Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

 

 Examen du projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (n° 17) (M. Didier Paris, rapporteur)                            2

 Échange de vues sur l’organisation des travaux de la Commission  21

 Informations relatives à la Commission............ 24

 

 


Mercredi
5 juillet 2017

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 3

session extraordinaire de 2016-2017

Présidence
de Mme Yaël Braun-Pivet,
Présidente


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La réunion débute à 10 heures 10.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivert, présidente.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie d’être présents. Comme vous le savez, une cérémonie d’hommage à Mme Simone Veil se tient en ce moment. Nous n’avons malheureusement pas pu nous y associer, le calendrier législatif nous obligeant à étudier dès ce matin le projet de loi relatif à la prorogation de l’état d’urgence, mais je vous invite à observer une minute de silence.

Mmes et MM. les députés se lèvent et observent une minute de silence.

La Commission examine ensuite, sur le rapport de M. Didier Paris, le projet de loi, modifié par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence (n° 16).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Le projet de loi prorogeant l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, jusqu’au 1er novembre 2017, a été adopté hier par le Sénat. Pour être effective, cette sixième prorogation de l’état d’urgence suppose que la loi adoptée à cet effet soit publiée au Journal officiel avant le 15 juillet. C’est la raison pour laquelle notre calendrier est à ce point précipité : nous nous prononcerons dès demain en séance publique.

M. Didier Paris, rapporteur. La décision de proroger l’application de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence a été prise par le Président de la République à la suite d’un Conseil de défense et de sécurité nationale tenu consécutivement à l’attentat qui a été commis à Manchester : on voit bien que le temps de la loi est scandé par les faits.

Il s’agit de proroger l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre 2017, pour en sortir ensuite dans le cadre d’un deuxième texte visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Les deux textes ont été déposés le 22 juin au Sénat, qui a adopté hier celui que nous examinons ce matin.

Selon la formule retenue par le Conseil d’État, l’état d’urgence est un régime de pouvoirs exceptionnels ayant des effets qui, dans un état de droit, sont par nature limités dans le temps et l’espace. À nos yeux, la sortie de l’état d’urgence dans des délais raisonnables est donc un des objectifs des politiques de sécurité à mettre en œuvre.

Le péril, qui est l’élément fondateur, est-il encore réel et imminent ? Oui, sans conteste, comme le montrent les faits récents.

Le 18 mars dernier, à l’aéroport d’Orly, c’est ainsi à une patrouille de militaires que s’en est pris un individu armé d’un revolver à grenaille. Il a été abattu. Le 20 avril, sur les Champs-Élysées, un équipage de policiers a été pris pour cible par un individu armé, qui a tué un policier et blessé trois autres personnes. L’individu a lui aussi été abattu. Le 6 juin, un individu a attaqué un policier aux abords de Notre-Dame de Paris avant d’être neutralisé par un tir de riposte. Environ un millier de personnes ont accessoirement été confinées dans l’édifice religieux. Le 19 juin, toujours à Paris, un individu a attaqué un escadron de gendarmerie, avant de trouver la mort dans l’incendie du véhicule utilisé. Les démineurs ont découvert dans l’habitacle une carabine de calibre 7.62, ainsi que 28 chargeurs. L’individu était titulaire d’un permis de port d’arme.

Il faut aussi mentionner plusieurs faits récents qui se sont déroulés, pour l’essentiel, sur le territoire britannique. Une double attaque terroriste, à la voiture bélier et à l’arme blanche, s’est ainsi produite à Londres le 22 mars, sur le pont de Westminster. Outre l’assaillant, cinq personnes ont été tuées. À Manchester, le 22 mai, un attentat commis à la sortie d’un concert a causé la mort de 23 personnes. À Londres, cette fois sur le London Bridge, trois djihadistes ont foncé sur une foule de piétons avec leur camionnette, le 3 juin, avant d’attaquer des passants à l’arme blanche dans le quartier voisin de Borough Market. Cet attentat a causé 7 morts et une cinquantaine de blessés.

Le maintien d’un péril imminent est l’élément déterminant qui a conduit à ce projet de loi, dont le nombre d’articles est d’ailleurs très restreint : il est impératif d’éviter toute rupture dans la protection due à nos concitoyens.

L’article premier proroge l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre 2017. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur les nombreuses adaptations qui ont été apportées à la loi de 1955 à l’occasion des précédentes prorogations.

Il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en Conseil des ministres avant l’expiration du délai prévu. Ce sera naturellement le cas si la nouvelle loi, que j’évoquais, entre en application avant le 1er novembre 2017, cette date n’ayant pas vocation à être maintenue dès lors que la protection de nos concitoyens sera assurée par le deuxième texte. Dans ces conditions, il en serait rendu compte au Parlement.

L’article premier autorise expressément les perquisitions ordonnées par le préfet. C’est en effet une disposition qui doit être confirmée à chaque prorogation de l’état d’urgence et nous n’y dérogerons pas.

Afin d’éviter toute ambiguïté, le Sénat a précisé que l’état d’urgence était prorogé à compter du 16 juillet.

L’article 2 concerne les interdictions de séjour. Il s’agit de tirer les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel du 9 juin dernier, dont l’effet a été différé au 15 juillet. Le Conseil a considéré que les dispositions relatives aux interdictions de séjour étaient insuffisamment précises, notamment parce que la loi visait toutes personnes cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics et que le périmètre de l’interdiction pouvait inclure le domicile et le lieu de travail. Le Conseil constitutionnel a jugé que l’équilibre entre l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et le droit à une vie familiale normale n’était pas atteint.

C’est pourquoi le Sénat a adopté un amendement, à l’initiative du Gouvernement, visant à apporter les mêmes garanties que celles existant déjà dans le cadre des assignations à résidence et des perquisitions. L’interdiction de séjour pourra ainsi être prise à l’encontre de « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Par ailleurs, il est prévu le même régime juridique que pour les interdictions de circulation et les zones de protection ou de sécurité. Il faudra notamment tenir compte de la vie professionnelle et familiale.

L’article 3, introduit à l’initiative du Sénat, prévoit l’extension de ces dispositions aux collectivités régies par le principe de spécialité législative, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises.

Je conclurai sur la mise en œuvre des principales mesures de l’état d’urgence depuis sa dernière prorogation. On dénombre ainsi : 62 assignations à résidence en vigueur ; 161 perquisitions administratives ordonnées ; 48 interdictions de séjour ou d’accès ; aucune remise d’armes ; 5 fermetures de sites ou de lieux de réunion ; 2 148 contrôles d’identité ou fouilles de bagages et de véhicules ; 15 interdictions de manifestation ou restrictions de circulation ; 19 zones de protection ou de sécurité.

Mme la présidente. Nous en venons aux interventions des représentants de groupes.

M. Olivier Dussopt. Depuis les attentats qui ont frappé notre territoire le 13 novembre 2015, la France vit sous une menace terroriste qui a justifié la prorogation de l’état d’urgence à cinq reprises, compte tenu de l’existence d’un péril imminent au sens de la loi du 3 avril 1955.

La dernière prorogation, qui date du 19 décembre 2016, était justifiée par la nécessité de pouvoir continuer à faire usage, en complément du cadre juridique de droit commun, de mesures exceptionnelles de nature à accroître l’efficacité de l’action administrative, en particulier dans un contexte électoral où les réunions publiques devaient se multiplier et pouvaient exposer les principaux responsables politiques de notre pays.

Cette prolongation s’est avérée aussi justifiée qu’utile, puisqu’un certain nombre d’attentats ont été déjoués pendant la période électorale. Nous devons témoigner de notre reconnaissance aux forces de sécurité, d’autant plus qu’elles ont été les principales cibles des attaques qui ont malheureusement continué à toucher notre pays.

Nous partageons les raisons qui amènent le Gouvernement à demander la prorogation de l’état d’urgence. D’abord, la menace terroriste ne faiblit pas, malgré le recul des groupes djihadistes sur la zone irako-syrienne. Ensuite, le moindre recours aux mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence ne pousse pas à conclure qu’il est inutile, bien au contraire. Il permet de compléter les mesures de droit de commun, qui ne seraient pas suffisantes pour faire face à la menace terroriste. Même s’il existe encore certaines insuffisances, il faut rappeler que pas moins de six textes ont été adoptés sur la période récente pour renforcer les prérogatives des pouvoirs publics en matière de prévention du terrorisme et de sécurité. Le premier de ces textes a été adopté le 21 décembre 2012 et le dernier le 28 février 2017, notamment afin d’adapter les cadres légaux d’usage des armes par les policiers et les gendarmes et de créer un cadre juridique complet pour l’intervention des agents privés de sécurité qui seraient armés.

Ces textes ont permis d’accroître de manière inédite les moyens d’action des pouvoirs publics, tant pour identifier la menace que pour la prévenir et réprimer les infractions qui en résultent. Nous considérons néanmoins qu’une sortie immédiate de l’état d’urgence serait prématurée : l’efficacité de l’action administrative pourrait se trouver du jour au lendemain entravée par la perte d’un cadre juridique ad hoc. Cela nous conduira à soutenir, au moins partiellement, la transposition dans le droit commun d’un certain nombre de dispositions de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre d’un projet de loi que nous devrions bientôt examiner.

Les modifications successives de la loi de 1955 ont non seulement contribué à renforcer l’état d’urgence mais aussi à mieux l’encadrer avec la mise en place d’un contrôle parlementaire strict, l’encadrement des régimes des assignations à résidence et des perquisitions administratives, la création d’une procédure de référé-autorisation devant le juge administratif, l’institution d’une présomption d’urgence permettant aux assignés à résidence de saisir en toute circonstance, et à plusieurs reprises, le juge du référé-liberté, la limitation à un maximum de douze mois de la durée des assignations à résidence, la prise en compte des contraintes de la vie familiale et professionnelle, ainsi que l’obligation de privilégier les perquisitions administratives de jour, sauf nécessité opérationnelle.

Je souhaite interroger le rapporteur sur deux points.

Depuis 2016, la loi de 1955 prévoit en son article 4-1 la mise en œuvre d’un contrôle parlementaire strict de toutes les mesures adoptées sous le régime de l’état d’urgence. Ainsi, « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application de la présente loi. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. »

La commission des Lois de notre Assemblée a mis en place un dispositif de suivi piloté par un binôme, associant la majorité et l’opposition, qui est investi de tous les moyens nécessaires à sa mission. En vertu de l’article 145 du règlement, un rapporteur d’application de la première loi de prorogation de l’état d’urgence, issu de l’opposition, a été désigné. Il s’agissait de M. Jean-Frédéric Poisson. C’est au rapporteur de cette loi et à celui de son application que fut ensuite confiée la mission d’animer cette mission permanente de suivi. Sur le fondement de l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, notre Commission a décidé de mobiliser, durant six mois, les pouvoirs d’enquête dont peuvent être dotées les commissions permanentes. En application d’autres articles du règlement, notre Commission a bénéficié de ces pouvoirs durant la période d’application de l’état d’urgence.

Les informations recueillies ont été régulièrement publiées, dans la transparence. Les archives de la commission des Lois témoignent, s’il en était besoin, de la densité du contrôle effectué. La dernière publication date du 15 juin dernier, entre les deux tours des élections législatives : ce contrôle parlementaire ne s’était pas interrompu. Nous souhaitons savoir quelle sera la doctrine de la commission des Lois sous la présente législature. Il nous semble impératif que soit désigné un rapporteur d’application, en vertu de l’article 145 du règlement, et que soit mise en place une mission de suivi de l’état d’urgence, sur le modèle de ce qui avait été institué sous la précédente législature, en associant tous les groupes politiques.

Ma seconde interrogation concerne la position du rapporteur sur les modifications apportées au projet de loi par le Sénat. J’ai compris que la précision relative à la date d’entrée en vigueur ne lui posait pas de difficulté. Le rapporteur a aussi évoqué l’amendement adopté pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-635 QPC, qui a censuré les dispositions relatives à l’interdiction de séjour prévues par la loi de 1955 modifiée. Elle permettait au préfet de prononcer une interdiction de séjour dans tout ou partie d’un département à l’encontre de toute personne « cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ».

Le Conseil constitutionnel a estimé que cette disposition n’était pas encadrée par des garanties légales suffisantes pour que sa mise en œuvre n’entraîne pas une violation des règles constitutionnelles. La commission des Lois du Sénat a restreint le champ d’application, qui concernerait désormais toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Le régime juridique des mesures restrictives de l’article 5 de la loi de 1955 est par ailleurs modifié afin qu’elles ne puissent servir qu’une seule finalité : la prévention des troubles à l’ordre et à la sécurité publics. L’autorité administrative devra également tenir compte de la situation familiale et professionnelle de la personne visée, comme c’est le cas en matière d’assignation à résidence. Au-delà du constat et du commentaire qui nous été faits, le rapporteur et la majorité souhaitent-ils confirmer les modifications introduites par le Sénat ou au contraire apporter à leur tour des modifications ?

Le groupe Nouvelle Gauche, comme nous l’avons toujours fait lors des cinq premières prorogations de l’état d’urgence, votera ce projet de loi et partage l’objectif d’une sortie de l’état d’urgence, comme l’avait proposé M. Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux, le 16 mars dernier. Nous serons en revanche extrêmement attentifs aux dispositions du second projet de loi. Il doit permettre d’intégrer certaines dispositions propres à l’état d’urgence dans le droit commun, mais il faudra absolument veiller au respect des libertés publiques et des principes constitutionnels. La guerre que nous menons contre le terrorisme ne doit pas se traduire par ce qui serait sa plus grande victoire, c’est-à-dire un recul des libertés publiques et individuelles dans notre pays.

M. Éric Ciotti. Avant d’intervenir sur le texte, permettez-moi de regretter, au nom du groupe Les Républicains, que notre Commission se réunisse au moment de l’hommage national à Simone Veil. Il y a des contraintes que l’on peut entendre, mais il me semble qu’une autre solution, plus opportune, aurait pu être trouvée.

Mme la présidente. J’ai évoqué hier devant le bureau de la Commission la possibilité de reporter cette réunion et c’est votre groupe qui s’y est opposé, trouvant cette idée malvenue. Je trouve un peu discourtois de prétendre le contraire ce matin.

M. Éric Ciotti. Ma deuxième remarque s’adresse au Gouvernement. Il me paraît un peu méprisant pour notre Commission et pour le travail parlementaire que le Gouvernement n’ait pas souhaité nous présenter son texte, comme il est de tradition.

Nous voterons néanmoins ce projet de loi. L’état d’urgence a été adopté, sur le fondement de la loi de 1955, après les attentats qui ont cruellement frappé notre pays le 13 novembre 2015. Nous sommes aujourd’hui amenés à proroger pour la sixième fois l’état d’urgence, qui prévoit des dispositions de nature à mieux nous protéger face à la menace terroriste. Celle-ci s’est-elle affaiblie ? Nous ne le pensons pas. Une actualité tragique, à Notre Dame de Paris, sur les Champs-Elysées ou à l’aéroport d’Orly, a démontré ces derniers mois combien notre pays demeure une cible, sans doute l’une des premières au monde car il incarne la démocratie, il revendique une laïcité exigeante et il est le pays des Lumières et des libertés.

Tous les spécialistes et les services de renseignement soulignent à quel point nous restons face à une menace extrêmement forte. Nous demeurons engagés sur ce « long chemin tragique » qu’évoquait l’ancien directeur général de la sécurité intérieure lorsque je présidais la commission d’enquête sur les filières terroristes, constituée après l’attentat contre Charlie Hebdo au début de l’année 2015.

Toutes les dispositions de nature à atténuer au maximum le risque terroriste, sinon à l’éviter car le risque zéro n’existera jamais, sont nécessaires et opportunes. L’état d’urgence a démontré son utilité, grâce à des dispositions telles que les perquisitions administratives et les assignations à résidence. Par des amendements que notre groupe avait notamment portés, nous avons enrichi les dispositions de la loi de 1955, en permettant en particulier la fouille des véhicules et les contrôles d’identité dans le cadre de l’état d’urgence, et non plus sur de simples réquisitions du procureur, d’une manière limitée dans le temps et l’espace. Nous approuverons donc naturellement la prorogation de l’état d’urgence.

Le Président de la République a annoncé qu’il s’agirait de sa dernière prorogation et que nous en sortirions au 1er novembre prochain. Cette annonce me paraît dangereuse et prématurée. Nous avons tous à l’esprit les propos tenus par le précédent Président de la République, le 14 juillet dernier. Il a annoncé à midi la sortie de l’état d’urgence, avant que ne se produisent à 22 heures les événements tragiques que nous avons connus à Nice et qui ont naturellement conduit à proroger l’état d’urgence.

Le second projet de loi qui a été récemment présenté ne se substituera en rien aux dispositions protectrices de l’état d’urgence. Ce texte n’a pas la même force pour éviter la menace terroriste. Les perquisitions administratives seront très largement vidées de leur substance, et en tout cas de la capacité d’intervention rapide qui les caractérisait, car elles vont désormais s’assimiler aux perquisitions judiciaires. Constituant la règle de droit commun, celles-ci doivent être utilisées autant que nécessaire dans le cadre des procédures judiciaires, mais la perquisition administrative avait sa spécificité, notamment liée à son intervention immédiate. Y associer une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention conduit à ce que cette procédure n’ait quasiment plus aucun intérêt pratique. Il en est de même pour les assignations à résidence, autre mesure extrêmement puissante qu’autorise l’état d’urgence : elles ne seront plus prévues dans le cadre du domicile, mais dans un espace territorial beaucoup plus vaste, à l’échelle d’une ville.

Par ailleurs, la mention des contrôles d’identité et des fouilles de véhicules a disparu du texte que nous examinons. Sur le court terme comme sur le moyen terme, nous craignons donc un affaiblissement significatif de notre arsenal législatif de protection.

En outre, les contrôles aux frontières établis l’an dernier, à l’approche de la COP21, en faisant usage d’une dérogation à la convention de Schengen, prendront fin le 11 novembre. J’attire votre attention sur les conséquences de ce nouveau cadre juridique.

Mme Naïma Moutchou. Nous savons que la France est une cible privilégiée des actes terroristes en raison des valeurs qu’elle porte et des symboles qu’elle incarne. Nous savons que les différents passages à l’acte, réalisés ou déjoués grâce au travail exceptionnel des forces de police et de renseignement, continuent d’indiquer un niveau de risque alarmant.

Les différents avis consultatifs du Conseil d’État, notamment le dernier en date, rendu le 15 juin, vont en ce sens. Il a réaffirmé l’existence d’une menace terroriste « persistante et d’intensité élevée, qui caractérisait un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Cela justifie, selon le groupe LRM, le maintien temporaire du régime d’état d’urgence, car il faut parer à l’imminence de la menace.

Mais l’efficacité de la protection que nous devons proposer à nos concitoyens ne peut pas reposer, à moyen terme, sur ce dispositif exceptionnel. Le Président de la République a exprimé cette idée. Il nous faudra donc, dans un deuxième temps, sortir de ce dispositif. Ce devrait être l’objet du projet de loi de sécurité intérieure qui devrait venir devant nous extrêmement rapidement.

Il va falloir faire la transition. Les sujets abordés par notre collègue M. Éric Ciotti pourront faire l’objet d’un débat au moment de l’examen de ce projet de loi. Aujourd’hui, nous sommes en face d’un texte resserré, qui comporte trois articles. Il s’agit de parer à l’imminence d’une menace qui doit avoir une réponse et qui nécessite de proroger le régime que nous connaissons actuellement. Mais il est évident que nous ne pouvons pas rester dans ce dispositif et que la prochaine étape sera le passage vers un dispositif de droit commun.

M. Ugo Bernalicis. Au nom des députés du groupe de La France insoumise, je voudrais d’abord constater qu’il reste de bon ton de saluer l’action des forces de police qui travaillent d’arrache-pied, jour et nuit, à la sécurité de nos concitoyens. Elles le faisaient dès avant l’instauration de l’état d’urgence, le font en ce moment et le feront aussi après l’état d’urgence.

Je m’associerai aux observations du groupe Les Républicains en regrêtant que le ministre de l’Intérieur ne vienne pas devant nous. L’état d’urgence actuel s’arrêtera le 15 juillet. Est-il nécessaire de maintenir l’examen en séance publique du présent projet de loi demain jeudi, alors que nous pourrions encore entendre le ministre de l’Intérieur en décalant de quelques jours cet examen ? Nous pourrions ainsi nous prononcer vraiment – même si, en tout état de cause, notre groupe restera défavorable au texte. Nous serons peu nombreux à voter contre ce texte, montrant ainsi que notre groupe constitue la véritable opposition dans cette assemblée…

M. Philippe Gosselin. C’est la méthode Coué !

M. Ugo Bernalicis. Il me semble symptomatique que nous votions en urgence l’état d’urgence. C’est un comble. Est-ce bien normal alors qu’un projet de loi nous est annoncé sur le sujet ? En attendant son examen, nous votons encore et encore la prolongation, jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. Nous nous opposerons, pour notre part, à ce qu’il soit transcrit dans le droit commun.

Cela m’a fait sourire d’entendre les députés du groupe Nouvelle Gauche déclarer qu’il fallait maintenir l’état d’urgence, alors que ces dispositions ont servi contre des militants écologistes et même contre des syndicalistes au moment des manifestations contre la loi relative au travail. Des organisations non gouvernementales ont attiré l’attention sur ce point.

Même de grands noms de la lutte anti-terroriste, de tendances politiques diverses, jugent contre-productif de vouloir maintenir l’état d’urgence hors le cadre de l’urgence. Ils se sont prononcés en ce sens. Comment faisait-on sans lui ? Est-ce que l’on n’arrêtait pas aussi les terroristes ? Après les attentats du 11 septembre, l’état d’urgence n’a pas été déclaré et nous faisions pourtant face à la menace. À quoi avons-nous maintenant renoncé ?

On veut éviter, en réalité, la question des moyens disponibles pour l’ouverture d’enquêtes sous contrôle d’un juge. Ces raccourcis juridiques et administratifs servent à pallier le manque de moyens. Le juge Marc Trévidic m’en a parlé : les preuves recueillies en faisant usage des dispositions de l’état d’urgence doivent souvent être laissées de côté dans le cadre de notre état de droit, car elles ne sont pas recueillies dans le cadre d’enquêtes judiciaires, lesquelles ne sont, par définition, pas encore ouvertes. Sur le plan juridique, des terroristes nous échappent de ce fait. Je veux vous alerter sur ce point.

Enfin, nous prenons au sérieux les mesures d’exception. En 1793, la Iere République s’est perdue dans des mesures d’exception et dans l’incapacité à faire régner l’état de droit. Je ne voudrais pas que nous retombions dans ce genre d’errements.

Mme Laurence Vichnievsky. Au nom des députés du groupe MODEM, je dirais que le rapporteur de notre Commission a bien identifié les trois sujets de ce projet de loi : Est-ce que la menace terroriste persiste ? Est-il toujours nécessaire de maintenir l’état d’urgence ? Si oui, faut-il le maintenir pour une durée indéfinie ?

À ces questions, le rapporteur nous a fourni des éléments de réponse. Je soulignerai la position du Conseil d’État, saisi du projet de loi. Selon lui, il n’y a pas de déséquilibre entre les atteintes redoutées à l’ordre public et le respect des droits et libertés individuels. C’est à nous, législateurs, qu’il revient de se prononcer sur ce point. Le Conseil d’État a, par ailleurs, souligné le caractère de proportionnalité, caractère qui doit, à mon sens, nous guider dans notre décision.

Nous avons examiné la version du projet de loi tel qu’il a été amendé par le Sénat. Celui-ci a tenu compte de la décision prise par le Conseil constitutionnel. Le texte obtenu nous convient ainsi parfaitement. Nous rendons un avis favorable à son adoption.

Quant aux autres amendements que nous examinerons ce matin, ils ne nous paraissent en revanche pas justifiés. Les uns ne semblent pas avoir leur place dans le texte d’aujourd’hui, mais plutôt dans le projet de loi sur la sécurité intérieure que nous examinerons prochainement. Les autres ne nous paraissent pas opportuns sur le fond.

M. Stéphane Peu. Comme député élu à Saint-Denis, j’ai vécu l’expérience des attentats et leurs suites, à savoir l’intervention des services du RAID à Saint-Denis, lorsqu’ils y ont neutralisé le terroriste Abaaoud.

Nous nous opposerons, au sein du groupe GDR, à la reconduction de l’état d’urgence. Par définition, il ne saurait être permanent. Les professionnels de la sécurité nous disent eux-mêmes que l’efficacité d’un tel dispositif est plus forte dans les premiers jours, mais qu’elle se perd ensuite au fil du temps. Au contraire, le maintien de l’état d’urgence est très consommateur de ressources et épuise nos forces de sécurité.

Revenons plutôt sur l’affaiblissement des dispositifs de sécurité. Les gouvernements précédents ont conduite une réorganisation et un démantèlement des services de renseignements. Cela a eu un effet dévastateur dans un département comme la Seine-Saint-Denis. L’attentat déjoué sur les Champs-Élysées était ainsi préparé par un individu à la fois fiché S et inscrit à un stand de tir de la police nationale… Il faut donc revenir sur des démantèlements antérieurs de nos services de sécurité.

Il y aurait danger à perpétuer sans cesse l’état d’urgence, régime qui prend le pas sur les libertés individuelles. En se perpétuant, il ne nous rend pas plus efficaces, mais donne raison, au contraire, à ceux qui veulent revenir sur ce qu’est ce pays, ses traditions, son attachement aux libertés et à la séparation des pouvoirs.

Les victimes des attentats auraient mieux aimé que leur indemnisation, le remboursement de leurs frais de santé et leur accompagnement psychologique soient véritablement efficaces. L’association des victimes des attentats du 13 novembre s’étonne qu’il n’y ait plus de secrétariat d’État dédié aux victimes, comme dans le gouvernement précédent. Pourtant, les difficultés administratives qu’elles rencontrent sont énormes, lorsqu’elles veulent faire valoir leurs droits. Nous appelons donc plutôt à des mesures d’urgence pour mieux prendre en compte la douleur et la peine des victimes.

Mme la présidente. Nous en venons aux orateurs qui se sont inscrits.

M. Olivier Marleix. Je trouve dommage que nous n’échangions pas avec le ministre de l’Intérieur au sujet de ce sixième renouvellement de l’état d’urgence et de ses dimensions pratiques.

Premièrement, quel lien est-il établi entre l’enregistrement des armes, notamment celles de catégorie D, qui peuvent être achetées avec une licence de chasse, et le fichier de sécurité ? Il s’agit d’une simple question d’organisation des préfectures. J’avais déjà soulevé avec le précédent ministre de l’intérieur la question de l’absence de croisement entre ces fichiers. L’attentat déjoué sur les Champs-Élysées montre que c’est un vrai sujet.

Deuxièmement, quelle dimension revêtent les mesures proposées ? Des perquisitions administratives sont prévues. À Dreux, les insuffisances dans les effectifs de police sont pourtant telles que l’État ne peut faire usage de ces autorisations données par la loi. Certaines des mesures que nous adoptons ne seront ainsi pas mises en œuvre faute de moyens.

Troisièmement, s’agissant encore d’organisation et comme notre collègue M. Éric Ciotti l’a déjà dit, nous sommes sur le point de sortir, en novembre, de la période d’application de la dérogation à la convention Schengen sur la circulation des personnes. Je regrette que nous en sortions aussi rapidement. Quelles dispositions sont-elles prises par le ministre de l’Intérieur pour pallier la fin de cette dérogation ? La menace est en effet toujours aussi importante.

M. Paul Molac. L’état d’urgence s’applique depuis novembre 2015. Depuis cette date, environ 4 500 perquisitions ont été menées et 670 procédures judiciaires, dont 61 pour terrorisme. Ces perquisitions ont en particulier permis de saisir des armes et des stupéfiants qui servaient au soutien du terrorisme. Cela a donc été favorable.

Il est difficile pour les forces de police d’appliquer l’état d’urgence. Leur longue présence sur le terrain a contribué à leur fatigue. Je ne peux donc laisser notre collègue M. Éric Ciotti dire que la législation a été allégée, alors que nous avons au contraire durci la loi anti-terroriste et le droit commun. L’état d’urgence n’est pas la panacée et les attentats de Nice l’ont prouvé. Ils ont en effet eu lieu quand il était en vigueur, montrant qu’il ne suffit pas à sécuriser totalement la situation. Constituerait-il donc vraiment le nec plus ultra ? Ce serait hors de propos que de l’affirmer.

Nous sommes dans un état d’exception, qui ne doit pas devenir la règle. C’est pourquoi je propose qu’on en sorte une fois adapté le droit commun. Mieux vaut en effet toiletter la loi anti-terroriste. Il ne me semble en tout cas pas nécessaire de proroger encore l’état d’urgence, du moins dans cette durée.

Quant aux amendements de suppression pure et simple que nous devons examiner, ils me paraissent manquer de nuance. Ceux de M. Éric Ciotti ne sont quant à eux pas constitutionnels. Si les titres de séjour devaient pouvoir être retirés à la moindre infraction, perdrait-on vraiment son droit de maintien sur le territoire pour une simple contravention au code de la route ? De telles formulations ne me paraissent pas susceptibles de faire avancer la situation.

M. Arnaud Viala. Il me semble, quant à moi, que l’annonce d’une fin de l’état d’urgence en novembre est prématurée et constitue un risque supplémentaire pour notre pays. La dernière annonce d’une fin de l’état d’urgence était le fait du Président de la République, M. François Hollande, le 14 juillet dernier à midi, et l’attentat de Nice a lieu le soir même…

Une annonce de cette nature ne saurait avoir lieu alors que le projet de loi sur la sécurité intérieure qui nous est annoncé n’est encore pas connu, ni encore moins débattu par les assemblées. Les Français doivent bénéficier du niveau maximal de sécurité.

Je voterai donc pour la sixième prorogation qui nous est demandée. Mais je déplore que les informations ne soient pas disponibles sur l’état des risques et sur la situation. L’information sur le risque local, et national, que les préfets dispensaient aux grands élus, s’est délitée. Nous en avons pourtant toujours besoin, comme législateurs.

M. Philippe Gosselin. Il y a un vrai risque à ne prolonger l’état d’urgence que jusqu’au 1er  novembre. Le projet de loi annoncé n’est pas encore en cours d’examen. Du fait des élections sénatoriales en septembre, son examen ne pourra avoir lieu qu’à partir de la fin septembre ou du mois d’octobre. Mieux vaudrait adopter une prorogation d’un an à laquelle il serait facile de mettre fin par décret pris en Conseil des ministres, au lieu de fournir une date-butoir aux terroristes. Il n’est d’ailleurs pas trop tard pour modifier en ce sens le texte proposé, par voie d’amendement.

Enfin, qu’en est-il du contrôle parlementaire de l’état d’urgence et du rôle que l’opposition est amenée à y jouer, comme s’en inquiète également mon collègue M. Olivier Dussopt ? Il était de tradition d’avoir un rapporteur d’application sur ce texte et il ne semble pas que ce soit le cas ici, du moins à ce stade.

M. Stéphane Mazars. Pour répondre d’abord aux critiques formulées par les élus du groupe Les Républicains, on nous annonce la fin de l’état d’urgence pour le 1er  novembre car nous n’avons pas vocation à être en permanence dans l’état d’urgence. La France est en effet le pays des Lumières, monsieur Ciotti. Il me semble donc inenvisageable que la France reste en régime d’état d’urgence de manière encore trop prolongée. Il est bon de se fixer collectivement l’objectif d’en sortir.

Il nous revient d’anticiper la fin de l’état d’urgence par une nouvelle législation qui permette d’intégrer dans notre droit positif certaines dispositions qui se sont révélées efficaces sur le terrain. Notre pays doit retrouver une normalité de fonctionnement. Le contraire serait une victoire de ceux que nous combattons.

Pour répondre ensuite aux critiques formulées par les élus du groupe La France insoumise, personne ne peut dire que la façon dont on luttait auparavant contre le terrorisme était efficace. Sinon, l’attentat de Charlie Hebdo n’aurait pas eu lieu. En outre, la forme du terrorisme a changé. Nous sommes aujourd’hui en présence de passages à l’acte rapides qui sont le fait de personnes n’étant pas « dans les radars » et faisant usage de moyens à la disposition de tout un chacun. Une menace de ce type était inconnue jusqu’alors. Nous devons être pragmatiques et assurer la sécurité de nos concitoyens. La prorogation de l’état d’urgence est le seul moyen efficient de poursuivre la lutte sans merci contre les terroristes.

M. Raphaël Schellenberger. La menace d’aujourd’hui n’a en effet jamais eu de pareille. L’orateur du groupe La France insoumise évoquait les attentats du 11 septembre 2011, mais, depuis lors, les actes se sont structurés et les terroristes sont plus mobiles et plus réactifs. Aussi faut-il trouver un dispositif pérenne.

Comme notre collègue M. Philippe Gosselin, je ne pense pas que cela soit possible à la rentrée, dans un délai d’à peine un mois et demi, surtout si nous prévoyons d’entendre correctement les spécialistes du renseignement et ceux de la lutte anti-terroriste, alors que notre assemblée a été profondément renouvelée. Nous n’adopterons pas en un mois et demi une loi qui nous permette de lutter efficacement contre le terrorisme.

Certes, l’état d’urgence dure, mais la menace dure elle aussi. Je soutiendrai, avec les Républicains, la prorogation prévue par ce projet de loi. Mais je souhaite davantage que quelques semaines de prorogation pour que nous puissions travailler à l’automne sur la réforme du dispositif prévu par le droit général.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Avant de donner la parole au rapporteur, je voudrais vous répondre sur deux points : le contrôle parlementaire et l’audition du ministre de l’intérieur.

La question du contrôle parlementaire a été évoquée hier lors d’une réunion du bureau de la Commission où tous les groupes étaient conviés. Aux membres de la Nouvelle Gauche, j’indique qu’ils y auraient appris, s’ils avaient été représentés, que nous avons l’intention de continuer à exercer le même contrôle parlementaire que celui effectué sous la précédente législature. En tant que présidente de la Commission, j’exercerai ce contrôle avec le rapporteur et le co-rapporteur d’application du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, puisque les mesures qu’il contient sont appelées à « prendre le relais » et s’appuieront donc sur cette évaluation. Nous désignerons ce rapporteur et ce co-rapporteur le 11 juillet prochain lors d’une séance de la Commission.

Il a été convenu que le co-rapporteur d’application serait issu du groupe Les Républicains, principal groupe d’opposition. À charge pour ce groupe de nous indiquer lequel de ses membres souhaite assumer cette fonction.

Le contrôle continuera à s’effectuer de la même façon que précédemment : des données seront publiées toutes les trois semaines sur le site de l’Assemblée nationale.

Venons-en à l’audition du ministre de l’Intérieur, un sujet récurrent. Nous avions sollicité cette audition à la demande du groupe Les Républicains. Il n’a pas été possible pour le ministre de venir dans des délais aussi courts, sachant qu’hier il était au Sénat pour l’examen du texte qui nous occupe aujourd’hui.

Précisons que lors des autres votes sur les prorogations de l’état d’urgence, le ministre n’avait pas été auditionné par la commission des Lois de façon systématique ; il n’a pas non plus été auditionné au Sénat par la commission des Lois pour l’examen du présent texte. Il n’est donc pas aberrant de ne pas avoir entendu le ministre sur cette prorogation de l’état d’urgence.

Cela étant, le ministre sera présent demain dans l’hémicycle et vous pourrez l’interpeller si vous le souhaitez. En outre – je vous l’annonce et cela me paraît bien plus important – le ministre va venir à notre demande devant la commission des Lois mardi prochain, 11 juillet, à quinze heures trente. À cette occasion, nous pourrons procéder à une audition complète puisqu’elle pourra s’étendre à la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ainsi qu’aux grandes lois que le ministre a l’intention de présenter au Parlement. Cette audition nous donnera une plus grande visibilité en nous permettant d’aborder davantage de thèmes. Il me semble qu’il s’agit d’un bon compromis.

M. le rapporteur. Pour ma part, je vais répondre brièvement à vos interventions.

Monsieur Olivier Dussopt, je crois que nous pouvons nous accorder sur le fait que le texte qui vous est soumis reprend point par point les interrogations soulevées dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que vous avez évoqué et la décision du Conseil constitutionnel auquel nous donnons satisfaction.

Monsieur Éric Ciotti, nous avons tous compris que le projet de loi qui nous est soumis a un cadre précis, restreint à trois articles. Il ne fait aucun doute que des développements devront être prévus dans le cadre du deuxième texte auquel nous avons fait référence à plusieurs reprises ce matin. Je vous propose, monsieur Ciotti, de renvoyer au fond de la discussion de ce deuxième texte une partie substantielle des éléments que vous avez évoqués tout à l’heure, ce qui me permettra de prendre une position claire de rejet de tous les amendements qui n’ont pas un rapport direct avec le présent texte.

Madame Naïma Moutchou, je partage vos observations qui sont dans la droite ligne de la philosophie générale du Gouvernement et de la vision qu’il se fait de la défense de nos concitoyens. J’espère que le Parlement approuvera également cette vision.

Monsieur Ugo Bernalicis, j’aurais tendance à vous répondre que, face à une menace imminente mais continue, nous ne pouvons organiser un système de protection discontinu.

Madame Laurence Vichnievsky, votre intervention me convient parfaitement puisqu’elle se situe, elle aussi, dans la droite ligne de la philosophie générale du texte et de la position politique que nous souhaitons adopter.

Monsieur Stéphane Peu, vous avez fait référence à l’affaiblissement des services de police. Permettez-moi de vous donner quelques chiffres : entre 2007 et 2013, 7 648 emplois ont été supprimés dans la police ; de 2013 jusqu’au budget 2017, 6 890 emplois y ont été créés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Monsieur Olivier Marleix, il me semble que vos questions sont à poser directement au ministre puisqu’elles portent sur les conditions d’organisation des services de police. Vous aurez l’occasion de le faire soit demain en séance soit mardi en Commission.

Monsieur Paul Molac, le Président de la République a clairement indiqué lui-même que l’état d’urgence n’est pas l’instrument le plus efficace de lutte contre le terrorisme. La question que nous nous posons aujourd’hui est bien celle de la transition vers une structure de protection durable.

Monsieur Arnaud Viala, l’exposé des motifs me semble démontrer suffisamment que la situation de danger imminent est réelle. Malheureusement, cet exposé est presque superfétatoire étant donné la réalité que nous avons à connaître. La demande d’une possible prorogation de l’état d’urgence à un autre moment me semble pleinement satisfaite au regard des conditions d’application de la loi de 1955.

Monsieur Philippe Gosselin, toutes les prorogations ont été courtes, par principe, à l’exception de celle que nous vivons en ce moment dont la durée a été allongée en raison des élections : il fallait enjamber les échéances électorales pour éviter d’avoir à reprendre cette discussion à un moment où le Parlement ne serait pas en condition de le faire. Alors que nous allons aborder la discussion du deuxième texte, il y a peu de raisons objectives d’allonger la durée de la prorogation prévue ici.

Monsieur Stéphane Mazars, nous sommes bien évidemment d’accord sur le fait que l’état d’urgence ne peut pas être une situation pérenne et permanente.

Monsieur Raphaël Schellenberger, il faut donner du temps au temps. Il faut aussi apporter une réponse rapide à une situation d’urgence. L’imminence du danger est réelle ; notre capacité de réponse doit être rapide. L’état d’urgence a duré vingt mois et il est temps d’en sortir.


La Commission en vient à l'examen des articles.

Article 1er : Prorogation de l’état d’urgence

La Commission est saisie des amendements identiques CL15 de Mme Danièle Obono et CL14 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Au nom du groupe La France insoumise, je demande la suppression de cet article 1er, non pas parce que nous ne prenons pas la mesure des dangers et des risques mais parce que nous pensons qu’il faut mener une politique rationnelle et réfléchie face à ces dangers.

Dans le cadre de l’état d’urgence mis en place et prorogé depuis plus d’un an, il y a eu plusieurs milliers d’interventions des forces de police dont une proportion extrêmement faible a débouché sur des suites judiciaires. Nous voulons insister sur la remise en cause de libertés démocratiques telles que la liberté de rassemblement et la liberté de manifestation qui ont été atteintes dès la mise en place de l’état d’urgence.

En outre, du fait de son inefficacité, l’état d’urgence ne permet pas de répondre à la menace terroriste. Au moins depuis 2001, des lois de sécurité ont été adoptées et appliquées sans que l’on ait eu le temps d’en dresser le bilan. Nous disposons donc d’un arsenal sécuritaire extrêmement important. En dehors de l’état d’urgence, il n’y a pas de réponses discontinues puisque nous avons des forces de sécurité qui font un travail très important et auxquelles nous sommes redevables du fait qu’il n’y ait pas eu beaucoup plus d’attaques – fort heureusement.

Enfin, nous nous opposons à la prorogation de l’état d’urgence parce que celui-ci crée, au sein de la population, un climat de stigmatisation et de tension qui n’est pas positif pour la cohésion nationale.

M. Ugo Bernalicis. Mon amendement demande également la suppression de l’article 1er. Après plusieurs prorogations, nous sommes contraints de mener une discussion basée sur un raisonnement un peu bizarre : s’il n’y a pas d’attentat, c’est grâce à l’état d’urgence qu’il faut donc proroger ; s’il y a un attentat, c’est bien la preuve qu’il faut maintenir l’état d’urgence pour éviter qu’il n’y en ait d’autres. Nous en revenons à mes interrogations précédentes : sommes-nous capables de prévenir des attentats en dehors de l’état d’urgence ? Combien d’attentats ont-ils finalement été empêchés grâce à l’état d’urgence ? N’auraient-ils pas pu l’être par des moyens normaux ?

La lutte contre les actes terroristes n’est pas une histoire d’articles de loi. En quoi l’état d’urgence aurait-il pu empêcher que ne se produise l’attentat à Charlie Hebdo ? Ce qui a manqué, encore une fois, c’est la détection de signaux faibles : des témoignages du voisinage ne se sont pas retrouvés aux mains des services de police et des services spécialisés, faute de moyens et de capacité à capter ces éléments. Rien dans l’état d’urgence ni dans le projet de loi sur la sécurité intérieure que nous aurons à examiner ne pose ces questions-là. Rappelons que l’attentat à Charlie Hebdo n’a pas été perpétré par Daech. Soyons un peu sérieux et ne mélangeons pas tout. Le sujet demande que l’on prenne de la hauteur et du recul, que l’on évite de se jeter des phrases à la figure, surtout quand il s’agit de la mort de plusieurs de nos compatriotes.

Il serait irresponsable de ne pas se poser ces questions et de s’abriter derrière un voile pudique en disant que la prorogation de l’état d’urgence permet une protection correcte. Malheureusement, c’est un peu plus compliqué que cela. Quelqu’un a dit, je cite, qu’abandonner nos libertés, « c’est apporter à nos adversaires une confirmation que nous devons leur refuser. De tout temps, les adversaires de la démocratie ont prétendu qu’elle était faible et que, si elle voulait combattre, il lui faudrait bien abandonner ses grands principes. C’est exactement le contraire qui est vrai. Le code pénal tel qu’il est, les pouvoirs des magistrats tels qu’ils sont, peuvent, si le système est bien ordonné, bien organisé, nous permettre d’anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l’administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n’a aucun sens, ni en termes de principes, ni en termes d’efficacité. » Je ne pouvais avoir de meilleur argumentaire pour demander la suppression de cet article 1er et je vous laisse chercher le nom de l’auteur de ces mots.

M. le rapporteur. Ces amendements identiques visent à supprimer la prorogation de l’état d’urgence. Notre majorité défend une stratégie claire et argumentée qui tend, d’une part, à parer à l’imminence de la menace, et, d’autre part, à transposer dans le droit commun certains outils inspirés de la loi de 1955 – comme vous le souhaitez finalement – tout en les entourant de garanties qui restent à ce jour insuffisantes, et uniquement lorsque l’exposition particulière à un risque d’acte de terrorisme le requiert. Il s’agit de la finalisation des mesures de protection de nos concitoyens en la matière. J’émets donc un avis défavorable à ces amendements.

M. Olivier Dussopt. Nous ne voterons pas pour ces amendements, en cohérence avec nos positions précédentes puisque nous avons prorogé à cinq reprises l’état d’urgence. Ces amendements sont récurrents. D’autres parlementaires avaient présenté les mêmes lors de la précédente législature, ce qui montre que des questions se posent qui viennent souligner l’importance du contrôle parlementaire.

Madame la présidente, je prends acte, avec satisfaction, de deux de vos annonces : l’audition du ministre ; la nomination du prochain rapporteur dès mardi prochain. Vous avez indiqué qu’un rapporteur d’application serait nommé à l’occasion de la séance de mardi ou de mercredi. S’agit-il d’un rapporteur sur le texte prorogeant l’état d’urgence ou d’un rapporteur d’application sur le texte à venir en matière de sécurité ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est un rapporteur d’application sur le texte à venir sur la sécurité intérieure et le terrorisme.

M. Olivier Dussopt. Il n’y a pas de rapporteur d’application sur le texte prorogeant l’état d’urgence que nous sommes en train d’examiner ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Le co-rapporteur dont je parle aura accès aux mêmes données.

M. Olivier Dussopt. L’article 145 de notre règlement autorise un rapporteur d’application par texte, et une telle nomination permettrait d’associer encore plus largement l’opposition. Dans la mesure où vous avez convenu avec le groupe Les Républicains – ce que j’entends fort bien – que le rapporteur d’application du texte sur la sécurité serait issu de ses rangs, si notre Commission en était d’accord, je proposerais ma candidature pour être rapporteur d’application sur le texte prorogeant l’état d’urgence jusqu’au 1er novembre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il y a eu un co-rapporteur d’application pour la première loi de prorogation mais pas pour les suivantes. Quoi qu’il en soit, il est indispensable que nous ayons un co-rapporteur d’opposition qui suive toutes ces données. Il m’apparaît évident que la même personne doit suivre la prorogation de l’état d’urgence et la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. J’invite le groupe Les Républicains à nous indiquer la semaine prochaine quel sera le co-rapporteur qui assurera cette mission.

M. Sébastien Huyghe. Le groupe Les Républicains va évidemment repousser ces amendements. Contrairement à leurs auteurs, nous demandons une prorogation de l’état d’urgence bien plus longue, au minimum jusqu’à l’adoption d’une loi sur la sécurité intérieure. Démonstration a été faite, notamment par notre collègue M. Philippe Gosselin, que cette future loi ne sera jamais adoptée avant le 1er novembre. Il faudrait donc une prorogation plus longue.

À l’attention de certains de nos collègues, je ferais remarquer que l’état d’urgence n’a jamais empêché des manifestations de se produire dans notre pays. Nous nous sommes d’ailleurs insurgés contre des rassemblements qui ont eu lieu pendant une période assez longue place de la République à Paris : ceux du fameux mouvement Nuit debout – et couchés le jour. Ces personnes ont manifesté nuit après nuit sans qu’il n’y soit mis un terme, sans qu’il n’y ait eu d’empêchement à ce type de manifestations récurrentes.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL1 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à proroger l’état d’urgence jusqu’au 15 juillet 2018, c’est-à-dire pour une durée d’un an.

Nous avons déjà largement abordé ce point. À ce stade de notre discussion, permettez-moi de dire que l’état d’urgence ne mérite ni cet excès d’honneur ni cet excès d’indignité. Personne – et surtout pas moi – ne dit que l’état d’urgence apporte une réponse absolue aux problématiques du terrorisme. Aucune réponse, d’ailleurs, ne peut apporter de solution exhaustive ; le risque zéro n’existe pas. Il faut aborder cette situation avec beaucoup d’humilité. L’état d’urgence nous permet seulement de disposer d’outils qui améliorent notre degré de protection. Il n’a pu permettre d’éviter certains attentats, malheureusement ; il a peut-être pu permettre d’en éviter d’autres. C’est tout l’intérêt de cette situation. Tant que la menace reste aussi prégnante, aussi maximale, je trouve qu’il est dangereux de vouloir en sortir.

Il y a un débat sur l’application du nouveau texte. Pour ma part, je considère que la pérennisation des mesures de l’état d’urgence, pour une sécurisation optimale de notre pays et pour une protection maximale de nos concitoyens, nécessite une réforme constitutionnelle. Je pense en particulier aux questions de rétention administrative pour les individus qui sont identifiés comme présentant une dangerosité maximale – notamment les « fichés S ». J’espère que votre majorité va aborder cette question avec courage et avec la volonté de rassemblement et d’unité nationale qui convient à la lutte contre le terrorisme. C’est l’état d’esprit de notre groupe.

La précédente majorité a toujours refusé d’aller sur ce terrain, ce qui provoque à la fois des problèmes de sécurité et une incompréhension de nos concitoyens. Ces derniers ne peuvent pas comprendre que des personnes identifiées comme dangereuses soient laissées en situation de vaquer à leurs occupations comme si de rien n’était, en présentant cette menace. À mon avis, pour installer durablement dans notre droit des mesures de protection, il faut une réforme constitutionnelle, ce qui explique cette demande de prorogation d’un an, afin de conserver en attendant des outils sans doute imparfaits mais au moins plus protecteurs que les dispositifs appliqués avant l’état d’urgence.

S’il ne mérite pas cet excès d’honneur, l’état d’urgence ne mérite pas non plus cet excès d’indignité. Nous sommes toujours dans un État de droit même si nous sommes en état d’urgence. Les libertés individuelles sont protégées ; il existe des voies de recours contre toutes les dispositions administratives qui sont prises : les tribunaux administratifs et le Conseil d'État ont été saisis. Le Conseil d'État a d’ailleurs annulé des dispositions. Fort heureusement – nous le souhaitons et le soutenons – les garanties individuelles sont préservées.

Voilà pourquoi, après le débat un peu plus général que nous avons eu, nous demandons une prorogation beaucoup plus longue de l’état d’urgence.

M. le rapporteur. Vous avez raison, monsieur Ciotti, nous avons déjà largement débattu, aussi vais-je me contenter de faire référence au précédent président de cette commission, M. Raimbourg. Dans son rapport, ce dernier rappelait que l’état d’urgence ne pouvait être permanent. Je pense que nous en avons tous conscience. Notre position est toujours aussi simple : proroger l’état d’urgence pour une courte période ; inscrire à l’ordre du jour de nos assemblées la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme que nous avons mentionné à plusieurs reprises. Selon toute probabilité, le texte du Sénat nous sera transmis fin juillet. Nous allons désigner un rapporteur de ce texte la semaine prochaine. Rien n’interdira au rapporteur de commencer ses travaux et d’avancer au rythme soutenu qu’impose la réalité de l’imminence du danger que nous connaissons.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL17 de M. Arnaud Viala.

M. Arnaud Viala. Votre majorité demande aux oppositions d’être « constructives », pour employer un terme à la mode. Je voudrais que vous compreniez, madame la présidente et monsieur le rapporteur, que, lorsque nous faisons des propositions après avoir au préalable annoncé notre intention de voter pour le présent texte, ces propositions sont de nature à l’enrichir. Il est un peu désagréable de vous voir, en retour, les balayer d’un revers de main et, de surcroît, monsieur le rapporteur, détourner un peu les propos tenus.

Alors que nous ne sommes que début juillet, le Président de la République a annoncé que l’état d’urgence prendrait fin le 1er novembre. Comme probablement d’autres collègues, je pense que cette annonce est de nature à faire peser une menace supplémentaire sur notre pays car le futur texte sur la sécurité intérieure ne sera peut-être pas prêt à cette date butoir, imposée de manière artificielle, et qui aura un impact psychologique sur nous, sur les Français et éventuellement sur les terroristes.

Mon amendement est en quelque sorte un amendement de repli par rapport à celui de mon collègue M. Eric Ciotti, sans que nous nous soyons concertés. Il consiste à inscrire la possibilité d’une prorogation supplémentaire à l’issue de la durée que vous avez fixée.

M. le rapporteur. Monsieur Viala, nous sommes favorables à un enrichissement constructif du texte, à la réserve près que vous demandez purement et simplement l’application de la loi de 1955 qui prévoit déjà qu’un nouveau projet de prorogation puisse être proposé dans ces conditions-là. Votre amendement me semble satisfait.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle adopte l’article 1er sans modification.

Article 2 (art. 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence) : Interdiction de séjour

La Commission adopte l'article 2 sans modification.

Après l’article 2

La Commission examine l'amendement CL4 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement a pour objet d’allonger la plage horaire définie pour les assignations à résidence. La durée maximale avait été portée de huit à douze heures par le biais d’un amendement que j’avais défendu. Cette durée apparaît très largement insuffisante puisqu’elle autorise une entorse. Rappelons que l’assassinat d’un prêtre dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray avait eu lieu dans le cadre d’une assignation à résidence qui n’avait pas été respectée et qui ne couvrait pas la durée de vingt-quatre heures. Cet amendement vise à donner une vraie effectivité à l’assignation à résidence pour mieux protéger nos concitoyens.

M. le rapporteur. Avis défavorable. L’assignation à domicile ne peut être confondue avec une peine privative de liberté, comme l’a clairement rappelé, dans une décision sur une QPC du 22 décembre 2015, le Conseil constitutionnel, considérant donc que le législateur ne pouvait aller au-delà de douze heures.

La Commission rejette cet amendement.

La Commission examine ensuite l'amendement CL3 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Il s'agit du placement sous surveillance électronique d’une personne assignée à résidence. Le dispositif actuel rend nécessaire de recueillir l’assentiment de la personne concernée, ce qui le prive très largement d’efficacité. Je n’ignore pas les obstacles juridiques existants et souligne donc la nécessité d’une réforme constitutionnelle sur ces sujets.

M. le rapporteur. Aller dans votre sens, monsieur le député, serait considérer le placement comme une peine privative de liberté, ce que le Conseil constitutionnel a clairement dénoncé dans une décision du 8 décembre 2005. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l'amendement CL6 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à faciliter les contrôles d’identité et fouilles de bagages et véhicules pendant l’état d’urgence. Le groupe Les Républicains de la précédente législature avait introduit ces dispositions lors de précédentes prorogations. Il a été prévu que l’autorisation pour procéder à ces contrôles ne puisse excéder vingt-quatre heures ; cette durée maximale nous paraît affaiblir le dispositif et nous proposons donc de la supprimer.

M. le rapporteur. La possibilité a été très largement utilisée : nous avons évoqué 4 500 contrôles et fouilles depuis la création de la base juridique en juillet 2016 et un peu plus de 2 100 depuis décembre dernier, ce qui prouve que la mesure fonctionne bien. Je ne souhaite pas qu’on la modifie, au risque de la fragiliser constitutionnellement. La période de vingt-quatre heures est appliquée par les parquets en droit commun ; aller plus loin, dans une situation qui fonctionne bien, ne nous paraît pas à ce stade légitime. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. M. le rapporteur sait-il combien de fouilles ont permis d’empêcher des attentats ?

M. le rapporteur. Il est difficile d’avancer de tels chiffres : la fouille ou la probabilité d’une fouille peut dissuader la commission d’actes sur notre territoire, ce qui est la question la plus importante, sans que ce soit exactement quantifiable.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL2 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à permettre au représentant de l’État dans le département de suspendre l’autorisation d’acquisition et de détention de matériels de guerre, armes et munitions pour toute personne faisant l’objet d’une inscription au fichier des personnes recherchées (FPR), afin de prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État. Il fait suite à l’actualité récente : l’auteur de l’acte terroriste des Champs-Élysées disposait d’un permis de port d’arme tout en faisant l’objet d’une fiche S. Cette situation doit être corrigée et cela a d'ailleurs été évoqué par le Président de la République.

M. le rapporteur. Le sujet est important, le Président de la République mais aussi le Premier ministre l’ont évoqué. Cela devra à mon sens être discuté dans le cadre du second texte.

Les autorisations d’acquisition et de détention d’arme peuvent déjà être retirées par l’autorité administrative pour des raisons d’ordre public. À ma connaissance, des décrets seraient en cours de préparation pour modifier le code de sécurité intérieure, y compris sur ce thème, afin que les agents de sécurité aient accès au fichier des personnes recherchées préalablement à la délivrance de toute autorisation de port d’arme. Enfin, une décision administrative pourrait aussi indiquer à la personne elle-même qu’elle est fichée S, et c’est là une difficulté dont nos débats devront tenir compte. Avis défavorable pour ces raisons.

M. Olivier Dussopt. Je soutiens l’amendement de M. Eric Ciotti. Tout d'abord, au fil des prorogations de la loi de 1955 sur l’état d'urgence, nous avons systématiquement ou presque adapté le texte à de nouveaux besoins : saisie des données de matériel informatique, possibilité d’exercer des contrôles jusque-là non prévus… L’adaptation qui nous est ici proposée me paraît aller dans le bon sens, au regard de l’actualité récente.

En revanche, l’exposé sommaire renvoie aux personnes qui relèvent du fichier S ; or le fichier des personnes recherchées est très vaste et vise des individus concernés par bien d’autres choses que les questions liées au terrorisme. Je n’aurais donc pas rédigé l’exposé de cette manière, mais l’amendement permettrait au représentant de l'État de suspendre l’autorisation de port d’arme pour les personnes recherchées pour des menaces graves, en plus des dispositions de droit commun, évoquant l’ordre public, et je pense que c’est un ajout utile.

M. Ugo Bernalicis. Je ne voterai pas cet amendement et je me demande si M. Eric Ciotti ne défendra pas ensuite un amendement proposant de retirer le permis de conduire aux fichiers S, des attentats ayant été perpétrés grâce à un permis de conduire, ou un amendement interdisant l’achat de caisses à outils pour les fichiers S, le marteau étant également devenu une arme dans les mains de terroristes. C’est ridicule ! Comme le rapporteur l’a dit, l’autorité administrative qui délivre le permis peut déjà le retirer. Pourquoi vouloir aller plus loin si ce n’est pour créer de la polémique inutile ?

M. Éric Ciotti. Le rapporteur a souligné la pertinence de cette réflexion. Peut-être une disposition sera-t-elle introduite dans le texte plus large de lutte contre le terrorisme, mais il ne sera pas adopté avant l’automne et le Président de la République et le Premier ministre ont pointé une faille dans notre dispositif juridique. Vous êtes les représentants d’une politique qui se veut nouvelle : ne tombez pas dans les anciennes ornières de rejet systématique de ce qui est proposé. Sur un sujet aussi grave, nous pouvons travailler ensemble, nous avons les mêmes inquiétudes et les mêmes objectifs. Le motif d’ordre public ne peut être mobilisé quand aucun acte n’a été commis préalablement ; c’est pourquoi je propose d’élargir les critères à la prévention de menaces graves.

La Commission rejette cet amendement.

Article 3 (art. 15 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence) : Application du régime de l’état d’urgence aux collectivités régies par le principe de spécialité législative

La Commission adopte l'article 3 sans modification.

Après l'article 3

La Commission examine en présentation commune les amendements CL12 et CL8 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Il s'agit du retrait de la carte de séjour. Ces amendements ont été un peu caricaturés tout à l'heure par M. Molac. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit aujourd'hui la possibilité de retirer un titre de séjour à des personnes ayant fait l’objet d’un certain nombre de condamnations, précisément énumérées : réduction en esclavage, traite des êtres humains, exploitation de la mendicité d’autrui… Certaines infractions pénales comme le viol ne sont en revanche pas listées. Je propose d’élargir la liste à toutes les infractions pénales, sachant naturellement que le retrait n’est pas une obligation mais une faculté et que l’autorité administrative conserve toute sa capacité d’appréciation.

Je propose également d’étendre le retrait de la carte de séjour aux ressortissants étrangers inscrits au fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Il y a près de 15 000 personnes inscrites au FSPRT, ce qui représente une mission de surveillance très lourde et quasiment impossible pour nos services de renseignement, DGSI ou renseignement territorial. Allégeons-leur la tâche en faisant en sorte qu’une personne qui présente une menace n’ait plus la possibilité de rester sur le territoire national.

M. le rapporteur. Ces amendements, comme tous ceux qui les suivent, ne sont pas en lien direct ou indirect avec le texte de prorogation de l’état d'urgence. Ce sont des cavaliers législatifs. Avis défavorable, pour cette raison.

M. Éric Ciotti. Je conteste totalement qu’il s’agisse de cavaliers. J’ai amendé les précédents textes, notamment en introduisant des dispositifs sur le contrôle d’identité et la fouille des véhicules qui n’ont fait l’objet d’aucune censure. Nous sommes dans le cadre de la protection des Français contre le terrorisme.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite l'amendement CL9 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Il s'agit de modifier le quantum de peine sanctionnant le délit de terrorisme. Cette modification a été proposée par des magistrats du siège et c’était une des propositions de la Commission d’enquête que j’ai présidée et dont M. Patrick Mennucci était le rapporteur. Je propose que l’acte de terrorisme délictuel soit puni de quinze ans de réclusion et de 225 000 euros d’amende. La peine maximale aujourd'hui, de façon générale en matière correctionnelle, est de dix ans. Pour sanctionner au-delà, il faut donc criminaliser certaines affaires, ce qui risque de conduire à un engorgement de la cour d’assises spéciale du tribunal de grande instance de Paris. C’est l’aspect pratique de cet amendement, outre son aspect dissuasif.

M. le rapporteur. Il s'agit encore d’un cavalier législatif.

La Commission rejette cet amendement.

La Commission examine ensuite l'amendement CL11 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Je propose une rétention de sûreté pour les personnes présentant une menace.

Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite en présentation commune les amendements CL7, CL10, CL13 et CL5 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. L'amendement CL7 vise à mettre en œuvre une interdiction de retour sur le territoire des personnes parties combattre au sein de filières djihadistes sur des théâtres d’opérations extérieures. L'amendement CL10 prévoit d’interdire le financement de lieux de culte par des fonds étrangers. L'amendement CL13 vise à écarter les conditions restrictives en matière de fouilles, régies par l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, pour les personnes condamnées ou mises en examen pour terrorisme. Enfin, l'amendement CL5 donne au ministre de l’intérieur le pouvoir d’assigner dans un centre de rétention fermé tout individu à l’égard duquel il existe des raisons sérieuses de penser qu’il constitue, par son comportement, une grave menace pour la sécurité nationale.

M. le rapporteur. Ces amendements pourraient certes donner lieu à une discussion de fond mais leur absence de lien avec la loi de 1955 me conduit à exprimer un avis défavorable.

La Commission rejette successivement ces amendements.

La Commission adopte ensuite l'ensemble du projet de loi sans modification.

 

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La Commission procède à un échange de vues sur l’organisation de ses travaux.

Mme la présidente Yael Braun-Pivet. J’ai souhaité vous rendre compte de la réunion du bureau de la Commission qui s’est tenue hier. J’ai indiqué à ses membres que je souhaitais que cette instance soit active et vivante, et j’invite donc tous les groupes qui y siègent ou qui y sont représentés à être présents. Je souhaite par ailleurs que ce qui se dit au bureau puisse se dire aussi en commission, c’est une question de loyauté.

Pour ce qui concerne les perspectives d’ordre du jour, nous allons commencer à travailler sur le projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique dès la semaine prochaine : nous procéderons effectivement à des auditions à partir de lundi après-midi. Le projet de loi est inscrit en séance publique dans la semaine du 24 juillet. Il faudra donc l’examiner en commission la semaine précédente : le mardi 18 et le mercredi 19 juillet.

Nous allons désigner un rapporteur dès aujourd’hui, ainsi qu’un co-rapporteur d’application : je vous propose ma candidature pour la fonction de rapporteur tandis que le principal groupe d’opposition, le groupe Les Républicains, a proposé celle de notre collègue Philippe Gosselin pour celle de co-rapporteur d’application. Je constate qu’il n’y a pas d’opposition ?

Le Sénat va examiner le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme dans la semaine du 18 juillet. A priori l’Assemblée ne sera donc saisie qu’en septembre. Pour permettre au rapporteur et au co-rapporteur de commencer à travailler, ils seront désignés dès la semaine prochaine.

Nous examinerons aussi prochainement le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières ainsi que le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 3 mai 2017 portant création de l’établissement public Paris La Défense. Ces deux textes, plus techniques, seront débattus prochainement au Sénat. Je vous proposerai la semaine prochaine de désigner leurs rapporteurs. Je vous précise que notre collègue Ugo Bernalicis a déjà fait part de sa volonté d’être co-rapporteur d’application de l’un de ces deux textes, ce à quoi le groupe Les Républicains n’a pas fait opposition.

Par ailleurs, notre bureau a confirmé hier que les travaux de la commission seraient publics, conformément à l’article 46 du Règlement.

Je vous rappelle les termes de l’article 5 de l’Instruction générale du Bureau : « Peuvent assister aux travaux d’une commission permanente… un collaborateur de chaque groupe sous réserve qu’un député membre du groupe pour lequel ce collaborateur travaille soit présent ».

Je vous rappelle également le régime des absences en commission : le Règlement prévoit au premier alinéa de son article 42 une obligation de présence aux réunions du mercredi matin, en session ordinaire. L’alinéa 3 du même article assortit cette obligation d’un régime de sanctions financières. Le bureau a reconduit les modalités de contrôle en vigueur jusqu’à présent. En session ordinaire, les députés présents seront invités à émarger, le mercredi matin, sur une feuille de présence.

Concernant les auditions des rapporteurs sur les projets ou propositions de loi, en application de l’article 46, elles seront ouvertes à l’ensemble des commissaires. En pratique, le lieu et l’heure des auditions vous seront communiqués par mail, généralement dans la semaine qui précède. Les collaborateurs des groupes auront la possibilité d’assister à ces auditions lorsqu’un député membre du groupe pour lequel ils travaillent sera présent. De même, un collaborateur de député pourra y assister si le député qui l’emploie est présent. Ces auditions ne feront l’objet ni d’une diffusion télévisée ni d’un compte rendu écrit.

Je voudrais évoquer l’état d’avancement des travaux : en application de l’article 86, alinéa 2 du Règlement, les commissaires recevront, avant l’examen des projets et propositions de loi en commission, un document faisant état de l’avancement des travaux du rapporteur. Cela a été le cas hier pour l’état d’urgence. Vous avez également dû recevoir des liens vers des documents vous permettant de travailler sur le projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique et j’espère que cela vous sera utile.

Enfin, des réunions d’information ont été proposées aux députés de la XVe législature sur le statut des députés et la déontologie ; le député employeur ; la procédure législative ; les fonctions de contrôle et d’information. Le programme de ces réunions vous a été communiqué. D’autres commissions ont par ailleurs organisé des réunions d’information en leur sein. Je vous propose de faire de même demain, à partir de 15 heures, pour évoquer le travail législatif en commission. J’invite notamment tous les nouveaux députés à être présents.

Je vous remercie. Nous nous retrouverons demain, à 9 heures.

 

 

La réunion s’achève à 12 heures 10.

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Informations relatives à la Commission

 

La Commission a désigné :

– Mme Yaël Braun-Pivet, rapporteure sur les projets de loi organique et ordinaire rétablissant la confiance dans l’action publique ;

– M. Philippe Gosselin, co-rapporteur sur la mise en application des lois qui seraient issues de l’adoption des projets de loi précités.


Membres présents ou excusés

 

 

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Éric Ciotti, M. Jean-Michel Clément, M. Gilbert Collard, Mme Typhanie Degois, Mme Coralie Dubost, M. Olivier Dussopt, M. Christophe Euzet, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, Mme Paula Forteza, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Alexandra Louis, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu,
M. Jean-Pierre Pont, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, Mme Hélène Zannier, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, M. Benjamin Griveaux, M. Mansour Kamardine, M. Éric Poulliat, M. François de Rugy, Mme Maina Sage