité intervenues dans des affaires largement médiatisées.

 

De plus, dès lors que la levée d’immunité est limitée aux mesures privatives ou restrictives de liberté depuis 1995, les garanties de droit commun paraissent suffisantes.  Je note d’ailleurs que lors de la réforme de 1995, votre assemblée avait été la plus audacieuse puisqu’en première lecture elle avait voté en faveur de la restriction de l’inviolabilité aux seules mesures de contrôle judiciaire : c’est le gouvernement qui avait élargi l’inviolabilité aux mesures « privatives ou restrictives de liberté ». Le Sénat avait, pour sa part, voulu l’étendre aux mesures de poursuite intervenant en période de session[208].

 

Au total, les assemblées gagneraient à ne pas intervenir dans la procédure judiciaire. Ajoutons pour conclure que de grandes démocraties, comme le Royaume Uni, les États-Unis et bien d'autres, se passent sans difficulté majeure de ces mécanismes.

 

 

*

 

Denis Baranger

Professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas – Paris 2

Directeur de l’Institut Michel Villey

 


—  1  —

Contribution de M. Olivier Beaud, professeur de droit public
à l’Université Paris II Panthéon-Assas

ASSEMBLEE NATIONALE – MISSION DINFORMATION SUR LIMMUNITÉ PARLEMENTAIRE

 

Messieurs les députés,

 

Arrivant le dernier dans un débat déjà bien balisé par les remarquables études des professeurs Baranger et Bargues, je ne vais pas procéder comme ils l’ont fait, c’est-à-dire en suivant l’ordre de questions posées par les honorables parlementaires. Ce serait faire un exposé redondant avec le leur, ce qui n’aurait pas grand intérêt. Il nous semble plus judicieux de discuter librement certaines propositions de réforme qu’ils suggèrent.

 

I – De deux propositions originales concernant le couple de l’irresponsabilité parlementaire et du pouvoir disciplinaire

 

A/ La question de l’étendue de l’irresponsabilité parlementaire

 

Avant d’évoquer les propositions

 

Denis Baranger propose une innovation importante qui serait d’étendre l’irresponsabilité parlementaire aux propos tenus par les députés en dehors de l’enceinte parlementaire. Il fonde son opinion, d’une part, sur son idée de redéfinir le fondement de l’immunité parlementaire qui serait désormais la liberté de la parole politique de l’élu, et, d’autre part, sur le constat selon lequel le forum politique s’est déplacé en dehors de la « tribune » de l’assemblée pour essaimer dans les divers médias et dans les réseaux sociaux. Il montre bien que la jurisprudence Forni est dépassée et qu’elle a d’ailleurs été remise en cause, la jurisprudence de la CEDH jouant le rôle de l’aiguillon, par l’arrêt Vanneste. À cette proposition originale, Cécile Bargues oppose une objection de poids qui est l’argument selon lequel une telle extension de la portée de l’irresponsabilité parlementaire n’aurait pas de contrepartie dans le pouvoir disciplinaire de la chambre. On pourrait aussi ajouter comme objection l’argument sceptique, par excellence, qui consiste à soutenir qu’il est toujours difficile de savoir si un député qui s’exprime publiquement en dehors de l’enceinte parlementaire, s’exprime en cette qualité ou en celle de simple « citoyen ».

 

Il nous semble que l’on peut tenter une synthèse entre ces deux positions en complétant l’extension de l’irresponsabilité parlementaire aux opinions émises en dehors du Parlement comme lieu physique (le Palais-Bourbon) par une extension du pouvoir disciplinaire de la Chambre sur ses membres qui auraient abusé de leur liberté de parole en dehors de l’enceinte parlementaire. Rien ne nous semble s’opposer à une telle extension dès lors, d’une part, que les propos tenus en dehors de l’enceinte parlementaire soient en rapport avec le mandat parlementaire exercé et, d’autre part, que ce contrôle disciplinaire porterait sur des propos politiques tenus dans des médias ou sur des réseaux sociaux par un député. Dès lors que ces propos se rattachent à son activité de parlementaire, il n’y a aucune raison logique de refuser l’exercice du pouvoir disciplinaire pour sanctionner les abus de la liberté d’expression.

 

Le problème paraît plutôt se situer ailleurs, c’est-à-dire dans la faible utilisation du pouvoir disciplinaire par les Chambres. Les rares fois où ce dernier est utilisé, il ne l’est pas toujours à bon escient, comme le prouvent les exemples avancés par Denis Baranger. Qu’on puisse déclencher une procédure disciplinaire et sanctionner un député (rappel à l’ordre avec inscription à l’ordre du jour) parce qu’il a refusé d’appeler la présidente de séance « Madame la présidente » laisse un peu rêveur !... Plus sérieusement, la raison profonde du faible recours aux sanctions disciplinaires paraît provenir d’un comportement très ancré dans la mentalité française qui est celui du « corporatisme ». Il irrigue toute la société française. Pourquoi le Parlement en serait-il indemne ? Celui-ci implique non seulement une défense exacerbée du corps lorsqu’un de ses membres est attaqué de l’extérieur, mais aussi une regrettable timidité lorsqu’il s’agit de condamner l’un des membres de la corporation à laquelle on appartient et qui se serait mal comporté à l’intérieur de l’institution.

On notera cependant un changement important qui est la pratique désormais courante de sanctions financières pour les parlementaires qui font preuve d’un absentéisme constant et massif. C’est une évolution heureuse et nécessaire.

 

B/ Faut-il accorder un pouvoir de destitution à la Chambre sur ses membres ? 

 

 Beaucoup plus délicate est la question de savoir si l’on peut, au nom du pouvoir disciplinaire de l’assemblée, aller jusqu’à prononcer la destitution d’un député en raison d’actes manifestement incompatibles avec sa fonction, comme le propose Denis Baranger. L’analogie avec la destitution présidentielle prévue à l’article 68 de la Constitution est évidente, mais c’est surtout l’idée d’imposer une exigence éthique aux parlementaires (aux gouvernants en général) qui légitimerait une telle réforme, une telle exigence n’étant d’ailleurs pas toujours perçue par les électeurs qui parfois réélisent des élus condamnés par la justice. Dans ce cas précis, le pouvoir disciplinaire de la Chambre aurait pour avantage de faire sanctionner sévèrement et rapidement un député sans attendre le résultat d’une procédure pénale toujours bien plus longue. Il peut en effet apparaître choquant qu’un Patrick Balkany ait pu rester député de 1988 à 2017 alors même qu’il était déjà impliqué dans plusieurs affaires judiciaires importantes.

 

Une telle hypothèse de sanction corporative n’est pas inconnue des universitaires dont certains d’entre eux ont été révoqués par la juridiction disciplinaire (le CNESER disciplinaire), avant même d’avoir été condamnés par la juridiction pénale. Ce serait l’équivalent qui serait ici proposée avec une telle procédure de destitution d’un député par « sa » Chambre. Si l’idée devait être creusée, elle gagnerait probablement d’être étoffée sur un point central qui est celui de l’initiative : qui pourrait demander la destitution d’un député ? Si on la restreint aux seuls parlementaires, le risque « corporatiste » ne pourrait-il pas resurgir ?

 

Mais la véritable difficulté selon nous gît dans le danger d’une toujours possible instrumentalisation politique. Certes, pour éviter le danger de « l’acte partisan », Denis Baranger propose une majorité qualifiée des trois cinquièmes, nécessaire dans la Chambre, pour obtenir la décision de destitution. Mais une telle règle protégerait-elle les parlementaires membre de partis très minoritaires qui pourraient se voir poursuivis disciplinairement par une coalition de députés politiquement hostiles et qui voudraient s’en débarrasser par le biais d’une telle procédure ? Le risque est quand même présent. N’a-t-on pas, avec l’invalidation des élections décidée par la Chambre des députés, sous la IVe République un précédent qui prouve le risque que des procédures, apparemment objectives, soient dans la pratique détournées de leur sens ?

Plutôt que cette solution trop radicale, et donc trop dangereuse, ne serait-il pas plus prudent et plus réaliste de songer à une mesure de suspension provisoire qui aurait l’intérêt de montrer aux électeurs que les élus sont très conscients des exigences éthiques de leurs mandataires.

 

 

II – Faut-il supprimer l’inviolabilité parlementaire ?

 

Nos deux collègues (Denis Baranger et Cécile Guérin Bargues) se rejoignent sur un point décisif qui est leur proposition de supprimer l’inviolabilité parlementaire. Elle serait à la fois mal perçue par l’opinion publique, et mal fondée en droit car la nature du régime représentatif ne la justifie pas, le droit comparé prouvant à l’envi que des grandes démocraties représentatives, le Royaume Uni en premier, ne la reconnaissent pas de sorte qu’elle n’a aucun caractère de nécessité. Nous ne sommes pas complètement convaincus par tous ces arguments qui sont de nature différente.

 

Avant de démontrer pourquoi, il n’est pas inutile de revenir sur la nature de cette institution, un type d’immunité parlementaire parmi d’autres. Une bonne définition a été fournie par la chambre criminelle de la Cour de cassation en 1953 quand elle a écrit : « le principe de l’inviolabilité parlementaire , (..) a pour but, par la protection qu’il accorde aux membres du Parlement, dans l’exercice de leur mandat, d’assurer la dignité et l’indépendance de la représentation nationale »[209]. C’est une protection accordée à une personne, le parlementaire, pour qu’il puisse exercer librement son mandat, mais une telle protection est faite au bénéfice de l’institution elle-même, du corps appelé ici « représentation nationale » comme le voulait cette terminologie très IVe République. Toujours sous cette période, Julien Laferrière avait judicieusement mise en avant une donnée importante selon laquelle l’inviolabilité était encore plus dérogatoire au droit commun que le cas de l’irresponsabilité parlementaire : « Sans doute, cette immunité est-elle nécessaire, puisque presque toutes les constitutions la consacrent. Néanmoins, s’appliquant à des infractions de droit commun, elle présente un caractère exorbitant plus accentué que l’irresponsabilité à raison des discours et des votes. Elle constitue au profit des parlementaires une nette dérogation au principe de l’égalité devant la justice pénale et prend physionomie d’un véritable privilège qui, parfois, ne laissera pas d’être choquant. Les textes qui l’établissent sont donc à interpréter restrictivement. Mais il faut bien constater que, sur ce point, les assemblés cèdent facilement à la tendance naturelle de tout corps à comprendre largement les dispositions qui lui bénéficient, qu’elles inclinent parfois à étendre leur privilège au-delà des limites que la loi lui assigne »[210].

 

Ces lignes ont été publiées en 1947, depuis plus d’un demi-siècle. C’est peu dire que l’opinion publique d’aujourd’hui ne supporte plus ce « privilège » car elle perçoit l’inviolabilité comme foncièrement anti-démocratique, le dernier mot de la démocratie étant le principe d’égalité devant la loi, loi pénale en l’occurrence. Nous avons dénoncé ailleurs cette tendance sous le nom de « criminalisation du droit constitutionnel » ou encore sous l’appellation de « l’idéologie du droit commun »[211]. Nous n’y reviendrons pas, mais revenons plutôt sur l’argument du pouvoir de l’opinion publique. C’est ce dernier qui conduirait les députés à éviter de s’opposer à la levée de l’immunité parlementaire de sorte qu’à l’Assemblée nationale, il n’y a presque plus de refus opposé à des demandes de mainlevée de l’inviolabilité. Mais si le droit (art 26 C al. 2) n’est plus appliqué, alors à quoi bon abroger la règle constitutionnelle ? Elle devient ineffective et les opposants à l’immunité parlementaire ont gagné leur cause puisque la règle est inactivée.

 

Toutefois, n’est-ce pas le rôle des hommes politiques de pouvoir dans certains cas s’opposer à l’opinion publique quand ils le jugent utile ? Pour notre part, nous restons convaincus qu’ils auraient dû en 1993 s’opposer au jugement des membres du gouvernement dans l’affaire du sang contaminé alors que l’opinion publique, chauffée à blanc, l’exigeait. Avec le résultat que l’on connait : le procès a montré l’impasse dans laquelle on s’était enferré en l’organisant et l’opinion publique n’a pas été davantage convaincue après le procès. On ne peut donc pas exclure que, dans certains cas, l’opinion publique ait tort et qu’on lui « fasse » dire ce qu’on a envie qu’elle dise. Nous avions parlé à propos de l’action conjointe de la presse et des juges du « couple infernal » qui avait littéralement « formé » l’opinion publique dans le sens d’une sorte de condamnation avant la lettre des membres du gouvernement mis en examen par commission d’instruction de la Cour de justice de la République. Le procès avait remis les choses en ordre et avait révélé la fragilité des arguments accusateurs à tel point que le Parquet avait requis la relaxe. Si l’on pouvait donner un exemple de la tyrannie possible de l’opinion publique, on ne saurait en trouver un meilleur, du moins selon nous.

 

Bref, la résistance des parlementaires à des demandes manifestement infondées de levée d’immunité parlementaire ne devrait-elle pas toujours rester possible ? Par là même, le droit constitutionnel concède aux députés (aux parlementaires), une arme ultime qu’ils pourraient – devraient – utiliser en cas de besoin. C’est une ressource qu’ils doivent avoir à leur disposition et qu’on peut interpréter cela comme un exemple parfait de « checks and balances » si l’on imagine le cas possible d’un abus de pouvoir possible de la part de la justice et des justiciables (ceux qui la saisissent).

 

Il faut supposer, évidemment, que les parlementaires feront un usage raisonné et raisonnable dans cette prérogative. Cela n’a pas avoir été toujours le cas dans le passé. En effet, bien que le cas concerne le Sénat, on ne peut pas oublier que le Bureau de celui-ci a refusé en janvier 2014 de lever l’immunité parlementaire de Serge Dassault (avant de se raviser en juillet de la même année). Comme on le sait, depuis la révision de 1995, ce n’est plus l’assemblée plénière qui décide la mainlevée de l’immunité, mais le seul Bureau. Le cas Dassault prouve le danger d’une telle solution car les manœuvres en coulisses pour emporter une décision sont rendues plus faciles quand il s’agit d’un nombre restreint de parlementaires. C’est un argument parmi d’autres en faveur d’un retour à la solution antérieure à 1995. Sinon, on ne peut pas raisonner à partir d’une affaire comme l’affaire Dassault car il n’est pas du certain que les parlementaires useraient toujours aussi mal de cette prérogative.

 

B/ Le double argument — le plus important - pour justifier la suppression de l’inviolabilité parlementaire est tiré, d’une part, du droit comparé – pas de nécessité logique à avoir une telle immunité -, et d’autre part, de l’évolution des rapports entre la justice et la politique qui ne devrait plus faire craindre une immixtion du pouvoir exécutif dans l’exercice du mandat parlementaire. Rappelons ce qui a été évoqué par Cécile Guérin Bargues, à savoir l’origine de cette règle de l’inviolabilité parlementaire qui date de la Révolution française. Le Parlement français a peur que le pouvoir exécutif – le Roi à l’époque – ne s’immisce dans l’exercice du mandat parlementaire par l’intermédiaire de la justice, considérée comme son bras armé. Le raisonnement est resté inchangé jusqu’en 1958, même s’il était souvent passé sous silence. Ainsi, ce qui est au cœur de cette institution en France, c’est la méfiance envers la justice que l’on estime non indépendante car subordonnée au pouvoir exécutif.

 

La question qui se pose est donc la suivante : est-ce que les parlementaires ont encore des raisons de se méfier des juges ? Selon l’opinion de Cécile Bargues, explicitement exprimée, la réponse devrait être négative. Le temps de la défiance des hommes politiques envers les juges serait dépassé car la justice aurait atteint une sorte de maturité et d’indépendance qui lui a longtemps fait défaut.

 

Malgré d’incontestables progrès en la matière, il ne nous semble pas possible d’être aussi optimiste. D’une part, la dépendance des magistrats du Parquet envers le pouvoir exécutif demeure bien la réalité. Ils sont placés sous l’autorité hiérarchique du Garde des Sceaux et ils ont un statut moins protecteur que les magistrats du siège en raison des règles propres qui régissent leur statut pour la carrière. Comme on le sait, la CEDH a refusé de les considérer comme des « juges » au sens de la Convention. Certes, nous n’ignorons pas le fait qu’il est désormais interdit au Garde des Sceaux de donner des instructions individuelles au Parquet selon la jurisprudence dite « Guigou » qui a été inscrite dans l’article 30 du code de procédure pénale depuis la loi du 25 juillet 2013[212]. Mais on ne peut jamais exclure que, à l’avenir, la pratique vienne démentir ou contredire cette règle dont l’observance repose sur la vertu des gouvernants. Or, faut-il rappeler que le droit constitutionnel est en lui-même un acte de défiance à l’égard des gouvernants qui « ne sont pas des anges », comme l’avait sagement relevé Madison ?

 

D’autre part, en ce qui concerne cette fois les magistrats du siège, les « juges » au sens de la CEDH, le problème n’est pas forcément celui de leur indépendance. On sait qu’ils la manifestent de plus en plus. Le problème se situe selon nous ailleurs, et concerne le déclenchement de l’action publique par les plaintes avec constitution de partie civile. Dans de nombreux cas, cette règle a permis de lutter efficacement contre des abus des gouvernants - des cas de « criminalité gouvernante » » - puisqu’elle a permis de contourner le Parquet qui avait tendance à « enterrer » les affaires compromettantes. Mais il est tout aussi vrai que de telles plaintes ont parfois été l’occasion de règlement de comptes politiques qui ont emprunté la voie judiciaire. Ce fut le cas pour les nombreuses affaires liées au financement des partis politiques dans lesquelles soit des luttes fratricides entre partis, soit des luttes entre partis politiques opposés à l’occasion des alternances politiques (gauche/droite) ont débouché sur des procès instruits par des juges d’instruction et ont parfois abouti à de vraies proscriptions politiques.

 

On nous rétorquera que les juges d’instruction qui ont instruit ces affaires (souvent devenus des « stars médiatiques », hélas selon nous) étaient réellement indépendants à l’égard du pouvoir et que c’est la raison pour laquelle ils ont fortement déplu audit pouvoir. Jean-Pierre Royer, le grand historien de la justice, a même forgé une belle expression, celle des « juges-sauveurs », pour décrire leur ethos et leur engagement en faveur du droit. Ils allaient sauver la démocratie par leur action résolue contre la corruption et la criminalité gouvernante. La France aurait connu une sorte d’équivalent de Manu Pulite, mains propres, menée en Italie par des juges intègres, dont certains ont payé de leur vie la lutte contre la Mafia (on songe au juge Falcone, bien sûr).

 

 Il n’est pas certain, cependant, que la vision manichéenne opposant les « bons » juges aux « « mauvais » politiques ou parlementaires soit entièrement conforme à la réalité. Il nous semble au contraire que la position exprimée par Pierre Avril, lors de la soutenance de thèse de Cécile Guérin Bargues soit plus proche de la réalité : « Il y a eu des abus considérables par les parlementaires de la protection dont ils bénéficient. Mais y a en face la protection de l’institution parlementaire contre des tentatives d’usurpation de la part du corps judiciaire. »  On parle souvent des abus des hommes politiques, moins de ceux des juges. L’affaire du « mur des cons » reste une tache dans l’histoire du Syndicat de la magistrature tandis que l’actuelle enquête disciplinaire vise le vice-président du TGI de Paris qui a déposé contre Richard Ferrand une plainte avec constitution de partie civile en tant que président d’une association (Anticor) — alors même que l’affaire devait être instruite dans le ressort de sa juridiction qu’il co-préside !... laissant planer un doute inévitable sur l’impartialité au sens très exigeant que lui attribue la CEDH — laisse penser que certains magistrats s’autorisent quand même de curieux comportements – sans préjuger du bien-fondé ou non de la plainte en question. On pourrait citer d’autres exemples, plus anciens, pour montrer que toute comme corporation, la magistrature n’est pas infaillible.

 

Par conséquent, compte-tenu de ces faits, il nous paraît aujourd’hui comme hier, assez irréaliste, voire imprudent, d’abandonner la protection des parlementaires existant sous la forme de l’inviolabilité.

 

Par ailleurs, l’argument du droit comparé nous paraît réversible : si les Anglais ont abandonné l’inviolabilité parlementaire, c’est aussi parce qu’ils ont un système judiciaire et pénal qui reste globalement (il y a des ratés aussi outre-Manche) plus protecteur pour les justiciables. Or, en France, on est encore loin du compte et l’arbitraire judicaire n’est pas un vain mot. C’est pour cela que nous reprenons, sans rien en changer, la conclusion de notre préface à la thèse de Cécile Bargues « C’est seulement le jour où tous les citoyens, gouvernants et gouvernés, auront des garanties effectives de leur liberté contre les actions de la justice que l’on pourra envisager, plus sereinement le cas des immunités parlementaires et songer à les faire disparaître ce qui apparaîtra, une fois qu’on aura un droit pénal digne de respect, comme un anachronisme inadmissible. »[213]

 

Il faut bien comprendre la portée de ce que signifierait la fin de l’inviolabilité parlementaire ; le principe d’égalité devant la loi l’aurait alors emporté sur le droit constitutionnel des immunités parlementaires. Il s’agirait d’un renversement complet de perspective si l’on se rappelle de ce qu’écrivait Gérard Soulier de l’inviolabilité parlementaire : il faut la considérer non pas « comme une exception au principe d’égalité devant la loi », mais comme « une institution fondamentale du système constitutionnel devant lequel le reste du droit doit céder : l’exception, c’est alors la soumission du parlementaire au droit commun, et non ce qui apparaît comme une situation privilégiée »[214].

 

On objectera qu’il y a de nombreux abus sous la Ve République et que l’opinion publique s’est lassé des scandales qui ont émaillé les débats sur les levées de l’immunité. Denis Baranger a raison de rappeler les épisodes Tapie et Boucheron qui n’ont pas amélioré l’image que les Français avaient de la classe politique. On peut rajouter le cas de Serge Dassault évoqué plus haut. Mais il n’est pas interdit de rappeler le débat qui eut lieu sous la IIIe république qui opposait, au sein des parlementaires ceux qui considéraient que la présomption jouait en faveur de l’autorisation de poursuites judiciaires (autrement dit la levée de l’inviolabilité parlementaire) et ceux qui estimaient, au contraire, que le refus de la levée devait être présumé au motif du pouvoir discrétionnaire de la Chambre (Joseph Barthélémy). Pour éviter les abus, toujours possibles, ne devrait-on pas rappeler la règle défendue par ceux qui plaidaient la cause d’une interprétation restrictive de l’inviolabilité parlementaire : « l’assemblée doit uniquement rechercher si les poursuites qu’on lui demande d’autoriser sont des poursuites tracassières, inspirées par des rancunes personnelles ou par la passion politique, dont le but serait d’entreprendre sur l’indépendance du parlementaire. Sinon, elle doit autoriser. »[215] Ainsi, comme toute règle dérogeant au droit commun, l’inviolabilité parlementaire doit être restrictivement interprétée. Il nous paraît que c’est plutôt dans cette direction qu’il convient de se diriger plutôt que d’aller dans le sens plus radical de la suppression de l’immunité elle-même. Une telle mesure serait vraiment aventureuse, surtout à l’époque actuelle où le risque d’en revenir à des pratiques autoritaires est – hélas - aujourd’hui un peu moins improbable qu’hier.

 

 

Bref, bien que, de nos jours, cette défense de l’inviolabilité parlementaire ne soit guère « tendance » ou « populaire », nous persistons à penser que, dans « l’état actuel du droit public et du droit pénal » il y aurait davantage à perdre qu’à gagner en la supprimant.

 

Olivier Beaud

Professeur à l’Université de Panthéon-Assas

 

 


—  1  —

Contribution de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public
à l’Université Paris II Panthéon-Assas

 

Mission d’information sur l’immunité parlementaire

Audition du 11 septembre 2019

 

 

 

Votre mission d’information a souhaité nous entendre, le Pr. Olivier Beaud et moi-même, sur les immunités parlementaires. Je tiens à titre liminaire à remercier Messieurs les co-rapporteurs pour cette invitation et à saluer l’initiative de la commission des lois. La mise en place de cette mission participe à la construction d’une réflexion institutionnelle de la Chambre  qui est l’une des manifestations du principe d’autonomie des assemblées et qui mérite, à ce titre, d’être saluée[216].

 

La feuille de route très précise que vous nous avez soumise, a pour principale qualité d’aborder chacune des deux immunités parlementaires : l’inviolabilité et l’irresponsabilité. C’est d’autant plus heureux que la tendance habituelle est plutôt à se focaliser soit sur la notion d’immunité parlementaire en général (oubliant alors qu’il y a deux immunités bien distinctes), soit à se concentrer sur l’inviolabilité, alors même que les effets de l’irresponsabilité sont infiniment plus vigoureux. L’irresponsabilité est un peu le parent pauvre de la réflexion relative aux immunités parlementaires. Cette tendance à oublier l’irresponsabilité s’est d’ailleurs manifestée lors de la mise en cause de F. Fillon. Celles et ceux qui ont contesté les poursuites, au nom soit d’un principe de séparation des pouvoirs mal conçu, soit d’un principe d’indépendance du mandat mal défini, touchaient notamment aux limites de l’irresponsabilité, mais sans jamais le reconnaitre. Cette prudente réserve s’explique en réalité aisément, l’article 26 alinéa 1er pouvant difficilement être invoqué en l’espèce[217]. S’il interdit en effet jusqu’à l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre du parlementaire, il ne protège que les actes qui sont au cœur même de la fonction parlementaire et plus précisément les « opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

 

On ne saurait donc parler de l’immunité parlementaire en général et je serais donc bien en peine de vous présenter, comme nous y invite pourtant votre questionnaire, les caractères généraux de l’immunité parlementaire. Tout au plus peut-on affirmer qu’irresponsabilité et inviolabilité présentent deux éléments communs.

D’une part, elles désignent un traitement exorbitant du droit commun, au nom d’une différence de situation considérée comme suffisamment importante par l’ordre juridique, pour justifier une dérogation au principe de l’égalité devant la loi.

D’autre part, elles ont une dimension institutionnelle. À travers la personne, c’est l’institution qui bénéficie d’une protection. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on distingue le titulaire du bénéficiaire de l’immunité. Si le parlementaire bénéficie en pratique de l’immunité, seul son titulaire, c’est à dire l’assemblée peut y déroger (par exemple, en décidant de lever l’inviolabilité). 

 

 Toutefois, au-delà de ces caractéristiques communes, les immunités parlementaires ne forment pas un ensemble homogène. Tel sera l’objet du premier point sur lequel je souhaite ici insister (I). Puisque l’immunité parlementaire n’existe pas, on peut parfaitement traiter de manière distincte chacune des immunités parlementaires.  Il me semble d’ailleurs que si l’irresponsabilité nécessite d’être protégée (II), il n’en va pas de même de l’inviolabilité, dont le Parlement français pourrait sans doute se passer (III).

 

I. Deux immunités bien distinctes

 

Inviolabilité et irresponsabilité se distinguent tant par leurs objets (A) que par leurs effets (B).

 

  1. Objets et buts

 

L’irresponsabilité s’applique aux actes qui sont au cœur même de la fonction parlementaire puisqu’il s’agit, aux termes de l’article 26 alinéa 1er, de soustraire à tout acte juridictionnel les « opinions ou votes » émis dans l’exercice des fonctions parlementaires.  Elle a donc vocation à garantir la liberté d’opinion du parlementaire.

 

L’inviolabilité en revanche n’a pas vocation à s’exercer sur les actes qui sont au cœur même de la fonction parlementaire, ces derniers bénéficiant déjà de la protection absolue de l’irresponsabilité. En soumettant les mesures privatives ou restrictives de liberté pour les faits extérieurs aux fonctions parlementaires à autorisation du bureau de l’assemblée concernée, elle cherche avant tout à assurer au parlementaire la possibilité d’être présent au sein de la chambre.

 

La révision de l’article 26 de la Constitution, consécutive à l’adoption de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, a d’ailleurs abouti à accentuer la distinction entre les deux immunités. Les autorisations de poursuite ayant été supprimées, l’inviolabilité n’a plus pour objectif complémentaire de protéger la liberté d’esprit des parlementaires, mais bien de garantir leur capacité à être physiquement présents au sein de l’hémicycle.

 

L’inviolabilité protège donc à la capacité à siéger du parlementaire, tandis que l’irresponsabilité garantit qu’il puisse le faire librement.

 

  1. Nature et effets

 

L’irresponsabilité, qui s’applique à l’exercice des fonctions parlementaires, s’analyse comme une immunité de fond. Cela signifie qu’aucune poursuite n’est possible, alors même que les faits commis présentent les caractères d’une infraction pénale. Le droit subjectif du demandeur a beau être parfaitement fondé - il a par exemple été effectivement diffamé par des propos tenus à la tribune de l’assemblée -  l’action juridictionnelle est paralysée par la suppression de l’élément légal de l’infraction, tant à l’égard du parlementaire, que de ses éventuels complices (par exemple, un assistant servant de plume au parlementaire). L’exemption des mesures est ici absolue - sous réserve toutefois des sanctions disciplinaires prises par l’assemblée concernée - et perpétuelle, puisqu’elle survit à la fin du mandat. 

 

L’inviolabilité se présente en revanche comme une immunité procédurale, qui protège, provisoirement, les parlementaires de l’imposition de mesures de privatives ou restrictives de liberté par le juge, en soumettant ces dernières à autorisation préalable du Bureau de l’assemblée concernée. L’exemption des mesures est ici relative et temporaire : susceptible d’être levée pendant la durée du mandat, elle disparaît au terme de celui-ci.

 

Profondément distinctes, par leur fondement, leur histoire et leur régime juridique, ces deux immunités n’ont pas à être traitées de manière identique. Il me semble que s’il est important de maintenir l’irresponsabilité parlementaire, l’ordre juridique français pourrait se passer de l’inviolabilité.

 

II. Défendre l’irresponsabilité.

 

Il s’agit là en effet d’une protection nécessaire (A), qui bénéficie en France d’un champ d’application satisfaisant et sensiblement identique à ce qui existe à l’étranger (B).

 

  1. Une protection dont la nécessité est difficilement contestable

 

Pour que la décision d’une assemblée élue paraisse conforme à la volonté des parlementaires et puisse, par l’intermédiaire du vote à la majorité, être imputée à la Nation tout entière, il faut que les représentants soient en mesure d’exprimer librement leurs points de vue. Il est donc nécessaire que leur expression ne soit pas inhibée par la menace de voir leur responsabilité être engagée à la suite des propos qu’ils auraient pu tenir au cours du débat ou des votes pour lesquels ils auraient opté.

 

Certes, en pratique, le fonctionnement des assemblées contemporaines incite à relativiser très largement le rôle que joue la délibération dans le processus décisionnel d’une assemblée. Dans la plupart des cas, la résolution finale de la Chambre est arrêtée en amont du débat public, en fonction des rapports de forces politiques. L’inévitable prédétermination des volontés qui en résulte ne saurait pour autant invalider la nécessité d’une irresponsabilité. Bien au contraire, celle-ci apparaît comme l’ultime garantie du caractère représentatif du mandat, c’est-à-dire de la liberté qu’a le représentant – peut-être pas politiquement, mais au moins juridiquement - de changer d’avis.

 

Par ailleurs, l’irresponsabilité parlementaire est un corollaire du principe de séparation des pouvoirs. Elle évite qu’à l’occasion d’une faute commise dans l’exercice des fonctions parlementaires, celle-ci soient soumises à un contrôle exercé par des pouvoirs concurrents. Dans la mesure où l’infraction fait corps avec l’exercice des fonctions, autoriser sa sanction permettrait au juge, voire au pouvoir exécutif – dans l’hypothèse de poursuites orchestrées par ce dernier via une autorité judiciaire dépendante -  d’imposer au parlementaire sa propre appréciation de la manière dont il doit exercer ses fonctions. On ne saurait autoriser des juridictions à substituer leur propre appréciation de la correction et de l’exactitude des propos tenus par un parlementaire du public à celle de l’opinion publique[218]

 

Liée au caractère représentatif du mandat et au principe de séparation des pouvoirs, l’irresponsabilité parlementaire ne peut donc être considérée comme une protection accessoire. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une reconnaissance quasi universelle, tandis qu’on note une relative uniformité de son régime juridique, tant en France qu’à l’étranger.

 

 B. Un champ d’application relativement homogène

 

On trouve une formulation proche de l’irresponsabilité parlementaire, non seulement au sein des textes constitutionnels de la plupart des pays du Commonwealth, mais aussi bien au‑delà de ce premier cercle. Par exemple, au Royaume-Uni, l’article 9 du Bill des Droits de 1689 prévoit que « la liberté de parole et les débats ou les procédures du Parlement ne doivent être entravés, et mis en cause devant aucun tribunal ni en aucun autre lieu que le Parlement ». De manière similaire, aux Etats-Unis, l’article Ier, section 6, clause 1re de la Constitution américaine précise que « Les Sénateurs et Représentants (…) pour tout discours ou débat dans l’une ou l’autre Chambre (…) ne pourront être interrogés dans aucun autre lieu ». Une protection semblable est également prévue par les Constitutions étatiques, au bénéfice des membres des Congrès fédérés.

 

La typologie des actes protégés apparaît d’ailleurs, d’un pays à un autre, relativement similaire.

Partout, l’irresponsabilité s’efforce d’assurer l’authenticité de la délibération, en garantissant la pleine liberté des propos tenus en séance et en commission.

Son extension relative, d’une part aux personnes appelées à témoigner devant les instances parlementaires et d’autre part aux comptes rendus des débats protège, quant à elle, la mise à disposition des informations nécessaires à l’exercice de la fonction parlementaire et à la constitution d’une opinion publique informée[219].

Enfin, en France comme à l’étranger, l’irresponsabilité est, dans son principe, assez peu l’objet de contestations, sous réserve de ce que nous préciserons plus bas à propos de la jurisprudence européenne. La tendance générale est d’en restreindre le champ d’application aux seuls actes dont la protection apparaît réellement nécessaire au bon fonctionnement du régime. Sont ainsi exclus les actes qui, bien que commis dans l’enceinte parlementaire, ne peuvent par nature être rattachés aux opinions et votes (tel est le cas par exemple des rapports d’un parlementaire avec son collaborateur, ou l’absence de tels rapport dans l’hypothèse d’un emploi fictif) et ceux qui sont effectués en dehors de l’enceinte des Chambres.

 

Cette dernière remarque appelle quelques précisions. La jurisprudence française tend à exclure les opinions émises en dehors des séances publiques, des commissions et des missions parlementaires de la protection de l’irresponsabilité, au motif que les propos incriminés se détachent alors de l’exercice des fonctions. Cette dimension spatiale de l’immunité peut apparaitre inadéquate dès lors que le cadre du débat politique ne se concentre plus, comme à l’époque de l’Angleterre des Tudors où le privilège parlementaire trouve sa lointaine origine, dans l’enceinte du Parlement. Nul n’ignore qu’il s’est considérablement élargi et se déploie de manière croissante à travers médias et réseaux sociaux. Dans un État libéral et démocratique, il est sain que les parlementaires puissent nourrir librement le débat public, sans être tenus de moduler leurs propos en fonction du lieu où ils s’expriment par crainte d’éventuelles poursuites.

 

Or, la jurisprudence française entretient une conception étroite des fonctions parlementaires qui l’incite parfois à condamner députés et sénateurs pour délit d’expression. Dès lors, la reprise de propos tenus au sein des chambres – qui sont alors couverts par l’irresponsabilité – est susceptible d’engager la responsabilité du parlementaire dès lors qu’ils sont répétés en dehors de son enceinte (par exemple, à la radio, à la télévision ou sur les réseaux sociaux).  La jurisprudence tend en effet à considérer qu’en dehors de l’enceinte du Parlement, les activités de nature politique ou partisane qu’un parlementaire exerce relèvent davantage du citoyen que du représentant et ne sauraient bénéficier de l’irresponsabilité. Le cas emblématique en la matière fut  la condamnation de Noël Mamère par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation le 22 octobre 2002, pour des propos tenus lors d’une émission télévisée[220]. Toutefois, à la suite de cette décision, la France fut condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH) pour violation de l’article 10 de la CEDH sur la liberté d’expression[221]. Prenant acte de la jurisprudence de la Cour EDH, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, le 12 novembre 2008[222], cassé sans renvoi l’arrêt de la Cour d’appel de Douai qui confirmait la condamnation du député Christian Vanneste, pour des propos publiés dans un quotidien, sur le fondement du délit de diffamation homophobe. La décision Vanneste ne fut donc pas censurée au nom d’une irresponsabilité constitutionnelle dont la portée s’étendrait aux propos tenus en dehors de l’Assemblée nationale, mais au visa de l’article 10 de la CEDH.

 

Faut-il à cet égard préconiser une extension du champ d’application de l’irresponsabilité « hors les murs » ? La tentation pourrait être d’autant plus forte que, sous l’effet de la jurisprudence des juridictions supranationales, la dimension spatiale de l’irresponsabilité parlementaire tend à s’effacer[223]. Le fait que les opinions soient émises dans l’enceinte du parlement ou à l’extérieur n’est plus qu’un critère, parmi d’autres, de rattachement aux fonctions parlementaires protégées. Ces dernières tendent à être définies au moyens de critères liés à la nature ou au contenu de l’opinion – la possibilité de rattacher l’opinion litigieuses à des problèmes d’intérêt général ou politique -  plus qu’à sa forme ou à son lieu d’expression[224].

 

Par ailleurs, il convient de ne pas exagérer la portée de la protection qu’offre la jurisprudence européenne à la liberté d’expression des parlementaires via l’article 10 de la CEDH. Sa capacité à inciter les juridictions nationales à pallier en quelque sorte les limites de l’irresponsabilité est relative. D’une part, comme le soulignent avec raison les juges Sajo et Karakas dans une opinion dissidente rendue dans l’affaire Coferrati c. Italie[225], « la protection de l’article 10 de la Convention perd de son effectivité si elle est appliquée a postériori, après une longue procédure ». De plus, le caractère absolu de l’irresponsabilité tend dorénavant à être remis en cause, la jurisprudence strasbourgeoise considérant que la protection peut faire l’objet de restrictions, dès lors qu’elle constitue une atteinte disproportionnée au droit d’accès du demandeur à un tribunal garanti par l’article 6 §1 et à la protection de la réputation, prévue par l’article 8. En effet et de manière générale, pour que les propos d’un parlementaire tenus en dehors de l’enceinte du Parlement puissent faire l’objet de la protection conventionnelle, leur lien avec les fonctions parlementaires doit s’imposer avec la force de l’évidence, de sorte que les allégations sans rapport avec des questions de portée générale ou relevant du débat politique ne sauraient être protégées. C’est ainsi que dans une série d’arrêts rendue dans les années 2000, la Cour EDH a systématiquement conclut à l’existence d’une violation de l’article 6 § 1 par les juridictions italiennes[226].

 

Une extension de l’irresponsabilité aux propos ou actes accomplis en dehors de l’enceinte du parlement présenterait de la sorte un double avantage : faire évoluer la protection dans le sens de l’interprétation retenue par la CEDH comme par la CJUE[227] et pallier les éventuelles limites de la jurisprudence conventionnelle. Toutefois, nous ne sommes guère enclins à préconiser une telle solution, pour diverses raisons.

Le contrôle de la Cour EDH étant  traditionnellement plus casuistique que systémique, se situant davantage au regard de la pratique que des principes, nul ordre constitutionnel n’est à l’abri d’une évolution vers un  contrôle conventionnel plus strict de l’irresponsabilité[228]. Dès lors la prudence s’impose et n’incite guère à un élargissement de la protection. 

Ensuite, pour les propos tenus en dehors du parlement, à défaut de bénéficier de l’irresponsabilité ou de pouvoir établir la vérité de faits diffamatoires, le parlementaire peut, conformément au droit commun, s’exonérer de sa responsabilité en démontrant sa bonne foi. Il bénéficie par ailleurs de la liberté d’expression qui lui est reconnue par l’article 10 de la CEDH, liberté qui vaut – et c’est heureux dans une société démocratique – « non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent »[229].  

Enfin et surtout, l’extension de l’irresponsabilité à des propos tenus en dehors des Chambres aboutirait à un résultat paradoxal, dans la mesure où l’élu, affranchi de toute responsabilité non seulement civile, pénale mais aussi disciplinaire, jouirait d’une plus grande liberté d’expression à l’extérieur de l’institution qu’en son sein. Sans doute est-ce d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles on retrouve cette même dimension spatiale de l’irresponsabilité à l’étranger. Ainsi, au Royaume Uni comme aux Etats-Unis, les propos tenus en dehors des enceintes parlementaires sont dépourvus de protection spécifique, même lorsqu’ils ne font que reprendre verbatim des paroles prononcées au sein des Chambres. Mais il est vrai aussi qu’aucun de ces pays ne connait un droit de la diffamation aussi rigoureux que le nôtre et de nature à limiter, par des mises en examen automatiques, la liberté de parole.

 

Si l’irresponsabilité parlementaire est donc parfaitement légitime et vient judicieusement garantir la protection de la liberté de parole des parlementaires, il n’en va pas de même de l’inviolabilité, au point que les parlementaires pourraient, sans grand risque, en envisager la suppression.

 

III. Supprimer l’inviolabilité ?

 

A. Un fondement théorique fragile

 

Contrairement à l’irresponsabilité, l’inviolabilité ne peut être considérée comme trouvant sa justification dans le respect de la séparation des pouvoirs. C’est en effet la nature de l’acte couvert par l’irresponsabilité, le lien intrinsèque qu’il entretient avec l’exercice des fonctions parlementaires (un vote, une opinion) qui érige cette première immunité en conséquence procédurale du principe de séparation des pouvoirs.

Le même type de raisonnement ne saurait s’appliquer à l’inviolabilité. En contrôlant les actes délictueux extérieurs aux fonctions, le juge ne s’intéresse pas à un acte commis par un élu, en sa qualité de représentant, mais par un individu qui, par ailleurs, se trouve être un élu de la nation. Dès lors, l’inviolabilité parait procéder d’une confusion entre personne et fonction.

 

Un même constat de fragilité peut être fait lorsqu’on s’efforce d’articuler les immunités parlementaires au caractère représentatif du mandat. Si l’irresponsabilité en est une garantie, on ne saurait soutenir une telle affirmation à propos de l’inviolabilité. En soumettant les mesures privatives ou restrictives de liberté à autorisation du Bureau de l’assemblée, l’inviolabilité s’efforce de garantir la possibilité pour les parlementaires d’être physiquement présents au sein de l’hémicycle. Toutefois, dans un régime représentatif, les parlementaires bénéficient d’une investiture collective et d’un mandat national.  Le bon fonctionnement du régime n’est donc pas - fort heureusement - mis en péril par absence de l’un d’entre eux. En d’autres termes, la possibilité pour la chambre d’être au complet, que vient garantir l’inviolabilité, est extérieure à la logique représentative[230].

 

La meilleure preuve du caractère surabondant de l’inviolabilité au regard des exigences de fonctionnement du régime représentatif réside une fois encore dans le droit comparé. Le Royaume Uni et les États-Unis, pour ne prendre que ces deux exemples, fonctionnent sur le fondement d’un mandat représentatif, mais ignorent l’inviolabilité.

 

Comment dès lors dépasser le seul argument de la tradition parlementaire et constitutionnelle pour expliquer le maintien en France d’une institution qui heurte de manière frontale le principe d’égalité devant la loi ?  En réalité, le maintien de l’inviolabilité dans l’ordre juridique français, loin de résulter d’une exigence systémique, témoigne d’une défiance certaine envers l’autorité judiciaire.

 

B. Un signe de défiance à l’égard de l’autorité judiciaire

 

Les débats lors de l’adoption de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, qui a réduit la portée de l’inviolabilité parlementaire furent à cet égard très éclairants.

L’Assemblée nationale, traumatisée par la médiatisation des demandes de levées d’immunités des Députés Jean-Michel Boucheron et Bernard Tapie, se range assez facilement aux côtés du Président Séguin, depuis longtemps favorable à la disparition de l’autorisation de poursuites. Mais la révision de l’inviolabilité se heurte à une forte opposition sénatoriale qui dénonce, de manière souvent très vive, l’emprise grandissante du judiciaire sur la vie collective.

 

La loi constitutionnelle a finalement maintenu l’autorisation d’arrestation, étendu la nécessité d’une levée au contrôle judiciaire et rendu l’ensemble de la procédure infiniment plus discrète en substituant la compétence du Bureau à celle de la Chambre.

 

Toutefois, si on comprend maintenant les raisons du maintien de l’inviolabilité au sein de la Constitution française en 1995, reste à en déterminer l’utilité… ce qui est plus délicat. 

 

  1. Une absence de nécessité pratique

 

L’argument traditionnel consiste à dire que l’inviolabilité se justifierait au regard des atteintes que le pouvoir exécutif pourrait faire subir à la représentation nationale, par le biais de poursuites pénales diligentées par une autorité judiciaire dépendante du pouvoir politique. Si l’indépendance de la justice n’est toujours pas en France pleinement assurée, cet argument – mais c’est affaire d’appréciation – semble avoir largement perdu de sa pertinence. Sous la Vème République en effet, le parlementarisme rationalisé et majoritaire limite largement la capacité du Parlement à entraver la politique gouvernementale. Dès lors, le risque de voir le pouvoir exécutif chercher à empêcher le bon fonctionnement des assemblées par la poursuite d’opposants virulents est très certainement bien moindre que sous les Républiques précédentes[231]. La pratique parlementaire, d’ailleurs, en témoigne. Sous la Vème République, l’hypothèse d’une machination fomentée par l’exécutif n’a été invoquée que dans trois cas, inégalement probants : François Mitterrand en 1959 à la suite de l’attentat de l’Observatoire ; Laurent Fabius et consorts dans l’affaire des radios libres en 1980 ; Bernard Tapie – champion toutes catégories des demandes de levée dans les années 90.   

 

Les cas litigieux, où il y a effectivement pu avoir des actions judiciaires orchestrées par le pouvoir politique, sont finalement assez rares sous la Vème République. Cela s’explique non seulement par la diminution institutionnelle du Parlement, mais aussi par un phénomène conjoncturel : en dehors de ces cas, les demandes de mainlevée ont rarement concerné des hommes politiques disposant d’une envergure nationale suffisante pour leur permettre de soutenir, avec un minimum de vraisemblance, que le gouvernement souhaitait les museler. Par ailleurs, dans les rares cas que nous venons d’évoquer, l’inviolabilité s’est révélée peu efficace puisqu’elle a été levée.

 

Certes, souligner la rareté des cas litigieux ne suffit pas en soi à justifier la suppression de l’inviolabilité. Il est évidemment loisible au constituant de considérer l’inviolabilité comme légitime, même si elle ne fait qu’interdire la survenue d’un cas rarissime, pour peu que de la réalisation de ce dernier résulte une véritable altération du fonctionnement du corps politique. Mais il lui faut aussi être conscient que de telles hypothèses ne se rencontrent plus guère depuis les débuts de la Vème République, alors que le maintien de l’inviolabilité n’est pas sans poser de difficulté.

 

  1. Un maintien problématique

 

La suppression d’une spécificité française datant du XVIIIème siècle pourrait faire figure de modernisation souhaitable.

 

La révision du 4 août 1995, en dépit de sa date symbolique, est en effet restée au milieu du gué. Si elle a supprimé l’immunité de poursuites, elle a, à certains égards, abouti à renforcer la protection du parlementaire, en soumettant l’ensemble des mesures de contrôle judiciaire - et même celles qui n’entravent en rien la liberté de circulation du parlementaire – ainsi que son éventuelle révocation, à une procédure de mainlevée[232]. Surtout, elle s’est efforcée - et a amplement réussi - à rendre beaucoup plus discrète la mise en œuvre de l’inviolabilité, en la faisant non plus relever de la Chambre mais du Bureau. Le choix est contestable, car en dépit de décisions dorénavant un peu plus prolixes quant à leur motivation[233], l’usage que les assemblées font de l’inviolabilité reste assez largement soustrait au regard des représentés. Sans revenir aux débats en séance, ne pourrait-on pas imaginer la publication du compte rendu intégral des débats du bureau sur cette question ?

 

Pourquoi ne pas aller plus loin et supprimer purement et simplement l’inviolabilité ? Certes, on peut considérer le droit pénal comme étant insuffisamment protecteur des libertés ou l’autorité judiciaire comme n’ayant pas encore acquise une liberté pleine et entière. Mais pourquoi les parlementaires jouiraient-ils à cet égard d’une protection qui leur est propre et dont leurs concitoyens ne bénéficieraient pas? Parce que le parlementaire ayant été démocratiquement désigné, sa liberté d’action doit prévaloir sur celle du juge, autorité non élue ? Mais comment justifier, sauf à trahir l’objet même de l’élection – exercer une fonction spécifique – que le principe démocratique puisse fonder une inviolabilité qui par définition ne s’applique qu’aux actes étrangers aux fonctions parlementaires ?

 

On le voit, la pérennité de l’inviolabilité a du mal à convaincre. Les leçons du droit comparé, combiné à son peu d’utilité pratique, incitent à douter de la nécessité de maintenir cette immunité dans l’ordre constitutionnel français.

 

 

 

Cécile Guérin-Bargues

Professeur de droit public

Université Paris II Panthéon-Assas

 

 


—  1  —

Contribution de Mme Anne Levade, professeure de droit public
à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, présidente de
l’Association française de droit constitutionnel

 

Mission d’information sur l’immunité parlementaire

 

Audition

12 septembre 2019

 

Anne LEVADE

Professeur de droit public à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Président de l’Association Française de Droit Constitutionnel

 

Vous avez souhaité m’auditionner dans le cadre des travaux de la mission d’information sur l’immunité parlementaire mise en place par la commission des lois. Les observations qui suivent ont été établies sur la base et dans l’ordre des questions que vous avez bien voulu me faire parvenir, conduisant à ce que soient d’abord évoqués les caractères généraux de l’immunité parlementaire (I) avant d’aborder plus spécifiquement l’irresponsabilité (II) puis l’inviolabilité (III).

Néanmoins, à titre liminaire, deux remarques méritent d’être formulées.

1. Première remarque : si la majorité des observations qui suivent concerneront le seul cas des députés, on doit demeurer attentif au fait que la problématique de l’immunité parlementaire est commune aux deux assemblées et, même, aux parlementaires européens.

En effet, tant l’article 26 de la Constitution que l’article 9 bis de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires[234] visent le « membre du Parlement » dans sa généralité et n’opère aucune distinction entre député et sénateur. De plus, si le règlement de chacune des assemblées ainsi que l’instruction générale du bureau de chacune d’elles consacrent des dispositions spécifiques aux immunités[235], celles-ci sont étroitement conditionnées par l’article 26 de la Constitution et l’ordonnance précitée de 1958, au point que les différences sont mineures et d’ordre strictement formel et procédural.

Par ailleurs, concernant les parlementaires européens, l’article 10 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne du 8 avril 1965 prévoit que « Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient : a) sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays, b) sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire », solution confirmée par la chambre criminelle de la Cour de cassation du 26 juin 1986 (n° 86-90177).

Dès lors, ce point devrait évidemment être pris en considération dans l’hypothèse où une réforme de l’immunité parlementaire serait envisagée.

2. Deuxième remarque : elle tient au contexte. Dans l’ensemble des démocraties, le principe même de la représentation est contesté et les parlementaires suscitent une défiance sans précédent. Dans ce cadre, l’immunité parlementaire est souvent perçue comme un privilège indu et une protection d’un autre âge, emportant la tentation généralisée de la faire évoluer dans le sens d’une réduction drastique, voire d’une suppression pure et simple.

Pour ne prendre qu’un exemple, la Commission de Venise, en 2014, dans le dernier des trois rapports qu’elle a consacré aux immunités parlementaires[236], estime que « le moment est venu pour les institutions du Conseil de l’Europe de préparer et de promouvoir des critères et des lignes directrices en matière d’étendue et de levée de l’immunité parlementaire au niveau national. Ces normes européennes communes devraient surtout viser à renforcer la légitimité démocratique, la transparence et l’État de droit, et à empêcher l’invocation abusive de l’immunité ». Pour elle, « l’immunité parlementaire est une tradition très ancienne, et les besoins dont elle est issue il y a bien longtemps ne sont plus nécessairement ceux d’une démocratie moderne qui fonctionne bien. Si elle est conservée, il faudrait ce que soit sous une forme adaptée aux nécessités d’aujourd’hui, et compatible avec les exigences de la CEDH et des normes et principes communs de l’Europe ». Et, dans la foulée, elle préconise, en résumé, le maintien d’une irresponsabilité circonscrite et une réduction significative de l’inviolabilité.

Cette position, sans être contraignante, illustre parfaitement l’état des débats qui irriguent aujourd’hui l’ensemble des droits nationaux. Et souvent est reprise l’idée que l’immunité parlementaire ne présenterait plus ni intérêt ni justification dans des démocraties achevées au sein desquelles les parlementaires n’ont à craindre ni l’exécutif ni les juges.

Pour rassurant qu’il paraisse, le raisonnement est, à un double titre, problématique. D’une part, il présume la stabilité de situations institutionnelles que l’on peut légitimement espérer pérenne mais dont nul ne peut assurer qu’elles ne seront pas remises en cause un jour. Sans nullement confondre les situations, voir un Premier ministre britannique faire le choix de proroger le Parlement pour ce qu’il faut bien appeler une convenance politique incite à la circonspection et plaide pour maintenir la ceinture de sécurité parlementaire que constitue l’immunité. D’autre part, et en droit l’argument est le plus important, l’immunité parlementaire est consubstantielle au régime de la démocratie représentative. Il n’est sans doute pas étonnant, alors que cette dernière est remise en cause, que certains veuillent l’amoindrir, voire la supprimer. Mais, en toute hypothèse, cette consubstantialité plaide pour considérer que, en démocratie représentative, l’immunité parlementaire est indisponible et qu’il ne peut donc par principe y être renoncé.

On arguera peut-être de la prétendue aspiration de l’opinion publique à l’abolition de ce privilège au nom de l’égalité de tous devant la loi et la justice. N’oublions pas que les parlementaires, parce qu’ils sont représentants élus aux fins d’exercer la souveraineté nationale, ne sont plus dans le cadre de leur mandat des citoyens comme les autres. Quant à imaginer que la suppression de l’immunité parlementaire serait de nature à restaurer la confiance, je pense que le niveau de défiance et de discrédit des politiques et, spécialement, des parlementaires est aujourd’hui tel que cette mesure ne saurait y suffire !

Ces observations étant faites et sans exclure que des améliorations du dispositif actuel puissent être souhaitables, on en vient aux questions que vous avez posées.

 

I. Les caractères généraux de l’immunité parlementaire

 

1. Quels sont les fondements de l’immunité parlementaire ? Ces fondements sont-ils communs à l’irresponsabilité et à l’immunité (sic) ? Sont-ils toujours d’actualité ?

 

Il y a trois manières de répondre à cette première série de questions.

 

1. En premier lieu, le terme « fondements » peut renvoyer au fondement textuel de l’immunité parlementaire en droit positif. La réponse est alors aisée.

Le fondement textuel de l’immunité parlementaire en droit français est l’article 26 de la Constitution aux termes duquel :

« Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.

Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il faut partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive.

La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert.

L’assemblée est réunie de plein droit pour des séances supplémentaires pour permettre, le cas échéant, l’application de l’alinéa ci-dessus ».

Le fondement textuel est donc bien commun à l’irresponsabilité et à l’inviolabilité.

Quant à son actualité, on rappellera que l’immunité parlementaire a été significativement restreinte à l’occasion de la révision constitutionnelle de 1995, en particulier dans son volet inviolabilité.

 

2. En deuxième lieu, le terme « fondements » peut être entendu dans un sens formel, renvoyant à la question du véhicule normatif dans lequel le principe de l’immunité parlementaire est, classiquement, énoncé.

Dans cette perspective, la réponse concernera non seulement le droit positif français mais aussi le droit des régimes constitutionnels français antérieurs et les régimes constitutionnels étrangers : l’immunité parlementaire est systématiquement affirmée et toujours avec rang constitutionnel. La principale variable tient au périmètre de l’inviolabilité.

 

3. En troisième lieu, dans sa dimension substantielle, le terme « fondements » pose la question de la justification de l’immunité.

L’immunité parlementaire est un régime de protection du mandat visant à garantir son indépendance et à le faire échapper à des menaces qui pourraient en entraver l’exercice. Elle est instituée non dans l’intérêt du parlementaire mais dans celui du mandat qu’il exerce et, par conséquent, des électeurs qui le lui ont confié.

Dès la première édition de son Traité de droit politique, Eugène Pierre rappelait que « ce n’est pas un privilège créé au profit d’une catégorie d’individus ; c’est une mesure d’ordre public pour mettre le pouvoir législatif au-dessus des atteintes du pouvoir exécutif ». C’est la raison pour laquelle un parlementaire ne peut y renoncer, c’est-à-dire « se dépouiller d’une garantie qui n’a pas été créée pour lui mais pour l’Assemblée tout entière ».

Dit autrement, le principe même de l’immunité parlementaire repose sur la nécessité de garantir la liberté du mandat, c’est-à-dire la liberté de celui qui, en démocratie, est élu par le peuple pour le représenter et exprimer la volonté générale. Ce libre exercice exige donc d’assurer l’indépendance du représentant en le mettant à l’abri de pressions et mesures émanant de l’exécutif ou du judiciaire. C’est donc une condition du libre exercice de la souveraineté.

Classiquement, l’immunité parlementaire se dédouble entre ce qui relève, d’une part, de l’irresponsabilité et, d’autre part, de l’inviolabilité, l’une et l’autre étant indissolublement liées.

Toutefois, selon l’importance respective accordée à l’une ou à l’autre, on considère qu’existent deux traditions parlementaires et, par conséquent, deux modèles apparus successivement :

–  Le premier modèle, anglo-saxon, est hérité de l’histoire du Parlement anglais. L’immunité parlementaire y aurait été conçue, au XIVe siècle, lorsqu’il s’est agi d’affirmer que les parlementaires étaient libres de débattre et délibérer sans ingérence de la Couronne. En 1689, le principe en est acté dans le Bill of Rights qui dispose, dans son 9°, « que la liberté de parole, des débats et des procédures dans le sein du Parlement, ne peut être entravée ou mise en discussion en aucune Cour ou lieu quelconque en dehors du Parlement lui-même ».

Dans ce modèle, l’irresponsabilité précéderait donc l’inviolabilité, la seconde n’étant qu’une conséquence de la première, logique que l’on retrouve dans la Constitution de Etats-Unis de 1787[237] ainsi que dans de nombreux systèmes de Common Law. Cela explique notamment que dans ces Etats les parlementaires aient à invoquer leur « privilège parlementaire » lorsqu’il leur semble menacé.

–  Le second modèle, français, repose sur la logique inverse en donnant priorité à l’inviolabilité sur l’irresponsabilité, ce qui s’explique par le contexte révolutionnaire dans lequel l’immunité parlementaire a été affirmée. En effet, c’est le 23 juin 1789 que l’Assemblée nationale décrète que « tous particuliers, toute corporation, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député pour raison d’aucune proposition, avis, opinion ou discours faits par lui aux états généraux, de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu’il fussent ordonnés, sont infâmes et traitres envers la nation et coupables de crime capital ». Toute pression ou menace sur une parlementaire est trahison envers la nation, expliquant que, dans la foulée, l’Assemblée affirme que « la personne de chacun des députés est inviolable ».

Elle définira ensuite l’inviolabilité personnelle dans un décret du 26 juin 1790 :

« L’Assemblée nationale, se réservant de statuer en détail sur les moyens constitutionnels d’assurer l’indépendance et la liberté des membres du Corps législatif, déclare que, jusqu’à l’établissement de la loi sur les jurés en matière criminelle, les députés à l’Assemblée nationale peuvent, dans le cas de flagrant délit, être arrêtés conformément aux ordonnances, qu’on peut même, excepté les cas indiqués par le décret du 23 juin, recevoir des plaintes et faire des informations contre eux, mais qu’ils ne peuvent être décrétés par aucuns juges, avant que le Corps législatif, sur le vu des informations et des pièces de conviction, ait décidé qu’il y a lieu à l’accusation ».

Enfin, inaugurant une tradition, la Constitution des 3 et 4 septembre 1791 énoncera, dans son article 7, que « Les représentants de la Nation sont inviolables : ils ne pourront être recherchés, accusés, ni jugés en aucun temps pour ce qu’ils auront dit, écrit ou fait dans l’exercice de leurs fonctions de représentants ».

 

Si, à ce stade, on cherche à préciser les fondements respectifs de l’irresponsabilité et de l’inviolabilité.

 

a) Le principe d’irresponsabilité du parlementaire interdit qu’il puisse faire l’objet de poursuites, recherches, arrestation, détention ou jugement à raison d’opinions ou votes émis dans l’exercice de ses fonctions.

 

Cette protection, reprise, sans discontinuer, dans toutes les Constitutions, assure la liberté d’expression et de décision du parlementaire. Elle est donc absolue et permanente, y compris après la cessation du mandat mais limitée aux seuls actes se rattachant à son exercice, à l’exclusion de ses autres activités politiques ou, a fortiori, privées.

Cette irresponsabilité est considérée comme inhérente à la démocratie représentative, raison pour laquelle l’ensemble des Etats qui se réclament de ce modèle l’ont affirmée.

La Cour européenne des droits de l’homme a, d’ailleurs, eu l’occasion de le rappeler à l’occasion d’un arrêt rendu en grande chambre le 17 mai 2016 dans une affaire Karácsony et autres c/ Hongrie[238]. Se prononçant sur les sanctions prises à l’encontre de parlementaires hongrois qui avaient manifesté leur désaccord, pour l’un, par des propos et, pour l’autre, en déployant une banderole dans l’enceinte de l’Assemblée, elle estime qu’« il ne fait aucun doute que tout propos tenu dans l’enceinte parlementaire appelle un haut degré de protection. (…) le fait que les Etats accordent généralement une immunité plus ou moins étendue aux parlementaires constitue une pratique de longue date qui vise les buts légitimes que sont la protection de la liberté d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. Sous ses différentes formes, l’immunité parlementaire peut en effet servir à protéger un régime politique véritablement démocratique, qui est la pierre angulaire du système de la Convention, dans la mesure notamment où elle tend à protéger l’autonomie du législateur et l’opposition parlementaire » (pt. 138).

Tiers intervenant à l’instance, le gouvernement britannique a, pour sa part, jugé nécessaire de rappeler que « la liberté d’expression à l’abri de toute crainte d’un procès ou de sanction externe est essentielle aux parlementaires pour leur permettre de représenter le peuple et de débattre de questions d’importance et que l’absence d’une telle liberté aurait un puissant effet dissuasif sur les débats au sein du corps législatif. Il serait nécessaire que ce dernier soit libre de fixer et d’appliquer sa propre procédure et de conduire des débats de haute tenue sur tout sujet sans crainte d’influences extérieures » (pt. 116).

En revanche, l’irresponsabilité ne signifie pas que le parlementaire puisse dire ou faire n’importe quoi mais c’est aux assemblées qu’il revient d’assurer la discipline de ses membres. L’arrêt de la Cour le rappelle : « les règles régissant le fonctionnement interne du parlement sont une illustration du principe constitutionnel bien établi de l’autonomie parlementaire » (pt. 142), confirmant ainsi ce que le gouvernement britannique avait affirmé et justifiant qu’il existe « un système de discipline interne permettant au parlement d’encadrer lui-même le comportement de ses membres, de manière à prévenir les abus de leur droit à la liberté d’expression et à assurer le bon déroulement de ses travaux » (pt. 116).

 

b) Dans le cas de l’inviolabilité, c’est toujours le mandat qui se trouve protégé, mais cette fois par le biais d’une immunité de procédure.

 

L’inviolabilité vise en effet à éviter que le parlementaire soit, en tant qu’individu et à raison de faits étrangers à l’exercice de son mandat, l’objet de mesures qui lui interdiraient de l’exercer. Sont donc expressément visées par les alinéas 2 et 3 de la l’article 26 de la Constitution les arrestations et toutes autres mesures privatives ou restrictives de liberté, dès lors qu’elles sont de nature à priver le parlementaire de la possibilité de prendre part aux délibérations et votes au sein de l’assemblée dont il est membre.

Ne visant aucunement à assurer l’impunité des parlementaires, l’inviolabilité est relative et cette immunité procédurale peut être levée par décision du bureau de l’assemblée dont le parlementaire est membre, hors les cas de flagrant délit ou de condamnation définitive dans lesquels l’inviolabilité cesse de s’appliquer.

En résumé, et en reprenant à nouveau les termes de la Cour européenne des droits de l’homme, « l’inviolabilité contribue à permettre cette pleine indépendance [du parlement] en prévenant toute éventualité de poursuites pénales obéissant à des mobiles politiques (fumus persecutionis) et en protégeant ainsi l’opposition des pressions ou abus de la majorité » (pt. 138).

 

2. Quels sont les points de concordance et de divergence entre les législations étrangères et le droit français en matière d’irresponsabilité et d’inviolabilité ? Quelles conséquences en tirer ?

 

L’existence de deux traditions, l’une anglo-saxonne et l’autre française ayant irrigué le continent européen, a déjà été évoquée.

On peut donc résumer la situation en disant que toutes les Constitutions démocratiques, parce qu’elles prévoient l’existence d’un Parlement élu, ont consacré le principe de l’immunité parlementaire.

 

1. Le principe d’irresponsabilité est unanimement formulé, même si son champ d’application matériel peut varier en fonction du lien plus ou moins étroit avec l’exercice du mandat.

 

Schématiquement, la protection est absolue pour les opinions, déclarations et votes émis en séance et en commission – soit le « cœur de métier » – à l’exception, dans certains Etats dont l’Allemagne de propos injurieux ou diffamatoires, tandis que d’autres Etats ont une conception plus extensive de la protection, visant les opinions, déclarations et votes émis « dans l’exercice des fonctions », y compris hors de l’enceinte des assemblées.

La différence de formulation renvoie à une problématique classique des immunités fonctionnelles : la détermination de ce qui relève et ne relève pas de l’exercice de la fonction – ici un mandat – justifiant la protection.

Il ne faut néanmoins pas se laisser abuser par les termes utilisés ; lorsque la formulation est étroite, son interprétation est souvent extensive et réciproquement. Le contexte dans lequel est affirmé le principe d’irresponsabilité joue également un rôle ; en témoigne, par exemple, la formule retenue par la Constitution tunisienne qui dispose, dans son article 68, qu’« Aucune poursuite judiciaire civile ou pénale ne peut être engagée contre un membre de l’Assemblée des représentants du peuple, ni celui-ci être arrêté ou jugé en raison d’opinions ou de propositions émises ou d’actes accomplis en rapport avec ses fonctions parlementaires ».

 

2. Concernant le principe d’inviolabilité, les choix nationaux sont plus hétérogènes.

 

Sans nullement prétendre à l’exhaustivité non plus qu’à l’établissement d’une véritable typologie, on peut s’essayer à résumer les différences de situations.

 

a) En premier lieu, même si le cas est rarissime, un Etat comme les Pays-Bas ne prévoit aucune inviolabilité pour les parlementaires. C’est un cas isolé qui, sans doute, s’explique aussi par la conception néerlandaise très atypique de la souveraineté qui, par exemple, dans les rapports entre le droit interne et le droit international conduit à considérer que la Constitution est normativement subordonnée aux traités ratifiés. Il n’est donc guère étonnant que ceux qui exercent la souveraineté n’aient pas à bénéficier d’une protection particulière.

b) En deuxième lieu, dans les Etats de tradition anglo-saxonne, l’inviolabilité n’étant que la conséquence de l’irresponsabilité, c’est au parlementaire qu’il revient d’invoquer le « privilège » qui est le sien et qui ne vaut pas en matière pénale.

c) En troisième lieu, les Etats ayant retenu le modèle d’inspiration française posent le principe de l’inviolabilité et établissent une liste des mesures dont l’exécution est subordonnée à une levée d’immunité prononcée par l’assemblée dont le parlementaire est membre.

 

La palette des mesures concernées est extrêmement étendue, certains Etats ayant retenu une conception extensive de l’inviolabilité qui conduit à ce que toute mesure, même non privative de liberté, doive faire l’objet d’une levée d’immunité (par exemple, une audition ou une déposition au Portugal), y compris le simple engagement de poursuites – situation que la France connaissait jusqu’à la réforme de 1995. A l’inverse, dans d’autres Etats, seules les mesures les plus contraignantes, dès lors qu’elles sont de nature à entraver le fonctionnement de l’assemblée en empêchant un parlementaire de siéger, impose une procédure de levée d’immunité (c’est, depuis 1995, le cas de la France).

Deux ultimes précisions pour clore ce panorama rapide.

D’une part, certains Etats excluent du bénéfice de l’inviolabilité les parlementaires lorsque les actes qui leur sont reprochés sont d’une particulière gravité (par exemple, au Portugal pourtant par ailleurs très protecteur, sont exclus de l’inviolabilité les crimes intentionnels passibles de plus de trois ans d’emprisonnement).

D’autre part, tous les Etats qui prévoient l’inviolabilité parlementaire en excluent l’hypothèse de flagrance.

La très grande diversité de situations sur le terrain de l’inviolabilité s’explique donc, à la fois, par des différences d’ordre culturel et des évolutions normatives qui, en général, vont dans le sens d’un resserrement des hypothèses de protection. Une fois encore, on le rappelle, c’est la solution retenue par la France lors de la révision constitutionnelle du 4 août 1995.

 

3. L’immunité parlementaire est-elle compatible avec le droit européen à un procès équitable ?

 

La réponse à cette question est assurément positive.

 

1. On a déjà cité l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rendu en grande chambre le 17 mai 2016 dans l’affaire Karácsony et autres c/ Hongrie.

 

2. On ajoutera que la question était déjà tranchée depuis un arrêt A. c/ Royaume-Uni du 17 décembre 2002[239] dans lequel la Cour avait eu à juger de la violation du droit au procès équitable subi par Mme A. à raison de propos la visant expressément tenus par un député britannique en séance publique. L’affaire ayant donné lieu à de très nombreuses tierces interventions de gouvernements d’Etats parties, l’arrêt est considéré comme étant de principe.

 

La Cour rappelait d’abord que, « dans l’affaire Young c. Irlande (n° 25646/94, décision de la Commission du 17 janvier 1996, DR 84-B, p. 122) la Commission avait estimé que l’immunité accordée aux députés de la chambre basse du Parlement irlandais avait pour finalité de leur permettre de participer de façon constructive aux débats parlementaires et de représenter leurs électeurs sur des questions d’intérêt public en formulant librement leurs propos ou leurs opinions, sans risque de poursuites devant un tribunal ou une autre autorité » (pt. 75). Elle concluait donc que l’immunité parlementaire « vise les buts légitimes que constituent la protection de la liberté d’expression au Parlement et le maintien de la séparation des pouvoirs entre le législatif et le judiciaire » (pt. 77).

S’interrogeant ensuite sur la proportionnalité de l’immunité parlementaire, elle estime que, bien qu’étant absolue, compte tenu de l’importance de la liberté d’expression en démocratie et, spécialement, au sein des assemblées, ladite immunité ne peut « en principe, être considérée comme imposant une restriction disproportionnée au droit d’accès à un tribunal tel que le consacre l’article 6 § 1 » (pt. 83), d’autant que « l’immunité absolue dont jouissent les députés vise de plus à protéger les intérêts du Parlement dans son ensemble et non ceux des députés à titre individuel, comme en témoigne le fait qu’elle ne joue pas en dehors de l’enceinte parlementaire » (pt. 85). Tout en déplorant les circonstances de l’espèce, le député ayant mentionné publiquement et à plusieurs reprises le nom et l’adresse de Mme A., la Cour conclut donc à l’absence de violation du droit au procès équitable.

3. La Cour a également eu l’occasion de confirmer la conventionalité de l’immunité parlementaire à l’occasion d’une affaire atypique dans laquelle le parlementaire lui-même estimait que le refus du Parlement de lever son immunité parlementaire portait atteinte à son droit à un procès équitable dans la mesure où il était empêché de défendre son honneur atteint par des poursuites engagées contre lui en justice. Cette affaire Kart c/ Turquie[240] a donné lieu à deux décisions contradictoires. Dans la première, rendue le 8 juillet 2008, la Chambre avait conclu à la violation du droit d’accès à un juge résultant de l’article 6 de la Convention mais, dans son arrêt de grande chambre du 3 décembre 2009, la solution était renversée la Cour estimant que l’inviolabilité parlementaire poursuivant un but légitime, l’intérêt du bon fonctionnement du Parlement pouvait l’emporter sur l’intérêt particulier du parlementaire à voir son affaire jugée.

Aucun doute donc sur la compatibilité de l’immunité parlementaire avec le droit au procès équitable tel qu’énoncé par la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte de l’Union européenne.

On ajoutera d’ailleurs que les parlementaires européens (Union européenne) ainsi que les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe bénéficient d’un régime d’immunité largement comparable à celui des Etats.

 

4. Vous paraît-il opportun d’étendre le régime de l’immunité à certains élus locaux, par exemple les présidents des exécutifs régionaux ?

Si l’on admet que le principe même de l’immunité parlementaire découle du libre exercice de la souveraineté, il n’y a pas de raison que les élus locaux, fussent-ils des exécutifs régionaux, bénéficient d’une extension du régime propre aux parlementaires.

En revanche, il semble légitime que dans le cadre de débats démocratiques, y compris locaux, la liberté de parole soit assurée et, par conséquent, qu’une irresponsabilité fonctionnelle puisse être garantie, supposant, en contrepartie, que puisse être assurée la discipline des débats.

 

5. Vous semble-t-il opportun de prévoir une protection spécifique des sources des parlementaires ?

Si la question peut surprendre, elle n’est assurément pas dénuée d’intérêt.

En effet, il y a tout lieu de penser que les parlementaires puissent, soit dans le cadre de leurs missions d’information et de contrôle, soit ès qualité, être destinataires d’informations qui par leur teneur présente un intérêt pour le plein exercice de leur mandat tout en constituant les éléments d’une infraction.

La question peut donc légitimement être posée d’une protection spécifique des sources des parlementaires qui pourrait s’inspirer de celle applicable aux journalistes.

Pour mémoire, l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, que « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public. / (…). /Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources. / Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. / Au cours d’une procédure pénale, il est tenu compte, pour apprécier la nécessité de l’atteinte, de la gravité du crime ou du délit, de l’importance de l’information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction et du fait que les mesures d’investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité. »

En revanche, lorsque le législateur a entendu étendre cette protection en faisant bénéficier les journalistes d’une immunité que prévoyait l’article 4 de la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias telle qu’adoptée le 6 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a considéré que le dispositif n’assurait pas « une conciliation équilibrée entre » la liberté d’expression et de communication « et les exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d’infractions et la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle » (Cons. const. n° 2016-738 DC, 10 novembre 2016, cons. 23).

Dès lors, et toutes choses égales par ailleurs, argument pourrait être pris de la reconnaissance par le même Conseil constitutionnel de la « liberté des membres du Parlement dans l’exercice de leur mandat » qui découle des articles 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 3, alinéa 1, 26 et 27 de la Constitution (Cons. const. n° 2018-767 DC, 5 juillet 2018, Résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs, pt. 3) pour concevoir un régime de protection de leurs sources dès lors que les informations recueillies servent leurs missions constitutionnellement définies à l’article 24.

Sans qu’il s’agisse d’imaginer une « immunité » des parlementaires, pourrait légitimement être envisagé un dispositif permettant aux parlementaires de ne pas être tenus par l’article 40 du code de procédure pénale et de protéger leurs sources lorsque l’information qui leur a été communiquées justifie la constitution d’une mission d’information ou une commission d’enquête.

 

II. L’irresponsabilité

 

6. Les propos et actes du parlementaire couverts par l’irresponsabilité sont-ils pertinents et suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (opinions ou votes ; lien avec l’exercice des fonctions parlementaires) ?

7. Les lieux dans lesquels ces actes se produisent ou ces propos se tiennent et leurs supports sont-ils suffisamment bien définis ou doivent-ils être précisés ou évoluer (séance, commission, autres organes, médias, réseaux sociaux, mission confiée par le Gouvernement…) ?

Les questions 6 et 7 faisant écho à des problématiques comparables, on y répondra ensemble.

Ainsi que je l’ai déjà évoqué, la question du champ d’application d’une immunité fonctionnelle renvoie à celle de l’identification de la fonction. Dit autrement, l’irresponsabilité ayant vocation à protéger le libre exercice du mandat, le parlementaire doit être protégé dès lors qu’il agit – quels que soient les actes et les circonstances – en tant que parlementaire.

Procédons en deux temps.

1. Au vu des textes, en l’état du droit, le champ d’application de l’irresponsabilité résulte de l’article 26 de la Constitution qui retient une formulation large susceptible d’interprétations à géométrie variable : les « opinions ou votes » du parlementaire émis « dans l’exercice de ses fonctions ».

Si le terme « votes » est précis, le terme « opinions » permet, en revanche, de couvrir l’ensemble des prises de position d’un parlementaire es qualité et ce quel que soit le lieu ou le support d’expression de l’opinion. La solution est donc conforme à l’exigence de liberté d’expression inhérente à une démocratie, justifiant, a priori, que l’on n’ait pas besoin de précisions supplémentaires.

L’irresponsabilité parlementaire étant la condition sine qua non d’une liberté de conviction et de parole, elle doit être absolue.

2. Dans une perspective plus pragmatique et compte tenu du fait qu’une redéfinition du champ d’application de l’irresponsabilité supposerait une révision de la Constitution, il est légitime de se demander si, en pratique, la solution retenue est insatisfaisante.

De mon point de vue, tel n’est pas le cas. Il ne me semble pas que l’article 26 conduise soit à une insuffisante protection de la liberté d’expression des parlementaires, soit à des abus de droit. Il ne me semble pas nécessaire de préciser ou faire évoluer les choses.

J’ajoute que, de manière générale, à vouloir être trop précis dans l’identification du périmètre d’une protection juridique on court toujours le risque de créer des « zones grises » qu’une formulation plus générale permettait d’embrasser.

 

8. Cette irresponsabilité doit-elle être davantage compensée par un renforcement des pouvoirs de sanction disciplinaire propres à chaque assemblée ?

Sur ce point, même constat que précédemment, à cette nuance près – et elle n’est pas négligeable – que le régime disciplinaire des parlementaires relève de la compétence des assemblées via leur règlement.

Sur le plan des principes, l’immunité parlementaire n’autorise évidemment pas le parlementaire à faire tout et n’importe quoi dans l’exercice de son mandat. Toutefois, le principe d’autonomie des assemblées justifie que ce soit à elles de statuer, dans l’intérêt du bon fonctionnement de l’assemblée concernée, sur les comportements des parlementaires qui le mettraient en péril. Le point a déjà été évoqué.

À cet égard, les articles 70 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale me semblent suffisants et, à droit constant, je ne vois pas de raison de renforcer les pouvoirs de sanction disciplinaire pour compenser davantage l’irresponsabilité attachée à l’immunité parlementaire.

 

III. L’inviolabilité

 

Concernant l’inviolabilité qui, on l’a vu, est le point le plus sensible dans l’ensemble des démocraties, les questions que vous avez souhaité me soumettre sont suffisamment précises pour que l’on y réponde brièvement et dans l’ordre.

Deux observations préalables me semblent néanmoins justifiées.

D’une part, le regard porté sur l’ensemble des questions qui suivent est nécessairement celui de l’universitaire qui n’a qu’une connaissance relative du fonctionnement – et des éventuels dysfonctionnements – du dispositif en vigueur. Les réponses sont donc fondées sur une appréciation de principe ainsi que sur les cas concrets dont on a pu avoir connaissance.

D’autre part, de manière générale, je tiens à affirmer l’importance que revêt, à mes yeux, le principe même de l’inviolabilité des parlementaires. En effet, si l’on peut se réjouir que les parlementaires français estiment ne pas avoir à craindre de pressions ou menaces émanant de l’exécutif ou des juges, il me semblerait particulièrement dangereux d’en tirer la conséquence que cette inviolabilité est devenue inutile. Les réponses qui suivent doivent donc être comprises à l’aune de ce présupposé que l’inviolabilité dût-elle, le cas échéant, être redéfinie, ne saurait en aucun cas être supprimée.

 

9. La limitation du champ de l’inviolabilité aux procédures criminelles et délictuelles est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

La restriction de l’inviolabilité aux procédures criminelles et délictuelles est conforme à l’idée que l’on entend protéger le parlementaire contre des procédures susceptibles de conduire à des peines privatives de liberté parce qu’elles les empêcheraient d’exercer effectivement. C’est ce qui explique que, en France, même avant la réforme de 1995, l’inviolabilité ne couvrait pas le champ contraventionnel et que toute autre procédure, dès lors qu’elle ne peut emporter une privation de liberté, en est, par principe exclue.

La solution me semble à la fois justifiée et raisonnable dès lors que l’inviolabilité n’a pas pour objet de faire bénéficier le parlementaire d’une impunité et vise à la protection du mandat. Elle est d’ailleurs relative et limitée à la durée dudit mandat, à la différence de l’irresponsabilité.

La solution est en outre celle traditionnellement retenue par les systèmes juridiques étrangers qui optent pour une inviolabilité des parlementaires.

Le choix opéré par certains d’entre eux d’exclure de l’inviolabilité des crimes ou délits d’une particulière gravité n’a, de mon point de vue, pas lieu d’être adopté en droit français dès lors que la levée d’immunité permet d’assurer que les parlementaires peuvent effectivement être poursuivis.

 

10. L’exclusion de l’engagement des poursuites du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

Cette exclusion résulte de la révision constitutionnelle du 4 août 1995. Auparavant, l’engagement de poursuites était subordonné à une levée d’immunité par l’assemblée dont le parlementaire visé était membre ce qui posait assurément deux problèmes :

–  d’une part, cela nuisait à la bonne administration de la justice et à ce qu’elle soit rendue dans un délai raisonnable ;

–  d’autre part, cela nuisait à la réputation des parlementaires alors même que l’engagement de poursuites ne signifie nullement qu’elles ont vocation à prospérer.

Dans le contexte actuel, la réinsertion de l’engagement des poursuites dans le champ de l’inviolabilité parlementaire serait absolument incompréhensible et apparaitrait, à raison, comme un privilège injustifié qui ne ferait que renforcer la défiance à l’égard de la classe politique. En sens inverse, et même si l’on peut déplorer la multiplication des poursuites engagées à tout bout de champ, il est tout sauf assuré qu’un tel retour en arrière réduirait le nombre des procédures, conduisant à une possible multiplication des demandes de levée d’immunité.

 

11. L’exclusion des arrestations ou mesures privatives ou restrictives de liberté ordonnées en cas flagrance du champ de l’inviolabilité est-elle pertinente ou doit-elle être réexaminée ?

La solution est sans aucun doute pertinente. Elle est d’ailleurs l’un des rares points communs de l’ensemble des régimes d’inviolabilité en démocratie.

Une fois encore, une réinsertion dans le champ de l’inviolabilité serait incompréhensible.

 

12. Les formes de privation ou de limitation de liberté concernées par le régime de l’inviolabilité sont-elles pertinentes et suffisamment bien définies ou doivent-elles être précisées ou évoluer (contrôle judiciaire, garde à vue, détention provisoire, arrestation, perquisition, saisie…) ?

Une fois encore, la solution est cohérente avec l’idée que l’immunité protège le mandat et non la personne qui l’exerce. L’objectif étant d’éviter qu’un parlementaire ne soit empêché de pouvoir exercer son mandat, seules les mesures susceptibles de restreindre ou supprimer la possibilité d’exercer effectivement le mandat sont visées.

Le champ de l’inviolabilité est donc précisément circonscrit – ce qui, sur le plan des principes, est satisfaisant. Le parlementaire ne peut être arrêté, privé de liberté (garde à vue ou détention provisoire) ou voir sa liberté restreinte (contrôle judiciaire) sans que l’assemblée dont il est membre ne l’ait préalablement autorisé.

Dans la mesure où une perquisition, saisie ou même l’engagement de poursuites, pour désagréables qu’ils soient, n’empêchent pas un parlementaire de se rendre physiquement dans l’enceinte de l’assemblée, on ne peut considérer que ces mesures l’empêchent d’exercer son mandat.

 

13. Faut-il modifier la forme de la demande de levée de l’immunité (autorité compétente pour la formuler, contenu de la demande…) ?

En l’état actuel du droit, c’est l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958, introduit en 1996, qui fixe les modalités de la demande de levée d’immunité.

La demande est « formulée par le procureur général près la cour d’appel compétente et transmise par le garde des sceaux, ministre de la justice, au président de l’assemblée intéressée. Cette demande indique précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués ».

C’est le Sénat qui, lors de la discussion du projet de loi pris pour l’application de la réforme constitutionnelle de 1995, a proposé d’introduire dans ces termes un article 9 bis dans l’ordonnance du 17 novembre 1958. Le rapporteur de la commission des lois faisait alors valoir qu’il s’agissait d’inscrire dans la loi une « coutume constitutionnelle » à laquelle les assemblées se tenaient dans le silence des textes. Après diverses réécritures faisant suite à des échanges avec le gouvernement, l’Assemblée nationale a, en deuxième lecture, sciemment souhaité revenir à la version initialement proposée par le Sénat, insistant sur le fait que, ainsi conçue, la procédure était de nature à « diminuer les tentations médiatiques », l’intervention du procureur général étant de surcroît « nécessaire dans des affaires qui concernent la liberté d’aller et venir d’élus de la Nation ». Quant à l’intervention du garde des sceaux, elle a été expressément voulue par le Sénat considérant qu’il était « le seul interlocuteur » possible pour les assemblées.

L’argument de la solennité renforcée de la procédure demeure entièrement pertinent et, dans la mesure où il n’apparaît pas que cette procédure soit problématique, on ne voit guère de raison de la modifier.

 

14. Les conditions d’instruction de la demande de levée d’inviolabilité sont-elles satisfaisantes ou doivent-elles être précisées ou évoluer (autorité d’instruction, publicité des travaux, motivation…) ?

15. L’autorité habilitée à lever l’inviolabilité est-elle la bonne (Bureau, assemblée, commission ad hoc…) ?

16. Les modalités d’adoption de la décision de levée de l’inviolabilité sont-elles suffisantes ou doivent-elle être précisées ou évoluer (forme de la décision, motivation, délai, publicité des délibérations…) ?

On répondra aux questions 14, 15 et 16 ensemble.

Aux termes de l’article 16 de l’Instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale, « Les demandes présentées en application de l’article 26, alinéa 2, de la Constitution sont adressées au Président de l’Assemblée qui en saisit le Bureau de l’Assemblée nationale, dont les décisions sont préparées par une délégation désignée en son sein ».

La procédure actuelle résulte de la réforme de 1996. Jusque-là, les demandes de levée d’immunité étaient débattues en séance publique, comme c’est le cas dans un certain nombre d’États. Le choix d’un examen à huis clos dans le cadre du bureau a fait suite à des débats houleux au cours desquels il a été estimé que la réputation du parlementaire en cause était mise à mal. C’est d’ailleurs également ce qui explique que les termes de la demande de levée d’immunité et la délibération du bureau soient considérés comme couverts par le secret de l’instruction.

Le retour à la solution antérieure serait envisageable même si, dans le contexte, je ne l’estime pas souhaitable. Elle ne me semblerait pas, dans le contexte actuel, de nature à rétablir la confiance dans la vie politique. De plus, la demande de levée d’immunité ne doit donner lieu ni à une foire d’empoigne ni à un pré-jugement du parlementaire. Pour l’ensemble de ces raisons, la solution actuelle me semble satisfaisante.

 

17. Est-il nécessaire de prévoir un recours contre la décision du Bureau ? Le cas échéant, ce recours doit-il être interne à l’assemblée ou être de nature juridictionnelle, devant le Conseil constitutionnel par exemple ?

La réponse à cette question est clairement négative pour trois raisons.

D’abord, la mise en place d’un recours interne à l’assemblée serait de nature à juridictionnaliser une procédure qui n’a pas lieu de l’être.

Ensuite, l’intervention d’une autre instance de type juridictionnel, s’agît-il du Conseil constitutionnel, serait résolument contraire au principe d’autonomie du Parlement et à l’esprit même de la levée d’immunité parlementaire qui en fait une affaire interne aux assemblées.

Enfin, l’absence de voie de recours n’interdit pas qu’une nouvelle demande de levée d’immunité soit formulée avec une motivation différente de nature à convaincre l’assemblée que la demande est sérieuse, loyale et sincère. D’ailleurs, compte tenu des délais dans lesquels le bureau statue sur les demandes de levée d’immunité, une telle formule présente l’avantage indéniable de la rapidité par rapport à un appel « juridictionnalisé » qui prendrait inévitablement plus de temps.

 

18. Le champ des mesures susceptibles d’être suspendues par l’assemblée concernée à la demande d’un parlementaire est-il pertinent ou doit-il évoluer (inclut les poursuites, à la différence de la demande de mainlevée) ?

Toujours aux fins de protection du mandat parlementaire, la Constitution permet à une assemblée de décider la suspension de la détention, des mesures privatives ou restrictives de liberté ou même des poursuites engagées à l’encontre d’un de ses membres. Il s’agit, et le principe en est ancien, de permettre à l’assemblée de réagir à une situation qu’elle estime abusive.

La procédure est une dérogation au droit commun. Elle a, sauf erreur de ma part, été utilisée en tout et pour tout moins d’une dizaine de fois par les deux assemblées depuis 1958. Mais c’est une « corde de rappel » à la disposition des assemblées dans l’hypothèse où des mesures manifestement injustes autant qu’injustifiées seraient prises contre un parlementaire.

 

19. La durée de la suspension décidée par l’assemblée est-elle adéquate ou doit-elle être revue (session, mandat…) ?

C’est la révision de 1995 qui a prévu de limiter la suspension à la durée de la session en cours, manière de confirmer si l’on avait des doutes que l’objectif est d’assurer le bon déroulement du travail parlementaire. Toute extension serait considérée comme un retour en arrière ; quant à une réduction, elle n’aurait guère de sens…

 

20. La procédure d’examen de la demande de suspension est-elle satisfaisante ou doit-elle être modifiée (délais, organe compétent, discussion en séance…) ?

La procédure diffère légèrement d’une assemblée à l’autre. Dans le cas de l’Assemblée nationale, le choix a été fait d’une commission pérenne alors que le Sénat prévoit une commission ad hoc. Pour le reste, la solennité de la procédure semble conforme à l’exceptionnalité de sa mise en œuvre. Sauf à ce qu’il soit démontré qu’elle dysfonctionne, on ne voit pas de raison de la modifier.

 

En conclusion, vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à une réforme de l’immunité parlementaire. Non pas que je sois par principe hostile à la réforme mais parce que j’estime qu’elle ne doit être conduite que lorsque le système dysfonctionne. En l’état, cela ne me semble pas être le cas et le fait que l’on prétende que l’opinion publique pense le contraire n’est pas de nature à me faire changer d’avis. Je pense, en revanche, qu’il serait plus que nécessaire de rappeler que protéger les parlementaires revient à protéger les citoyens et donc la démocratie.

 


—  1  —

Contribution de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des
facultés de droit, conseiller d’État en service extraordinaire

 


—  1  —

Contribution de M. Serge Sur, professeur émérite de droit public de l’Université Paris II Panthéon-Assas

 

Observations sur les immunités parlementaires

 

 

 

 

Auditionné par la Commission des lois, à la demande des rapporteurs, les Députés Alain Tourret et Sébastien Huyghe, le signataire de ses lignes présente les observations suivantes.

 

  1. – Contexte de la question des immunités parlementaires

 

Il semble que la difficulté rencontrée actuellement par les parlementaires est celui de la confiance de l’opinion. En d’autres termes, il s’agit de s’interroger sur un antiparlementarisme croissant, qui se traduit par des atteintes aux permanences locales des députés et vont jusqu’à des agressions physiques contre des élus, y compris des maires. Cet antiparlementarisme agressif, qui ne correspond à aucun mouvement organisé mais répond à des délinquances individuelles, est assez nouveau sous la Ve République. Il n’est pas sans mémoire historique sous les républiques précédentes. Il était alors de bon ton de brocarder les parlementaires, voire de manifester contre eux. L’antiparlementarisme s’était cependant atténué durant les premières décennies de la Ve, probablement parce que le pouvoir de décision avait glissé du parlement vers l’autorité présidentielle ou gouvernementale. C’étaient ainsi les ministres qui, lors de leurs déplacements, pouvaient être soumis à la vindicte d’une partie de la population. On se souvient par exemple des amples démonstrations contre les réformes de l’agriculture impulsées par Edgard Pisani ministre de l’Agriculture au début des années 60. 

 

Cette situation a radicalement changé, non que ministres, premier ministre ou président soient exempts de manifestations hostiles mais parce que des mesures préventives les protègent davantage dans leurs déplacements. Pour les parlementaires et surtout les députés, plus directement confrontés aux populations de leurs circonscriptions, la protection est plus difficile, leur diffusion sur le territoire et leur présence sur le terrain beaucoup plus fréquente. Ils sont donc quasi-journellement exposés à l’éventuel mécontentement des électeurs dans les lieux et circonstances les plus variées. On peut y voir une double raison.

 

–  d’une part, les pouvoirs du parlement, même s’ils restent encadrés et limités par la prépondérance gouvernementale, se sont accrus en fonction des réformes successives de la constitution, et notamment de la réforme de 2008. Face à la contestation des lois, les députés sont ainsi localement en première ligne, parce que leur rôle dans la décision est considéré, à tort ou à raison, comme plus important désormais ;

 

–  d’autre part, la médiatisation accrue de la vie publique en raison du développement des chaînes audiovisuelles d’information permanente, la multiplication et la vitalité des réseaux sociaux ont conduit à une exigence croissante de transparence. Le souci de ces chaînes et réseaux est de sensibiliser, d’agiter, de nourrir interrogations et contestations, par recherche de l’audience, par quête de scandales, par incitations à s’indigner. De façon générale, dans un climat d’hystérisation de la vie politique renforcé par la brièveté des mandats électoraux, les parlementaires sont largement perçus comme des privilégiés, bénéficiant d’avantages indus, et les réformes qui répondent à des affaires rapidement judiciarisées semblent toujours insuffisantes et cosmétiques. Président et personnel gouvernemental sont également atteints par ce discrédit diffus mais puissant, dont les Gilets jaunes sont une expression parmi d’autres. C’est ainsi qu’un parlementaire comme François Fillon, après un ministre comme Jérôme Cahuzac ont été des figures exemplaires de ce que beaucoup considèrent comme une corruption profonde de la classe politique. Cette perception est certainement erronée ou excessive, mais en politique les perceptions sont des faits que l’on ne peut ignorer et auxquels il faut répondre.

 

  1. Le renforcement de la protection juridique des parlementaires est-il la solution ?

 

Voilà ce qui serait l’objet d’une révision constitutionnelle de l’article 26 qui prévoit les immunités parlementaires. Or ces protections sont des protections de papier. Elles n’ont pas empêché les agressions physiques de parlementaires ou les attaques contre leurs locaux. On peut évoquer une analogie : dans ses Observations sur la Révolution française, Mme de Staël note que, après le retour du roi à Paris, on avait tendu autour des Tuileries et du jardin un ruban de soie rose qui éloignait les parisiens et matérialisait sur le terrain l’inviolabilité du monarque reconnue par la Constitution de 1791. Ce ruban n’a nullement empêché la prise des Tuileries le 10 août 1792, l’arrestation du roi et la suite. De la même manière, durcir les immunités parlementaires pourrait apporter à ces derniers une satisfaction de principe sans aucunement les mettre à l’abri des exactions malveillantes et plus ou moins anonymes. Le risque est même de développer l’antiparlementarisme par la perception de privilèges accrus, alors que, face à ces exactions, les parlementaires comme tous les élus et l’ensemble des citoyens bénéficient de la protection du droit commun, en vertu du Code pénal.

 

Si l’on se place sur le terrain juridique, le plus important n’est-il pas de rétablir la confiance entre électeurs et élus ? Les mesures en ce sens pourraient être de nature différente : par exemple mieux réglementer et prévenir les conflits d’intérêt, en contrôlant davantage l’existence et l’activité des lobbies, fort entreprenants auprès des élus – tel député ne propose-t-il pas systématiquement des amendements favorables à l’industrie pharmaceutique ? tel autre ne marque-t-il pas un intérêt jaloux pour les chasseurs ? Ou encore ne conviendrait-il pas de parachever la transparence financière des dépenses professionnelles des parlementaires, qui a déjà été accrue ? Il reste à faire en ce domaine, et l’on pourrait s’inspirer des mesures adoptées voici quelques années au Royaume-Uni, qui ont mis fin à des abus intolérables pour l’opinion. Plus généralement, l’autonomie légitime des assemblées parlementaires, fondée sur la séparation des pouvoirs, ne devrait pas empêcher que le budget des chambres soit soumis au contrôle et à l’évaluation de la Cour des Comptes. Cette institution contrôle désormais le budget de la présidence de la République comme celui de l’État, et l’on ne voit pas pourquoi les chambres sont traitées différemment, alors même qu’elles peuvent demander le concours de la Cour des Comptes (art. 47-2 de la Constitution).

 

Mais il faut maintenant passer aux aspects plus précis et plus techniques des immunités. Même si elles ont des éléments communs et procèdent du même esprit, on sait qu’elles se dédoublent, entre irresponsabilité et inviolabilité. L’article 26 les reconnaît et les réglementent toutes les deux. Le rapport sur la base duquel les présentes observations sont faites donne des arguments en faveur d’une réforme visant à les renforcer. Convient-il de le faire ? Un examen analytique de chacune de ces formes est nécessaire. Si le régime actuel de l’irresponsabilité ne semble appeler que des réformes mineures, l’inviolabilité est davantage contestable.

 

  1. Le maintien d’une irresponsabilité limitée

 

On n’entrera pas ici dans la question du fondement des immunités, pour s’attacher davantage à leur analyse dans le cadre de la constitution actuelle, telle qu’elles sont formulées par son article 26 révisé. Posons simplement que ce fondement n’est pas la séparation des pouvoirs, parce que chaque pouvoir ou autorité doit exercer pleinement ses attributions, mais sur la notion de représentation. C’est parce que et dans la mesure où les représentants de la nation doivent exercer le mandat dans des conditions d’indépendance garantie, exempte de toutes pressions extérieures, qu’ils bénéficient d’une irresponsabilité judiciaire « dans l’exercice de (leurs) fonctions ». Telle est la formulation de l’article 26 al. 1 : « Aucun membre du parlement ne peut être poursuivi, recherché, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

 

Que faut-il entendre par là ? Le rapport précité envisage son extension à tous moments et en tous lieux, dans le temps et dans l’espace, sa généralisation en d’autres termes, alors même que la jurisprudence l’a entendue jusqu’à présent de manière plus restrictive. Elle s’applique dans l’enceinte du Palais Bourbon ou du Palais du Luxembourg, pour les propos tenus dans l’hémicycle ou en commission, mais pas à l’extérieur. Pour changer cette situation, pour étendre l’irresponsabilité, il pourrait suffire d’un changement de jurisprudence, sans qu’il soit besoin d’une réforme constitutionnelle. Mais ce changement est fort peu probable et la réforme paraît peu opportune pour les raisons qui suivent.

 

  Extension dans le temps. Le rôle du parlement, et donc la mission des parlementaires aux termes de l’article 24 de la Constitution, est de voter la loi, de contrôler l’action du gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Dans ce cadre, Il est également, aux termes de l’article 49, de mettre en cause la responsabilité politique du gouvernement. Voilà qui définit de matière limitative l’irresponsabilité judiciaire des parlementaires, alors que les députés peuvent être politiquement mis en cause par une dissolution de l’Assemblée nationale. On fait toutefois valoir que là ne se limitent pas les missions des parlementaires, qui doivent être présents dans leur circonscription, jouer un rôle de conseil et d’assistance en même temps qu’ils enregistrent les desiderata des électeurs et maintiennent entre les représentants et la nation un contact permanent.

 

Cet argument fait bonne mesure du concept même de représentation qui domine les parlementaires, et principalement les députés : ils ne représentent pas leur circonscription mais la nation dans son ensemble. Le rapport avec la circonscription est d’une autre nature, il est lié à un mode de scrutin uninominal à deux tours dans un cadre territorial limité qui dépend de la loi et non de la constitution. Raisonner autrement conduirait à revenir à la Charte de 1814, qui mentionnait « les députés des départements » (art. 15), manière de leur refuser la qualité de représentants pour en faire de simples délégués territoriaux. Solution alors logique puisque la souveraineté résidait dans le roi, non dans la nation. Veut-on rétablir cette conception ? Un député, tout autant qu’un sénateur, est un représentant national et ne peut s’appuyer sur une localisation particulière au regard de la constitution. S’ajoute un argument tiré de l’égalité devant la loi : les parlementaires sont appelés à participer à des compétitions électorales, dans lesquelles ils se voient opposés à des non parlementaires s’ils sollicitent leur réélection. Alors, ils auraient une entière liberté de parole, allant jusqu’à la diffamation, aux insultes et aux fausses nouvelles, tandis que leurs concurrents ne disposeraient pas des mêmes capacités de transgression ? Ce serait évidemment contraire à l’équité de la campagne électorale. Tout indique donc qu’il convient de conserver une conception plus étroite de l’irresponsabilité dans le temps, limitée à l’exercice des missions constitutionnelles dans le cadre collégial des chambres.

 

  Extension dans l’espace : On l’a déjà abordée, dans la mesure où temps et espace s’entremêlent. Convient-il d’étendre l’irresponsabilité au-delà des enceintes parlementaires ? On retrouve ici la question de l’égalité devant la loi. Des parlementaires participant par exemple à des débats audiovisuels, soit des entretiens avec des journalistes, soit des débats contradictoires, bénéficieraient d’un avantage indu s’ils pouvaient disqualifier interrogateurs ou compétiteurs par des arguments fallacieux, voire par des accusations sans fondement.

 

  Extension quant aux personnes concernées : En revanche, toujours en lien avec les missions du parlement, il semble opportun d’étendre l’irresponsabilité judiciaire aux personnes entendues devant une commission parlementaire. Il conviendrait même de préciser que leurs auditions sont soustraites au pouvoir disciplinaire et même hiérarchique de leur administration lorsqu’il s’agit d’agents publics, et que les personnes privées doivent disposer de garanties équivalentes. Le parlement ne saurait en effet exercer sa mission d’évaluation des politiques publiques s’il ne peut attendre des auditions sincères, exactes et complètes. Il s’agit d’une protection fonctionnelle, tout à fait indépendante du statut des personnes auditionnées. Il faut toutefois préciser que cette immunité n’autorise pas le parlement à aller au-delà de ses missions, notamment à auditionner les services de la présidence en dehors de leurs liens avec le gouvernement. Le parlement contrôle en effet l’action du gouvernement, mais pas celle de la présidence de la République (art. 24 de la Constitution).

 

On ne se prononcera pas ici sur l’opportunité d’étendre l’irresponsabilité aux élus locaux, d’une part parce qu’il s’agit d’une tout autre question, d’autre part parce que les garanties supplémentaires qui pourraient leur être apportées sont à définir par la loi, sans qu’il soit besoin d’une réforme constitutionnelle.  

 

  1. Remettre en cause l’inviolabilité

 

Elle fait l’objet de l’alinéa 2 de l’article 26 de la Constitution : « Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive ». Les alinéas suivants, 3 et 4, ajoutent quelques précisions, permettant la suspension des mesures pour la durée de la session si l’assemblée concernée le requiert, et elle se réunit de plein droit à cet effet.

 

À noter que la rédaction actuelle de l’alinéa 2 résulte d’une révision constitutionnelle survenue en 1995, et qu’elle a fait l’objet d’une divergence entre l’Assemblée et le Sénat. Dans la rédaction antérieure, c’est la chambre dans son ensemble, non simplement le bureau, qui devait accorder l’autorisation. D’où des débats publics qui alertent et peuvent mobiliser l’opinion publique contre les parlementaires. L’Assemblée, alors présidée par Philippe Seguin, aurait souhaité supprimer purement et simplement cette autorisation, renonçant à l’inviolabilité. Le Sénat à l’inverse, dont l’accord était nécessaire pour une révision par voie parlementaire, a imposé que l’on soumette l’autorisation au Bureau, ce qui est une procédure plus opaque et se prête mieux à des arrangements entre parlementaires. Comme il arrive parfois, une demande de transparence aboutit à une opacité renforcée.

 

Si nouvelle réforme il devait y avoir, on peut souhaiter à notre sens soit que l’on en revienne au débat public devant chaque chambre pour autoriser les mesures judiciaires, soit au minimum que les décisions prises par les Bureaux respectifs soient motivées. Mais la meilleure solution pourrait être que l’autorisation soit purement et simplement supprimée. Il n’entre en effet pas dans la mission des parlementaires de commettre des délits et des crimes. Cette hypothèse sort de la protection due aux représentants, qui ne sont pas au-dessus des lois, les dépouille en quelque sorte de leur immunité liée à leur qualité pour les soumettre, comme tous les citoyens, à la loi. Car s’ils sont représentants, ils sont également citoyens. Le principe de séparation des pouvoirs entraîne en outre qu’il ne devrait pas être apporté d’entraves à l’exercice de l’autorité judiciaire. Cela implique certes que les parlementaires puissent avoir confiance en une justice qui ne soit pas instrumentalisée à leur encontre, et l’on reviendra en conclusion sur cette condition.  

 

Alors le rapport qui sert de base à ces observations suggère une extension considérable de l’inviolabilité sous plusieurs aspects. On s’attachera à trois d’entre eux : l’inclusion des contraventions, celle des perquisitions, celle de la protection des sources.

 

  Étendre l’inviolabilité aux contraventions ? il est soutenu que certaines contraventions peuvent avoir des conséquences restrictives de liberté et qu’à ce titre elles devraient relever de l’inviolabilité. Notons que seules seraient concernées par une extension éventuelle lesdites mesures restrictives. Est-ce bien fondé ? la question est toujours celle de la liberté et de l’indépendance dans l’exercice du mandat. On ne voit pas très bien de ce point de vue en quoi la suspension ou le retrait du permis de conduire nuirait à cet exercice, dès lors qu’existent des moyens de transport alternatifs, en outre plus facilement accessibles aux parlementaires qu’aux voyageurs ordinaires, ou qu’ils peuvent recourir à des chauffeurs dans le cadre de leur indemnité professionnelle. Il en est de même de l’interdiction de carte bleue ou d’émission de chèques, puisque d’autres moyens de paiement sont parallèlement disponibles.

 

–  Quant aux perquisitions, on ne peut sans excès les considérer comme des mesures restrictives de liberté. La pratique a en outre montré, au cours des années récentes, que les locaux parlementaires, ceux de ministères aussi importants que la défense ou la justice, même les services de renseignement ou la Cour de cassation ont pu faire l’objet de perquisitions. Pourquoi reconnaître une protection spéciale aux parlementaires ? Une perquisition ne saurait entraver l’exercice de leur mandat. Elle permet simplement de réunir indices et preuves pouvant conduire à une mise en examen, et s’ils existent c’est le parlementaire qui a transgressé son mandat. S’ils n’existent pas, il n’aura aucune raison d’être inquiété.

 

À cet égard la comparaison avec la protection des avocats n’est pas fondée, puisque cette dernière repose sur le secret de l’instruction et sur les droits de la défense, alors que les perquisitions de droit commun respectent ces droits en les soumettant au contradictoire. La question se relie aussi à la protection des sources sur laquelle on va revenir. À supposer même que l’on considère la perquisition comme une mesure restrictive de liberté, on ne voit plus généralement aucune raison d’inclure dans l’inviolabilité de telles mesures dès lors qu’elles n’entravent pas l’exercice du mandat Il en est de même pour des mesures comme le contrôle judiciaire ou l’interdiction de sortir du territoire, dès lors qu’elles n’empêchent pas les parlementaires de siéger et de remplir leurs fonctions. 

 

–  Pour ce qui est enfin de la protection des sources, la comparaison avec le régime dont bénéficient les journalistes, présente dans le rapport précité, n’est pas davantage fondée. Les journalistes sont des personnes privées qui n’ont pas l’obligation de dénoncer à la justice les comportements illégaux dont ils auraient connaissance. En revanche, l’article 40 du Code de procédure pénale oblige toute autorité publique à saisir le Procureur de la République dans une telle hypothèse. Il en a parfois fait application par des parlementaires. Faut-il les soustraire à l’application de l’article 40 ? Quels pourraient en être le fondement et les justifications ? Notons que la protection des sources a d’abord pour objet de protéger la source, et non pas le journaliste ; les parlementaires n’ont pas de source à protéger.

 

Si l’on résume l’ensemble, la tonalité du rapport ici commenté oriente vers une immunité générale et absolue des parlementaires, subordonnée à la seule volonté des chambres. C’est confondre autonomie parlementaire et souveraineté parlementaires. C’est établir un régime privilégié au sens propre du terme, qui évoque fâcheusement la fameuse interjection de M. Jean-Luc Mélenchon confronté à une perquisition : « Ma personne est sacrée ! La République, c’est moi ! ». Lorsqu’on mesure les dégâts pour l’intéressé d’une semblable prétention, on ne saurait trop recommander la prudence aux parlementaires. Ils peuvent être soumis à des actes malveillants, à de mauvais traitements, voire à de véritables agressions. Mais ils bénéficient de la protection de la loi, et en toute hypothèse on a déjà observé que les immunités juridiques n’étaient pas en mesure de prévenir ce type d’atteinte aux représentants, atteintes dont on ne peut que déplorer et condamner la multiplication.

 

*

*   *

 

Deux observations générales pour conclure.

 

–  D’abord, étendre le régime des immunités parlementaires va à l’encontre d’une tendance de fond qui consiste à généraliser le droit commun en les remettant en cause. C’est ainsi que, en France, on envisage de supprimer la Cour de justice de la République et de soumette les ministres à la justice ordinaire. Les parlementaires devraient-ils être mieux protégés de la justice que les ministres ? Sur le plan international, c’est la disparition de l’immunité des chefs d’État et autres responsables publics devant la Cour pénale internationale. En vertu de l’article 27 du Statut de Rome, des parlementaires pourraient être poursuivis par le Procureur pour crime de guerre, crime contre l’humanité, acte d’agression. Or on peut parfaitement imaginer que le parlement vote en faveur d’une opération extérieure que le Procureur considérera comme un acte d’agression. Des précédents de poursuites de parlementaires existent en ce sens. Alors les parlementaires seraient mieux protégés sur le plan interne qu’international, alors même qu’ils ont autorisé la ratification du Statut de Rome par la France ?

 

Même si la question semble sans rapport, on ne peut qu’être frappé par le fait que les parlementaires, s’ils revendiquaient une extension de leur immunité personnelle, seraient en contradiction avec leur renonciation à l’immunité de la loi. La QPC permet en effet au Conseil constitutionnel d’abroger des lois régulièrement votées et promulguées, ce qui fait que le Conseil participe à la puissance législative. Et le parlement y a consenti avec la réforme de 2008. Alors, renoncer à l’immunité normative et renforcer l’immunité personnelle ?

 

–  Ensuite, on est frappé par le fait que l’inviolabilité n’existe ni au Royaume-Uni ni aux États-Unis, pays qui ne sont pas connus pour maltraiter leurs parlementaires. La raison en est que l’on n’y redoute pas l’instrumentalisation ou les manipulations du pouvoir judiciaire, du fait de sa réelle indépendance. Ainsi, la véritable protection des parlementaires contre les risques d’abus et d’arbitraire de l’autorité judiciaire serait dans l’institution, en France, d’un véritable pouvoir judiciaire, unique, indépendant et constitutionnel. Voilà un sujet de réforme de fond de nature à rétablir la confiance dans les institutions et dans la représentation politique, trop souvent suspectée, à tort mais les perceptions sont des faits dont il faut tenir compte, de bénéficier de privilèges exorbitants.

 

 

 

Serge SUR

Professeur émérite de droit public

de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)

 

 

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Décret du 23 juin 1789 sur l’inviolabilité des députés.

([3]) D’après le Dictionnaire de l’Académie française, le substantif immunité vient du latin : emprunté de immunitas, qui signifiait « exemption, dispense, remise », c’est un dérivé de immunis, qui voulait dire « dispensé de toute charge ; qui se soustrait aux charges », lui-même dérivé de munus, « charge ».

([4]) « La liberté de parole et les débats ou procédures du Parlement ne doivent être entravés ou remis en cause devant aucun tribunal, ni en aucun autre lieu que le Parlement ».

([5]) « En aucun cas autre que ceux de trahison, crime ou atteinte à la paix publique, [les sénateurs et les représentants] ne pourront être arrêtés durant les sessions de leur chambre, ni lorsqu’ils se rendront à une session de cette chambre ou en reviendront ; ils ne pourront être inquiétés en aucun autre lieu pour leurs discours ou opinions émis dans l’une quelconque des chambres ».

([6]) E. Pierre, Traité de droit politique, électoral et parlementaire, 1989, Éditions Loysel, tome 2, p. 1210.

([7]) G. Carcassonne et M. Guillaume, La Constitution, 14ème édition, 2017, p. 161.

([8]) Commission pour la démocratie par le droit, Rapport sur l’étendue et la levée des immunités parlementaires, mars 2014, pp. 3-4.

([9]) En vertu de l’article 67 de la Constitution, le Président de la République est irresponsable pour les « actes accomplis en cette qualité » hors le cas d’un manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat, susceptible de conduire à sa destitution prononcée en Haute Cour, et sous réserve des poursuites susceptibles d’être engagées à son encontre par la Cour pénale internationale pour les crimes relevant de sa compétence.

([10]) Conformément à l’article 68-1 de la Constitution, les membres du Gouvernement « sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis ». Ils sont jugés par la Cour de justice de la République. On observera que le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique propose la suppression de la Cour de justice de la République afin que les ministres soient jugés par une juridiction judiciaire de droit commun, la cour d’appel de Paris. Par ailleurs, les membres du Gouvernement bénéficient aussi de l’immunité de parole pour les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat, en application du premier alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([11]) Article 8 du protocole (n° 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne.

([12]) L’article 9 du même protocole prévoit que, « pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient (…), sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays » et, « sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire ». Par ailleurs, « l’immunité les couvre (…) lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent » mais elle « ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit » ni « mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres ».

([13]) Contribution écrite de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon‑Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel, p. 2.

([14]) Contribution écrite de M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, directeur de l’Institut Michel Villey, pp. 2-3.

([15]) Vos rapporteurs n’ont recensé que trois travaux universitaires d’envergure sur le sujet depuis le début de la Ve République :

–  G. Soulier, L’inviolabilité parlementaire en droit français, L.G.D.J, 1965 ;

–  C. Bonnotte, Recherche sur la notion d’immunité en droit constitutionnel français, th. Droit, Limoges, 2002 ;

–  C. Guérin-Bargues, Immunités parlementaires et régime représentatif : l’apport du droit constitutionnel comparé (France, Royaume-Uni, États-Unis), L.G.D.J, 2011.

([16]) Article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

([17]) Contribution écrite de M. Serge Sur, professeur émérite de droit public de l’Université Paris II Panthéon‑Assas, pp. 2-3.

([18]) C. Guérin-Bargues, op. cit., p. 142.

([19]) Avec le passage progressif d’un système de pétition, que le roi avait toute latitude d’accepter, de modifier ou de rejeter, au système du bill, procédure d’initiative à laquelle le roi ne pouvait opposer qu’un veto.

([20]) Pétition de la chambre des Communes du 3 décembre 1621 au roi Jacques Ier.

([21]) C. Guérin-Bargues, op. cit., p. 166.

([22]) Contribution écrite de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, p. 3.

([23]) L’article 3 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ainsi que les articles 13 du Règlement de l’Assemblée nationale et 90 du Règlement du Sénat prévoient que le président de ces assemblées sont chargés, chacun pour ce qui le concerne, « de veiller à la sûreté intérieure et extérieure » de celles-ci.

([24]) Les articles 52 du Règlement de l’Assemblée nationale et 33 du Règlement du Sénat disposent que « le Président ouvre la séance, dirige les délibérations, fait observer le Règlement et maintient l’ordre ». En vertu de l’article 91 du Règlement du Sénat, « nul ne peut, sous aucun prétexte, pénétrer dans la salle des séances ».

([25]) Qui doivent conduire le Bureau à informer sur-le-champ le procureur général près la cour d’appel de Paris aux fins de poursuites, en application des articles 78 du Règlement de l’Assemblée nationale et 98 du Règlement du Sénat.

([26]) Contribution écrite de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, p. 3.

([27]) Articles 70 du Règlement de l’Assemblée nationale et 95 du Règlement du Sénat.

([28]) Commission pour la démocratie par le droit, op. cit., pp. 13‑14.

([29]) Qui dispose que « les Représentants de la Nation sont inviolables : ils ne pourront être recherchés, accusés, ni jugés en aucun temps pour ce qu’ils auront dit, écrit ou fait dans l’exercice de leurs fonctions de représentants ».

([30]) Proclamée le 23 juin 1789, l’irresponsabilité figure dans les Constitutions de 1791, 1793, de l’an III, de l’an VIII et de 1848, dans la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 puis dans la Constitution du 27 octobre 1946 et celle du 4 octobre 1958.

([31]) La Convention y déroge, tout comme les Chartes et la Constitution de 1852 (mais la loi sur la presse de 1819 et le décret organique de 1852 l’organisent). La dernière exception à son application remonte à l’ordonnance du 21 avril 1944 sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, qui frappa d’inéligibilité « les membres du Parlement ayant abdiqué leur mandat en votant la délégation de pouvoir constituant à Philippe Pétain le 10 juillet 1940 ».

([32]) En 2003 et 2005, la cour d’appel de Paris a par exemple déclaré irrecevable, sur le fondement de l’article 26 de la Constitution et de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la citation directe de personnes, parmi lesquelles figuraient des parlementaires, pour leur participation à la rédaction d’un rapport sur « Les sectes et l’argent » (CA de Paris, chambre correctionnelle 11, section B, 19 septembre 2003, n° 2003-225956) ainsi que les poursuites pour discrimination dirigées contre le Président de l’Assemblée nationale à raison de la publication de ce rapport (CA de Paris, chambre correctionnelle 11, section B, 1er juillet 2005, n° 2005-282755).

([33]) Le dernier alinéa du IV de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « sera punie des peines prévues à l’article 22613 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

([34]) L’article 142 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que « ne peuvent être désignés comme membres d’une commission d’enquête les députés ayant été l’objet d’une sanction pénale ou disciplinaire pour manquement à l’obligation du secret à l’occasion des travaux non publics d’une commission constituée au cours de la même législature ». L’article 8 ter du Règlement du Sénat dispose que « tout membre d’une commission d’enquête ne respectant pas les dispositions (…) relatives aux travaux non publics d’une commission d’enquête peut être exclu de cette commission » et qu’« en cas d’exclusion, celle-ci entraîne l’incapacité de faire partie, pour la durée du mandat, de toute commission d’enquête ».

([35]) Cass. crim., 25 avril 1989, n° 86-91.648.

([36]) Cass. crim., 24 novembre 1960, Bull. crim., n° 551.

([37]) Sont donc exclus de la protection les propos constitutifs d’une provocation à commettre des crimes ou délits réprimés par les articles 23 à 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, comme l’apologie des crimes contre l’humanité, la provocation au terrorisme ou son apologie, ou l’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination à raison de l’origine, d’une prétendue race, de la religion, de l’ethnie, de la nationalité, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’identité de genre ou du handicap.

([38]) Troisième alinéa de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([39]) Décision n° 89-26 DC du 7 novembre 1989, Loi relative à l’immunité parlementaire. L’adoption de cette loi faisait suite au refus de la cour d’appel de Paris de faire application de l’irresponsabilité à l’égard du député Alain Vivien, contre lequel l’Église de scientologie avait engagé une action pénale pour diffamation à raison du contenu d’un rapport qu’il avait rédigé sur les sectes à la demande du Gouvernement. Elle fut déclarée contraire à la Constitution pour méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

([40]) Cass. crim., 10 mai 2016, n° 15-86.600 : « l’immunité prévue par l’article 41, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne se limite pas aux seuls discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais s’étend aux propos émis dans l’exercice des fonctions parlementaires ».

([41]) Cass. crim., 7 mars 1988, n° 87-80.931.

([42]) Avant la loi du 14 novembre 2008 relative au statut des témoins devant les commissions d’enquête parlementaires, les témoins appelés à déposer devant ces commissions ne bénéficiaient d’aucune immunité.

([43]) Cass. crim., 16 décembre 1997, n° 96-82.509.

([44]) Cass. crim., 22 octobre 2002, n° 01-86.908.

([45]) CJUE, 6 septembre 2011, Aldo Patriciello, n° C-163/10.

([46]) Audition, le 11 septembre 2019, de M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

([47]) CEDH, 17 décembre 2002, A. c. Royaume-Uni, n° 35373/97.

([48]) CEDH, 30 janvier 2003, Cordova c. Italie (n° 1), n° 40877/98.

([49]) CEDH, 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, nos 42461/13 et 44357/13.

([50]) CEDH, 12 avril 2012, De Lesquen Du Plessis-Casso c. France, n° 54216/09.

([51]) CEDH, 7 septembre 2017, Lacroix c. France, n° 41519/12.

([52]) CEDH, 25 novembre 1996, Wingrove c. Royaume-Uni (n° 1), n° 17419/90.

([53]) CEDH, 28 septembre 2000, Lopes Gomes Da Silva c. Portugal, n° 37698/97 ; 23 janvier 2007, Almeida Azevedo c. Portugal, n° 43924/02 ; 25 février 2010, Renaud c. France, n° 13290/07.

([54]) CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c. France, n° 12697/03.

([55]) Cass. crim., 12 novembre 2008, n° 07-83.398.

([56]) Contribution écrite de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés, conseiller d’État en service extraordinaire, p. 7.

([57]) Contribution écrite de M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, directeur de l’Institut Michel Villey, p. 4.

([58]) Contribution écrite de Mme Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, p. 4.

([59]) Cass. crim., 30 septembre 2003, Bull. Crim. n° 173 : en l’espèce, il était reproché au député d’avoir eu recours à des « amalgames hâtifs », qui ne pouvaient être considérés comme un compte rendu fidèle du rapport de la commission d’enquête.

([60]) C. Guérin-Bargues, op. cit., p. 271.

([61]) Dans plusieurs arrêts, la CEDH a condamné la France dans ce domaine et a appelé « à faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale », « le prononcé même d’une condamnation pénale [étant] l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression, eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civil » (CEDH, 23 avril 2015, Morice c. France, n° 29369/10 et 7 septembre 2017, Lacroix c. France, n° 41519/12).

([62]) Contribution écrite de M. Denis Baranger, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, directeur de l’Institut Michel Villey, pp. 5-6.

([63]) Par dérogation aux règles de droit commun, l’office du juge d’instruction dans ces matières est très limité puisqu’en application de l’article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il « ne peut instruire sur les preuves éventuelles de la vérité des faits diffamatoires, ni sur celles de la bonne foi en matière de diffamation, ni non plus instruire sur l’éventuelle excuse de provocation en matière d’injure ». Il se borne donc à informer la personne poursuivie de son intention de la mettre en examen, après qu’elle aura pu présenter des observations écrites ou être entendue.

([64]) Dans sa décision précitée n° 89-26 DC du 7 novembre 1989, le Conseil constitutionnel a considéré qu’une loi ayant pour objet d’exonérer totalement de responsabilité le parlementaire à raison des propos qu’il tient dans le cadre d’une mission confié par le Gouvernement en application de l’article LO. 144 du code électoral ne pouvait s’interpréter comme une conséquence du régime d’irresponsabilité institué par le premier alinéa de l’article 26 de la Constitution, une telle mission constituant un acte distinct de ceux accomplis par le parlementaire dans l’exercice de ses fonctions, et méconnaissait, par sa portée, le principe constitutionnel d’égalité devant la loi.

([65]) La CEDH juge qu’il serait incompatible avec la prééminence du droit dans une société démocratique qu’un État puisse, « sans réserve ou sans contrôle des organes de la Convention, soustraire à la compétence des tribunaux toute une série d’actions civiles ou exonérer de toute responsabilité des catégories de personnes » (CEDH, 21 septembre 1994, Fayed c. Royaume-Uni, n° 17101/90 et 16 novembre 2006, Tsalkitzis c. Grèce, n° 11801/04) ; elle examine chaque fois « si les actes incriminés étaient liés à l’exercice de fonctions parlementaires stricto sensu » (CEDH, 30 janvier 2003, Cordova c. Italie (n° 1), n° 40877/98 et 3 décembre 2009, Kart c. Turquie, n° 8917/05).

([66]) Selon la Commission de Venise, il s’agit de l’Argentine, d’Israël, de l’Italie, de la Lettonie, de la Moldavie, des Pays-Bas et du Portugal, où l’irresponsabilité vaut pour les propos politiques tenus en dehors du Parlement, ainsi que de l’Arménie, de la Bosnie-Herzégovine, de l’Estonie, de la Finlande, de la Géorgie, de la Grèce et du Pérou, dans lesquels l’irresponsabilité protège la fonction parlementaire au sens large.

([67]) Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats, p. 3.

([68]) Contribution écrite de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, p. 7.

([69]) Contribution écrite de M. Olivier Beaud, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, p. 1.

([70]) L’article 9 du Bill of Rights prévoit que « la liberté de parole et les débats ou procédures du Parlement ne doivent être entravés ou remis en cause devant aucun tribunal, ni en aucun autre lieu que le Parlement » et l’article I, section 6, § 1 de la Constitution des États-Unis dispose que les sénateurs et les représentants « ne pourront être inquiétés en aucun autre lieu pour leurs discours ou opinions émis dans l’une quelconque des chambres ». En France, le pouvoir disciplinaire des assemblées ne figure pas à l’article 26 de la Constitution mais dans le règlement de chacune d’elles : il a toutefois toujours été reconnu par la Constitution, les règlements des assemblées ou la pratique depuis la Convention.

([71]) Les peines disciplinaires applicables aux députés et sénateurs sont, en application des articles 70 à 77-1 du Règlement de l’Assemblée nationale et 92 à 98 du Règlement du Sénat :

–  le rappel à l’ordre simple, sans conséquence financière ;

–  le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal : il est assorti, à l’Assemblée nationale, de la privation, pendant un mois, du quart de l’indemnité parlementaire ;

–  la censure simple, qui entraîne la privation, pendant un mois, de la moitié de l’indemnité parlementaire à l’Assemblée nationale et, au Sénat, du tiers de l’indemnité parlementaire et de la totalité de l’indemnité de fonction ;

–  la censure avec exclusion temporaire, qui s’accompagne, dans les deux assemblées, d’une interdiction de prendre part aux travaux parlementaires et de reparaître dans le palais pendant 15 à 30 jours et de la privation, pendant deux mois, de la moitié de l’indemnité parlementaire à l’Assemblée nationale, ou, au Sénat, du tiers de l’indemnité parlementaire et de la totalité de l’indemnité de fonction.

([72]) Contribution écrite de Me François Saint-Pierre, avocat aux barreaux de Lyon et Paris, pp. 3-4.

([73]) Aux termes de l’article 171 du code de procédure pénale, propre à l’instruction, « il y a nullité lorsque la méconnaissance d’une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne », sauf lorsque la nullité est d’ordre public. Par ailleurs, en vertu de l’article 802 du même code, applicable à toutes les phases de la procédure, « en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne », sauf lorsque la nullité est d’ordre public.

([74]) Cass. crim., 13 octobre 1993, n° 92-84.558.

([75]) Le dernier alinéa de l’article 459 du code de procédure pénale permet de déroger à la règle que cet article établit de la jonction au fond des incidents et exceptions, en « cas d’impossibilité absolue, ou encore lorsqu’une décision immédiate sur l’incident ou sur l’exception est commandée par une disposition qui touche à l’ordre public ».

([76]) Contribution écrite de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés, conseiller d’État en service extraordinaire, pp. 2-3.

([77]) Les demandes de protection de l’intégrité physique des parlementaires, longtemps soumises à la bonne volonté du monarque, étaient originellement destinées à sanctionner les personnes qui y porteraient atteinte avant de protéger directement de l’incarcération le représentant lui-même. Avec le Parliamentary Act de 1603, le roi Jacques Ier confirme le droit de chaque chambre d’obtenir, par sa propre volonté, l’élargissement de ses membres et de réprimer les auteurs d’arrestations contraires aux privilèges parlementaires.

([78]) Outrage au tribunal.

([79]) C. Guérin-Bargues, op. cit., p. 315.

([80]) C. Guérin-Bargues, op. cit., p. 365.

([81]) Rapport (n° 392, troisième session extraordinaire de 1994-1995) fait par Jacques Larché au nom de la commission des Lois du Sénat sur le projet de loi constitutionnelle portant extension du champ d’application du référendum, instituant une session parlementaire unique, modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire et abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions transitoires, tome I, juillet 1995, pp. 65-66.

([82]) Le Conseil constitutionnel a ainsi récemment jugé que « la Constitution consacre l’indépendance des magistrats du parquet, dont découle le libre exercice de leur action devant les juridictions, que cette indépendance doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement et qu’elle n’est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège » (décision n° 2017-680 QPC du 8 décembre 2017, Union syndicale des magistrats [Indépendance des magistrats du parquet], § 9).

([83]) Article 30 du code de procédure pénale.

([84]) Contrairement aux magistrats du siège, nommés par le Président de la République sur proposition du garde des Sceaux après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ou, pour les chefs de juridiction et les magistrats du siège de la Cour de cassation, sur proposition du CSM, les magistrats du parquet sont nommés par le chef de l’État sur proposition du garde des Sceaux après un avis simple du CSM. Par ailleurs, seuls les magistrats du siège bénéficient de la garantie d’inamovibilité.

([85]) CJUE, Junqueras Vies, 19 décembre 2019, n° C-502/19.

([86]) CEDH, 3 décembre 2009, Kart c. Turquie, n° 8917/05 et 17 mai 2016, Karácsony et autres c. Hongrie, nos 42461/13 et 44357/13.

([87]) Pour une nouvelle Assemblée nationale : les rendez-vous des réformes 2017-2022, Conclusions du groupe de travail sur le statut des députés (Virginie Duby-Muller, présidente ; Yves Blein, rapporteur), décembre 2017, p. 16.

([88]) Commission pour la démocratie par le droit, op. cit., p. 26.

([89]) Contribution écrite de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon‑Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel, pp. 4-5.

([90]) Le 23 juin 1789, l’Assemblée nationale décrète que « tous particuliers, toute corporation, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député pour raison d’aucune proposition, avis, opinion ou discours faits par lui aux états généraux, de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu’ils fussent ordonnés, sont infâmes et traitres envers la nation et coupables de crime capital ». Par un décret du 26 juin 1790, « l’Assemblée nationale, se réservant de statuer en détail sur les moyens constitutionnels d’assurer l’indépendance et la liberté des membres du Corps législatif, déclare que, jusqu’à l’établissement de la loi sur les jurés en matière criminelle, les députés de l’Assemblée nationale peuvent, dans le cas de flagrant délit, être arrêtés conformément aux ordonnances, qu’on peut même, excepté les cas indiqués par le décret du 23 juin, recevoir des plaintes et faire des informations contre eux, mais qu’ils peuvent être décrétés par aucuns juges, avant que le Corps législatif, sur le vu des informations et des pièces de conviction, ait décidé qu’il y a lieu à l’accusation ».

([91]) Contribution écrite de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon‑Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel, p. 8.

([92]) P. Avril, J. Gicquel et J.-E. Gicquel, Droit parlementaire, L.G.D.J, 5e édition, 2014, p. 50.

([93]) Aux termes des deuxième à dernier alinéas de l’article 26 de la Constitution dans leur rédaction en vigueur entre 1958 et 1995, « aucun membre du Parlement ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation de l’assemblée dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit » (deuxième alinéa), « aucun membre du Parlement ne peut, hors session, être arrêté qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée dont il fait partie, sauf le cas de flagrant délit, de poursuites autorisées ou de condamnation définitive » (avant-dernier alinéa) et « la détention ou la poursuite d’un membre du Parlement est suspendue si l’assemblée dont il fait partie le requiert » (dernier alinéa).

([94]) Loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 portant extension du champ d’application du référendum, instituant une session parlementaire ordinaire unique, modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire et abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions transitoires.

([95]) L’intervention du pouvoir constituant a permis de mettre un terme à la divergence de positions des Bureaux des deux assemblées face au silence du texte constitutionnel sur cette question : alors que le Bureau de l’Assemblée nationale refusait de se prononcer sur des mesures de contrôle judiciaire autres que celles prévues aux 1° à 3° de l’article 138 du code de procédure pénale (ne pas sortir de certaines limites territoriales, ne s’absenter du domicile que sous certaines conditions et pour certains motifs et ne pas se rendre dans certains lieux), celui du Sénat manifestait la volonté de se voir transmettre toutes les demandes de placement sous contrôle judiciaire.

([96]) Rapport (n° 2138, Xe législature) de M. Pierre Mazaud au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle portant extension du champ d’application du référendum, instituant une session parlementaire ordinaire unique et modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire ainsi que plusieurs propositions de loi constitutionnelle, audition de Georges Vedel, p. 28.

([97]) Exposé des motifs du projet de proposition de loi constitutionnelle préparé, en décembre 1993, par Philippe Séguin, Président de l’Assemblée nationale.

([98]) Dans son projet de loi initial, le Gouvernement avait proposé de requérir l’autorisation, de l’assemblée plénière en session ou du Bureau hors session, pour l’arrestation ou « toute autre mesure privative ou restrictive de liberté » afin de couvrir toutes les obligations du contrôle judiciaire. En première lecture, l’Assemblée nationale avait approuvé cette proposition sous réserve de viser, outre l’arrestation, les seules mesures « restreignant la liberté d’aller et venir du parlementaire ». Le Sénat avait rétabli l’exigence d’une autorisation des poursuites et préféré, comme le Gouvernement, la mention de toutes les mesures privatives ou restrictives de liberté. Le compromis final supprima l’autorisation des poursuites, revint à l’autorisation de l’arrestation et des mesures privatives ou restrictives de liberté et réserva aux Bureaux des assemblées la compétence de statuer sur toutes les demandes de mainlevée de l’immunité, en session ou hors session.

([99]) Décision n° 62-18 DC du 10 juillet 1962, Résolution modifiant les articles 25, 26, 31, 34, 51, 65, 80, 86, 87, 93, 106, 122 et 155 du règlement de l’Assemblée nationale, cons. 3.

([100]) Pour plus de précisions, voir, en annexe de ce rapport, la liste des demandes de mainlevée de l’immunité présentées depuis 1958 à l’Assemblée nationale.

([101]) Voir infra, le b du présent 1.

([102]) Voir infra, le b du 2 du présent B.

([103]) Formule employée par M. Pierre Avril, professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas, lors de la soutenance de la thèse de Mme Cécile Guérin-Bargues, le 17 novembre 2007.

([104]) Contribution écrite de M. Olivier Beaud, professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon‑Assas, p. 7.

([105]) Les autres domaines exclus soit ne peuvent pas donner lieu à une entrave du mandat parlementaire (droit des étrangers), soit ne peuvent le faire que de manière très limitée (retenue pour ivresse publique ou pour vérification d’identité), peu probable (assignation à résidence pour prévenir la commission d’actes terroristes) ou pour des motifs impérieux (hospitalisations sous contrainte).

([106]) Vos rapporteurs observent toutefois que, en matière contraventionnelle, la peine complémentaire de suspension du permis de conduire peut durer jusqu’à trois ans et ne pas être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle, ce qui est susceptible de gêner l’exercice du mandat parlementaire.

([107]) Le Bureau de l’Assemblée nationale a récemment considéré que si la délivrance d’un mandat d’amener, défini par le quatrième alinéa de l’article 122 du code de procédure pénale comme « l’ordre donné à la force publique de conduire immédiatement devant le juge la personne à l’encontre de laquelle il est décerné », constitue une mesure restrictive de liberté au sens de l’article 26 de la Constitution soumise à autorisation préalable, tel n’est pas le cas de la délivrance d’un mandat de comparution, qui, aux termes du deuxième alinéa de l’article 122 précité, « a pour objet de mettre en demeure la personne à l’encontre de laquelle il est décerné de se présenter devant le juge à la date et à l’heure indiquées par ce mandat » (décisions du Bureau des 27 septembre et 8 novembre 2017).

([108]) Commission pour la démocratie par le droit, op. cit., pp. 26-28.

([109]) La loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale a supprimé les dispositions de l’article 681 du code de procédure pénale, qui organisaient le renvoi de l’instruction et du jugement des crimes et délits commis par un élu municipal dans l’exercice de ses fonctions devant une juridiction désignée par la chambre criminelle de la Cour de cassation.

([110]) L’article 10 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature dispose que « toute délibération politique est interdite au corps judiciaire » et que « toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux magistrats, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions ». Par ailleurs, aux termes de l’article 7-1 de cette ordonnance, « les magistrats veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d’intérêts », entendues comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

([111]) Le recueil des obligations déontologiques des magistrats élaboré par le Conseil supérieur de la magistrature comprend des précisions sur la portée des exigences d’indépendance et d’impartialité auxquelles sont soumis les magistrats :

–  le chapitre premier, consacré à l’indépendance, rappelle que « les magistrats préservent leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif, en s’abstenant de toute relation inappropriée avec leurs représentants » (§ 8) ;

–  le chapitre II, dédié à l’impartialité, précise que « le magistrat doit demander à être dessaisi ou se déporter s’il lui apparaît qu’il a un lien avec une partie, son conseil, un expert, ou un intérêt quelconque à l’instance de nature à faire naître un doute légitime sur son impartialité dans le traitement d’un litige » (§ 9).

([112]) Le second alinéa de l’article 43 du code de procédure pénale organise une possibilité de dessaisissement du procureur de la République compétent au stade de l’enquête en permettant au procureur général près la cour d’appel, avant toute mise en mouvement de l’action publique, de décider d’office, soit à la demande du procureur de la République, soit à la demande de l’intéressé, de renvoyer la procédure devant le procureur près le tribunal de grande instance le plus proche de la cour d’appel dans le cas de faits mettant en cause, comme auteur ou comme victime, une « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public qui est habituellement, de par ses fonctions ou sa mission, en relation avec les magistrats ou fonctionnaires de la juridiction ». La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a ajouté que « si la personne en cause est en relation avec des magistrats ou fonctionnaires de la cour d’appel, le procureur général peut transmettre la procédure au procureur général près la cour d’appel la plus proche, afin que celui-ci la transmette au procureur de la République auprès du tribunal de grande instance le plus proche ».

([113]) Le deuxième alinéa de l’article 665 du même code dispose que le renvoi d’une affaire d’une juridiction à une autre peut « être ordonné, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, par la chambre criminelle, soit sur requête du procureur général près la Cour de cassation, soit sur requête du procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle la juridiction saisie a son siège, agissant d’initiative ou sur demande des parties ».

([114]) Le premier alinéa de l’article 662 du même code prévoit que « la chambre criminelle de la Cour de cassation peut dessaisir toute juridiction d’instruction ou de jugement et renvoyer la connaissance de l’affaire à une autre juridiction du même ordre pour cause de suspicion légitime », à la demande du procureur général près la Cour de cassation, du ministère public établi près la juridiction saisie ou des parties.

([115]) Aux termes du premier alinéa de l’article 667-1 du même code, « si la juridiction normalement compétente ne peut être composée en raison de l’existence des incompatibilités prévues par la loi, le premier président de la cour d’appel peut ordonner le renvoi devant la juridiction limitrophe située dans le ressort de cette cour ».

([116]) En application de l’article 668 du même code.

([117]) Trois modifications mineures ont été apportées à ce dispositif par la loi constitutionnelle de 1995 :

–  ont été ajoutées à la liste des mesures susceptibles d’être suspendues « les mesures privatives ou restrictives de liberté », par cohérence avec le nouveau régime de l’autorisation ;

–  il a été précisé que la suspension vaudrait pour la durée de la session, afin de mettre un terme à l’interprétation, dans le silence du texte constitutionnel, du Sénat en 1977 puis de l’Assemblée nationale en 1980, qui considéraient que la suspension valait pour la durée du mandat du parlementaire concerné ;

–  il a été prévu que lorsqu’une demande de suspension devait être examinée au-delà du plafond de jours de séance prévu par la Constitution, l’assemblée concernée se réunirait de plein droit pour des séances supplémentaires.

([118]) Troisième alinéa de l’article 16 de l’Instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale.

([119]) Article 80 du Règlement de l’Assemblée nationale.

([120]) Article 105 du Règlement du Sénat.

([121]) L’accueil favorable donné aux demandes de suspension présentées à l’Assemblée nationale et au Sénat s’explique par la nature particulière des affaires en cause, qui concernaient souvent des actions en diffamation, et par le choix des assemblées de répondre aux poursuites judiciaires entamées à la suite de la clôture d’une session au cours de laquelle l’autorisation de poursuivre avait été rejetée.

([122]) Pour plus de précisions, voir, en annexe de ce rapport, la liste des demandes de suspension de détention ou de poursuites présentées depuis 1958 à l’Assemblée nationale.

([123]) Si, en cas de convocation d’un membre du Parlement devant une juridiction, celle-ci ne peut le contraindre à comparaître par la force publique sans autorisation préalable de son assemblée, le refus de comparaître peut être sanctionné, en particulier pour les témoins.

([124]) L’article 6, § 2, du Règlement du Parlement européen, dispose que « lorsque les députés sont tenus de comparaître en qualité de témoins ou d’experts, il n’y a pas lieu de demander des levées d’immunité, pour autant (…) qu’ils ne soient pas obligés de témoigner au sujet d’informations qu’ils ont obtenues confidentiellement dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires et ne jugent pas opportun de divulguer ».

([125]) Contribution écrite de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon‑Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel, p. 10.

([126]) Ces articles répriment « le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ».

([127]) Cet article sanctionne « le fait de ne pas comparaître, de ne pas prêter serment ou de ne pas déposer, sans excuse ni justification, devant le juge d’instruction ou devant un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire par une personne qui a été citée par lui pour y être entendue comme témoin ».

([128]) Ces articles autorisent la cour d’assises à ordonner que le témoin soit immédiatement amené par la force publique devant elle pour y être entendu et répriment le refus de comparaître devant toute formation de jugement d’une amende de 3 750 euros.

([129]) Dans sa décision n° 2018-767 DC du 5 juillet 2018 portant sur la résolution relative aux obligations déontologiques et à la prévention des conflits d’intérêts des sénateurs, le Conseil constitutionnel a déduit cette exigence de l’article 6 de la Déclaration de 1789 ainsi que des articles 3, 26 et 27 de la Constitution (§ 3).

([130]) Contribution écrite du Conseil national des barreaux, p. 2.

([131]) Contribution écrite du Syndicat de la magistrature, p. 8.

([132]) Articles 56-1, 76 et 96 du code de procédure pénale.

([133]) Articles 56-3, 76 et 96 du même code.

([134]) Articles 56-5, 76 et 96 du même code.

([135]) Articles 56-2, 76 et 96 du même code.

([136]) Articles 56-4, 76 et 96 du même code.

([137]) Articles 3 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, 13 du Règlement de l’Assemblée nationale et 90 de celui du Sénat.

([138]) La loi du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative a complété l’article 100-7 du code de procédure pénale afin de prévoir qu’« aucune interception ne peut avoir lieu sur la ligne d’un député ou d’un sénateur sans que le président de l’assemblée à laquelle il appartient en soit informé par le juge d’instruction ». Cette protection, s’inspirant de la solution qui préexistait en matière d’écoutes sur une ligne dépendant du cabinet d’un avocat ou de son domicile, est destinée à éviter les écoutes abusives.

([139]) Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats, p. 5.

([140]) Rapport (n° 61, session ordinaire de 1995-1996) fait par M. Jean-Jacques Hyest au nom de la commission des Lois du Sénat sur le projet de loi organique et le projet de loi pris pour l’application des dispositions de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 qui instituent une session parlementaire ordinaire unique, novembre 1995, p. 15.

([141]) TA Paris, 4ème section, 1ère chambre, 28 décembre 2017, n° 1715258, C+, M.G : « considérant (…) que le régime par lequel le Bureau de l’Assemblée nationale autorise la levée de l’immunité parlementaire d’un membre de cette assemblée fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières découlent de la nature de ses fonctions ; que ce régime se rattache à l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ; qu’il en résulte qu’il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs à la levée de l’immunité parlementaire, autorisée par les organes de l’Assemblée nationale ».

([142]) Le Tribunal de l’Union européenne considère que « peut faire l’objet d’un contrôle de légalité par le juge communautaire (…), en ce qu’elle constitue un acte produisant ou destiné à produire des effets juridiques à l’égard des tiers », en l’espèce en permettant de poursuivre un député, « la décision par laquelle le Parlement [européen] lève l’immunité de l’un de ses membres » (TUE, 15 octobre 2008, Mote c. Parlement européen, n° T-345/05).

([143]) Réponses écrites de la direction des affaires civiles et du Sceau et de la direction des affaires criminelles et des grâces au questionnaire de vos rapporteurs, p. 12.

([144]) Contribution écrite de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés de droit, conseiller d’État en service extraordinaire, p. 10.

([145]) On observera que, depuis la résolution n° 281 du 4 juin 2019, qui a modifié à cet effet l’article 8 du Règlement, les présidents des groupes peuvent participer, sans droit de vote, aux réunions du Bureau de l’Assemblée nationale.

([146]) Le quatrième alinéa de l’article 80 du Règlement de l’Assemblée nationale dispose que les demandes « sont inscrites d’office par la Conférence des présidents » dès la distribution du rapport de la commission chargée de les instruire « à la plus prochaine séance réservée par priorité par l’article 48, alinéa 6, de la Constitution aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement, à la suite desdites questions et réponses ». Le cinquième alinéa de cet article ajoute que, si nécessaire, « l’Assemblée se réunit de plein droit pour une séance supplémentaire pour examiner » ces demandes.

([147]) Contribution écrite de Mme Anne Levade, professeure de droit public à l’Université Paris I Panthéon‑Sorbonne, présidente de l’Association française de droit constitutionnel, p. 16.

([148]) Contribution écrite de M. Bertrand Mathieu, professeur agrégé des facultés, conseiller d’État en service extraordinaire, p. 11.

[149] Rapport n° 2138 fait par Pierre MAZEAUD sur le projet de loi constitutionnelle portant extension du champ d’application du référendum, instituant une session parlementaire ordinaire unique et modifiant le régime de l’inviolabilité parlementaire, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 5 juillet 1995.

[150] La protection du secret des sources journalistiques, « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » (CEDH 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni ; v. encore, CEDH 27 nov. 2007, Tillack c/ Belgique ; CEDH, gde ch., 14 sept. 2010, Sanoma Uitgevers B. V. c/ Pays-Bas) et « véritable attribut du droit à l’information » (CEDH 27 nov. 2007, Tillack c/ Belgique, préc., § 65 ; v. aussi, CEDH 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France), selon la jurisprudence européenne, est inscrite, depuis la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010, à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui proclame ainsi : « le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de la mission d’information du public ».

[151] Élaborée par Locke (1632-1704) et Montesquieu (1689-1755), la théorie de la séparation des pouvoirs vise à séparer les différentes fonctions de l’État, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines.

[152] Cour de cassation, Chambre criminelle, 19 février 2019, n° 18-83.829.

[153] Conseil Constitutionnel : décision n° 62-18 DC du 10 juill. 1962.

[154] CEDH, Castells c. Espagne, 23 avril 1992.

[155] M. Grimaldi, dans La Motivation, travaux de l’association Henri Capitant, LGDJ, 2000, p. 2.

[156] Fiche de synthèse n°16 Assemblée Nationale : le statut du député.

[157] Article 105 du Règlement du Sénat et III bis de l’Instruction générale du Bureau du Sénat ; Article 80 du Règlement de l’Assemblée nationale et 16 de l’Instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale.

[158] Rapport sur l’étendue et la levée des immunités parlementaires adopté par la Commission de Venise, 2014.

[159] CEDH, 17 décembre 2002, A. c/ Royaume-Uni, n° 35373/97.

[160] CEDH, 6 avril 2010, CGIL et Cofferati n° 2 c/ Italie, n° 2/08.

[161] Décision n° 89-262 DC du 7 novembre 1989, Loi relative à l'immunité parlementaire.

[162] Cass. Crim., 30 septembre 2003, n° 03-80039.

[163] Décision n° 89-262 DC du 7 novembre 1989, Loi relative à l’immunité parlementaire, cons. 9.

[164] L’article 75 de la Constitution du 22 frimaire an VII, abrogé en 1870, admettait que les agents publics (et les maires) puissent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions tout en subordonnant les poursuites à une autorisation donnée par le Conseil d’État.

[165] Rapport Sénat n°175, C. JOLIBOIS au nom de la commission prévue par l’article 105 du Règlement.

[166] Le Bureau constitue la plus haute autorité collégiale des assemblées. Il détient ainsi une compétence générale sur l’organisation et le fonctionnement interne de ces assemblées. C’est ainsi au Bureau d’interpréter et d’appliquer le Règlement ou encore de régler les incidents de séance majeurs.

[167] Dans d’autres systèmes, c’est l’assemblée qui est compétente pour statuer sur cette demande (Allemagne, Belgique, etc.). La décision est alors prise à l’occasion d’une séance publique laissant parfois place à un débat entre les parlementaires (par exemple en Allemagne en cas de demande d’une explication de vote par un parlementaire).

[168] Décision n° 62-18 DC du 10 juillet 1962.

[169] Dernier alinéa de l’article 16 de l’Instruction Générale du Bureau de l’AN.

[170] Dernier alinéa de l’article III bis de l’Instruction Générale du Bureau du Sénat.

[171] Rapport du Sénat n°175, annexé au procès-verbal de la séance du 20 décembre 1994, p. 6.

[172] Le Sénat avait voté en 1997 une suspension des poursuites à l’encontre de Michel Charasse engagées à la suite de son refus de comparaître comme témoin.

[173] Voir par exemple la proposition de résolution n°1954 déposée par M. GUAINO tendant à la suspension des poursuites engagées à son encontre ;

[174] Cécile Bargues, Immunités parlementaires et régime représentatif : l’apport du droit constitutionnel comparé (France, Royaume Uni, États-Unis), Paris, LGDJ, 2011, p. 278.

[175] M. Diez Picaso, cité par Bargues, Ibid., p. 3.

[176] CEDH, 30 janv. 2003, Cordova c. Italie, n° 45649/99 ; 3 juillet 2004, De Jorio c. Italie, 73936/01 et 20 avril 2006, Patrono, Cascini et Stephanelli c. Italie, n° 10180/04.

[177] V. par ex. CEDH, 2e sect., 16 sept. 2014, Karácsony et a. c. Hongrie, § 66 , req. n° 42461/13. Cf. S. Lavric, « Liberté d’expression des parlementaires : double condamnation de la Hongrie », Dalloz Actualité, 30 sept. 2014.

[178] V. par ex. CEDH, Grande Chambre, Kart c. Turquie, § 88, req. n° 8917/05.

[179] Cf. Bargues, Ibid., 236.

[180] Cass. Crim., 12 novembre 2008.

[181] Voir par ex. CEDH, 30 janv. 2003, Cordova c. Italie, n° 45649/99, § 56.

[182] V. p. ex. l’affaire Belpietro (CEDH, Belpietro c/ Italie, 24 sept. 2013, req. n° 43612/10).

[183] CEDH, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 42. Cf. F. Sudre et al, Les Grands Arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 6e édition, Paris, PUF, 2003, p. 676.

[184] CEDH, Brasilier c. France, 11 avril 2006, § 41. V. Sudre et al, Ibid., p. 675.

[185] V. en particulier l’affaire Patrono, Cascinelli, et Stefanelli c. Italie, 20 avril 2006, n° 10180/04.

[186] P. Conte, « L’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme et le principe de la légalité criminelle », Annuaire de l’Institut Michel Villey, vol. 4 – 2012, p. 68. Accessible en ligne : http://www.droitphilosophie.com/article/lecture/l-article-10-de-la-convention-europeenne-des-droits-de-l-homme-et-le-principe-de-la-legalite-criminelle-75.

[187] CEDH, 7 sept. 2017, Lacroix c/ France, req. n° 41519/12. V. à ce sujet : http://libertes.blog.lemonde.fr/2017/10/03/lacroix-c-france-la-cour-europeenne-simplifie-le-droit-francais-de-la-diffamation.

[188] CEDH, A v Royaume Uni : https://www-dalloz-fr-s.biblionum.u-paris2.fr/documentation/Document?id=CEDH_LIEUVIDE_2002-12-17_3537397&nrf=0_TGlzdGVEZVJlc3VsdGF0VXJz&FromId=CODES_CCDF)

[189] V. Bargues, Ibid., p. 208.

[190] Pour une recension des différentes sanctions faisant suite à des manquements de ce type : cf. le rapport de la Déontologue, Un nouvel élan pour la déontologie parlementaire, Rapport annuel remis au Président et au Bureau de l’Assemblée nationale les 14 et 30 janvier 2019, en application de l’article 80-3 du Règlement de l’Assemblée nationale, p. 141 s. : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/deontologue/rapport_activite_300119.pdf.

[191] Le Parisien avec AFP, 7 décembre 2017.

[192] V. l’étude d’Elina Lemaire : http://blog.juspoliticum.com/2018/02/12/les-deputes-doivent-ils-etre-neutres-breves-reflexions-sur-la-recente-reglementation-de-la-tenue-vestimentaire-a-lassemblee-nationale-par-elina-lemaire/.

[193] E. Lemaire, Ibid.

[194] V. la décision Karacsony et autres c. Hongrie, 17 mai 2016.

[195] http://www2.assemblee-nationale.fr/15/le-bureau-de-l-assemblee-nationale/comptes-rendus-et-convocation/2018/reunion-du-mercredi-24-janvier-2018.

[196] Décision Karacsony, § 49 s.

[197] V. l’étude du prof. Céline Roynier : « la résolution du scandale des notes de frais des MPS au Royaume Uni ou les bienfaits de la morale constitutionnelle » : http://blog.juspoliticum.com/2017/03/20/la-resolution-du-scandale-des-notes-de-frais-des-mps-au-royaume-uni-ou-les-bienfaits-de-la-morale-constitutionnelle/.

[198]http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RULES-9-2019-07-02-RULE-177_FR.html

[199] V. contra, M. Guerrini, « Le contrôle des sanctions disciplinaires infligées aux membres des assemblées parlementaires », RFDA 2016, p. 345.

[200] Cf. le rapport précité : Un nouvel élan pour la déontologie parlementaire, p. 141.

[201] Je me permets de reprendre ici des points formulés dans l’intervention présentée le 16 octobre 2017 devant le groupe de travail de votre Assemblée : « le statut des députés et leurs moyens de travail » créé dans le cadre des « Rendez-vous des réformes 2017-2022 pour une nouvelle Assemblée Nationale » et de renvoyer au résumé écrit de cette contribution : http://blog.juspoliticum.com/2017/10/20/la-constitution-et-le-statut-des-deputes-que-faut-il-changer/.

[202] V. l’article publié à ce sujet dans Libération par Catherine Marshall : https://www.liberation.fr/debats/2019/11/05/au-royaume-uni-la-fin-du-gouvernement-des-hommes-de-bon-sens_1761698.

[203] Bargues, Ibid., p. 363.

[204] Bargues, Ibid., p. 363.

[205] Bargues, Ibid., p. 368.

[206] Marcel Rudloff, cité par Bargues, Ibid., p. 118.

[207] Bargues, Ibid., p. 123.

[208] Bargues, Ibid., p. 372.

[209] Cass. Crim., 3.II.1955, Garaudy, JCP 1955, II, n° 8663.

[210] Julien Laferrière, Manuel de droit constitutionnel, 1947, p. 715.

[211] Voir notre ouvrage, Le sang contaminé. Essai critique sur la criminalisation de la responsabilité des gouvernants, PUF, 1999.

[212] « Il (Le Garde des Sceaux) ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles. »

[213] Cécile Bargues, Immunités parlementaires et régime représentatif : l’apport du droit constitutionnel comparé (France, Royaume Uni, États-Unis), Paris, LGDJ, 2011.

[214] L’inviolabilité parlementaire en droit français, thèse, Paris, LGDJ, 1966, p. 9.

[215] J. Laferrière, op. cit., p. 723.

[216] Elina Lemaire, Les « conférences des réformes » pour une nouvelle assemblée nationale : initiative bienvenue, issue incertaine, Le blog de Jus Politicum, 13 octobre 2017.

[217] Denis Baranger, Olivier Beaud, Jean-Marie Denquin, Olivier Jouanjan, Patrick Wachsmann, Laffaire Fillon nest pas un « coup d’État institutionnel », Le blog de Jus Politicum, 23 février 2017.

[218] Voir en ce sens les très intéressantes conclusions de l’Avocat général Polares Maduro s’interrogeant sur la notion d’opinions émises dans l’exercice des fonctions parlementaires in arrêt Marra, 21 octobre 2008, C‑200/07 et C-201/07, § 37 notamment. http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=66890&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=5827850

[219] En France, l’extension est prévue par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées.

Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l’alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. »

L’insertion de ce troisième alinéa est relativement récente puisqu’elle remonte à une loi du 14 novembre 2008, consécutive à un arrêt de la Chambre civile de la Cour de cassation qui le 23 novembre 2004 avait restreint aux seuls parlementaires le bénéficie de l’immunité prévue à l’art. 41 alinéa 1er.  

[220] Le député fut sanctionné sur le fondement de l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881. Cass. crim., 22 octobre 2002, n° 01‑86908.

[221] CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c. France, n° 12697/03.

[222] Cass. crim., 12 novembre 2008, n° 07‑83398.

[223] Les évolutions récentes de l’interprétation de l’irresponsabilité parlementaire ont été parfaitement synthétisées dans un jugement du Tribunal de première instance de Namur relatif à l’article 58 de la constitution belge dont les termes sont identiques à l’article 26 alinéa 1 de la constitution française. Jugement de la 7ème chambre des affaires civiles du 19 juin 2019.

[224] La CEDH considère en effet, de manière générale, que l’irresponsabilité parlementaire est une pratique établie de longue date qui poursuit des buts légitimes : la protection du libre débat parlementaire et le maintien de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. (cf. not. 17 dec. 2002, A c. Royaume‑Uni, 3 juillet 2004, n° 35373/97 ; De Jorio c. Italie, n° 73936/01, § 49 ; 6 dec. 2005, Ielo c. Italie, n° 23053/02. Voir également 3 décembre 2009, Kart c. Turquie,  8917/05, § 81).

[225] CEDH, CGIL et Cofferati c. Italie (n°1), 24 février 2009.

[226] Cf. CEDH, Cordova c. Italie (n° 1 et 2), 30 av. 2003 ; de Jorio c. Italie, 3 juin 2004 ; Ielo c. Italie, 6 déc. 2005 ; Patrono et alii c. Italie, 20 avril 2006 ; CGIL et Cofferati c. Italie, n° 1, 24 fév. 2009 et n° 2, 6 avril 2010.

[227] La CJUE eut en effet à se prononcer à plusieurs reprises, dans le cadre de questions préjudicielle, sur des affaires concernant des parlementaires européens. Ces derniers bénéficient, sur le fondement de l’article 8 du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, d’une protection comparable à celle des députés et sénateurs français. Dans l’arrêt Aldo Patriciello du 6 sept. 2011, C-136/10, la CJUE a ainsi rappelé que « les déclarations d’un député européen ne sauraient se voir priver du bénéfice de cette immunité du seul fait qu’elles ont été effectuées en dehors de l’enceinte du Parlement européen » (§ 28).

[228] D’aucuns semblent avoir perçu les prémisses d’une telle évolution dans l’arrêt Karácsony et autres c. Hongrie du 17 mai 2016. L’espèce concernait des parlementaires hongrois qui sétaient vu imposer des amendes par leur assemblée pour leur comportement et propos en séance. Or si la grande Chambre a conclu de ce fait à la violation de larticle 10 de la Convention, elle a également reconnu que lingérence du pouvoir disciplinaire « poursuivait les buts légitimes de la protection des droits d’autrui et de la défense de l’ordre » (§ 84). Cette reconnaissance du pouvoir disciplinaire ne nous semble pas témoigner dune remise en cause de lirresponsabilité parlementaire, cette dernière ayant toujours admis lexception disciplinaire au point quelle pourrait être analysée davantage comme un privilège de juridiction que comme une véritable immunité. Sur cette question de larticulation de lirresponsabilité au pouvoir disciplinaire des chambres, matrice dun droit parlementaire autonome - dont larrêt ici cité semble effectivement remettre un peu en cause lautonomie - nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage Immunités parlementaires et régime représentatif. Lapport du droit constitutionnel comparé (France, États-Unis, Royaume Uni), Paris, LGDJ, 2011, p. 199 à 232.

[229] CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 49, série A n° 24 ; Féret c. Belgique, 16 juillet 2009, 15615/07, § 61.

[230] Au contraire, celle-ci n’existe que dans le cadre d’un régime qui serait fondé sur un mandat impératif, puisqu’alors chacun des parlementaires, loin de représenter la Nation tout entière, n’est que le porte-parole de la seule circonscription qui l’a désigné. C’est donc à tort que l’inviolabilité a pu être présentée comme un corollaire de l’indépendance et de l’autonomie des représentants, puisqu’elle ne se justifie en réalité que dans un système qui ne reconnaît aux représentants aucun de ces attributs.

[231] C’est d’ailleurs ce que soulignait dès 1993 le Président Seguin, à l’appui d’une proposition de loi constitutionnelle tendant déjà à limiter l’inviolabilité aux seules arrestations et mises en détention des élus auteurs de crimes et de délits.

[232] Voir en ce sens à titre d’exemple la décision du Bureau de l’AN relative à Georges Tron du 30 juin 2011.

[233] Cf. par exemple la décision de levée de l’immunité de Mme Le Pen du 8 novembre 2017. Si le Bureau s’abstient de préciser les faits reprochés à la parlementaire, il s’efforce de clarifier la portée de l’inviolabilité en précisant que son autorisation porte sur un éventuel mandat d’amener et non sur un mandat de comparution qui peut s’exercer librement.

[234] Disposition introduite par introduit par la loi n° 96-62 du 29 janvier 1996 prise pour l’application des dispositions de la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 qui ont institué une session parlementaire ordinaire unique et modifié le régime de l’inviolabilité parlementaire.

[235] Respectivement articles 80 RAN et 16 de l’instruction générale du bureau de l’Assemblée nationale et article 105 RS et III bis de l’instruction générale du bureau du Sénat.

[236] En 1996, Rapport sur le régime des immunités parlementaires, CDL-INF (96) 7 ; e, 2006, Avis relatif au projet de décision de l’Assemblée de la République d’Albanie sur la limitation de l’immunité parlementaire et les conditions dans lesquelles l’ouverture d’une enquête sur des infractions de corruption et des abus d’autorité peut être autorisée, CDL-AD(2006)005 ; en 2014, Rapport sur l’étendue et la levée des immunités parlementaires, CDL-AD(2014)0011

[237] L’article 1er de la Constitution des États-Unis dispose, dans le paragraphe 1 de sa section 6, que « En aucun cas autre que ceux de trahison, crime ou atteinte à la paix publique, ils [les sénateurs et les représentants] ne pourront être arrêtés durant les sessions de leur chambre, ni lorsqu’ils se rendront à une session de cette chambre ou en reviendront ; ils ne pourront être inquiété en aucun lieu pour leurs discours ou opinions émis dans l’une quelconque des chambres ».

[238] Requêtes nos 42461/13 et 44357/13.

[239] Req. n° 35373/97.

[240] Requête n° 8917/05.