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N° 2304

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019.

 

 

AVIS

 

 

PRÉSENTÉ

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2020,

 

 

TOME IV

 

 

RÉGIMES SOCIAUX ET DE RETRAITE

 

PENSIONS

 

 

PAR M. Belkhir BELHADDAD,

 

Député.

——

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale :  2272, 2301 (annexe n° 35).

 

 

 


 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

Première partie : les évolutions du budget 2020 pour le compte daffectation spéciale pensions et la mission régimes sociaux et de retraite

I. Les crédits du compte d’affectation spéciale Pensions

A. Le programme 741 pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires dinvalidité

B. Le programme 742 Ouvriers des établissements industriels de lÉtat

C. Le programme 743 Pensions militaires dinvalidité et des victimes de guerre et autres pensions

II. Les crédits de la mission régimes sociaux et de retraite

A. Le programme 198 Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres

B. Le programme 197 Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins

C. Le programme 195 Régimes de retraite de la SEITA et divers

SECONDE partie : lavenir des réserves financières du système de retraites

I. état des lieux des réserves du système de retraites

A. Laccumulation de réserves substantielles pour anticiper les chocs démographiques et financiers

1. 137 milliards deuros de réserves constituées par les régimes en répartition

2. 36 milliards deuros de réserves accumulées par le FRR

3. 28 milliards deuros de provisions au sein des régimes par capitalisation

B. Des placements divers et inégalement performants

C. Labsence singulière de doctrine dutilisation

1. Quelles seraient les conditions dun décaissement des réserves ?

2. Quelles seront les conséquences de lutilisation des réserves en comptabilité nationale ?

II. Quel avenir des réserves dans un régime universel ?

A. Les préconisations du « Rapport Delevoye » : le point de départ du dialogue avec les régimes

1. La création dun « Fonds de réserve universel »

2. Distinguer les engagements des régimes actuels à honorer et la liberté dutilisation des réserves par les caisses

B. Concilier lorigine professionnelle des réserves et lambition duniversalité

1. Lattachement des professions aux réserves constituées par leur caisse

2. LÉtat comme futur garant de lensemble du système de retraites

C. Ni spoliation, ni dilapidation : le chemin à trouver dans le respect de la soutenabilité financière

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur


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   Avant-propos

● La présentation des crédits pour 2020 de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions intervient dans un contexte singulier, à mi-chemin entre la remise des préconisations du haut‑commissaire à la réforme des retraites et la présentation du projet de loi relatif à la création d’un système universel.

Ces crédits sont regardés avec d’autant plus d’attention que leur poids dans les finances publiques – près de 66 milliards d’euros – et leur trajectoire d’évolution conditionneront l’équilibre financier du futur régime.

Regroupant l’ensemble des financements consacrés aux régimes des fonctionnaires civils et militaires, mais aussi des régimes spéciaux et de dispositifs dérogatoires, ces crédits illustrent à eux seuls la complexité et l’éclatement de notre système de retraites. Ils témoignent également du poids significatif des déséquilibres démographiques, que de nombreux régimes auront à affronter à l’avenir, et le rôle indispensable de la solidarité interrégimes pour garantir le financement des pensions.

La concertation menée actuellement par le Gouvernement peut en ce sens être considérée comme une invitation à embrasser sans attendre une approche universelle, qui dépasse la focalisation sur une caisse ou une profession isolée.

Succédant à la présentation synthétique des crédits, le choix d’une analyse exhaustive des réserves financières de l’ensemble du système de retraites s’inscrit dans cette démarche.

● Le traitement des réserves est d’autant plus nécessaire que leur poids financier – un encours total de 210 milliards d’euros en 2018 – et la sensibilité politique de leur avenir contrastent avec la rareté des études disponibles.

Paradoxalement peu documenté, à l’exception des données des caisses de retraites et du Conseil d’orientation des retraites (COR), cet enjeu constitue pourtant l’un des piliers financiers du futur régime universel, et l’un des items les plus observés par les professions.

Remédier à ce silence est indispensable pour poser les fondations d’un dialogue nourri avec les acteurs ayant alimenté ces réserves.

● Aujourd’hui segmentées, à l’image de notre système de retraites, les réserves financières sont logées au sein de différentes caisses et fonds en assurant une gestion autonome. Elles se voient assigner une mission commune de lissage des futurs chocs démographiques ou financiers, dans un système par répartition où les cotisations d’une année peuvent s’avérer insuffisantes pour assurer le versement des pensions la même année.

Si leur objectif est commun, leurs modalités de placement et d’utilisation sont en revanche hétérogènes, reflétant les choix et les préférences des différentes professions.

Cette logique professionnelle ne doit pourtant pas masquer les défis en commun, qu’il s’agisse du vieillissement démographique, de la sensibilité des équilibres financiers à la conjoncture et de la multiplication des cas de polypensionnés apportant leurs cotisations à une pluralité de régimes. En ce sens, toute approche possessive – voire corporatiste – des réserves devrait s’effacer devant l’ampleur des défis partagés.

L’avenir des réserves constitue donc l’une des illustrations les plus saillantes des opportunités ouvertes par un régime universel, et de la complexité associée. Dès lors, écrire l’avenir en commun de ces réserves ne sera pas le moindre des défis du futur régime universel.

● Il nous revient désormais de définir une méthode qui confronte les scénarios sans perdre de vue un principe fondamental, approuvé par les Français en 2017 : l’universalité du nouveau régime.

À l’amertume ou au ressentiment parfois relayés lors des auditions, nous préférons le dialogue et la juste reconnaissance des efforts constitués par les différents régimes.

Accumulées par les caisses à partir des cotisations de leurs adhérents, ces réserves n’ont pas vocation à combler les pertes d’un autre régime ni, a fortiori, à être diluées dans le pot commun des déficits publics. Cette approche doit néanmoins être conciliée avec la future responsabilité de l’État dans le versement des pensions des actifs. Reprenant l’ensemble des engagements constitués par les régimes actuels, l’État devra nécessairement disposer de l’ensemble des moyens destinés à les couvrir, en mobilisant le moment venu les réserves constituées pour leurs professions.

En ce sens, le rapporteur fait sien le double choix formulé par le haut‑commissaire dans son rapport du 18 juillet 2019 :

« Contre le chacun pour soi, je retiens le choix dune mutualisation collective de nos risques individuels. Contre la fragilité des solidarités catégorielles, je fais le choix dune solidarité de toute la Nation, avec le souci dun bien-être collectif. » ([1])

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2019.

À cette date, 92 réponses aux 95 questions posées étaient parvenues au rapporteur pour avis, soit un taux de réponse de 97 % (contre 92 % l’année précédente).

Le rapporteur pour avis remercie les services du ministère de l’action et des comptes publics, du ministère des transports et du haut-commissariat aux retraites de leur coopération.

 


—  1 

   Première partie : les évolutions du budget 2020 pour le compte d’affectation spéciale pensions et la mission régimes sociaux et de retraite

Les crédits du compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions et de la mission Régimes sociaux et de retraite sont stables entre 2019 et 2020, évoluant principalement sous l’effet des effectifs de retraités et des règles d’indexation retenues. Ils sont fixés respectivement à 59,6 milliards et 6,2 milliards d’euros en crédits de paiement par le projet de loi de finances (PLF) pour 2020.

La présentation infra, qui n’a pas vocation à se substituer à l’analyse exhaustive effectuée par le rapporteur spécial de la commission des finances, saisie au fond, retrace les principales tendances de ces crédits pour l’année à venir.

I.   Les crédits du compte d’affectation spéciale Pensions

Mis en place en 2006, le CAS Pensions retrace les opérations relatives aux pensions et avantages accessoires gérés par l’État.

Il regroupe les crédits des régimes de retraite et d’invalidité dont l’État a la charge, qu’il s’agisse des fonctionnaires civils de l’État, des ouvriers d’État ou des militaires. Ses crédits sont répartis en trois sections, correspondant chacune à programme budgétaire (741, 742 et 743). Applicable à tout CAS, le principe d’équilibre est respecté par la somme des contributions employeurs, des cotisations salariales et des versements complémentaires du budget général, rendant le compte excédentaire chaque année.

Le PLF 2020 prévoit une enveloppe de 59,6 milliards d’euros en crédits de paiement, soit un montant stable par rapport à 2019 (+ 1,01 %).

A.   Le programme 741 pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires dinvalidité

Le programme 741 rassemble les crédits destinés aux pensions des fonctionnaires civils et militaires et aux bénéficiaires des allocations temporaires d’invalidité (ATI).

● S’agissant des pensions civiles, tout d’abord, la légère augmentation de l’enveloppe consacrée aux pensions (+ 1,43 %) résulte du nombre de départs projetés à la retraite et des règles d’indexation des pensions.

Le nombre de départ à la retraite devrait légèrement augmenter en 2020 – la mesure de relèvement de l’âge d’ouverture des droits inscrite dans la réforme de 2010 ayant désormais produit ses effets. Les relèvements de l’âge d’annulation de la décote et de la limite d’âge contiendront néanmoins encore ce nombre de départs. Au-delà de 2020, le nombre de départs devrait diminuer progressivement, avec la baisse des départs parmi les fonctionnaires d’Orange et La Poste, sans nouveau cotisant.

Le mode d’indexation des pensions retenu (+ 1 % pour celles inférieures à 2 000 euros, + 0,3 % pour les autres, en cohérence avec le régime retenu par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020) à compter du 1er janvier 2020 contiendra également la hausse du niveau des pensions versées.

● S’agissant des pensions militaires, ensuite, l’enveloppe consacrée aux pensions sera stable entre 2019 et 2020. La diminution du nombre de liquidation de pensions et les règles d’indexation des pensions retenues (cfsupra) permettront de compenser l’augmentation du stock de retraités.

● S’agissant des allocations temporaires d’invalidité (ATI), enfin, la réduction tendancielle du nombre d’allocataires (– 6 % entre 2008 et 2018) se poursuivra en 2020. Les crédits consacrés à l’ATI diminueront légèrement en conséquence.

B.   Le programme 742 Ouvriers des établissements industriels de lÉtat

Le programme 742 finance les opérations de deux fonds consacrés aux pensions des ouvriers de l’État, dont la gestion a été confiée à la Caisse des dépôts et consignations : le fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État (FSPOEIE), d’une part ; le fonds gérant les rentes d’accidents du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM), d’autre part.

● Le FSPOEIE voit ses crédits augmenter en 2020, principalement en raison d’un effet de structure. Si le nombre de pensionnés diminue, le montant de la pension versée aux nouveaux retraités est cependant supérieur à celui versé au titre des flux de sorties. Couplé au mécanisme de revalorisation des pensions, cet effet entraîne une augmentation des montants versés au titre des risques vieillesse et invalidité.

Les dépenses du FSPOEIE autres que celles liées aux deux risques précédents augmentent significativement (+ 51,32 %), sans que les documents budgétaires n’y apportent d’explication. Ces autres dépenses couvrent notamment les allocations supplémentaires au titre des risques vieillesse et invalidité et les charges financières du fonds.

Les frais de gestion du fonds, en revanche, diminuent en 2020 ( 11,85 %). Facturés par la Caisse des dépôts et consignations au titre de sa gestion du FSPOEIE, ces frais financent lensemble des processus mis en œuvre pour la gestion des charges associées.

● Le fonds RATOCEM, quant à lui, voit ses crédits diminuer légèrement (– 3,93 %), pour des raisons que l’on peut supposer essentiellement démographiques, dans le silence des documents budgétaires.

C.   Le programme 743 Pensions militaires dinvalidité et des victimes de guerre et autres pensions

Le programme 743, enfin, finance l’ensemble des pensions, rentes et allocations versées aux militaires invalides et aux victimes de guerre, ainsi qu’aux bénéficiaires de pensions dont l’État est redevable au titre d’engagements historiques et de reconnaissance de la Nation.

Financés entièrement par la solidarité nationale, à partir des crédits de plusieurs programmes support du budget général, ces dispositifs diminuent légèrement en 2020 (– 5,8 %), pour s’établir à 1,62 milliard d’euros en crédits de paiement.

Parmi les principales pensions et rentes figurent :

– la retraite du combattant et les traitements attachés à la Légion d’honneur et à la médaille militaire, bénéficiant à respectivement 940 071 anciens combattants et 126 991 légionnaires et médaillés ;

– la réparation accordée aux militaires victimes d’accidents imputables au service ou à des faits de guerre et aux victimes civiles de guerre ou d’actes de terrorisme, couvrant 206 676 pensions ;

– les pensions versées aux ministres cultes catholique, protestant luthérien, protestant réformé et israélite, dans le cadre du régime concordataire d’Alsace-Moselle. Hérité de la législation allemande de 1909, ce régime est intégralement financé par l’État, ne reposant sur aucune cotisation, et bénéficie aujourd’hui à 891 personnes ;

– les allocations de reconnaissance et les allocations viagères versées aux anciens membres des formations supplétives en Algérie, bénéficiant à respectivement 4 796 et 975 personnes ;

– les pensions versées par la Caisse des dépôts et consignations, pour le compte de l’État, aux 8 retraités français de la compagnie du chemin de fer franco-éthiopien ;

– celles versées, par la même institution, aux 1 734 pensionnés du régime d’indemnisation des sapeurs-pompiers volontaires ;

– les avantages de pension versés aux anciens agents de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), dissous en 1975 – en particulier l’allocation sur-complémentaire de retraite versée aux 58 anciens agents non‑journalistes de l’ORTF.

II.   Les crédits de la mission régimes sociaux et de retraite

La mission Régimes sociaux et de retraite regroupe un ensemble de régimes spéciaux partageant en commun une création ancienne – souvent antérieure à la sécurité sociale – et un fort déséquilibre démographique. Dans lincapacité de sautofinancer, ils bénéficient des crédits de lÉtat, au titre de la solidarité nationale, pour plus de 67 % de leurs ressources totales.

Ces régimes de retraite ont engagé leur convergence vers les paramètres de la fonction publique – convergence qui devrait sachever avec la création dun régime universel de retraite. Lapplication du « nouveau pacte ferroviaire », en particulier, entraînera laffiliation des nouveaux personnels de la SNCF au régime général.

Pour lannée 2020, les crédits de cette mission sélèveront à 6,3 milliards deuros en crédits de paiement, stables par rapport à 2019 ( 0,9 %). Dans le détail, la légère augmentation du programme consacré aux transports terrestres sera plus que compensée par la réduction du nombre de pensionnés dans le régime des mines.

A.   Le programme 198 Régimes sociaux et de retraite des transports terrestres

Le programme 198 finance, pour l’essentiel, les régimes de retraite du personnel de la SNCF et de la RATP. Une troisième destination de ses crédits, résiduelle en montant, couvre d’autres régimes ou dispositifs – en particulier le congé de fin d’activité (CFA).

● Les pensions des anciens agents de la SNCF, en premier lieu, constituent un ensemble de 5,3 milliards d’euros versés par la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (CPRPSNCF), dont la création en 2007 ([2]) a été rendue nécessaire par l’entrée en vigueur des normes comptables internationales International financial reporting standards (IFRS).

Le financement des pensions de la SNCF est dual :

– les contributions patronales libératoires, d’une part, reversées par la SNCF à la CPRPSNCF. Deux taux distincts coexistent : le « taux T1 » (qui vise à égaliser en montant le volume de cotisations que l’entreprise et le salarié acquitteraient en cas d’affiliation au régime de droit commun CNAV – AGIRC-ARRCO) et le « taux T2 » (finançant partiellement les droits spécifiques du régime). S’y ajoutent les cotisations salariales, au taux de 9,33 % en 2020 ;

– la contribution de l’État, destinée à assurer la compensation démographique au titre de la solidarité inter-régimes. Cette contribution s’élèvera à 3,3 milliards d’euros en 2020.

Le nombre de pensionnés de la SNCF, estimé à 249 464 en 2020, reste significativement supérieur au nombre de cotisants, attendu à 126 769.

Leur ratio devrait se dégrader continuellement à l’avenir, en application de la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire ([3]). Cette dernière prévoit l’arrêt des recrutements au statut à compter du 1er janvier 2020, et l’affiliation des nouveaux personnels au régime général – respectivement la CNAV pour le régime de base et l’AGIRC-ARRCO pour le régime complémentaire – à compter de cette même date.

Un mécanisme de compensation en résulte dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, qui instaure une obligation de compensation partielle par les régimes précités des pertes de cotisations constatées pour la SNCF. Une convention sera signée entre l’ensemble de ces régimes pour traduire cette obligation avant le 1er juillet 2020. Le besoin de financement non couvert par cette compensation sera assumé par l’État, afin de financer le différentiel entre les taux de cotisation dans le nouveau régime d’affiliation et ceux existant jusqu’alors dans le régime de la SNCF – soit environ 40 % du besoin de cotisations que constatera la CPRPSNCF à compter de la fermeture du statut.

● Les pensions des anciens agents de la RATP, en second lieu, mobiliseront 746 millions d’euros de crédits budgétaires, soit 60 % du montant des pensions versées.

Cette compensation est rendue nécessaire par la persistance d’un ratio démographique dégradé, le nombre de pensionnés du régime de la RATP – 53 160 en 2020 – restant supérieur à celui des cotisants – 42 710 la même année.

Anticipant le modèle retenu pour la SNCF, l’ensemble des flux financiers sont portés par la Caisse de retraite du personnel de la Régie autonome des transports parisiens (CRPRATP), créée en 2005 ([4]).

● La principale augmentation des crédits par rapport à 2019 sera portée par les autres dépenses de ce programme, couvrant en particulier les dispositifs d’aide au départ à la retraite dans le transport terrestre (+ 22,47 %).

Deux dispositifs doivent être soulignés :

– le congé de fin d’activité (CFA) des conducteurs routiers, géré par le FONGECFA pour le transport de marchandises et par l’AGECFA pour le transport de voyageurs. Créé en 1997, ce congé est désormais destiné aux salariés ayant au moins 57 ans et attestant, selon les cas, de 25 ou 30 années d’ancienneté dans la conduite. Essentiellement pour des raisons démographiques au titre du transport de marchandises, le coût de ce dispositif augmentera de plus de 32 % en 2020 ;

– le complément de retraite des conducteurs routiers, résiduel en termes financiers et stable par rapport à 2019, financé par l’État via la Caisse autonome de retraites complémentaires et de prévoyance du transport (CARCEPT). Il bénéficie aux salariés partis à la retraite avec un nombre insuffisant de trimestres pour bénéficier d’une pension complète au régime général.

Deux catégories de pensions spécifiques complètent ce programme :

– les pensions de certains anciens agents des chemins de fer secondaires d’intérêt local. Versées par la CNAV et financées par l’État ([5]), ces pensions sont destinées aux affiliés de l’ex-CAMR ([6]). La baisse des crédits accordés accompagne la diminution du nombre de bénéficiaires, en toute logique avec l’extinction du dispositif ;

– celles versées aux anciens agents de chemins de fer d’Afrique du Nord et d’outre-mer, versées – selon les publics – par la CPRPSNCF, la CRPRATP et la Caisse des dépôts et consignations, leurs crédits étant stables en 2020.

B.   Le programme 197 Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins

Le programme 197 précise le niveau des financements accordés par l’État au régime de sécurité sociale des marins et des gens de mer et à l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM) au titre de ses charges de service public.

La contribution de l’État, qui couvre plus des trois quarts des prestations de retraite des marins, est fixée à 823,4 millions d’euros en crédits de paiement pour 2020 (+ 0,95 %). Elle est rendue indispensable par la situation démographique des marins – le nombre de marins en activité étant trois fois inférieur au nombre de pensionnés et les droits dérogatoires du régime.

Bien que ses dépenses soient contraintes – 98 % relevant des dépenses obligatoires de versement de pensions –, l’ENIM améliore d’année en année sa gestion, en application notamment de l’actuelle convention d’objectifs et de gestion (COG) 2016-2020.

C.   Le programme 195 Régimes de retraite de la SEITA et divers

● Le dernier programme de la mission finance une grande partie des pensions de quatre régimes spéciaux en voie d’extinction :

– le régime des mines, relevant de la Caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines (CANSSM) et géré par la Caisse des dépôts et consignations pour les risques vieillesse et invalidité. Fermé depuis 2010 et en extinction jusqu’à l’horizon 2100, ce régime souffre d’un déséquilibre démographique majeur – 231 000 pensionnés pour 1 220 cotisants – justifiant une enveloppe de 1,1 milliard d’euros en crédits de paiement en 2020 (– 3,52 %) ;

– le régime de la (SEITA), dont la gestion opérationnelle est confiée à l’association pour la prévoyance collective (APC), ne compte plus aucun nouveau cotisant depuis 1980. À ce jour, plus aucun actif ne cotise donc à la SEITA, et 7 960 pensionnés bénéficient de pensions constituées antérieurement. Le montant des crédits de l’État à ce titre s’élève à 139,2 millions d’euros en 2020, la légère diminution (– 5,3 %) reflétant la réduction continue du nombre de pensionnés ;

– la Caisse de retraite des régies ferroviaires d’outre-mer (CRRFOM), dont la gestion est confiée à la Caisse des dépôts et consignations depuis 1993. Rassemblant les agents permanents ayant appartenu au statut du personnel de coopération technique ferroviaire ou au statut du personnel des régies ferroviaires d’outre-mer, ses pensionnés ne sont plus que 80 aujourd’hui. L’enveloppe consacrée par l’État au versement des pensions et à la couverture des frais de gestion s’élève à 1,3 million d’euros en crédits de paiement en 2020. Ici aussi, la diminution du montant (– 17,1 %) traduit directement la baisse du nombre de pensionnés ;

– les avantages de pension versés aux anciens agents de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), retracés dans le CAS Pensions (cfsupra).

Au total, l’enveloppe du programme 195 est portée à 1,3 milliard d’euros en crédits de paiement en 2020, en diminution de 7,8 % par rapport à 2019.

● Une dernière fraction des crédits du programme 195 était affectée, depuis 2017, au financement du régime complémentaire obligatoire (RCO) des non-salariés agricoles, à hauteur de 55 millions d’euros, afin de pallier l’insuffisance des recettes au titre des cotisations sociales.

Le PLF pour 2020 supprime cette affectation, dans un objectif de clarification du périmètre du programme 195, désormais recentré sur les quatre régimes spéciaux.

La situation financière du RCO devrait toutefois rester équilibrée, un excédent ayant été constaté en 2019 (36 millions d’euros) et la fraction de droits de consommation sur les alcools affectée au régime augmentant en 2020.


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   SECONDE partie : l’avenir des réserves financières du système de retraites

I.   état des lieux des réserves du système de retraites

A.   L’accumulation de réserves substantielles pour anticiper les chocs démographiques et financiers

La notion de « réserves financières » du système de retraites rassemble l’ensemble des montants accumulés par les divers fonds et caisses de notre système de retraite et constitués en haut de cycle.

Ce vocable générique masque néanmoins des réalités très diverses, tenant à la fois à la nature juridique, aux montants et aux modalités de gestion et d’utilisation desdites réserves.

En ce sens, les réserves sont bien le reflet de la complexité et de l’hétérogénéité de notre système de retraites.

1.   137 milliards d’euros de réserves constituées par les régimes en répartition

● L’essentiel des réserves financières a été constitué directement et progressivement par les caisses des régimes de retraite en répartition, pour atteindre un total de 137 milliards d’euros en 2017.

Elles résultent de la différence entre les cotisations encaissées et le versement des pensions et des frais de gestion. S’y ajoutent les rendements financiers de ces excédents et, le cas échéant, les excédents techniques.

Leur utilité est manifeste dans un régime géré par répartition, où les cotisations perçues une année financent les pensions versées la même année. La sensibilité de la masse salariale à la conjoncture, dans un système encore largement financé par les cotisations sociales, l’ampleur des sommes engagées par notre système de retraites – 14 points de PIB – et les perspectives démographiques associées au vieillissement de la population ont rendu la constitution de réserves indispensable.

Outre la disponibilité de liquidités, permettant d’abonder le fonds de roulement en cours d’exercice et d’assurer une régularité de paiement, les réserves répondent donc essentiellement à une mission de lissage, que ce dernier relève du court terme – pour affronter un choc économique et financier, en substitution ou en complément d’une réforme paramétrique – ou du long terme – pour anticiper un déséquilibre démographique.

● Dans le détail, les réserves financières sont principalement constituées dans le régime complémentaire des salariés et dans les régimes de base et complémentaire des professions indépendantes et libérales.

Réserves du système de retraites au 31 décembre 2017

(en milliards d’euros)

 

Valeur comptable

En mois de prestations

AGIRC-ARRCO

70,8

11

CNAVPL complémentaire*

24,3

66

RCI

17,4

108

IRCANTEC

8,5

35

BDF

5,7

145

CRPNPAC

3,8

76

CNRACL

2,2

1

CNAVPL base

1,7

14

CNBF complémentaire

1,3

69

CNBF base

0,6

49

CRPCEN

0,5

7

MSA complémentaire

0,1

1

(*) Rassemble les réserves constituées par neuf sections professionnelles composant la CNAVPL : CARCDSF (chirugiens-dentistes et sages-femmes), CARMF (médecins), CARPIMKO (infirmiers, masseur-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes), CARPV (vétérinaires), CAVAMAC (agents généraux d’assurance), CAVEC (experts-comptables et commissaires aux comptes), CAVOM (officiers ministériels, officiers publics et des compagnies judiciaires), CIPAV (architectes, ingénieurs, géomètres-experts...) et CPRN (notaires). La CAVP (pharmaciens) constitue une exception, fonctionnant par capitalisation (cf. infra).

Source : Commission des affaires sociales, à partir des données du Conseil d’orientation des retraites (COR).

Certaines de ces réserves méritent une attention particulière du fait de leur poids et de la participation des professions à leur constitution :

– l’AGIRC-ARRCO, en premier lieu, cumule près de 54 milliards d’euros de réserves techniques de financement. Ces réserves ne peuvent être inférieures à six mois de prestations, aux termes de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 ([7]). Elles doivent être distinguées de la réserve de fonds de roulement – 17 milliards d’euros qui couvrent l’écart entre le versement des pensions et le recouvrement des cotisations – et de la réserve de gestion administrative – 2 milliards qui participent au financement des opérations de gestion ;

– les professions libérales, également, ont constitué des réserves au titre des différentes caisses complémentaires, s’ajoutant aux réserves accumulées par le régime de base. Chaque section gère en autonomie ses réserves, à partir des projections démographiques et financières des professions qui la composent ;

– régis par une organisation spécifique, les avocats ont accumulé à eux seuls près de 2 milliards d’euros répartis entre la caisse nationale de base et la caisse nationale complémentaire, respectivement fondées en 1948 et en 1979. Cette somme, qui représente l’équivalent d’au moins quatre années de versements de prestations, a pour objet direct le relèvement du défi démographique – le nombre de retraités (+ 6,6 % entre 2017 et 2018) augmentant bien plus rapidement que celui de cotisants (+ 1,4 % sur la même période) ;

– les artisans et les commerçants, enfin, ont dès la création de leur régime de retraite complémentaire consacré une partie substantielle de leurs ressources à l’accumulation de réserves. Leur régime complémentaire actuel, le régime complémentaire des indépendants (RCI), en vigueur depuis 2013, totalise aujourd’hui 18 milliards d’euros, soit près d’une décennie de versement de prestations de retraite.

2.   36 milliards d’euros de réserves accumulées par le FRR

● Le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) totalisant à lui seul 33 milliards d’euros d’actif net.

Le Fonds de réserve pour les retraites : historique et missions

Le FRR a été créé en 1999 afin d’anticiper le risque d’une rupture de la solidarité intergénérationnelle, avec l’arrivée à la retraite des générations issues du baby boom.

Plutôt qu’une nouvelle réforme paramétrique, après celle de 1993, le choix a été fait de mettre en place un fonds de lissage destiné à couvrir les futurs engagements du régime général et des régimes alignés. Conçu à l’origine comme une section comptable du Fonds de solidarité de vieillesse (FSV), le FRR devient une entité autonome avec la loi du 17 juillet 2001 ([8]), portant création de l’établissement public autonome dans sa forme actuelle.

Sa gouvernance repose sur un conseil de surveillance et un directoire, associant l’ensemble des acteurs de notre système de retraites. Le conseil de surveillance rassemble vingt membres représentant les partenaires sociaux, le Parlement et l’État. Il détermine les grandes orientations de la politique de placement et contrôle la gestion et les performances du fonds. Le directoire, quant à lui, est responsable de la gestion des investissements et de la gestion administrative. Il doit rendre compte de cette gestion au conseil de surveillance.

S’y ajoute un comité stratégie investissement (CSI), en charge du pilotage du surplus – c’est-à-dire de la différence entre l’actif du FRR et ses engagements liés à la CADES et à la soulte CNIEG (cf. infra).

● Bien que loin de l’objectif initial de 150 milliards d’euros à l’horizon 2020, le FRR rassemble aujourd’hui un actif net substantiel, estimé à 33 milliards d’euros en 2018.

Ses recettes ont été constituées entre 1999 et 2010, via l’affectation des prélèvements rassemblés dans le tableau infra.

Origine des réserves ayant constitué le FRR

(en milliards d’euros)

Prélèvement social sur les revenus du patrimoine

7,8

Prélèvement social sur les produits de placement

6,8

Licences téléphonie mobile

2,8

Vente des parts de caisses dépargne

2,6

Privatisations

1,6

Excédent de la CNAV

5,6

Source : Commission des affaires sociales, à partir des données du FRR.

S’y est ajouté un versement exceptionnel en 2005, en provenance des industries électriques et gazières (IEG) – dit « soulte CNIEG ». D’une valeur initiale de 3,06 milliards d’euros, cette soulte est désormais estimée à 4,9 milliards d’euros en valeur de marché et devra être restituée après 2020, selon des modalités qu’il reste à définir.

● Le FRR n’est plus alimenté, ses recettes ayant été réorientées vers la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).

Il est lui-même devenu le financeur d’une partie de la CADES, lui affectant 2,1 milliards d’euros par an jusqu’à 2024, date d’extinction programmée de la dette sociale.

Outre le retraitement de la soulte CNIEG, les réserves du FRR doivent donc également être diminuées de 12,6 milliards pour la période 2019-2024.

Au total, une fois les différentes obligations retraitées, l’actif net du FRR à l’horizon 2024 devrait s’élever à 19 milliards d’euros, dans un scénario médian.

Le graphique infra retrace les différentes hypothèses à cet horizon.

Source : Fonds de réserve pour les retraites.

3.   28 milliards d’euros de provisions au sein des régimes par capitalisation

Deux régimes de retraites répondent à une logique spécifique, étant construits sur le principe de la capitalisation.

Plutôt que des réserves au sens strict, les montants constatés sont en réalité des provisions, qui doivent garantir le versement des droits à retraite des bénéficiaires.

Le régime additionnel de la fonction publique (RAFP), en premier lieu, totalisait 22,4 milliards d’euros de provisions en 2017, en valeur comptable.

Créé en 2006, l’établissement voit son activité monter progressivement en charge. En valeur de marché, cet actif est estimé en 2019 à plus de 34 milliards d’euros. À l’horizon de l’entrée en vigueur de la réforme, en 2025, ce montant devrait dépasser 45 milliards d’euros selon les informations transmises au rapporteur par l’établissement.

Évolution projetÉe du portefeuille de l’ERAFP en valeur boursiÈre

(en milliards d’euros)

Année

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Montant

34,5

36,6

38,7

40,8

43,3

46,3

Source : Commission des affaires sociales, à partir des données de l’ERAFP.

La caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP), en second lieu, rassemblait en 2017 5,8 milliards de provisions. Ce régime est spécifique par sa double modalité de gestion :

– une part du régime est gérée en répartition, où les cotisations perçues une année couvrent le financement des prestations versées la même année ;

– l’autre part est gérée en capitalisation, où les cotisations versées par chaque individu au cours de sa vie active financent un capital constitutif. Lors de la liquidation de la pension, le capital est multiplié par un coefficient de rente dont les paramètres dépendent de l’affilié – notamment son âge et son statut marital.

Le RAFP et la CAVP partagent donc un fonctionnement commun de provisionnement de leurs engagements au passif et de couverture de leur actif par des placements financiers.

B.   Des placements divers et inégalement performants

Les différentes réserves constituées par notre système de retraites font l’objet d’utilisations variées, selon les choix et les préférences de chaque caisse ou fond.

Bien qu’elles répondent à un objectif commun, ces réserves se distinguent par des placements très divers, inégalement performants et stratégiques. Au terme des auditions menées par le rapporteur, il semble exister autant de politiques de placement des réserves que de caisses les ayant constituées.

● Le FRR mène un pilotage financier dual, distinguant les actifs obligataires de qualité – destinés à couvrir le passif dû à la CADES – des actifs de performance – mobilisant le surplus.

La politique de placement du FRR apparaît performante sur la durée. À l’exception des exercices 2008 et 2018, marqués respectivement par le déclenchement de la crise économique et financière et par un épisode de grande volatilité sur les marchés financiers, la performance du FRR aura permis d’augmenter significativement le surplus.

Les deux graphiques infra précisent le niveau de performance annuelle nette du FRR et l’allocation de ses réserves sur les marchés financiers. En moyenne, la performance annuelle du FRR aura été de près de 5 % depuis sa création.

Source : Fonds de réserve pour les retraites.

De fait, la consécration de près de 50 % de ses réserves à des actifs de performance est doublement justifiée :

– investies dans l’économie, les réserves soutiennent directement la croissance en ciblant des secteurs à forte valeur ajoutée. Le fléchage de 500 millions d’euros du FRR vers les valeurs du secteur technologique d’ici 2022 en constitue une illustration claire ;

– cette politique de placement a permis au FRR d’honorer ses obligations définies par la loi – en particulier pour l’apurement de la dette sociale – tout en renforçant son surplus. Ce dernier atteint 17 milliards d’euros en 2018.

● La performance des politiques de placement des réserves varie toutefois fortement d’un régime à l’autre, laissant apparaître des rendements très inégaux au sein du système de retraites.

Loin d’avoir formalisé une doctrine historique d’emploi, la plupart des caisses de retraites se limitent à un objectif défini en termes de prestations : pouvoir couvrir les versements de pensions sur une durée exprimée en mois ou en années.

À titre d’exemple, l’AGIRC-ARRCO s’est fixé pour objectif de pouvoir couvrir six mois d’engagements. Les réserves dépassant ce seuil sont basculées du fonds de gestion administrative vers les réserves techniques, afin de pouvoir bénéficier le moment venu aux retraités.

Le régime complémentaire des indépendants, quant à lui, s’assigne comme durée de vie des réserves la durée moyenne de perception des prestations par les nouveaux bénéficiaires – soit environ trente ans pour les retraités.

La performance apparaît cependant très variable d’une année et d’un placement à l’autre, interrogeant l’existence ou non d’une doctrine d’emploi des réserves.

L’AGIRC-ARRCO consacre par exemple les deux tiers de ses placements à l’achat d’obligations. La limitation du risque semble ainsi primer sur l’obtention d’un rendement dynamique – en particulier dans un contexte de taux d’intérêt négatif.

Le RCI, également, investit une part significative de ses réserves en obligations – environ 45 % en 2018. La performance annuelle moyenne des réserves du RCI, bien que non négligeable, reste ces dernières années inférieure à 3 %.

L’ERAFP, enfin, pratique une politique de placements 100 % socialement responsables, pour une rentabilité nette annuelle moyenne de 4,8 %.

C.   L’absence singulière de doctrine d’utilisation

Quelle qu’en soit la performance de placement, les réserves financières partagent en commun une singulière absence de doctrine d’utilisation, interrogeant aussi bien leurs conséquences comptables que leur capacité à remplir leur fonction de couverture des chocs démographiques et financiers.

Deux questions, en particulier, semblent à ce jour ne pas avoir trouvé de réponses.

1.   Quelles seraient les conditions d’un décaissement des réserves ?

● Au-delà de leurs objectifs théoriques communs – répondre à un besoin de liquidité et couvrir un choc démographique ou financier –, les réserves ne répondent pas à une doctrine d’utilisation précise.

Elles constituent un outil parmi d’autres d’équilibre financier, aux côtés des leviers traditionnellement mobilisés par les régimes de retraites que sont l’augmentation des taux de cotisation, l’allongement de la durée de cotisation ou la réduction du niveau des pensions.

Le choix de mobiliser les réserves dépend donc à la fois du niveau de dégradation des perspectives financières et de l’opportunité politique et sociale de mobiliser ces réserves plutôt que de modifier les paramètres du système. À terme, l’utilisation ou non des réserves peut être assimilée à un transfert entre générations, selon que l’on décide de faire porter le redressement financier à la génération actuelle ou aux générations futures. Au sein même d’une génération, il n’est pas acquis que les assurés ayant participé à la constitution des réserves en récupèrent un jour le bénéfice.

Les différentes caisses de retraites auditionnées n’ont pas formalisé de doctrine plus aboutie d’utilisation, en dehors de l’objectif global de couverture des engagements dans un système par répartition.

Le cas de l’AGIRC-ARRCO apparaît néanmoins comme un précédent éclairant. La dégradation des comptes du régime à compter de 2009 a nécessité la mobilisation de plus de 37 milliards d’euros jusqu’en 2018. La valorisation des réserves conservées et le passage à un rythme mensuel de fonctionnement du régime ([9]) ont permis de reconstituer ces réserves intégralement. L’ANI du 10 mai 2019 ([10]) a par ailleurs prévu l’écrêtement des réserves de fonds de gestion administrative à hauteur de 1 milliard d’euros, afin de les affecter aux réserves techniques de financement.

● Au-delà du seul objectif d’équilibre financier, les réserves pourraient se voir attribuer d’autres finalités, telle la préservation du niveau de vie des retraités rapporté à celui des actifs.

Les projections du COR font apparaître un décrochage de ce ratio, comme l’illustre le graphique infra. Elles ne traduisent pas une diminution des pensions des retraités en valeur absolue, mais une croissance plus faible que celle des revenus des actifs.

Pension moyenne des retraités
rapportée au revenu d’activité moyen

Source : Conseil d’orientation des retraites.

La réflexion relative à la finalité des réserves du système de retraites pourrait donc être élargie, afin d’anticiper le décrochage annoncé du niveau de vie des retraités par rapport à celui des actifs, et permettre aux générations ayant participé à la constitution de ces réserves d’en bénéficier à leur tour.

2.   Quelles seront les conséquences de l’utilisation des réserves en comptabilité nationale ?

La seconde interrogation par les réserves financières est relative aux conséquences comptables de leur mobilisation.

Concrètement, et quelle qu’en soit la finalité, le décaissement de réserves est-il de nature à améliorer le solde budgétaire, tel qu’entendu en comptabilité nationale ? La réponse est négative.

Deux cas doivent être distingués :

– dans l’hypothèse d’une utilisation des réserves pour couvrir un besoin temporaire de financement, le solde budgétaire serait inchangé. À titre d’exemple, un décaissement du FRR destiné à alimenter la branche vieillesse du régime général se traduirait par un solde nul. Le financement des prestations pourrait être assuré, mais les conséquences seraient neutres en comptabilité nationale. Un raisonnement identique peut être tenu pour l’utilisation des réserves par les caisses de retraites elles-mêmes, l’opération pouvant alors être considérée comme invisible en comptabilité nationale ;

– dans l’hypothèse d’une mobilisation des réserves pour un autre objet, en revanche – par exemple, le financement de nouveaux droits – le solde budgétaire serait dégradé. Les réserves seraient ici affectées au financement d’une dépense nouvelle. Cette situation doit être distinguée des versements actuels effectués par le FRR à la CADES : cette dernière n’étant pas en charge d’une dépense mais d’une couverture d’endettement, les conséquences sont neutres en comptabilité nationale. À l’inverse, l’affectation de ces mêmes versements à une dépense reviendrait à dégrader les comptes sociaux – et, plus largement, les comptes publics.

Sans achever le débat, ces éléments d’analyse interpellent également sur l’absence de consensus officiel sur les conséquences comptables d’une telle utilisation. Les échanges menés par le rapporteur avec les directions financières de plusieurs caisses et administrations se sont distingués par une appréciation très inégale de ces conséquences, contrastant avec l’ampleur des sommes en jeu.

II.   Quel avenir des réserves dans un régime universel ?

A.   Les préconisations du « Rapport Delevoye » : le point de départ du dialogue avec les régimes

Remis au Premier ministre le 18 juillet 2019, le rapport du haut‑commissaire à la réforme des retraites dessine les contours d’un futur régime universel de retraites, à l’issue de dix‑huit mois de concertations avec les partenaires sociaux.

Loin d’être un projet de loi ou un point d’arrivée, il s’agit au contraire d’une série de préconisations alimentant la réflexion dans le cadre d’une nouvelle concertation avec les partenaires sociaux, d’une consultation citoyenne et, à terme, d’un débat parlementaire. Les auditions menées par le rapporteur s’inscrivent précisément dans cette perspective d’alimenter la réflexion.

1.   La création d’un « Fonds de réserve universel »

Rappelant le caractère indispensable des réserves financières pour soutenir le pilotage du système de retraites, le haut-commissaire préconise la création d’un « Fonds de réserve universel » (FRU).

Ce nouveau fonds, qui n’est pas la simple transposition du FRR actuel, se verrait confier comme mission de « gérer les sommes qui lui seront affectées afin de contribuer à la pérennité et à léquilibre financier du système universel de retraite, par la prise en charge des déséquilibres financiers susceptibles de résulter de chocs démographiques ou conjoncturels » ([11]).

À cette mission centrale, qui rejoint celle traditionnellement assignée aux fonds de lissage, s’ajouterait la participation au financement de l’économie française, en particulier vers des investissements socialement responsables.

La définition générale des missions du futur FRU s’inscrit ainsi directement dans la lignée du système actuel, tout en venant remédier à l’éclatement des différentes réserves en les rassemblant dans un dispositif unique.

2.   Distinguer les engagements des régimes actuels à honorer et la liberté d’utilisation des réserves par les caisses

Le nœud de la réflexion concerne dès lors moins la mission du futur fonds – assez consensuelle – que ses modalités d’abondement et d’utilisation, en lien avec les réserves constituées par les régimes actuels.

Le rapport du haut-commissaire distingue deux utilisations des réserves constituées jusqu’ici.

● Une première partie des réserves serait transférée au nouveau régime afin de couvrir ses engagements financiers.

Dans le détail, le rapport prévoit que « seule la part des réserves rigoureusement nécessaire à la couverture des engagements sera transférée » ([12]).

Ce niveau de réserves « rigoureusement nécessaire » serait déterminé à partir d’une fraction destinée à garantir la soutenabilité financière sur longue période. Un « ratio prospectif de long terme » serait ainsi défini, à partir du rapport entre :

– « la somme des réserves évaluées de façon sincère au moment du transfert des engagements et des flux actualisés de cotisations dassurance vieillesse et de produits financiers réalisés par les réserves » ;

– « la somme des flux actualisés des dépenses de prestation évalués de façon sincère sur le même horizon ».

● Les réserves non transférées au nouveau régime seraient maintenues au sein des caisses de retraites qui les possèdent. Ces dernières pourraient les utiliser de manière discrétionnaire, « au bénéfice de leurs assurés » ([13]).

Quatre utilisations sont alors envisagées dans cette hypothèse, sans que leurs conséquences sur les équilibres en comptabilité nationale ne soient explicitées (cf. supra) :

– le financement de droits supplémentaires, dans le cadre du nouveau régime, aux affiliés, anciens affiliés, ayant droit et retraités dans l’ancienne caisse ;

– la prise en charge d’une partie des cotisations, afin d’accompagner la transition vers les nouvelles règles de cotisations ;

– l’abondement, au-delà du régime universel, des étages de retraite supplémentaire ;

– le financement de la création du développement ou de la gestion d’œuvres sociales.

● Loin d’épuiser le débat, ce scénario ouvre la voie à la définition des modalités techniques d’application de ces options.

Le calcul du « ratio prospectif de long terme », en particulier, déterminera l’enveloppe alimentant le futur FRU et celle à la disposition des caisses. Le chiffrage des engagements repris par le nouveau système et l’hétérogénéité des situations entre régimes seront autant de paramètres sensibles dans la nouvelle équation financière.

Dès lors, bien plus qu’un aboutissement, la série de préconisations relatives au futur des réserves doit davantage être considérée comme le point de départ d’une discussion avec l’ensemble des acteurs en charge de ces réserves.

B.   Concilier l’origine professionnelle des réserves et l’ambition d’universalité

1.   L’attachement des professions aux réserves constituées par leur caisse

L’ensemble des auditions menées par le rapporteur ont convergé vers un constat commun : celui de l’attachement des caisses de retraites aux réserves constituées par leurs professions, pour leurs professions.

Ne pouvant être réduit à un simple réflexe catégoriel, ou à un enfermement statutaire, cet attachement traduit l’investissement des différentes caisses dans le maintien des grands équilibres financiers de leur régime.

Quelle qu’en soit l’ampleur, la dégradation du rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités a justifié la constitution de ces réserves, afin de garantir la couverture continue des engagements pris par la caisse de retraite vis‑à‑vis des cotisants devenus retraités.

Les caisses de retraites ont dimensionné, en conséquence, le niveau de leurs réserves en fonction de leurs propres perspectives démographiques et peuvent légitimement en attendre un juste retour.

Cet attachement professionnel aux réserves doit néanmoins être concilié avec la future responsabilité de l’État dans la garantie des engagements qui incomberont au nouveau régime.

2.   L’État comme futur garant de l’ensemble du système de retraites

Trois arguments militent pour donner à l’État l’ensemble des moyens pour assurer la couverture des engagements pris par les régimes de retraites antérieurs, dans une gouvernance associant l’ensemble des représentants des professions.

● Au-delà des trajectoires démographiques et financières propres à chaque profession, l’État verra sa responsabilité renforcée dans un système universel.

Aujourd’hui déjà, conséquence de leur poids dans la richesse nationale (14 points de PIB), les dépenses de retraites ont un effet direct sur les équilibres financiers agrégés, à la hausse comme à la baisse. Cela s’inscrit d’ailleurs en cohérence avec les engagements européens de la France en matière budgétaire : au-delà de son propre budget, l’État s’engage sur une trajectoire regroupant l’ensemble des sous-secteurs d’administrations publiques, administrations de sécurité sociale comprises.

Demain plus encore, dans le cadre d’un régime universel, l’État deviendra le garant de l’ensemble des engagements du système de retraites. À l’aune des différentes hypothèses démographiques et financières, il est à la fois légitime et indispensable que l’État dispose de l’ensemble des moyens nécessaires pour assurer le service des pensions quelle que soit la conjoncture, et puisse s’appuyer sur un fonds de lissage suffisamment doté.

● Le défi démographique, ensuite, est partagé par l’ensemble des régimes.

Dépassant les pyramides des âges propres à chaque profession, le vieillissement démographique et la dégradation du ratio cotisants/retraités rendront indispensable d’alimenter – et, le moment venu, de mobiliser – un fonds de réserve couvrant l’ensemble des engagements.

L’existence d’un défi démographique commun implique dès lors de dépasser une logique professionnelle ou statutaire, et de recréer une véritable solidarité entre actifs dans un système par répartition.

Le graphique infra illustre cette dégradation continue du rapport démographique.

Projections démographiques du COR

Source : Conseil d’orientation des retraites (2019).

● La multiplication du nombre de polypensionnés, enfin, invite à relativiser le sentiment d’appartenance des réserves financières à tel ou tel assuré.

Les carrières professionnelles sont de moins en moins stables et linéaires, rendant les changements de statuts et la multiplication des affiliations de plus en plus fréquents. Un assuré cumule aujourd’hui, en moyenne, 3,1 régimes au cours de sa carrière. 250 000 assurés sont d’ailleurs affiliés à plus de 7 sept régimes distincts. Comment évaluer, dans ce contexte, le rendement auquel pourrait prétendre chaque assuré ayant contribué à constituer les réserves, caisse par caisse ?

C.   Ni spoliation, ni dilapidation : le chemin à trouver dans le respect de la soutenabilité financière

Attachement légitime des caisses aux réserves constituées par leurs assurés, d’une part ; responsabilité de l’État dans la garantie des équilibres budgétaires et le versement des pensions, d’autre part : les paramètres de l’équation des réserves semblent difficilement réconciliables sur le papier.

Le statu quo n’est pourtant pas envisageable dans la perspective d’un régime universel où la garantie de l’équilibre financier n’est pas optionnelle.

Loin des excès de langage relayés par plusieurs organisations lors des auditions, n’hésitant pas à agiter l’étendard d’une « spoliation » imaginaire, il est urgent de rendre compatibles les réserves constituées hier et le régime de demain.

Pour ce faire, une méthode et un principe directeurs peuvent être définis.

● La méthode consiste à inviter chaque caisse de retraite détentrice de réserves financières à proposer des scénarios et devenir force de propositions, afin d’éviter toute critique en corporatisme.

Au-delà des partenaires sociaux, présents dans la concertation menée par le haut-commissaire à la réforme des retraites, il importe également dassocier directement les caisses de retraites dans les discussions techniques, qui estiment aujourdhui être laissées à lécart. Les représentants des différentes caisses de retraites auditionnés par le rapporteur ont manifesté leur incompréhension à ce sujet, et ont exprimé leur disponibilité pour enrichir techniquement les échanges et participer à la construction d’un projet commun.

Cette méthode permettrait de dépasser l’opposition de principe, sans remettre en cause les fondements d’un régime universel.

● Le principe serait celui d’un fléchage des réserves – en tout ou partie – vers les professions les ayant constituées.

Quelle qu’en soit la modalité pratique, il s’agirait de permettre aux régimes ayant constitué les réserves de définir leurs conditions d’utilisations, en particulier durant la phase de transition qui précèdera la création du nouveau régime.

Les propos du Président de la République, tenus lors de l’ouverture de la consultation citoyenne sur les retraites à Rodez, le 3 octobre dernier, confirment d’ailleurs cette lecture :

« On ne prendra à aucune caisse particulière les ressources quelle a emmagasinées ; cest impossible juridiquement. Ce sera utilisé pour ces professionnels, jusquà extinction des droits de ces professionnels. Ce principe est un droit acquis, qui est protégé constitutionnellement. »

La confiance dans le futur régime, érigée en condition sine qua non de sa pérennité, ne pourra résulter que de l’adhésion de l’ensemble des acteurs du système actuel aux principes du futur régime. Le fléchage des réserves vers les actifs les ayant constituées soutiendrait nettement cette confiance.

Il leur revient désormais de saisir cette main tendue, en plaçant leurs propositions sur la table du débat public.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du 23 octobre 2019, la commission examine, pour avis, les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions du projet de loi de finances pour 2020 (n° 2272) (M. Belkhir Belhaddad, rapporteur pour avis).

Mme Fadila Khattabi, vice-présidente. Nous débutons nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2020.

La semaine prochaine, nous aborderons la mission Travail et emploi, puis les missions Santé et Solidarité, insertion et égalité des chances. Mais nous devons commencer ce jour par la mission Régimes sociaux et de retraite et par le compte d’affectation spéciale Pensions, car ils seront examinés en séance publique dès le 30 octobre prochain.

M. Belkhir Belhaddad, rapporteur pour avis. Chaque automne nous donne l’occasion d’examiner les 66 milliards d’euros de crédits affectés au financement des régimes des fonctionnaires civils et militaires et des régimes spéciaux, rassemblés dans la mission Régimes sociaux et de retraite et dans le compte d’affectation spéciale Pensions.

Chaque automne nous permet ainsi de constater la complexité et l’enchevêtrement des circuits financiers, à l’image de notre système de retraites, avec une dispersion des dépenses de retraites entre le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – que nous examinons cette semaine en séance – et le PLF – que nous examinons pour avis en parallèle.

L’examen de cette année intervient toutefois dans un contexte singulier, à mi-chemin entre la remise du rapport du haut-commissaire à la réforme des retraites et la présentation du projet de loi relatif au régime universel.

Plutôt qu’un examen caisse par caisse ou régime par régime, j’ai donc souhaité inscrire mes travaux dans la perspective de cette réforme et embrasser dès maintenant une approche interrégimes.

L’analyse des crédits inscrits dans le PLF s’est donc voulue synthétique, le détail relevant de l’examen au fond par la commission des finances. Relativement stables par rapport à 2019, les crédits pour 2020 suivent pour l’essentiel la trajectoire démographique propre à ces régimes, marqués pour certains par un lourd déséquilibre démographique rendant nécessaire le soutien financier de l’État.

Au-delà de cette analyse des crédits, j’ai choisi de concentrer mes auditions sur l’un des domaines les plus lourds financièrement (210 milliards d’euros) et paradoxalement les moins documentés, n’ayant pas fait l’objet de travaux parlementaires auparavant : les réserves financières de notre système de retraites. En d’autres termes, si je devais user d’une expression sportive je dirais que j’aurais pu escalader seulement le mont Blanc, mais que j’ai choisi de faire l’ascension de l’Everest par la face nord.

Ces réserves sont rapidement apparues comme l’une des illustrations les plus saillantes de la nécessité d’une approche interrégimes et des défis posés par la construction d’un régime universel. La sensibilité politique et l’importance financière de ces réserves nous ont été rappelées par l’actualité des dernières semaines. Plutôt qu’un statu quo ou un silence poli, j’ai volontairement fait le choix de donner la parole aux principaux régimes concernés par ces réserves financières, et de confronter les différents scénarios possibles.

Trois constats principaux ont émergé lors des auditions.

Le niveau des réserves, tout d’abord, est très variable selon les régimes. Elles sont pour l’essentiel logées au sein de l’Association générale des institutions de retraite des cadres-Association des régimes de retraite complémentaire (AGIRC-ARRCO), 71 milliards –, dans les différentes sections de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), 24 milliards – et chez les indépendants – plus de 17 milliards. S’y ajoutent les réserves logées dans le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), à hauteur de 36 milliards, et celles contenues sous la forme de provisions dans la caisse des pharmaciens et dans le Régime additionnel de la fonction publique (RAFP).

Deuxième constat, les réserves financières font l’objet de placements inégalement performants, et illustrent l’absence de doctrine formalisée d’utilisation. La plupart des réserves sont investies dans des achats obligataires, et ne procurent qu’un faible rendement dans le contexte actuel de taux d’intérêt négatif. Certains régimes se démarquent toutefois par des placements performants et responsables, notamment ceux du FRR, orientés vers le financement d’entreprises françaises dans le domaine des nouvelles technologies, et ceux du RAFP, tournés vers des démarches sociales et environnementales à hauteur de 100 %.

Enfin, un grand flou entoure les conditions d’utilisation de ces réserves financières et leurs conséquences comptables. Les échanges menés avec les différentes administrations financières ont mis en lumière l’absence de doctrine claire sur l’impact qu’aurait l’utilisation des réserves sur notre solde au sens de Maastricht. Il apparaît que toute mobilisation des réserves pour le financement de nouveaux droits au sein des professions concernées serait considérée comme une dépense supplémentaire, et donc comme une aggravation du déficit. Nous devons donc être particulièrement vigilants sur ces conséquences financières, dans le respect de nos engagements européens.

Au-delà de ces différents constats, une tension continue est apparue dans nos travaux entre l’attachement des différentes caisses aux réserves constituées par leurs professions et l’ambition d’universalité du futur régime. Cette tension ne vous a pas échappé, puisque vous avez été, les uns et les autres, interpellés par cette question.

D’un côté, les différents régimes rencontrés ont manifesté leur attachement aux réserves constituées pour faire face aux prochains chocs, notamment démographiques, auxquels leurs professions pourraient être confrontées. Il s’agit moins d’un attachement catégoriel ou corporatiste que d’une défense légitime de sommes mises de côté par les cotisants pour garantir le financement des pensions.

De l’autre côté, l’État sera demain le garant des équilibres financiers et du versement des pensions, dans un régime qui sera universel et par répartition – ces deux conditions n’étant pas négociables. Il est donc indispensable que le futur régime puisse honorer l’ensemble des engagements constitués par les caisses antérieurement, surtout dans un régime par répartition où les cotisations d’une année peuvent s’avérer insuffisantes pour financer les prestations de retraite la même année.

Cette contradiction n’est toutefois pas insurmontable, et implique de relativiser les oppositions parfois caricaturées dans le débat public. Certains n’ont ainsi pas hésité à brandir l’étendard imaginaire d’une « spoliation », là où le rapport de M. Delevoye ne constitue au contraire qu’une première forme de préconisations rationnelles et raisonnables dans la perspective de la création d’un « Fonds de réserve universel ».

Pour ma part, je préfère la confrontation des scénarios, en rassemblant l’ensemble des acteurs autour de la table, plutôt que la caricature ou l’approximation relayées dans la rue ou sur les plateaux de télévision.

Non, aucune profession ne perdra le bénéfice de ses réserves pour financer le pot commun des déficits publics.

Non, aucun « hold-up » ne sera orchestré par l’État dans une confusion entre les cigales et les fourmis, qui relève avant tout de la fable.

Et non, le futur régime universel ne pourra pas être viable si l’ensemble des engagements constitués auparavant par les quarante‑deux régimes n’est pas honoré financièrement.

Je propose donc à la fois une méthode et un principe pour sortir de ce débat par le haut, et en dépassionner les termes.

S’agissant de la méthode, je préconise d’associer l’ensemble des caisses de retraites à la concertation du haut-commissaire, et non les seuls partenaires sociaux. Il ne s’agit pas d’opposer les expertises, mais de valoriser leur complémentarité, en s’appuyant sur l’expérience technique des caisses gérant ces réserves financières depuis plusieurs décennies.

S’agissant du principe, j’estime qu’une doctrine de fléchage devrait pouvoir être étudiée afin de rassurer les professions sur l’avenir de leurs réserves. Que ce soit pour honorer le versement de leurs pensions, pour financer de nouveaux droits ou pour accompagner la montée en puissance des nouveaux taux de cotisation, une orientation des réserves vers les professions les ayant constituées serait à même de rassurer chacun et de dissiper la méfiance actuelle.

Je suis convaincu qu’une réforme aussi ambitieuse que celle portée par le Gouvernement et la majorité ne pourra se faire que dans la confiance. Cette confiance qui manque aujourd’hui cruellement lorsque l’on interroge les jeunes générations sur l’avenir des retraites. Et cette confiance qui s’exprime insuffisamment entre professions et entre acteurs de notre système de retraites.

Je terminerai donc en rappelant les propos du haut-commissaire, qui devraient nous rassembler sur l’ensemble des bancs de cette commission : « Contre le chacun pour soi, je retiens le choix d’une mutualisation collective de nos risques individuels. Contre la fragilité des solidarités catégorielles, je fais le choix d’une solidarité de toute la Nation, avec le souci d’un bien-être collectif. »

J’ajoute une pensée de Georges Clemenceau, que j’ai plaisir à citer en certaines occasions : « Il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Et quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »

Mme Corinne Vignon. Monsieur le rapporteur pour avis, je tiens tout d’abord à vous féliciter pour la qualité et la pertinence de ce rapport que j’ai eu grand plaisir à découvrir.

Sur le plan budgétaire, nous pouvons constater avec satisfaction que les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite ainsi que le compte d’affectation spéciale Pensions restent stables entre 2019 et 2020.

Il est certain que l’examen de votre rapport pour avis sur le PLF 2020 intervient dans un contexte particulier. À l’aune de la réforme annoncée du système de retraites vers un système universel promise par le candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, l’examen de ces crédits se situe à mi-chemin entre les préconisations du haut‑commissaire, M. Jean-Paul Delevoye, et la présentation du projet de loi.

À la lecture de cet excellent rapport, deux points retiennent particulièrement mon attention.

Le premier est le programme 198, qui finance les retraites du personnel de la SNCF et de la RATP. Avec des ratios démographiques très dégradés – un actif pour deux retraités pour la SNCF, et un actif pour 1,3 retraité pour la RATP –, l’État compense les pertes de ces deux caisses à hauteur de 4 milliards d’euros. Certes, ces régimes sont antérieurs au régime général de la sécurité sociale et ont connu des modifications substantielles au cours des réformes successives. Néanmoins, la part des financements publics, s’élevant à 59 % dans le régime de la RATP et à 62 % pour la SNCF, n’est plus admissible pour nos concitoyens qui participent massivement à cette solidarité au travers de l’impôt. Ce poids financier qui pèse sur les épaules des Français est d’autant moins acceptable que le montant moyen des pensions des retraités RATP et SNCF est supérieur de 24 % à celui que perçoivent les anciens salariés du secteur des transports privés. Alors, oui, nos concitoyens ont besoin d’un système de retraite plus juste et plus équitable.

Le second point concerne votre partie thématique, dont je salue le choix du sujet arrêté : l’avenir des réserves financières du système de retraites. En effet, cette question de la future utilisation des réserves des différentes caisses de retraites dans un système universel est une inquiétude récurrente des professions concernées. À la veille d’une réforme des retraites systémique, il est légitime que les caisses de retraites se soucient de l’avenir de leurs réserves, qui sont bien souvent conséquentes et synonymes de rigueur des années durant. Or je tiens à rassurer ces caisses et leurs bénéficiaires. Ni cette majorité ni ce Gouvernement n’ont comme arrière-pensée l’utilisation des réserves pour pallier de supposés déficits publics ou pour combler d’éventuels régimes peu vertueux d’agents de l’État. Non, nous le répétons et nous ne nous lasserons pas de le répéter, non, comme nous l’entendons trop souvent, l’État ne va pas s’en mettre plein les poches !

Le mécanisme des réserves est absolument nécessaire afin d’amortir d’éventuels chocs économiques ou de possibles fluctuations démographiques. Certaines professions ont fait le choix de surthésauriser en proposant des cotisations d’actifs supérieures au versement des retraites ou ont accumulé des réserves financières confortables grâce à leur rapport démographique très favorable. Nous pouvons alors considérer que les réserves pourraient avoir deux fléchages. Le premier, vers le futur Fonds de réserve universel réunissant les réserves obligatoires et nécessaires des quarante-deux régimes, qui conserveraient leur fonction d’usage, celle de lissage pour anticiper l’avenir. Le second concerne les excédents des réserves financières, qui pourraient être conservés par les caisses pour en disposer au bénéfice de leurs seuls adhérents. C’est là que la réforme à venir prend tout son sens : privilégier et redonner du sens à la solidarité intergénérationnelle et à la solidarité interrégimes sans mettre à nu quelque caisse que ce soit. Car le futur régime universel n’est pas un régime unique. Il n’est pas non plus un régime sans réserve.

Pour conclure, monsieur le rapporteur pour avis, j’aimerais avoir quelques éclaircissements sur la gestion des réserves choisie par les caisses. Pourquoi existe-t-il à ce jour autant de politiques en matière de placement et de performance ? Pourriez-vous nous en dire davantage sur les conséquences du décaissement éventuel de ces réserves ?

M. Stéphane Viry. Votre rapport sur cette mission budgétaire nourrit le débat. C’était, me semble-t-il, son objet.

Un débat budgétaire soulève forcément la question du financement et à titre principal de la contribution du budget de l’État à l’équilibre de certains régimes spéciaux. Je suis de ceux qui pensent, et mes collègues le pensent également, que l’on peut et que l’on doit admettre l’existence de régimes spécifiques pour la retraite de certains métiers ou de certaines professions qui ont leurs logiques de carrière propres, et qui ont des parcours de vie qui doivent intégrer et englober la vie non active, c’est-à-dire la retraite.

La première question qui se pose est celle de la gestion et de la gouvernance de ces régimes, et surtout celle de leur financement. C’est l’objet de la présente mission budgétaire, qui intègre fatalement des données économiques telles que la démographie, ainsi que les caractéristiques de ces professions – notamment les droits au départ et les montants des pensions.

Au-delà de cette question, nous nous accordons à reconnaître un principe en matière de retraite. Tous les hommes et toutes les femmes de ce pays doivent avoir une situation identique. Il faut tendre vers cette situation et accélérer la convergence.

Nous examinons une mission budgétaire : je citerai donc un chiffre. La dotation d’équilibre de l’État pour 2020 est fixée à 6,2 milliards d’euros ; ce n’est pas une petite somme. Mais il faut rappeler que les régimes spéciaux se rapprochent progressivement des paramètres de la fonction publique grâce à plusieurs réformes entreprises par la droite. Nous pouvons citer ainsi la réforme des régimes spéciaux de 2008, qui a permis de leur appliquer les mesures de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, concernant les régimes de la fonction publique. Nous pouvons citer aussi la « réforme Woerth » portée par la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, mise en œuvre par voie réglementaire pour ces régimes. Nous devons également souligner la « réforme Touraine » introduite par la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, qui a aussi été appliquée à ces régimes par décret. Force est de constater par ailleurs que la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire aura un impact sur ces régimes, puisque les nouveaux entrants à la SNCF ne dépendront plus de l’ancien régime mais intégreront un nouveau statut de droit privé et cotiseront donc au régime de l’AGIRC-ARRCO.

Des difficultés, des complexités, et des incohérences se manifestent toutefois du fait que certains régimes ne cotisent pas autant, ou pas de la même façon, ou n’ont pas les mêmes règles de départ à la retraite ou les mêmes enjeux démographiques. Il en résulte une situation de déficit chronique et structurel pour certains régimes, dont il convient de sortir.

Mais évoquer la question des régimes spéciaux implique également d’évoquer celle des régimes qui fonctionnent bien, qui ont des réserves et n’ont pas de difficultés économiques, et qui, en l’état, mériteraient que nous leur laissions la liberté de rester comme ils sont depuis des années. Dans vos travaux et vos réflexions, monsieur le rapporteur pour avis, vous attirez notre attention sur les caisses des régimes qui sont en déficit chronique et qui exigent donc une dotation de l’État. Nous sommes de ceux qui considèrent qu’il convient de mettre un terme à cette situation.

Mais vous parlez également des réserves. Vous mêlez donc la question des déficits chroniques et celle des réserves. Je n’y vois pas une malice ni un message sur ce qui pourrait être la solution de la majorité pour résoudre cette difficulté franco-française. Sur la question de l’avenir des réserves financières du système, vous avez cité Clemenceau. Je suis pour ma part plus prosaïque. Il faut effectivement avoir le courage de dire, et le courage de faire. Nous avons besoin de sincérité dans les intentions du Gouvernement sur ce sujet. Et les Français ont besoin par ailleurs de clarté dans les mécanismes. J’ai entendu récemment le Président de la République dire publiquement : « Nous ne prendrons pas les ressources des caisses, c’est impossible juridiquement, cela relève de votre droit de propriété. »

Puisque la donne est ainsi faite, vous nous proposez un état des lieux des réserves. Vous soulignez une absence de doctrine d’utilisation, et vous avez raison de mentionner qu’une liberté a été laissée à l’appréciation de chacun. Vous évoquez l’idée du haut‑commissaire de créer un Fonds de réserve universel, en posant la question de l’abondement de ce fonds. Je rejoins pour ma part votre préconisation et vous invite à faire en sorte que chaque caisse de retraites détentrice de réserves financières soit associée directement aux discussions et puisse proposer des scénarios, en intégrant la maxime du Président, donc en veillant à ce que le fléchage de leurs réserves soit destiné à leurs propres usagers. J’ai retenu cette préconisation de votre rapport.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. L’un des mérites de l’examen de cette mission budgétaire est de rappeler l’extraordinaire complexité qui caractérise notre système de retraites, du fait notamment du maintien de régimes spéciaux préexistant à la création du régime général de 1945. Lors de l’examen du rapport de la Cour des comptes portant sur certains régimes spéciaux paru en juin 2019, le groupe UDI, Agir & Indépendants a rappelé son attachement à la suppression de ces régimes spéciaux.

Cette situation soulève des problèmes évidents en matière d’équité et de justice. Même si les précédentes réformes ont amorcé un rapprochement avec le régime général, les disparités substantielles qui subsistent ne peuvent que susciter l’incompréhension de nos concitoyens. Alors que, d’après les dernières prévisions, l’équilibre financier et la soutenabilité de notre système de retraites ne sont pas assurés à moyen terme, il est plus que temps de mettre fin à cette situation.

Lors des précédents PLF, nous avions proposé la suppression de ces régimes spéciaux. Nous soutiendrons les mesures qui iront dans ce sens lors de l’examen du projet de loi de réforme des retraites annoncé par le Gouvernement pour l’an prochain.

Les crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite sont stables depuis l’an dernier, autour de 6,3 milliards d’euros. En raison d’une légère modification de périmètre, ils sont marqués par la baisse des crédits affectés au programme 195, qui concernent notamment les retraites de la Société nationale d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) et des mines. Nous avons d’ailleurs à ce sujet un point de vigilance.

Le programme 195 finançait en effet depuis 2017 le régime complémentaire obligatoire (RCO) des non-salariés agricoles à hauteur de 55 millions d’euros. À la suite d’une réforme de périmètre, la mission ne contribue plus au financement de ce régime complémentaire. Il s’agit d’un régime créé en 2003 pour soutenir les faibles retraites agricoles. Selon un rapport de la Mutualité sociale agricole (MSA) paru en 2013, un tiers des retraités agricoles perçoit une pension de 350 euros par mois. Le Gouvernement s’était déclaré défavorable à une proposition de loi communiste adoptée à l’unanimité en ce sens en mars 2018, renvoyant ce sujet à la future réforme des retraites. Selon le rapport pour avis, la situation financière du RCO devrait rester équilibrée en raison d’un excédent constaté en 2019 pour 36 millions d’euros et de l’augmentation de la fraction de droits de consommation sur les alcools affectée au régime en 2020. Pourriez-vous nous donner davantage d’éclaircissements sur ce point ?

Mme Jeanine Dubié. Le PLF 2020 est particulier s’agissant de la mission Régimes sociaux et de retraite et du compte d’affectation spéciale Pensions, car il est a priori le dernier PLF avant la réforme des retraites, si le calendrier annoncé est tenu. Cette mission porte sur les régimes de retraite subventionnés, pour la plupart antérieurs à la création de la sécurité sociale. Je pense notamment aux régimes de la SNCF, de la RATP, ou des marins. Ces régimes ont la particularité de présenter un fort déséquilibre entre le nombre de cotisants et celui des pensionnés.

Monsieur le rapporteur pour avis, vous situez votre réflexion dans une approche interrégimes. Si je peux comprendre votre raisonnement dans la perspective de la future réforme visant la mise en place d’un système de retraite universel regroupant les quarante‑deux régimes existant actuellement, n’y a-t-il pas un risque avéré d’entretenir les oppositions, en donnant à croire que les régimes déficitaires d’aujourd’hui abondés par l’État seront demain abondés par les réserves financières des régimes ayant eu une gestion prudentielle ?

Je voudrais aussi vous poser une question sur le pilotage de ces réserves et sur sa gouvernance ainsi que sur la gouvernance du Fonds de réserve universel. Vous proposez dans votre rapport que l’État soit le futur garant de l’ensemble du système de retraite. Quelle place réservez-vous aux partenaires sociaux et aux représentants des professions qui auront abondé le Fonds ?

Enfin, vous constatez que les caisses de retraites concernées regrettent de ne pas être associées directement aux discussions techniques devant aboutir à l’élaboration de conventions entre les organismes visés et la caisse nationale, et qui doivent être conclues avant l’entrée en vigueur du système universel. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l’avancée de ces négociations ? Y en a-t-il ? Et, depuis l’élaboration de votre rapport, avez‑vous eu connaissance d’éléments donnant à penser que ces discussions sont engagées ?

M. Adrien Quatennens. Avant d’entrer dans le détail de votre explication, monsieur le rapporteur pour avis, vous avez dit que l’État serait garant du financement du système de retraites. Par ailleurs, certains de nos collègues ont pu dire que l’État n’avait pas l’intention d’utiliser les réserves. A priori, ces déclarations d’intention pourraient sembler sincères. Mais lorsque l’on voit que l’État a rompu avec la règle de compensation appliquée à la sécurité sociale, nous pouvons nous interroger sur la pérennité de ce genre de promesses de principe.

S’agissant de la question de la nécessité de faire advenir un régime universel, le groupe La France insoumise est favorable à l’égalité, à condition que l’harmonisation ne se fasse pas vers le bas. Il est vrai qu’il existe quarante‑deux régimes. Mais il faut rappeler que les régimes spéciaux, qui ont encore été beaucoup décriés ce jour, ne concernent que 3 % de la population active. Or ils occupent beaucoup les débats autour de la réforme des retraites.

Sur cette question, un aspect central n’est jamais évoqué. Si notre système de retraites a plutôt tenu ses promesses jusqu’à présent, notamment pour contenir le taux de pauvreté des seniors, c’est parce qu’à mesure que la population française vieillissait, à mesure donc que la part des seniors dans la population était plus importante, on consacrait davantage de ressources au financement des retraites. Les courbes sont très claires sur ce point. Plus la population vieillit, plus l’on procède à des augmentations de ressources pour financer les retraites, ce qui est bien normal.

Or un point de rupture se présente dans la proposition portée par le rapport Delevoye. Mais ce point de rupture n’est pas lié au principe du système par points ou à celui d’un régime de retraite universel. Le système par points constitue en réalité un algorithme, un outil au service d’une intention qui n’est pas réellement avouée par le Gouvernement. Ce point de rupture se situe dans la déclaration faite par M. Delevoye, selon laquelle les 14 % du produit intérieur brut (PIB) consacrés aux retraites constitueraient un plafond.

La décision majeure prise dans le cadre de la discussion sur la réforme des retraites consiste donc à dire qu’à partir de maintenant, et contrairement à ce qui a toujours été fait par le passé où l’on augmentait les ressources, la part des retraites restera bloquée à 14 % du PIB. Cette décision est prise alors que nous savons que la part de la population de plus de 65 ans continuera à augmenter. Un décrochage se produira donc entre la part des ressources allouée au financement des retraites et les retraites à servir.

En quelque sorte, cela revient à dire – je l’ai répété à plusieurs reprises de cette façon, et M. Delevoye n’a pour l’instant pas trouvé d’argument pour contester cette démonstration – que nous serons de plus en plus nombreux à table, mais que le gâteau ne sera jamais plus gros. Finalement, l’instauration du système par points revient à se demander comment l’on peut répartir davantage les miettes pour faire en sorte que le gâteau ne soit pas plus gros.

Nous pouvons en déduire immédiatement et sans avoir besoin de beaucoup d’explications sur les particularismes des différents régimes que, comparativement au système actuel, s’agissant du niveau des pensions ou de l’âge auquel il faudra partir à la retraite pour obtenir un certain niveau de pension, il faudra travailler plus longtemps ou renoncer à conserver le même niveau de pension. Personne ne peut produire une autre explication ! Si l’on décide de bloquer à 14 % la part du PIB allouée au financement des retraites, la situation est réglée. De toute façon, les gens seront perdants.

Je pense que nous devrions prendre le problème par l’autre bout. Plutôt que de choisir l’âge de départ ou le montant des pensions comme variables d’ajustement pour éviter de cuisiner un gâteau plus gros, nous devrions nous demander ce que nous voulons pour nos vieux jours, et quel système nous devrions mettre en place pour garantir un mode de vie à la retraite qui nous convienne.

Je propose par exemple deux objectifs politiques, autres que celui de geler des ressources. Le premier consiste à se demander quel est l’âge décent pour partir à la retraite, lorsque l’on considère une carrière complète, et en tenant compte du fait que l’espérance de vie en bonne santé est de l’ordre de 63 ans. Je pense que nous devrions pouvoir offrir la liberté de partir à la retraite à 60 ans. Le second objectif consiste à se demander quel est le niveau de pension digne susceptible d’éviter un décroissement du niveau de vie lors du départ à la retraite. Ce sont là des objectifs politiques. Nous ne contentons pas de dire qu’il faut geler les ressources de financement et adapter tout le reste, y compris la vie des gens, comme variable d’ajustement.

Se pose à présent la question du mode de financement de ces propositions ambitieuses. Il existe des solutions à très court terme pour remplir les caisses. Nous les connaissons. Cela consiste par exemple à augmenter les salaires pour augmenter les cotisations. 1 % d’augmentation de salaire représente ainsi 2,5 milliards d’euros de cotisations supplémentaires. Créer de l’emploi augmente également le nombre de cotisations. Mais cela ne règle pas le problème sur le long terme.

À long terme, et le rapport Delevoye le montre, il n’y a pas de contradiction entre l’augmentation du salaire net et l’augmentation des cotisations. C’est tout le débat que nous avons, et que nous avons eu le 22 octobre dans l’hémicycle. Il faut réhabiliter l’idée selon laquelle la cotisation est une part du salaire, et qu’elle sert à financer ce qu’il peut se passer demain, notamment les retraites.

M. Jean-Philippe Nilor. L’analyse de cette mission revêt une importance particulière. Une réforme des retraites est annoncée pour 2020, dont l’objectif est clairement de fusionner les quarantedeux régimes de retraite existants pour les remplacer par un régime unique par points. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est évidemment opposé au fait que la fusion se traduise par une baisse des droits. Or, sous prétexte de simplification, cette réforme s’oriente purement et simplement vers un alignement vers le bas des conditions de départ à la retraite.

En outre, de nombreuses zones d’ombre persistent. Quel sera le niveau de pension garanti au moment du départ ? Quelles sont les modalités de conversion des points acquis ? Âge pivot ou allongement de la durée de cotisation ? La communication gouvernementale sur la réforme des retraites occulte volontairement des interrogations essentielles.

Plus que des inquiétudes, un mécontentement s’exprime dans tout le territoire sur cette réforme. De nombreuses professions qui participent aux missions de service public, telles que les pompiers, les enseignants, les cheminots, les soignants, les policiers, sont et seront affectées négativement par cette réforme et sont déjà mobilisées actuellement. Rappelons que ces régimes spéciaux sont le fruit d’une histoire sociale, de luttes syndicales, et qu’ils sont le plus souvent la contrepartie de carrières pénibles.

Au lieu d’un nivellement par le bas, nous avons besoin au contraire d’un socle de droits sociaux relevé. Nous sommes porteurs de propositions concrètes. Parmi ces propositions, il est important de rappeler que nous avons déposé une proposition de loi portant sur la revalorisation des retraites agricoles en France et dans tous les territoires d’outre-mer – ces territoires où l’on déplore des retraites indécentes de 200 euros pour les agriculteurs, à la suite d’une vie de labeur. Cette proposition votée pourtant à l’unanimité en février 2017 est aujourd’hui bloquée. Pourquoi ?

Nous dénonçons ensuite la mesure prévoyant la désindexation des prestations sociales, notamment des pensions de retraite, pour les années 2019-2020, votée dans le PLFSS 2019 et qui a généré une économie de 2,8 milliards en 2019. Pour 2020, ce sont 400 millions d’économies en moins pour les retraités. Ces économies faites sur le dos des retraités sont d’autant plus regrettables que ces derniers ont subi de plein fouet l’augmentation de la contribution sociale généralisée en 2018, et que leur pouvoir d’achat s’en trouve fortement amputé. Avant même la réforme des retraites, le Gouvernement s’est attaqué aux pensions de retraite et globalement au pouvoir d’achat des retraités. Cela n’augure rien de bon. Nous déplorons que la mission que nous examinons aujourd’hui relève de la même obsession de la maîtrise des dépenses sociales, qui s’opère au détriment des pensions des fonctionnaires et des bénéficiaires des régimes spéciaux.

Le rapporteur a axé l’essentiel de son rapport sur les perspectives ouvertes par la réforme s’agissant des réserves financières du système de retraite. Différentes professions, notamment les indépendants et les professions libérales, ont exprimé des préoccupations légitimes, car elles ont peur de perdre les réserves qu’elles ont constituées à travers leurs régimes complémentaires. Pour elles, la réforme sera pénalisante à plusieurs titres. En plus de la perte de leurs réserves financières, elles connaîtraient une augmentation forte de leurs cotisations, qui passeraient de 14 % à 28 %.

En conclusion, nous voterons contre les crédits de cette mission, qui traduisent l’obsession de la maîtrise des dépenses publiques, malheureusement au détriment des droits de tous les retraités – qu’ils relèvent de la fonction publique ou d’un régime spécial de retraite.

M. Brahim Hammouche. Cette année encore, la mission Régimes sociaux et de retraite prend une dimension particulière dans le cadre de l’accélération de la préparation de la grande réforme systémique, universelle, juste et justifiée de notre système de retraite qui sera à l’ordre du jour de notre Assemblée au premier semestre 2020. Si nous connaissons désormais les principaux contours de cette réforme, nous attendons l’achèvement de la nouvelle phase de discussion engagée par M. Jean-Paul Delevoye d’ici la fin de l’année.

Les crédits que nous examinons aujourd’hui sont par essence symptomatiques d’un système actuel extrêmement complexe et peu lisible. Ils pèsent près de 65 milliards d’euros dans nos comptes publics, à travers les régimes spéciaux dérogatoires et spécifiques de la fonction publique notamment. Plus que jamais cette mission témoigne de la nécessité de tendre au plus vite vers l’universalité des régimes pour mettre fin, d’une part, à cette illisibilité et d’autre part aux inégalités interrégimes qui se creusent au fil des années.

La réforme à venir devra donc harmoniser les quarante‑deux régimes existants, en particulier ceux qui sont financés par la mission Régimes sociaux et de retraite que nous examinons ce jour. Leurs affiliés bénéficient de droits spécifiques par rapport aux retraités de droit commun affiliés au régime général. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés souhaite donc savoir comment l’harmonisation sera réalisée concrètement, de manière efficace et équitable ? Les réformes des retraites conduites ces vingt dernières années ont mis en lumière le caractère problématique de ces régimes anciens qui ne sont plus en phase avec les réalités économiques actuelles de notre pays. Nous devons donc accompagner la transition tout en protégeant leurs bénéficiaires et les fonds constitués et accumulés.

Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez décidé d’axer votre rapport sur l’épineuse question des réserves de ces régimes. Comment la future réforme organisera-t-elle la consolidation et la protection de celles-ci ? À quoi serviront-elles une fois le système universel instauré ? Seront-elles conservées par les caisses ? En somme, quelle tendance et quelle trajectoire se dessinent-elles à l’orée de la réforme ?

M. Bernard Perrut. Le traitement des réserves est aujourd’hui d’autant plus nécessaire que leur poids financier et les interrogations sur leur avenir contrastent avec la rareté des études disponibles – comme vous le rappelez, monsieur le rapporteur, dans votre rapport. Paradoxalement peu documenté, cet enjeu constitue pourtant l’un des piliers financiers du futur régime universel et l’un des items les plus observés par les professions. Nous avons donc besoin de clarté pour construire un dialogue avec les acteurs ayant alimenté ces réserves. Et nous pouvons comprendre leurs appréhensions.

Ces différentes réserves constituées font bien sûr l’objet d’utilisations variées selon les choix et les préférences de chaque caisse ou de chaque fonds. Les questions sont nombreuses. Comment assurer un placement stratégique efficient ? Comment distinguer les engagements des régimes actuels à honorer et la liberté d’utilisation des réserves par les caisses ? Le rapport du haut-commissaire distingue d’ailleurs deux utilisations des réserves.

Quelle est votre analyse de ces propositions ? Êtes-vous d’accord pour que chaque caisse soit associée aux négociations et puisse proposer des scénarios, et pour que soient respectés les hommes et les femmes ayant cotisé toute leur vie – dans le respect de cet engagement rappelé plus haut du Président de la République et du Gouvernement de ne pas prendre les réserves des caisses, comme l’on viendrait en quelque sorte voler à quelqu’un les moyens qu’il a lui-même économisés et auxquels il a contribué dans des règles fixées antérieurement ? Je crois qu’il y va du respect de chacune et de chacun, pour l’avenir de cette situation.

M. Marc Delatte. L’évolution des régimes de la SNCF et de la RATP, et des régimes en voie d’extinction, pour les mines, la SEITA, les anciens agents des chemins de fer d’Afrique du Nord et d’Outre-mer et les anciens salariés de l’Office de radiodiffusion-télévision française, témoigne d’un monde qui a changé. Prenons l’exemple du régime de retraite des marins, qui comptera en 2020 un actif pour 3,6 retraités. Non seulement ce n’est plus tenable, mais cela est générateur d’iniquités doublées d’un manque de lisibilité.

Un monde qui change, donc, générateur d’inquiétudes notamment pour les plus fragiles. Or le courage politique, c’est le prix de la dignité pour ceux qui restent sur le quai, et le système universel de retraites répond à cette situation. C’est aussi une nécessité et une responsabilité pour les générations à venir. Quelle est en ce sens votre vision sur la promotion du pacte de solidarité générationnelle à l’heure où l’espérance de vie s’est allongée et où l’on passe à des transitions longues où coexistent quatre voire cinq générations ?

M. Thierry Michels. Monsieur le rapporteur pour avis, votre rapport, dont je salue la qualité, insiste dans sa seconde partie sur la transition du système actuel vers le système universel de retraites que nous voulons construire en concertation avec les Français et le haut‑commissaire aux retraites, et sur la question sensible du devenir des réserves des caisses de retraites.

Nous le savons, nombre de gestionnaires de régimes autonomes de retraite ont indiqué être fondamentalement opposés à une intégration dans le régime universel. Je me garderai bien d’y voir un réflexe corporatiste, pour y voir plutôt l’expression naturelle des préoccupations de ces gestionnaires par rapport à notre enjeu collectif qui est de garantir à l’avenir à nos retraités les revenus leur permettant de vivre leur retraite sereinement. Or c’est bien la vision portée par la mise en œuvre du système universel de retraite.

Je salue donc votre proposition d’associer directement les caisses de retraites, qui estiment aujourd’hui être laissées à l’écart, dans les discussions techniques et d’organiser un fléchage de tout ou partie des réserves vers les professions les ayant constituées. Pourriezvous préciser la méthode que vous préconisez, qui doit, me semble-t-il, s’appuyer sur une analyse rigoureuse de la situation actuelle et à venir partagée par toutes les parties prenantes dans la bonne foi et la confiance indispensables ? Avez-vous de premiers échos quant à vos propositions ?

M. le rapporteur pour avis. Madame Vignon, je tiens tout d’abord à vous remercier pour vos remarques et à saluer le travail que vous avez accompli lors des deux derniers PLF, notamment sur la mission que nous examinons ce jour. Vous avez en effet travaillé sur ce sujet par le passé et émis un certain nombre de propositions concernant particulièrement les droits familiaux.

Il me semblait important de traiter cette année de la difficile question des réserves, qui constituait un angle mort non encore abordé dans nos discussions.

La diversité des politiques de placement reflète la diversité de notre système de retraites. Il y a autant de politiques que de régimes. Il n’existe pas véritablement de doctrine de placement ou d’utilisation, ce qui peut quelquefois surprendre. Ce sont les conseils d’administration qui, en fonction de certains paramètres et de trajectoires notamment démographiques, dessinent leurs perspectives de placement qui sont d’ailleurs encadrées par la loi. Par exemple, le code de la sécurité sociale prévoit que les fonds placés comportent au minimum 34 % d’obligations. Certains régimes se démarquent en revanche par des engagements plus forts et plus risqués, comme le FRR ou le RAFP. Mais ils répondent ce faisant à l’objectif qui leur avait été fixé lors de leur création. D’autres régimes sont beaucoup plus prudents. La question que nous pouvons nous poser, dans le contexte actuel de taux d’intérêt négatifs, est de savoir s’il ne faudrait pas revoir cette répartition des placements entre obligations et placements risqués.

S’agissant des conséquences comptables de l’utilisation des réserves, il s’agit d’un véritable « trou noir » technique. Nous avons posé cette question à l’ensemble de nos interlocuteurs, y compris au sein de l’administration, et avons obtenu peu de réponses. Nous pouvons envisager deux possibilités, que je rappelle d’ailleurs dans mon rapport. Le besoin de financer des droits nouveaux pourrait tout d’abord avoir un impact sur les critères de respect de nos engagements de Maastricht. Mais nous pouvons aussi imaginer que l’utilisation des réserves n’aura que des conséquences plutôt neutres. Je formule à tout le moins le vœu que ce débat technique, mais essentiel au regard de nos engagements européens, puisse être tranché avant la réforme.

Monsieur Viry, vous avez évoqué à juste titre toutes les difficultés, les incohérences et les injustices du système actuel, les différents chocs démographiques et la nécessité de changer de paradigme plutôt que de se contenter de changements paramétriques semblables à ceux proposés plus haut par notre collègue Adrien Quatennens – qui reviennent finalement à laisser perdurer les injustices et les iniquités du système. Vous avez mentionné également la volonté de clarifier les mécanismes. Or c’est l’objet de toutes les concertations qui ont démarré avec les partenaires sociaux et les représentants des différentes professions et des caisses. Le régime universel n’a pas vocation à nier les singularités et les spécificités que vous évoquez et que vous avez exprimé le souhait de conserver. Il reviendra à la future gouvernance d’assurer une juste représentation de l’ensemble des professions, par le biais notamment des partenaires sociaux.

Je partage vos analyses sur les réformes Woerth et Touraine, qui sont de droite, mais aussi de gauche. Je tiens à le rappeler. Concernant la réforme à venir, j’ai moi-même retranscrit dans mon rapport les propos tenus par le Président de la République à Rodez le 3 octobre 2019. Ces déclarations ne s’opposent pas du tout à un fléchage, qui serait légitime pour les professions concernées.

Madame Firmin Le Bodo, je reconnais le soutien constant de votre groupe à la suppression des régimes spéciaux et d’une manière plus globale à la réforme visant la mise en place d’un système universel et voulais vous en remercier.

La modification de périmètre concernant la RCO des non-salariés agricoles inscrite au PLF 2020 a vocation à rationaliser ce régime, et le laissera en excédent. La fraction des droits de consommation sur les alcools affectée à la MSA augmentera par ailleurs en 2020.

Madame Dubié, j’en viens à votre question concernant l’avenir des réserves au regard des régimes ayant été moins prévoyants que les autres. Lorsque je parle d’État garant, il s’agit d’une véritable expression comptable liée au versement des pensions. Les partenaires sociaux seront évidemment associés à la construction du plan de convergence prévu et à la nouvelle gouvernance qui reste à définir. L’État devra donc être garant des engagements repris de l’ensemble des régimes. Mais il va de soi qu’il ne pourra pas oublier les 14 points de PIB à gérer destinés aux retraites. C’est pourquoi il sera important qu’il soit aux côtés des partenaires sociaux pour gouverner ce futur système. Il me semble prématuré toutefois d’entrer dans les éléments techniques de la concertation en cours.

M. Quatennens a évoqué beaucoup de sujets, notamment l’enveloppe de 14 points du PIB consacrée aux retraites que je viens de mentionner. Cette enveloppe n’augmente plus depuis plusieurs années. Mais elle est supérieure à celle des pays voisins. Notre objectif est de préserver ce niveau sans fragiliser nos politiques publiques. L’utilisation des réserves dans ce nouveau régime doit permettre, comme dans le système actuel, de faire face aux chocs démographiques et aux difficultés économiques – en profitant des cycles hauts et en décaissant dans les cycles bas, quelquefois sur une ou plusieurs générations –, mais aussi de mettre en œuvre un meilleur lissage tout en demeurant dans l’enveloppe des 14 points de PIB.

S’agissant du niveau de vie, je propose comme piste d’affecter une partie des réserves au bénéfice des professions les ayant constituées. Plutôt que de continuer à agir comme nous le faisons aujourd’hui en réponse aux chocs démographiques et aux difficultés économiques, en lissant notamment dans le temps les engagements pris pour payer les pensions, nous pouvons imaginer qu’une partie des réserves servira à améliorer le niveau de vie de nos retraités les plus nécessiteux. Je rappelle que dans les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR), à régime constant, c’est-à-dire si nous ne faisons rien, nous risquons d’assister à une dégradation du niveau de vie des retraités par rapport aux actifs. Le niveau de vie des retraités progresserait en effet moins rapidement que celui des actifs. Il faut pouvoir le prendre en compte. Les réserves peuvent constituer aussi une piste sur ce point.

Monsieur Nilor, vous avez axé votre propos sur la perte de pouvoir d’achat actuelle des retraités, liée selon vous à des décisions que nous aurions prises, mais évoquée aussi en vue de la mise en place du nouveau système. Concernant le niveau de vie des retraités, il faut arrêter de caricaturer. Le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs selon les données du COR. La France est le seul pays européen à se trouver dans cette situation. Cependant, le niveau des retraites augmente historiquement moins rapidement que celui des salaires. Pour limiter la dégradation du niveau de vie des retraités, je propose donc dans mon rapport qu’une partie des réserves financières puisse être utilisée à la discrétion des caisses au bénéfice de leurs anciens cotisants.

Par ailleurs, s’agissant du soutien aux retraites les plus faibles, le Président de la République a annoncé que le minimum retraite pour une carrière complète ne pourrait être inférieur à 85 % du salaire minimum de croissance (SMIC), soit 1 000 euros. Il s’agit d’une avancée considérable, vous l’admettrez. Cette mesure est particulièrement attendue par les exploitants agricoles, dont la retraite moyenne s’élève actuellement à 855 euros par mois pour une carrière complète. Je rappelle que la « loi Touraine » de 2014 a porté le niveau minimal de retraite pour une carrière complète d’agriculteur à 75 % du SMIC.

Sur la question du pouvoir d’achat, qui me paraît essentielle, je souhaite également évoquer les règles d’indexation sur les retraites. Je fais notamment référence à l’intervention de notre collègue Boris Vallaud, qui a mentionné ce sujet en commission dans le cadre de l’examen du PLFSS la semaine passée. Plusieurs règles d’indexation coexistent aujourd’hui dans le système de retraites, comme c’est le cas dans de nombreux régimes, ce qui en complexifie la gestion. Il existe notamment des règles définies par la loi et des règles définies par accord national pour l’AGIRC-ARRCO. Or je tiens à rappeler que le Conseil constitutionnel n’a jamais jugé inconstitutionnelle l’existence de règles distinctes inhérentes à l’organisation de notre système de retraite. Ce constat milite néanmoins en faveur de l’instauration d’un régime universel. Dans le régime universel, il n’existera en effet qu’une seule règle d’indexation, source de lisibilité et d’équité. C’est en tout cas notre volonté.

Je pourrais vous citer d’autres engagements pris par notre majorité, mais je souhaite prendre le temps de répondre aux autres questions qui ont été posées.

Monsieur Hammouche, concernant la mise en place concrète de l’harmonisation des régimes existants, nous devons faire preuve de vigilance quant à l’ensemble des efforts à fournir. C’est précisément l’objet de la concertation. Je ne voudrais donc pas trop m’avancer sur ce sujet.

S’agissant de l’avenir des réserves, j’évoque dans mon rapport la possibilité de flécher tout ou partie de ces réserves en direction de certaines professions au sein du futur régime universel, au moins dans la période transitoire qui précédera la mise en place définitive du régime universel à l’horizon 2040.

Monsieur Perrut, je ne peux que penser du bien de l’association des caisses aux discussions concernant l’avenir des réserves puisque je l’ai moi-même proposée dans mon rapport. Et je vous remercie pour votre soutien.

Monsieur Delatte, la prise en compte de l’espérance de vie montre que le défi démographique est commun à l’ensemble des professions. Cette réalité confirme la pertinence de la mise en place d’un régime universel. Dès lors que chaque régime devra faire face au même choc démographique, la volonté à travers le régime universel est de mettre en commun les difficultés rencontrées pour pouvoir les traiter non de manière unique mais de façon cohérente en leur donnant le maximum de lisibilité.

Il me reste une dernière réponse à apporter à M. Michels. La concertation se limite aujourd’hui aux partenaires sociaux, et je propose de l’étendre aux caisses de retraites. Cela me paraît essentiel, car une forte inquiétude s’exprime de leur côté. Et il me semble important de compléter le regard que peuvent avoir les caisses à travers leur expertise par les échanges que le haut-commissaire aura dans les semaines à venir avec les partenaires sociaux. Cela me semble indispensable pour retrouver une certaine confiance. Cette proposition est sur la table. J’espère qu’elle recevra un accueil favorable.

Suivant l’avis favorable du rapporteur pour avis, la commission émet successivement un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Régimes sociaux et de retraite, puis à celle des crédits du compte d’affectation spéciale Pensions.

 

 


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   Annexe :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

(par ordre chronologique)

 

 Caisse nationale dassurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) – Mme Monique Durand, présidente, et M. Gilles Fontaine, directeur

 Association générale des institutions de retraite des cadres – Association des régimes de retraite complémentaire (AGIRC-ARRCO) – M. JeanClaude Barboul, président, M. François-Xavier Selleret, directeur général, et M. Philippe Goubeault, directeur financier

 Table ronde réunissant des organisations syndicales de salariés :

– Confédération française démocratique du travail (CFDT) Mme Virginie Aubin, secrétaire confédérale en charge des retraites, et M. Philippe Le Clézio, secrétaire confédéral en charge du financement de la protection sociale

– Confédération française de lencadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – M. Gérard Mardiné, secrétaire national Économie, Industrie, Développement durable, RSE et Logement, et Mme Leslie Robillard, chargée d’études – protection sociale

– Confédération générale du travail – Force ouvrière (CGT-FO) – M. Philippe Pihet, secrétaire confédéral en charge des retraites

 Table ronde réunissant des organisations professionnelles demployeurs :

 Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (*)  M. Sébastien Velez, directeur de la protection sociale, M. Florent Sarrazin, chargé de mission senior à la direction de la protection sociale, et M. Armand Suicmez, chargé de mission senior à la direction des affaires publiques

 Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) (*) M. Éric Chevée, vice-président en charge des affaires sociales, M. Christophe Soupizet, membre de la commission sociale, et M. Michel Giordano, membre du groupe de travail sur la réforme des retraites

– Union des entreprises de proximité (U2P) (*)  M. Alain Griset, président, M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Thérèse Note, chargée des relations parlementaires

 Table ronde réunissant des personnalités qualifiées :

 Conseil dorientation des retraites (COR)  M. Pierre-Louis Bras, président, et M. Emmanuel Bretin, secrétaire général

 Institut des politiques publiques (IPP) – M. Antoine Bozio, directeur

 Fonds de réserve pour les retraites (FRR)  M. Yves Chevalier, membre du directoire

 Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de lÉtat et des collectivités publiques (IRCANTEC)  M. Jean-Pierre Costes, président du conseil d’administration, M. François Mourgues, administrateur du conseil d’administration et président de la commission de pilotage technique et financier, M. Vincent Delsart, directeur des investissements et de la comptabilité, et Mme Florence Bereau, directrice de la gouvernance et des services associés

 Caisse nationale des barreaux français (CNBF)  Me Viviane Schmitzberger-Hoffer, présidente, et M. Gilles Not, directeur

 Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI)  Mme Sophie Duprez, présidente, M. Philippe Renard, directeur, et M. Emmanuel Gigon, directeur des études, des équilibres et des placements

 Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) – M. Laurent Galzy, directeur, et Mme Anne Barthe, directrice des affaires institutionnelles et de la communication

 

 

 

 

 

 

 

 

(*) Ces représentants dintérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique sengageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de lAssemblée nationale


([1]) Rapport de M. Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, Pour un système universel de retraite, 18 juillet 2019.

([2]) Décret n° 2007-730 du 7 mai 2007 relatif à la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la Société nationale des chemins de fer français.

([3]) Loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.

([4]) Décret n° 2005-1635 du 26 décembre 2005 relatif à la caisse de retraites du personnel de la Régie autonome des transports parisiens.

([5]) Et, s’agissant des transports en commun de la région lyonnaise, également financés par le département du Rhône et la communauté urbaine de Lyon.

([6]) Caisse autonome mutuelle de retraites des agents des chemins de fer secondaires d’intérêt général, des chemins de fer d’intérêt local et des tramways.

([7]) Accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017 instituant le régime AGIRC-ARRCO de retraite complémentaire.

([8]) Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions dordre social, éducatif et culturel.

([9]) Le passage d’un rythme trimestriel à un rythme mensuel a permis de réduire le fonds de roulement nécessaire à la couverture du décalage entre le versement des pensions et le recouvrement des cotisations. 15,2 milliards d’euros ont alors été basculés de la réserve de fonds de roulement vers la réserve de financement.

([10]) Accord national interprofessionnel du 10 mai 2019 sur la retraite complémentaire AGIRC-ARRCO.

([11]) Ibid, p. 106.

([12]) Ibid, p. 107.

([13]) Ibid, p. 107.