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 N° 2306

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 2272)
de finances pour 2020

TOME III

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

 

PAR Mme Élodie JACQUIER-LAFORGE

Députée

——

 

 Voir le numéro : 2301–III–28

 

 

 

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2019 pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, 75 % des réponses attendues étaient parvenues à votre rapporteure pour avis.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS...................................................... 5

I. LÉVOLUTION DES CRéDITS CONSACRÉs à Limmigration et à LintÉgration

A. Le programme 303 « immigration et asile »

1. Laction n° 2, « Garantie de lexercice du droit dasile »

a. La structuration du dispositif national daccueil des demandeurs dasile

b. Les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile

c. L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides

2. Laction n° 3 « Lutte contre limmigration irrégulière »

3. Les autres actions

B. lE PROGRAMME 104 « Intégration et accès à LA NATIONALITé FRANçAISE »

1. Laction n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants »

2. Laction n° 12 « Actions daccompagnement des étrangers en situation régulière »

3. Laction n° 14 « Accès à la nationalité française »

4. Laction  15 « Accompagnement des réfugiés »

5. Laction n° 16 « Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants »

II. la situation des étrangers sans titre de séjour en France

A. les voies de l’immigration illégale

1. Arriver en France : le franchissement de la frontière

a. La procédure de non-admission à la frontière

b. Les critères pour entrer sur le territoire national

2. Se maintenir sans titre de séjour sur le territoire national

a. Une tentative didentification du parcours administratif de l’étranger sans titre

b. Le cas particulier des étrangers sortis de la demande d’asile

B. Pour un nouvel équilibre de notre politique migratoire

1. Les dispositifs de notre politique migratoire sont aujourd’hui saturés

a. La procédure de l’asile doit être protégée

b. L’hébergement des personnes migrantes n’est pas satisfaisant

c. Les conditions de rétention se dégradent

2. Les nouvelles voies de l’immigration légale

a. Soutenir l’admission exceptionnelle au séjour

b. Organiser la migration économique

Examen en commission

Personnes entendues

DÉPLACEMENT EFFECTUÉ


 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

La mission « Immigration, asile et intégration » se structure autour de trois grands axes : la maîtrise des flux migratoires, la garantie du droit d’asile et l’intégration des personnes immigrées en situation régulière.

Le plan du Gouvernement, « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires », présenté le 12 juillet 2017, et l’adoption, par l’Assemblée nationale, de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, ont fondé l’ambition d’une politique migratoire équilibrée.

Le projet de loi de finances pour 2020 maintient, pour la troisième année consécutive, l’effort engagé depuis le début de cette législature en soutenant l’augmentation des crédits consacrés à cette mission. Ils s’élèvent désormais à 1,82 milliard d’euros en crédits de paiement, contre 1 milliard il y a trois ans. Ce budget poursuit l’objectif d’une amélioration du traitement des demandes d’asile, permet de financer la mise à niveau du parc d’hébergement des demandeurs, assume une politique ferme de lutte contre l’immigration irrégulière et renforce les dispositifs d’accompagnement et d’intégration dédiés aux étrangers.

Après deux années d’action et de transformation volontaristes en matière de politique migratoire, le Président de la République a souhaité que le Gouvernement et le Parlement débattent de cette question, de manière inédite, le 7 octobre dernier. Votre rapporteure pour avis a voulu prolonger cet exercice en se saisissant d’un sujet qui alimente le débat dans notre pays : celui de l’immigration irrégulière.

C’est pourquoi, après avoir présenté les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », votre rapporteure a fait le choix, cette année, de s’intéresser à la situation des étrangers sans titre de séjour en France.


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I.   L’ÉVOLUTION DES CRéDITS CONSACRÉs à L’immigration et à L’intÉgration

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020 s’élèvent à 1,93 milliard deuros en autorisations dengagement (AE) et 1,82 milliard deuros en crédits de paiement (CP), soit des augmentations de respectivement 4,5 % en AE et 7,7 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2019.

La mission comporte deux programmes : le programme « Immigration et asile » (n° 303) et le programme « Intégration et accès à la nationalité française » (n° 104).

A.   Le programme 303 « immigration et asile »

Le programme n° 303 « Immigration et asile » comprend l’essentiel des crédits de la mission. Il finance les politiques publiques relatives à l’entrée, la circulation, le séjour et le travail des étrangers, l’éloignement des personnes en situation irrégulière ainsi que l’exercice du droit d’asile.

Pour 2020, les crédits de ce programme continuent d’augmenter, de 3,7 % en AE et 7,9 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, pour s’établir à respectivement 1,5 milliard et 1,38 milliard d’euros.

éVOLUTION DES CRédits du programme 303

(en millions deuros)

 

LFI 2019

PLF 2020

Évolution

Numéro et intitulé de laction

AE

CP

AE

CP

AE

CP

01 – Circulation des étrangers et politique des visas

0,52

0,52

0,52

0,52

0

0

02 – Garantie de l’exercice du droit d’asile

1 258,51

1 113,06

1 377,1

1 251,82

+9,42 %

+ 12,47 %

03 – Lutte contre l’immigration irrégulière

153,17

136,07

112,74

122,48

- 26,39 %

-9,98 %

04 – Soutien

30,1

30,1

5,7

5,7

- 81,05 %

- 81,05 %

Total

1 442,3

1 279,74

1 496,1

1 380,53

+ 3,73 %

+ 7,88 %

Source : projet annuel de performances pour 2020.

1.   L’action n° 2, « Garantie de l’exercice du droit d’asile »

L’action n° 2, « Garantie de l’exercice du droit d’asile », représente la presque totalité des crédits du programme. Pour 2020, ils sélèvent à 1,38 milliard deuros en AE et 1,25 milliard deuros en CP, soit des hausses de 9,4 % et 12,5 % par rapport à 2019.

a.   La structuration du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile

Dans une instruction du 31 décembre 2018 relative au parc d’hébergement des demandeurs d’asile et des bénéficiaires de la protection internationale, le ministère de l’Intérieur conforte la structuration du dispositif national d’accueil (DNA) après sa réorganisation opérée par une précédente instruction, datée du 4 décembre 2017.

Si le parc d’hébergement a crû de manière très importante au cours de ces dernières années, passant de 49 742 places en 2014 à près de 98 500 pour l’année 2020, il souffre en effet d’un éclatement en divers dispositifs, construits dans l’urgence par strates successives.

Le parc dhébergement est en cours de réorganisation autour de trois niveaux de prise en charge :

● Les centres daccueil et dévaluation des situations (CAES) visent à garantir aux personnes souhaitant engager une démarche d’asile une mise à l’abri permettant une évaluation immédiate de leur situation administrative, afin de les orienter ensuite vers une structure adaptée. La durée maximale de séjour étant fixée à un mois, cette rotation garantit la fluidité de tout le système et évite ainsi la constitution de campements sur la voie publique.

À ce jour, 3 136 places ont été ouvertes au sein de 32 structures réparties dans l’ensemble des régions. Le public est orienté en CAES soit lors d’opérations d’évacuation ou de maraudes, soit par les structures de premier accueil, soit en raison d’un besoin immédiat d’hébergement.

 Le parc dhébergement durgence des demandeurs dasile (HUDA) est plus particulièrement adapté aux personnes sous procédure « Dublin » et procédure accélérée.

Il comprend le dispositif « accueil temporaire – service de l’asile » (AT‑SA), le « programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile » (PRADHA), les places relevant des « centres d’accueil et d’orientation » (CAO), des places de centres d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM) ainsi que les places d’hébergement d’urgence gérées au niveau déconcentré par les préfectures (HUDA local).

L’organisation de ce parc est en voie de rationalisation. Au 1er juillet 2019, l’ensemble des préfectures de région avaient d’ores et déjà transformé 50 % des places de CAO en HUDA. Les dispositifs CHUM d’Île-de-France ont également fait l’objet d’une transformation progressive en HUDA au cours du premier semestre 2019. Les places en AT-SA ont elle aussi été intégrées à ce dispositif.

La dotation pour 2020, 489 millions d’euros d’AE et 364 millions d’euros de CP, doit permettre le financement des 52 038 places d’hébergement d’urgence en 2020.

● Les centres daccueil pour demandeurs dasile (CADA) constituent l’hébergement de référence pour les demandeurs d’asile en procédure normale.

Ce dispositif d’hébergement pérenne compte plus de 360 centres qui offrent des prestations d’accompagnement social et administratif. Pour 2020, la dotation inscrite, 317,2 millions d’euros, doit permettre le financement de l’accroissement de la capacité du parc à 43 452 places.

Nombre de places disponibles dans le dispositif national d’accueil

Dispositifs d’hébergement 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

CAES

-

-

-

-

2 896

3 136

AT-SA

2160

4 234

6 013

5 776

5 855

-

PRAHDA

-

-

-

5 351

5 351

5 351

CAO

-

967

10 370

9 424

9 995

4 495

HUDA à gestion déconcentrée

22 894

18 868

17 400

19 220

20 953

42 192

CADA

24 418

28 104

38 126

40 450

42 452

43 452

Total

49 742

52 173

71 909

80 221

82 592

98 476

Source : ministère de l’Intérieur.

Cette poursuite de la mise à niveau du dispositif national d’accueil s’accompagnera d’un renforcement de la logique dorientation directive, précisée par la loi du 10 septembre 2018. Le prochain schéma national d’accueil, pris en application de cette loi, définira la répartition entre les régions des places d’hébergement dédiées aux demandeurs d’asile selon les différents dispositifs d’hébergement.

b.   Les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile

À l’action n° 2 figurent également les crédits de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), qui est versée aux demandeurs d’asile durant toute la durée de la procédure d’instruction de leur demande.

Versée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), son montant varie selon la composition familiale des demandeurs et leur hébergement. En 2018, le montant mensuel moyen global de l’allocation était de 34,8 millions d’euros et elle était versée à plus de 130 000 personnes par mois.

Pour 2019, la dotation inscrite est de 443,8 millions deuros, soit une nette progression par rapport à l’année 2019 (+ 33 %), qui avait été la seconde année où l’exigence de sincérité budgétaire avait été prise en compte. La dotation 2020 est bâtie sur une stabilisation de la demande d’asile et une baisse de 10 % des demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin.

Une carte de paiement pour le versement de l’ADA

Au 5 novembre 2019, une carte de paiement devrait se substituer à la carte de retrait sur laquelle l’État verse l’ADA. Cette dernière carte pouvait être utilisée jusqu’à trois fois par mois par son bénéficiaire pour retirer dans un distributeur automatique de billets le strict montant de l’allocation.

Le décret n° 2018‑1359 du 28 décembre 2018 ([1]) a modifié l’article D. 744‑33 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) afin de permettre le versement de l’ADA sur une carte de paiement. Il s’agit, pour l’OFII, de mieux maîtriser son usage et de limiter les risques de dépenses de l’allocation à l’étranger.

Cette carte sera utilisable dans tous les commerces français équipés d’un terminal de paiement électronique (TPE). Elle ne permet pas le paiement par internet et ne peut être utilisée que dans la limite du solde disponible. La démonétisation de l’ADA, qui a été expérimentée avec succès en Guyane, est déjà mise en œuvre par d’autres pays européens comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique.

Cette mesure avait été initialement annoncée pour le 5 septembre. Les associations gestionnaires ont cependant fait part de difficultés, notamment l’absence de liquidités pour les petites dépenses quotidiennes et pour celles qui peuvent être engagées auprès des structures d’hébergement. La mise en œuvre du dispositif a été reportée de deux mois afin que certaines structures puissent s’équiper d’un TPE.

c.   L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides

L’action n° 2 prévoit enfin le versement de la subvention de l’État à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) mentionnée à l’article L. 722-5 du CESDA. Elle s’élève à 91,67 millions d’euros, en hausse de 30 % par rapport à 2019.

Cette subvention permet à l’Office de financer ses dépenses de personnel et de fonctionnement. Cette hausse lui permettra, pour 2020, d’augmenter son plafond d’emploi de 200 emplois équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT) qui atteindra un total de 1 005 postes.

L’enjeu, pour l’Office, est de réduire les délais de traitement des demandes d’asile et résorber le stock de dossiers en instance dans un contexte prévisionnel de stabilité de la demande d’asile en 2020, qui, après une nouvelle hausse de 22 % en 2018, devrait cependant encore augmenter d’environ 12 % en 2019.

2.   L’action n° 3 « Lutte contre l’immigration irrégulière »

Cette action finance notamment les dépenses liées au maintien en zone d’attente ou en rétention et les procédures d’éloignement, ainsi que l’accompagnement social, juridique et sanitaire des personnes non admises sur le territoire national.

Pour lannée 2020, les AE sont en baisse pour sétablir à 112,74 millions deuros (- 26,39 % par rapport à 2019) et les CP à 122,48 millions deuros (- 9,98 %). Les crédits en forte hausse dans la loi de finances initiale pour 2019 (+ 86,8 % et + 65,7 %) avaient pour objet de financer de nouvelles places de rétention qui sont aujourd’hui en cours de construction.

 41,15 millions d’euros en AE et 36,38 millions d’euros en CP sont destinés au fonctionnement des 25 centres de rétention administrative (CRA), des 19 locaux de rétention administrative (LRA) et de la zone d’attente des personnes en instance (ZAPI) de l’aéroport de Roissy.

Ces crédits permettent de couvrir les frais de fonctionnement courant – prestations de restauration, de blanchisserie, entretien immobilier et frais d’interprétariat.

● 6,2 millions d’euros en AE et 20,71 millions d’euros en CP seront consacrés en 2020 à la poursuite de l’investissement immobilier des centres, et notamment la poursuite de laugmentation du nombre de places de rétention. Sur la période 2018-2020, le nombre total de places aura été augmenté de 480, soit plus de 35 %, par la rénovation des structures existantes, leur extension ainsi que la création de nouveaux centres. Au 15 septembre 2019, 389 places ont été ouvertes, portant la capacité réelle des CRA de métropole à 1 587 places.

Il s’agit de renforcer l’effectivité de l’exécution des décisions d’éloignement et de tenir compte de l’augmentation de la durée légale de placement en rétention permise par la loi du 10 septembre 2018 précitée.

 24,65 millions d’euros sont consacrés à la prise en charge sanitaire et à l’accompagnement social des personnes en rétention.

 32,84 millions deuros, enfin, sont consacrés aux frais déloignement des migrants en situation irrégulière, dont la mise en œuvre revient, au sein de la police nationale, à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

Ces crédits permettent notamment de financer les frais de billetterie de transport (vols commerciaux, train ou bateau), le fonctionnement de l’aéronef de type Beechcraft de dix-neuf places utilisé de manière ponctuelle pour les éloignements, notamment familiaux, à destination des Balkans et du Caucase, ainsi que certains frais supportés par les services administratifs.             

3.   Les autres actions

Laction n° 1 « Circulation des étrangers et politique des visas » finance une partie des dépenses de fonctionnement des postes diplomatiques et consulaires en charge des visas, à savoir le renouvellement des stations de travail ainsi que l’utilisation des réseaux de communication de données. Pour 2020, la dotation est stable, à 520 000 euros.

Laction n° 4 « Soutien » regroupe une partie des moyens nécessaires au fonctionnement courant de la direction générale des étrangers en France (DGEF) du ministère de l’Intérieur. Les AE et les CP sélèvent pour 2020 à 5,7 millions deuros. Ils sont en nette baisse par rapport à 2019 en raison de transferts de crédits opérés en prévision de la création, au 1er janvier 2020, d’une direction du numérique (DNUM) au sein du ministère.

B.   lE PROGRAMME 104 « Intégration et accès à LA NATIONALITé FRANçAISE »

Le programme n° 104 « Intégration et accès à la nationalité française » comprend quatre actions qui concourent à l’intégration des étrangers en situation régulière, notamment ceux qui se sont vus reconnaître le bénéfice du droit d’asile.

Pour 2020, les crédits du programme sélèvent à 437,5 millions deuros en AE et 437,57 millions deuros en CP, soit une hausse de 7,1 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019.

Cette augmentation témoigne de la volonté du Gouvernement de poursuivre le financement du renforcement des dispositifs d’intégration, décidé lors du comité interministériel à l’intégration du 5 juin 2018 et amorcé dans la loi de finances initiale pour 2019. Elle vise également à pérenniser les places de centre provisoire d’hébergement (CPH) destinées aux réfugiés.

 


éVOLUTION DES Crédits du programme 104

(en millions deuros)

 

LFI 2018

PLF 2019

Évolution

Numéro et intitulé de laction

AE

CP

AE

CP

AE

CP

11 – Accueil des étrangers primo-arrivants

252

252

258,94

258,94

+ 2,75 %

+ 2,75 %

12 – Actions d’accompagnement des étrangers en situation régulière

49,13

49,13

53,91

53,91

+ 9,73 %

+ 9,73 %

14 – Accès à la nationalité française

0,99

1,04

0,98

1,05

- 0,07 %

+ 0,65 %

15 – Accompagnement des réfugiés

97,95

97,95

115,13

115,13

+ 17,54 %

+ 17,54 %

16 – Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

8,54

8,54

8,54

8,54

0

0

Total

 

 

 

 

 

 

Source : projet annuel de performances pour 2020.

1.   L’action n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants »

Cette action finance l’OFII, opérateur public qui contribue aux missions de la DGEF.

L’OFII est notamment en charge de l’accueil et de l’intégration des étrangers autorisés à séjourner durablement en France, de l’accompagnement des demandeurs d’asile ou encore de l’aide au retour et à la réinsertion des étrangers qui ne bénéficient pas d’un titre de séjour.

Pour ce qui concerne l’accueil et l’accompagnement des étrangers primo-arrivants, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France avait posé les principes de cette politique, qui s’appuie notamment sur le contrat d’intégration républicaine (CIR).

Le CIR comprend, outre un entretien d’orientation, des cours de langue française et une formation civique.

Reprenant une grande partie des propositions du rapport de notre collègue Aurélien Taché ([2]), également intégrées dans la loi du 10 septembre 2018 précitée, le comité interministériel à l’intégration du 5 juin 2018 avait arrêté une série de mesures en faveur de l’intégration comprenant notamment :

– le doublement des cours de langue : le nombre d’heures est passé de 200 à 400 heures en 2019, afin de rapprocher la France des meilleurs standards européens ;

– le doublement de la formation civique, qui est passée de 12 à 24 heures, et est organisée en plusieurs temps, au fil du parcours d’intégration, pour que les bénéficiaires en tirent un meilleur profit ;

– lintroduction dune prestation dorientation professionnelle dès le stade du CIR, avec, à la fois, la création d’entretiens à visée professionnelle en début et en fin de CIR, ainsi qu’un entretien approfondi d’orientation professionnelle pour chaque primo-arrivant en recherche d’emploi.

Pour 2020, la subvention versée à lOFII sélèvera à 247,9 millions deuros, soit une hausse de 3,9 % par rapport à 2019. Ces crédits supplémentaires doivent permettre de déployer les mesures décidées lors du comité interministériel du 5 juin 2018, l’année 2020 constituant la première année pleine du déploiement du CIR rénové. Ces missions sont cependant exercées sans revalorisation du plafond d’emploi de l’Office qui est confronté à une usure de ses équipes et des démissions importantes, notamment des personnels contractuels qui constituent 70 % des agents en charge de l’asile.

2.   L’action n° 12 « Actions d’accompagnement des étrangers en situation régulière »

Cette action finance les actions d’accompagnement, effectuées par les préfectures, visant à faciliter l’intégration des étrangers durant les cinq premières années qui suivent leur admission au séjour.

Elles comprennent, pour prolonger la formation délivrée par le contrat d’intégration républicaine, des actions de formation linguistique et de formation civique ainsi que des mesures d’accès aux droits, à l’insertion professionnelle et à l’emploi.

Après une hausse de près de 30 % en 2018 et en 2019, les crédits consacrés à cette action continuent daugmenter puisquils sélèveront pour 2020 à 53,91 millions deuros, soit une hausse de 9,73 % par rapport à 2019. Ces crédits s’inscrivent dans la forte dynamique insufflée par le comité interministériel du 5 juin 2018.

3.   L’action n° 14 « Accès à la nationalité française »

L’action n° 14 finance le fonctionnement courant de la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDNAF) du ministère de l’Intérieur, notamment l’entretien des locaux et les fournitures documentaires à destination des préfectures en lien avec la procédure de naturalisation (dossiers remis lors des cérémonies d’accueil, livret de citoyenneté).

Pour 2020, les AE s’élèvent à 0,98 million d’euros et les CP à 1,05 million, dans la lignée de l’année 2019.

110 014 personnes sont devenues françaises en 2018, dont 77 778 au terme de procédures suivies par le ministère de l’Intérieur, selon deux voies :

– la procédure de naturalisation par décret, pour les étrangers installés durablement en France ;

– la procédure de déclaration à raison du mariage, pour les étrangers mariés à un conjoint français.

4.   L’action n° 15 « Accompagnement des réfugiés »

Cette action finance l’accès au logement et à l’emploi des réfugiés qui ont besoin d’un accompagnement spécifique.

Après avoir augmenté de 129,7 % en 2019, les crédits de cette action continuent de croître, de 17,54 %, pour être portés à 115,13 millions deuros en AE et CP.

● L’essentiel de ces crédits finance les CPH, structures ayant pour objet de favoriser l’accompagnement des réfugiés présentant des difficultés et nécessitant une prise en charge complète dans les premiers mois après l’obtention de leur statut.

Pour 2020, la dotation inscrite s’établit à 81,92 millions d’euros pour permettre le financement en année pleine des 2 000 places supplémentaires créées, ainsi que la transformation des 1 500 places de CHUM en places de CPH en Île-de-France. La capacité totale du parc s’élèvera à 8 710 places.

● Les actions daccompagnement des réfugiés sont mises en œuvre et gérées par le secteur associatif. Elles comprennent notamment des aides et secours, par l’attribution de bourses pour la poursuite d’études universitaires, et des interventions en faveur de la promotion sociale et professionnelle. Sont ainsi financés des dispositifs d’hébergement spécifiques pour les réfugiés isolés, non francophones et en difficulté sociale.

La dotation, en augmentation pour 2020, sétablit à 33,2 millions deuros.

Cette augmentation permettra de renforcer les mesures de la stratégie interministérielle d’accueil et d’intégration des réfugiés, dans la lignée du comité interministériel du 5 juin 2018. Elle doit permettre de financer, par exemple, la poursuite du programme « HOPE » ([3]) qui a permis, en 2019, à 1 500 réfugiés d’entrer dans un parcours spécifique d’intégration de huit mois, comprenant hébergement, acquisition de la langue française, découverte des métiers et accompagnement social et professionnel. Ce projet se poursuivra en 2020 et s’adressera à 1 500 nouveaux réfugiés.              

Un centre d’accueil et d’insertion d’un nouveau type pour les réfugiés

Pour faire face à la problématique de l’intégration des réfugiés et de l’accessibilité au logement en Île-de-France, la préfecture de région expérimente un nouveau type de centre dénommé centre d’accueil et d’insertion des réfugiés (CAIR). D’une capacité de 200 places, le CAIR du boulevard Poniatowski, dans le douzième arrondissement de Paris, a ouvert le 10 octobre 2019.

Ce centre est dédié à l’accueil et à l’insertion des réfugiés disposant d’un emploi ou en voie d’insertion professionnelle. À moyen terme, il concentrera en un seul lieu l’hébergement, l’acquisition de la langue française et des valeurs de la République ainsi que la formation professionnelle.

Conçue comme un sas, cette structure expérimentale aura vocation à accueillir le public statutaire pour une durée de six mois, permettant ainsi la fluidité du centre.

5.   L’action n° 16 « Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants »

Cette action finance l’accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants (PTFTM). Le PTFTM a pour objectif d’améliorer les conditions de logement et de vie des résidents. Il s’agit, à la fois, de remettre aux normes un certain nombre de bâtiments et de mettre en place un accompagnement social. Depuis sa création en 1979, ce plan a permis le traitement de 438 foyers sur les 687 recensés. Sa poursuite est indispensable pour réhabiliter 153 foyers supplémentaires.

Les AE et les CP, identiques à ceux des années précédentes, sélèvent pour 2020 à 8,54 millions deuros.

 


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II.   la situation des étrangers sans titre de séjour en France

Les étrangers en situation irrégulière sont, par essence, mal connus : les identifier de manière fiable demeure un exercice difficile et l’évaluation de leur nombre s’avère compliquée ([4]).

L’ambition de votre rapporteure pour avis, loin de vouloir stigmatiser ces hommes, ces femmes et ces familles qui souvent travaillent, payent des cotisations et des impôts, est de tenter d’éclairer cette zone grise en marge – mais pas en rupture – de notre système légal ([5]).

Une meilleure compréhension de la situation de ces personnes, étudiée séparément de la question de leur éventuel éloignement ([6]), doit, à la fois, permettre de lutter de manière plus ciblée contre l’immigration irrégulière, tout en favorisant l’admission des étrangers qui sont durablement intégrés dans notre pays.

A.   les voies de l’immigration illégale

L’arrivée et le maintien dans le pays constituent deux phases distinctes : si le prolongement du séjour est toujours irrégulier, le franchissement de la frontière s’opère le plus souvent de manière légale.

1.   Arriver en France : le franchissement de la frontière

a.   La procédure de non-admission à la frontière

Contrairement aux idées reçues, l’arrivée en France des étrangers en situation irrégulière ne procède pas nécessairement d’un franchissement illégal de la frontière. Cette image d’Épinal de la frontière physique assiégée reste cependant ancrée dans l’imaginaire collectif. Elle est alimentée par l’existence de points de crispation terrestres situés principalement à la frontière franco-italienne et, de manière moins importante, à la frontière franco-espagnole.

Depuis le 13 novembre 2015, dans un contexte de menace terroriste puis de hausse importante des flux migratoires vers l’Union européenne, la France a rétabli les contrôles aux frontières intérieures ([7]) en plus du contrôle qu’elle opérait aux frontières extérieures de l’espace Schengen, c’est-à-dire principalement aux aéroports internationaux.

La pression migratoire aux frontières peut être évaluée par le nombre de non-admissions prononcées, à savoir les refus d’admission sur le territoire ([8]). Une procédure de réadmission simplifiée permet également une remise directe, intervenant à la frontière d’un État membre limitrophe, de la personne appréhendée. Par principe, ces chiffres ne permettent cependant pas d’estimer le nombre de franchissements illégaux de la frontière.

Sur l’ensemble de l’année 2018, 71 179 mesures de non-admission ont été prononcées. Ce chiffre est en baisse de 18 % après trois années de forte hausse (respectivement + 38 %, + 304 % et + 35 % en 2015, 2016 et 2017). À la frontière franco-italienne, ce sont 39 390 non-admissions qui ont été effectuées, en baisse de 30 % par rapport à 2017. La situation à la frontière avec l’Espagne est de nouveau stable sur les sept premiers mois de l’année 2019 après avoir augmenté de 30 % en 2018 (13 022 mesures avaient été prononcées). Aux aéroports de Paris et de Beauvais, 5 155 détections ont été opérées depuis le début de l’année.

L’appréhension d’un étranger en situation irrégulière à la frontière ne peut cependant faire obstacle au dépôt et à l’examen de sa demande d’asile, sauf si celle-ci est irrecevable, manifestement infondée ou relève de la compétence d’un autre État. Cette procédure a concerné 1 444 demandes en 2018.

b.   Les critères pour entrer sur le territoire national

La plupart des personnes, avant de basculer dans la clandestinité, arrivent cependant sur le territoire de manière régulière, munies d’un visa ou non.

Pour les nationalités concernées, la procédure d’octroi du visa par les autorités consulaires constitue un premier filtre pour accéder au territoire national. Les demandes de visas concernent dans plus de 90 % des visas de court séjour dénommés « visa Schengen », valables pour 90 jours maximum. Pour un séjour au-delà de trois mois, l’étranger doit demander un visa long séjour.

En 2018, sur près de 4,3 millions de visas demandés, 674 798 ont été refusés ([9]).

Certaines nationalités sont cependant dispensées de visa court séjour en application du règlement (UE) du 14 novembre 2018 ([10]). C’est le cas de l’Albanie et de la Géorgie dont les ressortissants sont surreprésentés parmi les étrangers en situation irrégulière, notamment les déboutés de la demande d’asile.

En application de l’article L. 211‑1 du CESEDA, la dispense de visa de court séjour n’exempte cependant pas ces ressortissants d’être en mesure de produire les justificatifs exigés pour tout séjour en France.

Pour une visite à caractère privée ou familiale, une attestation d’accueil est exigée. Pour un séjour touristique, le voyageur doit fournir les documents nécessaires pour établir ses conditions de séjour, notamment une réservation d’hôtel sur toute sa durée. Cette réservation peut être remplacée par un viatique fixé à 120 euros par personne et par jour. Il doit également être en mesure de justifier de moyens d’existence lui permettant de faire face à ses frais de séjour, de garanties de rapatriement et disposer d’une assurance médicale ([11]).

L’ensemble de ces éléments peuvent être contrôlés par la police aux frontières lors du franchissement de la frontière. Si les conditions d’entrée régulière ne sont pas respectées, la personne concernée peut faire l’objet d’une mesure de non-admission sur le territoire.

2.   Se maintenir sans titre de séjour sur le territoire national

a.   Une tentative d’identification du parcours administratif de l’étranger sans titre

Si l’étranger était détenteur d’un visa, il peut se maintenir sans titre à l’issue de son expiration. S’il était en possession d’un titre de séjour, il peut aussi s’agir, en plus du maintien après son expiration, d’un maintien après un refus de renouvellement.

Il n’existe actuellement pas de moyen de contrôler que la personne détentrice d’un visa a bien regagné son pays d’origine dans le délai prévu. La mise en place du système de contrôle des entrées et des sorties des frontières extérieures de l’Union ([13]), dit système ESS, va cependant permettre, à l’horizon 2022, la mise en place d’un tel contrôle. Ce système permettra aussi de vérifier les nouvelles demandes de visa de personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement.

Au préalable, tous les titres de séjour ne peuvent se prêter à cette étude, notamment ceux qui ne peuvent être demandés qu’à l’extérieur du territoire. Ainsi, la demande de regroupement familial ([14]) est effectuée au profit de personnes qui se trouvent à l’étranger, à l’exception des demandes relevant de l’admission sur place qui, pour 11 % des titres, s’applique aux individus en situation régulière qui se marient en France ([15]).

Selon le ministère de l’intérieur, le nombre de refus de titres peut être estimé par les décisions d’éloignement prises après une décision de refus ou de retrait de titre, à savoir 24 060 en 2018 ([16]).

De manière générale, les refus concernent principalement les premières demandes, en l’absence de visa de long séjour correspondant au motif du séjour, et particulièrement les demandes d’admission exceptionnelle au séjour ([17]).

En matière de renouvellement, les titres les plus représentés sont ceux relatifs à l’immigration professionnelle lorsque l’autorisation de travail a été refusée, ou lorsque l’activité économique n’a pas démontré sa viabilité, ainsi que les titres étudiants, notamment lorsque le parcours n’est pas jugé assez assidu, sérieux ou cohérent.

 

Si le ministère de l’Intérieur estime que ces éléments ne sont pas de nature à expliquer la situation de personnes sans titre, des mesures ont été prises afin d’améliorer les conditions d’accès aux guichets préfectoraux et le traitement des demandes de titres de séjour.

 

La mise en place d’un module de prise de rendez-vous en ligne a permis de fluidifier l’accueil physique en préfecture et de proposer plus aisément des plages de rendez-vous. Selon le ministère de l’Intérieur, un dispositif de saisie obligatoire du numéro du titre de séjour fait obstacle aux prises de rendez-vous indues pour les renouvellements de titre. Les différents témoignages, relayés par voie de presse ([19]) ou sur le terrain, doivent, cependant, inciter le Gouvernement à lutter plus fermement contre la fraude à la revente de rendez-vous en préfecture qui affecte fortement le quotidien des personnes étrangères.

 

La généralisation, par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, de la carte de séjour pluriannuelle, en lieu et place de cartes temporaires renouvelables chaque année, a effectivement permis une réduction du nombre de passages en préfectures. Ce dispositif poursuit sa montée en puissance avec 437 600 titres délivrés en 2018 contre 303 600 en 2017.

 

Enfin, le programme « Administration numérique pour les étrangers en France », en cours de développement, permettra, d’ici à 2022, la dématérialisation des procédures de demandes de titres de séjour auprès des préfectures ainsi que leur instruction par celles-ci ([20]). La mise en service des procédures de dépôt de demandes en ligne devrait réduire les déplacements aux guichets et permettre une instruction plus rapide des demandes de titres.

b.   Le cas particulier des étrangers sortis de la demande d’asile

Environ deux-tiers des demandeurs sont donc déboutés chaque année de la procédure de l’asile.

La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a entendu accélérer la fin du droit au maintien sur le territoire des personnes déboutées en instaurant, à l’article L. 311‑6 du CESEDA, une procédure concomitante entre la demande d’asile et la demande d’un titre de séjour pour un autre motif.

Cette mesure a pour but de permettre aux préfectures de statuer de manière complète sur le droit au séjour de la personne et d’éviter les procédures dilatoires utilisées par certains déboutés qui tentent de prolonger leur droit au maintien en déposant des demandes de titre de séjour après le rejet de leur demande d’asile.

Dans les faits, un nombre infime de demandes concomitantes ont été déposées par les demandeurs d’asile. Cette question ne constitue cependant pas un critère pour qualifier la réussite ou l’échec de la réforme. En effet, son enjeu ne réside pas dans la quantité de demandes effectivement déposées mais dans le nombre de manœuvres dilatoires que cette nouvelle procédure permettra d’éviter, en aval du rejet définitif des demandes d’asile présentées après le 1er mars 2019.

La loi du 10 septembre 2018 a également précipité la fin du droit au maintien des demandeurs originaires de pays d’origine sûrs dont la liste est établie par le conseil d’administration de l’OFPRA. Ils représentent désormais 23 % de la demande d’asile et sont principalement originaires d’Albanie et de Géorgie.

En application du 7° de l’article L. 743‑2 du CESEDA, ces demandeurs perdent leur droit au maintien et peuvent faire l’objet d’une mesure d’éloignement dès qu’intervient la décision de rejet de l’OFPRA et nonobstant leur recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Depuis le début de l’année 2019, 3 300 mesures ont été prises dans ce cadre.

Le règlement de Dublin ([21]) pose le principe selon lequel un seul État européen est responsable de la demande d’asile. Au moment de l’enregistrement de la demande, lorsque la préfecture estime que l’examen relève de la compétence d’un autre État membre, le demandeur est placé sous procédure « Dublin ». Une attestation ([22]) lui est alors remise jusqu’au transfert effectif vers l’État responsable. Il bénéficie, pendant ce temps, des conditions matérielles d’accueil (CMA) ([23]) en application de la directive « Accueil » ([24]).

Le transfert vers l’État responsable doit être effectué dans un délai de six mois à compter de son acceptation. En cas d’échec de la procédure de transfert, la personne est requalifiée et sa demande d’asile sera examinée en France.

Un phénomène croissant consiste, pour les personnes sous procédure « Dublin », à tenter de se soustraire à la procédure de transfert. Ces personnes sont alors déclarées en fuite ([25]) et le délai de transfert est prolongé à dix-huit mois ([26]). À l’issue de cette période, en cas d’échec de la procédure, les demandeurs sont requalifiés et peuvent déposer une demande d’asile en France.

Sur les sept premiers mois de l’année 2019, 5 516 demandeurs sous procédure « Dublin » ont été déclarés en fuite.

Depuis la loi du 10 septembre 2018, le 2° de l’article L. 744‑7 conditionne le bénéfice des CMA « au respect des exigences des autorités chargées de l'asile, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes ». Depuis le 1er janvier 2019, le droit à l’hébergement et le versement de l’ADA sont donc systématiquement retirés à la personne en fuite et ne sont pas automatiquement rétablis lorsqu’elle est requalifiée après l’échec de la procédure.

Sur le premier semestre de l’année 2019, l’OFII a pu prendre environ 13 000 décisions de retrait des CMA sur ce fondement.

Dans le prolongement de son avis sur le projet de loi de finances pour 2019 ([27]) et de sa participation à la Conférence interparlementaire sur les questions de l’asile et de l’immigration ([28]), votre rapporteure souhaite insister sur la nécessité d’aboutir, au niveau des négociations européennes, à un allongement de la durée de la responsabilité de l’État chargé de l’examen de la première demande d’asile, pendant nécessaire à l’instauration d’un mécanisme de solidarité entre les États, afin que la procédure Dublin puisse être pleinement appliquée en Europe et que soient mis en échec les détournements de cette procédure.

B.   Pour un nouvel équilibre de notre politique migratoire

Une meilleure prise en compte de la situation des étrangers sans titre de séjour doit permettre de définir notre politique migratoire.

1.   Les dispositifs de notre politique migratoire sont aujourd’hui saturés

La politique migratoire de la France présente aujourd’hui un risque de saturation qui est notamment lié au phénomène migratoire illégal.

a.   La procédure de l’asile doit être protégée

La chaîne de la procédure d’asile est menacée par une demande croissante et, pour partie, infondée : les demandeurs issus de pays d’origine sûrs représentent désormais, sur les huit premiers mois de l’année 2019, 23 % des demandes, 60 % étant des ressortissants albanais et géorgiens. La demande albanaise a quadruplé entre 2014 et 2017 ; le nombre de demandeurs géorgiens a plus que triplé entre 2017 et 2018 ([29]).

Ces deux nationalités, désormais équivalentes, constituent 14 % de la demande d’asile globale pour un taux d’admission par l’OFPRA de 5,9 % pour l’Albanie et de 3,3 % pour la Géorgie.

Votre rapporteure pour avis s’inquiète d’une utilisation récurrente de la procédure de l’asile comme stratégie détournée de maintien provisoire et infondé sur le territoire.

Ce phénomène met en péril le traitement de la demande d’asile en France et l’accueil digne et rapide qui doit être réservé aux ressortissants qui ont réellement besoin de notre protection. Il menace l’objectif fixé par le plan gouvernemental du 12 juillet 2017 « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires » d’un délai global de six mois : soixante jours pour l’examen de la demande par l’OFPRA et cent-vingt au stade de la CNDA. Le délai moyen d’instruction de l’Office, qui avait été réduit de plus d’un mois à 150 jours en 2018, est estimé à 190 jours pour 2019.

Une demande qui croît et des délais qui s’allongent provoquent un accroissement régulier et continu du budget de l’ADA ([30]) dont le montant versé est passé de 307 millions d’euros en 2016 à 417 millions en 2018. Cette allocation s’élève à 6,80 euros par jour pour une personne auxquels s’ajoutent 3,40 euros par jour et par personne supplémentaire dans le foyer ([31]). Une majoration de 7,40 euros est prévue, par adulte, en l’absence d’hébergement ([32]).

Ces éléments provoquent des tensions récurrentes et préjudiciables autour de la question de l’asile dans notre pays à l’heure où la France doit, plus que jamais, assumer ses engagements internationaux en la matière et sanctuariser cette procédure.

b.   L’hébergement des personnes migrantes n’est pas satisfaisant

Alors que la question de l’hébergement des demandeurs d’asile doit être primordiale et prioritaire ([33]), le dispositif national d’accueil a connu un taux d’occupation de 96,9 % en 2018 et se trouve saturé en raison de la présence de personnes non autorisées dans le dispositif. En 2018, 19 % des places étaient occupées par des réfugiés ou, majoritairement, des déboutés. Pour 2019, le Gouvernement prévoit une baisse de ce taux à 13 %, dont 8 % de déboutés.

Pour soulager le dispositif et offrir une solution transitoire aux déboutés hébergés en attendant leur éloignement, la montée en puissance des dispositifs de préparation au retour (DPAR) initiée depuis 2016 doit être soutenue. La durée du séjour y est limitée à 45 jours au maximum, renouvelable dans la limite de 90 jours, pour permettre l'organisation du départ. Au 30 juin 2019, 15 DPAR étaient opérationnels, dont 6 en région parisienne, pour une capacité totale de 846 places. Trois projets validés, en cours de réalisation, porteront la capacité à 970 places à la fin de l’année 2019.

Plus généralement, la situation des personnes migrantes qui dorment dans des campements de rue, insalubres, doit être prise en charge plus efficacement, en mobilisant l’ensemble des acteurs concernés. Cette question provoque l’exaspération des riverains et véhicule une image désastreuse des migrants. Il en va de la dignité et de la santé de ces personnes.

La préfecture d’Île-de-France recensait, au 1er septembre 2019, près de 1 500 personnes migrantes en situation de rue sur l’espace public, principalement concentrées porte d'Aubervilliers, porte de la Chapelle et sur la commune de Saint-Denis. La plupart de ces personnes sont des jeunes hommes isolés, principalement des Afghans (41 %), des Soudanais (21 %) et des Somaliens (9 %). Le taux d’étrangers en situation irrégulière ne peut cependant pas être connu car une partie des personnes présentes sur les campements refuse d’être prise en charge au cours des maraudes organisées du fait de leur situation administrative irrégulière ([34]).

c.   Les conditions de rétention se dégradent

La volonté affichée du Gouvernement de lutter plus fermement contre l’immigration irrégulière, qui se traduit par une hausse des retours forcés exécutés de 10 % en 2018, a pour conséquence incidente une importante augmentation du taux d’occupation des CRA qui s’élève à 92,3 % pour les hommes isolés en métropole. Le Gouvernement a donc engagé, sur la période 2018-2020, un plan d’augmentation de leur capacité d’accueil de l’ordre de 35 % tendant à créer 480 nouvelles places.

L’augmentation du taux d’occupation des centres de rétention et l’allongement de la durée maximale de rétention à 90 jours ([35]) se sont accompagnés d’un renforcement de 400 000 euros, sur deux ans, des crédits alloués aux dépenses de santé dans les CRA. Ils atteindront 8,5 millions d’euros en 2020. Depuis le mois de septembre 2019, des permanences de psychologues sont également déployées dans les centres. 800 000 euros ont été consacrés au déploiement d’activités occupationnelles.

Ces efforts, s’ils sont louables, apparaissent cependant insuffisants pour faire diminuer les tensions perceptibles dans les centres. Elles sont préjudiciables à la fois pour les personnes retenues et pour les fonctionnaires de police dont les conditions de travail se sont fortement dégradées.

Si la durée moyenne globale de rétention ne connaît pas de hausse significative depuis l’entrée en vigueur de la loi du 10 septembre 2018 ([36]), l’allongement potentiel de sa durée n’est pas sans conséquences psychologiques pour les personnes retenues. Il convient également de noter que l’augmentation des transferts réalisés dans le cadre de la procédure « Dublin », pour lesquels la durée de rétention est statistiquement plus faible, minore la tendance à la hausse de la moyenne globale.

Votre rapporteure pour avis a pu constater que les demandes de protection contre l’éloignement pour raisons de santé, formulées en application du 10° de l’article L. 511‑4 du CESEDA, ­­étaient en hausse.

Depuis la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, c’est l’OFII, et non plus l’Agence régionale de santé, qui est désormais chargé d’émettre un avis médical sur les procédures relatives aux personnes étrangères malades sur le territoire français. En 2018, l’Observatoire du droit à la santé des personnes étrangères avait relevé que « le taux d’avis favorables à la nécessaire continuité des soins en France, toutes pathologies confondues, est passé de 77 % en 2014 à 52 % en 2017 » ([37]), l’OFII estimant cependant que « ces données [étaient] difficilement comparables […] sans éléments d’information complémentaires » ([38]).

S’agissant des demandes formulées au sein des CRA, leur nombre est passé de 443 en 2017 à 665 en 2018 et le taux d’avis favorable de 19,4 % à 16,9 %. Sur le premier semestre 2019, 467 demandes ont été transmises au médecin coordonnateur de zone de l’OFII qui, pour 25,3 % des dossiers, a émis un avis favorable. Les maladies infectieuses et parasitaires, dont la tuberculose, représentent 22 % des demandes et les troubles mentaux et du comportement 20 % des cas.

2.   Les nouvelles voies de l’immigration légale

S’il est important de lutter contre le phénomène migratoire illégal, une politique équilibrée doit permettre de mieux l’appréhender afin d’assurer l’intégration des personnes en situation régulière.

Chaque année, autour de 100 000 étrangers sont interpellés en situation irrégulière ([39]) et un nombre comparable de mesures d’éloignement ([40]), toutes confondues, sont prononcées. Sur dix ans, ce sont plus d’un million de ces mesures qui ont été prises ([41]).

Ces chiffres conduisent à s’interroger sur le sens de la politique de lutte contre l’immigration irrégulière qui, sans créer d’effet d’aubaine, doit pouvoir être appliquée de manière plus circonstanciée au moyen d’outils qui nous permettent d’anticiper et plus seulement de réagir.

a.   Soutenir l’admission exceptionnelle au séjour

La procédure de l’admission exceptionnelle au séjour (AES) a succédé aux grandes vagues de régularisations en permettant un traitement de ces demandes ([42]), par les préfectures, au fil de l’eau ([43]).

Le principal dispositif d’AES, prévu à l’article L. 313‑14 du CESEDA, a été introduit par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, dite loi « Sarkozy ». La circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire « Valls », a permis une harmonisation des critères d’admission ([44]) pour les deux voies d’accès à l’AES que sont la vie privée et familiale et le travail ([45]).

25 207 cartes de séjour temporaire « vie privée et familiale » ont été délivrées en 2018 au moyen de cette procédure, en hausse de 5,8 % par rapport à 2017. Peuvent être régularisés sur ce fondement :

-         les parents d’enfants scolarisés, à condition de justifier d’une installation durable depuis au moins cinq ans et d’une scolarisation de l’enfant depuis au moins trois ans ;

-         les conjoints d’étrangers en situation irrégulière ; 

-         les mineurs devenus majeurs ;

-         toute autre personne pour des motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires.             

L’AES au titre du travail a connu une nette progression en 2018, de l’ordre de 11,2 %, et a permis la délivrance de 8 050 titres de séjour. L’étranger doit être en mesure :

-         de fournir un contrat de travail ou une promesse d’embauche ;

-         de justifier d’une ancienneté de travail de huit mois, consécutifs ou non, sur les vingt-quatre derniers mois ou de trente mois, consécutifs ou non, sur les cinq dernières années ;

-         d’attester d’une ancienneté de séjour de cinq ans au moins ou de trois ans s’il peut justifier d’une activité professionnelle de vingt-quatre mois dont huit, consécutifs ou non, dans les douze derniers mois.             

S’il travaille de manière régulière, l’étranger peut donc accéder à la voie de l’AES après trois ans de présence sur le territoire.             

admissions exceptionnelles au séjour depuis 2013

 Source : ministère de l’Intérieur

Au total, 33 257 mesures d’AES ont été prononcées en 2018. Depuis la diffusion de la circulaire du 28 novembre 2012, ce sont 192 057 admissions qui ont été prononcées en France.

Si l’on ne constate pas de régularisation massive, on observe cependant une utilisation régulière et constante de ce dispositif utile et bienvenu, notamment en matière de régularisations par le travail pour lesquelles les admissions ont plus que doublé en quatre ans.

Votre rapporteure pour avis considère que la poursuite de la montée en puissance de ce dispositif est de nature à favoriser une appréhension circonstanciée de la situation des étrangers sans titre de séjour en France.

Cet outil demeure cependant limité et ne saurait constituer l’instrument d’une politique prospective en matière migratoire. Il s’avère également hypocrite puisqu’il suppose, pour les personnes étrangères, de fournir des preuves légales – fiches de paie, déclarations d’impôts, et même obligations de quitter le territoire français – d’une présence irrégulière sur le territoire qu’elles ne devraient pas être en mesure de pouvoir fournir. Ce dispositif met ainsi en exergue l’échec du système actuel.

b.   Organiser la migration économique

Avec 33 502 titres délivrés en 2018, l’immigration professionnelle enregistre une hausse de 22 % qui est portée principalement par la hausse de l’octroi des passeports talents (+ 28 %). Il s’agit du principal dispositif d’attractivité de la France en matière d’accueil de hauts potentiels. L’immigration professionnelle ne représente cependant que 13 % des délivrances de premiers titres de séjour.

En parallèle, le travail illégal demeure prégnant dans notre société. Il constitue l’outil principal de maintien sur le territoire des étrangers en situation irrégulière, leur situation administrative et sociale demeurant, par définition, précaire.

En effet, si certaines personnes sans titre de séjour payent des impôts ou des cotisations sociales, la plupart des dispositifs sociaux sont soumis à la régularité du séjour. Elles demeurent cependant éligibles aux seules prestations visées à l’article L. 111‑2 du code de l’action sociale et des familles – à savoir les prestations d’aide sociale à l’enfance, l’aide sociale en cas d'admission dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, l’aide médicale d’État ([46]) et l’aide à domicile pour les personnes âgées ([47]) – et au bénéfice de la réduction tarifaire de 50 % du titre de transport prévue par l’article L. 1113‑1 du code des transports ([48]).

En 2018, 56 des 321 filières d’immigration illégale démantelées en France étaient spécialisées dans le travail illégal. Les nationalités les plus représentées au sein de ces filières sont bangladaise, pakistanaise, marocaine, indienne et chinoise. 2 181 personnes ont été mises en cause en 2018 dans le cadre de l’emploi d’étrangers non autorisés à travailler.

Les principaux secteurs sont ceux du bâtiment et travaux publics (33 %) et des hôtels-cafés-restaurants (26 %). Votre rapporteure pour avis observe que les emplois concernés ne font pas partie de l’arrêté du 18 janvier 2008 ([49]) qui fixe la liste des métiers dits « en tension » permettant la délivrance, sans opposition de la situation de l’emploi, d’une autorisation de travail. Cette liste, qui n’a pas été actualisée depuis plus de dix ans, ne permet pas de pourvoir les besoins de ces secteurs au moyen d’une migration légale économique mieux organisée.

Que ce soit du côté de l’offre ou de la demande, le phénomène du travail clandestin s’auto-entretient sans qu’une politique migratoire ambitieuse et réaliste en matière économique ne soit esquissée.

Votre rapporteure pour avis estime qu’il est temps de remettre la question économique au cœur du projet migratoire de la France. Il s’agit du domaine dans lequel le pays dispose le plus de marges de manœuvres politiques et juridiques – à l’inverse de la migration familiale ou de la procédure d’asile par exemple – pour réguler les flux et attirer les étrangers qu’elle souhaite accueillir.

C’est sur ce sujet que la question des outils et des moyens pour y parvenir doit être posée, afin de sortir de l’hypocrisie actuelle et d’organiser enfin la migration économique.             


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   Examen en commission

 

Lors de sa seconde réunion du jeudi 24 octobre 2019, la Commission auditionne M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur le ministre je suis heureuse de vous accueillir au sein de la Commission. Nous allons examiner les crédits de la mission « Immigration, asile, intégration ». Mme Élodie Jacquier‑Laforge est rapporteure pour avis de la commission des Lois.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Permettez-moi d’évoquer Mayotte, où le Président de la République et moi-même venons de nous rendre, où l’on peut – et l’on doit – construire une politique de gestion de l’immigration efficace.

Cette politique commence par l’international, avec une coopération forte, visant à soutenir les territoires voisins. En l’occurrence, nous sommes liés avec les Comores par un engagement de coopération et un montant élevé d’aide publique au développement, pour garantir certains services, à commencer par les soins. La coopération s’accompagne d’une politique de gestion migratoire, qui permet cette année d’atteindre le chiffre de presque 25 000 reconduites à la frontière, correspondant au flux des arrivées que ce territoire a connu, voire subi.

Aujourd’hui, la moitié de la population mahoraise est en situation irrégulière, une situation qui n’est certes pas représentative de ce que nous vivons en métropole ou dans d’autres territoires d’outre-mer. Ceux qui connaissent ce territoire, comme vous, madame la présidente qui vous y êtes rendue, savent les tensions qui peuvent en découler.

Je prends cet exemple pour expliquer l’importance de gérer le phénomène migratoire, qui est très sensible. Outre l’immigration comorienne, que nous connaissons et que nous tentons de gérer par la coopération, un phénomène de migration se développe depuis la région des Grands lacs africains, entraînant de nombreuses demandes du statut de réfugié. Mayotte devient ainsi un hub depuis l’Afrique vers l’Europe… Je n’exprime pas de jugement en disant cela, mais je veux saluer, notamment sur ces territoires, non seulement la mobilisation de nos services, en particulier dans la lutte contre l’immigration irrégulière, par le démantèlement de filières de passeurs, mais également l’efficacité de dispositifs tel le centre de rétention administrative (CRA) que vous avez visité madame la présidente, où la durée moyenne de rétention est de 17 heures. On ne retrouve pas de tels chiffres dans le territoire métropolitain.

Outre cette mobilisation de toutes nos forces, je veux saluer la volonté politique du Président de la République, qui, il y a quelques mois, a décidé des changements en profondeur dans la gestion migratoire. Je me suis rendu sur place au mois d’avril. Nous avons décidé de faire en sorte que là où cinq opérateurs intervenaient dans la gestion du dossier migratoire, il n’y en ait plus que deux sur mer et un troisième, la marine, dans la coordination d’ensemble et dans l’air, ce qui a apporté une amélioration significative.

Après ce propos liminaire, qui est d’actualité, je vais à présent vous présenter le budget de la mission « Immigration, asile et intégration », dont il est inutile que je répète l’importance. Ses évolutions depuis le début du quinquennat démontrent l’engagement du Gouvernement dans la politique migratoire, tout en traduisant les impulsions et les orientations que nous avons souhaité lui donner depuis plus de deux ans.

Ainsi, le budget de la mission est de nouveau en forte augmentation cette année, pour permettre la mise en œuvre de cette politique, souhaitée par le Président de la République. Pour 2020, les crédits de la mission sont de 1,82 milliard d’euros, en augmentation de 9,6 %, soit 162 millions d’euros, à périmètre constant.

Le débat qui s’est tenu à l’Assemblée nationale il y a quelques semaines a été l’occasion d’aborder nos politiques d’immigration dans leur ensemble, et non de manière trop partielle ou excessivement technique. Ce débat a montré de vraies différences politiques mais elles sont parfaitement légitimes, l’Assemblée nationale étant le lieu privilégié de leur expression. Il est donc bon que les divergences dans la mise en œuvre des politiques aient pu s’exprimer.

Ce débat était aussi l’occasion de mettre à plat un certain nombre de phénomènes que nous connaissons, sans donner prise à l’emballement médiatique ou à l’hystérisation que l’on peut connaître dans d’autres instances que l’Assemblée nationale ou le Sénat. Cela a permis au Gouvernement de rappeler les fondements de sa politique, ainsi que les contraintes auxquelles notre pays est confronté.

Sans revenir sur les propos que j’ai tenus, j’ai le souvenir d’avoir évoqué le phénomène migratoire dans sa facette officielle : 250 000 entrées régulières dans le territoire national en 2018 et 120 000 demandes d’asile, qui ont encore augmenté en 2019. C’est un record alors que l’Europe connaît une baisse significative du nombre de demandeurs d’asile, elle est de 18 % en Allemagne.

Ces chiffres expliquent l’effort budgétaire que traduisent les crédits du programme « Immigration et asile », qui atteindront 1,38 milliard d’euros en 2020, soit une augmentation de 133 millions par rapport à 2019. Ils expliquent également la très forte pression qui pèse notamment sur les services du ministère de l’Intérieur. Je pense non seulement aux préfectures, que nous avons évoquées ce matin dans la discussion sur la mission « Administration générale et territoriale de l’État », mais aussi à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). L’objectif de traitement en six mois d’une demande d’asile est une priorité. C’est pourquoi, cette année encore, nous y consacrons des moyens significatifs.

Le renforcement de l’OFPRA est ainsi l’un des éléments saillants de ce PLF : 200 équivalents temps plein travaillé (ETPT) y seront créés, soit une augmentation de 25 % de ses effectifs, qui atteindront ainsi 1 005 ETPT en 2020. C’est un effort important, qui démontre tout notre investissement pour atteindre les objectifs ambitieux qui sont fixés.

Le renforcement de la CNDA se poursuit également : après 102 ETPT en 2018 et 122 en 2019, ce sont de nouveau 59 ETPT qui sont créés en 2020.

Cette pression continue de la demande d’asile justifie notre décision d’augmenter nos capacités d’hébergement depuis le début du mandat. À cet égard, le budget pour 2020 permettra de consolider les créations de place mises en œuvre depuis 2017, à savoir 3 000 places dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) et 5 000 places d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA). La diminution des délais d’instruction de la demande d’asile devra permettre de libérer des places d’hébergement plus vite, et ainsi, d’améliorer encore la prise en charge des demandeurs d’asile, tout en considérant que ce n’est qu’une partie du chemin qui est fait, notamment au regard de l’intégration.

Aujourd’hui, il est problématique que, dans certains endroits, 30 % des places d’hébergement soient occupées par des personnes qui ont obtenu une protection. Je ne leur en fais pas reproche car ils n’ont pas d’autre espace, que la rue. C’est là une véritable anomalie que des personnes à qui nous donnons la protection se retrouvent dans la rue. Chacun sait que, porte de La Chapelle, porte d’Aubervilliers ou avenue du président Wilson, à Saint-Denis, il est nécessaire d’intervenir pour corriger cette anomalie.

Un chiffre ne figure pas dans le budget mais devrait relever du volontarisme politique : si tous ceux qui attribuent des logements sociaux mobilisaient 4 % de leur pouvoir d’attribution pour loger des réfugiés, nous n’aurions plus aucune personne réfugiée dans la rue. Cet engagement, que l’État doit prendre en termes de quota réservataire, doit aussi être demandé aux collectivités territoriales, pour qu’elles soient à nos côtés sur ce sujet.

Enfin, depuis mai 2017, nous avons sincérisé le budget de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) : 448 millions d’euros sont prévus dans le PLF pour 2020, soit une augmentation de 33,4 % et 112 millions d’euros supplémentaires par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, et 229 millions d’euros de plus par rapport à la loi de finances initiale pour 2017.

La sincérisation est une obligation que nous avons envers les parlementaires. Lorsqu’un dépassement de crédits se produit, comme c’était le cas cette année, le Gouvernement met tout en œuvre pour assumer cette allocation. Nous devons à la représentation nationale d’essayer de refléter la réalité de notre dépense engagée en crédits au titre de l’ADA. Cela est difficile, car il est délicat de prévoir la croissance des demandeurs d’asile. Nous devons cependant tout faire pour parvenir à sincériser ce budget.

Notre politique de lutte contre l’immigration irrégulière est également dotée de moyens robustes. C’est le corollaire indispensable de l’acceptabilité par nos concitoyens de l’augmentation de l’ADA, notamment. On ne peut pas prétendre à la solidarité si on assume que des filières de criminalité soient organisées dans la gestion de l’immigration irrégulière. C’est la raison pour laquelle il nous faut avoir des moyens sérieux.

Notre politique de lutte contre l’immigration irrégulière se dote naturellement d’outils budgétaires, sur lesquels je reviendrai, mais aussi de dispositions juridiques. Sur le plan du droit, la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été une première étape. Je pense notamment à l’allongement de la durée maximale de rétention de 45 à 90 jours, qui a permis d’améliorer notre taux de reconduite, sans pour autant augmenter la durée moyenne de rétention, qui n’a augmenté que de 1 jour. En revanche, les personnes qui dépassent les 45 jours de rétention et obtiennent un laissez-passer consulaire, dont le nombre est d’ailleurs en très forte augmentation, sont éloignées dans 60 % des cas. Nous avons donc le moyen d’être beaucoup plus efficaces.

Je pense également à la possibilité offerte aux préfets de prendre des mesures d’éloignement dans certains cas, après décision de l’OFPRA, une fois celle-ci confirmée par les juridictions. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, 3 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont été prononcées.

Si vous corrélez ce fait avec l’amélioration des laissez-passer consulaires, nous avons aujourd’hui les moyens de rendre plus efficace notre capacité de reconduite à la frontière.

Les crédits dédiés à la lutte contre l’immigration irrégulière sont de 122,5 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2020, en diminution faciale de 13,6 millions d’euros, soit 10 %, baisse qui s’explique par la réalisation des investissements immobiliers dans les CRA. Ainsi, 289 des 480 nouvelles places de CRA créées entre 2018 et 2020 sont déjà ouvertes à ce jour. Les dernières seront financées cette année, ce qui portera l’augmentation totale du parc à 35 % par rapport à 2017. C’est l’engagement que le Gouvernement avait pris devant la représentation nationale et auquel la majorité était attentive.

Enfin, vous le savez, notre politique d’immigration comprend également une politique d’intégration, dont l’ambition a été profondément revue à la hausse. Des mesures fortes ont été prises. Nous avons revu notre parcours d’intégration pour doubler le nombre d’heures de français et de formation civique, allant dans certains cas jusqu’à 600 heures de formation en français. Réussir l’intégration implique la maîtrise de la langue.

De la même façon, nous avons considérablement renforcé les programmes qui favorisent et permettent l’insertion professionnelle. Il a beaucoup été question dans le débat du programme Hébergement orientation parcours vers l’emploi (HOPE), qui figure dans les formations proposées par les branches professionnelles. C’est la bonne façon d’amener les personnes vers l’emploi car les branches professionnelles connaissent les viviers d’emploi et les carences de formation. De plus, ce sont ces branches qui financent les formations.

Les moyens budgétaires dédiés aux politiques d’intégration ont été portés en deux ans à des niveaux sans précédent dans l’histoire de ce pays. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 2020, 137,6 millions d’euros sont consacrés au programme 104, soit une nouvelle augmentation supplémentaire, de 30 %. Globalement, les dispositifs d’accompagnement à l’intégration connaissent une hausse de 70 %. Au-delà des leçons que certains donnent, je préfère les notes et les actions. À cet égard, nous présentons un programme ambitieux.

Il faut avoir en tête que ces crédits permettent de poursuivre la mise en œuvre des mesures du comité interministériel à l’intégration de 2018, où le budget a augmenté de la façon la plus significative, passant de 90,4 millions d’euros à 194,7 millions d’euros en deux ans.

Sans revenir sur la question de l’hébergement des réfugiés, que j’ai abordée, nous avons créé dans ce domaine 5 000 places depuis 2017, pour atteindre une capacité de 8 710 places aujourd’hui, pour un coût annuel de 80 millions d’euros.

Comme vous pouvez le constater, le Gouvernement se donne les moyens de la politique migratoire et d’intégration qu’il porte depuis le début du quinquennat. Les budgets qui y sont consacrés sont significatifs. Si je n’ai pas présenté la politique de gestion du phénomène migratoire, c’est que ce n’est pas l’objet de cette réunion, d’autant que nous avons pris le temps du débat, il y a quelques jours, à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Dans les semaines qui viennent, le Premier ministre aura l’occasion de s’exprimer sur les conclusions qu’il tire de ces débats et sur des plans d’action pour conforter la politique que nous avons appliquée depuis 2017. Il s’agit de faire en sorte que là où il y a une volonté politique, comme à Mayotte, compte tenu des attentes de la population, cette politique puisse être mise en œuvre.

Mme Élodie Jacquier Laforge, rapporteure pour avis (« Immigration, asile, intégration »). Pour la troisième année consécutive, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent. Ils s’élèveront à 1,93 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,82 milliard d’euros en crédits de paiement en 2020, contre 1 milliard il y a seulement trois ans.

Le plan du Gouvernement Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires, présenté en 2017, s’est concrétisé par l’adoption, en 2018, de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Ce budget pour 2020 s’inscrit dans cette perspective, en maintenant l’effort engagé depuis le début de la législature.

Tout d’abord, le programme 303 « Immigration et asile » comprend l’essentiel des crédits de la mission et finance notamment la politique de l’asile ainsi que la lutte contre l’immigration irrégulière.

En ce qui concerne la garantie de l’exercice du droit d’asile, l’augmentation des crédits dédiés à l’hébergement permettra de poursuivre la rationalisation du dispositif national d’accueil. Celle-ci est en cours de finalisation autour des trois niveaux de prise en charge que sont les centres d’accueil et d’examen des situations (CAES), l’HUDA et les CADA. Un grand travail de rationalisation des différentes structures a été mené. Le parc d’hébergement sera ainsi porté à 98 500 places.

Les crédits de l’allocation pour demandeur d’asile sont également en hausse, de l’ordre de 33 %. À partir du 5 novembre prochain, cette allocation ne sera plus versée sur une carte de retrait, mais sur une carte de paiement, afin de mieux maîtriser son usage et de limiter les risques de dépenses de l’allocation à l’étranger.

Cette dotation pour 2020 est bâtie sur une stabilisation de la demande d’asile et une baisse de 10 % des demandeurs d’asile placés sous procédure Dublin. Pouvez-vous, monsieur le ministre, justifier votre hypothèse et nous préciser la tendance de la demande d’asile pour l’année en cours ?

Enfin, la subvention de l’État à l’OFPRA est, elle aussi, en hausse, de près de 30 %. Cette hausse permettra à l’Office d’augmenter son plafond d’emploi de 200 ETPT. L’enjeu est de résorber le stock de dossiers en instance et de réduire les délais de traitement des demandes d’asile, qui sont en hausse. L’objectif d’un délai global de six mois d’examen de la demande d’asile est cependant maintenu à l’horizon 2021-2022.

Après une forte hausse en 2019 pour financer l’augmentation des capacités d’accueil des centres de rétention administrative, les crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière sont en baisse. Entre 2018 et 2020, le nombre total de places en CRA aura augmenté de 480, soit de plus de 35 %. La baisse est donc à relativiser : hormis les dépenses d’investissement immobilier qui ont été budgétées et réalisées, tous les crédits de cette action, y compris sur la prise en charge sanitaire et sociale des personnes retenues, sont à la hausse.

Enfin, les crédits consacrés à l’intégration, compris dans le programme 104, augmentent pour assurer le financement des décisions prises lors du comité interministériel à l’intégration du 5 juin 2018, reprises dans la loi du 10 septembre 2018. Il s’agit d’actions d’accompagnement des étrangers en situation régulière, notamment des réfugiés.

Ces crédits s’inscrivent dans la forte dynamique insufflée sur la question de l’intégration. Ils doivent permettre de déployer sur une année pleine le contrat d’intégration républicaine, que l’opérateur du ministère, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), met en œuvre. À ce propos, j’ai de nouveau été alertée de la difficulté pour l’OFII de recourir à des contrats durables pour certaines catégories d’agents, notamment ceux qui sont au contact des demandeurs d’asile. Cette année encore, un roulement important du personnel est constaté.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire pour remédier à cette situation et donner à l’OFII les moyens de remplir au mieux ses missions ?

J’en viens à présent au thème que j’ai choisi de développer cette année, celui des étrangers sans titre de séjour sur notre territoire.

Grâce à une meilleure connaissance de leur situation, l’objectif est de lutter de manière plus ciblée contre l’immigration irrégulière, tout en favorisant l’admission des personnes qui sont durablement intégrées dans notre pays. En effet, ces hommes et ces femmes sont nombreux à travailler et à payer des impôts et des cotisations sociales.

Si l’on s’interroge sur les voies de l’immigration illégale en France, on observe tout d’abord que le franchissement de la frontière s’opère le plus souvent de manière régulière, même s’il demeure des points de crispation aux frontières terrestres, principalement à la frontière franco-italienne. Je vous rappelle que, depuis le 13 novembre 2015, la France a rétabli les contrôles aux frontières intérieures, en application du règlement Schengen. Sur l’ensemble de l’année 2018, 71 179 mesures de non-admission ont été prononcées.

Le franchissement de la frontière s’effectue au moyen des 3,6 millions de visas que la France accorde chaque année. Certaines nationalités en sont exemptées, sans pour autant être dispensées des justificatifs exigés pour tout séjour en France.

Le maintien sans titre sur le territoire procède la plupart du temps d’un prolongement de séjour après l’expiration d’un visa ou d’un titre. Seul le système de contrôle des entrées et des sorties des frontières extérieures de l’Union, dit système ESS, permettra, à partir de 2022, de contrôler que la personne détentrice d’un visa a bien regagné son pays d’origine dans le délai prévu.

Comme vous le savez, les déboutés de la demande d’asile, soit environ deux tiers des demandeurs, représentent une proportion croissante des étrangers en situation irrégulière dans notre pays. Certains d’entre eux, notamment en provenance des pays d’origine sûre, c’est-à-dire 23 % de la demande actuellement, utilisent cette procédure comme une stratégie détournée de maintien sur le territoire.

Des mesures sont mises en œuvre pour endiguer ce phénomène : introduction d’une procédure concomitante entre la demande d’asile et la demande d’un titre de séjour pour un autre motif ; fin du droit au maintien des demandeurs originaires de pays d’origine sûrs, après la décision de l’OFPRA, ou encore, conditionnement des conditions matérielles d’accueil au respect des exigences des autorités chargées de l’asile.

Mais aujourd’hui, nombre de nos dispositifs se trouvent saturés par une absence d’anticipation des flux migratoires, notamment irréguliers. Comme je le montre dans mon rapport, la procédure d’asile est menacée, alors même qu’elle doit être sanctuarisée. L’hébergement des personnes migrantes n’est pas satisfaisant et, malgré les moyens alloués dans le budget, les conditions de rétention se dégradent, notamment d’un point de vue sanitaire.

J’ai donc souhaité mettre en avant les outils qui doivent nous permettre de définir une politique migratoire plus circonstanciée et surtout, plus ambitieuse.

L’admission exceptionnelle au séjour, introduite par la loi relative à l’immigration et à l’intégration de 2006, dite loi Sarkozy, et harmonisée par la circulaire du 28 novembre 2012, ou circulaire Valls, est un outil intéressant, qui permet un traitement des demandes de régularisations au fil de l’eau. En particulier, la montée en puissance de la régularisation par le travail mérite d’être saluée. Depuis 2013, 192 057 admissions ont été prononcées au total.

Ce dispositif est cependant insuffisant et hypocrite, puisqu’il exige des personnes étrangères de fournir les preuves légales d’une présence irrégulière qu’elles ne devraient pas posséder, comme une fiche de paie ou une déclaration d’impôts.

Surtout, face à l’essor du travail clandestin dans de nombreux secteurs sous tension, j’estime qu’il est temps d’organiser la migration économique. Les principaux secteurs concernés par le travail illégal sont à 33 % celui du bâtiment travaux publics (BTP) et à 26 % celui de l’hôtellerie-restauration. Or les emplois concernés ne figurent pas dans l’arrêté de 2008, qui fixe la liste des métiers en tension, permettant que la préfecture, en lien avec la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation et de l’emploi (DIRRECTE), délivre une autorisation de travail, sans opposition de la situation de l’emploi.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si le Gouvernement envisage d’actualiser cet arrêté, qui date de plus de dix ans maintenant ?

Sur ce sujet, plus que sur celui de la migration familiale ou l’asile, nous disposons d’importantes marges de manœuvre, pour mettre cette question au cœur de notre projet migratoire. L’essor du dispositif Passeport talent, qui s’adresse à la migration très qualifiée, doit nous inciter à aller plus loin.

Mme Marietta Karamanli. J’ai écouté avec beaucoup d’attention, monsieur le ministre, votre présentation de la mission « Immigration, asile et intégration ». Au groupe Socialiste et apparentés, nous apprécions l’augmentation annoncée des crédits. Mais, à bien y regarder, cette augmentation recouvre des évolutions un peu contrastées. En effet, les crédits visant la garantie de l’exercice du droit d’asile et les crédits d’intervention augmentent de 12 % à peu près, tandis que les crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière baissent de 10 %.

Dans ce premier cas, les crédits suivent donc l’augmentation du nombre de demandes d’asile ; ils avaient d’ailleurs augmenté de 13 % en 2019 par rapport à 2018. Sur l’ensemble de l’année 2018, l’OFPRA avait enregistré 123 000 demandes, soit 22 % de plus qu’en 2017. En 2019, il y a eu, au premier trimestre, 62 000 demandes, la tendance étant donc plus modérée. Cette décélération se confirme-t-elle ? Je note d’ailleurs une forte diminution des dépenses de soutien.

Ce soutien inclut-il aussi les dépenses des préfectures ? Une large part de la politique de régulation de l’immigration y est en effet mise en œuvre. Qu’en est-il justement ? Cela n’est pas très clair dans les documents que nous avons eus à notre disposition. Ceux qui veulent accéder à un rendez-vous ont du mal à l’obtenir. Je note au passage qu’il est globalement très difficile d’accéder aux services régaliens de l’État.

Pouvez-vous nous expliquer la diminution des crédits de fonctionnement de l’action « Lutte contre l’immigration irrégulière » ?

En matière de garantie du droit d’asile, se pose aussi la question de l’hébergement des demandeurs : 1 500 places étaient prévues en CADA en 2018 et 1 000 places le sont en 2019, alors que 15 000 places avaient été créées entre 2015 et 2017. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit la mise à niveau de notre dispositif d’hébergement, mais aucune création supplémentaire de places en CAES, pas plus en HUDA qu’en CADA. N’y a-t-il pas contradiction entre l’affirmation de cette garantie et l’exercice effectif du droit ? La question se pose à la lecture de ce budget.

Je terminerai brièvement par le programme « Intégration et accès à la nationalité ». De façon claire, les crédits de paiement augmentent, passant de 408 à 437 millions. Pour l’essentiel, l’augmentation vise l’accompagnement des étrangers en situation régulière et des réfugiés. Si on peut se féliciter, bien sûr, de cette hausse des crédits, on doit néanmoins considérer qu’elle suit l’augmentation du nombre des situations et des demandes d’asile, sans qu’on sache si elle traduit une anticipation réaliste et raisonnable des besoins.

Finalement, les crédits de ces deux missions sont donc facialement en augmentation, mais je m’interroge sur le niveau nécessaire par rapport aux besoins constatés. Il faut, d’une part, donner à la sécurité les moyens dont elle a objectivement besoin, tout en anticipant raisonnablement et correctement les besoins d’accueil et d’accompagnement des migrants devant faire l’objet d’une protection humanitaire.

Je souhaite dire, au nom de mon groupe, que la police, au sens large, est une institution composée de personnes à qui il faut redonner du sens et des moyens. Je souhaite également dire que miser et investir sur un accueil digne des migrants n’est ni un luxe ni un danger, mais bien un investissement de la collectivité en faveur de son ordre, de sa cohérence, mais aussi de sa solidarité.

Les crédits de ces deux missions auraient pu – et auraient dû – traduire une ambition autre qu’une simple ambition gestionnaire. Nous saluons bien sûr les augmentations, mais elles ne sont pas au niveau de la crise actuelle.

M. Guillaume Vuilletet. Je vous livrerai la position du groupe LaREM à la place de Caroline Abadie, qui a dû repartir pour sa circonscription.

Comme l’a rappelé la rapporteure, c’est un budget en hausse de 7,88 % qui sera consacré en 2020 aux missions relatives à l’immigration et à l’asile du ministère de l’Intérieur. Dans le contexte migratoire que nous connaissons, et que nous avons très récemment abordé ensemble, lors du débat dans l’hémicycle le 7 octobre dernier, c’est un budget à la fois nécessaire, ambitieux et cohérent que vous nous présentez.

C’est un budget nécessaire, parce que nous connaissons le diagnostic : des délais de traitement des demandes d’asile encore trop longs, un dispositif d’hébergement trop souvent saturé, un parcours d’intégration encore insuffisant, qui ne donne pas toutes les garanties d’insertion sociale et économique, et, enfin, des reconduites à la frontière encore insuffisantes au regard des décisions de rejet du droit d’asile, sans doute parce que nous sommes dans la première année pleine d’application de la stratégie dessinée ces deux dernières années par la majorité pour répondre à cette situation, depuis la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

C’est aussi un budget ambitieux. La croissance des moyens qu’il prévoit est justifiée par les nouveaux outils destinés à rendre le traitement des demandes d’asile plus efficace et plus rapide, et à améliorer l’accueil et l’intégration des demandeurs d’asile admis, le corollaire étant un renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière. Je me félicite donc de l’effort très important prévu pour l’accompagnement des réfugiés, en hausse de 17,54 %, pour celui des étrangers en situation régulière, en hausse de 9,73 %, et pour l’intégration et l’accès à la nationalité française, en hausse de 7,07 %.

Très concrètement, l’objectif est de réduire encore, malgré l’augmentation de leur nombre, le délai de traitement des demandes d’asile, pour que l’ensemble de la procédure soit bouclé en six mois. Cela signifie aussi 8 710 places d’hébergement disponibles en 2020, avec la pérennisation des 3 500 places supplémentaires autorisées en 2019. Cela signifie encore un contrat d’intégration républicaine rénové, avec un doublement des heures de formation en français, comme de la formation civique, un relèvement du niveau de langue requis, et un accent particulier mis sur la formation et l’insertion professionnelle.

Cela passe aussi par une déclinaison territoriale, dans le cadre de partenariats avec les collectivités locales, qui permettent de mobiliser les services publics, les associations et la société civile au plus près des besoins. Dix partenariats ont déjà été signés en 2019, avec des villes comme Lyon, Strasbourg ou Nancy. Le déploiement se poursuivra l’an prochain avec la même énergie. Je mentionnerai enfin les actions soutenues auprès des réfugiés dans le cadre du service civique « Volont’R », ou le déploiement d’une plate-forme numérique collaborative pour donner aux réfugiés accès en temps réel à l’information nécessaire.

C’est enfin un budget cohérent, car il s’articule avec une autre mesure importante pour la maîtrise des flux migratoires : la très forte augmentation de notre aide internationale, pour soutenir le développement économique et social, en particulier dans de nombreux pays de départ en Afrique subsaharienne.

Ainsi, à ceux qui s’inquiètent d’une France qui se recroqueville sur elle-même, nous pouvons dire : nous continuerons à accueillir ceux qui doivent l’être, dans de meilleures conditions. À ceux qui s’alarment d’une France ouverte à tous vents, qui ne maîtriserait pas ses frontières, nous disons : nous prenons nos responsabilités face à un enjeu dont nous appréhendons toutes les conséquences économiques et sociales pour notre pays.

Monsieur le ministre, les ambitions affichées par ce budget vous engagent. Dans un contexte budgétaire tendu, les moyens supplémentaires importants qui sont accordés à votre administration et aux opérateurs de l’État impliquent que leur action soit à la hauteur des attentes. Il faudra donc que votre ministère soit rigoureux dans le choix des prestataires et exigeant dans la qualité des prestations assurées, notamment en matière de formation linguistique ou professionnelle. Il faudra aussi qu’il soit au rendez-vous des objectifs de réduction des délais de traitement des demandes d’asile et de naturalisation et des éloignements des déboutés de l’asile.

Sur un plan plus politique, nous devons adapter le cadre européen d’asile et d’immigration. Car en 2018, 38 % des demandes d’asile concernaient des dossiers relevant de la procédure Dublin. Il faudra mobiliser nos voisins européens, et les convaincre de trouver des convergences sur les procédures et les critères de l’asile, comme vous le faites au niveau intergouvernemental.

Nous avons collectivement une obligation de résultat : la réussite de cette stratégie sera un facteur essentiel pour la cohésion de notre société, divisée par des inquiétudes et des doutes quant à la capacité qu’a la France d’assumer encore sa tradition d’accueil, conformément à son histoire et à ses valeurs. Ce budget vous donne les outils pour répondre dès maintenant à cette ambition, c’est la raison pour laquelle nous l’approuverons.

M. Guillaume Larrivé. Je ne m’exprimerai pas au nom du groupe Les Républicains, mais à titre personnel.

Cela fait quasiment quinze ans que je m’intéresse à ces questions, d’abord comme conseiller juridique du ministre Nicolas Sarkozy en 2005, puis comme directeur de cabinet adjoint de Brice Hortefeux pendant plusieurs années au ministère de l’Intérieur, puis comme conseiller du Président de la République Nicolas Sarkozy, puis comme député d’opposition. Eh bien, au risque de vous surprendre, monsieur le ministre, je n’ai pas du tout envie de vous accabler en adoptant ce qui ne serait qu’une espèce de posture ou de pose politicienne. Je pense, en réalité, que vous vous inscrivez dans la continuité administrative des années Chirac, Sarkozy, Hollande et, désormais, Macron.

Si je puis surprendre en disant cela, je le crois néanmoins profondément. Je pense que vous êtes le prisonnier d’un carcan juridique, juridictionnel, constitutionnel, conventionnel. De même que je pense que les acteurs qui composent l’administration, acteurs que nous connaissons tous – et qui sont souvent les mêmes – font ce qu’ils peuvent dans un carcan constitutionnel et conventionnel identique et inchangé. Depuis une quinzaine d’années, l’administration fait de l’optimisation sous contrainte. C’est-à-dire que tous les dix-huit mois ou deux ans, on change un peu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), pour y modifier ici un délai, là une procédure… Ce faisant, on essaye de ne pas aller trop loin, de façon à être conforme à ce que le Conseil d’État peut dire, sans trop tangenter la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Bref, on fait ce qu’on peut pour ajuster le CESEDA.

De même, au plan budgétaire, vous faites ce que vous pouvez avec bon sens et de manière raisonnable. Vous essayez de négocier des crédits pour augmenter un peu le plafond d’emplois de l’OFPRA et de la CNDA, en cherchant à convaincre les fonctionnaires en charge des questions budgétaires que les crédits supplémentaires vont réduire le nombre des procédures et finir ainsi par amener des économies. Tout cela, je l’ai vécu : les mêmes arbitrages, les mêmes histoires… C’est l’histoire de Sisyphe.

J’ai vraiment l’impression que vous tenez quasiment le même discours que nous, il y a dix ans, à votre place ou à la place de vos collaborateurs. C’est aussi le discours que tenaient Manuel Valls ou Bernard Cazeneuve. Certes, les inflexions et les styles des chefs d’État sont parfois un peu différents, de même que le langage varie un peu mais, en vérité, il y a une espèce de continuité administrative et bureaucratique que je trouve, pour ma part, non pas déprimante – je ne suis pas déprimé, puisque je suis engagé dans la vie politique – mais un peu désespérante tout de même. Car, in fine, les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Je voudrais illustrer mon propos en prenant l’exemple des éloignements. Encore une fois, je ne vous accable pas, car les résultats des uns et des autres ne sont pas si éloignés. Peu importe qu’il s’établisse à 8,5, ou 8,8, force est de constater que, même si vous l’avez augmenté d’un point, le taux de non-exécution des OQTF continue de s’établir approximativement à neuf sur dix…

Comme nous le faisions, vous essayez de prendre contact avec les ambassades pour faire augmenter le nombre de laissez-passer consulaires. Par le plan CRA, vous ouvrez des places dans les centres de rétention. Cela va d’ailleurs un peu moins vite que prévu, de telle sorte que, facialement, vos crédits diminuent. Je ne vous cherche pas querelle à ce propos. J’ai compris qu’il s’agit de gestion : la baisse des crédits de l’immigration irrégulière est complètement faciale. Là n’est pas la question.

Le problème est plutôt que, pendant ce temps-là, vous continuez à financer une absurdité des années Sarkozy, à savoir l’aide juridique aux clandestins qui essaient de faire échec aux procédures de vos préfets. C’est tout de même chose assez étonnante. Nous-mêmes – l’État, le Parlement, le Gouvernement – finançons les recours contre nos propres décisions ! C’est tout de même très original.

Plusieurs députés. C’est l’État de droit !

M. Guillaume Larrivé. Non, cela ne s’appelle pas forcément l’État de droit. L’État de droit doit plutôt permettre que les décisions prises par un gouvernement démocratique soient parfois appliquées, sans être nécessairement contestées.

Par ailleurs, il y a, je crois, jusqu’à 21 procédures de recours juridictionnel possibles contre les décisions. J’avais présenté un rapport à ce sujet avec Jean-Michel Clément il y a quelques mois. Mais ce n’est certes pas une discussion budgétaire qui va régler ce problème.

Comme je l’ai dit lors du débat sur l’immigration, ma conviction totalement sincère est qu’il faudra qu’on sorte un jour du carcan juridictionnel, pour partie constitutionnel et pour partie conventionnel, dans lequel nos prédécesseurs se sont installés depuis le début des années 1970. Si on ne rompt pas avec ce cycle où le pouvoir politique démocratique a été complètement dépossédé de sa capacité de décision, on fera seulement ce que vous faites, ni plus mal ni moins bien que d’autres. C’est-à-dire qu’on fera de l’optimisation bureaucratique sous contrainte, et non de la politique.

Pour ma part, j’aimerais qu’on assume un jour l’idée qu’on veut, pour de bon, arrêter l’immigration de masse après qu’un gouvernement démocratique contrôlé par un parlement démocratique aura décidé d’y mettre fin. Il faudra qu’on le fasse en s’en donnant enfin les moyens juridiques et opérationnels.

Pour moi, vous vous situez dans la continuité des années Sarkozy et Hollande, que je mets un peu « dans le même sac » sur ce sujet. Je trouve cette situation très regrettable. Les Français nous en tiennent rigueur, eux qui ont bien compris que cette politique ne marche pas.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous prenons acte de ce que les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » augmentent globalement de 162 millions d’euros, en hausse de 9,8 %.

Cette évolution est en partie le reflet de l’augmentation du nombre de personnes ayant obtenu l’asile dans notre pays. La France est en effet un pays de destination privilégié par les demandeurs originaires de certains pays en guerre ou ayant connu des conflits armés, mais aussi de pays d’Europe de l’Est considérés comme sûrs ; je pense en particulier à l’Albanie et à la Géorgie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la France est confrontée à un niveau sans cesse croissant de demandes d’asile. Il a doublé en cinq ans.

Aussi les crédits de cette mission doivent-ils anticiper des mouvements migratoires qui s’intensifient en raison d’une situation géopolitique mondiale instable. Ainsi, la crise au Venezuela a entraîné le départ de 3,4 millions de personnes.

L’anticipation est indispensable si nous voulons être à la hauteur du droit d’asile. Malheureusement, cela n’avait pas été le cas dans l’élaboration de la loi de finances initiale pour 2019, pour laquelle le Gouvernement avait retenu une hypothèse particulièrement faible de progression de la demande d’asile : 0 % en 2019. Il semble que cela soit la même chose pour 2020.

La hausse du budget du programme « Immigration et Asile », d’à peine plus de 100 millions, n’est dès lors pas satisfaisante, et cela d’autant plus que l’expérience des précédents projets de loi de finances témoigne d’une sous-évaluation chronique de la demande d’asile.

Cela conduit à des tensions que certains prennent pour prétexte afin de renoncer à notre politique d’accueil, en brouillant à dessein les différences entre migrants et réfugiés, sans distinction des causes : immigrations économiques, contraintes sécuritaires ou, plus encore demain, contraintes climatiques.

En réalité, la politique d’asile de la France est devenue un instrument de sa politique migratoire, et l’application systématique du règlement de Dublin en est un exemple flagrant. Il devient un instrument de la dépense publique, notamment, au titre de l’allocation pour demandeurs d’asile.

Ainsi, nous serions sommés d’infléchir certaines politiques publiques pour rendre la France moins attractive et réduire le nombre d’étrangers qui arrivent dans notre pays, quelle qu’en soit la cause. Mais la réalité de l’immigration se situe au-delà de la simple hausse du nombre des demandeurs d’asile.

Aussi devons-nous nous interroger collectivement sur ce que nous sommes, sur l’idée que nous nous faisons de notre pacte social. Ériger des murs sur la base de dispositifs plus contraignants encore que ceux qui existent aujourd’hui n’est pas la solution. Car rappelons-le, si la France est le deuxième pays européen d’accueil des demandeurs d’asile derrière l’Allemagne et devant la Grèce, lorsque l’on rapporte le nombre de demandes d’asile au nombre d’habitants, la France ne se place plus qu’au onzième rang en Europe.

Malgré ces chiffres, la politique du « en même temps » appelle à plus d’humanité et de fermeté. Cela veut dire, par exemple, moins de rétention et mieux de rétention. Moins de rétention, parce que la France reste l’État membre de l’Union européenne qui enferme le plus, avec des délais de longue rétention qui augmentent. L’augmentation de la durée maximale de rétention, de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, oblige le Gouvernement à améliorer les conditions de rétention.

Ainsi, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse des dépenses d’investissement immobilier en matière de rétention de 20,7 millions en crédits de paiement et 480 places supplémentaires en centres de rétention administratifs. Des travaux sont également menés pour améliorer le cadre de vie au sein de ces centres, notamment à destination des familles.

Sur le papier, tout cela est encourageant, mais, dans la réalité, ces crédits sont insuffisants. Je rappelle que le Défenseur des droits et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ont rendu des avis très critiques concernant l’enfermement des enfants, et ont constaté de graves manquements dans la prise en charge sanitaire des personnes placées en rétention.

Le groupe Libertés et Territoires appelle à ce que les efforts budgétaires soient à la hauteur des défis imposés. C’est pour cette raison que nous ne voterons pas ces crédits.

Mme Isabelle Florennes. La ligne budgétaire dont nous débattons répond, pour le groupe MODEM et apparentés, à un objectif de responsabilité. Je ne vais pas redire ce qu’a très bien dit la rapporteure, mais il faut souligner que, depuis trois ans maintenant, les crédits sont en hausse : 7,68 % depuis l’année dernière pour la mission dans sa globalité, dont 7,88 % pour le programme n° 303 « Immigration et asile », ce qui correspond à une augmentation de 100 millions, et 7,07 % pour le programme n° 104 « Intégration et accès à la nationalité française ».

Ce renforcement était évidemment nécessaire pour mener une politique réaliste en la matière. Cependant, la répartition de ces crédits interroge quelque peu, compte tenu de ce que nous avons pu observer lors de notre déplacement en préfecture des Hauts-de- Seine, en CAES et en centre provisoire d’hébergement (CPH), le 12 septembre dernier.

Trois points posent particulièrement question.

Il me faut, tout d’abord, revenir sur les préfectures de département. J’imagine, monsieur le ministre, que vous avez abordé ce sujet lors de l’examen, ce matin, de la mission budgétaire correspondante ; je ne pouvais malheureusement pas être présente. Les préfectures tentent de gérer au mieux les missions qui leur incombent dans le cadre du dispositif d’accueil et d’insertion des migrants, mais peinent à le faire pour deux raisons : d’une part, parce que la coordination départementale entre l’ensemble des acteurs autour du préfet devrait être consolidée, d’autre part, parce que les préfectures – je parle surtout pour les départements qui doivent gérer un très grand nombre de demandes – ne disposent pas de ressources humaines suffisantes et complètement dédiées à cette mission. Pourriez-vous nous indiquer si l’ouverture d’ETPT spécifiquement consacrés à cette mission sont envisagés ?

J’ai la même interrogation quant aux moyens dont dispose l’OFII. Nous le savons, ses missions ont beaucoup évolué. Je pense notamment à l’accompagnement des primo-arrivants, au versement de l’ADA et à la gestion de l’aide au retour. L’équation est complexe, car ces missions revenaient légitimement à l’OFII, mais celui-ci est désormais sous-doté. Le présent projet de loi de finances ne prévoit aucune augmentation d’effectifs, ce qui peut se révéler très problématique localement, car, les agents manquant cruellement, certains dispositifs, comme l’aide au retour, ne peuvent être pleinement déployés.

De la même manière, s’agissant de l’ADA, si l’on doit noter une augmentation, celle-ci reste très faible au regard de la hausse de la demande d’asile en France, qui est de l’ordre de 22 %. L’augmentation des crédits n’est quant à elle que de 4,6 %. Si l’objectif est donc de mieux circonscrire l’attribution de l’ADA, les prévisions laissent à penser que le budget envisagé ne sera peut-être pas suffisant. C’est un élément relevé par la Cour des comptes et plusieurs acteurs du secteur. Cela témoigne de notre incapacité à anticiper au mieux le phénomène de la hausse de la demande d’asile, qui demeure une exception au niveau européen.

J’en viens, enfin, à l’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés. C’est un sujet crucial dans certains territoires, dont le mien, les Hauts-de-Seine et, plus généralement, en Île-de-France qui, rappelons-le, enregistre 42 % des demandes d’asile, selon les chiffres disponibles pour le premier semestre 2019. Or les crédits dédiés au parc de l’hébergement d’urgence tous niveaux confondus – CAES, CADA et HUDA – n’augmentent que de 0,78 %. C’est un vrai sujet car on voit, sur le terrain, que le 115 est absolument débordé de demandes de la part de migrants qui n’ont pu être accueillis par ailleurs. Quelles solutions sont-elles envisagées pour y remédier ? Et comment mieux répartir la demande sur le territoire ?

Dans votre propos introductif, vous souligniez combien il est important que les collectivités territoriales s’engagent en ce domaine. En Île-de-France, elles consentent des efforts, en coopération avec les préfectures, bien que le coût du foncier soit plus élevé qu’ailleurs. Si j’ai bien noté que vous demandiez un effort aux collectivités, je voudrais en savoir aussi davantage sur les solutions que vous envisagez.

Mme Danièle Obono. Je veux d’abord rappeler quelques faits, puisque, nous l’avons vu à l’occasion du débat dans l’hémicycle, mais on le voit aussi de manière plus générale, on a tendance à déformer un peu la réalité. En fait, la France et l’Europe ne sont pas aujourd’hui, à l’échelle mondiale, les principales destinations des migrations. La France n’est pas non plus la principale destination des demandeurs d’asile et des réfugiés en Europe : pour les douze derniers mois, elle se situe seulement au onzième rang pour les demandes d’asile mesurées par million d’habitants. Et, au plus fort de la crise de 2015 et 2016, nous n’étions qu’au quinzième rang, soit en dessous de la moyenne européenne, dont nous ne faisons que nous rapprocher désormais.

Il est important de rappeler ces faits, car le Gouvernement a pris l’habitude de distiller des chiffres approximatifs ou erronés à ce sujet. À l’heure du budget, il récidive. Certes, les crédits de la mission augmentent, en particulier l’aide aux demandeurs et demandeuses d’asile, en raison notamment du rattrapage par rapport à la sous-budgétisation de cette mission en 2019. C’est aussi lié à la décision prise par le ministre Gérard Collomb en 2018 d’ouvrir de nouveaux centres en 2019.

Les chiffres ne sont pas à proprement parler erronés, mais ils recouvrent une organisation de la pénurie par une sous-évaluation chronique des besoins. D’ailleurs c’est un choix idéologique fort qui fait que le ministère de l’Intérieur, et lui seul, soit en charge à la fois des budgets de l’aide aux demandeurs d’asile et de l’hébergement, comme si les questions d’asile étaient unidimensionnelles et avant tout sécuritaires.

Sur le budget du programme n° 303 « Immigration et asile », les crédits consacrés à l’action 02 « Garantie de l’exercice du droit d’asile » augmentent mais faiblement au regard du stock et du flux des demandes d’asile. Cette hausse est surtout inférieure à la demande d’asile anticipée pour 2020, les chiffres du Gouvernement étant, de notre point de vue, peu réalistes : hausse de 10 % des demandes d’asile prévue en 2019, puis baisse de 10 % en 2020, selon le bleu budgétaire de cette mission. D’où vous vient donc la prévision d’une baisse de 10 % des demandes d’asile en 2020 ?

Nous passons ainsi d’un discours en boucle sur le nombre invraisemblable de demandes d’asile lorsqu’il s’agit de justifier votre politique d’exclusion à une minoration du nombre de demandes d’asile lorsqu’il s’agit du budget. Où est donc la vérité ? Les mêmes demandes d’asile qui ont augmenté de 22 % entre janvier et mai 2019 – pour rester néanmoins à un niveau raisonnable si on les rapporte aux millions d’habitants de notre population – vont baisser miraculeusement de 10 % en 2020 ? Cela ne nous semble pas une projection raisonnable.

En ce qui concerne l’hébergement, pour 2019, le Gouvernement avait proposé de créer 3 500 places supplémentaires, ce qui n’a pas encore abouti. Vous n’avez pour l’instant pas annoncé la création de nouvelles places d’hébergement. Je m’inquiétais, dans un courrier du 20 juin 2019, du transfert des centres d’hébergements d’urgence pour personnes migrantes du ministère de la Cohésion des territoires vers le ministère de l’Intérieur. Plusieurs mois plus tard, vous m’avez répondu qu’il s’agissait d’un transfert motivé par des raisons d’efficacité et de cohérence de la politique d’hébergement des demandeurs d’asile et des réfugiés.

Monsieur le ministre, la seule cohérence que nous constatons est celle de l’organisation de la pénurie et du manque de places. Dans ma circonscription, entre la porte de la Chapelle et la porte d’Aubervilliers, l’insalubrité et la grande précarité sont insupportables pour les personnes migrantes. Les habitants et habitantes constatent aussi chaque jour les errements et les conséquences tragiques de votre politique.

Voilà pourquoi nous considérons que ce budget n’est pas à la hauteur ni de nos principes ni de nos devoirs. Nous continuerons à vous interpeller sur ce sujet et, surtout, à combattre les effets délétères de votre politique.

M. Stéphane Peu. J’aurai peut-être l’occasion, lors du débat dans l’hémicycle, de revenir un peu plus longuement sur l’appréciation que porte le groupe GDR sur la politique de l’asile et de l’immigration.

C’est sans doute l’une des politiques où les actes de la présidence Macron sont les plus éloignés des promesses du candidat Macron, lequel avait tout de même, comme ministre du gouvernement de Manuel Valls, pris ses distances avec son premier ministre, en soutenant plutôt la politique suivie à l’époque par Angela Merkel à l’égard des réfugiés. En ce qui concerne la continuité de la politique actuelle avec la politique de Manuel Valls, qui lui-même se situait dans la continuité de celle de Nicolas Sarkozy, notre collègue Guillaume Larrivé n’a pas tort… Ces politiques s’inscrivent dans un calendrier et un débat politiques rythmés par les déclarations et les scores électoraux de Marine Le Pen.

Nous avons pour conviction que, tant qu’on n’oppose pas à ses propositions une autre politique, qui y soit une alternative et un contrepoint, on ira toujours crescendo. Il faut revenir aux valeurs de notre pays, qui ne sont pas des principes de laxisme, mais seulement des principes d’humanité. À défaut, les discours de fermeture perdureront, en plaçant finalement les gens devant le décalage qui existe entre lesdits discours et notre capacité à les mettre en œuvre.

Il convient d’être vigilant sur trois points.

Premièrement, on augmente les moyens accordés aux instances de l’asile, mais nombreux sont ceux qui nous mettent en garde quant à la nécessité de bien respecter les droits de recours, qui ne sont pas forcément toujours compatibles avec un raccourcissement toujours plus grand des délais.

Deuxièmement, la question de l’hébergement se pose. J’ai entendu le Président de la République dire que les quartiers bourgeois ne vivent pas les « difficultés » de l’immigration ou des réfugiés. Certes. Mais le premier de nos devoirs est de ne pas laisser les associations et les ONG se débrouiller toutes seules avec les 3 000 réfugiés, qui sont à la porte de la Chapelle, à la porte d’Aubervilliers, à Saint-Denis, à Aubervilliers… Dans toute cette zone, qui recouvre les quartiers les plus populaires de la région capitale, le seul moyen de vérifier les paroles d’Emmanuel Macron est d’offrir des solutions d’hébergement à ces personnes et, si possible, en mettant à contribution l’ouest de la capitale et ses quartiers bourgeois. Il y a là un beau défi à relever.

Le week-end dernier, dans ma circonscription, il y a encore eu des affrontements entre riverains et migrants, donnant lieu à des batailles rangées mettant aux prises plusieurs centaines de personnes de part et d’autre. Les riverains, parfois demandeurs de logements HLM depuis quatre ans, peinent encore plus à attendre leur tour si on leur dit que le migrant qui occupe le square de leurs enfants en bas de chez eux va passer avant eux dans la file d’attente pour les logements HLM. Procéder de la sorte, c’est mettre le feu dans les quartiers populaires.

Il y a des mesures à prendre pour des politiques d’hébergement et de mise à l’abri. Seule la moitié des demandeurs d’asile de notre pays sont hébergés ; ce n’est absolument pas normal. Ce n’est pas conforme aux principes et à la politique qui sont les nôtres, du moins à la volonté affichée.

Le troisième point de vigilance, ce sont les centres de rétention. Par un courrier du mois de juin, vous avez été alerté par un certain nombre d’associations, dont la Cimade et Amnesty International, sur les conditions de vie dans les centres de rétention. Il est incompréhensible que notre pays continue de mener une politique de rétention incluant la privation de liberté d’enfants, comme c’est encore le cas, en région parisienne notamment, mais pas seulement. C’est absolument anormal !

M. Jean-François Eliaou. Je souhaite vous poser deux questions.

La première porte sur la rétention des jeunes mineurs et des familles avec jeunes enfants. Votre prédécesseur s’était engagé, de façon assez formelle, en faveur de l’amélioration des conditions de rétention administrative pour ces publics extrêmement vulnérables, en limitant au maximum la rétention de ces personnes et en permettant un encadrement plus pédiatrique, voire pédopsychiatrique de ces enfants. Il avait également indiqué souhaiter développer la connaissance statistique de ces publics, en matière d’hébergement, d’encadrement et de pathologies. Peut‑être suis-je, à titre personnel, très sensibilisé sur le sujet mais cela me paraît une question d’importance pour notre pays et la façon dont il respecte la dignité des personnes qu’il reçoit.

Ma deuxième question concerne la répartition des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire national. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les capacités d’hébergement des territoires en dehors de l’Île-de-France et comment les préfectures et les collectivités territoriales concernées sont associées à ce travail ? L’échec complet de l’expérience conduite, il y a quelques années, dans une petite commune de 300 habitants de ma circonscription qui avait accueilli 80 demandeurs d’asile me laisse penser que si cette répartition est souhaitable, elle n’est pas réalisable n’importe où et dans n’importe quelles conditions.

M. Fabien Matras. Chaque année, de nombreux étrangers issus de pays tiers à l’Union européenne arrivent en France. 26 % d’entre eux ont bénéficié de la protection internationale ; ils représentent un public majoritairement non francophone. Le pilotage de la politique d’accueil et d’intégration des étrangers est un enjeu essentiel de cohésion pour notre pays. Vous le savez, la France ne s’apprend pas par cœur mais par le cœur. À ce titre, je me réjouis de l’augmentation – de 7 % par rapport à l’année dernière – des crédits alloués au programme 104, et je me félicite de la bonne mise en œuvre des mesures relatives à la politique d’accueil et d’intégration dans le plan gouvernemental du 12 juillet 2017. Si 2019 a permis la mise en place du contrat d’intégration républicaine rénové, je souhaiterais connaître les grandes lignes de son application concrète pour 2020 et en particulier savoir si des dispositions sont prévues pour mieux l’articuler avec les besoins locaux en matière d’insertion professionnelle.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous revenez de Mayotte ; je reviens de Guyane où, en vertu d’un décret du 23 mai 2018, une expérimentation de règles particulières d’examen des dossiers par l’OFPRA a permis qu’un délai raccourci de quinze jours sépare l’introduction de la demande d’asile et la notification de la décision. Les demandes sont donc examinées dans des délais extrêmement resserrés, avec un taux de présentation des demandeurs d’asile de 100 %. Dans ces conditions, plus d’une année s’étant écoulée depuis son lancement, est-il prévu de dresser un premier bilan de cette expérimentation et son extension à d’autres territoires est-elle envisagée ?

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Vous avez raison, madame la présidente, le Gouvernement a publié, le 23 mai 2018, un décret visant à réduire à six mois maximum le délai global de traitement des demandes présentées en Guyane, tous recours confondus et instruction par l’OFPRA incluse. Cette évolution s’est accompagnée d’une concentration de moyens spécifiques sur un territoire dont chacun se souvient qu’il connaissait des tensions particulières en matière de mouvements migratoires. Les évolutions législatives et réglementaires récentes ont permis de réduire quelque peu ces tensions mais, comme vous avez certainement pu le constater sur place, la gestion des flux migratoires est difficile car franchir la frontière consiste à prendre un bateau et traverser une rivière qui fait parfois cinquante mètres de large, aux côtés d’habitants de certaines communes qui vont faire leurs courses de l’autre côté de cette même rivière.

Le dispositif mis en place produit des résultats intéressants, avec une baisse du nombre de demandes d’asile, qui sont passées de 5 900 en 2017 à 2 500 en 2018 et 1 235 sur les six premiers mois de cette année. Il faut dire que le champ limité des pays d’origine permet une meilleure maîtrise de la situation et une bonne connaissance des interlocuteurs compétents. Forts de ces résultats encourageants, nous souhaitons étendre ce dispositif à la Guadeloupe et à la Martinique dans les semaines ou mois à venir, le temps pour le Conseil d’État d’examiner le projet de décret qui lui a été soumis en ce sens.

Madame la rapporteure Élodie Jacquier-Laforge, vous m’avez interrogé sur les éléments ayant fondé nos projections. C’est un exercice extrêmement difficile.

Lorsque je suis venu devant vous, l’année dernière, présenter le budget relatif à l’asile et à l’immigration, l’Espagne était la première porte d’entrée en Europe, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les publics concernés, qui franchissaient la Méditerranée par le Maroc et le détroit de Gibraltar, étaient principalement issus de pays francophones et venaient demander l’asile en France. Aujourd’hui, les arrivées se concentrent au niveau de la porte orientale de la Méditerranée et, dans une moindre mesure, de sa porte centrale, principalement en Italie. À la suite du changement politique intervenu dans ce pays, je me suis rendu avec le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, à la Valette afin de négocier un protocole d’accueil par Malte et l’Italie et d’éviter les errements de bateaux d’organisations non‑gouvernementales livrées à elles-mêmes en pleine mer. Mais cet accord avait pour corollaire un engagement européen qui s’est avéré insuffisant. C’est pourquoi nous travaillons de nouveau main dans la main avec l’Allemagne – ce qui me permet de répondre à M. Stéphane Peu : oui, nous collaborons étroitement avec notre voisin allemand sur ces questions – pour convaincre l’Italie et Malte de rouvrir leurs ports.

Des représentants de partis politiques d’opposition ont voulu nous donner des leçons sur le sujet. Pourtant, ceux qui étaient en responsabilités en 2015 – je faisais alors partie de la majorité – n’en ont pas beaucoup à donner, notamment en matière d’intégration, au regard des efforts que nous consentons aujourd’hui. En matière d’accueil et de débarquement des réfugiés depuis la Lybie, j’ai l’honneur d’être le ministre de l’Intérieur de l’ensemble des pays européens qui peut revendiquer d’avoir été porteur du plus grand nombre d’initiatives en faveur de l’accueil des réfugiés. La France est également le premier pays européen en matière d’accueil des personnes débarquées en Italie et à Malte. Il y a donc les déclarations de certains, et la réalité des actes des autres.

Comme je le disais, la réalisation de projections est un exercice difficile par nature : les évènements actuels en Syrie peuvent avoir des conséquences sur les migrations en provenance de Turquie, tout comme les processus électoraux en cours en Tunisie, et demain en Algérie. Mais nous nous sommes fondés sur deux facteurs principaux.

Le premier est l’effet d’accélération du traitement des demandes qui doit permettre une meilleure maîtrise de la trajectoire des dépenses. Le recrutement à la fin de l’année 2019 et au début de l’année 2020 de 150 officiers de protection de l’OFPRA devrait garantir un traitement plus rapide des dossiers, par exemple des ressortissants géorgiens, dont les dossiers faisaient l’objet d’instructions d’une durée moyenne en 2018 de 441 jours, ce qui n’est pas acceptable. La réduction de ces délais aura une conséquence directe sur l’évolution des dépenses liées à l’allocation pour demandeur d’asile, qui baisseront.

Le second facteur, c’est la baisse constatée de la demande d’asile en Europe pour la troisième année consécutive, qui laisse penser que l’effet rebond des dublinés devrait être limité. Cette relative stabilisation du contexte international explique nos projections à 0 % s’agissant des demandes d’asile et - 10 % pour les dublinés. Mme Obono, qui n’a pas attendu la réponse à la question qu’elle m’a posée…

M. Erwan Balanant. C’est fréquent !

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Je ne vous contredirai pas et même lorsqu’elle est présente, elle ne veut généralement pas écouter ma réponse. Mme Obono, disais-je, se trompe donc dans les chiffres qu’elle avance.

Madame la rapporteure Élodie Jacquier-Laforge, vous m’avez également interrogé sur l’OFII, dont nous avions déjà discuté l’année dernière. L’adoption de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique va offrir à cet opérateur la possibilité de recruter des personnes sur la base de contrats de trois ans, ce qui lui permettra de retrouver la souplesse qu’il avait perdue par son évolution statutaire résultant de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. Dès l’instant où les décrets d’application de la loi du 6 août 2019 seront publiés, ce qui devrait être le cas d’ici la fin de l’année, l’OFII pourra donc répondre à la problématique, réelle, de défaut d’attractivité de certains emplois.

J’en profite pour répondre à Mme Isabelle Florennes, dans la mesure où les préfectures étaient aussi confrontées à cette problématique, ce qui générait des difficultés de ressources humaines. Depuis 2017, 270 emplois ont été créés dans les préfectures et 1 600 vacataires y sont mobilisés chaque année pour améliorer les conditions de travail des agents qui sont loin d’être parfaites, dans les Hauts-de-Seine, où vous êtes élue, mais aussi dans d’autres préfectures. Vous souligniez également le nécessaire travail de coordination sous l’impulsion des préfets, qu’il faut consolider et améliorer : j’entends votre remarque et je la partage.

Madame la rapporteure Élodie Jacquier-Laforge, votre dernière question portait sur l’actualisation des procédures relatives à l’immigration professionnelle, longuement abordée lors du débat parlementaire sur la politique migratoire de la France et de l’Europe. Le Gouvernement réfléchit à la révision de la liste des métiers en tension mais aussi à une refonte plus ambitieuse de ces procédures, dans un souci de simplification sans toutefois renoncer au respect des règles essentielles en matière de droit social, afin d’éviter que l’immigration devienne une source de dumping social dans certaines filières. Je suis à titre personnel très favorable à la révision de cette liste mais il appartient au Premier ministre de se prononcer dans les jours qui viennent, en coordination avec la ministre du travail également compétente, ce qui explique la prudence de ma réponse.

Mme Marietta Karamanli a posé plusieurs questions. S’agissant de l’évolution du budget consacré à la lutte contre l’immigration régulière, la baisse n’est en réalité qu’apparente puisqu’elle est liée aux huit millions d’euros de transfert de la DGEF engendrés par la création de la direction du numérique.

S’agissant de l’hébergement, j’attire votre attention sur le fait que le nombre de places a doublé, passant de 50 000 en 2015 à 104 000 à la fin de cette année. Cette augmentation est considérable. Aucun territoire de France n’a porté une telle augmentation du parc social. On connait les difficultés liées à la problématique foncière mais aussi à l’absence, parfois, de volonté politique de faire. Si on avait assisté à une telle augmentation du parc social en parallèle, nous n’aurions pas de problème d’hébergement des réfugiés.

M. Stéphane Peu, je ne demande pas 4 % du quota réservataire pour les demandeurs d’asile. Il me semble qu’on doit pouvoir accorder la priorité aux demandeurs d’asile à qui on octroie la protection et qui vivent dans la rue. J’ai rencontré les collectivités territoriales, avec le ministre Julien Denormandie. Elles étaient très désireuses d’un plus grand engagement de l’Etat, mais je les ai invitées à être également très généreuses dans l’attribution de leurs quotas. Si on libérait 4 %, on permettrait d’éviter que des personnes à qui nous devons une protection, ce que nous avons reconnu, soient dans la rue. Il est certain que c’est difficile, puisque, je l’ai connu comme maire, dès lors qu’on attribue un logement, on fait plus de déçus que d’heureux. Mais c’est notre responsabilité collective que de participer à l’intégration de ces personnes. Il faut se coordonner. J’ai réuni l’ensemble des maires qui m’avaient saisi de cette question. Nous avons demandé aux préfets d’établir un diagnostic département par département des points de tension pour que nous puissions établir, ensemble, des positions construites au plus près des territoires.

J’ai répondu à votre première question sur l’évaluation. Elle nous a permis de considérer que la demande d’asile pouvait être stable et les procédures « Dublin » en baisse de 10 %.

M. Guillaume Vuilletet et Mme Caroline Abadie, je partage la philosophie de vos propos. Je les considère comme une exigence vis-à-vis du ministre de l’Intérieur. Vous avez raison, cela nous oblige, cela pose la question du cadre européen d’action. C’est bien dans ce cadre européen d’action que nous nous devons d’avancer. C’est d’ailleurs un élément de réponse que j’apporterai aux questions de M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé, je ne partage pas votre avis sur l’intégralité de votre propos. Mais vous avez souligné le fait que nous nous trompons depuis de nombreuses années sur la manière dont nous posons le débat migratoire. Pendant trop longtemps, nous avons assisté à un débat stérile entre la gauche et la droite, l’un affirmant que l’autre était trop laxiste, l’autre trop sévère s’agissant des OQTF. Je pense que, fondamentalement, nous nous sommes trompés d’enjeu, car au moment où nous sommes en situation d’éloigner quelqu’un, il s’agit déjà d’un d’échec.

Je reviens sur un exemple que j’ai évoqué tout à l’heure : aujourd'hui il faut 441 jours pour éloigner un Géorgien, arrivé de Géorgie par avion à Beauvais ou à Bordeaux. Or, au cours de cette période, nous avons scolarisé son enfant s’il en a un, ce qui est normal, et la famille s’est installée. Puis, dans 96 % des cas, nous lui demandons ensuite de partir. C’est une situation d’échec et nous sommes en difficulté pour la mettre en œuvre. On y arrive parfois, et des avions partent pour Tbilissi. Mais c’est toujours un échec. C’est la raison pour laquelle nous avons développé des échanges avec la Géorgie qui portent leurs fruits car nous constatons depuis quelques mois une baisse des demandes d’asile depuis la Géorgie. Il faut travailler sur l’amont. La question que nous devons nous poser, c’est pourquoi des gens viennent en France demander une protection alors qu’ils savent qu’ils ne l’obtiendront pas. Plusieurs éléments de réponse peuvent être apportés, liés notamment aux politiques d’attribution des visas.

Il nous faut améliorer un certain nombre de choses car ces personnes, au fond, ne viennent pas demander notre protection en tant que combattants de la liberté.

Il nous faut améliorer un certain nombre de choses. Je ne reprendrai pas le terme de carcan, mais le droit d’asile constitue indéniablement un cadre juridique, constitutionnel et conventionnel au sein duquel nous devons inscrire notre action. Le droit d’asile participe de l’identité constitutionnelle de la France. Mais quand il est détourné, c’est un problème. Vous avez évoqué la nécessité d’une charte constitutionnelle, je ne partage pas cet objectif. Toutefois, j’estime que nous devons pouvoir revoir en profondeur les principes de Schengen sur certains points. Il ne s’agit pas de remettre en cause le droit d’asile mais au contraire de le protéger. Soyons des Sisyphe heureux pour avancer sur ces sujets. Vous citiez Camus tout à l’heure, celui-ci disait aussi que « la réalité de l’absurde ne doit pas conduire au suicide mais à la révolte ».

M. Jean–Félix Acquaviva, le passage de la durée maximale de rétention de 45 jours à 90 jours a conduit à une augmentation moyenne de la durée de rétention d’un jour seulement ! C’est faible mais cela a permis de garder dans les centres de rétention administrative des personnes dont le laisser-passer consulaire était octroyé au-delà de la durée de 45 jours. J’attire votre attention sur le fait que la capacité d’éloignement des personnes qui restent en CRA au-delà de 45 jours atteint les 60 %, chiffre bien supérieur aux taux moyens sur l’éloignement donnés tout à l’heure par M. Larrivé, qui restent globalement faibles.

Vous avez également posé une question relative à l’enfermement des enfants. D’abord, je vous rappelle que ces enfants ne sont pas seuls mais qu’ils sont en famille. Soit on considère qu’on ne peut pas éloigner de familles avec enfants, soit on considère qu’on peut garder une famille pour un temps très court. Je voudrais rappeler les éléments factuels, même si on peut ensuite avoir un débat philosophique. 199 mineurs ont été retenus dans un CRA pour l’ensemble de l’année 2018 et ils y sont restés 34 heures en moyenne. Il faut savoir, en outre, qu’ils sont retenus dans un lieu dédié. Enfin, l’ensemble de cette procédure est placé sous le contrôle permanent du juge de la liberté et de la détention.

Mme Isabelle Florennes m’a interrogé sur l’OFII. Le choix stratégique qui a été fait jusqu’à présent était celui d’une augmentation des effectifs : 84 ETPT en 2018 et 7 supplémentaires en 2019, conformément aux arbitrages du comité interministériel à l’intégration et du Premier ministre de renforcer le volet intégration. Cette année, la priorité a été mise sur l’OFPRA pour l’instruction de ses dossiers parce que nous considérons que l’OFII a la capacité aujourd’hui de réaliser ses missions. Elle ferait certes mieux avec plus de moyens. Il ne faut cependant pas réduire cette question aux chiffres car je sais qu’à l’OFPRA comme à l’OFII nous avons des hommes et des femmes qui sont plus que des salariés. Ce sont des militants, au sens noble du terme. Il nous faut faire des choix budgétaires qui ont porté sur le renforcement des moyens de l’OFPRA.

Vous m’avez également interrogé sur le logement en général. Selon notre objectif, la baisse moyenne des délais d’instruction doit favoriser les taux de rotation dans les hébergements. J’ai répondu à Mme Marietta Kamaranli sur l’augmentation du nombre de places depuis 2015 mais je voudrais évoquer de nouveau mon entretien avec le ministre Julien Denormandie. Nous voulons effectuer un travail territoire par territoire avec les maires pour gérer les squats, les occupations illégales et les campements. Nous avons lancé une procédure à Saint-Herblain, dans un squat comprenant une centaine d’occupants, qui sera longue. Aujourd’hui nous intervenons de nouveau à Calais comme nous l’avons fait à Grande-Synthe il y a quelques mois. Nous prenons en compte systématiquement les situations individuelles. L’accompagnement est à chaque fois différent en fonction du statut des personnes sur place.

Je voudrais vous préciser, M. Stéphane Peu, que les associations qui sont actives sont financées, certes pas de façon généreuse, pour conduire un certain nombre d’actions par un contrat entre les opérateurs et l’État. Il est important de maintenir cet effort et ce partenariat, y compris avec des associations qui peuvent être critiques vis-à-vis de la politique du Gouvernement mais dont je sais que l’âme d’action est tournée, avec les moyens dont elles disposent, vers, non pas le bien-être car ce terme, trop luxueux, pourrait donner l’impression de dépenses dispendieuses, ce qui n’est pas le cas, mais des conditions d’hébergement les plus adaptées possibles.

Mme Danièle Obono nous expliquait qu’il n’y aurait pas de problème migratoire puisque la France se place au onzième rang du nombre de demandeurs d’asile ramené à la population. Je ne suis pas sûr que cette position soit partagée par tous les commissaires aux Lois. Je refuse le terme « d’organisation de la pénurie de logement ». J’aime beaucoup prendre des leçons et je ne me serais pas permis d’en donner mais je voudrais corriger le propos de Mme Obono qui disait que nous nous étions engagés sur 3 500 places supplémentaires qui n’avaient pas été réalisées. C’est faux : les places sont réalisées et seront opérationnelles et utilisées à 100 % d’ici la fin de cette année.

J’ai apporté à M. Jean-François Eliaou des éléments sur la rétention des mineurs. L’orientation directive est un sujet délicat et complexe sur lequel votre groupe politique, M. le député, a mis en place un groupe d’animation politique dédié pour y réfléchir. Il est important de l’appréhender politiquement. Il y a un vrai problème sur l’Île-de-France, Paris et le Grand Paris, car ce territoire concentre la moitié de la demande d’asile. Chaque semaine, les préfectures de région mettent à disposition entre 200 et 250 places pour accueillir les personnes présentes sur le site de la porte de La Chapelle. Beaucoup refusent ces places que nous parvenons cependant à pourvoir dans des territoires où il existe des offres de formation, une capacité d’hébergement, des perspectives professionnelles et de vraies opportunités. Il existe cependant une réelle appréhension de ne pas pouvoir trouver de travail en quittant la plaque parisienne. Ces personnes présentes à Saint-Denis ou porte de la Chapelle ne sont pas en France pour bénéficier des aides sociales mais pour travailler. J’estime qu’il s’agit d’un vrai sujet sur lequel nous devons travailler.

Les orientations directives, et c’est leur avantage, ne correspondent pas au phénomène que l’on a connu à l’époque du démantèlement du camp de Calais. Sur 10 000 personnes, 8 000 avaient été relogées de manière massive. Des communes en province avaient vu arriver 80 à 100 personnes dans un centre de vacances abandonné et réquisitionné dans ce cadre. L’intégration fut difficile car il fallait trouver la bonne association dans un département qui n’en avait pas forcément. Avec des orientations directives partagées, l’intégration doit pouvoir être confortée. Dans les communes qui se sont retrouvées dans la situation que j’ai décrite, on s’aperçoit que la crise politique a été largement exploitée par quelques-uns lors des arrivées consécutives au démantèlement du camp de Calais. J’ai soutenu cette opération – je profite de l’absence de M. Alain Tourret pour le dire car c’était une décision de M. Bernard Cazeneuve – qui a été bien effectuée. L’effet masse a créé des tensions qui se sont apaisées dans la durée.

Il est aujourd’hui possible de travailler sur des orientations directives. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un moyen pour gérer la redynamisation des campagnes. Certains tiennent ce discours, mais ce n’était pas le vôtre, M. le député Eliaou, puisque vous aviez des appréhensions sur ce sujet sur lequel il nous faut travailler.

M. Fabien Matras m’a interrogé sur le contrat d’intégration républicaine en 2020 et la ventilation des crédits. Le contrat d’intégration républicaine va bénéficier d’une augmentation de 15 millions d’euros. 12,7 millions d’euros seront consacrés à la formation linguistique, 500 000 euros à la formation civique et 2,3 millions d’euros financeront des actions en faveur des réfugiés, individuellement et spécialement, qui ont besoin d’un accompagnement adapté à leur situation particulière.

Mme la présidente, je crois avoir répondu à l’ensemble des questions qui m’ont été posées, à commencer par la vôtre. Mais s’il manque des réponses, c’est également de leur faute ! Quoi qu’il en soit, j’indique aux parlementaires qu’ils peuvent solliciter des réponses écrites aux questions qui auraient été oubliées afin que ma présentation puisse être complète.

M. Guillaume Larrivé. Cet échange fut très intéressant grâce à l’ambiance, plus intéressante que sur un plateau de télévision ou dans l’hémicycle, que Mme la présidente sait créer.

Je voudrais revenir sur la Géorgie qui constitue un exemple type du propos que je veux tenir. Je suis d’accord avec vous, M. le ministre, quand vous dites que l’asile fait partie de l’identité constitutionnelle de la France. Je ne le nie pas, je suis républicain. Ce pays fait l’objet d’un taux de rejet de la demande d’asile de 96 %. Sa présidente, Mme Salomé Zourabichvili, est une diplomate française. Il s’agit d’un pays démocratique.

Je ne dis pas que toutes les demandes d’asile devraient être rejetées. J’aimerais que le Gouvernement et le Parlement disent aux géorgiens qui sollicitent l’asile de ne pas venir en France et de déposer leur demande à Tbilissi, à notre ambassade. Un géorgien qui vient en France ne devrait pas pouvoir demander l’asile. Toute personne qui s’estime combattant de la liberté, selon une acceptation assez étroite de ce qu’est l’asile et que vous avez employée, M. le ministre, doit déposer sa demande à l’ambassade. Je sais bien que cette idée n’est pas conforme au paquet asile et aux différentes directives, ni à l’interprétation que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel feront d’une demi-phrase du Préambule de 1946, ni à la Convention de Genève. Mais nous faisons de la politique ! Nous ne sommes pas obligés de nous considérer, par avance, ligotés et enfermés dans un carcan parce que, dans les années 1950 et 1960, nos prédécesseurs ont écrit une demi-ligne dans un texte international.

La vraie révolte contre l’absurde, c’est de prendre au pied de la lettre l’injonction macronienne de la transformation : transformons pour de vrai le système d’asile en étant, que diable, créatifs et volontaristes ! Je le dis avec sincérité : vous avez la chance d’avoir tous les pouvoirs – l’Élysée, l’Assemblée nationale – pendant deux ans et demie encore, profitez-en ! Le Sénat vous suivrait. Faites-le ! Je suis convaincu de votre sincérité sur ce sujet. Sortez du cadre !

M. Stéphane Peu. Je voudrais préciser mon propos sur la question de l’hébergement, sujet sur lequel la tension est très forte en ce moment. Il est possible et souhaitable de trouver des solutions d’hébergement, soit à construire, soit modulaires, soit provisoires – elles existent – pour résorber la situation porte de la Chapelle et de préférence dans l’ouest parisien. La tentative de mise à contribution du parc HLM est une très mauvaise idée. M. le ministre, vous connaissez la situation de la région Île-de-France comme moi, celle du séparatisme social. Mettre à contribution le parc HLM, c’est dire aux quartiers populaires que c’est encore à eux de subir les conséquences de cet accueil, que c’est encore à eux de faire tout seul l’effort de solidarité, de manière totalement contraire à ce que j’avais compris de la parole présidentielle.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur. Lorsque j’ai parlé des 4 %, il s’agissait d’une politique globale par rapport aux personnes qui bénéficient d’une protection, soit 35 000 sur l’ensemble du territoire national. Je ne traite pas la question de la porte de la Chapelle en disant que j’ai besoin de 400 places toute de suite. La problématique telle que vous la posez, M. Stéphane Peu, est juste, notamment sur les phénomènes de concentration. C’est d’ailleurs ce que le Président de la République disait, en parlant des quartiers bourgeois, lorsqu’il mettait en garde les députés de la majorité à ne pas être un parti bourgeois. Sur ce sujet-là, comme pour l’insécurité, il y a un phénomène de double peine. Je comprends donc la philosophie de votre propos. Que les choses soient claires : je ne demandais pas un quota de 4 % pour régler le problème de la porte de la Chapelle ou du boulevard Wilson à Saint-Denis. Cependant, vous posez la question de l’équilibre du parc social. J’ai toujours défendu les quotas, dans la loi solidarité et renouvellement urbain puis la loi urbanisme et habitat. Il faut aller jusqu’au bout de la logique d’intégration et favoriser, d’une manière ou d’une autre, des personnes qui ne sont plus dans le parc d’hébergement des demandeurs d’asile et qui sont dans la rue.

Sur le poids du juridisme, M. le député Larrivé, il m’arrive de vous retrouver sur cette question. Quand j’ai pris la décision d’interdire la manifestation en soutien à M. Traoré, terroriste qui a abattu quatre fonctionnaires de la Préfecture de Police de Paris au début du mois d’octobre, je savais qu’il existait des fragilités juridiques. Le dépôt de la demande de manifestation ne correspondait pas du tout à la réalité. Il y avait une décision politique à prendre.

La tâche est plus compliquée lorsqu’on parle d’une évolution législative et lorsqu’on sait qu’il y a une institution indépendante qui s’appelle le Conseil Constitutionnel et qu’il existe une Cour européenne des droits de l’Homme. Il est vrai que nos collaborateurs veillent à nous conseiller juridiquement, ainsi que vous l’avez fait au cours de votre carrière professionnelle, pour trouver un point d’équilibre. Je suis cependant d’accord avec vous sur le fait que les réalités auxquelles notre monde est confronté aujourd’hui sur les questions migratoires ne doit pas être vu avec le cadre juridique qui a été adopté il y a trente ou quarante ans. Il faut oser poser ces questions pour ensuite avoir, le cas échéant, des divergences politiques sur la stratégie à adopter.

Sans vouloir faire la promotion touristique de la Géorgie, même si Tbilissi est une très belle ville, le système sanitaire et de soins dans ce pays n’est pas de mauvaise qualité. La prise en charge des soins y est effectuée à 100 %. Pourtant, il existe un phénomène lié à l’offre de soins en France. Dans certains hôpitaux, pas seulement à Paris mais aussi à Rennes, on constate une embolie de certains services causée par des ressortissants étrangers. Les questions doivent être posées. Or, le débat dans la presse porte sur l’Aide médicale d’État alors que la question devrait porter sur les pays d’origine sûrs.

Il faut également converger au niveau européen sur les taux de protection. Même pour la Géorgie, qui bénéficie d’un taux de 4-5 % en France, le taux est de 1 % en Allemagne. La différence est faible, mais c’est cinq fois plus. Sur certains pays, les variations sont de l’ordre de 70 % de protection en France à 30 % dans d’autres États. Les ressortissants du pays auquel je pense – je ne cite pas lequel – ne sont pas idiots et viennent en France. Rien n’explique que la France puisse avoir un taux de protection supérieur à une démocratie voisine comme l’Allemagne. Cependant, je défendrai toujours le principe que chaque situation individuelle puisse être étudiée et qu’un demandeur originaire d’un pays sûr puisse avoir besoin de protection pour d’autres formes de menaces, par exemples sexuelles.

Enfin, vous allez me reprocher mon juridisme M. Larrivé… J’ai fait étudier, quand je suis arrivé dans mes fonctions, la possibilité du dépôt des demandes d’asile dans les ambassades, y compris comme condition sine qua non, pour éviter les parcours migratoires qui obligent notamment à passer par la Lybie et ses prisons dans des conditions que l’on connaît. L’ensemble des dispositifs législatifs ne le permettent pas.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente. Je vous remercie, M. le ministre, ainsi que l’ensemble de la commission des Lois, pour les 6 heures 30 d’audition que vous nous avez consacrées aujourd’hui et pour la précision et la complétude de vos réponses.

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Après le départ du ministre de l’Intérieur, la Commission examine les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » (Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis).

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente. Nous allons à présent nous prononcer sur les crédits de la mission. Avant de les mettre aux voix, je vais demander à notre rapporteure son avis sur les crédits.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour avis. Mon avis est favorable.

La Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2020.

Mme Yaël Braun-Pivet, présidente. Nous avons terminé l’examen de la mission « Immigration, asile et intégration ». Je vous remercie.

 


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   Personnes entendues

 

   M. Pierre-Antoine Molina, directeur général ;

   Mme Martine Clavel, adjointe à la directrice de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité ;

   Mme Julie Bouaziz, adjointe au directeur de l’asile ;

   Mme Franceline Forterre-Chapard, adjointe au sous-directeur du service du pilotage et des systèmes d’information ;

   M. Cédric Debons, chef du bureau de la rétention et de l’éloignement.

   M. Julien Boucher, directeur général.

   M. Michel Cadot, préfet de Paris, préfet de région ;

   M. Bruno André, directeur de cabinet ;

   M. Yann Gérard, chef de cabinet ;

   M. Antoine Troussard, adjoint au chef de cabinet ;

   M. Patrick Le Gall, directeur régional et interdépartemental adjoint de l’hébergement et du logement ;

   Mme Odile Maurice, cheffe du service accueil, hébergement et insertion.

 

La rapporteure a par ailleurs reçu des contributions écrites de la part de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, de la préfecture de Police de Paris et de la préfecture de l’Isère.

 

 


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DÉPLACEMENT EFFECTUÉ

● Centres de rétention administrative 2 et 3 du Mesnil-Amelot :

 Commandant divisionnaire Catherine Coulon, directrice ;

 Commandant Françoise Normand, cheffe de service ;

 en amont de la visite, entretien avec M. David Rohi, responsable national rétention de la Cimade.

 


([1]) Article 1er du décret n° 2018‑1359 du 28 décembre 2018 relatif aux conditions matérielles d’accueil.

([2]) 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France, 21 février 2018.

([3]) HOPE : hébergement, orientation et parcours vers l’emploi.

([4]) Le nombre d’étrangers en situation irrégulière est généralement estimé par rapport au nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État, soit 322 001 personnes au 31 mars 2019. Ce chiffre, qui a le mérite de fixer un ordre de grandeur, n’est toutefois pas satisfaisant car il ne tient pas compte du non‑recours à cette prestation et réduit l’approche de la question migratoire sous le prisme du seul stock en occultant celui du flux.

([5]) Lors de la réunion de la Commission des Affaires étrangères du 17 septembre 2019, le professeur Jean‑François Héran observait que « les personnes que l’on qualifie de sans-papiers passent leur temps à cumuler des papiers ».

([6]) Cette question a fait l’objet d’un rapport, n° 1990, de MM. Jean-Noël Barrot et Alexandre Holroyd, enregistré le 5 juin 2019, au nom de la commission des finances.

([7]) Conformément au chapitre II du titre III du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes. 

([8]) Les refus d’entrée sont prononcés en application du chapitre III du titre Ier du livre II du CESEDA.

([9]) Si elle concentre un quart des demandes, la France n’est cependant pas le seul État à octroyer des visas Schengen qui permettent de se déplacer dans tout l’espace. En 2018, 14,3 millions de ces visas ont été accordés par tous les États membres sur un total de plus de 16 millions de demandes. Avec un taux de refus de 15,7 % sur les visas Schengen, la France se situe dans la fourchette haute (la moyenne étant de 9,6 %).

([10]) Règlement (UE) 2018/1806 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation.

([11]) L’ensemble des documents exigés sont mentionnés aux articles R. 211‑1 à R. 211‑33 du CESEDA.

([12]) Il peut s’agir d’un mariage simulé avec un Français ou un citoyen d’un autre État de l’Union européenne installé en France ou la reconnaissance frauduleuse d’enfant mineur étranger par un Français.

([13]) Règlement (UE) 2017/2226 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2017 portant création d’un système d’entrée/sortie (EES) pour enregistrer les données relatives aux entrées, aux sorties et aux refus d’entrée concernant les ressortissants de pays tiers qui franchissent les frontières extérieures des États membres et portant détermination des conditions d’accès à l’EES à des fins répressives, et modifiant la convention d’application de l’accord de Schengen et les règlements (CE) n° 767/2008 et (UE) n° 1077/2011.

([14]) La procédure relève du titre Ier du livre IV du CESEDA.

([15]) Le regroupement familial représente 12,5 % des primo-délivrances pour motif familial et 4,7 % du flux des premiers titres tous motifs confondus. Il ne s’agit que de la troisième voie d’admission au séjour pour motif familiaux après les conjoints de Français et les parents d’enfants français. On observe une baisse continue du nombre de demandes de regroupement (22 414 en 2005 contre 18 138 en 2018). Sur les 10 923 décisions préfectorales prises en 2018, 3 053 étaient défavorables. On constate une baisse de 30 % du nombre de titres délivrés depuis 2016 (12 173 premiers titres et 11 706 renouvellements ont été accordés en 2018).

([16]) En 2018, 255 956 premiers titres de séjour tous motifs confondus ont été octroyés.

([17]) L’admission exceptionnelle au séjour étant demandée par des étrangers sans titre, les principaux refus de titre sont donc principalement opposés à des personnes déjà en situation irrégulière.

([18]) Ces deux questions ont été soulevées par la mission d’information relative à la taxation des titres de séjour présidée par M. Jean-François Parigi. Le rapport de Mme Stella Dupont, n° 2041, a été enregistré le 19 juin 2019.

([19]) « Titres de séjour : le prospère business de la revente de rendez-vous en préfecture », Le Monde, 1er juin 2019.

([20]) Depuis février 2019, la dématérialisation de la formalité de validation des visas long séjour valant titre de séjour est effective pour quelques 120 000 primo-arrivants, principalement étudiants.

([21]) Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

([22]) Il s’agit de l’attestation de demandeur d’asile prévue à l’article L. 741‑1 du CESEDA sur laquelle est mentionnée, en application de l’article L. 742‑1, la procédure dont l’étranger fait l’objet.

([23]) Dans les conditions prévues au chapitre IV du titre IV du livre VII du CESEDA, il s’agit du DNA et de l’ADA.

([24]) Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

([25]) Selon la jurisprudence du Conseil d’État, la fuite peut être caractérisée par deux absences consécutives (ou trois non consécutives) aux convocations de l’administration ou suite à un refus d’embarquement le jour du transfert.

([26]) Article 29.2 du règlement n° 604/2013 précité.

([27]) Avis n° 1307 sur le projet de loi de finances pour 2019, mission « Immigration, asile et intégration », enregistré le 12 octobre 2018.                

([28]) À l’initiative de la présidence finlandaise du Conseil de l’Union européenne, cette conférence s’est tenue à Helsinki les 8 et 9 septembre 2019.

([29]) La croissance de la demande géorgienne demeure soutenue et a même connue franchi la barre des 700 demandes pour le seul mois d’avril 2019.

([30]) La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile a substitué l’ADA à l’allocation temporaire d’attente (ATA) et à l’allocation mensuelle de subsistance (AMS).

([31]) Annexe 7‑1 du CESEDA.

([32]) S’élevant initialement à 4,20 euros puis à 5,40 euros, ce montant additionnel est désormais fixé, après deux annulations par le Conseil d’État, par le décret n° 2018-426 du 31 mai 2018 portant diverses dispositions relatives à l'allocation pour demandeur d'asile.

([33]) En 2018, 48 % des demandeurs étaient hébergés. La prévision pour 2019 du Gouvernement fournie dans le projet annuel de performance est de 52 %. Bien qu’ayant quasiment doublé depuis 2014, le nombre de places (près de 98 500 à la fin de l’année 2019) demeure inadapté à la demande globale d’asile (122 743 demandes enregistrées à l’OFPRA, hors procédure Dublin). Il convient cependant de noter que certains demandeurs refusent d’intégrer le DNA, notamment pour pouvoir bénéficier de l’ADA majorée.  

([34]) Selon l’étude statistique réalisée par la préfecture, les étrangers en situation de rue qui ont accepté d’être pris en charge au sein d’un CAES sont pour 37 % des primo-arrivants qui n’ont pas encore déposé leur demande d’asile, 28 % des demandeurs d’asile (hors procédure « Dublin »), 22 % des demandeurs sous procédure « Dublin », 12 % des réfugiés et 1 % des déboutés.              
 

(2) La loi du 10 septembre 2018 a allongé la durée maximale de rétention, depuis le 1er janvier 2019, à 90 jours. Il s’agit cependant d’une durée maximale. La durée du premier placement en rétention est de quarante-huit heures. Elle peut être prolongée plusieurs fois sous le contrôle du juge des libertés et de la détention jusqu’à 90 jours. Au premier semestre de l’année 2019, 10 % des personnes avaient été retenues audelà du seuil de 45 jours et 0,8 % au-delà de 80 jours.

([36]) Aux CRA 2 et 3 du Mesnil-Amelot, la durée moyenne de rétention a augmenté d’un jour entre 2018 et 2019, passant respectivement de 16,85 jours à 17,89 jours et de 19,24 jours à 20,5 jours.

([37]) Communiqué de presse, 23 novembre 2018, « Rapport de l’OFII sur les personnes malades étrangères : une chute catastrophique de la protection ».

([38]) Service médical de l’OFII, « Procédure d’admission au séjour pour soins », rapport au Parlement, année 2017.

([39]) 110 691 pour 2018.

([40]) En 2018, 132 978 mesures d’éloignement, un record, ont été prononcées. 15 677 ont été exécutées.

([41]) 1 077 429 mesures pour 139 505 exécutions 

([42]) L’AES est exclue pour les étrangers en situation de polygamie ou constituant une menace pour l’ordre public. Elle n’est pas applicable à Mayotte.

([43]) Par dérogation à l’article L. 313‑2 du CESEDA, l’introduction de cette demande de titre de séjour n’est pas subordonnée à la production d’un visa de long séjour. Cette procédure s’adresse donc aux étrangers en situation irrégulière.

([44]) Ils sont prévus aux articles L. 313‑11, L. 313‑14, L. 313‑14‑1 et L. 313‑15 du CESEDA.

([45]) Une autre procédure relève du 11° de l’article L. 313-11 du CESEDA. Il s’agit de l’admission pour soins qui s’adresse aux étrangers malades. 29 880 demandes ont été enregistrées en 2018 (- 32 % par rapport à 2017) pour 5 132 titres délivrés. Au total, 32 838 personnes en France possèdent ce titre.              
 

([46]) L’aide médicale d’État est attribuée sous conditions de résidence ininterrompue depuis plus de trois mois en France et de ressources (le plafond annuel est de 8 951 € pour une personne seule).

([47]) À condition qu'elles justifient d'une résidence ininterrompue en France métropolitaine depuis au moins quinze ans avant soixante-dix ans.

([48]) Ce bénéfice n’est soumis qu’à une condition de ressource.

([49]) Arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l’emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse.