N° 2303

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2020 (n° 2272),

 

TOME III

 

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

 

 

PAR M. Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE

Député

——

 

 Voir le numéro 2301.


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

 Pages

introduction

I. Les CRéDITS DE LA MISSION AIDE PUBLIQUE AU DéVELOPPEMENT

A. La relance de l’aide française

1. La baisse de l’APD depuis le début des années 2010

2. Le déclin de l’aide bilatérale et des dons

3. La réunion du CICID de février 2018

B. Les engagements de la France en 2019

1. Engagements pris dans le cadre du G7

2. Engagements pris dans le cadre du G20

C. Le projet de loi de finances pour 2020

1. Le programme 110

2. Le programme 209

D. La réforme de l’expertise française

1. La réforme de l’expertise

2. Le rapprochement d’Expertise France et de l’AFD

a. Le projet de rapprochement entre Expertise France et l’AFD

b. L’équilibre économique des activités l’Expertise France au sein de la nouvelle structure

E. La future loi d’orientation et de programmation

II. L’aide multilatérale en matière de santé

F. La place de la France dans l’aide multilatérale en matière de santé

1. Le rôle de la France dans l’élaboration des politiques de santé mondiales

2. La Contribution financière de la France

3. Origine des crédits par programme

G. Le renouvellement des acteurs du multilatéral en matière de santé

1. Le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme

a. La conférence de reconstitution du Fonds mondial

i. Les principales contributions

ii. La contribution française

2. Unitaid

3. L’alliance Gavi

4. Le rôle de l’Organisation mondiale de la santé

a. Le « triple milliard »

Conclusion

Contribution de M. Jean-Paul Lecoq au nom du groupe GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE (GDR)

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. JEAN-yves LE DRIAN, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

II. Présentation DE l’AVIS devant la commission des affaires étrangÈres et examen des crédits

Article additionnel avant l’article 73 : Rapport du Gouvernement au Parlement sur les activités et le financement par la France du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale

Annexe – Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Annexe – La réforme relative à l’éligibilité des prêts en APD adoptée en décembre 2014 au Comité d’aide au Développement de l’OCDE.


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   introduction

L’aide publique au développement de la France est entrée depuis la réunion du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février 2018 dans une période de remontée en puissance qui a été longtemps attendue, non seulement par les acteurs de l’aide au développement et par les parlementaires, mais aussi et surtout par ses bénéficiaires. Ceux qui ont le plus souffert de la contraction des budgets pendant les années 2010 sont en effet ceux qui auraient dû bénéficier de l’aide française, et notamment les pays les plus pauvres.

Le budget 2020 de l’aide publique au développement s’inscrit donc dans une séquence plus large que la simple adoption des crédits budgétaires qui nous sont soumis, même si cette dernière n’est pas une simple formalité. Il convient en effet de s’assurer que les montants demandés pour la mission Aide publique au développement correspondent à la trajectoire budgétaire énoncée par le CICID de février 2018 qui doit conduire les dépenses d’aide de la France à représenter 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022.

L’augmentation des budgets n’est cependant pas suffisante pour que l’aide au développement de la France joue le rôle qui doit être le sien. Il faut également que son organisation soit revue, afin que les sommes dépensées soient effectivement dirigées vers les priorités géographiques et sectorielles définies dans ce domaine.

C’est pourquoi le mouvement de reprise en main de l’aide au développement de la France initié par le Président de la République, Emmanuel Macron, ne se limite pas à une hausse budgétaire, aussi ambitieuse soit-elle. La France a également pris cette année des engagements internationaux importants, notamment dans le cadre du G7 de Biarritz et, auparavant, du G20 d’Osaka. Une réforme de l’expertise a également été engagée, avec notamment le rapprochement à venir entre Expertise France et l’Agence française de développement (AFD), afin de doter l’aide française d’un outil plus performant et plus complet.

Le CICID a également insisté sur l’importance de la composante bilatérale de notre aide, qui a particulièrement souffert des baisses budgétaires passées, et avec raison : notre outil bilatéral a clairement été insuffisant ces dernières années, et il est grand temps qu’il retrouve sa place dans notre dispositif.

Votre rapporteur a toutefois souhaité apporter une nuance à ce retour au premier plan de l’aide bilatérale, qui ne doit pas avoir pour conséquence un rejet de l’aide multilatérale. Les inconvénients de l’aide multilatérale ont été soulignés à de nombreuses reprises, en particulier lorsque les contributions ne s’accompagnent pas d’une présence suffisante au sein des enceintes bénéficiaires, mais l’outil multilatéral est tout aussi indispensable que l’outil bilatéral lorsque l’on souhaite obtenir des résultats concrets.

L’efficacité de l’aide multilatérale varie selon les secteurs concernés, mais s’il est un domaine dans lequel cette forme d’aide demeure incontournable, c’est probablement celui de la santé. Les résultats obtenus depuis le début des années 2000 en matière de lutte contre les grandes pandémies trouvent difficilement des équivalents dans les autres domaines de l’aide, et ces objectifs auraient difficilement été atteints par une simple addition d’aides bilatérales, même appuyées sur des montants importants.

C’est pourquoi votre rapporteur a souhaité consacrer une partie de cet avis budgétaire à l’aide multilatérale en matière de santé. Alors que la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme vient d’avoir lieu le 10 octobre dernier à Lyon, et que celle de l’alliance Gavi (pour Global Alliance for Vaccines and Immunization), ou Alliance du vaccin, aura lieu au Royaume-Uni en 2020, le moment paraît opportun pour apprécier les potentialités de cette forme d’aide.

 

 

 


—  1  —

   I. Les CRéDITS DE LA MISSION AIDE PUBLIQUE AU DéVELOPPEMENT

La mission interministérielle Aide publique au développement regroupe les crédits des deux principaux programmes concourant à la politique française d’aide au développement. Il s’agit du programme 110 Aide économique et financière au développement, mis en œuvre par le ministère de l’économie et des finances, et du programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, mis en œuvre par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Cette mission ne correspond qu’à environ 40 % du montant total de l’aide publique au développement, tel qu’il est déclaré au Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et qui correspond à la politique transversale Politique française en faveur du développement, composé de vingt-quatre programmes rattachés à quatorze missions, parmi lesquelles les programmes 110 et 209 qui forment la mission Aide publique au développement.

A.   La relance de l’aide française

1.   La baisse de l’APD depuis le début des années 2010

Le budget 2020 de la mission Aide publique au développement se comprend mieux dans le contexte du déclin régulier qu’a enregistré l’aide française du début des années 2010 jusqu’à l’adoption d’une trajectoire de hausse par le CICID de février 2018.

Le tableau suivant rappelle la baisse des montants d’aide publique au développement enregistrée au début des années 2010 :

(versements, en millions de dollars)

Année

APD nette totale
des pays du CAD

APD nette
de la France

Ratio APD en % RNB de la France

2010

128 484

12 915

0,50

2011

135 111

12 997

0,46

2012

127 030

12 028

0,45

2013

134 847

11 339

0,41

2014

137 581

10 620

0,37

2015

131 555

9 039

0,37

2016*

142 619

9 501

0,38

Source : OCDE CAD1.

Cette diminution, déplorée par les rapporteurs budgétaires à l’occasion de chaque examen annuel des crédits, a eu des conséquences. La France a vu son influence s’éroder, aussi bien au sein des organisations internationales auxquelles les crédits d’aide contribuaient que dans les pays les plus dépendants de l’aide internationale, tandis que la situation économique, mais aussi politique et sécuritaire, de plusieurs pays prioritaires de l’aide française se dégradait.

Cette dernière s’est stabilisée à la suite des annonces faites par le Président de la République, François Hollande, à New York en septembre 2015, mais l’aide au développement française avait besoin d’une véritable remontée en puissance, laquelle n’a été amorcée qu’à la suite de la réunion du CICID de février 2018.

2.   Le déclin de l’aide bilatérale et des dons

Cette baisse brutale n’était cependant pas le fruit d’une politique de réduction délibérée de l’effort de la France, mais plutôt la traduction d’une série d’ajustements budgétaires rendus difficiles à éviter en raison de la conjoncture économique du début des années 2010. L’aide publique au développement est une politique de long terme, dont les résultats concrets sont réels mais ne sont pas immédiats et qui, pour cette raison, est particulièrement vulnérable aux variations de la situation économique.

Parce que cette baisse n’était pas programmée, les dépenses ayant le plus diminué ont précisément été celles qui ne faisaient pas l’objet d’une programmation pluriannuelle, c’est-à-dire d’engagements sur plusieurs années sur lesquels la France ne peut revenir qu’au prix d’une perte d’influence au sein des organismes bénéficiaires de ces dépenses.

Par conséquent, le recul de l’aide publique au développement de la France a principalement pesé sur les dépenses d’aide bilatérale.

RÉPARTITION DE L’APD FRANÇAISE ENTRE AIDE BILATÉRALE ET AIDE MULTILATÉRALE DEPUIS 1990

(versements, en millions de dollars)

Année

APD totale

APD bilatérale

APD multilatérale

Total

 %

Total

 %

dont aide européenne

CE

FED

Total

1990

7 163

5 612

78

1 551

22

391

373

764

1991

7 386

5 772

78

1 614

22

456

440

896

1992

8 270

6 302

76

1 968

24

398

507

905

1993

7 915

6 154

78

1 761

22

392

443

835

1994

8 466

6 611

78

1 855

22

404

512

915

1995

8 443

6 429

76

2 015

24

461

524

984

1996

7 451

5 754

77

1 697

23

554

290

845

1997

6 307

4 777

76

1 530

24

551

330

881

1998

5 742

4 185

73

1 557

27

426

356

782

1999

5 639

4 128

73

1 512

27

513

286

799

2000

4 105

2 829

69

1 276

31

540

251

792

2001

4 198

2 596

62

1 602

38

647

396

1 043

2002

5 486

3 615

66

1 871

34

725

561

1 286

2003

7 253

5 213

72

2 040

28

807

504

1 311

2004

8 473

5 567

66

2 906

34

1 046

818

1 863

2005

10 026

7 239

72

2 787

28

1 031

781

1 811

2006

10 601

7 919

75

2 681

25

1 106

832

1 938

2007

9 884

6 258

63

3 625

37

1 201

955

2 156

2008

10 908

6 669

61

4 239

39

1 407

1 121

2 528

2009

12 602

7 187

57

5 415

43

1 734

1 166

2 900

2010

12 915

8 056

62

4 860

38

1 457

1 204

2 661

2011

12 997

8 495

65

4 503

35

1 468

954

2 422

2012

12 028

7 929

66

4 099

34

1 356

741

2 097

2013

11 339

6 801

60

4 538

40

1 425

846

2 272

2014

10 620

6 514

61

4 107

39

1 500

850

2 349

2015*

9 037

5 156

57

3 881

43

1 278

663

1 942

CE : Commission européenne

FED : Fonds européen de développement.

Source : OCDE (CAD1) et direction générale du Trésor (DG Trésor).

Le tableau ci-dessus indique que si la part de l’aide multilatérale a fortement augmenté depuis le début des années 1990, cette montée en puissance s’expliquait principalement par celle de l’aide européenne, et notamment du Fonds européen de développement (FED). À partir de 2010, tous les canaux d’aide publique au développement enregistrent une diminution, celle subie par l’aide bilatérale étant simplement plus importante.

La question de la répartition de l’aide entre prêts et dons est plus complexe. L’aide sous forme de prêts est par définition destinée aux pays ayant une capacité d’emprunt, c’est-à-dire dont le niveau de développement leur permet de prévoir un remboursement des sommes prêtées. D’une manière générale, l’aide sous forme de prêts tend à exclure les pays les plus pauvres et les plus fragiles.

Les pays qui bénéficient le plus de l’aide sous forme de prêts forment en revanche un ensemble relativement disparate en termes de niveau de développement, qui comprend entre autres des « grands émergents », pays dont le niveau de développement est assez élevé et qui bénéficient de prêts faiblement concessionnels qui seront partiellement enregistrés comme « aide publique au développement » par l’OCDE.

La modification par l’OCDE de la méthode de comptabilisation des prêts ([1]) qui entre en vigueur cette année, devrait permettre d’évaluer de façon plus précise les montants d’aide dépensés sous cette forme.

Jusqu’à présent, les conditions pour qu’un prêt soit considéré par le CAD de l’OCDE comme relevant de l’aide publique au développement, et par conséquent inclus dans les dépenses d’aide d’un pays, étaient les mêmes pour tous les pays bénéficiaires de prêts, et le calcul du montant consistait simplement à soustraire les remboursements des sommes décaissées.

Désormais, les critères pour qu’un prêt soit « éligible », c’est-à-dire considéré comme une dépense d’aide, varieront selon le niveau de développement du pays bénéficiaire, tandis que le montant enregistré comme une dépense d’aide sera l’« élément-don », autrement dit ce que le prêt aura coûté au pays prêteur.

Le but de cette réforme est double. Il s’agit d’abord d’obtenir une évaluation des flux d’aide sous forme de prêts qui soit moins sujette à des variations conjoncturelles telles que des remboursements importants ayant lieu la même année, puisque l’élément-don sera pris en compte l’année où le prêt est accordé ; ensuite et surtout de faire en sorte que les prêts aux États les moins développés soient plus fortement pris en compte que ceux octroyés aux pays émergents ou grands émergents.

Les dons forment quant à eux un ensemble disparate, puisqu’il regroupe des montants importants tels que les contributions aux organisations internationales ou les effacements de dettes, ainsi que les montants beaucoup plus réduits mais stratégiquement importants correspondant aux dons-projets, c’est-à-dire aux projets de développement directement financés par la France, notamment dans les pays prioritaires de l’aide.

Ces projets peuvent jouer un rôle stratégique particulièrement important et mobilisent des montants relativement réduits, mais sont limités à la fois par les contraintes budgétaires du côté français, et par la capacité d’absorption des projets du côté des pays bénéficiaires. Les projets concernés font l’objet d’une mise en œuvre qui peut prendre plusieurs années et l’augmentation des budgets qui leur sont consacrés implique dans un premier temps d’augmenter les autorisations d’engagement (AE), les crédits de paiement (CP), c’est-à-dire les dépenses effectives, venant au cours des années suivantes.

3.   La réunion du CICID de février 2018

Le CICID qui s’est réuni en février 2018 a fixé pour l’aide française une trajectoire de redressement à la fois quantitative et qualitative qui fait office de feuille de route du quinquennat en matière d’aide.

Outre les priorités sectorielles – climat, santé, éducation, traitement des fragilités et prévention des crises, égalité entre les femmes et les hommes – et géographiques – l’Afrique en général, dont dix-neuf pays prioritaires en particulier, et les pays en crise –, le CICID a fixé une trajectoire budgétaire chiffrée qui prévoit, en pourcentage du RNB, la progression suivante de l’aide au développement de la France :

– 0,44 % en 2018 ;

– 0,44 % en 2019 ;

– 0,47 % en 2020 ;

– 0,51 % en 2021 ;

– 0,55 % en 2022.

En volume, l’augmentation envisagée revient à passer d’une APD totale de 10,588 milliards d’euros à une APD de 14,270 milliards, soit une augmentation de près de 3,682 milliards d’euros, ou environ 35 % en quatre ans, ce qui est considérable.

Il convient de noter que cette augmentation ne relève que partiellement des décisions budgétaires prises chaque année. Tout d’abord, les dépenses d’aide pilotables, correspondant approximativement à la mission Aide publique au développement, ne représentent qu’environ 40 % du total, le reste étant sujet à des variations qui échappent en partie aux décisions politiques.

Ensuite, les objectifs ainsi fixés renvoient aux calculs effectués a posteriori par le CAD sur la base de la déclaration faite par chaque pays de ses propres dépenses d’aide. Concrètement, il faut attendre plus d’un an pour savoir si l’objectif fixé pour une année a été atteint. Ainsi, pour 2018, le CAD n’a pas encore validé la déclaration faite par la France, qui estime à 0,43 % du RNB les dépenses d’aide effectuées par la France au cours de cette année (la cible budgétaire était de 0,44 %).

B.   Les engagements de la France en 2019

1.   Engagements pris dans le cadre du G7

La France a accordé une place centrale aux questions de développement dans le cadre de sa présidence du G7 en 2019, avec la tenue le 4 juillet d’une réunion des ministres du développement du G7, suivie le lendemain d’une réunion conjointe des ministres du développement et de l’éducation, co-présidée avec le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Ces réunions ont donné lieu à des résultats concrets.

Sur le financement du développement, les pays du G7 ont adopté une déclaration visant à améliorer la mesure et à mobiliser des ressources publiques et privées compatibles avec les Objectifs du développement durable (ODD). Tout en réaffirmant le rôle crucial de l’aide publique au développement pour financer les ODD, les pays du G7 ont appelé à mobiliser davantage la finance privée et à appuyer la mobilisation des ressources domestiques dans les pays en développement. Ils appuient la nouvelle mesure de financement du développement « TOSSD » (pour Total Official Support for Sustainable Development). La déclaration reconnaît la nécessité de mieux mesurer l’impact des investissements privés et confie à l’OCDE et au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) la définition des standards communs pour encourager l’alignement des investissements sur les ODD.

Sur la prévention des crises et la lutte contre les fragilités, les pays du G7 se sont engagés à concentrer leurs ressources et interventions dans les zones affectées par des fragilités structurelles en rénovant les méthodes d’analyse et d’intervention, à accroître leur investissement dans la prévention et le traitement des causes profondes des fragilités et à concentrer leur aide vers les pays qui en ont le plus besoin.

Sur le Sahel en particulier, un communiqué conjoint G7 + G5 Sahel (une première dans l’histoire du G7) a été signé avec l’objectif de créer un partenariat entre le G7 et le G5 Sahel sur la base d’engagements réciproques. Ce communiqué repose sur un diagnostic partagé des tendances de long terme qui nourrissent l’instabilité dans la région du Sahel, et valide un engagement à investir davantage dans le « développement humain » (éducation, santé, genre), enjeu clé pour répondre au défi démographique dans la région, avec l’adoption en parallèle d’un cadre du G7 pour la création d’emplois décents pour les jeunes ruraux au Sahel. Ce cadre pose les grands principes (alignement sur les politiques du G5, approches territoriales, systèmes alimentaires durables) pour guider les deux leviers d’action principaux (agir sur les opportunités d’emploi et renforcer les capacités des jeunes) permettant la création d’emplois décents. Ce communiqué marque aussi l’engagement des signataires à intensifier leurs efforts pour construire une solution durable de financement dans les pays du Sahel face à l’ampleur de leurs besoins financiers, qui implique notamment de développer des administrations fiscales robustes et plus généralement d’améliorer la gestion des finances publiques. À cet égard, le communiqué insiste sur le besoin d’accroître la coordination entre organisations internationales dans l’assistance technique fournie en matière de renforcement des capacités fiscales et de continuer à travailler avec le Fonds monétaire international (FMI) pour repenser la conception des programmes d’assistance financière dans les pays à faibles revenus. Le Japon et le Canada ont annoncé leur adhésion à l’Alliance Sahel comme observateurs, portant le nombre de membres à quatorze, dont l’ensemble des pays du G7.

Un « partenariat du G7 pour l’inclusion financière numérique des femmes en Afrique » a été présenté sous la forme d’un rapport de la Fondation Bill et Melinda Gates lors de la réunion des ministres des finances du 18 juillet, dégageant plusieurs axes d’action complémentaires entre eux (infrastructures de paiement, identification digitale, recherche, réglementation). La France s’est engagée à soutenir financièrement plusieurs initiatives, au côté du Royaume-Uni, et de la fondation, pour un total de 116 millions de dollars.

Ces engagements ont été repris dans le Plan d’action du Partenariat pour le Sahel adopté lors du sommet de Biarritz du 24 au 26 août 2019. Les pays du G7 ont adopté un Partenariat avec l’Afrique axé sur l’entrepreneuriat féminin, la transformation numérique, la transparence et la lutte contre la corruption, avec un soutien financier de 251 millions de dollars à l’initiative AFAWA (pour Affirmative Finance Action for Women in Africa).

Concernant l’égalité entre les femmes et les hommes, le Partenariat de Biarritz vise à faire progresser les lois et leurs politiques publiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes sur la base des recommandations formulées par le Conseil consultatif pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Il a vocation à s’ouvrir à l’ensemble des pays intéressés, sur la base du volontariat.

Concernant l’éducation, un communiqué sur l’égalité femmes-hommes dans l’éducation, appelant à renforcer l’appui à l’éducation au Sahel, a été adopté par les pays du G7 lors de la ministérielle du 5 juillet, mettant en avant la nécessité d’agir plus et mieux pour l’éducation et la formation professionnelle et pour l’égalité de genre dans, et par, l’éducation. Le G7 a également lancé l’initiative « Gender at the Center » (6 millions d’euros), destinée à fournir une assistance technique aux pays en développement désireux de transversaliser la question du genre dans leurs politiques éducatives. Une « charte d’engagements pour une formation professionnelle inclusive, de qualité et fondée sur les besoins du marché » a également été adoptée pour soutenir la mise en place de systèmes de formation professionnelle de qualité en Afrique subsaharienne.

Sur le climat et l’environnement, le sommet de Biarritz a permis l’annonce de nouvelles contributions à la reconstitution du Fonds vert pour le climat. La reconstitution du Fonds, qui a eu lieu les 24 et 25 octobre au Ministère de l’économie et des finances à Paris, a permis aux différentes délégations d’annoncer leurs nouvelles contributions pour la période 2020-2023. Treize des 27 pays donateurs ont doublé leur contribution par rapport à la première opération de financement du Fonds et 75 % d'entre eux ont augmenté leur participation pour donner les moyens au Fonds de poursuivre son activité en dépit du retrait américain. La France, dont la participation s'élève à 1,5 milliard d'euros, l'Allemagne, la Grande Bretagne, la Suède, la Norvège, le Danemark, la Nouvelle-Zélande et la Pologne ont doublé leur contribution. Le Japon, qui a renouvelé son apport de 1,5 milliard de dollars, est devenu le contributeur le plus important avec trois milliards de dollars en cumulé. Au total, 9 776 milliards de dollars ont pu être annoncés, montant supérieur aux 9,3 milliards de dollars annoncés en 2014 (dont 7,2 milliards avaient effectivement été recueillis).

La Charte pour la biodiversité a été endossée par les leaders à Biarritz, avec un renforcement de leurs engagements visant à protéger et préserver la biodiversité. Constituant le cadre fixant l’ambition des pays membres, la Charte sera appuyée par plusieurs coalitions multi-acteurs, notamment celle visant à associer l’accélération de la sortie des gaz HFC et l’efficacité énergétique des systèmes de refroidissement (ainsi que la coalition neutralité carbone et la coalition maritime pour le climat).

2.   Engagements pris dans le cadre du G20

Le Sommet du G20 a eu lieu les 28 et 29 juin 2019 à Osaka au Japon. En dépit de négociations difficiles, il s’est conclu par un consensus reflété dans un communiqué à 20 – sauf sur le climat où la formule du 19 + 1 a été réitérée – avec des engagements substantiels obtenus dans le sens de l’atteinte des ODD.

En matière de santé mondiale, le G20 a appelé au succès de la conférence de reconstitution du Fonds mondial – que la France a accueilli à Lyon le 10 octobre 2019 – et a confirmé son positionnement en faveur de la couverture santé universelle, en s’engageant à renforcer les systèmes de santé dans les pays en développement.

Sur le climat, sur la base d’un accord à 19 + 1 (sans les États-Unis), l’irréversibilité de l’accord de Paris, la reconnaissance de l’urgence climatique et le soutien du G20 en vue de la COP25 à Santiago du Chili en décembre ont été réaffirmés dans la déclaration finale. Surtout, les dix-neuf se sont engagés sur le rehaussement de l’ambition des contributions nationales déterminées (NDC) en 2020.

Sur l’égalité entre les femmes et les hommes, la priorité transversale accordée par la présidence japonaise a permis de confirmer l’engagement pris à Brisbane de réduire de 25 % d’ici 2025 l’écart de participation au marché du travail entre les femmes et les hommes. La lutte contre le harcèlement en ligne, le rôle de l’éducation des filles et l’autonomisation économique des femmes, notamment à travers l’accès facilité des femmes entrepreneures aux financements, ont été réaffirmés.

En matière d’aide au développement spécifiquement, la présidence japonaise a souhaité inscrire les réflexions dans le cadre de l’Agenda 2030, en accordant une place centrale à l’Afrique. Les priorités du Japon étaient les suivantes : l’investissement dans les infrastructures de qualité ; l’investissement dans le capital humain ; la mise en œuvre de l’Agenda 2030, et l’élaboration de principes sur les feuilles de route sciences pour les ODD.

S’agissant des infrastructures de qualité, le Japon a souhaité renforcer les travaux engagés par les précédentes présidences pour accroître la mobilisation des capitaux privés en faveur des infrastructures via l’élaboration de principes du G20 sur l’investissement dans les infrastructures de qualité (efficacité économique, résilience au changement climatique, sauvegardes sociales et environnementales, transparence, soutenabilité de la dette, etc.). Les travaux ont été menés parallèlement dans trois groupes de travail : groupe de travail développement (DWG), groupe de travail sur la lutte contre la corruption (ACWG), groupe de travail infrastructures (IWG), en chef de file. Ils ont permis de faire endosser par tous les pays du G20, y compris la Chine, un cadre plus respectueux qui garantit une ambition minimale en matière de soutenabilité de la dette et de sauvegardes environnementales et sociales. Ces principes font spécifiquement référence au nécessaire alignement des investissements sur les NDC et les stratégies bas carbone de long terme (ligne rouge pour la France). Adopté par les ministres des finances les 8-9 juin 2019 lors du G20 Finances de Fukuoka, le texte figure en annexe de la Déclaration d’Osaka.

Sur l’investissement dans le capital humain, une déclaration a été adoptée par les pays du G20 et annexée à la déclaration finale, avec un livrable principalement centré sur l’éducation (un choix qui reflète le fort soutien du Japon à l’UNESCO, où le pays copréside depuis décembre 2018 le comité directeur de l’ODD 4). Reposant notamment sur une présentation plus équilibrée entre santé, nutrition et éducation à l’intérieur du capital humain, cette initiative du G20 reconnaît formellement le droit à l’éducation, salue le travail de la Banque mondiale sur le capital humain et souligne l’importance d’une éducation de qualité, sous trois angles : comme facteur de croissance inclusive et de développement durable, comme accélérateur d’innovation et comme élément de résilience dans les situations de crise. Le rôle central de la mobilisation des ressources domestiques et l’importance du renforcement global des systèmes éducatifs y sont réaffirmés, avec un soutien au travail du Partenariat mondial pour l’éducation sur la planification sectorielle, de « Education Cannot Wait » dans les situations de crise et de l’UNESCO en matière d’éducation à la citoyenneté globale. Plusieurs initiatives du G20 y sont rappelées ou renforcées : e-skills4Girls, Women Entrepreneurs Finance Initiative (We-Fi), plateforme Early Childhood Development Action network (ECDAN).

Les pays du G20 ont également adopté des principes directeurs sur les feuilles de route sur les sciences, les technologies et l’innovation au service des ODD qui, à titre indicatif, appellent à un alignement des stratégies scientifiques des pays du G20 avec leurs stratégies de développement, réaffirment l’importance des sciences comme catalyseur pour la réalisation des ODD et encouragent la coopération scientifique internationale.

Sur la mise en œuvre de l’Agenda 2030, les pays du G20 ont endossé le rapport d’Osaka sur le plan d’action du G20 sur la contribution du G20 à l’Agenda 2030 (Osaka update) qui, depuis l’adoption du plan d’action à Hangzhou (2016), est mis à jour annuellement avec l’intégration de nouveaux engagements contribuant à la mise en œuvre des ODD. Annexé à la déclaration du sommet, il s’agit d’un document condensé, centré sur les seules priorités de la présidence japonaise et des deux présidences précédentes, qui s’appuie sur un rapport indépendant de l’OCDE et du PNUD sur les réalisations du G20 pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 par ailleurs commandité par la présidence japonaise (et sur lequel un consensus n’a pu être trouvé).

Le G20 a également produit cette année un rapport de redevabilité quadriennal sur le suivi des engagements pris par le G20 en matière de développement (Osaka Comprehensive Accountability Report) permettant d’évaluer cinquante-quatre engagements pris par le G20 en matière de développement, ainsi que certains engagements pris dans le cadre d’autres groupes de travail (cette année : santé, infrastructure, G20 Africa Partnership).

C.   Le projet de loi de finances pour 2020

Le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 s’inscrit dans la continuité du PLF 2019, c’est-à-dire dans la trajectoire d’augmentation budgétaire avancée par le CICID de février 2018.

(en euros)

Numéro et intitule du programme et de l’action

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

Ouvertes en loi de finances initiale (LFI) pour 2018

Demandées pour 2019

Ouvertes en LFI pour 2018

Demandées pour 2019

110 – Aide économique et financière au développement

1 305 765 394

4 472 278 784
(+ 242,50 %)

1 074 752 833

1 144 787 716
(+6,52 %)

01 – Aide économique et financière multilatérale

71 515 000

2 836 330 000
(+ 3 866,06 %)

648 391 535

711 733 804
(+9,77 %)

02 – Aide économique et financière bilatérale

1 234 250 394

1 310 355 000
(+6,17 %)

334 314 945

339 671 357
(+1,60 %)

03 – Traitement de la dette des pays pauvres

0

325 593 784 %)

92 046 353

93 382 555
(+1,45 %)

209 – Solidarité à l’égard des pays en développement

3 194 353 520

2 843 343 261
(–10,99 %)

2 003 743 769

2 139 985 10
(+6,80 %)

02 – Coopération bilatérale

1 989 773 453

1 470 232 917
(– 26,11 %)

793 450 441

844 482 9173
(+ 6,43 %)

05 – Coopération multilatérale

188 395 739

369 253 061
(+ 96,00 %)

194 109 000

291 644 903
(+ 50,25 %)

07 – Coopération communautaire

863 033 740

842 408 360
(– 2,39 %)

863 033 740

842 408 360
(– 2,39 %)

08 – Dépenses de personnels concourant au programme "Solidarité à l’égard des pays en développement"

153 150 588

161 448 923
(+ 5,42 %)

153 150 588

161 448 923
(+ 5,42 %)

09 – Actions de co-développement

0

0

0

0

Total pour la mission

4 500 118 914

7 315 622 045
(+ 62,57 %)

3 078 496 602

3 284 772 819
(+ 6,70 %)

 

D’une manière générale, le PLF 2020 est conforme à la trajectoire budgétaire fixée par le CICID de 2018. Le montant atteint par l’aide française en 2018 s’élevait à 0,43 % du RNB (d’après la déclaration faite par la France auprès du CAD de l’OCDE) et devrait demeurer au même niveau en 2019, puis s’établir à 0,46 % en 2020. Les cibles étaient respectivement de 0,44 et 0,47, mais la nouvelle comptabilisation des prêts mise en œuvre par le CAD de l’OCDE fait « perdre » à l’aide française près d’un milliard d’euros, selon les informations obtenues auprès du ministère de l’économie et des finances. La faiblesse de l’augmentation entre 2018 et 2019 s’explique par ailleurs en partie par les importants décaissements multilatéraux qui ont eu lieu en 2018. On devrait être à 10,7 contre 10,3 en 2019 par rapport à 2018.

La mission Aide publique au développement poursuit donc une hausse qui demeure compatible avec l’objectif du 0,55 % en 2022, ce qui implique toutefois entre 2019 et 2022, une hausse de 57 % contre 5 % pour l’ensemble du budget de l’État. Cette hausse est par ailleurs progressive. Les CP et les AE sont en hausse, mais la forte hausse des AE en 2020 s’explique essentiellement par quatre reconstitutions de fonds importantes ayant lieu cette année.

1.   Le programme 110

Le programme 110 Aide économique et financière au développement, qui est géré par le ministère de l’économie et des finances, avec 4,48 milliards d’euros en AE et 1,14 milliard en CP.

L’AFD augmente de 30 % les montants consacrés au Sahel, tandis que la montée en charge des activités de l’agence se poursuit. Une hausse de 11 % des octrois à l’AFD est prévue en 2019 et 2020, sous forme de bonifications de prêts. Il convient cependant de noter qu’en raison du très faible niveau actuel des taux d’intérêt, une grande incertitude demeure sur les montants nécessaires pour atteindre les objectifs de prêts. Le besoin de bonification est actuellement très limité, mais les choses peuvent changer. Le budget est donc réalisé sur la base d’une hypothèse de remontée des taux. Ainsi, si la demande de CP s’élève à 1,14 milliard d’euros, le montant définitif dépendra de l’évolution des taux.

2.   Le programme 209

L’année 2019 a été celle de la mise en œuvre du CICID de février 2018. Le programme 209 avait été marqué par une forte hausse des dons, avec un double rééquilibrage prêts-dons et bilatéral-multilatéral concrétisée par une augmentation des deux tiers pour les premiers. Les dons-projets de l’AFD avaient notamment fait l’objet d’une augmentation d’un milliard d’euros en autorisations d’engagement.

Des AE élevées étaient nécessaires pour que puissent être mis en œuvre les projets qui matérialiseront l’augmentation réelle, en crédits de paiement, des dons-projets. Le PLF 2020 affiche une légère baisse des AE, mais des CP en augmentation de 6,8 %, correspondant en partie à des décaissements multilatéraux, notamment l’augmentation de la participation française au Partenariat mondial pour l’éducation de 200 millions d’euros sur l’éducation de base.

La baisse importante des AE de la ligne Coopération bilatérale, qui passent de 1 989 773 453 euros pour 2019 à 1 470 232 917 euros pour 2020, soit une diminution de 26,11 %, est cependant préoccupante. Cette baisse soudaine des AE destinées aux projets bilatéraux semble renouer avec les ajustements budgétaires du début des années 2010 qui ont pénalisé durablement l’aide bilatérale, avec cette différence que ce qui avait lieu dans un contexte de baisse globale des montants d’aide au développement survient maintenant dans un contexte de hausse.

La logique est cependant la même : les dons-projets sont les premiers à souffrir du fait de la contrainte budgétaire globale, que cette dernière consiste en une baisse globale des montants comme au cours des années 2010, ou qu’elle se manifeste sous la forme d’une trajectoire d’augmentation globale qu’il faut atteindre pour des raisons d’affichage politique.

Le relevé de conclusion du CICID de février 2018 précise que la hausse du montant global de l’aide française doit profiter pour les deux tiers à l’aide bilatérale et aux dons. La baisse des AE correspondant aux dons-projets semble contredire directement cet objectif, puisque malgré une augmentation des CP correspondants de 6,43 % pour 2020, les AE, faibles ou élevées, d’aujourd’hui déterminent les CP de demain. Or, les dons-projets semblent suivre une trajectoire en dents de scie qui risque de rendre plus difficile la tâche des acteurs de l’aide chargés de suivre les projets du début de leur instruction jusqu’à leur réalisation, c’est-à-dire pendant plusieurs années.

Concrètement, cela peut signifier des difficultés pour tenir les engagements de la France auprès des principaux pays bénéficiaires de notre aide bilatérale sous forme de dons, à commencer par les dix-neuf pays pauvres prioritaires. La programmation pluriannuelle de l’AFD s’en trouvera également perturbée, s’agissant d’une agence qui doit anticiper une forte hausse de son activité dans les années à venir, avec ce que cela implique en termes de réorganisation et de croissance des effectifs,

La baisse des AE pour 2020 et l’irrégularité des crédits consacrés aux dons-projets peuvent également rendre plus complexe la pérennisation du modèle économique d’Expertise France et, plus généralement, la réforme du secteur de l’expertise, dont le rôle est essentiel dans le contexte de la relance de l’aide française, et plus particulièrement dans le cadre de la stratégie multilatérale en santé dont il est question dans la dernière partie du présent rapport.

Afin d’éviter les déséquilibres et les modifications abruptes des montants, qui ont souvent lieu au détriment des dons-projets, il demeure donc intéressant d’adosser autant que possible certaines dépenses aux taxes innovantes mises en place au début des années 2000. Ces dernières financent principalement le Fonds de solidarité pour le développement (FSD), dont il est question de façon plus approfondie dans la suite du présent rapport, mais une partie du produit de l’une d’entre elles, la taxe sur les transactions financières (TTF), avait été pendant deux années directement affectée à l’AFD pour le financement des dons-projets. Cette « TTF-AFD », dont le montant annuel était de 370 millions d’euros, a été « budgétisée » l’année dernière avec une augmentation correspondante des crédits de la mission Aide publique au développement destinés à l’AFD. Cependant, cette somme, qui avait été retranchée des montants alimentant le FSD, ne lui a pas été restituée.

Votre rapporteur estime que la TTF devrait davantage alimenter l’effort de hausse des montants destinés à l’aide publique au développement, et a pour cette raison déposé deux amendements, l’un portant le taux de cette taxe de 0,3 % à 0,4 ¨ %, hausse qui semble compatible avec le maintien d’une place financière parisienne attractive ; l’autre visant à faire passer la partie de la recette de la TTF allouée à l’aide de 528 millions d’euros à 1,08 milliard d’euros, c’est-à-dire de 30 % d’une TTF dont le taux est de 0,3 %, à 50 % d’une TTF avec un taux de 0,4 %. Cette modification permettrait à la France de respecter plus facilement la trajectoire budgétaire qu’elle s’est fixée et de moins faire peser les arbitrages faits chaque année sur les crédits consacrés à l’aide bilatérale sous forme de dons, crédits plus faciles à ajuster à la baisse mais dont la régularité n’en est pas moins nécessaire.

D.   La réforme de l’expertise française

Le CICID de février 2018 prévoyait également la poursuite de la réforme de l’expertise française. La création d’Expertise France en 2015 avait déjà permis le regroupement de la plus grande partie de l’expertise française au sein d’une agence autonome. Ce regroupement devait être poursuivi, tandis que le CICID prévoyait également l’intégration d’Expertise France au Groupe AFD, afin d’une part de consolider le modèle économique d’Expertise France, et d’autre part de faire de l’AFD un opérateur plus complet, capable de proposer une offre globale incluant l’expertise.

1.   La réforme de l’expertise

La loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale prévoit, dans son article 13, que l’agence française d’expertise technique internationale « intervient en concertation étroite avec tous les opérateurs, qu’ils soient publics ou privés. Elle établit des conventions-cadres avec les ministères et les organismes concernés par la mise à disposition ou le détachement d’experts publics ». Cette même loi prévoyait que l’agence rassemble « au 1er janvier 2016 l’ensemble des opérateurs spécialisés de coopération technique, selon des modalités adaptées à leurs missions et statuts ».

Cette réforme a été réaffirmée lors du CICID du 8 février 2018, afin de « poursuivre la rationalisation de la mobilisation de l’expertise publique en vue de disposer d’une offre française efficace, compétitive et transversale et de permettre une articulation optimale entre opérateurs ». Les conclusions du comité interministériel prévoyaient que des conventions soient conclues entre les ministères disposant d’opérateurs non intégrés à Expertise France (Civipol, JCI, Adecia, FVI) en vue de permettre à Expertise France une mobilisation directe de l’expertise publique via les ministères techniques concernés. Une circulaire devait également être finalisée, afin de faciliter le recours à l’expertise publique française et sa projection à l’international.

Cette circulaire a été signée le 15 mai 2018. Elle précise le contexte et la portée de la réforme en dressant le cadre de mobilisation des viviers d’expertise des différents ministères ainsi que leurs relations avec les opérateurs de coopération technique. Le texte vise à harmoniser les pratiques et professionnaliser la mobilisation de l’expertise technique internationale. Il réaffirme les règles de mobilisation des agents (ordre de mission, détachement, mise à disposition), établit des méthodes pour développer des viviers d’experts (recensement, valorisation lors de l’évaluation professionnelle, mobilisation des retraités) et cherche à optimiser l’articulation entre ministères et opérateurs, notamment en encourageant la définition de stratégies ministérielles et la signature de conventions.

Des conventions ont également été signées entre Expertise France et les ministères en charge de l’intérieur, de la justice et de l’agriculture.

La convention cadre entre Expertise France et le ministère de l’agriculture a été signée le 3 juillet 2018. Elle prévoit que les projets et programmes multisectoriels relèvent de la compétence d’Expertise France, tandis que les opérateurs du ministère de l’agriculture et de l’alimentation récupèrent la compétence sur les projets dont le budget est inférieur à 1,5 million d’euros (exclusivement agricoles ou vétérinaires).

La convention cadre entre le ministère de la justice, Expertise France et le GIP-JCI a été signée le 9 novembre 2018. Elle prévoit que les projets multisectoriels relèvent de la compétence d’Expertise France, au même titre que les projets gros projets (plus de 8 millions d’euros) mono-sectoriels dans les domaines d’intervention du ministère de la justice. Le GIP-JCI est compétent pour les petits projets (moins de 8 millions d’euros) mono-sectoriels dans les domaines d’intervention du ministère de la justice.

Enfin, la convention cadre entre le ministère de l’intérieur et Expertise France a été signée le 1er février 2019. Elle prévoit une répartition sectorielle des champs de compétence respectifs d’Expertise France et de Civipol dans les domaines d’intervention du ministère de l’intérieur. Civipol sera par exemple compétent en matière de lutte contre le crime organisé ou de renforcement des forces de sécurité intérieure tandis qu’Expertise France sera entre autres compétent en matière de sécurité civile ou de lutte contre les activités illicites en mer et de piraterie maritime.

Dans les trois cas, en conformité avec l’objectif premier de la réforme, Expertise France mobilisera directement l’expertise publique des ministères concernés en concertation avec les directions de la coopération internationale. Les trois conventions ont été conclues pour une durée initiale d’un an, renouvelable. Des points d’étape seront effectués pour veiller à la bonne mise en œuvre des trois conventions.

2.   Le rapprochement d’Expertise France et de l’AFD

a.   Le projet de rapprochement entre Expertise France et l’AFD

Le CICID du 8 février 2018 a décidé le rapprochement d’Expertise France au sein d’un groupe AFD élargi. Ce projet doit permettre de « créer des effets de levier en nous appuyant sur une expertise technique consolidée et des partenariats forts ».

Ce rapprochement constitue tout d’abord une réponse à des besoins apparus depuis la création d’Expertise France.

Il participe au modèle économique d’Expertise France, dont l’objectif d’autofinancement à horizon 2020 est difficile à atteindre compte tenu de son positionnement sur des projets stratégiques qui ne sont pas toujours rentables. La hausse des crédits d’APD gérés par l’AFD et potentiellement fléchés vers Expertise France, ainsi que la mutualisation de certaines fonctions support et du réseau international du groupe devrait contribuer à l’équilibre économique de l’opérateur.

Ce rapprochement permettra à Expertise France de se développer en s’appuyant sur les structures de l’AFD. Alors qu’Expertise France voit son activité et ses effectifs croître rapidement (191 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018, 323 salariés au siège et 400 experts dans le monde), l’agence fait également face aux défis posés par son développement : il lui faut développer un réseau international, des fonctions support consolidées (ressources humaines, direction juridique, direction des achats, direction des systèmes informatiques), des systèmes informatiques performants, etc. Dans ce contexte, le rapprochement avec l’AFD permettra de réaliser des économies d’échelle et offrira à Expertise France les moyens de développer ses ambitions à l’international. Au plan des ressources humaines, il constituera une opportunité pour le personnel d’Expertise France comme pour celui de l’AFD, puisque les mouvements entre établissements seront encouragés.

Le rapprochement vise aussi à renforcer l’offre française dans le champ du développement.

Il encouragera une meilleure collaboration entre les deux opérateurs dans le champ du développement. Jusqu’ici, les deux opérateurs peinaient à agir de concert et se retrouvaient parfois en situation de concurrence vis-à-vis des bailleurs multilatéraux, ne parvenant pas à répondre aux objectifs ambitieux qui leur avaient été fixés (25 millions d’euros par an de volume d’activité transmis à Expertise France dans le domaine de la gouvernance). La perspective du rapprochement a déjà modifié la tendance puisque les projets attribués par l’AFD à Expertise France se sont multipliés en 2018 pour représenter un montant total de 45 millions d’euros. Des outils ont été développés pour simplifier les méthodes et faciliter les collaborations, avec notamment la signature d’une convention-cadre en décembre 2018.

Le rapprochement permettra aussi de construire une offre française d’aide au développement plus cohérente. Il offrira l’avantage de la lisibilité vis-à-vis des bénéficiaires étrangers et des bailleurs tiers. Le rapprochement renforcera par ailleurs le continuum d’outils d’aide de la nouvelle entité, lui permettant de couvrir l’ensemble du cycle projet. Ainsi, l’AFD sera dotée d’une offre plus complète en adjoignant à son offre financière une composante expertise mobilisable non seulement pour la mise en œuvre de prestations mais aussi pour l’instruction de projets. Cette offre d’expertise technique devra notamment permettre à l’AFD de renforcer la compétitivité « hors prix » de son activité sur prêt et d’affirmer son positionnement en matière de « définition, pilotage et mise en œuvre des politiques publiques », conformément aux dispositions du CICID du 8 février et à son Plan d’orientation stratégique. En s’appuyant sur l’expertise technique, le groupe AFD devra également être en capacité d’accélérer et d’optimiser ses capacités de mise en œuvre afin d’obtenir des effets de levier en termes de mobilisation de ressources, d’influence et d’impact.

b.   L’équilibre économique des activités l’Expertise France au sein de la nouvelle structure

Le modèle économique proposé lors de la création d’Expertise France doit être adapté aux spécificités de ses missions.

À la création de l’agence en 2015, il lui avait été donné pour objectif d’atteindre l’équilibre financier en 2020 après une phase de transition durant laquelle l’établissement bénéficierait d’une subvention de transformation (15 millions d’euros entre 2015 et 2019) devant notamment lui permettre d’investir dans des outils adaptés à la gestion d’un portefeuille d’activité en forte croissance.

Plusieurs facteurs remettent cependant en cause la soutenabilité de ce modèle économique.

L’opérateur doit répondre aux priorités de politique publique française, ce qui implique qu’il se positionne sur des projets stratégiques mais parfois peu ou pas rentables. Il s’agit notamment des projets de faible ampleur (montants inférieurs à un million d’euros), faiblement rémunérateurs et nécessitant des coûts de gestion importants.

L’opérateur a construit sa croissance en s’appuyant largement sur des contrats de gestion déléguée octroyés par l’Union européenne, dont les prix sont administrés et qui génèrent des taux de marge (autour de 7 %) inférieurs à ses frais de structure (autour de 15 % nécessaires). Les contrats avec des bailleurs tiers, notamment multilatéraux (Banque mondiale, FMI) sont plus rémunérateurs, mais Expertise France peine encore à se positionner sur de tels projets.

L’opérateur a généré au cours de ses premières années de développement des gains de productivité insuffisants. Si son chiffre d’affaires et ses effectifs ont crû rapidement (124 millions d’euros en 2015 à 191 millions d’euros en 2018), la croissance d’Expertise France ne s’est pas accompagnée des gains de productivité nécessaires à l’absorption des coûts de structure associés. Des chantiers internes doivent être finalisés, tels que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou la mise en place d’outils informatiques de gestion de projet, alors que de nombreux recrutements ont été réalisés ces dernières années.

Le modèle économique d’Expertise France doit ainsi être revu, en s’appuyant sur des exemples étrangers et en envisageant un soutien renouvelé de l’État pour compenser les dépenses liées aux missions de service public. Des travaux sont actuellement menés et se concrétiseront dans un nouveau contrat d’objectifs et de moyens (COM), aligné avec celui de l’AFD pour la période 2020-2022.

Le rapprochement avec l’AFD offrira enfin un certain nombre de réponses aux difficultés économiques rencontrées par Expertise France. Les crédits d’aide publique au développement gérés par l’AFD pourront se traduire par un volume d’activité accru pour Expertise France, tandis que l’adossement à l’AFD sera l’occasion d’améliorer les gains de productivité d’Expertise France en s’appuyant sur les structures de l’AFD.

Plus généralement, l’avenir du « groupe AFD élargi » qui résultera du rapprochement avec Expertise France pourra être examiné en 2020 lorsque la commission des affaires étrangères sera appelée à donner un avis sur le COM de l’AFD qui devrait alors lui être soumis.

Cet examen devrait avoir lieu peu de temps avant ou après l’examen de la loi d’orientation et programmation de l’aide publique au développement française, révision de la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement prévue par cette dernière, qui devrait fixer les principales orientations de l’aide française pour les années à venir.

E.   La future loi d’orientation et de programmation

Le relevé de conclusions du CICID de février 2018 ayant fixé une feuille de route pour l’aide au développement française au cours du présent quinquennat, les orientations ainsi énumérées devraient trouver une traduction législative avec la révision à venir de la loi du 7 juillet 2014 précitée, qui devrait être examinée par le Parlement au cours de la première moitié de 2020.

La loi à venir, qui est encore en cours d’élaboration, a fait l’objet de l’attention soutenue du parlement et, notamment, de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

En décembre 2018, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ont fait parvenir au Gouvernement une liste de demandes issues des différents rapports établis par dans le cadre des deux commissions sur l’aide publique au développement, ainsi que du rapport réalisé par notre collègue Hervé Berville sur la Modernisation de la politique partenariale de développement à la demande du Président de la République et publié en septembre 2018. Les recommandations ainsi transmises étaient regroupées en sept chapitres :

– une stratégie forte et lisible pour l’aide publique au développement française ;

– un pilotage politique de l’aide publique au développement raffermi autour d’une gouvernance renforçant la cohérence et la complémentarité des actions ;

– des financements bilatéraux et multilatéraux mieux articulés ;

– la préservation des acquis de l’expertise internationale française au service d’une approche globale du développement ;

– la consolidation les partenariats avec les entreprises privées, la société civile et les collectivités territoriales ;

– le renforcement de l’appropriation par nos concitoyens de la politique publique d’aide au développement ;

– le renforcement de l’évaluation de l’APD afin de développer une véritable culture du résultat.

À ces demandes s’ajoutait celle de l’inscription dans la loi de la trajectoire financière prévue par le CICID de février 2018, et notamment de l’objectif consistant à atteindre une dépense de 0,55 % du RNB en 2022, ce qui signifie concrètement que la loi attendue devra être une loi non seulement d’orientation, mais également de programmation.

Le texte a plus généralement fait l’objet d’une large concertation, en interministériel et avec la société civile. Une consultation des parlementaires et de la société civile a eu lieu de l’automne 2018 au printemps 2019, notamment dans le cadre du Conseil national de la solidarité et du développement international (CNDSI), instance de consultation officielle des acteurs non étatiques de la politique de développement, et de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD). Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) sera par ailleurs consulté sur le futur projet de loi, conformément aux dispositions constitutionnelles en vigueur.

Un « Cadre de partenariat global » – proposé par le « rapport Berville » – devrait être annexé au projet de loi, ainsi qu’une liste d’indicateurs de résultat de l’aide. Il présentera un nouveau narratif pour la politique de développement de la France, axé sur la protection des biens publics mondiaux et la lutte contre les inégalités mondiales, qui convainque les Français de l’utilité de l’effort accru en matière d’APD. Les priorités de notre action diplomatique en matière d’éducation, de jeunesse, de santé, de climat, de fragilités et crises, ou encore d’égalité entre les femmes et les hommes, seront rappelées, avec une attention particulière portée à l’Afrique et notamment aux pays les moins avancés (PMA) de ce continent, conformément aux orientations fixées par les conclusions du CICID de 2018.

La loi devra par ailleurs renforcer la transparence et la redevabilité de la politique de développement, grâce à la création d’une commission d’évaluation indépendante. Elle permettra enfin un pilotage politique renforcé de l’État sur ses opérateurs notamment, en France et dans les pays récipiendaires.

 


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   II. L’aide multilatérale en matière de santé

La diminution continue des montants d’aide française au début des années 2010 a amené le CICID de février 2018 à tracer une trajectoire d’augmentation budgétaire devant privilégier l’aide bilatérale, à laquelle doivent être consacrés les deux tiers de l’augmentation du budget de l’APD prévue. Il s’agit donc d’un rééquilibrage en faveur de l’aide bilatérale, mais nullement d’une diminution de l’effort multilatéral de la France.

Les mérites respectifs des deux canaux ont fait l’objet d’un débat qui ne sera probablement jamais tranché car l’aide bilatérale et l’aide multilatérale font toutes deux partie d’un ensemble qui doit être cohérent et équilibré.

L’aide bilatérale permet souvent une action plus rapide et mieux ciblée en faveur des pays relevant des géographies prioritaires du pays donateur. Elle permet à ce dernier de mieux faire prévaloir ses priorités de politique étrangère et d’exercer un meilleur contrôle sur l’usage qui est fait des fonds transférés. L’aide bilatérale permet aussi des interventions plus délicates dans des domaines où les organisations multilatérales hésitent à s’aventurer, notamment tout ce qui relève des pouvoirs régaliens des États bénéficiaires.

Le déséquilibre de l’aide française en faveur du multilatéral ne signifie cependant pas nécessairement l’abandon des objectifs propres de la politique française en matière de développement.

En permettant la mobilisation de montants importants, l’aide multilatérale est a priori avantageuse pour les pays disposant d’un savoir-faire important et d’une présence permanente dans les pays destinataires de l’aide. Une bonne stratégie multilatérale doit donc permettre à un pays contributeur de l’aide d’agir au mieux lorsque ses propres objectifs coïncident avec ceux de l’ensemble des pays contributeurs.

L’aide multilatérale se caractérise cependant par une prolifération d’institutions qui rend son pilotage difficile, voire impossible. Le CAD de l’OCDE répertorie ainsi près de 200 organisations multilatérales éligibles à l’aide publique au développement et plus de 1 700 fonds fiduciaires rattachés. Une telle diversification institutionnelle entraîne des coûts de transaction et des frais de gestion considérables, non seulement pour les bailleurs, mais également pour les pays bénéficiaires qui doivent, à un moment ou à un autre, prendre réception des fonds qui leur sont transférés.

La stratégie française en matière d’aide multilatérale a par ailleurs fait l’objet de critiques concernant l’accompagnement politique et diplomatique des contributions françaises, et, d’une manière générale, la capacité de la France à faire prévaloir ses priorités au sein des différentes instances multilatérales.

Compte tenu de leur nombre important, il est généralement admis que la France a tout intérêt à concentrer l’essentiel ses contributions sur un nombre limité d’organisations et de fonds afin d’y exercer une véritable influence et d’éviter une trop grande dispersion de ses efforts. Ce point a d’ailleurs fait l’objet de l’une des demandes faites par les commissions compétentes du parlement au gouvernement dans le cadre de la préparation de la loi d’orientation à venir.

Votre rapporteur a également déposé un amendement au projet de loi de finances pour 2020 afin qu’il soit remis au Parlement chaque année un rapport sur l’activité du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, les positions défendues par la France au sein de ces institutions ainsi que le détail des opérations financières entre la France et ces dernières.

La réalité est donc un peu plus complexe qu’un simple choix binaire entre deux formes d’aide exclusives. Les organismes multilatéraux et bilatéraux sont souvent amenés à se compléter utilement, ou tout simplement à coordonner leurs actions sur la base d’un simple échange d’informations. La Banque mondiale a ainsi mis en place une stratégie adaptée aux pays en crise et aux fragilités fortement coordonnés avec les actions de l’Union européenne et de l’AFD en Afrique subsaharienne. La Banque mondiale, qui agit dans le cadre de son mandat, s’occupe principalement de gestion fiduciaire et intervient peu dans le domaine régalien ou de la gouvernance. Le renforcement de ses actions vis-à-vis des États fragiles, décidé avec l’appui de la France qui est le cinquième actionnaire de la Banque, se combine cependant avec une coordination plus étroite dans les pays bénéficiaires entre la Banque et les acteurs qui, comme la France, bénéficient d’une plus grande présence sur le terrain et d’une pratique de longue durée dans la région.

F.   La place de la France dans l’aide multilatérale en matière de santé

1.   Le rôle de la France dans l’élaboration des politiques de santé mondiales

C’est toutefois en matière de santé que l’on peut probablement le mieux apprécier les avantages que peut procurer l’aide multilatérale. Depuis les années 2000, l’action combinée d’organismes tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Unitaid et l’alliance Gavi a permis d’obtenir des résultats remarquables, et surtout mesurables.

Ces trois organismes, dont les finalités sont clairement identifiées, ont su depuis presque vingt ans opérer de façon complémentaire, en coordination avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en se dotant de structures réduites.

La France a joué d’une manière générale un rôle important dans l’élaboration des politiques de santé mondiales, et a, dès les années 1990, mis en avant des idées qui ont abouti à la création des institutions mentionnées plus haut.

L’idée fondamentale mise en avant par la France était que pour certaines maladies, identifiées de façon limitative au départ, les réponses nationales ne suffisaient pas et que des réponses internationales s’imposaient, car les aides bilatérales ne paraissaient pas en mesure de garantir la cohérence des actions menées. Les politiques de santé mondiale, pour être efficaces, ne peuvent pas être simplement des politiques nationales additionnées, mais doivent être coordonnées.

La France a également joué un rôle important sur le plan financier. La France est le second contributeur mondial en matière de santé multilatérale, en plus des actions bilatérales qu’elle mène par ailleurs. Elle consacre ainsi 500 millions d’euros par an au Fonds mondial, à l’alliance Gavi et à Unitaid, dont elle reste le premier contributeur avec 1,7 milliard d’euros versé à l’institution depuis sa création, soit plus de 60 % de son budget total. L’engagement français est de 85 millions d’euros par an, et la France envisage d’accroître cet engagement jusqu’à 95 millions d’euros. Aucun pays ne pouvant contribuer seul pour plus de 50 % du budget de l’institution, il faut que d’autres pays augmentent leur contribution ou que de nouveaux contributeurs apparaissent pour que la France puisse accroître sa propre contribution.

La deuxième idée avancée par la France est la nécessité de prendre en considération l’environnement social et humain dans lequel interviennent les politiques de santé. Il ne suffit pas de dérouler des programmes médicaux, il faut également prendre en considération l’environnement social et humain et donner aux personnes malades les moyens d’être entendues et de peser les politiques qui les concernent.

Troisième idée, les politiques de santé mondiale deviennent inefficaces lorsqu’elles ne peuvent pas s’appuyer sur des systèmes de santé solides et cohérents. Quand la France a dû faire face à la crise d’Ebola, il est apparu que l’épidémie progressait plus rapidement là où le système de santé était le plus faible. Les pays qui arrêtent les épidémies ont une organisation, des structures et des protocoles. La France a donc convaincu la communauté internationale d’adopter l’idée de couverture santé universelle. Pour progresser, il faut en effet apporter une couverture sanitaire minimale dont le contenu reste en partie à définir.

2.   La Contribution financière de la France

Du point de vue financier, la contribution française à l’aide publique au développement en matière de santé a été historiquement substantielle. Les données désagrégées pour 2018 par thématique n’étant pas disponibles à ce jour, les données connues portent sur la période 2013-2017.

Les décaissements bruts d’APD de la France consacrés à la santé mondiale en millions d’euros, via le canal bilatéral et le canal multilatéral, sur la période 2013-2017, sont les suivants :

(versements, en millions de dollars)

Type d’aide

2013

2014

2015

2016

2017

Bilatérale

(dons et prêts)

227,6

426,0

151,3

259,3

152,7

Multilatérale imputée

671,9

634,4

644,3

593,3

729,7

Total

899,5

1 060,4

795,6

852,6

882,4

Source : CAD de l’OCDE.

Sur les cinq dernières années, la part du bilatéral dans l’APD française en santé était seulement de 27 %. Le chiffre élevé de l’APD bilatérale en santé en 2014 est dû à l’octroi d’un prêt de 300 millions d’euros à la Colombie.

3.   Origine des crédits par programme

Depuis 2016, les versements de la contribution française au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ont été réalisés exclusivement à partir de ressources extrabudgétaires provenant du Fonds de solidarité et de développement (FSD). Les contributions annuelles versées à l’alliance Gavi via la Facilité internationale de financement pour la vaccination (IFFIm pour International Finance Facility for Immunisation) et à Unitaid proviennent également du FSD.

Le FSD, créé par la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, est alimenté par la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) et par une part du produit de la TTF.

La liste des institutions de développement pouvant bénéficier des ressources du FSD est fixée par le décret n° 2006-1139 du 12 septembre 2006 sur le Fonds de solidarité pour le développement. Les principales sont la Facilité internationale d’achats de médicaments UNITAID, la Facilité IFFIm et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le Fonds vert pour le climat et l’AFD. Avec le dernier décret n° 2016-1684 du 5 décembre 2016, cette liste a progressivement été étendue, à mesure que le FSD disposait de moyens financiers accrus.

Par ailleurs, de 2016 à 2018, une fraction de TTF a été affectée directement à l’AFD.

Le tableau ci-dessous récapitule, pour les années 2018 et 2019, l’utilisation de ces ressources et les projections pour 2020 :

image.pdf

Source : direction générale du Trésor (DG Trésor)

G.   Le renouvellement des acteurs du multilatéral en matière de santé

L’action multilatérale en matière de santé, qui a longtemps reposé pour l’essentiel sur l’OMS et sur les acteurs nationaux et bilatéraux, s’appuie aujourd’hui très largement sur trois organisations créées au début du XXIe siècle afin d’obtenir des résultats décisifs dans la lutte contre les grandes pandémies : Le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, Unitaid et l’alliance Gavi.

1.   Le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme

Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (the Global Fund to Fight AIDS, Tuberculosis and Malaria) est une fondation à but non lucratif destinée à « attirer, … mobiliser et … investir des ressources supplémentaires pour mettre fin aux épidémies de VIH, de tuberculose et de paludisme à l’appui de la réalisation des Objectifs de développement durable établis par les Nations unies ».

La contribution française au Fonds mondial, la deuxième après celle des États-Unis, s’élève à 1,08 milliard d’euros pour le triennium 2017-2019 (360 millions d’euros par an). Mais compte tenu du remboursement de l’arriéré de paiement de 80 millions d’euros issu du précédent triennium (2014-2016), les contributions effectives ou prévues sont de 385 millions d’euros en 2017 et 2018 et de 390 millions d’euros en 2019. 50 % des ressources financières du Fonds mondial sont allouées à la lutte contre le VIH/sida, 18 % à la lutte contre la tuberculose et 32 % à la lutte contre le paludisme. Environ un milliard de dollars sont mobilisés pour le soutien aux systèmes de santé, notamment le financement des chaînes d’approvisionnement, des ressources humaines en santé et des systèmes d’information.

Depuis sa création en 2001, la France lui a versé plus de 4,5 milliards d’euros, soit environ 13 % de ses ressources totales. Sur la même période, le Fonds mondial a contribué à réduire d’un tiers les décès liés aux grandes pandémies et à sauver 27 millions de vies. En 2017, dans la centaine de pays où le Fonds mondial investit, 17,5 millions de personnes vivant avec le VIH bénéficiaient de traitements antirétroviraux, 5 millions de personnes avaient reçu un traitement contre la tuberculose dont 102 000 personnes atteintes de tuberculose multirésistante, et 108 millions de cas de paludisme avaient été traités.

a.   La conférence de reconstitution du Fonds mondial

La France a accueilli jeudi 10 octobre 2019 la sixième conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial. L’objectif de cette conférence était de récolter au moins 14 milliards de dollars pour lutter contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La conférence a réuni des dirigeants venus de pays du monde entier, dont de nombreux chefs d’État, des ministres, mais aussi plusieurs lauréats du Prix Nobel, des chefs d’entreprises et des dirigeants de fondations privées, le chanteur sénégalais et militant antipaludisme Youssou N’Dour, des dirigeants de la société civile et des personnes touchées par les maladies.

L’objectif a été atteint, les donateurs ayant promis 14,02 milliards de dollars pour les trois prochaines années, soit la somme la plus importante jamais recueillie par le Fonds mondial. Ces ressources devraient permettre de sauver 16 millions de personnes et de mettre fin au sida, à la tuberculose et au paludisme. Pour cela, le Président de la République, Emmanuel Macron, a demandé, lors de cette conférence, aux donateurs d’augmenter leur contribution d’au moins 15 % pour atteindre l’objectif. La France et la Fondation Gates ont ajouté 60 millions de dollars chacun.

i.   Les principales contributions

Les États-Unis se sont engagés à fournir 1,56 milliard de dollars par an. Cela représente un tiers des contributions.

Le Royaume-Uni a promis 1,4 milliard de livres sterling pour les trois prochaines années, soit une hausse de 16 %.

L’Allemagne a promis un milliard d’euros, soit 17,6 % d’augmentation.

Le Canada a promis 930 millions de dollars canadiens, soit une augmentation de 16 %.

L’Union européenne a promis 550 millions d’euros, soit une augmentation de 16 %.

Le Japon a promis 840 millions de dollars au Fonds mondial.

De plus, vingt et un pays africains ont fait une promesse de dons au Fonds mondial. C’est la première fois qu’autant de pays de ce continent font une contribution. Pour Jeune Afrique, la baisse de 38 % de la mortalité entre 2000 et 2017 sur le continent africain est la preuve que cette dynamique internationale a produit des résultats incontestables.

Lors de la conférence, plusieurs chefs d’État se sont engagés à accroître les ressources nationales allouées à la santé et à agir à l’appui de la couverture sanitaire universelle.

Le Fonds mondial a aussi accueilli dix-sept donateurs publics qui faisaient une promesse de don pour la première fois ou revenaient après une période d’absence. Quant à eux, les donateurs du secteur privé ont promis plus d’un milliard de dollars. En particulier, la Fondation Bill et Melinda Gates contribuera au fond à hauteur de 760 millions de dollars.

ii.   La contribution française

La France a pour sa part augmenté sa contribution de 20 % pour atteindre 1,429 milliard d’euros (dont les 60 millions supplémentaires). Néanmoins, certaines organisations non gouvernementales attendaient une contribution de la France de 45 % (cf. auditions), le pays n’ayant pas augmenté sa contribution depuis près de dix ans. La France est néanmoins le troisième contributeur cette année derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.

 

La ministre de la santé, Agnès Buzin, a rappelé les efforts de la France en matière de santé mondiale : « Notre engagement se traduit au niveau national par des mesures fortes et ambitieuses :

« Concernant la pandémie du VIH, nous avons notamment fait de la santé sexuelle une priorité de notre action en santé publique, pour réduire le nombre de personnes infectées et vivant avec le virus, et faire évoluer les représentations sociales de la maladie.

« La France est par ailleurs engagée dans l’objectif " zéro paludisme ", en développant notamment un programme ambitieux pour atteindre l’élimination du paludisme au sein des territoires ultramarins de Guyane et Mayotte.

« La France reste également impliquée dans la lutte contre la tuberculose, une maladie dont la gravité s’accroît aujourd’hui, malgré les antibiothérapies disponibles. Cette épidémie appelle à une vigilance renforcée face à la menace de la résistance antimicrobienne.

« Au plan international, la santé mondiale est au cœur des priorités de notre pays. En 2018, la France a consacré près d’un milliard d’euros d’aide publique au développement du secteur de la santé. Pays fondateur du Fonds mondial avec les membres du G8, la France en est le deuxième donateur historique avec plus de 4,6 milliards d’euros de dons cumulés depuis 2002. »

Peter Sands, directeur exécutif du Fonds mondial, a remercié Emmanuel Macron : « Nous sommes extrêmement reconnaissants au Président Macron pour le formidable rôle moteur qu’il a assumé au cours de l’année écoulée. Grâce au soutien sans faille des partenaires et des donateurs du monde entier, nous avons réussi à atteindre cette cible incroyable de 14 milliards de dollars US pour aider à sauver 16 millions de vies. »

2.   Unitaid

Unitaid est une organisation internationale dont la mission est d’optimiser l’efficacité des actions en santé mondiale en ayant un rôle catalyseur pour élargir l’accès équitable à de meilleurs produits de santé. En 2019, Marisol Touraine a été élue présidente de son conseil d’administration.

Unitaid n’est ni une agence de recherche, ni une agence de déploiement de programmes. Son rôle consiste à chercher des solutions à des problèmes précis. Par exemple, constatant que les traitements pour le sida ne sont pas adaptés aux enfants, Unitaid cherche une solution existante mais non déployée pour des raisons identifiées, et intervient pour permettre son déploiement. L’organisation cherche des solutions nouvelles et innovantes lorsque les réponses à des problèmes ne sont pas apportées mais existent.

Unitaid a ainsi contribué aux progrès spectaculaires accomplis dans la lutte contre les trois grandes pandémies, à travers la stratégie dite « 90-90-90 » adoptée par les organisations internationales, stratégie qui vise le triple objectif de 90 % de personnes dépistées, traitées et guéries. Unitaid y contribue par des programmes concrets.

La France, premier contributeur d’Unitaid avec une participation représentant 60 % du budget de l’organisation, a annoncé le versement de 85 millions d’euros par an en moyenne sur le triennium 2017-2019.

Unitaid identifie et accélère la disponibilité de solutions innovantes et abordables sur le marché afin de répondre aux besoins des pays du sud pour prévenir, diagnostiquer et traiter les grandes pandémies. Ces solutions sont ensuite déployées à large échelle par le Fonds mondial, dont la France est le deuxième contributeur. Unitaid a une action catalytique sur les interventions du Fonds mondial auxquelles l’organisation permet de faire davantage avec des moyens plus efficaces et mieux adaptés.

3.   L’alliance Gavi

L’alliance Gavi, qui aura vingt ans en janvier 2020, est un partenariat des secteurs public et privé sur les questions d’immunisation qui a pour but d’accélérer les progrès des pays pauvres dans les possibilités d’accès des enfants à la vaccination et dans la palette de vaccins disponibles. L’alliance rassemble, entre autres, l’expertise technique de l’OMS, la puissance d’achat en matière de vaccins de l’UNICEF et le savoir-faire financier de la Banque mondiale. Elle intègre également les connaissances en matière de recherche et de développement des fabricants de vaccins, les voix des pays en développement et de grands donateurs étatiques et privés telle que la Fondation Bill et Melinda Gates.

L’action menée par l’alliance porte avant tout sur la prévention, quand d’autres acteurs sont plus focalisés sur l’aspect curatif. L’accent est mis sur l’accès équitable à la vaccination. L’alliance agrège la demande d’environ soixante-treize pays, qui représentent entre 60 et 70 % des naissances dans le monde, ce qui lui permet de discuter avec les principaux fournisseurs de vaccins et de négocier un accès équitable à ces derniers, en les mettant à disposition et en facilitant leur accès.

L’alliance unit les pays bénéficiaires, les organisations de santé, les centres de recherche, les groupes pharmaceutiques ainsi que les donateurs, pays ou secteur privé. La particularité de cette collaboration est que les pays récipiendaires sont accompagnés afin qu’ils puissent eux-mêmes, à terme, se prendre en charge. Les pays les plus pauvres contribuent au financement et leur contribution augmente ensuite avec leur PIB.

C’est un modèle qui a marché puisqu’il y a eu un accroissement du taux de couverture, qui atteint environ 80 % pour cinq vaccins de base dans les soixante-treize pays concernés. Il s’agit cependant d’une moyenne et des variations existent, notamment au détriment des États les plus fragiles dont la moyenne est souvent inférieure d’environ 10 %. Cette différence peut entraîner des risques sanitaires assez élevés. En tout état de cause, l’alliance Gavi peut aujourd’hui se prévaloir de 760 millions d’enfants immunisés, soit environ 13 millions de décès évités.

Les pays bénéficiaires sont amenés à terme à contribuer financièrement, et leur contribution à augmenter. Il y a environ trente pays donateurs, dont douze importants.

Au total, la contribution totale de la France à l’alliance Gavi pour 2016-2020 est donc d’environ 400 millions d’euros en contribution directe, environ 350 millions d’euros à travers l’IFFIm d’environ 350 millions, tandis que l’initiative Sahel s’élève à environ 300 millions d’euros.

La France est le sixième contributeur pour la période 2016-2020 (derrière le Royaume-Uni, la Fondation Gates, la Norvège, les États-Unis et l’Allemagne) avec un engagement de 465 millions d’euros. Sa contribution se compose d’une contribution directe sous la forme d’un prêt et d’une contribution à travers la Facilité IFFIm.

Concernant la contribution directe, la France s’est engagée en 2015 à contribuer directement à l’alliance Gavi via une initiative pilote de prêt de 100 millions d’euros entre l’AFD, la Fondation Bill et Melinda Gates et l’alliance Gavi. Il est destiné à accroître la couverture vaccinale dans six pays francophones de la zone sahélienne (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad). La Fondation Gates rembourse le prêt octroyé par l’AFD.

Concernant la contribution à l’IFFIm, la France, aux côtés du Royaume-Uni, est un pays historiquement associé à l’initiative IFFIm qui figure parmi les mécanismes de financement innovant phares lancés depuis 2006. Elle en est le deuxième contributeur (25 % des engagements à l’IFFIm pour 2011-2015). La contribution à l’IFFIm est financée sur le FSD.

Le principe de fonctionnement de l’IFFIm consiste en ce que la France s’engage pour une contribution donnée sur vingt ans, sur la base de laquelle l’alliance Gavi peut lever des fonds de façon immédiate sur les marchés de capitaux. La France est le deuxième donateur de l’IFFIm, derrière le Royaume-Uni. Ce mécanisme permet de passer des commandes importantes (pour environ deux milliards de doses par an) et assez bien sécurisées. Lors de la crise d’Ebola, l’alliance Gavi a pu utiliser l’argent de l’IFFIm pour créer un marché et accélérer le développement du vaccin.

Lors de la conférence de reconstitution de 2015, la France a annoncé un nouvel engagement à l’IFFIm de 30 millions d’euros par an pour un montant total de 150 millions d’euros entre 2022 et 2026, qui porte l’engagement de la France envers l’IFFIm à environ 1 390 millions d’euros (2007-2026). Pour la période 2016-2020, la France versera 365 millions d’euros à l’IFFIm. Une évaluation de l’IFFIm est actuellement en cours, dont les résultats devraient être présentés en 2020.

La vaccination est l’une des interventions en santé les plus efficaces. Chaque dollar investi dans les pays en développement apporte un retour sur investissement de 16 dollars pour le système de santé et de 44 dollars pour la société en tenant compte des conséquences économiques des maladies évitées. Néanmoins, encore 19,9 millions d’enfants sont sous-immunisés. L’alliance joue un rôle central dans le façonnage du marché des vaccins. Ses interventions ont permis des baisses des prix des vaccins pour les pays éligibles et la création de conditions de marché favorables au développement de nouveaux vaccins, auparavant jugés non attractifs par les fabricants. Grâce au financement de l’alliance, le premier vaccin contre Ebola a pu être déployé lors de l’épidémie au Congo en juin 2018.

La France siège par rotation au conseil d’administration avec l’Allemagne et la Commission européenne.

4.   Le rôle de l’Organisation mondiale de la santé

Les trois organisations mentionnées plus haut, le Fonds mondial, Gavi et Unitaid, n’ont pas vocation à fonctionner de manière totalement autonome. Chacune d’entre elles joue un rôle particulier et s’insère dans un dispositif global de santé mondiale où opèrent déjà de nombreux acteurs, nationaux, bilatéraux et multilatéraux.

L’OMS joue donc un rôle central puisque, contrairement à ces trois organisations, elle dispose des structures et des réseaux nécessaires à la mise en œuvre des programmes qu’elles rendent possibles. Le flux de médicaments et de traitements généré par leur action combinée ne peut aboutir au traitement effectif des populations que du fait de l’existence des structures permanentes existantes, celle de l’OMS suppléant lorsque cela est nécessaire celles des États et des autres acteurs bilatéraux ou multilatéraux.

Il convient cependant de rappeler que l’alliance Gavi, le Fonds mondial et Unitaid ont été créés, au début des années 2000, à un moment où l’OMS voyait ses moyens restreints du fait du scepticisme de certains États membres quant à sa capacité à remplir efficacement ses missions. L’OMS a par ailleurs fait face à des limites capacitaires lors de la crise d’Ebola en 2014, avant d’entamer une remontée en puissance qui se manifeste notamment par l’adoption de la stratégie du « triple milliard ». Les trois organisations précitées ont donc été créées en partie pour assumer les missions que l’OMS avait du mal à remplir, mais elles ne peuvent le faire qu’en coordination avec cette dernière, dans le cadre d’un partage des tâches qui a donné des résultats convaincants.

L’OMS a donc pu se recentrer sur son rôle normatif et sur le caractère universel de sa mission en formulant sa stratégie du « triple milliard ».

a.   Le « triple milliard »

Les cibles du « triple milliard » ont été adoptées par l’Assemblée mondiale de la santé en mai 2018, alors que l’OMS célébrait ses soixante-dix ans. Cela a été l’occasion pour l’OMS de faire un bilan de son travail. Parmi les succès de l’action en matière de santé mondiale ont été soulignés l’augmentation de l’espérance de vie, le recul de la mortalité infantile et maternelle ou encore la généralisation de politiques visant à lutter contre les inégalités dans le domaine de la santé. Cependant, de nombreux défis demeurent pour l’OMS qui s’est donné trois principaux objectifs pour 2019-2023 : (1) faire progresser la couverture de santé universelle (CSU), avec un milliard de personnes supplémentaires bénéficiant de la CSU, (2) faire face aux situations d’urgence sanitaire, avec un milliard de personnes mieux protégées et (3) œuvrer pour un meilleur état de santé des populations, avec un milliard de personnes bénéficiant d’une santé et d’un bien-être améliorés. Ces trois piliers du treizième programme général de travail de l’OMS correspondent aux cibles dites du « triple milliard ».

Un investissement de 14,1 milliards de dollars serait nécessaire afin d’atteindre ces objectifs. Cela représente une augmentation du budget de base de l’OMS de 14 %. Le Forum inaugural des partenaires de l’OMS qui s’est tenu à Stockholm en avril 2019 a lancé une discussion afin de trouver des solutions pour atteindre ces montants.

En parallèle, de vastes réformes de l’organisation ont été annoncées en mars 2019. On trouve notamment parmi ces changements une harmonisation des activités du siège et des différents bureaux régionaux et de pays, la création d’une division du scientifique, d’un département chargé de la santé numérique, une division chargée des données, de l’analyse et de la mise en œuvre, d’une académie de l’OMS, d’une division chargée de la préparation aux situations d’urgence. La nouvelle structure institutionnelle de l’OMS repose sur quatre piliers : le pilier des programmes, celui des urgences, celui des relations extérieures et celui du fonctionnement institutionnel.

Le Président de la République s’est engagé en juin 2019 à accueillir l’académie de l’OMS à Lyon. Celle-ci a pour vocation de former des millions de gens via une plateforme numérique de pointe installée sur un campus à Lyon et par le biais d’antennes dans les six régions de l’OMS. On trouvera sur ce campus des environnements d’apprentissage, un centre de simulation d’urgences sanitaires de niveau mondial ainsi que des espaces de collaboration pour la conception, la recherche et l’innovation.

La France fait, par ailleurs, partie des dix principaux contributeurs de l’OMS. Cependant, les donneurs les plus importants sur la période 2018-2019 étaient la Fondation Bill et Melinda Gates, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’alliance Gavi et la Commission européenne.

Si la stratégie de l’OMS change donc pour les cinq prochaines années, l’objectif reste le même depuis la fondation en 1948 selon le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS depuis juillet 2017 : « Il s’agit pour tout être humain d’être en mesure de posséder le meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre. » La réalisation de ces objectifs du « triple milliard » pourrait permettre de sauver 29 millions de vies, d’obtenir jusqu’à 100 millions d’années de vie supplémentaire en bonne santé pour la population mondiale et de faire progresser de 4 % la croissance économique dans les pays à revenu faible ou intermédiaire d’ici 2023.


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   Conclusion

L’aide au développement de la France est aujourd’hui en partie à l’état de projet. L’outil dont nous disposons doit s’adapter à la fois à la hausse budgétaire programmée, mais également aux engagements pris par la France, et surtout aux engagements mondiaux que représentent les Objectifs du développement durable adoptés en 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies.

Le budget 2020 est donc une étape de cette remise à niveau complexe. Les crédits de la mission Aide publique au développement pour 2020 sont compatibles à la fois avec la trajectoire budgétaire du CICID de février 2018 et avec la réorganisation nécessaire de l’aide française, mais il reste à souhaiter que cette réorganisation se poursuive et aboutisse.

Il est également souhaitable que la trajectoire d’augmentation de l’aide ne devienne pas l’horizon de cette dernière. Focaliser l’effort sur un montant global n’est non seulement pas satisfaisant en termes de vision et de stratégie, mais risque en outre d’aboutir à des déséquilibres dans la répartition des crédits, tels que celui observé concernant le montant des autorisations d’engagement correspondant aux dons-projets.

L’adoption de la loi d’orientation et de programmation à venir sera une des conditions à remplir pour que notre aide poursuive cette évolution. La poursuite des objectifs prioritaires énoncés par le CICID en sera une autre, pour que la France apporte sa contribution à la réduction des inégalités mondiales et à la stabilisation du monde à long terme.

Pour ces différentes raisons, votre rapporteur émet un avis favorable sur les crédits de la mission Aide publique au développement.

 


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   Contribution de M. Jean-Paul Lecoq au nom
du groupe GAUCHE DÉMOCRATE ET RÉPUBLICAINE (GDR)

 

Le suivi de l’exécution du budget de l’Aide publique au développement année après année aurait dû être intéressant à mener tant l’ambition affichée du gouvernement sur ce secteur était forte.

 

Dès son élection, le Président de la République avait fixé l’objectif de dédier 0,55 % du PIB à l’Aide publique au développement (APD) d’ici la fin de son quinquennat. Mais la trajectoire proposée était, nous l’avons dénoncée dès le départ, irréalisable. Elle faisait porter l’intégralité de l’effort sur les exercices 2021 et 2022.

 

Comme prévu, les lois de finances de 2018, et de 2019 ont par conséquent été décevantes. Mais une trajectoire mieux réfléchie aurait pu être trouvée sur les trois derniers exercices budgétaires.

 

Pourtant, analysant le projet de loi de finance 2020, la déception a remplacé l’attente pourtant très forte de tous les acteurs de ce secteur. Organisations non gouvernementales (ONG), organisations de la société civile (OSC), et un grand nombre d’acteurs de ce secteur ont dénoncé cette situation.

 

Il ne fait désormais plus aucun doute que l’ambition gouvernementale de dédier 0,55 % du PIB à l’APD ne sera pas tenue. Avec seulement 210 millions d’euros supplémentaires alloués en 2020 à cette mission budgétaire, il sera impossible de tenir le cap.

 

En outre, les débats actuels se tiennent sans visibilité politique, puisque depuis un an la fameuse loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et à la solidarité internationale (LOP-DSI) est sans cesse repoussée.

 

Les arbitrages politiques comme l’évolution budgétaire sont en complet décalage avec le discours et le volontarisme affiché de l’exécutif.

 

Pourtant, l’APD est un instrument qu’il est indispensable de mieux valoriser.

 

Elle permet d’entretenir des liens entre différents pays, contribuant par là à une culture de rapprochement, de connaissance et de paix.

 

Ces liens peuvent être tissés au travers d’institutions multilatérales, au nom de la « communauté internationale », ils peuvent être menés d’État à État, ou encore avec des organisations non gouvernementales (ONG), des organisations de la société civile (OSC) ou des collectivités territoriales.

 

Ces collectivités territoriales sont très impliquées dans cette culture d’échange et de partage que permet l’Aide publique au développement ou les jumelages. À l’échelle locale, cela permet de développer des relations privilégiées, des relations d’amitié et des relations politiques ou économiques.

 

Ses actions permettent aux citoyens de découvrir d’autres pays et d’autres villes, participant à cette culture de paix fondamentale pour bâtir des coopérations fortes sur le long terme.

 

Ce sont les actions comme les jumelages qui ont contribué à l’amitié entre les peuples allemands et français, permettant la fin des guerres sur les sols de nos deux États.

 

Toutes ces activités de jumelage et de mise en place de projets par des collectivités territoriales sont désignées sous le nom de « coopération décentralisée ». Cet outil renforce donc les liens entre les citoyens et contribue à construire des projets au plus près des besoins des populations.

 

S’agissant de partenariats locaux pour l’éducation, l’agriculture, ou l’environnement, l’APD gagne à être valorisée lorsque deux partenaires du même échelon de pouvoir agissent ensemble. Le partage d’expérience entre collectivités locales est irremplaçable pour penser ces partenariats.

 

En France, 4700 collectivités territoriales entretiennent près de 10 700 partenariats avec 8700 autorités locales dans 133 pays. Ce chiffre s’accroît régulièrement. En 2017, plus de cent collectivités territoriales se sont lancées dans la coopération décentralisée.

 

Les collectivités territoriales ont dépensé 116 millions d’euros en 2018 en aide publique au développement. Ce chiffre est toutefois en trompe-l’œil puisqu’environ la moitié de ce budget est consacrée à l’Aide à l’accueil des réfugiés prise en charge par les villes, et ne donne pas une image réelle du montant alloué aux projets menés par ces collectivités.

 

Le ministère des Affaires étrangères estime donc à environ 50 millions d’euros le montant total des projets de coopération décentralisée en 2017, contre 34,5 en 2016.

Environ 90 % de ces montants sont directement utilisés dans les projets ou dans de la coopération technique.

 

Cette aide est d’ailleurs une sorte de clef de voûte cachée du système français de l’APD non gérée par l’État, puisque plus de la moitié de ces sommes sont pilotées sur le terrain par des organisations de la société civile.

 

Cela enclenche un dynamisme dans ce secteur et permet l’émergence d’acteurs qui deviendront ensuite autonomes pour mener leurs propres actions.

 

Malheureusement, la coopération décentralisée est malmenée en France du fait d’une attaque continue depuis près d’une décennie contre les finances locales. Après avoir perdu 9 milliards d’euros de dotation globale de fonctionnement sous le précédent quinquennat, les collectivités sont encore en grande difficulté aujourd’hui.

 

Ainsi, les postes les moins visibles pour les populations ou les moins urgents ont été supprimés ou limités.

 

Peu valorisée par l’État, notamment au titre d’appels à projets complexes à mettre en œuvre pour les petites collectivités, ou du fait de faibles financements « effets de levier », la coopération décentralisée manque aujourd’hui de dynamisme malgré son évidente utilité.

 

Les montants de l’Aide publique au développement des collectivités territoriales comptabilisées sont en baisse depuis cette époque : en 2008, 72 millions d’euros étaient consacrés à l’APD dans les collectivités contre près de 51 en 2017. La stagnation de l’APD hors accueil de réfugiés en 2018 n’augure rien de positif.

 

Malgré cela, l’État français tente, et il faut le saluer, d’améliorer la lisibilité des dispositifs, notamment à travers la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) et de la Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) du ministère des Affaires étrangères.

 

Mais beaucoup reste à faire : le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 2018 a d’ailleurs reconnu dans son 24e point la nécessité pour l’État de relancer cette dynamique par différentes incitations, notamment via un doublement des « fonds destinés au soutien à l’action extérieure des collectivités territoriales d’ici 2022. »

 

Pour l’instant, cet objectif est en cours de réalisation. Le budget de la DAECT est passé de 6,8 millions d’euros en 2018 à 11,5 millions d’euros en 2020. Au vu de ces montants, qui sont relativement faibles, il aurait été possible d’aller encore plus loin, pour viser un objectif à 15 ou 20 millions d’euros. Ces aides créant des effets de levier, cela aurait pu être très bénéfique pour les collectivités territoriales.

 

Mais est-il seulement réalisable dans un contexte où l’accès aux financements de l’État ou de l’Europe reste trop peu visible ou trop complexe à mettre en œuvre pour les collectivités de taille moyenne ou petite ?

 

Il reste d’autre part des obstacles législatifs que ne cessent de mettre en exergue les collectivités : les dépenses liées à la coopération décentralisée entrent dans le plafonnement des dépenses réelles de fonctionnement, limitées à 1,2 % dans l’article 13 de la loi no 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

 

Les communes françaises portent 82 % des projets représentant 23 % du budget total de l’APD. Leur importance est donc cruciale, puisqu’elles créent des projets, et donc des liens entre les populations. Elles permettent aussi d’étendre l’influence de la France, et de la francophonie.

 

L’augmentation de la part de l’Aide publique au développement transitant par les collectivités territoriales permettrait d’ancrer l’importance d’une culture de la solidarité et de la paix dans le cœur battant de la France que sont les villes.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.   AUDITION DE M. JEAN-yves LE DRIAN, ministre de l’Europe
et des affaires étrangères

Au cours de sa réunion du mercredi 3 octobre 2019, la commission reçoit en audition M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Isabelle Rauch, présidente. Mes chers collègues, je suis ravie d’accueillir M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, pour une audition consacrée au budget du Quai d’Orsay, dont les grands équilibres ont été arrêtés en Conseil des ministres vendredi dernier. Notre présidente, Marielle de Sarnez, ne pouvait être présente aujourd’hui et vous prie de bien vouloir l’en excuser.

Notre commission compte neuf rapporteurs budgétaires chargés d’éclairer l’usage des crédits qui financent la diplomatie française. Trois d’entre eux ont la responsabilité d’examiner plus spécifiquement les programmes dépendant très directement du ministère : Anne Genetet pour les programmes 105 Action de la France en Europe et dans le monde et 151 Français à l’étranger et affaires consulaires, Frédéric Petit pour les crédits du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence et Hubert Julien-Laferrière pour le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement.

Il faut relever cette année l’effort particulier réalisé en faveur de l’aide publique au développement (APD). Cette priorité a été rappelée par le Président de la République à l’occasion de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices, à la fin du mois août dernier. Cet effort financier s’accompagnera d’un projet de loi de programmation et d’orientation qui permettra une réforme d’ensemble de la politique d’aide au développement. La présidente Marielle de Sarnez a souhaité que notre commission contribue largement à la réflexion en amont de ce projet de loi. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ses grands axes et sur sa date d’examen prévisible ?

Je vous propose, avant d’aborder les questions proprement budgétaires, de nous éclairer sur les quelques actions très importantes que la France a menées ces derniers mois sur la scène internationale. Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec Mme de Sarnez au téléphone et de lui souhaiter un bon rétablissement ; je lui renouvelle mes vœux de bonne santé. Elle m’avait demandé de faire un point sur la situation internationale et de parler du budget : je vous propose, si vous en êtes d’accord, de faire un point sur l’Assemblée générale des Nations unies, puis de vous présenter le budget, avant de répondre à vos questions.

L’Assemblée générale des Nations unies s’est réunie à New York la semaine dernière. De nombreux sujets ont été abordés concernant les grands enjeux planétaires que sont le climat, la situation en Amazonie, les crises, la santé mondiale. Sur ces sujets que je ne fais qu’évoquer, la France a tenu son rang et joué son rôle. Mais je voudrais faire un point sur deux sujets en particulier : l’Iran et le multilatéralisme, qui ont été l’un et l’autre au centre des préoccupations et de l’action de la France, du Président de la République et de moi-même, au cours de cette semaine.

Tout d’abord, concernant l’Iran, le Président de la République a estimé qu’il y avait un espace politique pour engager un effort de désescalade dans la région. Il l’a estimé lors du sommet du G7 à Biarritz, après des échanges avec le Président Trump. Mon collègue Mohammad Javad Zarif, ministre des affaires étrangères iranien, est ainsi venu à Biarritz pour des échanges approfondis avec moi-même et un entretien avec le Président de la République, afin de tenter de faire baisser la tension.

Toutefois, la tension est ensuite remontée du fait, d’une part, des attaques par drones et par missiles dirigées contre des implantations pétrolières importantes en Arabie Saoudite, le 14 septembre, et, d’autre part, de l’annonce par l’Iran, en tout début septembre, d’une nouvelle mesure de désengagement de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, avec le renoncement à la limitation de la recherche et développement dans la production nucléaire. Je répète ici, avec des mots choisis, que la responsabilité de l’Iran dans les attaques qui ont été menées contre l’Arabie Saoudite est extrêmement plausible ; en tout cas, il n’y a pas d’autre explication plausible et nous l’avons dit publiquement à New York avec le Royaume-Uni et l’Allemagne. Mais, pendant que nous étions à New York, le Président de la République a tenté d’amorcer une nouvelle désescalade, en relation étroite et directe avec le Président Trump et le Président Rohani, en essayant d’établir les paramètres qui permettraient d’aboutir à un accord.

Les paramètres seraient les suivants : d’un côté, l’Iran déclarerait ne jamais se doter de l’arme nucléaire, revenant ainsi en conformité avec l’accord de Vienne, et renoncerait aux mesures prises depuis le mois de mai. De plus, l’Iran s’engagerait dans la construction d’un plan régional de sécurité qui permettrait de traiter les crises de la région, y compris la crise iranienne. De l’autre côté, les États-Unis lèveraient les sanctions économiques qui pèsent sur l’Iran et lui permettraient d’utiliser librement ses ressources pétrolières. Nous avons discuté de ces points à très haut niveau. Je n’aurais pas détaillé tout cela si la presse américaine n’en avait pas parlé ce matin et la presse française cet après-midi.

Ces initiatives n’ont pas pu aboutir pour l’instant mais sont toujours sur la table : il appartient désormais à l’Iran et aux États-Unis de s’en saisir, dans un temps relativement contraint puisque l’Iran a annoncé de nouvelles mesures de réduction de ses obligations au titre de l’accord de Vienne en début novembre. Ces mesures-là risquent d’aboutir à une nouvelle période de tension et à une nouvelle escalade : il faut donc profiter de l’espace politique existant pour essayer d’avancer sur ces sujets. Je voulais vous en informer pour vous apporter l’éclairage nécessaire sur ces questions importantes.

Le deuxième point que je voulais mettre en avant concerne le multilatéralisme. J’ai eu l’occasion de souligner l’attachement viscéral de la France au multilatéralisme, face à tous ceux qui le remettent en cause aujourd’hui, soit du fait de leur désengagement, soit du fait d’un usage du multilatéralisme pour les intérêts de telle ou telle puissance, soit du fait du renoncement à des financements ou à des projets. Il y a, depuis quelques mois, voire quelques années, une logique de déstructuration du multilatéralisme tel qu’il résulte des accords conclus après la dernière guerre. Nous avons souhaité prendre des initiatives pour montrer que les États attachés au multilatéralisme sont encore majoritaires. Il fallait donc pour cela activer le levier de la mobilisation politique des États et des acteurs de la société civile les plus engagés. C’est l’initiative que nous avons prise avec mon collègue allemand Heiko Maas et nous avons été heureusement surpris de constater que, à la réunion de constitution de l’Alliance pour le multilatéralisme, plus de soixante-dix pays étaient présents, dont cinquante au niveau ministériel, venus de tous horizons géographiques et politiques. Cette initiative a pour objet de mobiliser les nations mais aussi la société civile sur un certain nombre de grands sujets, au service de projets concrets et innovants, pour lesquels il est possible d’établir des rapports de force et des propositions concrètes.

Six initiatives ont été évoquées au cours de cette première rencontre, dont le Partenariat Information et démocratie, lancé par Reporters sans frontières pour réguler les manipulations de l’information ; l’initiative Priorité à l’égalité dans l’éducation, lancée par l’UNESCO et reprise par l’Alliance pour le multilatéralisme ; la mise en œuvre de principes sur les systèmes d’armes létales autonomes ; la mise en œuvre du droit humanitaire dans les environnements de conflit ; la prise en compte de l’Appel de Paris pour la sécurité et la confiance dans le cyberespace. Tous ces projets montrent que l’on peut développer le multilatéralisme par la preuve : en revenant aux fondamentaux de l’action collective, en agrégeant les bonnes volontés, la méthode multilatérale permet d’obtenir des résultats rapides et efficaces au bénéfice de tous.

L’initiative que nous avons prise intervient à un moment important, que l’on appelle la « semaine ministérielle » aux Nations unies. Elle a beaucoup marqué car la présence de soixante-dix pays, représentés par de nombreux ministres, a créé un événement. Il ne s’agit pas pour nous de nous substituer aux Nations unies mais au contraire de mettre ces initiatives nouvelles au service des Nations unies, afin de susciter de nouvelles mobilisations sur les sujets majeurs qui concernent l’ensemble de la planète.

Tels sont les deux points que je voulais mettre en avant, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, sur l’Assemblée générale des Nations unies. Je suis tout à fait disposé à vous en parler plus longuement si vous le souhaitez.

Je voudrais maintenant aborder le budget 2020. Celui s’élève à 5,015 milliards en CP et dépasse donc pour la première fois le seuil des 5 milliards d’euros. Il affiche une hausse de 138,5 millions, soit l’équivalent de 3 %, par rapport à la loi de finances initiale pour 2019. Il se décompose en 2,87 milliards pour la mission Action extérieure de l’État, dont les moyens sont stabilisés et même en hausse de 2,3 millions d’euros, et de 2,14 milliards pour le programme 209 de la mission Aide publique au développement, en nette augmentation de 136,2 millions d’euros.

Je veux tout d’abord évoquer la réforme des réseaux de l’État à l’étranger que nous menons dans le cadre d’Action Publique 2022 pour améliorer encore l’efficacité de notre action. Elle permet de mutualiser nos moyens humains et de renforcer la cohérence de l’action interministérielle de nos ambassadrices et de nos ambassadeurs. Cette réforme consiste en une réorganisation du mode de gestion des réseaux de l’État à l’étranger. Elle place le Quai d’Orsay au centre du jeu : le Premier ministre a en effet conforté mon ministère dans son rôle de pilotage interministériel de l’action extérieure de l’État. La gestion des emplois de soutien et des crédits de fonctionnement de tous les réseaux internationaux de l’État est aujourd’hui unifiée sous la seule responsabilité du ministère des affaires étrangères. Nous mettons par ce biais un terme la gestion en silo des ressources humaines et des crédits de l’État à l’étranger pour atteindre la trajectoire d’économie que le Premier ministre nous a fixée, trajectoire équivalente à 5,7 % de notre masse salariale d’ici 2022. Je le précise car vous vous étiez inquiétés, l’année dernière, de l’objectif d’une économie de 10 % de la masse salariale à l’horizon 2022 : grâce à l’action de tous, et singulièrement à la vôtre, cet objectif a été réduit à 5,7 %.

Ces économies nécessaires concerneront d’abord la masse salariale du ministère : nous sommes déjà engagés dans la suppression de 160 emplois de notre réseau à l’étranger en 2019 et nous réaliserons 81 nouvelles suppressions en 2020. Le plafond d’emplois du ministère se trouvera ramené à 13 524 équivalents temps plein travaillé (ETPT) l’an prochain, ce qui représente près de 15 millions d’euros de réduction sur la masse salariale du ministère.

Hors pensions, les crédits de personnel totaliseront 977 millions d’euros en 2020, soit moins d’un cinquième du budget du ministère des affaires étrangères, avec une hausse modérée de 1,6 %. Vous pouvez trouver étonnant que, alors que les emplois diminuent, la masse salariale augmente, mais ce phénomène n’est pas propre à mon ministère : les emplois de l’État ont diminué de plus de 10 % en dix ans, alors même que sa masse salariale augmentait de 10 %. Cela s’explique en grande partie par les mesures catégorielles ou interministérielles ainsi que par le glissement vieillesse technicité (GVT).

Pour ce ministère, un autre élément doit être pris en compte cette année : nous avons amélioré la sincérité de notre projet de budget en présentant une masse salariale qui anticipe les effets de l’inflation mondiale sur les rémunérations des agents expatriés et les agents de droit local de nos ambassades. En effet, les trois quarts des agents du ministère sont en poste à l’étranger et sont donc exposés aux effets de l’inflation mondiale, nettement supérieure à l’inflation en France. Jusqu’à présent, nous vous demandions de prendre cela en compte a posteriori, lors du vote d’une augmentation de notre masse salariale en loi de finances rectificative : il fallait continuer à renégocier en fin d’exercice. Pour la première fois, dans le projet de loi de finances pour 2020, nous avons pu obtenir que la provision soit intégrée dès le budget initial ; elle est estimée à 15 millions d’euros.

Par ailleurs, j’ai obtenu que le risque d’une perte au change soit couvert par la mobilisation de notre réserve de précaution. C’est une évolution importante puisque les risques de change sont réels, même si nous essayons de les anticiper. Cela assure une plus grande sincérité du budget, mais aussi une plus grande clarté et un plus grand confort dans la gestion de la masse salariale.

J’en viens à nos deux missions budgétaires, hors masse salariale. Dans le cadre de la mission Action extérieure de l’État, les moyens du programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde sont maintenus à 1,13 milliard ; le programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires se maintient avec 136 millions d’euros ; enfin, le programme 185 Diplomatie culturelle et diplomatie d’influence augmente de plus de 3 %. J’avais pris devant vous l’engagement non seulement de ne pas diminuer – c’était le cas auparavant – mais même d’augmenter progressivement les financements affectés à la diplomatie culturelle et d’influence. C’est encore le cas cette année, de manière d’ailleurs plus significative que l’année dernière : les moyens de notre réseau politique d’influence sont en hausse et les moyens de notre réseau consulaire sont stabilisés.

Je voudrais, sur la mission Action extérieure de l’État, faire quatre remarques. Première remarque, il nous faut des crédits de fonctionnement adaptés à nos besoins pour nous permettre de travailler. Les crédits des services centraux et des postes sont donc en légère hausse. La réforme des réseaux de l’État, à laquelle je faisais référence en commençant, nous permet en outre de dégager une économie de 3 millions d’euros sur les moyens de fonctionnement du réseau. Ces économies seront permises notamment par la renégociation des contrats de prestations de services, désormais unifiés par nos ambassades ; cela fera par exemple baisser le coût de nos factures de téléphone, puisqu’il y avait des prestations spécifiques pour chacun des services. Autre exemple d’efficacité, cela permet aussi de rationaliser le parc automobile des ambassades.

J’ai veillé également à augmenter les moyens de l’entretien de notre patrimoine à l’étranger. Le budget immobilier passe de 72 à 80 millions d’euros, soit une augmentation de 9 %. Comme je m’y étais engagé devant vous, nous avons stoppé l’hémorragie de nos biens immobiliers à l’étranger, qui constituent des outils de travail majeurs et dont le rôle, en termes d’influence et d’attractivité, est indéniable. Nous mettons l’ensemble des considérations que je viens d’indiquer dans la balance avant d’engager une cession, et pas uniquement les considérations financières. Cela s’accompagne également du renforcement de notre budget immobilier. Ce faisant, je réponds à des demandes qui avaient été exprimées ici l’année dernière : si vous me permettez l’expression, je suis au rendez-vous !

Je vous confirme par ailleurs – c’était un engagement de ma part – que le plan de sécurisation de nos ambassades et des lycées français sera poursuivi en 2020. Je vous rappelle que 100 millions d’euros ont été rendus disponibles à cette fin, en 2019 et 2020, sur les crédits du compte d’affectation spéciale 723. Nous mobilisons des moyens croissants pour faire face aux menaces qui pèsent sur nos implantations à l’étranger, en particulier sur certains sites. Ce programme sera complètement réalisé en 2020.

Ma deuxième remarque concerne les crédits de la diplomatie culturelle et d’influence : en hausse de 3 %, ils atteignent 643 millions d’euros. Cette évolution inverse de celle initialement prévue dans la loi de programmation des finances publiques est donc conforme aux engagements que j’ai pris. Dans un contexte de concurrence d’influence exacerbée au plan international, cela est indispensable pour promouvoir l’enseignement et la diffusion de notre langue, porter notre vision de la culture et défendre nos industries culturelles et créatives. J’ai fait des industries culturelles et créatives l’axe majeur de travail en 2019-2020 tant pour nos postes que pour notre diplomatie économique.

Par ailleurs, les moyens de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) seront augmentés de 24,6 millions d’euros. Notre subvention à cet opérateur atteindra ainsi 408,6 millions. C’était un engagement que j’avais pris : là aussi, je suis au rendez-vous. Notre rôle est de continuer à accompagner le développement maîtrisé du réseau d’établissements d’enseignement français à l’étranger, en particulier là où les communautés françaises se développent rapidement. Ces moyens supplémentaires aideront à atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans le réseau d’ici 2030. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès de moi, viendra dans quelques jours présenter devant votre commission le plan de travail que nous avons préparé en nous appuyant en particulier sur les travaux de Mme Samantha Cazebonne ; ce plan de travail sera public dans peu de temps. Enfin, la participation financière des familles sera ramenée de 9 % à 6 %, conformément aux engagements que j’avais pris devant vous. L’année dernière, vous aviez beaucoup protesté et cette détermination de la commission se traduit par une concrétisation financière très significative.

Troisième remarque, nous consacrerons les deux tiers des crédits du programme 105, soit 721 millions d’euros, aux contributions européennes et internationales. La réduction du coût des opérations de maintien de la paix – 307 millions, en baisse de 19 millions d’euros – permet de compenser la hausse de nos contributions aux organisations internationales – elles s’élèvent à 414 millions d’euros –, qu’elles soient européennes, comme le Conseil de l’Europe, ou internationales, principalement sur les projets de sécurité collective ou sur les opérations d’influence, comme le soutien de nos compatriotes jeunes experts associés dans les organisations internationales. Nous poursuivrons aussi notre investissement dans notre sécurité nationale et les moyens dédiés à la coopération de sécurité et défense sont stables, à hauteur de 32,5 millions d’euros, afin de renforcer les capacités de nos partenaires à lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée.

Enfin, quatrième remarque, nos Français résidant ou de passage à l’étranger constituent un vecteur d’influence et d’attractivité considérable. Nous poursuivons donc la modernisation de notre action consulaire pour leur assurer un meilleur service public grâce à une dématérialisation accrue de leurs démarches administratives. Près de 4,5 millions d’euros seront dédiés en 2020 aux quatre projets emblématiques que nous menons de front : le vote par internet, le site de réponse téléphonique et courriel unique – je salue à cet égard le travail effectué par Mme Genetet –, France-Visas et le registre d’état civil électronique.

À ce propos, l’ordonnance permettant l’expérimentation du registre d’état civil électronique est passée ce matin en conseil des ministres : nous pourrons donc mettre en œuvre cette expérimentation en 2020. Il s’agit d’une innovation considérable, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de la signature de l’officier d’état civil sur les actes électroniques. Cette modernisation de fond permettra de supprimer certains coûts et évitera aux Français d’effectuer parfois plusieurs centaines de kilomètres pour venir chercher tel ou tel acte d’état civil.

Je vous confirme par ailleurs que l’enveloppe des bourses scolaires sera préservée à hauteur de 105 millions d’euros. En cas de besoin supérieur, la soulte accumulée par l’AEFE, liée à la sous-consommation des crédits les années passées, permettra en toute hypothèse de couvrir l’ensemble des besoins.

Je voudrais aussi profiter de cette évocation de notre réseau consulaire pour vous rappeler que le travail des agents de mon ministère apporte aussi des recettes directes au budget de l’État. Ces recettes ont été de 239 millions d’euros l’an passé : 21 millions d’euros pour les droits de chancellerie et 218 millions d’euros pour les droits de visa. Compte tenu de notre politique d’attractivité touristique et du développement touristique que nous constatons, ainsi que de la croissance continue du nombre de Français à l’étranger, je ne doute pas que ces recettes continueront d’augmenter.

J’en viens maintenant à la deuxième mission budgétaire de mon ministère : l’APD. Je voudrais au préalable faire une précision de méthode importante : comme vous le savez, l’APD correspond à l’agrégation de dépenses très diverses dont le recensement obéit à des standards très précis établis par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous ne dérogeons pas à ces principes et les comparaisons entre les différents acteurs au niveau international sont faites sur la base de ces standards.

L’aide au développement concerne les dépenses relatives aux réfugiés, les dépenses de recherche dans le domaine du développement, qui sont inscrites dans d’autres programmes budgétaires. S’y ajoutent des flux financiers : les prêts de la France à des institutions multilatérales, les prêts de l’Agence française de développement (AFD) comptabilisables en APD, des dépenses relevant d’autres entités publiques de l’État, la part des financements français transitant par l’Union européenne, les agences de l’eau, etc. Cette agrégation de dépenses aboutit au montant de l’APD, que ce soit en France ou ailleurs. Au sein de cet ensemble hétérogène, la mission budgétaire Aide publique au développement, qui correspond pour l’essentiel aux dépenses pilotables, ne compte que pour un tiers environ du total.

Cette mission budgétaire est elle-même composée de deux programmes : le programme 110 Aide économique et financière au développement, qui est géré par le ministère de l’économie et des finances, avec 4,48 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 1,14 milliard en crédits de paiement (CP) ; et le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, qui est sous ma responsabilité.

Le programme 209, hors dépenses de personnel, représente 2,68 milliards d’euros en AE et 1,98 milliard d’euros en CP, soit plus de 50 % de notre budget global. Cette hausse de 128 millions d’euros en comparaison avec 2019 nous permettra de poursuivre une trajectoire ascendante de l’APD, dans la perspective d’y consacrer 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) d’ici 2022 conformément à l’engagement du Président de la République, qui l’a encore rappelé fin août, lors de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices.

Nous avons d’ores et déjà redressé largement notre trajectoire d’APD, qui avait atteint son niveau le plus bas en 2016 avec 8,6 milliards d’euros. En 2018, dernière année dont les chiffres sont validés par l’OCDE, nous avons réalisé 10,3 milliards d’euros d’APD, soit 0,43 %. Si nous n’avons pas encore les chiffres pour 2019, ce pourcentage sera évidemment en hausse car le budget 2019 était déjà en progression. Le futur projet de loi de programmation relative à la politique française de développement visera, entre autres, à présenter les ordres de grandeur de l’APD sur la période 2020-2022 avec l’objectif d’atteindre 0,55 %.

Les priorités pour l’APD en 2020 resteront celles fixées par le comité interministériel de la coopération internationale du développement (CICID) du 8 février 2018 : des priorités sectorielles – climat, santé, éducation, traitement des fragilités et prévention des crises, égalité entre les femmes et les hommes – et des priorités géographiques assumées – l’Afrique en général, dont dix-neuf pays prioritaires en particulier, et les pays en crise.

Plus précisément, l’action que nous menons grâce au programme 209 repose sur une logique triple : d’abord, la logique bilatérale. Pour établir les leviers d’action directs de la France sur nos priorités géographiques et sectorielles, nous poursuivons la dynamique entamée l’an passé, qui avait d’ailleurs reçu l’accord unanime de la commission, visant à renforcer la composante bilatérale de notre APD d’ici 2022. Nous maintenons l’objectif d’allouer les deux tiers de la hausse moyenne des AE à des actions bilatérales et un tiers à la coopération multilatérale.

Dans ce contexte, trois vecteurs de notre aide bilatérale seront particulièrement privilégiés en 2020.

Premièrement, les moyens consacrés localement aux projets initiés par les ambassades, les fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), dont vous avez sans doute entendu parler au cours de vos déplacements ; vous savez l’attachement des postes à cette disponibilité. Les FSPI atteindront 60 millions d’euros, soit plus 36 millions par rapport à la loi de finances initiale de 2019. Ces programmes, qui sont directement à la main des ambassadeurs, sont très efficaces pour financer des projets très concrets dans un temps court, en conformité avec nos engagements de Ouagadougou et en complément de l’action de l’AFD. Je citerai un exemple : à Madagascar, nous contribuons au renforcement de la formation professionnelle en accompagnant, d’une part, la professionnalisation de l’offre de formation via un FSPI spécifique et, d’autre part, en contribuant à la création de la première école d’ingénieurs utilisant l’alternance à Madagascar à travers un financement AFD. Il y a donc une complémentarité entre l’immédiateté de la mobilisation du FSPI et l’action à plus long terme opérée par l’AFD.

Deuxième priorité dans le bilatéral : l’aide humanitaire bénéficiera d’un effort budgétaire supplémentaire de 100 millions, comme l’a souhaité le Président de la République. C’est la première fois que de tels montants sont dédiés aux crises humanitaires. Cela permettra notamment d’augmenter de 50 % les moyens consacrés à la gestion et à la sortie de crise, pour atteindre 155 millions d’euros, conformément à la stratégie humanitaire française de 2018.

Troisième priorité dans le bilatéral : une nouvelle augmentation, à un rythme moins soutenu, des moyens alloués à l’AFD depuis 2018 au titre de l’aide projet, qui reste l’instrument central de l’aide bilatérale. L’aide projet AFD sera dotée de plus d’un milliard d’euros en AE, soit un doublement par rapport à 2018. Même si cela est inférieur à ce que certains espéraient pour 2020, il n’empêche que ce sont les CP qui comptent et non les AE, comme vous me l’aviez rappelé avec raison l’année dernière. Or, 475 millions d’euros en CP seront consacrés à l’aide projet AFD, auxquels s’ajouteront les 186 millions d’euros de crédits extrabudgétaires imputés au Fonds de solidarité pour le développement (FSD), soit une hausse de 44 % – excusez du peu ! Je rappelle d’ailleurs que l’OCDE calcule en CP et non en AE.

Dans cet ensemble, les fonds destinés à soutenir l’action de la société civile augmenteront. Ainsi, en 2020, la subvention Dons aux ONG – organisations non gouvernementales – mise en œuvre par l’AFD dépassera pour la première fois le seuil de 100 millions d’euros, conformément aux engagements que j’avais pris devant les ONG. Le soutien au dispositif de volontariat sera également en hausse pour s’établir à près de 22 millions d’euros, soit plus 8 % par rapport à l’an dernier.

Par ailleurs, les crédits relatifs à la coopération décentralisée, sujet de préoccupation pour beaucoup d’élus, augmenteront de 24 % pour atteindre 11 millions d’euros avec pour objectif, je m’y étais engagé, leur doublement d’ici 2022. C’est un relais d’influence majeur pour notre image dans le monde mais aussi un canal d’intervention important pour notre aide au développement ainsi que pour la promotion et l’attractivité de nos territoires à travers le monde. Nous comptons beaucoup sur les collectivités, en particulier pour la mobilisation en faveur du développement de la zone Sahel et aussi pour la préparation du sommet Afrique-France, qui aura lieu en 2020 à Bordeaux et dont le thème central sera consacré à la ville durable. Au titre des leviers bilatéraux, je n’oublie pas les autres opérateurs agissant dans le domaine du développement comme Expertise France, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ou le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).

Notre action en matière de développement répond aussi à une logique multilatérale. La France est déterminée à préserver un multilatéralisme efficace et responsable, ce qui suppose d’apporter un soutien politique et financier conséquent au système de développement et d’aide humanitaire des Nations unies, en lien avec les priorités que nous nous fixons en faveur de la jeunesse et de l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est pourquoi notre appui volontaire en faveur des organisations internationales atteindra 292 millions d’euros en CP en 2020, soit 97 millions de plus que l’an dernier. Il soutiendra l’action des agences des Nations unies impliquées dans l’action humanitaire : le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), l’Office international pour les migrations (OIM), l’ONU Femmes, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP). Nous poursuivrons par ailleurs nos efforts en faveur de l’éducation en augmentant notre contribution à l’UNESCO dédiée à l’employabilité des jeunes, notamment des jeunes filles adolescentes. Enfin, nous accentuerons notre appui financier à la nouvelle académie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont l’ambition est d’accueillir les professionnels mondiaux de la santé sur notre territoire, à Lyon. Nous aurons l’occasion d’en reparler la semaine prochaine car cela fera l’objet d’une communication importante lors de la réactivation du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui se tiendra à Lyon, les 9 et 10 octobre.

Par ailleurs, l’enveloppe consacrée aux autres contributions volontaires hors Nations unies quadruplera presque et atteindra 100 millions d’euros. Ces contributions répondent à des engagements pris dans le cadre du G7 et sont axées sur les priorités définies lors du dernier CICID : les fragilités, dont la facilité de l’Union européenne pour les réfugiés en Turquie ou au fonds Bêkou pour la République centrafricaine ; le Partenariat mondial pour l’éducation ; le climat, avec le financement pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), pour les Systèmes d’alerte précoce en cas de risque climatique (CREWS) ou encore l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI).

Dans cette même rubrique, l’égalité entre les femmes et les hommes sera aussi abondée de façon très conséquente, en particulier par notre contribution à la conférence « Pékin+25 », à l’initiative pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique (AFAWA) de la Banque africaine de développement, et enfin sur la santé, ou encore au Fonds Mukwege, destiné à lutter contre les violences sexuelles faites aux femmes. N’oublions pas non plus le facteur important d’influence que constitue la francophonie, avec une contribution statutaire et volontaire versée aux opérateurs de la francophonie et, en particulier, à l’Organisation internationale de la francophonie, dont le montant demeure à un niveau élevé 
– 47,9 millions –, permettant à la France de consolider son rôle dans ce domaine.

En outre, plusieurs de nos contributions multilatérales dans le domaine de la santé, de l’éducation et du climat resteront, comme les autres années, financées partiellement ou totalement par le FSD, alimenté par deux taxes affectées : la taxe sur les transactions financières et la taxe de solidarité sur les billets d’avion. Ce sera le cas pour le Fonds vert pour le climat, dont la prochaine conférence de reconstitution se tiendra à Paris fin octobre, avec un doublement de la contribution française. Ce sera le cas également du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, du fonds UNITAID ainsi que du Partenariat mondial pour l’éducation.

Enfin, notre politique de développement se déploie aussi selon une logique européenne. La moitié des crédits du programme est destinée à alimenter, à hauteur de 842 millions d’euros, le Fonds européen de développement, dont les objectifs sont d’éradiquer la pauvreté, de promouvoir le développement durable et d’intégrer dans l’économie mondiale les pays signataires de la convention de Lomé et de l’accord de Cotonou. Il s’agit, de loin, du plus gros poste budgétaire du ministère, qui permet à la France d’assurer son rang de deuxième contributeur au Fonds européen de développement. Nous veillerons dans ce cadre à ce que nos priorités soient bien prises en compte dans le futur cadre financier pluriannuel européen, le CFP 2021-2027, qui est déjà en discussion. Nous insisterons pour que la priorité soit donnée à l’Afrique, aux pays les moins avancés ou encore à la lutte contre le changement climatique. La forte adéquation entre ces priorités européennes et les priorités françaises participe de la cohérence de notre politique de développement et de solidarité internationale.

Parallèlement à la rénovation du cadre juridique par la future loi de programmation que je présenterai, notre politique d’APD bénéficiera d’un pilotage politique renforcé. Le Président de la République a souhaité organiser un conseil de développement autour de lui, qui se réunira en octobre : le calendrier de la loi de programmation sera entériné à cette occasion. Par ailleurs, j’ai réactivé le conseil d’orientation stratégique de l’AFD, qui s’est réuni en 2017 et en 2018. Enfin, à l’étranger, des conseils locaux de développement seront systématiquement mis en place sous l’autorité de l’ambassadeur ; ils réuniront l’ensemble des acteurs pour mettre en œuvre les priorités fixées par une stratégie unique.

Voilà, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, ce que je voulais vous dire sur le budget 2020 que je viens d’avoir l’honneur de vous présenter.

Mme Isabelle Rauch, présidente. Monsieur le ministre, je vous remercie pour cette présentation. Vous avez été très attentif aux remarques que nous vous avons faites l’année dernière et je fais le pari que vous le serez tout autant à celles que nous vous ferons cette année. Si j’en juge par le nombre d’orateurs inscrits, elles seront nombreuses !

Je donne d’abord la parole aux orateurs des groupes.

Mme Anne Genetet. Monsieur le ministre, au nom du groupe La République en Marche, je vous remercie infiniment pour votre exposé. Il a porté en grande partie sur l’APD et je laisserai à mes collègues Hervé Berville et Hubert Julien-Laferrière le soin de revenir sur cette question.

Je voudrais, avant toutes choses, saluer l’engagement de nos agents dans tous nos postes diplomatiques, car ils font face à des défis importants. Je voudrais également saluer la ténacité avec laquelle vous êtes parvenu, monsieur le ministre, à défendre le budget de votre ministère. Vos prédécesseurs n’ont pas toujours fait de même et je vous avoue que j’ai du mal à comprendre pourquoi vous êtes obligé de faire autant d’efforts pour défendre votre budget.

Au fond, je me demande si votre ministère est suffisamment connu. On voit bien que son utilité est très souvent questionnée, non seulement par le ministère des finances, qui vous mène la vie dure, mais aussi par la presse et l’opinion publique – je le constate souvent sur les bancs de l’hémicycle.

Je rappelle que vous avez une triple, et même une quadruple casquette, puisque vos missions concernent : les relations internationales bilatérales, c’est-à-dire la diplomatie au sens le plus noble du terme ; le multilatéralisme, à travers notre présence dans les instances internationales, qui est durement « challengée » en ce moment – si vous me permettez cet anglicisme ; nos communautés à l’étranger, soit près de 3 millions de Français établis hors de France et plusieurs millions qui sont de passage ; les visites officielles, enfin, qui sont particulièrement chronophages. À travers ces missions, vous défendez notre influence dans le monde, notre présence au sein des instances internationales et notre attractivité, laquelle entraîne une création de valeur, dont nous avons particulièrement besoin aujourd’hui.

Ces missions sont d’autant moins faciles à remplir que l’on vous demande, depuis plusieurs années, d’importants efforts budgétaires. Les rapports se succèdent et se ressemblent pour saluer les efforts que votre ministère a réalisés avec constance depuis dix ans, et qui ont notamment abouti à une diminution de 30 % de ses effectifs. Cette année, un effort supplémentaire vous a été demandé, avec la mutualisation des fonctions support. Si cette mutualisation est une bonne idée sur le papier, votre ministère y a plutôt perdu, alors que d’autres y ont gagné : c’est l’une des conclusions de la mission flash que je mène actuellement sur ce sujet. On vous demande de procéder à une nouvelle réduction de la masse salariale mais elle sera, et c’est heureux, moins importante que celle initialement prévue. Enfin, des sénateurs ont fait paraître la semaine dernière un rapport au vitriol sur la situation paradoxale de votre ministère, qui connaît à la fois une augmentation de la masse salariale et une baisse de ses effectifs.

Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour mieux faire connaître votre ministère et pour que chacun prenne conscience de l’importance de votre rôle, qui consiste à faire entendre notre voix sur la scène internationale ? Qu’est-ce qui « cloche » aujourd’hui pour que l’on continue à « saigner » votre ministère ? Même si j’ai bien conscience que des efforts sont demandés à tous les ministères, le vôtre est l’un de ceux qui ont le plus petit budget et vous nous avez souvent dit que vous étiez à l’os. Pourquoi continue-t-on de réduire vos moyens, ce qui vous oblige à couper toujours plus de têtes ? Comment en est-on arrivé à une situation où nos ambassadeurs sont obligés de trouver des financements auprès d’entreprises privées – ce qui pose la question de l’indépendance de notre action ? À l’heure où vous prenez des engagements à l’horizon 2022, comment comptez-vous préserver la passion de vos agents au service de notre pays ?

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être présent aujourd’hui parmi nous. Je laisserai à mes collègues du groupe Les Républicains le soin de vous interroger sur les questions d’actualité, car je souhaite me concentrer sur votre budget pour 2020. Il est certes marqué par une augmentation de 3 % des CP, mais aussi par une baisse de 6 % des AE. Comme ma collègue Anne Genetet, je m’interroge sur cette baisse. Alors que votre ministère a déjà énormément contribué à l’effort budgétaire au cours des dernières années, on lui demande encore quatre-vingt-une nouvelles suppressions de postes en 2020.

Je concentrerai mon intervention sur l’APD, puisque vous en avez fait un axe important de votre exposé. Cette année, les CP de l’APD augmentent de 7 %, mais les AE baissent de 11 %. Vous nous dites que les CP sont plus importants que les AE : c’est donc que nous avions raison l’année dernière ! Si l’on ne peut que se réjouir de cette hausse de 7 %, on reste tout de même très loin des promesses présidentielles, ce qui pose la question de votre trajectoire. Le Président de la République s’est engagé, et nous l’approuvons, à ce que l’APD atteigne 0,55 % du revenu national brut en 2022 et 0,7 % en 2025. Vous lui consacrez 128 millions d’euros de plus en 2020. Pouvez-vous nous dire quel pourcentage du RNB l’APD représentait en 2019 et ce qu’elle représentera en 2020 ? Je crois me rappeler que nous étions à 0,43 % en 2018, d’après les chiffres de l’OCDE.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. C’est effectivement l’OCDE qui calcule ce pourcentage, en se fondant uniquement sur les CP. L’année 2019 n’étant pas terminée, je ne dispose que des chiffres de l’année 2018. Je rappelle qu’en 2018, l’APD a atteint 10,3 milliards d’euros, soit 0,43 % du RNB, ce qui est conforme au CICID. Nous sommes dans la bonne trajectoire : ce n’est pas moi qui le dis, mais l’OCDE.

Mme Bérengère Poletti. Vous allez tout de même devoir, au cours des deux prochains exercices budgétaires, consentir un effort largement supérieur à celui que vous avez réalisé depuis le début du quinquennat, à hauteur de 1,6 milliard d’euros. Même si tout ne se résume pas à la question des moyens, c’est une question importante, et nous sommes encore loin des 15 milliards d’euros promis par le Président de la République.

J’aimerais également avoir un éclaircissement sur la répartition des crédits entre le multilatéral et le bilatéral et sur le choix que vous semblez avoir fait de favoriser le premier au détriment du second. Je note par exemple que les AE de l’aide projet baissent de 34 %, même si ses CP augmentent de 4 %. C’est sans doute parce que tous les crédits n’ont pas été dépensés, mais j’aimerais avoir une explication à ce sujet.

Enfin, vous augmentez les crédits des FSPI, pour les porter à 60 millions d’euros : c’est une bonne chose, même si je note que vous les aviez réduits l’an dernier. Si, ces crédits avaient baissé ! Ils représentaient 36 millions d’euros il y a deux ans et 24 millions d’euros l’année dernière.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je n’ai pas tous les chiffres en tête, mais je n’ai pas ce souvenir. J’assume parfaitement, en revanche, l’augmentation significative des crédits destinés aux FSPI cette année, car elle est tout à fait indispensable.

M. Bruno Joncour. Monsieur le ministre, au nom du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, je vous remercie de votre intervention, au cours de laquelle vous avez rappelé les priorités qui sont les vôtres à la tête de votre ministère et de la diplomatie française. Ce budget concrétise l’engagement du Président de la République de voir les crédits de l’APD atteindre progressivement 0,55 % du RNB d’ici 2022. Le respect de cet engagement est particulièrement important, dans un contexte international où les tensions et les crises migratoires, climatiques, environnementales et politiques sont de plus en plus fortes et appellent des réponses à la hauteur. Notre diplomatie doit être à la pointe de ces combats et votre budget traduit, dans les faits, l’engagement de la France.

Nous tenons également à saluer l’effort important que vous faites pour soutenir notre réseau d’enseignement français à l’étranger, qui est essentiel pour l’avenir. Le Président de la République s’est fixé comme objectif de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans ces établissements à l’horizon 2030, et le soutien que nous apportons dès aujourd’hui à ce réseau témoigne de notre confiance en cette institution. À cet égard, la cohérence voudrait que nous prêtions attention aux difficultés que rencontrent les étudiants étrangers désireux d’étudier en France : je veux ici pointer la question délicate des frais d’inscription et de la délivrance des visas, qui a suscité et continue de susciter beaucoup d’incompréhensions et des inquiétudes légitimes.

Plus que jamais, le budget du ministère de l’Europe et des affaires étrangères doit refléter l’engagement international de la France, dont le principe est la recherche d’une réponse concertée et multilatérale aux défis du monde. Le développement économique des pays les plus pauvres et le rayonnement culturel de la France sont deux politiques qui nous semblent aller de pair. Toutefois, il faudra nous assurer de l’augmentation effective des moyens de l’APD : c’est l’objet de la réforme en cours de l’AFD, ainsi que de la loi à venir qui doit encadrer la politique de l’APD, avec un pilotage politique renforcé. Cela pose la question du type d’actions que l’aide octroyée par la France a vocation à soutenir. Si, comme beaucoup le pensent, la question migratoire est le principal enjeu à venir, que pensez-vous de la proposition d’orienter prioritairement l’APD vers les pays de forte émigration ?

M. Alain David. Monsieur le ministre, je souhaiterais, au nom du groupe Socialistes et apparentés, vous interroger sur les crédits de l’audiovisuel extérieur, dont je suis rapporteur pour avis. Vous avez déclaré devant la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices, le 29 août dernier : « Il n’y a plus de soft power, on est partout dans le hard. » Puis vous avez défini les nouveaux attributs de la puissance que sont la culture, l’information et le développement. Vous avez rappelé à cette occasion que l’audiovisuel extérieur est un enjeu stratégique, qui doit être pleinement pris en compte dans notre politique étrangère. Et vous vous êtes engagé à défendre ce principe à l’occasion de la réforme en cours de l’audiovisuel public.

Monsieur le ministre, comment s’assurer, au sein de la future holding, que ces enjeux internationaux seront pris en compte et préservés, dès lors que le budget sera réparti entre les filiales, notamment France Médias Monde, par le président de la holding ? Puisque la BBC est souvent citée en exemple, envisagez-vous qu’un financement plancher soit inscrit dans la loi, à l’image de ce qui existe pour BBC World ?

Ma deuxième question porte sur un projet que vous soutenez, monsieur le ministre. Lors des auditions budgétaires, nous avons appris que France Médias Monde a une solution pour faire passer France 24 de six heures quotidiennes à douze heures en espagnol, à coût constant et sans délai, ce qui serait formidable pour le développement de cette chaîne en Amérique latine. Pourquoi cette évolution majeure à coût constant, qui va dans le sens de la politique que vous soutenez, n’est-elle pas encore mise en œuvre ? Peut-on espérer une annonce prochaine en ce sens ?

M. Jean-Michel Clément. Monsieur le ministre, je vous remercie, au nom du groupe Libertés et Territoires, pour votre présentation détaillée et précise. Mon intervention portera sur l’APD, dont il a déjà beaucoup été question.

Le Président de la République nous avait rassurés en s’engageant, à plusieurs reprises, à porter l’APD à 0,55 % du revenu national brut d’ici 2022. Malheureusement, plusieurs signaux négatifs se sont succédé dernièrement. La loi d’orientation et de programmation relative à l’APD, qui avait été annoncée, ne cesse d’être reportée. J’ose espérer que le projet de loi sera au moins déposé, sinon voté, d’ici la fin de l’année. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la semaine dernière, face aux Nations unies, et pour la première fois depuis deux ans, le Président de la République n’a pas mentionné l’aide au développement comme une priorité. Elle représente aujourd’hui 0,43 % du RNB et, pour atteindre l’objectif de 0,55 % en 2022, ce sont plus de 4 milliards d’euros supplémentaires qu’il nous faudra mobiliser.

Cette année, le budget de l’APD n’augmente que de 210 millions d’euros en CP. Une hausse constante serait préférable à la trajectoire du Gouvernement qui, s’il veut tenir ses promesses, devra fournir un effort sensible sur les deux dernières années du quinquennat. Une hausse constante serait plus sûre et nous mettrait à l’abri de l’incertitude conjoncturelle, qui est susceptible d’être amplifiée par un Brexit dur, une crispation politique au Moyen-Orient ou une crise financière, toujours possible. Nous sommes déjà en retard sur la trajectoire définie par le CICID en février 2018.

Le Président de la République a multiplié les démarches multilatérales au cours des derniers mois : je pense à la multiplication par dix de notre participation au Partenariat mondial pour l’éducation, au doublement du Fonds vert pour le climat, ou encore au renforcement de notre aide humanitaire. Ce sont d’excellentes nouvelles, qui nous obligent néanmoins à renforcer les crédits de l’APD dès ce projet de loi de finances : il y va de notre crédibilité à l’international.

Enfin, nous avons évoqué ce matin, avec le président de la Conférence des universités, la question de l’augmentation des frais d’inscription des étudiants étrangers dans nos universités. Cette augmentation aura des conséquences directes sur notre influence, notamment en Afrique francophone : les étudiants seront de moins en moins nombreux, à mesure que l’étau des capacités laissées aux universités se resserrera. N’y a-t-il pas une contradiction à vouloir contenir ces étudiants dans leur pays d’origine avec notre politique d’aide au développement ? Faudra-t-il puiser dans les 0,55 % pour maintenir cet accueil, ce qui reviendrait à réduire d’autant les effets d’annonce ?

Mme Clémentine Autain. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette présentation, même s’il faut bien dire que les années se suivent et se ressemblent. Vous supprimez 130 ETP dans le budget de l’année prochaine. Je voudrais rappeler qu’en trente ans, le Quai d’Orsay a vu ses effectifs baisser de 53 %. Vous n’endiguez donc pas la baisse : vous la poursuivez. Nous avons là un désaccord majeur : le groupe La France insoumise estime en effet que nous avons besoin d’un ministère solide, ce qui suppose que son personnel soit stable, et même qu’il augmente, au lieu de se réduire comme peau de chagrin.

Nous débattrons plus en profondeur de l’APD lorsque nous examinerons le projet de loi qui lui sera spécifiquement consacré, mais je voudrais revenir sur un point que je ne comprends pas. Le Président de la République s’est engagé à porter l’APD à 0,55 % du RNB en 2022, ce qui n’est pas, en soi, un engagement considérable, mais plutôt le minimum syndical. Et pourtant, je ne vois, ni dans les budgets passés, ni dans le projet de loi de finances pour 2020, le début d’un mouvement dans ce sens.

J’entends bien que l’APD va au-delà du programme 209 – et c’est heureux, puisque ce budget n’a augmenté que de 103 millions d’euros. On peut certes y ajouter les crédits du programme 110, qui n’augmentent toutefois que de 124 millions d’euros. J’entends aussi que des crédits relevant de l’APD peuvent être inscrits ailleurs, mais même si l’on consacrait un milliard d’euros à l’APD dans ce projet de loi de finances, on serait loin du compte. Nous avons perdu du temps depuis deux ans.

M. Hervé Berville. Depuis plus longtemps !

Mme Clémentine Autain. Certes, mais je parle ici de l’engagement d’Emmanuel Macron. Il a voulu fixer un objectif précis et je ne vois rien venir. Nous avons le droit de demander des comptes au Président de la République sur cet engagement – dont je répète qu’il nous paraît peu ambitieux.

J’en viens au programme 209. Pouvez-vous nous assurer que les aides publiques au développement ne seront pas utilisées pour des opérations militaires, notamment au Sahel ? Vous prévoyez, au titre du Fonds d’urgence humanitaire, une « réponse humanitaire au Yémen » dans les secteurs prioritaires que sont la santé, la nutrition, l’eau et l’assainissement. Je me réjouis que l’on apporte une aide humanitaire aux Yéménites, mais cela n’a aucun sens si, dans le même temps, on vend des armes à l’Arabie Saoudite, qui contribue à cette crise humanitaire.

Dans le programme 110, pouvez-vous nous renseigner sur le titre 7, qui s’intitule Dépenses d’opérations financières et dont les crédits s’élèvent à 2,3 milliards d’euros ? Vous n’en dites rien et les organisations non gouvernementales s’interrogent beaucoup à ce sujet.

J’aimerais, pour finir, vous poser une question au sujet des Catalans. Avec plusieurs de mes collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous avons reçu aujourd’hui le ministre de l’action extérieure du Gouvernement catalan, qui a demandé à vous voir et à qui vous n’avez jamais répondu. Les prisonniers politiques catalans encourent des peines hallucinantes, alors qu’ils se battent pour des droits démocratiques. Quel que soit notre point de vue sur l’indépendance de la Catalogne, je crois qu’il y a là des droits et des libertés à défendre.

M. Jean-Paul Lecoq. Ce qui me rassure, c’est que nous comptons de la même façon dans tous les groupes : cela devrait vous intéresser, monsieur le ministre. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine se demande, lui aussi, comment vous comptez atteindre l’objectif de consacrer 0,55 % du RNB à l’APD en 2022, avec une trajectoire qui tend à peine à décoller. On estime que l’APD, qui a augmenté de 100 millions d’euros en 2018 et en 2019, et qui augmentera de 210 millions en 2020, représente aujourd’hui 0,46 % du RNB. Pour atteindre l’objectif de 0,55 %, il faudra donc, en deux ans, trouver 5,5 milliards d’euros. Nous savons que Hervé Berville y travaille et nous attendons ses propositions…

Certes, vous indiquez que les AE permettront d’atteindre votre objectif, mais vous avez aussi rappelé que la comptabilité internationale de l’APD ne les prend pas en compte. Alors, monsieur le ministre, qu’allez-vous faire pour que la France respecte enfin son engagement ? Et cette question n’est pas comptable. À l’heure où le président Macron participe aux conférences de reconstitution de plusieurs fonds d’aide internationaux, comme le Fonds vert pour le climat ou le Fonds mondial de lutte contre le sida, il y va de la crédibilité de la France – et ce ne sont pas des mots en l’air ! Nous ne pouvons pas donner des leçons au monde entier sans mettre la main à la poche : cela entache terriblement notre image à l’international, et c’est très regrettable.

J’ai quatre questions complémentaires à vous poser, qui ne concernent pas le budget. Premièrement, pouvez-vous nous parler de la situation de M. Laurent Fortin, notre boulanger normand retenu en Chine pour des motifs contestables ? Je sais que vos services travaillent d’arrache-pied sur ce sujet, mais je ne mesure pas l’avancée de leur travail.

Deuxièmement, j’ai été interpellé par des eurodéputés à propos de trois jeunes Allemands qui ont été arrêtés en France à la veille du sommet du G7, jugés en comparution immédiate et condamnés à des peines de prison ferme avec, pour chef d’accusation, la « participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences ». Ils avaient des revues dans leur voiture et étaient une dizaine à partir en vacances en Espagne. Cette situation relève évidemment de la justice, mais elle relève également de la diplomatie et des relations franco-allemandes. Le Quai d’Orsay a-t-il été prévenu de cette procédure ? Comment nos deux États travaillent-ils ensemble sur cette question et que devrai-je répondre à mes collègues allemands ?

Troisièmement, je souhaiterais connaître le rôle du Quai d’Orsay dans l’interpellation en Bretagne, chez vous, monsieur le ministre, le 8 août dernier, de M. Vincenzo Vecchi, un Italien qui a été condamné à une peine de prison dans son pays il y a plus de dix ans, pour sa participation à des manifestations. Comment le Quai d’Orsay s’intègre-t-il dans ces procédures ? Comment les deux États travaillent-ils ensemble ?

Quatrièmement, j’aimerais réitérer la question de ma collègue Clémentine Autain au sujet des autorités catalanes. Nous avons l’habitude de prendre la défense des députés qui sont maltraités dans des pays lointains, par exemple les Kurdes, mais lorsque cela se passe à nos portes, en Europe, nous avons aussi le droit de nous inquiéter. Certains élus risquent jusqu’à vingt-cinq ans de prison pour avoir organisé un référendum. Cela pose quelques questions…

Enfin, monsieur le ministre, je m’interroge sur l’action du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale. Mme Anne Genetet nous dit que vous n’avez pas assez d’argent pour faire travailler efficacement votre ministère et vous demande ce que vous comptez faire pour améliorer les choses. Il ne tient qu’au groupe majoritaire de réagir. En l’état, je ne voterai pas les crédits de votre ministère, mais je le ferai peut-être si vous les augmentez significativement et si vous stoppez l’érosion des effectifs au Quai d’Orsay.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je crois que mon propos introductif répondait à plusieurs des questions qui m’ont été posées, mais je vais apporter quelques éléments complémentaires.

Madame Genetet, vous voulez que je fasse davantage connaître mon ministère. Votre réflexion est assez juste et je pense effectivement qu’il faut changer l’image du Quai d’Orsay. Cela étant, je crois qu’elle est déjà en train de changer. Les interlocuteurs que je rencontre et qui sont en contact avec nos ambassades et nos services à l’étranger ont une image très positive du Quai d’Orsay : ils soulignent la disponibilité des personnels, ainsi que la qualité du travail des ambassadeurs et leur engagement au service de la France. C’est au niveau national, en interne, qu’il reste des efforts à faire : nous devons mieux faire connaître le Quai d’Orsay au niveau national, en expliquant par exemple le rôle du centre de crise et de soutien, qui veille à la sécurité des Français et peut les rapatrier. Il faut également mettre en avant notre action consulaire, pour montrer que l’action du Quai d’Orsay est aussi au service des Français sur le territoire national. Je pense que c’est le manque de communication sur ces sujets qui explique notre déficit d’image. Mais je répète que tous ceux qui sont en contact avec nos postes à l’étranger ont une image très positive de l’action du Quai d’Orsay.

Ma décision de créer le Collège des hautes études de l’Institut diplomatique s’inscrit pleinement dans cette stratégie de revalorisation de notre image. Ce Collège, dont je vous avais peut-être annoncé la création l’année dernière, fonctionne désormais. Il vise à donner une plus grande aura au Quai d’Orsay et à son action. J’ai inauguré ce collège il y a quelques jours et sa première promotion vient de se constituer. Il n’aura peut-être pas la même renommée que l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) mais il a vocation, comme lui, à faire connaître l’action du Quai d’Orsay auprès d’un public aussi varié que possible. Les professions représentées dans cette première promotion, qui compte une soixantaine de membres, sont très diverses et reflètent la variété de la société civile, puisque s’y côtoient des parlementaires, des journalistes, des industriels et des responsables syndicaux. Ils découvrent ce qu’est le métier de diplomate, loin de l’image traditionnelle des petits fours de l’ambassadeur.

Il importe aussi de faire comprendre à tous que les grands enjeux mondiaux concernent à la fois l’international et le national : je pense à l’enjeu climatique, mais aussi au fait qu’une crise survenue loin de chez nous peut avoir des répercussions au niveau national, et pas seulement par le biais du terrorisme. C’est un travail important, qu’il nous faudra mener collectivement. Madame Genetet, vous avez assisté à la conférence des ambassadeurs : vous avez pu constater l’enthousiasme des ambassadeurs et leur volonté d’agir pour l’intérêt national et pour l’image du Quai d’Orsay. Vous dites que cette image est dévalorisée, mais vous reconnaissez aussi – contrairement à l’opposition, qui est dans son rôle – que nous nous sommes battus pour défendre notre budget et que celui-ci est en augmentation, comme l’année dernière. Cela montre qu’on nous respecte tout de même un peu.

Je voudrais dire un mot du rapport d’information du Sénat sur la masse salariale du Quai d’Orsay, même si je serai amené à répondre plus précisément à ses auteurs. Vous dites qu’il s’agit d’un rapport au vitriol : je nuancerai cette formule. En réalité, certains constats sont justes, et nous y travaillons. C’est par exemple le cas de l’indemnité de résidence à l’étranger (IRE) : il est certain que le dispositif doit être revu et qu’il faut le rendre plus équitable, pour que les catégories C en bénéficient davantage. Mais certaines des informations contenues dans ce rapport sont fausses, et certains partis pris sont contestables. Par exemple, s’agissant de l’évaluation du personnel, pourquoi le rapport ne prend-il en compte que les diplomates, et non l’ensemble des personnels liés au Quai d’Orsay ? Sur la question de l’IRE, pourquoi n’est-il question que des diplomates, et pas des bénéficiaires de l’IRE dans d’autres ministères ?

Madame Poletti, vous m’avez interrogé sur les FSPI : nous étions à 24 millions en 2018 et à 36 millions en 2019 – 24 millions, auxquels nous avons ajouté 12 millions en gestion renforcée. En 2020, nous en serons à 60 millions. Il n’y a donc pas de baisse.

Nous n’aurons les chiffres de l’OCDE, pour l’année 2019, qu’en mars 2020, mais vous ne pouvez pas dire tout et son contraire. L’année dernière, vous me disiez que ce qui comptait, c’étaient les CP, et pas les AE, et cette année, vous reconnaissez que les CP ont augmenté, mais vous regrettez qu’il n’y ait plus assez d’AE. J’essaie de tenir compte de vos remarques, mais ne me demandez pas de résoudre la quadrature du cercle ! Mon expérience de parlementaire m’a appris que l’essentiel, ce sont les CP, et que les entourloupes, ce sont toujours les AE.

Mme Bérengère Poletti. C’est ce que nous aurions pu vous dire il y a un an !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. L’année dernière, le niveau des CP et des AE était significatif, mais le problème, c’est qu’il faut du temps pour mobiliser les AE dans le champ de l’APD. Il faut certes des AE pour faire des CP, mais l’argent, en cash, ce sont les CP. Ce sont eux qui comptent et j’ai rappelé que l’OCDE se fonde uniquement sur eux. Or, les CP augmentent significativement cette année.

Mme Bérengère Poletti. Pas suffisamment !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Ils atteignent 660 millions d’euros, contre 512 millions en 2019. Je rappelle que c’est beaucoup plus qu’en 2018 : la progression est nette et cette évolution nous permettra de tenir nos engagements. Le programme 209 connaît une augmentation de 6,8 % par rapport à 2019.

Je souhaiterais répondre à M. Bruno Joncour, ainsi qu’à plusieurs orateurs qui m’ont interrogé sur le même sujet. Pour que les choses soient très claires, l’aide au développement a un objet propre, qui est de lutter contre la pauvreté, de réduire les inégalités et de créer des perspectives économiques pour les pays concernés. Que l’aide au développement, par cette action, permette de juguler des migrations, soit, mais c’est une conséquence. Ne mettons pas les choses dans le désordre. Je n’évacue pas la question des migrations, et je m’exprimerai à ce sujet dans le débat qui aura lieu lundi, mais ma philosophie est claire, et c’est celle que je viens de vous exposer.

Monsieur Clément, vous m’avez interrogé, comme d’autres de vos collègues, au sujet des étudiants étrangers. La stratégie de fond que nous voulons développer est la suivante : nous voulons projeter nos dispositifs de formation à l’étranger, notamment en Afrique, afin de partager l’enseignement universitaire français sur ces territoires. Nous voulons développer des projets sur le modèle du campus franco-sénégalais, qui ouvrira la semaine prochaine. Il permettra aux étudiants sénégalais de bénéficier de la qualité de l’enseignement universitaire français sur leur propre territoire. C’est la volonté du Président de la République et c’est le sens de son discours de Ouagadougou. Des initiatives de ce genre existent déjà dans d’autres pays : je pense par exemple au hub de Yamoussoukro, que j’ai eu l’occasion de visiter en Côte d’Ivoire, ou à l’Université franco-tunisienne, qui commence à se développer. Notre volonté, je le répète, est de projeter la qualité de l’enseignement français dans les territoires pour favoriser leur développement.

Par ailleurs, l’augmentation de 2,4 % des frais d’inscription n’a pas eu de conséquences majeures sur les effectifs. Cela s’explique de plusieurs manières, notamment par le fait que certaines universités ont introduit des exonérations, et par l’attribution de bourses. Cette augmentation offre des recettes supplémentaires aux universités, et nombre d’étudiants ont les moyens de la supporter. J’ajoute que le coût universitaire payé par l’étudiant étranger est le tiers du coût réel payé par le contribuable français. Cette décision, je le répète, n’a pas entraîné de perturbation majeure. Elle a au contraire permis de développer, en Afrique, l’enseignement supérieur franco-africain, ce qui permet aux étudiants de ces pays de poursuivre leurs études sur leur propre territoire.

Monsieur David, vous m’avez interrogé sur la question de l’audiovisuel public. Je précise que, dans les arbitrages sur le projet de loi de réforme de l’audiovisuel public, j’ai demandé et obtenu que le Quai d’Orsay soit partie prenante de la gouvernance, ce qui n’était pas gagné d’avance. Vous voyez, madame Genetet, que je me bats de temps en temps ! C’est au sein de la holding qu’il faudra faire en sorte que le produit de la contribution à l’audiovisuel public continue d’être affecté à notre outil d’influence internationale. Je suis très attaché à ce principe, comme je l’ai dit à la conférence des ambassadeurs, et je pense que ce point de vue est largement partagé. La création de la holding nous permettra de mieux nous défendre, de renforcer la dimension internationale de l’audiovisuel français et de faire en sorte qu’elle soit mieux partagée, ce qui est une bonne chose.

Je n’ai pas d’informations particulières sur l’Amérique latine, mais je peux vous dire qu’il n’y a pas de blocage. J’ai moi-même inauguré, à Bogota, la diffusion de France 24 en espagnol. Ce projet a longtemps été incompris par certains acteurs, que je ne citerai pas : ils se demandaient ce que l’espagnol venait faire dans l’audiovisuel français. Il a fallu expliquer les choses, et cela montre combien il sera important d’être présent au sein de la holding, pour expliquer. Je crois que cette diffusion sera élargie au Mexique d’ici la fin de l’année.

Madame Autain, nous sommes en désaccord sur un certain nombre de points, et ce n’est pas nouveau. Je ne reviendrai pas sur la situation du Yémen, à laquelle je prête une grande attention, car je vous ai déjà exposé ma position. Il n’a jamais été question de financer une aide militaire par l’APD. Ce que nous avons souhaité, c’est que lorsqu’une intervention militaire a lieu quelque part, par exemple au Sahel, l’AFD puisse être mobilisée immédiatement sur les territoires qui viennent d’être « libérés » de leurs occupants malveillants. Nous veillons alors à la bonne articulation entre l’AFD et l’autorité militaire, pour que le relais se fasse bien. C’est une nouveauté, mais je répète que les crédits de l’APD ne sont jamais affectés à une aide militaire.

Vous m’avez interrogé sur le titre 7 du programme 110, qui ne dépend pas de mon ministère. J’y ai fait référence dans mon propos introductif : je vous ai indiqué que l’APD comportait deux ensembles, les programmes 110 et 209. Mais, pour ma part, je ne suis responsable que du programme 209.

S’agissant des Catalans, sur lesquels M. Lecoq m’a également interrogé, mon principe de base est que je ne reçois pas d’autres ministres des affaires étrangères que ceux des pays. Je n’ai pas compétence pour autre chose – et je ne porterai pas de jugement.

Monsieur Lecoq, je vous remercie de la vigilance dont vous faites preuve pour identifier des affaires, faire pression sur nous et y revenir tant qu’elles ne sont pas réglées. Ce que vous faites nous est très utile. S’agissant de M. Laurent Fortin, nous essayons d’obtenir son transfèrement. La difficulté, c’est qu’il n’existe pas de convention bilatérale. Nous proposons son retour en France, avec inscription de sa condamnation au casier judiciaire pour qu’il effectue son sursis en France. Nous sommes en discussion avec les autorités chinoises et je me suis encore entretenu de cette affaire la semaine dernière avec le ministre des affaires étrangères chinois. M. Fortin n’est pas le seul Français à être retenu en Chine : c’est aussi le cas de Mme Marion Cambounet. Nous suivons leur situation de près et nous pourrons peut-être, lors de la visite que nous ferons en Chine avec le Président de la République au début du mois de novembre, obtenir des résultats. L’ambassade de France entretient des contacts très réguliers avec eux, mais il est vrai que leur situation est très difficile.

S’agissant des trois jeunes Allemands, la procédure judiciaire pour des faits établis sur le sol français est purement française. Ils peuvent donc bénéficier de la protection consulaire, mais je n’ai pas eu de saisine de la part des autorités allemandes à ce sujet pour l’instant.

S’agissant, enfin, de M. Vincenzo Vecchi, il s’agit d’une demande d’extradition italienne adressée à la France, mais le pôle de l’entraide judiciaire n’a pas de dossier ouvert à ce nom. Comme c’est un mandat d’arrêt européen qui s’applique, les transmissions des demandes ont lieu directement entre les juridictions des deux pays, sans passer par les ministères de la justice des deux pays. Je précise, pour l’information de tous, que le mandat d’arrêt européen s’applique à des faits commis postérieurement au 1er novembre 1993.

M. Hervé Berville. Monsieur le ministre, je sais que le Président et vous-même vous êtes beaucoup battus pour augmenter depuis deux ans les crédits dévolus à l’aide humanitaire. Ma grand-mère avait coutume de dire « gâteau avalé n’a pas de saveur » et nous devons nous réjouir de cette augmentation de 100 millions d’euros. Quelles sont les priorités en ce domaine ? Quels sont les objectifs recherchés ? À qui bénéficieront ces crédits ?

Depuis deux ans, un fort accent a été mis sur le bilatéral à travers un renforcement du pilotage. Comment se fait l’articulation avec le multilatéral ? Je vois que la contribution volontaire aux Nations unies est en augmentation de 23 millions d’euros. À quelles agences est-elle destinée ?

L’évaluation est une culture que nous partageons. Comment mesurer l’impact de ces aides et juger de leur efficacité ? Comment s’assurer qu’elles atteignent bien les populations les plus vulnérables ? Y a-t-il un budget prévu pour la création d’une commission indépendante d’évaluation ?

M. Hubert Julien-Laferrière. Beaucoup a déjà été dit sur les trajectoires RNB à l’APD n’a rien de particulièrement modeste, comme vous l’affirmez, madame Autain, puisque cela suppose une augmentation de 50 % des crédits au cours de la législature.

Cela fait plus d’un an et demi que le CICID a défini des priorités géographiques et sectorielles – éducation, santé, adaptation au changement climatique, services publics de proximité – et l’on peut commencer à se demander quels sont les résultats concrets sur le terrain. Comment ces priorités se traduisent-elles dans les régions les plus fragiles, en particulier dans les pays de l’Alliance Sahel ? En quoi les projets améliorent-ils la vie quotidienne des populations ? Sont-ils de nature à les éloigner des mouvements extrémistes, toujours prompts à rendre des services ?

M. Didier Quentin. Monsieur le ministre, mes questions, un peu techniques, vous me le pardonnerez, portent sur la réforme des réseaux de l’État à l’étranger. Je les pose dans la perspective d’une mission flash que j’ai à conduire avec ma collègue Anne Genetet.

Un des angles morts de cette réforme semble être la surcharge de travail qui pèse sur les secrétaires généraux d’ambassade qui ont récupéré les fonctions de gestion des autres ministères sans voir leurs moyens augmenter et qui doivent parfois porter d’autres casquettes. Certes, la dématérialisation de leurs fonctions et la levée de certains freins réglementaires sont de nature à accroître la productivité de ces personnels mais en attendant, ils ploient sous le travail. Monsieur le ministre, quelles sont vos propositions pour alléger leurs tâches ?

Les négociations interministérielles semblent avoir été délicates lorsqu’il a fallu s’entendre sur le transfert de certains effectifs ou de certaines lignes budgétaires vers le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Vous avez l’appui du Premier ministre mais ne craignez-vous pas que les relations interministérielles ne se compliquent ? À chaque fois qu’un ambassadeur décidera de réduire les moyens de tel ou tel chef de service, ce dernier n’aura-t-il pas tendance à se plaindre auprès de son administration de rattachement ?

Enfin, on parle beaucoup de mutualisation mais son champ est limité à plusieurs égards pour ce qui concerne les moyens de l’État à l’étranger. Elle ne comprend pas les fonctions support des opérateurs ni les fonctions métiers des autres ministères. Pourriez-vous nous expliquer la raison pour laquelle les fonctions support d’opérateurs comme Business France ou l’AFD ont été exclues de la mutualisation ? D’autre part, comment se déroulent les expérimentations d’équipes intégrées auprès de l’ambassadeur, autrement dit les dispositifs qui permettent d’affecter les conseillers des ministères techniques au sein de la chancellerie politique ? Constituent-elles un premier pas vers la mutualisation non seulement des fonctions support mais également des fonctions métier des autres ministères au sein de l’ambassade ?

Mme Mireille Clapot. Les députés, vous le savez, sont attentifs à la façon dont les orientations politiques sont traduites dans les moyens. Je me réjouis que la trajectoire de l’APD permette de converger vers l’objectif de 0,55 % de la richesse nationale.

Vous avez annoncé que l’égalité entre hommes et femmes, enjeu qui m’est cher, ferait l’objet d’abondements importants, qu’il s’agisse de la conférence « Pékin+25 », du Forum Génération Égalité, du soutien à l’entrepreneuriat féminin, au Fonds B qui améliore la santé, les droits sexuels et reproductifs, ou aux agences internationales, dont ONU Femmes. Je salue ces avancées.

J’aimerais appeler votre attention sur deux préoccupations. Il s’agit d’abord de la faible féminisation du corps diplomatique. La parité au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères est un enjeu pour l’égalité mais aussi pour l’exemplarité d’une diplomatie qui se veut féministe.

Il s’agit ensuite de la cybersécurité ou plutôt de la cyberdiplomatie. Vous avez présenté en décembre 2017 la stratégie internationale de la France pour le numérique. En novembre 2018, l’Appel de Paris a marqué une mobilisation renouvelée en matière de stabilité dans le cyberspace. Au mois de mai 2019, la France a adressé à l’ONU sa contribution sur la cybersécurité.

Comment ces deux enjeux sont-ils pris en compte dans le projet de loi de finances pour 2020 ?

M. Guy Teissier. Monsieur le ministre, vous avez commencé votre propos en vous focalisant sur l’Iran et je voudrais vous en remercier parce que je crois très sincèrement que la paix du monde se joue dans cette partie du Moyen-Orient. J’ai apprécié les efforts que le Président de la République a faits pour amorcer une désescalade en maintenant un dialogue avec les Iraniens. Pour évoquer l’attaque des raffineries en Arabie Saoudite, vous avez employé une formulation diplomatique, parlant d’une « plausible attaque iranienne ». Je suis surpris que vous ne mentionniez pas le fait que cette attaque a été revendiquée par les Houthis. Ils ont toutes sortes de bonnes raisons de mener une telle offensive alors que ce serait une folie pour l’Iran d’intervenir depuis son propre sol. Cette partie du Moyen-Orient est observée par la majorité des puissances occidentales et par l’Arabie Saoudite elle-même, qui bénéficie d’équipements américains : tout ce qui se passe dans le ciel est scruté par les moyens de contrôle les plus sophistiqués. Il est donc facile de savoir d’où venait cette frappe qui a pour origine non pas une zone proche mais un point situé à 1 000 kilomètres. Je suis surpris que vous mainteniez cette espèce de flou artistique d’autant que les Houthis sont dans une position de légitime défense puisqu’ils sont bombardés tous les jours depuis quatre ans.

Je ne dis pas que derrière les Houthis, il n’y a pas la main de l’Iran mais l’Arabie Saoudite a aussi des alliés. Pourquoi les Houthis n’en auraient-ils pas ? Peut-être y avait-il dans cette attaque un message à l’égard des Occidentaux que nous sommes. Si quelques drones ou quelques missiles passent à travers le dôme de fer saoudien, on peut se demander quelle serait la réaction de l’Iran si son sol était attaqué, compte tenu de sa résilience et de la puissance de son armée.

Mme Marion Lenne. Les crédits du programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence ont augmenté de 3 % pour s’établir à 643 millions mais la subvention de l’Agence nationale pour le développement touristique de la France, Atout France, a diminué de 1,8 million. Il y a déjà un an, lors de la présentation du rapport d’information de mes collègues Jean-François Portarrieu et Maurice Leroy sur la promotion de la destination touristique France, j’alertais sur la nécessité d’augmenter la part allouée par Atout France au tourisme de montagne. Elle est aujourd’hui insuffisante au regard du poids économique qu’il représente, dans un contexte de concurrence accrue qui place désormais la France au troisième rang des destinations mondiales de ski derrière les États-Unis et l’Autriche. Dans leur rapport, mes collègues soulignaient que la fréquentation estivale de nos massifs montagneux constituait un point faible et regrettaient que l’approche marketing d’Atout France ne prenne pas assez en compte les deux saisonnalités de la montagne.

Attirer les touristes internationaux reste une priorité fixée par la stratégie « Destination France 2020 » avec l’objectif d’atteindre 100 millions de visiteurs par an d’ici à 2020, mais il ne faut pas oublier pour autant le tourisme local et national.

Le fléchage d’Atout France vers le tourisme de montage doit être à la hauteur d’une clientèle de plus en plus exigeante et de notre or blanc. Vous avez pu vous-même le mesurer lors de la table ronde que vous avez organisée avec les acteurs touristiques à Évian, en Haute-Savoie, en septembre dernier.

La communication sur le tourisme de montagne correspond à une attente forte des professionnels. Comment envisagez-vous de promouvoir cette offre touristique dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 ?

M. Michel Herbillon. Monsieur le ministre, vous permettrez au co-rapporteur de la mission d’information sur la diplomatie culturelle et d’influence de se réjouir des augmentations de crédits du programme 185 que vous avez annoncées dans un contexte de concurrences d’influences. Je forme le vœu que cette évolution se poursuive dans les années à venir car une telle hausse me paraît indispensable.

Sur l’APD, vous avez entendu les diverses remarques de mes collègues de toutes sensibilités politiques. Il vous reste à nous convaincre que la trajectoire choisie est la bonne pour atteindre l’objectif de 0,55 %. Nous avons le sentiment que l’effort budgétaire est reporté sur les deux dernières années du quinquennat.

À la conférence des ambassadeurs, j’ai entendu le discours du Président de la République et le vôtre : vous avez présenté un programme extrêmement ambitieux. Il ne laisse de côté aucune thématique et aucun secteur géographique. Chaque année sont ajoutés des objectifs, des missions, des enjeux, ce qui me paraît normal, compte tenu du rôle de la France dans le monde et de l’importance de son réseau diplomatique. Toutefois une question se pose : avons-nous les moyens de toutes ces ambitions ? Ce budget traduit-il la multiplicité des objectifs fixés ? Depuis plusieurs années, les ministres des affaires étrangères affirment que nous sommes à l’os. Maintenant, cet os, nous sommes en train de le ronger. Il n’y a qu’à voir les nouvelles baisses d’effectifs – 81 cette année – qui viennent s’ajouter aux précédentes.

Nous diriez-vous, en toute sincérité, monsieur le ministre, quels objectifs vous craignez de ne pas atteindre, quelles missions vous redoutez de ne pas remplir ? Quand il n’y a pas de traduction chiffrée de fortes ambitions, cela entraîne déception, frustration et manque de visibilité voire de crédibilité du ministère, comme le soulignait ma collègue Anne Genetet.

Mme Samantha Cazebonne. Vous avez annoncé une augmentation notable des crédits alloués à l’AEFE et le maintien du budget des bourses scolaires à 105 millions d’euros. Je salue votre implication personnelle, monsieur le ministre, car elle a été déterminante.

Comme vous le savez, le respect des principes de l’école inclusive fait désormais partie des critères d’homologation des établissements de l’enseignement français à l’étranger. Le 22 novembre, l’AEFE et la Mission laïque française (MLF) organiseront leur premier colloque sur ce sujet.

J’aimerais appeler votre attention sur la prise en charge du handicap dans le réseau d’enseignement scolaire à l’étranger. Seules les familles recevant des bourses sur critères sociaux peuvent bénéficier d’une aide destinée à financer l’emploi d’un accompagnant pour un élève en situation de handicap. Or le coût important que représente la rémunération brute d’un accompagnant n’est pas intégré dans les frais de scolarité et donc non pris en compte pour déterminer le revenu de référence dont le montant est calculé en déduisant les frais de scolarité du revenu net annuel. Cela exclut de l’éligibilité aux bourses des parents d’enfants à besoins particuliers.

Le motif invoqué est que la prise en compte du coût d’un accompagnant augmenterait la part des bourses de l’ensemble des enfants d’une famille, y compris ceux qui ne sont pas en situation de handicap. Mais si cette logique fonctionne dans un sens, elle devrait aussi fonctionner dans l’autre. Prenons l’exemple d’une famille de trois enfants : deux fréquentent le lycée français mais le troisième, lourdement handicapé, est scolarisé ailleurs ; ses frais de scolarité n’étant pas pris en compte pour déterminer le revenu de référence, la part de bourses de ses frères et sœurs est réduite. Il est important de tenir compte de la réalité financière des familles dans leur entier.

Est-il envisageable, monsieur le ministre, d’inclure les frais d’emploi d’un accompagnant d’élève en situation de handicap dans le calcul du revenu de référence ?

M. Claude Goasguen. Après examen de ce budget, je vous donnerais presque quitus car il est équilibré. Les incitations systématiques à augmenter les budgets ne m’emballent guère, je suis trop libéral pour cela.

La vraie question qui se pose renvoie à l’APD. De ce point de vue, la présentation budgétaire m’inquiète : elle ne rend pas particulièrement attrayant le Quai d’Orsay car aucune ligne politique claire ne se dégage. J’ai cherché vainement où figurait la politique migratoire, enjeu qui vous concerne et que vous allez évoquer lundi dans l’hémicycle. Il en va de même pour l’asile, qui relève aussi de votre ministère puisque c’est vous qui avez à appliquer la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés.

Le ministère des affaires étrangères est une structure fermée aux yeux de l’opinion publique et il serait bon de faire mieux ressortir les idées politiques qui sous-tendent son action. La politique migratoire doit faire partie de l’aide au développement et il me paraît important de le faire apparaître.

Mme Amélia Lakrafi. Je me réjouis des augmentations de crédits annoncées mais note une baisse de plus d’un million pour le programme 151 « Français à l’étranger et affaires consulaires ».

J’aimerais appeler votre attention sur la situation des centres médico-sociaux (CMS) à l’étranger. Lors de mes déplacements dans ma circonscription, je ne peux que déplorer la situation de plus en plus précaire de nos concitoyens installés à l’étranger. C’est particulièrement vrai dans certains pays d’Afrique où habitent des populations françaises fragilisées, en proie à des problèmes de santé que l’éloignement ne fait que renforcer. Les CMS, qui se trouvent tous dans ma circonscription à l’exception de ceux de Pékin et Niamey, pallient l’absence de structures locales de santé fiables. Comme j’ai pu le constater au Cameroun la semaine dernière, ils jouent un rôle de premier ordre auprès des Français établis hors de France et des personnels de nos ambassades. Il s’agit bien souvent de leur seul recours en cas de maladie.

Si je me réjouis du fait que les CMS bénéficient de subventions globalement en hausse – 200 000 euros contre 186 000 en 2018 et 2019 –, je regrette que celles-ci soient essentiellement consacrées à l’achat de médicaments et de fournitures médicales.

Le nombre de CMS diminue : après la fermeture de ceux de Cotonou et de Malabo, il n’en reste plus que sept dans ma circonscription avec des médecins chefs nommés et rémunérés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Cette situation me paraît très préoccupante. En diminuant le nombre de ces structures, ne risque-t-on pas d’accroître le nombre de rapatriements sanitaires et d’hospitalisations en urgence dont le coût est beaucoup plus élevé – 60 000 à 120 000 * euros pour un rapatriement sanitaire dans un avion médicalisé ? Je suis confrontée dans plusieurs pays d’Afrique à des cas de personnes qui, n’ayant pas eu la possibilité ou les moyens de se soigner, se trouvent dans l’obligation d’être rapatriées, souvent aux frais des associations d’entraide locales dont je souhaite ici saluer le travail.

Monsieur le ministre, quelle est votre vision de l’évolution de nos réseaux de CMS, qui contribuent selon moi à offrir un service public de qualité aux Français de l’étranger dans le respect de la solidarité nationale ?

Enfin, monsieur Teissier, j’aimerais terminer par un bref rappel. L’opération « Tempête décisive » a été lancée la nuit du 25 mars 2015, dans le cadre de la guerre civile yéménite, pour remettre au pouvoir un président élu, renversé par les Houthis financés par l’Iran. Elle a été menée par une coalition de dix pays : l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, la Jordanie, le Qatar, le Maroc, l’Égypte, le Koweït, le Soudan, ainsi que les États-Unis pour le renseignement et la Turquie, le Sénégal, la Mauritanie et la Somalie venus en soutien. Il me paraît difficile d’être dix à se tromper.

M. M’jid El Guerrab. Ne faisons pas la fine bouche en cette période de disette budgétaire et saluons les augmentations de crédits. Nous les devons à la personnalité du ministre mais aussi à la volonté de l’exécutif de valoriser la représentation de la France dans le monde. L’APD augmente massivement, ce qui est une bonne chose.

J’aimerais toutefois vous alerter, monsieur le ministre, sur un problème que chacun des députés de Français établis hors de France rencontre dans sa circonscription : l’irrationalité de l’attribution des visas. Les délais s’allongent, en particulier dans certains pays d’Afrique – certains postes fonctionnent très bien comme la Côte d’Ivoire mais dans d’autres comme le Maroc ou l’Algérie, la situation est problématique. Des étudiants n’ont toujours pas pu partir. Je crois que ces retards sont dus à une certaine volonté d’externalisation.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame Lakrafi et madame Cazebonne, je n’ai pas de réponse immédiate à vous donner aux questions très précises que vous avez posées sur les critères d’accessibilité à l’aide à l’emploi d’un accompagnant d’enfant en situation de handicap et sur les  CMS à l’étranger. Je vais essayer de les traiter du mieux possible.

S’agissant des visas, monsieur El Guerrab, j’examinerai la situation poste par poste comme je m’efforce de le faire à chacun de mes déplacements. L’externalisation n’est sans doute pas en cause.

Monsieur Teissier, la formule diplomatique exacte que j’ai employée est issue d’une déclaration commune que nous avons faite à New York le 23 septembre dernier avec le Royaume-Uni et l’Allemagne : « Sur la base d’une analyse autonome de nos experts, il est clair pour nous que l’Iran porte la responsabilité de cette attaque. Il n’y a pas d’autre explication plausible. » Je vous le dis très franchement, je ne crois pas à la thèse de l’attaque houthie. Et ce pour deux raisons principales : d’abord, la précision et la portée des frappes ; ensuite, le nombre de drones et de missiles de croisière employés. Dans l’état actuel des choses, je maintiens cette affirmation. Ajoutons que le lendemain, les Houthis, après avoir revendiqué l’attaque, ont dit vouloir faire la paix.

Quand je vois mon homologue iranien, Mohammad Javad Zarif, je m’exprime bien sûr plus fermement que je ne le fais ici, et quand le Président de la République rencontre le président Rohani, il s’exprime tout aussi fermement. Cependant, nous estimons qu’il y a des paramètres, mis sur la table grâce à la diplomatie française, à partir desquels il est possible d’avancer pour apaiser les tensions.

M. Guy Teissier. Je ne conteste pas la responsabilité de l’Iran !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je ne vais pas aller plus loin, d’autant que nous ne sommes pas à huis clos. Je crois avoir tout dit, monsieur Teissier.

Monsieur Berville, l’aide humanitaire bénéficie de 158 millions d’euros grâce à une augmentation de plus de 100 millions d’euros. Jamais la France, dans son histoire, n’a mobilisé dans son budget une telle somme pour l’aide humanitaire, qu’on se le dise ! Elle nous permet d’intervenir dans les cas d’urgence humanitaire, comme dans le nord-est de la Syrie – l’année dernière, dans le nord-ouest. Elle est aussi consacrée à l’aide alimentaire, notamment aux programmes destinés à apprendre aux populations à produire elles-mêmes. Elle nourrit en outre les contributions aux organisations internationales intervenant dans le domaine humanitaire, qu’il s’agisse du HCR, de l’OIM, de l’UNRWA – Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient –, ou de l’UNICEF – Fonds des Nations unies pour l’enfance. La ventilation de ces crédits sera précisée au début de l’année 2020.

Quant à la commission indépendante d’évaluation, je suis favorable à son principe. Ce dispositif sera intégré dans la loi à venir car il est absolument indispensable que nous disposions de cet outil de vérification.

Enfin, je ne vois pas où sont les 23 millions d’euros dont vous parlez pour la contribution volontaire aux Nations unies.

Monsieur Julien-Laferrière, sachez que je veille particulièrement à la concrétisation de nos engagements financiers. Autant que faire se peut, dans chacun de mes déplacements, je demande à voir lorsque des efforts importants ont été faits. Je me rends prochainement au Mali et je vérifierai comment ont été mobilisés les fonds consacrés à l’Alliance Sahel. Avec l’AFD, nous avons lancé plusieurs projets dans la région dite des trois frontières, en particulier pour les services de base – eau, assainissement, réseau électrique. Nous avons également initié des actions en faveur de l’insertion économique et sociale des jeunes autour du lac Tchad et de l’agro-pastoralisme au Burkina Faso.

Je vous suggère lors de vos déplacements de procéder à de telles vérifications. L’enjeu principal est le délai de mise en œuvre. Nous avons conçu l’Alliance Sahel comme un dispositif rapide, identifiable et efficace, loin des projets s’étalant sur plusieurs années abondés par une succession d’AE s’inscrivant dans la durée.

Monsieur Quentin, vous avez raison de souligner la complexité des tâches des secrétaires généraux d’ambassade : ils ont été confrontés à un surcroît de travail pour mettre en œuvre la réforme des réseaux de l’État à l’étranger et je salue leur efficacité. Leur charge de travail commence à s’alléger. Pour ceux qui sont amenés à cumuler des fonctions de consul et de régisseur, nous avons commencé à dédoubler les postes. C’est déjà le cas à Kaboul, Khartoum et Doha et nous poursuivons cette démarche ailleurs. Je serai heureux de lire le rapport que vous rédigerez dans le cadre de votre mission flash. Il permettra de saisir comment la cohérence voulue par cette réforme se traduit concrètement.

Je ne crois pas qu’il y aura de difficultés au niveau interministériel car le pragmatisme l’emportera. Évidemment, lorsque nous avons engagé ce processus, les autres ministères n’étaient pas très chauds. Toutefois, grande nouvelle, les attachés d’armement ont décidé de rejoindre la réforme à partir de 2020 – non parce que j’étais ministre de la défense mais parce qu’ils se rendent compte que cela peut être dans leur intérêt. Tout cela me paraît plutôt positif. Vous vous demandez pourquoi nous n’avons pas procédé à une plus large mutualisation. C’est une vraie question pour l’avenir. Je dirai qu’à chaque jour suffit sa peine.

Madame Lenne, lors du prochain conseil interministériel du tourisme, nous mettrons en avant les enjeux attachés au tourisme de montagne. Le tourisme en France va plutôt bien : nous recevons près de 90 millions de visiteurs par an contre 83 millions après les attentats, et les marges de progression sont significatives. Nous avons diminué modérément la contribution budgétaire d’Atout France, qui dispose de ressources complémentaires et qui a noué des partenariats, notamment avec les collectivités territoriales. J’ai le sentiment que ses responsables mènent cette mutation de manière très positive et que cette structure fonctionne bien. Nous allons lancer dans deux pays une expérimentation de rapprochement entre Atout France et Business France pour améliorer la synergie entre les deux opérateurs qui s’occupent tous deux de l’attractivité de notre pays. Atout France entretiendrait des liens plus étroits avec Business France dans les pays où cet opérateur est moins présent.

Madame Clapot, lors de mon discours de clôture de la conférence des ambassadeurs, j’ai demandé au secrétaire général un plan pour la parité et l’égalité qui sera préparé et mis en œuvre par la haute fonctionnaire chargée de l’égalité au ministère. Le nombre d’ambassadrices a augmenté – elles sont quarante-six contre vingt-quatre en 2012 – mais cette progression n’est pas suffisante. Pour assurer des promotions équilibrées parmi les cadres supérieurs, il faut prendre en compte la parité dans les nominations dès le début de carrière. J’ai parlé de « diplomatie féministe » et je reste attaché à ce concept. Soyez assurée de notre volonté de traduire concrètement cet engagement.

Vous évoquiez aussi la cybersécurité. Lors de ma récente audition devant vos collègues de la commission de la défense, j’ai expliqué que cette thématique renvoyait à trois choses différentes qui supposent une réflexion commune : la cybersécurité en elle-même, la cyberdéfense et l’Appel de Paris ; les liens entre internet et le terrorisme, la diffusion des messages de haine, l’appel de Christchurch lancé par le Président de la République avec la Première ministre néo-zélandaise après les attentats, qui a été repris à New York la semaine dernière ; la manipulation de l’information, dans la continuité de l’initiative lancée par Reporters sans frontières. J’ai suggéré qu’une réunion spécifique, à huis clos, y soit consacrée et je vous fais la même proposition. M. Henri Verdier, ambassadeur du numérique, pourrait y assister. Nous allons renforcer les moyens consacrés à ces enjeux cruciaux.

Monsieur Herbillon, j’ai rappelé dans mon discours aux ambassadeurs nos priorités : l’Europe, l’influence et le multilatéralisme. L’influence est un sujet que vous connaissez bien et sa prise en compte est manifeste dans le présent budget. Pour le multilatéralisme, j’estime que la mobilisation va dans le bon sens. Quant aux questions européennes, nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler ici, compte tenu de l’importance des échéances qui s’y rapportent.

M. Michel Herbillon. Je me référai aussi au discours du Président de la République.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Enfin, monsieur Goasguen, mon exposé était de nature budgétaire et je constate d’ailleurs que vous êtes tous très vigilants, notant augmentations et diminutions ligne par ligne. C’est lundi prochain que j’évoquerai le lien entre politique de développement et migrations.

M. Claude Goasguen. Et l’asile !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. L’asile aussi bien sûr !

Mme Isabelle Rauch, présidente. En notre nom à tous, je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré. En prenant en compte nos remarques, vous nous encouragez à maintenir notre vigilance pour le reste de la législature.

 

II.   Présentation DE l’AVIS devant la commission des affaires étrangÈres et examen des crédits

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous allons maintenant examiner les crédits de la mission Aide publique au développement, dont le rapporteur est Hubert Julien-Laferrière. M. Jean-Paul Lecoq y a apporté une contribution au nom de son groupe.

L’aide au développement est un domaine de plus en plus essentiel de notre politique étrangère. Elle est au cœur de notre relation avec l’Afrique. Elle contribue à la stabilisation du Sahel, à la lutte contre les grandes pandémies, aux progrès de l’éducation, en particulier des filles, et à la mise en place d’une meilleure gouvernance dans le monde.

Notre aide publique au développement est actuellement dans une phase de reconstruction. La trajectoire budgétaire fixée en 2018 veut que son montant passe de 0,38 % du revenu national brut (RNB) en 2016 – un niveau historiquement faible – à 0,55 % en 2022 ; nous veillerons à ce qu’elle soit respectée.

Mais l’aide au développement de la France doit aussi revoir en profondeur son mode de fonctionnement.

Le pilotage de l’aide doit être revu, afin qu’elle fasse l’objet d’une véritable stratégie, et il lui faut pour cela un véritable suivi politique au plus haut niveau.

Sa nécessaire appropriation par l’opinion publique ne sera possible que si un véritable contrôle parlementaire de l’aide est mis en place, ainsi qu’une évaluation indépendante et continue de ses résultats, par secteur et par projet.

L’aide multilatérale doit aussi être plus stratégique, plus concentrée sur les secteurs essentiels – comme celui de la santé dont parlera le rapporteur – et les priorités françaises doivent y être mieux défendues.

C’est pourquoi le rapporteur a déposé un amendement que j’espère voir adopté aussi largement qu’au sein du bureau de notre commission ; il tend à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport annuel sur l’activité du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, et sur la façon dont la France fait entendre sa voix sur les orientations de ces deux organisations. Les récents événements, au Chili et ailleurs, nous rappellent combien la question de l’intervention des institutions financières internationales doit retenir toute notre attention.

Cet examen budgétaire n’est qu’une première étape, puisque nous serons appelés cette année à examiner le prochain contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD, et surtout la loi d’orientation et de programmation de l’aide publique au développement.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Je propose que l’année prochaine, la mission Aide publique au développement soit examinée en première place par notre commission : ce n’est pas la première fois que je me retrouve à la présenter devant une salle clairsemée.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous suivions l’ordre d’examen en séance publique, mais je retiens votre suggestion.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Chers collègues, nous en sommes à l’an II de la trajectoire définie par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) en février 2018. Cette trajectoire n’est pas uniquement financière ; elle est également qualitative, avec une véritable feuille de route pour notre aide publique au développement.

Nous étudions ici la mission budgétaire Aide publique au développement (APD), mais les montants pris en compte par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour le calcul de la part de RNB consacré à l’aide au développement dépassent largement le cadre de cette mission. Les 3,3 milliards d’euros de la mission représentent 30 % du total que la France déclare à l’OCDE.

L’aide publique au développement de la France rassemble le programme 110 Aide économique et financière au développement et le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, réunis dans cette mission, auxquels s’ajoutent les dépenses du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), alimenté par la taxe sur les billets d’avion, et toute la politique transversale : les dépenses d’écolage en faveur des étudiants issus des pays en développement, les dépenses d’asile et d’immigration, la contribution française au Fonds européen de développement (FED), la part du prélèvement européen dépensée dans la politique de développement de l’Union européenne, les allégements de dette, etc. Le total s’élève à 11 milliards d’euros.

Cette précision est importante, car pour juger de la trajectoire financière, encore faut-il identifier les postes en augmentation. Contrairement à nombre de mes collègues, je pense que nous arriverons à consacrer 0,55 % du RNB à l’aide publique au développement en 2022, car nous sommes aujourd’hui dans les clous, à 0,01 % près.

Mme Bérengère Poletti. C’est beau, l’optimisme !

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Aujourd’hui, l’aide publique atteint 0,46 % du RNB alors que le CICID prévoyait 0,47 % ; encore cette différence de 0,01 % tient-elle au changement de la méthode de comptabilisation des prêts par l’OCDE. Auparavant, les prêts nets étaient pris en compte, ce qui n’était guère satisfaisant : certaines années étaient très importantes, d’autres presque nulles lorsque des remboursements étaient intervenus. Désormais, l’OCDE prend en compte le coût réel, c’est-à-dire les crédits budgétaires que nous donnons à l’AFD pour compenser le coût de la différence entre les taux du marché et ceux des prêts bonifiés que nous accordons. Cela explique l’écart avec les prévisions réalisées il y a un an et demi par le CICID.

Nous suivons donc la trajectoire financière prévue par le CICID, même si je vous accorde que les deux prochaines années seront plus difficiles…

Mme Bérengère Poletti. Ah, tout de même !

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis.… car la part de l’aide au développement dans le revenu national a été fixée à 0,47 % pour 2020, 0,51 % pour 2021 et 0,57 % pour 2022. C’est donc à partir de 2021 que les sauts seront plus importants. Il faut espérer que les autorisations d’engagement se seront concrétisées en crédits de paiement, que les projets concrets auront avancé afin que la trajectoire soit respectée.

Pour mesurer le volume de l’aide de la France, il est important de prendre en compte, en plus de la mission Aide publique au développement, les recettes de la taxe sur les billets d’avion et de la part de la taxe sur les transactions financières (TTF), également consacrées au développement. L’ensemble constitue ce que l’on appelle la partie pilotable de notre aide au développement, qui se traduit en transferts directs vers les pays en développement.

À côté de cette trajectoire quantitative, la feuille de route du CICID prévoit une trajectoire qualitative, en s’attachant à l’articulation entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale. Le CICID a décidé que l’augmentation importante des crédits devra profiter d’abord au bilatéral et dans une moindre mesure au multilatéral, dans une proportion de deux tiers – un tiers. Il ne s’agit pas de dire du mal du multilatéral, mais depuis 2010, l’aide bilatérale a été la variable d’ajustement budgétaire. Les engagements dans le cadre du multilatéral étant pluriannuels, c’est donc l’aide bilatérale qui subissait les restrictions budgétaires : elle a ainsi perdu près de 40 % de ses crédits. La priorité redonnée à l’aide bilatérale apparaissait clairement dans le budget 2019.

La feuille de route du CICID prévoit également l’équilibre entre prêts et dons, et définit des priorités sectorielles et géographiques.

En 2020, les autorisations d’engagement profitent plutôt au multilatéral, du fait de la forte augmentation de notre contribution à la Banque mondiale, mais également de reconstitutions de fonds, ce dont nous pouvons nous réjouir : la contribution française au Partenariat mondial pour l’éducation, par exemple, est une bonne chose. Encore faut-il regarder comment on l’articule avec le bilatéral et comment elle sert les priorités sectorielles et géographiques de la France. Le Fonds vert pour le climat bénéficie également de cette importante augmentation des autorisations d’engagement.

L’aide multilatérale passe aussi par les contributions volontaires. Il y a deux ans, j’avais remarqué que nos contributions volontaires étaient faibles comparativement à celles de nos voisins européens ; elles augmentent de manière importante dans le budget 2020, au profit du Fonds des Nations unies pour l’enfance, l’UNICEF, et d’autres fonds ayant retenu ce mécanisme de financement.

L’augmentation du montant des AE au profit de l’aide multilatérale s’accompagne d’une réduction des AE en faveur des dons-projets, ce qui n’est pas très cohérent avec la feuille de route du CICID. Rappelons toutefois que ces dons avaient connu une augmentation notable l’an dernier, qui s’est concrétisée par de nombreux projets pilotés par l’AFD, en particulier dans les dix-neuf pays prioritaires identifiés par la feuille de route du CICID.

On relève par ailleurs une hausse importante de l’enveloppe des dons aux organisations non gouvernementales (ONG), tandis que les crédits en faveur de l’action humanitaire augmentent de plus de 140 millions, l’objectif étant d’y consacrer 500 millions d’ici à 2022. Le fonds d’urgence humanitaire en particulier voit son enveloppe doubler en 2020.

L’enveloppe des fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) augmente également cette année ; les FSPI permettent à nos ambassades d’aider de petits projets qui amorcent parfois des projets d’infrastructures plus importants, financés par l’AFD.

Pour en finir sur les autorisations d’engagement, la diminution des AE pour les dons-projets n’est pas totalement cohérente avec la feuille de route ; elles devront augmenter en 2021.

L’importante augmentation des AE enregistrée l’année dernière s’est concrétisée, je l’ai dit, en CP au profit des projets en cours. Pour 2020, l’augmentation des CP s’élève à 300 millions d’euros, dont 202 millions pour l’aide-projet bilatérale, qui passe à 639 millions d’euros si l’on inclut les 185,5 millions d’euros en provenance du FSD. Traditionnellement, les recettes de la TTF et de la taxe sur les billets d’avion affectées au développement financent plutôt de l’aide multilatérale, mais 170 millions de ces recettes avaient été affectées à l’AFD il y a trois ans, puis il y a deux ans. Le Gouvernement a décidé l’année dernière de budgétiser cette somme au profit de l’aide publique au développement. Cette année, à nouveau, une part des recettes de ces deux taxes vient financer l’aide-projet bilatérale, c’est-à-dire la réalisation de projets en cours, qui génèrent des crédits de paiement.

Parallèlement au rééquilibrage entre le multilatéral et le bilatéral, la feuille de route du CICID prévoit une réorientation géographique de l’aide vers dix-neuf pays prioritaires, dix-huit pays africains et Haïti, et une réorientation thématique en direction de cinq secteurs : la santé, l’éducation, l’égalité femmes-hommes, le climat et la lutte contre les fragilités. La ventilation des engagements de l’AFD en dons-projets fait clairement apparaître cette réorientation vers l’Afrique, en particulier vers les pays en crise, et au bénéfice des secteurs sociaux plutôt que des secteurs productifs.

Enfin, le financement par l’État de la coopération décentralisée est en hausse de 24 %, pour une enveloppe de 11,5 millions d’euros. De nombreux collègues sont attachés au rôle de la coopération décentralisée et à sa complémentarité dans l’architecture de notre aide publique au développement.

Nous attendons tous avec impatience la loi de programmation et d’orientation sur l’aide publique au développement, que nous espérons pouvoir examiner dès le premier semestre 2020. Notre commission a participé à son élaboration, en formulant des propositions sur le pilotage, l’articulation entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale, la consolidation des partenariats avec les entreprises privées, la société civile et les collectivités locales, la réappropriation par les citoyens et le renforcement de l’évaluation.

Je conclus mon propos en appelant votre attention sur l’aide multilatérale dans le domaine de la santé, dans le contexte de la conférence de restitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Même si un rattrapage de notre aide bilatérale était nécessaire, gardons à l’esprit que l’aide multilatérale peut être très efficace dans le domaine de la santé. La France consacre 882 millions d’euros de son aide à la santé, dont 729 millions dans le cadre multilatéral ; l’aide bilatérale pourrait donc monter en puissance. Mais dans le domaine de la santé, l’aide multilatérale est plus efficace que l’addition d’aides bilatérales. Si l’ensemble des contributeurs au Fonds mondial, à UNITAID et à GAVI en étaient restés à l’aide bilatérale, chacun de leur côté, nous n’aurions pas obtenu les résultats que nous connaissons. Un exemple : en 2005, 4 millions de personnes sont mortes du sida, de la tuberculose et du paludisme ; en 2017, ce chiffre est tombé à 2,5 millions. On estime que 27 millions de vies ont été sauvées depuis la création du Fonds mondial.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous allons maintenant entendre Jean-Paul Lecoq, pour sa contribution attendue.

M. Jean-Paul Lecoq. Je sais si elle est attendue, madame la présidente ; je vous renvoie à mon texte, que je vais résumer compte tenu de l’heure tardive.

J’ai voulu mettre l’accent sur la coopération décentralisée, insuffisamment mise en avant et parfois freinée par des dispositions législatives ou des orientations dont les conséquences ne sont pas immédiatement comprises. Ainsi, le dispositif « Cahors » limite l’augmentation des dépenses de fonctionnement des plus grandes collectivités à 1,2 % par an. Du coup, les actions les moins prises en compte dans le cadre des jumelages ou du soutien aux associations locales sont précisément les actions de développement… Nous devons donc mieux prendre en compte l’impact de nos décisions.

Un autre frein tient à l’insuffisante montée en puissance de la délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales, que nous n’arrivons pas à porter au niveau requis : 11 % alors que nous n’en sommes qu’à 6 %. Or, les demandes existent, et les projets de coopération décentralisée sont d’autant plus contrôlés que les citoyens des villes et des villages ont un œil dessus et se font les sentinelles de l’utilisation de fonds publics issus de leurs impôts locaux.

L’exemple de la Seine-Maritime montre que l’État n’est pas seul à intervenir lors des crises internationales : nombre de communes, de départements ou de régions s’engagent également. Par exemple, d’énormes sommes d’argent ont été mobilisées lors de la crise en Haïti ou après les tremblements de terre en Algérie. Depuis 1979, la Seine-Maritime intervient année après année, projet après projet, dans la province du Bam au Burkina-Faso, et y réalise un vrai travail d’aide au développement, sérieux et efficace. Tout y passe : pour l’accès à l’eau, un dispositif permet aux syndicats de traitement des eaux de consacrer un pourcentage du budget de l’eau à l’aide au développement international. Des dispositifs analogues devraient être mis en place avec la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, afin de financer des projets internationaux qui permettraient notamment de réduire les rejets de déchets en mer.

Notre Gouvernement doit mesurer que les projets peuvent être menés localement. Nous avons parlé des relations entre la France et l’Allemagne ; il ne serait pas simple de nous refaire la guerre, tant les liens entre nos deux peuples se sont multipliés. Il faut que, grâce à l’aide publique au développement, des liens du même ordre se créent entre tous les peuples à l’échelle de nos communes ou de nos départements. Les aspects économiques ne sont pas les seuls à prendre en compte pour œuvrer à la paix ; le fait de se côtoyer jour après jour sur des questions d’aide au développement permettre d’y remettre un peu d’humanité. Cette évocation de la coopération décentralisée me donne l’occasion de le rappeler.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci beaucoup de cette contribution, je crois que nous en partageons tous l’inspiration, et je sais ce sujet est très important pour notre collègue Bruno Joncour, qui a dû nous laisser.

M. Hervé Berville. Je tiens à sincèrement, au nom du groupe La République en marche, remercier les rapporteurs pour la qualité de leurs contributions écrites, notamment l’incise sur les collectivités locales qui traduit tout l’amour qu’ils portent aux mairies et aux collectivités.

L’année 2019 a été marquée par une actualité internationale particulièrement chargée, avec le G20 à Osaka, le G7 à Biarritz, la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et du Fonds vert pour le climat. À chacune de ces rencontres, la France a été au rendez-vous. La contribution française au Fonds mondial a augmenté de 20 %, la plaçant à la hauteur des enjeux de la lutte contre les grandes pandémies, et surtout à la hauteur de sa responsabilité dans le système multilatéral.

La participation de la France au Fonds vert a doublé, pour atteindre 1,6 milliard d’euros sur quatre ans, et nous connaissons l’importance de ce fonds dans la lutte contre les changements climatiques.

Notre soutien à l’entreprenariat féminin a également été renforcé lors du G7, avec une contribution de plus de 25 millions d’euros au fonds pour l’Initiative pour favoriser l’accès des femmes au financement en Afrique (AFAWA) de la Banque africaine de développement.

Cet effort accru se traduit dans le programme 110 Aide économique et financière au développement dont le montant passe de 4,5 à 7,3 milliards d’euros, ce qui permettra à la France de tenir ses engagements multilatéraux et de répondre aux exigences du développement durable. Ce qui ne dispense évidemment pas d’une réflexion sur l’efficacité de cette action et du système multilatéral ; peut-être le rapporteur pourra-t-il nous apporter des éclaircissements à cet égard.

Ce projet de loi de finances est tout à la fois en ligne avec nos ambitions internationales et conforme à la trajectoire financière définie lors du CICID, la part de l’aide au développement atteignant 0,46 % du RNB en 2020, ce qui permet d’envisager raisonnablement d’atteindre 0,55 % en 2022.

Un sujet nous tient particulièrement à cœur dans le monde fracturé que nous connaissons : l’augmentation inédite – 100 millions d’euros – des fonds français dévolus à la réponse humanitaire, auxquels s’ajoutent les 10 millions que le Président de la République a annoncé consacrer à la question syrienne. Lors de la discussion de la future loi de programmation, nous devrons porter une attention toute particulière à notre capacité d’agir sur différents théâtres d’opération humanitaires, notamment pour l’éducation dans ces zones en temps de crise.

Enfin, je me félicite de l’augmentation des crédits du FSPI octroyés aux ambassades, ils permettent de mettre en œuvre de petits projets, visibles sur le terrain politique, et donnent de la flexibilité et de l’agilité à l’action extérieure de l’État.

Ce budget est solide, crédible, à la hauteur des enjeux. C’est un budget de confirmation, mais il faut passer la marche au cours des années 2020, 2021 et 2022. Le groupe La République en marche votera ce budget, mais sera attentif à ce que la loi d’orientation sur l’aide au développement soit débattue l’année prochaine, et que ces crédits continuent de croître.

Mme Bérengère Poletti. Je souhaite commencer en félicitant notre collègue Hubert Julien-Laferrière d’avoir réussi à présenter de manière cohérente et globale une politique aussi opaque et peu compréhensible. Même avec la meilleure volonté, en se référant aux documents budgétaires, je ne sais pas si l’un d’entre nous est capable de dire combien la France souhaite consacrer à cette mission en 2020… C’est vraiment abominable.

Michel Herbillon évoquait, au sujet de l’action extérieure de l’État, l’écart important entre les ambitions, louables, affichées et les décisions concrètes. Les engagements pour l’aide publique au développement sont malheureusement essentiellement déclaratifs. L’ambition affichée par le Président de la République est de la porter de 9 à 15 milliards d’euros au cours du quinquennat. Peut-être était-il prévu, là encore, de commencer tout doucement pour accélérer par la suite, mais force est de constater que, trois exercices budgétaires plus tard, nous sommes très loin du compte ! La mission budgétaire que nous examinons aujourd’hui s’élève à 200 millions d’euros ; au total, nous sommes bien en deçà de la trajectoire budgétaire nécessaire pour atteindre 0,55 % du RNB en 2022 : il aurait fallu augmenter le budget de 1,6 milliard d’euros. Certes, nous l’avons augmenté de 500 millions d’euros depuis le début de ce mandat, mais rappelons qu’il avait diminué de 600 millions entre 2012 et 2017 ; autrement dit, nous n’avons même pas rattrapé la baisse.

La mission Aide publique au développement en tant que telle ne représente qu’une partie de l’effort français en la matière, environ 36 %. Pas moins de huit ministères concourent à cette politique, ce qui rend d’autant plus pressant le besoin d’une loi d’orientation et de programmation, promise pour cette année. Depuis plus d’un an, divers projets ont circulé, malheureusement sans aboutir. Nous avons besoin de visibilité, de clarté et de transparence ; car pour l’instant, nous sommes dans le flou complet.

Le rapporteur pour avis a rappelé qu’outre le quantitatif, il fallait faire évoluer le qualitatif. Le Président de la République a affiché une ambition importante, essentielle et juste, sur ce que la France doit faire en matière de soutien à l’éducation. Nous constatons certes une amélioration, mais nous sommes très loin du niveau de contribution des autres pays qui pratiquent l’aide publique au développement, presque les derniers. Il est temps que la France s’investisse dans cette dimension essentielle de l’aide au développement.

J’aimerais savoir de combien il faudrait augmenter le budget total de l’AFD est nécessaire pour respecter les engagements du Président de la République… Je n’ai trouvé aucun chiffre là-dessus. Il semblerait même, d’après ce que j’ai compris, que les actions concrètes seront loin des promesses ; j’ai même entendu dire que l’AFD aurait décidé de stopper ses recrutements pour la mise en œuvre des politiques.

Je tiens enfin à rappeler l’amendement dont nous avons débattu dans l’hémicycle pour augmenter la part de la TTF consacrée à l’aide au développement. J’ai été sidérée – bien que venant de Bercy, cela n’a rien d’étonnant – en entendant la réponse du Gouvernement. J’en ai déduit qu’il ne souhaitait pas du tout augmenter l’aide publique au développement.

Le groupe Les Républicains s’abstiendra sur ces crédits, car leur petite augmentation reste loin du compte.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je rappelle que Bérengère Poletti a été corapporteure, avec Rodrigue Kokouendo, d’un rapport consacré à l’aide publique au développement.

M. Frédéric Petit. Merci, cher collègue Julien-Laferrière, pour ce rapport. J’ai beaucoup apprécié le focus en seconde partie de votre rapport : comme l’an dernier, elle est passionnante. Cela montre concrètement ce qu’est l’aide au développement.

Je voudrais faire une suggestion : il me semble important que, dans cette commission, nous prenions en compte l’outil de calcul de l’OCDE, afin d’arrêter de discuter sur les chiffres. C’est une des propositions de mon rapport, dont je vais discuter à Bercy. En effet, pour certains chiffres, on nous dit : « Certes, mais on calcule aussi autrement. » Eh bien, il faut que l’on sache comment on calcule. Cela permettrait notamment de mettre fin aux discussions oiseuses tendant à savoir s’il y a assez de ceci ou pas assez de cela. Il y a une méthode de calcul de l’OCDE : il faut savoir sur quoi elle se fonde. Il a une méthode de calcul pour la mission : là aussi, il faut savoir sur quoi elle repose.

J’ai été très touché par la contribution de Jean-Paul Lecoq. Nous, Français de l’étranger, sommes très souvent concernés par les jumelages ; parfois même, nous nous sommes expatriés à cause d’un jumelage. Il est vrai que les jumelages sont quelque chose d’extraordinaire. Il y a même des jumelages franco-allemands qui débouchent sur des actions en Afrique, c’est-à-dire intégrant un troisième partenaire. Certaines choses extraordinaires se produisent ; c’est une donnée importante. Je vous invite aussi à lire l’excellent rapport de notre collègue Vincent Ledoux sur les collectivités territoriales et l’Afrique : il a, lui aussi, réalisé un travail remarquable.

Je suis également très attentif à un outil qui est du ressort de la mission que nous étudions maintenant, mais qui était aussi très important pour celle dont j’ai parlé tout à l’heure – cela apparaissait d’ailleurs dans ma présentation : je veux parler des FSPI, qui sont une nouvelle arme donnée aux ambassadeurs : sans que cela leur prenne plus de temps, ils peuvent accompagner le lancement de projets – il y en a eu deux en Irak, notamment. C’est un outil très souple, qui témoigne de notre confiance à l’égard des postes diplomatiques : ces derniers peuvent aller chercher, grâce au FSPI, tous les partenaires possibles.

J’ai beaucoup aimé aussi l’expression « citoyens sentinelles » de Jean-Paul Lecoq : le concept me paraît très intéressant. Dans le prolongement de ce que j’ai dit tout à l’heure, la question que je pose – que je me pose – et qu’il faudra que nous traitions dans la loi, est la suivante : l’opérateur actuel de l’aide publique au développement de la France, autrement dit l’AFD, joue-t-il son rôle dans le domaine de la coordination, de l’animation d’un réseau des citoyens sentinelles ?

Mme Valérie Boyer. À quoi bon poser la question quand on connaît la réponse ?

M. Frédéric Petit. On sent bien qu’il serait compliqué de créer un autre opérateur à côté de celui-ci, car il est très gros, mais si nous souhaitons une participation des parlementaires, il va falloir que nous réglions ce problème dans la loi. Je crois qu’il est fondamental que nous ayons un opérateur de ce type capable d’assurer un accompagnement dans l’ensemble du réseau et de servir l’interface entre le peuple, les parlementaires, les collectivités territoriales et l’État.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. En ce qui concerne l’OCDE et les chiffres, nous pourrons revenir sur la question prochainement, puisque la cheffe économiste de l’organisation, Laurence Boone, devrait être auditionnée par notre commission au début du mois de décembre.

M. Alain David. Merci, tout d’abord, monsieur le rapporteur pour avis, pour votre exposé qui démontre votre attachement au sujet ; merci également d’avoir choisi de mettre l’accent sur l’aide multilatérale en matière de santé, quelques semaines après le sommet de Lyon, qui a permis la reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Je souhaite revenir sur les propositions polémiques d’un certain nombre de nos collègues députés ou sénateurs qui souhaitent conditionner l’aide publique au développement à la coopération des pays sources d’immigration. Je crois que vous leur avez répliqué par voie de presse : pourriez-vous développer vos justes arguments dans le cadre de notre commission ?

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Nous aurons l’occasion d’y revenir à propos d’un amendement.

Mme Frédérique Dumas. Monsieur le rapporteur pour avis, vous êtes assez optimiste en ce qui concerne la trajectoire. Nous pensons quant à nous que les crédits prévus pour cette mission l’année prochaine ne vont pas permettre d’atteindre l’objectif consistant à y consacrer 0,55 % du revenu national brut en 2022, puisque, comme vous l’avez vous-même rappelé, il faudrait mobiliser environ 5 milliards : c’est un effort très important, qu’il sera extrêmement difficile de mettre en œuvre, quoi que vous en disiez.

Par ailleurs, lors du dernier CICID, la France a annoncé qu’elle interviendrait davantage sous forme de dons à destination des pays les moins avancés. Il nous semble donc que la mission Aide publique au développement, qui est au cœur du dispositif budgétaire français pour soutenir les pays en développement, avec le FSD et les FSPI, est la plus à même de répondre à ces priorités. C’est pourquoi nous aurions souhaité que son budget soit plus important et que les montants alloués soient clairement fléchés.

Par ailleurs, le groupe Libertés et territoires tient à dénoncer, comme vient de le faire M. David, la démarche qui consisterait à faire supporter le coût de la politique migratoire par l’APD. Nous sommes interpellés par ce qu’a déclaré le Premier ministre lors du débat sur l’immigration. En effet, il a clairement évoqué son intention de demander un « degré élevé de coopération dans la maîtrise de l’immigration clandestine » de la part des États que la France soutient par l’intermédiaire de l’APD. Qu’est-ce que cela veut dire ? Quelle est la nature de ce « degré élevé de coopération » ? On nous a parlé de l’aide à la Syrie. Lorsqu’on voit que la Turquie cherche à déplacer les réfugiés originaires de Syrie…

Mme Valérie Boyer. Elle est surtout en train de déplacer les Kurdes !

Mme Frédérique Dumas.… en organisant leur retour, mais aussi à construire un mur, il est permis de se demander quelles pourraient être les modalités de la conditionnalité de notre aide au développement. Nous estimons, quant à nous, que l’intégration d’une telle politique serait contraire à nos valeurs, ainsi qu’à l’objectif principal de l’APD, tel qu’il a été fixé par l’OCDE : favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays en développement. Car c’est bien l’aide au développement qui permet une véritable maîtrise de l’immigration, et non l’inverse.

Enfin, nous pensons qu’il est souhaitable que la France œuvre fortement en faveur de projets à l’échelle humaine, d’initiatives partant des territoires et s’adressant aux populations les plus défavorisées afin d’encourager le développement d’écosystèmes autonomes. Ce maillage d’actions apparemment peu importantes quand elles sont prises séparément peut avoir des effets concrets sur le développement d’un pays et constitue un formidable vivier de développement ; malheureusement, cette démarche que nous devons soutenir sans réserve ne figure pas vraiment parmi les priorités. Enfin, nous attendons toujours, nous aussi, la loi d’orientation. Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas en faveur de ces crédits.

M. Jean-Paul Lecoq. Je ne change pas de casquette, même si je m’exprime une seconde fois : c’est également au nom de mon groupe que j’ai déposé ma contribution. Nous non plus, nous ne voterons pas les crédits de cette mission, avant tout parce que nous pensons qu’ils sont largement insuffisants.

S’agissant de l’aide au développement, nous ajoutons toujours à l’expression l’adjectif « durable ». En effet, on ne peut pas avoir fait la COP21, la COP22, etc. et ne pas se dire, à un moment donné, qu’il faut faire de l’aide au développement durable en direction de ces pays, que ces derniers ne sont pas obligés de passer par l’étape par laquelle nous sommes passés et qui a tant dégradé notre planète. Il faut donc aussi débloquer des fonds pour ce développement d’un type un peu nouveau, un peu original, et qui a un coût. Chez nous, quand nous voulons construire des logements qui ne soient pas des passoires thermiques, nous acceptons que cela ait un surcoût ; quand il s’agit de mener des actions de développement durable dans certains pays, en revanche, nous ne tenons pas compte de ce surcoût qui suppose que les crédits budgétaires soient à la hauteur de l’exigence. Or, pour l’instant, même s’il y a une augmentation, le point de départ est très bas. Deux attitudes sont possibles : on peut saluer l’augmentation en se disant qu’elle va dans le bon sens, et s’en contenter ; mais on peut considérer – c’est notre cas – qu’en partant de si bas, les efforts ne sont pas à la hauteur à la fois des besoins ni de ce qui a fait la richesse de notre pays : n’oublions pas qu’une partie de l’Afrique a fait, à un certain moment, la richesse de la France. C’est exactement notre lecture : nous considérons qu’il faut rendre à l’Afrique ce qu’elle nous a donné. Or ce qui est proposé n’est pas à la hauteur des objectifs.

Nous avons entendu, devant notre commission, la secrétaire d’État chargée des affaires européennes nous expliquer qu’il fallait faciliter le cheminement des dossiers pour accéder aux fonds européens. Eh bien, je pense la même chose en ce qui concerne les actions décentralisées, notamment au niveau des communes, pour ce qui est de trouver des financements auprès du ministère des affaires étrangères ou de l’AFD : le chemin reste difficile, le montage des dossiers une affaire toujours aussi compliquée. Parfois, des villages veulent engager des actions avec d’autres villages, et c’est la croix et la bannière, si vous me permettez l’expression.

Nous attendons donc nous aussi avec impatience la loi de programmation : outre la trajectoire financière et les objectifs qu’elle fixera, elle devra être l’occasion d’un travail sur la manière de solliciter des fonds, sur le chemin qu’il faut emprunter pour y parvenir. Il faudra surtout éviter de se retrouver, comme on sait si bien le faire en France, avec quelque chose d’ultra-bureaucratique. Peut-être cette loi proposera-t-elle un chemin intéressant : cela expliquerait que son élaboration prenne du temps. Elle sera peut-être exemplaire dans ce domaine, à défaut de l’être sur le plan financier. En attendant, et pour toutes les raisons que j’ai exposées, nous voterons contre les crédits de cette mission.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je rappelle que la commission des affaires étrangères a publié un document stratégique en amont du projet de loi, qui met en avant sept objectifs très politiques de pilotage, de stratégie, de réappropriation par les Français de leur aide publique au développement, d’un meilleur contrôle. L’élaboration du projet de loi prend un peu de temps, mais cela ne sera pas en vain si l’on y tient compte de ces orientations.

Mme Marion Lenne. Afin d’atteindre l’objectif de 0,55 % du RNB d’ici à 2022, les crédits de l’APD poursuivent leur augmentation, avec le doublement des contributions aux ONG ou encore l’augmentation de 24 % des crédits relatifs à la coopération décentralisée. Les acteurs de la société civile, associations, ONG œuvrent en faveur des cinq secteurs prioritaires que vous avez rappelés, monsieur le rapporteur, et nous continuons à soutenir leurs actions par un engagement financier à la hauteur des enjeux et grands discours.

Nous défendons avec ce budget une approche qualitative, avec une aide plus bilatérale, davantage tournée vers la société civile, et plus de dons. Cette démarche implique un meilleur contrôle de l’usage des fonds, le développement d’une culture du résultat et de la transparence, le respect des règles fixées entre pays donateurs et bénéficiaires. Dans la perspective de la nouvelle loi de programmation et d’orientation qui reconnaîtra le rôle des organisations de la société civile, comment garantir l’usage effectif des fonds tout en assurant leur contrôle ?

Mme Valérie Boyer. Je vous remercie pour votre rapport, cher collègue Julien-Laferrière, et pour votre contribution sur les collectivités locales, cher Jean-Paul Lecoq : c’est effectivement un sujet majeur.

La France contribue au développement des pays en défendant aussi les démocraties et en soutenant les entreprises françaises, acteurs importants de l’essor économique. Les crédits de la mission Aide publique au développement poursuivent leur hausse, dans l’objectif d’atteindre 0,55 % du RNB en 2022, ce qui implique toutefois une hausse de 57 % entre 2019 et 2022 – à rapporter aux 5 % pour l’ensemble du budget de l’État ! Cela corrobore ce que disait Bérengère Poletti : nous aimerions y croire, mais il vaut mieux des actes que de la com’ !

Même si cette hausse, relative, est utile pour répondre aux trois « D » – diplomatie, défense, développement –, je crois plus que jamais à la nécessité, pour le Parlement, d’évaluer les actions. Il est impératif que nous donnions une nouvelle dimension à l’évaluation des projets d’aide publique au développement, en favorisant progressivement la mise en place d’un pilotage par les résultats et en communiquant davantage sur les rapports d’évaluation. Il s’agit d’un outil diplomatique majeur.

D’ailleurs, je plaide pour que l’aide soit rattachée au réseau des ambassades. Lors d’un déplacement parlementaire au Haut-Karabagh et en Arménie, nous avons été surpris d’apprendre que l’ambassade n’avait pas été consultée sur une aide concernant un projet remontant à l’ère soviétique : il s’agissait d’un barrage, dont la réalisation était assurée par la République islamique d’Iran, dans une province complètement désertée. À un moment donné, il faut être cohérent !

La future loi d’orientation et de programmation relative à la politique française de développement et à la solidarité internationale nous donnera l’occasion de discuter à nouveau de ces sujets, mais je pense qu’un débat devrait être organisé chaque année au Parlement. En effet, l’aide, conçue comme un outil de rayonnement et d’influence, peut et doit servir à l’intérêt national.

Comme je l’ai expliqué lors de la présentation de mon rapport sur la mission Immigration, asile et intégration, la prévention des départs constitue depuis 2015 un axe majeur de la politique menée par l’Union européenne dans le domaine migratoire. Au printemps 2015, alors que les flux migratoires augmentaient et que les drames humains en mer Méditerranée se multipliaient, une réunion extraordinaire du Conseil européen avait conclu à la nécessité de renforcer notre coopération politique avec les partenaires africains à tous les niveaux, afin de mieux s’attaquer à la cause de la migration illégale et de lutter contre les trafics de migrants et la traite d’êtres humains : au Niger, par exemple, la mise en place d’équipes conjointes d’investigation a permis de démanteler des filières internationales de trafic d’êtres humains et d’interpeller des individus. D’autres projets, très importants, consistent à fiabiliser les états civils et requièrent une action structurelle plus large afin d’améliorer la gouvernance au sein des administrations publiques. Ce bel outil diplomatique mériterait d’être mieux connu par la représentation nationale, mais aussi par les Français.

M. Jean-Paul Lecoq. Je vous remercie d’avoir salué ma contribution et d’avoir pris part au débat. M. Hubert Julien-Laferrière le disait en introduction, c’est un budget très important que notre commission examine pour avis. J’insiste sur la coopération décentralisée car elle requiert la participation de citoyens sentinelles, et bénévoles. Or le bénévolat, et les valeurs qu’il véhicule, est une richesse pour nos communes et pour ce que j’appelle « la culture de paix ». Le Gouvernement doit concevoir cette aide comme un investissement d’avenir, car elle permet de sensibiliser les jeunes. Comme on le dit souvent, cela va du local au global. Si l’on veut contribuer au développement et à la préservation de notre planète, porter l’effort sur les actions locales me paraît nécessaire.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Il se trouve que j’ai été adjoint en charge de la coopération décentralisée et vice-président du Grand Lyon pendant des années et que, par ailleurs, j’ai fait beaucoup de plaidoyers pour l’organisation mondiale des collectivités locales. Cet outil a longtemps été considéré comme un supplément d’âme, et nous en avons besoin aujourd’hui dans l’architecture de l’aide au développement. D’ailleurs, l’AFD passe de plus en plus des conventions avec des collectivités françaises : il vaut mieux travailler avec la collectivité qui est depuis longtemps enracinée dans un territoire plutôt que d’y aller sans connaître les acteurs. Il existe donc une vraie complémentarité, et c’est la raison pour laquelle il est important de consolider, voire d’augmenter, le financement par l’État de la coopération décentralisée.

Chère collègue Poletti, depuis le début du mandat, j’entends dire qu’il faudrait 4 ou 5 milliards d’euros supplémentaires pour atteindre 0,55 % du RNB, soit un milliard d’euros par an. Mais il est normal que le budget augmente davantage à la fin du quinquennat car il faut d’abord lancer des projets, qui ne tombent pas du ciel. Au début, les autorisations d’engagement sont importantes puis, au fur et à mesure que les projets se réalisent, les crédits de paiement augmentent. Si l’augmentation que nous prévoyons dans les deux prochaines années paraît impressionnante, cela répond à une logique : les autorisations d’engagements étaient très importantes l’année dernière et restent conséquentes cette année afin de faire démarrer des projets, qui nécessiteront eux-mêmes des crédits de paiement. Il faut parler du concret, et ne pas se contenter de diviser l’augmentation par cinq et dire qu’il faut tant de milliards d’euros par an : cela ne marche pas comme cela.

Je n’ai pas exactement compris votre question sur l’AFD. Son budget s’élève à environ 11 milliards d’euros, dont deux tiers sont affectés à l’aide publique au développement et un tiers à l’outre-mer.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Bérengère Poletti voulait connaître le pourcentage d’augmentation du budget de l’AFD.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Le projet de loi de finances précise le montant des autorisations d’engagement et des crédits de paiement qui transitent par l’AFD. Nous pourrions peut-être demander des précisions à l’AFD sur la part de l’aide publique au développement mais cela se retrouve assez facilement : elle représente deux tiers de l’activité de l’AFD.

M. Frédéric Petit. Je me permets d’apporter ma contribution à ce débat puisque j’ai exactement le même souci avec l’AEFE : j’ai appris à notre collègue Meyer Habib que le budget de l’AEFE était de 2,5 milliards d’euros alors qu’il pensait que c’était 400 millions !

Il existe une différence entre le programme de l’AFD et son budget : cela nécessite que le Parlement fasse son travail dans le suivi des COM mais aussi que les présidents des opérateurs soient nommés par le Parlement, puisque leur exécutif est nommé par le Gouvernement. Les opérateurs servent d’interface : heureusement que le budget de l’AFD ne se limite pas à la subvention qui lui est accordée ! L’AFD cumule les autorisations d’engagement et, au bout d’un an ou deux, elle met en œuvre des projets, avec les dépenses afférentes. Cela doit être surveillé, mais à l’intérieur des documents AFD ; c’est un travail différent de celui que l’on fait lorsqu’on étudie la mission.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Concernant la TTF, j’ai présenté deux amendements dans l’hémicycle. Cette taxe, créée pour financer le développement, n’est pas affectée à 100 % à l’aide publique au développement, une part revenant au budget général. Mais l’on oublie de dire que, depuis 2016, les recettes ont quasiment doublé : or, la part qui va au développement est restée stable, voire a diminué selon la méthode de calcul utilisée – c’est un peu compliqué. Du coup, la part qui va dans le budget général a donc fortement augmenté ! Nous débattrons à nouveau, l’année prochaine, du pourcentage d’affectation à l’aide publique au développement : il me semblait donc important de le rappeler.

Pour le reste, je suis assez d’accord avec ce qui a été dit sur le calcul de l’OCDE et sur les FSPI, dont nos ambassades se servent pour financer de petits projets mais aussi souvent d’amorcer des projets qui seront ensuite financés par l’AFD. Cette complémentarité permet à notre aide publique au développement d’être plus efficace.

Enfin, je ne sais pas comment Valérie Boyer a trouvé qu’il faudrait encore augmenter de 57 % notre APD pour arriver à 0,55 %. Pour commencer, personne ne sait ce que sera notre RNB en 2022… Nous déclarons aujourd’hui plus de 11 milliards d’euros à l’OCDE et nous savons qu’il faudra atteindre 14 à 15 milliards : 3 ou 4 milliards supplémentaires, par rapport à 11 milliards, cela ne fait pas 57 % d’augmentation ! Cela fait beaucoup, mais pas 57 % !

Mme Frédérique Dumas. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, qu’il fallait des projets : pour ma part, je connais énormément d’acteurs dont les projets sont bloqués : ils n’arrivent pas à obtenir les fonds parce qu’il y a toujours quelque chose qui ne va pas ! Par ailleurs, avec un budget de 5 milliards d’euros, il ne sera pas si facile de trouver les financements complémentaires en fin de course !

M. Hervé Berville. On pourrait penser, en regardant nos débats télévisés, que ceux qui travaillent tous les jours sur le terrain, à l’ambassade, à l’AFD ou dans d’autres organisations, font n’importe quoi, que les projets ne sont pas sortis ou que l’AFD ne répond pas aux collectivités.

L’AFD dispose de la FICOL, la facilité de financement des collectivités territoriales françaises, un outil très simple qui est utilisé par les collectivités. La délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DAECT), travaille aussi très bien avec les collectivités.

En fait, et là est le bémol, le problème ne vient pas d’un manque de moyens ou de la complexité administrative. En trois ans, le paysage des collectivités a été totalement bouleversé par la loi NOTRe – loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – et la loi MAPTAM – loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles –, qui ont beaucoup contribué à isoler les différents acteurs. Ainsi, des départements comme les Côtes-d’Armor, qui étaient jusqu’alors très actifs dans ce domaine, n’ont plus rien fait parce qu’ils ont été dépossédés d’un certain nombre de compétences par les régions. On peut toujours chercher à améliorer la loi, mais il n’y a pas que cela.

Je reviens pour finir sur les propos de Mme Boyer : nous avons la chance que des parlementaires siègent au conseil d’administration de l’AFD – en l’occurrence Bérengère Poletti et moi-même. Les parlementaires qui vont sur le terrain doivent donc faire remonter les problèmes pour les inscrire à l’ordre du jour du conseil d’administration de l’AFD : nous devons tout simplement jouer notre rôle de membres du conseil d’administration. Nous avons les moyens d’agir pour améliorer les choses.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Vous avez raison sur le principe, mais les choses ne sont pas aussi simples : les parlementaires qui siègent au conseil d’administration de l’AFD n’ont pas toujours toutes les informations. Par ailleurs, c’est un fait que le Parlement, en France, a des difficultés à contrôler et à évaluer les politiques publiques. En Grande-Bretagne, c’est une agence indépendante qui évalue l’ensemble des projets relevant de l’aide publique au développement. Je ne vais pas rouvrir ce débat maintenant, mais il faudra peut-être, un jour, que l’on se pose la question d’une évaluation indépendante.

Madame Dumas, en matière d’aide publique au développement, il ne suffit pas de multiplier les projets ; encore faut-il s’assurer de leur faisabilité. On peut avoir des tas de projets dans les tiroirs, mais il faut avoir les moyens humains et matériels de les réaliser sur le terrain. Passer du projet à la réalisation n’est pas toujours simple.

Mme Bérengère Poletti. Je veux rappeler l’engagement que vous aviez pris, madame la présidente, d’auditionner le directeur de l’AFD, M. Rémy Rioux, une ou deux fois par an. Ce serait une bonne chose.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous sommes d’accord : ce serait tout à fait le rôle de notre commission, et cette audition est d’ores et déjà prévue. Nous allons passer à l’examen des amendements.

Article 38 et état B : Aide publique au développement

La commission examine l’amendement IIAE8 de M. Alain David.

M. Alain David. Cet amendement vise à transférer une partie des crédits du programme 110 vers le programme 209.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Les autorisations d’engagement du programme 110 visent à tenir nos engagements vis-à-vis des fonds multilatéraux. L’aide multilatérale a montré son efficacité. Le programme 110 regroupe également les crédits budgétaires qui permettent à l’AFD de faire des prêts. Contrairement à ce que l’on entend parfois, les prêts ne sont pas accordés uniquement aux pays solvables, c’est-à-dire à des pays émergents. Nous faisons aussi des prêts aux pays les plus pauvres, lorsqu’ils financent des secteurs productifs, par exemple l’adaptation au changement climatique ou la transition énergétique. Nous avons donc besoin de ces crédits budgétaires pour la bonification de ces prêts. Je signale, par ailleurs, que le programme 209 est en augmentation.

M. Rodrigue Kokouendo. Il est sain de s’inquiéter du budget de l’aide publique au développement, mais nous suivons une trajectoire qui nous permettra d’atteindre 0,55 % du RNB en 2022, comme le rapporteur pour avis l’a rappelé. Nous en sommes aujourd’hui à 0,46 % et c’est dans le budget de l’année prochaine que l’effort le plus important sera réalisé.

L’augmentation des crédits de l’action Aide économique et financière multilatérale est la conséquence des engagements du Président de la République : celui, pris au G7 de Biarritz, de doubler la contribution de la France au Fonds vert pour le climat et celui, pris à Lyon au début du mois, de contribuer davantage au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il ne faut pas oublier non plus la contribution de la France au Fonds africain de développement et au Partenariat mondial pour l’éducation. Rappelons enfin que l’objectif du multilatéralisme est aussi de pousser les autres pays à contribuer davantage.

M. Alain David. Ce que nous souhaitons faire évoluer, c’est la proportion entre les dons et les prêts. On sait très bien que les pays les plus pauvres ne peuvent pas rembourser les prêts. Il convient donc de développer les dons à leur profit : voilà ce que serait une véritable aide au développement.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Ce budget rééquilibre déjà les choses. Il est vrai que ces prêts ont parfois constitué une facilité à une certaine époque : on accordait aux pays émergents des prêts très peu bonifiés, qui avaient pour effet de gonfler notre aide publique au développement, puisqu’il suffisait d’une toute petite bonification pour que l’on comptabilise la totalité du prêt. Tant qu’il n’était pas remboursé, le prêt était comptabilisé au titre de l’aide publique au développement, alors qu’il était à peu près au taux du marché. Les choses ne se passent plus ainsi aujourd’hui : la comptabilité se fait autrement.

Je veux, surtout, souligner une nouvelle fois l’importance des prêts accordés aux pays les plus pauvres, lorsqu’ils financent des secteurs productifs, comme l’adaptation au changement climatique et à la transition énergétique. Dans de tels cas, les prêts servent à amorcer un nouveau modèle économique.

M. Alain David. Les Chinois ne se posent pas ce genre de question !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous n’allons pas ouvrir aujourd’hui un débat sur la Chine…

La commission rejette l’amendement IIAE8.

Elle examine ensuite l’amendement IIAE9 de M. Alain David.

M. Alain David. Cet amendement vise à augmenter les crédits de l’aide publique au développement qui transitent par les organisations de la société civile, notamment les ONG.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Je suis défavorable à cet amendement. L’aide de l’AFD en direction des ONG augmente déjà, puisqu’elle passe à 110 millions d’euros. Par ailleurs, le budget de l’aide humanitaire, qui passe essentiellement par les ONG, va doubler en 2020 et sera amené à augmenter encore très fortement d’ici à 2022.

M. Hervé Berville. Cet amendement a le mérite de soulever une question fondamentale. Au cours des dix dernières années, on avait eu tendance à réduire le budget des ONG et à augmenter les prêts. Or, l’action du ministre Jean-Yves Le Drian et de la majorité a consisté à soutenir les ONG. Dans ce budget, trois véhicules permettent de le faire. Premièrement, l’enveloppe des FSPI, qui transitent notamment par des ONG locales, passe de 32 à 60 millions d’euros. Deuxièmement, l’aide humanitaire gagne 100 millions et passe de 58 à 158 millions d’euros, notamment pour des ONG. Enfin, la subvention Dons aux ONG mise en œuvre par l’AFD, dépassera pour la première fois le seuil des 100 millions d’euros, pour atteindre 104 millions.

Les ONG sont effectivement un outil important et innovant et, lorsque nous aurons une commission indépendante d’évaluation, nous nous apercevrons peut-être qu’elles sont un outil plus efficace et moins coûteux que d’autres organisations. Nous avons vraiment besoin d’une instance d’évaluation.

La commission rejette l’amendement.

Elle émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Aide publique au développement, sans modification.

Article additionnel avant l’article 73 : Rapport du Gouvernement au Parlement sur les activités et le financement par la France du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale

La commission examine l’amendement IIAE6 de M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Vous avez déjà fait allusion à cet amendement adopté à l’unanimité par le bureau de notre commission, madame la présidente : il vise à demander au Gouvernement un rapport sur l’activité des banques multinationales auxquelles nous apportons des financements élevés, le FMI et la Banque mondiale.

M. Hervé Berville. Il y a deux semaines, le service des affaires multilatérales et du développement de la direction du Trésor a convié certaines personnes pour leur présenter une évaluation de la dotation de la France à l’Association internationale au développement (AID). Par ailleurs, le Trésor évalue en ce moment la contribution française à la Banque asiatique de développement et ce genre d’exercice est fait pour toutes les grandes banques multinationales.

Le problème, c’est que ces informations sont éparses. La commission indépendante d’évaluation aura la charge d’élaborer une synthèse et de la transmettre systématiquement au Parlement, à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères. J’ajoute qu’il serait bon qu’elle s’attache également à formuler des préconisations en matière de politique publique.

M. Frédéric Petit, rapporteur pour avis. J’irai même plus loin : ce qui est intéressant dans cet amendement, c’est qu’il est politique. Le rapport demandé porte sur les positions défendues par la France au sein des instances dirigeantes du FMI et de la Banque mondiale. Si nous disposions d’un tel document en amont, nous pourrions demander au Gouvernement pour quelles raisons il compte défendre telle ou telle position et débattre des options retenues.

Mme Bérengère Poletti. Notre commission a très bien identifié les importants problèmes posés par les organisations internationales. Il s’agit de savoir quelle est l’influence de la France en leur sein. Nous avons déjà évoqué la possibilité de créer une mission propre à notre commission. Au-delà des rapports, elle nous permettrait de savoir comment les choses se passent dans chaque organisation.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je suis entièrement d’accord. Il est très important que les Français, par le biais de l’Assemblée, sachent à quoi sert notre aide multilatérale aux grands organismes financiers internationaux. De même, il est important qu’ils sachent que ceux qui parlent au nom de la France portent des stratégies et des propositions que le Parlement a préalablement examinées.

Il serait intéressant que la mission d’information travaille à partir des informations fournies par le rapport annuel du Gouvernement. Elle pourrait en particulier contribuer à une plus grande lisibilité.

Une réorientation de la politique publique de l’aide publique au développement vers plus de transparence me semble absolument vitale pour notre démocratie.

La commission adopte à l’unanimité l’amendement.

Elle en vient à l’amendement IIAE5 de Mme Constance Le Grip.

Mme Bérengère Poletti. Nous demandons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur le montant de l’aide publique au développement accordée à des pays qui ne délivrent pas les laissez-passer consulaires demandés par les autorités françaises. Nous savons en effet que certains pays refusent d’admettre sur leur territoire certains de leurs ressortissants entrés en France illégalement.

À titre personnel, j’estime qu’il ne convient pas de remettre en cause l’aide publique au développement d’une manière générale – on ne va pas arrêter d’aider les pays à mieux soigner et mieux éduquer leurs habitants – mais qu’il est possible de prendre appui sur les aides budgétaires directes pour exercer une influence. Prenons l’exemple du Mali qui est revenu sur ses positions.

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. Je ne suis pas favorable à ce qu’on lie de manière outrancière la politique d’aide publique au développement et les questions migratoires.

Mme Bérengère Poletti. Cet amendement n’a rien d’outrancier !

M. Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis. N’oublions pas que ces aides servent à réduire les inégalités, à lutter contre la pauvreté et à promouvoir les biens publics mondiaux ; or l’exposé sommaire met en avant une conditionnalité de ces aides.

Mme Bérengère Poletti. Je n’ai pas employé ce terme.

M. Hubert Julien-Laferrière. Nous savons bien qu’il y a des discussions entre le Gouvernement et les pays aidés au sujet des documents consulaires mais il ne convient pas d’inscrire une telle disposition dans le projet de loi de finances.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. J’ajoute que l’amendement n’a plus d’objet puisqu’il propose que le rapport soit rendu « dans un délai raisonnable avant la présentation du projet de loi de finances pour 2020 ».

Mme Bérengère Poletti. Je reconnais qu’il n’est pas très bien rédigé…

La commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci aux rapporteurs pour la qualité de leurs contributions et aux membres de la commission pour leur participation à cette séance de travail qui aura duré près de quatre heures…

 

 

 


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   Annexe – Liste des personnes auditionnées
par le rapporteur

 

-     Mme Stéphanie Seydoux, Ambassadrice en charge des questions de santé mondiale ;

-     M. Cyrille Pierre, directeur du développement durable ;

-     Mme Donatienne Hissard, directrice adjointe de la direction du développement durable ;

-     M. Daniel Vosgien, délégué des programmes et des opérateurs.

 

-     M. Cyril Rousseau, sous-directeur Affaires financières internationales et développement MULTIFIN ;

-     Mme Isabelle Camilier-Cortial, bureau MF5 ;

-     Mme Béatrice Di Piazza, bureau MF5 ;

-     Mme Lauranne Duhil, adjointe du bureau MULTIFIN 5 ;

-     M. Simon Matet, adjoint du bureau MULTIFIN 2.

 

-     M. Rémy Rioux, directeur général ;

-     Mme Marie-Hélène Loison, adjointe au directeur exécutif des opérations ;

-     Mme Claire Gillot, responsable de la cellule veille et relations institutionnelles.

 

-     M. Peter Sands, directeur exécutif du Fonds Mondial ;

-     Mme Pauline Mazue, conseillère spéciale en plaidoyer ;

-     Mme Dianne Lynn Stewart, directrice du département des relations avec les bailleurs ;

-     Mme Francoise Laurence Vanni, directrice des relations extérieures.

 

-     Mme Michèle Boccoz, sous-directrice générale chargée du groupe relations extérieures

 

-     M. Gautier Centlivre, responsable du plaidoyer.

 

-     Mme Marisol Touraine, présidente du conseil d’administration d’Unitaid ;

-     M. Lelio Marmora, directeur exécutif ;

-     Dr Philippe Duneton, directeur exécutif adjoint ;

-     M. Martin Harvey Allchurch, responsable des relations avec le conseil d’administration et des questions de gouvernance ;

-     M. Marlon Camps, conseiller auprès de la présidente du conseil d’administration ;

-     M. Robert Matiru, directeur, division des programmes.

 

-     M. Bruno Rivalan, directeur exécutif adjoint ;

-     Mme Claire Baudot, responsable plaidoyer.

 

-     M. Jean Pasteur, chargé de mission plaidoyer international ;

-     M. Enzo Poultreniez, responsable du plaidoyer.

 

-     Mme Marie-Ange Saraka- Yao, directrice générale mobilisation des ressources et partenariats privés ;

-     M. Guillaume Grosso, directeur du développement des affaires internationales et de la stratégie européenne.

 

-     M. Philippe Jahshan, président ;

-     M. Yann Illiaquer, chargé de mission analyses et plaidoyer, santé, APD, financement du développement.

 

 


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   Annexe – La réforme relative à l’éligibilité des prêts en APD adoptée en décembre 2014 au Comité d’aide au Développement de l’OCDE.

Les membres du Comité d’aide au développement (CAD), dans le Communiqué final de la réunion à haut niveau du CAD (HLM) des 15-16 décembre 2014, ont amorcé une réforme de la comptabilisation et de l’éligibilité à l’aide publique développement (APD) des prêts au secteur public. Le communiqué final indique ainsi :

« Si l’APD est dispensée en majeure partie sous la forme de dons, les prêts concessionnels y occupent une grande place. Toutefois, des divergences sont apparues entre les membres quant à leur interprétation du critère peu clair du "caractère concessionnel" qui entre dans la définition de l’APD. Par conséquent, nous convenons de moderniser la notification des prêts concessionnels de façon à faciliter la comparaison de l’effort auquel ils donnent lieu avec celui qui est associé à l’octroi de dons. »

La réforme touche deux points principaux :

A) l’éligibilité des prêts tenant compte à la fois du respect i) d’un seuil de concessionnalité – c’est-à-dire un seuil minimal d’élément-don ou de libéralité ([2]) – du prêt selon le pays destinataire et ii) de l’application d’un taux d’actualisation différent selon le pays destinataire, taux d’actualisation servant à déterminer cet élément-don du prêt ;

B) la méthode de comptabilisation des prêts : passage des flux nets actuellement déclarés jusqu’en 2018 (au titre de l’APD réalisée en 2017) à des équivalents-dons à partir des chiffres relatifs à l’année déclarés en 2019.

 

A. Éligibilité des prêts

Selon les règles d’éligibilité des prêts en APD en vigueur jusqu’en 2018 (au titre de l’APD de 2017), un prêt pouvait être déclaré en APD dès lors qu’il présentait un élément-don d’au moins 25 %. Ce seuil de concessionnalité était fixé à 25 % quel que soit le pays destinataire de l’aide, et était mesuré par rapport à un taux d’actualisation fixe de 10 %.

Les nouvelles règles d’éligibilité entrées en vigueur pour les concours d’APD relatifs à l’année 2018 (qui ont été déclarés en 2019 à l’OCDE) introduisent des variations de ces deux paramètres : (i) seuil de concessionnalité et (ii) taux d’actualisation pour le calcul de l’élément-don, en fonction dans les deux cas de la catégorie à laquelle le pays receveur de l’aide appartient.

Ainsi, pour les pays les moins avancés et les pays à faible revenu (PMA et PFR), un prêt doit désormais, pour être comptabilisé en APD, avoir un élément-don d’au moins 45 % (c’est-à-dire un seuil de concessionnalité de 45 %), calculé avec un taux d’actualisation de 9 %. Le seuil de concessionnalité pour les pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure (PRITI) est désormais de 15 %, calculé avec un taux d’actualisation de 7 % ; celui pour les pays à revenu intermédiaire de tranche supérieur (PRITS) est de 10 %, avec un taux d’actualisation de 6 %.

 

Tableau 1 : seuils de concessionnalité et taux d’actualisation permettant de définir l’éligibilité d’un prêt bilatéral à l’APD, avant et après la réforme

Critères

Avant la réforme

Après la réforme

PMA/PFR

PRITI

PRITS

Seuil de concessionnalité (ou élément-don minimal)

25 %

45 %

15 %

10 %

Taux d’actualisation cor-respondant pour le calcul de l’élément-don

10 %

9 %

7 %

6 %

 

 

B. Mode de comptabilisation des prêts

La méthode de comptabilisation actuelle des prêts consistait, jusqu’en 2018, à prendre en compte les flux décaissés nets des remboursements. Un financement par prêt était donc notifié sur la durée entière du prêt, en flux. La réforme introduit une notification en équivalent-don (la comptabilisation se fait désormais au moment des décaissements) : cette méthode permet de mettre fin au système consistant à notifier des flux nets positifs dans un premier temps puis à soustraire des flux négatifs au fur et à mesure des remboursements d’un prêt : dorénavant, seule la partie correspondant à l’équivalent-don de chaque prêt est comptabilisée. L’équivalent-don est en effet le produit du montant engagé du prêt – sa valeur nominale – et de son élément-don ; il dépend directement du mode de calcul de l’élément-don.

La méthode de comptabilisation de l’aide est ainsi plus cohérente : seul l’équivalent-don des prêts contribue à la mesure de l’effort des bailleurs, et vient s’ajouter aux dons. Auparavant, tout prêt dont l’élément-don était supérieur à 25 % était entièrement déclarable en APD, indépendamment de ses conditions financières. Désormais, un prêt est comptabilisé à hauteur de son niveau de concessionnalité.

La différenciation des taux d’actualisation et l’instauration de seuils différenciés en fonction de la catégorie de pays à laquelle le receveur de l’aide appartient doivent par ailleurs donner des incitations aux bailleurs à octroyer davantage de financements aux pays les plus pauvres.

En outre, pour un bailleur, l’effort financier minimum afin de rendre un financement éligible à l’APD a été considérablement renforcé, notamment pour les plus pauvres (PMA et PFR, cf. ci-dessus) où le seuil minimum de concessionnalité passe de 25 % à 45 %.

La réforme de comptabilisation et d’éligibilité des prêts à l’APD présente ainsi de nombreux points méritant d’être soulignés : (i) elle permet en effet de valoriser positivement notre contribution d’APD sous forme de prêt à long terme (alors que l’APD issue des prêts était nulle à long terme selon l’ancienne méthodologie, les remboursements venant en déduction des versements au cours du temps) ; (ii) elle rend mieux compte des efforts des pays bailleurs et de la diversité des pays partenaires ; (iii) elle incite les bailleurs à prêter aux pays ayant le plus de difficultés à financer leurs projets ou à des conditions correspondant à leur revenu, notamment les PMA, dans le strict respect des règles d’endettement soutenable (le CAD lie pour la première fois explicitement sa politique de comptabilisation des prêts d’APD au respect des règles d’endettement soutenable promues par le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale) ; (iv) elle introduit une réelle possibilité de comparabilité des données annuelles entre instruments (les dons et prêts bilatéraux au secteur public sont concernés par la décision de la réunion HLM de décembre 2014, des précisions méthodologiques sur la comptabilisation des prêts d’APD réalisés en faveur des organisations internationales ont été actées en 2016) ; (v) elle met fin aux fluctuations intervenant en lien avec les flux négatifs liés aux remboursements de prêts.

 

C. Précisions méthodologiques apportées en 2016 pour la comptabilisation des prêts en faveur d’organisations internationales

Dans la continuité de la réforme adoptée en décembre 2014 pour les prêts souverains bilatéraux, le CAD a également modernisé en avril 2016 les règles applicables à la comptabilisation en APD des prêts en faveur d’organisations internationales. Ainsi, adoptant la logique de la comptabilisation en équivalent-don des prêts, la différenciation en fonction du type de récipiendaire et un seuil minimum de concessionnalité, les paramètres en vigueur depuis mi-avril 2016 sont les suivants :

-     l’équivalent-don des prêts aux organismes multilatéraux sera dorénavant comptabilisé,

-     avec un taux d’actualisation de 5 % pour les « Global institutions and multilateral development banks » (FMI, Association internationale de développement -AID, Banque internationale pour la reconstruction et le développement -BIRD, Société financière internationale -SFI, Fonds international de développement agricole -FIDA, Banque africaine de développement -BAfD, Banque asiatique de développement -BAsD, Banque européenne pour la reconstruction et le développement -BERD, Banque interaméricaine de développement -BID, Banque islamique de développement, Fonds vert pour le climat),

-     avec un taux d’actualisation de 6 % pour les autres organisations (Afreximbank, CAF Corporacion Andina de Fomento, Black Sea Trade and Development Bank, Caribbean Development Bank, Banque de développement des États de l’Afrique centrale -BDEAC, Banco Centroamericano de Integracion Economica -BCIE, Banque ouest-africaine de développement -BOAD…),

-     avec un seuil minimum de concessionnalité de 10 %.

 

Comme pour les prêts souverains bilatéraux, cette mesure en équivalent-don a été pleinement appliquée à partir de l’APD relative à l’année 2018.

Pour information, une négociation est également en cours au CAD de l’OCDE concernant la comptabilisation en APD des annulations et rééchelonnements de dette.

La réforme de 2014 est présentée dans un numéro de la revue Trésor éco de la DG Trésor : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2016/03/08/tresor-eco-n-161-les-nouvelles-regles-pour-les-prets-d-aide-publique-au-developpement-quels-enjeux.

***

Impact de la réforme de la comptabilisation des prêts au secteur public sur l’APD française en 2018

 

Les données préliminaires de l’aide publique au développement de la France au titre de l’année 2018 ont été publiées le 10 avril 2019 et les données définitives ont été envoyées à l’OCDE en juillet 2019 et sont actuellement en cours de vérification.

L’APD française, en hausse depuis 2014, s’établit en 2018 à 10,3 Md€ (12,2 Md$).

Le chiffre d’APD en 2017, qui s’élevait à 10,1 Md€, était encore notifié suivant l’ancienne méthode de comptabilisation. Si cette nouvelle méthode de comptabilisation était entrée en vigueur un an plus tôt, l’aide française aurait enregistré une hausse de 9 % entre 2017 et 2018 (passant de 9,5 Md€ à 10,3 Md€).

Du fait du changement de méthode qui entre en vigueur cette année, les montants d’APD déclarés au titre des prêts diminuent, ce qui se traduit par un repli comptable de l’APD bilatérale (-4 %) bien que les décaissements de prêts soient en hausse, ainsi que les dons (+4 % en APD bilatérale en don).

 

Les décaissements de prêts au secteur public sont donc supérieurs aux remboursements. La réforme de la comptabilisation des prêts au secteur public a ainsi eu un impact à la baisse sur l’APD déclarée par la France : l’APD française est ainsi réduite de 639 799 K€ au titre des prêts bilatéraux au secteur public et de 35 744 K€ au titre des prêts multilatéraux au secteur public.

 

Tableau 2 : APD générée par les prêts bilatéraux et multilatéraux au secteur public en 2018, selon l’ancienne et la nouvelle méthode de comptabilisation

 

Type de prêt

Décaissements

Remboursements

APD en flux

(ancienne méthodologie)

APD en équivalent-don (nouvelle méthodologie)

Prêts bilatéraux

3 510 062 K€

1 628 718 K€

1 881 344 K€

1 241 545 K€

Prêts multilatéraux

943 435 K€

308 502 K€

634 933 K€

599 189 K€

 


([1]) Voir note en annexe.

 

([2]) Cette mesure correspond à la différence entre la valeur nominale du prêt et la valeur nette actualisée compte tenu des caractéristiques dudit prêt (taux d’intérêt, période de grâce, échéance, type de remboursement, etc.).