N° 2303

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

PRÉSENTÉ

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2020 (n° 2272),

 

 

TOME I

 

ACTION EXTÉRIEURE DE L’ÉTAT

 

Action de la France en Europe et dans le monde ;

Français à l’étranger et affaires consulaires

 

 

PAR Mme Anne GENETET

Députée

 

——

 

Voir le numéro : 2301.


 

 


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SOMMAIRE

___

 Pages

Introduction

Première partie : Budget pour 2020, des moyens stabilisés sur fond de réforme en profondeur

I. Les moyens de la diplomatie et des affaires consulaires sont stabilisés

A. Le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde

B. Le programme 151 Français de l’étranger et affaires consulaires

1. Les affaires consulaires

2. Les crédits du programme 151

3. La mesure de la qualité du service rendu

C. L’emploi et la masse salariale du ministère

D. Zoom sur la direction de la diplomatie économique

II. la réforme des réseaux de l’État à l’étranger est désormais bien engagée

A. Un changement du cadre de l’action extérieure de l’État

1. La réforme fait partie du plan « Action publique 2022 »

2. Une mise en œuvre désormais maîtrisée

B. une bonne réforme malgré quelques points de vigilance

1. Les améliorations sont nombreuses…

2. … en dépit de plusieurs points de vigilance

Deuxième partie : Les bourses scolaires à l’étranger

I. L’aide à la scolarité à l’étranger est robuste

A. Les conditions d’attribution des bourses ont évolué vers davantage d’équité

B. La procédure d’attribution des bourses est inclusive

C. L’effort budgétaire pour les bourses scolaires est conséquent

II. Le système des bourses scolaires à l’étranger peut encore évoluer pour se rapprocher des besoins des familles

A. La légère baisse du nombre de boursiers n’est pas alarmante

B. L’équité du système peut être renforcée

C. La procédure reste mal adaptée aux délais courts

Troisième partie : La gestion des effectifs  au sein du quai d’orsay

I. Le pilotage de la masse salariale du quai d’orsay est complexe en raison de l’éclatement du réseau

A. une masse salariale en hausse…

B. … Sous l’effet de facteurs exogènes…

C. … Qui seront pris en compte en 2020

II. la réduction des effectifs à missions inchangées met le quai d’orsay en équilibre précaire

A. L’incapacité française à ajuster les missions aux moyens

B. Le réseau diplomatique et consulaire en équilibre précaire

III. La gestion « qualitative » des effectifs est trop souvent délaissée

A. Repenser les carrières des diplomates

B. Renforcer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

1. Le MEAE a su gérer la problématique des personnels sans affectation…

2. Mais doit, pour l’avenir, mettre en place une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC)

IV. La féminisation du personnel diplomatique doit être poursuivie

A. malgré les efforts, le meae n’atteint pas ses objectifs

1. La féminisation du personnel diplomatique

2. Le Quai d’Orsay accuse encore du retard

B. Le Quai d’Orsay doit agir sur les verrous qui bloquent la progression des femmes

1. Renforcer le vivier féminin

2. Favoriser la conciliation entre vie privée et vie professionnelle

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. JEAN-Yves LE DRIAN, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

II. Présentation DE l’AVIS devant la commission des affaires étrangÈres et examen des crédits

Article additionnel avant l’article 73 : Rapport du Gouvernement au Parlement sur l’exécution budgétaire et financière des contrats d’objectifs et de moyens et les contrats d’objectifs et de performance des opérateurs de l’action extérieure

Liste des personnes auditionnées par la rapporteure pour avis


—  1  —

   Introduction

Histoire d’un ministère de l’ombre : le nez dans le guidon et pas de vague, tel serait, si votre rapporteure pouvait écrire une étude ethnographique du Quai d’Orsay, le titre qu’elle donnerait à cet ouvrage.

Pour la troisième année consécutive, votre rapporteure a la responsabilité d’éclairer la représentation nationale sur les crédits de la mission Action extérieure de l’État qui rassemble les moyens de la diplomatie française. En 2020, les crédits de la mission sont stabilisés. Votre rapporteure souhaite à cet égard saluer l’engagement personnel du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, dans la défense des intérêts de son ministère.

Malgré cette stabilisation sur le plan budgétaire, le ministère continue de fournir de nombreux efforts pour se réformer et dégager des économies. Les effectifs du Quai d’Orsay continuent de diminuer, alors que la diplomatie française repose sur l’action de seulement 13 500 personnes, soit moins que les effectifs du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ([1]). Il est à noter que le périmètre d’action des personnels du Quai d’Orsay est aussi beaucoup plus étendu et complexe que celui des personnels relevant d’autres agences ou administrations publiques.

La discussion sur les moyens du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) ne peut être décorrélée des missions du ministère.

Il n’est pas simple, à la lecture des documents budgétaires, de délimiter les missions attribuées aux diplomates. En effet, la mission Action extérieure de l’État se donne quatre priorités : agir en faveur de la paix et de la stabilité, promouvoir une nouvelle dynamique européenne, défendre la démocratie et les droits de l’Homme et œuvrer à une régulation économique et commerciale efficiente. Pour mettre en œuvre ces quatre priorités, la mission se décompose en trois programmes budgétaires qui comportent, à chaque fois, plusieurs objectifs qui s’accompagnent de moyens et d’indicateurs de performance.

L’architecture de la mission Action extérieure de l’État corrobore le sentiment de votre rapporteure après de nombreuses auditions : nos diplomates exercent un nombre de missions trop important. Cette situation pose la question de la capacité du politique à fixer de réelles priorités. Trop de priorités diluent la priorité. Sans décision, s’imposera à terme le dilemme suivant : restreindre les missions des postes diplomatiques ou renoncer à l’universalité du réseau. 

Malgré la puissance de frappe de notre diplomatie, par exemple pour assurer la sécurité des ressortissants français ou pour renforcer l’attractivité de la France à l’étranger, les Français n’ont souvent qu’une idée très vague du quotidien d’un diplomate. Conséquence de la discrétion voire du secret desquels s’entoure la diplomatie, le Quai d’Orsay est un ministère peu connu des autres ministères, des parlementaires et surtout de l’opinion publique. Les mémoires d’ex-ambassadeurs, lues essentiellement des diplomates eux-mêmes et de quelques passionnés, ne suffisent pas à faire la lumière sur les activités du Quai d’Orsay. Cette méconnaissance alimente en retour la méfiance qui se traduit par les nombreux fantasmes et fausses informations sur le train de vie des diplomates.

Cette image dégradée du Quai d’Orsay est très dommageable compte tenu de l’importance des missions de ce ministère. Sans sa diplomatie, c’est la France qui disparaît de la carte du monde. Par ailleurs, cette image ne rend pas justice aux efforts déployés par les personnels du ministère, qui acceptent des contraintes très lourdes sur leur vie privée et familiale, au service de notre pays.

La création, cette année, du Collège des hautes études de l’institut diplomatique (CHEID), qui vise à faire connaître le monde de la diplomatie à des personnes à fort potentiel, issues de la société civile, est un premier pas vers l’ouverture du Quai d’Orsay au regard du public. Mais il sera essentiel que ce collège prenne de l’ampleur.

Et il restera nécessaire de mieux communiquer sur les missions. Ne faut-il pas rappeler, par exemple, que Nantes est, grâce au service central d’état civil du MEAE, la plus grande mairie de France ? Il faut aussi mieux donner à voir la diplomatie en action. Alors que les services de renseignement ont bénéficié de l’image positive donnée par la série télévisée Le Bureau des légendes créée par Éric Rochant, le moment n’est-il pas venu de créer une série sur la diplomatie ([2]) ?


   Première partie : Budget pour 2020, des moyens stabilisés sur fond de réforme en profondeur

Le budget global du MEAE se répartit entre la mission Action extérieure de l’État et la mission interministérielle Aide publique au développement au sein de laquelle figure un programme budgétaire relevant du ministère ([3]).

En 2020, les moyens globaux du MEAE augmentent de près de 3 % pour dépasser, pour la première fois, le seuil symbolique des 5 milliards d’euros. Cette hausse est largement portée par la trajectoire ascendante de l’aide publique au développement (APD) que le Président de la République s’est engagé à porter à 0,55 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2022. Selon Mme Hélène Tréheux-Duchène, directrice générale de l’administration et de la modernisation du MEAE, le budget pour 2020 est « satisfaisant » dans le contexte actuel.

Si l’on laisse de côté les crédits consacrés à l’APD, la mission Action extérieure de l’État, qui représente 57 % du budget total du MEAE, se répartit entre trois programmes budgétaires ([4]). Votre rapporteure n’est responsable que des programmes 105 et 151 consacrés respectivement aux affaires diplomatiques et consulaires, à l’exclusion du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence ([5]).

ÉVOLUTION DES CRÉDITS de paiement
DE LA MISSION Action extérieure de l’état EN 2020

(en millions d’euros)

Programme

LFI 2019

PLF 2020

Évolution

Total pour la mission

2 848*

2 875

+ 0,9 %

dont P. 105 Action de la France en Europe et dans le monde

1 774

1 784

+ 0,5 %

dont P. 151 Français de l’étranger et affaires consulaires

374

373

 0,3 %

dont P. 185 Diplomatie culturelle et d’influence

700

718

+ 2,6 %

*Hors P. 347 Présidence française du G7.

Source : projet annuel de performances (PAP) Action extérieure de l’État, présent projet de loi de finances.

En 2020, la poursuite de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger permet de réaliser des économies qui seront réaffectées vers de nouveaux projets. À côté de la hausse des crédits consacrés à la diplomatie culturelle et d’influence, ces nouvelles marges de manœuvre financeront plusieurs mesures en faveur de l’action multilatérale de la France, de la modernisation de l’administration consulaire et des travaux de maintenance immobilière.

Cette traditionnelle partie budgétaire se concentrera sur les moyens exprimés en crédits de paiement plutôt qu’en termes d’autorisations d’engagement, dans la mesure où les crédits de paiement reflètent les moyens réels, décaissables, dont dispose durant l’année considérée le Gouvernement. Par ailleurs, les engagements pluriannuels du MEAE restent en tout état de cause limités.

I.   Les moyens de la diplomatie et des affaires consulaires sont stabilisés

A.   Le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde

Le programme 105 rassemble une part importante des moyens dévolus au MEAE pour conduire la politique étrangère de la France. Il regroupe notamment les crédits de fonctionnement du ministère, en administration centrale comme dans les postes diplomatiques et consulaires, les contributions de la France aux organisations européennes et internationales et les dépenses d’investissement du ministère, notamment en matière de systèmes d’information et de travaux immobiliers. Les crédits de paiement du programme 105 sont à peu près stables à 1,784 milliard d’euros dont 1,113 milliard d’euros pour les crédits hors masse salariale.

Ces moyens sont au service de trois objectifs : renforcer la sécurité internationale et la sécurité des Français, promouvoir le multilatéralisme et agir pour une Europe souveraine, unie, démocratique et, enfin, assurer un service diplomatique efficient et de qualité. Votre rapporteure salue l’introduction de nouveaux indicateurs et sous-indicateurs pour mesurer l’atteinte de ces objectifs, ce qui répond à certaines recommandations qu’elle avait émises par le passé.

S’agissant du premier objectif, l’indicateur « Veiller à la sécurité des Français à l’étranger » est complété par deux nouveaux sous-indicateurs permettant de mesurer la qualité du service public rendu en cas de crise affectant la communauté française à l’étranger : le ratio « Personnes localisées/personnes signalées » et le ratio « Temps moyen d’attente d’un appelant ».

Le deuxième objectif s’enrichit d’un nouvel indicateur « Dossiers préparés dans le cadre des échéances européennes et des échanges bilatéraux », qui pourrait être utilement complété, à l’avenir, par la mesure des retombées de ces différents dossiers. Votre rapporteure regrette néanmoins que certains indicateurs manquent de clarté (« Optimiser l’effort français en faveur du maintien de la paix », « Efficience de la fonction support », « Efficience de la fonction achat »).

évolution des crédits de paiement du programme 105

En millions d’euros

Action

HT2

LFI 2019

T2 LFI 2019

Total LFI 2019

HT2

PLF 2020

T2 PLF 2020

Total PLF 2020

Évolution

FDC et ADP (1) 2019

FDC et ADP 2020

1 – Coordination de l’action diplomatique

33,6

66,2

99,9

25,9

66,3

92,1

 7,8 %

0,1

0,1

2 – Action européenne

43,6

10,8

54,4

45,7

11,3

57,0

+ 4,8 %

4 – Contributions internationales

683,8

683,8

676,2

676,2

 1,11 %

5 – Coopération de sécurité et de défense

36,3

67,7

104,0

36,3

67,2

103,6

 0,4 %

1,1

1,1

6 – Soutien

103,8

118,3

222,1

107,6

125,4

233,1

+ 4,96 %

0,2

0,5

7 – Réseau diplomatique

212,1

398,0

610,1

220,8

400,8

621,6

+ 1,88 %

6,8

9,1

Total

1113,3

661,0

1 774,4

1 112,6

671,1

1 783,6

+ 0,5 %

8,2

10,7

(1) Attributions de produits (ADP) et fonds de concours (FDC) attendus.

Source : PAP Action extérieure de l’État, présent projet de loi de finances.

L’action 1 regroupe les dépenses dites « d’état– major » du ministère : fonctionnement des cabinets, protocole, communication, presse et protection de nos ressortissants à l’étranger grâce à l’action du centre de crise et de soutien. Ces crédits connaissent une baisse pour s’établir à 25,9 millions d’euros, hors titre 2, sous l’effet de la variation des moyens de la direction du protocole.

Alors que la dotation du protocole avait été portée de 4 à 18 millions d’euros entre 2018 et 2019 pour financer la présidence française du Conseil de l’Europe et les réunions ministérielles dans le cadre de la présidence française du G7, celle-ci est ramenée à 10 millions d’euros afin de s’ajuster au cycle des conférences internationales. Le protocole devrait notamment bénéficier du report des crédits votés en 2019 pour le financement de sommets repoussés à 2020, notamment les sommets Afrique-France et France-Océanie.

Les actions 2 et 3 regroupent les dépenses réalisées au titre des contributions européennes et internationales, qui représentent les deux tiers des crédits hors titre 2 du programme 105. En 2020, ce sont 721 millions d’euros qui seront versés par la France, dont 676,21 millions d’euros pour les contributions internationales et 45,04 millions d’euros pour les contributions européennes ([6]).

En 2020, les contributions européennes, qui bénéficient principalement au Conseil de l’Europe, enregistrent une nouvelle hausse de 2 millions d’euros, équivalente à la hausse qui avait déjà eu lieu en 2019.

Les contributions internationales de la France diminuent quant à elles de 7,5 millions, après la baisse marquée de 74 millions d’euros en 2019, sous l’effet de deux mouvements contraires. D’une part, sous l’impulsion des États-Unis, le coût des opérations de maintien de la paix (OMP) continue de décroître : en conséquence, la contribution française au budget des OMP baissera de 19 millions d’euros pour s’établir à 307 millions d’euros en 2020. D’autre part, la France augmente de 11 millions d’euros sa contribution aux organisations internationales. Cette hausse est la conséquence de la baisse de l’euro vis-à-vis du dollar, qui est la devise de paiement de nombreuses organisations, mais également du financement de mesures nouvelles au profit notamment :

– de projets de sécurité collective, comme la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive (AMD), la lutte contre le terrorisme et la prévention des crises ;

– et d’opérations d’influence, comme la promotion de la présence de jeunes français dans les organisations internationales par l’intermédiaire du programme des jeunes experts associés.

L’action 5 porte les crédits de la direction de la coopération de sécurité et défense (DCSD), qui met en œuvre des projets destinés à renforcer les capacités de nos partenaires à lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée. Les moyens dédiés à la coopération de sécurité et de défense restent stables, à 36,3 millions d’euros, ce qui atteste de la volonté de poursuivre les investissements dans notre sécurité nationale.

L’action 6 finance le fonctionnement de l’administration générale, les dépenses liées à la gestion des ressources humaines et aux systèmes d’information et de télécommunication ainsi que la politique immobilière et les opérations de sécurisation des emprises situées en France. Les crédits hors titre 2 de l’action 6 augmentent pour atteindre 107,6 millions d’euros.

Ces crédits se caractérisent par une certaine rigidité, en raison du poids des dépenses sur lesquelles le MEAE ne dispose que de faibles marges de manœuvre à court terme, comme les dépenses de gaz et d’électricité, en augmentation. La hausse des crédits permet de financer certaines actions conduites par la direction du numérique ou les ressources humaines, comme la formation des agents au nouveau logiciel de gestion comptable « Crocus ».

L’action 7 regroupe les dépenses de fonctionnement et d’investissement des postes diplomatiques et consulaires, des frais de représentation aux véhicules, en passant par l’immobilier et la sécurisation des emprises. Les crédits hors titre 2 de l’action 7 sont en hausse de près de 4 % et avoisinent 220,8 millions d’euros compte tenu des nouveaux moyens consacrés à la maintenance immobilière.

En 2020, les produits de cessions immobilières ([7]) diminueront pour s’établir à 4 millions d’euros, un montant divisé par cinq par rapport à 2018. Votre rapporteure répète depuis plusieurs années qu’il faut mettre fin à l’approche court-termiste consistant pour le ministère à vendre nos biens immobiliers à l’étranger afin de financer les dépenses d’entretien des immeubles restants en notre possession. Le patrimoine immobilier de l’État à l’étranger, qui constitue un outil de travail pour les personnels aussi bien qu’un instrument de rayonnement pour la France, est aussi le fruit d’une longue histoire dont témoigne la vétusté attristante, parfois inquiétante, d’une partie de nos emprises. Ce patrimoine, lorsqu’il est un cadeau du pays hôte, ne peut être vendu et pour le reste, ne saurait être bradé, ce qui ne dispense pas d’opérations d’optimisation telles que celles menées au Japon et en Corée.

Aussi, votre rapporteure exprime sa satisfaction vis-à-vis de l’évolution en cours qui rend nécessaire d’augmenter les crédits budgétaires consacrés à l’entretien pour compenser la baisse des produits de cessions. En l’occurrence, et c’est une bonne nouvelle, le budget immobilier passe de 72 à 80 millions d’euros en 2020, ce qui représente une hausse des moyens de 7,5 millions d’euros, dont 5 millions pour l’entretien lourd des ambassades et des consulats.

Votre rapporteure estime néanmoins que ces montants restent largement insuffisants pour faire face aux besoins d’entretien. Tant que les moyens ne seront pas à la hauteur, la dégradation du patrimoine immobilier de l’État à l’étranger se poursuivra, avec une hausse des coûts globaux à moyen et long terme. Puisqu’il n’est plus question de revoir à la hausse les produits de cessions, votre rapporteure estime qu’il n’y a pas d’autres choix que d’augmenter les crédits budgétaires consacrés à l’entretien et à la maintenance immobilière.

Par ailleurs, le plan de sécurisation des ambassades et des lycées français à l’étranger sera complètement réalisé en 2020. Pour rappel, 100 millions d’euros sont investis en 2019 et en 2020 pour parer les menaces qui pèsent sur les implantations immobilières à l’étranger. Cette enveloppe, initialement portée par l’action 7, est financée par une avance sur le compte d’affectation spéciale 723 Gestion du patrimoine immobilier de l’État. Le remboursement de l’avance s’étalera entre 2021 et 2025 grâce, à nouveau, aux produits de cessions…

Enfin, le budget pour 2020 comporte une innovation : la création d’une mesure de compensation du différentiel d’inflation entre la France et le reste du monde au bénéfice du fonctionnement des postes à l’étranger. Ce dispositif, qui repose sur une mesure établie par pays et sur la base des anticipations d’inflation du Fonds monétaire international (FMI), est budgété à hauteur de 3 millions d’euros, soit l’équivalent des économies de fonctionnement dégagées au titre de la rationalisation attendue de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger.

B.   Le programme 151 Français de l’étranger et affaires consulaires

1.   Les affaires consulaires

Le programme 151 rassemble les crédits destinés à financer les affaires consulaires mises en œuvre, au niveau central, par la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE), et sur le terrain, par les 206 postes consulaires et les 500 consulats honoraires de la France dans le monde.

Ainsi que le rappelle Mme Laurence Haguenauer, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire, les affaires consulaires se caractérisent par trois types d’actions :

– des actions pour la communauté française à l’étranger, avec plus de 2,5 millions de ressortissants français dans le monde, dont 1,8 million sont inscrits au registre ;

– des actions pour les Français résidant en France et de passage à l’étranger, qui sont aujourd’hui dix millions chaque année ;

– et des actions pour les étrangers à l’étranger, à travers les 4,3 millions de demandes de visa qui ont été traitées par les services consulaires en 2018.

Au total, les 3 287 agents qui composent le réseau consulaire ont la charge de s’occuper d’environ 16,3 millions de personnes, ce qui représente environ 5 000 personnes par agent consulaire.

Outre la taille de ce public en forte croissance, votre rapporteure ne saurait insister suffisamment sur la diversité des tâches consulaires : service administratif à la communauté française, missions de protection sociale et d’aide à la scolarité, protection consulaire, participation à la politique d’attribution des visas, etc. L’étendue de ces missions résulte d’une idée bien française selon laquelle la France doit pouvoir aider ses ressortissants où qu’ils se trouvent et quelles que soient leurs difficultés. Beaucoup d’autres pays ne se sentent pas aussi responsables de leurs ressortissants lorsqu’ils quittent le territoire national…

2.   Les crédits du programme 151

Pour assurer l’ensemble de ces missions, les moyens du programme 151 sont stabilisés à 373 millions d’euros dont 136 millions d’euros pour les crédits hors masse salariale. Ces montants permettront notamment de financer des projets structurants qui conduiront, à terme, à de nouvelles économies.

Avant de détailler les dépenses, votre rapporteure souhaite rappeler que le travail consulaire apporte des recettes directes au budget de l’État. Ces recettes avoisinent 239 millions d’euros en 2018, dont 21 millions pour les droits de chancellerie et 218 millions pour les droits de visa. Elles devraient continuer à augmenter sous l’effet de la hausse de la fréquentation touristique en France et de l’accroissement de la communauté française à l’étranger.

évolution des crédits de paiement du programme 151

En millions d’euros

Action

HT2

LFI 2019

T2 LFI 2019

Total LFI 2019

HT2

PLF 2020

T2 PLF 2020

Total PLF 2020

Évolution

FDC et ADP 2019

FDC et ADP 2020

1– Offre d’un service public de qualité aux Français de l’étranger

30,6

183,5

214,2

31,0

181,9

212,8

 0,7 %

2 – Accès des élèves français au réseau de l’AEFE

105,3

– 

105,3

105,3

– 

105,3

 

3 – Instruction des demandes de visas

54,8

54,8

55,0

55,0

+ 0,4 %

0,5

0,3

Total

135,9

238,3

374,2

136,3

236,8

373,1

 0,3 %

0,5

0,3

Source : PAP Action extérieure de l’État, présent projet de loi de finances.

L’action 1 retrace les crédits des principaux pôles de l’administration consulaire : l’assemblée des Français de l’étranger (AFE), les dépenses liées au service public consulaire, la modernisation du service public consulaire, les affaires sociales et les élections. Les moyens regroupés au sein de l’action 1 sont à peu près stables à 212,8 millions d’euros, dont 181,9 millions pour les dépenses de titre 2 et 31 millions pour les dépenses hors titre 2. Malgré la baisse de 1,3 million d’euros des moyens dédiés à l’organisation des élections, les crédits hors titre 2 sont relevés de 400 000 euros par rapport à 2019.

Ces crédits supplémentaires abonderont l’augmentation des moyens consacrés à la poursuite de la modernisation de l’administration consulaire. Cette modernisation, qui repose essentiellement sur la dématérialisation des procédures administratives, aboutira à terme à des gains importants de performance en même temps qu’elle permettra d’assurer un meilleur service public. Au total, ce sont près de 4,5 millions d’euros, soit une augmentation de 2 millions, qui seront consacrés en 2020 aux quatre projets emblématiques que le MEAE mène de front :

– le vote par internet, qui sera mis en œuvre pour les élections consulaires de 2020 ;

– la plateforme consulaire de réponse téléphonique et courriel mondiale, accessible 24/7, qui résulte d’une proposition de votre rapporteure ([8]) ;

– le projet « France-Visas », qui consiste à dématérialiser les demandes de visas par l’intermédiaire d’un portail mondial des démarches en ligne et dont l’évolution est jugée très favorablement par votre rapporteure ;

– la mise en place du registre de l’état-civil électronique, qui permettra d’éviter certains coûts et d’éviter des déplacements, parfois sur de très longues distances, pour les Français de l’étranger ([9]).

Enfin, l’action 1 porte le dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l’étranger (STAFE). Ce dispositif, mis en place en 2018, a vocation à soutenir les projets portés par des associations de Français de l’étranger et de compléter les programmes existants d’aide aux Français gérés par les ambassades. Comme en 2018 et 2019, le STAFE sera doté à hauteur de 2 millions d’euros. Cette somme est toutefois inférieure aux 3 millions d’euros qui bénéficiaient aux associations de Français de l’étranger par l’intermédiaire de la réserve parlementaire avant sa suppression et son remplacement par le STAFE. Le million d’euros manquant allait principalement vers des associations d’aide au développement local gérées par des Français sur place. Le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne avait indiqué dans son discours à l’AFE en octobre 2018 que l’Agence française de développement (AFD) serait sollicitée et votre rapporteure regrette que cette annonce n’ait pas été suivie d’effet.

Proposition : porter les moyens du STAFE à 3 millions d’euros.

évolution des crédits de paiement du programme 151 hors masse salariale

(en millions d’euros)

P.151 (HT2) Français à l'étranger et affaires consulaires

Exécution 2018

LFI 2019

PLF 2020

Variation 2019/2020

AE

CP

AE = CP

AE = CP

en million

en %

Total

130,3

130,8

135,9

136,3

+ 0,3

+ 0,24 %

Assemblée des Français de l'étranger

2,1

2,1

2,3

2,3

+ 0,0

+ 0,1 %

Service public consulaire

6,2

6,2

4,8

4,6

 0,2

 4,7 %

Modernisation de l’administration consulaire

2,3

2,8

2,5

4,4

+ 1,9

+ 75,6 %

Affaires sociales

16,6

16,7

17,3

17,3

 0,03

 0,2 %

Élections

0,6

0,6

3,7

2,4

 1,3

 35,3 %

Aide à la scolarité

102,3

102,3

105,3

105,3*

+ 0

+ 0 %

* : auxquels s’ajoutera un recours éventuel à la soulte de l’AEFE.

Source : ministère de l’Europe et des affaires étrangères – réponse au questionnaire budgétaire.

L’action 2 porte les moyens destinés à favoriser l’accès des élèves au réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Elle se décompose en deux enveloppes : les bourses scolaires destinées aux élèves français scolarisés dans les établissements de l’AEFE, dont l’enveloppe est maintenue à 105 millions d’euros, et l’aide à la scolarisation des élèves en situation de handicap (ASESH), financée à hauteur de 310 000 euros. Le sujet des bourses scolaires à l’étranger fait l’objet de la deuxième partie de ce rapport.

Enfin, l’action 3 porte essentiellement les crédits des personnels de la sous-direction pour la politique des visas, ainsi que des agents chargés de l’instruction des demandes de visas dans le réseau consulaire. Les crédits de l’action 3 sont quasiment stables à 55 millions d’euros.

3.   La mesure de la qualité du service rendu

Ainsi que le rappelait Mme Laurence Haguenauer à votre rapporteure, la qualité du service rendu est aujourd’hui une priorité de l’action consulaire. Elle est mesurée par :

– une enquête de satisfaction usager désormais menée chaque année à l’échelle du réseau consulaire dans son ensemble ;

– un outil appelé « Oscar » qui permet, depuis septembre 2018, de calculer des ratios d’activité (par exemple, le nombre d’agents rapporté au nombre de titres délivrés par un consulat) destinés à éclairer le pilotage ;

– de nouveaux indicateurs et sous-indicateurs de performance contenus dans le budget pour 2020 qui répondent aux recommandations formulées par votre rapporteure dans le cadre de ses précédents avis budgétaires.

Votre rapporteure porte un jugement positif sur ces nouveaux indicateurs et sous-indicateurs de performance.

Le premier objectif du programme 151 s’intitule désormais « Simplifier les démarches administratives ». L’indicateur unique portant sur la dématérialisation des services consulaires se décline en deux sous-indicateurs :

– le taux de dématérialisation des actes d’état-civil, qui présente des résultats remarquables depuis plusieurs années. En 2018, les demandes d’actes d’état-civil relevant du service central de Nantes étaient dématérialisées à 92 % : après 93 % en 2019, l’objectif est d’atteindre 94 % en 2020. Il s’agit d’une très grande simplification pour les usagers et une source d’économies importante pour l’État ;

– le taux de dématérialisation des inscriptions au registre des Français de l’étranger a atteint 39 % en 2018, avec une cible probable à 43 % en 2019. L’objectif pour 2020 est fixé à 44 % d’inscriptions en ligne, ce qui reste toutefois insuffisant. Votre rapporteure estime qu’il est essentiel d’informer, par tous les moyens disponibles, les communautés françaises sur la possibilité (et l’utilité) de l’inscription en ligne au registre. Au-delà des sites internet du ministère et des postes à l’étranger, la DFAE devrait s’appuyer sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, WeChat, LinkedIn, etc.), l’AFE, les parlementaires des Français à l’étranger, la presse spécialisée, les salons spécialisés d’expatriation, le Cercle Magellan qui regroupe les directeurs des ressources humaines des grands groupes français, les chambres de commerce et d’industrie ou encore les conseillers du commerce extérieur. Il serait par ailleurs utile qu’une mention incitant à l’inscription en ligne au registre soit ajoutée à la liste des recommandations qui figurent sur la dernière page des passeports.

Proposition : déployer tous les moyens de communications disponibles pour augmenter le taux de dématérialisation des inscriptions au registre.

Proposition : insérer une mention à la dernière page des passeports pour inciter les Français résidant à l’étranger à s’inscrire en ligne au registre.

Le second objectif est renommé « Renforcer la qualité et l’efficience du service consulaire » et reprend deux indicateurs préexistants :

– le nombre de documents délivrés par équivalent temps plein travaillé (ETPT) fournit des chiffres intéressants, mais qui restent difficiles à exploiter tant la variabilité est importante d’un poste consulaire à l’autre comme il est indiqué dans le projet annuel de performances (PAP). Votre rapporteure considère que, pour réduire le volume des actes réalisés par les services consulaires, la délivrance de cartes nationales d’identité dans les pays situés hors de l’Union européenne (UE) pourrait être réservée aux seuls mineurs dans la perspective d’un retour en Europe pour leurs études.

Proposition : réserver la délivrance de cartes nationales d’identité dans les pays hors UE aux seuls mineurs dans la perspective d’un retour en Europe pour poursuivre leurs études.

– les délais de traitement des documents administratifs et des demandes de titres doivent également être analysés avec prudence. En effet, la performance d’un agent qui travaille dans un service des visas ne saurait être évaluée à l’aune d’un unique indicateur volumétrique. Certaines tâches absolument nécessaires, comme le dépistage des tentatives de fraude, requièrent un temps particulièrement variable.

C.   L’emploi et la masse salariale du ministère

Le budget pour 2020 fixe le plafond d’emplois du ministère à 13 524 ETPT. Le plan « Action publique 2022 » se traduit par une baisse du schéma d’emplois de 160 ETPT en 2019 et de 81 ETPT supplémentaires en 2020.

Répartition prévisionnelle
du schéma d’emplois en ETPT en 2020

Source : MEAE– note « Achille ».

Cette réduction en valeur absolue des effectifs s’accompagne d’un renouvellement important des personnels chaque année. Le taux de rotation des agents recrutés pour des missions limitées dans le temps paraît significatif : 37 % pour les contractuels de droit français et 15 % pour les agents de droit local (ADL). Pour les ADL, la moitié des départs correspond à des démissions. Compte tenu du coût que représente le départ de personnels que le ministère a mis du temps à former, votre rapporteure estime qu’il est nécessaire de développer une politique spécifique de repérage et de rétention des talents.

Afin de fidéliser les personnels, le levier le plus évident est celui des rémunérations. En 2020, le ministère prévoit la création d’une prime annuelle pour les agents contractuels d’un montant global de 1,2 million d’euros ainsi que la revalorisation des cadres salariaux des ADL à hauteur de 1,6 million d’euros. Ces augmentations salariales, qui restent limitées compte tenu de la faiblesse des rémunérations versées à ces personnels, ne sont pas de nature à remédier au manque d’attractivité des postes proposés par le ministère.

Par ailleurs, le budget pour 2020 prévoit 3,34 millions d’euros pour former 12 078 ETP, ce qui représente 276 euros par agent, un montant très inférieur à la valeur du droit à la formation auquel peut prétendre aujourd’hui tout agent de l’État. Une grande partie des crédits est orientée vers la formation à l’utilisation de nouveaux outils, comme le nouveau logiciel de gestion comptable « Crocus ». Dans sa politique de formation, le ministère prévoit d’avoir davantage recours à l’expertise interne et aux offres interministérielles et de professionnaliser des formateurs internes occasionnels, qui sont moins chers que les prestataires extérieurs. Si votre rapporteure convient que ces choix vont dans le sens d’une réduction des coûts des actions de formation, elle appelle à s’assurer que le moindre recours à des prestataires extérieurs ne se traduise pas par une dégradation de la formation par manque d’expertise.

D.   Zoom sur la direction de la diplomatie économique

Si l’évaluation de la diplomatie économique de la France fait l’objet d’un avis budgétaire distinct ([10]), votre rapporteure dispose d’un regard, au titre du programme 105, sur les crédits de fonctionnement de l’administration centrale du ministère, et notamment de la direction de la diplomatie économique.

La direction de la diplomatie économique, anciennement direction des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme, a été créée en 2013 par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, qui a érigé la diplomatie économique en priorité absolue pour nos ambassades.

La diplomatie économique recouvre plusieurs missions :

– le renforcement de l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers ;

– le soutien aux entreprises françaises qui souhaitent exporter ou se développer à l’étranger ;

– et la défense des intérêts français dans les évolutions du cadre juridique européen et international en matière commerciale.

La diplomatie économique est progressivement devenue une des missions les plus importantes assignées au réseau : les ambassadeurs consacreraient aujourd’hui près d’un tiers de leur temps à cette mission.

Votre rapporteure s’est interrogée sur le périmètre d’action de la nouvelle direction de la diplomatie économique et notamment sur son articulation avec la direction générale du Trésor, qui est responsable des financements du soutien à l’export, de l’analyse macroéconomique et de la restauration de la compétitivité coût et hors-coût des entreprises françaises.

Selon M. Martin Juillard, directeur adjoint de la diplomatie économique, sa direction a vocation à « se positionner sur des sujets qui ne sont pas réglés ailleurs » et sur lesquels le MEAE a une plus-value.

Elle réalise notamment une analyse de soutien à l’export des secteurs stratégiques, qui incluent les secteurs à fort potentiel, les secteurs qui sous-performent à l’export et les secteurs qui requièrent un appui politique compte tenu de l’importance de la commande publique sur le marché (comme les secteurs de l’armement, de l’infrastructure ou du transport) ou de la nécessité, pour être compétitif, de présenter une offre française intégrée aux clients (comme la santé).

Par ailleurs, alors que le Trésor travaille surtout sur l’offre française, la direction de la diplomatie économique se positionne davantage sur les marchés en réalisant une analyse du contexte culturel et de la demande qui pourrait être adressée à l’industrie française. À titre d’exemple, dans de nombreux pays, l’augmentation de la population urbaine couplée aux enjeux climatiques doit conduire la France à anticiper la demande dans le domaine de la ville durable.

Pour exercer ces missions, la direction de la diplomatie économique s’appuie sur une équipe composée d’environ 70 personnes basées à Paris. Elle a recours à plusieurs sources d’information dont les services économiques en ambassade, les contacts avec 600 entreprises sur les 125 000 exportatrices et les conseillers diplomatiques auprès des régions, ceci pour compenser l’absence d’implantation régionale de cette direction.

Votre rapporteure tient à saluer l’action du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui a beaucoup œuvré pour renforcer la diplomatie économique de la France. Le ministre a notamment mis en œuvre des « speed dating » entre les entreprises et les ambassadeurs permettant à ces derniers d’être plus proches des acteurs économiques qui souhaitent exporter ou s’internationaliser. Par ailleurs, celui-ci a lancé un exercice interministériel de suivi des dossiers économiques prioritaires de chaque pays, qui associe les ambassadeurs, les directions en centrale, la direction générale du Trésor, et qui doit devenir un outil de pilotage pour connaître, de manière actualisée, les principales opportunités pour les entreprises françaises à l’étranger.

Selon M. Martin Juillard, l’efficacité de la diplomatie économique est « difficile à quantifier ». On peut néanmoins se référer à certains indicateurs comme, par exemple, le nombre d’interventions ou d’actions menées par nos ambassades qui ont donné lieu à des visites d’investisseurs en France, des décisions d’investir en France ou la conclusion de contrats. En 2018, ce sont 203 contrats qui ont pu être conclus grâce à la médiation des ambassades.

Sur ce sujet, votre rapporteure estime que la gouvernance de la diplomatie économique devrait être clarifiée. À ce jour, il existe de nombreux acteurs : le MEAE, le Trésor, les opérateurs de l’État tels que Business France ou Atout France, Bpifrance, l’AFD, les collectivités territoriales et les chambres de commerce et d’industrie en France et à l’international. La direction de la diplomatie économique est jeune et il est encore nécessaire qu’elle trouve toute sa place au sein de cet écosystème afin de mobiliser ses moyens le plus efficacement possible au service de l’influence de notre pays, de nos entreprises et de la création d’emplois et de richesses pour la France.

II.   la réforme des réseaux de l’État à l’étranger est désormais bien engagée

A.   Un changement du cadre de l’action extérieure de l’État

1.   La réforme fait partie du plan « Action publique 2022 »

Déclinaison du plan « Action publique 2022 » lancé à l’été 2018, la réforme des réseaux de l’État à l’étranger poursuit un double objectif : d’une part, la réduction de la dépense publique et, d’autre part, l’amélioration du fonctionnement de l’administration de l’État à l’étranger afin de mettre fin à la gestion, par chaque service extérieur, de ses propres fonctions supports. Ce fonctionnement en silo était en effet facteur de rigidité et de complexité et ne favorisait pas le pilotage d’ensemble de l’action extérieure de l’État.

Pour atteindre ces objectifs, la réforme prévoit une réduction de la masse salariale du MEAE. Alors que l’objectif initialement fixé était celui d’une réduction de la masse salariale de 10 % d’ici 2022, cet objectif a été abaissé à 5,7 % à la suite d’un arbitrage rendu par le Premier ministre le 25 janvier 2019. Les cibles de réduction de la masse salariale ont été différenciées selon les postes en fonction de plusieurs critères tenant à certaines priorités géographiques, à la taille des postes et au plan d’action des ambassadeurs, qui ont pu contribuer à l’exercice mené à l’automne 2018. Afin de respecter leur objectif de réduction de la masse salariale, les ambassades ont procédé à des suppressions de postes et au remplacement de certains expatriés par des recrutés de droit local.

En parallèle, la réforme s’est traduite par la mise en commun des emplois et des crédits de soutien dans les postes. Au total, 411 emplois ont été transférés au MEAE, permettant de rassembler tous les emplois support sous un plafond d’emploi ministériel unique. En complément, les ministères ont transféré près de 20 millions d’euros de crédits de fonctionnement sur le programme 105 en 2019, montant qui sera complété par un million d’euros supplémentaires en 2020 pour solder les comptes interministériels. Enfin, le Quai d’Orsay est devenu l’affectataire unique des biens immobiliers de l’État à l’étranger, même si votre rapporteure regrette que ces transferts n’aient pas été accompagnés des crédits d’entretien correspondants. Ces transferts ont rendu nécessaires d’aligner les règles et les pratiques ministérielles afin de rationaliser la gestion.

La réforme repose sur un acteur clef : le secrétariat général de l’ambassade (SGA), qui a la responsabilité des fonctions supports en ambassade. Conséquence de la mutualisation des fonctions supports des services de l’État à l’étranger, le SGA s’affirme comme le service unique interministériel de gestion des moyens de support sur les plans administratif et financier. Le changement de nom, auparavant appelé responsable des services communs de gestion (SCG), illustre la volonté de rehaussement symbolique de ces fonctions.

2.   Une mise en œuvre désormais maîtrisée

Votre rapporteure avait regretté, l’année dernière, que cette réforme ait fait l’objet d’une mise en œuvre précipitée, ce qui a provoqué de fortes tensions avec les personnels. En effet, la réduction des effectifs a été engagée dès le projet de loi de finances pour 2019, alors même que les contours de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger n’étaient pas encore précisément arrêtés.

La mise en œuvre de la réforme a exigé d’intenses négociations interministérielles, afin de déterminer les crédits et les emplois de soutien qui devaient être transférés vers le MEAE. Les administrations centrales concernées se sont par ailleurs entendues, dans le cadre de la convention interministérielle du 21 novembre 2018, sur de nouvelles règles de gestion en ambassade visant à préserver une certaine équité entre ministères tout en ménageant une certaine autonomie pour s’adapter aux contextes locaux.

Dans les faits, les chefs de poste ont été faiblement associés aux objectifs qui leur ont été assignés. Dès le mois de septembre 2018, les postes se sont vus assignés un objectif de réduction de leur masse salariale, situé entre 7 et 13 %, qui a rarement été infléchi à l’occasion du dialogue de gestion qui s’est déroulé à la fin de l’année 2018. Ce n’est qu’à compter de la réduction de l’objectif global en janvier 2019 que l’administration centrale a pu faire preuve de davantage de souplesse vis-à-vis des propositions des postes.

Pour plus de pragmatisme dans la mise en œuvre de la réforme, l’année 2019 a été érigée en année de transition. Ainsi, si le portage des fonctions supports a changé au 1er janvier 2019, les postes ont reçu l’instruction de reconduire les crédits des autres ministères à l’étranger à l’identique en 2019. En 2020, cette parfaite continuité budgétaire ne jouera plus et l’ambassadeur pourra faire jouer la fongibilité des enveloppes de l’ensemble des services.

B.   une bonne réforme malgré quelques points de vigilance

1.   Les améliorations sont nombreuses…

En premier lieu, la mutualisation a permis de décharger les autres ministères à l’étranger des fonctions supports qui ont été transférés aux SGA. L’effet est particulièrement bénéfique dans les postes diplomatiques de petite taille dans lesquels la gestion administrative, budgétaire et comptable occupait une place démesurée par rapport aux moyens humains du service.

En second lieu, la réforme apporte une plus grande souplesse dans la gestion interne des postes diplomatiques et consulaires. Auparavant, un chef de service qui venait à manquer de crédits en cours de gestion devait se tourner vers son administration de rattachement à Paris. À partir de 2020, la fongibilité des enveloppes entre les services de l’ambassade permettra de réabonder un service en fonction de l’activité et des priorités définies par l’ambassadeur.

En troisième lieu, la réforme renforce les ambassadeurs dans leur rôle de chef de poste. Puisqu’ils ont désormais la maitrise des moyens, les ambassadeurs sont confortés dans leur mission d’animation des différents réseaux de l’État à l’étranger. Cette évolution était particulièrement bienvenue pour assurer une plus grande cohérence dans l’action de l’État à l’étranger.

En dernier lieu, la fin de la gestion en silo permet de réaliser des gains d’efficience. D’une part, la réforme permet de générer des économies d’échelle sur les dépenses de fonctionnement en procédant, par exemple, à la rationalisation du parc automobile des ambassades. D’autre part, la mutualisation des fonctions supports doit conduire à des économies de masse salariale grâce à une meilleure utilisation des personnels qui, lorsqu’ils dépendaient de différents ministères, n’étaient pas employés à leur plein potentiel. S’il est encore trop tôt pour chiffrer les économies attendues de la mutualisation, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit d’ores et déjà 3 millions d’économies de fonctionnement.

2.   … en dépit de plusieurs points de vigilance

Tout d’abord, votre rapporteure est inquiète de la charge de travail qui pèse sur les SGA, dont les responsabilités se sont accrues avec le transfert des fonctions de gestion des autres ministères. Si la dématérialisation de certaines fonctions ainsi que l’allégement de plusieurs freins réglementaires doit permettre d’accroître la productivité, la charge de travail paraît déraisonnable pour ces personnels qui ont parfois d’autres « casquettes » que celles de SGA. M. Gilles Garachon, directeur des ressources humaines du Quai d’Orsay, constate la difficulté qu’ont ces personnels à remplir toutes les tâches qui leur sont confiées, tandis que plusieurs postes de SGA peinent à trouver preneurs, y compris dans des pays réputés pour être attractifs.

Ensuite, les personnels ont parfois un sentiment d’arbitraire dans les choix qui découlent de la mise en œuvre de la réforme. Votre rapporteure regrette le manque de formalisation des critères qui permettent de fonder les décisions de suppressions de poste ou de fermetures de services. Plus encore, il est dommage que des objectifs et des indicateurs ne soient pas proposés pour permettre au Parlement d’apprécier les progrès de la réforme.

Par ailleurs, votre rapporteure estime que la réforme reste incomplète. En effet, certains crédits et emplois n’ont pas été transférés des ministères d’origine vers le MEAE qui a pourtant récupéré toutes les missions de soutien de l’État à l’étranger. Malgré certaines corrections opérées dans le cadre du budget pour 2020, votre rapporteure considère que le Quai d’Orsay est pour l’instant perdant. Le cas des biens immobiliers transférés sans les crédits d’entretien lourd correspondants en fournit l’illustration la plus criante.

Enfin, il reste encore du chemin à parcourir pour permettre à l’ambassadeur de s’imposer comme le véritable « chef de file » à l’étranger. Votre rapporteure craint que les ambassadeurs soient limités dans la gestion des moyens du poste par les pressions que sont susceptibles d’exercer les administrations d’origine, qui veilleront à ce que l’enveloppe de leur attaché sectoriel soit sanctuarisée. Au-delà, les ambassadeurs, s’ils ont récupéré les fonctions supports, conservent de faibles marges de manœuvre sur la masse salariale de leur poste.

 


—  1  —

   Deuxième partie : Les bourses scolaires à l’étranger

Bien que le budget du réseau des établissements d’enseignements français à l’étranger, piloté par l’AEFE, soit retracé au sein du programme 185, le programme 151 comporte des crédits destinés à soutenir la scolarisation des élèves français dans le réseau d’enseignement français à l’étranger. Cette séparation budgétaire s’explique par le fait que, contrairement au développement de l’offre scolaire française, l’aide à la scolarité relève des affaires consulaires.

Les crédits en question financent les bourses scolaires qui sont essentielles pour le réseau de l’AEFE dont le tiers des élèves, soit 125 000 enfants, sont français. Ce chiffre serait même sous-estimé, compte tenu du fait que certains binationaux ne se déclarent pas toujours comme français. Les élèves boursiers représentent un cinquième de ce total, soit 25 000 élèves.

I.   L’aide à la scolarité à l’étranger est robuste

A.   Les conditions d’attribution des bourses ont évolué vers davantage d’équité

● Les conditions d’attribution des bourses scolaires sont peu restrictives.

Un premier groupe de critères porte sur la situation des enfants demandeurs de bourses, qui doivent notamment avoir la nationalité française, être âgés d’au moins trois ans, être inscrits au registre des Français établis hors de France, résider avec au moins un de leurs parents dans le pays où est situé l’établissement de scolarisation et fréquenter un établissement homologué par l’Éducation nationale. Les critères les plus contraignants, comme l’âge des enfants ou l’homologation de l’établissement, peuvent faire l’objet de dérogations justifiées, limitant ainsi le risque d’une exclusion injuste du système.

Le deuxième ensemble de critères porte sur le niveau de ressources des familles, qui doit s’inscrire dans les limites du barème d’attribution. Le barème d’attribution est fondé sur le quotient familial dont le niveau maximal est fixé à 23 000 euros. Pour les familles éligibles, les bourses perçues sont exprimées en pourcentage des frais de scolarité, appelées quotités, dus par les familles. La quotité théorique, obtenue par l’application du barème, n’est pas automatique. Celle-ci peut être pondérée, à la hausse ou à la baisse, selon les situations individuelles ou la conjoncture au sein des postes.

● Le dispositif d’aide à la scolarité a été entièrement rénové en 2013, afin de rendre le système plus équitable tout en encadrant mieux la dépense.

Dans un souci de justice sociale, la réforme a d’abord adapté l’aide attribuée aux besoins réels des familles en fonction du coût de la vie dans chaque pays de résidence. Depuis 2013, le barème repose sur la définition d’un quotient familial net des frais de scolarité pondéré par le coût de la vie locale.

Ensuite, la réforme a permis une répartition plus équitable de l’aide, à la fois entre les familles et entre les pays.

Afin de permettre à chaque famille en situation de précarité de pouvoir prétendre à une bourse selon son revenu, une plus grande progressivité des quotités de bourses a été introduite. La logique consistait à accroître le nombre de bénéficiaires en échange d’une réduction des familles bénéficiant d’une prise en charge à taux plein des frais de scolarité de leurs enfants afin que ces derniers contribuent, même de manière modeste, à la scolarisation de leurs enfants.

Par ailleurs, l’équilibre entre le nombre de boursiers et le montant des bourses accordées s’est amélioré d’une zone géographique à une autre. Une partie des moyens accaparés par l’Amérique du Nord et l’Europe a ainsi été redéployée au profit de zones où les besoins sont en augmentation, notamment en Afrique, au Maghreb, en Amérique latine et en Asie.

Sur le plan budgétaire, la réforme de 2013 a introduit une enveloppe limitative, qui conduit à une meilleure maîtrise des dépenses de bourses, ce qui permet d’envisager le financement pérenne de l’aide à la scolarité. Afin de maîtriser l’évolution de la dépense, un plafonnement des tarifs scolaires les plus élevés est appliqué, comme c’est le cas à Londres ou à New York.

En dépit de certaines incompréhensions initiales, la réforme est aujourd’hui mieux acceptée, ce dont témoigne la baisse du nombre de recours contentieux. Elle est également mieux comprise, comme le démontre la baisse de 24 % du nombre de rejets de demandes de bourses entre 2012 et 2018 et, en parallèle, la forte augmentation du taux de recevabilité.

B.   La procédure d’attribution des bourses est inclusive

Les dossiers de demande de bourses scolaires sont instruits par les postes consulaires qui les soumettent à l’AEFE. Les agents consulaires reçoivent les familles en procédant parfois à des visites à domicile afin de mieux prendre connaissance de la situation de certains foyers. La période d’instruction des dossiers se révèle être un moment très lourd à gérer pour les consulats.

Les consulats déterminent les besoins de leur circonscription qui sont adressés à l’AEFE dans le cadre du début d’un « dialogue de gestion ». Après examen par l’AEFE, qui détermine une quotité théorique pour chaque dossier de bourse, chaque poste se voit notifier une enveloppe globale limitative.

Les conseils consulaires en poste se réunissent en formation « bourses scolaires », appelés conseils consulaires de bourses (CCB), où siègent le chef de poste, les conseillers consulaires, les chefs d’établissement et les représentants de parents d’élèves. Les CCB passent en revue l’ensemble des dossiers en procédant, le cas échéant, aux modulations des quotités octroyées, dans les limites de l’enveloppe. Ils fonctionnent majoritairement par consensus et le vote est rare. Après recentralisation des dossiers, la Commission nationale des bourses (CNB) se réunit pour valider ou modifier les décisions d’attribution des CCB. Les quotités attribuées sont versées directement aux établissements.

Votre rapporteure estime que cette procédure est équilibrée, en ce qu’elle permet de concilier la légitime maîtrise des dépenses, au travers la fixation d’une enveloppe globale, et la prise en compte de chaque situation familiale, ce que garantit la réunion du CCB.

Néanmoins, la procédure pourrait être améliorée de deux manières.

Le service social du consulat saisit les dossiers de bourse dans un logiciel informatique appelé « SCOLA » qui calcule les quotités théoriques pour chaque dossier et l’enveloppe globale théorique correspondante. De l’avis de Mme Laurence Haguenauer, ce logiciel informatique est « optimisable ». La remise à niveau de cette application requiert de faibles moyens au regard du confort que cette remise à niveau représenterait pour des agents consulaires très sollicités au moment de l’instruction des bourses.

Proposition : accélérer la rénovation du logiciel « SCOLA ».

Par ailleurs, le pouvoir des CCB est limité à double-titre. D’une part, le pouvoir de pondération des quotités des CCB est limité par le principe de l’enveloppe globale, qui conduit chaque ajustement sur un dossier à se faire au détriment d’un autre dossier. Ensuite, le CCB a une durée très courte, inférieure à deux jours, ce qui ne permet pas un examen en profondeur de chaque dossier.

Outre ces pouvoirs limités, les CCB interviennent tardivement dans le dialogue de gestion.

Certes, la possibilité est laissée aux conseillers consulaires de consulter les dossiers en amont du dialogue de gestion, lorsque ces derniers ont fini d’être traités par les agents consulaires. Mme Haguenauer regrette que la majorité des conseillers consulaires ou des parents d’élèves ne viennent jamais prendre connaissance des dossiers à l’avance, ce qui est pour partie attribuable au fait que l’ouverture des dossiers à la consultation correspond souvent à la période des vacances scolaires.

Afin de mobiliser les conseillers consulaires, le pouvoir de consultation doit sans doute être accompagné d’un pouvoir de modulation des quotités en amont du dialogue de gestion et de la fixation de l’enveloppe limitative.

Proposition : réunir le conseil consulaire à la fin de l’instruction des dossiers par le consulat et avant la définition de l’enveloppe limitative.

C.   L’effort budgétaire pour les bourses scolaires est conséquent

L’enveloppe distribuée au titre des bourses scolaires a connu une forte augmentation entre 2014 et 2018, passant de 65 à 100 millions d’euros en cinq ans. Alors que la dotation budgétaire en loi de finances initiale a augmenté, pour atteindre 125 millions d’euros en 2015, l’enveloppe effectivement distribuée a évolué de manière plus lente que prévue à cause d’une sous-consommation des crédits attribuable à une légère baisse de la demande, à l’effet favorable de l’évolution du taux de change et à un changement de méthode comptable.

Ce différentiel positif est venu alimenter les réserves de l’AEFE, communément appelée la « soulte » de l’AEFE. Constatant la constitution de cette réserve, le Gouvernement a décidé, à partir de 2015, de procéder à des annulations de crédits et à baisser la dotation initiale dédiée à l’aide à la scolarité, qui était de 105 millions d’euros en 2019, en prévoyant de puiser dans les crédits de la « soulte » de l’AEFE pour financer les éventuels besoins complémentaires.

En 2020, les crédits budgétaires consacrés aux bourses scolaires seront stabilisés à 105 millions d’euros. Comme l’année dernière, le Gouvernement explique que cette enveloppe pourra être abondée, en cas de besoins supplémentaires, par un prélèvement sur la « soulte » de l’AEFE.

Montants consacrés aux bourses scolaires entre 2014 et 2019

(en millions d’euros)

Année

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Dotation en loi de finances

118,8

125,5

115,5

110

110

105

Montant versé par la DFAE (après gel, mise en réserve, etc.)

106,5

89,5

87,3

99,2

102

100,33*

Enveloppe effectivement distribuée

64,5

99,8

101,3

102,2

99,9

* Montant au 16 août 2019.

Source : DFAE.

En 2018, l’enveloppe effectivement distribuée a connu une baisse, qui ne remet pas encore en cause la dynamique globale de croissance observée ces dernières années. Cette baisse est en large partie due à des taux de change extrêmement favorables, qui ont tiré à la baisse les dépenses en euros. Dans les réponses au questionnaire de votre rapporteure, l’administration affirme que, en 2018, « le gain au change sur l’ensemble des monnaies a été encore beaucoup plus important [que les années passées], avec un impact de 4 930 781 euros sur les bourses effectivement versées ».

Si l’évolution du taux de change s’est traduite par des gains non négligeables ces dernières années, elle suscite aussi d’importantes incertitudes. D’abord, votre rapporteure relève que cette hausse du taux de change se traduit par des difficultés importantes pour les établissements à l’étranger dont la trésorerie est en monnaie locale. Les représentants de la Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger (FAPÉE) entendue par votre rapporteure ont notamment relevé le cas d’un établissement en gestion directe (EGD) en Tunisie en situation de « quasi-banqueroute » à cause de l’effondrement du dinar tunisien et de la suspension, par la Banque centrale tunisienne, de la convertibilité du dinar en euros.

Surtout, ainsi que le soulignent les documents budgétaires, « un possible retournement du niveau de change pourrait provoquer une forte hausse de la dépense ». Pour l’instant, le Gouvernement juge que la « soulte » de l’AEFE constitue une sécurité suffisante pour faire face à différents risques au cours de l’exécution, dont celui d’une perte au change. Sur le long terme, et alors que la « soulte » de l’AEFE devrait s’épuiser dans les prochaines années, une solution plus pérenne doit être trouvée. La rapporteure propose que le mécanisme de couverture du risque de perte au change qui se met en place dans le cadre de l’amélioration de la sincérité budgétaire couvre les bourses scolaires à l’étranger.

Proposition : étendre la couverture du risque de perte au change aux bourses scolaires à l’étranger.

II.   Le système des bourses scolaires à l’étranger peut encore évoluer pour se rapprocher des besoins des familles

A.   La légère baisse du nombre de boursiers n’est pas alarmante

En dépit de la réforme de 2013, le nombre total de boursiers se maintient autour de 25 000 élèves. On constate même une érosion année après année : le nombre de boursiers est passé de 26 640 en 2012 à 24 669 en 2018.

Prima facie, la légère baisse du nombre de boursiers a pu surprendre votre rapporteure compte tenu de plusieurs tendances :

– l’augmentation de la population française à l’étranger, qui a pour corollaire la hausse du nombre d’inscriptions d’élèves français dans le réseau de l’AEFE. Le nombre de Français inscrits au registre et en âge de scolarisation est passé d’environ 420 000 en 2012 à 450 000 en 2018, soit une hausse de 7 % ;

– la progression continue des frais de scolarité des établissements français à l’étranger, même si l’administration dispose de certains moyens pour contenir cette hausse des tarifs qui accroît le reste à charge des familles ;

– et, parallèlement, la sous-consommation chronique de l’enveloppe budgétaire consacrée à l’aide à la scolarité.

Cette situation résulte d’une tendance à la baisse de la demande de bourses scolaires depuis l’établissement du dispositif actuel en 2013. Entre 2012 et 2018, le nombre de dossiers-familles a chuté de 33 167 à 29 676, soit une baisse de 9 %. Cette évolution de la demande correspond en grande partie à un retour à la normale après l’effet d’aubaine qu’avait entrainé le système précédent.

Par ailleurs, de plus en plus de parents d’élèves décident de scolariser leurs enfants dans des établissements qui ne relèvent pas de l’AEFE. Mme Haguenauer juge que cela relève le plus souvent d’un choix personnel plutôt que d’un choix contraint sous l’effet de la hausse des frais de scolarité.

Si les établissements pilotés par l’AEFE restent compétitifs, des établissements étrangers peuvent en effet séduire les familles françaises, malgré des écolages beaucoup plus élevés, pour des raisons diverses : le souhait de s’établir durablement et d’intégrer leurs enfants dans une autre culture ou, et cela est plus récent, le projet d’orienter les enfants vers un autre enseignement supérieur que le système français.

A contrario, peu d’élèves quittent le réseau de l’AEFE contre le gré des familles. Cette année, la DFAE n’a comptabilisé que 96 boursiers qui n’ont pas été scolarisés dans le réseau à cause du poids des frais de scolarité, un chiffre qui reste très faible au regard du nombre de boursiers.

Néanmoins, votre rapporteure a pu observer dans certains pays visités que la hausse des frais de scolarité est un frein revendiqué par des parents réunis dans des groupes sur les réseaux sociaux au nom sans équivoque « école à la maison » ou « homeschooling ».

Par ailleurs, votre rapporteure considère que l’on ne peut exclure le cas de certaines familles dissuadées de déposer une demande à cause de l’importance des frais de scolarité de certaines écoles, a fortiori lorsqu’elles ignorent pouvoir bénéficier d’une bourse. Alors même que le Président de la République a fixé l’objectif de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans le réseau de l’AEFE d’ici 2030, il importe que les ambassades renforcent leur communication sur l’aide à la scolarité à l’étranger à laquelle peuvent prétendre les familles.

Proposition : renforcer la communication des ambassades sur l’aide à la scolarité à l’étranger des élèves français.

Enfin, il a été porté à l’attention de votre rapporteure le cas de familles en Afrique qui redoutent que la continuité avec l’enseignement supérieur français ne soit pas assurée en raison d’un possible refus de visa pour poursuivre des études supérieures en France à l’issue de la scolarité secondaire de leurs enfants. Ces familles se tournent donc vers un autre système éducatif.

B.   L’équité du système peut être renforcée

● Le barème d’attribution des bourses scolaires pourrait connaître de nouveaux ajustements à la marge.

Il a déjà été décidé, l’année dernière, de porter le quotient familial maximal de 21 000 à 23 000 euros, ce qui a été confirmé par la CNB de décembre 2018. Cette augmentation devrait faire entrer de nouvelles familles dans le dispositif et entraîner, pour les familles déjà bénéficiaires, une hausse des quotités partielles attribuées et donc une baisse du reste à charge. Il est encore trop tôt pour chiffrer l’effet de cette réforme sur le nombre global de boursiers.

Un nouveau dispositif a également été instauré en 2018 pour apporter une aide à la scolarisation pour les élèves handicapés, en leur permettant de bénéficier de la présence d’un accompagnateur. Cette aide à la scolarisation est financée par un montant de 310 000 euros qui est reconduit pour l’année 2020. L’AEFE fera le bilan de cette aide à la fin de l’année prochaine.

Votre rapporteure salue ces aménagements qui vont dans le sens d’une plus grande équité entre les familles. Pour aller plus loin, les seuils d’exclusion patrimoniaux du barème d’attribution des bourses scolaires pourraient faire l’objet de certains aménagements.

Le seuil d’exclusion fondé sur le patrimoine mobilier ne tient pas compte du fait que certains pays, contrairement à la France, disposent d’un système de retraite par capitalisation, ce qui conduit les familles à dépasser rapidement le seuil d’exclusion. Votre rapporteure considère que les produits d’épargne « bloqués », comme les produits d’épargne liquidable à la retraite, ne devraient pas être pris en compte dans le calcul du patrimoine mobilier.

Proposition : exclure les produits d’épargne « bloqués » du calcul du patrimoine mobilier aux fins d’application du seuil d’exclusion.

S’agissant du seuil d’exclusion qui repose sur le patrimoine immobilier, celui-ci a pour effet pervers de désinciter les familles à acheter un bien immobilier à l’étranger, quitte à payer un loyer exorbitant. L’achat d’une résidence principale à l’étranger conduit souvent à dépasser le seuil d’exclusion, qui ne tient pas compte de l’augmentation des prix dans de nombreuses villes du monde.

Proposition : exclure la résidence principale du calcul du patrimoine immobilier aux fins d’application du seuil d’exclusion en établissant des limites tenant, par exemple, à la surface pondérée par la composition du foyer.

Plus largement, votre rapporteure s’interroge sur l’utilité de conserver deux seuils d’exclusion pour le patrimoine mobilier et pour le patrimoine immobilier alors que ce qui compte est l’actif global dont dispose une famille.

Proposition : remplacer les seuils d’exclusion patrimoniaux mobiliers et immobiliers par un seuil d’exclusion patrimonial fondé sur l’actif global.

● L’équité du système suppose également de renforcer la lutte contre la fraude, qui fait naître un sentiment de grande injustice chez les familles. Cette injustice est ressentie de manière d’autant plus intense que, depuis 2013, le système est contenu par une enveloppe limitative. Dès lors, chaque cas de fraude se fait au détriment de l’aide qui devrait être apportée aux familles dans le besoin.

Aujourd’hui, l’instruction des demandes de bourses repose sur la déclaration des familles (revenus et patrimoine). Or la vérification de ces déclarations est à la fois complexe et délicate et les postes consulaires disposent de peu d’outils pour repérer les cas de fraude. Les consulats demandent par exemple le certificat de radiation de la caisse d’allocations familiales (CAF), qui est toujours exigé pour les familles qui arrivent de France afin de s’assurer qu’elles ne perçoivent plus de prestations sociales françaises non exportables. L’obtention de ces certificats bute fréquemment sur les difficultés de communication avec les CAF ; en ce sens, donner aux agents consulaires un accès direct au fichier des CAF serait une avancée majeure.

Proposition : donner aux agents consulaires un accès direct au fichier des caisses d’allocation familiale (soit au fichier des allocataires, soit au fichier des radiés)

Par ailleurs, en cas de doute sur la sincérité de la déclaration, le poste consulaire peut effectuer une visite à domicile afin de vérifier que le mode de vie de la famille correspond bien aux éléments déclarés. Toutefois, ces visites à domicile s’avèrent très chronophages pour les agents consulaires dont les effectifs sont par ailleurs en diminution.

Dans l’ensemble, les outils de lutte contre la fraude restent assez maigres. Une famille peut ainsi omettre de déclarer un bien immobilier en France pour favoriser sa demande de bourse. Afin de repérer les cas de fraude, les agents consulaires doivent pouvoir croiser les informations dont dispose l’administration avec les déclarations des familles.

Proposition : progresser dans l’interconnexion des différents fichiers, afin de permettre aux agents consulaires de repérer les cas de fraude.

Par ailleurs, les compétences des agents consulaires pour détecter les cas de fraude restent encore insuffisantes. La détection de la fraude suppose des compétences adéquates pour évaluer les ressources financières des familles, ce qui peut être particulièrement compliqué lorsqu’un individu exerce une profession libérale ou travaille dans l’économie informelle.

Proposition : pour apprécier les revenus des professions libérales, les agents consulaires doivent pouvoir se référer à des grilles de bénéfices « habituels » ; pour les dossiers les plus complexes, l’externalisation à des spécialistes financiers pourrait être expérimentée.

Certains cas de fraude sont parfois permis par des conflits d’intérêt parmi les membres appartenant aux CCB. La rapporteure ne remet pas en cause la composition des CCB qui comprend, de façon légitime, des personnes intéressées par le sujet des bourses scolaires. Néanmoins, les parents d’élèves soulignent que les conseillers consulaires, les comités de gestion et les chefs d’établissement pourraient avoir un intérêt à multiplier le nombre de boursiers, source de revenus garantis pour l’établissement, alors même qu’ils sont les mieux placés pour repérer les cas de fraude. Il paraît donc nécessaire de se soucier de la prévention des conflits d’intérêts, ce qui pourrait passer par la signature d’une charte éthique.

Proposition : faire signer une charte à l’ensemble des membres des CCB, qui rappelle l’importance et la fragilité du système et qui engage à protéger l’intérêt général et à respecter les règles de confidentialité.

C.   La procédure reste mal adaptée aux délais courts

Votre rapporteure rappelle son attachement à la procédure d’attribution des bourses qui permet un réel accompagnement de la famille demandeur et un dialogue de gestion de qualité qui associe toutes les parties prenantes.

Néanmoins, les délais sont longs entre le dépôt du dossier, en janvier ou en février, et la décision d’attribution d’une bourse, qui peut intervenir pendant l’été. Certaines familles, notamment lors d’une première inscription, doivent ainsi s’inscrire dans un établissement sans savoir si elles pourront bénéficier d’une bourse. Or, l’inscription dans un établissement nécessite parfois le paiement d’un acompte pouvant avoisiner la moitié des frais de scolarité. Le refus d’attribution d’une bourse peut ainsi mettre certaines familles en difficulté. On peut même supposer que certaines familles renoncent à s’inscrire de peur de devoir s’acquitter par leurs propres moyens des frais de scolarité en cas de refus de bourse.

Les familles qui s’installent à l’étranger pendant l’été représentent un cas plus critique encore. Ces familles ont une fenêtre de temps très courte pour déposer leur dossier de demande de bourse. À cette occasion, les familles doivent produire des justificatifs souvent difficiles à trouver, comme un justificatif de domicile ou le certificat de radiation de la CAF. Si votre rapporteure estime que les Français qui font le choix de s’installer à l’étranger doivent faire preuve de responsabilité, l’administration pourrait utilement mettre en œuvre certaines mesures de simplification pour aider les familles.

Proposition : demander à l’AEFE de récupérer directement le certificat de radiation de la CAF auprès de la CAF de la famille demandeur.

Les familles qui déposent leurs dossiers de bourses pendant l’été connaîtront la décision d’attribution d’une bourse en fin d’année. En conséquence, la famille doit avancer les frais de scolarité et, en cas de refus de bourse, payer entièrement ces frais. En cas d’impayé, l’établissement peut essuyer les pertes (et augmenter les frais de scolarité l’année suivante) ou exclure les élèves en cours d’année. Ces circonstances produisent des situations humaines très compliquées, qui pourraient être prévenues par le recours au mécanisme de l’assurance.

Proposition : mettre en place un fonds de solidarité pour dédommager les établissements qui subissent des impayés à la suite d’un refus de bourse dont fait l’objet une famille qui pouvait légitimement y prétendre.


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   Troisième partie : La gestion des effectifs
au sein du quai d’orsay

Votre rapporteure a pu constater à de nombreuses reprises, non seulement la compétence, mais aussi le niveau d’engagement des personnels dans leurs fonctions. La priorité donnée à la réduction des moyens sans ajustement du périmètre des missions risque toutefois de fragiliser l’engagement des personnels. Par ailleurs, certains aspects de la gestion des effectifs, comme le retard accusé par le Quai d’Orsay dans la féminisation de l’encadrement supérieur, peuvent également se révéler décevants.

I.   Le pilotage de la masse salariale du quai d’orsay est complexe en raison de l’éclatement du réseau

A.   une masse salariale en hausse…

Comme on l’a vu, le nombre des effectifs du Quai d’Orsay connaît une réduction continue depuis longtemps : entre 2008 et 2018, le ministère a perdu près de 17 % de ses personnels.

En dépit de la baisse des effectifs, il connaît une hausse continue de sa masse salariale : celle-ci a augmenté d’un peu moins de 10 % entre 2008 et 2018. Selon le budget pour 2020, la masse salariale s’établira en 2020 à 1,114 milliard d’euros, dont 977,1 millions hors pensions, ce qui représente une augmentation de 15,4 millions par rapport à 2019. Au total, la masse salariale représente environ un cinquième du budget du ministère.

Un récent rapport sénatorial ([11]) a souligné le décalage entre la réduction des effectifs et le dynamisme de la masse salariale du MEAE, concluant au caractère « insatisfaisant » du pilotage de la masse salariale du Quai d’Orsay, en particulier de l’indemnité de résidence à l’étranger (IRE).

Votre rapporteure s’étonne des conclusions de ce rapport et note qu’elles ont été très mal vécues par les personnels du MEAE, qui considèrent à juste titre avoir réalisé des efforts très importants au cours des dernières années.

B.   … Sous l’effet de facteurs exogènes…

L’augmentation de la masse salariale n’est pas un phénomène propre au MEAE. La masse salariale de l’État a augmenté de 10 % entre 2008 et 2018, alors même que les effectifs de l’État diminuaient de 10 % sur la même période. Le poids du MEAE dans la masse salariale de l’État est donc resté stable, bien que le ministère ait davantage contribué à l’effort de réduction des effectifs en proportion de ses personnels. Au sein de l’État comme au sein du MEAE, la progression de la masse salariale est d’abord le résultat du glissement vieillesse technicité (GVT) et des mesures catégorielles destinées à revaloriser les personnels.

Le Quai d’Orsay présente une particularité supplémentaire liée à l’éclatement du réseau diplomatique et consulaire dans le monde. Pour rappel, les trois quarts des personnels du ministère sont en poste à l’étranger. L’universalité du réseau inscrit le MEAE dans des systèmes macroéconomiques très différents ([12]), ce qui l’expose aux effets de l’inflation et aux variations du change.

Or, dans la décennie qui a suivi la crise financière de 2008, l’inflation mondiale a connu une hausse de 48 %, un taux bien supérieur au taux d’inflation en France. Sur la même période, l’euro s’est fragilisé par rapport au dollar américain. L’augmentation de la masse salariale est en partie le résultat de la revalorisation de la rémunération des personnels à l’étranger, et en particulier de l’IRE, pour prévenir l’érosion de leur pouvoir d’achat.

En dépit de cette exposition aux effets de l’inflation et des variations du change, le ministère chargé du budget a toujours refusé de prendre en compte ces facteurs qui militent pour une plus grande dynamique du budget du MEAE pour maintenir le réseau à l’étranger. En conséquence, le MEAE n’a cessé de faire des économies pour compenser l’effet de l’inflation mondiale et de la dévaluation de l’euro.

Selon M. Gilles Bourbao, sous-directeur du budget au sein de la direction des affaires financières du MEAE, cette difficulté persistante illustre la nature du dialogue budgétaire avec Bercy. Ainsi, les échanges sur des points techniques s’interrompent vite sous l’urgence de réduire les déficits. Le MEAE est d’ailleurs souvent en position de faiblesse dans les négociations budgétaires compte tenu, d’une part, de son attitude constante de bon élève qui obtempère et cède aux injonctions budgétaires et, d’autre part, de son problème d’image aux yeux des citoyens.

C.   … Qui seront pris en compte en 2020

Grâce à l’engagement du ministre, Jean-Yves Le Drian, l’année 2020 est marquée par une plus grande sincérité du budget, qui présente une masse salariale qui anticipe l’effet de l’inflation et du change sur les rémunérations des personnels en poste à l’étranger. Dans le détail, le budget prévoit plusieurs mesures :

– une provision initiale de 3,4 millions d’euros pour anticiper les effets de l’inflation mondiale sur la rémunération des ADL ;

– une provision initiale de 11 millions d’euros au titre des effets du change et de l’inflation sur les IRE ;

– la possibilité de mobiliser les crédits de la réserve de précaution pour couvrir le risque d’une perte au change sur la rémunération des personnels à l’étranger.

Comme l’affirme Mme Hélène Tréheux-Duchène, le budget pour 2020 fait preuve de « sincérité et de transparence ». Il fait apparaître ce que représentent les phénomènes exogènes à la gestion du ministère, ce qui permettra en retour, d’objectiver les efforts réalisés par le Quai d’Orsay.

II.   la réduction des effectifs à missions inchangées met le quai d’orsay en équilibre précaire

A.   L’incapacité française à ajuster les missions aux moyens

Le plan « Action publique 2022 » se traduit par la poursuite des efforts demandés au Quai d’Orsay. Le MEAE doit opérer une réduction de 5,7 % sur sa masse salariale d’ici 2022. Comme nous l’avons vu, cet effort doit s’interpréter en réalité comme un ralentissement de la progression de la masse salariale.

L’expérience du Foreign Office britannique depuis 2008

L’effort demandé au Quai d’Orsay n’est pas sans rappeler l’expérience du Foreign Office britannique à partir de 2008. Après la crise, le Royaume-Uni a imposé des mesures structurelles au Foreign Office, qui se sont traduites par des fermetures d’ambassades et des remplacements d’expatriés par des ADL.

Dix ans après, les Britanniques considèrent que ces mesures ont considérablement amoindri le pouvoir d’influence du Royaume-Uni à l’étranger. Prenant acte de constat, le ministre des affaires étrangères britannique Boris Johnson a initié la remontée en puissance du Foreign Office en décidant la ré-extension du réseau et la re-professionnalisation des diplomates.

Votre rapporteure estime que le Quai d’Orsay doit choisir entre deux options : la poursuite des économies, ce qui implique une réduction du périmètre des missions, ou, alternativement, le maintien du périmètre des missions, ce qui implique de mettre fin aux efforts demandés au Quai d’Orsay.

Pour l’heure, l’équation est insoluble : les moyens diminuent inexorablement mais les missions des diplomates français restent inchangées, voire s’étendent. Il existe un décalage manifeste entre les moyens de la diplomatie française et la lettre de mission des ambassadeurs, qui exige de ces derniers une action dans les domaines politique, économique, culturel, technologique, environnemental, etc. À titre d’exemple, l’opération « Goût de France », qui vise à promouvoir la gastronomie française à l’étranger, est très chronophage pour les ambassadeurs. N’est-il pas préférable, comme le disait le Président de la République lors de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices, de faire preuve « d’audace pour revisiter [les] schémas de pensée, [les] automatismes » en renouvelant et en intensifiant notamment les liens avec les sociétés civiles ?

Les postes de présence diplomatique (PPD) fournissent une bonne illustration de la situation : les PPD ont été créés pour maintenir une présence française réduite dans des pays avec lesquels les relations sont plus faibles. Alors que leurs missions devraient être ajustées à leur taille, les PPD continuent d’exercer un éventail de missions à la limite du supportable.

Le maintien d’un nombre trop important de missions tient aux pressions sur les ambassades de la part de plusieurs acteurs que sont les partenaires locaux, qui attendent beaucoup du poste diplomatique, les ministères, qui sollicitent constamment leurs réseaux, et enfin les ressortissants français à l’étranger particulièrement sensibles à une présence française au plus près de leur lieu de vie. Comme le rappelle Mme Tréheux-Duchène, « dans un pays très administré comme la France, il existe une attente infinie vis-à-vis de l’État ».

Tous ces acteurs portent le rayonnement de la France et son impact international. Notre désengagement diplomatique et consulaire serait donc préjudiciable. Votre rapporteure estime qu’il est de la responsabilité du politique de ne pas sacrifier le long terme au court terme, de revoir le périmètre de l’aide aux ressortissants français à l’étranger et, plus généralement, de hiérarchiser les missions des diplomates plutôt que d’énoncer plusieurs priorités sans les ordonner.

L’exemple de l’action sociale est particulièrement parlant. En plus des actions traditionnelles, de nouvelles missions apparaissent comme la lutte contre les violences faites aux femmes, l’aide aux parents d’enfants qui ont été enlevés à la suite d’un divorce international ou encore la recherche et la négociation d’une assurance santé locale pour nos ressortissants en situation d’indigence.

Proposition : renforcer l’aide aux plus vulnérables dans les missions consulaires et placer cette mission au premier rang des priorités sous réserve, pour rester à moyens constants, de supprimer d’autres services consulaires (voir l’exemple britannique ci-après).

 

 

 

Les choix rationnels du Foreign Office britannique

Contrairement aux idées souvent entendues, le Foreign Office britannique offre aussi une action consulaire pour ses ressortissants mais a fait d’autres choix que les nôtres.

Ainsi les procédures de demandes de visas sont-elles entièrement délocalisées en Grande-Bretagne à partir de dossiers soumis par des prestataires externes locaux, les mêmes que ceux utilisés par nos postes consulaires. La lutte contre la fraude documentaire a conduit à investir lourdement dans la sécurité des vignettes visas et est aussi assurée par une équipe régionale qui fait de nombreux audits des prestataires. Ceci dégage des moyens consulaires.

Les demandes et le renouvellement de passeports sont également instruits en Grande-Bretagne. Il n’y a pas de prises d’empreintes. Là aussi, cela dégage des moyens consulaires.

Par ailleurs, chaque poste consulaire développe, au sein de sa mission de protection des plus vulnérables comme le font aussi nos postes, une intense action dédiée à la lutte contre la violence faite aux femmes britanniques à l’étranger (mise en place de foyers d’hébergement d’urgence en partenariat avec les autorités locales, collaboration avec les services locaux de police et de justice et lien avec les services sociaux britanniques).

Les violences faites aux femmes à l’étranger sont un réel problème qui se développe parallèlement à l’accroissement de nos communautés comme en témoigne un groupe Facebook récemment créé ([13]) et qui a accueilli plus de 500 membres quelques jours après sa création avec, selon le témoignage de son administratrice, des récits d’une très grande violence. Les besoins sont immenses et votre rapporteure tient à saluer la mise en place par le secrétariat d’État à l’égalité femme-homme d’un numéro d’appel accessible depuis l’étranger. Mais il faudra aller plus loin.

B.   Le réseau diplomatique et consulaire en équilibre précaire

Sans le renoncement à certaines missions, nos ambassades resteront en équilibre précaire.

Les associations syndicales remontent de plus en plus fréquemment des cas de fatigue au travail, de stress et de « burn-out » de la part de personnels très investis dans leurs missions. Votre rapporteure a rencontré plusieurs représentants syndicaux qui l’ont alerté sur le risque d’une perte de motivation des personnels. Force est de constater que le plan « Action publique 2022 », dont la mise en œuvre est qualifiée de « cynique et brutale » par les représentants de la CFDT-Affaires étrangères, n’est pas comprise par un grand nombre d’agents.

La pression sur certains postes est particulièrement forte. En administration centrale, les sous-directeurs sont soumis à une chaîne hiérarchique très courte et tentent parfois d’épargner les jeunes rédacteurs des nombreuses demandes qui leur sont adressées. À l’étranger, à côté des SGA dont il a déjà été fait mention, les agents consulaires subissent une forte pression locale dans le traitement des visas et la gestion des Français en difficulté. Lors de son audition par votre rapporteure, Mme Laurence Haguenauer a insisté sur le poids de la protection consulaire, qui peut prendre beaucoup de temps et désorganiser tout un service, avec une pression politique parfois très forte.

Il y a près de dix ans, le Quai d’Orsay a créé des agents de renfort, qui sont une trentaine aujourd’hui, pour soutenir les services en difficulté. Ces agents sont de plus en plus sollicités pour renforcer des équipes débordées par un départ en congé maternité ou l’absence prolongée d’un agent. Comme ces moyens de renforts sont insuffisants, les postes ont de plus en plus recours aux vacations et aux stages, qui s’apparentent parfois à des emplois dissimulés.

En dépit de la réduction continue des moyens humains, le dévouement des personnels dans leur travail leur permet encore de remplir leurs missions. Votre rapporteure estime que la performance de notre diplomatie ne doit pas conduire à la fausse conclusion selon laquelle il serait possible de renforcer l’objectif de réduction des moyens. Dans le contexte actuel, le Quai d’Orsay ne pourra plus fournir d’efforts supplémentaires sans conséquence réelle sur les personnels et, plus largement, sur la politique étrangère de la France.

III.   La gestion « qualitative » des effectifs est trop souvent délaissée

A.   Repenser les carrières des diplomates

● Votre rapporteure s’est interrogée sur le taux de rotation des personnels diplomatiques, qui est beaucoup plus élevé que dans le reste de la fonction publique.

Certes, le changement fréquent de postes est un élément apprécié des diplomates eux-mêmes, qui peuvent travailler sur des sujets très différents tout au long de leur carrière. Par ailleurs, cette mobilité produit une gymnastique de l’esprit et une polyvalence qui élargit la vision des diplomates. Il s’agit d’une bonne préparation pour ceux qui ont vocation à devenir chef de poste. À l’inverse, une durée trop longue, notamment pour ces derniers, peut couper les personnels des réalités du poste ; ils deviennent des spécialistes de leur pays de résidence mais perdent de vue les objectifs de la présence française.

Si votre rapporteure entend ces arguments, cette mobilité a également un coût : la perte de mémoire sur certains dossiers. Or, sur des sujets techniques et pointus, le manque de mémoire est susceptible d’affaiblir l’action diplomatique.

Proposition : mettre en place des filières dans les domaines les plus techniques.

À titre d’exemple, votre rapporteure s’étonne que le poste de directeur des systèmes d’informations (DSI) soit occupé par un diplomate. Cette fonction exige une expertise particulière alors que la sécurité informatique représente un défi de plus en plus complexe. Malgré la motivation des diplomates qui occupent cette fonction, il serait souhaitable de la confier à une personne qui dispose d’une formation et d’une longue expérience technique dans le domaine des systèmes d’information (informatique et numérique). Le diplomate aurait toute sa place aux côtés de ce DSI pour le conseiller sur les spécificités du ministère. Une telle évolution ne serait pas entièrement nouvelle puisque votre rapporteure rappelle que le directeur de la sécurité diplomatique n’est pas un diplomate, mais un membre des forces de sécurité intérieure détaché auprès du Quai d’Orsay.

Proposition : réserver le poste de DSI à une personne formée et expérimentée à la gestion des systèmes d’information.

Pour les personnels de catégorie A et A+ en particulier, une durée de mission trop courte peut se traduire par une perte de compétence précieuse pour le Quai d’Orsay. Pour ces personnels, la première année est une année de découverte, la deuxième année est une année d’action et la troisième année est une année de préparation du prochain poste.

Proposition : allonger systématiquement à quatre ans la période d’affectation des personnels de catégorie A et A+.

Enfin, votre rapporteure appelle à développer la mobilité sortante, qui permet une respiration dans la carrière des personnels. La mobilité garantit le maintien des droits à l’avancement dans le corps d’origine pour une durée maximale, afin que ces personnels soient ensuite incités à revenir.

Proposition : développer la mobilité sortante.

● Votre rapporteure regrette également l’importance du concours et du statut, au détriment de l’expérience, dans le déroulement de la carrière des diplomates.

Le Quai d’Orsay recrute des agents de catégorie A et A+ par concours qui, malgré une excellence académique certaine, n’ont pas forcément les capacités pour gérer une équipe, alors que les premières responsabilités d’encadrement surviennent le plus souvent au tiers de la carrière.

Le MEAE a bien mis en place une procédure d’évaluation des capacités managériales, appelée « procédure du 360° » parce qu’elle fait intervenir toutes les catégories de personnels, mais qui ne vaut que pour les personnels qui aspirent à un poste de directeur ou d’ambassadeur. Un comité peut expliquer à ceux qui n’ont pas reçu une évaluation favorable les raisons de ce choix, avec ensuite la possibilité de créer un « coaching » personnalisé.

Votre rapporteure considère qu’il est nécessaire d’aller plus loin dans l’évaluation des personnels qui aspirent à exercer certaines responsabilités. Elle appelle le MEAE à se doter d’une école, sur le modèle de l’École de guerre du ministère des Armées, pour former les hauts potentiels. À l’issue de leur période de formation, les personnels recevraient une qualification diplômante qui serait exigée pour exercer des postes à responsabilité à l’étranger, à l’image du brevet de l’École de guerre.

Proposition : créer une école, alignée sur l’École de guerre, pour sélectionner les hauts potentiels du Quai d’Orsay.

Au-delà des seuls personnels qui exercent les plus hautes fonctions, votre rapporteure appelle à renforcer l’évaluation des personnels tout au long de la carrière afin de favoriser l’objectivation des compétences. Cette démarche n’aurait de sens que si cette évaluation était réellement prise en compte dans les décisions d’affectation, et parfois au détriment de certaines considérations statutaires.

Proposition : renforcer l’évaluation des personnels tout au long de la carrière et accroître la part de ces évaluations dans le déroulement de la carrière.

B.   Renforcer la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

1.   Le MEAE a su gérer la problématique des personnels sans affectation…

Le Quai d’Orsay fait face à de grandes difficultés sur le plan de la pyramide des corps et des âges de ses effectifs. En particulier, le vivier des agents de catégorie A+ est excédentaire car le MEAE a trop recruté il y a une vingtaine d’années et trop promu au niveau A+ sans anticiper l’allongement de la période d’activité. En revanche, votre rapporteure critique avec force l’argument des difficultés liées l’entrée des femmes sur le marché du travail entendu à plusieurs reprises lors des auditions mais aussi de la part d’ambassadeurs en attente de poste lors de la dernière conférence des ambassadrices et des ambassadeurs. L’entrée des femmes sur le marché du travail remonte à 1960 et les études ([14]) prouvent même que la croissance de ce marché n’est due qu’aux seules femmes ! Un décalage entre la réalité du marché du travail et les recrutements au MEAE peut s’entendre mais 59 ans de retard ne relèvent plus du décalage mais d’obstacles profonds et profondément choquants sur lesquels votre rapporteure revient à la fin de ce rapport.

En dépit des tensions qui résultent de ce déséquilibre, le MEAE a réussi à contenir le nombre de personnels sans affectation. Ainsi, en 2019, 22 agents sont en moyenne sans affectation sur les 5 597 ETP que compte la catégorie des agents titulaires et des contrats à durée indéterminée (CDI) sous le plafond d’emplois du ministère, ce qui représente seulement 0,6 % du total. Le chiffre des personnels sans affectation connaît un pic chaque automne, à l’issue du mouvement annuel d’affectations, qui se résorbe rapidement.

Pour les personnels de catégorie A et A+, le nombre d’agents sans affectation est généralement plus élevé, compte tenu de la difficulté à trouver un poste de travail disponible correspondant à leur parcours et aux responsabilités déjà exercées. En moyenne sur l’année 2019, 14 agents ([15]) sur les 1 907 agents de catégorie A et A+ ([16]) étaient temporairement sans affectation, un chiffre qui devrait redescendre prochainement. La moyenne d’âge de ces agents est de soixante et un ans.

Ce nombre est en forte baisse par rapport aux années 2000.

évolution du nombre moyen d’agents sans affectation

Agents

Corps

2015

2016

2017

2018

2019

Agents sans affectation

A+

7

6

8

5

6

A

4

2

7

8

8

B

3

0

1

2

2

C

6

5

6

4

6

Total

20

13

22

19

22

Effectif total en ETP

A+

236

232

230

228

227

A

1 864

1 901

1 914

1 912

1 907

B

990

997

986

990

984

C

2 964

2 884

2 859

2 757

2 705

Total

5 818

5 781

5 759

5 660

5 597

Part des agents sans affectations

A+

2,97 %

2,59 %

3,48 %

2,19 %

2,64 %

A

0,21 %

0,11 %

0,37 %

0,42 %

0,42 %

B

0,30 %

0,00 %

0,10 %

0,18 %

0,20 %

C

0,20 %

0,17 %

0,21 %

0,15 %

0,22 %

 

Total

0,34 %

0,22 %

0,38 %

0,34 %

0,39 %

 

 

 

 

Masse salariale

1,41 M€

 

 

 

 

Avec charges

1,59 M€

Source : réponses de l’administration au questionnaire.

Pour réduire le nombre de personnels sans affectation, le MEAE avait mis en place, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), un dispositif de fin d’activité destiné aux diplomates titulaire du grade de ministre plénipotentiaire et de conseiller des affaires étrangères hors classe âgés de cinquante-huit à soixante-deux ans. Ce dispositif, fondé sur une incitation financière au départ volontaire, s’est traduit par une quarantaine de départs entre 2008 et 2014. En dépit de son coût immédiat, ce dispositif s’est traduit par une économie substantielle sur la masse salariale. Dans le même temps, le ministère a réduit au minimum le nombre d’entrées dans les corps des conseillers des affaires étrangères.

Ces dernières années, le nombre de personnels de catégorie A et A+ sans affectation a encore baissé grâce à une approche très active vis-à-vis de ces agents qui, faute de pouvoir accéder à des postes à la hauteur de leur expérience, se voient confier des missions thématiques pour lesquelles leur expertise et leur légitimité sont des atouts précieux. Au 15 septembre 2019, le MEAE comptait 21 ambassadeurs thématiques, dont un en cours de nomination.

Toutefois, l’inadéquation entre la population des agents de catégorie A et A+ et les postes disponibles persiste et devrait se maintenir, du fait des réformes du réseau diplomatique et consulaire à l’étranger, du rajeunissement constaté sur un certain nombre d’emplois en administration centrale comme à l’étranger et du recrutement à venir d’agents contractuels sur des postes d’encadrement supérieur ([17]). Le ministère sera donc amené à envisager la mise en place d’un nouveau dispositif d’accompagnement de ses cadres supérieurs qui seraient candidats à un départ anticipé de la fonction publique pour basculer, soit vers le secteur privé, soit vers la retraite.

À l’inverse, le ministère manque aujourd’hui de personnels de catégorie A en premier tiers de carrière. La loi « Dussopt » du 6 août 2019, qui ouvre certains postes d’encadrement supérieur à des contractuels, sera un palliatif utile pour occuper certains postes. Votre rapporteure restera toutefois vigilante à ce que cette loi ne devienne pas un frein important à la promotion à des postes à responsabilité des personnels de catégorie A et A+, en particulier des femmes.

2.   Mais doit, pour l’avenir, mettre en place une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC)

Votre rapporteure considère que le MEAE n’est pas encore doté d’une GPEC de qualité suffisante pour prévenir, à l’avenir, un nouveau déséquilibre dans la pyramide des âges et des viviers de compétences ou, pire encore, une obsolescence des compétences au regard de l’évolution de la diplomatie. Si les considérations budgétaires guident actuellement les évolutions de la masse salariale, le MEAE ne peut s’exonérer d’une réflexion sur l’évolution des métiers et des compétences pour orienter les décisions de recrutement et de formation.

L’importance d’une telle démarche est pourtant rappelée depuis longtemps. La mise en place d’une politique de GPEC était déjà l’une des priorités du projet « MAEDI 21 », annoncé en août 2015. Elle figure toujours parmi les objectifs fixés au ministère par la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), mais elle tarde à se concrétiser.

Depuis peu, le MEAE tente de se doter des outils d’analyse nécessaires pour lui permettre d’améliorer sa compréhension des compétences dont il dispose ainsi que de l’évolution prévisible des emplois et des carrières. Le Quai d’Orsay a notamment développé trois outils :

– un répertoire ministériel des métiers, appelé « Nomade » ([18]), qui a pour objet de recenser et décrire l’ensemble des emplois-types qui permettent au MEAE d’assurer ses missions ;

– un dictionnaire des compétences ministérielles qui dresse la liste de toutes les compétences attendues dans les différents métiers du MEAE et qui a vocation à être l’outil complémentaire de « Nomade » ;

– une application informatique de GPEC, appelée « PrévoiRH », destinée à présenter une cartographie des effectifs, de la masse salariale et de la GPEC au sein du Quai d’Orsay. Les emplois-types de « Nomade » et les compétences ministérielles sont intégrés dans cette application.

Au-delà de la connaissance que ces outils permettent de développer, votre rapporteure estime que le MEAE doit encore se saisir de ces outils pour définir les politiques de ressources humaines nécessaires pour adapter les métiers et les compétences aux évolutions prévisibles des missions du ministère.

IV.   La féminisation du personnel diplomatique doit être poursuivie

Alors que la France développe une diplomatie féministe, qui repose sur la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes à l’échelle de la planète, le Quai d’Orsay doit au préalable se montrer exemplaire dans la composition du personnel diplomatique chargé de mettre en œuvre cette orientation.

A.   malgré les efforts, le meae n’atteint pas ses objectifs

1.   La féminisation du personnel diplomatique

Sur l’ensemble des titulaires, le MEAE atteint la parité. En dépit de la réduction des effectifs entre 2008 et 2018, la proportion de femmes est restée stable, avec une moyenne de 52 % sur la période.

nombre de titulaires de chaque sexe au sein du MEAE

Source : réponses de l’administration au questionnaire.

Toutefois, la proportion de femmes décroît à mesure que l’on monte dans la hiérarchie du ministère. Si les femmes sont surreprésentées sur les postes de catégorie C, où elles constituent 60 % des personnels, elles sont à l’inverse sous-représentées dans les postes d’encadrement supérieur : elles représentent entre 35 et 40 % des effectifs de catégorie A. On retrouve cette inégalité au sein même de la catégorie A, puisque les femmes représentent 43 % du corps des secrétaires des affaires étrangères et 31 % du corps des conseillers des affaires étrangères.

Depuis plusieurs années, le MEAE mène une politique volontariste en faveur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes qui a d’ores et déjà permis d’opérer un certain rattrapage sur les fonctions d’encadrement supérieur. Ce rattrapage est principalement lié à l’entrée en vigueur de la loi « Sauvadet » du 12 mars 2012 ([19]) qui impose un taux minimum de 40 % de personne de chaque sexe parmi les primo-nominations aux principaux emplois de l’encadrement supérieur de l’État sous peine de sanctions pécuniaires.

En particulier, la proportion de femmes qui occupent des postes à forte responsabilité a connu une forte progression. Alors que les ambassadrices étaient 23 en 2012, leur nombre a doublé pour atteindre 46 en 2018. En administration centrale, le rattrapage existe sans être aussi important, puisque le nombre de directrices et de cheffes de service est passé de 23 à 25 % sur la même période. Mais on est encore loin du compte.

Grâce à ces efforts, le MEAE a obtenu, pour la première fois en octobre 2017, le label « Égalité professionnelle entre les hommes et les femmes » de l’Agence française de normalisation (AFNOR), qui garantit l’égalité dans les rapports professionnels, dans la gestion des ressources humaines et dans la conciliation entre vie privée et professionnelle.

2.   Le Quai d’Orsay accuse encore du retard

Votre rapporteur considère que les progrès du ministère sont à mettre en perspective avec une situation de départ caractérisée par un très grand retard dans la féminisation du personnel diplomatique. En conséquence, la situation actuelle ne saurait être jugée satisfaisante dans un ministère dans lequel l’égalité professionnelle homme/femme reste un objectif encore lointain.

Le Quai d’Orsay ne parvient pas à atteindre la cible de primo-nominations féminines à 40 % fixée par la loi « Sauvadet » et affirme rencontrer en particulier des difficultés sur les postes de sous-directeurs et de chefs de service. Le ministère attribue ces difficultés à la faiblesse des viviers féminins et à la lenteur que mettent les mesures destinées à alimenter ces viviers pour produire des effets.

L’inégalité entre les hommes et les femmes se reflète également dans les affectations au sein de l’encadrement supérieur du ministère. Depuis le départ de Mme Florence Mangin de la direction de l’Europe continentale, plus aucun poste de directeur au sein de la direction générale des affaires politiques et de sécurité (DGAPS) n’est occupé par une femme. À l’inverse, les femmes sont davantage présentes sur les postes à responsabilité de la direction générale de l’administration et de la modernisation (DGAM), qui regroupe les fonctions « supports » du ministère. De même, les femmes sont surreprésentées au sein du vivier des ambassadeurs thématiques et en nombre insuffisant parmi les ambassadeurs bilatéraux. Sur ce plan, votre rapporteure affiche une certaine déception à l’égard des nominations intervenues à l’été 2019.

Alors même que le MEAE recevait le label de l’AFNOR, le Quai d’Orsay a fait l’objet d’une sanction de 450 000 euros pour non-respect des objectifs fixés par la loi « Sauvadet » au titre de l’année 2017. Selon Mme Pauline Carmona, présidente de l’association Femmes et Diplomatie, cette sanction financière envoie un message très dur à toutes les femmes du ministère : en dépit des restrictions budgétaires, le Quai d’Orsay préfère payer une amende plutôt que de nommer davantage de femmes sur des postes à responsabilité.

B.   Le Quai d’Orsay doit agir sur les verrous qui bloquent la progression des femmes

1.   Renforcer le vivier féminin

● Afin de créer un vivier féminin, le MEAE promeut des femmes à des positions de responsabilité et s’attache à faire émerger des talents féminins.

Votre rapporteure estime que la politique des quotas est un mal nécessaire. Certes, cette politique antagonise les rapports entre les femmes et les hommes
– certains hommes estimant avoir raté une promotion à un poste « réservé » à une femme –, tandis qu’elle dévalorise les compétences des femmes, qui pensent parfois devoir leur promotion à leur genre plus qu’à leur talent. Malgré tout, sans les contraintes mises en œuvre par la loi « Sauvadet » en 2012, de tels progrès dans la féminisation du personnel diplomatique n’auraient jamais eu lieu.

La mise en place de panels de sélection, en particulier pour les postes d’ambassadeurs, est une opportunité pour les femmes. Votre rapporteure salue la politique menée par l’ancien ministre des affaires étrangères Laurent Fabius qui, pour chaque poste important, exigeait que lui soit soumis un candidat de chaque sexe. Une telle pratique mériterait d’être systématisée.

Proposition : avoir une « shortlist » paritaire pour chaque poste à responsabilité avec équité de traitement, ce qui signifie ne faire aucune autre offre de poste à l’un et l’autre des candidats jusqu’à la décision finale.

● Afin d’alimenter le vivier féminin à la source, il est nécessaire de s’attaquer aux causes de l’autocensure qui existe chez les femmes.

De nombreuses femmes s’interdisent de passer un des concours du ministère ou de choisir le MEAE à la sortie de l’École nationale d’administration (ENA). Il pourrait même exister un biais dans le recrutement puisque, au stade de l’entretien avec le jury, les femmes sont susceptibles de répondre avec plus de sincérité sur leurs craintes, par exemple sur la perspective de l’expatriation.

Pour lever les inhibitions féminines, les femmes doivent pouvoir se projeter dans la carrière de diplomate. À cet égard, votre rapporteure juge positivement les activités mises en œuvre par l’association Femmes et Diplomatie pour mettre en relation de jeunes diplomates avec des femmes modèles au sein du Quai d’Orsay ou à l’extérieur, ce afin de leur permettre de s’identifier. Preuve de ce succès, le Quai d’Orsay réfléchit actuellement à la mise en place d’ateliers destinés à accompagner l’émergence des talents féminins en lien avec cette association regroupant des femmes diplomates.

En parallèle, il est nécessaire d’accompagner la prise de conscience des hommes eux-mêmes. La mise en place, au sein de l’Institut diplomatique et consulaire (IDC), d’un module sur l’égalité professionnelle qui permet d’aborder le sexisme ordinaire, va ainsi dans le bon sens.

2.   Favoriser la conciliation entre vie privée et vie professionnelle

Malgré le rééquilibrage (parfois encore très inégal) de la charge des tâches domestiques au sein des ménages, la vigilance vis-à-vis de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle des femmes diplomates doit être extrême. Et elle doit être accrue pour les postes de sous-direction, qui coïncident souvent avec l’âge des maternités. Or, le fonctionnement du Quai d’Orsay, qui se caractérise par de longues journées de travail, une forte culture du présentéisme et la contrainte de l’expatriation, ne favorise pas cet équilibre. Le manque de flexibilité conduit à une évaporation du vivier féminin du ministère.

Le Quai d’Orsay a tenté de moderniser sa gestion des ressources humaines pour favoriser l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle au travers, notamment, de la mise en place d’une charte du temps ([20]) et de la reconnaissance du télétravail. Ces outils restent néanmoins faiblement employés. Là aussi, l’expérience du Foreign Office britannique est intéressante : le télétravail y est particulièrement développé permettant à des conjoints de diplomates, eux-mêmes diplomates, d’occuper un poste en central depuis le poste à l’étranger où leur conjoint est affecté. Un exemple inspirant.

Votre rapporteure estime que les principes énoncés dans la charte du temps, comme par exemple l’interdiction de prévoir des réunions de travail après 18 heures, doivent faire l’objet d’une meilleure application pour renforcer l’équilibre entre le temps professionnel et le temps personnel. Ceci exige une implication de la direction des ressources humaines qui doit mieux exploiter les données sur les horaires de travail des agents soumis au « badgeage » et rappeler à l’encadrement supérieur l’importance de veiller au respect de la charte du temps.

Par ailleurs, le télétravail doit encore être normalisé afin de permettre davantage de flexibilité aux personnels, notamment aux femmes qui ont des enfants. Depuis sa reconnaissance en 2016, le télétravail se développe rapidement au sein du MEAE : au 1er août 2019, 193 agents sont en télétravail au moins une journée par semaine, dont 75 % de femmes. Votre rapporteure regrette néanmoins que la perception du télétravail reste encore aussi négative ce qui limite, dans les faits, la capacité de nombreuses femmes à y avoir recours.

Quelle politique du handicap au Quai d’Orsay ?

La proportion de personnes handicapées au sein du MEAE a beaucoup augmenté ces dernières années. Alors que le taux d’emploi des personnes handicapées était de 4,16 % au 1er janvier 2016, il a atteint 4,38 % au 1er janvier 2017 et 4,57 % au 1er janvier 2018. Le MEAE reste encore loin de l’objectif légal de 6 %.

En valeur absolue, le Quai d’Orsay compte 333 personnes en situation de handicap. En 2018, dix recrutements d’agents handicapés ont eu lieu, dont un en catégorie A+, quatre en catégorie A, trois en catégorie B et un en catégorie C.



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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   AUDITION DE M. JEAN-Yves LE DRIAN, ministre de l’Europe
et des affaires étrangères

Au cours de sa réunion du mercredi 3 octobre 2019, la commission reçoit en audition M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Isabelle Rauch, présidente. Mes chers collègues, je suis ravie d’accueillir M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, pour une audition consacrée au budget du Quai d’Orsay, dont les grands équilibres ont été arrêtés en Conseil des ministres vendredi dernier. Notre présidente, Marielle de Sarnez, ne pouvait être présente aujourd’hui et vous prie de bien vouloir l’en excuser.

Notre commission compte neuf rapporteurs budgétaires chargés d’éclairer l’usage des crédits qui financent la diplomatie française. Trois d’entre eux ont la responsabilité d’examiner plus spécifiquement les programmes dépendant très directement du ministère : Anne Genetet pour les programmes 105 Action de la France en Europe et dans le monde et 151 Français à l’étranger et affaires consulaires, Frédéric Petit pour les crédits du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence et Hubert Julien-Laferrière pour le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement.

Il faut relever cette année l’effort particulier réalisé en faveur de l’aide publique au développement (APD). Cette priorité a été rappelée par le Président de la République à l’occasion de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices, à la fin du mois août dernier. Cet effort financier s’accompagnera d’un projet de loi de programmation et d’orientation qui permettra une réforme d’ensemble de la politique d’aide au développement. La présidente Marielle de Sarnez a souhaité que notre commission contribue largement à la réflexion en amont de ce projet de loi. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ses grands axes et sur sa date d’examen prévisible ?

Je vous propose, avant d’aborder les questions proprement budgétaires, de nous éclairer sur les quelques actions très importantes que la France a menées ces derniers mois sur la scène internationale. Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Mme de Sarnez au téléphone et de lui souhaiter un bon rétablissement ; je lui renouvelle mes vœux de bonne santé. Elle m’avait demandé de faire un point sur la situation internationale et de parler du budget : je vous propose, si vous en êtes d’accord, de faire un point sur l’Assemblée générale des Nations unies, puis de vous présenter le budget, avant de répondre à vos questions.

L’Assemblée générale des Nations unies s’est réunie à New York la semaine dernière. De nombreux sujets ont été abordés concernant les grands enjeux planétaires que sont le climat, la situation en Amazonie, les crises, la santé mondiale. Sur ces sujets que je ne fais qu’évoquer, la France a tenu son rang et joué son rôle. Mais je voudrais faire un point sur deux sujets en particulier : l’Iran et le multilatéralisme, qui ont été l’un et l’autre au centre des préoccupations et de l’action de la France, du Président de la République et de moi-même, au cours de cette semaine.

Tout d’abord, concernant l’Iran, le Président de la République a estimé qu’il y avait un espace politique pour engager un effort de désescalade dans la région. Il l’a estimé lors du sommet du G7 à Biarritz, après des échanges avec le Président Trump. Mon collègue Mohammad Javad Zarif, ministre des affaires étrangères iranien, est ainsi venu à Biarritz pour des échanges approfondis avec moi-même et un entretien avec le Président de la République, afin de tenter de faire baisser la tension.

Toutefois, la tension est ensuite remontée du fait, d’une part, des attaques par drones et par missiles dirigées contre des implantations pétrolières importantes en Arabie Saoudite, le 14 septembre, et, d’autre part, de l’annonce par l’Iran, en tout début septembre, d’une nouvelle mesure de désengagement de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, avec le renoncement à la limitation de la recherche et développement dans la production nucléaire. Je répète ici, avec des mots choisis, que la responsabilité de l’Iran dans les attaques qui ont été menées contre l’Arabie Saoudite est extrêmement plausible ; en tout cas, il n’y a pas d’autre explication plausible et nous l’avons dit publiquement à New York avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Mais, pendant que nous étions à New York, le Président de la République a tenté d’amorcer une nouvelle désescalade, en relation étroite et directe avec le Président Trump et le Président Rohani, en essayant d’établir les paramètres qui permettraient d’aboutir à un accord.

Les paramètres seraient les suivants : d’un côté, l’Iran déclarerait ne jamais se doter de l’arme nucléaire, revenant ainsi en conformité avec l’accord de Vienne, et renoncerait aux mesures prises depuis le mois de mai. De plus, l’Iran s’engagerait dans la construction d’un plan régional de sécurité qui permettrait de traiter les crises de la région, y compris la crise iranienne. De l’autre côté, les États-Unis lèveraient les sanctions économiques qui pèsent sur l’Iran et lui permettraient d’utiliser librement ses ressources pétrolières. Nous avons discuté de ces points à très haut niveau. Je n’aurais pas détaillé tout cela si la presse américaine n’en avait pas parlé ce matin et la presse française cet après-midi.

Ces initiatives n’ont pas pu aboutir pour l’instant mais sont toujours sur la table : il appartient désormais à l’Iran et aux États-Unis de s’en saisir, dans un temps relativement contraint puisque l’Iran a annoncé de nouvelles mesures de réduction de ses obligations au titre de l’accord de Vienne en début novembre. Ces mesures-là risquent d’aboutir à une nouvelle période de tension et à une nouvelle escalade : il faut donc profiter de l’espace politique existant pour essayer d’avancer sur ces sujets. Je voulais vous en informer pour vous apporter l’éclairage nécessaire sur ces questions importantes.

Le deuxième point que je voulais mettre en avant concerne le multilatéralisme. J’ai eu l’occasion de souligner l’attachement viscéral de la France au multilatéralisme, face à tous ceux qui le remettent en cause aujourd’hui, soit du fait de leur désengagement, soit du fait d’un usage du multilatéralisme pour les intérêts de telle ou telle puissance, soit du fait du renoncement à des financements ou à des projets. Il y a, depuis quelques mois, voire quelques années, une logique de déstructuration du multilatéralisme tel qu’il résulte des accords conclus après la dernière guerre. Nous avons souhaité prendre des initiatives pour montrer que les États attachés au multilatéralisme sont encore majoritaires. Il fallait donc pour cela activer le levier de la mobilisation politique des États et des acteurs de la société civile les plus engagés. C’est l’initiative que nous avons prise avec mon collègue allemand Heiko Maas et nous avons été heureusement surpris de constater que, à la réunion de constitution de l’Alliance pour le multilatéralisme, plus de soixante-dix pays étaient présents, dont cinquante au niveau ministériel, venus de tous horizons géographiques et politiques. Cette initiative a pour objet de mobiliser les nations mais aussi la société civile sur un certain nombre de grands sujets, au service de projets concrets et innovants, pour lesquels il est possible d’établir des rapports de force et des propositions concrètes.

Six initiatives ont été évoquées au cours de cette première rencontre, dont le Partenariat Information et démocratie, lancé par Reporters sans frontières pour réguler les manipulations de l’information ; l’initiative Priorité à l’égalité dans l’éducation, lancée par l’UNESCO et reprise par l’Alliance pour le multilatéralisme ; la mise en œuvre de principes sur les systèmes d’armes létales autonomes ; la mise en œuvre du droit humanitaire dans les environnements de conflit ; la prise en compte de l’Appel de Paris pour la sécurité et la confiance dans le cyberespace. Tous ces projets montrent que l’on peut développer le multilatéralisme par la preuve : en revenant aux fondamentaux de l’action collective, en agrégeant les bonnes volontés, la méthode multilatérale permet d’obtenir des résultats rapides et efficaces au bénéfice de tous.

L’initiative que nous avons prise intervient à un moment important, que l’on appelle la « semaine ministérielle » aux Nations unies. Elle a beaucoup marqué car la présence de soixante-dix pays, représentés par de nombreux ministres, a créé un événement. Il ne s’agit pas pour nous de nous substituer aux Nations unies mais au contraire de mettre ces initiatives nouvelles au service des Nations unies, afin de susciter de nouvelles mobilisations sur les sujets majeurs qui concernent l’ensemble de la planète.

Tels sont les deux points que je voulais mettre en avant, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, sur l’Assemblée générale des Nations unies. Je suis tout à fait disposé à vous en parler plus longuement si vous le souhaitez.

Je voudrais maintenant aborder le budget 2020. Celui s’élève à 5,015 milliards en CP et dépasse donc pour la première fois le seuil des 5 milliards d’euros. Il affiche une hausse de 138,5 millions, soit l’équivalent de 3 %, par rapport à la loi de finances initiale pour 2019. Il se décompose en 2,87 milliards pour la mission Action extérieure de l’État, dont les moyens sont stabilisés et même en hausse de 2,3 millions d’euros, et de 2,14 milliards pour le programme 209 de la mission Aide publique au développement, en nette augmentation de 136,2 millions d’euros.

Je veux tout d’abord évoquer la réforme des réseaux de l’État à l’étranger que nous menons dans le cadre d’Action Publique 2022 pour améliorer encore l’efficacité de notre action. Elle permet de mutualiser nos moyens humains et de renforcer la cohérence de l’action interministérielle de nos ambassadrices et de nos ambassadeurs. Cette réforme consiste en une réorganisation du mode de gestion des réseaux de l’État à l’étranger. Elle place le Quai d’Orsay au centre du jeu : le Premier ministre a en effet conforté mon ministère dans son rôle de pilotage interministériel de l’action extérieure de l’État. La gestion des emplois de soutien et des crédits de fonctionnement de tous les réseaux internationaux de l’État est aujourd’hui unifiée sous la seule responsabilité du ministère des affaires étrangères. Nous mettons par ce biais un terme la gestion en silo des ressources humaines et des crédits de l’État à l’étranger pour atteindre la trajectoire d’économie que le Premier ministre nous a fixée, trajectoire équivalente à 5,7 % de notre masse salariale d’ici 2022. Je le précise car vous vous étiez inquiétés, l’année dernière, de l’objectif d’une économie de 10 % de la masse salariale à l’horizon 2022 : grâce à l’action de tous, et singulièrement à la vôtre, cet objectif a été réduit à 5,7 %.

Ces économies nécessaires concerneront d’abord la masse salariale du ministère : nous sommes déjà engagés dans la suppression de 160 emplois de notre réseau à l’étranger en 2019 et nous réaliserons 81 nouvelles suppressions en 2020. Le plafond d’emplois du ministère se trouvera ramené à 13 524 équivalents temps plein travaillé (ETPT) l’an prochain, ce qui représente près de 15 millions d’euros de réduction sur la masse salariale du ministère.

Hors pensions, les crédits de personnel totaliseront 977 millions d’euros en 2020, soit moins d’un cinquième du budget du ministère des affaires étrangères, avec une hausse modérée de 1,6 %. Vous pouvez trouver étonnant que, alors que les emplois diminuent, la masse salariale augmente, mais ce phénomène n’est pas propre à mon ministère : les emplois de l’État ont diminué de plus de 10 % en dix ans, alors même que sa masse salariale augmentait de 10 %. Cela s’explique en grande partie par les mesures catégorielles ou interministérielles ainsi que par le glissement vieillesse technicité (GVT).

Pour ce ministère, un autre élément doit être pris en compte cette année : nous avons amélioré la sincérité de notre projet de budget en présentant une masse salariale qui anticipe les effets de l’inflation mondiale sur les rémunérations des agents expatriés et les agents de droit local de nos ambassades. En effet, les trois quarts des agents du ministère sont en poste à l’étranger et sont donc exposés aux effets de l’inflation mondiale, nettement supérieure à l’inflation en France. Jusqu’à présent, nous vous demandions de prendre cela en compte a posteriori, lors du vote d’une augmentation de notre masse salariale en loi de finances rectificative : il fallait continuer à renégocier en fin d’exercice. Pour la première fois, dans le projet de loi de finances pour 2020, nous avons pu obtenir que la provision soit intégrée dès le budget initial ; elle est estimée à 15 millions d’euros.

Par ailleurs, j’ai obtenu que le risque d’une perte au change soit couvert par la mobilisation de notre réserve de précaution. C’est une évolution importante puisque les risques de change sont réels, même si nous essayons de les anticiper. Cela assure une plus grande sincérité du budget, mais aussi une plus grande clarté et un plus grand confort dans la gestion de la masse salariale.

J’en viens à nos deux missions budgétaires, hors masse salariale. Dans le cadre de la mission Action extérieure de l’État, les moyens du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde sont maintenus à 1,13 milliard ; le programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires se maintient avec 136 millions d’euros ; enfin, le programme 185 Diplomatie culturelle et diplomatie d’influence augmente de plus de 3 %. J’avais pris devant vous l’engagement non seulement de ne pas diminuer – c’était le cas auparavant – mais même d’augmenter progressivement les financements affectés à la diplomatie culturelle et d’influence. C’est encore le cas cette année, de manière d’ailleurs plus significative que l’année dernière : les moyens de notre réseau politique d’influence sont en hausse et les moyens de notre réseau consulaire sont stabilisés.

Je voudrais, sur la mission Action extérieure de l’État, faire quatre remarques. Première remarque, il nous faut des crédits de fonctionnement adaptés à nos besoins pour nous permettre de travailler. Les crédits des services centraux et des postes sont donc en légère hausse. La réforme des réseaux de l’État, à laquelle je faisais référence en commençant, nous permet en outre de dégager une économie de 3 millions d’euros sur les moyens de fonctionnement du réseau. Ces économies seront permises notamment par la renégociation des contrats de prestations de services, désormais unifiés par nos ambassades ; cela fera par exemple baisser le coût de nos factures de téléphone, puisqu’il y avait des prestations spécifiques pour chacun des services. Autre exemple d’efficacité, cela permet aussi de rationaliser le parc automobile des ambassades.

J’ai veillé également à augmenter les moyens de l’entretien de notre patrimoine à l’étranger. Le budget immobilier passe de 72 à 80 millions d’euros, soit une augmentation de 9 %. Comme je m’y étais engagé devant vous, nous avons stoppé l’hémorragie de nos biens immobiliers à l’étranger, qui constituent des outils de travail majeurs et dont le rôle, en termes d’influence et d’attractivité, est indéniable. Nous mettons l’ensemble des considérations que je viens d’indiquer dans la balance avant d’engager une cession, et pas uniquement les considérations financières. Cela s’accompagne également du renforcement de notre budget immobilier. Ce faisant, je réponds à des demandes qui avaient été exprimées ici l’année dernière : si vous me permettez l’expression, je suis au rendez-vous !

Je vous confirme par ailleurs – c’était un engagement de ma part – que le plan de sécurisation de nos ambassades et des lycées français sera poursuivi en 2020. Je vous rappelle que 100 millions d’euros ont été rendus disponibles à cette fin, en 2019 et 2020, sur les crédits du compte d’affectation spéciale 723. Nous mobilisons des moyens croissants pour faire face aux menaces qui pèsent sur nos implantations à l’étranger, en particulier sur certains sites. Ce programme sera complètement réalisé en 2020.

Ma deuxième remarque concerne les crédits de la diplomatie culturelle et d’influence : en hausse de 3 %, ils atteignent 643 millions d’euros. Cette évolution inverse de celle initialement prévue dans la loi de programmation des finances publiques est donc conforme aux engagements que j’ai pris. Dans un contexte de concurrence d’influence exacerbée au plan international, cela est indispensable pour promouvoir l’enseignement et la diffusion de notre langue, porter notre vision de la culture et défendre nos industries culturelles et créatives. J’ai fait des industries culturelles et créatives l’axe majeur de travail en 2019-2020 tant pour nos postes que pour notre diplomatie économique.

Par ailleurs, les moyens de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) seront augmentés de 24,6 millions d’euros. Notre subvention à cet opérateur atteindra ainsi 408,6 millions. C’était un engagement que j’avais pris : là aussi, je suis au rendez-vous. Notre rôle est de continuer à accompagner le développement maîtrisé du réseau d’établissements d’enseignement français à l’étranger, en particulier là où les communautés françaises se développent rapidement. Ces moyens supplémentaires aideront à atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans le réseau d’ici 2030. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès de moi, viendra dans quelques jours présenter devant votre commission le plan de travail que nous avons préparé en nous appuyant en particulier sur les travaux de Mme Samantha Cazebonne ; ce plan de travail sera public dans peu de temps. Enfin, la participation financière des familles sera ramenée de 9 % à 6 %, conformément aux engagements que j’avais pris devant vous. L’année dernière, vous aviez beaucoup protesté et cette détermination de la commission se traduit par une concrétisation financière très significative.

Troisième remarque, nous consacrerons les deux tiers des crédits du programme 105, soit 721 millions d’euros, aux contributions européennes et internationales. La réduction du coût des opérations de maintien de la paix – 307 millions, en baisse de 19 millions d’euros – permet de compenser la hausse de nos contributions aux organisations internationales – elles s’élèvent à 414 millions d’euros –, qu’elles soient européennes, comme le Conseil de l’Europe, ou internationales, principalement sur les projets de sécurité collective ou sur les opérations d’influence, comme le soutien de nos compatriotes jeunes experts associés dans les organisations internationales. Nous poursuivrons aussi notre investissement dans notre sécurité nationale et les moyens dédiés à la coopération de sécurité et défense sont stables, à hauteur de 32,5 millions d’euros, afin de renforcer les capacités de nos partenaires à lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Enfin, quatrième remarque, nos Français résidant ou de passage à l’étranger constituent un vecteur d’influence et d’attractivité considérable. Nous poursuivons donc la modernisation de notre action consulaire pour leur assurer un meilleur service public grâce à une dématérialisation accrue de leurs démarches administratives. Près de 4,5 millions d’euros seront dédiés en 2020 aux quatre projets emblématiques que nous menons de front : le vote par internet, le site de réponse téléphonique et courriel unique – je salue à cet égard le travail effectué par Mme Genetet –, France-Visas et le registre d’état civil électronique.

À ce propos, l’ordonnance permettant l’expérimentation du registre d’état civil électronique est passée ce matin en conseil des ministres : nous pourrons donc mettre en œuvre cette expérimentation en 2020. Il s’agit d’une innovation considérable, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de la signature de l’officier d’état civil sur les actes électroniques. Cette modernisation de fond permettra de supprimer certains coûts et évitera aux Français d’effectuer parfois plusieurs centaines de kilomètres pour venir chercher tel ou tel acte d’état civil.

Je vous confirme par ailleurs que l’enveloppe des bourses scolaires sera préservée à hauteur de 105 millions d’euros. En cas de besoin supérieur, la soulte accumulée par l’AEFE, liée à la sous-consommation des crédits les années passées, permettra en toute hypothèse de couvrir l’ensemble des besoins.

Je voudrais aussi profiter de cette évocation de notre réseau consulaire pour vous rappeler que le travail des agents de mon ministère apporte aussi des recettes directes au budget de l’État. Ces recettes ont été de 239 millions d’euros l’an passé : 21 millions d’euros pour les droits de chancellerie et 218 millions d’euros pour les droits de visa. Compte tenu de notre politique d’attractivité touristique et du développement touristique que nous constatons, ainsi que de la croissance continue du nombre de Français à l’étranger, je ne doute pas que ces recettes continueront d’augmenter.

J’en viens maintenant à la deuxième mission budgétaire de mon ministère : l’APD. Je voudrais au préalable faire une précision de méthode importante : comme vous le savez, l’APD correspond à l’agrégation de dépenses très diverses dont le recensement obéit à des standards très précis établis par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous ne dérogeons pas à ces principes et les comparaisons entre les différents acteurs au niveau international sont faites sur la base de ces standards.

L’aide au développement concerne les dépenses relatives aux réfugiés, les dépenses de recherche dans le domaine du développement, qui sont inscrites dans d’autres programmes budgétaires. S’y ajoutent des flux financiers : les prêts de la France à des institutions multilatérales, les prêts de l’Agence française de développement (AFD) comptabilisables en APD, des dépenses relevant d’autres entités publiques de l’État, la part des financements français transitant par l’Union européenne, les agences de l’eau, etc. Cette agrégation de dépenses aboutit au montant de l’APD, que ce soit en France ou ailleurs. Au sein de cet ensemble hétérogène, la mission budgétaire Aide publique au développement, qui correspond pour l’essentiel aux dépenses pilotables, ne compte que pour un tiers environ du total.

Cette mission budgétaire est elle-même composée de deux programmes : le programme 110 Aide économique et financière au développement, qui est géré par le ministère de l’économie et des finances, avec 4,48 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 1,14 milliard en crédits de paiement (CP) ; et le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, qui est sous ma responsabilité.

Le programme 209, hors dépenses de personnel, représente 2,68 milliards d’euros en AE et 1,98 milliard d’euros en CP, soit plus de 50 % de notre budget global. Cette hausse de 128 millions d’euros en comparaison avec 2019 nous permettra de poursuivre une trajectoire ascendante de l’APD, dans la perspective d’y consacrer 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) d’ici 2022 conformément à l’engagement du Président de la République, qui l’a encore rappelé fin août, lors de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices.

Nous avons d’ores et déjà redressé largement notre trajectoire d’APD, qui avait atteint son niveau le plus bas en 2016 avec 8,6 milliards d’euros. En 2018, dernière année dont les chiffres sont validés par l’OCDE, nous avons réalisé 10,3 milliards d’euros d’APD, soit 0,43 %. Si nous n’avons pas encore les chiffres pour 2019, ce pourcentage sera évidemment en hausse car le budget 2019 était déjà en progression. Le futur projet de loi de programmation relative à la politique française de développement visera, entre autres, à présenter les ordres de grandeur de l’APD sur la période 2020-2022 avec l’objectif d’atteindre 0,55 %.

Les priorités pour l’APD en 2020 resteront celles fixées par le comité interministériel de la coopération internationale du développement (CICID) du 8 février 2018 : des priorités sectorielles – climat, santé, éducation, traitement des fragilités et prévention des crises, égalité entre les femmes et les hommes – et des priorités géographiques assumées – l’Afrique en général, dont dix-neuf pays prioritaires en particulier, et les pays en crise.

Plus précisément, l’action que nous menons grâce au programme 209 repose sur une logique triple : d’abord, la logique bilatérale. Pour établir les leviers d’action directs de la France sur nos priorités géographiques et sectorielles, nous poursuivons la dynamique entamée l’an passé, qui avait d’ailleurs reçu l’accord unanime de la commission, visant à renforcer la composante bilatérale de notre APD d’ici 2022. Nous maintenons l’objectif d’allouer les deux tiers de la hausse moyenne des AE à des actions bilatérales et un tiers à la coopération multilatérale.

Dans ce contexte, trois vecteurs de notre aide bilatérale seront particulièrement privilégiés en 2020.

Premièrement, les moyens consacrés localement aux projets initiés par les ambassades, les fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), dont vous avez sans doute entendu parler au cours de vos déplacements ; vous savez l’attachement des postes à cette disponibilité. Les FSPI atteindront 60 millions d’euros, soit plus 36 millions par rapport à la loi de finances initiale de 2019. Ces programmes, qui sont directement à la main des ambassadeurs, sont très efficaces pour financer des projets très concrets dans un temps court, en conformité avec nos engagements de Ouagadougou et en complément de l’action de l’AFD. Je citerai un exemple : à Madagascar, nous contribuons au renforcement de la formation professionnelle en accompagnant, d’une part, la professionnalisation de l’offre de formation via un FSPI spécifique et, d’autre part, en contribuant à la création de la première école d’ingénieurs utilisant l’alternance à Madagascar à travers un financement AFD. Il y a donc une complémentarité entre l’immédiateté de la mobilisation du FSPI et l’action à plus long terme opérée par l’AFD.

Deuxième priorité dans le bilatéral : l’aide humanitaire bénéficiera d’un effort budgétaire supplémentaire de 100 millions, comme l’a souhaité le Président de la République. C’est la première fois que de tels montants sont dédiés aux crises humanitaires. Cela permettra notamment d’augmenter de 50 % les moyens consacrés à la gestion et à la sortie de crise, pour atteindre 155 millions d’euros, conformément à la stratégie humanitaire française de 2018.

Troisième priorité dans le bilatéral : une nouvelle augmentation, à un rythme moins soutenu, des moyens alloués à l’AFD depuis 2018 au titre de l’aide projet, qui reste l’instrument central de l’aide bilatérale. L’aide projet AFD sera dotée de plus d’un milliard d’euros en AE, soit un doublement par rapport à 2018. Même si cela est inférieur à ce que certains espéraient pour 2020, il n’empêche que ce sont les CP qui comptent et non les AE, comme vous me l’aviez rappelé avec raison l’année dernière. Or, 475 millions d’euros en CP seront consacrés à l’aide projet AFD, auxquels s’ajouteront les 186 millions d’euros de crédits extrabudgétaires imputés au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), soit une hausse de 44 % – excusez du peu ! Je rappelle d’ailleurs que l’OCDE calcule en CP et non en AE.

Dans cet ensemble, les fonds destinés à soutenir l’action de la société civile augmenteront. Ainsi, en 2020, la subvention Dons aux ONG – organisations non gouvernementales – mise en œuvre par l’AFD dépassera pour la première fois le seuil de 100 millions d’euros, conformément aux engagements que j’avais pris devant les ONG. Le soutien au dispositif de volontariat sera également en hausse pour s’établir à près de 22 millions d’euros, soit plus 8 % par rapport à l’an dernier.

Par ailleurs, les crédits relatifs à la coopération décentralisée, sujet de préoccupation pour beaucoup d’élus, augmenteront de 24 % pour atteindre 11 millions d’euros avec pour objectif, je m’y étais engagé, leur doublement d’ici 2022. C’est un relais d’influence majeur pour notre image dans le monde mais aussi un canal d’intervention important pour notre aide au développement ainsi que pour la promotion et l’attractivité de nos territoires à travers le monde. Nous comptons beaucoup sur les collectivités, en particulier pour la mobilisation en faveur du développement de la zone Sahel et aussi pour la préparation du sommet Afrique-France, qui aura lieu en 2020 à Bordeaux et dont le thème central sera consacré à la ville durable. Au titre des leviers bilatéraux, je n’oublie pas les autres opérateurs agissant dans le domaine du développement comme Expertise France, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ou le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).

Notre action en matière de développement répond aussi à une logique multilatérale. La France est déterminée à préserver un multilatéralisme efficace et responsable, ce qui suppose d’apporter un soutien politique et financier conséquent au système de développement et d’aide humanitaire des Nations unies, en lien avec les priorités que nous nous fixons en faveur de la jeunesse et de l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est pourquoi notre appui volontaire en faveur des organisations internationales atteindra 292 millions d’euros en CP en 2020, soit 97 millions de plus que l’an dernier. Il soutiendra l’action des agences des Nations unies impliquées dans l’action humanitaire : le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), l’Office international pour les migrations (OIM), l’ONU Femmes, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). Nous poursuivrons par ailleurs nos efforts en faveur de l’éducation en augmentant notre contribution à l’UNESCO dédiée à l’employabilité des jeunes, notamment des jeunes filles adolescentes. Enfin, nous accentuerons notre appui financier à la nouvelle académie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont l’ambition est d’accueillir les professionnels mondiaux de la santé sur notre territoire, à Lyon. Nous aurons l’occasion d’en reparler la semaine prochaine car cela fera l’objet d’une communication importante lors de la réactivation du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui se tiendra à Lyon, les 9 et 10 octobre.

Par ailleurs, l’enveloppe consacrée aux autres contributions volontaires hors Nations unies quadruplera presque et atteindra 100 millions d’euros. Ces contributions répondent à des engagements pris dans le cadre du G7 et sont axées sur les priorités définies lors du dernier CICID : les fragilités, dont la facilité de l’Union européenne pour les réfugiés en Turquie ou au fonds Bêkou pour la République centrafricaine ; le Partenariat mondial pour l’éducation ; le climat, avec le financement pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), pour les Systèmes d’alerte précoce en cas de risque climatique (CREWS) ou encore l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI).

Dans cette même rubrique, l’égalité entre les femmes et les hommes sera aussi abondée de façon très conséquente, en particulier par notre contribution à la conférence « Pékin+25 », à l’initiative pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique (AFAWA) de la Banque africaine de développement, et enfin sur la santé, ou encore au Fonds Mukwege, destiné à lutter contre les violences sexuelles faites aux femmes. N’oublions pas non plus le facteur important d’influence que constitue la francophonie, avec une contribution statutaire et volontaire versée aux opérateurs de la francophonie et, en particulier, à l’Organisation internationale de la francophonie, dont le montant demeure à un niveau élevé – 47,9 millions –, permettant à la France de consolider son rôle dans ce domaine.

En outre, plusieurs de nos contributions multilatérales dans le domaine de la santé, de l’éducation et du climat resteront, comme les autres années, financées partiellement ou totalement par le FSD, alimenté par deux taxes affectées : la taxe sur les transactions financières et la taxe de solidarité sur les billets d’avion. Ce sera le cas pour le Fonds vert pour le climat, dont la prochaine conférence de reconstitution se tiendra à Paris fin octobre, avec un doublement de la contribution française. Ce sera le cas également du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, du fonds UNITAID ainsi que du Partenariat mondial pour l’éducation.

Enfin, notre politique de développement se déploie aussi selon une logique européenne. La moitié des crédits du programme est destinée à alimenter, à hauteur de 842 millions d’euros, le Fonds européen de développement, dont les objectifs sont d’éradiquer la pauvreté, de promouvoir le développement durable et d’intégrer dans l’économie mondiale les pays signataires de la convention de Lomé et de l’accord de Cotonou. Il s’agit, de loin, du plus gros poste budgétaire du ministère, qui permet à la France d’assurer son rang de deuxième contributeur au Fonds européen de développement. Nous veillerons dans ce cadre à ce que nos priorités soient bien prises en compte dans le futur cadre financier pluriannuel européen, le CFP 2021-2027, qui est déjà en discussion. Nous insisterons pour que la priorité soit donnée à l’Afrique, aux pays les moins avancés ou encore à la lutte contre le changement climatique. La forte adéquation entre ces priorités européennes et les priorités françaises participe de la cohérence de notre politique de développement et de solidarité internationale.

Parallèlement à la rénovation du cadre juridique par la future loi de programmation que je présenterai, notre politique d’APD bénéficiera d’un pilotage politique renforcé. Le Président de la République a souhaité organiser un conseil de développement autour de lui, qui se réunira en octobre : le calendrier de la loi de programmation sera entériné à cette occasion. Par ailleurs, j’ai réactivé le conseil d’orientation stratégique de l’AFD, qui s’est réuni en 2017 et en 2018. Enfin, à l’étranger, des conseils locaux de développement seront systématiquement mis en place sous l’autorité de l’ambassadeur ; ils réuniront l’ensemble des acteurs pour mettre en œuvre les priorités fixées par une stratégie unique.

Voilà, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, ce que je voulais vous dire sur le budget 2020 que je viens d’avoir l’honneur de vous présenter.

Mme Isabelle Rauch, présidente. Monsieur le ministre, je vous remercie pour cette présentation. Vous avez été très attentif aux remarques que nous vous avons faites l’année dernière et je fais le pari que vous le serez tout autant à celles que nous vous ferons cette année. Si j’en juge par le nombre d’orateurs inscrits, elles seront nombreuses !

Je donne d’abord la parole aux orateurs des groupes.

Mme Anne Genetet. Monsieur le ministre, au nom du groupe La République en Marche, je vous remercie infiniment pour votre exposé. Il a porté en grande partie sur l’APD et je laisserai à mes collègues Hervé Berville et Hubert Julien-Laferrière le soin de revenir sur cette question.

Je voudrais, avant toutes choses, saluer l’engagement de nos agents dans tous nos postes diplomatiques, car ils font face à des défis importants. Je voudrais également saluer la ténacité avec laquelle vous êtes parvenu, monsieur le ministre, à défendre le budget de votre ministère. Vos prédécesseurs n’ont pas toujours fait de même et je vous avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi vous êtes obligé de faire autant d’efforts pour défendre votre budget.

Au fond, je me demande si votre ministère est suffisamment connu. On voit bien que son utilité est très souvent questionnée, non seulement par le ministère des finances, qui vous mène la vie dure, mais aussi par la presse et l’opinion publique – je le constate souvent sur les bancs de l’hémicycle.

Je rappelle que vous avez une triple, et même une quadruple casquette, puisque vos missions concernent : les relations internationales bilatérales, c’est-à-dire la diplomatie au sens le plus noble du terme ; le multilatéralisme, à travers notre présence dans les instances internationales, qui est durement « challengée » en ce moment – si vous me permettez cet anglicisme ; nos communautés à l’étranger, soit près de 3 millions de Français établis hors de France et plusieurs millions qui sont de passage ; les visites officielles, enfin, qui sont particulièrement chronophages. À travers ces missions, vous défendez notre influence dans le monde, notre présence au sein des instances internationales et notre attractivité, laquelle entraîne une création de valeur, dont nous avons particulièrement besoin aujourd’hui.

Ces missions sont d’autant moins faciles à remplir que l’on vous demande, depuis plusieurs années, d’importants efforts budgétaires. Les rapports se succèdent et se ressemblent pour saluer les efforts que votre ministère a réalisés avec constance depuis dix ans, et qui ont notamment abouti à une diminution de 30 % de ses effectifs. Cette année, un effort supplémentaire vous a été demandé, avec la mutualisation des fonctions support. Si cette mutualisation est une bonne idée sur le papier, votre ministère y a plutôt perdu, alors que d’autres y ont gagné : c’est l’une des conclusions de la mission flash que je mène actuellement sur ce sujet. On vous demande de procéder à une nouvelle réduction de la masse salariale mais elle sera, et c’est heureux, moins importante que celle initialement prévue. Enfin, des sénateurs ont fait paraître la semaine dernière un rapport au vitriol sur la situation paradoxale de votre ministère, qui connaît à la fois une augmentation de la masse salariale et une baisse de ses effectifs.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour mieux faire connaître votre ministère et pour que chacun prenne conscience de l’importance de votre rôle, qui consiste à faire entendre notre voix sur la scène internationale ? Qu’est-ce qui « cloche » aujourd’hui pour que l’on continue à « saigner » votre ministère ? Même si j’ai bien conscience que des efforts sont demandés à tous les ministères, le vôtre est l’un de ceux qui ont le plus petit budget et vous nous avez souvent dit que vous étiez à l’os. Pourquoi continue-t-on de réduire vos moyens, ce qui vous oblige à couper toujours plus de têtes ? Comment en est-on arrivé à une situation où nos ambassadeurs sont obligés de trouver des financements auprès d’entreprises privées – ce qui pose la question de l’indépendance de notre action ? À l’heure où vous prenez des engagements à l’horizon 2022, comment comptez-vous préserver la passion de vos agents au service de notre pays ?

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent aujourd’hui parmi nous. Je laisserai à mes collègues du groupe Les Républicains le soin de vous interroger sur les questions d’actualité, car je souhaite me concentrer sur votre budget pour 2020. Il est certes marqué par une augmentation de 3 % des CP, mais aussi par une baisse de 6 % des AE. Comme ma collègue Anne Genetet, je m’interroge sur cette baisse. Alors que votre ministère a déjà énormément contribué à l’effort budgétaire au cours des dernières années, on lui demande encore quatre-vingt-une nouvelles suppressions de postes en 2020.

Je concentrerai mon intervention sur l’APD, puisque vous en avez fait un axe important de votre exposé. Cette année, les CP de l’APD augmentent de 7 %, mais les AE baissent de 11 %. Vous nous dites que les CP sont plus importants que les AE : c’est donc que nous avions raison l’année dernière ! Si l’on ne peut que se réjouir de cette hausse de 7 %, on reste tout de même très loin des promesses présidentielles, ce qui pose la question de votre trajectoire. Le Président de la République s’est engagé, et nous l’approuvons, à ce que l’APD atteigne 0,55 % du revenu national brut en 2022 et 0,7 % en 2025. Vous lui consacrez 128 millions d’euros de plus en 2020. Pouvez-vous nous dire quel pourcentage du RNB l’APD représentait en 2019 et ce qu’elle représentera en 2020 ? Je crois me rappeler que nous étions à 0,43 % en 2018, d’après les chiffres de l’OCDE.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. C’est effectivement l’OCDE qui calcule ce pourcentage, en se fondant uniquement sur les CP. L’année 2019 n’étant pas terminée, je ne dispose que des chiffres de l’année 2018. Je rappelle qu’en 2018, l’APD a atteint 10,3 milliards d’euros, soit 0,43 % du RNB, ce qui est conforme au CICID. Nous sommes dans la bonne trajectoire : ce n’est pas moi qui le dis, mais l’OCDE.

Mme Bérengère Poletti. Vous allez tout de même devoir, au cours des deux prochains exercices budgétaires, consentir un effort largement supérieur à celui que vous avez réalisé depuis le début du quinquennat, à hauteur de 1,6 milliard d’euros. Même si tout ne se résume pas à la question des moyens, c’est une question importante, et nous sommes encore loin des 15 milliards d’euros promis par le Président de la République.

J’aimerais également avoir un éclaircissement sur la répartition des crédits entre le multilatéral et le bilatéral et sur le choix que vous semblez avoir fait de favoriser le premier au détriment du second. Je note par exemple que les AE de l’aide projet baissent de 34 %, même si ses CP augmentent de 4 %. C’est sans doute parce que tous les crédits n’ont pas été dépensés, mais j’aimerais avoir une explication à ce sujet.

Enfin, vous augmentez les crédits des FSPI, pour les porter à 60 millions d’euros : c’est une bonne chose, même si je note que vous les aviez réduits l’an dernier. Si, ces crédits avaient baissé ! Ils représentaient 36 millions d’euros il y a deux ans et 24 millions d’euros l’année dernière.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je n’ai pas tous les chiffres en tête, mais je n’ai pas ce souvenir. J’assume parfaitement, en revanche, l’augmentation significative des crédits destinés aux FSPI cette année, car elle est tout à fait indispensable.

M. Bruno Joncour. Monsieur le ministre, au nom du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, je vous remercie de votre intervention, au cours de laquelle vous avez rappelé les priorités qui sont les vôtres à la tête de votre ministère et de la diplomatie française. Ce budget concrétise l’engagement du Président de la République de voir les crédits de l’APD atteindre progressivement 0,55 % du RNB d’ici 2022. Le respect de cet engagement est particulièrement important, dans un contexte international où les tensions et les crises migratoires, climatiques, environnementales et politiques sont de plus en plus fortes et appellent des réponses à la hauteur. Notre diplomatie doit être à la pointe de ces combats et votre budget traduit, dans les faits, l’engagement de la France.

Nous tenons également à saluer l’effort important que vous faites pour soutenir notre réseau d’enseignement français à l’étranger, qui est essentiel pour l’avenir. Le Président de la République s’est fixé comme objectif de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans ces établissements à l’horizon 2030, et le soutien que nous apportons dès aujourd’hui à ce réseau témoigne de notre confiance en cette institution. À cet égard, la cohérence voudrait que nous prêtions attention aux difficultés que rencontrent les étudiants étrangers désireux d’étudier en France : je veux ici pointer la question délicate des frais d’inscription et de la délivrance des visas, qui a suscité et continue de susciter beaucoup d’incompréhensions et des inquiétudes légitimes.

Plus que jamais, le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères doit refléter l’engagement international de la France, dont le principe est la recherche d’une réponse concertée et multilatérale aux défis du monde. Le développement économique des pays les plus pauvres et le rayonnement culturel de la France sont deux politiques qui nous semblent aller de pair. Toutefois, il faudra nous assurer de l’augmentation effective des moyens de l’APD : c’est l’objet de la réforme en cours de l’AFD, ainsi que de la loi à venir qui doit encadrer la politique de l’APD, avec un pilotage politique renforcé. Cela pose la question du type d’actions que l’aide octroyée par la France a vocation à soutenir. Si, comme beaucoup le pensent, la question migratoire est le principal enjeu à venir, que pensez-vous de la proposition d’orienter prioritairement l’APD vers les pays de forte émigration ?

M. Alain David. Monsieur le ministre, je souhaiterais, au nom du groupe Socialistes et apparentés, vous interroger sur les crédits de l’audiovisuel extérieur, dont je suis rapporteur pour avis. Vous avez déclaré devant la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices, le 29 août dernier : « Il n’y a plus de soft power, on est partout dans le hard. » Puis vous avez défini les nouveaux attributs de la puissance que sont la culture, l’information et le développement. Vous avez rappelé à cette occasion que l’audiovisuel extérieur est un enjeu stratégique, qui doit être pleinement pris en compte dans notre politique étrangère. Et vous vous êtes engagé à défendre ce principe à l’occasion de la réforme en cours de l’audiovisuel public.

Monsieur le ministre, comment s’assurer, au sein de la future holding, que ces enjeux internationaux seront pris en compte et préservés, dès lors que le budget sera réparti entre les filiales, notamment France Médias Monde, par le président de la holding ? Puisque la BBC est souvent citée en exemple, envisagez-vous qu’un financement plancher soit inscrit dans la loi, à l’image de ce qui existe pour BBC World ?

Ma deuxième question porte sur un projet que vous soutenez, monsieur le ministre. Lors des auditions budgétaires, nous avons appris que France Médias Monde a une solution pour faire passer France 24 de six heures quotidiennes à douze heures en espagnol, à coût constant et sans délai, ce qui serait formidable pour le développement de cette chaîne en Amérique latine. Pourquoi cette évolution majeure à coût constant, qui va dans le sens de la politique que vous soutenez, n’est-elle pas encore mise en œuvre ? Peut-on espérer une annonce prochaine en ce sens ?

M. Jean-Michel Clément. Monsieur le ministre, je vous remercie, au nom du groupe Libertés et Territoires, pour votre présentation détaillée et précise. Mon intervention portera sur l’APD, dont il a déjà beaucoup été question.

Le Président de la République nous avait rassurés en s’engageant, à plusieurs reprises, à porter l’APD à 0,55 % du revenu national brut d’ici 2022. Malheureusement, plusieurs signaux négatifs se sont succédés dernièrement. La loi d’orientation et de programmation relative à l’APD, qui avait été annoncée, ne cesse d’être reportée. J’ose espérer que le projet de loi sera au moins déposé, sinon voté, d’ici la fin de l’année. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la semaine dernière, face aux Nations unies, et pour la première fois depuis deux ans, le Président de la République n’a pas mentionné l’aide au développement comme une priorité. Elle représente aujourd’hui 0,43 % du RNB et, pour atteindre l’objectif de 0,55 % en 2022, ce sont plus de 4 milliards d’euros supplémentaires qu’il nous faudra mobiliser.

Cette année, le budget de l’APD n’augmente que de 210 millions d’euros en CP. Une hausse constante serait préférable à la trajectoire du Gouvernement qui, s’il veut tenir ses promesses, devra fournir un effort sensible sur les deux dernières années du quinquennat. Une hausse constante serait plus sûre et nous mettrait à l’abri de l’incertitude conjoncturelle, qui est susceptible d’être amplifiée par un Brexit dur, une crispation politique au Moyen-Orient ou une crise financière, toujours possible. Nous sommes déjà en retard sur la trajectoire définie par le CICID en février 2018.

Le Président de la République a multiplié les démarches multilatérales au cours des derniers mois : je pense à la multiplication par dix de notre participation au Partenariat mondial pour l’éducation, au doublement du Fonds vert pour le climat, ou encore au renforcement de notre aide humanitaire. Ce sont d’excellentes nouvelles, qui nous obligent néanmoins à renforcer les crédits de l’APD dès ce projet de loi de finances : il y va de notre crédibilité à l’international.

Enfin, nous avons évoqué ce matin, avec le président de la Conférence des universités, la question de l’augmentation des frais d’inscription des étudiants étrangers dans nos universités. Cette augmentation aura des conséquences directes sur notre influence, notamment en Afrique francophone : les étudiants seront de moins en moins nombreux, à mesure que l’étau des capacités laissées aux universités se resserrera. N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir contenir ces étudiants dans leur pays d’origine avec notre politique d’aide au développement ? Faudra-t-il puiser dans les 0,55 % pour maintenir cet accueil, ce qui reviendrait à réduire d’autant les effets d’annonce ?

Mme Clémentine Autain. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette présentation, même s’il faut bien dire que les années se suivent et se ressemblent. Vous supprimez 130 ETP dans le budget de l’année prochaine. Je voudrais rappeler qu’en trente ans, le Quai d’Orsay a vu ses effectifs baisser de 53 %. Vous n’endiguez donc pas la baisse : vous la poursuivez. Nous avons là un désaccord majeur : le groupe La France insoumise estime en effet que nous avons besoin d’un ministère solide, ce qui suppose que son personnel soit stable, et même qu’il augmente, au lieu de se réduire comme peau de chagrin.

Nous débattrons plus en profondeur de l’APD lorsque nous examinerons le projet de loi qui lui sera spécifiquement consacré, mais je voudrais revenir sur un point que je ne comprends pas. Le Président de la République s’est engagé à porter l’APD à 0,55 % du RNB en 2022, ce qui n’est pas, en soi, un engagement considérable, mais plutôt le minimum syndical. Et pourtant, je ne vois, ni dans les budgets passés, ni dans le projet de loi de finances pour 2020, le début d’un mouvement dans ce sens.

J’entends bien que l’APD va au-delà du programme 209 – et c’est heureux, puisque ce budget n’a augmenté que de 103 millions d’euros. On peut certes y ajouter les crédits du programme 110, qui n’augmentent toutefois que de 124 millions d’euros. J’entends aussi que des crédits relevant de l’APD peuvent être inscrits ailleurs, mais même si l’on consacrait un milliard d’euros à l’APD dans ce projet de loi de finances, on serait loin du compte. Nous avons perdu du temps depuis deux ans.

M. Hervé Berville. Depuis plus longtemps !

Mme Clémentine Autain. Certes, mais je parle ici de l’engagement d’Emmanuel Macron. Il a voulu fixer un objectif précis et je ne vois rien venir. Nous avons le droit de demander des comptes au Président de la République sur cet engagement – dont je répète qu’il nous paraît peu ambitieux.

J’en viens au programme 209. Pouvez-vous nous assurer que les aides publiques au développement ne seront pas utilisées pour des opérations militaires, notamment au Sahel ? Vous prévoyez, au titre du Fonds d’urgence humanitaire, une « réponse humanitaire au Yémen » dans les secteurs prioritaires que sont la santé, la nutrition, l’eau et l’assainissement. Je me réjouis que l’on apporte une aide humanitaire aux Yéménites, mais cela n’a aucun sens si, dans le même temps, on vend des armes à l’Arabie Saoudite, qui contribue à cette crise humanitaire.

Dans le programme 110, pouvez-vous nous renseigner sur le titre 7, qui s’intitule Dépenses d’opérations financières et dont les crédits s’élèvent à 2,3 milliards d’euros ? Vous n’en dites rien et les organisations non gouvernementales s’interrogent beaucoup à ce sujet.

J’aimerais, pour finir, vous poser une question au sujet des Catalans. Avec plusieurs de mes collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous avons reçu aujourd’hui le ministre de l’action extérieure du Gouvernement catalan, qui a demandé à vous voir et à qui vous n’avez jamais répondu. Les prisonniers politiques catalans encourent des peines hallucinantes, alors qu’ils se battent pour des droits démocratiques. Quel que soit notre point de vue sur l’indépendance de la Catalogne, je crois qu’il y a là des droits et des libertés à défendre.

M. Jean-Paul Lecoq. Ce qui me rassure, c’est que nous comptons de la même façon dans tous les groupes : cela devrait vous intéresser, monsieur le ministre. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine se demande, lui aussi, comment vous comptez atteindre l’objectif de consacrer 0,55 % du RNB à l’APD en 2022, avec une trajectoire qui tend à peine à décoller. On estime que l’APD, qui a augmenté de 100 millions d’euros en 2018 et en 2019, et qui augmentera de 210 millions en 2020, représente aujourd’hui 0,46 % du RNB. Pour atteindre l’objectif de 0,55 %, il faudra donc, en deux ans, trouver 5,5 milliards d’euros. Nous savons que Hervé Berville y travaille et nous attendons ses propositions…

Certes, vous indiquez que les AE permettront d’atteindre votre objectif, mais vous avez aussi rappelé que la comptabilité internationale de l’APD ne les prend pas en compte. Alors, monsieur le ministre, qu’allez-vous faire pour que la France respecte enfin son engagement ? Et cette question n’est pas comptable. À l’heure où le président Macron participe aux conférences de reconstitution de plusieurs fonds d’aide internationaux, comme le Fonds vert pour le climat ou le Fonds mondial de lutte contre le sida, il y va de la crédibilité de la France – et ce ne sont pas des mots en l’air ! Nous ne pouvons pas donner des leçons au monde entier sans mettre la main à la poche : cela entache terriblement notre image à l’international, et c’est très regrettable.

J’ai quatre questions complémentaires à vous poser, qui ne concernent pas le budget. Premièrement, pouvez-vous nous parler de la situation de M. Laurent Fortin, notre boulanger normand retenu en Chine pour des motifs contestables ? Je sais que vos services travaillent d’arrache-pied sur ce sujet, mais je ne mesure pas l’avancée de leur travail.

Deuxièmement, j’ai été interpellé par des eurodéputés à propos de trois jeunes Allemands qui ont été arrêtés en France à la veille du sommet du G7, jugés en comparution immédiate et condamnés à des peines de prison ferme avec, pour chef d’accusation, la « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ». Ils avaient des revues dans leur voiture et étaient une dizaine à partir en vacances en Espagne. Cette situation relève évidemment de la justice, mais elle relève également de la diplomatie et des relations franco-allemandes. Le Quai d’Orsay a-t-il été prévenu de cette procédure ? Comment nos deux États travaillent-ils ensemble sur cette question et que devrai-je répondre à mes collègues allemands ?

Troisièmement, je souhaiterais connaître le rôle du Quai d’Orsay dans l’interpellation en Bretagne, chez vous, monsieur le ministre, le 8 août dernier, de M. Vincenzo Vecchi, un Italien qui a été condamné à une peine de prison dans son pays il y a plus de dix ans, pour sa participation à des manifestations. Comment le Quai d’Orsay s’intègre-t-il dans ces procédures ? Comment les deux États travaillent-ils ensemble ?

Quatrièmement, j’aimerais réitérer la question de ma collègue Clémentine Autain au sujet des autorités catalanes. Nous avons l’habitude de prendre la défense des députés qui sont maltraités dans des pays lointains, par exemple les Kurdes, mais lorsque cela se passe à nos portes, en Europe, nous avons aussi le droit de nous inquiéter. Certains élus risquent jusqu’à vingt-cinq ans de prison pour avoir organisé un référendum. Cela pose quelques questions…

Enfin, monsieur le ministre, je m’interroge sur l’action du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Mme Anne Genetet nous dit que vous n’avez pas assez d’argent pour faire travailler efficacement votre ministère et vous demande ce que vous comptez faire pour améliorer les choses. Il ne tient qu’au groupe majoritaire de réagir. En l’état, je ne voterai pas les crédits de votre ministère, mais je le ferai peut-être si vous les augmentez significativement et si vous stoppez l’érosion des effectifs au Quai d’Orsay.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je crois que mon propos introductif répondait à plusieurs des questions qui m’ont été posées, mais je vais apporter quelques éléments complémentaires.

Madame Genetet, vous voulez que je fasse davantage connaître mon ministère. Votre réflexion est assez juste et je pense effectivement qu’il faut changer l’image du Quai d’Orsay. Cela étant, je crois qu’elle est déjà en train de changer. Les interlocuteurs que je rencontre et qui sont en contact avec nos ambassades et nos services à l’étranger ont une image très positive du Quai d’Orsay : ils soulignent la disponibilité des personnels, ainsi que la qualité du travail des ambassadeurs et leur engagement au service de la France. C’est au niveau national, en interne, qu’il reste des efforts à faire : nous devons mieux faire connaître le Quai d’Orsay au niveau national, en expliquant par exemple le rôle du centre de crise et de soutien, qui veille à la sécurité des Français et peut les rapatrier. Il faut également mettre en avant notre action consulaire, pour montrer que l’action du Quai d’Orsay est aussi au service des Français sur le territoire national. Je pense que c’est le manque de communication sur ces sujets qui explique notre déficit d’image. Mais je répète que tous ceux qui sont en contact avec nos postes à l’étranger ont une image très positive de l’action du Quai d’Orsay.

Ma décision de créer le Collège des hautes études de l’Institut diplomatique s’inscrit pleinement dans cette stratégie de revalorisation de notre image. Ce Collège, dont je vous avais peut-être annoncé la création l’année dernière, fonctionne désormais. Il vise à donner une plus grande aura au Quai d’Orsay et à son action. J’ai inauguré ce collège il y a quelques jours et sa première promotion vient de se constituer. Il n’aura peut-être pas la même renommée que l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) mais il a vocation, comme lui, à faire connaître l’action du Quai d’Orsay auprès d’un public aussi varié que possible. Les professions représentées dans cette première promotion, qui compte une soixantaine de membres, sont très diverses et reflètent la variété de la société civile, puisque s’y côtoient des parlementaires, des journalistes, des industriels et des responsables syndicaux. Ils découvrent ce qu’est le métier de diplomate, loin de l’image traditionnelle des petits fours de l’ambassadeur.

Il importe aussi de faire comprendre à tous que les grands enjeux mondiaux concernent à la fois l’international et le national : je pense à l’enjeu climatique, mais aussi au fait qu’une crise survenue loin de chez nous peut avoir des répercussions au niveau national, et pas seulement par le biais du terrorisme. C’est un travail important, qu’il nous faudra mener collectivement. Madame Genetet, vous avez assisté à la conférence des ambassadeurs : vous avez pu constater l’enthousiasme des ambassadeurs et leur volonté d’agir pour l’intérêt national et pour l’image du Quai d’Orsay. Vous dites que cette image est dévalorisée, mais vous reconnaissez aussi – contrairement à l’opposition, qui est dans son rôle – que nous nous sommes battus pour défendre notre budget et que celui-ci est en augmentation, comme l’année dernière. Cela montre qu’on nous respecte tout de même un peu.

Je voudrais dire un mot du rapport d’information du Sénat sur la masse salariale du Quai d’Orsay, même si je serai amené à répondre plus précisément à ses auteurs. Vous dites qu’il s’agit d’un rapport au vitriol : je nuancerai cette formule. En réalité, certains constats sont justes, et nous y travaillons. C’est par exemple le cas de l’indemnité de résidence à l’étranger (IRE) : il est certain que le dispositif doit être revu et qu’il faut le rendre plus équitable, pour que les catégories C en bénéficient davantage. Mais certaines des informations contenues dans ce rapport sont fausses, et certains partis pris sont contestables. Par exemple, s’agissant de l’évaluation du personnel, pourquoi le rapport ne prend-il en compte que les diplomates, et non l’ensemble des personnels liés au Quai d’Orsay ? Sur la question de l’IRE, pourquoi n’est-il question que des diplomates, et pas des bénéficiaires de l’IRE dans d’autres ministères ?

Madame Poletti, vous m’avez interrogé sur les FSPI : nous étions à 24 millions en 2018 et à 36 millions en 2019 – 24 millions, auxquels nous avons ajouté 12 millions en gestion renforcée. En 2020, nous en serons à 60 millions. Il n’y a donc pas de baisse.

Nous n’aurons les chiffres de l’OCDE, pour l’année 2019, qu’en mars 2020, mais vous ne pouvez pas dire tout et son contraire. L’année dernière, vous me disiez que ce qui comptait, c’étaient les CP, et pas les AE, et cette année, vous reconnaissez que les CP ont augmenté, mais vous regrettez qu’il n’y ait plus assez d’AE. J’essaie de tenir compte de vos remarques, mais ne me demandez pas de résoudre la quadrature du cercle ! Mon expérience de parlementaire m’a appris que l’essentiel, ce sont les CP, et que les entourloupes, ce sont toujours les AE.

Mme Bérengère Poletti. C’est ce que nous aurions pu vous dire il y a un an !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. L’année dernière, le niveau des CP et des AE était significatif, mais le problème, c’est qu’il faut du temps pour mobiliser les AE dans le champ de l’APD. Il faut certes des AE pour faire des CP, mais l’argent, en cash, ce sont les CP. Ce sont eux qui comptent et j’ai rappelé que l’OCDE se fonde uniquement sur eux. Or, les CP augmentent significativement cette année.

Mme Bérengère Poletti. Pas suffisamment !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Ils atteignent 660 millions d’euros, contre 512 millions en 2019. Je rappelle que c’est beaucoup plus qu’en 2018 : la progression est nette et cette évolution nous permettra de tenir nos engagements. Le programme 209 connaît une augmentation de 6,8 % par rapport à 2019.

Je souhaiterais répondre à M. Bruno Joncour, ainsi qu’à plusieurs orateurs qui m’ont interrogé sur le même sujet. Pour que les choses soient très claires, l’aide au développement a un objet propre, qui est de lutter contre la pauvreté, de réduire les inégalités et de créer des perspectives économiques pour les pays concernés. Que l’aide au développement, par cette action, permette de juguler des migrations, soit, mais c’est une conséquence. Ne mettons pas les choses dans le désordre. Je n’évacue pas la question des migrations, et je m’exprimerai à ce sujet dans le débat qui aura lieu lundi, mais ma philosophie est claire, et c’est celle que je viens de vous exposer.

Monsieur Clément, vous m’avez interrogé, comme d’autres de vos collègues, au sujet des étudiants étrangers. La stratégie de fond que nous voulons développer est la suivante : nous voulons projeter nos dispositifs de formation à l’étranger, notamment en Afrique, afin de partager l’enseignement universitaire français sur ces territoires. Nous voulons développer des projets sur le modèle du campus franco-sénégalais, qui ouvrira la semaine prochaine. Il permettra aux étudiants sénégalais de bénéficier de la qualité de l’enseignement universitaire français sur leur propre territoire. C’est la volonté du Président de la République et c’est le sens de son discours de Ouagadougou. Des initiatives de ce genre existent déjà dans d’autres pays : je pense par exemple au hub de Yamoussoukro, que j’ai eu l’occasion de visiter en Côte d’Ivoire, ou à l’Université franco-tunisienne, qui commence à se développer. Notre volonté, je le répète, est de projeter la qualité de l’enseignement français dans les territoires pour favoriser leur développement.

Par ailleurs, l’augmentation de 2,4 % des frais d’inscription n’a pas eu de conséquences majeures sur les effectifs. Cela s’explique de plusieurs manières, notamment par le fait que certaines universités ont introduit des exonérations, et par l’attribution de bourses. Cette augmentation offre des recettes supplémentaires aux universités, et nombre d’étudiants ont les moyens de la supporter. J’ajoute que le coût universitaire payé par l’étudiant étranger est le tiers du coût réel payé par le contribuable français. Cette décision, je le répète, n’a pas entraîné de perturbation majeure. Elle a au contraire permis de développer, en Afrique, l’enseignement supérieur franco-africain, ce qui permet aux étudiants de ces pays de poursuivre leurs études sur leur propre territoire.

Monsieur David, vous m’avez interrogé sur la question de l’audiovisuel public. Je précise que, dans les arbitrages sur le projet de loi de réforme de l’audiovisuel public, j’ai demandé et obtenu que le Quai d’Orsay soit partie prenante de la gouvernance, ce qui n’était pas gagné d’avance. Vous voyez, madame Genetet, que je me bats de temps en temps ! C’est au sein de la holding qu’il faudra faire en sorte que le produit de la contribution à l’audiovisuel public continue d’être affecté à notre outil d’influence internationale. Je suis très attaché à ce principe, comme je l’ai dit à la conférence des ambassadeurs, et je pense que ce point de vue est largement partagé. La création de la holding nous permettra de mieux nous défendre, de renforcer la dimension internationale de l’audiovisuel français et de faire en sorte qu’elle soit mieux partagée, ce qui est une bonne chose.

Je n’ai pas d’informations particulières sur l’Amérique latine, mais je peux vous dire qu’il n’y a pas de blocage. J’ai moi-même inauguré, à Bogota, la diffusion de France 24 en espagnol. Ce projet a longtemps été incompris par certains acteurs, que je ne citerai pas : ils se demandaient ce que l’espagnol venait faire dans l’audiovisuel français. Il a fallu expliquer les choses, et cela montre combien il sera important d’être présent au sein de la holding, pour expliquer. Je crois que cette diffusion sera élargie au Mexique d’ici la fin de l’année.

Madame Autain, nous sommes en désaccord sur un certain nombre de points, et ce n’est pas nouveau. Je ne reviendrai pas sur la situation du Yémen, à laquelle je prête une grande attention, car je vous ai déjà exposé ma position. Il n’a jamais été question de financer une aide militaire par l’APD. Ce que nous avons souhaité, c’est que lorsqu’une intervention militaire a lieu quelque part, par exemple au Sahel, l’AFD puisse être mobilisée immédiatement sur les territoires qui viennent d’être « libérés » de leurs occupants malveillants. Nous veillons alors à la bonne articulation entre l’AFD et l’autorité militaire, pour que le relais se fasse bien. C’est une nouveauté, mais je répète que les crédits de l’APD ne sont jamais affectés à une aide militaire.

Vous m’avez interrogé sur le titre 7 du programme 110, qui ne dépend pas de mon ministère. J’y ai fait référence dans mon propos introductif : je vous ai indiqué que l’APD comportait deux ensembles, les programmes 110 et 209. Mais, pour ma part, je ne suis responsable que du programme 209.

S’agissant des Catalans, sur lesquels M. Lecoq m’a également interrogé, mon principe de base est que je ne reçois pas d’autres ministres des affaires étrangères que ceux des pays. Je n’ai pas compétence pour autre chose – et je ne porterai pas de jugement.

Monsieur Lecoq, je vous remercie de la vigilance dont vous faites preuve pour identifier des affaires, faire pression sur nous et y revenir tant qu’elles ne sont pas réglées. Ce que vous faites nous est très utile. S’agissant de M. Laurent Fortin, nous essayons d’obtenir son transfèrement. La difficulté, c’est qu’il n’existe pas de convention bilatérale. Nous proposons son retour en France, avec inscription de sa condamnation au casier judiciaire pour qu’il effectue son sursis en France. Nous sommes en discussion avec les autorités chinoises et je me suis encore entretenu de cette affaire la semaine dernière avec le ministre des affaires étrangères chinois. M. Fortin n’est pas le seul Français à être retenu en Chine : c’est aussi le cas de Mme Marion Cambounet. Nous suivons leur situation de près et nous pourrons peut-être, lors de la visite que nous ferons en Chine avec le Président de la République au début du mois de novembre, obtenir des résultats. L’ambassade de France entretient des contacts très réguliers avec eux, mais il est vrai que leur situation est très difficile.

S’agissant des trois jeunes Allemands, la procédure judiciaire pour des faits établis sur le sol français est purement française. Ils peuvent donc bénéficier de la protection consulaire, mais je n’ai pas eu de saisine de la part des autorités allemandes à ce sujet pour l’instant.

S’agissant, enfin, de M. Vincenzo Vecchi, il s’agit d’une demande d’extradition italienne adressée à la France, mais le pôle de l’entraide judiciaire n’a pas de dossier ouvert à ce nom. Comme c’est un mandat d’arrêt européen qui s’applique, les transmissions des demandes ont lieu directement entre les juridictions des deux pays, sans passer par les ministères de la justice des deux pays. Je précise, pour l’information de tous, que le mandat d’arrêt européen s’applique à des faits commis postérieurement au 1er novembre 1993.

M. Hervé Berville. Monsieur le ministre, je sais que le Président et vous-même vous êtes beaucoup battus pour augmenter depuis deux ans les crédits dévolus à l’aide humanitaire. Ma grand-mère avait coutume de dire « gâteau avalé n’a pas de saveur » et nous devons nous réjouir de cette augmentation de 100 millions d’euros. Quelles sont les priorités en ce domaine ? Quels sont les objectifs recherchés ? À qui bénéficieront ces crédits ?

Depuis deux ans, un fort accent a été mis sur le bilatéral à travers un renforcement du pilotage. Comment se fait l’articulation avec le multilatéral ? Je vois que la contribution volontaire aux Nations unies est en augmentation de 23 millions d’euros. À quelles agences est-elle destinée ?

L’évaluation est une culture que nous partageons. Comment mesurer l’impact de ces aides et juger de leur efficacité ? Comment s’assurer qu’elles atteignent bien les populations les plus vulnérables ? Y a-t-il un budget prévu pour la création d’une commission indépendante d’évaluation ?

M. Hubert Julien-Laferrière. Beaucoup a déjà été dit sur les trajectoires RNB à l’APD n’a rien de particulièrement modeste, comme vous l’affirmez, madame Autain, puisque cela suppose une augmentation de 50 % des crédits au cours de la législature.

Cela fait plus d’un an et demi que le CICID a défini des priorités géographiques et sectorielles – éducation, santé, adaptation au changement climatique, services publics de proximité – et l’on peut commencer à se demander quels sont les résultats concrets sur le terrain. Comment ces priorités se traduisent-elles dans les régions les plus fragiles, en particulier dans les pays de l’Alliance Sahel ? En quoi les projets améliorent-ils la vie quotidienne des populations ? Sont-ils de nature à les éloigner des mouvements extrémistes, toujours prompts à rendre des services ?

M. Didier Quentin. Monsieur le ministre, mes questions, un peu techniques, vous me le pardonnerez, portent sur la réforme des réseaux de l’État à l’étranger. Je les pose dans la perspective d’une mission flash que j’ai à conduire avec ma collègue Anne Genetet.

Un des angles morts de cette réforme semble être la surcharge de travail qui pèse sur les secrétaires généraux d’ambassade qui ont récupéré les fonctions de gestion des autres ministères sans voir leurs moyens augmenter et qui doivent parfois porter d’autres casquettes. Certes, la dématérialisation de leurs fonctions et la levée de certains freins réglementaires sont de nature à accroître la productivité de ces personnels mais en attendant, ils ploient sous le travail. Monsieur le ministre, quelles sont vos propositions pour alléger leurs tâches ?

Les négociations interministérielles semblent avoir été délicates lorsqu’il a fallu s’entendre sur le transfert de certains effectifs ou de certaines lignes budgétaires vers le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Vous avez l’appui du Premier ministre mais ne craignez-vous pas que les relations interministérielles ne se compliquent ? À chaque fois qu’un ambassadeur décidera de réduire les moyens de tel ou tel chef de service, ce dernier n’aura-t-il pas tendance à se plaindre auprès de son administration de rattachement ?

Enfin, on parle beaucoup de mutualisation mais son champ est limité à plusieurs égards pour ce qui concerne les moyens de l’État à l’étranger. Elle ne comprend pas les fonctions support des opérateurs ni les fonctions métiers des autres ministères. Pourriez-vous nous expliquer la raison pour laquelle les fonctions support d’opérateurs comme Business France ou l’AFD ont été exclues de la mutualisation ? D’autre part, comment se déroulent les expérimentations d’équipes intégrées auprès de l’ambassadeur, autrement dit les dispositifs qui permettent d’affecter les conseillers des ministères techniques au sein de la chancellerie politique ? Constituent-elles un premier pas vers la mutualisation non seulement des fonctions support mais également des fonctions métier des autres ministères au sein de l’ambassade ?

Mme Mireille Clapot. Les députés, vous le savez, sont attentifs à la façon dont les orientations politiques sont traduites dans les moyens. Je me réjouis que la trajectoire de l’APD permette de converger vers l’objectif de 0,55 % de la richesse nationale.

Vous avez annoncé que l’égalité entre hommes et femmes, enjeu qui m’est cher, ferait l’objet d’abondements importants, qu’il s’agisse de la conférence « Pékin+25 », du Forum Génération Égalité, du soutien à l’entrepreneuriat féminin, au Fonds B qui améliore la santé, les droits sexuels et reproductifs, ou aux agences internationales, dont ONU Femmes. Je salue ces avancées.

J’aimerais appeler votre attention sur deux préoccupations. Il s’agit d’abord de la faible féminisation du corps diplomatique. La parité au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères est un enjeu pour l’égalité mais aussi pour l’exemplarité d’une diplomatie qui se veut féministe.

Il s’agit ensuite de la cybersécurité ou plutôt de la cyberdiplomatie. Vous avez présenté en décembre 2017 la stratégie internationale de la France pour le numérique. En novembre 2018, l’Appel de Paris a marqué une mobilisation renouvelée en matière de stabilité dans le cyberspace. Au mois de mai 2019, la France a adressé à l’ONU sa contribution sur la cybersécurité.

Comment ces deux enjeux sont-ils pris en compte dans le projet de loi de finances pour 2020 ?

M. Guy Teissier. Monsieur le ministre, vous avez commencé votre propos en vous focalisant sur l’Iran et je voudrais vous en remercier parce que je crois très sincèrement que la paix du monde se joue dans cette partie du Moyen-Orient. J’ai apprécié les efforts que le Président de la République a faits pour amorcer une désescalade en maintenant un dialogue avec les Iraniens. Pour évoquer l’attaque des raffineries en Arabie Saoudite, vous avez employé une formulation diplomatique, parlant d’une « plausible attaque iranienne ». Je suis surpris que vous ne mentionniez pas le fait que cette attaque a été revendiquée par les Houthis. Ils ont toutes sortes de bonnes raisons de mener une telle offensive alors que ce serait une folie pour l’Iran d’intervenir depuis son propre sol. Cette partie du Moyen-Orient est observée par la majorité des puissances occidentales et par l’Arabie Saoudite elle-même, qui bénéficie d’équipements américains : tout ce qui se passe dans le ciel est scruté par les moyens de contrôle les plus sophistiqués. Il est donc facile de savoir d’où venait cette frappe qui a pour origine non pas une zone proche mais un point situé à 1 000 kilomètres. Je suis surpris que vous mainteniez cette espèce de flou artistique d’autant que les Houthis sont dans une position de légitime défense puisqu’ils sont bombardés tous les jours depuis quatre ans.

Je ne dis pas que derrière les Houthis, il n’y a pas la main de l’Iran mais l’Arabie Saoudite a aussi des alliés. Pourquoi les Houthis n’en auraient-ils pas ? Peut-être y avait-il dans cette attaque un message à l’égard des Occidentaux que nous sommes. Si quelques drones ou quelques missiles passent à travers le dôme de fer saoudien, on peut se demander quelle serait la réaction de l’Iran si son sol était attaqué, compte tenu de sa résilience et de la puissance de son armée.

Mme Marion Lenne. Les crédits du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence ont augmenté de 3 % pour s’établir à 643 millions mais la subvention de l’Agence nationale pour le développement touristique de la France, Atout France, a diminué de 1,8 million. Il y a déjà un an, lors de la présentation du rapport d’information de mes collègues Jean-François Portarrieu et Maurice Leroy sur la promotion de la destination touristique France, j’alertais sur la nécessité d’augmenter la part allouée par Atout France au tourisme de montagne. Elle est aujourd’hui insuffisante au regard du poids économique qu’il représente, dans un contexte de concurrence accrue qui place désormais la France au troisième rang des destinations mondiales de ski derrière les États-Unis et l’Autriche. Dans leur rapport, mes collègues soulignaient que la fréquentation estivale de nos massifs montagneux constituait un point faible et regrettaient que l’approche marketing d’Atout France ne prenne pas assez en compte les deux saisonnalités de la montagne.

Attirer les touristes internationaux reste une priorité fixée par la stratégie « Destination France 2020 » avec l’objectif d’atteindre 100 millions de visiteurs par an d’ici à 2020, mais il ne faut pas oublier pour autant le tourisme local et national.

Le fléchage d’Atout France vers le tourisme de montage doit être à la hauteur d’une clientèle de plus en plus exigeante et de notre or blanc. Vous avez pu vous-même le mesurer lors de la table ronde que vous avez organisée avec les acteurs touristiques à Évian, en Haute-Savoie, en septembre dernier.

La communication sur le tourisme de montagne correspond à une attente forte des professionnels. Comment envisagez-vous de promouvoir cette offre touristique dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 ?

M. Michel Herbillon. Monsieur le ministre, vous permettrez au co-rapporteur de la mission d’information sur la diplomatie culturelle et d’influence de se réjouir des augmentations de crédits du programme 185 que vous avez annoncées dans un contexte de concurrences d’influences. Je forme le vœu que cette évolution se poursuive dans les années à venir car une telle hausse me paraît indispensable.

Sur l’APD, vous avez entendu les diverses remarques de mes collègues de toutes sensibilités politiques. Il vous reste à nous convaincre que la trajectoire choisie est la bonne pour atteindre l’objectif de 0,55 %. Nous avons le sentiment que l’effort budgétaire est reporté sur les deux dernières années du quinquennat.

À la conférence des ambassadeurs, j’ai entendu le discours du Président de la République et le vôtre : vous avez présenté un programme extrêmement ambitieux. Il ne laisse de côté aucune thématique et aucun secteur géographique. Chaque année sont ajoutés des objectifs, des missions, des enjeux, ce qui me paraît normal, compte tenu du rôle de la France dans le monde et de l’importance de son réseau diplomatique. Toutefois une question se pose : avons-nous les moyens de toutes ces ambitions ? Ce budget traduit-il la multiplicité des objectifs fixés ? Depuis plusieurs années, les ministres des affaires étrangères affirment que nous sommes à l’os. Maintenant, cet os, nous sommes en train de le ronger. Il n’y a qu’à voir les nouvelles baisses d’effectifs – 81 cette année – qui viennent s’ajouter aux précédentes.

Nous diriez-vous, en toute sincérité, monsieur le ministre, quels objectifs vous craignez de ne pas atteindre, quelles missions vous redoutez de ne pas remplir ? Quand il n’y a pas de traduction chiffrée de fortes ambitions, cela entraîne déception, frustration et manque de visibilité voire de crédibilité du ministère, comme le soulignait ma collègue Anne Genetet.

Mme Samantha Cazebonne. Vous avez annoncé une augmentation notable des crédits alloués à l’AEFE et le maintien du budget des bourses scolaires à 105 millions d’euros. Je salue votre implication personnelle, monsieur le ministre, car elle a été déterminante.

Comme vous le savez, le respect des principes de l’école inclusive fait désormais partie des critères d’homologation des établissements de l’enseignement français à l’étranger. Le 22 novembre, l’AEFE et la Mission laïque française (MLF) organiseront leur premier colloque sur ce sujet.

J’aimerais appeler votre attention sur la prise en charge du handicap dans le réseau d’enseignement scolaire à l’étranger. Seules les familles recevant des bourses sur critères sociaux peuvent bénéficier d’une aide destinée à financer l’emploi d’un accompagnant pour un élève en situation de handicap. Or le coût important que représente la rémunération brute d’un accompagnant n’est pas intégré dans les frais de scolarité et donc non pris en compte pour déterminer le revenu de référence dont le montant est calculé en déduisant les frais de scolarité du revenu net annuel. Cela exclut de l’éligibilité aux bourses des parents d’enfants à besoins particuliers.

Le motif invoqué est que la prise en compte du coût d’un accompagnant augmenterait la part des bourses de l’ensemble des enfants d’une famille, y compris ceux qui ne sont pas en situation de handicap. Mais si cette logique fonctionne dans un sens, elle devrait aussi fonctionner dans l’autre. Prenons l’exemple d’une famille de trois enfants : deux fréquentent le lycée français mais le troisième, lourdement handicapé, est scolarisé ailleurs ; ses frais de scolarité n’étant pas pris en compte pour déterminer le revenu de référence, la part de bourses de ses frères et sœurs est réduite. Il est important de tenir compte de la réalité financière des familles dans leur entier.

Est-il envisageable, monsieur le ministre, d’inclure les frais d’emploi d’un accompagnant d’élève en situation de handicap dans le calcul du revenu de référence ?

M. Claude Goasguen. Après examen de ce budget, je vous donnerais presque quitus car il est équilibré. Les incitations systématiques à augmenter les budgets ne m’emballent guère, je suis trop libéral pour cela.

La vraie question qui se pose renvoie à l’APD. De ce point de vue, la présentation budgétaire m’inquiète : elle ne rend pas particulièrement attrayant le Quai d’Orsay car aucune ligne politique claire ne se dégage. J’ai cherché vainement où figurait la politique migratoire, enjeu qui vous concerne et que vous allez évoquer lundi dans l’hémicycle. Il en va de même pour l’asile, qui relève aussi de votre ministère puisque c’est vous qui avez à appliquer la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

Le ministère des affaires étrangères est une structure fermée aux yeux de l’opinion publique et il serait bon de faire mieux ressortir les idées politiques qui sous-tendent son action. La politique migratoire doit faire partie de l’aide au développement et il me paraît important de le faire apparaître.

Mme Amélia Lakrafi. Je me réjouis des augmentations de crédits annoncées mais note une baisse de plus d’un million pour le programme 151 « Français à l’étranger et affaires consulaires ».

J’aimerais appeler votre attention sur la situation des centres médico-sociaux (CMS) à l’étranger. Lors de mes déplacements dans ma circonscription, je ne peux que déplorer la situation de plus en plus précaire de nos concitoyens installés à l’étranger. C’est particulièrement vrai dans certains pays d’Afrique où habitent des populations françaises fragilisées, en proie à des problèmes de santé que l’éloignement ne fait que renforcer. Les CMS, qui se trouvent tous dans ma circonscription à l’exception de ceux de Pékin et Niamey, pallient l’absence de structures locales de santé fiables. Comme j’ai pu le constater au Cameroun la semaine dernière, ils jouent un rôle de premier ordre auprès des Français établis hors de France et des personnels de nos ambassades. Il s’agit bien souvent de leur seul recours en cas de maladie.

Si je me réjouis du fait que les CMS bénéficient de subventions globalement en hausse – 200 000 euros contre 186 000 en 2018 et 2019 –, je regrette que celles-ci soient essentiellement consacrées à l’achat de médicaments et de fournitures médicales.

Le nombre de CMS diminue : après la fermeture de ceux de Cotonou et de Malabo, il n’en reste plus que sept dans ma circonscription avec des médecins chefs nommés et rémunérés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Cette situation me paraît très préoccupante. En diminuant le nombre de ces structures, ne risque-t-on pas d’accroître le nombre de rapatriements sanitaires et d’hospitalisations en urgence dont le coût est beaucoup plus élevé – 60 000 à 120 000 * euros pour un rapatriement sanitaire dans un avion médicalisé ? Je suis confrontée dans plusieurs pays d’Afrique à des cas de personnes qui, n’ayant pas eu la possibilité ou les moyens de se soigner, se trouvent dans l’obligation d’être rapatriées, souvent aux frais des associations d’entraide locales dont je souhaite ici saluer le travail.

Monsieur le ministre, quelle est votre vision de l’évolution de nos réseaux de CMS, qui contribuent selon moi à offrir un service public de qualité aux Français de l’étranger dans le respect de la solidarité nationale ?

Enfin, monsieur Teissier, j’aimerais terminer par un bref rappel. L’opération « Tempête décisive » a été lancée la nuit du 25 mars 2015, dans le cadre de la guerre civile yéménite, pour remettre au pouvoir un président élu, renversé par les Houthis financés par l’Iran. Elle a été menée par une coalition de dix pays : l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, la Jordanie, le Qatar, le Maroc, l’Égypte, le Koweït, le Soudan, ainsi que les États-Unis pour le renseignement et la Turquie, le Sénégal, la Mauritanie et la Somalie venus en soutien. Il me paraît difficile d’être dix à se tromper.

M. M’jid El Guerrab. Ne faisons pas la fine bouche en cette période de disette budgétaire et saluons les augmentations de crédits. Nous les devons à la personnalité du ministre mais aussi à la volonté de l’exécutif de valoriser la représentation de la France dans le monde. L’APD augmente massivement, ce qui est une bonne chose.

J’aimerais toutefois vous alerter, monsieur le ministre, sur un problème que chacun des députés de Français établis hors de France rencontre dans sa circonscription : l’irrationalité de l’attribution des visas. Les délais s’allongent, en particulier dans certains pays d’Afrique – certains postes fonctionnent très bien comme la Côte d’Ivoire mais dans d’autres comme le Maroc ou l’Algérie, la situation est problématique. Des étudiants n’ont toujours pas pu partir. Je crois que ces retards sont dus à une certaine volonté d’externalisation.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame Lakrafi et madame Cazebonne, je n’ai pas de réponse immédiate à vous donner aux questions très précises que vous avez posées sur les critères d’accessibilité à l’aide à l’emploi d’un accompagnant d’enfant en situation de handicap et sur les  CMS à l’étranger. Je vais essayer de les traiter du mieux possible.

S’agissant des visas, monsieur El Guerrab, j’examinerai la situation poste par poste comme je m’efforce de le faire à chacun de mes déplacements. L’externalisation n’est sans doute pas en cause.

Monsieur Teissier, la formule diplomatique exacte que j’ai employée est issue d’une déclaration commune que nous avons faite à New York le 23 septembre dernier avec le Royaume-Uni et l’Allemagne : « Sur la base d’une analyse autonome de nos experts, il est clair pour nous que l’Iran porte la responsabilité de cette attaque. Il n’y a pas d’autre explication plausible. » Je vous le dis très franchement, je ne crois pas à la thèse de l’attaque houthie. Et ce pour deux raisons principales : d’abord, la précision et la portée des frappes ; ensuite, le nombre de drones et de missiles de croisière employés. Dans l’état actuel des choses, je maintiens cette affirmation. Ajoutons que le lendemain, les Houthis, après avoir revendiqué l’attaque, ont dit vouloir faire la paix.

Quand je vois mon homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, je m’exprime bien sûr plus fermement que je ne le fais ici, et quand le Président de la République rencontre le président Rohani, il s’exprime tout aussi fermement. Cependant, nous estimons qu’il y a des paramètres, mis sur la table grâce à la diplomatie française, à partir desquels il est possible d’avancer pour apaiser les tensions.

M. Guy Teissier. Je ne conteste pas la responsabilité de l’Iran !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je ne vais pas aller plus loin, d’autant que nous ne sommes pas à huis clos. Je crois avoir tout dit, monsieur Teissier.

Monsieur Berville, l’aide humanitaire bénéficie de 158 millions d’euros grâce à une augmentation de plus de 100 millions d’euros. Jamais la France, dans son histoire, n’a mobilisé dans son budget une telle somme pour l’aide humanitaire, qu’on se le dise ! Elle nous permet d’intervenir dans les cas d’urgence humanitaire, comme dans le nord-est de la Syrie – l’année dernière, dans le nord-ouest. Elle est aussi consacrée à l’aide alimentaire, notamment aux programmes destinés à apprendre aux populations à produire elles-mêmes. Elle nourrit en outre les contributions aux organisations internationales intervenant dans le domaine humanitaire, qu’il s’agisse du HCR, de l’OIM, de l’UNRWA – Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient –, ou de l’UNICEF – Fonds des Nations unies pour l’enfance. La ventilation de ces crédits sera précisée au début de l’année 2020.

Quant à la commission indépendante d’évaluation, je suis favorable à son principe. Ce dispositif sera intégré dans la loi à venir car il est absolument indispensable que nous disposions de cet outil de vérification.

Enfin, je ne vois pas où sont les 23 millions d’euros dont vous parlez pour la contribution volontaire aux Nations unies.

Monsieur Julien-Laferrière, sachez que je veille particulièrement à la concrétisation de nos engagements financiers. Autant que faire se peut, dans chacun de mes déplacements, je demande à voir lorsque des efforts importants ont été faits. Je me rends prochainement au Mali et je vérifierai comment ont été mobilisés les fonds consacrés à l’Alliance Sahel. Avec l’AFD, nous avons lancé plusieurs projets dans la région dite des trois frontières, en particulier pour les services de base – eau, assainissement, réseau électrique. Nous avons également initié des actions en faveur de l’insertion économique et sociale des jeunes autour du lac Tchad et de l’agro-pastoralisme au Burkina Faso.

Je vous suggère lors de vos déplacements de procéder à de telles vérifications. L’enjeu principal est le délai de mise en œuvre. Nous avons conçu l’Alliance Sahel comme un dispositif rapide, identifiable et efficace, loin des projets s’étalant sur plusieurs années abondés par une succession d’AE s’inscrivant dans la durée.

Monsieur Quentin, vous avez raison de souligner la complexité des tâches des secrétaires généraux d’ambassade : ils ont été confrontés à un surcroît de travail pour mettre en œuvre la réforme des réseaux de l’État à l’étranger et je salue leur efficacité. Leur charge de travail commence à s’alléger. Pour ceux qui sont amenés à cumuler des fonctions de consul et de régisseur, nous avons commencé à dédoubler les postes. C’est déjà le cas à Kaboul, Khartoum et Doha et nous poursuivons cette démarche ailleurs. Je serai heureux de lire le rapport que vous rédigerez dans le cadre de votre mission flash. Il permettra de saisir comment la cohérence voulue par cette réforme se traduit concrètement.

Je ne crois pas qu’il y aura de difficultés au niveau interministériel car le pragmatisme l’emportera. Évidemment, lorsque nous avons engagé ce processus, les autres ministères n’étaient pas très chauds. Toutefois, grande nouvelle, les attachés d’armement ont décidé de rejoindre la réforme à partir de 2020 – non parce que j’étais ministre de la défense mais parce qu’ils se rendent compte que cela peut être dans leur intérêt. Tout cela me paraît plutôt positif. Vous vous demandez pourquoi nous n’avons pas procédé à une plus large mutualisation. C’est une vraie question pour l’avenir. Je dirai qu’à chaque jour suffit sa peine.

Madame Lenne, lors du prochain conseil interministériel du tourisme, nous mettrons en avant les enjeux attachés au tourisme de montagne. Le tourisme en France va plutôt bien : nous recevons près de 90 millions de visiteurs par an contre 83 millions après les attentats, et les marges de progression sont significatives. Nous avons diminué modérément la contribution budgétaire d’Atout France, qui dispose de ressources complémentaires et qui a noué des partenariats, notamment avec les collectivités territoriales. J’ai le sentiment que ses responsables mènent cette mutation de manière très positive et que cette structure fonctionne bien. Nous allons lancer dans deux pays une expérimentation de rapprochement entre Atout France et Business France pour améliorer la synergie entre les deux opérateurs qui s’occupent tous deux de l’attractivité de notre pays. Atout France entretiendrait des liens plus étroits avec Business France dans les pays où cet opérateur est moins présent.

Madame Clapot, lors de mon discours de clôture de la conférence des ambassadeurs, j’ai demandé au secrétaire général un plan pour la parité et l’égalité qui sera préparé et mis en œuvre par la haute fonctionnaire chargée de l’égalité au ministère. Le nombre d’ambassadrices a augmenté – elles sont quarante-six contre vingt-quatre en 2012 – mais cette progression n’est pas suffisante. Pour assurer des promotions équilibrées parmi les cadres supérieurs, il faut prendre en compte la parité dans les nominations dès le début de carrière. J’ai parlé de « diplomatie féministe » et je reste attaché à ce concept. Soyez assurée de notre volonté de traduire concrètement cet engagement.

Vous évoquiez aussi la cybersécurité. Lors de ma récente audition devant vos collègues de la commission de la défense, j’ai expliqué que cette thématique renvoyait à trois choses différentes qui supposent une réflexion commune : la cybersécurité en elle-même, la cyberdéfense et l’Appel de Paris ; les liens entre internet et le terrorisme, la diffusion des messages de haine, l’appel de Christchurch lancé par le Président de la République avec la Première ministre néo-zélandaise après les attentats, qui a été repris à New York la semaine dernière ; la manipulation de l’information, dans la continuité de l’initiative lancée par Reporters sans frontières. J’ai suggéré qu’une réunion spécifique, à huis clos, y soit consacrée et je vous fais la même proposition. M. Henri Verdier, ambassadeur du numérique, pourrait y assister. Nous allons renforcer les moyens consacrés à ces enjeux cruciaux.

Monsieur Herbillon, j’ai rappelé dans mon discours aux ambassadeurs nos priorités : l’Europe, l’influence et le multilatéralisme. L’influence est un sujet que vous connaissez bien et sa prise en compte est manifeste dans le présent budget. Pour le multilatéralisme, j’estime que la mobilisation va dans le bon sens. Quant aux questions européennes, nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler ici, compte tenu de l’importance des échéances qui s’y rapportent.

M. Michel Herbillon. Je me référai aussi au discours du Président de la République.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Enfin, monsieur Goasguen, mon exposé était de nature budgétaire et je constate d’ailleurs que vous êtes tous très vigilants, notant augmentations et diminutions ligne par ligne. C’est lundi prochain que j’évoquerai le lien entre politique de développement et migrations.

M. Claude Goasguen. Et l’asile !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. L’asile aussi bien sûr !

Mme Isabelle Rauch, présidente. En notre nom à tous, je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré. En prenant en compte nos remarques, vous nous encouragez à maintenir notre vigilance pour le reste de la législature.


II.   Présentation DE l’AVIS devant la commission des affaires étrangÈres et examen des crédits

Au cours de sa réunion du mercredi 30 octobre 2019, la commission examine le présent avis budgétaire.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, nous entamons notre troisième et dernière séance d’examen des avis budgétaires dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2020. Trois avis sont inscrits à notre ordre du jour de ce matin. Le premier porte sur la mission Action extérieure de l’État, dans sa partie consacrée à l’action diplomatique et consulaire, sur le rapport d’Anne Genetet ; le deuxième, également sur la mission Action extérieure de l’État, concerne la diplomatie culturelle et la francophonie, sur le rapport de Frédéric Petit. À l’issue de la discussion sur ces deux rapports, nous examinerons les amendements et les crédits afférents à la mission Action extérieure de l’État. Puis nous examinerons le troisième avis, sur la mission Aide publique au développement, sur le rapport d’Hubert Julien-Laferrière, avec une contribution de Jean-Paul Lecoq, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR). Nous terminerons avec les amendements et les crédits relatifs à cette mission.

M. Jean-Paul Lecoq. Madame la présidente, j’aimerais que chacun sache à qui les avis que nous donnons seront communiqués et à quoi ils serviront. Je crois savoir que la commission des finances a déjà voté tous les crédits afférents. Je me demande donc quelle sera la suite réservée à nos avis. Comment seront-ils pris en compte par la commission des finances ? À l’occasion de quelle réunion ? Mais peut-être s’agit-il d’un coup d’épée dans l’eau, d’un travail qui ne sert à rien.

Mme Bérengère Poletti. Comme d’habitude !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Comme vous le savez, monsieur Lecoq, il n’y a plus de commissions élargies – pas à notre demande, d’ailleurs : je trouvais que ce n’était pas si mal, même si cela prenait beaucoup de temps, car de notre côté nous jouions pleinement le jeu. Quoi qu’il en soit, nos avis seront évidemment pris en compte lors des débats dans l’hémicycle. Il est important que notre commission se saisisse pour avis de questions qui nous concernent. Après, bien sûr, il faut défendre haut et fort dans l’hémicycle les idées que nous exprimons en commission. Au-delà de cette question, il y aurait beaucoup à dire sur la marge de manœuvre dont disposent les parlementaires concernant l’ensemble du budget : on voit bien qu’elle n’est pas toujours considérable, pour employer des mots choisis. Il n’empêche, je le répète, qu’il me semble important que nous exprimions notre point de vue sur des sujets qui nous concernent.

Je suis heureuse d’accueillir à la tribune Anne Genetet, notre rapporteure pour avis des crédits des programmes 105 et 151 de la mission Action extérieure de l’État, consacrés aux affaires diplomatiques et consulaires.

En 2020, les moyens de ces deux programmes budgétaires sont stables. Le Quai d’Orsay doit réaliser d’importants efforts pour tenir l’objectif fixé par le Premier ministre d’une réduction de sa masse salariale de 5,7 % d’ici à 2022. Les économies réalisées seront réaffectées vers de nouveaux projets dirigés vers l’action multilatérale de la France, la modernisation de l’administration consulaire et la diplomatie culturelle.

Madame la rapporteure, vous considérez que le ministère des affaires étrangères est « en équilibre précaire ». Selon vous, la performance de notre diplomatie, permise par le dévouement des personnels, ne doit pas conduire à la fausse conclusion selon laquelle il serait possible de renforcer les efforts demandés au Quai d’Orsay. Nous vous suivons sur ce point.

Vous approfondissez plusieurs aspects importants, dont celui de la féminisation du personnel diplomatique. Je rappelle que le Quai d’Orsay a fait l’objet, l’année dernière, d’une sanction de 450 000 euros pour non-respect des objectifs de primo-nominations féminines dans l’encadrement supérieur de l’État fixés par la loi « Sauvadet » de 2012. Le Quai d’Orsay a encore beaucoup de chemin à faire pour promouvoir des femmes à des postes à responsabilité et faire émerger des talents féminins, qui y sont pourtant nombreux.

En tout état de cause, nous pourrons revenir en détail sur ces questions de moyens lorsque vous nous présenterez avec Didier Quentin, le mercredi 13 novembre, votre rapport sur la mission flash dont nous avons a pris l’initiative sur l’audit et le contrôle des processus de gestion des postes diplomatiques.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis (Action diplomatique et consulaire). Pour la troisième année de suite, il me revient de vous présenter les crédits du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde et du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires de la mission Action extérieure de l’État.

Comme vient de le rappeler notre présidente, en 2020, les crédits globaux de la mission seront stabilisés, après avoir connu une baisse de près de 5 % cette année. C’est une bonne nouvelle. Je tiens à souligner que nous devons ce succès à l’engagement très fort de notre ministre, Jean-Yves Le Drian. Il est sans doute l’un des premiers ministres des affaires étrangères depuis bien longtemps à défendre aussi bien son budget.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Absolument !

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Il est vraiment très impliqué dans la défense des intérêts de son ministère ; il n’y a aucun doute à ce sujet.

Les crédits du programme 105, qui regroupent les moyens de l’action diplomatique de la France proprement dite, augmentent très légèrement et traduisent deux priorités.

La première est la hausse des contributions européennes et internationales de la France : elles représentent les deux tiers des crédits du programme 105, hors masse salariale. Ces moyens supplémentaires viendront abonder plusieurs projets de sécurité collective et accroître la présence française dans les organisations internationales.

La deuxième priorité a trait aux travaux de maintenance immobilière, dont les crédits sont en augmentation de 7,5 millions d’euros. Cela permettra de mettre fin – je le souhaite en tout cas ; cela suffira-t-il ? l’avenir nous le dira – à l’approche court-termiste, que j’ai vivement combattue, consistant à multiplier les cessions immobilières pour entretenir le patrimoine restant, lequel se réduit comme peau de chagrin. Je voudrais insister sur le fait qu’une partie de notre patrimoine immobilier est le fruit de cadeaux qui nous ont été faits par des pays étrangers ; et un cadeau, ça ne se vend pas. L’exercice a donc ses limites. Pour avoir beaucoup visité de sites, je puis témoigner que l’état de certaines emprises devient véritablement indigne. Les montants consacrés à la rénovation, mêmes renforcés, restent à mon avis insuffisants : il faudra certainement en faire davantage pour prévenir la dégradation de long terme de nos emprises à l’étranger, dont je viens de parler.

Les crédits du programme 151, qui regroupe les moyens consacrés aux affaires consulaires, baissent très légèrement, mais ce phénomène est dû à la réduction de la dotation dédiée à l’organisation des élections : dans le PLF de l’année dernière, nous devions financer l’organisation des élections européennes, avec une dotation de 3 millions d’euros environ. Certes, il y aura encore une élection l’année prochaine, mais d’une ampleur moindre : il s’agira d’un scrutin local, quoiqu’à l’échelle du monde entier, puisque les 1,2 million d’électeurs inscrits choisiront les conseillers consulaires, c’est-à-dire les grands électeurs pour les élections sénatoriales qui auront lieu à la fin du mois de septembre 2020.

En revanche, comme le rappelait notre présidente, les moyens destinés à la modernisation de notre administration consulaire sont plus que doublés ; c’est très heureux. Ils viennent financer quatre grands projets que le ministère mène de front. Le premier concerne le vote par internet, qui représente un enjeu crucial : dans ma circonscription, qui compte des pays comme l’Inde, la Chine et l’Australie, pour aller voter, il faut parfois parcourir plus de 3 000 kilomètres, et autant au retour. Le vote par internet sera réellement un plus, même si je peux comprendre que, sur le plan philosophique, certains d’entre vous soient réticents à l’égard d’un vote sans isoloir, sans oublier les pressions qui peuvent s’exercer sur quelqu’un qui vote avec son smartphone ou son ordinateur. J’entends ces craintes, mais l’enjeu est ici différent : les contraintes géographiques ne sont pas du tout les mêmes que celles de la métropole.

Le deuxième projet de modernisation est celui de France-Visas, dont l’objectif est de permettre la dématérialisation des demandes de visa, notamment pour la fourniture des documents nécessaires. De fait, quand on demande un visa pour venir en France, même pour faire du tourisme, il faut fournir une liasse de documents plutôt épaisse. Les démarches sont aussi contraignantes que celles que la Chine impose : il faut le savoir. Le projet France-Visas est donc important ; il sera très utile non seulement au personnel, mais aussi aux demandeurs. La procédure d’obtention du visa est en quelque sorte la première vitrine d’un pays : si l’on voit que c’est simple, cela renvoie une bonne image de la France.

Le troisième grand projet de modernisation concerne le registre de l’état civil électronique. Il s’agit des actes d’état civil qui sont établis à l’étranger pour les ressortissants français et tenus par le personnel du ministère à Nantes.

Le quatrième grand projet de modernisation, enfin, concerne la plateforme consulaire de réponse téléphonique et courriel mondiale, que j’avais proposé de créer l’an dernier dans mon rapport au Premier ministre. Il s’agit simplement de faire en sorte que, lorsqu’on veut contacter un consulat, l’appel ou le message soit traité non pas sur place, ce qui nécessite des moyens humains et matériels importants, mais par une plateforme en France. En effet, 80 % des appels téléphoniques sont liés à des demandes qui sont les mêmes partout dans le monde : la dimension de la photo pour un passeport, les horaires d’ouverture du consulat – autant d’informations que l’on trouve d’ailleurs sur le site internet, mais qui peuvent tout à fait être mutualisées dans une plateforme unique située en France.

Globalement, le projet de budget comporte deux principaux motifs de satisfaction sur lesquels je voudrais insister.

Premièrement, il présente de nouveaux indicateurs et sous-indicateurs destinés à mesurer la performance de notre action diplomatique et consulaire – j’ai eu souvent l’occasion de souligner, les années passées, le fait que les indicateurs posaient question. Ceux qui sont proposés cette année permettront de mieux mesurer la qualité du service rendu aux étrangers et à nos ressortissants. J’ai souvent regretté l’insuffisance de la démarche de performance au sein du ministère, qui ne permet pas d’apprécier le travail des agents du ministère – plus de 13 000, dont 8 000 à l’étranger –, auxquels je souhaite rendre hommage. Nombre d’entre eux consacrent à certaines tâches un temps considérable, mais difficile à mesurer et plus encore à anticiper. Faute de pouvoir s’appuyer sur des critères objectifs, notamment quand il s’agit de la suppression de certains postes, certaines décisions visant à rationaliser l’organisation nourrissent un sentiment d’arbitraire. Le budget pour 2020 représente de ce point de vue une véritable amélioration, qui doit se poursuivre : beaucoup d’indicateurs restent à améliorer, notamment pour prendre en compte le temps de travail du personnel. C’est difficile, mais il faut vraiment trouver une solution.

Par ailleurs, je salue l’effort de transparence et de sincérité de ce budget, qui fait apparaître les phénomènes exogènes à la gestion du ministère, à savoir les effets de l’inflation et de la variation du taux de change. Compte tenu de l’éclatement géographique du réseau diplomatique dans le monde – nous avons quelque 200 ambassades et 500 représentations consulaires –, le Quai d’Orsay est surexposé aux effets de l’inflation mondiale et de la dévaluation de l’euro par rapport aux autres administrations, y compris celles qui ont des opérateurs à l’extérieur, ne serait-ce que le ministère des finances. Il importe de souligner qu’au cours des dernières années, ces phénomènes sont venus gonfler la masse salariale du ministère et ont pu donner l’impression que celui-ci ne fournissait pas les efforts attendus. Or, on ne peut pas appliquer à l’étranger de manière rigide la grille salariale de la fonction publique : il faut tenir compte du niveau de vie local, de l’inflation et du taux de change, faute de quoi nos agents peuvent se retrouver dans des situations très difficiles, comme ce fut le cas il y a quelques années au Chili.

Voilà qui m’amène à un grand regret concernant l’évolution actuelle du Quai d’Orsay. Certes, les moyens de la mission Action extérieure de l’État sont stabilisés – c’est une bonne chose –, mais le ministère continue à déployer des efforts substantiels pour faire des économies. Vu le budget contraint dont il dispose, on se demande vraiment où résident les économies possibles. Notre présidente le rappelait : le Quai d’Orsay doit opérer une réduction de 5,7 % de sa masse salariale d’ici à 2022, ce qui n’est pas sans m’inquiéter. Même si c’est moins que les 10 % que l’on avait exigé de lui au départ, je vois mal comment il pourrait tenir cet objectif de 5,7 %.

Je n’évoquerai pas en détail la réforme des réseaux de l’État à l’étranger, que mon collègue Didier Quentin et moi-même vous présenterons le 13 novembre prochain, en conclusion d’une mission flash que nous avons menée sur les processus de gestion des postes diplomatiques. Néanmoins, je dresse le constat suivant : après des décennies de contraction des moyens, le Quai d’Orsay est arrivé au bout des efforts qu’il pouvait fournir pour dégager des économies. Dans la mesure où les missions flash ne donnent pas lieu à la publication d’un rapport, j’ai tenu à évoquer nos travaux dans cet avis, afin qu’ils soient consignés par écrit et publiés. Je vous invite donc à vous y référer. Les secrétaires généraux d’ambassade, sur lesquels nous avons porté notre attention, sont soumis à des contraintes terribles, en tout cas particulièrement fortes.

Le ministère se retrouve face à un dilemme : soit il veut accompagner les économies que l’on demande à l’État dans son ensemble, ce qui implique selon moi de réduire le périmètre des missions des personnels ; soit il maintient ce périmètre, mais alors il faut mettre fin aux efforts financiers que l’on exige de lui. On ne peut pas faire les deux à la fois. En l’absence de décision, ce sont les personnels qui souffriront et, à plus long terme, la politique étrangère de la France.

Je me suis souvent demandé pourquoi le Quai d’Orsay a toujours été le perdant des arbitrages budgétaires. Je pense, en définitive, que cette situation est due à son attitude constante de bon élève qui grogne un peu mais finit toujours par obtempérer : et comme il cède aux injonctions budgétaires, on continue à faire pression sur lui. Cela est dû aussi à l’image qu’il traîne derrière lui : malgré les succès indéniables de notre diplomatie, nos concitoyens n’ont souvent qu’une idée très vague du quotidien d’un diplomate. Même sur les bancs de l’hémicycle, d’ailleurs, bon nombre de nos collègues seraient incapables d’expliquer à quoi sert un ambassadeur, ce qu’il fait au quotidien. Cette méconnaissance explique une grande partie des fantasmes et des fausses informations qui entourent notamment le train de vie des diplomates : certaines publicités sont à cet égard extrêmement dommageables à leur image.

La diplomatie politique classique est essentielle à notre présence dans le monde, mais elle est entourée, sur le terrain, d’un ensemble d’opérateurs et d’acteurs sur lesquels, à titre personnel, je souhaite que l’on s’appuie de plus en plus, notamment, pour ce qui nous concerne, la communauté des Français qui vivent hors de nos frontières.

Le Quai d’Orsay est donc mis au défi de s’ouvrir et de se faire davantage connaître. Rappelons donc que Nantes est, grâce au service central d’état civil du ministère, la plus grande mairie de France, celle qui enregistre le plus grand nombre d’actes d’état civil. Donnons à voir la diplomatie en action, par exemple au travers d’une série télévisée qui serait au Quai d’Orsay ce que Le Bureau des Légendes a été aux services de renseignement. Ce serait formidable.

Je ne suis pas diplomate, tant s’en faut, mais avec tout ce que j’ai vu dans nos différents postes, je n’aurais aucun mal à faire une saison complète d’une telle série. Et en nous appuyant sur nos diplomates, il y aurait de la matière pour une dizaine de saisons !

Quelques mots pour finir sur trois sujets que j’ai décidé d’approfondir dans le cadre de cet avis budgétaire.

D’abord, j’évoquerai les bourses scolaires à l’étranger, qui bénéficient à 25 000 jeunes ressortissants français du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Cette aide à la scolarité forme un ensemble très robuste et indispensable, mais des pistes pourraient sans doute être explorées pour renforcer l’équité du système et adapter la procédure d’attribution aux délais très courts auxquels sont confrontées certaines familles. En effet, les commissions d’attribution commencent à se réunir avant l’été pour statuer pour l’année scolaire suivante, alors qu’un renouvellement important des familles a lieu pendant l’été : cela pose problème.

J’ai également consacré une partie de mon rapport à la gestion qualitative des effectifs, qui est souvent le parent pauvre de la gestion des ressources humaines, dans un contexte de réduction quantitative des effectifs. Je propose notamment de réduire la fréquence des changements de poste, qui se traduit dans certains cas par la perte d’une expertise précieuse ; de renforcer la part de l’expérience dans le déroulement des carrières, au détriment du statut et du concours ; et surtout, de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour l’heure quasi inexistante, ce qui explique notamment le phénomène des agents sans affectation, sans parler de ceux qui se voient confier une mission qui n’est pas à la hauteur des compétences qu’ils ont développées au fil de leur parcours.

Enfin, j’évoquerai la féminisation du personnel diplomatique, dont Mme la présidente a déjà touché un mot. Malgré les efforts réalisés par le ministère, qui lui ont valu de recevoir le label de l’Agence française de normalisation (AFNOR) en 2017, le Quai d’Orsay revient de loin et accuse encore un retard considérable. Dans l’administration centrale, seuls 25 % des postes de direction et de chef de service sont occupés par des femmes. Comment la France peut-elle prétendre développer une diplomatie féministe dans le monde si elle n’est pas elle-même exemplaire dans la composition de son corps diplomatique ? Nous ne parviendrons pas à rétablir l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes sans une action plus volontariste du ministère pour promouvoir des femmes à des postes à responsabilité et, en amont, pour lever les verrous qui bloquent la progression des femmes.

Au bénéfice de ces observations, j’appelle à voter en faveur des crédits de la mission Action extérieure de l’État.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je suis vraiment heureuse, en entendant Anne Genetet et nos autres rapporteurs pour avis, de constater à quel point ils connaissent leur sujet, qu’ils maîtrisent complètement : ils présentent leurs travaux pour la troisième année consécutive. C’est une innovation que nous avons introduite dans cette commission, et on se rend compte à quel point elle était fondée. J’adresse donc mes remerciements à l’ensemble des rapporteurs pour avis.

Ensuite, je pense qu’il faut faire évoluer la jurisprudence selon laquelle les missions flash ne donnent pas lieu à la publication d’un rapport. Moi, je pense qu’il en faut.

M. Didier Quentin. Bien sûr !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Ainsi, la mission flash sur le contrôle des postes diplomatiques et consulaires, que nous avons lancée, porte sur une question essentielle, à laquelle nous nous intéressons depuis longtemps. Je vous proposerai donc, si vous en êtes d’accord, qu’elle donne lieu à un rapport, et que la commission se prononce sur sa publication par un vote. Ces missions flash doivent laisser des traces écrites, car elles sont aussi importantes que les missions d’information. Je proposerai donc de faire évoluer cette jurisprudence qui vaut aussi pour les autres commissions.

M. Bernard Deflesselles. Très bien !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Enfin, comme nous l’avons fait pour les postes, il faut créer une mission flash sur les visas – avec un rapport à la clé, évidemment.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Il y a beaucoup à dire !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. En effet. Il faut aller voir, dans un certain nombre de pays, comment cela fonctionne – ou plutôt ne fonctionne pas, d’ailleurs.

Cela rejoint la question de notre collègue Jean-Paul Lecoq : il faut valoriser davantage nos rapports. Pourquoi, par exemple, ne remettrions-nous pas ceux que nous examinons ce matin en main propre au ministre, pour qu’il puisse mesurer, ainsi que son cabinet et l’administration, la qualité de notre travail et de nos propositions ? Cela contribuerait à valoriser le travail de nos rapporteurs.

Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes, en commençant par celui de La République en marche.

M. Buon Tan. Madame la rapporteure pour avis, je vous remercie pour ces informations complètes concernant le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde et le programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires, qui regroupent à eux seuls 75 % des crédits de la mission Action extérieure de l’État et garantissent le bon fonctionnement de notre réseau diplomatique et consulaire à l’étranger. À cet égard, ils représentent également l’écrasante majorité des dépenses de personnel de la mission. Grâce à son déploiement géographique quasi universel, notre réseau diplomatique permet de faire entendre la voix de la France partout dans le monde. Le réseau consulaire, quant à lui, permet aux Français établis hors de notre pays de trouver un soutien et des interlocuteurs pour leurs démarches administratives dans 206 postes, mais aussi dans nos 500 agences consulaires : je tiens à souligner le travail fantastique accompli sur le terrain par les consuls, les conseillers consulaires et tous les agents des consulats, et les remercier d’accompagner au quotidien les 1,8 million de nos concitoyens enregistrés officiellement sur les registres consulaires – il y en a sans doute deux fois plus, au total, qui vivent à l’étranger.

Le programme 105 témoigne par ailleurs de la volonté d’universalisme de notre politique étrangère par sa contribution aux organisations internationales et au secteur de la sécurité internationale, notamment dans le cadre des opérations de maintien de la paix. Ce programme fournit à notre pays les moyens d’être un promoteur de premier plan du multilatéralisme et de conserver son influence s’agissant des grands enjeux mondiaux. Cette ambition d’une diplomatie universelle de la France ne doit toutefois pas empêcher notre dispositif à l’étranger d’évoluer : il faut notamment rationaliser la gestion des personnels de l’État affectés à l’étranger, ce qui est d’ailleurs en cours dans le cadre du plan « Action publique 2022 ». Le dispositif doit aussi évoluer du fait de l’impact des nouvelles technologies. Si les dépenses de personnel liées au programme 151 diminuent un peu, c’est aussi parce que la dématérialisation de nombreuses démarches est prise en compte.

Ce budget préserve donc la position de la France au niveau mondial et stabilise les moyens dévolus à son réseau diplomatique et consulaire, tout en engageant des réformes nécessaires en profondeur. Pourriez-vous à cet égard, madame la rapporteure pour avis, me rappeler les chantiers engagés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en particulier par son réseau consulaire, en matière de simplification des démarches administratives pour les Français de l’étranger, et en vue de sa modernisation ?

M. Michel Herbillon. Je voudrais d’abord remercier Anne Genetet pour la présentation de son rapport, rédigé, comme à l’habitude, avec beaucoup de compétence, de franchise, mais aussi de diplomatie… Je mesure la difficulté qu’il y a, d’année en année, à traduire en actes les grandes orientations de politique étrangère fixées par le Président de la République et par son gouvernement. Comme chaque fois, les ambitions sont grandes et les objectifs nombreux : le Président de la République aime à parler régulièrement de « diplomatie de l’audace » pour qualifier son action. Hélas, ce que l’on peut constater à la lecture du budget 2020 de la mission Action extérieure de l’État, c’est une fois encore le décalage entre les paroles présidentielles et les actes concrets, le décalage entre les ambitions affichées, souvent audacieuses, il est vrai, et les moyens que l’on se donne pour les atteindre.

L’année dernière, nous dénoncions unanimement la baisse des crédits et des effectifs du ministère des affaires étrangères, qui a déjà beaucoup participé à l’effort de redressement budgétaire ces dernières années, Anne Genetet l’a souligné, alors même que c’est un petit ministère, d’un point de vue financier : le ministre lui-même rappelait, lors de son audition, que nous étions arrivés à l’os. On ne peut donc que se féliciter que le budget de l’action extérieure de l’État cesse enfin de baisser et qu’il soit à peu près stabilisé, même si les effectifs continuent de diminuer, avec la suppression de 81 postes. Les difficultés que nous évoquions l’année dernière n’en sont pas moins toujours présentes : quand on entre dans le détail des programmes et des actions, on observe un yo-yo budgétaire d’une année sur l’autre, qui traduit en réalité un exercice comptable et de gestion de la pénurie des moyens, alors même qu’on peine à voir les grandes priorités stratégiques.

Au nom du groupe Les Républicains, je veux vous dire notre inquiétude de voir notre réseau diplomatique affaibli par ce genre de pratiques budgétaires.

M. Bruno Joncour. Cela fait longtemps que ça dure !

M. Michel Herbillon. Tous, ici, nous savons les difficultés que rencontrent nos agents en poste à l’étranger, le degré d’exigence toujours plus élevé à l’égard de nos diplomates, de nos ambassadeurs et des agents du Quai d’Orsay. Nous ne pensons pas que les moyens accordés au budget du ministère des affaires étrangères permettent d’assurer pleinement l’ambition qui doit être celle de la France dans le monde. C’est pourquoi nous nous opposerons à ce budget.

Pour finir, chère Anne Genetet, je voudrais vous poser trois questions. Premièrement, la nouvelle baisse de nos contributions aux organisations internationales est-elle liée uniquement à la diminution du budget des opérations de maintien de la paix, comme les années précédentes ? Deuxièmement, le patrimoine immobilier du ministère a subi une véritable hémorragie ces dernières années ; le ministre nous a annoncé que des crédits supplémentaires allaient enfin être alloués à son entretien. Quelles priorités ont été fixées dans ce domaine ? A-t-on procédé à une revue générale de la situation ? Troisièmement, vous avez fait du « teasing » sur la mission flash que vous conduisez avec notre excellent collègue Didier Quentin. Sans nous en dévoiler toutes les conclusions, pourriez-vous nous faire part de vos principales constatations et recommandations ? La mutualisation a-t-elle été source d’économies et d’efficacité ?

M. Michel Fanget. La mission que nous examinons revêt un caractère extrêmement important, car elle a trait à la machine diplomatique française. De ce point de vue, votre travail est très précieux, madame Genetet. Votre rapport nous permet d’avoir une vision claire des réformes menées, et surtout des enjeux à venir.

Les réformes, ce sont celles qui sont engagées dans le cadre du plan « Action publique 2022 », qui poursuit un objectif de rationalisation des moyens du ministère. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a fait beaucoup, et depuis longtemps. Un chiffre m’a particulièrement interpellé, celui du nombre de personnes sur qui repose toute la diplomatie française : 13 500. Alors que notre diplomatie est appelée à investir de nouveaux terrains d’action et à voir ses missions considérablement évoluer, il nous faudra nous interroger sur la réduction du nombre d’équivalents temps plein (ETP) – 160 en 2019 et 81 encore en 2020 ; à l’échelle du personnel du ministère, c’est loin d’être négligeable. S’il est vrai qu’il faut chercher à faire des économies, nous devrons rester très vigilants à ne pas compromettre dans le même temps notre présence physique sur le terrain, car c’est la base de toute diplomatie, surtout lorsqu’elle se veut d’influence. Comme vous le soulignez, madame la rapporteure pour avis, le nombre des missions exercées par nos diplomates est trop important. Si on peut attendre certains effets bénéfiques de cet état de fait – je pense notamment à l’extension du pouvoir des ambassadeurs –, il faut aussi mesurer ce qu’il implique pour le personnel administratif : les charges sont plus lourdes, du fait du transfert des fonctions de gestion des autres ministères.

Nous saluons, par ailleurs, les efforts du ministère pour fidéliser et soutenir son personnel, entre autres grâce à des rémunérations plus élevées. Notons aussi des améliorations concrètes du service rendu à nos concitoyens permises par plusieurs chantiers de modernisation du ministère : le vote par internet, la plateforme consulaire de réponse téléphonique et courriel mondiale, le projet France-Visas, ou encore la mise en place du registre de l’état civil électronique.

Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés salue l’activité du ministère et les efforts auxquels son personnel consent pour l’exercice des missions soutenues par les crédits présentés – crédits que, bien sûr, nous adopterons.

M. Alain David. J’ai noté plusieurs points saillants de votre rapport, à commencer par la multiplication et la diversification des tâches consulaires. Après une baisse de 160 ETP en 2019, une nouvelle baisse de 81 ETP est prévue en 2020. Elle s’accompagne dans les faits d’un renouvellement important du personnel, qui devrait induire des coûts élevés de formation. La suppression de postes semble se fonder sur des critères arbitraires, mal définis et non harmonisés. Par ailleurs, les postes locaux sont peu attractifs, accompagnés de primes très faibles et d’un accès à la formation restreint.

Le groupe Socialistes et apparentés souhaiterait avoir votre analyse sur la cohérence qu’il y a à diminuer les dépenses publiques tout en cherchant à améliorer le fonctionnement de l’administration. Ira-t-on à l’encontre des acteurs de terrain en leur imposant un plan d’action qui prévoit une nouvelle baisse de leurs effectifs d’ici à 2022 et un élargissement de leurs missions, alors qu’ils sont déjà sous tension ? Jusqu’où la rationalisation de l’action extérieure peut-elle aller sans léser les agents et la qualité du réseau diplomatique ?

M. Christophe Naegelen. Je tiens à féliciter Anne Genetet pour son rapport et la passion avec laquelle elle l’a exposé. Le groupe UDI, Agir et Indépendants partage majoritairement son constat tout en nourrissant quelques inquiétudes sur les crédits de la mission.

Notre pays gagnerait à soutenir et à aider davantage les Français établis à l’étranger, qui sont une richesse : en exportant une partie de notre culture, ils contribuent au rayonnement de la France. Quant aux agents en poste dans les ambassades, ils jouent un rôle essentiel – nous l’avons vu encore récemment en Turquie, avec l’offensive en Syrie. Le réseau diplomatique français n’est plus ce qu’il était il y a quelques dizaines années : alors que c’était une vraie référence, on l’a tout simplement laissée tomber. Nous devons y investir à nouveau pour maintenir le rayonnement et surtout l’influence de la France sur la scène internationale.

Nous regrettons profondément de voir ce budget diminuer année après année, sans trop d’explications, hormis le fait que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en bon élève, accepte tout. Parfois, quand on fait de la diplomatie, il faut aussi taper du poing sur la table !

Une question pour terminer : avez-vous une idée du nombre d’agents sans affectation et de leur coût pour le budget ?

Mme Frédérique Dumas. La France joue un rôle majeur dans les opérations de maintien de la paix, notamment en matière de formation et de soutien logistique. Le ministre a indiqué au printemps que l’évolution de la situation internationale exigeait un engagement plus important de l’ensemble des États membres. Cependant, l’Organisation des Nations unies (ONU) a décidé de réduire de 65 millions de dollars le budget global de la douzaine d’opérations de maintien de la paix sur la période de juillet 2019 à juin 2020, ce qui entraîne de facto une baisse de la contribution française de 19 millions d’euros, qui s’établit ainsi à 307 millions.

Le groupe Libertés et territoires estime qu’il s’agit là d’un signal inquiétant pour les États et les populations auxquels le soutien international est indispensable. Les baisses successives des contributions aux opérations de maintien de la paix nous inquiètent et il semble dangereux de continuer sur cette voie. Pourquoi plutôt ne pas réformer le mécanisme des opérations de maintien de la paix, dont le fonctionnement n’est pas optimal ? Cette réforme est d’autant plus indispensable que le maintien de la paix est un des outils les plus efficaces pour aider les pays hôtes sur le chemin de la paix. En effet, ces opérations ne servent pas seulement à maintenir la paix et la sécurité : elles trouvent toute leur pertinence dans l’accompagnement des processus politiques et la participation à la protection des civils. Elles aident au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des ex-soldats. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur la stratégie française, tant budgétaire qu’opérationnelle, dans ce domaine ?

Mme Clémentine Autain. La hausse, minime, proposée pour 2020 ne compensera en rien les effets au long cours, puisqu’en trente ans, les effectifs ont subi une baisse – considérable ! – de 53 %. Cette légère augmentation ne permettra pas, loin s’en faut, d’inverser la courbe, surtout lorsque l’on sait que 10 % des effectifs devront être « sabrés » à l’horizon 2022.

Les personnels du corps diplomatique sont inquiets, et à raison. Le groupe La France insoumise défend une politique extérieure avant tout adossée sur la diplomatie, tournée vers la négociation et la paix. Le corps diplomatique qui en est, si j’ose dire, le bras armé, doit être solide.

Au-delà de ces remarques quantitatives, je voudrais interpeller la commission sur deux points. La culture de résultat, qui imprègne désormais l’administration, exerce une pression permanente sur les fonctionnaires. Faire toujours plus avec moins entraîne nécessairement des tensions mais également une bureaucratisation accrue, puisqu’il est demandé beaucoup d’évaluations pour accompagner les mesures d’austérité ; et cela vaut pour le corps diplomatique comme pour tous les fonctionnaires de l’État.

Par ailleurs, on demande désormais aux diplomates d’être les chefs de file de l’expansion économique de la France. Cela signifie concrètement qu’ils seront chargés d’établir des listes de dix contrats prioritaires et de faire le point toutes les huit semaines sur l’avancée des négociations. Lors de son discours aux ambassadeurs, le 27 août, le Président de la République a réitéré ce souhait en faisant de l’appui aux entreprises françaises une priorité. J’y vois un changement de nature de la mission du corps diplomatique. Nos ambassadeurs ne sont pas des ambassadeurs économiques ! Et quand on voit la façon dont évolue dans le même temps l’aide publique au développement, on a l’impression d’un glissement complet des objectifs de la diplomatie.

M. Jean-Paul Lecoq. Agir en faveur de la paix et de la stabilité, promouvoir une nouvelle dynamique européenne, défendre la démocratie et les droits de l’homme, œuvrer à une régulation économique et commerciale efficiente : telles sont les quatre missions du ministère des affaires étrangères. Selon votre rapport, madame la rapporteure pour avis, le grand nombre de missions assignées aux diplomates dilue les messages que la France peut réussir à faire passer. Les députés de la Gauche démocrate et républicaine ont toujours soutenu que la diplomatie devait, en priorité, œuvrer à l’amitié entre les peuples et au dialogue permanent avec tous les acteurs. Seules les actions en faveur de la paix et de la stabilité et pour la défense de la démocratie et des droits de l’homme nous semblent prioritaires ; la construction européenne et la régulation commerciale ne peuvent qu’être des sous-actions.

Il ne reste que 13 500 personnels au ministère. Le Quai d’Orsay va continuer à s’affaiblir, après avoir perdu 50 % de ses effectifs en trente ans. Il n’est pas question de changer de politique : 10 % de la masse salariale devrait être supprimée entre 2019 et 2022. Mais il y a pire : on supprime des postes de fonctionnaires pour créer des postes de contractuels, que l’on paye davantage, ce qui augmente la masse salariale !

Les agents de droit local démissionnent les uns après les autres : quelles en sont les raisons, madame la rapporteure pour avis ? Pourquoi ne considère-t-on pas en France que les fonctionnaires sont les garants d’une action de qualité, fiable et fondée sur l’expertise ? C’est la connaissance du monde et de son évolution qui permet de travailler à la paix – cela vaut aussi pour le ministre. La méconnaissance des réalités empêche de repérer les signaux : on ne les a pas entendus au Liban, pas davantage en Tunisie – il faut dire que l’ambassadeur d’alors préférait la musculation, il ne pouvait pas tout faire, le pauvre garçon ! Notre diplomatie n’est plus en capacité d’écouter et d’entendre battre le cœur du monde. C’est pourtant ainsi que l’on agit pour préserver la paix.

Aujourd’hui, la déstabilisation du ministère de l’Europe et des affaires étrangères crée une ambiance de pré-guerre et favorise les conflits larvés, ou actifs, dans certaines zones. On peut dès lors s’interroger : la France, qui est l’un des premiers producteurs d’armes, n’a-t-elle pas intérêt à discréditer sa diplomatie pour favoriser les ventes d’armement ? Pour ma part, je me pose la question.

Enfin, j’ai appris que le ministère a fait appel de sa condamnation, le 6 juin, à indemniser un agent en réparation d’un préjudice d’anxiété causé par son exposition à l’amiante dans un bâtiment du ministère. La CGT a dénoncé cette action scélérate, qui montre le mépris total du ministère pour son administration, alors que la justice administrative avait donné raison à cet agent.

Mme Samantha Cazebonne. Madame la rapporteure pour avis, j’aimerais revenir sur un point qui vous tient autant à cœur qu’à moi : les bourses et leur financement.

Vous notez que la baisse des crédits consacrés est due à la diminution du nombre d’élèves boursiers. En tant qu’ancienne cheffe d’établissement, et pour avoir participé à des commissions d’attribution, je vois trois raisons qui peuvent expliquer cette diminution. La première tient à une forme de découragement des familles devant le dossier de demande – il faut l’avoir eu en main pour comprendre de quoi je veux parler. La deuxième tient à la faible demande des classes moyennes à l’étranger, dont les revenus ne sont pas assez faibles pour prétendre à une bourse, mais pas assez élevés pour acquitter les frais d’inscription au lycée français. La troisième raison tient aux critères des bourses, qui évincent précisément les enfants des classes moyennes.

Je siège à la commission nationale des bourses et j’ai interpellé sur ce point le directeur de l’AEFE. J’espère disposer prochainement d’une analyse précise de la baisse du nombre d’élèves boursiers. Nous devons absolument maintenir et garantir la mixité sociale dans ces établissements.

M. Didier Quentin. Je tiens à féliciter Anne Genetet pour cette présentation qui sera complétée, le 13 novembre, par celle de notre mission flash d’audit et de contrôle des processus de gestion des postes diplomatiques.

Ce rapport contribue à faire mieux connaître notre réseau et nos diplomates, bien loin de l’image du marquis de Norpoix de Proust ou du Solal de Cohen. Deux ouvrages récents et remarquables en font la description : La Diplomatie n’est pas un dîner de gala, de mon ami Claude Martin, ambassadeur de France, qui a reçu récemment le prix Mauriac, et Le Dictionnaire amoureux de la diplomatie, de Daniel Jouanneau, également remarquable.

Je vous félicite d’avoir avancé l’idée, que nous caressons depuis longtemps, d’une série télévisée, sur le modèle d’Urgences, qui mettrait en scène des agents consulaires afin de mieux faire connaître leurs missions. Nous avons récemment rencontré, avec Anne Genetet, la consule de France à Hanoï qui a la mission de devoir régulièrement rendre visite à un détenu, dans des conditions très difficiles.

À ma connaissance, il existe une cinquantaine de ministres plénipotentiaires, l’équivalent de général dans les armées, qui se trouvent aujourd’hui sans affectation. Peut-être faudrait-il revoir la politique de recrutement en amont ?

Par ailleurs, vous avez raison de pointer un taux de rotation des personnels diplomatiques trop élevé. Comment concilier une mobilité intelligente avec la transmission d’une expertise technique, linguistique, culturelle ? Je pense au Japon, où nos ambassadeurs restent en poste entre deux et trois ans, alors que le fonctionnement du pays et sa langue sont difficiles à appréhender. Par contraste, je me souviens d’un ambassadeur des États-Unis qui y était resté près de quinze ans…

Enfin, comment concilier les missions de la jeune direction de la diplomatie économique avec les actions menées par le Trésor et des opérateurs de l’État tels que Business France et Atout France ?

M. Pierre Cabaré. Je veux commencer par dire à Anne Genetet toute l’estime que j’ai pour elle et pour son travail.

Les visas sont la première porte pour nos échanges commerciaux. Il est urgent d’assouplir les conditions d’accès : quand on voit les difficultés rencontrées par les ressortissants des pays d’Asie centrale pour obtenir des visas, alors que les Français en sont dispensés pour se rendre dans ces pays, et quand on compare les conditions faites par d’autres pays européens, comme l’Allemagne, on comprend que nos échanges commerciaux puissent en souffrir. À cet égard, j’attends avec impatience le lancement de cette nouvelle mission flash consacrée aux visas.

Mme Bérengère Poletti. Je remercie notre rapporteure de dresser, chaque année, un bilan très précis et sincère de l’état du ministère des affaires étrangères.

La directive 2015/637 du Conseil européen établit les mesures de coordination et de coopération nécessaires pour faciliter la protection consulaire des citoyens de l’Union européenne non représentés dans des pays tiers. Vous faites état dans votre rapport de la politique de mutualisation du réseau diplomatique, notamment de la coopération avec l’Allemagne – qui reste pour le moment timide. Quels sont les autres pays avec lesquels la France a engagé cette démarche ? Vous avez déjà évoqué la possibilité, qui me semble intéressante, de mutualiser des ambassades d’États européens dans de très petits pays. Où en est-on ?

Mme Isabelle Rauch. Je vous remercie pour les éclairages que vous nous avez apportés. Des préconisations que vous faites sur la féminisation, quelle est celle qui vous semblerait devoir être mise en avant ? Je voudrais à mon tour faire une suggestion : ne pourrions-nous pas inscrire le ministère de l’Europe et des affaires étrangères dans une démarche de budget sensible au genre ?

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Monsieur Buon Tan, j’ai rappelé les chantiers de l’action consulaire : le vote par internet, la plateforme de réponse aux courriels et aux appels téléphoniques, la dématérialisation de l’état civil et le projet France-Visa.

À ce sujet, monsieur Pierre Cabaré, une partie de la procédure de délivrance des visas se déroule au niveau européen, et nous n’avons la main que sur les visas de long séjour. C’est donc au niveau européen qu’il faut traiter le sujet. Dans certains pays, comme la Biélorussie, les ressortissants savent qu’il ne faut pas aller à l’ambassade de France, beaucoup plus tatillonne que celle d’Allemagne, par exemple. Il y a donc une forme de compétition, d’autant que les visas sont payants et rapportent aux postes consulaires. Je trouve dommage de réduire le visa à cette seule dimension…

Je parle dans le rapport de la façon dont le Royaume-Uni procède, car cela donne matière à réflexion. Ce pays a décidé de traiter sur son territoire toute la procédure, tous les documents y sont envoyés. Là où existe un risque élevé de fraude documentaire, une équipe, régionale, est chargée de conduire des audits très fréquents chez les prestataires – en fait, deux prestataires mondiaux qui se partagent le marché. Il existe donc d’autres voies qui permettraient de dégager des moyens pour les consulats. Ceux-ci pourraient alors se consacrer à l’action sociale, qui n’est ni dissociable ni divisible – soit on n’en fait pas, soit on en fait, mais dans ce cas, on va jusqu’au bout.

Monsieur Michel Herbillon, vous avez évoqué un décalage entre les ambitions affichées par le Président de la République et les moyens. Je rappelle que la réduction ne porte pas sur le nombre de postes, mais sur la masse salariale. Je le dis aussi à Mme Clémentine Autain, c’est une réduction de 5,7 % de la masse salariale qui est prévue à l’horizon 2022.

Au départ, lorsque l’objectif était de 10 %, il a été demandé de procéder à une réduction de 13 % pour certains postes, de 7 % pour d’autres. On a abouti à 5,7 % au global, ce qui est « moins pire »…

M. Michel Herbillon. Que si ça avait été mieux !

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. C’est mieux que si c’était pire… Cela reste, en tout cas, problématique.

Madame Frédérique Dumas, la baisse des contributions internationales est liée à la baisse des contributions aux opérations de maintien de la paix. Mais comme nous n’avons pas la main sur cette question, je ne l’aborde pas dans le rapport. En revanche, le ministère est parvenu à sécuriser la partie « changes », afin que les variations des taux de change n’affectent pas négativement le budget pour ce qui touche aux opérations de maintien de la paix.

S’agissant du patrimoine immobilier, peu de choses ont été faites et je ne saurais vous dire quelles sont les priorités. La ligne budgétaire consacrée à l’entretien du patrimoine immobilier a été basculée sur le compte d’affectation spéciale 723, ce qui donne la fausse impression d’une baisse. Il s’agit juste d’un transfert des crédits, lesquels demeurent néanmoins insuffisants.

Pour ce qui est des enseignements de la mission flash, je vous renvoie à la lecture de mon rapport et à la réunion de commission du 13 novembre.

M. Michel Herbillon. Vous faites durer le teasing !

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Absolument !

Monsieur Alain David, la question de la cohérence entre la baisse des effectifs et l’amélioration de la qualité de service est fondée, et je la pose moi-même depuis le début : avant de couper les têtes, il faudrait savoir pourquoi, et que ce ne soit pas une coupe comptable…

La baisse des effectifs va se ralentir encore : il n’y aura que 81 ETP en moins en 2020. C’est toujours trop à l’échelle de ce ministère, sauf si on modifie le périmètre des missions. À cet égard, je pense que le traitement des demandes de visa et de passeport, qui relèvent du consulaire, ne devrait plus se faire dans les postes. Cela permettrait des gains de temps, d’efficacité et dégagerait des moyens pour faire autre chose. Si vous en avez l’occasion, allez voir un jour le service visas d’un consulat, vous verrez que c’est terrible !

Christophe Naegelen et Didier Quentin ont posé la question des agents sans affectation. On constate un pic fin août, lorsque l’on n’a pas encore réussi à affecter tout le monde. En 2019, on dénombre en moyenne vingt-deux agents non affectés, dont six agents de catégorie A+ et huit agents de catégorie A. Mais c’est un peu la face émergée de l’iceberg. Derrière ces personnes qui sont vraiment sans affectation, d’autres se voient confier des missions qui ne sont pas à la hauteur de ce qu’ils pourraient attendre. Ainsi, certains sont envoyés pendant deux ou trois ans au sein de l’inspection générale des affaires étrangères, auprès de la direction des ressources humaines ou de la direction des affaires financières. Cela n’est pas inintéressant, mais est-ce à la hauteur de leur parcours et de leurs compétences ? Je n’en suis pas certaine. J’en ai vu certains qui s’ennuyaient et qui en profitaient pour passer deux ou trois ans à Paris à apprendre une autre langue : c’est un peu dommage, cela crée une rupture dans le parcours de compétences. Mais le problème d’encombrement des effectifs aux rangs A et A+ reste entier. Je n’ai pas recherché le coût de ces postes sans affectation.

Madame Clémentine Autain, vous soulevez un problème en évoquant, à l’instar de M. Didier Quentin, la mission de diplomatie économique. Il est important d’aider les entreprises à se propulser à l’international, nous en sommes tous d’accord, mais Business France, BPI, les régions, les chambres de commerce en France, les chambres de commerce à l’étranger, s’en occupent déjà. Team France Export, et c’est une bonne chose, permet de rationaliser le dispositif, mais on peut légitimement se poser la question de l’efficacité de cette multiplicité d’acteurs.

Les quatre objectifs, rappelés par M. Jean-Paul Lecoq, sont très précis et pourtant, on voit un décalage avec la feuille de route des ambassadeurs. On leur demande tout, y compris de faire de la diplomatie de genre, de la diplomatie de l’environnement, de la diplomatie de la technologie… Je pense moi aussi qu’il existe un risque de dispersion, donc de perte d’efficacité. À faire trop de choses, on finit par faire moins bien.

Même si nos diplomates sont absolument incroyables, force est de reconnaître que certains signaux faibles, sur différents théâtres, n’ont pas été perçus. Je plaide pour ma chapelle : les Français présents dans le monde, en dehors des réseaux institutionnels classiques, ont une connaissance du terrain différente et complémentaire de celle de nos diplomates ; nous devons donc absolument nous appuyer sur eux. Le Président, dans son discours aux ambassadrices et aux ambassadeurs, en août dernier, a secoué les diplomates, leur demandant de sortir de leur zone de confort et d’aller vers la société civile locale. Un journaliste a écrit que la diplomatie française ne faisait plus que 3 % de la diplomatie ; c’est un jugement sévère, mais il faut le garder à l’esprit. Nos diplomates, aussi compétents soient-ils, doivent s’appuyer sur d’autres réseaux pour rendre notre diplomatie et notre présence dans le monde encore plus efficaces.

Madame Cazebonne, je suis absolument d’accord avec vous à propos des bourses scolaires : la procédure est extrêmement complexe et vraiment décourageante pour les familles. Elle tient du déshabillage : les ressources et le mode de vie des familles sont mis à nu ; dans certains pays, du fait de la crainte légitime de la fraude, on va même vérifier sur place comment les gens vivent : c’est extrêmement inquisiteur. Où le curseur doit-il être placé ? C’est une question qu’il faut vraiment se poser.

Par ailleurs, je vous rejoins complètement sur la menace pour la mixité sociale : toute une classe sociale a des ressources trop élevées pour prétendre à une bourse mais trop faibles pour payer une scolarité. Pour information, le reste à charge des familles pour une scolarité à l’étranger, dans les lycées les moins onéreux, par exemple celui de Pondichéry, s’élève à 1 500 euros l’année. Cela peut déjà paraître beaucoup, mais la moyenne est souvent de 5 000 euros voire, dans certains pays, 10 000 euros l’année. À Singapour, de nombreux parents issus de la classe moyenne font l’école à la maison parce qu’ils ont trop de revenus pour obtenir une bourse mais pas assez pour payer la scolarité. Le reste à charge y est de 10 000 à 15 000 euros par an et par enfant : quand on a trois enfants, cela fait 45 000 euros l’année ! Je suis contente de savoir que vous avez posé une question au directeur de l’AEFE : il me paraît très important d’approfondir le sujet et de voir s’il est possible de modifier les critères. Il faut également faciliter l’accès de ces enfants au Centre national d’enseignement à distance (CNED), en mode scolarisation et non pas en mode soutien.

Madame Poletti, sur la mutualisation, zéro avancée… Quelques progrès ont certes été enregistrés dans la mutualisation des moyens, comme à Dacca au Bangladesh, mais il n’y a pas eu de nouveau cas de mutualisation. De toute façon, tant que nous n’aurons pas une politique étrangère européenne solide, avec des intérêts convergents, il sera difficile de mettre en place des postes diplomatiques mutualisés. Nous représentons localement des petits pays dépourvus de représentation diplomatique – pratiquement tous les grands pays agissent ainsi – mais ce n’est pas ce que j’appelle une véritable mutualisation.

La féminisation intéresse quant à elle l’ensemble des ministères, et pas seulement le ministère des affaires étrangères. Mais lorsqu’on me dit, par exemple à la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, que la difficulté de gestion des effectifs au Quai d’Orsay tient à plusieurs facteurs, dont l’entrée des femmes sur le marché du travail, je bondis de ma chaise ! L’entrée des femmes sur le marché du travail en France remonte aux années 1960 : il est très regrettable que le ministère des affaires étrangères avance encore cet argument en 2019 ! Cela témoigne d’une mentalité et de freins très puissants. Je souhaite vraiment que ces freins soient supprimés et qu’un vivier se constitue : les femmes oseront venir si elles savent qu’elles peuvent avoir une carrière à la hauteur de leurs ambitions.

[…]

Nous allons passer à l’examen des amendements.

Article 38, état B : Action extérieure de l’État

La commission examine l’amendement IIAE2 de M. Denis Masséglia.

M. Denis Masséglia. Cet amendement vise, dans le prolongement de la mission d’information que j’ai réalisée sur la diplomatie économique, à financer un programme de volontariat international en entreprise (VIE) senior, à titre expérimental. Il s’agirait d’expérimenter le dispositif pour une vingtaine de personnes, sur une région donnée, avant d’envisager son développement à une plus grande échelle.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Pour commencer, cet amendement me semble poser un problème technique. Sur le fond, les volontaires internationaux en entreprise posent des problèmes dans certains pays d’accueil, et la situation serait encore plus délicate s’il s’agissait de seniors. On a l’habitude des échanges entre jeunes, mais il paraît très difficile de développer l’échange de volontaires seniors. Enfin, il existe déjà un certain nombre de dispositifs permettant à une entreprise de s’associer les services d’un senior, à des tarifs équivalent à celui du VIE – elle peut faire appel à Pôle Emploi ou recourir au portage salarial. Je vous invite donc à retirer votre amendement, qui pose un problème de recevabilité financière. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Denis Masséglia. Je vais retirer mon amendement pour modifier le terme de « VIE senior » dans mon exposé sommaire : nous visons non pas les personnes en fin de carrière mais les retraités. Nous souhaitons qu’ils puissent faire profiter les entreprises des fruits de leur expérience.

L’amendement IIAE2 est retiré.

L’amendement IIAE3 du même auteur est également retiré.

La commission en vient à l’amendement IIAE10 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Clémentine Autain. Vous connaissez déjà cet amendement, madame la présidente, car nous le présentons chaque année. Il traduit notre opposition au cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et à notre participation à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Nous proposons de transférer vers les actions dédiées à la francophonie les fonds alloués à ces deux organismes, qui nous mettent littéralement dans le mur et paraissent totalement inadaptés à la période que nous vivons.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Ces fonds sont liés à des conventions ; décider de ne plus les verser relèverait de ce qu’on appelle la grivèlerie dans le privé. Le transfert que vous proposez paraît d’autant plus compliqué qu’il porte sur des crédits de paiement (CP) et non sur des autorisations d’engagement (AE).

Sur le fond, je m’oppose à votre découpage des crédits consacrés à l’action extérieure de la France. Certes, l’OMC ne fonctionne pas, il faut la rénover, mais notre participation financière à cet organisme contribue à la projection de la France dans le monde. Il n’y a pas que la paix et la guerre : le monde est devenu plus complexe… Avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. Je suis très heureuse d’entendre dans votre bouche que l’OMC ne fonctionne pas. Cela nous fera au moins un point commun.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Tout le monde le dit !

Mme Clémentine Autain. Oui, tout le monde le dit, pourtant nous continuons à l’alimenter. Cela dit, d’une certaine manière, cette machine fonctionne, mais dans un sens qui ne permet pas de répondre aux enjeux attachés à l’égalité, à la paix et à l’environnement. Elle a bien du carburant, mais elle fait des choses qui sont nocives…

Par ailleurs, il conviendrait que nous ayons un débat sur notre implication dans l’OTAN. Les choses bougent rapidement : les États-Unis de Trump ne sont pas tout à fait les États-Unis d’Obama. Et cette structure n’est pas plus adaptée au temps présent que l’OMC.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Sur l’OTAN, se tiendra une réunion conjointe avec la commission de la défense le 27 novembre, au cours de laquelle nous entendrons des intervenants extérieurs.

M. Buon Tan. Certes, le fonctionnement de l’OMC n’est pas optimal, je le sais pour avoir participé aux négociations qui durent sur des jours et des jours : obtenir un consensus des cent soixante-quatre pays membres est très compliqué, d’autant que certains d’entre eux bloquent toutes les propositions. Toutefois, en ces temps tourmentés, j’estime que l’OMC a son utilité car elle constitue un centre de stabilité. De la même façon, l’OTAN, loin de « déployer une politique belliciste », comme vous l’écrivez dans votre exposé sommaire, contribue à maintenir la paix. C’est seulement en des cas extrêmes qu’elle envoie des forces armées sur le terrain.

La commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Cela ne doit pas nous empêcher de continuer à débattre au sein de notre commission des questions que cet amendement pose sur l’OTAN comme sur l’OMC.

La commission est saisie de l’amendement IIAE11 de Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Par cet amendement, nous souhaitons appeler l’attention sur le poids croissant qu’occupe la diplomatie économique au sein de notre diplomatie. Celle-ci vise à intégrer dans l’action diplomatique le soutien à l’internationalisation des entreprises françaises. Il est ainsi demandé explicitement aux ambassadeurs d’aider à lever les barrières et les freins auxquels elles sont confrontées à l’étranger – je pense notamment à cette liste, qu’ils sont tenus d’établir, des dix contrats prioritaires dans le pays dans lequel ils sont en poste.

Cette vision managériale de la diplomatie, avec sa culture du résultat, dénature la fonction de diplomate. Les ambassadeurs sont appelés à consacrer 40 % de leur temps à faire les représentants des ventes, évolution qui a de quoi nous inquiéter. Je songe au soutien apporté à Lafarge qui a par la suite financé Daech ou encore aux ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. Jusqu’où doit aller ce soutien aux entreprises ? Va-t-on faire comme le Danemark qui a nommé un ambassadeur auprès des GAFA ? Selon nous, la diplomatie ne saurait être le bras armé d’entreprises privées qui, par définition, ne représentent que leurs propres intérêts. Elle se doit d’être politique.

Nous proposons donc de transférer un euro symbolique de crédits de l’action 07 Diplomatie économique et développement du tourisme du programme 185 vers l’action 02 Accès des élèves français au réseau AEFE du programme 151. Notre amendement vise à interroger les objectifs poursuivis par le programme 185 – promouvoir les intérêts économiques et commerciaux de la France, donner une nouvelle impulsion à notre diplomatie économique, comme indiqué dans le « bleu » budgétaire – et les indicateurs utilisés – citons celui concernant l’accompagnement des acteurs économiques et le sous-indicateur « nombre de visites d’investisseurs auxquelles les ambassades et Business France ont contribué ». Ce n’est pas notre conception de la diplomatie.

M. Jean-Paul Lecoq. La diplomatie économique consiste à s’assurer que les entreprises françaises respectent les lois françaises à l’étranger. Avec Mireille Clapot et Dominique Potier, nous travaillons sur le devoir de vigilance des multinationales en matière de droits de l’homme et d’environnement. Nous savons que des entreprises dont le siège est en France ne se comportent pas comme il le faudrait ; sans aller jusqu’au contentieux, notre diplomatie devrait réagir immédiatement pour leur rappeler que notre pays porte des valeurs, y compris à travers son tissu économique.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Vous avez raison de souligner l’essor de la diplomatie économique ces dernières années. Laurent Fabius avait souhaité en faire une priorité absolue pour nos ambassades. Toutefois, je suis en désaccord avec vous sur un point : je considère que nos diplomates doivent être les acteurs de la propulsion de nos entreprises à l’international mais aussi de l’attractivité de la France. C’est dans la relation politique qu’un ambassadeur entretient avec les autorités du pays où il représente la France qu’il acquiert une compréhension fine des moyens par lesquels il peut aider une entreprise française, par exemple pour remporter un marché public, mais également pour défendre l’attractivité de la France en expliquant l’intérêt de venir y investir : nous avons aussi besoin d’acteurs étrangers. La frontière entre politique et économie est ténue et il faudra peut-être redéfinir les contours de la diplomatie économique, mais nous ne pouvons pas travailler en vase clos, repliés sur nous-mêmes. Je suis tout à fait défavorable à cet amendement.

M. Buon Tan. Il est difficilement concevable de dissocier totalement l’économie de la politique. Dans beaucoup de régions du monde, les contrats ont une forte dimension politique : c’est le cas, par exemple, pour les projets de musée. Les meilleurs connaisseurs de la culture et du fonctionnement d’un pays étranger, ce sont les ambassadeurs et leurs équipes. Leur apport est nécessaire, notamment pour des entreprises n’ayant pas la taille des sociétés du CAC40 car elles ont des difficultés pour accéder aux interlocuteurs les plus importants. Ce sont bien souvent les diplomates qui leur permettent d’obtenir des rendez-vous et d’activer les bons leviers.

Je citerai également l’exemple des événements culturels qui contribuent au rayonnement de la France comme le French May. S’il est financé intégralement par les entreprises étrangères, c’est bien grâce aux relations que tissent les ambassades et les consulats.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je m’étonne des soubassements idéologiques sur lesquels repose votre position, monsieur Lecoq, madame Autain. Je trouve vraiment étrange de voir la primauté de l’économie remise en cause par des gens qui ont toujours accordé une grande attention aux liens entre les infrastructures économiques et l’expression politique… Est-ce à dire que la diplomatie devrait désormais se limiter au régalien et ignorer totalement les aspects économiques et sociaux ? Je me dis que le monde idéologique dans lequel j’ai vécu jusqu’à présent vacille…

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Je donnerai simplement un exemple des bénéfices de la diplomatie économique : songez aux normes internationales. Par l’intermédiaire de la francophonie en Europe, nous pouvons parvenir à maintenir des normes qui sont les nôtres. Le jour où les normes chinoises s’imposeront, les entreprises françaises n’auront plus qu’à rentrer à la maison : elles seront exclues des marchés étrangers. La diplomatie économique est en fait bel et bien politique.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Peut-être faut-il redéfinir le périmètre de la direction de la diplomatie économique au sein du ministère des affaires étrangères pour le rendre plus précis et gagner en efficacité. Les frontières entre économie et politique sont ténues, je le répète, et nous avons besoin d’acteurs politiques pour défendre les intérêts économiques de la France.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement IIAE15 de M. Christian Hutin.

M. Alain David. Cet amendement vise à compenser la stagnation des crédits dédiés à l’aide à la scolarité des enfants français inscrits dans les établissements du réseau de l’AEFE. Nous proposons une augmentation de 5 millions d’euros pour retrouver le niveau antérieur à la baisse opérée dans le PLF 2018.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Le budget des bourses scolaires a été maintenu par rapport au PLF 2019 alors que les années précédentes, il avait fait l’objet de baisses. L’enveloppe n’est pas consommée en totalité pour des raisons mystérieuses qu’il nous faudra clarifier. Mme Cazebonne et moi-même sommes persuadées que certains élèves ne sollicitent pas de bourses alors qu’ils pourraient en bénéficier. Mais dans l’immédiat, il n’y a pas lieu d’augmenter ces crédits.

Mme Samantha Cazebonne. Je serais la première à m’associer à la demande formulée par M. David si nous constations que le budget alloué ne suffisait pas à couvrir les demandes. Or c’est le contraire : il n’y a pas suffisamment de demandes. Il faut que nous cherchions à savoir pourquoi. Cet éclaircissement est d’autant plus important que l’obligation d’accueillir des élèves en situation de handicap ou à besoin particulier s’impose aussi aux établissements d’enseignement du français à l’étranger. Il faudra donc prendre en compte la part des bourses qui leur seront dévolues et ajuster, s’il en est besoin, les crédits en conséquence.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement IIAE16 de M. Christian Hutin.

M. Alain David. Cet amendement vise à pallier les baisses de crédits quasi mécaniques que subissent les grands opérateurs de l’État du secteur de la coopération culturelle, de la promotion du français et du tourisme en les compensant à hauteur de 7 millions d’euros.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Ces différences s’expliquent par des transferts dont j’ai déjà exposé les raisons pour Atout France, l’Institut français et les alliances françaises.

J’ai décidé de me tourner vers la cellule de Bercy qui s’occupe du programme 185 de manière à avoir plus de clarté sur les chiffres. Plusieurs matrices se croisent et j’aimerais disposer de tableaux dont le format nous permette d’y travailler.

Mme Marion Lenne. Il s’agit en effet de transferts. Les AE et les CP du programme 185 augmentent de 2,65 % en 2020, retrouvant ainsi leur niveau de 2018.

Par ailleurs, les crédits des opérateurs, dont ceux de l’AEFE, sont eux aussi en hausse de 24 millions. La réduction des dépenses des opérateurs dans le cadre d’Action publique 2022 doit être vue comme une rationalisation destinée à optimiser l’efficacité de nos opérateurs à laquelle nous sommes particulièrement attachés.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement IIAE17 de M. Christian Hutin.

M. Alain David. Les crédits de paiement du programme 105 sont quasiment stables : ils sont en légère augmentation, de 9 millions d’euros, par rapport au PLF 2019 mais connaissent des diminutions par rapport au PLF 2018, principalement pour ce qui est de l’action 04 Contributions internationales et de l’action 07 Réseau diplomatique.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Le Gouvernement est pleinement conscient de la nécessité d’assurer la sécurité de nos postes à l’étranger : la preuve en est que 100 millions d’euros sont investis en 2019 et en 2020 à cette fin. Cette enveloppe n’est plus incluse dans le programme 105, d’où cette impression de stagnation, mais dans le compte d’affectation spéciale 723 Gestion du patrimoine immobilier de l’État. Pour cette raison, j’émets un avis défavorable sur votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement IIAE18 de M. Christian Hutin.

M. Alain David. Nous proposons de financer à hauteur d’un million d’euros le Fonds citoyen commun créé par l’article 12 du traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019. Il est destiné à appuyer les projets conjoints d’acteurs de la société civile, notamment les initiatives citoyennes et les jumelages de communes – autrement dit une multitude de petites réalisations et non quelques grands projets : l’étude d’impact précise qu’il a vocation à apporter une contribution financière des acteurs de l’amitié franco-allemande souvent exclus de tout appui intergouvernemental.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Soyez assurés que ce financement nous tient tous à cœur. Le Gouvernement est déterminé à trouver une solution dans le cadre de discussions interministérielles. Vous savez combien le budget du ministère des affaires étrangères est contraint. D’autres ministères ont davantage vocation à abonder ce fonds qui ne représente qu’une petite ligne de crédit. Avis défavorable.

M. Jean-Paul Lecoq. J’aurais préféré que ce soit un ministre qui m’assure de la détermination du Gouvernement à trouver un financement… Malgré tout le respect que j’ai pour vous, madame la rapporteure, je ne suis pas obligé de croire que le Gouvernement compte agir dans ce sens. Cet amendement me paraît essentiel : il est bon que notre commission affirme à travers son avis qu’il faut consacrer un million à ce fonds. Je vous invite, chers collègues, à le voter à l’unanimité. Dans l’hémicycle, le Gouvernement pourra nous dire qu’il a bien entendu notre appel et qu’il a pu trouver telle ligne budgétaire dans tel ministère. Cela aura le mérite de la clarté. Ne nous autocensurons pas !

Mme Laetitia Saint-Paul. Selon certains, ce million d’euros serait financé par une ligne budgétaire de l’éducation nationale mais je rejoins tout à fait M. Lecoq : nous devons être plus clairs. Il y va de notre crédibilité auprès de notre partenaire allemand qui, lui, était prêt à consacrer une somme bien plus importante à ce fonds. Il est nécessaire que nos concitoyens se saisissent des enjeux internationaux. La géopolitique actuelle montre que le moindre de nos villages est relié au monde. Si nous pouvons le faire sentir aux Français autrement que par des décisions arbitraires de M. Trump, nous en sortirions grandis. Je voterai donc en faveur de cet amendement.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Si cette ligne budgétaire est ouverte au sein de la mission Action extérieure de l’État, il faudrait opérer un transfert à partir de l’action consacrée aux visas – la commission doit en avoir conscience.

Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis. Je ne suis pas d’accord pour qu’on dépouille le ministère des affaires étrangères dont j’ai à cœur de défendre le budget. Je maintiens mon avis défavorable.

M. Jean-Louis Bourlanges. La rapporteure a raison : ce serait une innovation assez curieuse d’adopter au sein d’une mission des crédits qu’on veut faire supporter par une autre mission. Cela force l’étonnement.

M. Alain David. Renvoyer l’ouverture de cette ligne budgétaire à d’autres ministères, c’est la quasi-garantie que ces initiatives citoyennes ne seront jamais financées. Nous devons faire le premier pas.

Mme Frédérique Dumas. La situation semble effectivement assez kafkaïenne… La seule chose à faire serait peut-être de ne pas adopter les crédits de cette mission pour marquer notre désaccord. Pourquoi ponctionner l’éducation nationale ? C’est incompréhensible.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Pour ce qui est de la diplomatie culturelle et d’influence, les crédits de l’Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ) sont en légère augmentation. Traditionnellement, c’est la mission Sport, jeunesse et vie associative qui sert de support pour des telles actions. Mais la coopération décentralisée, qui inclut les jumelages, relève plutôt de l’action extérieure de l’État.

La commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Les arguments qui viennent d’être exposés méritent d’être repris dans l’hémicycle : il serait utile qu’il y ait un dialogue avec le Gouvernement sur cette question.

La commission examine ensuite l’amendement IIAE19 de M. Christian Hutin.

M. Alain David. Nous proposons de compenser les baisses que l’AEFE a subies en abondant le budget qui lui est consacré par un montant équivalent.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Tout à l’heure, je n’ai pas répondu à M. Habib sur ces fameux 33 millions. Mon analyse budgétaire est totalement différente : j’estime que cette baisse a été compensée dès le projet de loi finances suivant, ce qui n’avait rien d’aisé puisqu’il s’agissait de crédits de paiement et non d’autorisations d’engagement. Vos 25 millions viendraient s’ajouter à un budget déjà réparé. Mieux vaut bien gérer les crédits ayant fait l’objet d’une augmentation qu’augmenter pour augmenter. Avis défavorable.

Mme Samantha Cazebonne. Avec 408,6 millions, ce budget n’a jamais été aussi élevé depuis 2013. Quant aux frais de scolarité, les établissements partenaires, qui fonctionnent sans aucune dotation de l’État, sur fonds privés, facturent les mêmes : dans le réseau espagnol, par exemple, les établissements partenaires fournissent des enseignements de la même qualité, avec des résultats au bac et post-bac équivalents, sans qu’il en coûte quoi que ce soit à l’État. Ces 33 millions d’euros ne sont pas du plus, mais du mieux dans le budget de l’AEFE.

La commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, elle rejette l’amendement II-AE21 de M. M’jid El Guerrab.

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Action extérieure de l’État, sans modification.

Article additionnel avant l’article 73 : Rapport du Gouvernement au Parlement sur l’exécution budgétaire et financière des contrats d’objectifs et de moyens et les contrats d’objectifs et de performance des opérateurs de l’action extérieure

La commission est saisie de l’amendement II-AE7 de M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Cet amendement, adopté à l’unanimité du bureau de notre commission, porte sur l’exécution, budgétaire et financière, des contrats d’objectifs et de moyens (COM) et des contrats d’objectifs et de performance (COP). Nous sommes très rarement saisis de ces contrats ; notre commission avait refusé de se prononcer en novembre 2018 sur un COM qui portait sur la période 2017-2019, en signe de protestation.

Nous demandons au Gouvernement de remettre un rapport sur l’avancée des COM et des COP, de manière à revenir à l’esprit de la loi, qui prévoit que le Parlement soit saisi en amont des COM et des COP. Il était très compliqué de formuler cette exigence, puisque cette disposition figure déjà dans la loi. Je vous propose donc d’utiliser une demande de rapport pour constater, avec le Gouvernement, que les COP et les COM ne nous sont pas soumis dans les délais. Nous pourrons ensuite trouver les moyens pour rattraper notre retard et nous assurer d’être saisis pour signature, et non pour ratification.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je soutiens évidemment cet amendement qui va dans le sens de notre mission d’évaluation et d’anticipation, ce qui ne se fait jamais assez.

Le Gouvernement nous a assuré qu’il soutiendrait cet amendement en séance.

M. Jean-Paul Lecoq. Nos moyens de contrôle et d’évaluation du Gouvernement sont très limités ; nous en sommes réduits à nous appuyer sur des rapports du Gouvernement au lieu de produire nos propres analyses. Les moyens du Parlement, et particulièrement ceux des groupes d’opposition, ne permettent pas de faire sérieusement le travail de contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous entends, mais nous avons néanmoins optimisé le suivi des COM et des COP, en saisissant les mêmes rapporteurs au fond chaque année ; c’est déjà une évolution positive.

Mme Bérengère Poletti. J’admets que nos moyens d’investigations sont limités, nous nous en plaignons depuis longtemps. Mais autant mobiliser ces petits moyens au début de la procédure plutôt qu’à la fin…

Mme Frédérique Dumas. Les données ne sont pas aussi évidentes. Le rapporteur nous a déclaré que les baisses au budget d’Atout France étaient compensées ; or nous constatons une baisse de 4 millions d’euros, qui n’est pas compensée par les collectivités. Nous avons donc quelques petits problèmes d’investigation.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Je n’ai pas dit que la baisse était compensée, mais que le financement était assuré par ailleurs. La subvention baisse, mais la subvention d’Atout France n’est pas le budget d’Atout France.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Quoi qu’il en soit, renforcer le suivi de ces opérateurs publics me semble fondamental. Et je suis d’accord avec Jean-Paul Lecoq : si l’Assemblée nationale avait davantage de moyens d’évaluation et de contrôle, j’en serais très heureuse ; c’est un combat qu’il nous faut poursuivre.

La commission adopte l’amendement.

Avant l’article 73

Elle en vient à l’amendement II-AE20 de M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. Cet amendement tendait à donner davantage de responsabilités aux conseillers consulaires locaux pour l’attribution de bourses, mais il n’est pas recevable. Je le retire.

L’amendement est retiré.


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   Liste des personnes auditionnées par la rapporteure pour avis

Auditions à Paris

 

      Sur les programmes 105 et 151

 

      Sur les bourses scolaires à l’étranger

 

      Sur la gestion des effectifs


([1]) Le CEA compte 16 000 employés.

([2]) Aux États-Unis, la série Madam Secretary créée par Barbara Hall, qui affiche déjà six saisons à son actif, permet de raconter le quotidien de la diplomatie américaine telle qu’elle était avant 2017.

([3]) Il s’agit du programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement qui fait l’objet d’un avis budgétaire présenté par notre collègue Hubert Julien-Laferrière.

([4]) Le programme temporaire dédié à la présidence française du G7 prend fin le 31 décembre 2019.

([5]) Le programme 185 fait l’objet d’un avis budgétaire distinct présenté par notre collègue Frédéric Petit.

([6]) L’action 2 regroupe environ 700 000 euros de crédits destinés à financer la direction de l’Union européenne et les experts nationaux détachés dans les institutions européennes et les ministères des affaires étrangères des pays de l’Union européenne.

([7]) Les produits de cessions immobilières sont retracés dans le compte d’affectation spéciale 723 Gestion du patrimoine immobilier de l’État, ce qui permet de les réaffecter au MEAE.

([8]) Rapport sur la mobilité internationale des Français remis au Premier ministre en juin 2018.

([9]) L’ordonnance permettant l’expérimentation du registre d’état-civil électronique en 2020 est passée en conseil des ministres le 3 octobre dernier.

([10]) Notre collègue Buon Tan présente un avis budgétaire sur le commerce extérieur.

([11])Vincent Delahaye et Rémi Féraud, Rapport d’information, fait au nom de la commission des finances, sur la masse salariale du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Sénat, Session ordinaire 2018-2019, n° 729, 18 septembre 2019.

([12]) Le Quai d’Orsay doit notamment composer avec 128 monnaies différentes.

([13])  Expats Nanas séparées divorcées géré par Isabelle Tiné. Lien ici.

([14]) Voir par exemple : Husson M. L’emploi des femmes en France depuis 1960. Mars 2018. Institut de recherches économiques et sociales. Lien ici

([15]) Dont 8 agents de catégorie A et 6 agents de catégorie A+.

([16]) Les 227 agents de catégorie A+ du MEAE ne sont pas gérés par la direction des ressources humaines : leur gestion relève d’une cellule propre au sein de la DGAM.

([17]) L’ouverture des postes d’encadrement supérieur aux contractuels est une des innovations introduites par la loi de transformation de la fonction publique, dite loi « Dussopt », du 6 août 2019.

([18]) Ce répertoire ministériel est la déclinaison du répertoire interministériel des métiers de l’État (RIME).

([19]) Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

([20]) Adoptée en 2015, la charte du temps a pour objectif de promouvoir un ensemble de principes et de bonnes pratiques en termes d’organisation du travail et comporte un chapitre relatif au respect entre la vie personnelle et professionnelle.