N° 1288

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 octobre 2018.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2019 (n° 1255)

TOME XI

ÉCONOMIE

INDUSTRIE

PAR Mme Bénédicte TAURINE

Députée

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 Voir les numéros : 1255 et 1302 (tome III annexe 21).


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SOMMAIRE

    

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Pages

introduction

Première partie : analyse des crÉdits

I. Une baisse des crédits consacrés aux actions de politique industrielle

A. la Suppression des aides pilotÉes en centrale

B. la stabilité des crédits ciblés sur lanimation des pôles de compétitivité

II. La suppression de la dotation accordÉe À lAgence France Entrepreneur

III. une baisse des crÉdits consacrÉs à la normalisation

IV. une légère baisse des crédits consacrés à la surveillance du marché

V. Une baisse des ressources des centres techniques industriels

VI. Une lÉgÈre hausse de la compensation carbone

VII. des dépenses fiscales encore trop élevées

Deuxième partie : comment réduire nos besoins futurs en métaux critiques ?

I. Des besoins croissants en métaux critiques

A. Quest-ce quun métal critique ?

B. Pourquoi aurons-nous davantage besoin de ces métaux ?

C. DE qui SOMMES-NOUS dépendants pour notre sécurité dapprovisionnement ?

II. UNE MULTITUDE DE PISTES À DÉVELOPPER POUR RÉDUIRE NOS BESOINS EN MÉTAUX CRITIQUES ET ASSURER LEUR APPROVISIONNEMENT

A. La substitution de matière première : une technique souvent impossible à mettre en œuvre

B. Le recyclage : une vraie solution à encourager mais qui ne peut être que partielle

1. Les atouts du recyclage

a. Les déchets « industriels »

b. Les déchets miniers

c. De fortes potentialités en termes d’emplois

2. Les enjeux du recyclage

a. Labsence de modèle économique pour le recyclage de nos déchets

i. Un recyclage complexe et coûteux

ii. Un manque de visibilité sur la matière première

iii. Un manque de visibilité sur les débouchés

iv. Un manque de visibilité sur le prix des métaux

v. Des difficultés à trouver des sources de financement

b. La valorisation des déchets miniers ne peut être que marginale

C. Louverture de mines : des chantiers aux forts impacts sociaux et environnementaux

1. Lactivité minière et le potentiel minier en France

2. Les dangers sociaux et environnementaux de lexploitation minière

a. Le projet Montagne dor : un projet minier destructeur

b. La possible réouverture de la mine de Salau en Ariège : un projet qui interroge

III. La nécessité danticiper, dès aujourdhui, un manque de ressources en métaux critiques

A. Mieux évaluer nos besoins

a. Quels sont les besoins de la société dans son ensemble ?

b. Nouvrir des mines quen tout dernier recours, sous de strictes conditions sociales et environnementales

B. Structurer une véritable filière du recyclage des métaux en France

1. Intensifier la R&D

2. Faire du recyclage des métaux une priorité du comité stratégique de filière « Mines et métallurgie »

3. Faire intervenir des investisseurs institutionnels

4. Inciter les industriels à recycler les métaux les plus critiques ou à utiliser des métaux recyclés

5. Réfléchir à une harmonisation au niveau européen

C. Mettre laccent sur léco-conception

EXAMEN EN COMMISSION

liste des Personnes auditionnÉes


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   introduction

La part de l’industrie dans la production de richesses ne cesse de décroître en France depuis une trentaine d’années. Les dommages causés à notre tissu productif tiennent, en partie, à la financiarisation de l’économie qui se poursuit malheureusement à un rythme sans précédent. Le poids de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) en France est ainsi passé de 16,5 % en 2000 à 12,6 % en 2016. Cette désindustrialisation entraîne de vraies catastrophes sociales (emplois sacrifiés, territoires abandonnés) et économiques. L’industrie joue, en effet, un rôle important dans l’économie française. À titre d’exemple, les branches industrielles ont dépensé 23,5 milliards d’euros en recherche et développement (R&D) en 2015, soit près des trois quarts des dépenses intérieures de R&D des entreprises.

La faiblesse des crédits consacrés à l’industrie dans le budget 2019 n’est que le reflet de l’absence de prise de conscience de l’urgence industrielle que connaît notre pays. Le budget présenté cette année ne permettra ni de relancer la production industrielle dans les secteurs stratégiques ou indispensables à la transition écologique, ni de développer les infrastructures nécessaires à la montée en gamme de nos industries.

La partie thématique de cet avis budgétaire porte sur une question qui peut paraître relativement précise mais qui n’en est pas moins cruciale. L’extraction minière et les déchets miniers se développent, ce qui tend à accroître les conséquences néfastes pour l’environnement et nos sociétés. Or, nos besoins en métaux critiques ne cessent d’augmenter, si bien qu’un véritable risque de sécurité d’approvisionnement en métaux critiques se pose. En outre, ces métaux entrent dans la composition de produits de haute technologie et dans de nombreuses technologies vertes nécessaires à la réussite de la transition énergétique. Si un début de prise de conscience est apparu en France sur la nécessité de réduire nos besoins en métaux et de sécuriser nos approvisionnements miniers, les mesures prises sont encore réellement insuffisantes. Ce rapport est un début de réflexion sur un sujet qui mériterait d’être approfondi, notamment dans le cadre d’une mission d’information parlementaire.

Au terme de son analyse, votre rapporteur émet un avis défavorable à ladoption des crédits de la mission « Économie » pour ce qui concerne lindustrie.

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*     *


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   Première partie : analyse des crÉdits

Votre rapporteure regrette, tout dabord, la manière dont sont présentés les crédits consacrés à lindustrie dans le projet de loi de finances (PLF). Ces derniers sont éparpillés entre plusieurs missions : la mission « Économie » qui fait l’objet du présent rapport mais également la mission « Investissements d’avenir » ([1]). Cette dispersion ne permet pas davoir une vision densemble des crédits consacrés à la politique industrielle.

Le PLF 2019 a complexifié la présentation des crédits. Alors qu’auparavant, l’action n° 3 du programme 134 de la mission « Économie » était consacrée uniquement aux crédits « en faveur des entreprises industrielles », cette action a été fusionnée, dans le PLF 2019, avec l’action n° 2 « Commerce, artisanat et services » dans une seule action, désormais intitulée « Industries et services » (action n° 23). Votre rapporteure considère que cette fusion n’est pas justifiée. Certes, une industrie n’existe pas seule et les services liés aux activités industrielles sont particulièrement abondants et importants. Néanmoins, pour une meilleure information des parlementaires et des citoyens, il serait préférable disoler, au sein dune seule action, les crédits consacrés au soutien de nos filières industrielles. De plus, ces changements de périmètre ne permettent pas d’établir des comparaisons fiables et pertinentes d’une année sur l’autre.

Au-delà de la manière dont les crédits sont présentés, votre rapporteure regrette surtout leur baisse. Les crédits consacrés aux dépenses d’intervention dans l’industrie sont en baisse de près de 3 % ([2]) dans la mission « Économie » alors même qu’une nouvelle stratégie industrielle fondée sur les compétences des salariés, les filières, la relocalisation de l’activité, et la priorité donnée à la transition écologique est plus qu’indispensable aujourd’hui.

CRÉDITS BUDGÉTAIRES du programme 134 consacrés à l’industrie

(En millions deuros)

 

AE (1) votées en LFI (2) pour 2018

CP (3) votés en LFI pour 2018

AE prévues en PLF 2019

CP prévus en PLF 2019

Évolution (5) des crédits de paiement entre 2018 et 2019

Dépenses de fonctionnement

4,5

4,5

x(4)

x(4)

x(4)

 Dont, surveillance du marché

0,7

0,7

0,68

0,68

 4,48 %

Dépenses dintervention

144,1

146,3

140,3

144,7

 2,75 %

 Dont, contributions aux organismes internationaux

3,0

3,0

2,75

2,75

 9,87 %

 Dont, comité français daccréditation

0,2

0,2

0,17

0,17

 16,42 %

 Dont, association française de normalisation

10,0

10,0

7,65

7,65

 24,78 %

 Dont, centres techniques industriels et organismes assimilés

9,9

9,9

8,95

8,95

 11,11 %

 Dont, Agence France Entrepreneur

4,1

4,1

0

0

 100 %

 Dont, politiques industrielles mises en œuvre en administration centrale action de soutien à la compétitivité hors prix des PME

3,1

5

0

4,5

 11,51 %

 Dont, actions de politique industrielle mises en œuvre et financées en région par les services déconcentrés des DIRECCTE (6)

14

14,4

14

14

 4,41 %

 Dont, compensation carbone des sites très électro-intensifs

99,7

99,7

106,7

106,7

+ 5,23 %

Source : Réponses aux questionnaires budgétaires de votre rapporteure.

(1) Autorisations d’engagement

(2) Loi de finances initiale

(3) Crédits de paiement

(4) En raison du changement de périmètre en la LFI 2018 et le PLF 2019, ces données ne sont pas disponibles. Pour l’ensemble de l’action 23 (qui comprend également le soutien aux services), les dépenses de fonctionnement sont de 15 M€ (AE) et 12 M€ (CP).

(5) Chiffres pondérés en fonction de l’inflation (hors tabac) et de la hausse de la population prévues pour 2019. En effet, alors que ces deux variables ont un impact sur les montants réels attribués, les chiffres fournis par le Gouvernement ne les prennent pas en compte.

(6)  Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi


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I.   Une baisse des crédits consacrés aux actions de politique industrielle

A.   la Suppression des aides pilotÉes en centrale

Ces aides soutenaient, principalement sous forme d’appels à projets, des opérations initiées par les filières professionnelles, plus particulièrement en faveur des petites et moyennes entreprises (PME), pour faire face à des enjeux de compétitivité. Aucun crédit nest ouvert pour 2019 en autorisations dengagement ([3]) alors que 3,5 millions d’euros (M€) l’étaient l’an dernier. « La rationalisation des aides aux entreprises, via des baisses ciblées, a conduit à interrompre ce dispositif à compter de 2019 » indique le Gouvernement en réponse au questionnaire budgétaire. Votre rapporteure regrette labsence dargument économique plus précis justifiant larrêt de ces aides qui étaient pourtant bien utiles à la compétitivité des entreprises françaises.

Exemple d’actions programmées en 2018 grâce à ces aides

‑ la transformation numérique des TPE/PME ;

‑ l’accompagnement de sous-traitants de la filière Diesel pour soutenir leur mutation vers d’autres technologies alternatives ;

‑ la mise en place d’une structure d’accompagnement à l’innovation dans le secteur de l’efficacité énergétique dans l’industrie.

B.   la stabilité des crédits ciblés sur l’animation des pôles de compétitivité

Les crédits relatifs aux actions pilotées par le réseau déconcentré de l’État sont stables par rapport à 2018 et s’élèvent à 14 M€. Ils sont ciblés sur l’animation et la gouvernance des pôles de compétitivité et permettent à l’État de cofinancer avec les régions le fonctionnement de ces pôles. Votre rapporteure constate que trop souvent, les pôles de compétitivité participent à la mise en concurrence des territoires. Il serait nécessaire d’évaluer en profondeur leur action pour s’assurer de leur cohérence avec la stratégie industrielle nationale mise en œuvre par l’État.

L’année 2019 marquera le début de la quatrième phase (2019-2022) des pôles de compétitivité. Les modalités d’intervention financière de l’État évolueront à partir de 2020 : le soutien étatique au fonctionnement de la gouvernance des pôles comprendra une part variable, en fonction des résultats individuels de chaque pôle obtenus pendant les années précédant la quatrième phase, au regard des objectifs fixés pour celle-ci. Votre rapporteure s’interroge sur la pratique consistant à fixer des critères d’évaluation une fois que les résultats ont été réalisés. Les critères de performance pris en compte seront les résultats aux appels à projets de R&D nationaux et européens. En 2022, seuls les pôles dits « les plus performants » bénéficieront du soutien de l’État au titre des crédits de fonctionnement. Votre rapporteure craint que cela ne défavorise outre mesure les pôles de petite taille, très utiles pour lécosystème industriel local voire national, mais pas assez grands pour répondre aux appels à projets européens.

II.   La suppression de la dotation accordÉe À l’Agence France Entrepreneur

En 2019, la dotation accordée à l’Agence France Entrepreneur (AFE) est supprimée. Cette suppression s’inscrit dans le contexte du transfert des missions de l’AFE à BPIfrance, avec un objectif de mise en œuvre opérationnelle dès janvier 2019. Votre rapporteure sinterroge sur la manière dont BPIfrance pourra absorber cette activité, sachant que les financements de BPIfrance, relevant tant de la mission « Économie » que de la mission « Recherche et enseignement supérieur », sont en baisse dans le PLF 2019.

III.   une baisse des crÉdits consacrÉs à la normalisation

La normalisation constitue un outil au service de la compétitivité et de la croissance des entreprises. Alors que la réglementation relève des pouvoirs publics et que son application est imposée, les normes revêtent un caractère volontaire. Elles traduisent l’engagement des entreprises à satisfaire un niveau de qualité et sécurité reconnu et approuvé. L’Association française de normalisation (AFNOR), association loi 1901, a une mission d’intérêt général consistant à orienter, animer et coordonner l’élaboration des normes françaises, européennes et internationales.

Le PLF 2019 prévoit une dotation pour l’AFNOR de 7,65 M€ avant mise en réserve, soit une diminution de 2,35 M€ par rapport à la LFI 2018. Votre rapporteure regrette cette baisse, dautant plus que depuis quelques années, les missions de lAFNOR se sont élargies. Son directeur général doit désormais coordonner les travaux de normalisation menés en matière d’industrie du futur.

Les PME peuvent aujourd’hui percevoir, dans le cadre d’un programme spécifique, des aides pour participer aux travaux de normalisation réalisés dans les instances européennes ou internationales. Votre rapporteure regrette que le montant alloué à ces aides ait été divisé par quatre depuis 2016. Il est indispensable que nos entreprises participent à ces travaux qui leur permettent d’enrichir leur potentiel d’innovation et d’anticiper les futures règles du marché.

IV.    une légère baisse des crédits consacrés à la surveillance du marché

Les actions publiques de surveillance du marché permettent de lutter contre la non-conformité à la réglementation des produits commercialisés sur le marché français ou entrant, via la France, sur le marché intérieur européen. Les crédits prévus par le programme 134 doivent permettre de financer une partie des essais réalisés sur des produits industriels prélevés par les autorités de contrôle. Ils sont en baisse de 15 M€ par rapport à 2018. Votre rapporteure s’interroge de l’opportunité de cette baisse alors que trop de produits parviennent encore à pénétrer le marché français sans respecter les réglementations nationales ou européennes. Ces crédits devraient être en hausse pour garantir lexercice dune concurrence loyale entre les entreprises.

V.   Une baisse des ressources des centres techniques industriels

Les centres techniques industriels (CTI) et les comités professionnels de développement économique (CPDE) sont des établissements d’intérêt général qui exercent diverses missions de développement économique et technique au service des entreprises d’une filière. Pour mener à bien leurs missions, les CTI et les CPDE bénéficient soit de dotations budgétaires, soit de taxes fiscales affectées (TFA) soit, plus rarement, des deux.

Les crédits consacrés aux CTI et CPDE, d’un montant de 8,95 M€ pour 2019, sont en baisse de près de 10 % par rapport à 2018. Cette baisse ne s’explique pas par le passage au financement par TFA de certains CTI ou CPDE. Elle est d’autant plus regrettable qu’elle s’ajoute à la forte réduction des plafonds de taxes affectées aux CTI et CPDE prévue par l’article 29 du PLF 2019. Votre rapporteure sinquiète de cette baisse de financements apportés par lÉtat et ce dautant plus que ces financements sont utilisés, pour une large part, pour la rémunération des personnels des CTI et CPDE, notamment des ingénieurs et des techniciens.

Votre rapporteure s’interroge également sur l’opportunité de cette baisse, dans la mesure où la mission ([4]) sur « les plateformes d’accélération de l’industrie du futur » chargée, notamment, d’examiner le rôle que peuvent jouer les CTI et CPDE pour accélérer l’industrie du futur en région, n’a pas encore rendu son rapport.

VI.   Une lÉgÈre hausse de la compensation carbone

La « compensation carbone » est un dispositif en faveur des entreprises électro-intensives (sidérurgie, papier/carton, chimie, etc.) exposées à un risque significatif de délocalisation en raison des coûts du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre répercutés sur les prix de l’électricité. En pratique, ce dispositif consiste à compenser, en partie, le coût du carbone inclus dans le prix de l’électricité. La hausse de 7 % des crédits prévue en 2019 s’explique notamment par le prix légèrement plus élevé du quota carbone pris en compte (5,88 € par tonne au lieu de 5,40 l’an dernier). Votre rapporteure s’interroge sur le fait que cette aide ne soit prévue que jusqu’en 2021. Une évaluation de ce dispositif mériterait dêtre réalisée afin détablir lopportunité ou non de le prolonger au-delà de 2021.

VII.   des dépenses fiscales encore trop élevées

Les dépenses fiscales sur impôts d’État de la mission « Économie » sont évaluées, en 2019 à 28 milliards d’euros (Md€) (contre 28,5 Md€ en 2018). Si elles ne sont pas en hausse, elles sont encore trop élevées. À titre d’exemple, le crédit dimpôt pour la compétitivité et lemploi (CICE), entré en vigueur en 2013, est un dispositif très coûteux pour les finances publiques. Pour rappel, ce dispositif représente une baisse du coût du travail équivalente à 6 points de la masse salariale pour les salaires inférieurs à 2,5 Smic. À compter du 1er janvier 2019, le CICE sera transformé en un nouvel allégement de cotisations d’assurance maladie de 6 points pour les rémunérations allant jusqu’à 2,5 Smic. Ce dispositif sera renforcé, dès le 1er octobre 2019, par une augmentation d’environ 4 points du barème des allégements généraux au niveau du Smic, dégressive jusqu’à 1,6 Smic. En 2019, les entreprises percevront donc à la fois le CICE au titre des créances de 2018 et le nouvel allégement, ce qui correspond à une « année double » pour la plupart d’entre elles. Les documents budgétaires ne précisent pas le coût cumulé, en 2019, du CICE et du nouvel allègement de charges : d’après certaines estimations, ce coût pourrait atteindre près de 40 Md€. Votre rapporteure sinterroge sur le renforcement de ce dispositif, très coûteux pour les finances publiques, alors même que les différentes études montrent bien que les résultats, tant en termes de compétitivité, demplois que dinvestissement sont plus que médiocres.

 


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   Deuxième partie : comment réduire nos besoins futurs en métaux critiques ?

Votre rapporteure a souhaité consacrer la partie thématique de cet avis budgétaire à une question cruciale. Notre consommation en métaux critiques augmente d’année en année, poussée par les évolutions technologiques, démographiques et de niveau de vie ainsi que par la nécessaire transition énergétique. Si un début de prise de conscience est apparu en France sur la nécessité de réduire nos besoins, les mesures prises à ce sujet sont encore réellement insuffisantes.

I.   Des besoins croissants en métaux critiques

L’accroissement de nos besoins en métaux critiques représente un coût environnemental et social important. Cela pose également la question de notre sécurité d’approvisionnement.

A.   Qu’est-ce qu’un métal critique ?

On entend souvent parler de métaux « critiques », « rares », « précieux » ou « stratégiques » mais ces différentes dénominations nont pas la même signification. Il est nécessaire de distinguer :

– les métaux rares : il s’agit d’éléments chimiques dont la rareté est définie relativement à leur abondance dans la croûte terrestre. Les métaux rares ou peu abondants, compris entre 1 et 1 000 parties par million (ppm), comprennent notamment le plomb le cuivre, le zinc, le nickel, le cobalt, le molybdène et le tungstène. Les métaux très rares, c’est-à-dire ceux dont la teneur est inférieure à 1 ppm, comprennent les métaux précieux (or, argent et les 6 platinoïdes – platine, palladium, rhodium, iridium, ruthénium, osmium) ainsi que l’antimoine, le sélénium et l’indium ;

– les terres rares : il s’agit d’un ensemble de 16 ou 17 éléments métalliques du tableau périodique des éléments, aux propriétés chimiques voisines, qui se trouvent pratiquement toujours associés dans leurs gisements. Certaines terres rares, malgré leur nom, se trouvent en quantité relativement abondante dans la croûte terrestre ;

– les métaux stratégiques : la notion se rapporte à des métaux indispensables pour des secteurs économiques d’importance ou de pointe comme l’aéronautique, la construction automobile, le spatial, la défense, le nucléaire et l’électronique. D’après le comité pour les métaux stratégiques (Comes) ([5]), les substances considérées comme les plus stratégiques en France sont le tungstène, certaines terres rares (praséodyme, néodyme, dysprosium), le cobalt, le cuivre, le chrome, le nickel, le molybdène, le titane, le lithium, le tantale, le béryllium et certains platinoïdes (platine, palladium et rhodium) ;

les métaux critiques : la criticité s’apprécie selon deux axes que sont les risques pesant sur les approvisionnements (disponibilité géologique, concentration de l’extraction ou de la production métallurgique, restrictions commerciales, prévision de demande, stabilité politique des pays producteurs, offre secondaire, facteurs environnementaux…) et limportance économique. La Commission européenne a mis à jour l’an dernier sa liste des métaux considérés comme critiques ([6]). Selon le Comes, les matières présentant les risques d’approvisionnement les plus élevés en France sont le tungstène, les terres rares, l’antimoine, les platinoïdes, le cobalt, le scandium et le rhénium.

Les métaux critiques entrent tous dans la composition de produits de haute technologie, en premier lieu dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC) : circuits intégrés, infrarouge militaire, batteries, transistors, retardateurs de flammes, écrans tactiles, condensateurs, etc. Les métaux critiques sont en effet souvent nécessaires à la miniaturisation des équipements. Certains sont également utilisés dans les domaines de la métallurgie (indium, magnésium, graphite, titane, etc.), de l’optique (germanium), voire de la médecine (antimoine et gallium).

B.   Pourquoi aurons-nous davantage besoin de ces métaux ?

La consommation de métaux critiques a augmenté de façon considérable ces dernières années, poussée par les évolutions technologiques, démographiques et de niveau de vie.

Trop peu de citoyens ont malheureusement conscience que certains objets quils utilisent, notamment les smartphones, en contiennent en quantité non négligeable. L’outil interactif en ligne développé par Ingénieurs sans frontière ([7]) est, à cet égard, très instructif.

Nos besoins en métaux critiques croissent également avec la transition énergétique. Dans un récent rapport, la Banque mondiale ([8]) montre ainsi que le déploiement des technologies vertes augmentera les besoins en terres rares critiques, telles que l’indium, le molybdène et le néodyme, ainsi qu’en divers métaux de base et métaux précieux comme le cuivre, le lithium, l’aluminium, l’argent, l’acier, le nickel, le plomb et le zinc. Ces métaux sont en effet nécessaires aux batteries des véhicules électriques et hybrides, aux panneaux solaires et aux éoliennes. D’après l’Institut français des relations internationales (Ifri) ([9]), la demande en métaux critiques de la part du secteur photovoltaïque pourrait s’accroître de 270 % d’ici à 2030. Pour l’énergie éolienne, la demande en dysprosium pourrait augmenter de 660 % et celle de néodyme de 2 200 %.

Si la réduction de nos besoins en métaux est une nécessité écologique, la question de lapprovisionnement et de notre dépendance demeure centrale.

C.   DE qui SOMMES-NOUS dépendants pour notre sécurité d’approvisionnement ?

Un début de prise de conscience apparaît, en France, au sein de l’Union européenne et dans les grands pays développés, sur la nécessité de sécuriser les approvisionnements miniers, comme l’ont été, dans les années 1970, les approvisionnements énergétiques.

La production française de ces métaux nest pas nulle. Elle se fait essentiellement à partir de ressources minérales importées. À noter que le silicium est directement extrait sur le territoire métropolitain et qu’une partie du titane produit provient du recyclage des chutes de fabrication en aéronautique.

Source : Comité pour les métaux stratégiques (Comes)

La France reste fortement dépendante dautres pays pour son approvisionnement primaire en métaux critiques. Ainsi, les industriels français sont dépendants à 95 % de la Chine pour leur approvisionnement en terres rares. Si la Chine dispose de zones où la concentration de ces métaux est plus élevée, elle s’est surtout imposée sur le marché grâce à des coûts de production très faibles et à une sous-évaluation du yuan. Comme l’ont souligné les acteurs auditionnés par votre rapporteur, cette dépendance fait peser un risque fort sur notre sécurité d’approvisionnement. « La Chine a la possibilité douvrir et de fermer le robinet », a ainsi indiqué des représentants du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). À la fin des années 2000, la Chine avait en effet décidé de limiter ses exportations de métaux rares, à coups de taxes à l’exportation et de quotas. Le dysprosium et le néodyme avaient alors vu leurs prix multipliés par vingt.

D’autres pays produisent également des métaux critiques (du lithium en Bolivie et en Argentine, du cuivre au Chili et du cobalt en république démocratique du Congo notamment). Un risque sur lapprovisionnement en cobalt a d’ailleurs été souligné par certains acteurs auditionnés par votre rapporteure. Ce risque est lié à la forte concentration de la production minière en République démocratique du Congo.

La part des pays les plus producteurs dans l’approvisionnement primaire des métaux critiques de la liste européenne de 2014

Source : Ademe

Les tensions sur les flux d’approvisionnement ou les fortes variations de prix de ces matières s’avèrent critiques pour les filières industrielles qui en dépendent.

Il est crucial dassurer la sécurité dapprovisionnement en métaux de notre industrie et de notre économie. Si elle contribue certes à augmenter nos besoins en métaux critiques, la transition énergétique peut néanmoins être une réponse aux enjeux de sécurité dapprovisionnement. Grâce au recyclage notamment, nous pouvons trouver des pistes dapprovisionnement plus sûres et plus durables.

II.   UNE MULTITUDE DE PISTES À DÉVELOPPER POUR RÉDUIRE NOS BESOINS EN MÉTAUX CRITIQUES ET ASSURER LEUR APPROVISIONNEMENT

Face à la croissance de nos besoins et aux risques pesant sur notre sécurité d’approvisionnement, plusieurs « solutions » s’offrent à nous : la recherche de matériaux alternatifs aux métaux critiques, le recyclage de métaux présents dans nos déchets ou la réouverture voire l’ouverture de nouvelles mines. Il ne s’agit pas ici de trouver une unique solution mais bien plutôt d’envisager la multitude des pistes qui peuvent se présenter.

A.   La substitution de matière première : une technique souvent impossible à mettre en œuvre

La première solution qui vient à l’esprit pour limiter l’utilisation de métaux critiques est de leur trouver des substituts, notamment des métaux dont la criticité est moins élevée.

C’est un axe important de la stratégie japonaise appelée Genso Senryaku (littéralement « stratégie des éléments ») dont l’objectif est de sécuriser l’approvisionnement du Japon en terres rares et matières premières stratégiques afin d’être davantage indépendant de la Chine. Les équipes de l’institut de recherche National Institute for Material Sciences (NIMS) ont, par exemple, développé, en 2010, un aimant de haute performance dépourvu de dysprosium et plus récemment, en 2014, un composé magnétique permanent plus économe en métaux rares que l’alliage de néodyme-fer-bore utilisé actuellement.

Si des substituts peuvent être trouvés pour des usages donnés, la substitution est loin dêtre toujours possible. Les propriétés spécifiques des métaux les rendent essentiels et difficilement substituables pour une application industrielle donnée. Les travaux de recherche gagneraient néanmoins à être poursuivis sur ce point.

B.   Le recyclage : une vraie solution à encourager mais qui ne peut être que partielle

D’après le comité pour les métaux stratégiques (Comes), les équipements électriques et électroniques (DEEE) représentent 17 à 24 kilogrammes de déchets par personne et par an en France pour les seuls déchets ménagers. Cette quantité de déchets augmente, dans le monde, de 3 à 5 % par an avec la pénétration toujours plus importante des appareils électroniques dans les foyers.

Ces produits sont une source potentielle pour la récupération de métaux critiques et peuvent être qualifiés de « mines urbaines ».

1.   Les atouts du recyclage

Le recyclage de produits contenant des métaux permet de réduire notre consommation de métaux primaires et d’assurer une partie de notre sécurité d’approvisionnement. Il permet également de réduire la consommation dénergie –  la transformation du minerai étant souvent plus énergivore que la production de métal à partir de matières recyclées. Il pourrait également offrir une opportunité de revitalisation de notre tissu industriel.

a.   Les déchets « industriels »

Des métaux stratégiques sont présents dans nombre de nos déchets :

– les aimants permanents contenus dans certains déchets d’équipements électriques et électroniques et moteurs électriques contiennent du cobalt, des terres rares (néodyme, praséodyme, dysprosium, terbium) ou du nickel ;

– les cartes électroniques contiennent des métaux critiques. Les cartes des téléphones mobiles sont par exemple constituées d’or, d’argent, de cuivre, de palladium, et potentiellement de plomb ;

– les piles, accumulateurs et batteries contiennent du plomb, du manganèse, du cobalt, des terres rares, du lithium et du nickel. ;

– les pots catalytiques des voitures contiennent du platine, du rhodium et/ou du palladium ;

– certains déchets industriels spécifiques (ferroviaire, aérospatial) contiennent également des métaux critiques.

Non seulement nos déchets contiennent des métaux mais ils présentent des teneurs en métaux critiques souvent bien supérieures à celles des minerais extraits des gisements naturels actuellement en exploitation.

D’après la fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec), auditionnée par votre rapporteure, le recyclage des aimants permanents pourrait contribuer en 2020, à hauteur de 8 à 16 %, à l’approvisionnement français en terres rares. Cela est très prometteur.

Teneurs en minéraux stratégiques des gisements naturels
et de la mine urbaine

 

 

Teneurs moyennes dans les minerais

 

Teneurs moyennes en métal dans les déchets

Déchets concernés

Or

De 1 à 10 g/t

De 1 à plus de 200 g/t

Cartes électroniques

Platinoïdes

De 1 à 8 g/t

260 g/t

Pots catalytiques

100 g/t

Cartes électroniques

Terres rares

De 1 à 15 % (en oxydes)

35 %

Aimants permanents

5000 g/t

Lampes fluocompactes

Indium

De 1 à 100 g/t

175 g/t

Écrans LCD

Cobalt

0,3 %

15 %

Batteries Li-ion

Tantale

250 g/t de Ta2O3

3000 g/t

Téléphones portables

Lithium

0,04 % pour les salars et 1 % pour les mines

1,5 %

Batteries Li-ion

Source : Ademe

b.   Les déchets miniers

Les déchets miniers issus de l’exploitation des mines depuis plusieurs centaines d’années peuvent également être relativement riches en métaux et représenter une ressource secondaire d’avenir pour l’approvisionnement en certains métaux. En France, le BRGM estime les volumes de résidus de traitement de minerais polymétalliques à environ 70 millions de tonnes ([10]) pour une centaine de « petits » dépôts. Le recyclage permettra d’ailleurs de limiter les conséquences négatives que ces déchets peuvent potentiellement avoir sur l’environnement (relargage de métaux, drainage minier, etc.).

c.   De fortes potentialités en termes d’emplois

D’après les données d’une étude de la Commission européenne de 2012 ([11]), réduire de 17 % la consommation de ressources grâce à un renforcement de l'efficacité de l’usage des produits générerait entre 200 000 et 400 000 emplois en France. La capacité du secteur du recyclage à générer des emplois est un argument non négligeable en faveur de son développement.

2.   Les enjeux du recyclage

Un consensus s’est dégagé lors des auditions menées par votre rapporteure : le gisement de ressources disponible dans la « mine urbaine » doit être exploité en priorité mais les ressources recyclables contenues dans nos déchets ne seront pas suffisantes pour répondre aux besoins actuels des pays industrialisés, surtout si nous n’arrivons pas à diminuer notre consommation de ressources.

a.   L’absence de modèle économique pour le recyclage de nos déchets

Il y a, en France, quelques acteurs industriels sur lamont de la chaîne de valeur (à l’instar des sociétés Bigarren Bizi, Morphosis, Sovamep ou Weee Metallica), notamment sur la séparation et le tri des métaux non ferreux, ainsi que plusieurs fournisseurs de technologies, notamment de technologies de tri (à l’instar des sociétés Eurecat, MTB, Pellenc ST ou Bertin Technologies). La France ne possède néanmoins pas de structure industrielle qui puisse conserver la valeur ajoutée finale du déchet. C’est la raison pour laquelle les déchets prétraités en France sont souvent exportés dans d’autres pays pour y être traités.

Labsence de rentabilité économique explique quaussi peu dacteurs industriels se sont positionnés sur le recyclage des métaux en France.

i.   Un recyclage complexe et coûteux

Le recyclage des métaux stratégiques est complexe et coûteux. Les métaux sont contenus en faibles quantités dans les déchets. Ils forment des alliages différents de ceux que l’on trouve dans les gisements polymétalliques naturels. Une carte électronique peut ainsi contenir jusqu’à plus de vingt types de métaux. Leur recyclage demande donc au préalable une caractérisation très fine, des dislocations et des séparations innovantes avant les étapes d’hydrométallurgie ou de pyrométallurgie plus classiques.

Certains process industriels de recyclage, notamment l’extraction des métaux des cartes électroniques, sont très énergivores et peuvent donc avoir des impacts environnementaux non désirables.

Il est malheureusement probable que le recyclage ne soit pas facilité à l’avenir, lévolution des technologies se traduisant souvent par un appauvrissement des concentrations en métaux dans un même produit.

ii.   Un manque de visibilité sur la matière première

À un instant t le recyclage ne peut traiter que ce qui a été mis sur le marché quelque temps auparavant et qui est devenu un déchet. Il est donc très difficile actuellement pour un industriel de se lancer dans le recyclage des métaux contenus dans les panneaux photovoltaïques ou les éoliennes, compte tenu du fait que la quantité de matière première est faible voire inexistante. Le démantèlement des aimants à terres rares contenus dans nos éoliennes n’est à envisager en France que d’ici dix ou vingt ans.

iii.   Un manque de visibilité sur les débouchés

Les besoins des sociétés et des industriels changent très rapidement, ce qui complique la rentabilité économique du recyclage. Lexemple de lusine Solvay est ici particulièrement instructif. Quatre ans après avoir décidé de passer à la phase industrielle de son procédé innovant de recyclage des terres rares contenues dans les ampoules basse consommation, le groupe chimique belge Solvay a été obligé d’arrêter son activité en raison de la substitution progressive des lampes basse consommation par des diodes électroluminescentes (LED).

iv.   Un manque de visibilité sur le prix des métaux

La rentabilité économique du recyclage des métaux stratégiques dépend aussi des cours des matières premières. Le marché est soumis à une forte variabilité et volatilité des cours, publiés par la bourse londonienne LME (London Metal Exchange).

v.   Des difficultés à trouver des sources de financement

Les entreprises éprouvent beaucoup de difficultés à trouver les capitaux nécessaires pour mettre au point leur procédé de recyclage.

En conséquence, lintervention de lÉtat semble décisive pour le développement du secteur du recyclage. Aides et financements, normes pour améliorer la visibilité du secteur ou encore outils fiscaux pour contrôler le marché minier, sont autant d’outils à la disposition du gouvernement.

b.   La valorisation des déchets miniers ne peut être que marginale

Quant aux déchets miniers, force est de constater le potentiel de récupération des métaux na pas encore été pleinement évalué. Seuls quelques inventaires ont été réalisés. Comme l’a indiqué le chef du bureau de la politique des ressources minérales non énergétiques à votre rapporteure, il est nécessaire de changer de regard « pour voir ces déchets miniers comme une ressource possible et non pas seulement comme une source de pollution ».

Néanmoins, même si le regard change sur ces déchets, ces derniers restent une source très marginale de métaux. Comme l’a indiqué le BRGM à votre rapporteure à titre d’exemple, les résidus de la mine de Salau pourraient ne contenir que très peu de tungstène. Le tungstène a, en effet, déjà été exploité et l’oxydation des sulfures risque d’avoir provoqué le départ des métaux.

C.   L’ouverture de mines : des chantiers aux forts impacts sociaux et environnementaux

Face à l’insuffisance des techniques de substitution ou de recyclage des métaux se pose la question de la réouverture voire de l’ouverture de mines dans notre pays.

1.   L’activité minière et le potentiel minier en France

Parmi les substances de mines non énergétiques (métaux, métaux précieux, sel, terres rares…), quatre substances sont actuellement exploitées en métropole : le sel, les calcaires bitumineux et la bauxite ; un concentré d’étain, de tantale et de niobium est valorisé en tant que co-produit d’une carrière de kaolin. D’après le BRGM, le tungstène, l’antimoine et l’or sont les trois substances qui présentent le plus fort potentiel de développement minier de par l’existence de gisements et de ressources et réserves déjà connues.

L’or est exploité en Guyane ainsi que le nickel et le cobalt en Nouvelle‑Calédonie. Votre rapporteure insiste sur le fait qu’il serait nécessaire de mesurer l’impact de ces mines sur la santé des populations et sur l’environnement.

2.   Les dangers sociaux et environnementaux de l’exploitation minière

Les conséquences néfastes de l’activité minière dans le monde peuvent être nombreuses, tant sur les écosystèmes et l’environnement que sur les sociétés humaines et la vie quotidienne des populations : conflits, mise en péril possible du droit à leau, à la santé, à un environnement sain, destruction potentielle des systèmes de solidarité et déconomie traditionnelles, abandon parfois forcé de lagriculture et des activités de subsistance. Comme le dénonce l’association France Libertés auditionnée par votre rapporteure ([12]), l’extractivisme peut également générer des pratiques autoritaires incompatibles avec les droits humains.

En outre, les méthodes d’extractions n’ont pas évolué significativement les dernières décennies, ce qui laisse dubitatif sur les annonces de « mines responsables » ou de « mines vertes ».

Les problématiques relatives aux dégâts environnementaux et sanitaires causés par les projets extractifs se posent aussi en France.

a.   Le projet Montagne d’or : un projet minier destructeur

La Montagne d’or est un projet d’exploitation minière d’une concession aurifère de l’ouest de la Guyane française porté par la compagnie minière Montagne d’or (consortium russo-canadien). Ce projet s’inscrit sur 190 km2 de concessions et prévoit une fosse de 2,5 km de long, 500 m de large et 400 m de profondeur.

Un collectif de plus de cent scientifiques a récemment pris position dans une tribune publiée dans le journal Le Monde ([13]) pour dénoncer les conséquences environnementales du projet. Lextraction de lor nécessite en effet, par jour, 10 tonnes de cyanure et 20 tonnes dexplosifs afin dextraire environ 20 kg dor, tout en en rejetant 80 000 tonnes de déchets miniers par jour. Le risque majeur repose sur le stockage en digue de millions de tonnes de boues cyanurées.

Votre rapporteure rappelle que lor nest pas un métal critique. D’après le collectif « Or de question » auditionné par votre rapporteure, seulement 8 % de l’or qui pourrait être extrait servirait des besoins industriels.

Votre rapporteure insiste sur la nécessité de stopper dès maintenant ce projet, et ce d’autant plus que 7 Guyanais sur 10 y sont opposés. Ce projet montre que la question de l’extraction est, avant tout, très souvent posée dans une logique spéculative et financière et que l’extraction ne répond pas, contrairement aux arguments avancés, à un besoin crucial pour notre économie.

b.   La possible réouverture de la mine de Salau en Ariège : un projet qui interroge

Fermée en 1986, la mine de tungstène dans la commune de Couflens (Ariège) connaît actuellement un projet de réouverture. Entre 1971 et 1986, cette mine a extrait plus de 12 000 tonnes de trioxyde de tungstène. Les déchets miniers, dont l’arsenic, sont encore présents sur le site et plusieurs cas de maladies liées à l’amiante ont été révélés par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Ce projet de réouverture s’inscrit dans le prolongement de la communication ([14]) de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil en novembre 2008. L’idée de rouvrir des mines a été reprise en 2014 par Arnaud Montebourg, alors ministre du redressement productif, puis par le Gouvernement d’Emmanuel Macron.

La mine de Salau illustre les différentes tensions autour de la question de lextraction. Tout d’abord, la procédure suscite de nombreuses oppositions locales et de nombreux litiges. Les promesses d’emploi, évoquées par les responsables de la mine, ne sont que des conjectures non vérifiables. Il est peu probable que de nombreux emplois pérennes et locaux soient créés. Le BRGM ([15]) avait évalué l’ensemble des réserves, en 1986, à plus de 200 000 tonnes contenant 1,7 % de de trioxyde de tungstène (WO), soit 3 400 tonnes de trioxyde de tungstène. Cela représente 3,5 ou 5 ans d’exploitation suivant que le rythme d’exploitation est de 60 000 ou de 40 000 tonnes par an.

Dautres sources dapprovisionnement sont à envisager. Le métal recherché est insuffisamment recyclé. En 2014, lors du 27ème congrès annuel de l’association internationale de l’industrie du tungstène (ITIA) ([16]), le constat a été fait que sur les 98 000 tonnes de tungstène utilisées dans le monde, seulement 34,4 % étaient recyclées, alors qu’il est possible d’atteindre un taux de recyclage de 56 %, c’est-à-dire de recycler 20 853 tonnes de tungstène. La piste du recyclage est donc, dans ce cas, une piste pertinence, à même de remettre en cause le bienfondé de l’option extractiviste. De plus, le projet de réouverture représente un risque pour la biodiversité locale (menaces pour certaines espèces présentes, comme le gypaète barbu), pour lenvironnement (risque de pollution des sources du Salat) mais aussi pour léconomie locale fondée sur lagropastoralisme et le tourisme. Enfin, ce projet soutenu par des entreprises basées dans des paradis fiscaux et aux logiques spéculatives importantes comme celles décrites par William Sacher ([17]), docteur en sciences de l’atmosphère et du climat.

III.   La nécessité d’anticiper, dès aujourd’hui, un manque de ressources en métaux critiques

Un début de prise de conscience s’est fait jour en France. Les industriels sont davantage sensibles à ces problématiques. La création du Comes en 2011 comme lieu de concertation entre les acteurs français (ministères, organismes publics et fédérations professionnelles représentant l’industrie) a été une avancée considérable. Votre rapporteure se félicite également de la restructuration du Conseil national de l’industrie en mai dernier, qui a vu la naissance du comité stratégique de filière « mines et métallurgie » rassemblant les acteurs de l’extraction, de la production, de la transformation et du recyclage des métaux. Ces débuts de prise de conscience et de structuration de la filière industrielle du recyclage doivent néanmoins être considérablement amplifiés.

A.   Mieux évaluer nos besoins

a.   Quels sont les besoins de la société dans son ensemble ?

En premier lieu, avant de se pencher sur les politiques publiques à mettre en œuvre, il est plus que nécessaire de réaliser un inventaire de nos besoins en ressources stratégiques, et notamment en métaux critiques, dans les années à venir. Votre rapporteure sétonne de ce quune telle évaluation, préalable à toute réflexion sur le sujet, nait jamais été faite. Cette évaluation ne doit pas uniquement se baser sur les besoins actuels des industriels mais sur l’identification des besoins de la société dans son ensemble et sur l’identification des technologies de rupture susceptibles d’être développées en Europe.

Un accent devra être mis sur nos besoins en métaux critiques. À ce sujet, votre rapporteure souhaiterait initier un débat sur la notion même de criticité des métaux. La criticité s’apprécie aujourd’hui selon deux axes : les risques pesant sur les approvisionnements et l’importance économique. Votre rapporteure suggère de réfléchir à linclusion dun nouvel axe : les métaux seraient alors dautant plus critiques quils seraient nécessaires à la réussite de la transition énergétique. Ainsi, par exemple, le lithium gagnerait en criticité, tant ce métal est nécessaire au développement des véhicules électriques (grâce aux batteries Li‑ion). La définition même de la « criticité » des métaux est politique : elle définit le modèle de société que nous souhaitons. Or, la recherche absolue du profit outrepasse très souvent l’urgence sociale et écologique actuelle.

Cette évaluation devra également comprendre une analyse de notre chaîne de valeur du recyclage (capacités extractives installées sur le territoire national, rentabilité des procédés, coûts de revente des métaux ciblés, évolutions des cours attendues au regard de l’évolution de la demande, adéquation de l’offre potentielle avec les besoins des industriels français).

b.   N’ouvrir des mines qu’en tout dernier recours, sous de strictes conditions sociales et environnementales

Si et seulement si ces évaluations font apparaître la nécessité de recourir de nouveau à l’extraction, alors seulement pourra être envisagée l’ouverture de mines. Votre rapporteure insiste néanmoins sur la nécessaire réforme préalable du code minier. Cette dernière est repoussée d’année en année alors qu’elle est indispensable, tant pour renforcer la prise en compte des enjeux environnementaux que pour accroître la participation du public dans le cadre de ces projets miniers.

Toute réouverture ou ouverture de mine devra être passée au crible de certains critères économiques, environnementaux et sociétaux. À titre d’exemple, les questions suivantes pourront être posées à chaque fois :

– le minerai recherché est-il stratégique ?

– la pertinence macroéconomique de l’exploitation minière est-elle démontrée pour le territoire ? N’existe-t-il pas d’autres perspectives, plus pertinentes d’un point de vue social, économique, et environnemental ?

– le process industriel envisagé est-il novateur dans son approche et permet‑il un réel effort de limitation des risques ? Est-il jugé acceptable par l’ensemble des décideurs publics concernés ? Le niveau de risque lié au stockage des stériles et des résidus miniers est-il mesuré ?

– le coût énergétique et climatique du projet minier ainsi que la consommation en eau induite sont-ils mesurés précisément ? La zone d’emprise de la mine comporte-t-elle des zones clés pour la biodiversité ?

Des questions supplémentaires relatives au cadre législatif, à la gouvernance et à la transparence de l’opération devront être posées en fonction de la zone géographique :

– le droit minier applicable est-il en phase avec les ambitions nationales et internationales de préservation de la biodiversité, de lutte contre le changement climatique, et de participation du public ?

– la délivrance des titres miniers, et des autorisations d’exploiter sont-elles conditionnées au respect de lintérêt des populations, notamment des communautés autochtones ?

– lorigine des financements envisagés pour le projet minier est-il rendu public ? Correspond-il aux règles de transparence nécessaires ?

B.   Structurer une véritable filière du recyclage des métaux en France

Il n’y a pas, en France, d’industriel du recyclage des métaux critiques de taille comparable à celle des plus grosses entreprises étrangères comme Umicore (entreprise belge), Aurubis (entreprise allemande) ou Boliden (entreprise suédoise). Si cela est regrettable, l’explication tient notamment à la forte désindustrialisation qu’a connue notre pays ces dernières années. Les barrières à l’entrée dans ces domaines étant très élevées, il n’est pas opportun d’envisager vouloir créer maintenant, à partir de zéro, une industrie lourde du recyclage des métaux en France. Néanmoins, la France a lopportunité de développer une politique industrielle ambitieuse de valorisation du stock de ressources jugées les plus stratégiques grâce à des entreprises plus petites et plus souples. D’après le Comes, des opportunités se situent sur des métaux spécifiques tels que le silicium, l’indium et l’antimoine pour lesquels la France a, de par ses installations industrielles métallurgiques, une expertise unique.

Il faut donc encourager la structuration d’une filière industrielle reposant sur des procédés de recyclage plus directs (en termes de nombre d’étapes) et moins lourds (en termes de réactifs utilisés et de matériel nécessaire). Les brevets associés au développement de ces derniers devront être sécurisés afin de garantir que le savoir-faire acquis restera français.

1.   Intensifier la R&D

La recherche et développement (R&D) en matière de recyclage des métaux doit être approfondie. Selon les acteurs que votre rapporteure a pu auditionner, les outils du programme des investissements d’avenir fonctionnent plutôt bien. Il est nécessaire que lappel à projets « Économie circulaire et valorisation des déchets » du programme « Démonstrateurs et territoires d’innovation de grande ambition », lancé en avril dernier, permette le développement d’innovations importantes dans le domaine du recyclage des métaux.

2.   Faire du recyclage des métaux une priorité du comité stratégique de filière « Mines et métallurgie »

Les difficultés à l’émergence d’une véritable filière industrielle tiennent moins à la R&D, qui est de bon niveau en France, qu’à labsence de passerelle entre le monde de la recherche et lindustrialisation des procédés identifiés. Le Conseil de l’industrie a fait du développement d’une filière intégrée du recyclage des batteries lithium-ion l’une des priorités structurante du nouveau comité stratégique de filière « Mines et métallurgie ». Votre rapporteure insiste sur le rôle plus général danimateur de lensemble des filières du recyclage des métaux que doit jouer ce comité stratégique de filière.

3.   Faire intervenir des investisseurs institutionnels

Les investisseurs institutionnels peuvent avoir un rôle important à jouer, du moins pour amorcer la structuration de la filière. Selon le Comes, l’État aurait investi plus de 100 millions d’euros ces dernières années afin de permettre la réalisation des opérations les plus complexes (dépollution, séparation et affinage des métaux précieux), avec pour objectif le traitement local et la commercialisation des matières.

Ce soutien public pourrait perdurer le temps que la filière se pérennise. Selon les administrations que votre rapporteure a pu auditionner, il faudrait une vingtaine de millions deuros par an pour aider les petites et moyennes entreprises (PME) du recyclage des métaux à passer de la phase R&D à la phase dindustrialisation.

4.   Inciter les industriels à recycler les métaux les plus critiques ou à utiliser des métaux recyclés

La feuille de route sur léconomie circulaire ([18]) publiée par le Gouvernement est essentiellement centrée sur le plastique et prend trop peu en compte les métaux.

Néanmoins, certaines mesures proposées sont à saluer, à l’instar de la première mesure (« incorporer davantage de matières premières issues du recyclage dans les produits »), de la quatrième (« permettre aux filières de responsabilité élargie du producteur de sécuriser les investissements des filières industrielles du recyclage »), de la cinquième (« s’engager dans un plan de programmation des ressources jugées les plus stratégiques ») ou de la neuvième (« renforcer les obligations des fabricants et des distributeurs en matière d’information sur la disponibilité des pièces détachées pour les équipements électriques et électroniques »). Les acteurs que votre rapporteure a pu auditionner craignent que ces mesures restent lettre morte. Il est donc indispensable de les mettre en œuvre le plus rapidement possible.

La feuille de route prévoit que le risque financier lié aux fluctuations des cours des matières recyclées soit transféré des opérateurs de recyclage aux éco‑organismes avec lesquels les industriels contractent dans le cadre d’une filière de responsabilité élargie du producteur (REP). Il est nécessaire que ce mécanisme damortissement sapplique également aux métaux issus du recyclage, dont le prix est soumis à une très forte variabilité. Votre rapporteure sera très attentive au décret portant sur les filières à responsabilité élargie du producteur devant être finalisé d’ici la fin de l’année.

S’il n’est pas envisageable de rendre obligatoires les objectifs de réincorporation de métaux issus du recyclage en raison des contraintes européennes, il serait bon de préciser ces objectifs, afin de responsabiliser davantage les industriels. Pourraient ainsi être fixés deux types dobjectifs :

 des objectifs généraux de recyclage par métal critique ;

 des objectifs dincorporation des métaux recyclés dans les process industriels, pour chaque métal critique.

La France dispose déjà d’un outil pour inciter les industriels à mettre sur le marché des appareils électriques ou électroniques plus facilement recyclables : c’est l’éco‑participation ou éco‑contribution. Cette contribution est ajoutée au prix de vente des appareils électriques ou électroniques afin de compenser le coût de la collecte et du traitement des déchets et est entièrement reversée aux organismes réalisant ces tâches. Elle est modulée en fonction de critères environnementaux afin de promouvoir les produits plus durables, plus facilement recyclables ou incorporant des matières recyclées. Plusieurs acteurs auditionnés par votre rapporteure ont suggéré de moduler davantage léco-contribution afin dinciter les industriels à moins utiliser de métaux critiques ou à incorporer des métaux recyclés. Votre rapporteure est favorable à une telle proposition mais souligne qu’il est aujourd’hui encore très difficile, pour un industriel, de connaître précisément la teneur en métaux critiques des produits qu’il commercialise. Cela s’explique notamment par l’absence de transmission d’informations à ce sujet d’un fournisseur à un autre le long de la chaîne de valeur du produit. Il est donc nécessaire, à la fois d’améliorer ce partage d’information et de poursuivre les efforts de R&D pour arriver à mesurer plus facilement et plus rapidement la teneur en métal critique des produits mis sur le marché.

5.   Réfléchir à une harmonisation au niveau européen

Les réflexions sur le recyclage des métaux critiques doivent être également menées à l’échelle européenne, en raison, notamment, de la nécessaire massification des gisements de matières premières.

Des actions doivent également se poursuivre pour lutter contre le commerce illicite de déchets. En 2015, Interpol ([19]) indiquait qu’au niveau européen, 65 % des déchets électriques et électroniques (DEEE) étaient recyclés dans des conditions non conformes en Europe (3,15 millions de tonnes), exportés illégalement (1,5 million de tonnes), triés seulement pour en récupérer les matériaux de valeur (750 000 tonnes) ou tout simplement jetés dans les poubelles (750 000 tonnes). Interpol préconisait d’harmoniser à la fois les définitions des déchets et les sanctions administratives ou pénales et de renforcer la coopération entre pays européens. Ces préconisations n’ont en rien perdu de leur pertinence aujourd’hui.

C.   Mettre l’accent sur l’éco-conception

Selon l’association Orée, auditionnée par votre rapporteure, l’éco‑conception se définit comme une démarche préventive consistant à réduire les impacts d’un produit ou service tout au long de son cycle de vie, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à son recyclage ou réemploi, tout en conservant sa qualité d’usage, c’est-à-dire sa fonctionnalité et sa performance.

Léco-conception est nécessaire, à la fois pour réduire la quantité de métaux utilisée et pour faciliter le recyclage de ces métaux. Des pièces aisément démontables facilitent, par exemple, le recyclage ultérieur des produits. Le centre d’expertise du recyclage (CER), mis en place en 2017, doit être soutenu car il a pour objectif d’aider les metteurs en marché, dès la conception de leurs produits, à anticiper le recyclage de leur produit.

Une récente étude de l’Ademe montre que léco-conception est non seulement vertueuse sur le plan environnemental mais profitable pour lentreprise ([20]). Pour 96 % des répondants, l’écoconception a un effet neutre ou positif sur les profits de l’entreprise, en termes absolus : « ainsi, du point de vue de la société, lécoconception est une solution gagnant-gagnant, car elle engendre des gains environnementaux, bénéfiques pour tous, sans impact négatif sur la rentabilité ».

La feuille de route sur l’économie circulaire prévoit d’encourager les producteurs qui mettent sur le marché des produits éco-conçus, grâce à des bonus‑malus pouvant excéder 10 % du prix de vente hors taxe des produits. Votre rapporteure insiste sur limportance que cette mesure ne sapplique pas uniquement au plastique mais également aux produits contenant des métaux. Il est indispensable que le bonus-malus soit suffisamment incitatif pour pousser à lécoconception.


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EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 24 octobre 2018, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur les rapports de Mme Christine Hennion (Communications électroniques et économie numérique), de M. Vincent Rolland (Entreprises), de M. Antoine Herth (Commerce extérieur), ainsi qu’au cours de sa réunion du mercredi 31 octobre 2018, sur le rapport de Mme Bénédicte Taurine (Industrie), les crédits de la mission « Économie ».

M. Mickaël Nogal, président. La commission des affaires économiques a examiné la semaine dernière trois budgets relevant de la mission « Économie » : « Communications électroniques et économie numérique », « Commerce extérieur » et « Entreprises ». Nous examinons aujourd’hui le dernier budget de cette mission dont nous nous sommes saisis pour avis : le budget « Industrie », dont Mme Bénédicte Taurine est rapporteure pour avis.

Les crédits consacrés à l’industrie » relèvent de l’action n° 23 « Industries et services » du programme 134. Cette action est dotée de 280 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 287 millions d’euros en crédits de paiement. Sur ces crédits, plus de 100 millions d’euros sont consacrés à l’industrie. Ils visent à améliorer la compétitivité de l’industrie française en agissant sur son environnement économique, réglementaire et financier. Ils permettent d’anticiper et d’accompagner les mutations économiques des entreprises industrielles et des territoires.

Au-delà de ces crédits, je tiens à rappeler que le secteur industriel bénéficiera du Fonds pour l’innovation, doté de 10 milliards d’euros, et qu’il bénéficie, dès aujourd’hui, du Grand Plan d’investissement (GPI), lequel comprend plusieurs actions financées par le programme d’investissements d’avenir (PIA) au profit de secteurs industriels. Ainsi, par exemple, l’action « Accompagnement et transformation de filières » vise à renforcer la compétitivité des filières stratégiques françaises, en permettant le recours à des moyens de production ou à des infrastructures de tests, d’essais ou de recherche-développement partagés.

Notre rapporteure a retenu une présentation en deux parties : la première présentant les crédits, la seconde portant plus spécifiquement sur les métaux critiques et la nécessité d’anticiper, dès aujourd’hui, des difficultés d’approvisionnement.

Je voudrais dès à présent l’interroger sur plusieurs points. Ma première question porte sur le budget lui-même : comment évoluent les crédits ciblés sur l’animation et la gouvernance des pôles de compétitivité ? Quel regard portez‑vous, Madame la rapporteure, sur la quatrième phase, 2019-2022, des pôles de compétitivité ?

Ma seconde question porte sur la partie thématique de votre rapport : le recyclage des objets contenant des métaux critiques peut-il être une réponse à nos besoins ?

Je rappelle que, les porte-parole des groupes s’étant exprimés la semaine dernière, nous passerons directement aux questions de nos autres collègues après votre exposé.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. La France a connu une désindustrialisation considérable ces vingt dernières années. Le constat est connu : le poids de l’industrie dans le produit intérieur brut en France est passé de 16,5 % en 2000 à 12,6 % en 2016, soit une proportion faible en comparaison de ce qu’elle est chez nos voisins européens tels que l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne.

Après un rebond en 2017, la situation des entreprises industrielles redevient inquiétante. Certes, la production continue de progresser, mais à un rythme très ralenti. Les usines françaises n’arrivent pas à regagner des parts de marché. Beaucoup d’emplois sont détruits. En 2017, le secteur avait recréé des emplois pour la première fois depuis 2000. Or, depuis, la tendance s’est inversée. D’après l’Institut national de les statistique et des études économiques (INSEE), 1 000 emplois industriels nets ont été détruits au premier trimestre 2018. Les jugements des industriels sur leurs effectifs laissent anticiper que l’emploi dans l’industrie continuera de diminuer au cours des trimestres à venir, portant à 6 000 l’ensemble des pertes d’emploi dans l’industrie en 2018. Cette désindustrialisation entraîne de vraies catastrophes sociales et économiques. L’industrie joue, en effet, un rôle important dans l’économie française. Le budget de l’industrie se doit donc d’être à la hauteur de l’urgence.

Or, force est justement de constater la faiblesse de ce budget au sein du PLF pour 2019. Peu élevées – 144 millions d’euros –, les dépenses d’intervention de la mission « Economie » sont même en baisse de 1 % par rapport à 2018, voire de 2,75 % compte tenu de l’inflation hors tabac et de l’accroissement de la population.

Sont notamment supprimées les aides pilotées « en central » c’est-à-dire celles qui soutenaient, principalement sous forme d’appels à projets, les initiatives des filières professionnelles, notamment en faveur des petites et moyennes entreprises (PME) ayant à faire face à des enjeux de compétitivité. Cette suppression est d’autant plus regrettable que ces aides étaient très précieuses. En 2018, elles ont, par exemple, servi à accompagner des sous-traitants de la filière diesel dans leur mutation vers des technologies alternatives.

Les crédits ciblés sur l’animation et la gouvernance des pôles de compétitivité sont stables à 14 millions d’euros. L’année 2019 marquera le début de la quatrième phase des pôles de compétitivité. Les modalités d’intervention financière de l’État évolueront à partir de 2020 ; le soutien au fonctionnement et à la gouvernance des pôles comprendra une part variable, en fonction des résultats individuels de chaque pôle dans les années précédant la quatrième phase, au regard des objectifs fixés pour celle-ci. Je m’interroge sur la pratique consistant à évaluer les résultats au regard d’objectifs fixés postérieurement. Les critères de performance pris en compte seront en effet les résultats aux appels à projets de recherche et développement nationaux et européens. Je crains que cela ne défavorise les pôles de petite taille, très utiles à l’écosystème industriel local voire national, mais insuffisamment grands pour répondre aux appels à projets européens.

Le PLF supprime également la dotation accordée à l’Agence France Entrepreneur (AFE), dans le contexte du transfert des missions de l’AFE à BPIfrance. Je m’interroge sur la manière dont BPIfrance pourra absorber cette activité, sachant que ses financements relevant de la mission « Économie » et de la mission « Recherche et enseignement supérieur » sont en baisse dans le PLF pour 2019.

Les crédits consacrés à la normalisation sont en forte baisse, alors même que celle-ci est un outil au service de la compétitivité et de la croissance des entreprises et traduit l’engagement de ces dernières à satisfaire un niveau de qualité et sécurité reconnu et approuvé.

Les crédits consacrés aux centres techniques industriels (CTI) et aux comités professionnels de développement économique (CPDE), d’un montant de 8,95 millions d’euros en 2019, sont en baisse de près de 10 % par rapport à 2018. Cette baisse est d’autant plus regrettable que ces centres exercent des missions de développement économique et technique précieuses au service des entreprises d’une filière.

Les dépenses fiscales sur impôts d’État de la mission « Économie », par contre, sont trop élevées : elles sont évaluées, en 2019, à 28 milliards d’euros. À titre d’exemple, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), entré en vigueur en 2013, est très coûteux pour les finances publiques. Les documents budgétaires ne précisent d’ailleurs pas le coût cumulé, en 2019, du CICE et du nouvel allégement de charges : d’après certaines estimations, il pourrait atteindre près de 40 milliards d’euros. Selon le Centre de recherches pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (REXECODE), la transformation du CICE en allégements de charges fera perdre 1,2 milliard d’euros à l’industrie. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), elle aura un impact négatif sur les créations d’emplois en 2019 et 2020.

Au terme de mon analyse, j’émets donc un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission « Économie » pour ce qui concerne l’industrie.

J’ai souhaité consacrer la partie thématique de cet avis budgétaire à une question qui peut paraître relativement ciblée mais qui n’en est pas moins cruciale : celle de notre sécurité d’approvisionnement en métaux critiques.

Notre consommation de métaux critiques augmente d’année en année. Les métaux critiques sont ceux qui sont particulièrement importants pour notre économie et sur lesquels pèse un risque d’approvisionnement. Ils entrent dans la composition de produits de haute technologie, en premier lieu dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. Ils sont en effet souvent nécessaires à la miniaturisation des équipements. Or, notre consommation de ces métaux a augmenté de façon considérable ces dernières années, poussée par les évolutions technologiques, démographiques et de niveau de vie. Trop peu de citoyens ont malheureusement conscience que de nombreux objets qu’ils utilisent, notamment les smartphones, en contiennent en quantité non négligeable. Nos besoins croissent également avec la transition énergétique, car ces métaux sont nécessaires aux batteries des véhicules électriques et hybrides, aux panneaux solaires et aux éoliennes.

Un début de prise de conscience apparaît, en France, au sein de l’Union européenne et dans les grands pays développés, quant à la nécessité de sécuriser les approvisionnements miniers, comme ce fut le cas, dans les années 1970, des approvisionnements énergétiques. La France est aujourd’hui fortement dépendante d’autres pays, et en particulier de la Chine, pour son approvisionnement primaire en métaux critiques.

Avant de se pencher sur les politiques à mettre en œuvre, il est plus que nécessaire de réaliser un inventaire de nos besoins en ressources stratégiques, notamment en métaux critiques, dans les années à venir. Cette évaluation ne doit pas uniquement se baser sur les besoins actuels des industriels mais sur l’identification des besoins de la société dans son ensemble.

Plusieurs solutions s’offrent à nous : la recherche de matériaux alternatifs, le recyclage de métaux présents dans nos déchets, la réouverture voire l’ouverture de nouvelles mines. Aucune n’est malheureusement suffisante ni totalement satisfaisante.

La substitution, même si des substituts aux métaux critiques peuvent être trouvés pour des usages donnés, est loin d’être toujours possible. Les travaux de recherche gagneraient néanmoins à être poursuivis sur ce point.

Le recyclage de produits contenant des métaux est donc la solution à encourager en priorité. Elle permettrait de réduire notre consommation de métaux primaires et d’assurer une partie de notre sécurité d’approvisionnement. Il n’y a toutefois pas, en France, d’industriel du recyclage qui soit de taille comparable à celle des grandes entreprises étrangères comme Umicore, entreprise belge, Aurubis, entreprise allemande, ou Boliden, entreprise suédoise. Il faut donc encourager la structuration d’une filière industrielle française reposant sur des procédés de recyclage plus directs – en termes de nombre d’étapes – et moins lourds en termes de réactifs utilisés et de matériels nécessaires. La difficulté de faire émerger une véritable filière industrielle tient moins à la recherche‑développement, qui est de bon niveau en France, qu’à l’absence de passerelle entre le monde de la recherche et l’industrialisation des procédés identifiés. Ce pourrait être le rôle du nouveau programme que je propose de créer, par voie d’amendement, au sein de la mission « Économie ».

Selon la direction générale des entreprises (DGE), que j’ai auditionnée, il faudrait une vingtaine de millions d’euros par an pour aider les PME du secteur du recyclage des métaux à passer de la phase de recherche-développement à la phase d’industrialisation. Cela doit devenir une priorité du comité stratégique de filière « Mines et métallurgie » au sein du Conseil national de l’industrie. D’autres mesures pourront être envisagées, à terme, lorsqu’aura progressé notre capacité à mesurer la teneur en métal critique des produits mis sur le marché. Plusieurs acteurs que j’ai rencontrés se sont prononcés pour une modulation plus importante de l’éco-contribution afin d’inciter les industriels à moins utiliser de métaux critiques ou à incorporer des métaux recyclés. Il est donc nécessaire de soutenir nos filières du recyclage.

Néanmoins, les ressources recyclables contenues dans nos déchets ne seront pas suffisantes pour répondre aux besoins actuels des pays industrialisés, surtout si nous n’arrivons pas à diminuer notre consommation. Si – et seulement si – l’évaluation de nos besoins fait apparaître la nécessité de recourir de nouveau à l’extraction, alors pourra être envisagée l’ouverture de mines. Toute réouverture ou ouverture de mine devra être passée au crible de nombreux critères économiques, environnementaux et sociétaux, dont certains figurent dans mon rapport. Les conséquences néfastes de l’activité minière dans le monde sont, en effet, nombreuses, tant sur les écosystèmes et l’environnement que sur les sociétés humaines et la vie quotidienne des populations.

On a souligné qu’en France, la remise en état et la dépollution des sites qui ont été exploités n’a pas été réalisée. France Libertés rappelle que l’effondrement d’un barrage au Brésil, en 2015, et les coulées de boue toxique qui s’en sont suivies ont fait au moins 15 morts et 45 disparus. Cet exemple montre que la stratégie des multinationales est de faire le maximum de profit, sans réellement prendre en compte le risque de catastrophes potentielles. Personne ne se soucie des déchets qui sont produits et ne sont pas retraités, de sorte qu’ils s’accumulent. Par conséquent, je le redis, la réouverture de sites, si elle est envisagée, doit être mise en balance avec les inconvénients qui seront liés à ces réouvertures.

Enfin, je souhaite mettre l’accent sur l’importance de l’écoconception. Elle est nécessaire, à la fois pour réduire la quantité de métaux utilisée et pour faciliter le recyclage de ces métaux. Des pièces aisément démontables facilitent, par exemple, le recyclage ultérieur des produits.

M. Damien Adam. Je commencerai cette intervention par un nouveau « coup de gueule », car une nouvelle fois nous sommes très peu nombreux en commission. Des personnes qui se disent très intéressées par l’industrie sont complètement absentes lorsque nous examinons ce budget et le rapport pour avis. Je trouve cela regrettable, et je pense que la commission doit se saisir de ce sujet et s’assurer que les commissaires soient présents.

J’en viens à ma question. Défense, aéronautique, automobile ; ces secteurs français à haute valeur ajoutée utilisent aujourd’hui une multitude de métaux rares, issus de terres de même nature.

Prenons l’exemple de la filière automobile, qui utilise ces métaux pour les batteries des véhicules électriques et pour le câblage des stations de recharge. Ces métaux représentent 50 % à 70 % du coût des batteries et sont les premiers responsables de la grande différence de prix qui subsiste entre un véhicule électrique et un véhicule thermique.

Je veux souligner les efforts de recherche-développement des constructeurs et industriels français pour se passer des métaux rares. Le moteur électrique de Renault se passe par exemple totalement de ces métaux grâce à un rotor bobiné.

Concernant les batteries, la France est l’un des rares pays européens à disposer sur son territoire de l’ensemble de la chaîne de valeur de production de batterie et de deux fabricants de cellules, Saft et Blue Solutions, avec des usines sur le sol français. Compte tenu de cet avantage, les industriels français doivent se saisir d’une nouvelle génération de batteries qui se passerait de métaux rares.

Madame la rapporteure, est-ce que, dans votre rapport écrit – que nous n’avons pas, ce qui est regrettable pour voter les crédits –, la recherche d’alternatives aux métaux rares est évoquée ? Avez-vous identifié des secteurs dans lesquels nos industriels pourraient se passer de métaux rares et, si oui, avez‑vous des recommandations à formuler pour soutenir une telle initiative ?

M. Jérôme Nury. Madame la rapporteure, on ne peut que partager votre constat à propos des métaux rares. Nos sociétés occidentales sont de plus en plus consommatrices de ces métaux : pour les éoliennes, les panneaux solaires, et surtout les voitures électriques. On peut partager votre objectif consistant à sécuriser les approvisionnements : il est indispensable que la France soit moins dépendante en la matière, notamment vis-à-vis de la Chine.

En revanche, parmi les trois solutions que vous proposez, deux me semblent un peu limitées. D’abord, l’ouverture de mines n’est certainement pas une solution d’avenir, sachant où ces mines seront nécessairement localisées dans le monde et dans quelles conditions elles fonctionnent aujourd’hui.

Quant au recyclage, c’est une obligation édictée par l’Union européenne depuis 2006 pour traiter et valoriser l’ensemble des batteries qui alimentent différents produits, notamment dans l’industrie numérique et l’industrie automobile.

Je crois qu’il faut rechercher des alternatives pour construire une vraie filière de batteries en France, qui soit maîtrisée par nos industriels et par l’industrie automobile, afin de ne plus détruire de technologies qui sont aujourd’hui, pour l’essentiel, aux mains des Chinois. L’État « stratège » met-il bien les moyens nécessaires pour réunir les acteurs de la filière et développer de vraies solutions à l’échelle du pays ? Nous savons que c’est un sujet d’avenir, puisque, dans dix ans, la moitié de nos véhicules devront être électriques.

M. Sébastien Cazenove. Dans le journal Les Échos daté d’hier, on lit à la rubrique « industrie » que M. Bruno Le Maire a déclaré vouloir engager la bataille de la fabrication en France. Après la publication d’un rapport montrant que les entreprises investissent beaucoup dans les actifs immatériels, mais peu dans la modernisation de leur appareil de production, le ministre vise notamment la fiscalité pesant sur la production.

Je voudrais connaître l’avis de la rapporteure sur ce sujet.

M. Vincent Rolland. Madame la rapporteure, sommes-nous aujourd’hui en mesure d’évaluer le coût environnemental de l’extraction de ces métaux qui sont ensuite conditionnés dans des batteries ? Nous avons souvent entendu dire que l’impact environnemental de l’extraction, notamment en termes de rejets de CO2, était considérable.

Comme beaucoup ici, je crois à l’avenir de notre industrie et j’ai, dans ma circonscription, de vieilles industries qui marchent plutôt bien et qui sont très consommatrices d’énergie. Ce sont des industries électro-intensives, ou hyper‑électro-intensives. Elles ont des contrats d’approvisionnement à long terme à des tarifs préférentiels. Ces contrats pourront-ils être renouvelés ? Sachant que la part du coût de l’électricité dans le processus de fabrication global peut atteindre 30 %, ces contrats à long terme d’approvisionnement à bon marché offrent un avantage compétitif déterminant et vital à notre pays.

M. Guillaume Kasbarian. Je souhaite faire une observation préalable sur la procédure. Je ne critique personne, je le précise, mais je regrette que nous ne disposions pas du rapport écrit. Nous parlons d’un sujet important, l’industrie, sur lequel nous n’avons strictement aucun écrit, et nous découvrons le sujet en cours de réunion. Nous posons des questions, nous nous offrons des tribunes, nous nous faisons plaisir, mais nous n’avons pas les documents. Il n’existe aucune organisation, aucune entreprise, qui organise des réunions sans distribuer auparavant le document qui sera discuté. J’aimerais beaucoup vous dire, Madame la rapporteure, que votre travail est formidable, mais, pour cela, il faudrait que j’aie eu votre rapport avant. Il ne s’agit aucunement d’une remarque personnelle : c’est le cas pour tous les autres rapports, et c’est le fait de notre procédure, qui ne convient pas. Nous parlons dans le vide, sans creuser le sujet. Il est important d’améliorer notre fonctionnement interne.

On parle souvent de désindustrialisation, à tort. En 2017, il y a eu cent fermetures de sites industriels, mais cent vingt-cinq ont été créés. Le bilan net est de vingt-cinq créations de sites, et de 19 588 créations nettes d’emplois industriels. Mais j’imagine qu’il est plus facile de se concentrer sur les sites qui ferment et les emplois qui se perdent que sur les usines et les emplois qui sont créés : cela fait plus de clics, on en parle plus.

Pour 2018, vous avez évoqué les derniers chiffres de l’INSEE. Je n’ai pas exactement les mêmes. Le rapport de l’INSEE sur l’emploi salarié par secteur au deuxième trimestre 2018 indique qu’il y a eu 5 000 emplois industriels créés en un an. Nous ne sommes pas en train d’inverser la courbe par rapport à 2017 : nous continuons à créer des emplois industriels cette année. J’aimerais donc savoir quels éléments vous font dire qu’il y a désindustrialisation.

S’agissant de la politique industrielle, la majorité est engagée dans un puissant plan de transformation numérique de l’industrie, annoncé par le Premier ministre le 20 septembre à Villacoublay, lors d’une visite de l’entreprise Dassault. Il a par exemple annoncé le suramortissement de 40 % sur les investissements en robotique et en numérisation, un taux d’impôt réduit pour les recettes tirées de brevets sur les logiciels, une baisse de la fiscalité énergétique sur les data centers, le déblocage d’une enveloppe de financement sur la robotisation, la création d’outils informatiques communs par filière, une vingtaine de centres d’accélération pour les technologies de pointe, et une centaine de territoires d’industries pour prioriser les moyens. Notre collègue Bruno Bonnell y travaille avec d’autres, pour identifier ces territoires industriels sur lesquels nous voulons « mettre le paquet », parce que nous croyons en l’industrie, nous voulons réindustrialiser, nous voulons faire croître l’industrie dans notre pays.

Ces avancées sont majeures. Les soutenez-vous ? Dans le cas contraire, pour quelles raisons ne les soutenez-vous pas, et quelle politique industrielle alternative proposez-vous ?

M. Antoine Herth. Pour les PME de l’agroalimentaire, la cause première de l’absence d’investissement dans de nouveaux produits, de la faiblesse de la recherche-développement et de la non-modernisation de certaines lignes de production est le pillage généralisé de la valeur ajoutée qui est opéré par la grande distribution. On peut considérer ici que le problème a été traité par les dispositions du titre Ier de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGALIM ». Malheureusement, les retours qui me viennent du terrain ne vont pas dans la bonne direction. Il faudra donc être particulièrement vigilants, je parle sous le contrôle de M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur de la loi, quant à la mise en œuvre de la régulation des relations commerciales.

Ma question porte sur les consommateurs d’électricité et d’énergie que sont nos PME et TPE industrielles. Elles n’ont pas l’habitude de mettre en concurrence leurs fournisseurs et subissent une augmentation du coût de l’énergie. Ne serait-il pas opportun de refaire une communication, voire de les accompagner pour maîtriser les outils de comparaison des prix de l’électricité et les aider à trouver le meilleur prix, ce qu’en réalité elles ne savent pas le faire ?

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. S’agissant de l’organisation de nos débats, l’absence de rapport écrit est la procédure normale, mais je partage vos remarques. Il est effectivement très compliqué de poser des questions sur un rapport dont on ne dispose pas. Mais, sauf erreur de ma part, c’est la pratique générale.

M. Mickaël Nogal, président. En effet, les administrateurs m’indiquent que, comme pour la commission des finances, le rapport n’est pas à disposition. Cela devrait faire l’objet d’une discussion au sein du bureau de notre commission, et nous pourrions inspirer les autres commissions pour que les rapports soient mis à disposition afin que nous ayons une bonne connaissance préalable des sujets que nous évoquons.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. J’en suis tout à fait d’accord. S’agissant de l’absence de certains de nos collègues, j’en suis un peu responsable car je n’ai pu être présente la semaine dernière lorsque l’ensemble des autres rapports pour avis ont été présentés, et je vous prie de m’en excuser.

Ce rapport me semble aborder un sujet qui mérite véritablement notre attention. Pour ma part, j’ai réalisé une dizaine d’auditions, et je pense que ce n’est pas suffisant pour creuser tous les aspects de cette question des métaux stratégiques. C’est en effet un problème majeur pour des filières comme l’aéronautique où l’automobile, et nous devrons nous en saisir de manière plus approfondie car, pour l’instant, je ne suis pas en mesure de répondre sur l’ensemble des points que vous avez soulevés.

En ce qui concerne les trois stratégies possibles, tous les acteurs que nous avons auditionnés nous ont dit qu’il faudrait nécessairement mettre en œuvre les trois en même temps. Selon moi, l’exploitation de nouvelles mines n’est pas la bonne solution, mais comment faire si nous n’avons pas d’autre choix, si nous ne pouvons pas utiliser d’autres alternatives ? Nous devons réfléchir aux enjeux qui sont en arrière-plan, ainsi qu’à la question du recyclage. Nous avons rencontré de nouvelles entreprises qui essaient de s’organiser au sein de filières, mais, pour l’instant, l’État « stratège » n’est pas suffisamment efficace. En particulier, nous ne connaissons pas les besoins en métaux stratégiques pour l’avenir.

Pour la compensation carbone, il existe un dispositif en faveur des entreprises électro-intensives, notamment dans le secteur de la sidérurgie, exposées à un risque significatif de délocalisation en raison des coûts du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, qui sont répercutés sur les prix de l’électricité. Quant à favoriser la mise en concurrence en aidant à la connaissance des prix de marché, je ne sais pas si c’est bien le rôle de l’État. Les entreprises ne sont-elles pas en mesure de savoir quel est le meilleur fournisseur ?

Monsieur Kasbarian, nous n’avons pas les mêmes chiffres de l’INSEE sur le secteur de l’industrie. Pour ma part, j’ai retenu ceux qui figurent dans une note de conjoncture de juin 2018 : 1 000 emplois détruits dans le secteur au premier trimestre 2018. Si vous en avez d’autres, nous pourrons en discuter pour les comparer. Ce n’est pas une question de nombre de clics : nous ne sommes pas là pour ça, mais pour essayer d’approfondir cette thématique, qui me semble importante.

Quant à la transformation du CICE, je pense qu’elle sera défavorable à l’industrie, mais il faut approfondir la question car elle ne fait pas partie de celles que nous avons abordées au cours des auditions. Comme je l’ai dit, le rapport a été élaboré sur un laps de temps un peu trop court à mon sens, et certains points mériteraient d’être étudiés plus avant.

S’agissant des coûts environnementaux de l’extraction des métaux, il n’existe pas d’évaluation globale, de même qu’il n’existe pas d’évaluation des besoins futurs. Il manque donc vraiment toute une partie stratégique dans les études dont nous disposons. On sait cependant que la réalisation du projet de la « Montagne d’or » augmenterait de 60 % les émissions de gaz à effet de serre en Guyane ; c’est une raison de plus pour se demander si la réouverture de mines est bien une nécessité.

Enfin, la recherche-développement est satisfaisante en France, mais il faut passer plus activement à la phase d’industrialisation. Les 20 millions d’euros évoqués par certains responsables que nous avons auditionnés ne me semblent pas une somme astronomique pour favoriser le développement des start-up et de la petite et moyenne industrie dans le secteur du recyclage des métaux.

M. Mickaël Nogal, président. Nous en venons à l’examen des amendements.

La commission est saisie de l’amendement II-AE38 de la rapporteure.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. Cet amendement tend à créer un nouveau programme « Recyclage et réparation », doté de 10 millions d’euros, au sein de la mission « Économie ».

Nous pensons qu’un programme de ce type permettrait de soutenir les filières de recyclage françaises. La difficulté de faire émerger de véritables filières industrielles tient surtout à l’absence de passerelles entre le monde de la recherche et l’industrialisation des procédés identifiés. Lors des auditions, la nécessité de soutenir les PME du recyclage a été rappelée, afin de les structurer en une véritable filière française. Ces crédits permettraient de soutenir l’écosystème économique de la réparation, puisque l’allongement de la durée de vie des produits est un axe majeur du développement durable.

Le renforcement de l’efficacité de l’usage des produits générerait entre 200 000 et 400 000 emplois, ce qui n’est pas négligeable, et l’adoption de cet amendement permettrait d’envoyer un signal fort aux acteurs de la réparation et du recyclage, en cohérence avec la feuille de route pour l’économie circulaire proposée en mai par le Gouvernement. Cela va aussi dans le sens d’une politique de transition écologique, nécessaire pour la relance économique du pays.

L’amendement est rejeté.

M. Mickaël Nogal, président. Madame la rapporteure, quel est votre avis sur les crédits du budget « Industrie » de la mission « Économie » ?

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure pour avis. Défavorable.

M. Mickaël Nogal, président. Je rappelle les avis donnés précédemment sur cette même mission : pour le Commerce extérieur, M. Herth s’en était remis à la sagesse de la commission ; pour les Communications électroniques et l’économie numérique, Mme Hennion avait émis un avis favorable ; pour les Entreprises, M. Rolland avait émis un avis défavorable.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Économie » modifiés.

 


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   liste des Personnes auditionnÉes

Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Mme Michèle Rousseau, présidente-directrice générale

Mme Nathalie Dorfliger, directrice, direction eau, environnement et écotechnologies

M. Jean-Claude Guillaneau, directeur, direction des géoressources

M. Pierre Toulhoat, directeur général délégué

Association Orée

Mme Nathalie Boyer, déléguée générale

Les Amis de la Terre (France)

Mme Alma Dufour, chargée de campagne extraction et surconsommation

Mme Juliette Renaud, chargée de campagne régulation des multinationales

Comité pour les métaux stratégiques (Comes)

Mme Isabelle Wallard, secrétaire générale

Administration centrale

M. Jean-François Gaillaud, chef du bureau économie circulaire à la direction générale des entreprises au ministère de l’économie et des finances

M. Rémi Galin, chef du bureau de la politique des ressources minérales à la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) au ministère de la transition énergétique

Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec)

M. Patrick Kornberg, président de la filière métaux non ferreux

Mme Marie-Ange Badin, responsable des relations institutionnelles

Agence de lenvironnement et de la maîtrise de lénergie (Ademe)

M. Alain Geldron, expert national matières premières

Industriels

M. Olivier Sutterlin, chargé de mission affaires publiques pour le groupe Eramet

M. Marc Dauzat, directeur d’EcoTitanium

M. Stéphane Peys, président de Bigarren Bizi

WWF (France)

Mme Chloé Moitie, responsable des campagnes

Collectif Or de question

Mme Marine Calmet, porte-parole

France Libertés !

M. Jérémie Chomette, directeur

Mme Marion Veber, chargée du programme droits des peuples

ESR

Mme Nathalie Yserd, directrice déléguée

M. Richard Toffolet, directeur technique

Mme Audrey Lenne, consultante en affaires publiques au cabinet Rivington

Mme Annie Thebaud Mony, sociologue spécialiste des questions de santé publique

Mme Nina Besana-Mourlaas, chargée de politiques environnementales, militante pour la prise en compte des questions environnementales et sociales dans les projets miniers

Mme Fanny Verrax, docteur en philosophie, spécialisée en éthique de l’environnement et en philosophie de la technologie


([1]) Son programme 423 intitulé « Accélération de la modernisation des entreprises » comprend quelques actions tournées vers le soutien au tissu industriel français (actions « Soutien à l’innovation collaborative », « Accompagnement et transformation des filières » et « Adaptation et qualification de la main-d’œuvre »).

([2]) Cette baisse est pondérée en fonction de l’inflation (hors tabac) et de la hausse de la population prévues pour 2019.

([3]) L’ouverture des crédits de paiement dans le PLF 2019 permettra de couvrir les restes à payer sur les engagements antérieurs au 31 décembre 2018.

([4]) Mission confiée à Mme Anne-Laure Cattelot, députée et à M. Bruno Grandjean, président de la fédération des industries mécaniques (FIM) et de l’alliance de l’industrie du futur.

([5]) « Note de position sur la criticité des métaux pour l’économie française », avril 2018, Comité pour les métaux stratégiques (Comes).

([6]) https://ec.europa.eu/growth/sectors/raw-materials/specific-interest/critical_en

([7]) http://www.isf-systext.fr/sites/all/animationreveal/mtxsmp/#/

([8]) « The Growing Role of Minerals and Metals for a Low-Carbon Future », Banque mondiale, 2017.

([9]) « La transition énergétique face aux défis des métaux critiques », Ifri, janvier 2018.

([10]) Estimation dans le cadre du projet de recherche « Valodem ‑ Valorisation de déchets miniers ».

([11]) Étude citée par l’Ademe en 2013 : https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/fiche-technique-economie-circulaire-oct-2014.pdf

([12]) « Stop aux zones de sacrifice ! », France Libertés, 2017.

([13]) « « Montagne d’or » en Guyane : « Un projet minier destructeur qui ne rapportera quasiment rien » », Le Monde, 5 octobre 2018.

([14]) Communication de la Commission européenne du 4 novembre 2018 intitulée « Initiative ″matières premières″ — répondre à nos besoins fondamentaux pour assurer la croissance et créer des emplois en Europe ».

([15]) « Les gisements de tungstène en France. Situation en 1990 », rapport du BRGM, 1990.

([16]) « Recycling of tungsten; technology, potential and limits », Wolf-Dieter Schubert & Burghard Zeiler, International Tungsten Industrie Association 27th Anual General Meeting at Toronto, 2014.

([17]) « Paradis sous terre : comment le canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale », William Sacher, 2012.

([18]) https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Feuille-de-route-Economie-circulaire-50-mesures-pour-economie-100-circulaire.pdf

([19]) Interpol est une organisation internationale créée le 7 septembre 1923 dans le but de promouvoir la coopération policière internationale.

([20]) « La profitabilité de l’éco-conception. Une analyse économique », Ademe, 2014.