N° 3465

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 octobre 2020.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2021 (n° 3360)

 

 

 

TOME II

 

 

DÉFENSE

 

 

ENVIRONNEMENT ET PROSPECTIVE DE LA POLITIQUE DE DÉFENSE

PAR M. Fabien GOUTTEFARDE

Député

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Voir le numéro : 3399 (annexe 14)


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie :  Le budget du programme 144 poursuit son augmentation dans le respect de la loi de programmation militaire 2019-2025

I. Une hausse en parfaite cohérence avec la trajectoire budgétaire depuis le dÉbut de la législature

II. La dÉfinition de l’outil de défense de demain par la prospective de défense

A. Un soutien de la recherche stratégique indispensable au regard des évolutions de l’environnement international

1. Une baisse du budget consacré à l’analyse stratégique qui n’entrave pas les activités de la DGRIS

2. Les études de la DGRIS

a. Les consultances

b. Les études prospectives et stratégiques

c. Les observatoires

d. Les contrats-cadres

3. Pour une programmation au plus près des besoins de la défense

4. Le programme « Personnalités d’avenir-défense », une stratégie d’influence mondiale

B. La dÉfinition des systÈmes de forces futurs pour maintenir la cohérence de nos capacités industrielles et technologiques

1. Des crédits quasi constants au service de l’avenir capacitaire de la France

2. Le travail commun entre l’EMA et la DGA dans le cadre des EOTO a été amélioré par la création d’un plateau de travail collaboratif

C. Des organismes de recherche et des écoles de la défense qui doivent être soutenus dans leur mission d’entretien de l’excellence scientifique FRANçaise

1. L’Office national d’études et de recherches aérospatiales

a. Un nouveau contrat d’objectifs et de performance en cours de préparation

b. Des ressources humaines difficiles à recruter et à fidéliser

c. L’activité contractuelle

d. Les travaux de renforcement de la soufflerie S1MA

e. La mise à niveau des souffleries

f. Le regroupement des emprises franciliennes

2. L’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis

a. Des domaines de spécialité majoritairement tournés vers l’armée de Terre

b. Les subventions et les contrats de tiers

c. Des activités de recherche encadrées par le Common Need Paper et le plan « ISL 2020 »

d. Renouer avec le caractère paritaire et binational de l’ISL

3. Les écoles sous tutelle de la DGA

a. L’École polytechnique

b. Un nouvel acteur, l’Institut polytechnique de Paris

c. L’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace

d. L’ENSTA Paris

e. L’ENSTA Bretagne

III. Un effort financier très signIficatif en matière de renseignement

A. Une forte hausse des autorisations d’engagement au profit de la direction générale de la sécurité extérieure pour accompagner sa transformation

B. La direction du renseignement et de la sécurité de défense poursuit sa mission de protection

IV. L’orientation et la conduite de la diplomatie de dÉfense

A. La contribution française versÉe au gouvernement de Djibouti

B. L’Évolution du budget de l’agence europÉenne de dÉfense

Deuxième partie :  Mieux préparer l’avenir

I. Prospective, anticipation, planification politique : éléments de définition

1. La prospective

2. L’anticipation

3. La planification stratégique

II. Les principaux acteurs de la prospective et de la planification politique en France et en Europe

1. La Direction générale des relations internationales et de la stratégie

2. L’Institut de recherche stratégique de l’École militaire

3. L’état-major des armées

a. Le pôle Prospective et stratégie militaire

b. Le groupe d’anticipation stratégique

c. Le groupe d’orientation de la stratégie militaire

4. La Direction générale de la sécurité extérieure

5. Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

6. Les think tanks

a. L’Institut de relations internationales et stratégiques

b. L’Institut français de relations internationales

c. La Fondation pour la recherche stratégique

7. La division de la planification stratégique du Service européen d’action extérieure de l’Union européenne

8. L’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne

III. les services de l’État doivent-ils produire des Études publiques de prospective ?

1. Un nombre très limité d’études publiques de prospective

2. Des études de prospective contraintes par leur caractère public : l’exemple de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017

3. Une exception dans le paysage français de la prospective : le rapport Chocs Futurs

IV. Des méthodes innovantes en matière de prospective qui devraient être davantage explorées

1. De la nécessité de poser un regard prudent sur les algorithmes prédictifs

2. Les marchés prédictifs et l’intelligence collective à travers l’exemple de la société française Hypermind

3. L’investigation en sources ouvertes : une piste intéressante à explorer pour les travaux de prospective

V. nos centres de recherche sont-ils en mesure de mener des travaux de prospective ?

1. Un soutien accru indispensable à destination des chercheurs pour la menée de leurs travaux

2. Un allègement indispensable des procédures d’appels d’offres de la DGRIS

VI. De la nÉcessitÉ de s’inspirer des meilleures pratiques en europe et À l’Étranger

1. Une avance indéniable des États-Unis par rapport à la France en matière de méthodes innovantes de prospective

2. Un rapprochement salutaire avec les instances européennes

VII. La question cardinale qui demeure, in fine, en suspens est celle des difficultÉs relatives À la prise en compte de tous les risques dans les politiques de dÉfense

1. Intelligence-policy nexus

2. De l’impératif de hiérarchiser, voire de quantifier, les risques pour aider les décideurs politiques

3. Soumettre les risques à des stress tests et encourager la pratique d’exercices d’entraînement

troisième partie :  Focus sur les études amont, pierre angulaire du programme 144 et de l’avenir capacitaire de la France

I. Le budget des études amont est conforme À la trajectoire inscrite dans la loi de programmation militaire 2019-2025

1. Une hausse des crédits d’études amont conforme à la LPM 2019-2025

2. Une nouvelle stratégie en matière d’innovation de défense inscrite dans le Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense

3. Les différents domaines de recherche

a. Aéronautique et missiles

b. Information et renseignement classique

c. Espace

d. Naval

e. Terrestre, NRBC et santé

f. Innovation et technologies transverses

g. Recherche et captation innovation

h. Dissuasion

4. Mais les crédits de recherche de défense ne relèvent pas tous du programme 144

5. La question des retards en matière de franchissement de jalons

II. Une gestion par l’agence de l’innovation de défense dans le cadre de dispositifs de soutien à l’innovation

1. ASTRID et ASTRID Maturation

2. RAPID

3. Definvest

4. Un nouveau fonds : Definnov

5. Le Fonds européen de défense

III. Pour une meilleure connaissance des bénéficiaires des crédits d’études amont et un soutien accru aux PME

1. Un effort de lisibilité indispensable

2. Un soutien indispensable des PME dans leurs tentatives d’accès aux études amont

IV. L’empreinte Écologique des systÈmes d’Armes devrait Être davantage prise en compte dans la gestion des Études amont

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. Audition de Mme Alice Guitton, directrice gÉnÉrale des relations internationales et de la stratÉgie

II. Examen des crÉdits

Annexe :  Auditions et déplacements du rapporteur pour avis


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   Introduction

Le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » a pour rôle de préparer l’avenir, de soutenir l’effort d’innovation et de contribuer au développement de la base industrielle et technologique de défense afin de faciliter le travail de nos soldats sur les théâtres d’opérations. Renseigner sur l’environnement présent et futur, préparer les systèmes d’armes de demain et les protections face aux armes adverses, identifier les mutations géostratégiques, contribuer au maintien d’une recherche et d’une industrie de défense au meilleur niveau, former des ingénieurs : tels sont les objectifs poursuivis par ce programme.

Pour la troisième année consécutive, et en conformité totale avec la programmation inscrite dans la loi de programmation militaire 2019-2025, les crédits du programme 144 augmentent dans le projet de loi de finances pour 2021. Ils s’établissent à 3,106 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 1,684 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse respective de 75,9 et 8,9 % par rapport à l’an dernier.

Eu égard aux objectifs précités assignés au programme 144 et à la survenance de la crise de la Covid-19 en 2020 qui a bouleversé le monde, le rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de son rapport sur le thème de la prospective stratégique. Face aux accusations d’impréparation des pouvoirs publics et de manque d’anticipation, le rapporteur pour avis a estimé qu’il était indispensable de dresser un état des lieux de la prospective en France –essentiellement dans le périmètre de ce programme et donc uniquement dans le domaine de la prospective stratégique –, d’évaluer la qualité des travaux produits dans ce domaine et de formuler des préconisations pour les améliorer.

Le rapporteur a également souhaité, dans une moindre mesure, consacrer une partie de son rapport aux études amont, qui constituent le cœur du programme 144 sur le plan budgétaire. En particulier, il a souhaité porter son attention sur cette catégorie d’études afin d’évaluer leur gestion par l’Agence de l’innovation de défense.

 

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2020, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

À cette date, 114 réponses sur 115 lui étaient parvenues, soit un taux de 99 %.


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   Première partie :

Le budget du programme 144 poursuit son augmentation dans le respect de la loi de programmation militaire 2019-2025

I.   Une hausse en parfaite cohérence avec la trajectoire budgétaire depuis le dÉbut de la législature

En cohérence avec les objectifs fixés par la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, le budget du programme 144 voit ses crédits augmenter de 1,340 milliard d’euros en autorisations d’engagements (AE) et de 137,05 millions d’euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 75,9 et 8,9 %, le portant à 3,106 milliards d’euros en AE et 1,684 milliard d’euros en CP.

Le programme 144 par actions (en millions d’euros)

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire

Les équilibres traditionnels de ce programme demeurent inchangés. Les trois actions sont abordées ci-après par poids budgétaire décroissant. La sous-action 7-3 « Études amont » fait l’objet d’un traitement séparé à la fin du présent rapport.

II.   La dÉfinition de l’outil de défense de demain par la prospective de défense

L’action 7 « Prospective de défense » couvre tous les champs de l’anticipation dans le domaine des sciences et techniques et des sciences humaines et sociales. Par le financement d’analyses géostratégiques, d’études scientifiques et techniques, de mesures d’appui à l’industrie, de subventions à des instituts et des écoles et enfin de l’innovation, elle mobilise à la fois le milieu académique, les laboratoires de recherche et les entreprises, du grand groupe à la petite entreprise. Dotée de 1,510 milliard d’euros en AE et 1,237 milliard d’euros en CP, cette action enregistre la plus forte revalorisation des crédits de l’ensemble du programme après la hausse des AE au profit de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), soit 13,8 % en AE et 8,3 % en CP ; hausse dont la plus grande part revient, sans surprise, aux études amont.

La prospective de défense est divisée en quatre sous-actions de nature différentes et relevant d’opérateurs distincts. Il s’agit :

– de l’analyse stratégique pilotée par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) (sous-action 7-1) ;

– de la prospective des systèmes de force dont la gestion relève conjointement de l’état-major des armées et de la Direction générale de l’armement (DGA) (sous-action 7-2) ;

– des études amont dont l’Agence de l’innovation de défense (AID) est responsable (sous-action 7-3) ;

– et des soutiens et subventions, également sous la responsabilité de l’AID, accordés aux opérateurs du programme, instituts de recherche et écoles d’ingénieurs (sous-action 7-4).

A.   Un soutien de la recherche stratégique indispensable au regard des évolutions de l’environnement international

1.   Une baisse du budget consacré à l’analyse stratégique qui n’entrave pas les activités de la DGRIS

La DGRIS a notamment parmi ses missions l’analyse prospective du contexte international, tant géopolitique qu’industriel, destinée à informer la ministre des Armées des évolutions prévisibles, dont celles des menaces. Elle coordonne à ce titre les travaux nécessaires à l’actualisation régulière de la stratégie de défense française et la préparation des documents afférents. Elle a pour mission d’éclairer le ministère des Armées sur l’évolution du contexte stratégique en général et plus particulièrement dans sa dimension internationale. Elle concerne l’analyse prospective de l’évolution de l’environnement international, en particulier des risques et des menaces qui peuvent affecter la sécurité de la France et de l’Union européenne (UE) ; l’objectif étant d’anticiper les tendances dans le moyen et long terme, en cherchant à identifier les types de ruptures et de surprises stratégiques qui pourraient potentiellement affecter cet environnement, ainsi que leurs conséquences prévisibles sur la politique de défense française. À cette fin, le ministère des Armées, commande des études à des prestataires publics ou privés, financées par ces crédits, au profit de l’ensemble des organismes de la défense, tout en soutenant la recherche académique avec la perspective de contribuer à l’émergence d’une filière universitaire d’études stratégiques, les war studies anglo-saxonnes, qui n’existent pas en France, en s’appuyant sur le Pacte enseignement supérieur (PES).

La DGRIS exerce également la tutelle de l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), auquel un budget de 430 000 euros sera attribué en 2021. La diffusion des résultats de ces recherches s’effectue notamment par le biais des sites internet et intranet de la DGRIS et par la communication de notes d’analyse et d’études, sans préjudice des travaux menés par les services de renseignement pour leurs propres besoins.

Les études et analyses nourrissent la rédaction de documents d’analyse prospective, publics ou classifiés, et les travaux de différentes entités. Il s’agit notamment de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, dont la DGRIS a assuré le pilotage, et des documents de prospective opérationnelle de l’EMA dans le cadre du groupe d’anticipation stratégique (GAS) et du groupe d’orientation de la stratégie militaire (GOSM).

Les crédits de cette sous-action baissent de 17,2 % en AE et de 4,5 % en CP et se portent à 8,94 millions d’euros en AE et 9,31 millions d’euros en CP. Cette baisse notable ne devrait cependant pas empêcher la DGRIS de poursuivre ses actions de soutien à la recherche stratégique, qui se matérialisent par le financement d’observatoires, d’études prospectives et stratégique et de consultances. Par ailleurs, dans le cadre du PES, le label « Centre d’excellence », qui vise à promouvoir l’enseignement et la recherche universitaires portant sur des enjeux de défense, sera pleinement mis en œuvre en 2021. Ce dispositif d’excellence, qui complète les allocations doctorales et postdoctorales, participe au renforcement de l’influence et du rayonnement de la pensée stratégique française en finançant la projection d’experts français à l’international auprès de laboratoires de référence.

2.   Les études de la DGRIS

Il existe plusieurs catégories d’études permettant d’adapter le cadre contractuel à la nature et à l’étendue du sujet traité.

a.   Les consultances

Les consultances sont des contrats d’un montant inférieur à 8 000 euros hors taxes (HT), ne nécessitant pas le lancement d’une procédure d’appel d’offres contrairement aux vecteurs suivants. 29 consultances ont été notifiées en 2019 pour un montant total de 200 000 euros. Les principaux thèmes retenus en 2019 sont les suivants : la base industrielle et technologique de défense (BITD), la communication et l’Asie. 14 consultances ont été notifiées au 15 juillet 2020 pour un montant de 100 000 euros. Les principaux thèmes retenus en 2020 ont été les suivants : la BITD et l’Afrique.

Sur la période 2015-2020, les principaux prestataires au titre des consultances ont été la Compagnie européenne d’intelligence stratégique (CEIS), Noria Research et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

b.   Les études prospectives et stratégiques

Les études prospectives et stratégiques (EPS) sont dotées d’une enveloppe moyenne de 40 000 euros : elles furent 25 en 2018 et 12 ont été programmées en 2019.

c.   Les observatoires

Les observatoires sont des exercices pluriannuels dont l’objectif est de créer une relation de long terme entre un centre d’expertise et l’administration. De ce fait, les observatoires sont l’instrument privilégié des think tanks. Ils sont souvent orientés vers l’anticipation mais ne sont pas nécessairement des travaux de prospective ; en cela, les observatoires désignent davantage un mode contractuel qu’un document de nature fixe. Le centre de recherche doit constituer une équipe qui doit répondre à des demandes soutenues en termes de notes, de mise en relation d’acteurs, d’organisation de conférences ou d’autres prestations pour le ministère des Armées en général et pour la DGRIS en particulier (qui réunit autour d’elle les personnes concernées). Ils peuvent comprendre une forte dimension de prospective et porter sur un vaste spectre de réflexion. Les résultats des observatoires appartiennent à l’entité qui les a demandés mais les centres de recherche ont la possibilité de les publier, sauf difficultés liées au contenu sensible des études.

Leur montant moyen est de 50 000 euros. 6 observatoires ont été notifiés en 2019 pour un montant total de 1,7 million d’euros. Les principaux thèmes de ces contrats sont les suivants : les aires régionales (Afrique et Arctique), la dissuasion et les enjeux énergétiques. Les principaux bénéficiaires sont la FRS, l’Institut français des relations internationales (Ifri) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

d.   Les contrats-cadres

Les contrats-cadres pluriannuels (CC), d’une durée totale de trois à quatre ans, sont d’un montant annuel plus élevé, allant de 300 000 à 500 000 euros. 2 contrats-cadres ont été notifiés en 2019. Les thèmes de ces contrats sont les suivants : la Russie et l’animation d’un réseau d’éducation et de sensibilisation sur la politique nucléaire de défense. Les principaux prestataires (par montant des contrats remportés) sont l’IFRI (1,1 million d’euros) et la FRS (200 000 euros).

3.   Pour une programmation au plus près des besoins de la défense

La programmation 2020 témoigne de la pertinence des thèmes d’études et de leur lien direct avec l’actualité, d’une part, et des besoins d’anticipation en matière de défense, d’autre part.


PROGRAMMATION 2020 DES ÉTUDES DE LA DGRIS

Intitulé

Type de prestation

Les questions de frontières dans les Balkans

EPS

Le spectre électromagnétique : milieu d'un sixième domaine de lutte ?

EPS

La dilution des unités de surface

EPS

Le parti Islah et l'armée yéménite

EPS

Les cercles de pouvoir dans les pays du CCEAG

EPS

L'hôpital militaire en 2040

EPS

Effets de la transition énergétique sur la BITD : enjeux et conséquences

EPS

Observatoire du spatial de défense

OBS

Observatoire international du religieux

OBS

Observatoire Boutros-Ghali

OBS

Observatoire du Golfe arabo-persique

OBS

Observatoire de l'analyse des intérêts nationaux dans le périmètre de l'UE et de l'OTAN

OBS

Observatoire Armée de Terre 2035

OBS

Conflits futurs

CC

Source : site internet du ministère des Armées.

 

CLASSEMENT DES PRESTATAIRES PAR MONTANT ET PAR NOMBRE DE CONTRATS NOTIFIÉS EN 2019

 

Principaux prestataires

Nombres de contrats notifiés

Montants (€ TTC)

FRS

3 (OBS)

934 929,00 €

IFRI

2 (1 CC, 1 OBS)

1 575 181,00 €

CEIS

2 (1 CC, 1 EPS)

1 455 704,00 €

FRS / IFRI

1 (CC)

513 324,00 €

IRIS

1 (OBS)

335 100,00 €

CGI France

1 (EPS)

47 772,00 €

Université Paris Nanterre

1 (EPS)

24 168,00 €

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

4.   Le programme « Personnalités d’avenir-défense », une stratégie d’influence mondiale

Dans le cadre de sa stratégie d’influence, la DGRIS conduit ce programme qui fête son douzième anniversaire en 2020. Très jeune si on le compare à son équivalent américain « International Visitor Leadership Program » lancé en 1950, il a pour ambition de sensibiliser de futures élites étrangères, civiles et militaires, aux positions françaises en matière de sécurité et de défense et d’entretenir ainsi un réseau d’influence durable. Sous la responsabilité de la DGRIS, qui participe au programme, interviennent également la DGA et l’EMA.

Les attachés de défense effectuent la présélection des personnalités au regard de leur potentiel et de critères précis évoluant au gré des intérêts stratégiques français. Les personnalités reçues sont sélectionnées selon des critères précis et sont choisies en fonction de leur haut potentiel, présageant d’une perspective de carrière importante au sein d’institutions liées à la défense et à la sécurité. Les personnalités reçues sont issues, chaque année, de pays ciblés selon des critères de sélection correspondant aux enjeux stratégiques de la France dans le domaine de la défense.

Depuis 2009, le nombre de personnalités reçues dans le cadre de ce programme s’élève à 265, soit une moyenne de vingt à trente par an, avec une augmentation significative depuis 2015. L’enveloppe budgétaire consacrée à ce programme pour 2021 reste au niveau de 2020, soit 260 000 euros. L’absence d’AE programmées en 2021 est justifiée par l’engagement pluriannuel prévu fin 2020 de la nouvelle convention avec l’économat des armées, organisme qui assure le soutien logistique lors de l’accueil desdites personnalités en France.

B.   La dÉfinition des systÈmes de forces futurs pour maintenir la cohérence de nos capacités industrielles et technologiques

1.   Des crédits quasi constants au service de l’avenir capacitaire de la France

L’objet de la sous-action 7-2 « Prospective des systèmes de forces » est d’éclairer les choix nationaux qui permettront de définir les capacités de l’outil de défense futur et leur emploi.

La prospective des systèmes de forces identifie les nouvelles menaces, participe à la détermination de l’évolution des modes d’actions adverses et, en conséquence, propose des pistes d’adaptation pour les moyens des forces en intégrant notamment l’emploi de nouvelles technologies. À travers le financement des études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO), elle prépare et définit les capacités futures. Les EOTO complètent les travaux d’études amont, viennent en appui de l’élaboration du besoin militaire prévisible (BMP) et participent à la préparation des opérations d’armement. Elles peuvent notamment constituer un outil d’arbitrage en matière de choix capacitaire.

De façon à conjuguer les dimensions opérationnelles et techniques, les activités de cette sous-action sont conduites de façon collégiale par les officiers de cohérence opérationnelle (OCO) de l'EMA et par les architectes de préparation des systèmes (APS) de la DGA, avec le soutien du Centre d’analyse technico-opérationnelle de défense (CATOD) qui agit comme secrétariat permanent du comité des études à caractère opérationnel ou technico-opérationnel (CETO).

Les crédits de la sous-action 7-2 s’élèvent à 22,3 millions d’euros en AE et en CP dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, soit une légère baisse par rapport à 2020, et sont répartis au sein des six systèmes de force :

dissuasion : évaluation des performances des deux composantes de la dissuasion ;

commandement et maîtrise de l’information : renseignement et maîtrise électromagnétique, communications (constellations, aéronautiques, navales et sous-marines), capacités d’action dans l’espace ;

engagement-combat : combat air-air, engagement collaboratif naval, meutes de munitions et attaques de saturation ;

projection, mobilité et soutien : transport et déplacements par voie aérienne, projection stratégique ;

protection-sauvegarde : menace et lutte anti-drones, défense anti-aérienne et effecteurs anti-aériens, guerre des mines ;

études transverses : travaux sur le référentiel de la menace, études du laboratoire de travail en groupe et du laboratoire technico-opérationnel.

 

CrÉdits prÉvus par domaine pour les opÉrations stratÉgiques « dissuasion » et « prospective et prÉparation de l’avenir »

(en euros)

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Source : projet annuel de performances de la mission Défense pour 2021.

2.   Le travail commun entre l’EMA et la DGA dans le cadre des EOTO a été amélioré par la création d’un plateau de travail collaboratif

Le plateau de travail collaboratif EMA-DGA a été inauguré le 14 octobre 2019. Cette initiative est née, dans le cadre de la réorganisation des opérations d’armement, de la volonté d’associer davantage, dès le stade de la conception des systèmes d’armes, l’EMA, les armées, la DGA et les industriels dans une démarche commune. Avant la mise en place de la nouvelle organisation, le processus était parfois trop compartimenté entre les diverses parties prenantes, avec des militaires qui exprimaient des besoins opérationnels, des ingénieurs de la DGA qui transposaient ces besoins en spécifications techniques puis des industriels qui s’appropriaient ces spécifications pour restituer, de manière plus ou moins satisfaisante, le produit demandé. Désormais, l’idée est de faire travailler tous ces acteurs ensemble dès que le besoin initial est exprimé.

LE RÔLE DES OFFICIERS DE COHÉRENCE OPÉRATIONNELLE DE L’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES EN MATIÈRE DE PROSPECTIVE DES SYSTÈMES DE FORCE

La division COCA est chargée de la préparation de l’avenir en matière de capacités militaires et est garante, pour le chef d’état-major des armées (CEMA), de la cohérence capacitaire des armées. Dans le domaine de l’innovation, elle apporte un éclairage capacitaire aux travaux de prospective du ministère et contribue, à ce titre, à la rédaction du Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense (DrOID). Elle définit aussi les orientations capacitaires et veille à leur cohérence avec les ambitions fixées.

Sous l’autorité d’un officier général, elle regroupe en particulier 13 OCO, réunis en collège. Parmi leurs attributions, les OCO travaillent sur les menaces futures et leurs évolutions techniques avec le CATOD, qui relève de la DGA. L’EMA fait régulièrement un point de situation avec le CATOD sur l’avancée de ses travaux. Les OCO lancent des EOTO avec le service d’architecture du système de défense (SASD) de la DGA afin de procéder à une analyse des menaces et de déterminer les besoins sur le plan capacitaire. La réalisation des EOTO est principalement confiée à des industriels ou à des opérateurs qui disposent d’un bureau d’étude dédié. L’identification de technologies de rupture, y compris par des industriels, ainsi que le besoin programmé de renouvellement des capacités peuvent être à l’origine d’études spécifiques, voire d’études amont.

Chacun des 13 OCO travaille sur un domaine particulier constitutif d’un système de force (renseignement, systèmes de communication, protection/sauvegarde, engagement de combat terre, engagement de combat mer, études…) en lien avec les armées et la DGA. Responsable de la cohérence capacitaire globale tout au long d’une opération d’armement, chaque OCO porte les programmes futurs relatifs à son domaine. Les OCO se retrouvent en collège chaque semaine pour exposer leurs avancées et débattre de la complétude de leurs travaux, notamment de la bonne prise en compte des enjeux extérieurs aux équipements dont ceux relatifs aux infrastructures et aux interfaces, et, in fine, pour s’assurer de la cohérence avec les besoins exprimés afin de répondre correctement aux attentes. Ils vérifient ainsi que les besoins exprimés par les armées pour construire leur aptitude opérationnelle future sont adaptés aux exigences de la cohérence capacitaire et au référentiel de programmation.

L’action des OCO est coordonnée par le secrétaire général des OCO, qui veille à la cohérence globale des systèmes de force et, à cette fin, fait office d’interface avec la DGA et les sous-chefferies « plans » des trois armées.

Avec la division COCA, le SASD, créé le 1er janvier 2020, se porte garant de la cohérence capacitaire afin d’éviter que le produit final ne corresponde pas aux besoins exprimés sur le terrain. Cela suppose de mener un dialogue constant avec l’ensemble des parties prenantes, facilité par la création du plateau. À cet égard, la division COCA s’assure également du caractère réaliste des demandes exprimées sur le terrain. Les besoins doivent à la fois être analysés au prisme du réalisme mais doivent également être exprimés sans conservatisme ou censure. La cohérence des programmes ne s’arrête pas aux seuls programmes d’armement : l’EMA et la DGA veillent à ce que les doctrines d’emploi soient cohérentes et que les personnels soient formés à leur usage. La démarche capacitaire doit ainsi couvrir tout le spectre dit « DORESE » : doctrine, organisation, ressources humaines, équipements, soutien des forces et entraînement.

Le spectre des programmes d’armement traités par le plateau est vaste : il s’étend des petits équipements aux grands projets tels que le système de combat aérien du futur (SCAF). L’organisation mise en œuvre par le plateau doit permettre de répondre au triptyque suivant : processus capacitaire, faisabilité technique et meilleurs coûts et délais. Une fois que la décision de lancement d’une opération d’armement est prise, des travaux conjoints entre le SASD et la division COCA de consolidation des besoins sont menés selon les compétences de chacun, suivis de travaux de conception capacitaire. Le SASD s’occupe plus particulièrement des enjeux relatifs à l’acquisition, l’innovation et l’intégration des nouvelles technologies dans les programmes. Cette première phase a pour objectif de définir l’architecture capacitaire de référence, qui devra à la fois satisfaire les besoins exprimés, prendre en compte les technologies innovantes, aboutir à la création de systèmes d’armes pouvant être exportés à l’étranger et avoir une aptitude au soutien. De plus, les systèmes d’armes doivent pouvoir durer sur le long terme tout en étant en mesure de répondre aux menaces futures.

La démarche capacitaire se heurte néanmoins à la rigidité des règles européennes relatives aux marchés publics. Lorsque la DGA et l’EMA souhaitent associer des industriels qu’ils estiment pertinents, il y a un risque que cette démarche soit considérée comme du favoritisme. Il est arrivé que la DGA et l’EMA soient dans l’incapacité de travailler avec des industriels afin d’éviter que des recours ne soient déposés devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). La direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère des Armées est souvent sollicitée pour trouver les bons vecteurs afin d’associer les industriels dans le respect du droit mais le rapporteur pour avis estime que toute mesure assouplissant les règles européennes relatives aux marchés publics à cet égard serait bienvenue.

 

 

LE systÈME DE LUTTE ANTI-MINES MARINES FUTUR

Le programme SLAMF prépare le renouvellement de la capacité de guerre des mines de la Marine nationale. Ce système, conçu en collaboration avec le Royaume-Uni, est destiné à remplacer les moyens actuels (chasseurs de mines, bâtiments remorqueurs de sonars, bâtiments base de plongeurs démineurs). Les objectifs du programme sont de sécuriser la mise en œuvre du porte-avions Charles-de-Gaulle et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), de protéger l’accès aux ports français, de soutenir le déploiement d’une force d’action navale (groupe aéronaval, groupe amphibie…) et de répondre aux accords de défense. Le programme comprend d’une part des systèmes de drones constitués de drones navals de surface et de drones sous-marins, et d’autre part des bâtiments de surface porteurs (bâtiments de guerre des mines), des bâtiments pour plongeurs démineurs ainsi que le renouvellement du système d’exploitation des données de guerre des mines.

Le programme SLAMF doit permettre de projeter des drones via le bâtiment de guerre des mines et d’éloigner ainsi l’Homme de la menace. Ces drones auront pour rôle de détecter une mine, de l’identifier puis de la neutraliser. Les mines détectables couvrent un large spectre (des plus artisanales aux mines les plus sophistiquées) et le programme SLAMF doit permettre de se prémunir contre de nouvelles menaces telles que les mines non détectables (qui se confondent avec le paysage) ou les mines enfouies.

Le système prévu par le programme SLAMF n’est pas complètement automatisé : un militaire reste en liaison pour piloter les drones, les récupérer et les reconditionner. À cet égard, le programme SLAMF doit certes permettre d’automatiser le processus afin de réduire le rôle de l’humain dans la manœuvre du système, mais un système totalement autonome serait non seulement difficilement concevable mais également peu souhaitable : il demeure impératif que l’opportunité de l’emploi d’une charge sous-marine de neutralisation relève toujours de l’humain, tout comme l’exploitation des images.

C.   Des organismes de recherche et des écoles de la défense qui doivent être soutenus dans leur mission d’entretien de l’excellence scientifique FRANçaise

1.   L’Office national d’études et de recherches aérospatiales

La mission centrale de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) est de développer, d’orienter et de coordonner les recherches dans le secteur aérospatial, dans ses différentes composantes que sont la défense, le transport aérien et les activités spatiales. L’office conçoit, réalise et met en œuvre les moyens nécessaires à l’exécution de ces recherches et assure, en liaison avec les services ou organismes chargés de la recherche scientifique et technique, la diffusion sur le plan national et international des résultats de ces recherches. Il en favorise la valorisation par l'industrie aérospatiale et facilite leur application éventuelle en dehors du domaine aérospatial. L’ONERA est un partenaire clé de l’État et de l’industrie aéronautique et spatiale, militaire et civile.

L’office effectue les recherches les plus amont, et donc à risque, sur les crédits de la subvention pour charges de service public (SCSP) et les valorise dans la partie la plus aval effectuée sur contrats.

L’activité contractuelle de l’ONERA est en hausse constante depuis 2017 mais a été ralentie en 2020 par la crise de la Covid-19. La subvention prévue dans le PLF pour 2021 est de 110 millions d’euros.

a.   Un nouveau contrat d’objectifs et de performance en cours de préparation

L’année 2021 sera la dernière année couverte par le contrat d’objectifs et de performance (COP) de l’ONERA. Les principaux jalons attendus sont la réalisation des travaux de regroupement territorial de l’ONERA sur le site de Palaiseau et l’achèvement de la politique de retour à l’équilibre économique global.

L’année 2021 sera également marquée par la préparation du COP 2022-2026. Il s’agira en priorité de construire, dans un contexte fortement perturbé par la crise sanitaire, dont les effets négatifs sur le secteur aéronautique ont toutefois vocation à être compensés par le plan de relance aéronautique, une vision partagée avec les parties prenantes du rôle de l’ONERA, et d’établir de nouvelles trajectoires réalistes pour la masse salariale, les effectifs et le chiffre d’affaires.

Le COP 2017-2021 se plaçait dans une logique de réduction des effectifs et de réorganisation afin de restaurer l’équilibre financier de l’office. Début 2019, le contexte est au contraire celui d’une hausse de la demande de prestations dans le domaine aérospatial, conduisant à réviser cette logique de rigueur pour permettre à l’office de répondre à la demande prévisible.

Ainsi, la contrainte du COP imposant à l’ONERA de réduire progressivement ses effectifs sous plafond a été levée et il a été demandé à l’ONERA de proposer une nouvelle trajectoire en matière d’effectifs, de masse salariale et de ressources contractuelles.

En parallèle, seront poursuivis les travaux visant à mettre en adéquation le pilotage des plafonds d’effectifs de l’Office (l’effectif sous plafond représentant plus de 90% du total) avec la part représentée par la SCSP (inférieure à 50 %) dans son budget, pour permettre un meilleur ajustement de ses capacités à son plan de charge.

b.   Des ressources humaines difficiles à recruter et à fidéliser

Une nouvelle organisation a été mise en place le 1er mars 2017 pour permettre de mieux répondre aux attentes exprimées par les interlocuteurs étatiques et industriels de l’ONERA tout en préservant ses atouts et ses lignes de force scientifiques et technologiques. L’enjeu principal auquel la direction de l’office s’attache à apporter des réponses progressives, en lien avec sa tutelle, est dans le domaine des ressources humaines. Tout d’abord, l’ONERA se trouve confronté d’une part à un vieillissement de sa population qui génère de nombreux départs en retraite et nécessite de pouvoir renouveler les compétences. D’autre part, l’office fait face à de lourdes difficultés d’attractivité et de fidélisation de ses salariés du fait de forts écarts de salaires entre l’ONERA et les organismes, publics ou privés, intervenant dans les mêmes secteurs d’activités que lui. Conscient de la nécessité d’apporter une première réponse aux besoins de l’ONERA dans ce domaine, le ministère des Armées l’a autorisé à prélever 6 millions d’euros sur ses résultats, en plus de la hausse de la SCSP.

L’office met enfin en avant un problème d’effectifs pour faire face à l’accroissement de la charge contractuelle de ces dernières années. Il souligne que son conseil d’administration, conscient de cette difficulté, a autorisé, dans le cadre du vote du projet de budget pour 2020, la direction générale de l’ONERA à sortir du cadre du COP en matière d’effectifs pour 2020. En vue de la préparation du futur COP, le ministère des Armées essaie d’obtenir l’accord du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance pour sortir la totalité des doctorants des effectifs sous plafond de l’ONERA. Ce dernier signale par ailleurs ne pas avoir pu répondre à des sollicitations de la part d’industriels, notamment étrangers pour des prestations en soufflerie, faute de moyens humains suffisants.

Le rapporteur pour avis plaide pour qu’une solution soit trouvée afin de remédier à cette situation particulièrement préoccupante. À cet égard, le rapporteur pour avis compte sur la pleine considération de ces difficultés dans le futur COP 2022-2026.

c.   L’activité contractuelle

Pour 2020, la prévision d’activité contractuelle est valorisée à 124,3 millions d’euros, soit une hausse de 5,6 millions d’euros par rapport à 2019. Le ministère des Armées représente 39 % de la production contractuelle de l’office, ce qui en fait un client majeur. Dans le même temps, l’ONERA maintient, voire augmente son niveau d’activité au profit de l’aviation civile et cherche à consolider son ancrage auprès des acteurs de la filière spatiale.

À ces activités viennent s’ajouter les activités prévues sur financements européens, à hauteur de 9 %, dans le cadre du programme européen Horizon 2020 et de l’implication dans le programme Clean Sky II. L’activité au profit des industriels de l’aéronautique, à hauteur de 30 %, est en grande partie basée sur l’utilisation des grands moyens techniques de l’office.

Concernant l’aviation civile, l’ONERA poursuit son investissement sur les thèmes du givrage, du crash, de la foudre, du feu et des systèmes embarqués critiques. Pour les activités du Centre national d’études spatiales (CNES), des « programmes d’intérêt commun » sont mis en place et un effort conjoint est entrepris pour consolider cette position. Le niveau d’activité du secteur aérospatial repose pour 55 % sur des projets impliquant les souffleries de l’ONERA.

 

d.   Les travaux de renforcement de la soufflerie S1MA

La soufflerie S1MA de Modane avait subi deux tassements localisés en 2009 et 2015. La poursuite de l’affaissement aurait mis la soufflerie en danger, ce qui a déclenché des opérations de confortement, qui doivent s’achever en 2020, et pour lesquelles l’office aura globalement bénéficié d’une dotation exceptionnelle de 20 millions d’euros de la part de l’État.

À ce jour, les travaux portent sur le renforcement de la structure de la soufflerie elle-même. Les travaux de confortement des sols seront achevés après cette étape de consolidation.

e.   La mise à niveau des souffleries

L’office a lancé en 2018 le programme d’investissement Aero Testing Programme (ATP), un plan ambitieux de mise à niveau technique, de développement de nouvelles technologies de mesures et d’essais et d’exploitation de ces mesures, de développement des compétences et expertises, dans un objectif d’amélioration de leur résultat d’exploitation. Ce plan comprend la rénovation physique des souffleries, l’amélioration des capacités métrologiques et des développements méthodologiques. L’ATP regroupe 26 projets sur 2019-2023, dont 23 ont démarré en 2019. L’investissement de 47 millions d’euros est financé par un emprunt auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI). Une première tranche du prêt de 11 millions d’euros, au taux de 1,27 %, a d’ores et déjà été versée en 2019. Il est prévu un versement de 13 millions d’euros au cours de l’exécution 2020.

f.   Le regroupement des emprises franciliennes

En 2018, l’office a obtenu un arbitrage financier favorable qui a permis de financer le regroupement des trois sites d’Île-de-France en un site unique. Ce projet, vieux de 50 ans, devrait être finalisé d’ici 5 ans et coûtera 160 millions d’euros. Les travaux seront lancés en 2021. Les salariés et la majorité des activités des sites de Châtillon et Meudon seront transférés à Palaiseau, à l’exception de l’atelier de fabrication de maquettes servant aux essais en soufflerie qui devrait, quant à lui, être transféré de Meudon à Lille, où est déjà installé un atelier similaire.

Par ailleurs, les souffleries de recherche de l’ONERA situées à Meudon seront transférées sur le plateau de l’École polytechnique, dans le cadre d’un projet associant les deux organismes à l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) Paris afin d’attirer des jeunes chercheurs de haut niveau mondial.

 

2.   L’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis

L'institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL) a été créé par une convention franco-allemande en 1958 dans le but de mettre en œuvre une coopération étroite entre les deux États sur les recherches et études, tant scientifiques que techniques, dans le domaine de la défense et de la sécurité.

Les contributions de chaque État ont été de 22,724 millions d’euros pour 2020. Elles seront portées à 23,244 millions d’euros en 2021, principalement pour permettre la réalisation de travaux exceptionnels de désamiantage et pour refléter l’évolution des salaires des agents publics en Allemagne.

En raison de son caractère binational, l’ISL n’est pas considéré comme un opérateur de l’État : il a un statut sui generis, de droit privé, adossé au régime social français. La convention de 1958 stipule notamment que les gouvernements français et allemand contribuent à parts égales aux dépenses de l’institut, ces contributions prenant la forme de subvention et de contrats dits contrats gouvernementaux dont les résultats sont partagés entre les deux États. Les recherches de l’ISL portent principalement sur les armements terrestres, les munitions et la protection contre leurs effets.

L’ISL regroupe près de 400 collaborateurs, dont plus des trois quarts dans le secteur scientifique. Dans ses textes fondateurs, l’ISL a un objectif de parité sur tous les postes d’envergure entre Français et Allemands. Aujourd’hui, les Français représentent 60 % des effectifs aux postes d’ingénieurs et de chercheurs, ce qui pose problème, eu égard au lien étroit entre la pérennité de l’ISL en tant qu’institut binational financé par les deux États et l’objectif de parité.

a.   Des domaines de spécialité majoritairement tournés vers l’armée de Terre

Son objectif est de proposer des solutions innovantes pour répondre à des besoins exprimés par ses financeurs – à savoir le ministère des Armées par le biais de l’AID qui est son organisme de tutelle et le ministère fédéral de la Défense allemand – voire parfois anticiper leurs besoins. La stratégie scientifique de l’Institut s’articule autour de 5 défis principaux, dont 2 à caractère offensif et 3 à caractère défensif, mais qui, dans les faits, sont très imbriqués tant sur les plans technique et opérationnel :

– les matériaux et système énergétiques (offensif) ;

– les projectiles intelligents et les systèmes de canons futurs (offensif) ;

– la survivabilité des systèmes d’armes (défensif) ;

– la protection et la performance du soldat débarqué (défensif) ;

– et la perception avancée du combattant (défensif).

L’ISL est principalement tourné vers l’armée de Terre mais certains travaux sont menés au profit d’autres milieux. Cela s’explique par l’histoire de l’institut, originellement spécialisé dans la balistique et l’artillerie. Mais les recherches de l’institut sont aujourd’hui interdisciplinaires, à tel point que l’Army Research Lab des États-Unis estime que l’ISL est le seul institut en Europe dont la palette d’activités a l’ampleur de la sienne.

b.   Les subventions et les contrats de tiers

Pendant 50 ans, l’ISL était subventionné à 100 % par les États. Depuis une vingtaine d’années, la subvention de base n’a augmenté au total que d’environ 5 %, tandis que le complément de subvention, lui, n’a jamais augmenté : eu égard à l’inflation, les subventions de la DGA, de l’ordre de 19 millions d’euros par an, correspondent donc en réalité à une baisse.

Aussi, l’ISL complète ses ressources en recourant à des contrats de tiers. L’institut s’est fixé un objectif de croissance annuelle à hauteur de 300 000 € par an en contrats de tiers, et à ce jour, cet objectif a toujours été tenu, voire dépassé. La DGA et le ministère de la Défense allemand ayant besoin de la totalité du potentiel scientifique de l’ISL, tout en ne le finançant pas en totalité, l’acquisition par l’ISL de contrats de tiers est soumise à la condition que leurs prestations répondent simultanément à un besoin du client et à un besoin des tutelles, lesquelles ont donc le droit de valider l’intérêt partagé de ces prestations. Les « tiers » désignent toutes les entités hors tutelle de l’AID : des industriels de la défense, mais également l’UE dont l’institut bénéficie des financements pour la mise en place et l’exécution du contrat PILUM de conception de canons électriques via l’Agence européenne de défense (AED). Par comparaison, le ministère de la Défense allemand et la BITD allemande n’ont pas autant recours aux contrats de tiers, alors que ce système est efficace et permet de combler la faiblesse des subventions de l’institut.

c.   Des activités de recherche encadrées par le Common Need Paper et le plan « ISL 2020 »

L’ISL n’est pas formellement soumis à un contrat d’objectifs et de performances (COP) comme les autres opérateurs de l’État. Pour autant, la stratégie de l’institut est convenue avec son autorité de tutelle, à laquelle il rend régulièrement compte de l’avancement de sa mise en œuvre. L’orientation des activités de recherche de l’ISL est alimentée par trois sources :

– le Common Need Paper (CNP), qui correspond à de la recherche planifiée, décidée conjointement par les deux États ;

– le technology push, qui correspond aux opportunités offertes par la science permettant de répondre à un besoin qui n’a pas encore été exprimé ;

– et les idées market-driven, provenant des industriels de la BITD qui sollicitent l’ISL sur un sujet donné s’ils ne disposent pas de l’expertise nécessaire en interne pour l’explorer.

Par ailleurs, l’activité de l’ISL est encadrée par le plan « ISL 2020 », adopté en 2013, dont le bilan est excellent. Cela se mesure notamment par :

– les évaluations positives du Comité consultatif pour les recherches et études (CCRE), qui est à la fois le conseil scientifique et l’instance représentant les besoins de la DGA et du ministère de la Défense allemand ;

– les besoins croissants en matière de recherche de l’ISL, ce qui se traduit par l’ajout de thèmes nouveaux et simultanément la réticence croissante des ministères chargés de la défense dans les deux États à abandonner des thèmes existants à l’ISL ;

– la croissance continue des ressources externes de l’ISL, grâce à des clients du secteur de la défense et sur des sujets d’intérêt qui renforcent l’expertise de l’institut sur les thèmes du CNP ;

– le nombre croissant de partenariats universitaires de l’ISL avec des équipes de haut niveau ;

– et l’intérêt croissant des opérationnels pour les innovations de l’ISL, et en particulier du côté de la sous-chefferie « plans et programmes » de l’état-major de l’armée de Terre (EMAT).

En outre, avant la mise en place du plan « ISL 2020 », l’Institut avait 4 doctorants dans ses effectifs, contre 40 aujourd’hui. La réduction des postes dans le secteur du soutien a permis de recruter massivement dans le secteur scientifique. Si la part des contrats à durée déterminée (CDD) au sein de l’ISL était proche de zéro au début des années 2010, les chercheurs et ingénieurs sont aujourd’hui à 30 % en CDD afin de favoriser le brassage d’idées et la créativité. Des mesures de modération salariale accrues ont dû être prises pour rentrer dans l’équation financière, malgré les axes d’efforts tant du côté des recettes (contrats de tiers) que du côté des dépenses. Cela a rendu encore difficile le recrutement en Allemagne, où les salaires sont plus élevés ; cet élément se rajoutant à une désaffection multifactorielle envers l’ISL de la part des candidats allemands.

d.   Renouer avec le caractère paritaire et binational de l’ISL

Le bilan du plan « ISL 2020 » n’est cependant pas exempt de marges de progrès. L’Allemagne n’exploite pas l’ISL autant que la France. Cet enjeu concerne aussi la France, car la pérennité du soutien de l’ISL par les deux États tient au fait que les deux pays tirent un avantage équilibré de leurs investissements. Une des ambitions du plan « Ambition 2030 », qui succédera au plan « ISL 2020 », est précisément de rééquilibrer le ratio Français/Allemands au sein des effectifs de l’ISL.

Une solution consisterait à augmenter le salaire net des salariés de l’ISL résidant en Allemagne sans modifier les grilles salariales de l’institut. Les grilles salariales de l’ISL ne dépendent pas de la nationalité, mais le salaire dit « net-net » (c’est-à-dire net de charges sociales et net d’impôt sur le revenu (IR) est plus faible pour un salarié de l’institut résidant en Allemagne que pour un salarié de l’institut résidant en France. En effet, les règles européennes prévoient que les salariés paient les cotisations sociales du pays dans lequel ils travaillent mais paient l’IR du pays dans lequel ils habitent. Or, en Allemagne, les charges sociales des salariés sont plus faibles qu’en France, mais l’IR y est plus élevé. C’est donc, pour reprendre les termes de M. Christian de Villemagne, directeur de l’ISL, lors de son audition, « la double peine » pour les salariés de l’ISL qui résident en Allemagne et qui travaillent en France. Les salariés de l’ISL résidant en Allemagne pourraient cependant relever du système social allemand grâce aux stipulations du règlement n° 883/2004 du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale qui prévoit des dérogations permettant de rattacher des salariés au système social du pays où ils résident. Ainsi, les salariés de l’ISL qui résident en Allemagne et qui travaillent en France pourraient relever du système social allemand, et donc payer les cotisations sociales allemandes, plus faibles que les cotisations sociales françaises.

Le rapporteur pour avis souhaite que cette dérogation soit accordée à l’ISL pour renforcer sa compétitivité et son attractivité et pour contribuer au retour de la parité entre les deux États.

3.   Les écoles sous tutelle de la DGA

La DGA exerce la tutelle de quatre établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche : l’École polytechnique, l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE), l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) Paris et l’ENSTA Bretagne. Ces écoles d’ingénieurs bénéficient d’une subvention pour leur rôle dans la formation d’ingénieurs de haut niveau répondant en particulier aux besoins de l’industrie de défense, ainsi que pour les activités de recherche qu’elles conduisent dans le domaine de la défense.

a.   L’École polytechnique

Le montant de la SCSP au titre du PLF pour 2021 s’élève à 93 millions d’euros dont 18 millions d’euros au titre de la solde des élèves. Le plafond d’emplois est de 2 667 équivalents temps plein travaillés (ETPT) dont 1 626 élèves ingénieurs français.

 

 

 

 

Évolution des ressources de l’École polytechnique

Nature de la dépense – millions d’euros courants (CP)

LFI 2020

PLF 2021

Subventions pour charges de service public (P144)

85,3

93

Dotation en fonds propre (P144)

0

0

Dotation en fonds propre (P212)

0

0

Total subvention/dotation

85,3

93

Prévisions COP

85,3

93

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

La Cour des comptes a consacré un chapitre de son rapport public annuel 2020 à la gestion financière de l’École polytechnique. Elle y dresse un réquisitoire sévère contre ladite gestion, dont elle estime qu’elle « n’est pas à la hauteur des ambitions de l’École ». Ses résultats font apparaître cinq exercices déficitaires consécutifs sur la période 2014-2018, qui se sont traduits par une perte cumulée de près de 20 millions d’euros malgré un soutien accru de l’État à partir de 2016. La Cour estime par ailleurs que la nouvelle programmation pluriannuelle établie par l’école pour la période 2019-2021 continue à faire apparaître, dans sa version de septembre 2019, des impasses dans le financement de son fonctionnement et de ses investissements. Enfin, la capacité d’autofinancement prévisionnelle de l’école ne lui permettrait pas de couvrir les investissements, notamment immobiliers, prévus sur la période 2019-2021.

Par ailleurs, la crise de la Covid-19 a également eu une incidence financière pour l’École polytechnique. Son impact est estimé à ce stade à 8 millions d’euros. Les autres écoles sous tutelle de la DGA ont également vu leurs recettes diminuer, mais dans une moindre mesure par rapport à l’École polytechnique, et cette dernière ne pourra pas compter sur sa trésorerie pour absorber les conséquences financières de la crise.

Suite aux recommandations formulées par la Cour des comptes, l’École a mis en place une série de mesures devant contribuer au redressement de sa situation financière :

– une stabilisation de sa masse salariale de l’ordre de 99 millions d’euros pour 2020 ;

– une réduction de 5 % de ses dépenses de fonctionnement ;

– et la recherche continue de nouvelles ressources propres comme la mise en place de nouvelles formations payantes.

L’assainissement des comptes de l’École polytechnique passe également par la mise en place d’une mission d’appui diligentée et financée par le ministère des Armées. Les premiers éléments confirment le diagnostic établi par la Cour des comptes. L’École devrait ainsi entamer un plan de transformation prioritaire adossé aux travaux de rédaction du futur COP.

Le rapporteur pour avis appelle à la vigilance à ces deux égards et prêtera une attention toute particulière à l’évolution de la situation financière de l’École polytechnique au cours de l’année 2021.

b.   Un nouvel acteur, l’Institut polytechnique de Paris

Pour mener ses missions, la SCSP de l’Institut polytechnique de Paris (IP Paris) dans le PLF pour 2021 au titre du programme 144 s’élève à 3,202 millions d’euros. Une dotation de 450 000 € en provenance du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » s’ajoute également au budget total de l’IP Paris. Au total, ce dernier bénéficie donc d’un budget de 3,247 millions d’euros. Le plafond d’emploi du nouvel établissement s’établit à 20 ETPT.

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Source : projet annuel de performances de la mission Défense pour 2021.

Dans son rapport précité, la Cour des comptes s’interroge sur l’opportunité de la création de l’IP Paris et « les implications coûteuses du choix de quitter [le pôle scientifique et technologique] Paris-Saclay », l’École polytechnique ayant refusé l’intégration au sein de Paris-Saclay (contrairement à d’autres grandes écoles telles Centrale Supelec, Agro ParisTech et l’École normale supérieure Paris-Saclay). Elle estime en particulier que « la création de l’IP Paris implique pour l’École polytechnique un fort investissement dans cette nouvelle alliance, alors même que sa propre évolution stratégique, organisationnelle et financière est loin d’être consolidée » et qu’il « reste maintenant à démontrer que l’IP Paris est plus qu’un regroupement de circonstance, destiné à justifier la sortie de Paris-Saclay ».

Le rapporteur pour avis suivra avec attention le développement de l’IP Paris au cours des prochaines années.

c.   L’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace

Le montant de la SCSP de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE) au titre du PLF pour 2021 s’élève à 38,5 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 4,3 millions d’euros de dotations en fonds propres afin de contribuer au financement des investissements liés à l’immobilier de l’école. Le plafond d’emplois est quasi stable à 412 ETPT.

Évolution des ressources de L’ISAE

Nature de la dépense – millions d’euros courants (CP)

LFI 2020

PLF 2021

Subventions pour charge de service public (P144)

38,2

38,5

Dotation en fonds propre (P144)

1,9

4,3

Total subvention/dotation

40,1

42,8

Prévisions COP

40,1

42,8

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

d.   L’ENSTA Paris

Le montant de la SCSP de l’ENSTA Paris au titre du PLF pour 2021 s’élève à 17,4 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 500 000 euros de dotations en fonds propres pour la rénovation de bâtiments. Le plafond d’emplois est quasi stable à 172 ETPT.

Évolution des ressources de l’ENSTA Paris

Nature de la dépense – millions d’euros courants (CP)

LFI 2020

PLF 2021

Subventions pour charge de service public (P144)

17,5

17,4

Dotation en fonds propre (P144)

0,5

0,5

Total subvention/dotation

18

17,9

Prévisions COP

18

17,9

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

e.   L’ENSTA Bretagne

Le montant de la SCSP de l’ENSTA Bretagne au titre du PLF pour 2021 s’élève à 14,9 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 300 000 euros de dotations en fonds propres pour des travaux de mises aux normes de sécurisation de ses emprises. Le plafond d’emplois est stable à 179 ETPT.

Évolution des ressources de l’ENSTA Bretagne

Nature de la dépense – millions d’euros courants (CP)

LFI 2020

PLF 2021

Subventions pour charges de service public (P144)

14,9

14,9

Dotation en fonds propre (P144)

0,3

0,3

Total subvention/dotation

15,2

15,2

Prévisions COP

15,2

15,2

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

 

III.   Un effort financier très signIficatif en matière de renseignement

L’action 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » enregistre une très forte hausse de 289,7 % en AE par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2020, soit 1,535 milliard d’euros, et de 11,4 % en CP, soit 406,42 millions d’euros. Cette action comprend deux sous-ensembles distincts : le renseignement extérieur, avec la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), qui est la grande bénéficiaire de la forte hausse des AE, et le renseignement de sécurité de défense, avec la Direction du renseignement et de la sécurité de défense (DRSD).

A.   Une forte hausse des autorisations d’engagement au profit de la direction générale de la sécurité extérieure pour accompagner sa transformation

La DGSE, dont les missions sont définies par les articles D-3126-2 et D-2126-3 du code de la défense, est le service de renseignement extérieur de la France. Son champ de compétence est global car il couvre à la fois les dimensions sécuritaire, politique et économique des enjeux internationaux. Elle est chargée d’apporter une aide à la décision gouvernementale dans ces différents domaines et de contribuer à la lutte contre les menaces pesant sur la sécurité nationale. La DGSE, qui détient le monopole de l’action clandestine à l’étranger, a donc une double mission de renseignement et d’action. À ce titre, elle assure l’analyse, la synthèse et la diffusion des renseignements qu’elle recueille, par ses moyens propres ou auprès de partenaires étrangers.

Le budget de la DGSE est marqué par une hausse très substantielle de la ressource en AE, à hauteur de 310 %, et une hausse moins élevée mais également importante de la ressource en CP, à hauteur de 12,4 %. Les AE s’élèvent donc à 1,5 milliard d’euros et les CP à 400 millions d’euros. Cette hausse permettra à la DGSE de poursuivre ses actions en conformité avec sa stratégie définie dans la LPM, ce dont le rapporteur pour avis se félicite. Celle-ci lui permettra plus précisément de renforcer et de moderniser son modèle intégré, de garantir sa résilience et sa sécurité et d’accroître ses capacités d’action pour faire face aux menaces.

Par ailleurs, le contexte d’accroissement de son activité opérationnelle nécessite impose au service d’anticiper et de s’adapter aux évolutions technologiques et en particulier aux enjeux de l’univers numérique. Conjointement à ces axes de travail, la DGSE maintient ses efforts sur ses dispositifs techniques mutualisés au bénéfice de l’ensemble de la communauté du renseignement.

L’année 2021 voit en outre se poursuivre les efforts dans le domaine immobilier, avec une nouvelle étape à franchir pour la menée des projets nécessaires aux ambitions stratégiques de souveraineté fondant les trajectoires de programmation militaire.

B.   La direction du renseignement et de la sécurité de défense poursuit sa mission de protection

La mission de la DRSD couvre la sécurité du personnel, des informations, des matériels et des installations de défense sensibles ainsi que la fonction d’expert défense au profit des armées et de la BITD. Sous les ordres de la ministre des Armées, elle participe au Conseil national du renseignement (CNR) autour du président de la République. La dotation budgétaire de la DRSD connaît une baisse de 14,6 % en AE et une hausse de 12,6 % en CP pour atteindre respectivement 19,97 et 18,44 millions d’euros dans le PLF pour 2021.

Ce besoin de protection de la sphère défense conduit la DRSD à monter en puissance rapidement pour se transformer et se moderniser en un service de renseignement de temps de crise durable. Cette transformation s’appuie sur des investissements significatifs, notamment pour acquérir des outils de contre-ingérence efficaces et innovants. À cette fin, la DRSD poursuivra en 2021 le développement de sa nouvelle base de souveraineté qui permettra de stocker et d’exploiter le renseignement à partir d’une solution logicielle purement nationale. En outre, pour fluidifier le processus d’habilitation, des outils d’aide à la décision seront mis en place en 2021. Enfin, pour assurer sa montée en puissance, la DRSD maintiendra un plan d’équipements en moyens techniques pour la direction centrale et les échelons déconcentrés sur le territoire national et à l’étranger.

En outre, la DRSD assure, depuis 2017, l’instruction de l’habilitation de l’ensemble des sous-traitants de la direction des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), ce qui représente une charge de travail considérable. Une part des crédits sera employée au développement de capacités d’aide à la décision en lien avec le système d’information « synergie pour l’optimisation des procédures d’habilitation des industries et de l’administration » (SOPHIA) qui assure le traitement des demandes d’habilitation.

Enfin, la DRSD poursuit la transformation de sa structure et de son fonctionnement, qui s’appuie sur une modernisation de ses moyens techniques et une augmentation de ses effectifs.

IV.   L’orientation et la conduite de la diplomatie de dÉfense

La DGRIS assure le pilotage et la coordination de l’action internationale du ministère des Armées en matière de relations bilatérales avec les États étrangers et contribue à la définition des positions de la France au sein des organisations internationales en matière de défense. Elle valide les plans de coopération et coordonne les instructions aux attachés de défense et aux représentations militaires et de la défense auprès des organisations internationales. Dans le cadre de son action internationale, la DGRIS est chargée de définir la stratégie d’influence du ministère, d’identifier les postes à pourvoir à l’étranger, d’assurer les liaisons du ministère avec les missions de défense et les représentations militaires et de la défense françaises à l’étranger, ainsi qu’avec les attachés de défense étrangers en France.

Les crédits de l’action 8 « Relations internationales et diplomatie de défense » dans le PLF pour 2021 sont en très légère hausse par rapport à la LFI pour 2020. Ils s’élèvent à 40,3 millions d’euros en AE et 40,7 millions d’euros en CP, en hausse de 0,9 % et de 1,7 % par rapport à la LFI pour 2020.

Outre les postes budgétaires majeurs que sont la contribution versée à Djibouti et la contribution française au budget administratif de l’AED, évoqués ci-après, le périmètre de l’action 8 comprend :

– la mise en œuvre de la diplomatie de défense et du réseau d’attachés de défense ;

– la contribution aux actions de coopération bilatérales et multilatérales dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes ;

– l’organisation du forum de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique ;

– la contribution française au centre européen d’excellence sur les menaces hybrides mis en place en Finlande le 11 avril 2017 ;

– et le financement d’un expert français associé au sein du Bureau de la représentation spéciale du Secrétaire général des Nations Unies sur les violences sexuelles dans les conflits.

A.   La contribution française versÉe au gouvernement de Djibouti

La France est redevable d’une contribution annuelle forfaitaire de 30 millions d’euros au gouvernement de la République de Djibouti en compensation de l’implantation des Forces françaises à Djibouti (FFDJ) sur son territoire, conformément au traité de coopération en matière de défense signé en 2011 et entré en vigueur en 2014.

Les effectifs des FFDJ ont augmenté en 2020 et une légère et progressive augmentation des effectifs des FFDJ est prévue en 2021. L’objectif est double :

– renforcer la capacité des FFDJ en reconnaissance et investigation, tout en s’approchant des standards d’organisation des unités blindées françaises qui arment par rotation ces postes ;

– et renforcer la sécurité de la base aérienne dans un contexte de menace terroriste avérée.

La ressource programmée en 2021 est de 26,70 millions d’euros.

Évolution de la contribution FRANÇAISE versÉe À Djibouti

(en millions d’euros)

2015

2016

2017

2018

2019

2020 (p)

2021 (p)

Montant exécuté

19,00

26,17

25,50

25,84

26,14

26,44

26,70

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

B.   L’Évolution du budget de l’agence europÉenne de dÉfense

L’AED tient une place importante dans le paysage institutionnel de l’Europe de la défense, notamment en tant qu’agence des États membres. Elle sera amenée à jouer un rôle clé dans la mise en œuvre du Fonds européen de défense (FEDef), notamment pour le recueil du besoin capacitaire et la gestion de certains projets de recherche. Il s’agira notamment de faire converger les priorités des États membres et d’identifier des opportunités de coopération dans le cadre du processus de priorisation capacitaire dirigé par l’AED. L’objectif, en développant entre Européens des capacités communes, est de renforcer l’autonomie stratégique européenne, en particulier son volet industriel et technologique.

Le budget de l’AED est déterminé dans un cadre de planification triennal, arrêté par son comité directeur. Ce cadre fixe les priorités de l'agence dans les limites du budget général, étant entendu que les valeurs financières attribuées à la deuxième et à la troisième année du cadre de planification ne le sont qu'à des fins de planification et ne constituent pas des plafonds juridiquement contraignants. Une estimation préliminaire du projet de budget général pour l'année suivante est transmise au comité directeur, au plus tard le 31 mars de chaque année, par le directeur exécutif de l'agence qui en propose une version révisée audit comité, avec le projet de cadre de planification triennal, au plus tard le 30 juin.

La France verse sa contribution suite à la notification du budget par l’AED, ce qui explique une marge d'évolution possible entre le montant programmé et le montant exécuté. En effet, le comité directeur, statuant à l'unanimité, arrête le projet de budget général avant le 31 décembre de chaque année. Le directeur exécutif de l’agence notifie ensuite le budget aux États membres participants.

Le montant du budget de l’AED a été relativement stable de 2010 à 2017 (oscillant autour de 31 millions d’euros par an) et les contributions françaises à l'agence se sont établies autour de 4,5 millions d’euros, ne fluctuant que sous l’effet de l’évolution du poids relatif de la richesse nationale, qui sert de clé de répartition pour le calcul des contributions.

Les années 2018, 2019 et 2020 ont été marquées par une augmentation du budget de l’AED. Ainsi, le budget est passé de 31,2 millions d’euros en 2017 à 32,5 millions d’euros en 2018, puis à 34,1 millions d’euros en 2019 et enfin à 36,5 millions d’euros en 2020. L’AED justifie cette augmentation par ses missions de soutien au FEDef et d’aide apportée aux États membres, notamment dans la mise en œuvre du Strategic Context Cases (SCC), de l’Overarching Strategic Research Agenda (OSRA) et de la coopération structurée permanente (CSP).

La contribution française au budget de l’AED dans le PLF pour 2021 s’établit à 6,60 millions d’euros.

Évolution deS contributionS FRANÇAISES AU BUDGET DE L’AED

(en millions d’euros)

2015

2016

2017

2018

2019

2020 (p)

2021 (p)

Montant exécuté

4,62

4,31

4,55

4,71

5,04

5,40

6,60

Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

Le montant programmé au PLF pour 2021 est calculé sur une projection de la part française basée sur le budget préliminaire 2021 transmis en 2020 par le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, estimé à 37,5 millions d’euros, soit une augmentation de 1 million d’euros par rapport à 2020.

L’essentiel de l’augmentation correspond à des dépenses de personnel et de fonctionnement en lien avec les nouvelles missions de l’agence dans la préparation du programme de développement industriel de défense et la mise en place d’un système d’information classifié au sein de l’agence.

L’augmentation de la contribution française s’explique également par le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, qui devrait intervenir le 31 décembre 2020.


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   Deuxième partie :

Mieux préparer l’avenir

La survenance de la crise de la Covid-19 a posé la question de la capacité de l’État à anticiper les risques auxquels il peut être confronté. Des critiques ont émergé dès le début de la crise sur le manque d’anticipation des services de l’État face au risque pandémique qui avait pourtant été annoncé dans de nombreux travaux de prospective tant en France qu’à l’étranger. Le rapporteur pour avis a donc souhaité se pencher sur les outils dont dispose l’État pour anticiper les crises, mission au cœur du programme 144.

I.   Prospective, anticipation, planification politique : éléments de définition

1.   La prospective

L’élaboration d’une politique de défense française cohérente nécessite en amont une analyse actualisée et prospective de l’environnement international dans lequel la France évolue, ainsi que des facteurs déterminant la nature et la forme des menaces et des vulnérabilités futures. La prospective de défense offre ainsi un cadre à la planification militaire. Elle doit par ailleurs permettre d'élargir l'angle de vue de décideurs dont la gestion du quotidien restreint le champ des possibles imaginables. L’horizon temporel de la prospective est d’au moins 2 ans et peut s’étendre jusqu’à 30 ans.

L'évaluation de l'environnement futur couvre les domaines géostratégique et géopolitique, technologique et capacitaire. Il doit permettre de définir l'outil militaire le mieux adapté et se situe en amont de l’équipement et de l’emploi des forces. Cette démarche prospective repose sur trois approches :

– géostratégique et géopolitique : pilotée par la DGRIS, en coopération avec l’EMA et la DGA, elle analyse les grandes tendances et les ruptures potentielles du contexte international ;

– technologique : conduite par la DGA avec la participation de l'EMA et de la DGRIS, elle définit les priorités technologiques et les solutions possibles pour l'élaboration des systèmes d'armes. Elle s'appuie notamment sur les études amont ;

– et capacitaire : menée par l'EMA et la DGA, elle précise les capacités militaires nécessaires pour faire face aux menaces, en se fondant notamment sur le retour d'expérience des conflits et exercices majeurs, mais aussi l’anticipation de nouveaux besoins militaires et du renouvellement capacitaire.

Le rapporteur pour avis a entendu, dans le cadre de son rapport, restreindre son acception de la prospective à la première approche, c’est-à-dire à la prospective géostratégique et géopolitique.

2.   L’anticipation

Bien que souvent perçus comme synonymes, et contrairement à la prospective, l’anticipation est plus limitée dans le temps. Elle désigne les travaux de prévision qui s’étendent sur une période allant de 6 mois à 2 ans et portent, en général, sur des sujets moins globaux. À titre d’exemple, une étude portant sur les conséquences géopolitiques à court terme d’un événement de nature politique, économique, social ou sanitaire ne saurait être qualifié de travail prospectif mais plutôt d’anticipation.

3.   La planification stratégique

La planification stratégique s’étend sur une période de temps encore plus restreinte que l’anticipation. Elle ne dépasse guère 6 mois et s’applique davantage aux domaines qui, contrairement au domaine militaire, se prêtent mal aux exercices de prospective à très long terme. Dans le domaine des affaires étrangères, on mène plus souvent des travaux de planification stratégique (policy planning) que des travaux de prospective, même si ceux-ci peuvent exister. La planification politique porte également sur des domaines moins globaux que l’anticipation et, a fortiori, la prospective. Tandis que le domaine militaire exige une planification dans le temps long liée, par exemple, aux délais nécessaires au développement et au cycle de vie de certains équipements, le domaine des affaires étrangères privilégie les horizons plus rapprochés. Les travaux de policy planning ont pour double caractéristique de proposer une analyse stratégique mais également de dresser des recommandations opérationnelles ; et à cet égard, il ne s’agit pas de travaux de recherche pure.

II.   Les principaux acteurs de la prospective et de la planification politique en France et en Europe

1.   La Direction générale des relations internationales et de la stratégie

La DGRIS est l’acteur principal du ministère des Armées en matière de prospective. Dans le cadre de sa création en 2015, le développement de la direction de la stratégie de défense, de la prospective et de la contre-prolifération (DSPC) a été en partie fondé selon une logique de « think tank interne » au ministère des Armées, dans lequel sont associés des militaires en poste pour des périodes de 2 ou 3 ans et des universitaires aux profils rares en poste pour une période maximale de 6 ans.

La DGRIS est organisée en directions régionales, qui travaillent sur des pays comme la Russie ou la Chine, et comporte une direction plus « technique », la DSPC, qui aborde les menaces comme le terrorisme, mais aussi les thèmes comme le nucléaire ou la défense anti-missile. La DGRIS travaille en particulier avec les états-majors et les services de renseignement qui lui fournissent des informations sur des sujets technico-opérationnels. En somme, la DGRIS a pour rôle de faire converger les informations émanant des services du ministère des Armées dans tous les domaines pour en fournir une vision de nature politico-militaire, analytique et synthétique.

Les travaux de prospective de la DGRIS commencent à 2 ans et peuvent aller jusqu’à 30 ans mais ils se concentrent pour l’essentiel sur un horizon de 5 à 10 ans. La DSPC établit des scénarios d’évolution à dimension politico-stratégique sur des sujets capacitaires ou des sujets plus transverses comme les stratégies énergétiques, les religions ou les questions migratoires et démographiques. Les travaux de prospective se destinent à la fois au cabinet de la ministre des Armées mais également à l’ensemble des services du ministère des Armées, avec lesquels la DGRIS travaille étroitement, et en particulier avec l’EMA.

La DGRIS externalise la production de certaines études auprès de think tanks. Outre l’intérêt spécifique de ces productions externes, il s’agit également de contribuer au soutien de la recherche stratégique nationale, ainsi qu’à son rayonnement international. Le choix des sujets retenus pour les observatoires, les consultances, les EPS et les contrats-cadres – évoqués dans la première partie du présent rapport – se fait d’abord en fonction des besoins exprimés par l’ensemble des organismes du ministère des Armées représentés au sein du Comité de cohérence de la recherche stratégique et de la prospective de défense (CCRP) qui a notamment pour mission d’établir une programmation annuelle et d’assurer l'animation et la mise en cohérence de la démarche prospective du ministère des Armées. La délibération, à l’issue de laquelle un programme est arrêté, se fait de manière collégiale entre tous les membres du comité. Les thèmes d’étude font l’objet d’un appel à expressions de besoins chaque été, auprès de l’ensemble des organismes du ministère, donnant lieu à une programmation consolidée par le CCRP pour l’année n+1. Au cours des dernières années, un effort conséquent a été réalisé afin de rationaliser ce processus, d’encourager les mutualisations et approches croisées et, partant, d’éviter les doublons. Les travaux rendus sont ensuite, pour la plupart, publiés sur le site internet de la DGRIS.

2.   L’Institut de recherche stratégique de l’École militaire

Créé en 2009, l’IRSEM est un organisme extérieur de la DGRIS, sous la tutelle de laquelle il se trouve. Il réalise des études au profit non seulement de la DGRIS mais aussi des autres directions et services du ministère des Armées. Si l’IRSEM n’est pas explicitement focalisé sur des travaux de prospective (il définit son objet comme relevant plutôt de l’analyse stratégique), il inclut aussi cette dimension dans ses travaux et, pour cette raison, est plus spécifiquement rattaché à la DSPC de la DGRIS.

En dépit de son rattachement à la DGRIS et de son financement exclusif par le ministère des Armées, l’institut est indépendant sur les plans intellectuel et éditorial : le ministère des Armées ne relit pas ses travaux de recherche avant publication et les découvre en même temps que le grand public. La liberté dont jouit l’IRSEM, qui s’autosaisit à hauteur de 80 % de ses travaux, lui permet non seulement de choisir ses propres sujets mais aussi de s’intéresser à des sujets auxquels le ministère des Armées n’a pas nécessairement pensé.

Le domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides », créé le 1er septembre 2020, rassemble des recherches portant sur la fonction stratégique « connaissance et anticipation » mise en avant par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Il a donc d’abord pour ambition de contribuer à une compréhension plus fine du renseignement entendu dans son acception la plus large, c’est-à-dire comme information, processus, activité et organisation. Il aspire à concourir à la consolidation des démarches analytiques, notamment dans le champ de l’anticipation. Enfin, il travaille au renforcement du caractère hybride de l’IRSEM en diffusant des notes se situant à l’intersection de la recherche académique et de l’analyse de renseignement en sources ouvertes. Il travaille également sur les différentes dimensions de la guerre dite « hybride », en particulier les manipulations de l’information.

3.   L’état-major des armées

a.   Le pôle Prospective et stratégie militaire

Animée par le pôle Prospective et stratégie militaire (PSM), la démarche prospective de l’EMA a pour objectif d’éclairer l’avenir et d’étudier le champ des possibles dans les domaines des opérations, de l’organisation générale, des capacités et des relations internationales militaires. Elle identifie les opportunités à saisir et les risques à prendre en compte afin d’orienter la stratégie militaire générale. Le pôle PSM est constitué de 8 personnes et est rattaché à la division « études, stratégies et management général » (ESMG) de l’EMA. Il est positionné à proximité du Major général des armées (MGA), qui seconde et supplée le chef d’état-major des armées (CEMA) dans l’exercice de ses attributions, ainsi que des sous-chefs d’état-major de l’EMA. Il constitue également le point de contact de l’EMA avec la DGRIS. Le pôle PSM adresse par ailleurs au MGA des notes de synthèse sur des sujets d’intérêt stratégique. Enfin, il assure le pilotage des travaux prospectifs qui se concrétisent par le groupe d’anticipation stratégique (GAS) pour l’anticipation et par le groupe d’orientation de la stratégie militaire (GOSM) pour la prospective.

Le pôle PSM décline les sujets stratégiques selon deux volets :

– la géostratégie, qui recouvre l’évolution de la conflictualité et des grands équilibres mondiaux, les stratégies militaires opérationnelles qui en découlent ainsi que les architectures de sécurité internationales et les relations internationales militaires. Dans ce domaine, les travaux du pôle PSM ne sont pas redondants avec ceux menés par la DGRIS dans la mesure où le pôle s’intéresse plus spécifiquement aux implications opérationnelles de la géostratégie ;

– et les stratégies sectorielles, qui désignent l’ensemble très vaste des sujets à enjeux forts pour le ministère des Armées et qui recouvrent, à titre d’exemple, les LPM, les questions de ressources humaines, le développement durable, l’innovation, les impacts du numérique sur les armées ou encore les enjeux relatifs au service national universel (SNU).

b.   Le groupe d’anticipation stratégique

Le GAS a pour rôle d’identifier et d’analyser les événements et les évolutions à horizon de 6 mois à 2 ans pouvant mener à des scénarios de dégradation de l’engagement des forces françaises sur le territoire national (TN) ou à l’extérieur. L’objectif est de permettre au CEMA de fixer ses priorités dans le domaine opérationnel en termes de planification, de capacités militaires et de soutien aux opérations. Il s’agit également de hiérarchiser les efforts dans le domaine du renseignement. Pour cela, le GAS s’appuie sur les analyses de la DGRIS, du MEAE, de la Direction du renseignement militaire (DRM), du Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations (CICDE) ou encore de la DGA, mais aussi les travaux des think tanks et les revues spécialisées nationales et internationales.

Le GAS se réunit en plénière deux fois par an, sous la présidence du CEMA et en présence de ses grands subordonnés ainsi que de la DGRIS. Au cours de cette réunion plénière, le GAS expose son analyse sur l’évolution des principales menaces et présente des scénarios de rupture. À titre d’exemple, en matière de renseignement, le GAS définit précisément les cinq pays dits « P0 », qui méritent une attention prioritaire puis présente ensuite trois scénarios d’évolution possibles du contexte stratégique :

– un scénario à forte probabilité ;

– un scénario estimé comme le plus dangereux pour les intérêts nationaux ;

– et un scénario de rupture.

Le GAS peut enfin lancer des études sous forme d’observatoires sur des thématiques d’intérêt pour l’EMA.

c.   Le groupe d’orientation de la stratégie militaire

En complément au GAS, le GOSM porte un regard plus lointain et ne se focalise pas exclusivement sur les enjeux opérationnels. Il vise à éclairer le CEMA sur les grandes tendances qui se dessinent à un horizon de 10 ou 15 ans. Le GOSM réfléchit à la survenance de scénarios inédits pour le ministère des Armées comme, par exemple, une crise des ressources hydriques ou une évolution sociologique entraînant des conséquences sur le recrutement dans les armées.

Le GOSM se réunit également deux fois par an en séances plénières, auxquelles sont invitées la DGA, la DGRIS, la DAJ ou encore la Direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRHMD). Tout comme le GAS, le GOSM peut lancer des études sous forme d’observatoires qui durent 3 ans sur des thématiques d’intérêt pour le ministère des Armées.

4.   La Direction générale de la sécurité extérieure

En tant que service de renseignement à vocation interministérielle, la prospective ne constitue pas le cœur des missions de la DGSE. Ses services sont néanmoins sollicités au sein de la DGSE pour aider cette dernière à inscrire ses missions dans un futur plus ou moins proche. Tandis que le renseignement se situe davantage dans un temps moyen, la prospective est dans le temps long. La DGSE distingue donc le renseignement et l’anticipation d’une part, qui relèvent du moyen terme, et la prospective d’autre part, qui relève du temps long, même s’il s’agit de fournir le même effort intellectuel pour tenter de discerner ce qui adviendra dans un avenir plus ou moins lointain à partir de prémisses et de tendances perceptibles pour éclairer les décideurs politiques. Par ailleurs, la prospective se distingue de l’anticipation pratiquée par les services de renseignement dès lors qu’elle envisage des scénarios disruptifs.

Cependant, la direction de la stratégie de la DGSE dispose d’une cellule de prospective, créée en 2014. Ce service a pour rôle d’entretenir un lien avec le monde académique, selon des règles particulières, et de produire des notes à usage interne en mettant en œuvre des méthodes d’analyse prospective. Elle peut construire des scénarios à partir de signaux faibles ou avoir une démarche purement intellectuelle en imaginant des scénarios spéculatifs qui ne reposent pas sur des tendances perceptibles.

En ce sens, la cellule de prospective de la DGSE doit être, selon la DGSE, « un adjuvant de la démarche centrale de renseignement » en interne : son rôle est de « challenger » les autres services de la DGSE en les exposant à des scénarios disruptifs. L’entité dédiée à la prospective a également pour mission de capter la connaissance issue du monde académique, sans pour autant « développer une forme d’expertise » : ses membres sont des « penseurs polyvalents de prospective, qui essaient d’imaginer des choses ».

5.   Le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Contrairement aux services du ministère des Armées, le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du MEAE essaie certes de prévoir les évolutions géopolitiques mais il ne fait pas de prospective. Il fait davantage de la planification politique, sans que ce travail ait le caractère systématique de la planification militaire. Le ministère des Armées est le ministère – hors MEAE – avec lequel le CAPS travaille le plus. En sus des échanges fréquents, ce travail en commun se fait notamment dans des cadres interministériels, via la participation aux exercices de gestion de crise du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et la représentation dans les comités de rédaction des livres blancs depuis 2008 (notamment dans le comité de rédaction de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017). Le CAPS travaille notamment avec la DGRIS, mais pas uniquement pour des travaux de prospective, ou avec l’IRSEM avec lequel il a publié un rapport intitulé Les Manipulations de l’information en 2018 qui comprend une partie de prospective.

Le CAPS est également en contact avec des think tanks, des centres de recherche, des structures homologues à la sienne à l’étranger ou avec des ONGs, avec lesquels ils peuvent organiser des réunions ou auprès desquels ils peuvent commander des notes. Il peut aussi participer à des rencontres informelles avec des chercheurs ou d’autres interlocuteurs. Le MEAE ne dispose cependant pas des outils dont dispose le ministère des Armées tels que les EPS ou les observatoires, notamment pour des raisons budgétaires.

Le CAPS fait partie de plusieurs réseaux internationaux de policy planners, tels que celui de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ou celui de l’UE. Le CAPS travaille en particulier avec son homologue en Allemagne et effectue des analyses conjointes avec celui-ci. Le CAPS entretient également des relations avec d’autres services homologues, comme celui du Département d’État des États-Unis. Il entretient enfin des relations avec les structures homologues des États européens, y compris dans des formats collectifs comme avec les membres du groupe de Visegrád.

6.   Les think tanks

a.   L’Institut de relations internationales et stratégiques

L’IRIS a la particularité d’être à la fois un centre de recherche et une école de relations internationales. Sans disposer d’une cellule dédiée à la prospective, dans la mesure où l’IRIS est en partie financé par des subventions publiques, il peut être amené à rendre des travaux qui comprennent parfois des parties prospectives.

L’IRIS souhaite rendre accessible les questions de relations internationales et stratégiques par l’organisation de colloques et d’événements publics tels que :

– « Les Géopolitiques de Nantes », rendez-vous annuel proposant des tables rondes en présence d’une soixantaine de conférenciers pour décrypter les défis stratégiques auxquels le monde est confronté ;

– « Les Entretiens européens d’Enghien », colloque annuel proposant des tables rondes sur l’Europe ;

– ou « Les Internationales de Dijon », en partenariat avec Radio France internationale (RFI), France Médias Monde et France 24, qui propose des conférences et des débats autour des enjeux géopolitiques.

Contrairement à d’autres instituts, l’IRIS est contraint par la nécessité de trouver des financements pour mener ses travaux. Ceux-ci proviennent principalement des appels d’offres du ministère des Armées ou de la Commission européenne et, dans une moindre mesure, du MEAE. L’IRIS est cependant bien classé en termes de contrats notifiés avec la DGRIS : 6 contrats ont été remportés en 2018, au même rang que la CEIS. L’institut peut également être amené à répondre à des consultances. Il dispose d’une convention annuelle avec la DGA qui consulte l’institut sur des questions relatives à l’industrie de défense. L’IRIS produit enfin des policy papers dans le cadre d’un consortium européen intitulé Arms Industry European Research Group (ARES Group), ce qui lui permet de travailler avec des centres européens de recherche équivalents au sien.

L’IRIS a également des relations avec des centres de recherche français mais celles-ci ne sont pas institutionnalisées. Des chercheurs issus d’autres centres de recherche sont régulièrement invités aux événements organisés par l’institut, tant par souci de dialogue mutuel et d’esprit de contradiction que par nécessité car l’IRIS n’est pas compétent sur toutes les questions de géopolitique qui peuvent lui être soumises. Au niveau européen, les contacts se font souvent de manière informelle et à l’occasion de colloques internationaux, mais comme au niveau national, aucune structure ne permet de coordonner les différents centres de recherche européens.

b.   L’Institut français de relations internationales

Créé en 1979 sur le modèle des think tanks anglo-saxons, l’Ifri est un institut de recherche et de débat consacré à l’analyse des questions internationales et de gouvernance mondiale. La recherche policy oriented de l’Ifri a pour mission d’éclairer et de mettre en perspective les grands événements internationaux. Elle s’adresse prioritairement aux décideurs politiques et économiques, aux milieux académiques ainsi qu’aux représentants des sociétés civiles. L’Ifri privilégie l’analyse et la prévision sur les affaires européennes et internationales, à travers une approche multidisciplinaire qui combine les niveaux local, national et global. Les travaux et débats de l’Ifri trouvent écho dans deux publications de référence – la revue trimestrielle Politique étrangère et le rapport annuel RAMSES – ainsi que dans une série de collections numériques.

En ce qui le concerne, l’Ifri a fait le choix au milieu des années 2000 de réduire sa dépendance aux appels d’offres, qui ne permettent pas de créer des équipes permanentes, pour donner la priorité au mécénat, qui permet, selon lui, de bénéficier de plus de flexibilité.

c.   La Fondation pour la recherche stratégique

La FRS comprend 33 personnes employées de manière permanente, dont environ 20 chercheurs permanents qui ont pour caractéristique d’être sur des contrats à durée indéterminée, et également 50 chercheurs associés. La FRS recrute des chercheurs qui ont une spécialité qu’ils souhaitent approfondir sur le long terme au sein de la fondation. À cet égard, les relations de la FRS avec la DGRIS l’ont aidé à construire une relation de long terme avec ses chercheurs grâce au caractère pluriannuel des observatoires. La FRS est attentive, lors de ses recrutements, aux profils originaux qui s’intéressent à un sujet qui n’est pas couvert par la fondation et qui développent une approche originale. La FRS est également attentive aux profils qui ne se destinent pas initialement à la recherche mais qui veulent travailler pour la fondation.

Le cœur de métier de la FRS est la production d’études. La FRS est le centre qui produit le plus d’études à destination de l’administration dans ses domaines de spécialité que sont les enjeux de défense et de sécurité. Le partenaire principal de la fondation est le ministère des Armées, qui représente 50 % de ses revenus, à destination de services comme la DGRIS ou la DGA. Mais la fondation est également ouverte à d’autres acteurs : des institutions européennes, des industriels ou des institutions publiques variées. À la différence de l’Ifri, la FRS est d’abord structurée selon des domaines de compétence thématiques et non régionaux, sans que les différents services qui composent la fondation ne soient pour autant séparés sur le plan organique ou budgétaire en fonction des domaines de compétence. Cependant, trois zones géographiques font l’objet d’un intérêt prononcé : l’Asie, la Russie et le Moyen-Orient.

Outre le ministère des Armées, la FRS contractualise également avec le CEA ou le CNES, qui relèvent du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ou avec le CAPS qui lui verse une subvention annuelle en contrepartie de la menée de travaux.

7.   La division de la planification stratégique du Service européen d’action extérieure de l’Union européenne

La division de la planification stratégique du SEAE est une structure hybride qui fait à la fois de la prospective et de la planification opérationnelle. Évoquée dès l’acte de création du SEAE par le Conseil de l’UE, la volonté des créateurs de cette division était de doter les institutions européennes d’une structure similaire au CAPS du MEAE.

La division de la planification stratégique a quatre fonctions génériques :

– le soutien à l’exécutif de l’UE, qui se matérialise par des travaux de veille pour le secrétaire général et le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la préparation de briefings, d’éléments de langage et de discours ;

– le policy planning, qui se concrétise par l’insertion de la division dans plusieurs processus opérationnels afin de favoriser la formulation des politiques. Des exercices de détection de tendances ou de ruptures et des exercices de remise en question des prismes d’analyse des politiques étrangères sont effectués à cette fin. La division édite également des policy papers à la seule destination de l’exécutif européen sur des sujets inscrits six mois ou un an à l’avance ou sur des sujets émergents qui ne sont pas encore intégrés dans la politique étrangère de l’UE et/ou de ses États membres ;

– le foresight, c’est-à-dire la prospective et la capacité d’analyse, à l’intersection de différents services qui travaillent sur différentes formes de prévision ;

– et la diplomatie publique et le travail en réseau avec la communauté des think tanks, les policy planners des États membres de l’UE, les dialogues bilatéraux avec les policy planners des pays tiers et la participation du SEAE aux conférences publiques ou privées.

8.   L’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne

L’Institut d’études et de sécurité de l’Union européenne (IESUE) est une agence de l’UE intégralement financée par les États membres et intégrée à l’UE en 2001. Son rôle est de fournir des analyses en matière de politique de défense et de politique étrangère ainsi que de mener des travaux de prospective. Les travaux de l’institut comprennent toujours une forte dimension de prospective, et à cette fin, il élabore systématiquement des scénarios de crises potentielles à forts impacts. Il participe également aux travaux de prospective élaborés dans le cadre du réseau « European Strategy and Policy Analysis » (ESPAS) qui fédère les acteurs de l’analyse stratégique et de la prospective à l’échelle de l’UE. L’institut produit des documents qui ne se concentrent pas uniquement sur les scénarios qui peuvent se produire mais qui apportent aussi des réponses aux mesures qui doivent être prises en cas de survenance d’un des scénarios. Les publications de l’Institut qui traitent des enjeux de sécurité pour l’UE sont appelées « Chaillot Papers ».

La sélection des sujets par l’Institut se fait d’abord par ses chercheurs. Ces derniers présentent les thèmes qui mériteraient, selon eux, de faire l’objet de travaux, afin que ceux-ci soient soumis au SEAE pour validation puis au conseil d’administration de l’institut ; ce dernier ayant aussi le droit de conseiller ou de suggérer des sujets. L’Institut bénéficie d’une liberté académique inscrite dans ses statuts mais qui doit être appréciée à la lumière des centres d’intérêt de l’UE et qui doit aboutir à une meilleure compréhension des enjeux relatifs aux politiques étrangère et de défense de l’UE. Le but est de travailler sur des sujets dont l’institut estime qu’ils présentent un intérêt pour l’UE mais que cette dernière sous-estime ou ne considère pas.

Les horizons temporels d’étude sont fixés librement par l’institut, qui sont de deux ordres :

– un horizon court pour les travaux relatifs à la politique étrangère, qui ne dépasse pas un an ;

– et un horizon plus long pour les travaux relatifs aux politiques de défense, qui dépasse souvent les 10 ans, sachant que l’horizon temporel dans les Chaillots Papers ne dépasse généralement pas les deux ans.

III.   les services de l’État doivent-ils produire des Études publiques de prospective ?

1.   Un nombre très limité d’études publiques de prospective

Contrairement à ce qu’on pourrait croire de prime abord, en France, peu de documents de prospective sont édités par les services de l’État. L’exercice est particulièrement difficile, et notamment eu égard au contexte international dans lequel, selon la DGSE, « la surprise stratégique est devenue la règle », contrairement à l’époque de la Guerre froide où « tout était codé et prévisible ». Les équilibres internationaux mutent, les technologies évoluent rapidement et la crise de la Covid-19 a bouleversé les rapports de puissance. Les deux derniers livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et 2013 et la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 ont donné une impulsion en matière de prospective de défense en consacrant la prévalence de l’incertitude comme caractéristique principale de l’environnement stratégique. Le besoin de valoriser la connaissance et l’anticipation comme fonction stratégique est destiné à atténuer les effets de l’incertitude et à faire mûrir une prise en compte en amont des sujets stratégiques. Les livres blancs et la revue stratégique conditionnent ainsi clairement la définition d’une stratégie de sécurité cohérente à la capacité de mettre en œuvre un cycle prospectif permanent et recommandent d’adopter une démarche large, fondée sur une approche globale au niveau des thématiques et des acteurs.

Si des États comme les États-Unis ou le Royaume-Uni publient des documents de prospective pure, en France, à part la première partie de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 et quelques articles faits par des think tanks, le grand public ne dispose pas de document de prospective internationale librement consultable. Par ailleurs, les documents de prospective produits par les États-Unis ou le Royaume-Uni sont transversaux et se focalisent sur des aires géographiques dépassant largement le cadre national. A contrario, le caractère unidimensionnel de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 était annoncé et procédait de la commande même, par le président de la République et pour le ministère des Armées. Elle n’avait pas la vocation interministérielle des livres blancs de 2008 et 2013 et ne se proposait pas de dresser un panorama des menaces globales qui pèsent sur le monde.

2.   Des études de prospective contraintes par leur caractère public : l’exemple de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017

Le comité de rédaction de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 était composé de 18 membres permanents, dont les profils étaient variés mais qui étaient tous issus du secteur de la défense : le CEMA, les chefs d’état-major des trois armées, la secrétaire générale pour l’administration (SGA), le directeur général des relations internationales et de la stratégie qui était également le secrétaire général du comité de rédaction, des chercheurs, des industriels ou des personnes issues d’autres institutions comme le CEA.

À cette occasion, de nombreuses personnes ont été auditionnées, y compris des personnes issues d’horizons différents de celui du ministère des Armées comme des représentants du ministère de l’Intérieur, de think tanks ou du monde scientifique. De manière schématique, le comité a procédé à :

– des auditions plénières, qui duraient entre 1 h 30 et 2 h ;

– des entretiens bilatéraux menés par M. Arnaud Danjean, président du comité de rédaction, de manière indépendante, ce qui lui a permis de rencontrer des chercheurs, des journalistes ou des praticiens (militaires ou diplomates retirés de la vie active) qui avaient une vision et une expertise originales.

L’étude la plus pertinente réalisée en France en matière de prévision sur les risques sanitaires, d’un point de vue sécuritaire, a été le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Ce document comportait un passage précis sur le risque pandémique à horizon de 15 ans. Ce risque a également été mentionné dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 mais l’objectif de ce document était de traiter des conséquences des risques sur les armées, ce qui explique qu’il ait été moins précis que le livre blanc de 2008.

EXTRAIT DE LA REVUE STRATÉGIQUE DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ NATIONALE DE 2017 SUR LE RISQUE SANITAIRE

L’accroissement de la mobilité de la population favorise l’extension des aires de diffusion de certaines maladies, ainsi que la propagation rapide et à grande échelle de virus à l’origine d’épidémies diverses (syndrome respiratoire aigu sévère – SRAS). Le Service de santé des armées (SSA) et ses capacités de recherche sont ainsi régulièrement mobilisés pour faire face à ce type de situation. La dernière épidémie d’Ebola survenue en 2014-2016 dans des pays fragiles d’Afrique de l’Ouest a démontré combien la densification des flux pouvait compliquer le confinement des grandes crises sanitaires, au point de devoir faire appel à la communauté internationale.

Le risque d’émergence d’un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou échappant à un laboratoire de confinement est réel. De même, l’interconnexion des filières alimentaires génère des risques sur la santé humaine et offre un terrain propice à d’éventuelles actions « agro-terroristes ». Plus grave encore, la diffusion des biotechnologies pourrait permettre à des groupes terroristes de conduire des attaques biologiques sophistiquées.

Ainsi, même si la première partie de la revue comportait une dimension de prospective, et notamment sur le risque pandémique, il ne s’agissait pas d’un travail de prospective à proprement parler : la partie relative à l’évolution du contexte international n’était pas la partie centrale de la revue, dont l’objectif premier était de préparer la LPM 2019-2025.

Interrogés sur la quasi-absence de documents de prospective émanant des services de l’État et du caractère relativement réduit de la partie consacrée aux risques dans la revue stratégique, les personnes auditionnées ont toutes soulevé la nécessité de garder à l’esprit que ces documents étant publics, ils peuvent être lus par des compétiteurs qui, en les lisant, peuvent disposer d’informations leur conférant un avantage tactique. Ainsi, comme l’a indiqué M. Arnaud Danjean lors de son audition, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 a fait l’objet de nombreuses réunions au cours desquelles des débats ont eu lieu sur l’opportunité et la manière d’évoquer certains sujets. La rédaction était contrainte par son futur caractère public, ce qui a pu rendre sensible l’évocation de toutes les menaces ou certaines divergences avec des États alliés. Or, une étude prospective dépolitisée, et a fortiori à la seule échelle française, peut nécessiter de développer des analyses pouvant aller à l’encontre des positions françaises officielles. Ainsi, même si le comité de rédaction a pu jouir d’une liberté de parole totale, la rédaction de la revue a nécessité d’emprunter des formulations diplomatiques afin de rendre l’intégralité de son contenu compatible avec les positions internationales de la France.

Tout en ayant conscience de la difficulté liée à la publication de travaux de prospective, le rapporteur pour avis estime qu’un équilibre pourrait être trouvé entre, d’une part, la contrainte de la publicité, et d’autre part la nécessité de développer davantage la première partie de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, dans laquelle les risques sont listés.

3.   Une exception dans le paysage français de la prospective : le rapport Chocs Futurs

Une exception notable dans le paysage français est le rapport Chocs Futurs du SGDSN, publié en 2017. Cette étude prospective à l’horizon 2030 se proposait d’évaluer les impacts des transformations et ruptures technologiques sur l’environnement stratégique et de sécurité de la France. Premier exercice de ce type en France, ce document a été édité pour aider à penser les défis technologiques auxquels la France sera confrontée d’ici 2030 et déterminer les ruptures stratégiques qui en découleront. Il visait à proposer des pistes de réflexion à l’ensemble des acteurs de la communauté stratégique française et alimenter le débat public sur la question.

Une grande partie des personnes interrogées sur ce rapport lors de leurs auditions ont estimé que celui-ci n’a pas été aussi satisfaisant qu’il aurait pu l’être. Certaines ont même remis en cause le principe même de cet exercice, tant celui-ci ne présenterait pas d’intérêt scientifique majeur, pas plus qu’il ne permettrait de déboucher sur des orientations politiques concrètes. Les travaux de cette nature peuvent néanmoins contribuer à sensibiliser une partie des décideurs à certains enjeux émergents, ou même une partie du grand public dès lors qu’on en ferait une publicité plus grande. Par ailleurs, des travaux plus ciblés, comme ceux sur les conséquences de l’intelligence artificielle (IA) sur la stratégie de défense, rentrant concrètement dans les applications, les barrières technologiques et les positionnements des grands acteurs, constituent des outils plus adaptés à la formulation d’une politique publique originale, prenant en compte l’analyse – prévisionnelle et prospective – d’experts du sujet.

En ce qui le concerne, et sans se prononcer sur le fond du rapport Chocs Futurs, le rapporteur pour avis estime que l’initiative d’un tel rapport est bonne. Tout en étant au fait des difficultés liées à un tel exercice, il estime qu’il serait souhaitable que de tels documents, publics, soient édités par les services du ministère des Armées, et en particulier par la DGRIS.

IV.   Des méthodes innovantes en matière de prospective qui devraient être davantage explorées

La question des biais cognitifs revêt une importance capitale en matière de prospective de défense. Ceux-ci sont de deux ordres :

– la tendance à analyser les événements sous un angle de plus en plus pessimiste, en dissertant sur un monde de plus en plus dangereux, une multiplication des menaces ainsi qu’une augmentation et une intensification des conflits, ce qui altère parfois le caractère convaincant des travaux ;

– et l’absence d’estimation des probabilités de survenance des risques évoqués.

Afin de remédier à ces biais, des méthodes innovantes en matière de prospective ont été élaborées, avec des résultats plus ou moins probants.

1.   De la nécessité de poser un regard prudent sur les algorithmes prédictifs

L’analyse prédictive à l’aide d’algorithmes fait souvent l’objet de vues caricaturales, oscillant entre, d’une part, un enthousiasme effréné et irrationnel, et d’autre part, un scepticisme de principe. Cette méthode comprend plusieurs techniques issues des statistiques dont le principe consiste à extraire des connaissances à partir de données présentes pour faire des hypothèses prédictives sur des événements futurs. Dans le secteur économique et financier, des modèles mathématiques permettent d’estimer les risques et les opportunités sur les marchés financiers par l’analyse croisée de plusieurs millions de données pour orienter la prise de décision. Cette méthode est utilisée, par exemple, dans le domaine de l’actuariat, dans les assurances ou dans le domaine de la santé.

Ses apports, parfois intéressants, parfois inadaptés, peuvent présenter un intérêt en matière de prospective, en particulier dans des domaines scientifiques modélisables. Certains centres de recherche français ont déjà recours aux algorithmes prédictifs ou aux services proposés par des entreprises spécialisées dans le traitement massif de données. Par exemple, la FRS a commencé à travailler avec la société Geo4i pour l’analyse d’images satellitaires et a noué un partenariat avec l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (ADIT), qui peut analyser de grosses quantités de publications dans le monde. Néanmoins, faute de budget suffisant, il est souvent difficile pour les centres de recherche d’exploiter suffisamment ces techniques.

D’autres centres de recherche sont nettement plus réservés vis-à-vis des algorithmes prédictifs en matière de géostratégie. L’Ifri assume une position traditionnelle, voire orthodoxe, quant aux algorithmes prédictifs. Les études strictement quantitatives s’appliqueraient mal aux sciences sociales de manière générale et en matière stratégique en particulier. S’il est possible de modéliser des tendances d’évolution grâce aux mathématiques en matière climatique par exemple, cela semble vain dans le domaine du conflit où les réactions d’adversaires qui s’adaptent l’un à l’autre et aux évolutions de l’environnement stratégique sont paradoxales et difficilement modélisables. Ainsi, l’approche de l’Ifri consiste à assurer en premier lieu un éclairage stratégique du présent, lui-même fondé sur une connaissance solide du passé, tant les nouvelles méthodes de prospective ne sauraient se substituer à une compréhension fine des enjeux de la défense.

Comme l’ont rappelé l’ensemble des personnes auditionnées, il convient d’avoir à l’esprit que le recours aux algorithmes prédictifs, qui peuvent en effet prévoir certains événements à horizon de 6 mois, doit appeler à la prudence tant il est indispensable de bien identifier la façon dont ledit algorithme est construit afin de ne pas se laisser influencer par ses biais ou ses angles morts. Par ailleurs, la qualité des données utilisées pour faire les prédictions doit également être prise en compte pour éviter de déboucher sur des conclusions erronées car fondées sur des données elles-mêmes viciées, en particulier eu égard au fait que les données sont souvent le reflet de schémas du passé. Enfin, ces techniques, souvent perçues à tort comme des solutions optimales pour améliorer les travaux de prospective, doivent encore faire leurs preuves : beaucoup de sociétés spécialisées dans ces techniques innovantes ont émergé, en particulier aux États-Unis, sans que celles-ci aient obtenu des résultats probants à ce stade.

Le rapporteur pour avis estime que les services du ministère des Armées doivent explorer cette piste tout en faisant montre d’une grande prudence.

2.   Les marchés prédictifs et l’intelligence collective à travers l’exemple de la société française Hypermind

Les marchés prédictifs ont été inventés aux États-Unis en 1988 au sein de l’université de l’Iowa. Ces méthodes de prévision ont pour objectif de consolider les pronostics d’une multitude de personnes éclairées en probabilités fiables, mises à jour en temps réel et dans la durée, à même d’informer les décideurs en amont de leurs décisions. Ce système, appliqué en l’espèce à l’élection du président des États-Unis, était trois fois sur quatre plus prédictif que les sondages, alors même que les participants n’étaient pas représentatifs de la population américaine dans son ensemble. Ce résultat est possible notamment parce qu’à la différence des sondés, les pronostiqueurs s’auto-recrutent dans le marché en fonction de leur appétence pour le sujet et leur capacité à raisonner dessus.

La pertinence de la méthode des marchés prédictifs est aujourd’hui principalement reconnue aux États-Unis. En 2008, la revue Science a publié une lettre collective d’une vingtaine de chercheurs dont 3 prix Nobel – Kenneth Arrow, Robert J. Shiller et Vernon L. Smith – qui concluait ainsi : « Il est de plus en plus évident que ces marchés [prédictifs] peuvent aider à prévoir les événements futurs avec un taux d’erreur plus faible que les méthodes conventionnelles ».

La société française Hypermind existe depuis 20 ans et figure parmi les leaders mondiaux de la mobilisation de l’intelligence collective pour faire des prévisions. Ses clients sont des think tanks, des grandes entreprises et des gouvernements, et les prévisions peuvent porter sur la géopolitique, l’économie ou la politique intérieure. La méthode de prévision utilisée par Hypermind se distingue d’un sondage en ce qu’elle sollicite les prévisions des participants et non leurs préférences. Elle s’exprime de trois façons :

– la fourniture de plateformes en ligne de marchés prédictifs optimisées pour faire des prévisions soit sous forme de paris, soit sous forme de pronostics probabilistes. Chaque pronostiqueur est ainsi invité à parier contre les autres sur la survenance d’un événement. Des algorithmes d’intelligence collective agrègent ensuite les prévisions individuelles en prévisions collectives chiffrées. Les algorithmes accordent notamment plus de poids aux pronostics de ceux qui, dans la durée, ont plus souvent raison, et réduisent l’influence de ceux qui ont tendance à se tromper ;

– la mise à disposition d’un panel de plusieurs centaines de pronostiqueurs d’élite dont les compétences individuelles sont avérées dans la durée sur un grand nombre de prévisions. Collectivement, leurs estimations sont remarquablement fiables ;

– un marché prédictif ouvert au public, principalement en France et aux États-Unis, dont les prévisions sont rendues publiques en temps réel. Seuls les meilleurs pronostiqueurs sont pécuniairement récompensés, la participation étant gratuite et la réglementation française et américaine relative aux paris étant strictes. Cette plateforme publique permet de repérer sans cesse de nouveaux talents.

Depuis 2010, la communauté du renseignement aux États-Unis opère un marché prédictif en interne réservé aux analystes des agences qui la composent, qui s’appelle l’Intelligence Community Prediction Market (ICPM). Ce choix a été fait après suite au constat que les risques évoqués dans les divers documents de prospective aux États-Unis n’étaient pas quantifiés, ce qui est également le cas dans les documents de prospective en France. Une étude publiée en 2008 a conclu que les prévisions de l’ICPM sont en moyenne 25 % plus fiables que celles des rapports d’analyse traditionnels. Par ailleurs, l’Intelligence Advanced Research Projects Activity (IARPA) a mené deux programmes de recherche à grande échelle, auxquels Hypermind a participé en association avec des universités et des industriels de la défense, pour déterminer la capacité de l’intelligence collective de milliers d’amateurs de géopolitique à établir des probabilités fiables pour des centaines d’événements sur plusieurs années. Une étude publiée en 2015 par l’IARPA a conclu que ces prévisions collectives amateurs sont 35 % plus fiables que celles de l’ICPM.

Un des enseignements principaux des programmes de recherche de l’IARPA cités plus haut est que « la qualité des prévisions individuelles s’explique moins par ce que les gens savent que par la manière dont ils pensent », selon les termes de Jason Matheny, ex-directeur de l’IARPA. De nombreux experts peuvent être « aveuglés par leur expertise », tandis que d’autres qui n’ont pas beaucoup de connaissances préalables ni d’a priori idéologiques sur un sujet peuvent faire de bonnes prévisions en étant plus ouverts d’esprit. En réalité, le fait de rechercher activement des informations contradictoires est au cœur du succès des meilleurs prévisionnistes, qu’ils soient experts ou amateurs : « l’ouverture d’esprit active » permet de s’enrichir des pensées différentes des autres afin d’ajuster ses idées et les intégrer dans un système d’analyse permettant de réduire la probabilité d’être dans l’erreur.

Par ailleurs, les marchés prédictifs produisent des probabilités et non des certitudes. Ainsi, lorsque le résultat de l’expérience montre qu’un événement a 75 % de chances de se produire, cela ne signifie pas qu’il se produira forcément. Afin de déterminer si une probabilité est fiable, une méthode issue de la prévision météorologique permet d’évaluer la qualité des prévisions probabilistes en les comparant en nombre au pourcentage d’événements prévus qui se réalisent effectivement : la capacité à « discerner non pas le futur mais les probabilités qui le fondent ».

En 2019, la société Hypermind a animé un concours de prévisions géopolitiques pour l’IRSEM. Huit questions ont été fournies, sur lesquelles 300 pronostiqueurs de Hypermind et quelques membres du réseau de l’institut ont investi des points virtuels dans les prévisions du marché. Hypermind est aussi en contact avec d’autres acteurs du ministère des Armées mais, à ce stade, seuls des projets qui demeurent exploratoires sont évoqués.

Le rapporteur pour avis se félicite de l’intérêt du ministère des Armées pour les marchés prédictifs. Sans se prononcer de manière définitive sur leur scientificité et leur intérêt en matière de prospective, il estime, à travers cet exemple, qu’il est nécessaire pour tous les acteurs de la prospective de s’intéresser davantage à ce domaine.

3.   L’investigation en sources ouvertes : une piste intéressante à explorer pour les travaux de prospective

La question de la définition de la notion de source ouverte est délicate. De manière générale, la source ouverte désigne toute source obtenue sans violation du cadre légal et qui peut être obtenue par tout le monde. Ainsi, la source ouverte peut désigner toute une série de documents, consultables sur internet ou dans des lieux tels que des bibliothèques ou des libraires, et être payante ou gratuite. A contrario, une source obtenue de manière illégale ou publiée sans le consentement de la personne concernée et dans un but de nuisance ne constitue pas une source ouverte. À cet égard, les chercheurs qui ont recours aux sources ouvertes veillent à ce que les techniques qu’ils enseignent ne soient pas utilisées à mauvais escient, ce qui demeure néanmoins un risque inévitable. De la même manière, des documents couverts par le secret de l’instruction ne correspondent pas à des sources ouvertes, mais dès lors que ceux-ci ont, par exemple, été publiés dans la presse, ils deviennent de facto des sources ouvertes.

De plus, tout enquêteur recourant aux sources ouvertes doit pouvoir expliquer chaque étape de son enquête. Chaque information doit être rigoureusement documentée et il faut pouvoir systématiquement retrouver la source afin que l’enquête soit réversible. Si la source peut être amenée à disparaitre, il convient de l’archiver sur des sites internet dédiés pour la rendre de nouveau accessible.

Enfin, il convient également de donner du sens aux sources utilisées et non se contenter de les collecter. Ainsi, à titre d’exemple, la collecte de photographies n’a de sens que si celles-ci peuvent être correctement datées ou géolocalisées.

Certains centres de recherche ont recours aux sources ouvertes dans le cadre de leurs travaux. À titre d’exemple, l’IRSEM utilise essentiellement des sources ouvertes. Mais de manière générale, l’administration a plutôt tendance à privilégier les sources fermées, estimant qu’elles sont forcément plus fiables que les sources ouvertes – ce qui constitue un biais de perception. Or, l’investigation en sources ouvertes s’est considérablement développée ces dernières années et présente un intérêt certain, comme l’illustre le cas du groupe international de chercheurs indépendants Bellingcat qui a pu, par exemple, exposer des opérations du renseignement militaire russe (GRU) en recourant uniquement à des sources ouvertes telles que des photographies sur les réseaux sociaux ou des données de géolocalisation sur Google Earth.

Dans le domaine de la prospective, un usage des images satellitaires pourrait présenter un intérêt pour la menée de travaux de prospective à horizon de 5 à 15 ans. À titre d’exemple, l’exploitation desdites images pourrait permettre de suivre l’évolution du permafrost en Sibérie, de la fréquentation des routes maritimes au niveau des pôles ou encore la construction de villes artificielles.

Lors de ses travaux, le rapporteur pour avis a été sensibilisé sur l’intérêt de l’investigation en sources ouvertes. La France accuse un retard à cet égard : il est regrettable que les sources ouvertes ne soient pas davantage exploitées par les services du ministère des Armées et par les chercheurs. Le rapporteur pour avis estime qu’un effort doit être fait en la matière au regard de l’intérêt potentiel de ce domaine pour la prospective, notamment à travers la formation systématique des agents des directions concernées par la recherche du renseignement.

une exception discrÈTE au retard français en matiÈre d’investigation en sources ouvertes : l’association openfacto

L’association OpenFacto a été fondée en janvier 2019 par des chercheurs professionnels ou indépendants formés par le groupe Bellingcat créé par M. Eliot Higgins, blogueur britannique, qui est de loin la plus grosse structure spécialisée dans le renseignement en sources ouvertes. OpenFacto a été créée sur le constant que le domaine est dominé par le monde anglo-saxon. Il s’agissait donc, à travers cette association, de fédérer la communauté de l’investigation en sources ouvertes dans l’espace francophone. L’objectif initial du projet se déclinait en deux axes :

– monter des projets philanthropiques pour financer les activités de journalistes qui travaillent sur l’Afrique francophone ;

– et former des journalistes aux techniques de l’investigation en sources ouvertes, qui rechignent souvent à se former auprès des associations ou groupes de chercheurs anglo-saxons à cause de la barrière de la langue.

Aujourd’hui, l’association OpenFacto comprend 150 membres individuels, dont environ 25 sont très actifs. En plus des formations, OpenFacto publie également des travaux qui s’apparentent à des enquêtes journalistiques. Les deux publics cibles initiaux de l’association étaient les journalistes et les activistes ; l’objectif étant de les aider à mieux appréhender la collecte d’informations en sources ouvertes. Aujourd’hui, parmi les personnes venues se former aux techniques de l’investigation en sources ouvertes se trouvent des professionnels issus du secteur de l’intelligence économique, du ministère des Armées ou de la Gendarmerie nationale.

L’association, qui ne dispose pas de subventions publiques, propose des formations payantes aux techniques d’investigation en sources ouvertes. L’argent collecté permet de financer les formateurs qui ont un statut de freelance et de monter des projets philanthropiques ou de formation de journalistes œuvrant sur des théâtres de guerre. L’association dispense également des formations à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, à Sciences Po Paris et au Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) de Strasbourg.

V.   nos centres de recherche sont-ils en mesure de mener des travaux de prospective ?

1.   Un soutien accru indispensable à destination des chercheurs pour la menée de leurs travaux

Les effectifs des think tanks comprennent des chercheurs permanents, qui sont recrutés pour une durée indéterminée, ainsi que des chercheurs associés qui collaborent de manière ponctuelle et pour une durée déterminée. Les think tanks ont, depuis les années 2000, privilégié ce dernier mode de recrutement qui permet plus de flexibilité. À titre d’exemple, les effectifs de l’IRIS comprennent 38 chercheurs permanents et 20 chercheurs associés, tandis que ceux de la FRS comprennent 20 chercheurs permanents et 50 chercheurs associés. Ce statut présente l’avantage de recruter des profils plus diversifiés qui bénéficient parfois d’une expertise qui peut manquer aux profils plus traditionnels recrutés pour une durée déterminée. Ainsi, par exemple, des scientifiques spécialistes des pandémies peuvent collaborer ponctuellement avec des centres de recherche grâce à ce statut.

Par ailleurs, les think tanks ainsi que les services du ministère des Armées peuvent être confrontés à des difficultés de recrutement de talents dont ils ont pourtant besoin. Le recrutement de data scientists par les centres de recherche ou par les services du ministère des Armées, en dépit de l’intérêt que ces derniers auraient à les recruter, est quasiment impossible car les salaires proposés seront toujours inférieurs à ceux proposés par les grands cabinets de conseil, les groupes industriels ou même les start-up dans le secteur digital.

LE CLUB PHOENIX

Le club Phoenix, prévu par le PES en son axe II – action 8, a été officiellement créé le 14 février 2019. Il constitue une structure d’échange associant acteurs privés (acteurs industriels ou financiers, think tanks, cabinets de conseil, etc.), recherche universitaire (organismes de recherche et organismes de formation) et ministère des Armées. La DGRIS a la charge de sa gestion et de son animation.

Tout acteur privé implanté en France, dont l’activité relève des domaines de la sécurité et de la défense, peut demander à adhérer gratuitement au Club Phoenix (à l’exception des entreprises individuelles). Le club rassemble aujourd’hui 102 membres (entreprises, associations, groupements professionnels, etc.).

L’objectif du Club Phoenix est d’accroître l’employabilité des jeunes chercheurs, bénéficiaires des programmes d’allocations doctorales et postdoctorales « relations internationales et stratégie (RIS) » mis en place dans le cadre du PES, par leur mise en relation avec les acteurs privés adhérents. Le club Phoenix contribue ainsi au développement d’une recherche stratégique répondant aux enjeux communs aux acteurs institutionnels et privés de la sphère défense.

Le Club Phoenix se réunit au sein de l’Innovation Défense Lab de l’AID selon deux formats que sont, d’une part, les ateliers bimensuels organisés autour de l’intervention d’un ou plusieurs jeunes chercheurs, et d’autre part, les afterworks ponctuels (à partir de 2021).

Enfin, la DGRIS est confrontée à un problème d’offre extérieure lié à la difficulté pour les think tanks, par ailleurs peu nombreux à Paris, de renouveler le vivier d’experts et de recruter des jeunes chercheurs intéressés par les enjeux stratégiques. Pour y remédier, la DGRIS a mis en place depuis 2015 une réforme de son dispositif de soutien à la recherche stratégique. À travers le Pacte enseignement supérieur (PES), au profit des universités, elle a mis en place des instruments de soutien à la relève stratégique par le financement de doctorants et de post-doctorants. En octobre prochain, ce dispositif sera complété par un label « centres d’excellence », remis par la ministre des Armées. Les résultats de cette politique devraient être visibles dans quatre ou cinq ans, notamment grâce à l’attention portée en matière d’employabilité des jeunes chercheurs.

Le rapporteur pour avis salue l’initiative de la création du Club Phoenix mais exprime des inquiétudes quant aux conséquences des difficultés précitées sur la menée de travaux de prospective en particulier et, de manière générale, d’analyse stratégique par les chercheurs. Tout en saluant l’action de la DGRIS pour soutenir ces derniers, le rapporteur pour avis plaide pour que des efforts supplémentaires soient faits pour soutenir l’écosystème des think tanks français.

2.   Un allègement indispensable des procédures d’appels d’offres de la DGRIS

Les centres de recherche étaient, jusqu’aux années 2000, financés grâce à des subventions octroyées principalement par le ministère des Armées. Au début des années 2000, il a été décidé de passer d’une logique de subventions à une logique d’appels d’offres. Rapidement, ce système est devenu contraignant, au point parfois de ne pas permettre le maintien d’équipes permanentes tant l’incertitude quant aux chances de remporter un appel d’offres était grande. Certains concurrents pouvaient proposer des services à un prix très inférieur à ceux pratiqués par l’institut mais, souvent, la qualité en pâtissait. Par ailleurs, les prestataires ne contrôlent ni les thèmes, ni les calendriers des divers appels d’offres, compliquant de facto la planification des activités. La DGRIS publie chaque année un catalogue de projets d’observatoires ou de contrats-cadres, dont les sujets peuvent être plus ou moins attendus et qui peuvent parfois avoir été suggérés par les think tanks eux-mêmes. Les observatoires ou les contrats-cadres sont attribués en fonction de critères tels que la constitution d’une équipe de chercheurs compétents pour y répondre, les réponses fournies dans le cahier des charges et le coût de la prestation.

Bien qu’ayant fait l’objet d’améliorations sensibles au cours des dernières années, le processus demeure par essence peu réactif. À titre d’exemple, si un service du ministère des Armées identifie un besoin d’étude en janvier 2020, il va demander à la DGRIS de l’inscrire au catalogue de l’année 2021. Une fois l’appel d’offres paru en 2021, il faut compter un délai de 6 semaines pour candidater, puis plusieurs semaines pour l’examen des candidatures, pour la contractualisation et pour les négociations. Au final, les résultats de la procédure ne sont connus qu’après plusieurs mois et les travaux peuvent ne débuter qu’après un délai d’un à deux ans à compter du moment où le besoin a été identifié. Ce type de lourdeur peut néanmoins être en partie contourné en jouant sur la flexibilité des contrats pluriannuels (observatoires, contrats-cadres).

L’effort de mise en place des contrats pluriannuels par la DGRIS depuis 2015 a dans une large mesure renouvelé la pertinence du dispositif des prestations intellectuelles du ministère. Salué par l’Ifri, qui a pourtant choisi de réduire sa dépendance aux appels d’offres en ayant recours au mécénat, cet effort a conduit l’institut à se porter candidat à un nombre croissant de marchés au cours des cinq années passées. Par ailleurs, et toujours à titre d’exemple, contrairement à d’autres instituts, l’IRIS est tenu par la nécessité de trouver des financements pour mener ses travaux. L’IRIS bénéficiait, jusqu’en 2003, d’une dotation annuelle sous forme de subvention fournie par la DGRIS, ce qui permettait de recruter des chercheurs sur le long terme. Or, le passage à une logique d’appels d’offres a compliqué le recrutement et rendu plus difficile l’obtention de financements. L’IRIS ne répond à un appel d’offres que lorsqu’il estime avoir une chance raisonnable de l’emporter et peut éventuellement y répondre conjointement avec d’autres centres de recherche dans le cadre d’un consortium pour augmenter ses chances. Cela nécessite néanmoins de mener un travail considérable sans garantie de remporter l’appel d’offres au final.

Même si ce problème n’est pas spécifique à la DGRIS, le rapporteur pour avis estime qu’une simplification plus accrue des procédures de passation des contrats-cadres, des observatoires et des EPS de la DGRIS doit être recherchée.

VI.   De la nÉcessitÉ de s’inspirer des meilleures pratiques en europe et À l’Étranger

1.   Une avance indéniable des États-Unis par rapport à la France en matière de méthodes innovantes de prospective

Sans surprise, les États-Unis sont très en avance sur les méthodes les plus innovantes en matière de prospective. Ils sont à l’origine des techniques d’analyse structurées, développées par la Central Intelligence Agency (CIA), dont l’objectif est de lutter contre les biais cognitifs et organisationnels qui peuvent conduire les analystes, y compris les plus expérimentés, à des erreurs d’interprétation, comme ce fut le cas lors de la survenance de crises comme la guerre du Kippour, l’attaque de Pearl Harbor ou les attentats du 11 septembre. De plus, depuis 1997, le National Intelligence Council (NIC) publie tous les 4 ans – au début de chaque nouveau mandat présidentiel – un rapport de prospective intitulé Global Trends qui essaie de prévoir les évolutions et les incertitudes qui caractériseront le monde dans les 20 prochaines années afin d’éclairer les décideurs américains, et en particulier le président des États-Unis qui en est le principal destinataire. Ce rapport, très fourni et très détaillé, dresse des perspectives globales pour les 20 années suivant sa publication et se caractérise par la précision des scénarios envisagés. Il est le fruit de la menée de milliers d’entretiens et d’un travail conséquent de recherche en amont. À titre d’exemple, le risque pandémique y avait été souligné dès 2003, tandis que le risque d’une pandémie mondiale de coronavirus en provenance de Chine avait été soulevé dès 2008. Enfin, sur la base de travaux d’entomologistes, l’IARPA, eu égard à sa mission d’orientation de la recherche vers les défis posés à la communauté du renseignement américain, a élaboré des méthodes permettant de travailler à partir de plusieurs hypothèses de travail afin de confronter des analyses concurrentes ; le but étant, à la fin, de conserver l’analyse la plus pertinente mais enrichie des éventuels apports de celles qui n’ont pas été retenues (« crowd intelligence »).

EXTRAIT DE L’ÉDITION 2008 DU RAPPORT DU NATIONAL INTELLIGENCE COUNCIL SUR LE RISQUE DE SURVENANCE D’UNE ÉPIDÉMIE MONDIALE

L’apparition d’une nouvelle maladie respiratoire humaine virulente, extrêmement contagieuse, pour laquelle il n’existe pas de traitement adéquat, pourrait déclencher une pandémie mondiale. Si une telle maladie apparaît, d’ici à 2025, des tensions et des conflits internes ou transfrontaliers ne manqueront pas d’éclater. En effet, les nations s’efforceront alors – avec des capacités insuffisantes – de contrôler les mouvements des populations cherchant à éviter l’infection ou de préserver leur accès aux ressources naturelles.

L’apparition d’une pandémie dépend de la mutation génétique naturelle, de la recombinaison de souches virales déjà en circulation ou encore de l’irruption d’un nouveau facteur pathogène dans la population humaine. Les experts voient dans les sources hautement pathogènes de la grippe aviaire telles que le H5N1 des candidats probables à ce type de transformation, mais d’autres agents pathogènes, comme le coronavirus du SRAS et diverses souches de la grippe, auraient les mêmes propriétés.

Si une maladie pandémique se déclare, ce sera sans doute dans une zone à forte densité de population, de grande proximité entre humains et animaux, comme il en existe en Chine et dans le Sud-Est asiatique où les populations vivent au contact du bétail. Des pratiques d’élevage non réglementées favoriseraient la circulation d’un virus comme le H5N1 parmi les populations animales – augmentant les chances de mutation d’une souche susceptible de provoquer une pandémie. Pour se propager rapidement, il suffit que la maladie apparaisse dans des régions à forte densité humaine.

Dans un tel scénario, la maladie tarderait à être identifiée si le pays d’origine ne disposait pas des moyens adéquats pour la détecter. Il faudrait des semaines pour que les laboratoires fournissent des résultats définitifs confirmant l’existence d’une maladie risquant de muter en pandémie. Entre-temps, des foyers se déclareraient dans des villes du Sud-Est asiatique. En dépit de restrictions limitant les déplacements internationaux, des voyageurs présentant peu ou pas de symptômes pourraient transporter le virus sur les autres continents.

Les malades seraient de plus en plus nombreux, de nouveaux cas apparaissant tous les mois. L’absence d’un vaccin efficace ou d’immunité dans le reste du monde exposerait les populations à la contagion. Dans le pire des cas, ce sont de dix à plusieurs centaines de millions d’Occidentaux qui contracteraient la maladie, et les morts se compteraient par dizaines de millions. Dans le reste du monde, la dégradation des infrastructures vitales et les pertes économiques à l’échelle mondiale entraîneraient l’infection d’un tiers de la population du globe et la mort de centaines de millions d’êtres humains.

La France, elle, accuse un retard conséquent à ces égards par rapport aux États-Unis. Les études de prospective sont loin de faire l’objet de travaux aussi fournis. Les auteurs des divers travaux de prospective sont souvent dans l’incapacité d’expliquer la méthodologie qu’ils ont utilisée pour rédiger lesdits travaux et se contentent souvent de prolonger des tendances constatées dans les précédents travaux de prospective, ce qui ne permet pas de prévoir les ruptures stratégiques.

Les comparaisons entre la France et les États-Unis doivent néanmoins être nuancées par les différences d’échelle entre les deux pays. Par ailleurs, en dehors des cas particuliers du Royaume-Uni et de l’Allemagne, la France est un des pays les mieux dotés en Europe en matière de prospective. Comme indiqué lors de l’audition du SEAE, certains États membres de l’UE ne disposent même pas d’instances équivalentes à la DGRIS ou au CAPS ; d’où la nécessité d’une structure comme la division de la planification stratégique du SEAE, qui comble, autant que possible, le vide.

2.   Un rapprochement salutaire avec les instances européennes

La volonté de mener des travaux de prospective plus poussés, plus originaux et en partenariat avec les différents acteurs du monde de la prospective est plus prégnante à l’échelle européenne. La division de la planification stratégique du SEAE participe au réseau « European Strategy and Policy Analysis System » (ESPAS) qui fédère les acteurs de l’analyse stratégique et de la prospective à l’échelle de l’UE. Outre la Commission européenne via le SEAE, le réseau ESPAS regroupe plusieurs institutions européennes telles que le Parlement européen (PE), le Comité des Régions, la BEI ou encore l’IESUE. Tous ces acteurs traitent des sujets qui pourront être centraux pour l’avenir de l’UE à l’horizon de 10 ou 15 ans. Le réseau ESPAS a publié un rapport intitulé Global Trends to 2030 : Challenges and Choices for Europe en avril 2019 qui exposait les défis auxquels l’UE sera confrontée à l’horizon 2030. Une conférence est organisée tous les ans au mois de novembre pour débattre des sujets relatifs aux défis futurs de l’UE, à laquelle de nombreux acteurs internationaux participent.

Le rapporteur pour avis estime, d’une part, que les centres de recherche français doivent nouer des liens plus forts avec les centres de recherche européens équivalents. D’autre part, et de manière générale, il estime que les centres de recherche français gagneraient à s’inspirer des méthodes de travail de l’UE en matière de prospective et, dans la mesure du possible, de mutualiser les méthodes, les moyens et les expériences avec les centres de recherche et les services étatiques des autres États membres. Le ministère des Armées devrait également chercher à se rapprocher des instances européennes chargées des questions de défense pour élaborer conjointement des documents de prospective.

VII.   La question cardinale qui demeure, in fine, en suspens est celle des difficultÉs relatives À la prise en compte de tous les risques dans les politiques de dÉfense

1.   Intelligence-policy nexus

Le risque pandémique avait été clairement identifié par les États-Unis, mais également par la France. En réalité, le problème ne résulte pas tant d’un défaut d’anticipation que d’un défaut de prise en compte des travaux d’anticipation par les décideurs politiques (intelligence-policy nexus). Au final, l’enjeu n’est pas seulement d’améliorer les prévisions mais aussi, et surtout, de faire en sorte que lesdites prévisions soient davantage prises en compte par les décideurs politiques. Ce défaut de prise en compte concerne tous les États, y compris ceux qui disposent d’outils très sophistiqués en matière de prospective : les États-Unis ont certes prévu avec plus d’acuité et de précision le risque sanitaire mais, pour reprendre les termes de nombreuses personnes auditionnées, et comme le montre la gestion de la crise de la Covid-19 dans ce pays, « qu’ont-ils fait de toutes ces prévisions ? ».

Par ailleurs, la survenance d’un risque ne doit pas faire oublier les autres. L’erreur n’est pas tant la sous-estimation du risque pandémique en particulier que la focalisation sur des risques qui se sont déjà produits au détriment d’autres qui ne sont que des risques potentiels. Par exemple, les pouvoirs publics ont, à juste titre, focalisé leur attention sur le risque terroriste, eu égard à la prégnance de la menace et aux nombreux attentats qui se sont produits, mais l’erreur consisterait à ne se focaliser que sur ce risque. Si le manque de préparation relatif face à la crise sanitaire révèle un défaut de considération pour le risque pandémique, il révèle aussi, et surtout, un défaut de considération pour tous les risques qui n’ont pas déjà provoqué de crise majeure. Le rapporteur pour avis estime qu’il est indispensable de ne pas se focaliser exclusivement sur le risque pandémique à cause de la crise de la Covid-19. À ce titre, comme l’ont évoqué plusieurs personnes auditionnées, le rapporteur pour avis attire l’attention sur le risque cyber, dont les conséquences seraient au moins aussi importantes en cas de survenance d’une crise d’ampleur mondiale.

2.   De l’impératif de hiérarchiser, voire de quantifier, les risques pour aider les décideurs politiques

Les décideurs sont souvent confrontés à une multitude d’études qui prévoient plusieurs risques selon divers scénarios, face auxquels ils sont amenés à prendre des décisions. Or, il est non seulement impossible de se prémunir contre tous les risques évoqués dans les travaux de prospective, mais les études de prospective, aux conclusions parfois diamétralement opposées et se fondant sur des scénarios plus ou moins plausibles, manquent souvent de précision et, surtout, de solutions concrètes. Les décideurs sont souvent amenés à décider sur la base de nombreuses études, toutes plus alarmistes les unes que les autres, sans avoir d’indications quant aux réponses à apporter en cas de survenance d’un risque.

Ainsi, pour reprendre les termes d’une des personnes auditionnées, « c’est la prospective qui n’a pas fait son travail [dans la crise de la Covid-19] car les prévisions n’étaient pas assez concrètes ». Un travail de prospective qui évoque la survenance d’un événement sans indiquer quand, où et comment ledit événement aura lieu n’a qu’une utilité très limitée. Il est donc « trop facile de dire [que les décideurs] ont été avertis et qu’ils n’ont rien fait ». En ce sens, la crise de la Covid-19 révèle l’échec partiel des prospectivistes qui ont une « culture littéraire » les empêchant de hiérarchiser ou de quantifier les risques qu’ils évoquent dans les divers documents de prospective et les rendant incapables de proposer des solutions concrètes pour remédier aux risques soulevés.

Tout en étant conscient de la difficulté de l’exercice, le rapporteur pour avis estime que les risques évoqués dans les divers travaux de prospective devraient être a minima hiérarchisés, à défaut de pouvoir être quantifiés, et assortis de solutions de politiques publiques concrètes pour y remédier afin d’aider à la prise de décision, et ce en particulier dans les parties consacrées aux risques dans les documents tels que la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017.

3.   Soumettre les risques à des stress tests et encourager la pratique d’exercices d’entraînement

Enfin, une dernière piste permettant une meilleure prise en compte des risques évoqués dans les documents de prospective a trait aux stress tests et aux exercices d’entraînement.

La division de la planification stratégique du SEAE complète ses travaux d’analyse prospective par des stress tests qui visent à tester leur pertinence. À titre d’exemple, un stress test a été mené pour identifier, à partir d’un faisceau d’indicateurs relevant des domaines sanitaire et économique, les évolutions à un horizon de 3 à 6 mois de la conjonction de ces deux dimensions de la crise dans certains pays.

Le rapporteur pour avis plaide pour que les prévisions inclues dans les travaux de prospective soient soumises à des stress tests et fassent l’objet d’un examen régulier a posteriori pour vérifier leur survenance ou non, et le cas échéant les corriger.

Surtout, la France accuse un retard conséquent en matière d’exercices d’entraînement et de simulations face aux risques. La préparation à la gestion du risque pandémique est défaillante « depuis 20 ans » selon M. Bruno Tertrais, directeur-adjoint de la FRS. Les exercices sont rares et ne sont joués, dans le meilleur des cas, qu’entre les services ministériels. Le recours aux war games, « qui ne sont pas dans la culture française », peut être une piste intéressante, dès lors que ceux-ci impliquent également des acteurs extérieurs à l’administration, comme les industriels ou les centres d’expertise, afin de bénéficier du croisement de cultures et d’expériences différentes. Des simulations à 10 ou 15 ans ont déjà eu lieu, avec succès, mais les efforts gagneraient à être poursuivis en la matière. Notons qu’au Royaume-Uni, le Defense Wargaiming Centre a ouvert récemment.

Ainsi, il convient de jouer les scénarios pour bien les anticiper, de manière réaliste et en impliquant tous les acteurs, afin qu’une culture commune se mette en place en amont de la survenance des crises. Cela suppose une prise de conscience à l’échelle politique indispensable, qui peut même faire défaut dans des États qui mènent par ailleurs des travaux de prospective de qualité comme les États-Unis.

Le rapporteur pour avis estime que les risques, préalablement hiérarchisés, évoqués dans les travaux de prospective doivent se traduire par la menée d’exercices d’entraînement à l’échelle interministérielle – le cas échéant coordonnés et pilotés par le SGDSN – et avec la participation de tous les acteurs publics et privés susceptibles d’être impactés par lesdits risques.


—  1  —

 

 

   troisième partie :

Focus sur les études amont, pierre angulaire du programme 144 et de l’avenir capacitaire de la France

I.   Le budget des études amont est conforme À la trajectoire inscrite dans la loi de programmation militaire 2019-2025

1.   Une hausse des crédits d’études amont conforme à la LPM 2019-2025

Au cœur du programme 144, les études amont sont des recherches et des études appliquées à la satisfaction d’un besoin militaire prévisible et contribuant à constituer, maîtriser, entretenir ou développer la BITD. L’architecture de la sous-action 7-3 a fait l’objet d’une restructuration au niveau des opérations budgétaires (OB) :

– l’OB « Information et renseignement classique » ne comprend plus les crédits consacrés à l’espace dans ce domaine, qui fait l’objet d’une OB distincte ;

– l’OB « Innovation et technologies transverses » ne comprend plus les crédits alloués à l’innovation et a été rebaptisée « Technologies transverses » ;

– une nouvelle OB intitulée « Recherche et captation innovation » a été créée, dont le contenu correspond aux crédits consacrés à l’innovation dans l’ancienne OB « Innovation et technologies transverses ».

RÉpartition des CrÉdits de la sous-action 7-3 « Études amont »


(en millions d’euros)


Source : ministère des Armées, réponse au questionnaire budgétaire.

Les crédits de la sous-action 7-3 s’élèvent à 1,174 milliard d’euros en AE et à 901 millions d’euros en CP dans le PLF pour 2021. La progression constante des CP d’études amont jusqu’au montant cible d’un milliard d’euros en 2022, ainsi que le prévoit la LPM 2019-2025, est respectée, ce dont se félicite le rapporteur pour avis. Le rapporteur pour avis se félicite également de la concordance entre l’évolution des crédits d’études amont inscrite dans la LPM 2019-2025 et les crédits inscrits dans le PLF pour 2021. En effet, les CP d’études amont inscrits dans les PLF pour 2019 et 2020, respectivement 758,5 millions d’euros et 821 millions d’euros, étaient légèrement inférieurs aux ressources annoncées dans la LPM 2019-2025 (respectivement 762 millions d’euros et 832 millions d’euros). Les décalages de 3,5 millions d’euros en 2019 et de 11 millions d’euros en 2020 étaient dus à la fois à une erreur de programmation dans la LPM 2019-2025 mais également à un redéploiement des crédits d’études amont pour financer la création de l’IP Paris.

2.   Une nouvelle stratégie en matière d’innovation de défense inscrite dans le Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense

La ministre des Armées a présenté le 8 septembre 2020 la stratégie du ministère des Armées en matière d’innovation, incarnée par le Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense (DrOID), qui succède au Document d’orientation de l’innovation de défense (DOID). Le DrOID fixe les objectifs stratégiques de l’innovation de défense et les moyens associés à cette fin. Il établit les ambitions du ministère des Armées en matière d’innovation afin de garantir la supériorité opérationnelle des armées, l’autonomie stratégique de la France et la performance du ministère. Il précise les axes d’efforts du ministère dans la captation, l’adaptation et la valorisation des technologies civiles ou duales tout en détectant les possibles ruptures technologiques. L’objectif du DrOID est également de se projeter dans le temps long à des fins de préparation de l’avenir. L’intérêt de l’AID à cet égard ne se limite pas à l’innovation en matière d’armement mais a également trait aux enjeux relatifs à la performance du ministère des Armées, ce qui englobe les questions relatives aux processus et aux soutiens. Les lignes d’action fixées par le DrOID sont en phase avec les moyens donnés par la LPM 2019-2025.

Le DrOID intègre des priorités complémentaires tout en renforçant certains axes. Il intègre les lignes de force concernant les technologies du numérique, la maîtrise de l’espace informationnel connectivité dont combat collaboratif, cybersécurité, résilience, intelligence artificielle (IA) et les technologies permettant de lutter contre les dénis d’accès dans tous les milieux, y compris spatial. Le DrOID intègre aussi les orientations complémentaires suivantes : quantique, énergie, hypervélocité, lutte anti-drones, imagerie laser 3D ou encore les armes à énergie dirigées.

 

 

Sur le plan méthodologique, le DrOID a fait l’objet d’une procédure d’élaboration coordonnée par l’AID avec 3 séquences conduites en parallèle :

– orientations sur la base de la décomposition établie en 2019 (détecter/capter, accélérer/mettre en service, partager, valoriser/évaluer, nourrir), en prenant en compte les enjeux identifiés par tous les services concernés du ministère des Armées ;

– fixation de thématiques prioritaires en matière d’innovation planifiée, pour les technologies et les systèmes indispensables pour répondre aux impératifs d’autonomie stratégique, ce qui suppose un dialogue constant avec le SASD de la DGA et la division (COCA) de l’EMA pour déterminer les besoins sur le plan capacitaire, mais également avec la direction technique de la DGA pour déterminer les besoins technologiques, ainsi que l’industrie de défense, en collaboration avec le service des affaires industrielles et de l’intelligence économique (S2IE), du conseil des industries de défense françaises (CIDEF) et des groupements sectoriels (le groupement des industries de construction et activités navales (GICAN), le groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et le comité Richelieu) pour prendre en compte les enjeux industriels mais aussi les propositions pouvant émaner de l’industrie, dans le respect global de la trajectoire financière établie par la LPM 2019-2025 ;

– discussions relatives aux thématiques prioritaires pour la captation et l’accélération de l’innovation, issues d’un recueil des « irritants » des armées, directions et services, effectué par l’AID.

L’investissement dans l’innovation de défense est réparti en 16 domaines d’innovation d’essence principalement capacitaire, en cohérence avec la finalité ultime de la démarche d’innovation du ministère des Armées qu’est la supériorité opérationnelle. Cette nouvelle organisation permet de sortir de l’approche des agrégats, principalement orientée suivant une logique industrielle. De par leur nature, les domaines d’innovation sont souvent transverses aux différentes armées, même si on retrouve une logique proche de l’organique dans les domaines touchant à l’engagement et au combat. Or, la répartition des crédits d’études amont en agrégats ne rend pas compte de ces nouvelles priorités fixées dans le DrOID. Le rapporteur pour avis estime qu’il conviendra peut-être de revoir, à terme, ces agrégats en cohérence plus étroite avec les axes d’efforts identifiés dans le DrOID.

3.   Les différents domaines de recherche

Les études amont sont segmentées en agrégats sectoriels présentant une cohérence en termes d’objectifs capacitaires, industriels et technologiques. Les objectifs de ces 7 agrégats, complétés par la dissuasion, sont présentés ci‑dessous.

a.   Aéronautique et missiles

Dans le domaine du combat aérien, la coopération sur le SCAF se poursuivra, avec l’étude d’architecture et les différentes études concernant ses piliers technologiques. Les études contribuant à la préparation des évolutions du Rafale donneront lieu à des travaux complémentaires, principalement dans les domaines de la localisation et la guerre électronique.

Dans le domaine de l’aéromobilité, les principales études lancées en 2021 porteront sur l’autoprotection ainsi que la coopération avec les drones.

Dans le domaine de la frappe dans la profondeur, les travaux concernant le démonstrateur de planeur hypersonique seront renforcés. La maturation des technologies nécessaires aux futurs missiles longue portée (aérodynamique, autodirecteur) se poursuivra. Les résultats des études déjà lancées permettront d’éclairer les choix d’architecture pour le Futur missile antinavire-Futur missile de croisière (FMAN-FMC).

b.   Information et renseignement classique

Dans le domaine de la protection et de la surveillance, les principaux engagements soutiendront des études de démonstrateurs radar (radars aéroportés et radar passif de surveillance aérienne). Dans le domaine de la supériorité informationnelle, les activités dans les systèmes hydrographiques et géographiques se poursuivront, mais également dans les réseaux tactiques multifonctions, les liaisons de données tactiques aéromaritimes, les charges utiles de renseignement électromagnétique et d’origine image, ainsi que les techniques de traitement du signal pour la guerre électronique. Les activités dans le domaine de la cyberdéfense seront également poursuivies et complétées par de nouvelles études.

c.   Espace

Dans le domaine spatial, les principaux engagements porteront sur des études et des démonstrateurs de moyens d'action dans l'espace et la surveillance de l'espace. Les études visant à préparer les futurs moyens de renseignement spatiaux et de communication militaire seront poursuivies à la lumière des résultats obtenus sur les études déjà lancées, et complétées par de nouvelles études. Cet ensemble d’activités permettra de lever les verrous technologiques des futurs moyens de renseignement spatial en portant un effort significatif sur la réactivité de ces systèmes. Les activités dans le domaine de la guerre de la navigation seront également poursuivies.

d.   Naval

Les études lancées en 2018 sur le porte-avions de nouvelle génération fourniront des premiers résultats qui permettront d’orienter les choix pour la poursuite du projet. Des travaux complémentaires seront lancés pour préparer le futur avion de patrouille maritime en coopération avec l’Allemagne. Les technologies de lutte sous la mer donneront lieu à de nouvelles études, dont certaines en coopération.

e.   Terrestre, NRBC et santé

Les engagements porteront principalement sur les technologies nécessaires à la préparation du futur système de combat terrestre franco-allemand ainsi que sur les technologies avancées de protection. Les autres études concerneront notamment les technologies optroniques et robotiques intéressant les prochains incréments du programme SCORPION ainsi que le domaine de la défense NRBC et de la santé du militaire en opérations.

f.   Innovation et technologies transverses

Des nouvelles études seront lancées sur les technologies émergentes de défense, notamment dans le domaine des composants et des matériaux, et des armes non cinétiques. Dans le domaine du soutien, la fabrication additive et la maintenance prévisionnelle feront l’objet de nouvelles études. Le programme 144 continuera également de financer des travaux d’intérêt défense du plan interministériel NANO 2022. Le fonds Definnov sera consolidé en 2021 afin d’encourager le développement de PME et ETI à caractère dual.

g.   Recherche et captation innovation

Le soutien à l’innovation ouverte et la conduite de projets d’accélération de l’innovation seront poursuivis.

Les montants accordés d’une part au soutien à l’innovation interne au ministère des Armées et d’autre part à la prise de participation au capital de PME stratégiques via le fonds Definvest seront augmentés en 2021.

h.   Dissuasion

Les crédits de l’agrégat « dissuasion » couvrent les études amont au profit de la dissuasion, qui portent sur les thèmes prioritaires suivants :

– assurer la fiabilité dès la conception des systèmes complexes intégrant des technologies le plus souvent non duales ;

– maintenir le niveau de fiabilité et de robustesse des systèmes de transmission stratégiques ;

– assurer la préparation du renouvellement de la composante océanique à l’horizon de la fin de vie des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) actuellement en service ;

– assurer le maintien du niveau d’invulnérabilité des SNLE en service ;

– améliorer les performances des missiles balistiques (précision et capacités de pénétration principalement) ;

– améliorer les performances des missiles stratégiques aéroportés (précision et capacités de pénétration principalement) ;

– et concourir au maintien des compétences des secteurs industriels critiques participant à la conception et à la réalisation des systèmes stratégiques.

4.   Mais les crédits de recherche de défense ne relèvent pas tous du programme 144

Le budget global inscrit dans le PLF pour 2021 pour la recherche de défense est de 6,581 milliards d’euros en CP, qui se décomposent ainsi :

– les études amont et les subventions de recherche et technologie, soit 1,039 milliard d’euros en CP issus du programme 144 ;

– les études de défense, dont les transferts de crédits octroyés au CEA pour ses activités de recherche, les EOTO, les EPS et les crédits du programme 191 « Recherche duale (civile et militaire) » pour la recherche duale, soit 561,6 millions d’euros ;

– et les développements réalisés dans le cadre des programmes d’armement relevant du programme 146 « Équipement des forces », dont le budget inscrit dans le PLF pour 2021 s’élève à 4,980 milliards d’euros en CP.

Évolution des crÉdits de recherche et dÉveloppement de dÉfense

(CP, en millions d’euros)

 

 

LFI
2012

LFI
2013

LFI
2014

LFI
2015

LFI
2016

LFI
2017

LFI
2018

LFI
2019

LFI
2020

PLF
2021

TOTAL R & D

TOTAL Études de défense

TOTAL R&T

TOTAL EA

Études
amont

    633,2

     747,9

     745,9

     738,9

     706,5

     720,4

     723,2

     758,5

     821

     901

 

     633,2

     747,9

     745,9

     738,9

     706,5

     720,4

     723,2

     758,5

     821

     901

Subventions de R&T

    147,3

     148,8

     121,3

     124,8

     128

     130,3

     131,7

     129

     131,5

     138

 

     780,5

     896,7

     867,2

     863,7

     834,5

     850,7

     854,9

     887,5

     952,5

     1039

Recherche CEA

    647,7

     615

     640,8

     505,3

     488,5

     527

     494

     332,7

     329,5

     384,2

EPS

        4,5

         4,7

         5,8

         5,5

         5,5

         5,6

         8,8

         9,1

         9,1

         8,7

EOTO

      18,5

       19,8

       20,5

       20,8

       21

       21,3

       21,6

       21,8

       22,4

       18,8

Recherche duale

    192,9

     192,2

     192,9

     192,1

     180,1

     180,1

     179,5

     179,5

     154

   150

 

  1 644,1

  1 728,4

  1 727,2

  1 587,4

  1 529,6

  1 584,7

  1 558,8

  1 430,6

  1 467,5

  1600,6

Développements
 

  1 800

  1 550

  1 835,1

  2 051,6

  2 255,2

  3 343,2

  3 117

  3 426,3

  4 063,3

  4 980,3

 

  3 444,1

  3 278,4

  3 563,3

  3 639

  3 784,8

  4 927,9

  4 675,8

  4 856,9

  5 530,8

  6 581

5.   La question des retards en matière de franchissement de jalons

Le taux de progression des technologies spécifiques nécessaires à la défense, dont la maturation est financée au moyen des études amont, n’a pas été atteint en 2019 : il s’élevait à 74,7 %, ce qui était inférieur à l’objectif de 80 % fixé (par ailleurs lui-même inférieur aux objectifs fixés les années précédentes). Ce taux correspondait au franchissement effectif de 66 jalons sur les 84 prévus initialement, dont 17 jalons ont fait l’objet de retards. En 2019, les jalons impactés par des retards se répartissaient de la manière suivante :

– information et renseignement (3) ;

– terrestre (2) ;

– innovation et technologies transverses (6) ;

– et dissuasion (6).

Les retards sur les franchissements de jalon sont inhérents études amont et sont principalement dus à des difficultés d’approvisionnement, des difficultés industrielles de mise au point ainsi que des glissements de créneaux d’essais. La crise de la Covid-19 a eu un impact sur le franchissement des jalons en 2020, plusieurs créneaux d’essais ayant dû être reportés, notamment à cause de difficultés d’approvisionnement. La DGA a resserré les contrôles à cet égard et fait des reportings plus fréquents. Les retards causés par la crise de la Covid-19 ne devraient pas être rattrapés à ce stade. Le rapporteur pour avis prêtera une attention particulière à cette question à l’avenir.

II.   Une gestion par l’agence de l’innovation de défense dans le cadre de dispositifs de soutien à l’innovation

1.   ASTRID et ASTRID Maturation

Ces dispositifs, conduits depuis 2010 pour l’Accompagnement spécifique de travaux de recherche et d’innovation défense (ASTRID) et depuis 2013 pour ASTRID Maturation, en partenariat avec l’Agence nationale de la recherche (ANR), sont destinés aux laboratoires académiques associés à des entreprises innovantes. Désormais gérés par l’AID, ils ont fait l’objet de la signature d’un nouvel accord de coopération de quatre ans, signé le 9 mai 2019 entre l’AID et l’ANR.

Le programme ASTRID, financé entièrement par le ministère des Armées et dont la gestion est confiée à l’ANR, soutient des projets spontanés de laboratoires de recherche et d’entreprises innovantes. 6 millions d’euros ont été consacrés en 2020 à ce dispositif qui en est à sa dixième édition. Ce montant a permis de financer entre 20 et 30 projets.

Le programme ASTRID Maturation, dont la gestion est également confiée à l’ANR, a fait l’objet d’un huitième appel à projets en 2020. Il a pour but la valorisation de travaux scientifiques déjà accomplis avec succès dans un programme de recherche antérieur et leur accompagnement scientifique dans le cadre d’un partenariat entre un organisme de recherche et une entreprise. Le soutien concerne aujourd’hui les projets valorisant des voies scientifiques ou techniques ayant déjà fait l’objet d’un soutien financier dans le cadre du programme ASTRID, des thèses de la DGA et des projets des écoles sous tutelle de la DGA. 4 millions d’euros ont été consacrés en 2020 à ce dispositif. Ce montant a permis de financer 8 à 10 projets.

L’AID a initié cette année un appel à projets thématique ciblé sur les technologies quantiques. Cette formule permet de mieux mettre l’accent sur les problématiques jugées d’intérêt prioritaire, en complément de l’appel ASTRID. Si le retour d’expérience est positif, l’AID envisage de lancer dans les années à venir deux appels à projets de ce type par an, pour un budget annuel de 2 à 3 millions d’euros.

2.   RAPID

Le dispositif de subvention Régime d’appui pour l’innovation duale (RAPID), mis en place depuis 2009 avec la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance, vise à soutenir des projets d’innovation d’intérêt dual portés par des PME ou, depuis 2011, des ETI de moins de 2 000 salariés, seules ou en consortium avec des laboratoires et/ou d’autres entreprises. L’objectif est d’être très réactif, en ne dépassant pas quatre mois entre le dépôt du dossier et le premier versement. Depuis 2015, la dotation annuelle du programme RAPID est de 50 millions d’euros. En 2019, 69 projets innovants ont été sélectionnés. Depuis 2009, plus de 650 projets ont été sélectionnés, pour un montant global de subvention supérieur à 450 millions d’euros.

3.   Definvest

Le fonds d’investissement pour la Défense (Definvest) a été créé le 16 novembre 2017. Les entreprises ciblées sont prioritairement des PME dont les innovations, connaissances ou savoir-faire sont essentiels à la performance des systèmes de défense français ou destinés au marché d’exportation de l’industrie française, ou peuvent donner un avantage essentiel à l’industrie de l’armement française.

Le but de ce fonds est ainsi d’intervenir auprès d’entreprises jugées stratégiques pour renforcer leur structure bilancielle, stabiliser leur capital et contribuer à une consolidation de la filière du secteur de la défense sur le long terme. La philosophie est d’aider les sociétés à développer leurs projets sans chercher à en prendre le contrôle, de les accompagner sur le long terme et de les orienter, si nécessaire, vers d’autres fonds plus importants. La DGA peut servir de caution auprès d’autres investisseurs afin de lever davantage de capital.

À ce jour, Definvest a investi dans 8 entreprises :

– la pépite française Kalray, du secteur des micro-processeurs ;

– la société Fichou, spécialisée dans les composants optiques de très haute précision ;

– la start-up bretonne Unseenlabs, qui développe des services de renseignement électromagnétique depuis l'espace ;

– la start-up Sintermat, qui capitalise sur 15 ans de recherche académique dans le domaine de la métallurgie des poudres ;

– la société Prolann, spécialisée dans les pièces aéronautiques et les capteurs infrasons ;

– la société innovante Cailabs, qui met au point des composants de manipulation des formes de la lumière ;

– la société Fabentech, qui produit des sérums pour lutter contre les maladies et pandémies infectieuses émergentes et les nouvelles toxines ;

– et la société Tethys, spécialisée en équipements et systèmes de pyrotechnie (guerre sous-marine, fonctions auxiliaires sur les missiles et drones).

L’utilité de ce fonds étant avérée et le besoin de consolider des entreprises et des secteurs industriels engendré par la crise économique liée à l’épidémie de la Covid-19 se profilant, la ministre des Armées a annoncé en juin 2020 le doublement du fonds Definvest pour porter son montant maximum d’investissement à 100 millions d’euros, ce dont le rapporteur pour avis se félicite.

4.   Un nouveau fonds : Definnov

Le fonds Definnov, destiné au financement de PME innovantes duales qui ont déjà trouvé leur marché civil mais qui cherchent à grandir pour devenir des ETI sera doté de 200 millions d’euros. L’objectif est de financer des sociétés qui ne travaillent pas exclusivement pour le secteur de la défense mais qui ont déjà une assise dans le secteur civil afin que celles-ci ne dépendent pas exclusivement des commandes du ministère des Armées.

Chaque entreprise bénéficiera, au maximum, de 20 millions d’euros, soit 10 % du montant total du fonds, car il n’est pas possible d’engager plus de 10 % des fonds propres d’un fonds d’investissement. L’AID souhaite utiliser le fonds Definnov pour des investissements dans des technologies innovantes duales transverses, tandis que le fonds Definvest se concentre sur les entreprises stratégiques (et donc pas nécessairement innovantes). Les deux fonds sont donc complémentaires. Le fonds va rester ouvert pendant un an afin que des industriels de la défense ou d’autres entreprises puissent venir le consolider par une contribution financière sur la base du volontariat. Le fonds Definnov sera financé constituera une partie du milliard d’euros consacré annuellement aux études amont à l’horizon 2022 en vertu de la LPM 2019-2025.

Le rapporteur pour avis salue la création de ce fonds, indispensable pour accompagner les entreprises dont les productions peuvent présenter un intérêt pour le secteur de la défense.

5.   Le Fonds européen de défense

Dans le domaine des études amont, la France conduit des coopérations internationales, essentiellement avec ses partenaires européens (en premier lieu le Royaume-Uni et l’Allemagne), à la fois dans un cadre bilatéral et dans celui de l’AED pour les coopérations multilatérales.

La dimension multilatérale européenne est appelée à se développer fortement avec l’émergence du FEDef, doté d’un budget de 7 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Il est estimé que le budget annuel du FEDef serait autour de 300 millions d’euros pour le volet recherche et de 600 millions d’euros pour le volet développement qui inclura également des études. L’objectif de la France est de capter au minimum 20 % de ces montants et qu’ils mettent l’accent sur le besoin capacitaire européen et le développement de filières industrielles et technologiques favorisant l’autonomie stratégique de l’Europe.

III.   Pour une meilleure connaissance des bénéficiaires des crédits d’études amont et un soutien accru aux PME

1.   Un effort de lisibilité indispensable

L’évolution des crédits d’études amont pour le domaine spatial, à hauteur de 68 %, témoigne de l’importance accordée à cet enjeu pour l’avenir. Les crédits dévolus à l’OB « Terrestre, NRBC et santé » augmentent également de manière conséquente en CP, passant de 58 millions d’euros dans le PLF pour 2020 à 93,3 millions d’euros dans le PLF pour 2021. Mais à cet égard, il convient de se prémunir contre une lecture trop directe par OB, qui ne rend pas compte des efforts réellement consentis au profit de chaque armée. Ainsi, par exemple, si les crédits de l’OB « Terrestre ; nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et santé » ne représentaient que 7 % des CP des études amont dans le PLF pour 2020, ces crédits ne sont pas assimilables aux études amont conduites au profit de l’armée de Terre, et il serait erroné de conclure sur cette seule base que l’armée de Terre bénéficie d’un faible effort d’études amont. En effet, dans des domaines transverses comme les domaines relevant du numérique, les innovations bénéficiant, par exemple, à la Marine nationale, peuvent également bénéficier à l’armée de Terre en vertu du caractère transversal des projets d’innovation.

Par ailleurs, il serait restrictif de considérer la seule unité opérationnelle (UO) relative aux études amont : par exemple, les travaux de l’ISL qui bénéficient directement au domaine terrestre sont financés à hauteur de 20 millions d’euros par une subvention provenant de l’UO « subvention aux opérateurs », donc non comptabilisée dans l’OB « Terrestre ; nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et santé » des études amont. Ainsi, la nomenclature budgétaire ne rend pas directement compte des efforts consentis pour chaque armée.

Sur la base de ces observations, le rapporteur pour avis estime qu’une plus grande lisibilité de la répartition des crédits des études amont en particulier et des crédits de recherche destinés au secteur de la défense de manière générale, notamment entre les trois armées, serait souhaitable.

2.   Un soutien indispensable des PME dans leurs tentatives d’accès aux études amont

En 2019, les dix principaux destinataires des crédits d’études amont étaient Thales, Ariane Group, MBDA, l’ONERA, Safran, Naval Group, Dassault, le CEA, Airbus Group et Nexter. Cette répartition varie peu selon les exercices budgétaires. Si les études amont alimentent dans la durée la recherche pratiquée dans les bureaux d’études des grands groupes industriels afin de contribuer au maintien au meilleur niveau de l’industrie de défense française, le rapporteur pour avis attire l’attention sur les difficultés rencontrées par les PME et les ETI pour accéder aux études amont et souhaite qu’elles bénéficient d’un accompagnement spécifique.

Le soutien à la BITD, et particulièrement le soutien des PME du secteur de la défense, est une mission pilotée par le S2IE. Pour autant, l’AID contribue à ce soutien par différents moyens, notamment par une politique de partenariat avec des groupements professionnels. Une partie de l’innovation est générée par des PME mais il s’agit le plus souvent de briques technologiques qui doivent être intégrées au sein d’un système. En 2019, 93 projets menés par l’AID ont été à destination exclusive des PME.

L’AID dispose d’un guichet unique permettant de proposer une porte d’entrée facilement identifiable pour soumettre des projets, notamment pour les PME et, en fonction desdits projets, cherche à identifier les innovations prometteuses. L’AID utilise le portail « démarches simplifiées » du Gouvernement sur le site internet du ministère des Armées. En 2019, 525 projets ont été déposés sur le guichet unique. À cet égard, le Service d’information du Gouvernement (SIG) empêche la création de nouveaux sites internet par les agences et services des différents ministères, ce qui contraint ces derniers à recourir au site internet du ministère des Armées ou à investir les réseaux sociaux pour contourner ce blocage.

 

Le rapporteur pour avis souhaite que l’AID dispose de son propre site internet afin qu’elle bénéficie d’une vitrine à la hauteur de son offre de services, l’absence de site internet moderne étant un facteur minant sa compétitivité à l’échelle européenne et internationale.

IV.   L’empreinte Écologique des systÈmes d’Armes devrait Être davantage prise en compte dans la gestion des Études amont

Pendant longtemps, les efforts financiers au titre des études amont ont été concentrés sur les domaines souverains comme la dissuasion, ce qui pouvait poser problème pour les domaines jugés non-souverains qui en pâtissaient. Si la situation s’est améliorée à cet égard, aujourd’hui, les questions d’économie d’énergie et le besoin de frugalité devraient figurer parmi les nouvelles priorités en matière d’études amont et s’inscrire dans la stratégie énergétique du ministère des Armées.

L’erreur actuelle consiste à penser que le secteur civil va apporter au secteur militaire les réponses à ces enjeux, ce qui n’est pas garanti. À titre d’exemple, dans l’armée de Terre, mis à part le véhicule de l’avant-blindé (VAB) Electer hybride d’Arquus, développé dans le cadre d’une étude amont supervisée par la DGA en décembre 2012, aucun projet d’envergure ne permet de réduire la consommation énergétique des équipements au sein de cette armée. Aujourd’hui, l’armée de Terre doit pouvoir utiliser sur certains théâtres d’opération ou dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) ou collectivités d’outre-mer (COM) le carburant local, souvent à haute teneur en soufre. Sur le territoire national (TN), elle doit aussi, au titre de la résilience, pouvoir utiliser le carburant du service de l’énergie opérationnelle (SEO) pour continuer à assurer ses missions en cas de survenance de grèves de raffineries. Le Battle Lab Terre à Satory s’intéresse aussi à des innovations dans le domaine des énergies, comme l’utilisation d’additifs pour carburants qui laissent espérer 20 % d’autonomie supplémentaire. Elle travaille en parallèle sur le thème de la frugalité énergétique, c’est-à-dire aux moyens de réduire sa consommation tout en gardant sa capacité à mener ses missions afin de polluer moins.

Au-delà de ces exemples relatifs à l’armée de Terre, cet impératif vaut en réalité pour les trois armées. Le rapporteur pour avis estime que l’intégration de critères environnementaux, dont la prise en compte ne doit pas nuire à l’efficacité opérationnelle, et ce tant d’ailleurs dans l’élaboration des EOTO que des études amont, devrait être recherchée.


—  1  —

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

 

I.   Audition de Mme Alice Guitton, directrice gÉnÉrale des relations internationales et de la stratÉgie

La commission a entendu Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie, sur le projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360), au cours de sa réunion du mercredi 7 octobre 2020.

Le compte rendu de cette audition est disponible sur le site internet de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/20-21/c2021005.asp

 


—  1  —

II.   Examen des crÉdits

La commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Fabien Gouttefarde, les crédits inscrits au programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2021, au cours de sa première réunion du mercredi 21 octobre 2020.

Un débat suit l’exposé du rapporteur pour avis.

M. Fabien Gouttefarde, rapporteur pour avis. Je suis très heureux de vous présenter aujourd’hui mon avis budgétaire sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2021. Comme vous le savez, celui-ci a pour rôles de préparer l’avenir, de soutenir l’effort d’innovation de la France et de contribuer au développement de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

Renseigner sur l’environnement présent et futur, préparer les systèmes d’armes de demain et les protections face aux armes adverses, identifier les mutations géostratégiques, contribuer au maintien d’une recherche et d’une industrie de défense au meilleur niveau, former des ingénieurs, tels sont les objectifs poursuivis par ce programme.

Pour la troisième année consécutive, et en conformité totale avec la programmation inscrite dans la loi de programmation (LPM) 2019-2025, les crédits du programme 144 sont en augmentation dans le projet de loi de finances pour 2021, ce dont je me félicite.

Eu égard aux objectifs du programme et à la survenance de la crise de la covid-19 en 2020, j’ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport à la prospective stratégique. Face aux accusations d’impréparation des pouvoirs publics et de manque d’anticipation, j’ai estimé qu’il était indispensable de dresser un état des lieux de la prospective, d’évaluer la qualité des travaux produits dans ce domaine et de formuler des préconisations pour les améliorer.

J’ai également souhaité, dans une moindre mesure, consacrer une partie de mon rapport aux études amont, qui constituent le cœur du programme 144 sur le plan budgétaire.

Commençons par les enjeux proprement budgétaires. Le budget du programme 144 voit ses crédits augmenter de manière substantielle, d’environ 1,3 milliard d’euros en autorisations d’engagements et de 137 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse respective de 76 % et de 9 %, le portant à environ 3,1 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 1,7 milliard d’euros en crédits de paiement. Fort heureusement, la crise de la covid-19 n’a pas eu d’impact significatif sur le programme, si ce n’est, dans une relative mesure, pour l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) et pour l’École polytechnique, dont je parlerai un peu plus tard.

Le programme 144 comprend trois actions : l’action 07 « Prospective de défense », l’action 03 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », qui rassemble les crédits de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et ceux de la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (DRSD), et l’action 08 « Relations internationales et diplomatie de défense », dont la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) est en charge.

Dotée de 1,5 milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 1,2 milliard d’euros en crédits de paiement, l’action 07 « Prospective de défense » enregistre la plus forte revalorisation des crédits de l’ensemble du programme, après celle au profit de la DGSE. La plus grande part revient, sans surprise, à la sous-action 07.03 « Études amont ».

Au sujet de cette action, je souhaiterais plus particulièrement appeler votre attention sur la situation financière de l’École polytechnique et de l’ONERA.

Dans son rapport public annuel 2020, la Cour des comptes a dressé un réquisitoire sévère contre la gestion de l’École polytechnique en estimant que cette dernière n’est « pas à la hauteur des ambitions de l’École ». La Cour s’interroge également sur l’opportunité de la création de l’Institut polytechnique de Paris ainsi que sur « les implications coûteuses du choix de quitter [le pôle scientifique et technologique] Paris-Saclay ». Un plan de redressement financier est néanmoins en cours d’élaboration suite à ce rapport : je prêterai donc une attention particulière à l’évolution de la situation financière de l’École et de l’Institut polytechnique de Paris au cours de l’année 2021.

L’ONERA, outre les difficultés de recrutement et de fidélisation des ressources humaines auxquels il est toujours confronté, mérite également de faire l’objet d’une attention particulière. Si son activité contractuelle est en hausse depuis 2017, celle-ci a été ralentie en 2020 par la crise de la covid-19.

À titre personnel, je plaide pour qu’une solution soit rapidement trouvée à sa situation et compte sur la pleine considération de ses difficultés dans le futur contrat d’objectifs et de performances (COP) 2022-2026, qui doit succéder à l’actuel, qui s’achève en 2021.

L’action 03 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », qui regroupe les crédits de la DGSE et de la DRSD, enregistre une très forte hausse, de 290 % en autorisations d’engagement par rapport à l’an dernier, soit 1,5 milliard d’euros, et de 11,4 % en crédits de paiement, soit 406 millions d’euros. La DGSE en est la grande bénéficiaire, ce qui lui permettra de poursuivre ses actions en conformité avec sa stratégie définie dans la LPM, ce dont je me félicite.

Enfin, l’action 08 « Relations internationales et diplomatie de défense » voit également ses ressources augmenter par rapport à l’an dernier, puisqu’elles s’élèvent à 40,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 40,7 millions d’euros en crédits de paiement, soit des hausses respectives de 1 % et de 1,7 % par rapport à l’an dernier.

J’en viens désormais au thème de la prospective. Avant de vous présenter les conclusions de mes travaux, une précision d’ordre méthodologique : j’ai délibérément choisi de circonscrire l’acception de la notion de prospective en me concentrant sur la prospective dans les domaines géostratégique et géopolitique ; je n’ai donc pas étudié la prospective sous l’angle technologique ou capacitaire.

La première conclusion de mon travail a trait à l’opportunité ou non pour les services de l’État de publier des études de prospective.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, en France, à part quelques études produites par des think tanks ou par des instituts comme l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), en collaboration ou non avec des services de l’État, et, dans une certaine mesure, la première partie de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, aucune étude publique de prospective n’est éditée ; à l’exception notable du rapport Chocs Futurs du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), publié en 2017 et qui se proposait d’évaluer l’impact des transformations et ruptures technologiques sur l’environnement stratégique et de sécurité de la France.

Or, tout en ayant conscience des difficultés liées à la publication de travaux de prospective, ceux-ci pouvant être ipso facto lus par des compétiteurs qui disposeront alors d’avantages tactiques, un équilibre pourrait à mon sens être trouvé entre, d’une part, la contrainte de la publicité, qui réduit inévitablement la profondeur, l’exhaustivité et la complétude des analyses prospectives, et d’autre part la nécessité de publier des études scientifiques sur les risques auxquels l’État, et en particulier le ministère des Armées, peut être confronté à l’avenir afin d’enrichir le débat public.

La deuxième conclusion a trait au rapport du ministère des Armées aux méthodes innovantes en matière de prospective. La question des biais cognitifs revêt une importance capitale en matière de prospective de défense. Ceux-ci sont de deux ordres : la tendance à analyser les événements sous un angle de plus en plus pessimiste et l’absence d’estimation des probabilités de survenance des risques évoqués.

Afin de remédier à ces biais, des méthodes innovantes en matière de prospective ont été inventées. Si leurs résultats s’avèrent plus ou moins probants, elles méritent d’être davantage explorées. Si les algorithmes prédictifs doivent faire l’objet d’un examen prudent, les marchés prédictifs et l’intelligence collective d’une part, et les techniques d’investigation en source ouverte d’autre part, sont autant de techniques qui devraient être étudiées avec plus d’attention par les services du ministère des Armées.

Ma troisième conclusion a trait à la capacité des centres de recherche français à mener des travaux de prospective. Les chercheurs français font l’objet d’un soutien important par la DGRIS, en particulier par le biais du Club Phoenix, dont les résultats semblent prometteurs à ce stade, afin de les aider notamment à s’insérer sur le marché du travail. Cet effort d’accompagnement gagnerait cependant à être amplifié.

Par ailleurs, les procédures de passation des études prospectives et stratégiques de la DGRIS sont particulièrement lourdes : leur simplification devrait, de mon point de vue, être recherchée.

Ma quatrième conclusion a trait au rapprochement nécessaire des services ministériels et de nos centres de recherche avec les acteurs européens de la prospective. Les centres de recherche français devraient s’inspirer de leurs méthodes de travail souvent bien plus ouvertes aux techniques innovantes, et, dans la mesure du possible, mutualiser les méthodes, les moyens et les expériences avec les centres de recherche et les services étatiques des autres États membres de l’Union européenne.

Enfin, et c’est là ma dernière conclusion sur la prospective, la question cardinale qui demeure, in fine, en suspens est celle des difficultés relatives à la prise en compte de tous les risques dans les politiques de défense.

Si j’ai pleinement conscience du caractère difficile de l’exercice, de mon point de vue, l’erreur n’a pas tellement été la sous-estimation du risque pandémique, clairement identifié dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, mais la sous-estimation des risques qui ne sont pas déjà advenus. Ainsi, de ce point de vue et pour le futur, il me semble indispensable de ne pas se focaliser exclusivement sur le risque pandémique à cause de la crise de la covid-19, au détriment des autres risques et menaces, et en particulier de la menace cyber.

Par ailleurs, afin d’aider les décideurs, et tout en étant conscient de la difficulté de l’exercice, j’estime que les risques évoqués dans les divers travaux de prospective devraient être à tout le moins hiérarchisés, à défaut de pouvoir être quantifiés, et assortis de solutions de politiques publiques concrètes pour y remédier afin d’aider à la prise de décision.

Enfin, il me semble indispensable que les prévisions inclues dans les travaux de prospective soient soumis à des stress tests et fassent l’objet d’un examen régulier a posteriori pour vérifier leur survenance ou non, et, le cas échéant, les corriger.

Ces risques devraient également se traduire par la menée d’exercices d’entraînement à l’échelle interministérielle et avec la participation de tous les acteurs publics et privés susceptibles d’être impactés par lesdits risques.

J’en viens, pour conclure, aux études amont. La progression constante de leurs crédits jusqu’au montant cible de 1 milliard d’euros en 2022, ainsi que le prévoit la LPM, est respectée, puisque ceux-ci s’élèvent à 1,2 milliard d’euros en autorisations d’engagement et à 901 millions d’euros en crédits de paiement, ce dont je me félicite. Je salue à cet égard le doublement du fonds Definvest ainsi que la création du fonds Definnov.

Si je formule quelques préconisations en vue d’améliorer la cohérence et la lisibilité de la répartition des études amont dans mon rapport, j’aimerais appeler votre attention sur un impératif : l’intégration de critères environnementaux dans l’élaboration des systèmes d’armes dans le cadre des études amont – bien que je sois conscient des difficultés que pose leur prise en compte.

Tel est, mes chers collègues, le bilan des travaux que j’ai menés au titre de ma mission de rapporteur pour avis sur les crédits du programme 144 sur lesquels j’émets un avis favorable.

Mme Patricia Mirallès. Je me félicite de l’augmentation substantielle des crédits affectés au renseignement. En réponse à la crise de la covid-19 et aux inquiétudes quant à la capacité de la France de conserver ses leviers essentiels de souveraineté, le fonds Definvest destiné aux entreprises stratégiques a été doublé. Mais qu’en est-il du cadre légal ? L’expérience de Photonis nous a-t-elle permis de mettre en place des outils légaux pour garantir la détention française de ces PME ?

M. Jean-Michel Jacques. Vous avez évoqué les outils d’aide à l’analyse et à la prospective utilisant l’intelligence artificielle. Les boucles décisionnelles étant de plus en plus courtes sur le plan décisionnel, savez-vous si des outils d’aide à la décision sont également développés ?

Mme Muriel Roques-Etienne. Depuis sa création en 1958, l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL) est financé paritairement par la France et l’Allemagne. La contribution française est fixée à 23,2 millions d’euros, principalement pour les travaux exceptionnels de désamiantage et pour refléter l’évolution des salaires des agents publics en Allemagne. Sur ce dernier point, l’institut semble confronté à des difficultés de recrutement et de fidélisation des chercheurs allemands, notamment en raison du coût du travail élevé en France. Quelles seraient vos préconisations pour y remédier ?

M. Jean-Charles Larsonneur. Avez-vous pu dresser un bilan du fonctionnement de Definvest ? Au-delà du doublement des crédits, comment le rendre plus efficace ? Comment gagner en souveraineté ?

M. André Chassaigne. Tous les livres blancs depuis 2008 font mention du risque de cyberattaque. Après la pandémie de la covid-19, une cyberattaque pourrait être la prochaine catastrophe et entraîner l’effondrement de notre société, bien plus sûrement que le terrorisme. Les moyens pour parer à une telle menace sont augmentés et 100 postes sont créés, mais ne pensez-vous pas qu’il faudrait davantage investir et même créer une quatrième armée pour défendre le cyberespace ?

M. Fabien Gouttefarde, rapporteur pour avis. Le bilan du plan ISL 2020 est excellent mais n’est pas exempt de marges de progrès. L’Allemagne n’exploite pas l’ISL autant que la France. Cet enjeu concerne aussi la France, car la pérennité du soutien de l’ISL par les deux États tient au fait que les deux pays tirent un avantage équilibré de leurs investissements. Il conviendra donc de travailler cet axe d’effort dans le futur plan Ambition 2030, en cours d’élaboration, qui succèdera au plan ISL 2020. D’ailleurs, une des ambitions du futur plan Ambition 2030 est précisément de rééquilibrer le ratio Français/Allemands parmi les effectifs de l’ISL.

Sur le plan pratique, une solution consisterait à augmenter le salaire net des salariés de l’ISL résidant en Allemagne sans modifier les grilles salariales de l’institut. Les grilles salariales de l’ISL ne dépendent pas de la nationalité, mais le salaire dit « net-net » (c’est-à-dire net de charges sociales et net d’impôt sur le revenu) est plus faible pour un salarié de l’Institut résidant en Allemagne que pour un salarié de l’Institut résidant en France. En effet, les règles européennes prévoient que les salariés paient les cotisations sociales du pays dans lequel ils travaillent mais paient l’impôt sur le revenu du pays dans lequel ils habitent. Or, en Allemagne, les charges sociales des salariés sont plus faibles qu’en France, mais l’impôt sur le revenu y est plus élevé. C’est donc la double peine pour les salariés de l’ISL qui résident en Allemagne et qui travaillent en France. Les salariés de l’ISL résidant en Allemagne pourraient cependant relever du système social allemand grâce aux stipulations du règlement européen 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale qui prévoit des dérogations permettant de rattacher des salariés au système social du pays où ils résident. Ainsi, les salariés de l’ISL qui résident en Allemagne et qui travaillent en France pourraient relever du système social allemand, et donc payer les cotisations sociales allemandes, plus faibles que les cotisations sociales françaises.

Pour ma part, je souhaite donc d’une part, que cet enjeu soit pleinement intégré au plan « Ambition 2030 » ; et d’autre part, que cette dérogation soit accordée à l’ISL pour renforcer sa compétitivité et son attractivité et pour contribuer au retour de la parité entre les deux États.

Le risque cyber est réel, comme je l’indique dans mon rapport et comme nous l’ont indiqué plusieurs personnes auditionnées dans le cadre de mes travaux. La menace de cyberattaque est clairement identifiée par les autorités françaises, le ministère des Armées et, plus particulièrement, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il n’est pas certain qu’il faille, à ce stade, créer une quatrième armée dédiée à ce risque. Mais les moyens consacrés à l’ANSSI, notamment en effectifs, croissent régulièrement. Un document du commandement de la cyberdéfense a montré que les salaires offerts aux experts étaient bien alignés sur ceux proposés dans le privé : notre ministère est capable de leur faire des propositions salariales tout à fait intéressantes.

Dans mon rapport sur les systèmes d’armes létaux, j’ai souligné qu’il n’était pas prévu que ces armes délivrent le feu de manière autonome. Si l’on développe des outils d’aide à la décision et au ciblage, la décision doit incomber en dernier recours à l’humain. Le document de référence de l’orientation de l’innovation de défense (DrOID) indique les grands axes de recherche en matière de prospective capacitaire, parmi lesquels l’hypervélocité et l’intelligence artificielle en matière d’aide à la décision.

Le fonds Definvest, créé le 16 novembre 2017, est destiné prioritairement aux PME dont les innovations, connaissances ou savoir-faire sont essentiels à la performance des systèmes de défense. Le but de ce fonds est d’intervenir auprès d’entreprises stratégiques. À ce jour, il a bénéficié à huit entreprises qui figurent parmi les pépites françaises et dont le rapport donne la liste. Ses crédits sont portés à 100 millions d’euros, et son fonctionnement est bordé juridiquement ; ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Le cadre légal actuel permet déjà de protéger les entreprises stratégiques de la défense et l’Agence de l’innovation de défense (AID) veille à ce que nos pépites ne soient pas captées par des Etats étrangers.

M. Jean Lassalle. J’ai cru vous entendre parler d’un droïde, autrement dit un élément capable de fonctionner avec l’intelligence artificielle. Savez-vous si, compte tenu des changements en œuvre au Mali, nous allons traiter avec Ahmada Ag Bibi, fin négociateur, et Iyad Ag Ghaly, émir du groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ? La France va-t-elle poursuivre son engagement au Mali ? Peut-on continuer à laisser ces hommes évoluer en toute liberté dans un pays que nous sommes censés protéger ?

M. Fabien Gouttefarde, rapporteur pour avis. Je ne pense pas que le rapporteur du programme 144 soit le plus à même de répondre à cette question, mon cher collègue : le « DrOID » dont j’ai fait mention n’est que l’acronyme utilisé par l’AID pour désigner le document de référence de l’orientation de l’innovation de défense…

M. Jean Lassalle. Cependant, pourrez-vous faire remonter mes observations ?

M. Fabien Gouttefarde, rapporteur pour avis. Avec plaisir.

Mme la présidente Françoise Dumas. Merci beaucoup pour votre travail.

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Mme la présidente Françoise Dumas. Mes chers collègues, après avoir examiné ce matin les huit avis budgétaires, nous en venons cet après-midi aux orateurs de groupe, puis à l’examen des amendements et aux votes sur les missions « Défense » et « Anciens combattants ».

M. Jean-Michel Jacques. Rien n’a fondamentalement changé depuis la revue stratégique faite en amont de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, mais la crise sanitaire a agi comme un accélérateur et un révélateur de tensions géopolitiques préexistantes.

Depuis plusieurs années, le contexte géostratégique s’est dégradé et il est hélas amené à se durcir encore.

Pour assurer sa mission essentielle, c’est-à-dire protéger les Français, notre pays doit être en capacité de projeter sous très faible préavis des forces dûment entraînées et équipées sur tous les champs de conflictualité, au plus loin comme au plus près.

Au plus près aussi car, depuis plusieurs années et pour des raisons différentes, nos forces armées ont été mobilisées sur le territoire national. À ce titre, notre armée a prouvé à différentes reprises qu’elle demeure un acteur essentiel de la résilience de notre pays.

Cependant, tous ces enjeux sécuritaires ne sont pas nouveaux, puisqu’en adoptant la LPM, nous nous sommes dotés des moyens nécessaires pour y faire face. Pour cela, nous avons collectivement reconnu qu’il était indispensable de remédier à un certain nombre de fragilités auxquelles était soumis notre modèle d’armée depuis des années et d’assurer sa remontée en puissance afin qu’il soit le plus complet et le plus équilibré possible.

Nous le savons tous, une LPM, aussi ambitieuse soit-elle, ne pourrait remplir pleinement sa mission si elle ne se traduisait pas en bonne et due forme en loi de finances. Aussi pouvons-nous nous réjouir, pour la troisième année consécutive, que le projet de budget pour 2021 poursuive les objectifs ambitieux que nous avons adoptés dans le cadre de la LPM.

Conformément à nos engagements, le projet de budget dédié à nos armées pour 2021 est un budget ambitieux, puisqu’il consacre 39,2 milliards d’euros à la mission « Défense », soit une augmentation de 1,7 milliard.

En plus d’être d’un budget ambitieux, c’est un budget sincère puisque, contrairement à ce qui était devenu une coutume jusqu’en 2017, il prévoit de nouveau d’augmenter l’enveloppe de la provision servant à financer les missions intérieures et les opérations extérieures (OPEX), portées respectivement à 100 millions et 1,1 milliard.

Non content d’être ambitieux et sincère, ce budget demeure plus que jamais à hauteur d’homme, puisqu’il veille à améliorer le quotidien du soldat et de sa famille. En 2021, des efforts seront notamment consentis en matière non seulement d’habillement et d’équipement, d’hébergement en enceinte militaire, mais également de rémunération, puisque 2021 sera l’année du premier bloc de la nouvelle politique de rémunération des militaires centrée sur l’harmonisation de la mobilité géographique.

Enfin, pour réussir leurs missions, les forces armées doivent être équipées. À ce titre, la troisième année de l’exécution de la loi de programmation militaire sera une année de concrétisation, marquée par la fourniture de nombreux équipements : 157 Griffon, 1 000 véhicules tactiques polyvalents, six hélicoptères Caïman, une frégate multimissions et bien d’autres équipements.

L’ambition de doter nos armées des meilleurs équipements, couplée à la volonté du ministère de soutenir et de préserver les entreprises de notre base industrielle et technologique de défense, se poursuivra en 2021 par différentes prises de commandes pour un montant total de près de 44,7 milliards d’euros d’engagements, auxquels il faut ajouter les commandes anticipées annoncées dans le cadre du plan de soutien au secteur aéronautique.

Ambitieux, sincère, à hauteur d’homme, assurant la souveraineté de notre pays et la pérennité de notre tissu économique, le projet de budget pour 2021 est également tourné vers les anciens combattants et à même de financer des politiques en faveur de la mémoire et du renforcement du lien armée-nation.

Comme l’an passé, il convient de rappeler, d’une part, que la légère baisse structurelle est essentiellement liée à la diminution du nombre de bénéficiaires ayants droit, d’autre part, que l’ensemble des dispositifs de reconnaissance et de réparation sont maintenus, voire améliorés, comme en atteste la reconnaissance des conjoints survivants des grands invalides de guerre prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

En conclusion, avec grande satisfaction, nous pouvons dire que, pour la troisième année consécutive, le budget dédié à la défense est au rendez-vous des engagements de la loi de programmation militaire. Ensemble, mes chers collègues, nous continuerons à être exigeants dans son suivi et sa bonne exécution. C’est donc en confiance que le groupe La République en Marche émettra un avis favorable à l’adoption des crédits de ces missions.

Mme Marianne Dubois. Plusieurs sujets préoccupent les députés du groupe Les Républicains, auxquelles ils ne trouvent pas de réponse claire dans la présentation budgétaire pour 2021.

L’hypothèse de la survenue à plus ou moins court terme d’un conflit de haute intensité est largement évoquée. Lors de sa prise de fonctions en juillet 2019, le général Thierry Burkhard indiquait : « Le rapport de force redevient le mode de règlement des différends entre nationaux. Nous devons résolument nous y préparer en gardant à l’esprit que le combat de haute intensité devient une option très probable. La situation en Méditerranée occidentale paraît, à ce stade, la plus préoccupante. La concentration dans une zone réduite de nombreuses nations ou intérêts divergents présente un risque majeur ».

Le respect de la trajectoire budgétaire dont nous prenons acte avec satisfaction n’est pas une fin en soi, d’autant que 2021 doit être l’année de la clause de revoyure de la LPM. « Les hausses de crédit prévues par la loi de programmation militaire 2019-2025 sont nécessaires mais encore insuffisantes, car elles n’autorisent pas la montée en puissance qui nous permettrait de faire face à un conflit classique de grande intensité ni même à certaines situations dégradées », a estimé le général Lecointre. Aussi l’effort devra être poursuivi après 2025, a-t-il prévenu. Même avec la LPM 2019-2025, l’armée française demeurera en volume une armée de gestion de crise, pas une armée de temps de guerre, non plus sans doute une armée capable de faire face aux crises complexes, simultanées, de types différents qui se multiplient.

La question du format opérationnel face aux nouvelles menaces et des moyens nécessaires pour y répondre se pose donc de manière prégnante et ne doit pas être mise sous le tapis.

Nous estimons que le rendez-vous avec le plan de relance est manqué. Le rapport Thiériot et Griveaux a fait plusieurs propositions afin de permettre au secteur de participer au plan : aucune n’a été retenue.

Les députés du groupe Les Républicains se félicitent de l’effort de sincérisation du financement des OPEX. Ils rappellent que le financement de leur surcoût a été un véritable serpent de mer pendant des années au sein du budget de la défense. Si la provision pour 2021 doit permettre de couvrir une grande partie du financement des OPEX à venir, la situation du budget 2020, toujours en cours, qui avait prévu un financement de 1,1 milliard d’euros, doit d’ores et déjà nous interroger. Au 15 octobre, le chef d’état-major des armées, le général Lecointre, a indiqué que, pour la seule opération Barkhane, les surcoûts sont de 911 millions d’euros – en raison d’une augmentation de 600 hommes liée à la montée en puissance de la task force Takuba –, soit une hausse de 10 %, dont plus de 30 millions consacrés, entre autres, à l’entretien des matériels. Il ne reste donc que 289 millions pour financer les autres OPEX et opérations intérieures (OPINT) ainsi que les deux derniers mois de Barkhane. Étant donné le niveau d’engagement des forces françaises, on peut sérieusement douter que la provision pour 2020 suffise.

Le principe de solidarité interministérielle ayant été battu en brèche, fin 2018, une inquiétude forte demeure. Nous demandons le respect de ce principe et réitérons la demande que le ministère de la défense ne participe pas à cette réserve de précaution en vue de financer le surcoût des OPEX : il ne doit pas payer deux fois.

Par ailleurs, lors de son audition, la ministre des armées a indiqué qu’1 milliard de crédits était encore gelé au titre de la réserve de précaution. En 2019, 3,9 milliards de report de charges ont été constatés. La ministre ne dispose pas encore de chiffres pour 2020, sachant que la direction générale de l’armement (DGA) a indiqué, lors de son audition le 15 octobre, que le report de charges pour le programme 146 s’élevait à 2,4 milliards.

Considérer que la LPM votée en 2018, soit deux ans avant la crise sanitaire majeure que nous connaissons, est la contribution déterminante du ministère des armées à la relance n’est pas à la hauteur des enjeux pour un secteur qui compte 4 000 entreprises et plus de 200 000 emplois non délocalisables et qui contribue chaque année de manière positive à notre balance commerciale.

Concernant le budget alloué aux anciens combattants, le groupe Les Républicains dénonce, une fois de plus, le discours de la ministre qui consiste, année après année, à se réjouir du maintien des droits existants. À la fin du quinquennat de 2022, le budget consacré aux anciens combattants passera sous la barre symbolique des 2 milliards.

Le groupe Les Républicains poursuivra dans sa logique et demandera la reprise de l’augmentation de la retraite du combattant. Un amendement tendant à une majoration de deux points d’indice au 1er juillet 2021 sera proposé.

L’annonce de la création d’une mission État-Parlement-associations sur l’évolution du point d’indice de la pension militaire d’invalidité (PMI) suscite des interrogations. Une réflexion est en effet nécessaire et le groupe LR souhaite y être associé.

Les députés du groupe Les Républicains continueront à soutenir sans faille le monde combattant et ses justes revendications tout en regrettant la vision purement comptable de l’actuelle majorité. Nous rappelons que le budget est en constante baisse depuis 2017. Nous supposons que la retraite du combattant sera revalorisée de quatre points en 2021, comme cela avait été fait en 2017, année électorale.

Dans ce contexte, les trajectoires budgétaires, certes conformes à la LPM, nous paraissent insuffisantes. En attendant les réponses de Mme la ministre dans l’hémicycle, nous nous abstiendrons.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Le groupe MODEM et démocrates apparentés soutient un budget cette année encore conforme à la programmation budgétaire. Le cap tracé par le Gouvernement, que nous avons collectivement amendé et validé à la majorité pendant l’examen de la LPM, est clair et survit à la conjoncture.

Le projet de budget pour 2021 conforte l’ambition de régénération de nos forces après des années de coupes. Cette stratégie budgétaire reste la même et nous pouvons nous féliciter que sa consécration ne varie pas en fonction de l’actualité, alors que nous savons toutes les pressions qui peuvent être exercées sur le budget des armées et des anciens combattants. Rappelons toutefois que chaque euro investi, des investissements à effet majeur aux petits équipements en passant par l’amélioration des conditions de vie et d’hébergement, a une incidence dans nos territoires.

Cela a déjà été rappelé, mais réjouissons-nous encore, mes chers collègues, d’une croissance supplémentaire du budget de la défense de 1,7 milliard d’euros. Nous pouvons évidemment nous attarder sur tel ou tel point des arbitrages entre programmes, mais restons conscients des équilibres négociés et des efforts consentis depuis le début du quinquennat, c’est-à-dire un renfort de 6,8 milliards.

Quant aux Anciens combattants, notre collègue Michel-Kleisbauer l’a rappelé, la réduction structurelle ne s’oppose pas à des réponses à des demandes récurrentes d’associations d’anciens combattants et à la transmission de la mémoire vivante aux jeunes générations.

Nous serons particulièrement attentifs à la seconde phase du projet budgétaire de la LPM qui devrait s’ouvrir sur la revoyure en 2021. Dans l’exécution du budget et la préparation de la revoyure, je rappellerai combien nous sommes attachés au respect du rôle du Parlement, en particulier pour la veille et la prospective. Il en est ainsi des sujets que nous défendons depuis la LPM et qui trouvent leur application croissante dans le budget à venir. Citons le budget de 624 millions pour l’espace, en cohérence avec nos amendements au rapport annexé sur l’arsenalisation et la densité spatiale ou, plus récemment, l’achat de nouveaux hélicoptères Caracal, en cohérence avec notre mission flash sur le parc d’hélicoptères, ou encore, les 237 millions investis dans le logement à l’issue du rapport d’évaluation de Fabien Lainé et Laurent Furst, qui ont tous deux quitté la commission et que je salue.

Le groupe MODEM et démocrates apparentés sera particulièrement vigilant à l’articulation entre nos travaux passés et leur concrétisation budgétaire.

En évoquant la prospective, au-delà du budget qui lui est alloué cette année au sein de nos administrations, je sais que notre commission prendra toute sa place dans l’accompagnement et le contrôle de l’action du Gouvernement. Je souhaitais notamment mettre en valeur le travail de nos collègues sur la seconde partie du rapport. Comment ne pas penser que les travaux sur le porte-avions de nouvelle génération ne participeront pas au débat public ? Comment ne pas penser que les travaux sur nos combattants issus des colonies ne pourront pas contribuer à des actions mémorielles à engager demain ?

De même, les travaux toujours plus conjoints entre notre commission et celle des affaires européennes sont des vecteurs forts de notre participation à la construction d’une Europe de la défense qui passe également par notre participation budgétaire.

Enfin, l’accroissement des budgets dans certains domaines comme le renseignement ne peut qu’inciter au renforcement de la fonction de contrôle du Parlement. Notre groupe prendra toute sa part dans la préparation de demain, en particulier dans le cadre croissant des énergies, des réserves et de la synergie interministérielle.

Pour toutes ces raisons, qui conduisent le Parlement à s’intéresser de près à la conduite de la politique de la défense nationale et à celle de la reconnaissance due aux anciens combattants, notre groupe donnera un avis favorable au projet de budget et s’associera à vous, mes chers collègues, pour le faire vivre dans le dialogue et le respect du débat parlementaire au service des armées de la France.

Mme Isabelle Santiago. La discussion budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2021 s’inscrit dans un contexte marqué par le covid-19 et par l’accroissement des menaces et des tensions au niveau international. Face à la montée de conflits au voisinage de l’Union européenne et à l’affirmation d’acteurs étatiques révisionnistes de plus en plus enclins à remettre en cause le statut hérité de l’ordre international libéral d’après 1945, les dépenses en matière de défense n’ont peut-être jamais autant trouvé leur importance pour assurer la sécurité des Français.

L’année 2021 est également importante et significative pour le budget de défense, car c’est celle de l’actualisation à mi-parcours de la loi de programmation militaire 2019-2025. Comme le souligne à juste titre le chef d’état-major des armées, le général Lecointre, jusqu’en 2021, la LPM permettait de réparer les armées après des années de sous-dotation. Après 2021, s’ouvrira le temps du renouvellement et de l’augmentation.

C’est donc une année charnière aux nombreux enjeux pour la conception et l’élaboration de nouveaux programmes d’armement, dont beaucoup sont conçus en coopération avec d’autres États européens. Il s’agit notamment du système de combat aérien du futur (SCAF), du système de patrouille maritime futur, du système de lutte antimines du futur. Cependant, hormis le programme SCAF, ces programmes sont financièrement sous-dotés.

On peut légitimement s’interroger sur la dynamique d’avancement différenciée de ces programmes d’armement et l’efficacité de l’actualisation de la loi de programmation militaire en vue des trois prochaines années. Certes, le rythme d’augmentation des crédits de la mission « Défense » par rapport aux objectifs de la loi est tenu ou presque. Au lieu du 1,7 milliard d’euros annoncé, le document budgétaire ne retrace que 1,61 milliard, soit une différence significative de 100 millions. Mais l’augmentation des crédits ne doit pas seulement être la seule boussole à laquelle évaluer la pertinence de ce projet de budget et ses conséquences pour les armées, elle doit également permettre de relever des défis plus structurels et récurrents auxquels font face les armées.

De ce point de vue, il convient de souligner que les armées restent soumises à de fortes tensions et fonctionnent parfois à la limite de leur capacité. Ainsi le renouvellement et l’amélioration de la préparation opérationnelle restent de forts enjeux.

Face aux engagements toujours plus intenses en opérations extérieures, au retard de certains programmes d’armement ou à la difficulté de fidéliser les personnels, les armées ne sont plus en mesure d’assurer l’entraînement et la préparation opérationnelle indispensables au maintien des compétences. La crise du covid n’a guère contribué au maintien d’un rythme de recrutement soutenu en 2020.

Je terminerai par le soin que l’on doit accorder aux personnels des armées, la fidélisation des personnels et l’amélioration de la condition des militaires, notamment par le plan « famille ». Il n’est pas encore pleinement satisfaisant. Le nombre des attributions et des dénonciations de contrats, tant par les officiers que par les sous-officiers, reste élevé.

En conclusion, même si, budgétairement, les engagements sont tenus, le budget « Défense » du PLF 2021 comporte encore un grand nombre d’hypothèques qui rendent l’actualisation de la loi de programmation militaire, le renouvellement et l’augmentation des armées encore incertains. C’est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés s’abstiendra.

M. Thomas Gassilloud. Nous sommes réunis pour examiner notre quatrième budget de ce mandat et le troisième dans le cadre de la LPM 2019-2025. Après avoir entendu les exposés complets de nos collègues rapporteurs, que je félicite de nouveau pour leur travail, j’ai été chargé de vous faire part de l’avis du groupe Agir ensemble.

Ce projet de budget représente une performance, puisqu’il a résisté à l’habituelle remise en question, toujours à la baisse, des LPM en cours de mandat, performance d’autant plus notable au regard de la conjoncture : crises des gilets jaunes, des retraites puis sanitaire.

Ce projet de budget respecte les engagements fixés dans la LPM. Il augmente de 1,7 milliard d’euros, soit 4,5 %. Il évite le piège de la marche en termes de pourcentage du PIB pour rester dans la trajectoire financière prévue par l’Ambition 2030 et permettra à nos armées de disposer d’un budget annuel d’environ 50 milliards. Les domaines critiques de l’espace, de la cyberdéfense et de la dissuasion sont bien pris en compte pour garantie notre autonomie stratégique nationale. Les capacités conventionnelles verront les livraisons d’une frégate multi-missions (FREMM), de trois MRTT Phénix, de 157 blindés Griffon et de nombreux autres équipements. Le quotidien du soldat, trop longtemps sacrifié au profit des grands programmes d’armement, est amplement valorisé grâce à 237 millions d’investissement dans les programmes d’hébergement, la poursuite du plan « famille » ou la livraison de petits équipements. Ce budget soutient l’activité industrielle de nos PME, TPE et start-up sur le territoire national et contribue activement à la relance économique.

Au-delà du prisme budgétaire, ce projet de budget est l’occasion d’une réflexion sur notre vision stratégique pour les années qui viennent. Les évolutions prévues par la revue stratégique se sont accélérées : risque terroriste, affrontement sino-américain, revanche des empires russe et ottoman. Une rupture stratégique s’est même opérée avec la crise covid dont les répercussions sur le long terme sont encore inconnues.

De nombreuses questions se posent. Dans ce monde instable, j’évoquerai la conciliation du dilemme entre masse et haute technologie, en gardant le modèle d’armée complet pour éviter toute impasse et des capacités prépositionnées ou déployées en OPEX. Malgré une LPM très ambitieuse, le sujet de la masse reste malheureusement d’actualité puisque, depuis la fin de la guerre froide, les armées ont souvent été dimensionnées, voire organisées, pour faire face à une moyenne d’engagement et non à des pics. Compte tenu du risque d’engagement majeur, il nous faut désormais mieux travailler notre capacité à faire face à des pics d’engagement, en termes matériels ou humains, c’est-à-dire, maintenir une logique de flux tout en prévoyant une logique de stock.

Les travaux préparatoires de la revoyure de la revue stratégique sont en cours du côté du ministère. L’enjeu des prochains mois me semble être désormais, individuellement et collectivement, au Parlement, de préparer ces travaux de revoyure qui interviendront au printemps prochain et auxquels notre groupe souhaite être associé. Là encore, nous rappelons notre attachement à ce que le Parlement soit associé à ces travaux.

Dans cette attente, le groupe Agir ensemble approuve sans réserve et avec conviction les crédits des missions « Défense » et « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ».

M. Grégory Labille. C’est pour moi un moment particulier et important puisque, député nouvellement arrivé sur les bancs de cette commission, c’est la première fois que je suis amené à émettre un avis et à voter les crédits des missions budgétaires. Enseignant de profession, avant d’intégrer la commission de la défense et de participer à la séance de ce matin, j’étais plutôt sensible aux sujets touchant l’éducation. Je remercie Mme la présidente pour la qualité de l’animation de la commission, les nombreux rapporteurs pour la qualité de leur travail et celles et ceux qui, ce matin, ont questionné les rapporteurs. Vous avez tous fait preuve de pédagogie et les sujets abordés ont aiguisé ma curiosité de jeune élu.

Avant de vous indiquer la position du groupe UDI et indépendants, je me dois de vous exposer nos remarques, nos constats, nos interrogations et nos points de vigilance.

Force est de constater que pour la mission « Défense », dotée d’un budget de 39,2 milliards d’euros, en hausse de 4,5 % par rapport à 2020, la tâche aurait pu être beaucoup plus difficile. Alors que notre pays connaît une violente crise sanitaire et économique, une réflexion court-termiste aurait pu conduire le Gouvernement, comme d’autres l’ont fait si souvent par le passé, à tailler dans le budget des armées. Cela n’a pas été le cas, et nous nous en réjouissons. À l’inverse, le choix a été fait de respecter la LPM votée en 2018 en augmentant le budget de la mission de 1,7 milliard.

Nous regrettons toutefois que la défense soit la grande oubliée du plan de relance, car l’industrie de défense constitue un des investissements les plus performants en matière d’emploi et de retour budgétaire pour l’État.

Face à un monde chaque jour plus instable et dangereux, où les conflits gagnent en complexité et où les crises se multiplient, face au retour du fait guerrier et à la politique du fait accompli, face à l’apparition de nouveaux champs de conflictualité, il est urgent de reconstruire une armée de guerre capable de répondre à l’ensemble des menaces.

S’il est indispensable d’intensifier les efforts, il faut néanmoins se rappeler l’état dans lequel se trouvaient nos armées il y a quelques années et le chemin parcouru.

Il s’agit d’un projet sérieux et satisfaisant dont notre groupe souhaite souligner quelques aspects.

Nous nous réjouissons que les armées deviennent le premier recruteur public de France par l’embauche de près de 27 000 personnes. Des domaines aussi essentiels que le renseignement, la cyberdéfense, la protection des emprises militaires et le soutien aux exportations doivent être renforcés. La création de 300 postes y contribuera.

De surcroît, ce budget concourra à l’amélioration des conditions de travail, de vie et d’équipement de nos soldats. Nous savons tous ici combien ces améliorations sont attendues.

Sur le plan capacitaire, la livraison de nombreux équipements, tels qu’une frégate multi-missions (FREMM) de défense aérienne, trois avions ravitailleurs MRTT Phénix, 157 blindés Griffon, 20 blindés Jaguar ou 6 hélicoptères NH90 Caïman, ainsi que les différentes commandes prévues en 2021, sont des signes visibles et concrets de cette remontée en puissance.

Alors que nos armées se doivent de garder un coup d’avance pour faire la différence sur les théâtres d’opération, le Gouvernement, en consacrant 901 millions pour soutenir l’innovation et concevoir les technologies de demain, prouve qu’il a conscience qu’innover demeure plus que jamais une question de survie.

Si nous sommes satisfaits du projet de budget pour 2021, notre groupe demeurera vigilant sur quatre points pouvant avoir de sérieuses répercussions : la conséquence de la vente de Rafale à la Grèce, l’incendie du sous-marin nucléaire Perle, les décisions prises quant au futur porte-avions de nouvelle génération et les surcoûts liés aux OPEX et aux missions intérieures (MISSINT).

Même si le budget de la mission « Anciens combattants » est en baisse, notre groupe considère qu’il demeure satisfaisant dans un contexte économique particulièrement difficile et compte tenu de l’éclaircissement malheureux des rangs au sein des combattants.

Les droits en faveur des anciens combattants et de leurs ayants droit sont maintenus et même, dans certains cas, étendus.

Nous nous réjouissons des 17,5 millions supplémentaires destinés à la politique de mémoire et des 2,5 millions consacrés à l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) pour l’entretien courant des lieux de mémoire. Il était important que cette fonction essentielle soit remise à niveau. Il nous paraît maintenant nécessaire de réfléchir à une structuration de la mémoire avec le monde enseignant. C’est l’enseignant d’un territoire durement touché lors des premières guerres mondiales qui le dit.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI et indépendants votera ces missions budgétaires.

M. Bastien Lachaud. La publication de l’annexe budgétaire suscite de nombreuses questions et même un malaise, dans la mesure où de grandes décisions structurantes ont été prises avant ou seront prises après l’adoption de ce projet de budget et auront échappé à la représentation nationale.

Commençons par évoquer le cadre global dans lequel ce budget nous est proposé. Dans le contexte de crise sanitaire et économique engendré par l’épidémie de covid-19, chacun reconnaît que la relance s’impose. Vous revendiquez d’y participer mais en réalité, il n’en est rien. Suivre la trajectoire budgétaire même haussière d’une LPM définie il y a trois ans ne peut être considéré comme de la relance. Les PME de la base industrielle et technologique de défense (BITD), les sous-traitants des grands groupes ont besoin d’une action volontariste qui ne se limite pas à lancer des commandes qui figuraient déjà dans de nombreux plans de charge. J’ai déjà donné ici même l’exemple de Tarbes Industry, dont l’avenir est en jeu. Je renouvelle mon alerte au sujet de ce prestataire de Nexter, mais de nombreux autres sont en danger. Une ligne budgétaire spécifiquement dédiée aurait été souhaitable.

Le contexte militaire en tant que tel est marqué par les prises de position des différents chefs d’état-major en faveur d’une révision de l’état des menaces et des moyens d’y faire face. En 2021, une clause de revoyure de la LPM est prévue. Dans ces conditions, on aurait pu penser que le lancement des grandes commandes s’accompagnerait d’une sorte d’aggiornamento doctrinal, voire y serait subordonné. Cela n’est pas le cas.

Entrons dans le détail des mesures pour lesquelles nous ne possédons guère d’éléments suffisants pour voter.

Concernant les ressources humaines, la nouvelle politique de rémunération des militaires doit être mise en œuvre en 2021, mais nous ne savons que deux choses : elle s’appuiera sur le déploiement de sources soldes et elle commence par la création d’une prime dont le coût est estimé à 38 millions. Elle est pourtant présentée comme une profonde transformation du système. Par conséquent, on est prié de voter la mise en chantier d’une politique fondamentale dont nous ne possédons pas le dernier mot.

Venons-en au porte-avions de nouvelle génération pour lequel 7 millions de crédits de paiement et 330 millions d’autorisations d’engagement doivent être débloqués. Quand les données du problème ont-elles été exposées méthodiquement au public ou même à la représentation nationale ? Quand a-t-on pris le temps de construire ou d’essayer de construire un consensus éclairé à ce propos ? Jamais !

De même, concernant l’avenir de la flotte sous-marine, la décision de réfection du SNA Perle est certes tributaire d’analyses complexes, mais aucune des grandes pistes qui pourraient être suivies n’est mentionnée dans le document budgétaire. On compte deux mentions du SNA seulement et aucune ne précise combien il faudrait provisionner pour sa réfection. Le budget sera-t-il obsolète immédiatement après son adoption ?

La vente de 18 Rafale et le rachat de 12 appareils neufs ne figurent pas non plus dans notre annexe budgétaire. L’échéancier des commandes et livraisons ne présente pas cette opération, quasiment assurée. L’effet sur les capacités de l’armée de l’air demeure incertain et le bilan financier de l’opération tout autant. Il n’est pas certain que les produits de la vente reviennent de Bercy à Brienne. Les appareils d’occasion seraient vendus 400 millions, soit un rabais d’environ 60 %. L’achat de douze autres avions, pour environ 1 milliard, représenterait donc un trou d’environ 600 millions. La dépense n’est pas anticipée.

Venons-en à l’un des chiffres les plus originaux de cette année : 1 milliard en autorisations d’engagement supplémentaires au bénéfice de projets immobiliers du renseignement. On comprend sans peine que les projets des services du renseignement bénéficient d’une certaine discrétion. Nous soutenons également le principe de la hausse de ce budget, mais nous avons tout de même du mal à admettre que des opérations immobilières s’élevant à 1 milliard soient soumises à l’approbation des élus sans que quelques éléments techniques et juridiques soient présentés. Pour donner un ordre de grandeur, ce milliard représente à lui seul le tiers du coût initialement prévu pour Balard. De quoi nous laisser perplexes !

Enfin, parlons de la jeunesse et du service national universel (SNU). Le programme 212 transfère 461 000 euros au programme 163, mais cela ne signifie pas que les armées seront déchargées. La description de la sous-action « commandement et activités centralisées des forces aériennes » précise que son budget comprend la montée en puissance du SNU. Pour quel montant ? On l’ignore. Qu’en est-il des autres armées ? On l’ignore également.

Finissons par les OPEX. La LPM prévoyait une dépense de 1,1 milliard. Le projet est de 820 millions dans cette loi de finances initiale. Les 300 millions devront-ils être rattrapés pour boucler l’exercice ? En tout cas, cette provision contrevient au principe de financement interministériel des OPEX et acte le maintien d’un haut niveau d’engagement pour lequel nous n’avons toujours pas de bilan stratégique. C’est pour le moins ennuyeux.

Pour conclure, je suis tenté de dire que la communication hypnotique sur le thème de la remontée en puissance laisse transparaître, dans ce projet de budget, de nombreux impensés et en suspens de nombreuses questions.

M. André Chassaigne. Je laisserai le soin à Manuéla Kéclard-Mondésir de livrer en séance publique notre analyse sur les différents crédits et de préciser le vote des deux composantes du groupe de la Gauche démocrate et républicaine : les députés communistes et les députés d’outre-mer. Pour ma part, j’évoquerai l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la dissuasion nucléaire et les ventes d’armes.

Interrogé ce matin sur le coût de notre participation à l’OTAN pour notre budget, le rapporteur a indiqué qu’il me répondrait sur la mise à disposition d’environ 400 personnes et la permanence aérienne assurée par la France au-dessus des pays baltes. Pour ma part, je considère qu’il faut dégager le continent européen de l’OTAN en prônant sa dissolution. Elle pourrait commencer par le retrait de la France de cette alliance dépassée par l’histoire et que le Président de la République a définie comme étant « en état de mort cérébrale ». Chacun sait ce que cela représente pour les intérêts industriels et commerciaux des États-Unis. Nous constatons une forme de schizophrénie. Rappelons l’opération de l’OTAN au large des côtes de la Libye quand la frégate légère furtive française Courbet a été visée par une manœuvre hostile de deux frégates turques lance-missiles protégeant un navire turc pratiquant la contrebande d’armes en direction d’un pays sous embargo de l’ONU. C’est dire à quel point l’OTAN est effectivement en état de mort cérébrale.

Faut-il conserver une dissuasion nucléaire ? La question, aussi importante sur le plan éthique que sur celui de l’efficacité, doit faire l’objet d’un débat public. J’ai signé une proposition de loi visant à organiser un référendum en application de l’article 11 de la Constitution, alinéa 3, sur la participation de la France à l’abolition des armes nucléaires et radioactives, avec la question suivante : « Approuvez-vous que la France participe à l’abolition des armes nucléaires et radioactives et engage avec l’ensemble des États concernés des négociations visant à établir, ratifier et appliquer un traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires et radioactives sous un contrôle mutuel et international strict et efficace ? ».

Sur le plan éthique, nous demandons que le Gouvernement, fort de l’autorité qui est celle de la France dans le monde, prenne l’initiative d’un processus de désarmement nucléaire complet, multilatéral, contrôlé, vérifiable et intégrant de façon contraignante tous les pays à capacité nucléaire. Certes, la lutte pour la paix ne peut se réduire à un simple désarmement unilatéral, ce qui conduirait au même échec que la bulle papale interdisant l’arbalète au Moyen Âge, mais notre budget comporte 4,12 milliards d’investissements, soit 25 milliards sur cinq ans, dont une partie pourrait être réorientée vers d’autres actions, comme je le proposerai par voie d’amendement.

Quant aux ventes d’armes, les entreprises du secteur de la défense n’exercent pas la diligence requise en matière de droits humains définie par les principes directeurs de l’ONU relatifs aux droits humains. Les États, dont la France, ont été incapables d’exercer une diligence raisonnable dans leurs activités internationales, tant pour leurs chaînes d’approvisionnement que pour l’utilisation de leurs produits et services. Pour ne citer que les deux plus importantes, Dassault Aviation et Thales sont des entreprises françaises qui fournissent des équipements et des services militaires à la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, parties prenantes au conflit en cours au Yémen. Depuis le 27 mars 2017, une loi impose un devoir de vigilance aux sociétés mères et aux entreprises donneuses d’ordres. Les États, dont la France, on le devoir de jouer un rôle protecteur face à des abus commis par des acteurs non étatiques.

*

*     *

La commission en vient à l’examen, pour avis, des crédits de la mission « Défense ».

 

Mme la présidente Françoise Dumas Nous commençons par l’examen des amendements et le vote sur les crédits de la mission « Défense ».

Article 33 et état B

La commission est saisie de l’amendement II-DN4 de M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je suis intervenu ce matin sur la nécessaire augmentation des moyens du service de santé des armées (SSA). En cohérence, je propose d’y affecter une partie des moyens consacrés à la dissuasion nucléaire. M’appuyant sur les déclarations du général Lecointre et du médecin général des armées, Marilyne Gygax Généro, je propose de réfléchir à la création d’une structure médicale modulable plus importante, afin d’éviter de devoir monter rapidement un hôpital militaire, comme nous l’avons fait, sans avoir sous la main tous les matériels nécessaires.

M. Christophe Lejeune, rapporteur pour avis. Je partage votre intérêt pour le service de santé des armées. Lors de l’opération Résilience, nous avons vu que la mission de nos soignants avait une application civile, et nous avons tous à l’esprit le transfert des malades. Il faut soutenir ce service et nous le faisons. Permettez-moi de vous rappeler que jusqu’à cette LPM, le SSA avait perdu 10 % de ses effectifs au cours des quatre précédentes années. Ils ont, depuis, été stabilisés, voire légèrement augmentés. S’agissant des recettes budgétaires, nous allons faire un effort remarquable, que l’on estimera peut-être insuffisant, de 27 %. Je comprends votre impatience, mais on ne peut pas constituer et former une équipe médicale dans un délai aussi réduit. De surcroît, vous gagez votre amendement en retirant des crédits à la dissuasion, ce qui me semble particulier. J’émettrai donc un avis défavorable.

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. Ce matin, nous avons évoqué longuement les crédits du SSA. Ceux-ci passent de 30,9 millions d’euros en CP et 47,2 millions en AE en 2020 à 48,3 millions en CP et 147,8 millions en AE. Personne ne conteste cette augmentation, bien, au contraire. J’aurais voulu faire plaisir à notre collègue le président Chassaigne…

M. André Chassaigne. Je n’en suis pas vexé, je ne m’attendais pas à un miracle !

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. …mais, pour nous, la dissuasion est un élément important, un instrument de notre souveraineté et de notre indépendance. Malgré la pertinence et la qualité de votre intervention, nous considérons que les crédits consacrés à la dissuasion doivent être sanctuarisés.

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Le débat est intéressant, parce qu’il pose la question de notre force de dissuasion. Nous l’avons vu dans le débat sur l’armement de petit calibre, la France a choisi de garder sa filière de souveraineté. Autant l’objet pour lequel vous souhaitez une augmentation est louable, autant puiser dans la défense nucléaire est un mauvais choix, parce que la France envisage la dissuasion en premier ou en ultime recours, la diplomatie opérant entre les deux. Si la France veut rester un bras armé dissuasif de la paix dans le monde, elle doit garder sa capacité de dissuasion. C’est la raison pour laquelle le groupe MODEM soutient entièrement la préservation des ressources dévolues à la politique de dissuasion de la France.

M. Bastien Lachaud. Le débat apparaît d’emblée truqué, dans la mesure où la Constitution de la Vème République prive le Parlement d’une de ses attributions essentielles qui est de déterminer le budget de la nation. Le Parlement ne peut augmenter les dépenses, seul le gouvernement le peut. Nous avons affaire à un Parlement croupion, contraint de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le vrai débat sur l’amendement du président Chassaigne porte donc sur l’opportunité de l’augmentation du budget du SSA, pas sur le gage. Son exposé des motifs fixe pour objectif la réouverture de l’hôpital du Val-de-Grâce dont la crise sanitaire a montré que la fermeture avait été une erreur. Ce n’est que parce que nous sommes bridés par l’article 40 de la Constitution que nous ne devons pas approuver cet amendement. Il reviendra au Gouvernement de lever le gage pour garantir le maintien de la dissuasion nucléaire. Je voterai pour l’augmentation du budget du SSA.

M. André Chassaigne. Dans un cadre formaté, il faut, pour faire évoluer le budget, prendre l’argent quelque part. Il est plus facile de puiser dans les plus de 4 milliards d’euros consacrés à la dissuasion nucléaire que sur une autre ligne.

Mme la présidente Françoise Dumas. Certes, mais il s’agit tout de même de la clé de voûte de notre système de défense !

La commission rejette l’amendement.

 

Puis elle examine l’amendement II-DN3 de M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. En forme de clin d’œil à mon collègue Jean-Pierre Cubertafon, il s’agit d’un amendement d’appel faisant suite au rapport que nous avons rédigé sur le petit équipement de l’armée. Là encore, il faudrait dégager davantage de fonds. Là encore, il a fallu aller piocher là où il y avait un peu plus de moyens, en lien avec notre proposition de revenir sur la politique nucléaire de la France.

M. Christophe Lejeune, rapporteur pour avis. Les petits équipements sont nécessaires à nos armées. Nous étions tous d’accord avec le rapport proposé en ce sens par nos deux collègues. La LPM prévoit un budget en augmentation pour les acquisitions de petit équipement. On peut toujours penser que cela ne va pas assez vite, mais il augmente. Toutefois, je le répète, nous ne pouvons toucher au budget de la dissuasion, même si vous le trouvez important. Nous nous sommes rendus, avec la présidente Françoise Dumas, au PC de la dissuasion nucléaire. On ne peut pas tout dire dans cette salle mais j’invite certains de nos collègues à aller échanger directement avec ceux qui, au quotidien, font vivre notre dissuasion nucléaire, afin de comprendre les nécessités budgétaires de notre indépendance. Quelqu’un a demandé si des économies d’échelle entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire étaient envisageables. Ce n’est pas le cas mais il existe une complémentarité, l’un n’allant pas sans l’autre. La dissuasion est une clé de voûte, le petit matériel aussi : nous ne saurions financer son achat en réduisant le budget de la dissuasion. J’émets donc un avis défavorable.

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Bien que je me sois exprimé défavorablement au sujet de la proposition de prélèvement sur le budget de la défense nucléaire, cette proposition figurant dans le rapport que vous avez présenté avec Jean-Pierre Cubertafon, le groupe MODEM s’abstiendra.

La commission rejette l’amendement.

 

L’amendement II-DN18 de M. Larsonneur n’est pas défendu.

 

Suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement II-DN10 de M. David Habib.

 

La commission examine l’amendement II-DN11 de M. David Habib.

Mme Isabelle Santiago. Il est défendu.

M. Christophe Lejeune, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Claude de Ganay. J’indique à notre jeune collègue que son groupe présente régulièrement cet amendement depuis deux à trois ans. Il est fait référence à l’évolution du prix du baril de pétrole. Je précise que le service des essences, rebaptisé cette année service de l’énergie opérationnelle, passe chaque année des contrats qui lui permettent de prendre des mesures d’ordre réglementaire afin de s’adapter aux fluctuations du marché.

La commission rejette l’amendement.

 

Puis, suivant l’avis du rapporteur pour avis, la commission rejette successivement les amendements II-DN6, II-DN7 de M. David Habib.

Puis la commission examine l’amendement II-DN8 de M. David Habib.

Mme Isabelle Santiago. Il est défendu.

M. Christophe Lejeune, rapporteur pour avis. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud. Au moment où les différents chefs d’état-major font état de difficultés pour la préparation opérationnelle des forces, il serait utile que la représentation nationale soit éclairée par un rapport.

La commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur pour avis, elle rejette l’amendement II-DN9 de M. David Habib.

 

Mme la présidente Françoise Dumas. Nous allons maintenant procéder au vote sur les crédits de la mission « Défense », après avoir entendu l’avis des différents rapporteurs.

M. Fabien Gouttefarde, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. Abstention.

M. Didier Le Gac, rapporteur pour avis. Avis favorable.

M. Jean-Jacques Ferrara, rapporteur pour avis. Abstention bienveillante.

M. Christophe Lejeune, rapporteur pour avis. Favorable.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Défense ».

 


—  1  —

   Annexe :

Auditions et déplacements du rapporteur pour avis

(Par ordre chronologique)

1. Auditions

 Institut de recherche stratégique de l’École militaire  M. Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer, directeur ; M. Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » ;

 Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères  M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur ; M. Félix Buttin, chargé des affaires stratégiques ;

 Institut de relations internationales et stratégiques ‒ M. Pascal Boniface, directeur ;

 OpenFacto  M. Hervé Letoqueux, président ;

 Hypermind  M. Émile Servan-Schreiber, co-fondateur ;

 Fondation pour la recherche stratégique  M. Xavier Pasco, directeur ; M. Bruno Tertrais, directeur-adjoint ;

 Office national d’études et de recherches aérospatiales  M. Bruno Sainjon, président-directeur général ; M. Jacques Lafaye, conseiller en charge des relations avec le Parlement ;

 Institut français des relations internationales  M. Corentin Brustlein, directeur du Centre des études de sécurité ; M. Élie Tenenbaum, coordinateur du Laboratoire de recherche sur la Défense ;

M. Arnaud Danjean, député européen, président du comité de rédaction de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 ;

 Agence de l’innovation de défense  M. Emmanuel Chiva, directeur ; M. Bruno Bellier, chef du pôle « stratégie et technologies de défense » ; M. Nicolas Grangier, chef du pôle « financement et acquisition de l’innovation » ; Mme Mathilde Herman, cheffe de la cellule « Relations institutionnelles » ;

 Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis ‒ M. Christian de Villemagne, directeur ; Mme Vivienne de Gaskell, cheffe du service de la communication ;

 État-major des armées  M. Vincent Breton, chef du pôle « Prospective et stratégie militaire » ; M. Géraud Cazenave, chargé du groupe d’orientation de la stratégie militaire ; M. David Desjardins, chargé du groupe d’anticipation stratégique ;

 État-major des armées  M. Ludovic Pinon, secrétaire général des officiers de cohérence opérationnelle au sein de l’état-major des armées ; M. Olivier Gueldry, officier de cohérence opérationnelle « Études » au sein de la division de la cohérence capacitaire ;

 Service européen d’action extérieure  M. Hervé Delphin, directeur de la division de la planification stratégique ;

 État-major de l’armée de Terre  M. le général Charles Palu, sous-chef « plans et programmes » ; M. le colonel Stéphane Marchenoir, chef du bureau « plans » ; Mme Éva Catrin, adjointe aux relations parlementaires ;

 Institut d’études de sécurité de l’Union européenne  Mme Florence Gaub, directrice adjointe ;

 Direction générale des relations internationales et de la stratégie  Mme Alice Guitton, directrice générale ;

 Direction générale des relations internationales et de la stratégie  M. Guillaume Schlumberger, directeur de la direction « Stratégie de défense, prospective et contre-prolifération » ; M. Nicolas Bronard, chef du pôle « Prospective, recherche et innovation » ;

2. Déplacements

 16 juillet 2020, Paris  Visite de l’Innovation Défense Lab ;

 24 septembre 2020, Paris  Visite du plateau de travail collaboratif EMA-DGA ;

 22 octobre 2020, Le Plessis-Robinson  Déplacement à MBDA.