Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale              2

– Présences en réunion.................................33

 

 

 

 

 


Mercredi
27 septembre 2017

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 16

session extraordinaire de 2016-2017

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
Présidente


  1 

COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 27 septembre 2017

La séance est ouverte à dix-sept heures cinq.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)

La commission des affaires sociales procède à l’audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport annuel sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre ordre du jour appelle l’audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport de celle-ci sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale.

Monsieur le Premier président, permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter la bienvenue, au nom de la commission des affaires sociales. Compte tenu de la densité du rapport, je vous cède la parole sans plus attendre.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des Comptes. Je suis heureux de vous présenter aujourd’hui notre rapport 2017 sur la sécurité sociale.

Ce rapport est établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission d’assistance de la Cour au Parlement et au Gouvernement. Il est destiné à accompagner le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui sera prochainement déposé sur le bureau de votre assemblée, après son adoption par le conseil des ministres.

J’ai auprès de moi, pour vous présenter le travail de la Cour, Antoine Durrleman, président de la sixième chambre chargée de sa préparation ; Henri Paul, président de chambre et rapporteur général de la Cour ; Jean-Pierre Viola, conseiller maître, rapporteur général de ce rapport ; et Delphine Rouilleault, auditrice, rapporteure générale adjointe. De nombreux autres rapporteurs ont contribué à ce rapport.

Dans le prolongement de son audit général des finances publiques de juin dernier, comme de ses précédents rapports annuels sur la sécurité sociale, la Cour s’est attachée à approfondir l’analyse de la trajectoire financière de la sécurité sociale à l’horizon 2020 et de ses déterminants.

De cette analyse, la Cour a tiré quatre constats principaux. Tout d’abord, la Cour constate que la réduction du déficit de la sécurité sociale et le reflux de la dette sociale se sont poursuivis en 2016, ce qui témoigne d’efforts certains de maîtrise des dépenses. Toutefois
– c’est le deuxième constat – la situation financière de la sécurité sociale n’est pas encore assainie, comme l’illustre l’annonce par le gouvernement d’un nouveau décalage, de 2019 à 2020, de l’objectif d’équilibre. Ensuite, le caractère incomplet et fragile du redressement financier appelle à engager ou à amplifier des réformes structurelles qui, lorsqu’elles sont mises en œuvre, ont des résultats importants. Enfin, pour accélérer le retour à l’équilibre, il convient en particulier d’exploiter beaucoup plus activement les marges importantes d’efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l’assurance maladie. Cette année, la Cour illustre ces marges dans deux domaines : le médicament et les soins médicaux.

De ces observations découle en définitive un message central et essentiel : si les progrès que relève la Cour sont très lents et encore inaboutis, et si la persistance des déficits depuis 2002 fragilise cet instrument majeur de solidarité entre assurés sociaux et entre générations qu’est la sécurité sociale, cette situation n’a rien d’inéluctable.

Revenir plus rapidement à l’équilibre financier, éteindre totalement la dette sociale, éviter par la suite de retomber dans la spirale des déficits et de l’endettement est non seulement indispensable, mais est, selon nous, possible.

Je vais à présent revenir sur le premier constat de la Cour.

En 2016, le déficit de la sécurité sociale a poursuivi le mouvement de baisse progressive engagé depuis 2010, année où il avait atteint le niveau historiquement élevé de près de 30 milliards d’euros, dans le contexte de la crise économique.

Ainsi, le déficit agrégé de l’ensemble des régimes obligatoires de sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’est établi en 2016 à 7 milliards d’euros, contre 10,3 milliards d’euros en 2015. Le déficit du régime général seul et du FSV, qui constitue l’essentiel des enjeux financiers, a été ramené pour sa part à 7,8 milliards d’euros, contre 10,8 milliards d’euros en 2015.

La Cour relève à cet égard cinq évolutions positives. En premier lieu, le déficit est revenu, pour la première fois, à un niveau inférieur à celui de l’avant-crise financière. Ensuite, pour la première fois également, la baisse du déficit a été pour l’essentiel de nature structurelle, indépendante de la conjoncture économique : le déficit structurel s’est réduit de 0,1 point de PIB. Par ailleurs, contrairement aux autres années, la réduction du déficit a été obtenue sans mesures d’augmentation nette des recettes. Pour la première fois encore, toutes les branches et le FSV ont vu leur solde s’améliorer simultanément. Enfin, grâce à la réduction des déficits, la dette sociale a confirmé le mouvement de reflux engagé en 2015 : elle a baissé de 5,3 milliards d’euros pour atteindre 151,1 milliards d’euros fin 2016.

Vous le voyez : la Cour met en lumière les progrès enregistrés en 2016, qui s’inscrivent dans une trajectoire de retour progressif à l’équilibre.

Toutefois, le report de 2019 à 2020 du retour à l’équilibre, annoncé par le Gouvernement en juillet dernier, témoigne du chemin qui demeure à parcourir pour assainir la situation financière de la sécurité sociale. Son déficit reste en effet très élevé. Il se réduit moins fortement qu’affiché et est de plus en plus concentré sur l’assurance maladie et l’assurance vieillesse. C’est le deuxième constat formulé par la Cour.

En ce qui concerne l’année 2016 tout d’abord, la Cour a établi quatre observations moins favorables que celles que j’évoquais à l’instant. Tout d’abord, le déficit a été minoré par un produit exceptionnel de contribution sociale généralisée (CSG) de 740 millions d’euros, dépourvu de base juridique, qui n’aurait pas dû être inscrit en recette de la branche maladie. Corrigé de cette écriture comptable, le déficit atteint en réalité 8,5 milliards d’euros, soit une diminution de 2,3 milliards d’euros qui est finalement du même ordre qu’en 2015. Ensuite, le déficit conserve toujours une importante composante structurelle. Ainsi, il aurait fallu environ 4 milliards d’euros de mesures supplémentaires de redressement pour parvenir en 2016 à l’équilibre structurel. En troisième lieu, comme c’est le cas depuis 2014, la réduction du déficit repose pour partie sur des recettes exceptionnelles, non reconductibles. Enfin, si le montant de la dette sociale se réduit, une partie de celle-ci n’a pas été transférée à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) pour en assurer le remboursement, mais demeure portée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). La répétition des déficits annuels conduit à faire grossir cette composante de la dette, qui est exposée à la remontée des taux d’intérêt à court terme et dont le remboursement n’est pas organisé.

Plus particulièrement, le retour de la sécurité sociale à l’équilibre se heurte aux déficits persistants de l’assurance maladie et de l’assurance vieillesse.

En effet, la réduction du déficit de l’assurance maladie, corrigé du produit exceptionnel de CSG que j’évoquais à l’instant, se révèle très limitée – le déficit s’établissant à 5,5 milliards d’euros en 2016 contre 5,8 milliards d’euros en 2015.

Le déficit de l’assurance maladie représente désormais les deux tiers du déficit total de la sécurité sociale. Il y a deux ans, c’était moins de la moitié.

En 2016, la branche vieillesse du régime général est certes pour la première fois à l’équilibre depuis 2004. Mais le Fonds de solidarité vieillesse, qui finance une partie de ses dépenses, a toujours un lourd déficit. De ce fait, les retraites de base des salariés du secteur privé connaissent encore un important déséquilibre global, soit 2,8 milliards d’euros en 2016 après 4,2 milliards d’euros en 2015.

Pour ce qui concerne 2017, le déficit de la sécurité sociale va continuer à se réduire.

La loi de financement pour 2017 prévoyait un déficit du régime général et du FSV de 4,1 milliards d’euros. La commission des comptes de la sécurité sociale a revu cette estimation en juillet dernier dans le sens d’une aggravation. Néanmoins, selon les tendances les plus récentes, la progression des recettes sera en définitive plus forte qu’attendu et le déficit effectif proche de celui prévu à l’origine. Des chiffres plus officiels devraient être donnés demain, lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale.

En tout état de cause, malgré d’importants transferts de recettes en provenance de la branche vieillesse – 1,7 milliard d’euros –, le déficit de l’assurance maladie continuera de constituer l’essentiel du déficit de la sécurité sociale. La dynamique des dépenses reste en effet forte.

En 2017, le taux de progression de l’objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) a été relevé à 2,1 %, ce qui marque une rupture par rapport à la période récente au cours de laquelle il avait continûment diminué, s’établissant à 1,75 % en 2016.

En outre, la progression réelle des dépenses est pour partie masquée par les biais de plus en plus marqués qui affectent la sincérité de l’ONDAM. Les cas de figure sont nombreux.

Certaines dépenses sont rattachées à l’année suivante : c’est le cas d’une partie des dépenses des établissements de santé relatives aux molécules sous ou post autorisation temporaire d’utilisation (ATU), pour un montant de 180 millions d’euros en 2016. D’autres sont sorties de manière injustifiée du périmètre de l’ONDAM : en 2017, une partie des dépenses de médicaments est ainsi reportée sur un nouveau fonds de l’innovation pharmaceutique, à hauteur de 220 millions d’euros. En outre, les diminutions de charges liées à des contractions de dépenses avec des recettes sont prises en compte en tant qu’économies alors qu’elles n’ont en fait aucun effet sur le déficit de l’assurance maladie, puisque ses produits baissent aussi : c’est le cas de la part des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés prise en charge par l’assurance maladie, pour 270 millions d’euros en 2017. Enfin, certaines dépenses sont reportées sur d’autres financeurs publics, pour 450 millions d’euros en 2017, ce qui ne réduit en rien le déficit des administrations publiques dans leur ensemble. Je pense en particulier au transfert à divers organismes hospitaliers de la contribution de l’assurance maladie au Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés.

C’est une part croissante des dépenses qui échappe ainsi à l’ONDAM. En définitive, quand on neutralise les effets de ces divers procédés, ce n’est pas de 1,8 % que l’ONDAM a progressé en 2016, mais de 2,2 %. Pour 2017, son augmentation prévisionnelle n’est pas de 2,1 %, comme affiché, mais de 2,4 %.

Dès lors, même si l’objectif a été respecté en 2016, pour la septième année consécutive, et le sera très probablement à nouveau en 2017, ce résultat a de moins en moins de portée.

La Cour ne peut qu’appeler à mettre fin aux pratiques qui affectent la sincérité de l’ONDAM. En particulier, toutes les dépenses de médicaments devraient être prises en compte dans l’objectif, alors qu’une partie d’entre elles en a été sortie par la création du fonds de financement de l’innovation pharmaceutique que je viens d’évoquer. De plus, ce fonds a été doté par un simple jeu d’écritures comptables, sans que lui soient apportées de véritables ressources.

Comme je l’ai évoqué, le Gouvernement a repoussé de 2019 à 2020 l’horizon du retour à l’équilibre des comptes sociaux, dans le contexte d’une dégradation à la mi-année 2017 des prévisions d’évolution des recettes par rapport à celles de la loi de financement pour 2017.

Par rapport aux prévisions d’avant l’été, la trajectoire financière de la sécurité sociale connaîtra cependant une amélioration, du fait d’une progression en définitive plus rapide de la masse salariale.

Mais il serait dangereux de faire reposer sur une embellie de la conjoncture le rétablissement pérenne de l’équilibre des comptes.

L’évolution des recettes n’est en effet pas le seul risque qui pèse sur un retour effectif à l’équilibre d’ici à 2020.

Tout d’abord, la progression des dépenses d’assurance maladie risque de s’accélérer en raison non seulement des augmentations tarifaires accordées aux professionnels libéraux de santé, tels les médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, et des augmentations salariales dans la fonction publique hospitalière, mais aussi d’un défaut persistant de maîtrise des dépenses de soins de ville.

Les dépenses de dispositifs médicaux, de transports, d’indemnités journalières et d’actes de spécialistes et d’auxiliaires médicaux augmentent à des rythmes de moins en moins soutenables. Le seul poste de dépenses maîtrisé aujourd’hui est celui des médicaments. Je vais y revenir.

L’évolution des dépenses de retraites est un autre facteur de risque. Le Conseil d’orientation des retraites, dans son rapport de juillet dernier, indique que l’augmentation des dépenses va s’accélérer à partir de 2018 et qu’en raison d’évolutions démographiques et économiques moins favorables, la situation des régimes de retraite va se dégrader beaucoup plus rapidement et plus profondément qu’il ne l’avait estimé l’année dernière.

Ces nouvelles projections, qui ne me surprennent pas, attestent du bien-fondé de la prudence à laquelle la Cour avait appelé dans son rapport de l’an dernier. Je rappelle qu’elle avait estimé que les perspectives financières du système de retraite qui avaient alors été rendues publiques étaient entachées de biais d’optimisme.

La Cour relève au surplus que la loi de financement pour 2017 a masqué la dégradation du solde de l’assurance vieillesse des salariés du secteur privé à partir de 2018. Elle souligne en effet que les prévisions établies dans l’annexe B de la loi, qui décrit l’évolution des agrégats de dépenses, de recettes et de soldes du régime général, de l’ensemble des régimes obligatoires de base et du FSV pour la période 2017-2020, ont intégré des transferts de recettes des trois autres branches de la sécurité sociale : maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille. D’un montant de 3 milliards d’euros d’ici à 2020, ces transferts modifient très sensiblement les soldes prévisionnels des branches par rapport à leur évolution spontanée. Pourtant, aucun élément d’information n’a été transmis à leur sujet au Parlement dans l’annexe B. Ce dont la Cour fait état, c’est ainsi d’un défaut manifeste d’information du Parlement.

De manière générale, les transferts incessants de recettes entre branches et avec le FSV que prévoient les projets de loi de financement de la sécurité sociale, année après année, nuisent fortement à la clarté de la situation financière de la sécurité sociale et de ses branches.

Des économies supplémentaires sur les dépenses d’assurance maladie et d’assurance vieillesse apparaissent ainsi nécessaires pour revenir plus tôt à l’équilibre de la sécurité sociale, réduire au maximum l’accumulation de déficits laissés à l’ACOSS et faciliter ainsi le remboursement de la dette sociale correspondante.

Revenir plus rapidement à l’équilibre financier de la sécurité sociale, mais aussi éteindre la totalité de la dette sociale d’ici à 2024, date à laquelle est prévue l’extinction de la CADES, sont des objectifs essentiels. Je voudrais souligner qu’en 2016, le paiement des intérêts et le remboursement des emprunts contractés pour financer les dépenses sociales des années passées ont nécessité pas moins de 15 milliards d’euros.

La Cour appelle ainsi les pouvoirs publics à fixer sans attendre une trajectoire de remboursement de la dette sociale aujourd’hui laissée à l’ACOSS, en l’accompagnant de l’attribution des ressources nécessaires à la CADES.

Le caractère incomplet et fragile du redressement financier de la sécurité sociale appelle à engager ou à amplifier des réformes qui, lorsqu’elles sont mises en œuvre, produisent des résultats importants. C’est le troisième des quatre constats du rapport. Et c’est encourageant !

On entend souvent dire que la France se réforme peu, dans le domaine de la sécurité sociale comme dans les autres. Cette assertion n’est pas exacte. Des réformes importantes et difficiles ont été faites. Elles obtiennent des résultats. Si j’ose dire, les efforts paient.

Dans son rapport de l’année dernière, la Cour avait ainsi souligné que les retraites de base et complémentaires des salariés du secteur privé avaient été réformées à plusieurs reprises depuis 1993 et que ces réformes avaient permis d’améliorer très nettement leurs perspectives financières, même si de nouveaux ajustements étaient à anticiper.

Ces nouveaux ajustements seront d’autant moins douloureux qu’ils auront été engagés sans attendre et que la gestion des retraites sera assurée avec toute la rigueur requise.

À cet égard, l’analyse par la Cour des conditions de versement des pensions aux assurés résidant à l’étranger – 6,5 milliards d’euros en 2015 – montre que les actions de contrôle mises en œuvre sont nettement insuffisantes au regard des risques de fraude.

Afin de réduire ces risques, la Cour recommande de développer les échanges informatisés de données avec les régimes des pays représentant les principaux enjeux, de mutualiser les certificats d’existence entre les régimes de retraite et de développer des contrôles sur place, ciblés notamment sur les assurés les plus âgés. Vous avez un certain nombre de développements à ce sujet dans ce rapport.

Après les retraites, la Cour dresse cette année un premier bilan d’ensemble d’une autre série de réformes de grande ampleur, celles des soutiens fiscaux et sociaux aux familles, soit près de 60 milliards d’euros en 2015, engagées entre 2012 et 2015. Il s’agit de la baisse en deux étapes de l’avantage fiscal du quotient familial ; de la modulation des allocations familiales en fonction des revenus ; de la sélectivité accrue de la prestation d’accueil du jeune enfant et des fortes revalorisations de l’allocation de rentrée scolaire, du complément familial pour les familles nombreuses et de l’allocation de soutien familiale pour les familles monoparentales.

À partir d’études pour la plupart inédites, la Cour éclaire de manière détaillée les effets des réformes sur la situation des familles en fonction de leur revenu et de leur configuration. Conformément aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics, des transferts massifs sont intervenus dans le sens d’une redistribution nettement accrue entre familles aux deux extrémités de la distribution des revenus.

Notre système de prestations familiales a ainsi connu une mutation historique, qui le rapproche de celui de la plupart de nos voisins : la quasi-totalité des prestations est désormais placée sous condition de ressources ; les aides fiscales et sociales aux familles n’ont plus un caractère globalement croissant avec les revenus ; la fameuse « courbe en U », qui reflétait l’augmentation des aides avec celle du revenu, principalement par le jeu du quotient familial, est désormais aplanie, sans être pour autant parfaitement linéaire.

Mais notre politique familiale n’est pas exempte de limites, voire de contradictions, même après les réformes. La Cour a procédé à une mise en perspective internationale des aides aux familles qui montre que d’autres pays, au prix de choix plus affirmés, obtiennent parfois de meilleurs résultats en matière de réduction de la pauvreté ou de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

À cet égard, l’objectif de création de 275 000 nouvelles solutions de garde entre 2013 et 2017 sera loin d’être atteint. La garde des enfants en bas âge à l’extérieur du cadre familial, en crèche ou par une assistante maternelle, connaît des disparités territoriales et sociales majeures, comme le fait apparaître notre tableau sur les disparités importantes dans les modes de garde des enfants de moins de trois ans, selon les revenus.

Plus généralement, les comparaisons internationales auxquelles a procédé la Cour mettent en lumière des questions essentielles pour les objectifs et les outils de notre propre politique familiale. Aussi nous appartient-il d’y répondre.

Faut-il mettre l’accent sur les prestations monétaires ou sur les solutions d’accueil pour permettre à un plus grand nombre de mères de travailler ? Faut-il privilégier l’universalité des prestations ou les cibler plus fortement ? Faut-il continuer à apporter un soutien croissant en fonction du nombre d’enfants ou mieux prendre en compte des charges liées à la venue d’un premier enfant ? Faut-il maintenir une dualité de la gestion des aides sociales et fiscales aux familles, assurées respectivement par une branche de la sécurité sociale et par le budget de l’État, singularité que nous ne partageons qu’avec la Belgique ?

La Cour appelle ainsi à mieux mettre en perspective les enjeux de la politique familiale, à établir plus clairement ses priorités et à mieux articuler en conséquence ses outils.

Les réformes structurelles intervenues dans les domaines des retraites et de la famille contrastent très fortement avec la forme d’attentisme qui prévaut trop souvent en matière d’assurance maladie, qui est en déficit continu depuis vingt-cinq ans, soit, je le rappelle, une génération entière.

Bien entendu, l’enjeu financier n’est pas un objectif en lui-même. Si la Cour réitère ses avertissements, c’est bien parce que la persistance des déficits, qui alimentent la dette sociale dans les conditions coûteuses que j’évoquais à l’instant et alors même que d’importantes marges d’efficience existent, risque de remettre en question l’efficacité des politiques publiques que porte la sécurité sociale et, à terme, le dispositif essentiel de solidarité qu’elle constitue.

Voilà pourquoi il s’agit d’un enjeu fondamental, bien au-delà de toute considération étroitement comptable.

Or, l’assurance maladie peine à remplir sa mission première, qui est d’assurer l’égal accès de tous aux meilleurs soins, en intégrant en permanence tous les apports, souvent très coûteux, du progrès médical.

La protection qu’elle assure tend à s’éroder, comme la Cour l’a montré l’année dernière en analysant l’évolution générale des modalités de prise en charge des dépenses de santé et les difficultés importantes qui en résultent dans certains domaines, comme les soins bucco-dentaires.

C’est pourquoi il convient d’exploiter beaucoup plus activement les importantes marges d’efficience que recèlent les dépenses de santé prises en charge par l’assurance maladie. C’est le quatrième et dernier constat sur lequel je souhaite revenir.

L’exemple du médicament, qui fait l’objet d’une partie du rapport, montre qu’il n’y a pas de fatalité à la dérive des dépenses quand une action cohérente, résolue et continue est conduite, et même si des gisements importants d’économies restent à mobiliser.

La Cour met en effet en évidence l’importance des progrès intervenus dans la politique du médicament par rapport à la situation qu’elle avait constatée dans une précédente enquête en 2011.

La loi a complété ou précisé le cadre juridique de la fixation du prix des médicaments. Les ministres adressent à l’instance interministérielle qui négocie les prix avec les entreprises – le CEPS – des lettres d’orientation qui fixent des objectifs de plus en plus exigeants. Une clause de sauvegarde plafonnant la dépense totale de médicaments et une contribution spécifique aux médicaments très onéreux de traitement de l’hépatite C ont été instaurées afin d’encadrer l’évolution des dépenses.

Fait suffisamment rare pour être souligné, les dépenses de médicaments en ville remboursables par l’assurance maladie, à la dynamique très vive et constante jusqu’en 2010, sont orientées à la baisse. En 2015, elles ont retrouvé à peu près leur niveau de 2008, de l’ordre de 30 milliards d’euros, ou, pour être très exact, de 29,8 milliards d’euros.

Mais, avec l’arrivée sur le marché de nouveaux traitements dont les prix demandés pourraient être très élevés, comme pour le cancer, l’assurance maladie est confrontée à un défi de soutenabilité de la dépense de médicaments. Par ailleurs, même réduit par des remises, le prix de nombreux médicaments reste imparfaitement corrélé à leur apport thérapeutique réel. Des considérations de nature industrielle peuvent interférer et conduire parfois à des prix anormalement élevés.

Des progrès importants restent nécessaires pour rééquilibrer la position de négociation des pouvoirs publics face à des entreprises pharmaceutiques mondialisées et pour gérer plus activement le stock des prix de médicaments anciens.

La Cour recommande ainsi de renforcer les moyens humains et matériels de l’instance qui négocie les prix, qui sont très insuffisants, de réviser des dispositions conventionnelles par trop favorables aux entreprises pharmaceutiques comme la garantie de prix européen, de développer l’évaluation médico-économique, encore trop rare, et enfin de rendre systématiques les révisions de prix et la transformation des remises en des baisses de prix passé un certain délai.

Aborder la question du prix des médicaments suppose de prendre la mesure d’une de ses composantes, le coût de leur distribution, qui n’est pas suivi par les pouvoirs publics.

Pourtant, en 2015, ce coût a représenté le tiers de la dépense totale de médicaments dispensés par les pharmacies, soit 8,3 milliards d’euros, dont 7,4 milliards d’euros ont été perçus par les pharmacies elles-mêmes.

En plus de leur rémunération réglementée de 5,4 milliards d’euros, ces dernières ont en effet bénéficié de 2 milliards d’euros de rémunérations supplémentaires, dont 1,5 milliard d’euros provenant d’avantages commerciaux accordés par les entreprises pharmaceutiques et 0,5 milliard d’euros d’une partie de la marge réglementée de la distribution en gros.

Le coût de distribution des génériques est particulièrement considérable : la moitié des dépenses de génériques sert en effet à rémunérer les pharmacies qui les dispensent. Cette situation contribue à placer les prix des génériques à un niveau nettement plus élevé que chez nos voisins. Là aussi, il y a des marges de progression dans le sens de la responsabilisation tant du côté des prescripteurs que des patients.

Dans une large mesure, le niveau du coût de distribution des médicaments est corrélé à la densité de pharmacies par habitant, pour laquelle la France est en deuxième position en Europe occidentale, après l’Espagne. Chaque pharmacie dessert ainsi en moyenne près de 3 000 habitants, contre 4 000 en Allemagne et 4 500 au Royaume-Uni.

En définitive, la Cour recommande une refonte des modes de rémunération des pharmacies afin de réduire les coûts de distribution, en les désensibilisant complètement au nombre comme au prix des boîtes vendues et en révisant les marges très élevées consenties pour la distribution des génériques.

Elle propose aussi de favoriser la rationalisation du réseau officinal, notamment en encourageant le développement de modes de distribution alternatifs pour les médicaments à prescription médicale facultative : ventes sur internet et dans d’autres réseaux de distribution.

Bien entendu, ces évolutions devraient s’inscrire dans un respect strict et rigoureusement contrôlé par l’Ordre des pharmaciens des règles déontologiques qui s’appliquent à la profession de pharmacien.

Par ailleurs, un maillage territorial étroit des pharmacies doit être préservé afin d’assurer un accès de proximité au médicament, en ciblant des aides sur celles, 400 à 500 environ, dont l’existence pourrait être menacée alors qu’elles jouent un rôle essentiel.

Autre domaine sur lequel la Cour s’est penchée cette année : l’organisation des soins. Dans ce domaine, la recherche de l’efficience est un objectif majeur qui peut être partagé par tous. L’assurance maladie ne saurait s’exonérer de l’effort demandé à l’ensemble des acteurs.

En effet, si la Cour a noté les actions qui visent à faire revenir à l’équilibre financier les établissements sanitaires et sociaux dont l’assurance maladie assure la gestion, elle souligne que ces actions sont encore insuffisantes.

De fait, les questions de fond sont esquivées, notamment celle, centrale, du bien-fondé même de la gestion d’établissements de soins par l’assurance maladie, qui est sans synergies véritables avec sa mission de gestion du risque maladie.

La Cour recommande donc d’aligner sur le droit commun les modalités de financement de ces établissements et d’engager la transformation du cadre de leur gestion pour leur permettre d’acquérir à terme leur autonomie.

Sur un plan plus général, la Cour rappelle que, loin de s’opposer entre eux, les objectifs de renforcement de la qualité et de l’accessibilité des soins et de maîtrise des dépenses sont en réalité convergents.

Les exemples des soins de spécialité, des activités chirurgicales et de la télémédecine le mettent clairement en évidence. Je les aborderai rapidement pour terminer mon propos.

Tout d’abord, l’organisation de la médecine de spécialité – 16 milliards de dépenses de santé en 2015 – présente un paradoxe apparent. Les médecins spécialistes sont de plus en plus nombreux mais les inégalités d’accès aux soins se creusent et favorisent le report de la demande de soins vers les urgences hospitalières.

Ces inégalités sont de deux natures.

Elles sont, d’une part, territoriales : entre les zones urbaines surdotées et les zones péri-urbaines et rurales sous-dotées, entre certains départements, et entre communes d’un même département car certaines sont désertées par telle ou telle spécialité.

Elles sont, d’autre part, financières en raison de la croissance forte et continue sur le long terme des dépassements d’honoraires pratiqués par les spécialistes de secteur 2, de plus en plus nombreux, alors que les spécialistes de secteur 1 à honoraires conventionnels sont de plus en plus minoritaires dans certaines disciplines et dans les zones urbaines surdotées

L’assurance maladie a développé tardivement des incitations financières à la modération des tarifs, qui ont favorisé un léger repli du taux moyen de dépassement d’honoraires des spécialistes de secteur 2. Dans le même temps, les possibilités d’accès au secteur 2 ont été élargies pour les spécialistes de secteur 1.

En définitive, l’assurance maladie ne dépense pas moins de 10 euros en incitations financières pour éviter un euro supplémentaire de dépassement des honoraires conventionnels !

Dans ce contexte, la Cour recommande de mettre en œuvre des instruments de régulation plus contraignants. Elle préconise ainsi               la révision des nomenclatures des actes médicaux, qui sont obsolètes et déconnectées des coûts ; le déploiement de forfaits de rémunération des soins médicaux pour les patients affectés par des maladies chroniques afin  de remédier aux effets inflationnistes du paiement à l’acte ; enfin, la mise en place d’un conventionnement sélectif des médecins spécialistes – dans les zones surdotées, seuls des spécialistes de secteur 1 devraient pouvoir s’installer afin de permettre d’y recréer une offre de soins financièrement abordable.

En 2015, les soins chirurgicaux ont représenté 5,9 millions d’interventions et près de 16 milliards de dépenses d’assurance maladie. Leur organisation se modernise : les surcapacités de chirurgie conventionnelle se réduisent et la chirurgie ambulatoire se développe, même si les objectifs fixés dans ce domaine par les pouvoirs publics à l’horizon 2018 ne seront pas atteints.

La permanence d’une offre de soins éclatée entre un grand nombre d’établissements publics et privés pratiquant une gamme étendue d’opérations est, selon de nombreuses études, de nature à nuire à la qualité et à la sécurité des soins quand elle repose sur des équipes opératoires insuffisamment étoffées ou stables ou lorsque ces équipes pratiquent peu d’opérations. Or, nous avons pu recenser 29 établissements comportant des services de chirurgie qui ont enregistré moins de 750 séjours en 2015. Des questions de sécurité se posent donc.

La Cour recommande de concentrer plus fortement l’offre de soins chirurgicaux en fixant des seuils d’activité par site géographique d’établissement, et à terme par chirurgien, et en les faisant appliquer rigoureusement. De fait, moins de 6 % des actes chirurgicaux sont aujourd’hui encadrés par des seuils d’autorisation par établissement et leur respect n’est pas toujours assuré.

La Cour propose aussi d’organiser, dans le cadre des nouveaux groupements hospitaliers de territoire, une prise en charge chirurgicale graduée des patients selon la complexité des interventions que requiert leur état. Par ailleurs, l’outil tarifaire serait à mobiliser beaucoup plus activement pour assurer la pertinence des interventions chirurgicales et le développement de la chirurgie ambulatoire.

Enfin, comme le montrent les exemples étrangers, la télémédecine peut apporter une contribution majeure à l’accessibilité, à la qualité et à l’efficience des soins.

Pourtant, sa place demeure plus que marginale en France. Elle pâtit du manque de cohérence et de continuité de l’action des pouvoirs publics, qui multiplient les expérimentations sans financement stable ni évaluation, tandis que l’assurance maladie avance de son côté, de manière autonome.

Pour que la télémédecine se développe, des conditions préalables de nature juridique et technique restent à remplir. Après l’échec coûteux du dossier médical personnel, il faut désormais réussir la généralisation du dossier médical partagé. Des modalités de rémunération innovantes, s’éloignant de la rémunération à l’acte de chaque intervenant, sont à mettre en place.

C’est à la condition d’une stratégie forte et cohérente que notre système de santé pourra bénéficier des possibilités d’amélioration de la prise en charge des patients que recèlent les différentes formes de télémédecine, notamment la télésurveillance des patients affectés par des maladies chroniques. Celle-ci pourrait dégager, selon certaines études, jusqu’à 2,6 milliards d’économies.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, je voudrais à présent conclure en quelques mots.

Comme je viens de l’illustrer, le retour à l’équilibre de la sécurité sociale est non seulement indispensable mais il est possible. Les déficits ne sont en rien une fatalité, même si nous avons coutume de les considérer comme des anomalies dès lors qu’ils concernent des dépenses courantes qu’il apparaît peu pertinent de faire financer par les générations futures qui auront de nombreux besoins à satisfaire.

Encore faut-il que le mode de pilotage financier de la sécurité sociale soit à même d’éviter la spirale des déficits et de la dette.

Depuis 2011, la sécurité sociale revient progressivement à l’équilibre, mais c’est au prix de 37 milliards d’euros de hausses de prélèvements obligatoires et d’importants transferts de l’État : au-delà de la seule compensation des allégements généraux de charges, ce dernier a apporté à la sécurité sociale près de 4 milliards d’euros de ressources alors même que se creusait son propre déficit. Alors que la croissance économique était relativement forte avant 2009, cette période n’a pas été mise à profit pour un retour à l’équilibre. La sécurité sociale est ainsi entrée dans la crise avec de lourds déficits. Les 220 milliards d’euros de déficits accumulés au total entre 2002 et 2016 ont ainsi une origine essentiellement structurelle, indépendante de la conjoncture économique.

Afin d’éviter de reproduire à l’avenir une trajectoire de ce type, c’est un nouveau cadre de responsabilité qu’il importe de définir pour créer les conditions d’un équilibre pérenne et proscrire la formation de nouveaux déficits structurels ainsi que la résurgence d’un endettement social dont l’extinction reste pour partie à organiser.

La Cour a déterminé les modalités de ce nouveau cadre de responsabilité en se fondant sur une analyse rétrospective des déterminants du déficit persistant de la sécurité sociale depuis 2002, des limites des outils utilisés pour son redressement et des difficultés qui demeurent. Elle recommande d’articuler plus précisément les lois de financement de la sécurité sociale avec les lois de finances et les lois de programmation des finances publiques, en organisant en particulier une discussion commune du volet « recettes » des lois financières afin de mieux éclairer le Parlement. Elle préconise également de rendre plus transparents les transferts entre branches et entre l’État et la sécurité sociale. Enfin, elle appelle à interdire le financement de déficits structurels dans le cadre de la gestion courante de la trésorerie de la sécurité sociale par l’ACOSS et propose de mettre en place des mécanismes de lissage conjoncturel des recettes, en les alimentant quand la conjoncture est favorable et en utilisant les sommes ainsi mises en réserve quand elle se détériore.

La situation de l’assurance maladie et celle des retraites appellent des mesures rapides de redressement qui passent par l’engagement ou l’amplification de réformes structurelles. Ces réformes, si difficiles soient-elles parfois, aboutissent à des résultats probants. Dans le même temps, il faut aller au-delà de l’objectif du seul retour à l’équilibre pour reconstruire une cohérence d’ensemble du pilotage de la sécurité sociale qui mette sous une contrainte partagée l’ensemble des acteurs.

Certes, les déficits vont encore reculer en 2017. Toutefois, de telles améliorations ont déjà été constatées dans le passé sans être durables car l’effort s’est trop vite relâché. Faire des choix clairs, s’attaquer méthodiquement et avec ténacité aux sources d’inefficacité et d’inefficience par des réformes structurelles, poursuivre ces actions avec détermination dans la durée, voici autant de leviers pour préserver le haut degré de protection sociale de notre pays.

C’est dans ces perspectives que s’inscrivent les constats, les analyses et les recommandations de la Cour, étant entendu que le dernier mot vous appartient toujours.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je vous remercie, monsieur le Premier président. Je vais maintenant donner la parole à notre rapporteur général, Olivier Véran.

M. Olivier Véran, rapporteur général. Monsieur le Premier président, je vous remercie pour ce rapport dont on peut dire, comme chaque année, qu’il dynamite certaines idées reçues et fait bouger les lignes.

La remise du rapport de la Cour des comptes est toujours une étape importante pour faire le point sur l’évolution de notre protection sociale et son financement. La dernière fois que les comptes de la sécurité sociale étaient à l’équilibre, la France était championne du monde de football, ce qui commence à dater un peu. Nous avons toutefois quelques motifs d’espoir. Depuis 2010, le déficit de la sécurité sociale s’est réduit et nous pouvons envisager le fameux retour à l’équilibre d’ici à quelques années.

Il est bon de rappeler que nous ne réduisons pas les dépenses de protection sociale dans notre pays, nous les augmentons même. C’est une évidence mais dans l’opinion publique, les économies peuvent apparaître comme une volonté de réduction des dépenses de protection sociale, notamment des dépenses de santé. Il n’en est rien. Le budget de la sécurité sociale pour l’assurance maladie s’élevait à près de 200 milliards pour 2017 et il sera augmenté de 4 milliards à 4,5 milliards d’euros pour l’année prochaine. Autrement dit, nous consacrerons demain beaucoup plus d’argent à la santé des Français que nous n’en consacrions hier.

La nécessité de faire des réformes s’impose. Chaque PLFSS apparaît comme le recommencement d’un même exercice : faire entrer un grand cercle dans un petit carré. Et pour cela, il nous faut être un peu malin. Jusqu’à présent, deux méthodes prédominaient : d’une part, la politique du rabot ; d’autre part, l’augmentation des recettes jusqu’au ras-le-bol fiscal bien connu. Pour les années à venir, le Gouvernement a choisi la voie des réformes structurelles.

C’est le premier point sur lequel je souhaite vous interroger, monsieur le Premier président. Qui dit réformes structurelles dit durée et dépenses d’investissement. Êtes-vous favorable à ce qu’une certaine autonomie soit laissée dans la définition des prochains ONDAM pour changer en profondeur notre système ?

Mes premières questions porteront sur l’équilibre général.

La commission des comptes de la sécurité sociale nous avait alertés en soulignant que le déficit était susceptible d’être supérieur aux prévisions pour l’année 2017. Y a-t-il un dérapage ?

Vous proposez un transfert de la dette de l’ACOSS à la CADES et un mécanisme empêchant tout portage par l’ACOSS des déficits structurels. Soulignons toutefois que l’ACOSS emprunte aujourd’hui à des taux de court terme négatifs, qui sont plus avantageux que ceux auxquels la CADES est soumise. Un tel transfert supposerait donc d’affecter de nouvelles recettes à la CADES. Pouvez-vous nous indiquer à quelle échéance une remontée des taux deviendrait problématique et quel coût représenterait ce transfert à conditions de financement constantes ?

En outre, vous préconisez une lecture conjointe des recettes du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui nécessiterait une réforme constitutionnelle. D’ores et déjà, nous travaillons avec nos collègues de la commission des finances pour analyser de la manière la plus efficace possible les recettes de ces deux budgets. Prenons la politique du logement : la plus grande partie relève du PLFSS, une plus petite partie du PLF. Il est certain que disposer d’une vision d’ensemble avant d’engager des réformes structurelles serait plus simple.

Enfin, dans un rapport de 2014, la Cour des comptes évoquait la possibilité de faire évoluer les lois de financement de la sécurité sociale vers des lois de financement de la protection sociale obligatoire incluant les retraites complémentaires et l’assurance chômage. Est-ce toujours une position que vous défendez ? Pourrait-on imaginer aller plus loin en intégrant dans le PLFSS les assurances complémentaires de santé ?

J’aborde maintenant une série de questions touchant les différentes branches.

S’agissant de l’assurance maladie, êtes-vous convaincus comme nous que le développement de la prévention est absolument indispensable dans notre pays ? Sur les 200 milliards de dépenses de l’assurance maladie, seuls 5 milliards sont consacrés à la prévention, ce qui place la France au trentième rang européen, soit plutôt parmi les mauvais élèves. Or les dépenses de prévention permettent de limiter des dépenses ultérieures cinq à dix fois supérieures.

Lorsque l’on consulte les chiffres de l’assurance maladie et les données du site CartoSanté, on constate que l’activité des médecins généralistes de premier recours dans notre pays ne fait que se réduire depuis huit ans. Autrement dit, nous allons à rebours du virage ambulatoire souhaité. Selon vous, quelles grandes réformes nous permettraient de concrétiser une progression de l’activité ambulatoire ?

Pour ce qui est de l’hôpital, nous partageons vos objectifs d’amélioration de la pertinence, de la qualité et de l’efficience des soins. Vous abordez la question des seuils d’activité. Faudrait-il ressortir le rapport de Guy Vallancien et étendre ses préconisations à l’ensemble du champ de la médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) ?

Rappelons qu’il existe une évolution moins spectaculaire que la fermeture des établissements hospitaliers, je veux parler de la fermeture des lits d’hôpitaux. Les établissements de santé, tous secteurs confondus, sont animés par une dynamique plus forte que ce que les statistiques pourraient laisser penser : ils ont connu de vastes restructurations. La chirurgie en est en bon exemple : le  développement des soins ambulatoires a entraîné la fermeture de 40 000 lits.

L’hôpital a aussi besoin de capacité d’investissement. Or pour la seule année 2016, l’investissement a été réduit de 4,1 milliards d’euros. Le taux d’investissement se situe à 6 milliards par an, soit un taux inférieur à celui de 2002 : la cote d’alerte est atteinte. Les investissements sont indispensables aux réformes structurelles et à la modernisation du parc hospitalier.

J’en viens à un sujet qui m’est cher, et que vous n’avez pas abordé dans ce rapport : l’intérim médical, auquel j’ai consacré un rapport en 2013. J’aimerais faire un point d’étape avec la Cour des comptes à l’issue de l’examen du PLFSS. J’ai demandé au directeur général de l’agence régionale de santé de la région Auvergne-Rhône-Alpes d’élaborer une étude portant sur l’année 2017. Il s’avère que sur les huit premiers mois de l’année, les dépenses d’intérim médical dans les établissements de santé de sa région ont augmenté de 17 %, pour un coût atteignant 37 millions d’euros. Le coût de vingt-quatre heures de garde effectuées par un intérimaire se monte à 2 000 euros nets – contre 1 400 en 2013 –, soit 4 500 euros avec les charges pour l’établissement employeur. Le dérapage dénoncé il y a quelques années se poursuit donc et grève les finances publiques et les finances hospitalières en particulier. Or la désertification médicale à l’hôpital cause des torts dans des secteurs prioritaires comme la psychiatrie, la médecine d’urgence ou la chirurgie.

De façon générale, l’activité hospitalière augmente de l’ordre de 3,5 % à 4 % alors que le budget hospitalier n’est en hausse que de 2 % à 2,5 %. Avez-vous repéré des leviers qui nous permettraient de réduire l’écart qui s’est ainsi creusé ?

J’en viens à la télémédecine : je suis entièrement d’accord avec vous quand vous dites qu’il faudrait la diffuser massivement. Cela fait quinze ans que ce n’est plus une innovation, la seule chose nouvelle, ce serait de la financer. Nous espérons beaucoup du prochain PLFSS.

Je termine par deux sujets concernant la branche famille.

Les caisses d’allocations familiales versent 50 milliards d’euros de prestations sociales, qui sont au nombre de vingt-trois, sauf erreur de ma part. Vous semblerait-il intéressant de s’orienter vers une prestation sociale unique ? Cela permettrait d’augmenter la visibilité des aides et de diminuer le taux de non-recours.

Enfin, quelle est la position de la Cour des comptes au sujet de l’universalité des allocations familiales ? Peut-on considérer que verser 30 à 50 euros d’allocations à des foyers dont les revenus sont supérieurs 5 000 euros est incitatif pour la natalité ? Ne pourrait-on penser à une politique redistributive plus efficace, notamment en direction des familles monoparentales ?

M. Didier Migaud. Je commencerai par le déficit. Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, publié en juillet dernier, a fait état d’un risque de dérapage du déficit de la sécurité sociale : au lieu des 4,1 milliards prévus dans le PLFSS pour le régime général et le FSV, elle a avancé le chiffre de 5,5 milliards sur la base des hypothèses de croissance économique et d’augmentation de la masse salariale retenues par le programme de stabilité d’avril 2017. Depuis, il y a eu des bonnes nouvelles tant en matière de croissance économique que de masse salariale. La commission des comptes de la sécurité sociale qui se réunit demain devrait dès lors donner une estimation du déficit de la sécurité sociale assez proche de celui prévu l’année dernière.

Au-delà de cette prévision globale, il faudra être attentif au solde prévisionnel de chaque branche, et tout particulièrement aux dépenses d’assurance maladie.

L’ACOSS emprunte aujourd’hui à des taux d’intérêt fréquemment négatifs en effet. C’est la conséquence d’une politique monétaire très accommodante. Nous savons que cela pourrait ne pas durer indéfiniment. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a rehaussé son taux directeur à quatre reprises depuis décembre 2015. À partir du moment où l’encours de dette sociale portée par l’ACOSS gagne en volume, s’il atteignait par exemple 25 milliards d’euros en 2020, une hausse des taux d’intérêt de court terme de 100 points de base, soit 1 %, pourrait représenter un coût supplémentaire de l’ordre de 250 millions d’euros pour la sécurité sociale, ce qui n’a rien de neutre. Le président Durrleman reviendra peut-être sur certaines propositions qui peuvent être faites en la matière.

Je peux vous confirmer que nous continuons à recommander un examen conjoint des volets « recettes » du PFL et du PLFSS. Une telle méthode ne pourrait que renforcer le lien entre les textes budgétaires et accroître leur cohérence d’ensemble. J’ai souvenir, dans ma vie antérieure de rapporteur général du budget, de débats dans le cadre du PLF qui pouvaient être contredits quelques jours après lors de la discussion du PLFSS, ce qui faisait que plus personne ne s’y retrouvait.

Nous proposons également de transformer les lois de financement de la sécurité sociale en lois de financement de la protection sociale, qui couvriraient les régimes de retraite complémentaire et d’indemnisation du chômage. Cette solution pourrait représenter une étape intéressante avant d’arriver à l’audacieuse extension que vous proposez, monsieur Véran.

S’agissant de la prévention, nous partageons votre constat. Les dépenses qui lui sont consacrées doivent être considérées à terme comme des investissements pour l’avenir. Dans les travaux que nous avions menés sur la lutte contre l’alcoolisme et contre le tabagisme, nous avions fortement insisté sur le caractère crucial d’un renforcement des efforts de prévention.

Je vais maintenant laisser à Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, le soin de répondre à vos autres questions.

M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Deux mots d’abord sur la dette sociale. Dans les années qui viennent, il y a un risque de retournement des taux d’intérêt qu’il faut savoir anticiper. Les enjeux sont importants, nous le répétons depuis plusieurs années. Nous avons été écoutés partiellement par les autorités publiques : des transferts de dettes de court terme de l’ACOSS vers la CADES sont intervenus régulièrement. Il reste cependant des montants importants, qui sont exposés au risque de retournement des taux. Actuellement, les conditions de financement sont exceptionnellement favorables mais nous savons que cela ne durera pas. Le mouvement d’augmentation des taux d’intérêt perceptible aux États-Unis aura à un moment ou à un autre des répercussions en Europe. C’est la raison pour laquelle, comme en 2011 et en 2012, nous appelons à un transfert progressif de la dette à la CADES afin qu’elle soit amortie dans des conditions sécurisées.

Pour la transformation du projet de loi de financement de la sécurité sociale en projet de loi de financement de la protection sociale, nous sommes restés dans le cadre de ce que nous appelons en comptabilité publique les « ASSO », les administrations de sécurité sociale, financées par prélèvements obligatoires. Il est vrai que, dans cette logique, nous pourrions intégrer ce qui est devenu un deuxième étage quasiment généralisé de protection maladie complémentaire, à savoir les mutuelles, les sociétés d’assurance et les institutions de prévoyance. Nous avons l’an dernier mis en lumière le fait qu’il y a eu un déport de plus en plus considérable de l’assurance maladie obligatoire vers les assurances maladie complémentaires et avons appelé à une réarticulation de ces deux modes de protection des assurés sociaux. Nous avons ainsi dessiné plusieurs scénarii possibles que nous avons illustrés en étudiant la manière dont le financement des soins bucco-dentaires pourrait se répartir.

Notre autre proposition en matière de loi de financement consiste à établir une distinction entre une loi de résultats de la sécurité sociale, ou de la protection sociale, et une loi de financement pour l’année à venir.

Actuellement, la loi de financement est à la fois une loi de règlement au sens du budget de l’État et une loi de finances initiale. Il nous semble qu’un calendrier différent, qui verrait l’examen par le Parlement d’une loi de résultats avant l’été, et, à l’automne, l’examen d’une loi de financement pour l’année qui vient serait sans doute tout à fait utile pour examiner l’efficacité des politiques de protection sociale, en particulier la sécurité sociale.

Au sujet de la question du virage ambulatoire, nous avons le même doute hyperbolique que celui que vous avez exprimé. Il y a sans doute des mouvements, mais nous constatons qu’ils ont de la peine à être documentés ; dans un certain nombre de cas, l’activité se transfère dans des conditions que nous mesurons mal. Il faut que nous revenions sur ce point.

En matière de chirurgie ambulatoire, nous avons noté que le nombre de lits en chirurgie conventionnelle diminuait, mais de façon très lente. Les dernières études de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) montrent qu’il existe toujours aujourd’hui une surcapacité chirurgicale. Celle-ci se traduit par une dispersion des activités dans un très grand nombre de services, certains connaissant une activité faible et peu spécialisée, exercée dans des conditions de constitution des équipes qui nous semble problématique.

Si le recours à l’intérim est considérable, c’est qu’un certain nombre d’établissements ne parviennent à recruter ni des chirurgiens, ni des anesthésistes réanimateurs, ni parfois des infirmières spécialisées de bloc opératoire. Cette situation induit parfois des difficultés dans la qualité de la prise en charge des patients.

C’est pourquoi nous appelons à tenir compte de cette situation démographique ainsi que de l’évolution des techniques chirurgicales, qui rendent indispensables des équipes beaucoup plus complètes et plus lourdes que ce n’est le cas aujourd’hui. Cela appelle aussi une répartition différente au sein des groupements hospitaliers de territoire.

De son côté, l’activité hospitalière augmente. En revanche, nous peinons à distinguer la part de l’activité liée à l’évolution des pathologies et au vieillissement de la population, qui se traduit par des maladies à la fois chroniques impliquant des épisodes ponctuels d’hospitalisation qui se multiplient, et constitue à nos yeux une activité de bon aloi, de celle qui n’est pas de bon aloi.

Nous constatons, par exemple, que le retrait de la médecine libérale de la permanence des soins – qui vaut pour la médecine généraliste comme pour celle de spécialité – se traduit par un report considérable sur les urgences hospitalières, qui constituent dès lors un mode d’entrée dans l’hôpital discutable à certains égards.

Dans un rapport précédent, nous avons analysé les difficultés de la permanence des soins, le report sur l’hôpital, et cherché à chiffrer le coût considérable de ces passages évitables, qui auraient pu être pris en charge par une médecine libérale mieux organisée.

S’agissant de la politique familiale, comme vous, nous constatons une dispersion des prestations, même si leur nombre s’est réduit au fil du temps. Nous n’avons pas documenté le principe d’une prestation familiale unique. Une réflexion est sans doute nécessaire sur notre politique familiale ainsi que sur l’universalité. Ce sont là des choix qui, bien évidemment, dépassent largement la Cour. Cela montre en tout cas qu’il faut aller plus loin dans l’analyse sur les orientations et le ciblage de notre politique.

Mme Fadila Khattabi. Ma question porte sur l’évaluation des médicaments, et partant, sur leur coût.

Nous sommes tous convaincus que notre système de santé doit faire face à de nombreux défis, dont l’un, essentiel, porte sur le vieillissement de la population. Celui-ci implique une augmentation des hospitalisations, des soins à domicile, des maladies souvent lourdes liées à l’âge ainsi que des transports sanitaires. L’enjeu consiste à maintenir la qualité de la prise en charge, ce qui passe par le soutien à la recherche et à l’innovation, mais surtout à favoriser le bon accès aux soins pour tous.

Votre rapport du 20 septembre dernier constate une diminution du déficit de la sécurité sociale ; mais celui-ci est loin d’être résorbé, ce qui appelle une série de réformes. Ainsi proposez-vous une réforme de la politique de révision des prix des médicaments, sachant que la part financière des produits de santé représente 19 % du budget total de la sécurité sociale. L’objectif est clair : réaliser des économies rapides sur ces postes de dépenses.

Ne serait-il pas opportun, comme le préconise le Haut Conseil de la santé publique, d’évaluer le service médical rendu des médicaments en fonction du critère majeur de l’amélioration de la qualité de vie, comme cela existe dans d’autres pays européens, dont l’Angleterre ?

M. Jean-Pierre Door. Nous partageons les préoccupations de la Cour au sujet de la fragilité du retour à l’équilibre des comptes sociaux. Vous avez d’ailleurs rappelé ce que nous avions dénoncé l’an dernier : l’amélioration des comptes n’est qu’apparente, car elle procède de transferts de la branche retraite ainsi que de la dissimulation du déficit FSV. Il en résulte une certaine insincérité des comptes présentés dans la loi de financement pour 2017.

La Cour s’inquiète de l’évolution du taux de l’ONDAM, qui pourrait s’élever à + 2,3 % dans le PLFSS pour 2018. Cela appelle des explications, car votre rapport évoque des biais de construction pour les ONDAM passés : où s’arrêtent ces biais de construction, et où commence l’insincérité ?

Vous vous inquiétez de constater que l’assurance maladie dépense 10 euros de fonds publics en incitation financière afin d’éviter 1 euro supplémentaire de dépassement des honoraires conventionnels. Vous concluez d’ailleurs en considérant que le dispositif n’a remporté que des résultats limités et très coûteux. Mais ce ne serait pas, semble-t-il, le point de vue de l’assurance maladie. Quelle est donc votre appréciation de cette question ?

Vous formulez des propositions assez sévères à l’encontre des spécialistes médicaux libéraux. Cela ne risque-t-il pas d’inquiéter encore plus les jeunes qui désertent déjà l’installation en ambulatoire et en libéral ?

Enfin, alors que la France n’attire plus l’industrie pharmaceutique, votre rapport appelle à rigidifier et administrer toujours plus la fixation des prix dans ce secteur. Ne devrions-nous pas continuer de faire confiance à une politique conventionnelle qui prend en compte les réalités des acteurs ? Afin de gagner en lisibilité, serait-il envisageable de disposer d’un document unique – peut-être une annexe 7 du PLFSS –, qui résumerait l’ensemble des dépenses du médicament ?

M. Brahim Hammouche. Vous considérez que la télémédecine constitue une pratique marginale en France, qui mériterait un meilleur développement, singulièrement dans le cadre des réformes structurelles. Vous avez posé des préalables juridiques et techniques. Voyez-vous d’autres freins à ce développement ? Quels seraient les leviers, autres que le financement, qui pourraient être actionnés pour apporter améliorer l’égalité d’accès aux soins dans les différents territoires de santé ?

M. Didier Migaud. S’agissant du médicament, nous faisons aussi le constat que son prix n’est pas toujours corrélé à son apport thérapeutique. Évaluer le service médical rendu constitue une proposition de bon sens, que nous formulons d’ailleurs dans notre rapport.

Je passe la parole à Antoine Durrleman, qui répondra de façon plus précise à vos questions.

M. Antoine Durrleman. En ce qui concerne le médicament, nous appelons au développement de ce que nous appelons les études en vie réelle. Cela consiste à observer de façon précise comment un médicament contribue réellement à l’amélioration de la qualité de prise en charge d’un patient. Au moment de la fixation de son prix, on se fonde en effet sur un certain nombre d’études et d’analyses pratiquées sur des cohortes de patients, ce  qui n’est évidemment pas à la dimension d’une utilisation large, après qu’un médicament a été mis sur le marché et tarifé. Nous appelons en tout état de cause au développement de ce que l’on appelle les études médico-économiques d’efficience des médicaments. Il serait alors possible de disposer d’une fourchette dans l’analyse du rapport coût-efficacité des médicaments dans le travail de la Haute Autorité de santé, qui, pour l’instant travaille sur la base d’hypothèses relativement limitées.

Au sujet de la construction de l’ONDAM, nous préconisons une méthode qui soit décrite dans une annexe au Parlement, qui soit stable, et permette précisément d’avoir un périmètre fixe d’une loi de financement à l’autre. En matière de loi de finances, il existe ce que l’on appelle une charte de budgétisation qui décrit la manière dont sont pris en compte les dépenses et les recettes dans la loi…

M. Didier Migaud. Elles évoluent tout de même…

M. Antoine Durrleman. Certes, mais dans une mesure moindre que dans la loi de financement de la sécurité sociale. Au cours des dernières années, nous avions pointé des difficultés, certaines d’entre elles ont été corrigées, mais c’est un peu comme l’Hydre de Lerne à cent têtes : lorsqu’une tête est coupée, elle repousse doublement.

S’agissant des contrats d’accès aux soins, aujourd’hui dénommés « option tarifaire médicalisée », nous sommes effectivement en désaccord avec la CNAM, que nous avons longuement auditionnée. La Caisse a des biais d’optimisme que nous ne partageons pas. Le taux de pénétration des différents mécanismes reste faible, les options pratiques tarifaires maîtrisées (OPTAM), par rapport au contrat d’accès aux soins traduisent le souci de faire entrer dans le dispositif davantage de médecins, mais, de notre point de vue, avec des faiblesses qui, au lieu d’être corrigées, sont aggravées.

C’est pourquoi nous sommes en total désaccord avec l’assurance maladie, dont on peut comprendre qu’ayant promu le dispositif, elle ait pour lui les yeux de Chimène, mais nous ne sommes pas Chimène.

Il est, par ailleurs, hors de question de transformer le Comité économique des produits de santé (CEPS) en bureau de tarification selon une logique administrative et purement bureaucratique. Nous considérons que le CEPS doit être dans une situation de meilleur équilibre de négociation qu’il n’est aujourd’hui. Les enjeux sont considérables : le Comité compte treize agents publics pour tarifer plus de trente-cinq milliards d’euros de médicaments. Or sa situation ne lui permet pas de négocier dans de bonnes conditions, notamment parce qu’un certain nombre de leviers d’action lui sont interdits dans le cadre du protocole liant les pouvoirs publics et le syndicat professionnel de l’industrie pharmaceutique.

Nous préconisons simplement un réajustement de cet équilibre, de façon que le CEPS dispose de davantage de leviers de négociation. Bien sûr, il ne s’agit pas pour autant de revenir à un régime de fixation des prix tel qu’il a pu exister antérieurement.

En ce qui concerne la télémédecine, il nous semble que beaucoup d’initiatives ont été prises, mais qu’elles ne s’inscrivent pas dans un cadre de cohérence. Si l’on souhaite développer cette pratique, il faut tout d’abord agir sur la rémunération des acteurs. Ce point central est traité dans des conditions disparates qui ne permettent pas d’aboutir. Il faut par ailleurs régler le problème des systèmes d’information, sur le plan technique de l’investissement, mais également sur celui des dossiers médicaux eux-mêmes. Enfin, il convient de bien choisir la façon dont on souhaite avancer. On voit bien que la téléconsultation, la téléexpertise sont à portée de main. La télésurveillance doit venir juste après, car c’est elle qui contribuera puissamment au virage ambulatoire, puisque, au lieu de garder les malades à l’hôpital simplement pour les surveiller, on pourra les surveiller par le biais de la télémédecine de façon beaucoup plus efficiente. Nous appelons à une stratégie construite au lieu d’une série d’expérimentations disparates et disjointes.

M. Thomas Mesnier. Le rapport sur le financement de la sécurité sociale présenté chaque année au Parlement, constitue l’un des temps forts de l’activité de notre commission, car il permet aux députés de bénéficier de l’expertise de la Cour des comptes sur l’application des LFSS passées, au seuil du débat portant sur le PLFSS à venir.

En tant que responsable du PLFSS pour 2018 au nom du groupe La République en Marche, je veux souligner à quel point ce travail d’évaluation est précieux dans la structuration de nos débats budgétaires.

Je souhaite souligner que, si les réductions du déficit et de la dette de la sécurité sociale sont indéniables, vous n’en avez pas moins souligné que la sincérité de l’ONDAM présenté au cours des exercices passés pose question. Je m’inquiète encore des observations de la Cour portant sur le rôle significatif tenu par les transferts financiers de l’État dans la résorption du déficit de la sécurité sociale.

Il me semble à ce titre indispensable, comme vous le proposez, de mieux articuler les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale.

Les trop nombreux transferts entre branches au bénéfice de l’assurance maladie ayant eu lieu ces dernières années posent également la question de la soutenabilité des diverses composantes de notre système de sécurité sociale, en premier lieu de la branche retraite, qui participe de façon très importante à l’amélioration du solde de l’assurance maladie depuis 2015.

Le programme sur lequel nous avons été élus au sein de la majorité veut rompre avec ces artifices de tuyauterie, et privilégier les réformes structurelles, seul moyen de garantir un système de sécurité sociale soutenable pour les actifs, les retraités d’aujourd’hui ainsi que les générations qui nous suivront.

Dans cette perspective, je souhaite vous interroger sur la priorité à donner au sein des soixante propositions que vous avez formulées. Quelles sont les propositions que vous jugez les plus urgentes à mettre en œuvre ? Lesquelles estimez-vous indispensables dans un objectif de réformes structurelles visant l’amélioration de notre système de protection sociale ?

M. Jean-Carles Grelier. Merci, monsieur le Premier président pour ce rapport sans concession, comme il sied à la haute juridiction que vous présidez.

Je considère qu’il est grave et sévère d’entendre dans l’enceinte de l’Assemblée nationale que la loi de financement de la sécurité sociale était insincère, et qu’un certain nombre de dispositions ayant prévalu à son adoption, des informations portées à la connaissance de la représentation nationale ne lui permettaient pas de prendre en toute connaissance de cause les décisions qui lui appartenaient.

J’aimerais que notre commission se saisisse de cette question afin que pareille mésaventure ne se reproduise pas, et que nous puissions avoir quelques garanties – car je ne crois pas, quant à moi, en la survenance d’un monde nouveau – qu’il n’en ira de même pour le PLFSS 2018. Quelles mesures d’expertise pourraient accompagner les travaux de notre commission dans cette préparation, afin que nous ayons la certitude que les chiffres présentés à la représentation nationale sont sincères ?

Vous avez encore évoqué l’insincérité criante et flagrante de l’ONDAM ; ce que mon précédent collègue a appelé de la tuyauterie budgétaire. Là aussi, il s’agit d’une situation inacceptable. Il existe dans le code de la sécurité sociale un comité d’alerte, qui, lorsque les dérives apparaissent flagrantes en cours d’exécution de la loi, peut saisir à la fois le Gouvernement, le Parlement et les instances de la sécurité sociale. Ne pensez-vous pas qu’une instance de suivi des recommandations et avis du comité d’alerte serait, là aussi, de nature à favoriser la bonne exécution de la loi de financement de la sécurité sociale ?

M. Thierry Michels. Monsieur le premier président, dans votre rapport, vous insistez sur le besoin de rendre notre système de santé plus efficient afin d’en garantir la pérennité, et lui permettre de répondre de façon durable aux enjeux de santé publique.

Ce sont les femmes et les hommes qui œuvrent chaque jour au quotidien à notre système de santé à la ville, dans les hôpitaux et dans les structures de santé publiques et privées qui en sont les acteurs essentiels.

Lorsque l’on écoute ces professionnels, on est frappé par l’importance du temps qu’ils doivent consacrer à des tâches d’ordre administratif. Celles-ci détournent les personnels de leurs missions premières et de leur vocation qui est d’être au plus près possible des patients dont ils ont la responsabilité. Ces tâches administratives sont également source de nombreuses frustrations ainsi que de difficultés au travail.

Que pouvez-vous nous dire des opportunités que vous avez identifiées dans vos travaux pour que nos professionnels de santé puissent se concentrer le plus possible sur le cœur de leur métier ? Ces opportunités pourraient bénéficier du plan d’investissement de 4,9 milliards d’euros mobilisés pour le secteur de la santé, annoncé par le Premier ministre en début de semaine.

M. Gilles Lurton. Merci, monsieur le Premier président, pour ce rapport qui confirme celui portant sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, que j’avais rédigé avec mon collègue Olivier Véran au mois de juillet dernier, à la demande du bureau de notre commission.

Votre rapport consacre cette année une large part à la politique familiale en constatant – en approuvant presque – que la quasi-totalité des prestations familiales sont soumises à condition de ressources. Vous précisez que les aides fiscales et sociales aux familles ne revêtent plus un caractère globalement croissant avec les revenus.

Cette position ne laisse pas de nous interroger, car selon nous, il s’agit d’un choix extrêmement politique. Pour notre part, nous avons toujours défendu une politique familiale universelle assurant la compensation de l’arrivée d’un enfant dans un foyer par une redistribution horizontale – c’est-à-dire que les familles qui n’ont pas d’enfant contribuent à l’effort de la nation. C’est le sens que le Conseil national de la Résistance avait donné à la politique familiale, et je partage quant à moi cette appréciation.

Le fait que vous indiquiez vous interroger sur la nécessité de maintenir la branche famille ne laisse pas de m’inquiéter. Le précédent gouvernement a effectivement obtenu un redressement des comptes de la branche famille au moyen de coups de rabot importants donnés chaque année à cette politique, avec comme point d’orgue la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Pour ma part, je n’étais pas favorable à cette mesure car je considère que cette redistribution est nécessaire pour mener une véritable politique familiale : il s’agit non pas seulement de garantir un taux de fécondité dans notre pays, mais d’accueillir un enfant dans un foyer.

M. Belkhir Belhaddad. Dans le chapitre consacré à la télésurveillance, vous préconisez la généralisation à court terme du dossier médical partagé, commun à l’ensemble des acteurs du système de santé, alimenté de façon exhaustive et en temps réel pour ces derniers et assurant la traçabilité de l’ensemble de leurs interventions.

Nous savons également que cette généralisation contribue à la performance du système de santé, grâce à une sécurisation, une intégration et l’exhaustivité des données relatives aux patients. Nous savons que ce dossier est un serpent de mer depuis son lancement, pour  un coût de mise en œuvre néanmoins important – de l’ordre de 500 millions à 600 millions d’euros en 2014‑2015 – et un résultat relativement mitigé.

Comment concevez-vous concrètement la généralisation de ce dossier ? Existe-t-il une évaluation récente du coût de sa mise en œuvre ?

M. Alain Ramadier. La rémunération sur objectifs de santé publique, qui vient compléter le paiement à l’acte des médecins demeure aujourd’hui le socle de la rémunération de la médecine libérale.

En 2014, la Cour des comptes dénonçait un dispositif complexe et coûteux, et suggérait de réduire cette prime lorsque les objectifs ne seraient pas atteints. Ce dispositif, dont le dernier rapport ne fait pas état, est-il toujours dans le collimateur de la Cour ? Le cas échéant, comment suggéreriez-vous la réforme tout en conciliant l’objectif — jugé par ailleurs nécessaire dans ce rapport — de relancer la médecine libérale afin d’éviter les recours à l’hôpital, et de lutter contre la désertification médicale ?

Par ailleurs, n’est-il pas contradictoire de souligner l’importance du rôle des médecins pour flécher le parcours du patient, et, en même temps, d’insister sur le fait que le fléchage effectué par le médecin traitant n’ait pas, je cite : « infléchi la progression des dépenses » ?

Mme Martine Wonner. Je souhaite revenir sur l’objectif des pouvoirs publics de garantir la qualité et la sécurité des soins chirurgicaux, dans un contexte sensible de difficulté démographique entraînant des vacances de postes.

Les ARS ont fixé un seuil de 1 500 actes en deçà duquel les structures chirurgicales devraient être fermées, mais jusqu’à présent elles ont toujours renoncé à appliquer cette norme.

Même si la chirurgie ambulatoire a progressé, la France accuse toujours un retard important. Comment respecter les objectifs ? Il faudrait trouver de nouveaux leviers de restructuration, d’autant plus que l’innovation va nécessiter des blocs modulaires informatisés et mutualisés, et des équipes encore plus qualifiées et étoffées.

Je vois trois possibilités. Faut-il donner à la HAS les moyens d’assumer la responsabilité de la norme, soit en direct soit en donnant plus de possibilités encore aux ARS ? Faut-il aller jusqu’au bout de la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ? Faut-il sortir de la logique de la sur-rémunération des actes de chirurgie ambulatoire au profit de la baisse des actes opératoires classiques, c'est-à-dire travailler à une refonte de la TAA ? Que pensez-vous de cette dernière possibilité ? Agnès Buzyn est pour la logique de la rémunération au parcours de soins.

M. Bernard Perrut. Les activités chirurgicales sont des activités croissantes, très hétérogènes sur le territoire, réparties sur un grand nombre d’établissements. Vous évoquez dans le rapport un lien entre faible activité et risque accru pour les patients, et donc le besoin de fixer un seuil d’activité. Il est ainsi nécessaire d’accélérer la restructuration de l’offre de soins chirurgicaux, tout en maintenant une proximité pour les patients sur chaque territoire, nous y sommes très attachés.

Les GHT qui se mettent en place dans notre pays montrent leur capacité à proposer une offre de soins graduée. Avez-vous conduit ou pouvez-vous conduire une analyse de l’action des GHT en place ? Quels objectifs pourraient-ils être donnés à chaque GHT sur notre territoire ? La chirurgie ambulatoire, les hôtels hospitaliers, la télémédecine, déjà en place dans certains établissements, peuvent-ils servir d’exemple et être recensés ?

Autre sujet : les retraites versées à des résidents étrangers ou leurs ayants droit. Vous indiquez qu’il n’existe pas de données fiables sur ces quelque 50 000 versements par an, ce qui n’est pas rien, qu’il y a des risques de fraudes importants, que les certificats d’existence ne garantissent pas que le titulaire soit en vie… Cela ne peut durer. Quelles mesures pourraient-être prises pour mettre fin à ces anomalies et créer des coopérations internationales entre les régimes en vue de mettre en place de véritables contrôles ?

Mme Élisabeth Toutut-Picard. De nombreuses difficultés dans le fonctionnement des hôpitaux viennent d’être exposées : problèmes budgétaires récurrents, malgré l’énorme effort accompli ces dernières années dans la maîtrise des dépenses, à la limite des capacités de résilience des personnels, problèmes d’investissements, problèmes de ressources humaines, avec un recours à l’intérim permanent, non seulement pour le remplacement des médecins mais aussi pour celui des infirmières et aides-soignantes, problèmes d’ambiance, découragement général, du haut en bas de la hiérarchie soignante ou administrative, succession de réformes organisationnelles et tarifaires, pas toujours évaluées… Or les hôpitaux demeurent les pivots de la politique de santé française, dispensant des soins de très haut niveau reconnus à l’échelle internationale.

C’est pourquoi j’ai été un peu déçue, et inquiétée, par votre non-réponse sur la maîtrise des coûts des médicaments. Vous soulignez une amélioration dans le contrôle de ces dépenses à l’échelle de la consommation de ville et des pharmacies, mais les établissements hospitaliers publics sont aussi de gros consommateurs de médicaments et continuent d’avoir beaucoup de mal à maîtriser cette ligne budgétaire très importante dans la structure de leurs dépenses médicales. La situation monopolistique de certains laboratoires, qui imposent des tarifs parfois injustifiés, pèse lourdement sur leurs marges de manœuvre financières. J’y ajoute les tarifs imposés par les centres de transfusion sanguine, qui sont aussi des fournisseurs quasi monopolistiques des établissements de santé et ont souvent des pratiques tarifaires s’apparentant au secteur privé. Serait-il envisageable d’aller un peu plus loin dans la négociation avec les laboratoires et de leur imposer des tarifs dégressifs en fonction des volumes de médicaments consommés, ainsi que le conditionnement à l’unité, notamment pour éviter les risques de péremption ?

M. Joël Aviragnet. J’ai lu avec attention votre rapport et je salue votre proposition d’instaurer le conventionnement sélectif pour lutter contre la désertification médicale. Néanmoins, les propositions concernant la vente des médicaments en libre-service ou sur internet, ou encore le développement de la télémédecine en milieu rural, m’interrogent. Si la télémédecine est pertinente dans certains domaines comme l’interprétation de l’imagerie médicale, elle ne peut se substituer à l’examen clinique ni à la relation entre le patient et son médecin. En palliant l’absence de médecins dans les territoires ruraux par l’emploi de nouvelles technologies, ne va-t-on pas créer une médecine à deux vitesses et renforcer la fracture territoriale ?

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Le plan de lutte contre les déserts médicaux sera prochainement annoncé par Mme Buzyn. On évoque dans cette politique tout ce qui touche aux maisons de santé et pôles de santé ambulatoires. C’est un axe régulièrement proposé, notamment associé aux nouveaux modes de rémunération. Avez-vous pu évaluer l’évolution et le coût de ces nouveaux modes de rémunération ? Ces nouvelles pratiques conditionnent une approche beaucoup plus globale et partenariale des problématiques de santé, en particulier par une meilleure coordination qui permettra à terme, on peut l’espérer, des économies. Quels investissements ces maisons et pôles de santé ont-ils nécessité ou nécessitent-ils ? Quelles orientations envisager à leur égard ?

Mme Justine Benin. Bien consciente du contexte budgétaire dans lequel s’inscrivent nos discussions, je partage l’essentiel des objectifs figurant dans le rapport et en premier lieu le retour à l’équilibre et le remboursement de la dette sociale, une meilleure maîtrise des dépenses de santé pour assurer un accès équitable aux soins et l’avenir du système de retraite. Néanmoins, ces objectifs, aussi vertueux soient-ils, ne doivent pas masquer les problématiques que rencontrent nos territoires, et particulièrement les territoires ultramarins et ruraux, en matière de santé. Ces territoires ont une population relativement précaire et particulièrement touchée par les maladies chroniques et vectorielles.

L’accès aux soins doit être significativement amélioré, en développant la télémédecine et la prise en charge des transports aériens et maritimes pour tenir compte du caractère archipélagique de notre territoire, en régulant mieux l’offre de soins de ville par l’incitation à l’installation des médecins spécialistes et chirurgiens-dentistes pour anticiper sur les départs en retraite des professionnels installés, et en régulant mieux la densité des infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes pour une meilleure maîtrise des dépenses.

Il est également important de veiller à ce que les évolutions réglementaires sur la prise en charge des transferts sanitaires hors région ne viennent pas limiter l’accès aux soins. En effet, jusqu’à cette année, la Caisse générale de Sécurité sociale (CGSS) prenait en charge, sur le risque maladie, les transferts sanitaires vers l’Hexagone. Or, désormais, ces derniers sont considérés comme des transferts secondaires à la charge des hôpitaux. Considérant les difficultés pesant sur le budget des établissements, et notamment sur notre CHU en Guadeloupe, il est à craindre que cette disposition ait un impact sur la possibilité de transférer un patient dans un établissement adapté de l’Hexagone. Je souhaite connaître la position de la Cour des comptes sur ces sujets et, plus généralement, sur la situation particulière des départements d’outre-mer en matière de financement de la Sécurité sociale.

M. Julien Borowczyk. La proposition n° 30 du rapport, sur les « hôtels hospitaliers », me semble tout à fait intéressante et légitime. On connaît le prix de la surveillance médicale après un acte, en particulier chirurgical ; il est très coûteux de garder quelqu'un dans un service. Envisagez-vous une évolution de la TAA ou le passage dans un soin de suite, ou bien même, peut-être, un retour à domicile via une hospitalisation à domicile ou l’utilisation du triptyque médecin traitant, infirmière à domicile et prestataire de santé à domicile, via la télésurveillance ?

M. Pierre Dharréville. Cela ne vous surprendra pas, j’ai un peu de mal avec l’idée qu’il faudrait en permanence compresser les dépenses de santé. Il est permis de réfléchir à la part des richesses nationales que nous voulons consacrer à ces dépenses, et ce d’autant plus quand on voit la longue liste des besoins restant sans réponse, la crise de l’hôpital en France. On peut se demander sur qui ont reposé tous les efforts consentis ces dernières années, et si les différentes lois de financement de la sécurité sociale ont permis le nécessaire développement de notre système de santé.

Je partage le souci de l’équilibre mais cela peut passer par les dépenses – dans la traque aux gaspillages on pourrait chercher aussi du côté des dividendes versés aux actionnaires des laboratoires pharmaceutiques et autres firmes financées par les dépenses de santé – comme par les les recettes. Des exonérations massives de cotisations sociales patronales ont été consenties : 44,5 milliards, dont 2 milliards n’auraient a priori pas été compensés. Qu’en pense la Cour des comptes, ainsi que sur les coûts supportés par la branche maladie qui devraient en principe être affectés à la branche AT-MP ?

Par ailleurs, la fraude aux cotisations patronales a été estimée, dans un rapport de votre cour en 2013, à 20 milliards. Est-ce toujours le cas ?

Enfin, avez-vous réalisé des études sur le coût logistique des GHT, de la mutualisation, des regroupements programmés, et sur l’empreinte carbone que cela va produire ?

Mme Corinne Vignon. La partie de votre rapport consacrée aux retraites m’a vivement intéressée. Pour s’assurer du maintien des prestations, le Français à l’étranger doit fournir un certificat d’existence visé par une autorité administrative compétente dans le pays de résidence. Vous mettez en lumière un manque de fiabilité de ce certificat, qui peut être très aisément falsifié. Vous notez d'ailleurs que des pensions de retraite sont versées à des personnes de plus de 117 ans, ce qui est un peu douteux.

Au sujet de la lutte contre cette fraude, estimée à 200 millions d’euros pour 50 000 dossiers, j’ai trois questions. Tout d'abord, si la personne déclare son existence en janvier et décède en février, que se passe-t-il sur les dix mois restants ? Puisqu’il s'agit d’un certificat sur une année complète, cela signifie qu’on lui verse des prestations pendant les dix mois. Ensuite, ne peut-on substituer au certificat d’existence un certificat de décès fourni par le pays de résidence à l’administration française ? À défaut de mettre en place une telle procédure, n’est-il pas possible d’obliger les personnes à se présenter au consulat ou à l’ambassade de France dans ces pays afin de vérifier leur existence ?

M. Jean-Hugues Ratenon. Monsieur le président, votre rapport se félicite du mouvement de baisse progressif du déficit de la sécurité sociale. Pourtant, cette baisse a eu un prix car la mise sous pression des organismes de sécurité sociale a favorisé des dérives qui se sont traduites par une baisse de la qualité des services de santé pour les usagers. En outre, ces organismes se sont parfois lancés dans une course aux économies, dans le cadre d’une lutte contre la fraude qui s’apparente parfois à une chasse aux sorcières. C’est que ce révèle le rapport du Défenseur des droits sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales, qui s’interroge : « À quel prix ? »

On y apprend que les organismes ont des objectifs chiffrés de sanction et de suspension du versement d’allocations, et qu’un allocataire du RSA peut se retrouver du jour au lendemain privé de ses droits pour une erreur aussitôt requalifiée en fraude. À la Réunion, le comité opérationnel départemental anti-fraude a estimé, en février dernier, que la fraude aux prestations sociales s’élevait à 14 millions d’euros, soit moins de 1 % du budget des prestations sociales à la Réunion. Cela peut sembler beaucoup mais la fraude fiscale est deux fois plus importante. Au niveau de l'ensemble du pays, la fraude fiscale est même trente et une fois supérieure à la fraude aux prestations sociales. Et là où les fraudeurs fiscaux ont les tribunaux ou le verrou de Bercy, les fraudeurs sociaux passent directement à la caisse, alors qu’ils ne gagnent presque rien. Quel manque d’humanité ! Veut-on favoriser l’équilibre de la sécurité sociale au prix de la sortie de nombreux usagers de son périmètre par l’accusation excessive de fraude ? Un effort d’économies rationnelles ne nécessite-t-il pas de se tourner d’abord vers les plus gros manques à gagner et ne pas traiter les seules fraudes des faibles ?

Autre question : le vieillissement de la population impose des mesures volontaristes pour améliorer notre système d’EHPAD et prendre en compte la question de la dépendance, comme la mission « flash » de ce mois-ci l’a montré. Quels leviers pourraient permettre un plan ambitieux en la matière ?

Mme Annie Vidal. Je ne poserai pas la première de mes questions car elle concerne l’ambulatoire, qui a été largement évoqué. Je me permets simplement d’insister sur la nécessité de donner à nos établissements de santé, notamment les hôpitaux, les moyens de créer des structures ambulatoires dédiées, car c’est selon moi un gage de réussite de l’incontournable virage ambulatoire.

La pertinence des actes de soin est un enjeu majeur de l’efficience de notre système de santé : l’ANAP a identifié des sur-prescriptions pouvant aller jusqu’à 20 % dans certaines spécialités. Les démarches de pertinence, qui visent à réduire les actes inutiles, sont parfois difficiles à conduire parce qu’elles touchent à nos comportements et à nos représentations. Pour les professionnels, c’est le sentiment de ne pas faire assez, et les patients peuvent avoir au contraire le sentiment qu’on ne leur donne pas assez. Il faut donc conduire un travail de fond, d’accompagnement. Les impacts attendus sont importants : économiques, environnementaux, sur l’organisation du travail, la qualité de vie des patients, qui subiront moins d’actes invasifs… Quel est votre regard sur le sujet ? Quelles mesures d’accompagnement préconiseriez-vous ?

Mme Jeanine Dubié. En ce qui concerne le dépassement des tarifs conventionnels, vous constatez que le dispositif de modération du contrat d’accès aux soins est inefficace et coûterait dix fois plus cher que les dépassements d’honoraires évités. Pour pallier cela, vous proposez de restreindre la liberté d’installation des praticiens par un conventionnement sélectif des médecins spécialistes. Or la CNAM pense que cette mesure, qu’elle considère coercitive, est une fausse bonne idée. Que lui répondez-vous ?

S'agissant du virage ambulatoire, j’ai eu à connaître récemment d’une situation ubuesque : des chirurgiens qui développaient de l’ambulatoire au sein de l’hôpital public ont été interpellés par l’administration hospitalière parce que l’ambulatoire rapporte moins que la chirurgie conventionnelle. N’y a-t-il pas en la matière un vrai sujet de tarification ?

Enfin, j’ai lu attentivement la partie relative à la télémédecine et j’en partage l’esprit, dans l’intérêt des territoires ruraux et éloignés, mais vous n’évoquez pas du tout le fait que, pour que des données médicales circulent, il faut des tuyaux, des infrastructures numériques. Ne pensez-vous que les difficultés au démarrage tiennent au fait que nous sommes insuffisamment équipés ?

Mme Carole Grandjean. Dans votre rapport, vous parlez de stratégies à refonder pour avoir une vision d’ensemble de la politique de santé en France. Quelles orientations devrions-nous donner aux ARS afin de mieux répondre aux enjeux liés à la prévention et à la lutte contre les déserts médicaux ? Les fonds d’intervention régionaux créés en 2012 ont-ils impulsé des actions de transformation sur ces deux aspects ? Et pouvez-vous nous parler des impacts de dispositifs tels que le plan « cancer » et le plan « maladies neurodégénératives » ?

M. Adrien Taquet. Ma question porte sur la télémédecine au prisme du handicap. Qu’il s'agisse de téléconsultation, téléexpertise ou téléassistance, dites-vous, la télémédecine peut constituer une véritable innovation et un atout majeur dans l’amélioration de l’accès aux soins et la qualité de la prise en charge. C’est encore plus vrai, probablement, pour les personnes en situation de handicap, notamment les personnes polyhandicapées. L’éloignement, la problématique des transports ou le manque d’accessibilité des établissements eux-mêmes constituent encore trop souvent des freins qui peuvent conduire des personnes en situation de handicap à renoncer aux soins. La télémédecine pourrait ainsi représenter une réelle avancée en la matière. Or elle reste une pratique marginale au stade de l’expérimentation locale. Quels pourraient-être les axes de développement de cette offre en direction des personnes en situation de handicap ?

Mme Audrey Dufeu Schubert. J’ai été ravie de lire votre proposition n° 32 car j’ai depuis plusieurs années une marotte : le dossier médical partagé (DMP). Je suis persuadée que c’est un levier d’économies, de coopération et de décloisonnement entre acteurs de santé. C’est un outil simple, logique et accessible, dont malheureusement les acteurs de soins n’ont pas su se saisir. Combien d’examens biologiques et radiologiques ont été réalisés en double lors d’un transfert d’une structure à une autre ! Le DMP est un outil rationaliste, qui responsabilise et, de fait, permet d’économiser. Vous dites qu’il s'agit d’un échec coûteux. Quelle étude économique avez-vous réalisée ? Pouvez-vous nous indiquer le coût de cet échec et, de même, les économies potentielles qui pourraient être réalisées si le DMP était généralisé ?

M. Didier Migaud. Merci pour ces nombreuses questions. Cela nous fait grand plaisir que la représentation nationale porte une si scrupuleuse attention à nos travaux.

Nous n’avons pas dit que le projet de loi de financement de la sécurité sociale était globalement insincère. De même, la Cour des comptes n’a pas dit non plus que la loi de finances pour 2017 avait été insincère. C’est d’ailleurs au Conseil constitutionnel que cette mission revient, le cas échéant.

Cela dit, nous avons observé que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale présentent des biais de construction et des impasses qui peuvent effectivement affecter la sincérité de ces deux lois. Nous avons par exemple constaté qu’au niveau de l’ONDAM, il y avait des biais de construction. Notre rapport est très clair sur ces biais.

Il y a aussi un certain nombre de transferts sur lesquels le Parlement n’a pas été informé. Nous regrettons cette absence de transparence. Nous souhaitons que cela puisse être corrigé par le Gouvernement et que le Parlement puisse être exigeant en la matière.

Le retour à l’équilibre des comptes sociaux nous apparaît vraiment comme une priorité. Les dépenses dont il s’agit sont des dépenses courantes, des dépenses de fonctionnement, pour leur plus grande part. Il est donc anormal de les financer par l’emprunt. Car un étalement dans le temps de leur financement conduit à y associer les générations futures. Nous sommes sûrement le seul pays, dans le groupe des pays avec lesquels soutenir la comparaison, à accepter des déficits sociaux sur une période aussi longue et aussi continue. Ce n’est pas normal. Comme votre rapporteur général le faisait observer, les dépenses augmentent d’ailleurs dans le même temps. Il n’est donc pas possible de parler de rigueur.

Lorsque nous proposons le retour à l’équilibre, nous ne le faisons donc pas par dogmatisme. Tous nos travaux montrent qu’il y a des marges d’efficacité et d’efficience. Ainsi en est-il des médicaments. Pourquoi utilisons-nous beaucoup moins de génériques que d’autres pays ? Le niveau de prescription dans notre pays est-il normal ? Les transports sanitaires, objet d’un travail de la Cour ces dernières années, sont également un domaine où les moyens d’économie sont importants.

Il est donc possible de réaliser des économies sans remettre en cause la qualité des soins et l’accès à eux. Nous ne pourrons conduire de réforme de la sécurité sociale, ou plus exactement conforter le système qui existe aujourd’hui, sans avoir en tête cette conviction forte.

Nous formulons des propositions, tout comme vous. Il est ainsi concevable que le comité d’alerte puisse intervenir à des seuils plus bas, pour que vous puissiez être plus souvent alertés et pour que les choses soient plus transparentes. Nous devrons travailler ensemble. Il est essentiel que nous puissions vous apporter des travaux utiles pour votre réflexion.

Mais une plus grande responsabilisation des acteurs peut aussi porter des fruits. Des travaux récents de la Cour ont établi la comparaison entre la situation en France et en Allemagne, pour montrer d’un côté une certaine déresponsabilisation et de l'autre un esprit de responsabilité, tant chez les assurés que chez les prescripteurs. Or cet esprit de responsabilité n’était pas du côté français… Cela explique des comportements différents relativement au niveau des prescriptions comme au recours aux médicaments génériques. Comme ces derniers sont peu utilisés, nous compensons auprès des pharmaciens qui font en sorte qu’ils soient davantage utilisés. Dans beaucoup d’autres pays, on ne fait pas ça.

Une plus grande responsabilisation des acteurs permettrait donc que nos comptes sociaux se portent mieux.

S’agissant de l’accès aux soins, nous avons récemment reçu une demande de votre comité d’évaluation et de contrôle (CEC), qui voudrait que nous travaillions sur le sujet. Nous sommes prêts à le faire. Nous devrons rendre notre travail d’ici à la fin 2018.

M. Antoine Durrleman. J’aborderai d’abord la problématique du médicament et de son coût à l’hôpital. C’est une question importante. Nous l’avions traitée dans une communication au Parlement relative aux achats hospitaliers, dont les médicaments sont une composante majeure.

Dans ce rapport, nous proposons de revenir sur la politique d’achat sur marchés, qui met les établissements en position de faiblesse. Nous plaidons pour un cadre national de négociation qui soit animé par le comité économique des produits de santé. L’enquête de terrain que nous avons menée dans un certain nombre d’établissement montre les limites du dispositif d’achat actuel.

Le temps médical n’est pas le temps administratif. Qu’il s’agisse des établissements publics de santé ou de l’organisation des professionnels libéraux de santé, c’est un enjeu majeur. Mais les réponses ne sont pas les mêmes.

Pour les établissements de santé, les réponses sont très largement du domaine de l’organisation interne, en particulier d’une numérisation supplémentaire d’un certain nombre de fonctions. En 2016, nous avons examiné le plan Hôpital numérique, qui a permis d’apporter des progrès. Or ceux-ci, de notre point de vue, sont encore à compléter, à la fois sous l’angle des systèmes d’information médicaux et des systèmes d’information administratifs. Il nous a semblé que la manière dont le plan Hôpital numérique avait été engagé était novatrice.

En ce qui concerne les soins de ville, nous avons le sentiment que les négociations conventionnelles marchent à l’envers : l’on commence par des négociations profession par profession, comme il s’en déroule actuellement, au lieu de commencer par une négociation interprofessionnelle qui permette de définir des modes de rémunération, qui ne soient pas expérimentaux, pour les prises en charge de patients par différents professionnels de santé.

Il nous semble que c’est sur cette base qu’il faudrait commencer à construire pour ensuite décliner profession par profession. Actuellement, c’est l’inverse qui prévaut et cela nous paraît préjudiciable à la fois aux professionnels et aux patients.

Quant aux 135 groupements hospitaliers de territoire constitués depuis un an, nous ne les avons pas encore auscultés. Les GHT remettent actuellement leurs projets médicaux au ministère de la santé. La démarche paraît tout à fait prometteuse car elle repose sur la confiance faite aux acteurs de terrain et à leur capacité d’auto-organisation. En ce qui concerne la problématique des soins chirurgicaux, il me semble que c’est dans le cadre des GHT que les bonnes solutions sont à trouver. Elles supposent en réalité une gradation dans les prises en charge et une capacité à organiser des équipes selon différents modes, en termes de concentration mais aussi de mobilité. Nous examinerons dans les mois qui viennent la logistique et l’organisation concrète de ces groupements.

Plusieurs questions ont porté sur le dossier médical personnel et son coûteux échec. À l’été 2012, nous avons remis une communication portant sur ce sujet à la commission des finances de votre assemblée. Nous avons documenté près de 500 millions d’euros de dépenses n’ayant débouché sur rien. L’organisation de ce service a été reprise depuis le 1er janvier 2017 par la Caisse nationale d’assurance maladie. Neuf caisses primaires mettent en place un nouveau dispositif, apparemment avec plus de succès que ne l’avait fait l’Agence des systèmes d'information partagés de santé chargée du précédent projet. Nous allons examiner la façon dont fonctionne le dispositif dans les mois qui viennent. Ce que nous notons, c’est que les dossiers médicaux partagés se créent avant tout à travers le contact direct entre les assurés sociaux et les agents de la sécurité sociale qui les accueillent. D’autres sont créés par les professionnels de santé libéraux ; peu le sont par les hôpitaux. Or l’un des éléments essentiels du succès de ce dispositif sera la capacité à intégrer les données hospitalières.

S’agissant de la lutte contre les déserts médicaux, nous constatons qu’il existe beaucoup d’initiatives intéressantes mais qu’elles n’agrègent qu’une partie des professions de santé. Ainsi, les maisons de santé pluriprofesionnelles intègrent très peu de médecins spécialistes. Nous touchons ici la limite des dispositifs incitatifs, notamment à caractère financier. Ils sont coûteux mais ont peu de résultats. C’est la raison pour laquelle nous suggérons d’utiliser le levier du conventionnement sélectif.

J’en viens aux problématiques particulières de prise en charge et d’organisation du système de soins dans les territoires ultra-marins, sujet que nous avons déjà analysé en 2014 à travers un rapport public intitulé La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République. Des réponses spécifiques doivent être apportées pour que nos concitoyens d’outre-mer soient soignés dans les mêmes conditions qu’en métropole.

Pour les hôtels hospitaliers, une disposition législative a été prise et un décret a été publié. Si vous me passez l’expression, l’administration est tous freins serrés pour les développer. Dans notre rapport, nous l’appelons à surmonter ses réticences et à aller de l’avant.

En matière de versement de retraites à l’étranger, nous préconisons par priorité de développer les échanges de données d’état-civil comme cela se passe à l’intérieur de notre pays. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) communique les certificats de décès, ce qui permet d’interrompre le versement des pensions. Ce que nous avons constaté, c’est qu’un certain nombre de nos voisins ont pu développer des échanges numériques de données d’état civil de manière beaucoup plus importante et beaucoup plus active que nous. Notre rapport a déjà eu pour effet de susciter un rapprochement entre la direction de la sécurité sociale et le ministère de la santé et leurs homologues en Algérie pour aller en ce sens.

Le bilan que nous sommes en train d’établir du développement d’initiatives innovantes par les agences régionales de santé est mitigé. En réalité, beaucoup des crédits des fonds d’intervention régionaux sont fléchés par les directions d’administration centrale. La part libre laissée à la main des ARS n’est que de 5 %. Il s’agit d’une bonne idée mais dont l’impact est tout à fait limité.

S’agissant du développement de la télémédecine, nous avons examiné la situation de très près et il ne nous apparaît pas à ce stade que le débit internet soit un obstacle dirimant. Il se peut que dans les années qui viennent, les choses changent, mais les plans Haut débit et Très haut débit devraient lever bien des difficultés. Ce qui est en cause, c’est bien davantage le repérage du médecin qui engage l’acte de télémédecine et du praticien qui accueille la consultation à distance. Il reste une cartographie à établir.

Bien entendu, il ne s’agit pas de priver le patient de la présence d’un médecin. Il s’agit simplement de renforcer sa capacité de diagnostic en lui permettant de recueillir un avis d’expert au bon moment sans que le patient ait à se déplacer jusqu’à un grand centre hospitalier. Nous voyons bien quels avantages cela représente, en particulier pour la prise en charge des personnes en situation de handicap.

En matière de politique familiale, la Cour des comptes se contente de se prononcer sur la pertinence des choix des pouvoirs publics compte tenu des objectifs qu’ils se sont fixés. Elle n’examine pas proprio motu le bien-fondé des réformes qui sont intervenues. En l’occurrence, s’agissant de la réforme des allocations familiales, nous ne faisons que constater qu’elle constitue une rupture dans la politique familiale née du Conseil national de la Résistance.

Enfin, il nous semble important d’encourager l’articulation entre le budget de la branche famille et le budget de l’État. En matière de politique familiale, la transversalité et l’approche d’ensemble ne sont pas aisées. Or certains financements ont été récemment supportés par le budget de l’État, en particulier tout ce qui se rapporte aux aides au logement. La branche famille est financée de plus en plus par des impôts et des taxes affectées que l’État transfère depuis son budget et non par des cotisations professionnelles patronales. C’est dans ce contexte-là que nous posons cette question mais en la laissant sans réponse.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Monsieur le Premier président, monsieur le président de la sixième chambre, je vous remercie d’avoir consacré du temps à la représentation nationale et de nous avoir éclairés à travers des échanges de qualité.

 

 

La séance est levée à dix-neuf heures trente.

————


Présences en réunion

Réunion du mercredi 27 septembre 2017 à 17 heures

Présents.  M. Joël Aviragnet, Mme Delphine Bagarry, M. Belkhir Belhaddad, Mme Justine Benin, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, M. Gérard Cherpion, Mme Christine Cloarec, Mme Josiane Corneloup, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Emmanuelle Fontaine‑Domeizel, Mme Albane Gaillot, Mme Patricia Gallerneau, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Jean-Carles Grelier, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, M. Mustapha Laabid, Mme Fiona Lazaar, Mme Charlotte Lecocq, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Valérie Petit, Mme Michèle Peyron, Mme Claire Pitollat, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Hugues Ratenon, M. Aurélien Taché, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Adrien Taquet, Mme Élisabeth Toutut-Picard, M. Boris Vallaud, M. Olivier Véran, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner

Excusés. - Mme Ericka Bareigts, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistait également à la réunion. - Mme Bérengère Poletti