N°  978

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 23 mai 2018

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

relative à la lutte contre les fausses informations (n° 799)

 

 

 

PAR Mme Naïma MOUTCHOU

Députée

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Voir les numéros : 799 et 990.


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction........................................................... 5

I. Les fausses informations constituent un phenomène en expansion ayant récemment perturbé les débats électoraux en France et à l’étranger

A. La diffusion de fausses informations a émaillé plusieurs processus électoraux à L’étranger

B. l’élection présidentielle francaise a également été ciblée par la diffusion de fausses informations

II. UN nouveau cadre d’action permettant de prévenir et sanctionner la diffusion de fausses informations en periode Électorale

A. LE RENFORCEMENT DES OBLIGATIONS DE TRANSPARENCE FINANCIèRE IMPOSéES AUX OPéRATEURS DE PLATEFORME

B. La création d’une nouvelle voie de référé visant à faire cesser la diffusion de fausses informations

III. un contrôle accru du conventionnement des services de communication audiovisuelles et l’extension du devoir de cooperation des fai et des hébergeurs

A. LE RENFORCEMENT DU RôLE DU CSA en matière de conventionnement des services de communication audiovisuelle

B. L’élargissement du devoir de coopération

Audition de Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture, et discussion générale

EXAMEN DES ARTICLES de la proposition de loi

Titre Ier Dispositions modifiant le code électoral

Article 1er Nouveaux outils de lutte contre la diffusion de fausses informations durant la période électorale

Après l’article 1er

Article 2 Application aux élections sénatoriales

Article 3 Application à l’élection en France des représentants au Parlement européen

Après l’article 3

Article additionnel après l’article 3 Application aux opérations référendaires

TITRE III DISPOSITIONS MODIFIANT LA LOI DU 21 JUIN 2004 POUR LA CONFIANCE DANS L’ECONOMIE NUMERIQUE

Article 9 (art. 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.) Renforcement des obligations de coopération imposées aux intermédiaires techniques

Après l’article 9

TITRE IV DISPOSITIONS relatives à l’outre-mer

Article 10 Application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française  et dans les îles Wallis et Futuna

PERSONNES ENTENDUES ou consultées par la rapporteure

 


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Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations (n° 799) a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 21 mars 2018 par le président du groupe La République en Marche et l’ensemble des députés qui en sont membres ou apparentés, au premier rang desquels la présidente de la commission des Lois, le président de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation et votre rapporteure. Elle s’accompagne d’une proposition de loi organique (n° 772) déposée le 16 mars 2018 (voir le rapport n° 974).

Ces deux textes prolongent la préoccupation exprimée le 3 janvier 2018 par le Président de la République à l’occasion de ses vœux à la presse : lutter contre la mise en œuvre de campagnes de désinformation massive ayant pour but de perturber le processus électoral.

L’actualité récente, en France lors de la dernière campagne présidentielle et plus encore à l’étranger à l’occasion de l’élection présidentielle américaine de 2016 et des référendums au Royaume-Uni ou en Catalogne, témoigne de l’ampleur de ce phénomène susceptible de porter préjudice à la sincérité du scrutin. Les débats électoraux pourraient être fragilisés, sous l’effet de tentatives de manipulation décuplées par l’audience et l’instantanéité de fausses informations diffusées par l’intermédiaire des services de communication en ligne, tels les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux.

RépartiTion des Compétences entre LES DEUX commissions permanentes

Articles de la PPL

Commission des Lois

Commission des Affaires culturelles

Art. 1er

Délégation

Art. 2

Délégation

Art. 3

Délégation

Art. 4

Fond

Art. 5

Fond

Art. 6

Fond

Art. 7

Fond

Art. 8

Fond

Art. 9

Avis

Fond

Art. 10

Délégation

 

L’une et l’autre ont fait l’objet d’une large concertation. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel ainsi que les services des ministères de la Culture et de la Justice ont été associés à leur élaboration. En application du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État a été saisi pour avis des deux textes par le Président de l’Assemblée nationale ([3]).

En outre, votre rapporteure a organisé une quinzaine d’auditions et de tables rondes afin de recueillir les observations de plus d’une cinquantaine de spécialistes issus d’horizons divers associant journalistes, opérateurs de plateformes, fournisseurs d’accès, magistrats, avocats ou professeurs de droit. Celles-ci ont également permis de dialoguer et de réaffirmer l’attachement fondamental de la majorité parlementaire à la liberté d’expression.

La lutte contre les fausses informations est une préoccupation partagée. Des initiatives ont été prises au Sénat ([4]). Le 26 avril 2018, la Commission européenne s’est prononcée en faveur de mesures de lutte contre la désinformation en ligne, parmi lesquelles figure l’élaboration à l’échelle de l’Union européenne d’un code de bonnes pratiques contre les fake news ([5]).

La société civile a elle aussi lancé plusieurs initiatives contribuant à sensibiliser les internautes au danger que représente la diffusion de fausses informations. La création d’outils collaboratifs de vérification de l’information et la mise en œuvre de programmes d’éducation aux médias à destination des jeunes et des adultes témoignent d’une volonté de promouvoir la qualité de l’information face à l’étendue des manipulations dont celle-ci peut faire l’objet.

C’est précisément l’objectif que poursuivent ces deux propositions de loi : prévenir et sanctionner d’éventuelles campagnes de diffusion de fausses informations dont l’impact au cours des périodes électorales représente une menace grandissante pour la démocratie.

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I.   Les fausses informations constituent un phenomène en expansion ayant récemment perturbé les débats électoraux en France et à l’étranger

L’élection présidentielle américaine de 2016 et les récents référendums relatifs au Brexit et à l’indépendance de la Catalogne ont été la cibles de campagnes de désinformation (A) ayant également été menées lors de l’élection présidentielle française de 2017 (B).

A.   La diffusion de fausses informations a émaillé plusieurs processus électoraux à L’étranger

L’élection présidentielle américaine de 2016 a été le théâtre de fausses informations massivement relayées sur Internet. Atteignant une audience particulièrement large, ce phénomène a favorisé la multiplication de thèses conspirationnistes utilisées afin de discréditer plusieurs candidats, en particulier la représentante du Parti démocrate Hillary Clinton. À titre d’exemple, de fausses allégations prenant la forme de photos ou de textes prétendant révéler l’état de santé de la candidate ont été diffusées de manière virale, notamment à l’aide de faux comptes d’utilisateurs gérés par des robots et diffusant en continu ces fausses informations.

Les référendums organisés en 2016 et 2017 sur le Brexit et l’indépendance de la Catalogne ont également été touchés par ce phénomène. Au Royaume-Uni, la campagne référendaire a ainsi fait l’objet de vastes tentatives de manipulation visant par exemple à accréditer l’idée d’une multiplication par deux du montant des contributions financières versées par le Royaume-Uni à l’Union européenne. Le référendum sur l’indépendance de la Catalogne a lui aussi été marqué par la diffusion massive de fausses informations véhiculées par des textes, photos ou vidéos truquées. Des fausses informations relatives aux violences commises lors des répressions policières menées contre les indépendantistes ont été partagées par plusieurs centaines de milliers de tweets émis par des profils automatisés programmés pour rediffuser un contenu sur les réseaux sociaux.

Si le caractère décisif de l’impact de ces fausses informations sur l’issue des scrutins demeure incertain, ce phénomène est considéré comme ayant influencé les débats électoraux. Les fausses informations sont d’autant plus susceptibles de modifier le résultat final que celui-ci s’avère serré, comme ce fut le cas lors de l’élection présidentielle américaine et du référendum sur le Brexit.

B.   l’élection présidentielle francaise a également été ciblée par la diffusion de fausses informations

En France, la campagne présidentielle de 2017 a elle aussi fait l’objet de diffusions massives de fausses informations afin de porter préjudice à plusieurs candidats.

Des contenus faisant par exemple état de la détention par M. Emmanuel Macron d’un compte bancaire aux Bahamas ont été partagés plusieurs centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux en l’espace de quelques heures.

De même, un montage photo créé en avril 2016 tendant à montrer que M. Jean-Luc Mélenchon portait une montre de luxe a été massivement relayé en mars 2017, en dépit des vérifications journalistiques réalisées l’année précédente ayant démontrant la fausseté de l’information.

Si les fausses informations diffusées au cours des débats électoraux français présentent une ampleur moindre que celles constatées à l’étranger, elles justifient l’adaptation de la législation en vigueur aux enjeux technologiques actuels entourant la diffusion de fausses informations, notamment en période électorale.

II.   UN nouveau cadre d’action permettant de prévenir et sanctionner la diffusion de fausses informations en periode Électorale

L’article 1er de la proposition de loi ordinaire prévoit le renforcement des obligations de transparence à la charge des opérateurs de plateforme en ligne (A) et la création d’une nouvelle voie de référé civil visant à faire cesser la diffusion de fausses informations (B).

Applicables durant la période électorale relative aux élections législatives, ces dispositions sont étendues aux élections sénatoriales et européennes (articles 2 et 3 de la proposition de loi) ainsi qu’à l’élection présidentielle (par la proposition de loi organique).

A.   LE RENFORCEMENT DES OBLIGATIONS DE TRANSPARENCE FINANCIèRE IMPOSéES AUX OPéRATEURS DE PLATEFORME

Les dispositions prévues à l’article L. 111-7 du code de la consommation déterminent déjà des obligations de transparence auxquelles les plateformes en ligne sont assujetties. L’existence d’un impératif de loyauté à l’égard des consommateurs garantit l’accès des utilisateurs aux conditions générales d’utilisation des plateformes, ainsi qu’aux modalités de classement, de référencement et de déréférencement des contenus. Les contenus dits sponsorisés, dont la promotion assure aux plateformes une rémunération en retour, doivent également être identifiés comme tels aux fins de bonne information des internautes.

L’article 1er de la proposition de loi insère dans le code électoral un nouvel article L. 163-1 qui accroît les obligations de transparence financière précitées. Les plateformes dont l’activité dépasse un certain seuil de connexions sur le territoire français devront ainsi déclarer l’identité des annonceurs leur ayant versé des rémunérations aux fins de promouvoir des contenus d’informations. Le montant de ces rémunérations sera rendu public s’il dépasse un seuil déterminé par décret.

La transparence financière entourant la promotion des contenus d’information par les plateformes facilite la détection de tentatives visant à manipuler l’opinion en période électorale. Outre la connaissance des montants engagés, le dispositif permet de dévoiler l’identité des annonceurs susceptibles de participer à des campagnes de diffusion de fausses informations.

B.   La création d’une nouvelle voie de référé visant à faire cesser la diffusion de fausses informations

L’article 1er de la proposition de loi ajoute un article L. 163-2 au code électoral afin de faire cesser, par l’action du juge des référés, la diffusion artificielle et massive de fausses informations destinées à altérer la sincérité du scrutin. Le dispositif s’inspire de la procédure de référé prévue au 8 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) ([6]).

Statuant dans un délai de 48 heures, le juge des référés pourra prononcer toutes mesures utiles, par exemple le retrait ou blocage du contenu illicite à l’encontre des hébergeurs de contenus et fournisseurs d’accès à Internet.

L’objet de ce dispositif est de lutter de façon opérationnelle contre la diffusion de fausses informations, sans que l’engagement de la responsabilité des prestataires techniques et des auteurs des contenus mis en cause ne soit recherché sur ce fondement. En effet, le référé ne vise pas à sanctionner les hébergeurs ou les fournisseurs d’accès mais à leur imposer de bloquer les canaux de diffusion des fausses informations.

III.   un contrôle accru du conventionnement des services de communication audiovisuelles et l’extension du devoir de cooperation des fai et des hébergeurs

Les articles 4 à 8 de la proposition de loi renforcent les pouvoirs du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) dans le cadre du conventionnement des services de communication audiovisuelle (A). L’article 9 étend à la lutte contre les fausses informations le devoir de coopération des prestataires techniques contre les contenus illicites mis en ligne (B).

A.   LE RENFORCEMENT DU RôLE DU CSA en matière de conventionnement des services de communication audiovisuelle

Relevant au fond de la commission des Affaires culturelles ([7]), le titre II de la proposition de loi modifie la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ([8]). Les articles 4 à 8 renforcent le pouvoir de régulation du CSA dans le cadre de la lutte contre les fausses informations.

L’article 4 modifie l’article 33-1 en élargissant la capacité du CSA à refuser un conventionnement avec un service audiovisuel dont l’activité peut porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou déstabiliser ses institutions, notamment à l’aide de la diffusion des fausses nouvelles telles que figurant dans la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse.

L’article 5 ajoute un nouvel article 33-1-1 à la loi précitée afin de permettre la suspension administrative de la diffusion d’un service conventionné dont l’activité a pour objet ou pour effet d’altérer la sincérité du scrutin lors des périodes électorales.

Les articles 6 et 7 ajoutent deux nouveaux articles 42-6 et 42-7 qui organisent le régime et la procédure par lesquels le CSA peut retirer le conventionnement de services audiovisuels si les agissements de ces derniers portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou déstabilisent ses institutions.

L’article 8 modifie l’article 42-10 en complétant le dispositif de référé administratif audiovisuel permettant au Conseil d’État, à la demande du CSA, d’ordonner aux services de communication audiovisuelle de se conformer aux obligations qui leur incombent au titre de la convention à laquelle ils sont assujettis.

B.   L’élargissement du devoir de coopération

Le 7 du I de l’article 6 de la LCEN établit un dispositif de coopération des hébergeurs et fournisseurs d’accès avec les autorités administratives consistant en trois obligations complémentaires : la mise en place d’un dispositif facilement accessible de signalement par les internautes des contenus dits « odieux » tels que la pédopornographie, l’incitation à la haine ou l’apologie du terrorisme ; la transmission aux autorités compétentes des signalements effectués ; l’information sur les moyens consacrés à la lutte contre ces contenus.

L’article 9 de la proposition de loi insère les fausses informations parmi les contenus illicites visés au titre du devoir de coopération. Les trois obligations précitées sont ainsi rendues applicables aux fausses informations. Le régime de responsabilité civile et pénale des fournisseurs d’accès à Internet et des hébergeurs demeure identique à celui prévalant dans le cadre de la LCEN. En dehors du traitement des signalements des contenus identifiés comme illicites par les internautes, l’extension du devoir de coopération n’entraîne aucune obligation de surveillance générale des contenus mis en ligne à la charge des fournisseurs d’accès à Internet et des hébergeurs.

Contrairement au dispositif de transparence et à la nouvelle voie de référé civil créés par l’article 1er applicables aux seules périodes électorales relatives aux élections présidentielles, législatives, sénatoriales et européennes, l’article 9 élargit le devoir de coopération des hébergeurs et des fournisseurs d’accès à Internet prévu par la LCEN à titre permanent.

La coopération des prestataires techniques avec les autorités afin de lutter contre les fausses informations est appréhendée de façon globale eu égard à un intérêt général justifiant la mise en place de mesures concrètes au-delà des périodes électorales afférentes aux scrutins nationaux.

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   Audition de Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture, et discussion générale

Sous la présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, et de M. Bruno Studer, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, il est procédé, lors de la réunion du mardi 22 mai 2018, à une audition conjointe de Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture, sur les propositions de loi organique (n° 772) (Mme Naïma Moutchou, rapporteure) et ordinaire (n° 799) (M. Bruno Studer, rapporteur, et Mme Naïma Moutchou, rapporteure pour avis) relatives à la lutte contre les fausses informations.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Mes chers collègues, la commission des Lois et la commission des Affaires culturelles sont réunies aujourd’hui pour entamer l’examen de deux propositions de loi, l’une organique, l’autre ordinaire, relatives à la lutte contre les fausses informations. Ces textes ont été déposés par le président du groupe La République en Marche et l’ensemble des députés qui en sont membres ou apparentés.

Avec Bruno Studer et les députés présents, nous sommes heureux de vous accueillir, madame la ministre de la culture, à l’occasion de cette discussion générale. Le sujet est important, je le rappelle en quelques mots : il s’agit de lutter contre la mise en œuvre de campagnes de désinformation massive ayant pour but de perturber les processus électoraux. L’actualité récente, en France et plus encore à l’étranger – aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Catalogne… –, témoigne de l’ampleur de ce phénomène qui est susceptible de porter préjudice à la sincérité des scrutins et, partant, à la démocratie.

Nos deux commissions ont décidé de se partager le travail en bonne intelligence, en fonction de leurs compétences : la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication relève éminemment de la commission des Affaires culturelles, alors que le code électoral est la « chasse gardée » de la commission des Lois.

La commission des Affaires culturelles, compétente au fond, a donc décidé de se concentrer sur les titres II et III de la proposition de loi ordinaire et a accepté de déléguer les titres Ier et IV à la commission des Lois, qui interviendra sur ces parties comme si elle en était saisie au fond. La commission des Lois s’est par ailleurs saisie pour avis du titre III alors que la proposition de loi organique – qui tire les conséquences de la loi ordinaire pour l’élection présidentielle – lui a été renvoyée conformément au Règlement de notre assemblée.

Je vais donner la parole en premier lieu à M. Bruno Studer, en sa double qualité de président et de rapporteur au nom de la commission des Affaires culturelles, puis ce sera le tour de Mme Naïma Moutchou, en sa triple qualité de rapporteure au fond, rapporteure par délégation et rapporteure pour avis.

La ministre de la culture interviendra ensuite.

Les orateurs des groupes concluront cette première phase : ils disposeront de quatre minutes – à partager éventuellement entre deux orateurs au titre de chacune des deux commissions. Nous donnerons également la parole à M. Pieyre-Alexandre Anglade, qui nous fera part de ses observations au nom de la commission des Affaires européennes.

Après les réponses des rapporteurs et du Gouvernement, ceux qui le souhaitent pourront prendre la parole.

M. Bruno Studer, président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, rapporteur. Madame la ministre, je me réjouis en effet de vous accueillir pour cette discussion générale sur les propositions de loi organique et ordinaire relatives à la lutte contre les fausses informations. Comme l’a indiqué Mme la présidente de la commission des Lois, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation m’ayant désigné comme rapporteur de la proposition de loi et plus spécifiquement de ses titres II et III, les titres Ier et IV ayant été délégués au fond à la commission des Lois, je vais temporairement quitter mon rôle de président pour endosser celui de rapporteur.

Après l’ensemble des auditions que j’ai conduites en tant que rapporteur, j’ai le sentiment, probablement partagé, que la désinformation constitue l’un des principaux défis
– pour ne pas dire fléaux – auxquels vont devoir faire face, à court terme, nos sociétés démocratiques, ouvertes et pluralistes.

Les progrès technologiques ont toujours leurs revers et, dans le domaine de l’intelligence artificielle, des technologies du type de celle développée par Google pour synthétiser une voix humaine montrent que les fake news seront bientôt dépassées par le deep fake, des informations si bien fabriquées qu’il deviendra difficile à l’être humain d’établir leur caractère contrefait. Il me semble donc que les propositions de loi que nous examinerons dans les prochains jours et, pour ce qui concerne la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, le 30 mai prochain, tombent à point nommé.

Pour répondre à certaines inquiétudes soulevées pendant les auditions, je tiens à rappeler qu’elles n’ont pas vocation à s’appliquer à toutes les « fausses informations », mais bien à ce que l’on appelle la désinformation, c’est-à-dire la fausse information produite de façon délibérée et destinée à porter préjudice à une personne, une organisation, un pays. Les fausses informations à visée humoristique ou satirique, ainsi que celles qui sont diffusées de bonne foi, par erreur ou inattention, n’entrent évidemment pas dans le champ de la loi. L’objet des textes que nous allons examiner dans les prochaines semaines est bien de combattre la manipulation de l’information : je proposerai d’ailleurs de modifier les titres des propositions de loi organique et ordinaire en ce sens, pour plus de clarté.

Ces propositions de loi signent, d’une certaine façon, la fin de la naïveté. Il faut reconnaître la perméabilité de nos sociétés aux tentatives de manipulation provenant d’États ou d’entités étrangères et en tirer les conséquences ; il faut que nos concitoyens prennent conscience du fait que, dans le flot d’informations qui leur est proposé, notamment sur les réseaux sociaux, toutes ces informations ne sont pas de la même qualité et peuvent faire l’objet de manipulation, à des fins économiques ou politiques.

Ces propositions de loi ne font que tirer les conséquences du changement de paradigme de la société numérique ; certes, il y a toujours eu de fausses informations et, jusqu’alors, les dispositions existantes pouvaient apparaître suffisantes. Mais le numérique a, dans ce domaine comme dans tant d’autres, radicalement changé la donne.

D’ailleurs, le phénomène de fausses informations tel qu’on le comprend aujourd’hui s’est développé sur le terreau du numérique, dans une perspective initialement motivée par l’argent : on crée des informations croustillantes, donc susceptibles d’être partagées par beaucoup, pour générer des revenus publicitaires. Non seulement certaines de ces informations concernent aujourd’hui le domaine politique, et ont donc potentiellement des effets politiques, mais cet écosystème est désormais utilisé par certains à des fins exclusivement politiques.

C’est précisément contre ces fausses informations que les propositions de loi entendent agir, et c’est la raison pour laquelle les mesures les plus fortes du texte se concentrent sur la période électorale, propice à la manipulation la plus éhontée.

Le but du texte n’est pas de limiter l’émission de fausses informations, mais bien de limiter leur diffusion. En effet, il n’est nullement souhaitable, dans une démocratie, d’empêcher les citoyens de partager les informations qu’ils souhaitent, qu’elles soient vraies ou fausses. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) l’a très clairement indiqué en 2005 : même s’il est légitime, en période électorale, de rechercher les moyens de fournir à nos concitoyens des informations authentiques, cela ne saurait faire obstacle « à la discussion ou à la diffusion d’informations reçues, même en présence d’éléments donnant fortement à croire que les informations en question pourraient être fausses. En juger autrement reviendrait à priver les personnes du droit d’exprimer leurs avis et opinions au sujet des déclarations faites dans les mass medias et ce serait ainsi mettre une restriction déraisonnable à la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention ».

Pour autant, nous nous devons d’agir sur l’écosystème numérique qui permet aujourd’hui à des acteurs malveillants d’atteindre facilement une certaine viralité, notamment par des moyens artificiels. Il nous faut également résoudre le conflit d’intérêts dans lequel la plupart des plateformes sont aujourd’hui prises : elles ont presque toutes intérêt à ce que des informations, vraies ou fausses, soient massivement diffusées, pour accroître le temps passé par les utilisateurs sur la plateforme et générer ainsi des revenus publicitaires.

Entre l’enjeu de réputation, qui est heureusement de plus en plus prégnant, et les intérêts économiques et financiers de court terme des plateformes, il me semble que le législateur doit intervenir pour faire pencher la balance du bon côté et assurer un comportement vertueux de la part de ces opérateurs qui tiennent un rôle central dans la vie de nos concitoyens et qui ont, en tant que « places publiques numériques », une responsabilité importante.

Nous ne pouvons pas accepter que les plateformes, via leurs algorithmes, promeuvent des contenus trompeurs et manipulateurs ni qu’elles recommandent individuellement à leurs utilisateurs des sites et des pages à visée explicitement désinformative ; pas plus que nous ne devons accepter qu’elles soient rémunérées pour promouvoir de tels contenus.

Mais la difficulté à laquelle le législateur se heurte est double : d’une part, leur statut d’hébergeur leur confère une responsabilité limitée quant aux contenus stockés sur leurs serveurs ; d’autre part, il ne faudrait pas, en obligeant les plateformes à retirer les contenus trompeurs, leur donner un pouvoir qui appartient aujourd’hui à la justice et aux journalistes, celui d’établir la vérité, dans toutes les limites philosophiques de la notion.

Dès lors, seules des démarches partenariales entre l’ensemble des parties prenantes
– plateformes, journalistes, éditeurs de presse, agences de presse, médias audiovisuels, annonceurs, fournisseurs d’accès à internet – pourront permettre des avancées dans ce domaine et faciliter l’autorégulation des plateformes. La Commission européenne est d’ailleurs également sur cette ligne, avec le code de bonne conduite qu’elle soumettra à l’été.

Pour ce qui est des plateformes, je propose donc de confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) un pouvoir de recommandation vis-à-vis de ces acteurs. Il pourra de surcroît, dans son rapport annuel, établir le bilan des actions menées par les plateformes dans des domaines précis : transparence des algorithmes, promotion d’informations fiables, lutte contre les faux comptes, transparence sur les contenus sponsorisés ou poussés par des moyens artificiels, etc. C’est en mettant en jeu la réputation des plateformes sur ce point que nous pourrons obtenir des avancées tangibles dans ce domaine. Je souhaiterais recueillir votre point de vue sur une telle évolution du texte, madame la ministre.

Pour ce qui est des médias au sens traditionnel du terme, le problème se pose de façon plus simple : ils ont une responsabilité éditoriale et un régulateur qu’il faut doter de moyens plus efficaces face à des acteurs qui diffusent sciemment de fausses informations dans le but de nuire. La question ici est celle de la nature de l’espace médiatique que l’on souhaite défendre en France : si l’on souhaite des médias libres, indépendants et pluralistes, alors il faut s’en donner les moyens et ne pas permettre à ceux qui ne respectent pas les règles d’éthique et de déontologie à des fins de manipulation de diffuser en toute impunité sur le territoire. C’est précisément l’objet des dispositions des articles 4 à 8 de la proposition de loi ordinaire.

Ces dispositions relèvent, à mon sens, de l’indispensable. Pour autant, nous ne devons pas passer à côté de l’essentiel : d’une part, la confiance que les citoyens placent dans la presse et les médias ; d’autre part, l’éducation aux médias et à l’information.

Le phénomène auquel nous sommes confrontés souligne en réalité à quel point nous avons aujourd’hui besoin des journalistes, à quel point nous avons besoin d’entreprises de presse fortes, indépendantes et en lesquelles les citoyens ont confiance. Les citoyens ont développé une certaine appétence pour la vérification des faits : qu’en est-il, madame la ministre, de la plateforme de décryptage que vous aviez appelée de vos vœux ?

Par ailleurs, j’ai pu percevoir, au cours des auditions, un vrai souhait de la profession dans son ensemble de voir émerger un conseil de presse ou de déontologie. Cette initiative, pour être fructueuse, doit recueillir l’assentiment de l’ensemble de la profession, et je la soutiendrai de toutes les façons possibles. Là encore, quelle est votre position, madame la ministre ?

En ce qui concerne l’éducation aux médias et à l’information, elle me paraît très en deçà des enjeux actuels, telle qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre au sein du système scolaire. Pour lutter contre les biais cognitifs qui nous poussent à donner systématiquement du crédit aux informations qui vont dans le sens de nos préjugés, il me semble absolument nécessaire de donner aux adultes de demain les moyens d’analyser de façon critique l’ensemble des informations auxquelles ils sont aujourd’hui confrontés. Je présenterai, en lien avec le ministre de l’éducation nationale, des amendements en ce sens.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Depuis le temps de la presse imprimée et de la loi fondatrice du 29 juillet 1881, depuis l’époque où seuls les journalistes portaient la parole publique, le monde a beaucoup évolué. Ce sont désormais des millions de Français qui peuvent, à tout moment, publier, diffuser des articles ou des écrits, réagir à l’actualité quasi instantanément. C’est, bien sûr, une extraordinaire avancée dans le débat démocratique. Mais c’est aussi un risque de voir les abus d’expression et les manipulations de l’esprit se multiplier.

J’ai beaucoup plaidé – au sens propre du terme, comme avocate – pour la liberté de la presse, pour la liberté d’expression. J’ai appris qu’il n’y a pas de vérité qui puisse s’imposer ; mais il existe des outils, dans la loi, qui nous permettent de garantir que chacun puisse s’exprimer librement, de la même manière que, la liberté d’expression ne permettant pas tout, il existe aussi des outils de répression venant sanctionner les dérives du langage.

Cet équilibre que nous avons su créer, nous nous devons de le préserver. II en va de ce que nous sommes, une grande démocratie, grande parce qu’elle proclame haut et fort que nous pouvons librement communiquer, sans crainte d’oppression, grande aussi parce qu’elle a pris conscience qu’il n’y a pas d’immunité en la matière.

Cet équilibre a été mis à mal, du moins est-il confronté depuis plusieurs années au phénomène des fausses informations. Certes, les rumeurs malveillantes ont existé de tout temps, mais leur propagation exponentielle est une nouveauté, et il est évident que ne pouvons plus lutter contre ce phénomène à la même échelle qu’auparavant. S’il y avait des limites hier, elles n’existent quasiment plus aujourd’hui, car internet n’a pas de frontières.

Or, le risque induit est des plus dangereux : la multiplication d’informations fausses mine la confiance des citoyens. Elle est même susceptible d’altérer leur jugement au moment de faire un choix crucial, au moment où s’exprime aussi la démocratie. C’est contre ces tentatives de déstabilisation que nous voulons lutter.

Ce n’est pas théorique, c’est bien une réalité, un enjeu d’actualité : les élections présidentielles américaine et française, le référendum sur le Brexit ou sur l’indépendance de la Catalogne sont autant d’exemples qui justifient, qui imposent que le législateur se saisisse du sujet.

Tous ceux qui ont été auditionnés, et ils sont nombreux – plus d’une cinquantaine de personnes : journalistes, opérateurs de plateformes, fournisseurs d’accès à internet, avocats, magistrats ou professeurs de droit –, affirment qu’il est nécessaire de lutter contre la diffusion des fausses informations.

C’est ce que nous faisons avec les deux propositions de loi qui vous seront soumises. Je le dis d’emblée, c’est un premier outil de travail que nous proposons et la loi, à elle seule, ne résoudra pas tout. D’autres instruments devront être mis en place ou renforcés, c’est indispensable pour parvenir à nos objectifs : il faut notamment une meilleure gouvernance de l’internet et une coordination à ce sujet au niveau européen et même international – nous y travaillons –, il faut aussi impliquer davantage la société civile, la sensibiliser aux règles de fonctionnement des réseaux sociaux.

En tant que législateur, nous devons prendre notre part au débat et à la réflexion. C’est tout l’objet des deux textes que nous allons examiner et dont j’évoquerai rapidement le contenu.

Je rappelle que la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation nous a délégué, au fond, l’examen du titre Ier modifiant le code électoral – les articles 1 à 3 – et du titre IV relatif à l’outre-mer – l’article 10. La commission des Lois s’est également saisie pour avis du titre III – l’article 9.

À l’article 1er, nous vous soumettrons deux mesures phares devant s’appliquer pendant la période électorale. D’une part, nous proposons de renforcer les obligations de transparence financière imposées aux opérateurs de plateformes pour qu’ils rendent publique, au-delà d’un certain seuil, l’identité des annonceurs qui les ont rémunérées en contrepartie de la promotion de contenus d’information, outre la mention du montant de ces rémunérations.

D’autre part, une nouvelle voie de référé civil est créée, qui permettra de faire cesser la diffusion artificielle et massive de fausses informations de nature à altérer la sincérité d’un scrutin. Il s’agit de lutter contre les contenus sponsorisés et les systèmes robotisés, les « fermes à clics », qui véhiculent ces fausses informations et qui le feraient sciemment, en sachant que l’information est fausse. Ce ne sont donc pas, dans l’esprit de la loi, les journalistes de métier, professionnels et scrupuleux dans leur enquête qui sont visés, ni les contenus satiriques ou parodiques.

L’article 9, enfin, modernise les dispositions prévues par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, en étendant à la lutte contre les fausses informations les dispositifs prévus au titre du devoir de coopération des fournisseurs d’accès et des hébergeurs de contenus sur internet sur les infractions odieuses.

L’ensemble de ces leviers, auxquels s’ajouteront toutes les mesures proposées par mon collègue Bruno Studer, permettront de combattre avec efficacité la diffusion virale des fausses informations.

Cependant, à l’issue du travail que j’ai conduit, il me semble que certains points restent perfectibles. Sans remettre en cause l’équilibre de ce texte, des améliorations sont possibles. Je les présenterai demain sous la forme de plusieurs amendements, et je souhaite en évoquer quelques-unes avec vous.

Premièrement, des précisions doivent être apportées afin d’encadrer rigoureusement les dispositifs que nous souhaitons mettre en œuvre. Par exemple, la délimitation des périodes électorales et la définition de ce qui constitue une fausse information doivent être utilement précisées.

Deuxièmement, les obligations de transparence financière renforcée ne concernent, en l’état du texte, que les plateformes. Madame la ministre, que pensez-vous d’une extension de ce dispositif aux annonceurs eux-mêmes, pour que soit dévoilée l’identité réelle de tous les acteurs participant directement ou indirectement à la promotion de contenus d’information ? Les internautes méritent de savoir ce qui est à l’origine de l’information qui leur est présentée, dans l’ordre où elle leur est présentée.

Troisièmement, la nouvelle voie de référé civil ouverte par l’article 1er appelle quelques éclaircissements. Les mesures susceptibles d’être prononcées par le juge des référés doivent notamment s’inscrire dans un objectif de proportionnalité. L’effet utile de cette procédure de référé conduit également à encadrer aussi bien les voies de recours et l’intérêt à agir que les modalités de saisine du tribunal compétent. Je formulerai à cet égard plusieurs propositions.

Quatrièmement, le devoir de coopération prévu à l’article 9 doit être revu : il ne peut pas se calquer par analogie sur ce que la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit en matière de crimes odieux.

Comme vous le voyez, madame la ministre, nos préoccupations se rejoignent. Si les textes doivent être enrichis, je demeure absolument convaincue de toute leur nécessité comme de leur utilité, car ils ont vocation, non pas à remettre en cause l’ensemble de notre arsenal législatif mais à le compléter, en l’adaptant efficacement aux enjeux auxquels notre démocratie doit désormais faire face. Nous serons extrêmement soucieux de protéger cet équilibre fondamental.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. L’histoire nous enseigne que la démocratie n’est jamais un acquis. Elle réclame notre intransigeance permanente, notre vigilance et notre engagement de chaque instant, pour la faire vivre, pour la défendre dès qu’elle est attaquée. L’histoire nous enseigne aussi que les plus grandes menaces ne sont pas toujours les plus éclatantes. Parfois la démocratie les enfante elle-même. Ces menaces commencent à bas bruit, elles s’installent comme une gangrène. Et au moment où elles apparaissent aux yeux de chacun, il est déjà trop tard.

Notre responsabilité commune – à vous, élus de la Nation, à moi, représentante du Gouvernement – est de tirer la sonnette d’alarme dès que la menace apparaît et de prendre les dispositions qui s’imposent, par-delà les clivages, pour protéger ce modèle qui nous unit.

Aujourd’hui notre démocratie est face à une menace de cet ordre. Une menace qui a su faire sa place dans nos vies quotidiennes, qui s’est presque banalisée et qu’il faut d’urgence affronter avant que notre vigilance ne retombe : cette menace, c’est la montée en puissance des fausses informations.

Je remercie vos commissions de m’avoir invitée à m’exprimer sur cet enjeu, qui est au cœur de notre démocratie, et sur ces propositions de loi qui, je le dis d’emblée, contiennent des mesures nécessaires pour relever le défi. Je remercie les rapporteurs de ce texte. Je salue également le travail de Pieyre-Alexandre Anglade, auteur d’un rapport d’information au nom de la commission des Affaires européennes sur ces propositions de loi.

Le renforcement de la lutte contre les fausses informations est une priorité du Gouvernement. Le Président de la République a annoncé, à l’occasion de ses vœux à la presse en janvier, sa volonté ferme d’agir en actionnant tous les leviers qui sont à notre disposition.

Il en existe plusieurs. La loi n’est pas le seul – j’y reviendrai –, mais c’est un levier indispensable. Comme vous le savez, la France n’a pas attendu 2018 pour le mobiliser. Plusieurs infractions pénales ont été créées pour lutter contre les fausses nouvelles dès le XIXe siècle. La loi de 1881 vise celles qui troublent la paix publique : votre rapporteure Naïma Moutchou a parfaitement rappelé les enjeux, il n’est pas question de toucher à ce texte fondamental. Le code électoral vise celles qui altèrent la sincérité du scrutin.

Pourquoi vouloir un nouveau texte aujourd’hui ? D’une part, pour compléter notre arsenal juridique, d’autre part, pour se donner les moyens de lutter efficacement contre la propagation des fausses informations. C’est le sens des deux propositions de loi qui ont été déposées par le groupe majoritaire, et que le Gouvernement soutient pleinement.

Ce soutien repose sur trois fondements, que je veux détailler devant vous.

Sur un diagnostic, d’abord, qui motive le recours à ce nouveau texte et que nous partageons ; sur l’ambition des solutions proposées, ensuite, à laquelle nous souscrivons ; enfin, sur la politique plus large que ces textes viennent compléter, notamment en matière d’éducation aux médias, et dont je voudrais dire un mot.

Le constat, pour commencer : si les lois existantes sont insuffisantes pour lutter efficacement contre les fausses informations, c’est que le paysage a changé. Les fausses informations, les manipulations et les rumeurs ne sont pas un phénomène nouveau : elles ont, de tout temps, accompagné l’humanité. Ce qui est nouveau, en revanche, depuis quelques années, c’est leur viralité, résultat de la révolution numérique, qui a eu deux grandes conséquences dans le domaine de l’information.

La première est la multiplication des sources d’information, qui a brouillé les repères des citoyens, en particulier la frontière entre information professionnelle et information non vérifiée – je pense notamment aux réseaux sociaux.

La seconde est l’accélération de la diffusion de l’information, due à deux facteurs. D’une part, la multiplication des canaux, notamment les blogs et les réseaux sociaux, qui sont des caisses de résonance pour les fausses informations ; d’autre part, l’émergence de technologies de promotion artificielle des contenus, comme le sponsoring, qui permettent aux émetteurs de fausses informations d’acheter de la visibilité aux plateformes, dans des stratégies politiques de manipulation de l’opinion.

C’est une nouvelle forme d’« économie de la propagande » qui a émergé : elle est cautionnée par les plateformes, qui fuient leurs responsabilités. Mark Zuckerberg est auditionné aujourd’hui même par le Parlement européen sur l’affaire Cambridge Analytica, qui a montré comment les données personnelles des internautes pouvaient être utilisées à des fins de ciblage de la propagande politique.

Dans le même temps, ce marché de la manipulation fragilise les médias traditionnels, qui voient leurs recettes publicitaires basculer vers les plateformes, ce qui met en danger leur capacité à produire une information de qualité.

Au total, les fausses informations ne sont pas nécessairement plus nombreuses qu’avant, mais elles sont relayées plus rapidement et plus massivement. Elles se propagent jusqu’à six fois plus vite que les informations vérifiées, et font donc plus de dégâts qu’avant, comme l’exposé des motifs de ces propositions de loi le démontre parfaitement.

C’est le cœur de nos démocraties qui est visé. Les fausses informations pèsent notamment sur le bon déroulement des moments charnières que sont les élections, comme nous en avons fait l’expérience en France lors de la dernière élection présidentielle. Aucun camp politique n’est à l’abri et toutes les démocraties du monde sont exposées. La dernière campagne présidentielle américaine en a été une démonstration particulièrement frappante. Je rappelle ce chiffre, révélé par le réseau social Facebook lui-même : la moitié de ses utilisateurs américains, soit 126 millions de personnes, ont potentiellement été exposés à de fausses informations sur le réseau. Ce phénomène est particulièrement nocif en période électorale.

Les fausses informations sont un poison lent pour nos démocraties, parce qu’elles alimentent une crise de confiance des citoyens envers leurs institutions démocratiques, les journalistes, les médias, les pouvoirs publics et les élus. Il est de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux, ce qui fait que nos concitoyens finissent par ne plus savoir qui croire. Une information fausse finit toujours par être démentie. Mais entre-temps, le mal est fait : le doute s’est installé.

La prolifération des fausses informations appelle une réaction urgente, qui doit être collective : c’est toute la société qui doit se mobiliser, faire front dans cette bataille. Les pouvoirs publics n’en ont pas le monopole. La société civile et la presse ne nous ont d’ailleurs pas attendus, elles sont fortement mobilisées.

Je veux rendre ici hommage au travail des journalistes et des professionnels des médias, qui non seulement s’engagent chaque jour pour nous fournir une information de référence, mais qui multiplient les initiatives pour lutter directement contre les fausses informations. Cela se fait avec des émissions de décryptage – les exemples ne manquent pas sur les chaînes de service public, et je veux les saluer –, mais aussi avec des outils de vérification des faits, comme les Décodeurs du Monde, ou le CheckNews de Libération – qui vient d’ailleurs de recevoir le prix international de l’innovation dans le factchecking. Il y en a d’autres, accessibles à tous et d’une très grande efficacité.

Le premier et le meilleur rempart contre les fausses informations, ce sont eux, les journalistes, les professionnels des médias, et ce sera toujours eux. Le premier moyen de lutte des pouvoirs publics contre les fausses informations consiste donc à garantir l’existence d’une presse forte, libre, indépendante et pluraliste, à protéger la liberté d’expression et à maintenir le soutien à la filière. C’est ce que nous faisons et c’est indispensable, mais cela ne suffit plus face à l’ampleur prise par le phénomène.

Il y a deux grands enjeux. Premièrement, il faut lutter plus efficacement contre la propagation des fausses informations. Nous ne pouvons rien contre leur production : elles ont toujours existé et existeront toujours. En revanche, nous avons la responsabilité de tout faire pour limiter leur impact. Pour cela, il faut se doter de nouveaux moyens à la hauteur des nouvelles technologies numériques.

Le deuxième enjeu consiste à aider les citoyens à faire face aux fausses informations quand ils y sont confrontés malgré tout. C’est la question de l’éducation, sur laquelle je reviendrai.

Mieux lutter contre la propagation des fausses informations, c’est tout le sens des propositions de loi que vous allez examiner. Le Gouvernement partage leur ambition, qui est de renforcer les responsabilités des acteurs participant aujourd’hui à la circulation des fausses informations et en tirant profit, c’est-à-dire principalement les plateformes numériques.

Nous ne pouvons pas laisser des entreprises se faire de l’argent sur le dos de nos démocraties, ni sur le dos de la filière de la presse que nous soutenons. Cette volonté de responsabilisation des acteurs des fausses informations n’est pas un acte isolé, vous le savez. C’est l’un des volets du vaste chantier que nous sommes en train de conduire au niveau national et européen pour responsabiliser véritablement les plateformes.

Le Président de la République et le Premier ministre ont marqué clairement leur détermination en la matière. C’est le sens des réflexions engagées pour la création d’un statut intermédiaire entre l’éditeur et l’hébergeur, pour la lutte contre les contenus illicites. C’est le sens du travail mené par Bercy pour obliger les plateformes à se conformer à nos règles fiscales. C’est aussi le travail que je mène pour obliger les plateformes à rémunérer les éditeurs de presse quand elles recyclent leurs contenus, avec la création d’un droit voisin à l’échelle européenne. Enfin, c’est le travail visant à faire participer les plateformes au financement de la création audiovisuelle française et européenne, et à créer un devoir de coopération pour les plateformes de partage de vidéos contre les discours haineux avec la directive « Services des médias audiovisuels » (SMA) – je serai d’ailleurs à Bruxelles demain pour y travailler. La responsabilisation des plateformes dans la lutte contre les fausses informations s’inscrit dans ce mouvement.

Le droit français ne prévoit aucune obligation à l’heure actuelle. Ces deux propositions de loi visent à compléter notre arsenal juridique dans trois directions.

Premièrement, il s’agit de créer un devoir de coopération pour les plateformes vis‑à‑vis de tous ceux qui s’engagent en France contre les fausses informations, à savoir les pouvoirs publics, la presse et la société civile. En effet, les plateformes échappent à notre modèle de responsabilité et de régulation. La création de ce devoir de coopération répondrait à cette anomalie, en créant une forme de co-régulation. La proposition du texte va donc dans le bon sens.

Je souhaite néanmoins que nous puissions travailler ensemble à préciser davantage le contenu de ce devoir de coopération. J’ai entendu les interrogations exprimées par les professionnels et les réserves formulées par le Conseil d’État. Je crois que nous pouvons y répondre ensemble, en détaillant davantage les engagements attendus de la part des plateformes, en encourageant la conclusion de chartes de bonnes pratiques associant les médias et les journalistes, et en confiant à une autorité indépendante le soin d’en évaluer l’efficacité. Vous l’avez évoqué très clairement, monsieur le rapporteur, et vos travaux vont dans ce sens. Votre proposition de confier de nouvelles compétences au CSA pour être le garant du devoir de coopération des plateformes a le plein soutien du Gouvernement. Le CSA – qui dispose déjà d’une compétence en matière d’honnêteté de l’information, et qui est appelé à développer un rôle de co-régulation à l’occasion de la future transposition de la directive SMA – serait pleinement légitime dans ce rôle.

Deuxièmement, il s’agit de renforcer les obligations de transparence des plateformes vis-à-vis de leurs utilisateurs, ce qui est également une très bonne initiative. Je pense en particulier à la transparence sur les contenus dits « sponsorisés » dans les moments clés que sont les campagnes électorales. Aujourd’hui, il est impossible pour un internaute d’identifier ces contenus.

En période électorale, il faut obliger les plateformes à une transparence absolue. Elles doivent indiquer clairement à leurs utilisateurs si une entreprise, un groupe de pression ou encore un État étranger a dépensé de l’argent pour qu’un contenu se retrouve « en haut de l’affiche », sur le fil Facebook ou Twitter des utilisateurs. Le cas échéant, il faut que les plateformes indiquent clairement qui a payé et combien. C’est une mesure extrêmement forte, qui figure dans le texte que vous examinerez.

Troisièmement, enfin, il s’agit de donner aux autorités compétentes des moyens d’action adaptés à la rapidité de propagation des fausses informations. Pour ce qui est des plateformes, l’autorité compétente est le juge judiciaire, à qui il faut donner les moyens d’intervenir en urgence pendant la période électorale.

Aujourd’hui, quand un contenu est signalé, il peut faire beaucoup de dégâts avant que les procédures judiciaires n’aboutissent – ce qui peut durer des semaines ou des mois. La création d’une procédure spéciale de référé – précisément encadrée pour éviter tout risque d’atteinte à la liberté d’expression – est nécessaire. C’est ce que propose le texte, avec des critères cumulatifs pour permettre au juge d’intervenir : il faut que l’information soit manifestement fausse, que la diffusion soit massive, et qu’elle soit artificielle.

Pour ce qui est des médias audiovisuels, l’autorité compétente est le CSA. J’ai mis l’accent sur les plateformes jusqu’ici, mais on voit aussi des stratégies d’influence et des campagnes de désinformation orchestrées par des chaînes de télévision pilotées par des États étrangers, qui tentent de s’ingérer dans nos affaires intérieures. Ce sujet sera certainement de nouveau abordé lors du déplacement du Président de la République en Russie, où je l’accompagne après-demain.

Le CSA est insuffisamment armé pour y répondre, ce à quoi nous devons remédier, car c’est un enjeu de souveraineté majeur. C’est l’un des objets de la proposition de loi, qui vise à compléter la gamme de pouvoirs du CSA dans des conditions très précisément définies, et nous y sommes favorables.

Le texte proposé est équilibré : il complète l’arsenal juridique de la France de façon décisive, sur ces trois volets, tout en prévoyant les gardes fous nécessaires à la protection de la liberté d’expression. On ne peut défendre la démocratie que par la démocratie. Le droit fait partie des anticorps à mobiliser quand le système est attaqué.

L’autre, c’est l’éducation, et je terminerai là-dessus. Ce qui renforce la légitimité des propositions de loi que nous discutons aujourd’hui, c’est qu’elles viennent compléter d’autres digues que nous sommes en train de bâtir contre les fausses informations. Je considère que l’éducation est la mère des batailles. Je sais que votre rapporteur Bruno Studer partage cette position et travaille sur des amendements pour enrichir le texte dans le domaine ; ils seront particulièrement bienvenus.

Il faut former les citoyens, et notamment les plus jeunes, pour les aider à reconnaître les fausses informations, à les appréhender, à s’en protéger. C’est le rôle de ce qu’on appelle « l’éducation à l’information et aux médias ». Notre objectif commun doit être d’en faire un « passage obligé » de la scolarité, pour tous les élèves, comme l’éducation civique aujourd’hui.

Nous partageons cette bataille avec la société civile, qui là encore est déjà très investie. Médias, associations, acteurs du champ éducatif sont nombreux à agir. L’État soutient déjà des initiatives mais doit faire plus. J’en fais une priorité de mon ministère. J’ai doublé le budget pour l’éducation à l’information et aux médias, qui passe de 3 à 6 millions d’euros cette année. Je lancerai l’an prochain un vaste programme de Service civique pour que des jeunes forment le grand public aux fausses informations, en intervenant dans des bibliothèques, dans des lieux d’éducation populaire. Et j’ai mobilisé les six sociétés de l’audiovisuel public français – ARTE, France Télévisions, France Médias Monde, TV5 Monde, Radio France et l’Institut national de l’audiovisuel – qui créeront une plateforme commune de décryptage des fausses informations. Vous m’interrogiez à ce sujet, monsieur le rapporteur : les sociétés y travaillent et me présenteront un projet la semaine prochaine. C’est une mission dont le service public doit se saisir.

Mesdames et messieurs les députés, nous n’avons pas le droit d’attendre. Nous ne pouvons prendre le risque de nous habituer, de laisser les fissures se creuser. Ne pas céder à la passivité, en se retranchant derrière la complexité de ces questions. Ne pas céder à la naïveté, en comptant sur l’autorégulation des acteurs numériques. Ne pas céder à la démagogie, en renvoyant à la seule capacité de discernement des citoyens.

Il y a une ligne de crête entre la protection intransigeante des libertés publiques et la condamnation des acteurs qui les retournent contre la démocratie elle-même. C’est au Parlement français, et à lui seul, qu’il appartient de définir cette ligne de crête. C’est un immense défi mais il est encore temps. Ces propositions de loi font partie de la solution pour la démocratie. Je veux remercier tous les contributeurs et les rapporteurs pour leur travail et je me tiens prête à répondre à vos questions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, madame la ministre.

La parole est d’abord à Pieyre-Alexandre Anglade pour la commission des Affaires européennes.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, au nom de la commission des Affaires européennes. La commission des Affaires européennes qui a déposé un rapport pour observation sur les fausses informations.

Je souhaite en premier lieu saluer l’initiative de mes collègues, avec deux propositions de loi dans lesquelles je me retrouve totalement.

Les exemples récents de périodes électorales déstabilisées par les fausses informations ne manquent pas, que ce soit aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne, avec la Catalogne, ou bien en France. Aujourd’hui, c’est tout l’écosystème des élections qui est rendu vulnérable par les fausses informations, des candidats aux électeurs, en passant par les médias traditionnels, papier ou numériques. Les fausses informations ne datent pas d’hier mais Internet leur offre une caisse de résonance inédite. Je le disais la semaine passée en commission des Affaires européennes, les chiffres sont éloquents : aujourd’hui, pour 40 000 euros vous pouvez lancer des opérations de propagande politique sur les réseaux sociaux, pour 5 000 euros vous pouvez acheter 20 000 commentaires haineux, et pour 2 600 euros vous pouvez acheter 300 000 followers sur Twitter. À ce prix-là, des sites entiers, des pages Facebook, des fils Twitter colportent de fausses informations et sèment le trouble dans l’esprit de nos concitoyens. À ce prix-là, la relation de confiance qui existe entre les citoyens et leurs représentants se trouve sapée. Les populismes, les complotismes de toutes sortes irriguent nos sociétés, et le débat et la sincérité du scrutin se trouvent menacés.

Il est donc proposé, grâce à l’action rapide du juge, de maintenir les conditions équitables et normales du débat et de la confrontation politiques en période électorale. L’enjeu est simple : protéger coûte que coûte la confrontation d’idées des manipulations d’opinion à grande échelle afin de rendre le débat politique hermétique aux tentatives de déstabilisation extérieure. Je parle à dessein dans mon rapport de déstabilisation extérieure car la dissémination des fausses informations ne se fait pas au hasard ; elle répond souvent à une véritable stratégie politique, financée parfois par des États tiers à la frontière orientale de l’Union européenne, visant à diviser nos sociétés et à affaiblir le projet européen.

Cette guerre hybride dont l’ennemi et les modes d’action sont difficilement identifiables expose tous les peuples européens, et puisqu’aucun État de l’Union européenne n’est épargné, la réponse doit donc être globale et inclusive. Dans cette perspective, les propositions de loi que nous avons examinées fournissent des éléments de réponse que je considère satisfaisants et proportionnés à l’objectif, mais j’estime aussi que la réponse à la désinformation ne peut s’arrêter aux frontières nationales, compte tenu de la dimension continentale du problème, et doivent faire l’objet d’une réponse européenne commune.

Les institutions européennes ont récemment pris conscience de la dimension de ce problème, comme en témoigne la communication de la Commission européenne du 26 avril dernier. Quelle que soit l’approche qui sera retenue dans les mois à venir, le message politique est clair : les plateformes doivent accepter de voir leur responsabilité évoluer, à la hauteur de leur rôle dans l’accès à l’information. Ces géants ne peuvent plus nier leur responsabilité dans la tenue d’un débat démocratique de qualité, à une époque où 57 % des citoyens européens accèdent à l’information par le biais des médias sociaux, des agrégateurs d’information et des moteurs de recherche.

Par-delà la dimension européenne, la réponse à apporter aux fausses informations doit être inclusive et dépasser le seul cadre de la répression, comme vous l’avez souligné. Toutes les sociétés en Europe ne sont pas égales face aux fausses informations. Le niveau d’éducation, la culture démocratique, les inégalités, jouent un rôle décisif dans leur degré de propagation. C’est donc aussi par l’éducation aux médias numériques que l’Union européenne et nos États membres peuvent lutter efficacement contre les fausses informations. C’est la raison pour laquelle je considère, dans mon projet de rapport, que le programme « Europe Créative » pourrait participer au financement des programmes nationaux d’éducation numérique et soutenir les projets menés en ce sens par les organisations non gouvernementales, les associations ou les start-up.

Par ailleurs, afin de maintenir la diversité des points de vue médiatiques, il nous incombe de protéger et de valoriser le secteur de la presse. L’enjeu est considérable puisqu’il s’agit de protéger le pluralisme des médias et son corollaire, la liberté d’expression. Dans cette perspective, je salue le soutien apporté par la Commission européenne à la labellisation des médias reconnus comme respectueux de stricts principes déontologiques, de l’indépendance des journalistes et de la capacité à vérifier les faits qu’ils relatent.

Enfin, les échéances électorales à venir rendent d’autant plus crucial le combat européen contre les fausses informations. Vous le savez, dans un an presque jour pour jour, se tiendront les élections européennes qui devront permettre de choisir la forme que prendra l’Union européenne dans les dix années à venir. Or ces élections sont particulièrement vulnérables, d’une part parce que l’accumulation des vingt-sept scrutins nationaux ouvrent autant de fenêtres pour la propagation des fausses informations, et d’autre part parce que de nombreux citoyens connaissent trop peu ou mal ce que fait l’Union européenne.

J’ai donc deux questions. Estimez-vous, madame la ministre, que les dispositifs des propositions de loi seront efficaces lors des élections européennes à venir ? Quelles méthodes de collaboration entre les États membres et les institutions européennes permettraient selon vous d’éviter les menaces qui pèsent actuellement sur ce scrutin et, plus globalement, pensez‑vous que l’approche nationale définie par les propositions de loi en cours d’examen et l’approche européenne peuvent se concilier ?

M. Guillaume Vuilletet. L’actualité électorale récente a démontré l’existence de campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire des services de communication en ligne : sites, plateformes, chaînes télévisuelles en ligne… C’est pourquoi le groupe La République en Marche a souhaité qu’une proposition de loi s’empare rapidement du sujet de la lutte contre les fausses informations, qui a été, je le rappelle, un engagement de campagne de notre majorité. Nous serons ainsi l’un des premiers pays de l’Union européenne à légiférer sur ce phénomène. C’est pour cela que nous devons à la fois faire preuve d’innovation mais également de prudence, car les regards de nos voisins seront tournés vers nous.

Comme vous l’avez rappelé fort justement madame la rapporteure, nous nous apprêtons à nous doter de nouveaux outils pour faire cesser la diffusion des fausses informations. La nouveauté est là : nous ne recherchons pas les auteurs, nous cherchons à faire cesser le trouble efficacement et rapidement.

La proposition de loi prévoit également, et c’est une excellente chose, une obligation de transparence des plateformes sur l’identité des personnes et le montant consacré à des contenus sponsorisés. À cet égard, nous nous interrogeons sur l’opportunité d’étendre cette obligation de transparence au-delà de la période électorale, et nous aimerions avoir votre sentiment sur ce point.

Parce que cette notion de transparence est centrale, elle est demandée par les acteurs et elle est nécessaire à la vigilance des citoyens. Nous voyons bien que le contenu des médias Internet demande une exigence accrue de la part des citoyens, qui sont confrontés à une profusion d’informations, et les règles de diffusion – les fameux algorithmes – permettent d’être facilement saturés par des informations invérifiables. Il faut donc avoir une vraie connaissance, une vraie vigilance, et l’éducation est centrale dans ce projet.

La société à laquelle nous sommes confrontés est aujourd’hui une société de l’information ; elle doit permettre à chacun de se faire son opinion par rapport à des échéances, en particulier électorales, mais elle doit aussi permettre à chacun d’avoir une information fiable qui ne soit pas l’objet d’une censure, ni d’une autocensure des plateformes. C’est l’objet de ces deux propositions de loi et nous vous remercions de nous éclairer sur votre sentiment à cet égard.

Mme Fabienne Colboc. On l’a dit et on l’a vu, les fausses informations ont touché un grand nombre de pays aux dernières élections, souvent sous l’impulsion d’États étrangers. Plusieurs fausses informations ont été relayées massivement lors des élections françaises mais aussi au cours des élections américaines et lors des discussions sur le Brexit. C’est un problème global.

La Commission européenne s’est d’ailleurs saisie du sujet en mettant en place une consultation publique et un groupe d’experts, comme vous l’avez rappelé dans votre rapport, monsieur Anglade. D’autres États européens ont également décidé d’agir. C’est le cas de l’Allemagne qui a instauré une loi obligeant les réseaux sociaux à supprimer dans les vingt‑quatre heures les contenus litigieux.

La proposition de loi met en place à la fois des dispositifs de prévention pour éclairer les utilisateurs des plateformes en ligne et des dispositifs de sanction pour endiguer la propagation de fausses nouvelles.

Elle poursuit trois objectifs principaux. Le premier est d’éviter la diffusion de fausses informations sur les plateformes en ligne dans les périodes cruciales pour notre démocratie que sont les périodes électorales. Le second est de renforcer le pouvoir de contrôle du CSA sur les chaînes qui diffusent des informations susceptibles de déstabiliser nos institutions ou de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation par la diffusion de fausses nouvelles. Enfin, elle vise à impulser une responsabilisation des plateformes et des distributeurs de services pour qu’ils s’engagent dans la lutte contre les fausses informations.

Cette proposition de loi porte une idée particulièrement intéressante, celle d’encourager une autorégulation des plateformes pour lutter contre la diffusion de fausses informations. Le titre III prévoit en effet une obligation pour les fournisseurs d’accès et les hébergeurs d’informer les autorités publiques des fausses informations qui leur seraient signalées et de rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre ces fausses informations. Cette obligation de coopération est un premier pas important qui va permettre d’associer l’ensemble des acteurs concernés à la régulation des fausses informations.

Nous pouvons sûrement compléter les obligations prévues par le titre III pour rendre cette coopération encore plus effective et encourager les initiatives de lutte contre les fausses informations créées par les journalistes ou les vérificateurs d’information.

Mme Brigitte Kuster. Avant de nous pencher sur le fond de la proposition de loi relative aux fausses informations, deux questions préalables devraient se poser à nous. Y a-t-il vraiment lieu de légiférer et, si tel est le cas, sommes-nous absolument certains que les bienfaits de la loi sont de très loin supérieurs aux dérives qu’elle est susceptible d’engendrer ? Par dérives, je veux parler d’atteintes à la liberté d’expression, à la liberté de commercer ou même à celle d’entreprendre, rien de moins.

À la première question, « faut-il légiférer ? », le groupe Les Républicains est bien entendu tenté de répondre oui. L’actualité récente, notamment aux États-Unis, a démontré que les élections majeures pouvaient faire l’objet de campagnes massives de désinformation, y compris émanant d’un pays étranger, au point, même si cela reste à prouver, de remettre en cause la sincérité des résultats. La clé de voûte et l’unique source de légitimité de la démocratie, ce sont les élections libres. Jeter le discrédit sur une élection, c’est risquer de voir la démocratie s’effondrer tel un château de cartes. Les enjeux, nous en sommes tous d’accord, sont donc considérables.

Bien sûr, en France, le droit positif n’est pas muet, s’agissant de la lutte contre la diffamation, l’injure, la provocation, mais, comme le Conseil d’État le précise dans son avis, la diffusion de fausses informations s’effectue désormais selon des logiques et des vecteurs nouveaux que la législation en vigueur ne parvient pas à appréhender dans toute leur diversité. Dans cette perspective, et dans cette perspective d’abord, la nécessité de légiférer semble donc s’imposer.

Cela étant, les vraies difficultés ne font que commencer. Sur quelle base juridique se fondent les nouvelles obligations imposées aux plateformes, des obligations qui vont jusqu’à constituer des restrictions à la libre expression des services de la société de l’information ? Le Conseil d’État invoque une notion inédite, celle de « raison impérieuse d’intérêt général », qu’il assortit de trois limites qui, pour l’une, apparaît d’ailleurs dans la proposition de loi mais en des termes différents, et pour les deux autres n’y figurent tout simplement pas, ce qui est pour nous regrettable.

Première limite : la durée durant laquelle s’exerce ce régime d’obligations et de contrôle. Le texte évoque un délai à compter de la publication du décret de convocation des électeurs et la fin des opérations de vote. Le Conseil d’État préfère lui substituer un délai plus précis de trois mois, ce qui semble en effet une mesure de bon sens.

Deuxième limite : la haute juridiction estime que la notion de fausses informations doit être rattachée à celle de « débat d’intérêt général », et ce afin de restreindre le champ d’application des obligations et d’éviter d’éventuelles atteintes à la liberté d’expression. Là encore, nous serions bien avisés de faire nôtre cette rédaction plus rigoureuse.

Troisième limite : le Conseil d’État souligne qu’en elle-même, la notion de fausse information ne révèle aucune intentionnalité. L’intention de nuire devrait pourtant être l’élément caractéristique de l’infraction, ce qui n’est pas le cas dans la proposition de loi. Il est donc indispensable, toujours dans un souci de respect de la liberté d’expression, que cette intention soit mentionnée expressément dans le texte.

Mais plus préoccupantes encore sont les observations du Conseil d’État s’agissant du nouveau référé, qui constitue pourtant le cœur de la réforme. D’après lui, la réponse du juge des référés, aussi rapide soit-elle, n’empêchera pas la propagation des fausses informations. Dès lors, la seule utilité du référé sera d’offrir aux candidats diffamés l’opportunité de se prévaloir d’une décision juridictionnelle pour répliquer dans le débat public. Peut-on se satisfaire d’un rôle aussi limité ? La position du Gouvernement, madame la ministre, sur ce point précis comme sur les trois que j’ai précédemment mentionnés, vous le comprendrez, est pour nous particulièrement importante et même essentielle.

De la même façon, je crois qu’il est indispensable d’être très attentif aux difficultés que risque de rencontrer le CSA aux différents stades d’intervention qui seront les siens. Qu’il s’agisse de son rôle en matière de refus de suspension ou de résiliation de conventionnement, le CSA est exposé à d’importantes difficultés, notamment en matière d’interprétation de la loi. Comment établir à la fois le caractère mensonger de l’information et l’intention de nuire ? Comment articuler les notions d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et de déstabilisation de ses institutions avec celle de l’altération de la sincérité du scrutin ? Comment assurer un contrôle le plus large possible en y intégrant des contenus diffusés par les filiales des plateformes ? Enfin, le CSA est-il capable d’assumer un nouveau mécanisme de conventionnement avec cette plateforme ? Le CSA est la cheville ouvrière de la réforme ; il est donc important et primordial de clarifier ses compétences.

En conclusion, il ne faut pas trop attendre de cette loi. Elle constitue sans doute une mise à niveau nécessaire de notre arsenal législatif face à un phénomène en plein essor mais elle ne peut en aucune manière être l’alpha et l’oméga de la lutte contre les désinformations.

M. Laurent Garcia. Le combat pour la confiance en la presse a toujours été pour le Mouvement démocrate un impératif. Car c’est bien là le corollaire du texte que vous présentez, mes chers collègues : derrière la lutte contre les fausses informations, contre tous ces phénomènes viraux que nous constatons tous les jours et dont nous pouvons parfois être nous-mêmes victimes, il y a bien l’idée que le plus important est de replacer le journalisme dans sa dimension d’analyse, d’expertise, bref d’information sûre et de qualité. Il ne vous étonnera donc pas, madame la ministre, mes chers collègues du groupe La République en Marche, que notre groupe vous apporte un soutien ferme et entier dans cette initiative.

Les exemples sont désormais légion de ces « informations » que l’on voit circuler sur le Web et dont la véracité, la vérification ne semblent pas être le souci premier de ceux qui les initient ni même a fortiori de ceux qui les diffusent et les rediffusent. Cela pourrait n’être qu’un épiphénomène si ces fausses informations restaient de l’ordre du particulier, mais nous savons bien qu’aujourd’hui internet et ses différents réseaux sont aussi devenus un lieu de pouvoir et d’influence, et qu’il convient que notre législation se dote des moyens d’y faire face et d’y répondre.

C’est l’objet de vos propositions de loi. Diverses dispositions sont prévues, à commencer par celles applicables aux périodes électorales. Vous avez raison de cibler ces temps forts de notre démocratie car ils sont bien ceux qui font l’objet de la concentration la plus forte de ces fausses informations – les dernières élections nationales comme étrangères sont là pour le prouver. Nous souscrivons à votre démarche et nous soutenons ces mesures qui nous paraissent indispensables. Bien sûr, se pose la question de leur extension aux élections locales, qui sont elles aussi, les élections municipales surtout, touchées par ces phénomènes. Il nous semble qu’il serait possible de trouver un arsenal juridique capable de couvrir aussi ces élections.

Le titre II de la proposition de loi ordinaire relatif à la liberté de communication comporte des dispositions qui permettent de mieux encadrer et, au besoin, de sanctionner un service si celui-ci, sous l’influence ou l’action directe d’un État étranger, contrevenait à l’ordre public. Là aussi, il nous semble important de renforcer le CSA dans ses prérogatives. Toutefois, l’ériger en gardien de l’ordre public par l’appréciation qu’il devrait porter sur les informations diffusées, c’est-à-dire confier cette responsabilité à une autorité administrative, alors même qu’il s’agit d’une responsabilité politique, nous semble quelque peu problématique par la confusion que cela ne manquerait pas d’engendrer.

Enfin, nous veillerons particulièrement à ce que ces textes luttent non seulement contre les fausses informations politiques mais aussi contre les fausses informations scientifiques, qui font elles aussi des ravages en induisant beaucoup de nos concitoyens en erreur. Nous avons bien noté les dispositions de l’article 9, qui prévoit un devoir de coopération des prestataires de services, disposition qui pourrait donc s’appliquer aux cas que j’évoque. Cela nous semble néanmoins insuffisant pour lutter efficacement contre les fausses informations à caractère scientifique. Aussi, nous souhaiterions, madame la ministre, monsieur le rapporteur, avoir des précisions à ce sujet.

Plus largement, mais cela a été évoqué à maintes reprises, l’essentiel tient bien évidemment à l’éducation, celle des plus jeunes, certainement, mais celle des citoyens en général. C’est par l’exercice de l’esprit critique, en aiguisant les consciences et les pensées, que l’on parviendra à sortir par le haut de ce poison qui mine la société et la démocratie. Sur ce point, madame la ministre, vous avez bien sûr tout notre soutien, et ça c’est une vraie information ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Bournazel. Si le sujet des fausses nouvelles n’est en rien une nouveauté – Marc Bloch évoque ainsi les faux récits qui foisonnent durant la Grande Guerre –ce sont bien les mutations sans précédent des technologies numériques, en particulier l’essor des plateformes, qui leur donnent leur caractère inédit aujourd’hui. Ces mutations d’ampleur légitiment l’intervention du législateur, plus d’un siècle après la grande loi sur la liberté de la presse qui définissait déjà le délit de fausse nouvelle.

Ces fausses informations sont le fruit de campagnes calibrées, concertées, parfois pilotées par des pays hostiles qui utilisent les failles de nos États de droit pour tenter d’influencer nos élections démocratiques. Le groupe UDI Agir et Indépendants salue donc l’initiative que vous portez ; elle est d’autant plus essentielle dans un contexte de perte de confiance dans nos institutions. Ce texte sur les fausses nouvelles a le mérite de rappeler que l’information est au cœur de la démocratie, que le travail journalistique répond à un devoir de vérité et de vérification des faits qui ne peut se faire sans un cadre déontologique précis.

Avec la loi Bloche promulguée en novembre 2016, le législateur a notamment traité la question de l’indépendance des journalistes en obligeant chaque entreprise de presse à se doter d’une charte déontologique ou à se référer aux textes existants, et en donnant aux journalistes le droit de refuser tout acte contraire à sa conviction professionnelle. Mais le législateur doit aussi se préoccuper des publics qui sont les premières victimes des dérèglements de l’information. Pour rétablir la fiabilité de l’information et renouer le lien de confiance entre l’opinion et les médias, nous devons nous interroger sur l’opportunité de créer en France une instance de régulation indépendante et tripartite : syndicats de journalistes, groupes de presse, associations et experts. La plupart des démocraties d’Europe sont dotées d’un conseil de presse, au-delà d’une autorité régulatrice de type CSA.

Le second mérite de ce texte consiste à accélérer la responsabilisation des plateformes, qui ne sont pas de simples hébergeurs mais dont le rôle s’apparente de plus en plus à celui d’un éditeur. Il y a chez ces nouveaux acteurs une prise de conscience de leur responsabilité sociale et de la nécessité de réguler davantage. Cette initiative parlementaire participe à des contraintes : agir plus vite et plus efficacement. Néanmoins, nous aurons également besoin d’une réponse coordonnée au niveau européen.

De manière très pratique et concrète, je voudrais vous poser quelques questions. La création d’une nouvelle procédure de référé ouverte uniquement pendant les périodes électorales précédant les scrutins d’ampleur nationale, afin d’enjoindre aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet de stopper la diffusion d’une fausse information, part d’une bonne intention, mais comment s’assurer de l’effectivité de cette procédure lorsqu’on sait qu’un contenu peut, par la magie de la viralité, être partagé par plusieurs millions de personnes en même temps en quelques heures ?

Deuxièmement, si le juge des référés doit se pencher sur le vrai du faux, si j’ose dire, hormis les cas les plus flagrants, n’y a-t-il pas un risque qu’il se dessaisisse en se déclarant incompétent ? Cela rend d’ailleurs d’autant plus pertinente la création d’un conseil indépendant de la presse.

Troisièmement, échappe à ce texte l’enjeu de la diffusion des propos haineux et racistes sur les réseaux sociaux, contre laquelle ni notre droit ni les solutions des plateformes n’apportent de réponses aujourd’hui efficaces. Pourquoi ne pas profiter de l’opportunité offerte par ces textes pour traiter ce sujet si important ?

Enfin, nous sommes convaincus que, sur ce sujet plus que sur aucun autre, l’éducation aux médias et à l’information est fondamentale : il s’agit d’un enjeu décisif.

Je finirai en citant Marc Bloch : « Une fausse nouvelle naît toujours de représentations collectives qui préexistent à sa naissance ; elle n’est fortuite qu’en apparence, ou, plus précisément, tout ce qu’il y a de fortuit en elle c’est l’incident initial, absolument quelconque, qui déclenche le travail des imaginations ; mais cette mise en branle n’a lieu que parce que les imaginations sont déjà préparées et fermentent sourdement. »

Mme George Pau-Langevin. La désinformation est un problème important aujourd’hui en Europe. La masse d’informations et de messages qui circulent sur les réseaux sociaux est positive, car c’est un accès de tous à la connaissance, aux réflexions, aux échanges, mais aussi une manière de mettre au goût du jour de vieilles lunes, des recettes fantaisistes, de colporter des rumeurs inacceptables ou des propos haineux. Il est donc important d’endiguer l’avalanche de désinformation.

Nous trouvons dommage que, face à un problème si important, la proposition de loi se cantonne à quelque chose de très précis, à savoir la diffusion de fausses informations en période de campagne électorale. Par ailleurs, comme c’est une proposition de loi, nous n’avons pas d’étude d’impact et notamment pas de bilan précis de l’application des lois existantes, loi de 1881, loi de 2004, loi de 2014… Nous aurions aimé savoir précisément ce qui manque sur le terrain avant de légiférer à nouveau. Nous avons du mal à apprécier l’intérêt de cette nouvelle procédure de référé, faute de bilan de la situation devant les tribunaux. Le Conseil d’État a souligné quelques difficultés à ce propos. Il serait positif, madame la ministre, que vous nous indiquiez comment répondre à ces observations pour justifier l’intérêt de ce texte et de cette procédure.

Le groupe Nouvelle Gauche considère qu’on ne peut faire l’économie d’une réflexion plus globale, et c’est pourquoi la mission d’information sur la communication audiovisuelle à l’ère numérique, que dirige M. Bournazel, me semble devoir faire partie de notre réflexion. Nous attaquons le problème par la petite porte et c’est vraiment dommage.

M. Hervé Saulignac. Sur un sujet si sensible et complexe, je serais tenté de vous dire, en introduction : good luck ! Je suis persuadé que, si nous devions confronter les bonnes intentions de ce texte à la réalité et aux compétences techniques des spécialistes de la fausse information, cela démonterait cette proposition de loi ligne après ligne.

Que fait-on pour la vraie information ? On ne peut pas traiter que de la fausse information, on doit aussi permettre à la presse qui respecte les règles de la profession de s’organiser pour que le distinguo puisse être fait de manière plus claire et plus facile entre ceux qui produisent de la fausse information, de l’information mal intentionnée, et ceux qui produisent de la bonne information.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une fausse information et que fait-on de la fausse information divulguée de bonne foi, car cela peut aussi arriver ?

Comment un juge peut-il qualifier une information en quarante-huit heures, a fortiori lorsqu’en période électorale sont diffusées des fausses informations du type : « Tel candidat dispose d’un compte en Suisse » ? Comment peut-on prouver quoi que ce soit en la matière dans un tel délai ?

Dans le prolongement, va-t-on remettre en cause le secret des sources, qui sera dans certains cas au cœur de la question ?

Vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, quand la diffusion est massive, le mal est fait. Chacun sait que, lorsque la vérité est rétablie, elle se diffuse malheureusement beaucoup moins vite que la fausse information.

Fallait-il un nouveau texte ? Pensez-vous que les tentatives de déstabilisation par des fake news lors de la dernière élection présidentielle auraient été repoussées par le dispositif que vous nous invitez à adopter ?

M. Michel Larive. Le groupe de La France insoumise n’est pas opposé à la lutte contre les fausses informations, seulement nous considérons que la méthode de la majorité n’est pas la bonne. Nous proposons une autre méthode pour lutter contre ces fausses nouvelles. Nous préconisons d’utiliser d’abord l’arsenal législatif existant et de donner des droits nouveaux aux journalistes en renforçant le secret de leurs sources. Nous voulons faire participer les citoyens en créant un conseil de déontologie du journalisme qui serait composé de représentants des usagers, des médias et de représentants des journalistes, y compris précaires et pigistes, et je suis ravi que le président Studer l’évoque ici. Cette mesure est en vigueur en Belgique : tous les citoyens belges peuvent saisir cet organisme en cas de manquement à la déontologie dans un reportage, une émission ou un article. Le média responsable est alors obligé de publier un rectificatif.

Nous considérons que la lutte contre les fausses informations serait plus efficace avec une transparence accrue du côté de ceux qui possèdent les médias. Je rappelle qu’ils jouent un rôle majeur dans la vie démocratique de notre pays. Ils ont le pouvoir de façonner le débat public. Ce pouvoir peut donner lieu à des abus. Comment lutter contre les fausses informations sans tenir compte du fait que les médias dépendent de neuf milliardaires pour 90 % d’entre eux ?

Enfin, nous souhaitons que la lutte contre les fausses informations soit un enjeu de l’école républicaine. L’éducation et le discernement restent les meilleures clés pour fermer la porte aux fake news.

Cette proposition de loi ne permet pas de lutter contre les fausses informations. Elle ne sera rien d’autre qu’un outil de censure.

Tout d’abord, les pouvoirs du CSA seront accrus. Il pourra suspendre ou mettre fin à la diffusion d’un service de télévision contrôlé par un État étranger en période électorale ou n’importe quand si cette interdiction répond à une nécessité d’ordre public. Il sera également en mesure de prononcer la suspension d’un média en période électorale et pré-électorale. Pour prendre de telles décisions, il ne se fondera que sur les contenus diffusés dont il fera une analyse forcément subjective.

Ensuite, un seul magistrat pourra juger de la véracité des contenus, qui plus est dans un délai quarante-huit heures, ce qui nous semble particulièrement rapide.

Enfin, il est prévu une compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris. Cela n’aboutit-il pas à exclure tout appel ?

Ce texte est en rupture totale avec la tradition de la liberté de la presse telle qu’elle s’est construite après les Lumières et la Révolution française, dans la loi de 1881 notamment. Vous vous apprêtez à mettre à mal la liberté de communiquer et de s’informer, la protection du secret des sources et la liberté d’expression et d’opinion.

La France insoumise ne votera pas en faveur de cette proposition pour trois raisons : premièrement, ce texte comporte des aspects qui le rapprochent de la censure ; deuxièmement, l’objectif affiché de la majorité – lutter contre les fausses informations – ne sera pas atteint ; troisièmement, la loi ne règle aucun problème. L’action de la majorité ne permet pas d’améliorer la situation des personnels et prestataires des médias qui voient leurs conditions de travail se précariser : journalistes, photographes, techniciens, secrétaires de rédaction, kiosquiers, imprimeurs, transporteurs, tous subissent des plans sociaux, des contrats de travail précaires, des retards de paiement.

La proposition de loi ne changera rien : les médias seront toujours la propriété de quelques oligarques et les citoyens seront toujours exclus du contrôle de la presse. Elle contribuera en outre à attenter aux libertés. Le groupe de La France insoumise fera usage de son droit d’amendement pour préciser sa position.

Mme Elsa Faucillon. La lecture de cette proposition de loi n’a fait qu’accroître mon impatience et celle du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à voir traiter les questions centrales à nos yeux que sont la liberté de la presse, la déconcentration des médias, l’affectation équitable des aides à la presse entre le papier et le numérique, le combat fiscal face aux GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft.

Les dispositions de ce texte comportent beaucoup de risques : multiplication des contentieux ; instrumentalisation voire judiciarisation des campagnes électorales, atteinte à la liberté d’expression, censure et auto-censure mais aussi mesures de rétorsion des États étrangers. Face à la fermeture d’une chaîne diffusée en France, ceux-ci pourraient être tentés d’opposer la même sanction aux chaînes françaises. Ce qui m’inquiète, c’est la vision autocentrée sur laquelle repose cette mesure. Prêtons aussi attention à la façon dont les États étrangers nous perçoivent. En Côte d’Ivoire, par exemple, je sais que RFI peut être considérée comme un média de propagande qui s’ingère dans les affaires du régime.

Comme cette proposition de loi est directement issue d’une commande expresse formulée par le Président de la République lors de ses vœux à la presse, je crois qu’il est extrêmement important que nous déterminions qui elle vise. Le terme de « services de communication au public en ligne » est susceptible d’intégrer les éditeurs de presse en ligne, ce qui remettrait en cause l’article 1er de la loi de 1881, considérée à juste titre comme le texte juridique fondateur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression en France.

Nous devons préciser ce qu’est une fausse information, notion encore très floue dans le texte. Une de nos collègues s’est interrogée sur la volonté de nuire qui la caractériserait. Nous devons être très prudents. Demandons-nous, par exemple, si les informations de Mediapart sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy pourraient être considérées comme une « fausse information » au sens de la proposition de loi.

Enfin, la propagation de fausses informations n’est pour nous que le symptôme d’un mal beaucoup plus profond. Sur l’éducation aux médias, nous formulerons des propositions car elle nous semble être la meilleure réponse. C’est l’intelligence collective et l’esprit critique qui nous aideront à lutter contre ce phénomène.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur Anglade, les élections européennes pourraient effectivement être particulièrement affectées par les fausses nouvelles. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons voir cette proposition de loi adoptée rapidement afin qu’elle soit applicable dès les prochaines élections, en 2019.

De manière générale, je ne peux que me réjouir des initiatives de la Commission européenne, notamment de la mise en place d’un groupe d’experts de haut niveau. C’est le signe qu’elle a pleinement conscience de l’importance des enjeux. Pour l’instant, les pistes qu’elle a retenues reposent surtout sur l’auto-régulation des plateformes, solution qui nous paraît manquer d’ambition. En appeler uniquement à la responsabilité des acteurs du numérique risque en effet de conduire à une forme de censure privée.

Les États membres ont toute légitimité à se saisir de cette problématique. Plusieurs d’entre eux l’ont déjà fait : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, la Suède et plus récemment la Lettonie, qui nous a demandé conseil. Il serait bon toutefois de parvenir à une législation européenne harmonisée.

La France insiste fortement sur la redéfinition du régime de responsabilité des plateformes numériques, ce qui suppose une révision de la directive « E-commerce » et la création d’un statut intermédiaire entre éditeurs et hébergeurs pour sortir du statut d’irresponsabilité absolue des plateformes d’hébergement. Dans cette attente, le cadre actuel offre des marges de manœuvre qu’il serait dommage de ne pas exploiter.

Monsieur Vuilletet, vous évoquiez la limitation aux périodes électorales de la transparence des contenus sponsorisés. L’obligation de transparence vise la publication d’informations pouvant relever de la liberté du commerce. Cette limitation se veut strictement proportionnée au but poursuivi, c’est-à-dire lutter contre les atteintes à la démocratie pendant les périodes électorales. C’est durant ces périodes particulièrement exposées que les citoyens ont le plus besoin de connaître l’origine des informations. Nous avons vu comme l’activité des bots avait explosé pendant la campagne référendaire du Brexit puis comme elle est retombée une fois le vote intervenu. Étendre cette obligation de transparence pour la rendre applicable à tout moment au motif que les opinions ne se forment pas uniquement pendant les périodes électorales nous exposerait à un risque juridique.

Madame Colboc, beaucoup d’autres pays ont pris des initiatives mais elles se réduisent pour l’instant soit à l’auto-régulation comme en Allemagne soit à une régulation exercée par l’État. Notre dispositif vise à donner au juge des référés la possibilité d’intervenir, à permettre aux citoyens de disposer d’une information transparente en période électorale et à renforcer les obligations de signalement à travers le devoir de coopération, qui nous semble constituer une piste prometteuse. La Commission européenne a fait en ce domaine des propositions qui peuvent alimenter notre travail. Plusieurs initiatives de factchecking ont émergé dans les médias : Les Décodeurs du Monde ou le moteur de recherche Checknews de Libération. Nous pouvons nous appuyer aussi sur la labellisation de l’information émanant de la presse professionnelle, sur la publication d’une liste noire de sites spécialisés dans la désinformation. Nous réfléchirons à une mobilisation des acteurs de la publicité pour priver de ressources financières les sites spécialisés dans la désinformation. La réécriture qui sera proposée par votre rapporteur va dans le sens d’un élargissement des formes de coopération susceptibles d’être mises en œuvre.

L’enjeu essentiel, de mon point de vue, est que les initiatives prises par les plateformes puissent être discutées collectivement et être inscrites dans des chartes de bonnes pratiques ou des accords interprofessionnels associant journalistes, médias et annonceurs et faire l’objet d’évaluations par une instance indépendante.

Madame Kuster, je suis d’accord avec vous pour retenir un délai de trois mois pour la période électorale.

Vous évoquiez le degré de précision des critères. Le CSA devra démontrer que la chaîne est contrôlée par un État extra-européen ou sous l’influence de celui-ci. La notion de contrôle est très précisément définie par l’article 41-3 de la loi de 1986. L’influence ne fait pas l’objet d’une définition mais elle peut être établie par la technique du faisceau d’indices. Le CSA peut déterminer si la chaîne en question porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participe à une entreprise de déstabilisation des institutions. Le premier concept existe déjà en droit français : il est défini dans le code pénal et dans le code de sécurité intérieure. Le deuxième constitue une innovation : il renvoie à une volonté délibérée de saper les fondements mêmes de la démocratie. Ces concepts sont généraux mais c’est précisément le rôle du régulateur que d’appliquer des principes abstraits à des situations concrètes en s’appuyant sur des éléments tangibles et objectifs. Ajoutons que les décisions du CSA seront systématiquement soumises au contrôle du juge administratif. Il n’y a donc pas de risque d’arbitraire.

Quant au référé, il constitue un complément nécessaire par rapport aux voies de droit existant en matière pénale et électorale. Il est d’ores et déjà possible de poursuivre pénalement les auteurs de fausses informations mais la mise en route de la procédure est forcément lente car il faut identifier le premier émetteur d’une fausse information sur Internet et établir la mauvaise foi. Le juge électoral peut annuler un scrutin s’il constate que sa sincérité a été altérée par des manquements aux règles du droit électoral mais seulement après le scrutin.

Le référé judiciaire a pour objet non pas de sanctionner l’auteur de la diffusion d’une fausse information ou d’annuler un scrutin mais d’endiguer la propagation de la fausse information en sollicitant le concours des intermédiaires de l’Internet tels que les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux. C’est ce qui permet une réaction rapide, indispensable pendant la période électorale où la propagation de fausses nouvelles se fait sur un mode viral et peut causer des dommages graves et irréversibles sans qu’il soit toujours possible de riposter par des moyens démocratiques. Plus la diffusion de la fausse nouvelle est proche du moment du scrutin, moins il est possible d’y répliquer pour rétablir la vérité des faits.

Monsieur Garcia, le dispositif de la proposition de loi est pour l’instant circonscrit aux scrutins nationaux – élections présidentielles, législatives, sénatoriales – et européens, qui sont les plus susceptibles d’être visés par des campagnes de désinformation massives et organisées dont les conséquences sont potentiellement graves et irréversibles, comme nous avons pu le constater dans certains pays. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas se contenter du contrôle a posteriori du juge électoral et qu’il faut disposer de la possibilité de réagir en temps réel avant le scrutin. Cela ne veut pas dire que les scrutins locaux ne méritent pas eux aussi d’être protégés. Le devoir de coopération pourra être utile à cet égard.

Vous évoquiez aussi une extension aux fausses informations scientifiques. Celles-ci pourraient entrer dans le champ du devoir de coopération qui vise les fausses informations qui troublent l’ordre public, dont la salubrité et la santé publiques font partie. Il ne serait pas opportun d’étendre l’obligation de transparence des contenus sponsorisés ou le référé civil à ce type d’informations car ces deux dispositions ont un objet bien précis : protéger la sincérité du scrutin ; elles n’ont vocation à s’appliquer qu’en période électorale.

S’agissant de l’intervention préventive du CSA, rappelons que la proposition de loi donne à cette instance le pouvoir de refuser de conventionner une chaîne contrôlée par un État extra-européen ou sous l’influence de celui-ci en cas de risque d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou de participation à une entreprise de déstabilisation des institutions. Il s’agit d’empêcher la reprise dans les offres de distributeurs destinés au public français de programmes audiovisuels dont le but est de saper le fonctionnement de notre démocratie. Comme le souligne le Conseil d’État, le CSA devra établir l’existence de ce risque en apportant des éléments matériels objectifs, en se fondant notamment sur le comportement passé de la chaîne qui demande le conventionnement, y compris dans d’autres pays ou sur son site internet. Cette disposition ne confère en aucun cas au CSA un pouvoir arbitraire. La crainte d’éventuels procès d’intention est là encore infondée.

Monsieur Bournazel, vous évoquiez l’idée de créer une instance de régulation tripartite. Restaurer la confiance des citoyens dans leurs médias passe sans nul doute par un renforcement de la déontologie. La loi Bloche de 2016 va dans ce sens en prévoyant la rédaction obligatoire de chartes déontologiques dans les entreprises de la presse et de l’audiovisuel et la constitution par les éditeurs de services de télévision et de radio de comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, dispositions dont nous pourrons faire un bilan de la mise en œuvre. Nous sommes bien évidemment prêts à réfléchir à de nouvelles améliorations. Toutefois, en matière de déontologie, c’est l’auto-régulation de la profession qui nous paraît constituer la meilleure réponse. Je ne crois pas qu’il appartienne à l’État de s’y substituer. C’est la raison pour laquelle nous suivons avec beaucoup d’intérêt les initiatives de la profession qui visent à offrir au public des garanties quant au respect des règles déontologiques. Je pense notamment à la Journalism Trust Initiative, lancée par Reporters sans frontières ou au conseil de presse proposé par l’Observatoire de la déontologie de l’information.

Vous vous interrogez sur la possibilité d’établir en urgence la véracité d’une information. Les procès relatifs aux fausses nouvelles sont souvent complexes. La réunion des preuves demande du temps. Il y a toutefois des cas qui relèvent de l’évidence manifeste. L’assertion selon laquelle « le nombre d’étrangers résidant en France a été multiplié par dix au cours des cinq dernières années » peut, par exemple, facilement être vérifiée sans enquête lourde. Le juge des référés est le juge de l’évidence. Il ne fera usage de son pouvoir pour obtenir le retrait d’une information que s’il a la certitude qu’elle est manifestement fausse et qu’il n’existe aucun doute raisonnable et sérieux sur ce point. Cela peut contribuer à lever toute ambiguïté et à apaiser les craintes. Le texte pourrait être modifié pour ne viser que les « nouvelles manifestement fausses ».

Madame Pau-Langevin, nous considérons que le nouveau référé permet plusieurs améliorations. Les procédures existantes ne sont pas adaptées à la problématique de la désinformation en ligne. Le référé prévu par la loi de 1881 ne s’applique pas au délit de fausses nouvelles mais uniquement à des infractions comme la diffamation ou l’injure. Le référé dit « LCEN », en référence à la loi pour la confiance dans l’économie numérique, repose sur des critères très généraux, qui sont difficiles à appliquer à la divulgation de fausses informations. La nouvelle procédure permet de fournir au juge un mode d’emploi en définissant précisément les critères : « diffusion artificielle et massive d’une fausse information » et « risque d’altération de la sincérité du scrutin ». Les conditions d’appréciation du juge sont ainsi mieux encadrées, ce qui concourt à la sécurité juridique et protège contre toute atteinte à la liberté d’expression. En outre, cette procédure spéciale présente deux spécificités qu’il faut souligner ici : la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris et, surtout, un délai maximal de quarante-huit heures.

Monsieur Saulignac, vous vous interrogez sur le soutien que nous apportons à la presse. Nous sommes très attachés à garantir aux citoyens un accès à une information pluraliste, fiable et de qualité. C’est la raison pour laquelle nous accordons une grande importance au soutien à la presse professionnelle : le travail des journalistes est le meilleur rempart contre la prolifération des fausses nouvelles. Les aides au pluralisme, aux médias sociaux de proximité, à l’émergence et à l’innovation sont intégralement préservées dans le budget pour 2018. Le Gouvernement s’est mobilisé pour répondre aux difficultés que connaît actuellement la distribution de la presse au numéro, notamment grâce au soutien à Presstalis. Par ailleurs, nous accompagnons l’Agence France Presse, pilier essentiel du secteur de la presse, garante de l’accès à une information fiable, rigoureuse et impartiale, dans la redéfinition de son modèle économique.

Le combat se joue aussi au niveau européen. Je suis attentive à ce que l’objectif légitime de protection de la vie privée ne conduise pas à adopter des règlementations qui fragiliseraient excessivement le modèle économique des éditeurs. Je pense au règlement « Eprivacy » qui comporte le risque de priver la presse de revenus publicitaires. En outre, je me bats avec détermination pour faire reconnaître à l’échelon européen un droit voisin des éditeurs de presse et éviter que les modalités techniques de sa mise en œuvre ne le vident pas de sa substance dans les discussions qui ont lieu au sein de la Commission. Je me rends d’ailleurs demain à Bruxelles dans cet objectif.

S’agissant du secret des sources, madame Faucillon, monsieur Larive, je reviendrai sur ce qui est désormais un véritable cas d’école : l’article de Mediapart publié durant la campagne présidentielle de 2012 sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Si la présente proposition de loi était adoptée, le juge serait-il en mesure de bloquer une telle publication ? vous demandez-vous. La réponse est non pour deux raisons principales : d’une part, l’information n’a pas fait l’objet d’une diffusion artificielle sur les réseaux sociaux ; d’autre part, elle a été produite par des journalistes qui peuvent se prévaloir du secret des sources. L’information est issue d’une enquête et le juge ne pourra pas considérer qu’elle est manifestement fausse. Il n’en irait pas de même pour l’information selon laquelle l’agent du FBI à l’origine des fuites d’e-mails d’Hillary Clinton aurait été retrouvé assassiné chez lui, qui a été massivement relayée sur les réseaux sociaux américains deux jours avant l’élection de 2016. Elle n’avait pas d’auteur et la preuve de son caractère manifestement faux n’aurait pas été difficile à apporter dans le délai prescrit. La diffusion d’une fausse information de ce type pourrait être bloquée grâce au nouveau texte de loi.

Vous avez eu raison de souligner l’importance majeure de l’éducation aux médias. Bruno Studer y reviendra certainement.

Vous doutez, monsieur Larive, de la légitimité du juge à établir la véracité d’une information. Le droit existant confie déjà au juge le soin de dire si une information est vraie ou fausse, à l’occasion des procès en diffamation, par exemple, ou sur le fondement du délit de fausse nouvelle. Sa légitimité pour le faire n’est ni contestée ni contestable. Notre Constitution prévoit que le juge judiciaire est le garant des libertés publiques. En l’espèce, le référé ne vise pas à confier au juge le soin de statuer sur la véracité de n’importe quelle information. Seules sont concernées en période électorale les informations diffusées de manière massive et artificielle et qui sont de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Enfin, vous avez évoqué les chaînes étrangères, madame Faucillon. La loi ne vise pas la simple diffusion des fausses informations qui peuvent survenir occasionnellement sur n’importe quelle chaîne de télévision, généralement par erreur. Le CSA a déjà les moyens de réagir à ce type d’incident en usant de son pouvoir de mise en demeure voire de sanction. Ce que vise la proposition de loi, c’est l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou la participation à une entreprise délibérée de déstabilisation des institutions. Force est de reconnaître aujourd’hui que ce ne sont pas les chaînes françaises ou européennes qui sont susceptibles de se rendre coupables de telles pratiques. Le texte est donc volontairement circonscrit aux chaînes contrôlées par un État extra-européen ou sous l’influence de celui-ci.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci, madame la ministre, pour vos réponses très complètes.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Madame Kuster, je vous remercie d’avoir assisté à quelques-unes de nos auditions. Quant aux libertés fondamentales, soyez assurée qu’aucune n’est mise en danger par ce texte – nous y reviendrons lors la discussion en commission.

Monsieur Garcia, Mme la ministre vous a répondu sur les fausses informations scientifiques : effectivement l’ordre public inclut la santé et la salubrité publiques. Par ailleurs, la nouvelle rédaction de l’article 9 que nous vous proposerons lors de l’examen du texte en commission répondra sans doute à vos inquiétudes.

Madame Pau-Langevin, monsieur Saulignac, vos interrogations font écho à celles que nous avons entendues lors des auditions : ce texte est-il nécessaire ? Bien entendu ! J’en profite également pour répondre à Mme Faucillon. La paternité de ce texte reviendrait au Président de la République : en toute humilité, j’ai échangé directement avec lui et mes collègues vous diront à quel point le sujet fondamental de la désinformation m’anime depuis que j’ai pris mes fonctions. Je porte donc ce texte avec beaucoup de détermination.

Des adaptations législatives sont absolument indispensables : sur la transparence des contenus sur Internet, sur l’extension du référé audiovisuel aux distributeurs de service – dispositions prévues à l’article 8. Au-delà de la consolidation de la jurisprudence sur la capacité du CSA à suspendre ou à refuser un conventionnement, ces avancées ne sont pas suffisamment mises en avant.

J’espère que la rédaction que je proposerai pour l’article 9 vous satisfera ou, à tout le moins, vous encouragera à voter ce texte. Les dispositions qu’il contient sont en l’état actuel rattachées à la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Les modifications que nous allons y apporter – intervention du CSA, coopération avec les plateformes et autorégulation – les rattacheront à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Je veux le souligner devant Mme la ministre : la France s’honore de prendre ces engagements. Ils s’inscrivent dans une logique plus globale d’avancées sur les droits d’auteur, les droits voisins des éditeurs de presse ou ceux obtenus sur la nouvelle directive relative aux services de médias audiovisuels (SMA). Il est important que la France montre l’exemple.

Monsieur Anglade, je vous remercie d’avoir insisté sur la nécessité de rouvrir le débat sur le statut des plateformes, régi en l’état actuel du droit par la directive « E‑commerce » du 8 juin 2000, transposée dans la loi française par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Sur certains sujets, nos partenaires européens nous montrent la voie. Mais en matière de responsabilisation des plateformes numériques, nous la leur indiquons.

Ces plateformes jouent un rôle majeur dans la vie quotidienne des 500 millions de citoyens européens : c’est la raison pour laquelle il y a urgence à garantir la sincérité du prochain scrutin électoral majeur en France et en Europe – les élections européennes. Des dispositions législatives doivent être rapidement votées, sans attendre les résultats de la mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l'ère numérique que j’ai souhaité créer.

Cette proposition de loi montre également que nous ne sommes plus naïfs face aux géants du numérique. Nous avançons sur la taxation des Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), grâce aux efforts de la France dans les négociations européennes.

Monsieur Larive, madame Obono, vous représentez le groupe de La France insoumise. Vous ne pouvez pas dire que rien ne change ! La question fondamentale de l’éducation aux médias et à l’information fera l’objet d’amendements concernant tant l’enseignement primaire que secondaire, la formation des enseignants que celle des jeunes apprentis dans les centres de formation des apprentis. Elle va devenir une priorité des programmes d’éducation morale et civique.

Vous ne pouvez pas non plus dire que rien ne change quand nous consolidons la distribution de la presse quotidienne française au numéro : l’État soutient Presstalis pour qu’il continue à faire son travail – vous savez à quel point sa situation est fragile.

Enfin, vous ne pouvez pas dire que rien n’est fait pour la presse alors que nous avons combattu des amendements visant à mettre fin au taux hyper-réduit de TVA pour la presse ! La presse est en effet consubstantielle à la démocratie.

Vous ne pouvez pas affirmer que l’on ne s’occupe pas de ceux qui font la « bonne information » ! Ce texte est précisément l’occasion de réaffirmer que nous avons plus que jamais besoin d’un journalisme de qualité pour garantir une information plurielle et libre. Nos concitoyens doivent être fiers de leur presse quotidienne régionale et nationale, de leurs chaînes de télévisions et de leurs radios. Elles produisent une information de qualité, mais cette information a un coût, car elle a une valeur : cette valeur est absolument essentielle.

Je me réjouis donc que ces nouvelles dispositions soient portées par la représentation nationale française. Avec Naïma Moutchou, rapporteure pour la commission des Lois, nous travaillons à l’amélioration du dispositif et ne désespérons pas de vous convaincre que nous protégeons les Français, les journalistes français et, au-delà, que nous envoyons un message au reste de l’Europe.

Je vous remercie par avance de votre apport constructif à nos débats.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Mme la ministre et Bruno Studer ont parfaitement répondu à toutes les questions. Si nous ne sommes pas d’accord sur les moyens à mettre en œuvre, nous convergeons tous sur l’objectif : le combat contre la désinformation. En outre, j’entends les critiques, mais n’ai pas entendu beaucoup d’alternatives, si ce n’est peut-être sur le volet éducatif ou de coopération – que nous traitons déjà.

Si la liberté d’expression est sacrée – nous y sommes tous attachés –, elle ne peut être synonyme d’immunité : certains discours ne peuvent pas être tenus et doivent être sanctionnés. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne dit d’ailleurs pas autre chose : elle élève la liberté d’expression au plus haut rang, tout en sanctionnant et en prévoyant des garde-fous. Cette proposition de loi ne fait que l’adapter aux nouvelles technologies.

Il ne s’agit pas de censure – on est là dans la fausse information ; il n’y a pas ceux qui protègent les journalistes et les autres. Le mécanisme de la proposition de loi est précisément encadré et proportionné. Je vous invite à examiner les amendements qui seront déposés. Nous pourrons en discuter. Sachez que nous sommes aussi soucieux que vous de l’équilibre du texte.

Mme Aurore Bergé. Que ce soit en matière de piratage, de terrorisme, de pédopornographie, de haine sur internet et aujourd’hui, de fausses informations, les plateformes ne peuvent plus s’exonérer de leurs responsabilités dans la diffusion et la propagation de ces contenus. Je ne vois d’ailleurs dans la lutte contre ces dérives aucune atteinte à la liberté d’expression, à la liberté d’entreprendre ou au secret des sources, mais bien au contraire, l’affirmation de nos valeurs démocratiques. La proposition de loi formulée par notre majorité permet précisément de répondre à cette urgence démocratique : la sincérité d’un scrutin électoral ne doit pas être altérée volontairement. Or les tentatives en la matière ont été nombreuses à l’étranger, mais aussi en France.

Madame la ministre, des avancées européennes importantes sont en cours : la nouvelle directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) prévoit ainsi l’engagement de la responsabilité des plateformes dans certains cas. Comment s’articuleront les nouvelles dispositions nationales relatives aux fausses informations et ces avancées européennes ?

La présente proposition de loi fait référence à la promptitude des plateformes pour déréférencer des contenus. Doit-on caractériser plus précisément le délai de déréférencement ? Si oui, comment ? Durant les campagnes électorales, cette promptitude est fondamentale pour lutter contre le risque d’altération du scrutin.

M. Frédéric Reiss. Fallait-il légiférer sur ce sujet épineux ? La question a déjà été posée. À l’évidence, c’est une réponse à un phénomène d’ampleur qui – hélas – n’épargne personne. Mais une vérité officielle ne viendra-t-elle pas se substituer à une fausse information ? Madame la rapporteure, vous avez affirmé qu’il n’y a pas de vérité qui puisse s’imposer.

On ne peut qu’être d’accord pour mettre les réseaux sociaux devant leurs responsabilités. De quelle manière les nouveaux instruments législatifs permettront-ils aux acteurs d’internet de déterminer rapidement si une demande de déréférencement, de suppression ou de blocage est bien fondée ? Je pense non seulement à la propagande politique illicite ou nuisible en période électorale, mais aussi aux discours radicalisés, haineux ou discriminatoires. Ne faudrait-il pas envisager la création d’un médiateur – certains parlent d’un ombudsman – chargé du respect des règles de déontologie ?

Madame la ministre, vous avez évoqué une plateforme commune de l’audiovisuel public chargée de décrypter l’information et d’éduquer aux médias : l’éducation nationale sera-t-elle associée à cette plateforme dès sa création ?

Mme Danièle Obono. Il a beaucoup été question d’urgence et de naïveté dans les interventions précédentes. L’urgence n’est-elle pas précipitation en l’espèce ? Les droits fondamentaux – liberté de la presse, liberté d’expression et droit à l’information – méritent que l’on fasse très attention à ce qu’on fait... Invoquer l’urgence ne suffit pas à légitimer cette proposition de loi !

Par ailleurs, je souhaiterais être éclairée sur la définition que vous comptez donner aux « fausses informations ». Plusieurs collègues ont soulevé cette question, mais je n’ai pas entendu les précisions attendues. Mme Moutchou a indiqué qu’un amendement allait clarifier ces termes : n’est-il pas problématique qu’il arrive si tard ? Les Nations unies se sont ainsi émues à plusieurs reprises que ce concept soit utilisé à tort et à travers, par exemple par le Président des États-Unis Donald Trump – pour qui tout est fake news. Plus près de nous, lors des débats sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, des membres de votre majorité au sein de notre Parlement ont estimé que les critiques apportées à ce texte étaient des fake news… Ce terme n’est donc pas utilisé que par des États étrangers, mais également pour contrer le débat démocratique et délégitimer des propos. Cet usage du concept par des représentants de la majorité parlementaire est problématique.

Quels moyens comptez-vous donner au CSA dont le champ de responsabilités est étendu ? Ces nouvelles compétences nécessitent d’importants moyens techniques et financiers, sans qu’aucun ne soit prévu dans votre proposition de loi…

Mme Paula Forteza. Plusieurs associations et chercheurs ont soulevé l’impact que les algorithmes de recommandation, de classement ou de référencement de contenus peuvent avoir sur la diffusion des fausses nouvelles, ou plus largement d’un certain type d’informations – courtes, non vérifiées, à caractère polémique, polarisant ou simpliste. En effet, le modèle d’affaires de plusieurs plateformes est basé sur le ciblage publicitaire : elles cherchent donc à maximiser le temps d’attention des utilisateurs sur les contenus mis en avant plutôt que de veiller à leur qualité – c’est ce qu’on appelle parfois l’économie de l’attention.

Une solution à ce phénomène ne serait-elle pas d’avancer sur la transparence des algorithmes, comme nous cherchons à le faire dans le secteur public, afin que chaque utilisateur puisse prendre connaissance et évaluer les critères utilisés pour proposer un contenu plutôt qu’un autre et puisse ainsi choisir ses sources d’information en toute connaissance de cause ?

Certes, le secret des affaires ne nous permettra pas d’obtenir la transparence absolue. Mais peut-être pourrions-nous obtenir la communication de statistiques agrégées sur le résultat de ces algorithmes – les outputs. Cela permettrait à des acteurs de la société civile, des associations, des citoyens ou des chercheurs de comparer l’impact des différents algorithmes sur la mise en avant de chaque type d’informations sur la base de critères objectifs.

Madame la ministre, que pensez-vous de cette proposition ? Plus largement, quelle est votre opinion sur le rôle des algorithmes de certaines plateformes dans la diffusion de fausses nouvelles ? Quelle place pouvons-nous faire à ce sujet dans la présente proposition de loi ?

M. Gabriel Attal. Je voulais revenir sur la question de l’éducation aux médias, à l’information et au décryptage. Elle est essentielle pour accompagner cette proposition de loi et les nouveaux outils de régulation que nous proposons.

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué la mise en place par les groupes de l’audiovisuel public – à votre demande – d’une plateforme de décryptage. Notre mission d’information, qui se penche sur la réforme de l’audiovisuel public, soutient cette idée : c’est le rôle de l’audiovisuel public, sur les antennes comme sur Internet, d’apporter les clés pour comprendre et décrypter l’actualité – de faire de la « désintox » selon le terme employé par certains médias.

Savez-vous déjà comment cela pourrait s’organiser ? Cette plateforme de décryptage fera-t-elle uniquement appel aux journalistes des différentes antennes ou le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) – particulièrement compétent sur le sujet – sera-t-il associé, afin que les jeunes soient informés de l’existence de cette plateforme ?

M. Rémy Rebeyrotte. Le numérique dépasse largement nos frontières : la fausse information peut naître à l’étranger, y être diffusée ou, au contraire, partir de France à destination d’autres pays. La mondialisation des échanges justifie donc de compléter la loi de 1881 précitée. Madame la ministre, le Gouvernement travaille-t-il avec ses homologues aux niveaux européen et international pour lutter contre la diffusion massive de fausses informations ? Ces questions sont-elles des enjeux diplomatiques et à quel niveau sont-elles abordées ?

Vous avez dit que l’éducation était un outil efficace de lutte contre les fausses informations. J’y ajouterai le pluralisme : comment renforcer le pluralisme de l’information et des sources d’information, notamment au plan européen ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Aurore Bergé, vous m’interrogez sur l’articulation de ces dispositions avec le calendrier européen. La responsabilisation des plateformes est au cœur des discussions européennes, tant en matière de lutte contre les propos haineux ou le piratage – thématiques que j’ai relancées récemment – que dans le cadre de la directive SMA. Celle-ci devra être transposée dans la loi le plus vite possible.

Vous évoquez des mécanismes de censure privée : nous avons évalué les différents mécanismes, en discussion ou déjà votés comme en Allemagne, et ne sommes pas favorables à ce système. Un dispositif législatif nous semble préférable, avec un devoir de coopération plus étayé des plateformes lorsque les contenus seront signalés.

Madame Obono, Mme Naïma Moutchou pourra vous répondre sur la définition des fausses informations, sujet sur lequel elle a plus particulièrement travaillé. Il y a urgence à agir car les rendez-vous électoraux se rapprochent et vous connaissez tous les conséquences de la diffusion virale et massive de fausses nouvelles. Pour autant, nous nous laissons le temps de la réflexion et de la discussion pour aboutir au meilleur résultat possible.

Madame Forteza, la transparence des algorithmes est un sujet majeur. Le devoir de coopération inclut cette question. Comment faire en sorte que les algorithmes mettent en avant les informations labellisées et étayées, et que celles qui font l’objet de signalements soient sous-référencées ?

À cet égard, les exigences ont été récemment renforcées par le règlement européen du 27 avril 2016 sur la protection des données à caractère personnel (RGDP) et la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Cette dernière a confié à la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) une réflexion sur l’éthique des algorithmes. L’évaluation de la loi du 7 octobre 2016 pourrait être l’occasion de faire un bilan de son application et de proposer, si besoin, des évolutions législatives. Le débat doit également continuer au niveau européen, le sujet constituant une préoccupation pour l’ensemble des États membres.

Monsieur Reiss, il n’y a pas de vérité officielle, ni de ministère de la vérité. Ce n’est pas au Gouvernement de s’ériger en arbitre du vrai et du faux. La proposition de loi renforce simplement les capacités d’action du CSA en matière de conventionnement et d’arrêt de diffusion de médias audiovisuels étrangers qui chercheraient à déstabiliser nos institutions. Sur Internet, seul le juge judiciaire intervient. Les deux autorités compétentes sont donc parfaitement indépendantes de l’exécutif et sont d’ailleurs déjà chargées de veiller à l’équilibre entre liberté d’expression et abus. Constitutionnellement, le juge judiciaire a toujours été le garant des libertés individuelles. Nous souhaitons, par ailleurs, améliorer l’information des citoyens et des médias en renforçant la transparence en période électorale.

La coopération avec les gouvernements étrangers est un enjeu diplomatique, que j’aborde régulièrement avec mon collègue Jean-Yves Le Drian – ce sera le cas après-demain en Russie. En outre, j’évoque régulièrement cette question au niveau européen, notamment avec Mme Mariya Gabriel, commissaire à l’économie et à la société numérique, et avec les autres ministres de la culture, soit en conseil des ministres européens de la culture, soit à l’occasion de moments plus informels que j’ai organisés – ainsi par exemple lors du festival Séries Mania à Lille.

Monsieur Attal, bien évidemment la coopération avec le CLEMI est centrale. La transformation de l’audiovisuel public à l’heure du numérique est essentielle et l’information – la bonne information – fondamentale pour lutter contre les fausses informations. Certes, l’audiovisuel public doit toucher un public de jeunes, promouvoir la culture et soutenir la création, unir, mais il doit surtout bien informer. La coopération entre les différentes sociétés de l’audiovisuel leur permettra de proposer ensemble une plateforme unique et numérique de décryptage de l’information. Actuellement, chacune d’elles développe des dispositifs extrêmement intéressants et met, par exemple, des journalistes à disposition pour contribuer à la formation. Mais ce travail était réalisé en ordre dispersé.

Nous avons bien entendu informé le ministère de l’éducation nationale. J’ai d’ailleurs participé avec Jean-Michel Blanquer au lancement de la Semaine de la presse à l’école. Une semaine par an, c’est clairement insuffisant… L’éducation aux médias doit être permanente. La meilleure façon de lutter contre les fausses nouvelles, c’est de donner la possibilité aux jeunes citoyens de développer leur esprit critique, de leur apprendre à décrypter une image, tout au long de leur formation.

Quand elles sont isolées, ces initiatives perdent en efficacité. La future plateforme, dont la construction a déjà bien avancé, s’intitulera sans doute Franceinfo, et nous sera probablement présentée dès la semaine prochaine.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il y a urgence à agir, ce qui ne signifie pas que nous voulons légiférer avec précipitation. Au contraire, ce sujet est déjà sur la table depuis quelque temps et, avec le rapporteur et la ministre, nous y travaillons depuis plusieurs mois en concertation avec tous les acteurs.

Madame Obono, j’ai cru comprendre que vous approuviez le fait qu’un amendement soit bientôt déposé afin de définir la fausse information, mais que vous déploriez qu’il ne soit pas encore connu. Vous me permettrez de ne retenir que votre première appréciation. Vous savez pertinemment que nous examinons rarement des textes parfaits qui ont tout prévu. Il nous revient d’amender ceux qui nous sont soumis pour les enrichir. C’est notre rôle, et je suis certaine que, demain, en commission des Lois, puis, au mois de juin, en séance publique, vous aurez des propositions sur ce sujet.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Il n’y a aucune précipitation dans notre démarche : dans notre pays, nombreux sont ceux qui travaillent dans l’urgence, mais sans précipitation. Il y a urgence parce que les élections européennes se déroulent bientôt. J’admettrais que vous parliez de précipitation s’il ne s’était pas passé six mois entre la déclaration du Président de la République sur le sujet et l’inscription du texte en commission, s’il n’y avait pas eu des dizaines et des dizaines d’auditions, si le texte avait été examiné au mois d’avril ou de mai en séance publique. Je ne peux pas vous laisser dire que nous confondons urgence et précipitation : nous avons effectué un travail de fond, et le texte est en cours d’amélioration. C’est le rôle du Parlement, et c’est à cela que sert le droit d’amendement : améliorer les textes de loi.

Voilà tout le sens des travaux que vous mènerez au sein de la commission des Lois, de ceux que nous effectuerons, mercredi prochain, en commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, et celui de nos débats communs, dans l’hémicycle, le 7 juin prochain.

Mme Paula Forteza, l’article 9, tel que je propose de le reconstruire, comportera des éléments de réponse s’agissant des algorithmes, sujet qui vous est cher et qui l’est également à de nombreux membres de la représentation nationale. Il faut que nous nous en emparions afin d’améliorer encore le texte.

Mme Céline Calvez. Madame la ministre, vous souhaitez faire de l’éducation aux médias un passage obligé de la scolarité qui ne se résume pas à la seule Semaine de la presse et des médias à l’école. Vous avez, à juste titre, parlé de responsabilités partagées en la matière entre l’école, les parents, les citoyens, les journalistes et les médias eux-mêmes. Dans les années 1990, les émissions de télévision de référence contribuaient ainsi fortement à aiguiser notre esprit critique – je pense à Arrêts sur images ou à Culture Pub. Il est vrai qu’à cette époque, les jeunes regardaient la télé, et qu’il est aujourd’hui beaucoup plus difficile de les toucher parce que les sources d’information sont multiples et éclatées.

Aujourd’hui se développent de nombreuses initiatives de la part d’associations, d’écoles, ou de journalistes pour former tous les citoyens, en particulier les plus jeunes, ce qui constitue un défi. Vous avez indiqué comment une plateforme de décryptage pouvait être mise en œuvre par les sociétés de l’audiovisuel public. Quelles sont les marges de manœuvre pour aller plus loin et dépasser la coopération de ces sociétés avec le ministère de l’éducation ou le CLEMI en associant à la démarche les plateformes elles-mêmes ? Ces dernières, dénoncées comme des médias non assumés, sont très critiquées, mais peut-on imaginer de les associer à la plateforme de décryptage, sous l’égide des sociétés de l’audiovisuel public ? Est‑ce complètement inenvisageable, sachant qu’elles seraient les premières visées par cette démarche de décryptage, et si oui pourquoi ? Plus globalement, pourquoi cette démarche de décryptage ne pourrait-elle pas constituer une occasion de sortir, dans les textes aussi bien que dans les esprits, d’une vision non globale des médias ? Il s’agirait de ne pas s’arrêter aux médias traditionnels, mais de les associer et, grâce à la plateforme de décryptage, de penser le média global ?

Mme Marie-France Lorho. La loi sur les fausses informations ne peut manquer d’interroger à l’Assemblée nationale, car, dans ces lieux, il fut un temps où se côtoyaient des légitimistes, des orléanistes, des républicains, des modérés et des radicaux, des socialistes ou des communistes, des bonapartistes, et même quelques indépendants. Ces élus possédaient et animaient des journaux dans les colonnes desquels ils se brocardaient bien plus violemment que ce que nous pouvons nous dire aujourd’hui. Ils cultivaient surtout des grilles de lecture et des visions du monde qui brillaient par leur diversité, par leur volonté d’appréhender le réel par un bout, si infime soit-il.

Aujourd’hui, beaucoup de nos concitoyens se désespèrent d’observer une course à la nonchalance intellectuelle et applaudissent au moindre signe de vigueur politique renouvelée – il suffit d’observer le succès de nos collègues de La France insoumise pour s’en convaincre. Nous assistons à une sélection étatique de la parole, notamment par l’intermédiaire de subventions énormes accordées à la presse et des commandes publiques ou parapubliques de journaux. Plutôt que de craindre de supposées intrusions russes dans notre démocratie, ne serait-il pas temps de s’interroger largement sur la création ou la subvention étatique d’un conformisme médiatique qui fait le lit de tous les complotismes et de toutes les manipulations ?

Mme Sophie Mette. Afin d’identifier les médias respectant des principes déontologiques et éthiques stricts dans la gestion de leur information et dans la communication de celle-ci au public, un projet de recours à une labellisation de l’information émerge. Comptez-vous mettre en place un tel système ? Comment cette labellisation s’articulera-t-elle ? Ne serait-il pas opportun de travailler également sur un label européen en s’appuyant sur la Journalism Trust Initiative, initiée au mois d’avril par l’association Reporters sans frontières ?

Mme Maud Petit. Le développement de l’usage des nouvelles technologies de l’information et la communication dans nos vies quotidiennes aurait dû faire l’objet d’un apprentissage, forme d’éducation citoyenne légitime. L’éducation au numérique devra être une obligation, car la société dans laquelle nous vivons dispose de codes découlant directement du numérique, codes qui lui sont propres et dont les règles peuvent sembler abstraites et difficiles à appréhender sans aide. J’en veux pour preuve la question de la lutte contre les fausses informations.

Certes, l’annonce du doublement de l’enveloppe financière consacrée à l’éducation aux médias est une bonne nouvelle pour les générations futures, nos enfants, nos adolescents, les jeunes, mais quel dispositif, quelles solutions pouvons-nous apporter aux générations seniors ? Très impliqués dans la vie politique, les 60-69 ans votent beaucoup plus que les 18‑24 ans, et cette catégorie de la population fait partie de celles qui sont les plus vulnérables face aux fake news, d’une part, parce qu’ils ne sont pas des digital natives, et, d’autre part, parce qu’ils sont très exposés aux flux d’informations : 76 % des 60-69 ans possèdent un ordinateur, et 80 % d’entre eux ont un accès à internet. Ils constituent une force vive de notre société que nous ne devons pas oublier sur ce sujet. Quelle solution proposez-vous pour eux ?

M. Bertrand Sorre. Nous avons tous constaté dans notre entourage les méfaits que peuvent susciter des fausses nouvelles, à destination des enfants ou des adolescents. Au-delà des outils et des plateformes qui pourraient être mis en place, ne serait-il pas judicieux, voire indispensable, d’inscrire, dans le code de l’éducation, la nécessité pour l’école de dispenser cette éducation aux médias, de donner cette capacité à vérifier l’information de façon très transversale, et également d’assurer la formation des enseignants afin qu’ils soient en mesure d’accompagner les jeunes générations face aux médias ?

M. Alexandre Freschi. Si la loi offre aujourd’hui le cadre qui permet de prévenir, de faire cesser ou de sanctionner les fausses informations issues d’auteurs malveillants, il est essentiel de considérer la responsabilité des publics, qu’ils soient lecteurs, auditeurs, internautes ou téléspectateurs, dans le traitement de ces informations, et le rôle que chacun tient dans leur mise en circulation. Le ministère a annoncé de futures mesures en faveur de l’éducation à l’information, à l’image et aux médias dans les programmes scolaires. Dans quel cadre, vous-même et le ministre de l’éducation nationale, souhaitez-vous que se développe le CLEMI ?

M. Stéphane Testé. L’utilisation de la procédure en référé à des fins de communication politique constitue l’un des risques que ferait courir l’adoption de la proposition de loi relative aux fausses informations. Même s’il sait qu’il perdra en justice, un candidat qui s’estime lésé pourra introduire un référé. Cette pratique est déjà beaucoup utilisée en communication politique avec des attaques en diffamation. Il s’agit d’une arme dangereuse surtout si le calendrier électoral est utilisé : le référé peut avoir lieu une ou deux journées avant que les médias ne puissent plus communiquer sur le sujet. Partagez-vous ma crainte à ce sujet, et comment envisagez-vous de lutter contre ce type d’abus ?

Mme Sandrine Mörch. En tant qu’ancienne journaliste, je veux souligner l’importance d’accompagner cette loi par d’autres mesures pour mobiliser les journalistes dans la lutte contre les fausses informations. Avec ma collègue députée, Michèle Victory, nous venons de remettre nos conclusions après avoir mené une mission flash sur la prévention de la radicalisation à l’école. Nous avons constaté la grande fragilité des jeunes en matière de désinformation. Elle concerne le complotisme qui n’est qu’une partie visible de l’iceberg, mais aussi des informations bien plus banales du quotidien qui déforment parfois la réalité de manière plus insidieuse. Je pense à l’information qui véhicule des images fausses et stigmatise certaines populations sur le fondement de chiffres erronés, d’histoires caricaturales ou d’images qui suscitent en permanence la peur et privilégient la sinistrose – même si ce problème est bien au-delà de cette proposition de loi.

Les journalistes doivent se saisir plus régulièrement de ces questions et il faut aussi qu’ils aient à nouveau du temps pour effectuer un travail de qualité – parce qu’il est cent fois plus rapide d’élaborer une fausse information qu’une bonne information, et qu’ils sont souvent pressés comme des citrons. Comment pouvons-nous nous mobiliser, plus généralement, sur la qualité de l’information fournie pour accompagner cette loi sans froisser, sans brider, mais en désignant plus franchement tout ce qui fausse l’information, y compris le manque de moyens et la course à l’audimat ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Le faisceau de questions qui revient sur l’éducation aux médias et l’importance du travail de la presse nous montre que ces sujets sont essentiels.

Madame Lhoro, nous sommes extrêmement fiers de notre presse, de nos journalistes, et du fait que nous disposons, dans notre pays, d’une information pluraliste. C’est pour résister aux attaques du type de celles que vous évoquiez que nous avons besoin d’une presse pluraliste à laquelle nous apporterons avec détermination notre soutien – en lui permettant aussi d’être distribuée. L’audiovisuel public effectue un travail de décryptage qui va également dans le sens du pluralisme.

Madame Calvez, pour nous adresser aux jeunes qui ont de nouveaux usages des médias, nous avons demandé au service public de travailler sur une plateforme numérique qui comportera des contenus spécifiques avec de nouvelles formes d’écriture et des formats diffusables sur tous les écrans – portables, tablettes.

Madame Mette, en matière de labellisation de la presse, nous regardons avec beaucoup d’attention ce que fait Reporters sans frontières mais, je le répète : nous n’avons pas à intervenir, et il appartient à la presse de s’organiser.

Plusieurs éléments de réponses peuvent être apportés à la question relative à l’éducation des seniors au numérique. Parmi les mesures que j’ai annoncées figure la possibilité que des moments d’information soient organisés dans les bibliothèques grâce à des personnes qui effectuent leur Service civique. Je rappelle que j’ai demandé aux sociétés de l’audiovisuel public de présenter une plateforme lisible et très accessible.

De façon générale, la presse effectue un travail de décryptage mis en valeur dans ses propres colonnes – voyez la rubrique de décodage de Libération. Un véritable faisceau d’intentions, et de nombreux faits vont dans ce sens.

Monsieur Testé, le détournement du référé à des fins politiciennes ne ferait que desservir celui qui l’utiliserait, car cela lui reviendrait en boomerang. Votre argument ne doit pas nous dissuader de mettre en place un dispositif qui donne des moyens de lutter contre le fléau des fausses informations, grâce au CSA et au juge des référés, en responsabilisant les citoyens, dans un contexte d’éducation aux médias qui développera le sens critique. Il s’agit d’un dispositif global.

M. Michel Larive. La menace de fausses nouvelles est avérée et ancienne. Elle peut déjà être totalement contrecarrée par le droit en vigueur, pourvu qu’on l’utilise. Avec cette proposition de loi, on ne sait pas ce qu’englobent les fausses informations, et on ignore d’où elles viennent. On ne peut pourtant pas nier que la concentration de 90 % des médias dans les mains de neuf milliardaires ne permet pas de donner des leçons sur la santé de notre presse.

Reporters sans frontières s’en alarme d’ailleurs, et il est incontestable que des gouvernements ont déjà altéré des informations à des fins politiques. Ce fut le cas lorsqu’on a prétendu que l’Irak détenait l’arme nucléaire : les conséquences de ce mensonge répandu de façon planétaire ont été catastrophiques. Lorsqu’un secrétaire d’État annonce, au cœur de cet hiver, que l’on compte une cinquantaine de personnes sans domicile fixe dans Paris, est-ce une véritable information ? Un autre danger existe donc bien : les fausses informations diffusées par les outils de communication, proches du pouvoir en place. Nous pensons que confier le contrôle des médias au CSA, organe dont les liens avec l’exécutif sont étroits, ne permettra pas un contrôle suffisamment indépendant. Par ailleurs, nous nous inquiétons de ce que ce conseil ne soit pas doté de nouveaux moyens pour lui permettre d’assurer sa nouvelle mission.

M. Studer évoquait en introduction le souhait des professionnels de voir se mettre en place un conseil de déontologie des journalistes qui permette d’assurer l’effectivité de leurs droits et d’effectuer un contrôle indépendant sur l’information. Madame la ministre, nous voudrions savoir si vous souhaitez mettre en place un tel conseil. Il se révèle utile en particulier au Québec et en Belgique. Pourriez-vous nous dire, le cas échéant, quelle forme il prendrait ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. J’ai répondu à Mme Mette qu’il revenait à la presse de s’organiser. Nous pouvons soutenir un conseil de déontologie, mais il ne nous appartient pas de le mettre en place.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Testé, il y a toujours un risque qu’une disposition que nous avons votée soit appliquée de façon différente de ce que nous avons souhaité. Le candidat qui utilisera le référé à des fins dilatoires pourra être sanctionné. Il pourra être assigné par celui qui s’estime victime, pour abus de droit et dénonciation calomnieuse. Il y a des garde-fous et des leviers pour réprimer de telles dérives.

M. le président Bruno Studer, rapporteur. Je reste convaincu que nous examinons un texte nécessaire pour lequel nous avons pris le temps d’un travail extrêmement sérieux. Nous sommes sur une ligne de crête avec un texte qui touche aux libertés fondamentales. Nous vous démontrerons qu’elles constituent pour nous une préoccupation constante.

La commission des Lois en vient à l’examen des articles de la proposition de loi lors de sa réunion du mercredi 23 mai 2018.


   EXAMEN DES ARTICLES de la proposition de loi

Titre Ier
Dispositions modifiant le code électoral

Article 1er
Nouveaux outils de lutte contre la diffusion de fausses informations durant la période électorale

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 1er de la proposition de loi modifie le code électoral pour y introduire deux nouvelles mesures, applicables à compter de la date de publication du décret convoquant les électeurs pour les élections législatives, afin de lutter contre la diffusion des fausses informations.

Ces mesures consistent :

– d’une part, à soumettre, à peine de sanctions pénales, les plateformes en ligne à une obligation de transparence renforcée sur les annonceurs qui font publier des contenus d’information ;

– d’autre part, à ouvrir une nouvelle voie de référé devant le juge judiciaire aux fins de faire cesser la diffusion de fausses informations.

Modifications proposées par la commission des Lois :

La Commission a adopté plusieurs amendements de votre rapporteure. Elle a, en particulier :

– défini la notion de fausse information dans le code électoral ;

– créé une infraction pénale afin de punir l’auteur d’une fausse information aboutissant à détourner des scrutins ;

– limité aux trois mois précédant le scrutin la durée d’application de ces deux nouvelles mesures et les a circonscrite aux seules élections générales ;

– expressément soumis à un critère de mauvaise foi du diffuseur la possibilité de recours à la nouvelle voie de référé ;

– et laissé au requérant le choix de porter leur recours en référé devant le tribunal de grande instance de Paris ou devant le tribunal territorialement compétent.

La Commission a également adopté, à l’initiative du groupe LaREM, un amendement complétant les informations données par une plateforme sur les annonceurs qui ont contracté avec celle-ci et un amendement du groupe LFI prenant en compte la pluralité des intermédiaires entre la plateforme et l’annonceur.

I.   le droit existant

Plusieurs types de dispositions permettent de lutter contre la diffusion de fausses informations.

En premier lieu, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comporte, dans ses chapitres IV et V, des dispositions permettant de réprimer des propos sciemment erronés, diffamatoires, injurieux ou provocants ([9]). Le code électoral contient également des dispositions pénales qui visent à garantir le bon déroulement des campagnes électorales en luttant tant contre la diffusion de fausses nouvelles que contre la publicité commerciale à des fins de propagande électorale.

Au plan civil, la procédure de référé prévue au 8 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN, qui permet de mettre un terme aux dommages résultant du contenu d’un service de communication au public en ligne, peut être mobilisée aux fins de faire cesser la diffusion de fausses informations.

Il est enfin possible de recourir aux autres procédures d’urgence existantes lorsque ces fausses informations portent atteinte à l’intimité de la vie privée des personnes physiques garantie par l’article 9 du code civil.

A.   Les incriminations prévues par la loi sur la presse

L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 punit de 45 000 euros d’amende « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise, foi, elle aura troublé la paix publique ou aura été susceptible de la troubler ».

La jurisprudence a défini la notion de fausses nouvelles comme se rattachant à un fait précis et circonstancié (ce qui exclut les opinions) ([10]), actuel ou passé mais non encore divulgué ([11]), et dont le caractère mensonger est établi de façon objective. La mauvaise foi est, quant à elle, constituée dès lors que la personne qui diffuse la nouvelle la savait fausse.

Les articles 29 et 33 de cette même loi répriment d’amendes pénales et, dans certains cas, d’emprisonnement, respectivement la diffamation et l’injure. Pour ces deux infractions, la jurisprudence a posé une présomption réfragable de mauvaise foi tirée des circonstances mêmes de réalisation de l’infraction ([12]). En outre, son article 54 prévoit un délai entre la citation et la comparution raccourci à 24 heures (contre 20 jours en temps normal) lorsque l’injure ou la diffamation vise, en période électorale, un candidat à une fonction électorale ([13]).

B.   Les règles protégeant la sincérité du scrutin

Le code électoral prohibe le recours à certains moyens de la propagande électorale, tout en limitant strictement dans le temps ces interdictions. Il sanctionne également les manœuvres destinées à détourner ou acheter les suffrages. Ces irrégularités sont réprimées par des infractions pénales spécifiques ([14]).

1.   Les abus de propagande électorale

De façon générale il est interdit à tout agent de l’autorité publique ou municipale de distribuer des bulletins de vote, professions de foi et circulaires des candidats (article L. 50 du code électoral). Aucun candidat ne peut utiliser directement ou indirectement pour sa campagne les indemnités et les avantages en nature mis à disposition de leurs membres par les assemblées parlementaires pour couvrir les frais liés à l'exercice de leur mandat (article L. 52-8-1).

Sont également interdits, dans les six mois précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu'à la date du scrutin où le résultat est acquis :

– toute campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin sous peine d’une amende de 75 000 euros (dernier alinéa de l’article L. 52-1 et article L. 90-1) ;

– l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle, sous peine d’une amende de 75 000 euros (premier alinéa de l’article L. 52-1 et article L. 90-1) ([15]) ;

– tout numéro d'appel téléphonique ou télématique gratuit pouvant être porté à la connaissance du public par un candidat ou à son profit (article L. 50-1). Celui qui aura bénéficié de la diffusion auprès du public d'un tel numéro sera passible d'une amende de 15 000 euros et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement (2° du II de l’article L. 113-1) ;

– le recours à tout affichage relatif à l'élection en dehors des emplacements réservés sur les panneaux électoraux mis en place à cet effet, sur l’emplacement réservé aux autres candidats ainsi qu’en dehors des panneaux d’affichage d’expression libre lorsqu’il en existe (article L. 51). Les infractions à ces dispositions sont punies d'une amende de 9 000 euros (article L. 90) ([16]).

À partir de la veille du scrutin à zéro heure sous les peines prévues à l'article L. 89 – soit une amende de 3 750 euros –, il est interdit :

– de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents, notamment des tracts (premier alinéa de l’article L. 49) ;

– de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale (dernier alinéa de l’article L. 49) ;

– de procéder, par un système automatisé ou non, à l’appel téléphonique en série des électeurs afin de les inciter à voter pour une liste de candidats (article L. 49-1), pratique dite du « phoning » ;

– de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n'aient pas la possibilité d'y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale (article L. 48-2).

Enfin, le jour du scrutin, il est interdit, sous les mêmes peines, de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents (article L. 49).

2.   Le détournement des suffrages

L’article L. 97 du code électoral prévoit une infraction particulière, réprimée d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, pour « ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles ([17]), bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter ». L’infraction vise donc aussi bien les tentatives d’orientation des votes vers un candidat que les fausses nouvelles dénigrant un adversaire ([18]) . L’article vise aussi, expressément, le cas où ces manœuvres orientent les électeurs vers l’abstention.

Ces dispositions sont toutefois peu effectives et les faits de ce type rarement poursuivis car il est difficile de démontrer que telle ou telle irrégularité a eu pour effet de détourner des suffrages et in fine d’altérer la sincérité du scrutin ([19]).

C.   Le référé LCEN, une voie de droit autonome

Les procédures de référé de droit commun apportent déjà des réponses à la diffusion de fausses informations. Sur le fondement de l’article 9 du code civil, tout individu peut ainsi demander, en cas d’urgence, à ce que soient ordonnées, en référé, toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. Le référé prévu à l’article 809 du code de procédure civile peut également être utilisé dans la mesure où les fausses informations en cause soit auraient suscité un « trouble manifestement illicite », soit pourraient occasionner un « dommage imminent ».

Transposant la directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, la loi pour la confiance dans l’économie numérique a instauré un référé autonome. Le 8 du I de l’article 6 de cette loi prévoit en effet que « l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, [à l’hébergeur] ou, à défaut, [au fournisseur d’accès à Internet], toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». Les hébergeurs de contenus, tels que les moteurs de recherche et réseaux sociaux, sont donc les premiers concernés par les mesures susceptibles d’être décidées par l’autorité judiciaire.

Cette voie de droit s’avère particulièrement souple pour les requérants.

En premier lieu, la loi envisage la prescription de « toutes mesures » alors qu’habituellement le pouvoir du juge des référés est borné aux mesures conservatoires ou de remise en état ; sont ainsi rendues possibles des mesures de blocage d’une durée limitée ([20]). Aucune compensation financière n’est par ailleurs prévue pour les coûts liés à l’exécution des mesures ordonnées.

Le requérant n’a pas à saisir au préalable le fournisseur de contenus – ce dernier n’est donc pas informé et n’est pas nécessairement en mesure de faire valoir ses arguments ([21]).

Enfin, alors qu’une lecture littérale de ces dispositions plaidait pour une mise en cause subsidiaire du FAI, la Cour de cassation a jugé ([22]) que ce dernier pouvait être directement attrait, sans poursuite préalable des hébergeurs – le requérant peut donc mettre en cause l’intermédiaire technique de son choix.

II.   la réforme proposée

L’approche pénale étant insuffisante à remplir l’objectif poursuivi, la proposition de loi introduit, au sein du code électoral, des obligations supplémentaires de transparence aux plateformes en ligne ainsi qu’une nouvelle action en référé devant le juge civil dont la mise en œuvre serait limitée aux périodes pré-électorale et électorale.

Ces nouvelles dispositions seront applicables aux élections sénatoriales (article 2 de la proposition de loi), aux élections européennes (article 3) et à l’élection présidentielle (proposition de loi organique). En l’état du texte, elles ne seraient applicables ni aux scrutins référendaires, ni aux élections locales.

A.   Les obligations de transparence imposées aux plateformes

Le 5ème alinéa du présent article prévoit l’insertion dans le code électoral d’un nouvel article L. 163-1. En vertu de ce nouvel article, des obligations de transparence sont imposées aux plateformes en ligne au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation (réseaux sociaux, moteurs de recherche, plateformes de partage de contenus, portails d’information, etc.), dont les services sont utilisés de manière massive et sophistiquée par ceux qui souhaitent propager de fausses informations.

Ces obligations de transparence doivent permettre, d’une part, aux autorités publiques de veiller au respect de l’interdiction de la publicité commerciale à des fins de propagande électorale (article L. 52-1 du code électoral) et, d’autre part, de détecter d’éventuelles campagnes de déstabilisation des institutions ou de manipulation de l’opinion.

Pour une durée limitée, allant de la publication du décret de convocation des électeurs à la fin des opérations de vote, les opérateurs de plateforme en ligne, dont l’activité dépasse un seuil de nombre de connexions sur le territoire français défini par décret, seront ainsi tenus :

– de donner à l’utilisateur « une information loyale, claire et transparente » sur l’identité et la qualité de la personne physique ou morale ainsi que de celle pour le compte de laquelle, le cas échéant, elle agit, qui verse à la plateforme des rémunérations en contrepartie de la promotion de contenus d’information (alinéa 7) ;

– de rendre public le montant des rémunérations reçues en contrepartie de la promotion de contenus d’information, ainsi que l’identité des personnes physiques ou morales desquelles elles les ont reçues lorsque ce montant est supérieur à un seuil fixé par décret (alinéa 8).

Entrent dans le champ de ce dispositif l’ensemble des contenus d’information mis en avant contre rémunération (contenus « sponsorisés ») liés à l’actualité, même lorsqu’ils ne se rapportent pas directement au débat électoral, qu’ils fassent ou non l’objet d’un traitement journalistique.

Le respect de ce dispositif de transparence est garanti par la création d’une nouvelle infraction pénale, opérée aux alinéas 2 à 4, sous la forme d’un nouvel article L. 112 du code électoral, en vertu duquel « toute infraction aux dispositions de l’article L. 163-1 est punie d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 75 000 euros ».

Les personnes morales, déclarées responsables pénalement, encourront, outre une amende portée au quintuple conformément à l’article 131-38 du code pénal, les peines prévues par les 2° et 9° de l’article 131-39 – c’est-à-dire l’interdiction d’exercer une activité professionnelle pour une durée de cinq ans au plus et la publicité de la décision prononcée par la juridiction (alinéa 4).

Observant, dans son avis du 19 avril 2018 ([23]), d’une part, que cette obligation était cantonnée aux périodes électorales précédant les scrutins nationaux et, d’autre part, qu’elle ne concernait que les contenus d’information, le Conseil d’État a estimé que la limitation apportée aux principes constitutionnels de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté d’entreprendre n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif d’intérêt général ainsi poursuivi.

Il relève, en ce sens, que le Conseil constitutionnel a déjà jugé, suivant une logique proche, que la transparence financière dans le domaine de la presse mettait les lecteurs à même « d’exercer leur choix de façon vraiment libre et l’opinion à même de porter un jugement éclairé sur les moyens d’information qui lui sont offerts par la presse écrite » ([24]).

Il n’y a pas davantage de contrariété à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, les atteintes ainsi portées à la libre prestation de service se justifiant par une raison impérieuse d’intérêt général inédite, tirée de l’intérêt qui s’attache à l’information éclairée des citoyens en périodes électorales.

B.   La création d’un référé spécifique pour la période électorale

Les alinéas 10 à 12 du présent article créent, dans un nouvel article L. 163-2 du code électoral, un référé visant à mettre fin à la diffusion de fausses informations.

Durant la même période qui s’ouvre à compter de la date de publication du décret convoquant les électeurs et jusqu’à la fin des opérations de vote, lorsque « des faits constituant des fausses informations » de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusés « artificiellement et de manière massive » par le biais d’un service de communication au public en ligne, le juge des référés pourrait prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser cette diffusion (alinéa 10). Sont notamment visés les contenus sponsorisés ou promus au moyen d’outils automatisés, dits « bots ».

Cette nouvelle voie de droit serait ouverte au ministère public ou à toute personne ayant intérêt à agir. Toutes mesures peuvent être prescrites aux hébergeurs mentionnés au 2 du I de l’article 6 de la LCEN ou, à défaut, à tout fournisseur d’accès mentionné au 1 du I de ce même article, afin de faire cesser cette diffusion, telles que le déréférencement d’un site diffusant ces fausses informations ou le retrait des contenus diffusant des fausses informations. Le juge des référés pourra aussi ordonner d’empêcher l’accès aux adresses électroniques des services de communication au public en ligne diffusant ces fausses informations. Ces mesures seront librement appréciées par le juge sous réserve de leur adéquation et de leur proportionnalité au regard de la liberté d’expression.

Conformément à l’alinéa 11 (II), le juge des référés se prononcera dans un délai de 48 heures. En l’état actuel du texte, ses décisions seront susceptibles d’appel et de cassation. Cette nouvelle voie de référé permettra donc aux candidats aux élections qui seraient visés par une campagne de diffusion de fausses informations de se prévaloir d’une décision juridictionnelle rapide, pour pouvoir utilement répliquer dans le débat public aux attaques infondées dont ils feraient l’objet, comme l’a souligné le Conseil d’État.

L’alinéa 12 (III) donne compétence exclusive à un tribunal de grande instance déterminé par décret, à savoir celui de Paris.

Constatant que seules sont visées par ces dispositions les fausses informations dont le juge des référés saisi estimerait, au regard de leur contenu et du contexte dans lequel elles s’inscrivent, qu’elles sont diffusées dans l’intention délibérée d’altérer la sincérité du scrutin ([25]), le Conseil d’État a estimé, eu égard à l’intérêt général qui s’attache à la lutte contre la diffusion intentionnelle de fausses informations dans le contexte électoral, que « cette nouvelle voie de droit ouverte devant le juge judiciaire ne porte pas, par elle-même, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression telle qu’elle est garantie par les dispositions de l’article 11 de la Déclaration de 1789 et par les stipulations de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

III.   La position de la Commission des Lois

La Commission a adopté plusieurs amendements de votre rapporteure.

Soucieuse de l'intelligibilité de la loi, et suivant la recommandation du Conseil d'État, elle a d’abord défini la notion de fausse information dans le code électoral comme « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable ». Elle a adossé à cette définition une nouvelle infraction pénale destinée à punir l’auteur d’une fausse information aboutissant à détourner des scrutins, en complétant les dispositions et suivant les peines prévues par l’article L. 97 du code électoral.

La Commission a souhaité limiter la durée d'application des obligations de transparence et du nouveau référé créés par les articles L. 163-1 et L. 163-2. Elle a remplacé la référence au décret de convocation des électeurs, qui n'était pas de nature à garantir une limitation stricte de leur application dans le temps, par une durée fixe de trois mois à compter du premier jour du mois de l’élection.

Elle a également restreint l'application de ces dispositifs aux seules élections générales, à l'exclusion de toute élection partielle.

S’agissant de la nouvelle voie de référé civil, elle a expressément soumis au critère de mauvaise foi du diffuseur la possibilité de recours et laissé au requérant le choix de porter celui-ci devant le tribunal de grande instance de Paris ou devant le tribunal territorialement compétent.

Enfin, la Commission a adopté, à l’initiative du groupe LaREM, un amendement complétant les informations données par une plateforme sur les annonceurs qui ont contracté avec celle-ci et un amendement du groupe LFI prenant en compte la pluralité des intermédiaires entre la plateforme et l’annonceur.

*

*     *

La Commission examine l’amendement CL68 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il est proposé de punir d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende l'auteur d'une fausse information. Cette disposition est le pendant pénal du dispositif qui permettra au juge des référés de faire cesser la diffusion d’une fausse information.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL30 de Mme Brigitte Kuster.

Mme Brigitte Kuster. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit la diffusion, la publication ou la reproduction de « nouvelles fausses » d’une amende de 45 000 euros. La présente proposition de loi sanctionne d'une peine d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 75 000 euros tout manquement par les opérateurs de plateforme en ligne aux nouvelles obligations de transparence qui leur sont faites. Il y a là une disproportion manifeste dans la gradation des peines. L’objet de cet amendement est donc de supprimer la peine correctionnelle d'emprisonnement et de rétablir une forme d'équivalence entre des infractions comparables dans leur finalité.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Vous proposez de supprimer la peine d'emprisonnement pour l'infraction pénale sanctionnant la violation des obligations des plateformes. Toutefois, une plateforme étant une personne morale, la peine d’emprisonnement ne sera pas prononcée. Par ailleurs, le quantum retenu est conforme à celui applicable, par exemple, pour l'interdiction de la publicité en faveur d'un candidat à une élection : il n'y a donc pas de disproportion ou d'atteinte à l'échelle des peines. Avis défavorable.

Mme Laurence Vichnievsky. Revenir sur ces peines constituerait un très mauvais signal. Le groupe MODEM ne votera pas cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL50 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Compte tenu du comportement exemplaire que se doivent d’observer élus et candidats, il convient de prévoir une peine complémentaire d’inéligibilité.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Votre amendement est satisfait, puisque nous venons de créer une infraction pénale pour les auteurs de fausse information, qui sera intégrée à l'article L. 97 du code électoral. Cet article fait partie de ceux visés par le code pénal, lequel prévoit depuis la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017 le prononcé d'une peine complémentaire d'inéligibilité obligatoire pour les personnes reconnues coupables d'infractions électorales.

M. Jean-Louis Masson. Pourquoi ne pas compléter l’alinéa 3 de l’article 1er ? Cela aurait le mérite de la clarté !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cette mention serait inutile. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL70 de la rapporteure.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL69 de la rapporteure et CL23 de M. Hervé Saulignac.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il est proposé de définir la notion de fausse information, voisine des notions de fausse nouvelle et de diffamation : dans une matière aussi sensible, il ne semble pas judicieux de s'en remettre totalement à la jurisprudence pour définir certaines notions. Il s’agit aussi de délimiter le champ d’application de la lutte contre les fausses informations afin d’éviter de porter une atteinte excessive à la liberté d’expression qui demeure notre boussole dans l’élaboration de ces deux propositions de loi.

M. Hervé Saulignac. Il est en effet très important de donner une définition de la fausse information. Nous proposons la suivante : « Il y a fausse information lorsque l’auteur des allégations use intentionnellement d’informations qu’il sait fausses, qu’il a produites ou reproduites, dans le but de porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personnalité politique. »

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je ne pense pas qu’il faille introduire de critère d’intentionnalité dans la définition globale de la fausse information. Mais j’introduis la notion de mauvaise foi dans le cas du recours au juge des référés. La fausse information est par définition fausse, on doit cependant pouvoir la sanctionner, qu’elle soit délibérée ou non. Mon objectif est de délimiter le recours au référé, et c’est dans ce cadre que j’introduis la notion de mauvaise foi.

M. Guillaume Vuilletet. Il s’agit d’une demande forte de l’ensemble des acteurs. Le groupe LaREM soutiendra la définition donnée par la rapporteure.

Mme Laurence Vichnievsky. Lors des auditions auxquelles a procédé la rapporteure, les opérateurs de plateformes, aussi bien que les professionnels judiciaires, ont appelé notre attention sur la nécessité de circonscrire cette notion, d’autant que l’emploi d’autres expressions, comme « fausse nouvelle », dans la loi de 1881 prête à confusion. L’amendement de la rapporteure est tout à fait opportun.

M. Hervé Saulignac. La définition que nous proposons correspond exactement à ce que vous avez exprimé, madame la rapporteure, s’agissant de la mauvaise foi. Lorsque quelqu’un use intentionnellement d’informations qu’il sait fausses, il n’y a pas de bonne foi possible.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je distingue la définition générale de la fausse information de celle qui peut être donnée dans le cadre du recours au juge des référés. Une fausse information peut être émise de bonne ou de mauvaise foi et il ne faut pas se priver, pour l’avenir, de la possibilité d’empêcher la diffusion de fausses informations, laquelle pourrait être le produit d’une erreur. Il convient donc de préciser, uniquement pour l’introduction d’un recours en référé, que la fausse information est émise de mauvaise foi.

La Commission adopte l’amendement CL69.

En conséquence, l’amendement CL23 tombe.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL71 de la rapporteure et CL21 de M. Hervé Saulignac.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Les deux dispositifs créés à l'article 1er, c'est-à-dire les obligations de transparence des plateformes et la nouvelle voie de référé civil, ne s'appliquent que pour une durée limitée, allant de la publication du décret de convocation des électeurs à la fin des opérations de vote.

Cette limitation dans le temps vise à circonscrire l'atteinte ainsi portée à la libre prestation de service, à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'expression. Comme l'a relevé le Conseil d'État, l'absence de calendrier contraignant pour publier le décret de convocation aboutit à des incertitudes quant à l'application de ces dispositions. Je vous propose donc de fixer à trois mois du premier tour du scrutin leur durée d'application.

Par ailleurs, cet amendement limite ces nouveaux dispositifs aux seules élections générales, à l'exclusion des élections partielles.

M. Hervé Saulignac. Inspiré de l'avis du Conseil d'État, cet amendement propose une durée fixe, de trois mois, pour l'application d'un régime spécifique du droit de l'information.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Sur le fond, nous sommes d’accord. Aussi vous demanderai-je de bien vouloir retirer votre amendement au profit du mien.

Mme Cécile Untermaier. Quels sont les termes qui vous gênent dans l’amendement que nous avons déposé, madame la rapporteure ?

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Rien, si ce n’est que mon amendement, contrairement au vôtre, limite l’application des dispositifs aux élections générales.

La Commission adopte l’amendement CL71.

En conséquence, l’amendement CL21 tombe.

La Commission examine l’amendement CL32 de Mme Brigitte Kuster.

Mme Brigitte Kuster. Les primaires ouvertes font désormais partie des modes de désignation des candidats à l'élection présidentielle, au point que le ministère de l'Intérieur a publié, le 22 février 2016, une circulaire précisant leurs modalités d’organisation par les partis politiques. Cette reconnaissance atteste de l'importance que revêt cet événement démocratique, dont l'issue exerce une influence sur le déroulement du scrutin présidentiel. Aussi est-il indispensable que, pour une période d'un mois avant le jour du vote, les primaires ouvertes bénéficient des nouvelles garanties de transparence introduites par la proposition de loi.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je ne suis pas favorable à l’extension du référé aux élections partielles, et encore moins aux primaires, qui sont des consultations internes à un parti et ne relèvent pas du code électoral. Notre choix est de limiter, dans le temps et dans leur champ, les dispositifs qui portent atteinte à la libre prestation de service, à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'expression. Avis défavorable.

Mme Brigitte Kuster. Mme la rapporteure n’a pas bien saisi le sens de cet amendement, qui vise les primaires ouvertes, auxquelles n’importe quel citoyen peut participer. Je rappelle que la diffusion d’une fausse information dans le cadre d’une primaire ouverte peut avoir des conséquences importantes sur l’élection présidentielle. C’est une précaution supplémentaire, dans la logique de cette proposition de loi.

M. Erwan Balanant. Il existe aujourd’hui un flou sur ces opérations électorales très importantes pour notre démocratie, puisque certaines d’entre elles visent à désigner l’un des candidats majeurs de l’élection présidentielle, sinon son vainqueur. Vous soulevez une question qui montre toute la nécessité de réfléchir à la définition des primaires et à leur inscription dans le code électoral.

Mme Cécile Untermaier. On ne peut balayer une telle interrogation. Lutter contre les fausses informations, c’est permettre que les suffrages se portent de la manière la plus éclairée. Ce n’est pas la configuration de l’élection qui doit primer, mais bien l’idée que le citoyen ne doit pas être abusé. Je vous demande de réfléchir avec le Gouvernement à une extension de ce dispositif aux primaires.

M. Rémy Rebeyrotte. Les primaires ne sont pas un processus encadré au plan institutionnel : chacun peut organiser des primaires. Il est très avantageux que certains partis organisent des primaires ouvertes. Qu’ils continuent à le faire, autant qu’ils le souhaiteront !

Mme Brigitte Kuster. M. Rebeyrotte n’a sans doute pas écouté ma présentation et les interventions de nos collègues, que je remercie de s’être exprimés. Il est certes nécessaire de bien définir les primaires ouvertes. Mais au-delà, on a bien compris que, dans le cas des dernières primaires ouvertes organisées par le parti Les Républicains, la diffusion de fausses informations aurait posé problème. Je vous remercie, madame la rapporteure, de considérer cette question d’ici à l’examen en séance publique.

M. Philippe Latombe. Il faudrait alors étendre le dispositif aux référendums d’entreprise et à d’autres consultations qui ne sont pas visées par le code électoral. Nous devons donc avoir une réflexion encore plus large.

M. Ugo Bernalicis. La publication d’une circulaire par le ministère de l’Intérieur ne fait pas des primaires un objet sur lequel il faudrait nécessairement légiférer. La circulaire prévoit seulement la communication des listes électorales et la prise en compte des modalités d’organisation dans les comptes de campagne du futur candidat à la présidentielle.

Lorsqu’une organisation politique veut que des primaires se tiennent, il lui revient d’en décider les modalités. Si des fausses informations sont diffusées à cette occasion, c’est le droit général qui s’applique. Pourquoi saisir cette occasion pour légiférer sur les primaires ?

M. Guillaume Vuilletet. La singularité de l’élection présidentielle nous impose de permettre une réaction rapide en cas de fausse information. Une primaire, c’est autre chose. Je rappelle que les trois candidats arrivés en tête des suffrages n’ont pas été désignés par une primaire !

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je vois deux obstacles à l’amendement de Mme Kuster. D’abord, il n’y a pas de définition de la primaire ouverte dans le code électoral. Ensuite, si nous devions étendre le dispositif du référé aux primaires, il faudrait le faire pour les élections partielles et les élections locales – municipales, départementales, régionales. On se trouverait alors dans un système pérenne. Or nous souhaitons que le système soit limité dans le temps pour ne pas porter atteinte de manière disproportionnée à la liberté d’expression.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL67 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL72 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, les nouvelles obligations en matière de transparence mises à la charge des plateformes contribuent à restreindre la libre prestation des services.

Pour justifier une telle dérogation, et conformément à une préconisation du Conseil d'État, il convient de rattacher le nouvel article L. 163-1 du code électoral à une raison impérieuse d'intérêt général, tirée de l’intérêt qui s'attache à l'information éclairée des citoyens en périodes électorales

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL76 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL39 de M. Ugo Bernalicis. 

M. Ugo Bernalicis. Il convient, pour une transparence exhaustive, de prévoir à l’alinéa 7 que l’information est « complète ». Il est important que les usagers sachent qui se cache derrière ce que l’on appelle les liens sponsorisés, pour ne pas tomber dans les pièges grossiers de la manipulation, très fréquente sur la plupart des réseaux sociaux.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Sur le plan du droit constitutionnel et du droit européen, il nous faut prendre garde à ne pas porter une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre et à la libre prestation de services en multipliant les obligations mises à la charge des plateformes – une notion qui est d’ailleurs une création du droit français. Par ailleurs, les informations demandées aux plateformes doivent être utiles et ciblées. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Il appartiendra aux plateformes de s’organiser : il peut s’agir, en l’espèce, d’un simple renvoi à des conditions générales d’utilisation. L’idée est bien que l’information soit complète, sans quoi cela peut être problématique et contraire aux objectifs du texte.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Vous ne pouvez pas dire qu’il appartient aux plateformes de se débrouiller. En parlant d’information complète, vous élargissez le champ sans même le définir, ce qui constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL22 de M. Hervé Saulignac et CL60 de M. Guillaume Vuilletet, qui fait l’objet d’un sous-amendement CL74 de la rapporteure.

M. Hervé Saulignac. Cet amendement concerne les informations dont les plateformes en ligne doivent assurer la transparence : il vise à supprimer la référence à la notion de « qualité », qui n’a pas de valeur juridique et n’apporte pas de plus-value.

M. Guillaume Vuilletet. Il paraît pertinent de demander aux plateformes de rendre publics la qualité, le siège social et l’objet social des annonceurs.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je propose de sous-amender cet amendement en supprimant la notion de « qualité », ce qui permettra de satisfaire l’amendement de M. Saulignac.

M. Hervé Saulignac. Je maintiens cependant l’amendement.

La Commission rejette l’amendement CL22.

Elle adopte le sous-amendement CL74, puis l’amendement CL60 sous-amendé.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL77 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement CL52 de M. Ugo Bernalicis. 

M. Ugo Bernalicis. Je ne sais si je vais encore porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre en proposant de retenir le pluriel à l’alinéa 7, s’agissant des personnes pour le compte desquelles la personne morale agit. Les grands groupes qui sont derrière les réseaux sociaux savent bien manœuvrer parmi les failles de nos textes, de continuer ainsi à tromper la vigilance du grand nombre. J’aimerais que nous ne tombions pas dans ce piège.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Vous proposez que l'information donnée par la plateforme prenne en compte la pluralité des intermédiaires entre l'annonceur qui paye le contenu d'information et son commanditaire. Dans la mesure où ces informations sont déclaratives, je n'y vois pas d'obstacle. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. C’est louche ! (Sourires.)

Mme la présidente Mme Yaël Braun-Pivet. Vous ne pourrez plus dire que la commission des Lois rejette systématiquement vos amendements ! (Sourires.)

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL75 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il s’agit de préciser que l’auteur est la personne pour laquelle le commanditaire a déclaré agir. Il convient de lever toute ambiguïté dans la rédaction, ainsi que le préconise le Conseil d'État.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL90 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Le terme de « contenus d'information » apparaît insuffisamment précis : eu égard à l'objectif poursuivi, qui est de protéger la qualité du débat démocratique avant les élections d'ampleur nationale, seuls devraient être visés les contenus d'information « se rattachant à un débat d'intérêt général ». C'est le sens de la préconisation du Conseil d'État.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL63 de M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. Il est désormais commun que des personnes physiques ou morales payent pour promouvoir un contenu, une information sur un réseau social ou sur toute plateforme en ligne. Le texte prévoit qu’en période électorale, ces plateformes auront l’obligation de rendre publiques les rémunérations reçues, mais il y a d’autres moyens d’obtenir une contrepartie… On pourrait même considérer que la formulation actuelle pourrait conduire certaines personnes à contourner la législation. Je propose donc de ne laisser aucune faille dans la rédaction, en incluant les avantages perçus en nature parmi les éléments qui devront être rendus publics.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Les annonceurs sont dans une relation commerciale avec les plateformes, il n'y a pas d'avantages en nature. Avis défavorable.

M. Sébastien Huyghe. Si, la contrepartie de la promotion d’un contenu d’information peut être une autre promotion, ce qui constituerait un moyen de contourner la loi.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL53 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit d’élargir l’obligation d’information à l’ensemble des contenus d’information depuis un mois et, le cas échéant, de plus d’un an.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cela revient à contourner la limitation dans le temps du dispositif de transparence créé à l'article L.163-1 du code électoral. Par ailleurs, cela augmente les obligations pesant sur les opérateurs, sans justification tirée de la lutte contre les fausses informations, et donc en méconnaissance du droit européen. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine, en présentation commune, l’amendement CL78 de la rapporteure ainsi que les amendements CL54 et CL41 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement CL78 est un amendement rédactionnel.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL54 vise à ajouter après les « personnes morales », les mots « ou celles pour le compte desquelles celles-ci ont agi » afin de prendre en compte les différents intermédiaires.

L’amendement CL41, quant à lui, élargit le champ de l’article 1er.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je suis favorable à l’amendement CL54 mais défavorable à l’amendement CL41 qui supprime le seuil d’assujettissement à l’obligation de transparence imposée aux plateformes. Cela ferait rentrer dans le dispositif des plateformes dont la taille n’est pas significative. En outre, cela ne contribuerait pas à mieux prévenir la diffusion de fausses informations. Enfin, cela risquerait d’entrer en contradiction avec le droit européen.

La Commission adopte successivement l’amendement CL78 et l’amendement CL54.

Puis elle rejette l’amendement CL41.

Elle est saisie ensuite de l’amendement CL40 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Après l’alinéa 9 de l’article 1er, nous souhaitons insérer l’alinéa suivant : « Les dispositions du présent article concernant la transparence des données concernant la promotion de contenus d’information, relatives notamment à leurs commanditaires et aux montants des rémunérations versés pour promouvoir ces contenus d’information, sont applicables hors période électorale. ». Autrement dit, nous souhaitons que les obligations de transparence s’imposent aux plateformes en ligne même en dehors des périodes électorales.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je comprends votre objectif mais le texte a pour objet de lutter « contre les fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Une telle extension ferait peser des obligations supplémentaires sur les plateformes, ce qui fragiliserait la libre prestation de service. Avis défavorable.

M. Alexis Corbière. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission, madame la présidente.

Madame la rapporteure, dire que nos concitoyens se forgent une opinion uniquement pendant la période électorale a quelque chose d’intolérable d’un point de vue politique. Le vote est l’expression d’opinions qui se façonnent dans la durée. Les outils de contrôle de l’information doivent être à la disposition des citoyens toute l’année.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’objet de la proposition de loi est de lutter contre les fausses informations qui circulent en période électorale, ce qui explique que ces obligations soient limitées dans le temps. Je suis très étonnée par votre position, vous qui êtes habituellement très attaché aux libertés, quelles qu’elles soient. J’ajoute que cette limitation se justifie aussi par la proportionnalité. Nous cherchons à établir un équilibre de manière à ce que le dispositif ne soit pas contesté ensuite. Pour cette raison, nous nous opposons à toute extension en dehors de la période électorale.

M. Guillaume Vuilletet. La question de la transparence est une préoccupation forte. Il y a un équilibre à trouver. Nous y reviendrons. Sur cet amendement, nous suivrons l’avis de la rapporteure.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements identiques CL 29 de M. Hervé Saulignac, CL42 de Mme Danièle Obono et CL49 de M. Stéphane Peu.

M. Hervé Saulignac. Ces amendements visent à supprimer les alinéas créant la nouvelle procédure de référé, procédure de tous les dangers pour la liberté d’expression. Prise en urgence, elle est exécutoire mais à titre provisoire. Je rappelle que le droit national réprime la diffusion de fausses informations et que des procédures d’urgence existent déjà, y compris en période électorale. En outre, le délai de quarante-huit heures nous paraît à la fois trop court pour établir la véracité d’une information et trop long pour éviter qu’une fausse nouvelle ne se répande dans l’ensemble des réseaux sociaux.

Imaginons qu’un juge ne parvienne pas à établir qu’une information est fausse. Cela introduirait d’une certaine manière un doute qui contribuerait à rendre crédible une information qui n’est pas forcément vraie. La procédure du référé serait alors contre-productive.

M. Alexis Corbière. Dans la nouvelle procédure de référé, pour statuer sur une « fausse information de nature à fausser la sincérité du scrutin », le juge dispose de quarante-huit heures, délai qui laisse libre cours à l’arbitraire et qui n’est pas suffisant pour assurer aux juges de bonnes conditions de travail.

Par ailleurs, une telle procédure est déjà prévue dans la loi de juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Comment un juge seul, qui n’est pas nécessairement spécialisé dans le domaine en cause, parfois très technique, pourrait-il démêler le vrai du faux ? Seul le travail rigoureux de vérification d’une presse pluraliste et indépendante, complété par une saisine du juge en bonne et due forme dans le cadre d’une procédure qui ne serait pas effectuée en urgence, nous paraît à même de garantir la liberté d’expression que la procédure que vous proposez risque seulement de mettre à mal, de manière aléatoire.

Mme Elsa Faucillon. Le Conseil d’État, dans son avis du 19 avril 2018, a souligné la difficulté tenant à l’objet même de la procédure de référé : « Les "faits constituant des fausses informations" sont en effet délicats à qualifier juridiquement ».

Ces amendements nous permettent de discuter de l’utilité même de cette nouvelle procédure. Il existe déjà un arsenal juridique que nous connaissons bien puisque nous avons tous été candidats. Nous savons combien il est important de pouvoir poursuivre le combat politique et de n’utiliser les outils juridiques à notre disposition que si nous sommes confrontés à des atteintes particulièrement graves. Le danger est grand en effet de basculer vers une judiciarisation du combat politique à une période où le déploiement de la pensée politique sur le temps long et la sincérité des convictions politiques sont mis en question par nos concitoyens.

En outre, il existe un risque réel de censure. « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. » écrivait Beaumarchais.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Le débat que nous avons est tout à fait légitime. Lors des auditions, certains ont remis en cause l’existence même du juge des référés.

Toutefois, il est faux de dire que le droit existant répond à tous les problèmes et que l’on pourrait se passer de l’intervention du juge des référés. La diffamation a un champ extrêmement précis, les fausses nouvelles aussi. Certains comportements échappent aujourd’hui à la sanction.

J’ai fait le choix de conserver le juge des référés qui me paraît avoir toute son utilité. L’actualité l’a démontré, que ce soit aux États-Unis, en France à l’occasion des élections présidentielles, au Royaume-Uni lors du référendum sur le Brexit ou encore en Catalogne. Nous devons disposer d’un outil pour sanctionner la diffusion des fausses nouvelles en période électorale car elles contribuent à miner la confiance de l’électeur voire à altérer son jugement au moment du vote.

J’ai toutefois pris en compte les préoccupations exprimées par les professionnels de la presse, notamment les journalistes, et j’ai fait le choix de délimiter et de cibler la mission du juge des référés. Tout d’abord, son intervention ne vise que les altérations de la sincérité du scrutin. Ensuite, par l’ajout du critère de la mauvaise foi, nous plaçons les journalistes hors du champ du dispositif.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements.

M. Erwan Balanant. Force est de constater que nous ne disposons pas d’outils pour lutter contre la prolifération sur les réseaux sociaux de fausses informations. Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau. Les fausses nouvelles existaient déjà au Moyen-Âge – France Culture a consacré à ce thème une émission très intéressante samedi dernier – mais elles mettaient trois semaines pour se répandre dans le royaume de France quand il suffit de quelques secondes aujourd’hui pour les voir se diffuser sur Internet.

Le juge des référés n’a pas été inventé par cette proposition de loi. Il s’agit d’un dispositif établi. La nouvelle procédure est clairement définie et, surtout, elle ne peut être appliquée aux journalistes.

M. Guillaume Vuilletet. Nous sommes au cœur du sujet. Les nouvelles technologies de l’information changent la donne en matière de diffusion et de durée de vie des fausses informations. Pour qu’elles influent le moins possible sur la décision des électeurs, il faut agir vite. La procédure du référé paraît être la solution à retenir.

Mme Laurence Vichnievsky. L’apport principal de la proposition de loi est indéniablement l’instauration de cette procédure de référé. Je voudrais ici rassurer mes collègues. Le juge du référé est le juge de l’évidence. S’il a une mission très délicate, il sait dans quel cadre il peut prendre une décision de suspension. Bien sûr, personne n’est parfait, mais je crois que, compte tenu des précisions apportées dans le texte, nous pouvons faire confiance aux juges.

Je comprends toutefois que l’intervention toujours croissante du juge judiciaire dans le domaine électoral suscite des interrogations. Auparavant, le juge électoral ne statuait qu’une fois le scrutin passé. Avec cette nouvelle procédure, le juge statuera avant le vote.

Mme Elsa Faucillon. Madame la rapporteure, pouvez-vous me confirmer que les éditeurs de presse et les journalistes sont exclus du champ de cette procédure ?

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’objectif est de lutter contre une diffusion artificielle et massive de fausses informations – contenus sponsorisés, recours aux bots – reposant sur la mauvaise foi, donc sur la volonté de nuire. On image mal que les journalistes ou les éditeurs de presse puissent se livrer à ce genre de pratiques. Ils font leur travail de manière scrupuleuse et effectuent enquêtes et vérifications. En outre, la procédure est limitée aux périodes électorales. Le champ du dispositif est donc extrêmement restreint et les journalistes en sont de facto exclus.

Mme Elsa Faucillon. Les fausses informations sont-elles réellement de nature à altérer la sincérité du vote ? J’ai eu l’occasion de discuter avec plusieurs de mes collègues, de toutes tendances politiques, des campagnes électorales. Certaines informations, d’ordre privé, sont mises en avant et peuvent apparaître comme de nature à changer l’issue du vote. C’est le cas, par exemple, d’informations sur l’orientation sexuelle de tel ou tel candidat. En réalité, je crois qu’elles n’ont pas d’influence. Dans le cas de la dernière campagne pour les élections présidentielles, l’impact de ce genre d’informations a été négligeable par rapport à la promotion massive du mouvement En Marche ! dans les grands médias.

J’aimerais savoir sur quoi vous comptez agir et comment vous entendez le faire. Pour l’orientation sexuelle d’un candidat ou d’une candidate, je vois mal comment un juge des référés pourrait trancher.

M. Alexis Corbière. Comme nous touchons au cœur de la proposition de loi, beaucoup de désaccords se font jour.

Actuellement, un juge des référés doit prendre sa décision dans un délai de soixante-douze heures, ce qui est déjà un délai très restreint. Pourquoi instaurer une exception pour les fausses nouvelles en le réduisant à quarante-huit heures ?

En période électorale, la décision du juge, qu’elle soit positive ou négative, aura un effet extrêmement puissant sur l’issue du scrutin : soit il conclut que l’information est fausse ; soit il n’a pas assez d’éléments pour mettre en doute sa véracité, ce qui incitera l’opinion publique à penser qu’elle est vraie. À quinze jours d’un scrutin, une telle décision peut « plomber » un candidat et, à l’inverse, en propulser un autre.

Lors des dernières élections présidentielles, une fausse nouvelle s’est répandue selon laquelle Emmanuel Macron avait un compte aux Bahamas et c’est cela qui a conduit au dépôt de cette proposition de loi. Mais comment le juge pourra-t-il prendre une décision en quarante-huit heures pour décider si semblable information est vraie ou fausse ? Ne sera-t-il pas amené à demander aux journalistes de révéler leurs sources ?

Ce texte modifie profondément le rapport à nos libertés publiques, ce qui est extrêmement dangereux.

M. Gilbert Collard. Deux observations.

D’abord, comme l’a souligné Mme Vichnievsky, le juge des référés est le juge de l’évidence. N’oublions pas toutefois un élément essentiel : lorsqu’il y a une contestation sur le fond, il ne peut pas juger. Si un débat s’engage et qu’il décide, il aura à juger aussi, sans le dire, sur le fond.

Ensuite, il y a une question qui me préoccupe beaucoup pour la liberté du vote : si le juge d’appel réforme, quel sera l’impact sur une élection acquise ? Quels seront les recours ? Quels seront les arguments développés ? Comment le Conseil constitutionnel réagira-t-il ? Supposons qu’en première instance, le juge des référés établisse qu’un candidat élu a fait circuler une fausse information et qu’une cour d’appel, dans sa liberté, dise le contraire. On ne pourra pas nier qu’il y aura eu un impact sur l’élection – dire que quelqu’un ment, cela a quand même un effet sur les électeurs. Comment gérer ce type de contentieux électoral ?

M. Hervé Saulignac. Mme Vichnievsky et M. Collard s’accordent pour dire que le juge des référés est le juge de l’évidence. Or l’évidence sera extrêmement rare. Par conséquent, les décisions le seront aussi. Les contentieux, quant à eux, n’auront rien de rare dans ces conditions.

Ajoutons que le juge devra se prononcer sur l’altération de la sincérité du scrutin alors même qu’il n’a pas encore eu lieu. Il sera compliqué de prendre une décision a priori.

La procédure des référés me paraît susceptible de causer beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.

Prenons le cas d’une information qui serait considérée comme fausse en première instance et comme vraie en appel. On ne pourra nier que la décision du juge des référés aura eu une influence forte sur le scrutin lui-même.

Nous rentrons dans une zone de très grande incertitude. Le Conseil d’État ne dit pas autre chose en évoquant « l’efficacité incertaine » de cette nouvelle procédure. Si nous ne prenons pas le temps de nous pencher sur cette mesure, nous exposerons notre démocratie à des risques considérables.

M. Guillaume Vuilletet. Il n’empêche que cette procédure permettra aussi de résoudre des problèmes, des problèmes connus qui se sont posés lors d’élections précédentes. Rappelons que son objectif n’est pas de rechercher l’auteur de la fausse information mais de faire cesser sa diffusion et que le critère de la mauvaise foi limite le champ d’action du juge.

M. Ugo Bernalicis. La presse est-elle véritablement exclue du champ d’application de la procédure des référés ? Je n’en suis pas si sûr. Relisons l’article 1er : la procédure des référés s’applique à « des faits constituant des fausses informations » « diffusés artificiellement et de manière massive par le biais d’un service de communication au public en ligne ». Or nous savons bien que des journalistes mettent eux-mêmes des liens sponsorisés sur les réseaux sociaux pour faire monter l’audience de leurs propres articles diffusés en ligne, pratique qui rentrerait parfaitement dans le champ d’application du nouveau dispositif.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Bernalicis, vous oubliez un élément déterminant : le critère de la mauvaise foi. À moins que vous n’envisagiez qu’un journaliste est susceptible de diffuser une fausse information de manière massive et artificielle, en ayant conscience de son caractère mensonger, auquel cas, il mériterait d’être condamné. Nous n’avons peut-être pas la même définition des pratiques du journalisme. Un journaliste effectue une enquête. Il peut certes commettre des erreurs mais, pour autant, il n’est pas de mauvaise foi.

De manière générale, il ne faut pas confondre ce qui est prévu par la loi de 1881 et le dispositif que nous instaurons dans cette proposition de loi. La création de cette procédure des référés n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre les fausses informations. D’autres dispositions sont prévues comme les obligations de transparence imposées aux plateformes ou l’éducation aux médias. Mais j’estime que le recours au juge des référés, dans un cadre parfaitement circonscrit, a toute son utilité.

Les uns et les autres, vous avez mis en avant certains problèmes, à commencer par l’urgence dans laquelle le juge des référés doit statuer. Il le fait déjà dans d’autres matières et il le fait très bien. Il juge l’évidence, il doit déterminer si une information est manifestement fausse ou pas, si elle est de nature à altérer le scrutin ou pas. Il n’a pas à établir qu’elle va modifier le scrutin à 100 %. Ce sont des nuances importantes. Si le juge d’appel devait réformer alors que l’élection s’est déjà tenue, alors le droit électoral existant s’appliquerait. En cas d’écart réduit entre les voix des candidats, les élections peuvent être annulées. C’est l’office du juge et son appréciation est souveraine. De l’avis même des magistrats que nous avons auditionnés, prendre une telle décision dans un délai de quarante-huit heures n’a rien d’impossible. En période électorale, c’est en vingt-quatre heures qu’ils doivent statuer en matière de diffamation. Il existe donc des précédents et nous précisons ici les cas cas dans lesquels le juge des référés peut intervenir.

La Commission rejette ces amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL79 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il s’agit de fixer à trois mois la durée d’application du référé, avant le premier tour du scrutin.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL80 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cet amendement participe de l’objectif de restreindre le champ d’application de la procédure du référé : il est proposé de la circonscrire aux cas dans lesquels il est établi que la diffusion des fausses informations procède de la mauvaise foi, qui suppose la conscience de leur caractère mensonger. Les journalistes, qui ne propagent pas sciemment des fausses informations, seront ainsi clairement placés hors du champ de ce référé.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL81 rectifié de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Pour clarifier la notion de diffusion artificielle, nous ajoutons qu’elle a aussi un caractère automatisé. Cela permet de prendre en compte non seulement le sponsoring mais aussi les robots informatisés et les fermes à clics.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL43 de M. Ugo Bernalicis.

M. Alexis Corbière. Permettez-moi de défendre cet amendement, madame la présidente : M. Bernalicis devient un peu trop consensuel... (Sourires.)

Il s’agit d’un amendement de repli par rapport à notre amendement de suppression des alinéas 10 à 12. Il prévoit que ce ne soit pas le juge des référés seul qui statue mais une formation collégiale. Cela nous paraît s’imposer, compte tenu des conséquences de la décision rendue sur le scrutin et de « l’effet Streisand » qu’elle implique. Nous savons qu’une décision de justice peut avoir un effet loupe sur une information qui serait passée plus ou moins inaperçue sinon.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je comprends votre souci de protéger la liberté d’expression. La formation collégiale serait idéale mais sur un plan matériel, systématiser le recours à la collégialité pour ce type de contentieux n’est pas possible. Le juge des référés intervient en tant que juge unique dans d’autres domaines. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Compte tenu de l’importance de la décision du juge des référés en matière de fausses informations, il me semble essentiel de préciser qu’elle doit être prise en formation collégiale, qui devrait être la norme pour tous les contentieux.

En outre, votre argument selon lequel il ne serait pas possible d’y avoir recours « sur un plan matériel » pose vraiment problème. Tout se passe comme si vous intériorisiez le fait que le ministère de la justice devait être condamné à la misère budgétaire. Pourtant, c’est bien vous qui pérorez à chaque fois en opposant à La France insoumise et à tous ceux qui râlent que le budget de la justice augmente et qu’il continuera d’augmenter.

Je vous propose d’adopter cet amendement puisque vous y êtes favorable sur le fond. Il vous restera à intégrer des amendements en conséquence dans la loi de programmation pour la justice.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Bernalicis, je n’ai pas l’habitude de pérorer ou de râler ; j’essaye toujours d’argumenter.

Il est vrai que nous avons augmenté les moyens du budget de la justice. Vous le savez comme moi, il y a des chantiers prioritaires. Ce que vous dites témoigne d’une certaine défiance ; je fais quant à moi confiance au juge unique pour faire son travail.

M. Gilbert Collard. J’ai toujours été, tout au long de ma carrière, contre l’idée du juge unique. J’ai toujours considéré qu’il fallait garder les gardiens et personne ne garde un juge unique, même si les magistrats bénéficient d’une espèce d’onction d’irréprochabilité qui tombe je ne sais d’où. Le juge des référés qui décidera dans ce type d’affaire va intervenir, directement ou indirectement, qu’il le veuille ou non, dans le domaine de la décision qui a un impact politique, et c’est avant tout le mettre à l’abri que d’organiser la collégialité. C’est aussi le mettre à l’abri de ce qui se passera après que la décision aura été rendue, car le juge unique qui dira qu’il y a des fausses nouvelles risque d’être l’objet d’un intérêt dérangeant pour lui, si sa décision a un impact politique. Enfin, dans un domaine aussi important que celui de la liberté d’expression, qui est bien sûr détestable quand elle confine à la fausse nouvelle, je pense que trois têtes qui réfléchissent valent mieux qu’une qui pense toute seule et a forcément raison.

Mme George Pau-Langevin. On peut entendre l’argument sur la collégialité mais, plutôt que de monter des procédures totalement dérogatoires, il suffirait de prévoir un délai, par exemple de quarante-huit heures, pour statuer en appel sur les décisions rendues.

Par ailleurs, je suis surprise de l’argument précédent de la rapporteure sur la mauvaise foi parce que, dans la loi de 1881, la logique de la mauvaise foi est assez présente alors même que cette loi a été élaborée en pensant à des journalistes professionnels. On ne peut donc dire qu’on ne saurait envisager de la mauvaise foi dans le cas de journalistes.

M. Guillaume Larrivé. Je voterai moi aussi cet amendement de M. Bernalicis. En ces matières, il est préférable, pour la qualité de la décision de justice, s’agissant de décisions de première instance, d’avoir une formation collégiale. On peut très bien envisager qu’un juge des référés juge seul lorsqu’il s’agit d’un membre de cour suprême, par exemple, dans son domaine, le président de la section du contentieux du Conseil d’État, mais s’agissant de décisions de première instance la collégialité est un gage de qualité. La formation collégiale est certes faillible, comme l’individu, mais il est plus rassurant pour le justiciable et pour la protection de la liberté d’expression qu’un collège se prononce.

M. Alain Tourret. Nous sommes dans des matières éminemment délicates. J’ai été l’une des premières victimes de ces affaires-là, avec le Président de la République, puisque des hackers soviétiques – j’ai bien dit Soviétiques et non pas Russes – sont entrés dans les comptes d’En Marche !, se sont saisis de l’ensemble des correspondances que j’échangeais avec Emmanuel Macron et ont créé des montages m’accusant de trafic de drogue avec lui au sein de l’Assemblée nationale. (Rires.) Cela ne fait pas du tout rire quand cela vous tombe dessus !

J’ai pris des avocats, j’ai naturellement essayé de porter plainte auprès du procureur de la République – tout comme le Président. Le procureur de la République m’a fait savoir au bout de plusieurs mois qu’il était quasiment impossible de trouver quoi que ce soit : les personnes qui nous attaquaient étaient à l’étranger, elles n’ont pas répondu aux convocations ; quant à celles qui avaient répandu la rumeur, elles n’ont pas pu être poursuivies non plus. Il a fallu que j’attende un an pour que ces fausses informations disparaissent de l’ensemble des sites internet. J’ai eu à subir cela pendant une année ! Je vous le dis, c’est insupportable. Je suis allé trouver le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice, tout le monde, sans être arrivé à rien.

Un juge unique ou trois juges : ce qu’il faut, c’est que le dispositif soit efficace. Je ne crois pas qu’il faille le réserver à la période électorale. On objectera la liberté de la presse, mais la liberté de l’individu compte autant que celle de la presse.

Mme Laurence Vichnievsky. Il est difficile d’intervenir après un témoignage aussi fort, mais cela me permet de rebondir aussi. Nous sommes bien entendu souvent meilleurs à trois qu’à un, sauf, j’entends bien, le président de la section du contentieux du Conseil d’État, mais soyons raisonnable : le juge des référés a rempli son office. Il a été instauré pour répondre à des circonstances particulières, et je ne redirai pas encore qu’il est le juge de l’évidence. Les cas où les ordonnances de référé ont été réformées existent et on a toujours trouvé la manière de procéder à réparation. En matière électorale, le juge administratif reprendra son office et annulera, le cas échéant, l’élection. Le juge unique est de rigueur car il faut statuer de manière urgente. La saisine du juge des référés aurait peut-être pu apporter un peu de raison dans ce que M. Tourret a vécu. Je n’en suis pas certaine, mais pourquoi s’en priver ?

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Dans notre système juridique, beaucoup de matières sont jugées par un seul et même magistrat. C’est le cas, dans une matière proche de celle-ci, du référé LCEN, et cela ne pose aucune difficulté. Quant à l’argument selon lequel trois hommes valent mieux qu’un, pour avoir moi-même plaidé, je ne trouve pas que cela aille de soi.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL82 de la rapporteure et CL45 de Mme Danièle Obono.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avec cet amendement, j’ai souhaité flécher prioritairement l’intérêt à agir, dans le cadre du référé, vers le ministère public, les candidats et les formations politiques, sans pour autant interdire au juge d’avoir au cas par cas une appréciation plus large des personnes ayant intérêt pour agir. C’est dans le souci de prévenir d’éventuels risques d’engorgement de la voie de référé.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de substituer à « toute personne », « tout candidat, parti ou groupement politique », afin de savoir d’où provient la demande, de sorte qu’elle soit circonscrite au débat politique en tant que tel, et d’éviter que des candidats ou partis fassent appel à un citoyen lambda, à un « faux nez », pour faire une requête en vue de déstabiliser un autre candidat. C’est une garantie de transparence. Si vous aviez accepté notre amendement pour que cela s’applique hors période électorale, le champ aurait pu être large. Il s’agit donc d’une espèce d’amendement de repli.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cela me paraît trop restrictif car, dans ce cas, un électeur ne pourrait jamais être admis à agir par voie de référé, alors que, dans des élections nationales, l’électeur a potentiellement un intérêt à agir. La disposition balai prévue dans mon amendement permet au magistrat d’avoir une appréciation au cas par cas.

La Commission adopte l’amendement CL82.

En conséquence, l’amendement CL45 tombe.

La Commission adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL84 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL83 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Il s’agit de préciser que les mesures ordonnées en référé doivent être strictement proportionnées et nécessaires.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL91 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer les exemples de mesures qui pourraient être ordonnées en référé. Le texte prévoit que toutes mesures peuvent être prescrites aux hébergeurs ou, à défaut, aux fournisseurs d’accès pour faire cesser la diffusion. Il donne également deux exemples : le déréférencement d’un site diffusant ces fausses informations ou le retrait des contenus diffusant des fausses informations. Ces exemples me paraissent mal choisis ; je vous propose donc de les supprimer et de nous en remettre à l’office du juge.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CL24 de M. Hervé Saulignac et CL38 de M. Ugo Bernalicis tombent.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL86 de la rapporteure.

La Commission est saisie de l’amendement CL46 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. C’est un amendement de repli : nous proposons la création d’une procédure d’appel de l’ordonnance de référé du juge pour éventuellement corriger une décision erronée prise dans un délai de quatre-huit heures, qui nous semble trop bref. Ce serait la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, spécialisée en droit de la presse, qui statue en appel.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Vous proposez une réécriture de la procédure et des délais devant le juge des référés, mais ces précisions sont de nature réglementaire. Par ailleurs, un délai de vingt-quatre heures me paraît trop court – je vous propose d’en rester à celui qui est prévu. Enfin, vous légalisez la 17e chambre du TGI de Paris, à laquelle je suis moi-même extrêmement attachée, mais s’il devait y avoir à l’avenir une nouvelle numérotation, ce qui n’est pas exclu, nous serions en difficulté. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Si c’est le chiffre qui pose problème, proposez-moi une rédaction alternative. Je suis sûr que vous allez trouver une solution.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je vous rassure, ce type de contentieux ira à la 17e chambre ou à la chambre de la presse si elle devait porter un autre numéro.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL64 de M. Sébastien Huyghe, CL44 de Mme Danièle Obono et CL51 de M. Jean-Louis Masson.

M. Sébastien Huyghe. La proposition de loi impose au juge de se prononcer dans les quarante-huit heures sur le retrait d’un contenu, le déréférencement d’un site ou son blocage. Ce délai méconnaît l’extrême rapidité avec laquelle les informations circulent sur les réseaux sociaux, notamment en période électorale. En deux jours, la guerre est finie quand les fausses informations, qui peuvent avoir été portées à la connaissance de tous, sont retirées, l’intervention du juge devenant inutile. Je propose donc de réduire ce délai à vingt-quatre heures, sachant que c’est déjà beaucoup.

M. Alexis Corbière. Notre amendement va dans le sens inverse de celui de notre collègue. En vingt-quatre ni même en quarante-huit heures, aucune décision sur des situations complexes, difficiles à juger, faisant par exemple état de comptes bancaires à l’étranger sous un nom d’emprunt, ne peut être prise, et nous proposons donc de prolonger le délai jusqu’à soixante-douze heures, ce qui est encore peu.

M. Jean-Louis Masson. Compte tenu des enjeux démocratiques, des troubles conséquents susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin, du temps nécessaire pour rétablir des faits distordus et diffuser suffisamment des informations correctes et intelligibles, compte tenu également des moyens limités dont peuvent disposer certains candidats à certains scrutins pour faire face à une fausse information qui pourrait les concerner, il convient de restreindre au maximum les délais d’intervention du juge et, partant, de rendre très rapidement opérantes ses injonctions. C’est pourquoi, comme M. Huyghe, je propose de ramener le délai à vingt-quatre heures.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je vous propose d’en rester à quarante-huit heures. Trois jours, cela ne repose sur rien : en général, les référés sont de vingt-quatre ou quarante-huit heures. Vingt-quatre heures paraît trop court, c’est ce qui ressort de nos auditions, en particulier de celles des magistrats et de la chancellerie. La question dépend aussi du point de départ de ce délai et je vais, d’ici à la séance, réfléchir à un amendement pour savoir à partir de quand ce délai doit courir.

L’amendement de M. Masson vise à raccourcir le délai mais uniquement sur les quinze derniers jours. Je vais y réfléchir, pour voir si nous pouvons proposer quelque chose en séance. Je demande pour le moment son retrait.

L’amendement CL51 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL64 et CL44.

La Commission est saisie de l’amendement CL88 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Avec cet amendement, j’ouvre la possibilité de référé devant les tribunaux territorialement compétents et non plus devant le seul TGI de Paris. Nos auditions nous ont conduits à réfléchir à la situation des candidats confrontés à la diffusion de fausses informations alors qu’ils sont en train de mener campagne. Pour leur permettre de venir à l’audience, tout en tenant compte des contraintes propres à une campagne électorale, notamment en outre-mer, je propose de leur laisser le choix de saisir le TGI de Paris, qui centraliserait par conséquent une partie de ce contentieux, ou le tribunal territorialement compétent.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL48 de M. Stéphane Peu.

Mme Elsa Faucillon. Par cet amendement, nous souhaitons préciser ce qui est entendu dans le texte par « service de communication au public en ligne », en faisant en sorte que cela ne soit pas applicable aux journalistes mentionnés à l’alinéa 2 de l’article 2 de la loi de 1881, et ce pour protéger la liberté de la presse. Le magnifique article 1er de la loi de 1881 dispose que « l’imprimerie et la librairie sont libres ». Il n’a pas été touché depuis lors ; nous savons quelles vicissitudes ont conduit à l’adoption de cet article et nous devons le protéger comme la prunelle de nos yeux.

En tant que membre d’un parti politique qui a peu sa place dans les grands médias, j’ai peut-être un avis différent du vôtre sur le traitement qu’ils nous réservent, mais je crois profondément à leur besoin d’être déconcentrés, mieux aidés dans la pluralité, et j’ai aujourd’hui de fortes craintes sur ce qui est prévu par cet article et la confusion sur les services de communication au public en ligne. Nous devons protéger la presse et les journalistes, quoi que l’on puisse en penser.

On ne règlera pas par cet article la question de la pluralité, de la qualité, de la précision demandée à la presse, au contraire ce serait contreproductif ; en revanche, tout ce qui va vers une meilleure éducation aux médias et vers la suppression des conflits d’intérêt, y compris au niveau des connivences qui existent aujourd’hui, est sur la bonne voie.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Mon fil conducteur tout au long de cette proposition de loi a été de protéger la presse, de faire en sorte qu’elle soit toujours libre. J’ai fait tous les efforts pour que les journalistes ne soient pas concernés, notamment par l’insertion du critère de mauvaise foi. Votre préoccupation n’a donc pas lieu d’être. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon. Souvenons-nous de l’émotion suscitée par le document révélé par Mediapart et repris hier dans l’émission Cash Investigation ! Il nous semble normal aujourd’hui que l’affaire soit évoquée par le service public. Plusieurs années plus tard, la question du faux ou du vrai reste cependant présente dans le débat.

Regardons ce qui s’est passé autour de la primaire et du candidat Fillon ! Quoi qu’on pense du timing choisi pour la révélation des informations, nous savons très bien que le doute introduit par ce texte, et le fait que la presse n’en soit pas exclue, créera, si ce n’est de la censure, de l’autocensure chez les médias, soit par connivence, soit parce qu’ils sont hyperconcentrés dans les mains de quelques-uns, soit parce qu’ils sont dépendants de subventions extrêmement fragiles. Protégeons-nous de cela ! Je ne vois pas comment ce texte ne donnerait pas un coup d’arrêt à la diffusion d’un document tel que celui publié par Mediapart.

M. Erwan Balanant. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous, madame Faucillon. Mediapart est un journal qui conduit un travail éditorial, qui a une certaine déontologie, sans que ce soit prendre parti sur ses opinions politiques. Dans ce qu’a subi M. Tourret, il y a une évidence : il est évident qu’il s’agit de faux, de documents trafiqués. C’est cette évidence qui fera que l’information sera retirée. S’agissant de Mediapart, certes le document a été critiqué par certains lorsqu’il est sorti mais surtout il a été très vite analysé par d’autres, et un travail journalistique a été conduit. La différence est énorme : la fausse information produite a été très déstabilisante pour M. Tourret pendant un an et aurait pu déstabiliser notre démocratie.

Nous avons en France une presse pluraliste. On peut sans doute regretter qu’elle ne le soit pas assez mais elle est pluraliste et se livre à des combats de presse. C’est ainsi que l’équilibre tient. Cette proposition de loi vise les cas évidents de montages de faux. Il ne faut pas agiter des chiffons rouges : ce texte n’est pas du tout en train de brimer la presse. Au contraire, elle lui donne une certaine légitimité.

M. Guillaume Vuilletet. On vient de dire qu’il s’agissait d’évidences. On a précisé que l’on ne s’intéressait pas aux auteurs mais au fait d’interrompre une information fausse, et on a souligné par ailleurs qu’il fallait la preuve de la mauvaise foi. Cela encadre très largement les choses.

Mme Elsa Faucillon. La presse et les journalistes sont régis à la fois par une formidable liberté, que nous devons protéger, mais également par des responsabilités. La possibilité existe déjà, si le journaliste n’a pas respecté cette liberté et ces responsabilités, de faire stopper une information. Tant mieux si vous considérez que Mediapart fait bien son travail ! D’autres le font peut-être mal, auquel cas l’arsenal juridique existe pour porter la question devant un juge. Le risque avec ce texte, c’est l’autocensure – pas de Mediapart, sans doute, mais d’autres organes de presse. En outre, le candidat pourra utiliser en permanence la procédure prévue pour jeter le doute. S’agissant du document livré par Mediapart, vous avez tort. Combien de temps a-t-il fallu, en effet, pour prouver qu’il était vrai ? On a encore vu la prestation télévisuelle de Nicolas Sarkozy expliquant, avec toute sa force médiatique, que c’était un faux. Avec seulement quarante-huit heures, le juge de l’évidence, tel que vous le nommez, aura bien des difficultés, avec la pression du pouvoir politique pesant sur lui, de prouver quoi que ce soit.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je ne pense pas que nous puissions faire d’exemption en dur, comme vous le prévoyez ici, madame Faucillon, car cela risquerait d’exclure certains médias – ou qui se disent médias – extrêmement peu scrupuleux, notamment des médias étrangers. Je préfère le critère selon lequel celui qui diffuse une information délibérément en sachant qu’elle est fausse peut être poursuivi, sachant que ce n’est même pas l’objet du texte, qui est de faire cesser la diffusion d’une fausse information par le FAI ou l’hébergeur.

La Commission rejette l’amendement.

Elle émet ensuite un avis favorable à l’adoption de l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements CL65 de M. Sébastien Huyghe et CL31 de Mme Brigitte Kuster.

M. Sébastien Huyghe. La proposition de loi prévoit une peine d’emprisonnement d’un an et 75 000 euros d’amende pour des faits de diffusion de fausses informations en période électorale. Pour des faits de même nature, la loi de 1881 prévoit actuellement une amende de 45 000 euros. Je vous propose de prévoir la même peine pour des faits identiques, à savoir un an d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Mme Brigitte Kuster. J’irai dans le sens inverse. Dans l’amendement CL30, je soulignais la disproportion manifeste de l’aggravation des peines. Dans un souci de cohérence, le présent amendement insère l’article suivant : « À la fin du premier alinéa de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, le montant : ‘45 000 euros’ est remplacé par le montant : ‘75 000 euros’. »

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Passer par l’article 27 de la loi de 1881 ne me paraît pas être le bon levier, compte tenu de la jurisprudence et de la définition des fausses nouvelles. En tout état de cause les peines sont déjà suffisamment dissuasives. Pour les personnes morales, elles sont quintuplées et le montant de l’amende passe à 225 000 euros. Avis défavorable aux deux amendements.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Article 2
Application aux élections sénatoriales

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 2 rend les dispositions introduites par l’article 1er de la proposition de loi applicables aux élections sénatoriales.

*

*     *

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 2 sans modification.

Article 3
Application à l’élection en France des représentants au Parlement européen

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 3 rend les dispositions introduites par l’article 1er de la proposition de loi applicables aux élections en France des représentants au Parlement européen.

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*     *

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 sans modification.

Après l’article 3

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL36, CL37 et CL35 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. L'idée est d'étendre aux élections des conseillers départementaux, régionaux et municipaux, les dispositions de lutte contre les fausses informations.

Cette démocratie de proximité, qui commence par l'élection des conseillers municipaux – et donc de nos maires – est un peu le poumon de notre démocratie. Toutes les élections ont une importance extrême pour la vie des citoyens et de notre démocratie dans son acception la plus large. La politique de notre pays se fait aussi à ce niveau-là.

Ces élections doivent être protégées de la même façon que les élections nationales, sachant qu'elles sont, de la même manière, sujettes à des débats sur les réseaux sociaux et sur les différentes plateformes. Le fait de diffuser une fausse information sur un candidat ou une liste a le même impact pour ces élections que pour les autres. Je ne vois pas pourquoi on ne les protégerait pas au même niveau que les élections nationales.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat très intéressant sur le périmètre des élections. Je préfère exclure les élections des conseillers départementaux, régionaux et municipaux parce que je considère que la lutte contre les fausses informations, dans ce cadre précis, doit être centrée sur les scrutins à fort enjeu, notamment à enjeu national. À de rares exceptions près, d'autres outils permettraient d'agir dans le cas des élections plus locales : la loi pour la confiance dans l'économie numérique ou le code pénal.

En outre, en multipliant les scrutins concernés, on aboutirait finalement à une application quasi permanente du dispositif, ce qui comporterait un risque eu égard à la liberté d'expression. C’est ce dernier argument qui me semble le plus fort, en tout cas c'est celui qui m'a convaincue de ne pas aller dans ce sens.

Je vous demanderais donc de retirer vos amendements.

M. Erwan Balanant. Pour ma part, je pense que les élections municipales représentent un enjeu extrêmement important pour notre démocratie. L'élection du maire détermine la vie de la commune pendant les six années suivantes.

Vous arguez que s’il était appliqué aux élections locales, départementales et régionales, le dispositif serait très souvent en vigueur. N’avez-vous pas expliqué qu’il ne nuit pas à la liberté de la presse puisqu'il est équilibré ? Nous aurions donc tout intérêt à protéger ces élections.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Ces élections représentent un enjeu important, vous avez raison. En revanche, elles n'ont pas la même ampleur que les élections nationales.

Plus on étend le dispositif, plus on est en contrariété avec la liberté d'expression. C’est pourquoi je ne souhaite pas que le dispositif soit étendu, d’autant qu’il pourrait y avoir d'autres exceptions tout aussi légitimes : les primaires, le référendum d'entreprise ou autres. À ce stade, il est cohérent d'en rester à ce qui est prévu.

M. Rémy Rebeyrotte. Comme la rapporteure, je pense qu’il ne s'agit pas de surréagir. La violence qui s’exprime dans les campagnes nationales n’est pas, heureusement, présente dans toutes les campagnes locales. Souhaitons que cette violence ne devienne pas généralisée !

Nous allons tester la formule si, comme je l’espère, le texte est adopté. Pour l'instant, le dispositif me semble équilibré ; il tient compte des particularités des élections nationales qui peuvent prendre des tournures assez violentes. Dans quelques années, nous verrons s’il est nécessaire de l’étendre. Je ne le souhaite vraiment pas parce que cela signifierait que le climat de violence s’est généralisé dans les élections locales.

M. Hervé Saulignac. Je m'interroge sur le message que l'on envoie à certains territoires : nous créons un dispositif visant à protéger notre démocratie lorsqu'il s'agit d'élections nationales ou européennes ; dans le cas des élections locales ou départementales, qui sont beaucoup moins importantes, débrouillez-vous si vous êtes victimes de fausses informations !

Pour l'avoir vécu de très près, je peux vous dire que des élections législatives peuvent donner lieu à la diffusion de fausses informations. Si elle n'est pas forcément massive puisqu’elle est circonscrite à l'échelle de la circonscription, cette diffusion peut néanmoins avoir des conséquences extrêmement graves.

Madame la rapporteure, je comprends vos difficultés à intégrer ces dispositions mais, sur le fond, je suis d'accord avec la proposition de notre collègue. Il ne faut pas oublier les scrutins locaux et il faut trouver un moyen de les préserver des fausses informations.

M. Alexis Corbière. J’aimerais souligner le caractère parfois contradictoire de vos arguments, madame la rapporteure. Si la proposition de notre collègue était retenue, cela pourrait être dangereux pour les libertés publiques, dites-vous. Avouez qu’il est préoccupant de vous entendre souligner le danger d’un dispositif que vous nous proposez pour les élections nationales.

Votre texte revient à considérer que l'élection présidentielle nécessite une législation d'exception et des systèmes de protection propres parce que c'est le lieu de concentration du pouvoir. Ce dernier constat n'est pas faux. C’est beaucoup de responsabilités confiées à un seul homme, sachant, en plus, le rapport qui peut exister entre la justice, le garde des sceaux et le Président de la République.

À vos yeux, il existe une élection importante et d'autres qui le sont moins. Or l'opinion publique se forge à partir des débats d’une législature. Votre cohérence est très Ve République : tout se joue lors d’une élection importante qui nécessite une législation d'exception. Pour ma part, je désapprouve ces dispositifs que je trouve assez dangereux.

Pour terminer, j’aimerais revenir un peu en arrière sur le fait que des journalistes pourraient être visés. Une chaîne de télévision étrangère, qui a eu une influence sur le débat public à un moment donné, a beaucoup caricaturé ce qui se passait en France et a menti : Fox News. Cette chaîne a raconté que Paris était à feu et à sang, en diffusant de fausses images. Lorsqu’il s’est rendu aux États-Unis, le Président de la République a jugé bon de donner une interview à Fox News. Faut-il que les journalistes de Fox News soient sanctionnés et mis à l'amende pour avoir participé à la diffusion de fausses informations ? Vous voyez que tout ça n'est pas très sérieux, en vérité, quand on y regarde de près.

M. Guillaume Vuilletet. Quelque chose n'est pas faux dans ce que vient de dire notre collègue Corbière : c'est très Ve République. Ça tombe bien parce que nous sommes sous la Ve République et les scrutins nationaux ont une singularité qui nous oblige à traiter ce sujet en premier.

J’ajoute que, pour des raisons de proximité, une fausse information pourra être plus facilement démentie sur le plan local que sur le plan national. À l’échelle nationale, des moyens massifs sont mis en œuvre pour diffuser de fausses informations et nous devons pouvoir réagir le plus vite possible.

Mettons en place ce dispositif qui a sans doute une limite. Nous verrons si, à l’avenir, des trolls parviennent à diffuser massivement des fausses nouvelles à l’occasion d’élections municipales. Pour le moment, ce n'est pas le cas.

M. Erwan Balanant. Vos arguments sont légitimes mais on ne peut pas laisser penser qu’un scrutin local ne peut pas donner lieu à la diffusion d’une fausse information. Non seulement le cas peut se produire mais, en plus, une fausse information peut être plus difficile à étouffer localement que sur le plan national.

Vous avez peut-être raison de vouloir procéder par étapes. Cependant, au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, je demande que cette question soit posée et que nous puissions évaluer le dispositif. Nous allons voir comment les choses se déroulent lors des prochaines échéances locales, alors que les médias et les réseaux sociaux se seront encore développés. Le cas échéant, nous demanderons une révision du dispositif.

Cela dit, je ne retire pas mes amendements.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Monsieur Corbière, je vous rassure, il n'y a aucune contradiction dans ce que j'essaie de vous expliquer. C’est même assez simple : quand vous avez plusieurs intérêts – parfois contradictoires – en balance, il faut trouver un équilibre. En l’occurrence, vous avez, d'une part, la liberté d'expression, et, d’autre part, le droit de chaque électeur à disposer d’une information claire et transparente. Nous examinons chacune des mesures que nous proposons en fonction de ces deux intérêts.

Nous avons rencontré ce problème de diffusion de fausses informations lors de scrutins d’une ampleur nationale : les élections présidentielles et les référendums. Ce texte est une première étape. Je ne dis pas que les élections locales sont moins importantes, je dis qu’elles ont moins d’ampleur. À l’avenir, si la diffusion massive de fausses informations risquait d’altérer la sincérité du scrutin lors d’élections locales, le législateur pourrait se pencher à nouveau sur la question. À ce stade, je considère que ce serait complètement inutile et que cela porterait atteinte à la liberté d'expression parce que ce n'est pas justifié.

Monsieur Saulignac, vous parlez du message qui serait adressé à nos communes. Tout est question de pédagogie. Il suffit d'expliquer ce que l'on fait. Vous avez plaidé pour que les journalistes et la liberté d'expression soient mieux protégés. Vous ne devriez donc pas être favorable à ce type d'amendement, à moins d'être en totale contradiction avec vos argumentaires précédents.

La Commission rejette successivement les amendements CL36, CL37 et CL35.

Article additionnel après l’article 3
Application aux opérations référendaires

Résumé du dispositif et effets principaux :

Introduit à l’initiative de la rapporteure, l’article 3 bis rend les dispositions prévues par l’article 1er de la proposition de loi applicables aux opérations référendaires. Il complète à cette fin les dispositions introduites en 2015 ([26]) aux articles L. 558-44 et suivants du code électoral, qui régissent désormais les référendums.

*

*     *

La Commission en vient à l’amendement CL89 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Je vous propose de corriger une erreur matérielle et de rendre ce texte applicable aux opérations référendaires. Mon amendement complète donc les dispositions introduites en 2015 dans le code électoral.

La Commission adopte l'amendement.

TITRE III
DISPOSITIONS MODIFIANT LA LOI DU 21 JUIN 2004
POUR LA CONFIANCE DANS L’ECONOMIE NUMERIQUE

Article 9
(
art. 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.)
Renforcement des obligations de coopération imposées aux intermédiaires techniques

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article élargit le devoir de coopération incombant aux services de communication en ligne prévu par le 7 du I de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 visant à lutter contre les infractions dites « odieuses » telles que la diffusion de contenus pédopornographiques, l’incitation à la haine raciale ou l’apologie de crimes contre l’humanité.

Il intègre la lutte contre les fausses informations dans le périmètre du devoir de coopération. Celui-ci se décline en trois obligations complémentaires ([27]) imposées aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet :

– mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant aux internautes de porter à leur connaissance des contenus constitutifs de fausses informations ;

– informer les autorités publiques compétentes des signalements des contenus constitutifs de fausses informations effectués par les internautes ;

– rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre les fausses informations.

Modifications proposées par la commission des Lois :

La Commission a adopté plusieurs amendements de votre rapporteure. Elle a :

– supprimé l’obligation incombant aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet de transmettre aux autorités compétentes les contenus signalés comme étant des fausses informations ;

– institué la désignation d’un représentant légal au sein des opérateurs de plateforme, exerçant les fonctions de référent en matière de lutte contre les activités illicites sur Internet ;

– incité les opérateurs de plateformes à promouvoir les contenus d’informations produits par les entreprises de presse, par l’intermédiaire de chartes ou d’accords de partenariat.

I.   LE DROIT EXISTANT

Transposant la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique ([28]), la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite LCEN, établit le principe d’un devoir de coopération des prestataires techniques avec les autorités compétentes dans la lutte contre les activités illicites sur Internet. Ainsi, le 7 du I de l’article 6 de la LCEN identifie les personnes concernées (A), précise le champ d’application du devoir de coopération (B) et les obligations qui en découlent (C), ainsi que le régime de responsabilité applicable (D).

A.   l’identification des personnes concernées : LES Hébergeurs et les fournisseurs d’accès À internet

Le I de l’article 6 de la LCEN détermine les catégories de personnes concernées par le devoir de coopération. Deux catégories de prestataires techniques sont ainsi visées : d’une part, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) définis au 1 du I de l’article 6 comme « les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication du public en ligne […] » et, d’autre part, les hébergeurs de contenus, définis au 2 du même I comme « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services […] » ([29]) .

Les FAI n’exercent qu’une fonction technique consistant à mettre en relation le public avec les services de communication en ligne. Les hébergeurs exercent eux aussi une fonction technique en tant que prestataires passifs stockant des données sans participer à l’élaboration de celles-ci, contrairement aux éditeurs définis par le III de l’article 6 comme « les personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne » qui sont donc assimilés à des créateurs actifs de contenus.

Ainsi, le devoir de coopération concerne spécifiquement les FAI et les hébergeurs caractérisés par un rôle passif dans le traitement des contenus mis en ligne. Si la catégorie des FAI regroupe un nombre limité d’entreprises ([30]) dûment identifiées, la catégorie des hébergeurs présente une dimension plus hétérogène. L’apparition de nouveaux acteurs depuis la fin des années 2000 tels les réseaux sociaux a suscité la création d’une catégorie ad hoc correspondant aux « opérateurs de plateformes en ligne » qui représentent, selon l’article L. 111-7 du code de la consommation tel que modifié par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

  Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

  Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».

Si cette nouvelle catégorie se superpose à la distinction classique ([31]) entre hébergeurs et éditeurs, les opérateurs de plateformes en ligne peuvent aussi bien se rattacher à la catégorie des hébergeurs (comme Facebook ([32]) ou Twitter ([33])) qu’à la catégorie des éditeurs (comme eBay ou Priceminister), selon le degré de contrôle dont ils disposent sur les contenus mis en ligne.

B.   le champ d’application du devoir de coopération : la lutte contre les contenus dits « odieux »

Le devoir de coopération incombant aux FAI et aux hébergeurs relève de l’intérêt général afférent à la lutte contre les contenus dits « odieux » présentant un caractère manifestement illicite. Sont ainsi visés, selon la rédaction originelle du troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la LCEN, les infractions particulièrement graves que constituent « l’apologie des crimes contre l’humanité ([34]), l’incitation à la haine raciale ([35]) ainsi que la pornographie enfantine ([36]) ».

Le périmètre du devoir de coopération est circonscrit à des infractions portant de façon incontestable une atteinte au principe de dignité de la personne humaine. Dans cette perspective, la lutte contre les contenus dits « odieux » s’est progressivement étendue à d’autres infractions :

– la loi n° 2007-297 du 7 mars 2007 et la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 ont ajouté la « diffusion de messages violents, pornographiques ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter les mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger » ([37]) ;

– la loi n° 2010-769 du 6 juillet 2010 a ajouté « l’incitation aux violences faites aux femmes » ([38]) ;

– la loi n° 2014-853 du 4 août 2014 a ajouté « l’incitation à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap » ([39]) ;

– la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 a ajouté « la provocation à la commission d’actes de terrorisme et leur apologie » ([40]).

Le législateur a donc considérablement étendu l’acception initiale des contenus dits « odieux » en intégrant en leur sein de nouvelles infractions. Celles-ci demeurent caractérisées par une dimension grave et manifeste s’inscrivant désormais dans le champ d’application du devoir de coopération incombant aux hébergeurs et FAI en vertu de l’intérêt général attaché à la lutte contre ces activités illicites.

C.   LE CONTENU DES OBLIGATIONS : LES DISPOSITIFS DE SIGNALEMENT, d’information ET DE TRANSPARENCE des moyens

Le devoir de coopération imposé aux FAI et hébergeurs prévoit trois obligations consacrées par le quatrième alinéa du 7 du I de l'article 6 de la LCEN.

La première obligation consiste à permettre l'exercice par les internautes d'un signalement des contenus illicites par la mise en place « d'un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données ». Concrètement, ces dispositifs prennent la forme d'onglets sur lesquels les internautes peuvent cliquer afin d'identifier les contenus précités.

Les deux autres obligations ont pour objet, d'une part, « d'informer promptement les autorités compétentes de toutes activités illicites mentionnées à l'alinéa précédent qui leur seraient signalées et qu'exerceraient les destinataires de leurs services » et, d'autre part, « de rendre publics les moyens qu'elles consacrent [les FAI et hébergeurs] à la lutte contre ces activités illicites ».

Ces deux dernières obligations correspondent à un objectif de reddition des comptes à la charge des FAI et hébergeurs. Ils doivent ainsi relayer les signalements transmis par les internautes aux autorités compétentes, celles-ci prenant appui sur la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement, d'orientation et signalement (PHAROS) intégrée à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la Communication (OCLCTIC). Cette obligation découle de l'article 15, paragraphe 2, de la directive 2000/31/CE qui prévoit que : « les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l'information, l'obligation d'informer promptement les autorités publiques compétentes d'activités illicites alléguées qu'exerceraient les destinataires de leurs services ou d'informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d'identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d'hébergement ».

À des fins de transparence plus générale, les FAI et hébergeurs doivent attester des efforts qu'ils engagent en publiant les moyens qu'ils consacrent à la lutte contre les contenus illicites sur Internet. Cette dernière obligation suppose de rendre compte des dispositifs de signalement et de transmission qu'ils mettent en œuvre eu égard aux deux premières obligations précitées.

Le devoir de coopération visé par le I de l'article 6 de la LCEN n'impose pas une obligation générale de surveillance comme le rappelle le premier alinéa : « Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ». La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne confirme par ailleurs l'absence de toute obligation générale de surveillance ou de filtrage a priori des informations stockées par les FAI et hébergeurs ([41]).

D.   un régime de responsabilité strictement encadré

Conformément au dernier alinéa du 7 du I de l’article 6 de la LCEN, en cas de non-respect des obligations afférentes au devoir de coopération, les FAI et hébergeurs encourent une peine d'un an emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ([42]), les personnes morales pouvant être déclarées pénalement responsables en application de l'article 121-2 du code pénal. Elles encourent alors une amende du quintuple selon l’article 131-38 du code pénal.

En outre, l’engagement de la responsabilité civile et pénale des hébergeurs à raison des contenus stockés par leurs services répond à des conditions particulièrement strictes : les 2 et 3 du même I prévoient que les hébergeurs peuvent voir leur responsabilité engagée dans les seules hypothèses où, ayant connaissance de l’existence de contenus illicites, ils n’auraient pas agi promptement afin de retirer ou bloquer l’accès à ces données. Les peines encourues sont identiques à celles précitées.

Dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004 sur la LCEN, le Conseil constitutionnel a confirmé l’irresponsabilité de principe des hébergeurs en formulant une réserve d’interprétation soulignant que « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge » ([43]) .

En outre, la Cour de cassation a précisé que les hébergeurs ou FAI ne sauraient se voir imposer une obligation de mettre en place un dispositif de blocage permanent de contenus illicites afin d’empêcher que ces derniers ne réapparaissent, même en l’absence de nouveaux signalements. Une telle obligation revêtirait un caractère « disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi » ([44]). Ce jugement confirme l’absence de tout devoir de surveillance générale incombant aux prestataires techniques.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a elle aussi fortement encadré les modalités d’engagement de la responsabilité des hébergeurs à raison des contenus qu’ils stockent. Dans son arrêt Delfi c/ Estonie du 16 juin 2015 ([45]), la CEDH a fixé trois conditions cumulatives : le rôle actif de l’hébergeur quant au contenu publié, le caractère manifestement illicite de celui-ci et l’absence de toute mesure mise en place par l’hébergeur permettant d’effectuer un signalement efficace.

II.   la réforme proposée

Le présent article prévoit l’extension du devoir de coopération des FAI et des hébergeurs à la lutte contre les fausses informations (A) sur le modèle du dispositif existant au quatrième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la LCEN (B).

A.   L’extension du devoir de coopération à la lutte contre les fausses informations

Les alinéas 2 et 3 insèrent un 7 bis au sein du I de l’article 6 de la LCEN relatif à la lutte contre les fausses informations au titre du devoir de coopération des FAI et hébergeurs. Le périmètre du devoir de coopération s’élargit : parallèlement aux infractions graves dont relèvent les contenus dits « odieux », les fausses informations sont donc élevées au rang de contenus illicites justifiant l’action des FAI et hébergeurs à leur encontre.

De nature sensiblement différente, les fausses informations n’en constituent pas moins des contenus nuisibles contre lesquels l’intérêt général ([46]) peut être invoqué à l’appui de dispositifs visant à lutter contre leur dissémination.

Contrairement à l’article 1er de la présente proposition de loi qui crée des obligations de transparence renforcées à la charge des opérateurs de plateformes et une nouvelle voie de référé circonscrites aux périodes électorales, l’élargissement du devoir de coopération prévu par le présent article s’inscrit dans un cadre permanent identique à celui régissant déjà la lutte contre les contenus dits « odieux » conformément au 7 du même I.

 Les obligations et le régime de responsabilité applicables sont en revanche calqués sur les dispositifs encadrant la lutte contre les contenus dits « odieux ».

B.   un régime d’obligations et de responsabilité similaire À celui relatif À la lutte contre les contenus dits « odieux »

Les trois obligations incombant aux FAI et hébergeurs au titre du devoir de coopération contre les contenus dits « odieux » sont reprises in extenso par le nouvel article 7 bis :

– mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant aux internautes de porter à leur connaissance des contenus constitutifs de fausses informations ;

– informer les autorités publiques compétentes des signalements de contenus constitutifs de fausses informations opérés par les internautes ;

– rendre publics les moyens qu’ils consacrent à la lutte contre les fausses informations.

Les « autorités publiques compétentes » mentionnées dans le nouvel article 7 bis correspondent à la formule générique utilisée pour les contenus dits « odieux ». De façon générale, elle renvoie aux services du ministère public et de la police judiciaire en l’absence d’organe dûment identifié à l’instar de la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement, d'orientation et signalement (PHAROS) intégrée à l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) et compétente pour traiter des signalements relatifs aux contenus dits « odieux ».

En cas de manquement à leurs obligations, les hébergeurs et FAI encourent une peine d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, cette somme étant quintuplée pour les personnes morales. Les peines encourues sont identiques à celles sanctionnant la méconnaissance des mêmes obligations découlant du devoir de coopération en matière de lutte contre les contenus dits « odieux ».

L’extension du devoir de coopération à la lutte contre les fausses informations n’a pas pour finalité de faciliter la mise en cause de la responsabilité des hébergeurs et FAI à raison des contenus qu’ils stockent ou dont ils assurent l’accès. La jurisprudence constitutionnelle et européenne précédemment évoquée consacre en effet le « caractère manifestement illicite » des contenus parmi les critères susceptibles d’engager la responsabilité des FAI et hébergeurs. L’articulation du caractère manifeste avec la notion même de fausses informations rend délicate la mise en cause de la responsabilité des prestataires techniques, sauf si le blocage ou la suppression du contenu a été ordonné par voie judiciaire.

Les obligations incombant aux FAI et hébergeurs au titre du devoir de coopération ne font l’objet d’aucune compensation financière eu égard au coût que représentent les mesures qu’ils doivent mettre en œuvre. Seul l’article 6-1 de la LCEN relatif à la lutte contre l’apologie du terrorisme et à la pédopornographie prévoit une compensation financière des surcoûts résultant des obligations de retrait de contenus notifiés par l’autorité administrative aux prestataires techniques ([47]).

En l’absence de toute obligation de surveillance générale ainsi qu’il est précisé au premier alinéa du I de l’article 6 de la LCEN et confirmé par la jurisprudence européenne précitée, l’extension du devoir de coopération à la lutte contre les fausses informations ne semble pas devoir porter une atteinte excessive à la libre prestation de services et à liberté du commerce et de l’industrie.

III.   La position de la Commission des Lois

Saisie pour avis de l’examen du titre III, la commission a adopté trois amendements de votre rapporteure.

Un premier amendement supprime l’obligation incombant aux hébergeurs et FAI de transmettre aux autorités compétentes les contenus qui leur seraient signalés comme étant des fausses informations.

Dans le cadre du devoir de coopération prévu par le 7 du I de l’article 6 de la LCEN, les hébergeurs et FAI doivent informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites en ligne dont ils auraient la connaissance, telles que la pédopornographie, l’apologie du terrorisme ou l’incitation à la haine catégorisées comme des infractions dites « odieuses ».

L’extension de cette obligation aux fausses informations n’apparaît pas judicieuse. En effet, les fausses informations ne revêtent pas nécessairement un caractère manifeste, ce qui complexifie la décision de transmettre ou non les signalements opérés par les internautes aux autorités. En outre, le volume des contenus signalés comme étant des fausses informations pourrait être très élevé au point de saturer les canaux d’échange entre les FAI, les hébergeurs et les autorités. Celles-ci seraient dans l’incapacité de traiter efficacement les contenus qui leur seraient transmis, ce qui compromettrait en conséquence la lutte actuellement menée contre les contenus dits « odieux ».

La commission des Lois a adopté deux amendements identiques de sa rapporteure et du groupe LaREM instituant la désignation par les opérateurs de plateforme d’un représentant légal en leur sein, chargé d’une fonction de référent en matière de lutte contre les contenus illicites.

Cette disposition tend à améliorer la coopération entre les opérateurs de plateforme et les autorités compétentes dans la lutte contre les contenus illicites sur Internet. L’existence d’un interlocuteur dûment identifié au sein des opérateurs de plateforme permettra aux autorités de renforcer les relations qu’elles entretiennent avec ces entreprises dont le siège social est souvent situé à l’étranger.

La commission des Lois a également adopté un amendement visant à encourager les opérateurs de plateforme à mettre en avant les contenus d’information produits par des entreprises de presse. Cet engagement pourrait se concrétiser sous la forme de chartes ou d’accords de partenariats avec des organisations représentatives de journalistes, des éditeurs de presse ou des services de communication audiovisuelle.

L’objectif est de promouvoir le traitement journalistique de l’information sur les réseaux sociaux, qui constituent aujourd’hui des acteurs essentiels de la diffusion de l’information sur Internet.

*

*     *

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL28 de M. Hervé Saulignac et CL94 de la rapporteure.

M. Hervé Saulignac. Nous sommes évidemment tout à fait favorables à l'obligation de rendre publics les moyens que les plateformes et les fournisseurs d'accès consacrent à la lutte contre la diffusion de fausses informations. En revanche, il nous semble que cela présente un risque de les obliger à informer promptement les autorités publiques compétentes de toute activité de diffusion de ces fausses informations qui leur seraient signalée. Pour se mettre à l'abri de poursuites, ces plateformes pourraient pratiquer une forme d'autocensure. Le fait de vouloir les responsabiliser pourrait conduire à limiter la liberté d'opinion et d'expression. Pour se protéger, les plateformes pourraient faire un usage excessif de la dénonciation de sites qui divulgueraient de fausses informations. Nous devons nous prémunir de ce risque.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’obligation de transmission des contenus signalés comme étant de fausses informations aux autorités ne me paraît pas judicieuse. Si les contenus dits odieux – la pédopornographie, l'apologie du terrorisme – peuvent être ciblés facilement, le caractère manifeste des fausses informations, lui, n'est pas nécessairement établi. Cela complexifierait la décision de transmettre ou non ces contenus aux autorités compétentes.

En outre, le volume des contenus qui seraient signalés au titre de la fausse information risquerait de saturer les canaux de transmission entre les hébergeurs, les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et les autorités. Ainsi, les autorités ne pourraient pas effectuer un traitement efficace des contenus, ce qui pourrait fragiliser le traitement des contenus dits odieux.

C’est pourquoi mon amendement CL94 propose de supprimer l'obligation de transmission des contenus signalés comme fausses informations aux autorités.

Je suis défavorable à l’amendement CL28. La mise en place par les hébergeurs et les FAI d'un dispositif de signalement des fausses informations facilitera la détection de ces contenus par leurs utilisateurs. Alertés par les internautes, les hébergeurs et les FAI pourront avoir une vue d'ensemble des stratégies de diffusion de fausses informations, grâce aux contenus signalés comme tels qui seraient portés à leur connaissance à l'aide de dispositifs de signalement visibles et facilement accessibles. Il s'agit donc d'un outil utile à la lutte globale contre la diffusion de fausses informations sur internet.

La Commission rejette l'amendement CL28.

Elle adopte l’amendement CL94.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL92 de la rapporteure et CL62 de M. Guillaume Vuilletet.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Le devoir de coopération entre les hébergeurs, les FAI et les autorités souffre de l'absence d'un interlocuteur qui soit dûment identifié au sein des plateformes.

Je vous propose donc de prévoir la désignation d'un représentant légal des plateformes, qui exercera les fonctions de référent contre les activités illicites en ligne. Quand on s'adresse aux plateformes, soit on nous raccroche au nez, soit on nous renvoie vers une entreprise basée dans un pays lointain, tels le Liechtenstein ou les États-Unis. Pour la coopération comme pour le contentieux, il est nécessaire d'avoir un interlocuteur identifié. Cela permettra de rendre plus fluides les poursuites judiciaires mais aussi les relations avec les plateformes.

M. Guillaume Vuilletet. Cet amendement répond à une demande constante des personnes que nous avions entendues lors des auditions que j’avais menées avec Paula Forteza dans le cadre de la préparation du texte sur les données personnelles. Au sein d’internet, il y a un problème général d'identification. Vers qui peut-on se tourner quand on a une question à poser ou une contestation à faire ?

Mme George Pau-Langevin. C'est une proposition très positive parce que toutes les associations réclament la possibilité d’avoir un interlocuteur.

La Commission adopte ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL96 de la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Cet amendement concerne la mise en place de chartes de bonnes pratiques et de partenariats avec les plateformes. Je vous propose d'intégrer cette notion dans l'article 9 sur l'obligation de coopération.

La Commission adopte l'amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL61 de M. Guillaume Vuilletet.

M. Guillaume Vuilletet. Cet amendement soulève un débat qui rappelle un peu celui que nous avons déjà eu sur la manière de garantir la transparence, même en dehors des périodes électorales.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. Nous sommes saisis pour avis sur cet article 9. La commission des affaires culturelles et de l'éducation, qui se penche sur cet article la semaine prochaine, est susceptible d’en réécrire certaines dispositions. C’est pourquoi je vous demande de retirer cet amendement dans l'attente de la nouvelle rédaction de l'article 9.

L'amendement est retiré.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 9 modifié.

Après l’article 9

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL34 et CL33 de Mme Paula Forteza.

Mme Paula Forteza. Ces amendements traitent de l'impact que les algorithmes de recommandations ou de référencement peuvent avoir sur la diffusion de fausses nouvelles. À mon avis, ce sujet n'est pas assez traité dans le dispositif proposé.

Nous savons que nous ne pouvons pas aller jusqu'à demander la transparence absolue des algorithmes, en raison du secret des affaires. Néanmoins, nous pouvons peut-être avancer vers la publication des statistiques agrégées des résultats de ces algorithmes afin de comprendre les biais qu’ils peuvent induire dans le classement de l’information. En cherchant à promouvoir un certain type de contenu qui attire le plus d'attention, ne sont-ils pas conduits à mettre en avant des contenus de mauvaise qualité, non vérifiés, plus polémiques, plus contestables ? Ces données permettraient à des associations, à des gens de la société civile, à des chercheurs d'étudier et d'objectiver un peu ce débat.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure. L’amendement est effectivement intéressant car la question de la transparence des algorithmes se pose de plus en plus. Cependant, je vais vous faire la même réponse qu’à M. Vuilletet. Dans l'attente de la nouvelle rédaction de l'article 9, je vous propose de retirer votre amendement et de voir comment il pourrait s'intégrer dans la nouvelle rédaction, en vue de la séance publique.

M. Alexis Corbière. Je ne peux pas voter mais je suis d’accord avec Paula Forteza. La publication des algorithmes pourrait mettre en appétit : c’est là que se situe véritablement le matraquage de l'opinion publique. Nous devons combattre les algorithmes. En attendant de légiférer, il serait intéressant qu’ils soient publiés pour que nous puissions voir exactement comment se forge l'opinion. Actuellement, les sites numériques de certains grands hebdomadaires sont mis entre les mains de sociétés privées qui n'ont plus rien à voir avec les hebdomadaires en question et qui travaillent sur la base d'algorithmes de manière à faire monter des articles. Si vous discutez avec des rédacteurs en chef, ils vous diront que ce n’est pas la même rédaction qui fabrique le journal papier vendu en kiosque et le site qui porte le même nom. Ce sont des algorithmes qui fabriquent l’information, qui découpent des articles et qui en font monter certains plutôt que d’autres. C’est un sujet majeur du point de vue de l’information.

Mme Elsa Faucillon. Pour aller dans le même sens, je pense que la connaissance de ces mécanismes devrait faire partie de l'éducation aux médias. Dans un système, il y a toujours du bruit. Comme ce n’est pas possible d’enlever ce bruit, il faut savoir l’analyser avec un esprit critique. Dans l’éducation aux médias, il faut donc inclure la connaissance de ces algorithmes pour s’en prémunir mais aussi pour analyser.

M. Erwan Balanant. J’abonde aussi dans ce sens. Dans le parcours scolaire d'un jeune, le travail d'analyse de la presse est quasiment inexistant. Dans un journal papier, l’information est éditorialisée, la mise en page des articles a un sens et elle donne une structure de pensée. Nos enfants doivent apprendre à lire les articles publiés sur un réseau social. D’où vient cet article ? Qui l’a publié ? Comment l’analyser ? La photo est-elle légendée ? À la naissance de l'imprimerie, on a appris aux gens à lire. À présent, nous devons apprendre à nos enfants à utiliser les réseaux sociaux.

M. Guillaume Vuilletet. Je n’ose vous parler de la terre plate. Après avoir découvert l’existence d’une convention sur le sujet, je m’étais amusé à consulter son site. Pendant les quinze jours suivants, j’ai été bombardé d’informations sur la terre plate, qui semblaient toutes légitimes.

Il faut non seulement savoir analyser l’information proposée, mais aussi comprendre que sa concentration n’est plus anodine en raison du rôle que jouent des algorithmes. Ils peuvent faire l’opinion. Un sujet auquel on s’est intéressé plus ou moins volontairement peut soudain apparaître important sous l’effet des algorithmes.

M. Rémy Rebeyrotte. Dans ce domaine, ce qui compte c'est le couple éducation-pluralisme des médias. En l’absence d’un pluralisme des médias, il est quand même très difficile de faire une véritable éducation de la jeunesse. Vous pourrez toujours démonter des algorithmes et analyser la relation à l'image mais l’opinion se forge en confrontant des analyses et des points de vue différents sur un même événement.

Ce texte est absolument essentiel pour lutter très rapidement contre les fausses informations diffusées à mauvais escient et dans une logique de manipulation. Cela étant, nous n'échapperons pas à une réflexion plus large, comme l’a souligné le président de la commission des affaires culturelles hier, sur la diversité de l'information et sur un autocontrôle de la profession par l’instauration d’une sorte de comité en matière de déontologie sur ces questions-là.

C’est une première étape mais nous devrons sans doute aller plus loin car ces questions deviennent de plus en plus importantes et centrales. La capacité de matraquer à partir des algorithmes – et donc de manipuler l'opinion – est une question centrale pour nos sociétés.

Mme Catherine Kamowski. Nul doute qu'il faille insister sur l'éducation à la lecture pluraliste des informations, quel que soit le type de support. J’aimerais tout de même préciser que cela existe déjà. Nous avons ici un professeur d'histoire qui pourra confirmer que, pour la préparation des épreuves du bac, il est demandé à l’élève de travailler sur des dossiers en prenant différentes sources. C'est aussi le cas en français. Dans le cadre de leur liberté pédagogique, nombre de professeurs de langue font aussi ce genre de travail. Il faut sans doute en faire plus et codifier davantage les pratiques, mais cette éducation à la lecture pluraliste des informations existe déjà.

Mme Paula Forteza. Je vais continuer à travailler sur ce sujet consensuel en vue de la séance. Pour l'instant, je retire mes amendements pour pouvoir coordonner cette proposition avec les travaux de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

Les amendements CL34 et CL33 sont retirés.

TITRE IV
DISPOSITIONS relatives à l’outre-mer

Article 10
Application en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française
et dans les îles Wallis et Futuna

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article prévoit l’application des nouvelles dispositions introduites par la proposition de loi dans trois collectivités d’outre-mer pour lesquelles une telle précision est nécessaire : la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les îles Wallis et Futuna.

Il aménage également les dispositions relatives à ces trois collectivités contenues dans la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Conformément au principe de spécialité législative, en vertu duquel les lois et règlements ne sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna que sur mention expresse ([48]), le présent article étend à ces territoires :

– les modifications introduites par les articles 1 à 3 de la proposition de loi au code électoral afférentes aux élections législatives ([49]) et sénatoriales ([50]) ainsi qu’à la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 applicable à l’élection des représentants au Parlement européen portant création, d’une part, de l’article L. 163-1 relatif à l’instauration d’obligations de transparence des relations commerciales qu’entretiennent les opérateurs de plateforme en ligne et, d’autre part, de l’article L. 163-2 ouvrant une nouvelle voie de référé devant le tribunal de grande instance de Paris afin de faire cesser la diffusion artificielle et massive de fausses informations ;

– les modifications apportées par les articles 4 à 8 de la proposition de loi à la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication attribuant de nouvelles compétences au Conseil supérieur de l’audiovisuel afin d’empêcher, suspendre ou mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participant à une entreprise de déstabilisation de ses institutions ;

– les modifications apportées par l’article 9 de la proposition de loi à la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ([51]) visant à inclure la lutte contre les fausses informations au titre des obligations de coopération imposées aux intermédiaires techniques.

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La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL93 de la rapporteure.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 10 modifié.

Elle émet, enfin, un avis favorable à l’adoption de l’ensemble des dispositions dont elle est saisie, modifiées.

 


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   PERSONNES ENTENDUES ou consultées par la rapporteure

     Mme Anne-Marie Sauteraud, présidente de la chambre 2-7 de la Cour d’appel de Paris

     Mme Ilana Soskin, Avocate, responsable de la Licranet

     M. Jean-Luc Chetrit, directeur général 

     Mme Hanaé Bisquert, responsable des affaires publiques et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

     M. Loïc Lebrun, membre du bureau, président d’APM International 

     Mme Karen Autret, directrice

     M. Pierre-Yves Beaudouin, président.

     M. Louis-Marie Horeau, rédacteur en chef

     M. Loïc Rivière, délégué général 

     M. Jordan Wisniewski, chargé de mission affaires publiques

 

Table ronde Fournisseurs d’accès

     M. Anthony Colombani, directeur des affaires publiques

      M. Olivier Riffard, directeur des affaires publiques

     Mme Claire Chalvidant, directrice des relations institutionnelles

      M. Thomas Puijalon, responsable des affaires publiques

 

Table ronde Syndicats de presse

     M. Laurent Calixte, vice-président CGC-Journalistes 

     M. Patrick Lepesant, trésorier fédéral, juriste fédéral

      Mme Dominique Pradalié, journaliste, secrétaire générale 

      M. Antoine Chuzeville, journaliste 

      Mme Céline Bruel, journaliste

 

Table ronde de journalistes français

     M. Paul Coppin, responsable du service juridique 

     Mme Laura Joly, assistante

     M. Fabrice Arfi, journaliste

 

Table ronde Syndicats de presse

     Mme Maud Grillard, directrice 

     Mme Haude d’Harcourt, conseillère relations avec les pouvoirs publics

 

     M. Denis Bouchez, directeur 

     M. Samir Ouachtati, responsable des affaires juridiques et sociales

 

Table ronde Plateformes

     M. Anton Maria Battesti ,responsable affaires publiques 

     Mme Clotilde Briend, policy manager

     Mme Sarah Yanicostas, policy manager

     Mme Audrey Herblin-Stoop, directrice des affaires publiques

     M. Benoît Tabaka, directeur des relations institutionnelles

 

Table ronde Juridictions

     M. Jean-Michel Hayat, président du TGI de Paris 

     M. Thomas Rondeau, vice-président de la 17ème chambre correctionnelle 

     Mme Françoise Kamara, conseiller doyen de la première chambre civile de la cour de Cassation 

     M. Yves Badorc, procureur de la République adjoint 

     Mme Annabelle Philippe, cheffe de la section presse et libertés

 

Table ronde Avocats

     Me Delphine Meillet 

     Me Emmanuel Pierrat 

     Me Christophe Bigot

     Me Christian Charrière Bournazel 

     Me Jean Yves Dupeux

 

 


([1]) La procédure de la délégation, peu courante, permet de tenir compte de la nature « transversale » de certains textes et de respecter les compétences des uns et des autres sans recourir à une commission spéciale. Elle a déjà été employée, à l’Assemblée nationale, pour le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, sous la XIIIème législature, ainsi que pour le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière et pour le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, sous la XIVème législature.

([2]) Le titre II regroupe des articles modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

([3]) Avis du Conseil d’État nos 394641 et 394642 sur les propositions de loi relatives à la lutte contre les fausses informations http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion0772-ace.pdf

([4]) La sénatrice Nathalie Goulet a ainsi déposé le 22 mars 2017 une proposition de loi « visant à définir et sanctionner les fausses nouvelles », mais celle-ci n’a pas été inscrite à l’ordre du jour.

([5]) La communication de la Commission européenne s’appuie sur le rapport du groupe d’experts de haut niveau remis le 12 mars 2018 à Mme Mariya Gabriel, commissaire pour l’économie et la société numériques.

([6]) Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

([7]) Se reporter au rapport de M. Bruno Studer, rapporteur au nom de la commission des Affaires culturelles (en attente de publication).

([8]) Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard).

([9]) Ces chapitres ont été rendus applicables aux services de communication au public en ligne par l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

([10]) Voir L’application de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 : le délit de fausses nouvelles, T. Massis, D. 2000.406.

([11]) Pour un exemple : Crim, 15.12.1977, Dr. Pén. 1979, p. 328.

([12]) Voir Crim, 20.02.1990, n° 89-80.487.

([13]) En temps normal, même en référé-diffamation, le juge doit respecter le délai de dix jours que l’article 55 de la loi de 1881 ménage aux parties défenderesses pour apporter la preuve de la vérité des faits.

([14]) Ces infractions constituant des délits politiques, la contrainte par corps et le sursis avec mise à l’épreuve ne s’appliquent pas en la matière. Par ailleurs, tout électeur inscrit sur la liste électorale, tenant de l’article L. 25 du code électoral le droit de réclamer l’inscription ou la radiation d’un électeur, a le droit de poursuivre, en se constituant partie civile, les crimes et délits commis à l’occasion des élections se déroulant dans son collège électoral (Crim., 10 mars 1987, Bull. crim., n° 116, p. 327).

([15]) Toutefois, conformément aux dispositions de l’avant-dernier alinéa de l'article L. 52-8 du code électoral, les candidats peuvent recourir à la publicité par voie de presse pour solliciter les dons autorisés par ce même article, cette publicité ne pouvant contenir d'autres mentions que celles propres à permettre le versement des dons.

([16]) Tout candidat qui aura bénéficié, sur sa demande ou avec son accord exprès, d'affichage ou de publicité commerciale ne respectant pas les dispositions des articles L. 51 et L. 52-1 sera puni d'une amende de 15 000 euros et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement (1° du II de l’article L. 113-1).

([17]) L’expression « fausses nouvelles » présente un aspect plus restrictif que « fausses informations » eu égard au caractère inédit afférent au terme « nouvelle ».

([18]) Cass crim, 19.02.1987, Bull. crim. n° 85.

([19]) Pour un exemple de condamnation sur le fondement de cet article (le candidat élu avait sciemment propagé une fausse nouvelle) : TGI de Nancy, 3 juillet 1996, n° 3266-96.

([20]) Voir pour un exemple : TGI Paris, ord. référé, 10.02.2012, Claude Guéant c/ Free, n° 12/51224.

([21]) Voir l’ordonnance du TGI de Paris (04.04.2013, H&M c/ YouTube et Google, RLDI juillet 2013, n° 3153).

([22])  Cass 1ère Civ, 19.06.2008, Aaargh, n° 07-12.244.

([23]) Avis du Conseil d’État du 19 avril 2018, nos 394641-394642.

([24]) Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984.

([25]) De telles informations, qui s’avèreraient nécessairement dépourvues de toute base factuelle, ne peuvent prétendre à une protection équivalente à celle dont bénéficient, en principe, les propos tenus dans le cadre d’un débat d’intérêt général (v. en ce sens CEDH, 23 avril 2015, Morice c/ France, n° 29369/10).

([26]) Par l’article 5 de la loi n° 2013-1116 du 6 décembre 2013 portant application de l'article 11 de la Constitution.

([27])  Contrairement aux dispositions prévues par le titre 1er de la proposition de loi, les obligations visées à l’article 9 revêtent une dimension générale, n’étant pas circonscrites aux périodes électorales relatives aux élections présidentielles, législatives, sénatoriales et européennes.

([28]) Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

([29]) Cet article assure la transposition de l’article 14 de la directive 2000/31/CE.

([30]) Les principaux FAI en France sont Orange, SFR, Bouygues Télécom et Free.

([31]) La Cour de justice de l’Union européenne opère une distinction entre hébergeurs et éditeurs selon le rôle automatique et passif qu’exercent les prestataires techniques quant au stockage des données (voir l’arrêt CJUE, aff C-236/08, Google c/ Louis Vuitton, 23 mars 2010).

([32])  TGI Paris, 20 avril 2010.

([33])  CA Paris, ordonnance du 12 juin 2013.

([34])  Article 24, alinéa 5 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([35])  Article 24, alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([36])  Article 227-23 du code pénal.

([37])  Article 227-24 du code pénal.

([38])  Ibid.

([39])  Article 24, alinéa 9 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([40]) Article 421-2-5 du code pénal.

([41]) CJUE, Aff. C-70/10, Scarlet Extended c/ SABAM, 24 novembre 2011 et CJUE, Aff. C-360/10, Netlog c/ SABAM, 16 février 2012.

([42]) Le 1 du VI de l’article 6.

([43]) Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Considérant n° 9.

([44]) Cass 1ère civ, 12 juillet 2012.

([45]) CEDH, Grande chambre, affaire Delfi AS c/ Estonie, requête n° 64569/09, 16 juin 2015.

([46]) Tel qu’il résulte de l’article 27 de la loi sur la liberté de presse du 29 juillet 1881 et de l’article L. 97 du code électoral.

([47]) Cet article a été créé par l’article 12 de la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.

([48]) La Polynésie française et les îles Wallis et Futuna sont soumises à ce principe en vertu du troisième alinéa de l’article 74 de la Constitution. Même si l’article 77 de la Constitution ne comporte pas de disposition similaire pour la Nouvelle-Calédonie, ce territoire est soumis à ce principe en application de l’article 6-2 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

([49]) Articles L. 388 et L. 395 du code électoral.

([50]) Article L. 439 du code électoral.

([51]) Premier alinéa du I de l’article 57.