N° 337

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2022.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

TOME VI

 

ÉCONOMIE

 

Commerce extÉrieur et diplomatie Économique

PAR M. Jean-François Portarrieu

Député

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 Voir le numéro : 273


 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. LA SITUATION DU COMMERCE EXTÉRIEUR

A. UN BILAN CONTRASTÉ POUR LE COMMERCE EXTÉRIEUR FRANÇAIS

1. La réalité du commerce extérieur français dépasse les seuls chiffres du déficit commercial

2. Un rebond différencié en fonction des secteurs d’activité

B. LES ACTIONS MENÉES PAR LES POUVOIRS PUBLICS POUR SOUTENIR LES ENTREPRISES EXPORTATRICES

1. Les aides apportées aux entreprises exportatrices en réponse à la crise sanitaire

2. La mobilisation de la diplomatie économique au service des entreprises françaises

II. LA SITUATION DE LA FILIÈRE AÉRONAUTIQUE, ATOUT PRINCIPAL DE LA FRANCE À L’EXPORTATION

A. UNE FILIÈRE D’EXCELLENCE FORTEMENT TOUCHÉE PAR LA CRISE SANITAIRE

1. Un dynamisme économique remarquable

2. Une filière fortement touchée par la crise sanitaire

3. Une filière résiliente ayant bénéficié d’un soutien des pouvoirs publics

B. UNE FILIÈRE EXPOSÉE À DE NOUVEAUX DÉFIS

1. Les défis industriels

a. Les tensions en matière de financement

b. Les tensions en matière de recrutement

2. Les défis conjoncturels liés au contexte géopolitique

a. Les défis liés aux tensions inflationnistes

b. Les défis liés aux difficultés d’approvisionnement

3. Le défi de la décarbonation du transport aérien

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE  1 LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS


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introduction

La commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis sur la mission Économie – Commerce extérieur et diplomatie économique du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, afin de se prononcer sur les crédits destinés au financement et au soutien du commerce extérieur de la France. Ces crédits visent principalement à soutenir les entreprises françaises sur les marchés étrangers, à promouvoir l’attractivité du territoire et à faire de la régulation internationale un atout pour l’économie française.

L’examen du budget constitue, en outre, pour la commission des affaires étrangères l’occasion d’examiner les instruments, les objectifs et les modalités de la diplomatie économique. Cette année, le rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à la filière aéronautique, qui constitue un des principaux atouts de la France à l’exportation.

La filière aéronautique française a été sévèrement touchée par la crise sanitaire mondiale qui a occasionné un arrêt brutal du trafic aérien de passagers et, par extension, le recul des prises de commandes en appareils par les compagnies aériennes. Elle a néanmoins fait preuve d’une forte résilience, grâce notamment au soutien apporté par les pouvoirs publics néanmoins elle doit à présent affronter de nouvelles difficultés engendrées par les conséquences de la guerre en Ukraine et les défis liés aux enjeux de la lutte contre le dérèglement climatique. Cette filière française d’excellence s’efforce désormais, dans un contexte de forte reprise de l’activité, de garantir la pérennité de ses chaînes logistiques ainsi que de ses approvisionnements stratégiques.

En 2021, la filière aéronautique française affichait un excédent commercial de 19,5 milliards d’euros, soit 39,3 milliards d’euros réalisés à l’export et 19,9 milliards à l’import. Elle représente ainsi le premier secteur contributeur à la balance commerciale française et sa performance à l’exportation est en hausse de 19 % par rapport à l’année précédente. Les performances excédentaires de l’aéronautique française en 2020 et 2021, dans un contexte de forte crise, démontrent sa solidité. Toutefois, ces performances sont en rupture avec l’excédent record de 30,7 milliards d’euros réalisé en 2019 et la hausse quasi continue de croissance à l’exportation réalisée durant la décennie précédente.

Les chiffres du commerce extérieur publiés par la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) pour le premier semestre 2022 confirment la tendance observée : celle d’un excédent aéronautique en croissance d’une année sur l’autre depuis 2020 mais en net recul par rapport à la période d’avant crise sanitaire. En effet, si l’excédent aéronautique a atteint + 10 milliards d’euros sur le premier semestre 2022, en augmentation par rapport au 1er semestre 2020 (+ 7 milliards d’euros), il se situe très en dessous des chiffres enregistrés en 2019 (+ 15 milliards d’euros).

 


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Synthèse : les moyens budgétaires du commerce extérieur et de la diplomatie économique pour 2023

– Mission Économie

-          Programme 134 Développement des entreprises et régulations

La subvention pour charges de service public allouée à Business France s’élève à 100,7 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) en 2023, contre 85,1 millions d’euros en AE et en CP l’année dernière. Bien que le contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2018-2022 conclu par Business France avec ses ministres de tutelle soit terminé et qu’un nouveau contrat soit en cours de négociation, l’opérateur bénéficie d’une subvention pour 2023.

La rémunération de Bpifrance Assurance Export, au titre de ses prestations réalisées pour le compte de l’État, s’élève, quant à elle, à 78,1 millions d’euros en AE et CP, contre 50,1 millions d’euros en AE et CP l’année dernière.

La subvention pour charges de service public de l’opérateur Atout France (agence de développement touristique de la France) s’élève dans le projet de loi de finances pour 2023 à 28,7 millions d’euros en AE et en CP, montant identique à l’année dernière ([1]) .

Une dotation budgétaire de 0,7 million d’euros en AE et en CP est par ailleurs prévue pour financer l’organisation d’évènements en faveur du développement à l’international des entreprises françaises et de l’attractivité du territoire. Elle s’élevait à 0,4 million d’euros en AE et en CP l’année dernière.

-          Programme 305 Stratégie économique

Le programme 305 Stratégie économique prévoit un montant de 70,8 millions d’euros en AE et 70,1 millions d’euros en CP pour 2023, pour les dépenses du réseau international de la direction générale du Trésor (DG Trésor) entrant dans le champ de l’action n° 2 Développement international de l’économie française. Hors dépenses de personnel, les dépenses de fonctionnement prévues s’élèvent à 6 millions d’euros en AE et 5,3 millions d’euros en CP. Elles couvrent essentiellement les dépenses gérées par l’administration centrale de la direction générale du Trésor : frais de changement de résidence des agents, dépenses informatiques, paiement de prestations de la Banque de France, prise en charge de la couverture sociale des volontaires internationaux en administration et dépenses de formation spécifiques aux agents des services économiques. Ces dépenses de fonctionnement s’élevaient à 5 millions d’euros en AE et 5,1 millions d’euros en CP l’année dernière.

La majeure partie des crédits du réseau international de la DG Trésor exécutés à l’étranger est cependant supportée par le programme 105 Action de la France en Europe et dans le monde.

– Mission Cohésion des territoires

Le programme 112 Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire prévoit une subvention pour charges de service public allouée à Business France. Cette subvention, de nature assez résiduelle, est liée historiquement au rôle d’aménagement du territoire reconnu aux investissements étrangers, que Business France a pour mission d’encourager. Elle est d’un montant de 4,8 millions d’euros en AE et CP, montant identique à celui prévu l’année dernière.


– Mission Agriculture

Le programme 149 Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture prévoit une subvention pour charges de service public allouée à Business France d’un montant de 3,71 millions d’euros en AE et 3,73 millions d’euros en CP pour le financement de sa mission d’accompagnement à l’international des entreprises du secteur agricole et agroalimentaire et de sa mission de prestations en matière de statistiques sur le commerce extérieur et d’études sur les marchés à l’exportation. Elle s’élevait à 3,7 millions d’euros en AE et en CP l’année dernière.

– Mission Plan de relance

L’action n° 3 Plan de soutien à l’export dispose de 8 millions d’euros en CP. Il s’agit de transferts aux entreprises pour les soutenir dans leur démarche de prospection à l’export, au titre de la dotation aux fonds d’études et d’aide au secteur privé.

Business France a pris part au Plan de relance via l’action n° 3 Plan de soutien à l’export. Les mesures « accompagnement export » du plan France Relance ont été prolongées jusque fin 2022 et doivent s’arrêter fin au 31 décembre 2022.

– Mission Aide au développement

Une dotation de 30 millions d’euros en AE et 41,5 millions d’euros en CP est prévue pour le fonds d’études et d’aide au secteur privé (FASEP) par le programme 110 Aide économique et financière au développement, contre 25 millions d’euros en AE et 33 millions d’euros en CP l’année dernière.

 


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I.   LA SITUATION DU COMMERCE EXTÉRIEUR

Le commerce international a été, ces dernières années, confronté à un triple choc : une crise liée à la pandémie mondiale de coronavirus, une crise liée à la recomposition des chaînes d’approvisionnement mondiales avec des tensions pour certains intrants critiques et enfin une crise liée aux conséquences de la guerre en Ukraine entraînant une hausse du coût de l’énergie.

Les prévisions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) indiquent une reprise des échanges commerciaux plus faible qu’attendue – + 3,2 % selon le dernier baromètre du commerce mondial – et contrastée selon les régions du monde, avec une reprise plus faible pour l’Afrique, l’Amérique latine et une partie de l’Asie du Sud‑Est.

A.   UN BILAN CONTRASTÉ POUR LE COMMERCE EXTÉRIEUR FRANÇAIS

1.   La réalité du commerce extérieur français dépasse les seuls chiffres du déficit commercial

Le déficit commercial français s’est dégradé de 21 milliards d’euros environ en 2021 par rapport à 2020, pour atteindre près de 85 milliards d’euros, dans un contexte de rebond de la croissance et des échanges post‑crise sanitaire. Ce creusement est imputable à des importations plus dynamiques que les exportations, qui ont plus vite retrouvé leur niveau pré-crise. Dans le détail, cette situation s’explique par :

-         l’alourdissement de la facture énergétique ;

-         le dynamisme de la reprise de l’activité, qui a contribué à la dégradation du solde des biens d’investissement et des biens intermédiaires en lien avec l’augmentation des importations de produits nécessaires à la reprise industrielle ;

-         la reprise plus lente dans le secteur de l’aéronautique, premier secteur excédentaire pour la France, qui n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant crise, du fait des résurgences de la pandémie et de difficultés d’approvisionnement.

De manière générale, bien qu’elle se soit partiellement redressée au milieu des années 2010, la balance commerciale de la France se dégrade depuis vingt ans en lien avec le décrochage de notre compétitivité observé au début des années 2000, et la stratégie d’internationalisation des entreprises françaises, qui privilégient l’implantation à l’international par le biais de filiales et délocalisent leur production ([2]).

Cependant le chiffre du déficit commercial ne résume pas à lui seul la réalité du commerce extérieur de la France, dans la mesure où le déficit commercial sur les biens a été plus que compensé par un excédent structurel sur les services et sur les revenus en 2021. La balance courante, qui est le vrai baromètre de la capacité de notre économie à équilibrer ses échanges avec le reste du monde, était ainsi de nouveau équilibrée en 2021 – + 0,4 % du produit intérieur brut (PIB) après - 1,8 % en 2020. En outre, la France demeure le 6e exportateur mondial de biens et services, avec plus de 135 000 entreprises exportatrices et 3,2 % de part de marché en 2021 ([3]).

Pour cette raison, le rapporteur pour avis insiste sur la nécessité de revoir la présentation des chiffres du commerce extérieur français au‑delà de la seule question du déficit commercial des biens, en prenant en compte d’autres paramètres pour évaluer de façon globale les performances de nos entreprises à l’étranger. En effet d’autres agrégats permettent d’offrir une vision plus fine de l’internationalisation de l’économie française comme l’excédent des échanges de services qui atteint 36,4 milliards d’euros, en hausse de près de 18 milliards par rapport à 2020, le solde des transactions courantes, qui en 2021 est excédentaire de 9 milliards d’euros pour la seconde fois en quinze ans ou encore la contribution du commerce extérieur à la croissance (+ 0,2 %).

2.   Un rebond différencié en fonction des secteurs d’activité

Après une année 2020 hors‑norme, en raison des conséquences de la pandémie de la Covid‑19, les résultats du commerce extérieur de la France pour l’année 2021 ont confirmé le redressement amorcé dès le second semestre 2020. La reprise économique à l’échelle mondiale a eu pour effet de favoriser le rebond des exportations françaises, qui dépassaient dès août 2021 leur niveau moyen de 2019.

Cependant le contexte géopolitique actuel et plus particulièrement les conséquences de la guerre en Ukraine entraînent une hausse du prix de l’énergie, ainsi que d’autres difficultés en matière d’approvisionnements, faisant peser de nouvelles incertitudes sur les échanges mondiaux et le commerce extérieur français.

L’effondrement inédit du commerce extérieur français constaté en 2020 a été suivi d’un redressement des exportations de biens en 2021 (+ 17 % par rapport à 2020, pour atteindre 501 milliards d’euros), qui ont quasiment retrouvé leur niveau pré‑crise (98 % du niveau de 2019).

Cependant en 2021, les exportations aéronautiques étaient encore en baisse de 43 % par rapport à leur niveau de 2019, ce qui a pénalisé les résultats de l’ensemble de nos exportations (hors secteur aéronautique, les exportations de biens ont rattrapé leur niveau d’avant‑crise). Dans une moindre mesure, le secteur automobile a connu un redémarrage limité par les tensions sur les approvisionnements. À l’inverse, de nombreux secteurs ont nettement rebondi voire dépassé leur niveau d’avant‑crise, en particulier la chimie, le textile, l’agroalimentaire et la pharmacie.

Les exportations de services ont également connu une vive reprise en 2021 (+ 18 %, pour atteindre 254 milliards d’euros) mais sans retrouver leur niveau d’avant‑crise (96 % de leur niveau de 2019). Malgré tout, les données mensuelles confirment une dynamique favorable puisqu’en décembre 2021, les exportations de services étaient supérieures de 12 % à leur niveau du même mois de 2019.

Ainsi la majorité des secteurs ont retrouvé – voire dépassé – leur niveau d’avant la crise sanitaire en 2021, en particulier la chimie, le « luxe », l’agroalimentaire, la pharmacie, le textile, et les biens d’équipement. À cet égard, il convient plus particulièrement de souligner que :

-         le secteur des produits chimiques, parfums et cosmétiques affiche la meilleure performance, les exportations progressant de 22 % (+ 12 milliards d’euros) par rapport à 2020 pour atteindre un montant de 66 milliards d’euros, supérieur au niveau pré‑crise (111 % du niveau de 2019). Les importations ont augmenté de 24 % (+ 10 milliards d’euros) ce qui s’est traduit par une augmentation de l’excédent sectoriel – exclusivement attribuable aux échanges de parfums et cosmétiques –, qui passe de 13 milliards d’euros en 2020 à 15 milliards d’euros en 2021. La hausse des exportations de parfums et produits cosmétiques a été particulièrement marquée vers l’Asie, notamment vers la Chine. En 2021, les exportations vers la Chine ont augmenté de 29 % conduisant à une amélioration du solde sectoriel bilatéral de 0,4 milliard d’euros (+ 29 %). Cette hausse marquée des exportations, déjà constatée en 2020 (+ 20 %) s’explique en partie par la substitution d’achats effectués habituellement lors de voyages en France par des importations depuis la Chine ;

-         les exportations de « produits de luxe » ([4])  ont progressé de 22 % pour atteindre 58 milliards d’euros et ont dépassé même légèrement leur niveau d’avant crise (103 % du niveau de 2019). Les importations ont augmenté plus modérément (+ 13 %), permettant une amélioration du solde sectoriel de 24 milliards d’euros en 2020, à 31 milliards d’euros en 2021 ;

-         le secteur agroalimentaire a vu ses exportations progresser de 13 %, à 70 milliards d’euros, portant également les exportations du secteur à un niveau supérieur à celui de 2019 (64 milliards d’euros). En parallèle les importations n’ont progressé que de 10 %, à 62 milliards d’euros, améliorant le solde de 6 milliards d’euros en 2020 pour s’établir à 8 milliards d’euros en 2021. Les performances du secteur étaient notamment portées par les boissons, qui ont vu leurs exportations augmenter de 25 %. En particulier, les exportations de vins et spiritueux, ont progressé de 28 %, et de manière plus marquée vers les États‑Unis (+ 33 %), dans un contexte de levée des droits de douane additionnels qui pesaient sur les exportations françaises de vins non effervescents et de spiritueux depuis 2020 dans le cadre du différend Airbus‑Boeing ;

-         les échanges du secteur pharmaceutique ont également augmenté en 2021, avec une stabilisation des exportations à 35 milliards d’euros par rapport à 2020 (en hausse de 5 % par rapport à 2019) et une hausse des importations de 8 % (en particulier en lien avec les vaccins anti‑Covid) ;

-         le secteur textile a connu une résorption de son déficit sectoriel inédit atteint en 2020 (- 15 milliards d’euros du fait des importations de masques) à -8 milliards d’euros en 2021, sous l’effet d’une hausse des exportations de 23 %, à 31 milliards d’euros (110 % du niveau de 2019), et d’une baisse des importations de 3 %, à 40 milliards d’euros (98 % du niveau de 2019) ;

-         le secteur des biens d’équipement a connu une progression marquée de ses exportations de 15 %, à 93 milliards d’euros, qui ont ainsi retrouvé leur niveau pré‑crise. Néanmoins, le solde s’est détérioré de 6 milliards d’euros sous l’effet d’une croissance plus marquée des importations (+ 16 %, à 132 milliards d’euros), atteignant - 39 milliards d’euros en 2021.

Comme indiqué précédemment, les secteurs automobile et aéronautique‑spatiale ont connu une dynamique de rattrapage plus nuancée ou sont demeurés très en deçà de leur niveau d’avant crise en 2021. Pour ce qui les concerne, on relèvera notamment que :

-         le secteur automobile a connu une bonne reprise sans toutefois encore retrouver son niveau pré‑crise. Les exportations ont progressé de 10 % pour s’établir à 44 milliards d’euros, soit 88 % de leur niveau de 2019. Les importations se sont redressées de manière aussi marquée que les exportations (de 9 %, à 62 milliards d’euros) conduisant à une dégradation du solde, qui est passé de - 16 milliards d’euros en 2020 à - 18 milliards d’euros en 2021. Il s’agissait davantage d’un ralentissement global de l’activité du secteur automobile au niveau européen, notamment en lien avec certaines difficultés d’offre, comme les pénuries de semi‑conducteurs, que d’un recul des performances françaises. Les constructeurs français ont en effet indiqué que les difficultés d’approvisionnement en composants électroniques au niveau mondial freinaient leur production, et donc leur capacité d’exportation ;

-         les exportations aéronautiques connaissent de loin la dynamique de rattrapage la plus faible, en raison des difficultés persistantes du transport aérien de personnes et du manque de visibilité à moyen terme. Or, il s’agit là d’une filière primordiale pour le commerce extérieur français. En 2021, les exportations ont atteint seulement 37 milliards d’euros, un niveau légèrement supérieur (+ 5 %) à celui de 2020 (35 milliards d’euros), et en baisse de 43 % par rapport à 2019. Les importations ont diminué de 8 % par rapport à 2020, conduisant à une amélioration du solde sectoriel, qui est passé de 16 milliards d’euros en 2020 à 20 milliards d’euros en 2021.

Selon les projections transmises au rapporteur, en 2023, les échanges devraient décélérer fortement en lien avec le ralentissement des économies avancées. La progression des exportations (+ 2,7 %) resterait proche de celle des importations (+ 2,5 %). Les difficultés de l’automobile et de l’aéronautique ne seraient pas encore résorbées à cet horizon. Au‑delà de 2023, les exportations devraient être tirées par un rattrapage des pertes de performances à l’export enregistrées sur la période 2020‑2023. Ce rattrapage serait permis par l’allègement progressif des contraintes d’offre, notamment d’approvisionnement, qui pèsent fortement sur la production automobile, ainsi que par le rétablissement progressif de la demande en matériel aéronautique.

B.   LES ACTIONS MENÉES PAR LES POUVOIRS PUBLICS POUR SOUTENIR LES ENTREPRISES EXPORTATRICES

Les parts de marché mondiales de la France, stables depuis une dizaine d’années, ont légèrement reculé entre 2019 et 2021 du fait de la pandémie de la Covid‑19, avant de se stabiliser au premier trimestre 2022. Comme cela a été expliqué précédemment, les entreprises françaises se sont trouvées pénalisées par leur spécialisation dans certains secteurs particulièrement touchés par la crise sanitaire (la filière aéronautique, le secteur du tourisme, notamment) mais ont pu fort heureusement bénéficier d’un important soutien des pouvoirs publics.

1.   Les aides apportées aux entreprises exportatrices en réponse à la crise sanitaire

En réponse aux conséquences économiques de la crise sanitaire, le Gouvernement a inclus un volet export au sein du plan France Relance, dont la mise en œuvre a débuté le 1er octobre 2020 et qui a été prolongé jusqu’à la fin de l’année 2022. Ce volet export prévoit plusieurs mesures visant à renforcer, dans un contexte qui demeure à ce jour difficile pour les exportateurs, le soutien aux entreprises françaises, et en particulier aux petites et moyennes entreprises (PME), ainsi qu’aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). Ce soutien des pouvoirs publics s’est révélé crucial pour maintenir l’activité de certaines entreprises exportatrices au plus fort de la crise sanitaire, tout en encourageant la conquête de nouveaux marchés au moment de la phase de reprise.

Concernant l’accompagnement à l’export, le plan France Relance s’est notamment concrétisé par :

-         la création d’un « chèque relance export » (CRE) pour les PME-ETI achetant des prestations de projections à l’export, ce dispositif permettant de prendre en charge 50 % des frais de participation à un salon international ou à l’achat d’une prestation de projection collective ou individuelle dans la limite d’un certain plafond. Au 16 septembre 2022, 13 806 CRE avaient été délivrés pour un montant d’aides s’élevant à un peu plus de 23,7 d’euros ;

-         la prise en charge par l’État, via un « chèque VIE » d’un montant de 5 000 euros, de l’envoi en mission d’un volontaire international en entreprise (VIE) dans la limite de deux par entreprise bénéficiaire. Le « chèque relance VIE » permet également de financer l’envoi à l’international de VIE issus de formations courtes ou venant des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Dans ce cas, le montant du dispositif est porté à 10 000 euros depuis le 1er septembre 2021. Au 16 septembre 2022, 1 487 chèques relance VIE avaient été délivrés, pour un montant d’un peu plus de 8 millions d’euros ;

-         le doublement de l’enveloppe (50 millions d’euros) du FASEP, destiné à financer des études faisabilité pour des projets d’infrastructures ou des démonstrateurs des technologies innovantes dans les pays émergents ;

-         le déploiement d’outils digitaux avec notamment la mise en place d’une veille-information sur les marchés, personnalisée et gratuite pour les exportateurs, proposée sur la plateforme de la Team France Export (TFE), la création de trois e‑vitrines sectorielles sur lesquelles les PME-ETI peuvent être recensées ou encore le soutien au référencement de produits français sur des plateformes « B2B » (commerce entreprise à entreprise).

Concernant l’accompagnement financier des entreprises à l’export, le plan France Relance s’est notamment concrétisé par :

-         l’octroi de différentes enveloppes complémentaires à Bpifrance Assurance Export, notamment pour la modernisation des systèmes d’information et le renforcement des capacités de l’entité ;

-         le renforcement des crédits octroyés à l’assurance-prospection, afin de soutenir la capacité de projection des PME à l’international en période de crise. Pour autant, ce dispositif a été sous-consommé par rapport aux crédits déployés pour les années 2020 et 2021 (84 millions d’euros contre 109 millions d’euros budgétés), ce qui s’explique par la prolongation de la crise sanitaire en 2021, limitant d’autant les possibilités de prospection pour les entreprises françaises à l’étranger ;

-         le dispositif « Cap France Export », permettant aux entreprises de continuer à disposer de toutes les couvertures d’assurance-crédit dont elles ont besoin, afin de pallier le manque d’appétit des assureurs-crédits sur certains acheteurs. Ce dispositif a ainsi permis de couvrir près de 15 000 opérations vers l’international, avec un encours total garanti de 1,6 milliard d’euros depuis son lancement.

2.   La mobilisation de la diplomatie économique au service des entreprises françaises

La diplomatie économique comporte plusieurs objectifs. Elle vise principalement à mettre la politique étrangère au service du soutien des entreprises françaises ; à attirer des investissements étrangers ; à influencer les normes internationales ; à déceler les éventuelles vulnérabilités économiques pour peser dans les rapports de force internationaux, d’une part, et assurer la sécurité de nos approvisionnements, d’autre part.

Parmi les principales actions menées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour développer et faire rayonner les entreprises françaises à l’international, il convient de relever le soutien fourni à nos entreprises par les ambassades et les consulats, qui partagent leurs analyses, contribuent à ouvrir des portes à nos compatriotes, à aplanir les difficultés qu’ils rencontrent – dans leurs déplacements ou dans leurs démarches administratives auprès d’autorités étrangères – à faciliter leur implantation, à appuyer leur développement commercial en promouvant les offres françaises, à alerter les entreprises sur d’éventuelles évolutions du cadre normatif local susceptibles de les concerner ou d’avoir un effet sur l’environnement des affaires.

Il faut également relever le déploiement d’une stratégie de marque et de communication, autour de la « marque France » et de ses déclinaisons sectorielles, destinée à asseoir une image favorable de notre pays et de ses talents, sur le plan économique. Par ailleurs, l’organisation de nombreux évènements par Business France (forums d’affaires, présence sur les grands salons internationaux, appui par le dispositif des VIE, etc.) participe de ce soutien aux entreprises françaises exportatrices.

Selon les données recueillies par le rapporteur, plus de mille « dossiers de diplomatie économique prioritaires » (contrats, litiges, normes locales) font actuellement l’objet d’une attention particulière des chancelleries diplomatiques. En outre, les ambassadeurs réunissent régulièrement les communautés d’affaires, notamment dans les « conseils économiques » et veillent à promouvoir auprès des autorités de leur pays de résidence les mesures susceptibles d’améliorer le climat des affaires pour les entreprises françaises. M. Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères et du développement international, avait déclaré en 2014 souhaiter qu’au sein de notre appareil diplomatique « l’impératif économique soit renforcé puissamment et rapidement » ([5]). Il avait, en outre, insisté pour que la diplomatie économique soit placée en tête des priorités des missions du réseau. Le rapporteur souscrit à cette position et pense qu’il serait utile de la réaffirmer. S’agissant, par exemple, de la filière aéronautique une attention toute particulière devrait être portée aux attachés aéronautiques présents dans certaines de nos ambassades qui disposent d’une connaissance très fine des besoins du secteur et jouent un rôle crucial en matière de veille, de négociation des contrats ou encore de contrôle pour que les coopérations proposées aillent dans le sens de nos intérêts.

Si la diplomatie économique consiste à mobiliser la politique étrangère au service de nos entreprises, le rapporteur tient également à insister sur l’autre aspect de cette politique qui vise aussi à mobiliser l’économie au service de notre politique étrangère. La diplomatie économique constitue, en effet, un levier important, que de nombreux États n’hésitent pas à actionner comme le prouve de manière éclatante l’actualité récente. De ce point de vue, la diplomatie économique s’apparente bien plus à du hard power qu’à de la simple politique d’influence. En raison des nombreuses interdépendances engendrées par la mondialisation, les leviers économiques peuvent permettre de peser dans les rapports de force et de faire pression sur la politique extérieure d’autres États.


II.   LA SITUATION DE LA FILIÈRE AÉRONAUTIQUE, ATOUT PRINCIPAL DE LA FRANCE À L’EXPORTATION

A.   UNE FILIÈRE D’EXCELLENCE FORTEMENT TOUCHÉE PAR LA CRISE SANITAIRE

1.   Un dynamisme économique remarquable

Le dynamisme économique de la filière aéronautique française a un impact notable sur la balance commerciale, dont elle est le premier contributeur avec 20 milliards d’euros en 2021, devant les secteurs « chimie, parfums et cosmétiques » (15,2 milliards d’euros en 2021) et « agroalimentaire » (8 milliards d’euros).

Cet excédent de la filière aéronautique était, avant la crise sanitaire, en quasi constante progression depuis 2009 (12,6 milliards d’euros) et avait plus que doublé pour atteindre un record en 2019 (31,1 milliards d’euros). L’industrie aéronautique française a, sur cette période, profité d’un cycle de croissance particulièrement fort, porté par le développement continu du transport aérien à l’échelle mondiale.

Le tableau ci‑après présente, en milliards d’euros, les excédents de la filière aéronautique en France de 2009 à 2019.

ExcÉdents de la filiÈre aÉronautique en France

de 2009 À 2019 en milliards d’euros

Source Département des statistiques et des études du commerce extérieur

Le secteur aéronautique mondial, dont la caractéristique est d’être oligopolistique avec un nombre limité d’acteurs (l’européen Airbus, l’américain Boeing, le canadien Bombardier, le chinois COMAC, le brésilien Embraer…), compte un certain nombre d’entreprises et groupes français de premier rang répondant à une demande située très majoritairement à l’étranger. Cet excédent croissant résulte donc principalement du fort dynamisme des exportations. La France est le deuxième exportateur mondial dans l’aéronautique après les États‑Unis. En 2021, 83 % du chiffre d’affaires consolidé des entreprises du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) provenait de l’exportation. La France se distingue ainsi très nettement par rapport aux autres pays européens par une forte dépendance aux débouchés aéronautiques mondiaux. La spécialisation commerciale est ainsi deux fois plus marquée qu’au Royaume‑Uni et trois fois plus qu’en Allemagne.

Enfin, cette industrie a la caractéristique de disposer d’effets d’entraînement significatifs, du fait de la part importante de consommations intermédiaires produites sur le territoire français entrant dans les exportations aéronautiques effectuées depuis la France.

2.   Une filière fortement touchée par la crise sanitaire

La filière aéronautique française a été sévèrement touchée, à partir de 2020, par la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid‑19, celle‑ci ayant provoqué un arrêt brutal du trafic aérien de passagers et, par extension, le recul des prises de commandes en appareils par les compagnies aériennes, ainsi que la diminution du plan de charge pour la filière dans son ensemble.

Au mois d’avril 2020, plus de 64 % de la flotte mondiale a été clouée au sol, et le trafic a été réduit de 94,4 % en raison de la quasi-généralisation des mesures de confinement au niveau international. Selon l’International Air Transport Association (IATA), les premiers acteurs touchés par la baisse du trafic ont été les aéroports et les compagnies aériennes, ces dernières ayant subi des pertes cumulées au niveau global qui se sont établies à 138 milliards de dollars américains en 2020 et à 42,1 milliards de dollars américains en 2021, qu’il faut comparer à un bénéfice annuel moyen d’environ 30 milliards de dollars américains en période pré‑crise sanitaire.

Du côté des industriels, la crise a lourdement pesé en 2020, en entraînant notamment une baisse de 55 % des livraisons d’avions par rapport à 2018.

Dans un contexte de persistance des incertitudes et des contraintes sanitaires, le trafic a amorcé en 2021 une reprise partielle et graduelle, contrastée selon les segments de marché et les régions du monde. En 2021, les capacités offertes par les compagnies aériennes à l’échelle mondiale étaient ainsi encore inférieures de 65,3 %, selon IATA, à leur niveau d’avant crise ([6]). Avec la levée des restrictions de voyage dans la plupart des régions du monde, la reprise du trafic s’est accélérée en 2022 et un retour à la normale est désormais envisagé au plus tard mi‑2024.

Cette crise historique du transport aérien mondial a lourdement touché l’industrie aéronautique. D’une part, la chute du trafic a entraîné mécaniquement une forte réduction des activités de maintenance sur les flottes en service, activités qui constituent une source majeure de revenus pour les motoristes et certains équipementiers. D’autre part, les compagnies aériennes, confrontées à une dégradation très rapide de leur trésorerie et à de fortes incertitudes sur le redémarrage du trafic, ont été contraintes de reporter leurs prises de livraisons et de suspendre, voire d’annuler leurs commandes d’appareils neufs auprès des avionneurs. En raison des effets persistants sur l’équipement des compagnies aériennes, cette crise a ainsi eu des conséquences encore plus durables sur l’industrie aéronautique, et d’une ampleur sans commune mesure avec les crises précédentes, qu’il s’agisse du 11 septembre 2001, de l’épidémie de SRAS ([7]) en 2002‑2004 ou encore de la crise financière de 2008, beaucoup plus limitées en durée ou circonscrites géographiquement.

Face à la baisse durable de son activité de production, Airbus – mais aussi Boeing, déjà confronté à d’énormes difficultés liées à la crise du B 737 Max – a été dans l’obligation de redimensionner son outil de production, devenu largement surcapacitaire, et a annoncé des baisses d’environ 40 % de ses cadences de production au printemps 2020. Ces mesures structurelles ont eu des répercussions en cascade dans toute la chaîne de fournisseurs, alors que celle‑ci était déjà sous tension avant la crise, après avoir consenti des efforts d’investissement considérables pour suivre les montées en cadence de l’A320 et de l’A350, et qu’elle se trouvait par ailleurs fragilisée par la crise du B 737 Max, dont la production a été suspendue sur la quasi‑intégralité de l’année 2020 suite à l’immobilisation au sol de l’appareil en mars 2019.

Au niveau national, la construction aéronautique a été l’un des secteurs industriels les plus touchés par les conséquences de la crise sanitaire, avec une chute de plus de 30 % de son activité industrielle en 2020. La crise a ainsi effacé de façon brutale près d’une décennie de croissance, marquée par une dynamique d’investissements productifs et de créations d’emplois sans précédent dans l’ensemble de la filière. Par ailleurs, l’impact de la crise a été différencié selon le type d’entreprise, et plus marqué pour les PME. En effet, de nombreuses PME étaient déjà dans une situation financière difficile avant la crise et disposaient donc de ressources limitées pour absorber une partie de cet impact. En outre, les entreprises de la filière ont été plus ou moins pénalisées selon leur positionnement sur les segments de marché/programmes d’aéronefs et leur positionnement dans la chaîne de valeur. En particulier, pour les activités à cycles longs, les entreprises situées dans les rangs inférieurs de la chaîne de production ont subi des baisses d’activité nettement plus fortes (plus de 50 %), sous l’effet de l’accumulation de stocks (anticipés avant la crise) tout au long de cette chaîne. Les entreprises exposées au programme B737 Max de Boeing, alors en crise depuis une année et dont la production a été suspendue plusieurs mois, ont également été plus touchées que les autres.

3.   Une filière résiliente ayant bénéficié d’un soutien des pouvoirs publics

Pour aider la filière à surmonter cette crise d’ampleur inédite, l’État a annoncé en juin 2020 un plan de soutien exceptionnel à l’aéronautique, doté de 8 milliards d’euros (hors soutien financier au groupe Air France-KLM). Ce plan de soutien sectoriel, inscrit dans le plan de relance, donnait ainsi un cap clair à notre industrie aéronautique pour la sortie de crise : concevoir puis produire en France les avions et les hélicoptères propres de demain pour rester une nation leader de l’aéronautique dans le monde. Comme l’exigeait l’urgence de la situation, les services de l’État se sont fortement mobilisés aux côtés des entreprises de la filière pour assurer une mise en œuvre rapide et efficace des différentes mesures de ce plan.

À travers ce plan, l’État a d’abord cherché à répondre à l’urgence en soutenant les entreprises de la filière en difficulté et en protégeant leurs salariés. Cellesci ont eu largement recours aux prêts garantis par l’État (PGE) pour couvrir leurs besoins urgents de trésorerie, puis aux PGE « Aéro » mis en place spécifiquement pour gérer les « surstocks » au sein de la filière. Le recours aux PGE a été plus systématique dans l’aéronautique que dans les autres secteurs industriels, reflétant l’impact majeur de la crise sur les entreprises de la filière. Par ailleurs, les anticipations de commandes des ministères des armées et de l’intérieur, pour plus de 800 millions d’euros, et le renforcement du soutien financier public à l’export ont pleinement joué leur rôle d’amortisseur sur le plan de charge des industriels.

Les entreprises de la filière ont également massivement sollicité le dispositif d’activité partielle réformé pour faire face à l’arrêt brutal de leur activité au printemps 2020, avec un taux de recours de l’ordre de 50 % contre 35 % en moyenne dans le reste de l’industrie. À partir de septembre 2020, le dispositif exceptionnel d’activité partielle de longue durée (APLD) a pris le relais pour un certain nombre d’entreprises confrontées à une réduction durable de leur activité. Le recours à ce dispositif a également été plus important dans l’aéronautique que dans le reste de l’industrie, sauf pour les métiers de recherche et développement (R&D), grâce au soutien massif mis en place. Ouvert à toutes les entreprises en contrepartie d’engagements en matière de maintien en emploi, le dispositif d’APLD a joué un rôle déterminant dans l’aboutissement des négociations des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) au sein des entreprises de la filière, et il a souvent permis d’en limiter l’ampleur. Au total, selon les estimations du GIFAS, les mesures d’activité partielle ont permis de sauvegarder environ 10 % des emplois de la filière pendant la crise. L’impact de la crise sur les effectifs de la filière, qui ont diminué durant deux années consécutives (- 4 % en 2020 puis – 3 % en 2021, hors intérim), apparaît ainsi relativement limité au regard de la baisse d’activité (- 30 % en 2020). Les mesures prises par l’État ont ainsi permis de limiter l’ampleur des suppressions d’emplois, la filière représentait, en 2021, 188 000 emplois sur le territoire national, contre 194 000 en 2020. En 2021, les recrutements ont également repris avec plus de 9 000 embauches, contre 7 000 en 2020.

Dans un premier temps, l’ensemble de ces mesures d’urgence ont ainsi permis de préserver le capital humain et productif de la filière et d’éviter la première vague de défaillances qui menaçait de nombreux fournisseurs, à commencer par les plus fragiles avant crise.

Dans un deuxième temps, l’État est intervenu en soutien aux PME-ETI pour accélérer la transformation industrielle de la chaîne de fournisseurs et ainsi aider la filière à sortir de la crise par le haut. Cette mesure s’est appuyée sur deux dispositifs spécifiques :

-         un programme de soutien aux investissements de modernisation de la filière, piloté par la Direction générale des entreprises (DGE) et opéré par Bpifrance, qui a permis de soutenir, à hauteur de 300 millions d’euros, près de 420 projets sur l’ensemble du territoire représentant environ 730 millions d’euros d’investissements orientés notamment vers la numérisation de l’outil de production ;

-         un fonds d’investissement sectoriel, « Ace Aéro Partenaires », géré par Tikehau Capital et aujourd’hui doté de 750 millions d’euros, qui a permis d’accompagner à ce jour près d’une dizaine d’opérations structurantes contribuant à la consolidation de la filière et qui connaît depuis le début de l’année une montée en puissance rapide, portée par les perspectives de reprise dans l’industrie aéronautique.

Enfin, dans une perspective de plus long terme, l’État a intensifié son soutien aux efforts de R&D de la filière, à hauteur de 1,6 milliard d’euros ([8])  sur la période 2020-2022, pour accélérer la préparation technologique de l’avion « vert ». La feuille de route que l’État a définie en concertation avec les industriels au travers du conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) vise à maîtriser dans moins d’une décennie l’intégration dans des aéronefs de toutes tailles des technologies de rupture qui fonderont la transition écologique de l’aviation. À ce jour, l’intégralité de l’enveloppe de 1,6 milliard d’euros disponible a été engagée par la direction générale de l’aviation civile (DGAC), opérateur historique de la politique de soutien à la R&D de la filière. Près de 230 projets (260 entités bénéficiaires dont 35 organismes de recherche) ont ainsi été soutenus, portant sur l’avion de ligne ultrasobre, les nouveaux moteurs ultraefficaces, l’hybridation électrique, l’avion à hydrogène, les hélicoptères ultrasobres et hybrides/électriques, la compatibilité des aéronefs avec 100 % de carburants d’aviation durables, ou encore l’optimisation des opérations aériennes pour réduire la consommation de carburant. Tous ces projets ont été construits dans une logique de collaboration et d’inclusivité, en associant toutes les composantes de la filière sur tout le territoire, et notamment plusieurs centaines de PME-ETI et plusieurs dizaines d’instituts de recherche en tant que leaders de projets, partenaires ou sous-traitants. S’agissant en particulier des PME-ETI, la DGAC a concentré ses efforts sur l’accompagnement des stratégies de rebond des entreprises clés de la chaîne de fournisseurs, en soutenant la phase de préparation technologique de ces stratégies, tout en apportant à ces entreprises un éclairage ciblé venant des agendas de recherche des grands intégrateurs membres du CORAC pour améliorer la pertinence de leur stratégie. Au total, une quarantaine de PME-ETI ont ainsi bénéficié de cet accompagnement spécifique.

En synthèse, le plan de relance aéronautique a pleinement joué son rôle de sauvegarde du tissu industriel, des capacités technologiques et de l’emploi de la filière, alors que celle‑ci faisait face à la crise la plus grave de son histoire, tout en apportant un soutien contracyclique aux investissements stratégiques des entreprises dans la R&D et la modernisation industrielle, plaçant ainsi la France parmi les leaders technologiques et industriels de l’aéronef « bas carbone » en sortie de crise. Cette efficacité du soutien de l’État a été saluée par l’ensemble des acteurs de la filière.

B.   UNE FILIÈRE EXPOSÉE À DE NOUVEAUX DÉFIS

La filière aéronautique française est actuellement confrontée à de nombreux défis dans un contexte international dégradé. Encore marquée par les effets de la crise sanitaire et désormais exposée aux conséquences de la guerre en Ukraine et aux poussées inflationnistes, elle s’efforce en période de reprise de garantir la pérennité de ses chaînes logistiques, ainsi que de ses approvisionnements stratégiques.

Si la filière aéronautique française a globalement pu traverser la crise sanitaire sans casse sociale majeure et avec très peu de défaillances d’entreprises grâce aux outils de soutien mis en place par l’État, la reprise de l’activité industrielle, tirée par le redémarrage des prises des commandes depuis la mi‑2021 et les hausses de cadences de production notamment annoncées par Airbus et Safran, met en évidence de multiples fragilités et tensions au sein de la filière.

1.   Les défis industriels

a.   Les tensions en matière de financement

Tout d’abord, alors que les bilans financiers des PME-ETI de la filière se sont nettement dégradés pendant la crise, entamant la confiance du secteur bancaire, ces mêmes entreprises doivent aujourd’hui faire face simultanément aux échéances de remboursement de leurs prêts bancaires – PGE notamment – et à des besoins de fonds de roulement importants pour accompagner la remontée des cadences. Cet effet ciseaux met sous tension la trésorerie des PME-ETI de la filière et les plus fragiles d’entre elles, fortement contraintes financièrement, peinent à suivre le mouvement de la reprise faute de pouvoir engager les investissements nécessaires. Dans ce contexte, les mouvements de consolidation tendent à s’accélérer, avec le soutien des donneurs d’ordres, qui cherchent à sécuriser leur chaîne d’approvisionnement.

Dans le même temps, certains acteurs très présents auprès de Boeing, notamment Safran et ses fournisseurs, restent fortement touchés par les difficultés récurrentes de l’avionneur américain sur son monocouloir B 737 Max et son long‑courrier B 787 Dreamliner, qui ont conduit à interrompre durablement les livraisons de ces appareils.

b.   Les tensions en matière de recrutement

Après avoir dû favoriser les départs au moment de la crise sanitaire, la filière fait désormais face à d’importants besoins de recrutement, avec environ 15 000 postes à pourvoir en 2022.

Le secteur peine actuellement à répondre à ses besoins dans les emplois de production, sur des profils déjà en tension avant la crise, mais aussi à présent dans les emplois d’ingénierie, alors que la filière doit intensifier ses efforts de recherche et acquérir rapidement de nouvelles compétences techniques en particulier dans le domaine de l’hydrogène.

Cette pénurie de main-d’œuvre qualifiée, qui se conjugue à un déficit d’attractivité des métiers industriels et touche la plupart des secteurs, pousse les rémunérations à la hausse et rend les recrutements encore plus difficiles au sein des PME de la filière, qui ne peuvent pas proposer des conditions d’embauche aussi attractives que les grands groupes.

2.   Les défis conjoncturels liés au contexte géopolitique

a.   Les défis liés aux tensions inflationnistes

La guerre en Ukraine a notamment affecté le commerce mondial en entraînant une hausse des prix des matières premières, en particulier énergétiques.

Entre le 23 février 2022, la veille de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et le 26 août, date à laquelle il a atteint son plus haut historique, le prix du gaz TTF néerlandais – qui constitue le cours de référence du gaz en Europe – a été multiplié par près de quatre, passant de 88,90 euros à 339,20 euros le mégawattheure. Le prix du baril de Brent – très volatil en raison des incertitudes géopolitiques et de l’évolution de la situation sanitaire en Chine – est également monté jusqu’à 133 dollars américains le 8 mars 2022, son plus haut niveau depuis 2008, mais est revenu à l’été à des niveaux comparables à ceux de février.

Ces poussées inflationnistes pèsent lourdement sur les coûts de production des entreprises de la filière aéronautique française, alors que la remontée en cadence tend à renforcer la pression sur les prix à tous les niveaux de la chaîne de fournisseurs.

Les augmentations de coûts, qu’il s’agisse des matières premières, de l’énergie ou encore du transport de marchandises, deviennent de plus en plus problématiques, notamment pour les PME de la filière. Le sujet de la sobriété en matière de consommation énergétique constitue, par ailleurs, une vive préoccupation pour des segments stratégiques de la filière dont les activités nécessitent, par définition, des consommations importantes d’énergie.

b.   Les défis liés aux difficultés d’approvisionnement

Les difficultés d’approvisionnement, en particulier en composants électroniques, n’épargnent pas la filière aéronautique et génèrent un risque majeur de perturbation des chaînes de production. Airbus a, par exemple, dû décaler de six mois la montée en cadence de sa production.

En outre, la filière est particulièrement exposée aux difficultés d’approvisionnement en titane, matériau de choix pour les avionneurs car présentant des caractéristiques mécaniques excellentes tout en bénéficiant d’un bon comportement à la corrosion. Or, ce métal incontournable dans la production des avions modernes provient en grande partie de Russie, premier pays producteur, le groupe russe VSMPO-Avisma détenant 25 à 30 % du marché mondial. Il apparaît par conséquent impératif de diversifier au plus vite nos approvisionnements en matières premières critiques et d’apporter un appui aux filières de souveraineté, afin de sécuriser notre industrie. Le projet d’acquisition de l’entreprise Aubert et Duval et de sa filiale EcoTitanium par Airbus, Safran et le fonds d’investissement privé Tikehau apparaît en ce sens comme un signal très positif. Ce rachat devrait obtenir l’aval de la Commission européenne courant novembre 2022.

Comme le montre l’exemple du titane, le sujet des approvisionnements critiques constitue aujourd’hui une priorité pour la filière. Le rapporteur pour avis insiste sur la nécessité de les sécuriser au plus vite et sur le long terme. Dans la droite ligne des conclusions du rapport de Philippe Varin sur la sécurisation de l’approvisionnement de l’industrie en matière premières minérales, le rapporteur pour avis souscrit à la proposition de constitution d’un fonds d’investissement dans les métaux stratégiques. Un tel dispositif, associant secteur public et secteur privé, permettrait de contribuer à la sécurisation de nos approvisionnements, par des prises de participation et la mise en place de contrats d’approvisionnements de long terme, aux côtés d’opérateurs industriels dans l’amont de la chaîne de valeur (mines, raffinage, première transformation, recyclage). Certains acteurs de la filière auditionnés dans le cadre de la préparation de ce rapport, ont salué cette proposition mais se sont inquiétés de sa trop lente mise en œuvre. Le rapporteur invite donc les pouvoirs publics à agir avec la plus grande célérité sur ce dossier pour permettre à notre industrie de disposer de solutions viables dans les plus brefs délais.

3.   Le défi de la décarbonation du transport aérien

Si les conséquences de la crise sanitaire ont drastiquement réduit les émissions du transport aérien, les perspectives de croissance après 2025 montrent la nécessité d’œuvrer à la décarbonation de l’aviation qui représente, avec le transport maritime, l’une des sources d’émission à la croissance la plus rapide.

La filière a pleinement intégré le besoin de transformation de son modèle pour accélérer sa transition écologique. Elle y travaille, notamment avec l’État au sein du CORAC et des instances communautaires et internationales comme l’Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), pour les aspects réglementaires.

Le volet R&D du plan de relance aéronautique a constitué un accélérateur important des travaux technologiques sur l’avion ultra‑sobre et zéro émission, qui devrait à terme représenter un contributeur majeur pour la transition écologique du secteur sur le plan mondial, les avions produits par Airbus équipant plus de la moitié de la flotte mondiale.

Cependant, le plan de relance aéronautique ne suffit pas à la réalisation des ambitions technologiques de la filière, qui ont été établies dans une perspective décennale avec pour objectif l’entrée en service des premiers appareils bas carbone à l’horizon 2030. Des investissements massifs en recherche technologique, de l’ordre de 6 milliards d’euros, doivent encore être déployés d’ici la fin de la décennie pour tenir cet objectif très ambitieux, en particulier dans le domaine de l’aviation de ligne qui concentre les plus forts enjeux en matière de décarbonation. Sur les prochaines années, ces investissements doivent notamment permettre de poursuivre la préparation des technologies de décarbonation des futurs grands démonstrateurs, qui se concrétiseront au milieu de la décennie dans le cadre du partenariat européen « Clean Aviation », sur la base d’une mise en concurrence entre les travaux des filières nationales. Dans le nouveau contexte de reprise, ces investissements représentent un effort considérable pour les entreprises de toutes tailles, les moyens humains et financiers consacrés à l’innovation étant en compétition réelle avec ceux consacrés aux remontées des cadences.

En parallèle, il est nécessaire de poursuivre résolument l’action entreprise dans le cadre du plan de relance pour accompagner la montée en maturité et en compétence des PME-ETI clés de la filière sur toutes les technologies contributives aux futurs programmes d’aéronefs bas carbone, l’enjeu étant d’éviter un décrochage compétitif qui amènerait à des pertes de part industrielle pour la sous-traitance nationale sur ces programmes. Pour ces entreprises, il s’agit de se positionner sur des activités à plus forte valeur ajoutée, en prenant part au plus tôt à la conception des futurs produits et systèmes de production, dont les performances de robustesse, flexibilité et continuité numérique devront être sans commune mesure avec les standards industriels actuels. Dans le même temps, un recours plus étendu à des entreprises innovantes est également à construire dans certains domaines technologiques où des ruptures sont nécessaires, comme par exemple le stockage d’hydrogène, l’électricité de forte puissance, les matériaux haute performance, la fabrication additive, l’intelligence artificielle, la continuité digitale ou encore les aéronefs bas carbone pour l’aviation générale.

Enfin, à court et moyen termes, l’utilisation de carburants d’aviation durables (CAD) constitue l’un des leviers de décarbonation les plus matures sur le plan technique. La filière met ainsi une pression certaine pour voir aboutir le développement de filières de CAD à échelle nationale et surtout européenne, voire mondiale, qui permettront d’atteindre d’ambitieux objectifs d’incorporation. Les aéronefs en service sont en effet déjà certifiés pour des taux d’incorporation allant jusqu’à 50 %, et les travaux de recherche pour porter ces taux à 100 % progressent rapidement.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 19 octobre 2022, la commission examine le présent avis budgétaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Notre rapporteur pour avis a choisi de consacrer la partie thématique de ses travaux à l’aéronautique, principal atout de la France à l’exportation. Ce choix me paraît très légitime car l’aéronautique, civile et militaire, dégage les excédents les plus importants de la balance commerciale française, le résultat net de ce secteur étant supérieur à 23 milliards d’euros ces dernières années. La France, qui a 22 % du marché aéronautique mondial, est le deuxième exportateur, derrière les États-Unis, qui détiennent 35 % du marché.

M. Jean-François Portarrieu, rapporteur pour avis. Nous examinons les crédits de la mission Économie qui sont destinés au financement et au soutien au commerce extérieur de la France. Ces crédits, qui sont orientés à la hausse, visent principalement à soutenir les entreprises françaises sur les marchés étrangers, à promouvoir l’attractivité du territoire et à faire de la régulation internationale un atout pour l’économie française.

L’examen du budget constitue pour notre commission l’occasion d’examiner les instruments, les objectifs et les modalités de la diplomatie économique. Cette année, comme vous l’avez dit, Monsieur le président, j’ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport à la filière aéronautique, qui constitue l’un des principaux atouts de la France à l’exportation.

Je reviendrai tout d’abord sur la situation actuelle des échanges internationaux et du commerce extérieur français avant de me pencher sur l’état et les perspectives de la filière aéronautique française, avec l’objectivité mais aussi la passion d’un député toulousain qui parle d’avions.

Le commerce international a été, ces dernières années, confronté à un triple choc : la crise liée à la pandémie mondiale du Covid-19 ; une crise, plus profonde, liée à la recomposition des chaînes d’approvisionnement mondiales et se traduisant par des tensions incontestables pour certains intrants critiques ; enfin une crise liée à la situation géopolitique et aux conséquences de la guerre en Ukraine, qui engendrent notamment une hausse importante du coût de l’énergie.

La superposition de ces crises a eu un impact très significatif sur le commerce international, entraînant une rupture majeure dans la dynamique des échanges mondiaux à partir de 2020. Malgré un rebond important en 2021, on relève aujourd’hui un tassement de la croissance des échanges, notamment suite à l’invasion russe en Ukraine, au mois de février.

S’agissant plus spécifiquement du commerce extérieur français, notre déficit s’est à nouveau dégradé d’environ 21 milliards d’euros en 2021, pour atteindre près de 85 milliards. On peut en grande partie l’imputer à l’alourdissement de notre facture énergétique : cela représenterait, selon mes auditions, entre 18 et 20 % de l’évolution. La situation actuelle s’explique également par une reprise beaucoup plus lente dans l’aéronautique, premier secteur excédentaire pour la France, qui n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant-crise alors que l’ensemble des autres secteurs enregistrent de bons, voire de très bons résultats. Ainsi, des filières telles que la chimie, le luxe, l’agroalimentaire, la pharmacie, le textile et certains biens d’équipement ont retrouvé, voire dépassé, leur niveau d’avant la crise.

La méthode d’élaboration des chiffres du commerce extérieur est peut-être un peu trop statique. Elle tient simplement compte des échanges de biens, alors que ceux relatifs aux services ont considérablement augmenté ces dernières années – je consacre de plus amples développements à cette question dans mon rapport. Néanmoins, cela ne veut pas dire que nous ne pourrions pas faire mieux, notamment en comparaison de nos partenaires allemands et italiens.

En matière d’export, la psychologie et la confiance sont primordiales. Il a ainsi été question au cours de mes travaux, à plusieurs reprises, d’un manque d’appétence pour l’export, du côté des entreprises comme des étudiants. Il y a manifestement des insuffisances dans le domaine de la formation – c’était d’ailleurs un des volets du discours de Roubaix, en 2017, sur la stratégie du Gouvernement en matière de commerce extérieur. Il me semble que les crédits mobilisés pour soutenir le commerce extérieur devraient permettre de mieux former, de mieux accompagner les entreprises et de mieux valoriser nos atouts, sans ignorer pour autant nos faiblesses. Nous devons favoriser un environnement à même de permettre à nos jeunes et à nos entreprises de se projeter dans le monde.

Le rehaussement des crédits mobilisés au profit des opérateurs, notamment Business France, correspond en partie à cette ambition. La subvention supplémentaire de 16 millions qui est prévue a, en particulier, vocation à renforcer l’investissement dans la digitalisation. En effet, on a vu au cours de la crise sanitaire que ce sont les entreprises les plus digitalisées qui ont fait preuve de la plus forte résilience. La hausse des crédits a aussi pour objectif de permettre un déploiement plus large des programmes dits boosters, visant à accompagner plus finement et plus fortement les secteurs ou les zones géographiques stratégiques. Il s’agit aussi de mieux valoriser la marque France et de mieux accompagner nos entreprises sur les événements et les salons qui permettent de faire concrètement la différence. Les Allemands et les Italiens sont encore mieux positionnés que nous sur ce terrain mais il faut reconnaître que des progrès ont été réalisés.

J’en viens à la filière aéronautique, qui constitue notre principal atout à l’export. Le dynamisme économique de cette filière a un impact notable sur notre balance commerciale, dont elle est le premier contributeur, à hauteur de 20 milliards d’euros en 2021, devant la chimie, les parfums et la cosmétique, ainsi que l’agroalimentaire, qui représente 8 milliards.

Avant la crise sanitaire, l’excédent de la filière aéronautique était en progression presque constante depuis 2009. Il avait plus que doublé, atteignant en 2019 un record de 31,1 milliards. Aujourd’hui, les exportations aéronautiques connaissent, de loin, la dynamique de rattrapage la plus faible, en raison des difficultés persistantes du transport aérien et de l’absence de visibilité à moyen terme. En 2021, les exportations ont enregistré une hausse de 5 % par rapport à 2020 mais demeurent en baisse de 43 % par rapport à 2019.

La filière aéronautique a été très sévèrement touchée par la crise sanitaire, qui a provoqué un arrêt brutal du trafic aérien et, par extension, un recul des prises de commandes d’appareils. Cette crise historique du transport aérien mondial a lourdement touché l’industrie aéronautique française. D’une part, la chute du trafic a entraîné mécaniquement une très forte réduction des activités de maintenance sur les flottes en service, activités qui constituent une source majeure de revenus pour les motoristes et certains équipementiers. D’autre part, les compagnies aériennes, confrontées à une dégradation très rapide de leur trésorerie et à de fortes incertitudes sur le redémarrage du trafic, ont été contraintes de reporter les prises de livraisons et de suspendre, voire d’annuler leurs commandes d’appareils neufs. Au niveau national, la filière a ainsi connu une chute de plus de 30 % de son activité industrielle en 2020.

Encore marquée par les effets de la crise sanitaire et désormais exposée aux conséquences de la guerre en Ukraine, la filière s’efforce en cette période de forte reprise de l’activité mondiale de garantir la pérennité de ses chaînes logistiques, ainsi que ses approvisionnements stratégiques.

Les difficultés auxquelles le secteur doit faire face incluent des problèmes de financement mais aussi de recrutement, pour répondre aux commandes et développer l’avion décarboné, environ 15 000 postes étant à pourvoir en 2022.

La filière fait également face à des problèmes conjoncturels importants, liés au contexte géopolitique, qui entraîne des tensions inflationnistes et des difficultés assez marquées en matière d’approvisionnement. Une difficulté particulière concerne le titane, notamment utilisé pour les trains d’atterrissage. Ce métal incontournable dans la production des avions modernes provient en grande partie de Russie, qui en est le premier pays producteur mondial. Il est impératif de diversifier au plus vite nos approvisionnements en matières premières critiques et d’apporter un appui aux filières de souveraineté, afin de sécuriser notre industrie. Je souscris donc à la proposition, formulée par Philippe Varin dans le rapport qu’il a remis au Gouvernement au début de l’année 2022, de constituer un fonds d’investissement dans les métaux stratégiques.

La filière aéronautique française a fait preuve d’une très forte capacité de résilience lors de la crise sanitaire. Elle doit à présent faire face à de nouveaux défis. Je suis convaincu qu’elle dispose des capacités pour les relever, avec le soutien résolu des pouvoirs publics. Maintenir notre excellence dans ce secteur nous permettra de continuer à compter sur la scène internationale et de peser sur les normes et les standards de l’aviation, qui évoluent très vite, notamment parce que les Chinois sont très offensifs. De cette manière, nous pourrons œuvrer utilement en vue de l’amélioration des appareils et de la réduction de leur empreinte carbone.

J’émets un avis favorable aux crédits de la mission Économie destinés au financement et au soutien au commerce extérieur de la France.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Lionel Vuibert (RE). Le groupe Renaissance votera en faveur de ces crédits. La conjoncture internationale des deux dernières années, entre crise sanitaire, guerre aux portes de l’Europe et maintenant perturbations énergétiques, a un impact sur la balance commerciale de notre pays, même si l’attractivité de nos territoires et de nos savoir-faire industriels ne se dément pas.

Nous pouvons nous réjouir de la bonne tenue de la filière aéronautique française, excédentaire en 2020 et 2021 malgré un contexte de fortes tensions. Afin d’avoir une vision plus détaillée de l’internationalisation de notre économie, il faut souligner que les échanges de services étaient également excédentaires en 2021, de près de 18 milliards de plus qu’en 2020. Par ailleurs, la balance des transactions courantes était excédentaire l’an dernier, de près de 9 milliards d’euros, pour la seconde fois en quinze ans. Cela résulte de la politique protectrice menée durant le précédent quinquennat.

Néanmoins, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans un rapport publié la semaine dernière, il convient de renforcer les dispositifs de soutien à l’exportation. La Cour souligne notamment l’importance de conclure des conventions de partenariat avec les principales organisations représentatives des entreprises et les fédérations professionnelles, afin qu’elles contribuent davantage à faire connaître la Team France Export et l’offre publique de soutien à l’export. La Cour recommande aussi le transfert des conseillers internationaux gérés par les chambres de commerce et d’industrie au sein des effectifs de Business France.

De manière générale, comme cela a été fait pour d’autres opérateurs, tels que l’Agence française de développement, les missions et le positionnement de Business France nécessitent une vraie réflexion stratégique, de trop nombreux acteurs publics et privés intervenant dans ce domaine – outre Business France et les chambres de commerce et d’industrie, on peut citer les régions, Bpifrance, les ambassadeurs ou encore les services de la direction générale du Trésor. Il y va de la visibilité et de la cohérence de notre politique de soutien à l’export dans les années à venir.

M. Jérôme Buisson (RN). Le Rassemblement national défend et soutient depuis toujours le patriotisme économique. Nous ne dénonçons pas le capitalisme et le grand marché mais leurs dérives et leurs règles à géométrie variable. Quand de nombreux pays n’hésitent pas à protéger leur appareil productif et leur industrie, la France est un élève zélé du libéralisme. Cette absence de protectionnisme nous a menés à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La dernière année où le solde de la balance commerciale était positif était 2002… Notre déficit commercial s’élevait à 58 milliards d’euros en 2017, et à 84 milliards l’an dernier. Notre industrie, toujours plus contrainte par l’Union européenne, est incapable de se défendre face aux prédateurs étrangers que sont la Chine, l’Allemagne et les États-Unis. Les actions du plan France relance, annoncé par Emmanuel Macron, tardent à se faire sentir.

En 2021, le secteur agroalimentaire affichait 8,2 milliards d’euros d’excédents. Sans les vins et les spiritueux, il enregistrerait un déficit de 6 milliards. Le déficit s’est aggravé dans les autres secteurs, de 3 milliards pour les fruits et de 1,2 milliard pour la viande. Nous importons de l’autre bout du monde, par tankers, de surcroît alimentés au fioul, des millions de tonnes de colza génétiquement modifié pour faire du biocarburant, alors qu’il est formellement interdit d’en produire en France. Par ailleurs, nous disposons du deuxième domaine maritime mondial mais le déficit des produits de la mer et de l’aquaculture est toujours aussi abyssal. Ce ne sont là que quelques exemples : on pourrait poursuivre longtemps cette liste.

Sans la guerre en Ukraine, c’est-à-dire le manque de gaz et l’envolée des prix des énergies fossiles qui ont suivi, vous auriez continué, par pure idéologie, à réduire, voire à démanteler notre activité nucléaire civile. Cela fait quarante ans que nous détruisons et délocalisons nos outils, et que nous n’investissons pas assez dans les secteurs qui créent de l’emploi, hormis les services, alors qu’on connaît la fragilité du secteur tertiaire, en raison de la forte concurrence des pays émergents et de la numérisation de l’économie.

Le tourisme est l’une des rares activités qui fonctionne encore car, grâce au ciel, elle n’est pas délocalisable. Nous sommes capables de protéger le monde des arts et de la culture, avec notre fameuse exception culturelle. Si nous sommes d’accord, au Rassemblement national, pour protéger nos artistes, nous le serions tout autant pour protéger nos ouvriers, nos employés et nos cadres des autres secteurs industriels et commerciaux. Il est grand temps d’arrêter la course effrénée à la mondialisation, source de gaspillage, de pollution et de tragédies sociales. Nous voterons donc contre ces crédits.

Mme Clémentine Autain (LFI-NUPES). Le rapport qui vient de nous être présenté me semble assez éclairant sur les priorités réelles du Gouvernement en matière de relations internationales. Pendant que le ministère des affaires étrangères affronte de graves tensions dues à une réforme qui détruit un mode de fonctionnement éprouvé – je vous remercie, Monsieur le président, d’avoir souligné que personne dans cette commission n’est d’accord avec cette réforme, qui semble pourtant devoir s’appliquer, ce qui pose un assez grave problème démocratique –, tout va pour le mieux s’agissant de la diplomatie économique. D’un côté, on propose de dématérialiser un grand nombre d’opérations ayant trait aux demandes de visas, et de l’autre on renforce la longue liste des dispositifs spécifiques, et individualisés, qui sont déployés pour assister les entreprises sur les marchés internationaux. Chacun voit bien que vous faites deux poids, deux mesures.

Les conditions du dispositif Cap France Export sont ainsi très surprenantes : elles vont bien au-delà des prêts garantis par l’État lors de la crise du Covid, qui n’ont d’ailleurs que peu aidé, voire pas du tout, nos très petites et moyennes entreprises (TPE et PME), les critères étant particulièrement drastiques. Pourquoi un tel déséquilibre ? Alors que nous concevons la diplomatie d’influence comme une manière d’aborder les relations internationales en œuvrant à davantage de coopérations et de droits pour les peuples, vous allez dans le sens d’une subordination de notre outil diplomatique à des intérêts privés. Il est ainsi question dans le rapport écrit, s’agissant de l’appareil d’État, « d’attirer les investisseurs étrangers » et « d’influencer les normes internationales », sans doute en faveur du libre-échange et de la concurrence libre et non faussée.

Comment peut-on penser, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et la probabilité élevée que des conflits de haute intensité aient lieu dans les prochaines années, que la priorité de notre diplomatie se limite à la diplomatie économique ? J’y vois un marqueur idéologique particulièrement grave de ce qui structure votre vision des rapports de force internationaux. On pourrait résumer ainsi : aucun problème à faire des affaires avec des dictatures tant que les marchés sont rentables, ce qui est évidemment inacceptable. J’avais interrogé la ministre sur l’impunité qui règne en France pour le cimentier Lafarge mais nous n’avions pas eu de réponse. Le groupe a été condamné hier, outre-Atlantique, à une amende de 778 millions de dollars pour avoir commercé avec Daech en Syrie.

Nos ambassadeurs ont une vraie expertise et une vraie intelligence de l’aire géographique dans laquelle ils évoluent. Ne les cantonnons donc pas à un rôle de vendeur-représentant-placier (VRP) des intérêts des multinationales du CAC40. Je vous rejoins, Monsieur le rapporteur pour avis, quand vous écrivez que l’outil économique est un outil de hard power, mais pas concernant la prééminence donnée au volet économique.

M. Nicolas Forissier (LR). Nous ne pouvons pas être d’accord avec ce que vient de dire Clémentine Autain. Ce sont les entreprises qui créent des emplois et de la richesse. Tous les autres pays soutiennent leurs entreprises et je ne vois pas au nom de quoi la France ne devrait pas le faire, y compris dans des pays qui, sans aller jusqu’aux dictatures les plus terribles, ne sont pas réputés pour être parfaits en matière de droits de l’Homme. Sinon je ne vois pas avec qui on commercerait.

Je trouve qu’il est normal que notre diplomatie soit aux côtés des entrepreneurs français dans le monde. Ayant été le rapporteur de ce budget, j’ai vu dans de nombreux pays l’importance de l’action menée par les ambassadeurs et les missions économiques pour soutenir nos entreprises. Ce n’est pas une question idéologique mais du pragmatisme. Si nous ne faisons pas ce travail, Madame Autain, d’autres le feront, et les emplois et la richesse disparaîtront encore davantage dans notre pays. Il n’y a pas de raison, sinon idéologique, d’abandonner la diplomatie économique.

L’aéronautique dégage un excédent majeur de notre balance commerciale – l’agroalimentaire et l’agriculture étaient autrefois notre principal secteur excédentaire mais ce n’est plus le cas. J’observe néanmoins que l’excédent concernant les produits agroalimentaires transformés repart à la hausse, ce qui est peut-être bon signe. Nous attendons du Gouvernement un plan massif pour l’agriculture française et une vision de son avenir, y compris à l’international, face au défi alimentaire mondial, qui est l’enjeu majeur de notre temps et commande donc tout le reste.

Pour ce qui est des chiffres, vous avez raison de dire qu’il faut une vision plus globale, Monsieur le rapporteur pour avis, et que c’est la balance courante qui est la meilleure expression du rapport entre les entrées et les sorties sur le plan économique. Il faut tout de même continuer à regarder l’évolution du déficit commercial, car c’est celui de notre industrie et de notre agriculture. Or sans industrie et sans agriculture, il n’y a pas tellement de services derrière ; même le tourisme a du mal. Il y a des raisons de s’inquiéter pour 2022 : le déficit prévisionnel tourne au-delà de 100 milliards d’euros, au lieu de 85 milliards.

J’ajoute qu’il faut absolument faire du benchmarking – cela pourrait d’ailleurs être l’objet d’un travail commun de notre commission et de celle des finances. Notre dispositif d’appui est-il à la hauteur de ce que font nos principaux concurrents, l’Allemagne et l’Italie ? La subvention pour l’équivalent italien de Business France était de 240 millions d’euros ces dernières années, contre 100 millions en France, complétés par quelques contributions d’autres ministères. Nous sommes donc extrêmement en retard. Si nous faisons ce travail de recherche, qui n’existe pas, même à la direction générale du Trésor, dont cela devrait pourtant être la mission, nous pourrons mieux affecter les moyens, en particulier pour les foires et les salons, principal outil des exportateurs, notamment les PME. Il faut que plus d’entreprises exportent. De grands efforts de simplification ont eu lieu ces dernières années mais le travail n’est pas terminé. Il faut que notre dispositif public soit à la hauteur.

Le groupe Les Républicains votera pour ces crédits parce que nous sommes volontaristes et que nous croyons que les choses progressent.

M. Bruno Fuchs (DEM). La balance commerciale de la France, structurellement déficitaire, subit les effets négatifs de la hausse des prix de l’énergie, ainsi que de la reprise de l’activité économique, qui a conduit à des importations substantielles de produits pour la relance industrielle intérieure. Quant au secteur aéronautique, il connaît une timide reprise et, bien qu’étant bénéficiaire, il n’a pas retrouvé son niveau de 2019.

Certains éléments positifs peuvent toutefois fonder notre réflexion pour rebondir.

D’abord, une fois ôtée la hausse de l’énergie, le déficit est stable par rapport à l’année dernière.

La balance courante, un indicateur plus global que la balance commerciale, est à l’équilibre, à 0,4 % du PIB en 2021, en amélioration par rapport à 2020 ; les exportations de services sont satisfaisantes. Bien que ce ne soit pas le cas pour l’aéronautique, certains secteurs – agroalimentaire, textile, produits pharmaceutiques – connaissent une croissance encourageante et ont dépassé le niveau atteint avant la crise sanitaire. L’Union européenne enregistre la plus forte croissance de nos exportations, preuve s’il en fallait de l’importance du marché européen.

La récente dépréciation de l’euro face au dollar et le faible taux d’inflation en France par rapport à nos concurrents de la zone euro pourraient doper notre compétitivité dans les mois et les années à venir. La France est en outre le pays européen le plus attractif pour les investisseurs depuis trois ans.

Il est cependant dommage que la stratégie de diplomatie économique soit répartie, voire « saupoudrée » sur cinq missions dans le projet de loi de finances. C’est un frein à une stratégie globale et à une plus forte synergie entre les différents acteurs.

Les mauvais résultats de notre balance commerciale ne doivent pas éclipser la réalité, qui est un peu moins sombre que certains voudraient le faire croire. C’est la raison pour laquelle le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés votera ces crédits.

M. Alain David (SOC). L’année dernière, la crise sanitaire et ses conséquences économiques avaient amené notre commission à se pencher, d’une part, sur les relocalisations industrielles stratégiques et, d’autre part, sur le sujet épineux des accords commerciaux. Le déficit commercial s’est encore dégradé en 2021, pour atteindre le niveau record de 84,7 milliards. Dans le même temps, le nombre d’exportateurs atteint un sommet.

Dans un récent rapport sur les dispositifs de soutien à l’exportation, la Cour des comptes recommande de charger le Conseil stratégique de l’export de veiller à l’articulation de l’offre de soutien à l’exportation avec les mesures de soutien à la compétitivité, la politique industrielle et l’évolution des conditions d’exportation, de mieux intégrer les chambres de commerce et d’industrie (CCI) et Bpifrance dans la Team France Export, notamment par le biais de la plateforme numérique One Team, de conclure des conventions de partenariat avec les principales organisations représentatives des entreprises et les fédérations professionnelles et aussi de définir une offre gratuite de services à destination de toutes les entreprises souhaitant exporter, ainsi qu’une offre personnalisée pour celles jugées prioritaires.

Ces pistes sont-elles suffisamment explorées dans les choix budgétaires ? Nous serons attentifs à ce que l’ambition de renforcer le commerce extérieur, que notre commission exprime régulièrement, soit accompagnée de réels moyens.

M. Hubert Julien-Laferrière (ÉCOLO-NUPES). La France veut s’appuyer sur son fleuron industriel, l’industrie aéronautique, pour retrouver l’équilibre de son commerce extérieur. Or, pour respecter ses engagements internationaux, en particulier l’accord de Paris, elle devrait réduire de moitié le nombre de passagers annuels dans les avions d’ici vingt ans. Nos objectifs en matière de commerce extérieur ne peuvent s’exonérer de nos engagements internationaux dans la lutte contre le changement climatique.

M. le rapporteur pour avis a certes exposé les stratégies industrielles de décarbonation pour l’aviation – l’ancien ministre des transports avait annoncé l’avion hybride pour demain et l’avion à hydrogène pour après-demain. En réalité, l’avion décarboné ne sera pas prêt avant 2040 ou 2050, alors que des engagements ont été pris pour 2030. Il n’y a pas de plan B : même si des techniques existent pour alléger le poids environnemental de l’aviation, on ne peut évacuer l’obligation de réconcilier la santé des riverains et la capacité des aéroports.

Hormis un rattrapage dans les années 2010, notre balance commerciale se dégrade depuis vingt ans. Cette évolution est due au décrochage de notre compétitivité, à la stratégie d’internationalisation de nos entreprises, qui a conduit à des délocalisations, ainsi qu’à une désindustrialisation, que tous condamnent.

Il est vrai que notre dépendance aux énergies fossiles et le sous-investissement dans les énergies renouvelables pèsent aussi : réinvestir ces énergies aura aussi des conséquences bénéfiques sur notre commerce extérieur.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Amélia Lakrafi. La plupart des entreprises françaises de l’étranger (EFE) se sont retrouvées à bout de souffle après la pandémie car, étant de droit local, elles n’ont pas pu bénéficier des mécanismes de soutien déployés par l’État français, notamment des aides du plan France relance, si efficaces pour les entreprises exportatrices basées en France. À cette situation précaire s’ajoute l’absence d’aides locales : 87 % de ces structures n’ont reçu aucun soutien de leur pays d’accueil.

Les entrepreneurs français de l’étranger ont été les grands oubliés de la crise sanitaire. Or ils concourent fortement au rayonnement et au commerce extérieur de la France, en promouvant un savoir-faire à la française ou en recommandant le recours à des produits ou des services français.

Ils contribuent en outre à étendre l’influence de notre pays dans le monde : établis depuis longtemps à l’étranger, ils sont d’un grand conseil pour les nouveaux arrivants ou les grands groupes du fait de leur connaissance fine du pays. Il semble donc primordial que notre diplomatie économique reconnaisse le rôle que jouent ces dirigeants.

En tant que rapporteure pour avis des crédits alloués au commerce extérieur et à la diplomatie économique dans les projets de loi de finances pour 2021 et 2022, j’avais plaidé pour que les mécanismes de soutien financier à nos exportateurs prennent en considération les EFE, de même que les CCI installées à l’étranger, dont elles font souvent partie et qui forment le noyau dur de nos communautés d’affaires.

Le PLF pour 2023 prévoit-il des mécanismes de soutien financier des EFE en difficulté ? Le sujet a-t-il été évoqué lors des auditions ?

Enfin, les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI) sont-ils désormais mieux pris en compte dans les dispositifs d’appui à l’exportation ?

Mme Mireille Clapot. Contrairement à ce que j’ai entendu ici ou là, certains d’entre nous soutiennent la réforme du corps diplomatique – elle pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un échange de vues dans notre commission.

En tant que députée de la Drôme, forte de ses équipementiers aéronautiques et de ses entreprises exportatrices, je veux rappeler que le secteur aéronautique est sensible au contrôle à l’exportation, du fait de ses liens avec les ventes d’armes ou de biens à double usage, susceptibles d’avoir une utilisation civile et militaire.

Un règlement européen, entré en vigueur en septembre 2021, définit les contrôles que les États membres doivent effectuer s’agissant des biens à double usage. Quant au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, il a récemment présenté deux rapports sur ces sujets, alors que des organisations non gouvernementales (ONG) accusent régulièrement des entreprises de s’être rendues coupables de complicité de crimes graves.

Nous sommes là face à un dilemme. S’il faut dire oui, mille fois oui, à une politique de soutien à l’export, ne soutenons pas n’importe quoi, n’importe où, pour n’importe qui, et agissons dans le respect de nos engagements internationaux.

Comment les parlementaires peuvent-ils contrôler l’action du Gouvernement sans entraver sa politique de soutien à l’export ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. S’agissant de la réforme du corps diplomatique, j’ai seulement relevé, après avoir écouté l’ensemble des interventions, y compris celle de la porte-parole du groupe Renaissance, qu’aucune ne lui avait apporté explicitement son soutien : je n’ai observé que des attitudes critiques ou du silence. Cela souligne qu’il y a un vrai malaise à ce sujet.

Je n’en ai pas pour autant tiré la conclusion que personne, au sein du groupe Renaissance, comme du mien d’ailleurs, ne pouvait lui être favorable, et je vous donne acte, Madame Clapot, de votre soutien à l’action du Gouvernement, dans ce domaine comme dans d’autres.

M. Jean-François Portarrieu, rapporteur pour avis. Monsieur Vuibert, le rapport de la Cour des comptes fournit des pistes pour améliorer la cohérence des dispositifs et mieux coordonner les actions des intervenants. Notre politique publique d’accompagnement des entreprises à l’international a pour particularité de répondre à la double tutelle du ministère des affaires étrangères et du ministère de l’économie : il y aurait intérêt à fusionner certaines initiatives.

Monsieur Buisson, notre déficit extérieur s’est en effet dégradé ; Monsieur Forissier a souligné le fait que le seuil des 100 milliards sera largement dépassé. Mon rapport insiste sur la nécessité de faire mieux que ce que nous faisons, tout en considérant que nous faisons déjà mieux que ce que nous avons fait. Entre 18 % et 20 % du déficit sont dus au choc énergétique : il faut donc retrancher un cinquième aux 85 milliards, ce qui n’est guère encourageant pour autant.

D’un point de vue méthodologique, il faut plutôt prendre en considération la balance courante et mieux intégrer les échanges de services aux échanges de biens, en particulier dans le tourisme.

Madame Autain, je ne partage pas votre point de vue sur la subordination de la puissance publique aux intérêts des entreprises. Accompagner les entreprises est une nécessité : tous les acteurs ont indiqué que, sans le soutien de l’État, la filière aéronautique se serait effondrée. Le rapport de Philippe Varin et ses références aux terres rares posent une question clé : en quoi la puissance publique peut-elle garantir l’approvisionnement en certaines matières et matériaux indispensables à notre industrie ?

Monsieur Forissier, vous avez insisté sur le défi de l’agroalimentaire, qui connaît une hausse de 13 % cette année, et rappelé le poids de cette industrie dans notre balance commerciale il y a quelques années. Je partage la nécessité d’un benchmarking, que j’appelle « parangonnage ». Nous avons du retard sur nos concurrents allemands ou italiens, notamment sur le marché des foires et salons. Le dispositif Booster est efficace dans ce domaine : les entreprises qui n’en bénéficient pas accusent, d’une année sur l’autre, un taux de perte à l’export de 25 %, contre 7 % seulement pour les entreprises accompagnées. Nous savons donc accompagner les entreprises mais pouvons encore mieux faire.

Monsieur Fuchs a fait état de l’équilibre de la balance courante de la France. Cela incite à revoir la méthode statistique adoptée.

Parmi les recommandations de la Cour des comptes que vous avez rappelées, Monsieur Alain David, je retiens la suggestion de créer des conseils stratégiques de l’export à l’échelon régional, pour renforcer la coordination avec les CCI régionales et les collectivités. La Team France Export, créée il y a trois ans, a commencé à répondre en partie à ces enjeux.

Monsieur Hubert Julien-Laferrière, je partage avec vous la nécessité d’aller à marche forcée vers l’avion décarboné, ce que les acteurs de la filière aéronautique font de bonnes fois. Si notre poids au sein des instances internationales de régulation et de définition des standards internationaux diminue, faute de confiance dans les perspectives de la filière, on se heurtera à la montée offensive des Chinois, qui ne partagent pas nos standards en matière de réduction de l’empreinte carbone. Le marché de l’aviation commerciale est régi par des normes mouvantes : il y a quelques semaines, une réunion de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) au Canada a donné lieu à des affrontements, qui laissent présager une montée en puissance des Chinois, notamment. Ces derniers soutiennent leurs constructeurs, susceptibles de malmener Airbus et Boeing.

Madame Lakrafi, je ne connais pas bien la situation précaire des EFE. La richesse créée par les 6 millions de salariés étrangers qui travaillent dans des entreprises françaises à l’étranger n’est pas prise en compte dans la méthode d’analyse des données et de recueil des chiffres. Seuls les dividendes le sont, s’ils remontent à des holdings dont le siège social est en France.

Enfin, Madame Clapot, je n’ai pas abordé la question des biens à double usage dans mon rapport mais reste prêt à en discuter et à apporter un complément, si nécessaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le commerce extérieur est le miroir d’un pays. Sa fragilité doit nous alerter.

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Article 27 et état B : Crédits du budget général

La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Économie non modifiés.

 


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ANNEXE  1
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

      Bpifrance : Mme Pascale Lefevre, directrice assurance export – grands comptes ; M. Pedro Novo, directeur exécutif en charge de l’export ;

      Direction générale du Trésor : Mme Magali Cesana, cheffe du service des affaires bilatérales, de l’internationalisation des entreprises et de l’attractivité ; Mme Ihssane Slimani-Houti, cheffe du bureau des affaires aéronautiques, militaires et navales ;

      Safran : M. Alexandre Ziegler, directeur international et relations institutionnelles ;

      Ministère de l’Europe et des affaires étrangères : Mme Hélène Dantoine, directrice de la diplomatie économique ; M. Bertrand Jadot, chef du pôle thématique ;

      Business France : M. Didier Boulogne, directeur général délégué – export ;

      Think tank La fabrique de l’exportation : M. Étienne Vauchez, président ;

      Cabinet de M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports : Mme Claire Rais Assa, conseillère transport aérien, transport fluvial et dialogue environnemental, M. Thibault Gensollen, conseiller parlementaire, M. Pierre Moschetti, sous-directeur de la construction aéronautique à la direction du transport aérien (DGAC) ;

      Airbus : M. Philippe Coq, directeur des affaires publiques ; M. Silvère Delaunay, vice‑président développement international et affaires gouvernementales ; Mme Nathalie Donnard, responsable du soutien export ; M. Olivier Masseret, directeur des affaires institutionnelles ;

      Dassault aviation : M. Éric Trappier, président directeur général, M. Bruno Giorgianni, directeur de cabinet et directeur des affaires publiques ;

      Cabinet de M. Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger : M. Romain Chambre, directeur de cabinet, Mme Isabelle Camilier, conseillère chargée du pôle commerce extérieur, Mme Mariella Ceriani, conseillère spéciale chargée des affaires politiques et parlementaires.


([1]) Dans la loi de finances pour 2022, la subvention pour charges de service public prévue pour Atout France dépendait du programme 185 Diplomatie culturelle et d'influence de la mission Action extérieure de l’État. Un transfert de crédits a eu lieu à la suite du transfert de la compétence « tourisme » au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

([2]) Ce dernier point explique d’ailleurs pourquoi la dégradation de la balance commerciale française a été partiellement compensée par l’augmentation des revenus d’investissements directs réalisés par des entreprises françaises à l’étranger.

([3]) en baisse depuis la crise, après une stabilisation sur 2012-2019.

([4]) Agrégat composé des boissons, parfums et cosmétiques, cuirs et bagages, bijouterie-joaillerie et objets d’art.

([5]) https://www.vie-publique.fr/discours/191807-laurent-fabius-16072014-la-diplomatie-economique.

([6]) La baisse a été encore plus marquée pour les vols long-courriers, pénalisés par les fermetures et restrictions aux frontières : le trafic de passagers internationaux en 2021 était inférieur de 75,5 % au trafic de 2019.

([7]) Syndrome respiratoire aigu sévère.

([8]) Cette enveloppe globale inclut 1,5 milliard d’euros de crédits du programme 190 (après transfert des crédits « relance » du Programme 362) et 75 millions d’euros de crédits complémentaires alloués à l’action aéronautique du programme d’investissement d’avenir (via une utilisation de reliquats de cette action et des redéploiements de crédits) dans le cadre du plan de soutien aéronautique.