Compte rendu

Délégation aux droits des femmes
et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes

 Audition, ouverte à la presse, de Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture  2

 


Mercredi
21 mars 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2017-2018

Présidence
de Mme Marie-Pierre Rixain,
Présidente


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La séance est ouverte à 16 heures 35.

Présidence de Mme Marie-Pierre Rixain, présidente.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes auditionne Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture.

 

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Mes chers collègues, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture.

Madame la ministre, la Délégation vous remercie très chaleureusement d’avoir accepté son invitation et d’être présente pour échanger avec elle sur la place et la représentation de la femme dans l’environnement culturel et, plus largement, communicationnel.

Cette audition sera l’occasion de revenir sur les actions en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes que le ministère de la Culture a engagées depuis votre prise de fonctions : feuille de route « Égalité 2022 » annoncée le 7 février dernier ; obtention du label « Égalité » en octobre 2017 ou encore création du réseau de femmes « Cultur’elles » cet automne. Toutes ces annonces démontrent un réel attachement à faire progresser l’égalité, que nous ne pouvons que saluer au sein de la Délégation aux droits des femmes.

L’obligation de résultat en matière d’égalité réelle que vous avez imposée au sein de votre ministère et l’élan avec lequel vous souhaitez entraîner l’ensemble des institutions culturelles de France sont les marqueurs d’une réelle volonté de changement. En effet, l’implication de l’ensemble des parties prenantes et des institutions culturelles pour promouvoir et organiser une culture de l’égalité nous apparaît comme le signe d’un avenir meilleur. Peut-être pourrez-vous nous décrire le climat des négociations du protocole d’accord sur l’égalité professionnelle ou encore la transformation des organes de régulation et de financement des contenus culturels.

Les actions que vous menez partent d’un constat simple. Aujourd’hui, moins d’un artiste sur quatre exposés dans un Fonds régional d’art contemporain (FRAC) est une femme ; moins d’un long-métrage agréé sur quatre en France est réalisé par une femme ; et seuls trois des dix-neuf centres chorégraphiques nationaux sont dirigés par une femme – une situation regrettable qui ne concerne pas le seul monde de l’art.

En effet, le ministère est également chargé des questions liées à la communication et aux médias. À cet égard, la Délégation ne saurait que trop rappeler qu’il existe encore des inégalités, du sexisme et des stéréotypes dans les contenus qui touchent le plus grand nombre.

Prenons l’exemple de la télévision. Les femmes restent encore minoritaires dans les programmes télévisuels et occupent majoritairement des seconds rôles. On compte trop peu de femmes parmi les experts invités, les politiques interrogés ou les intellectuels écoutés. La télévision, dont l’empreinte sur le public est signifiante, doit promouvoir la femme dans un rôle sérieux. Il est important que ce média, comme les autres d’ailleurs, ne se cantonne pas à la seule représentation de la femme divertissante. Quelles actions faut-il mener pour changer les mentalités ? De la pédagogie, des quotas réglementaires, des sanctions financières ? Faut-il revoir les critères d’acceptation des autorités qui régulent ces contenus et celles qui les financent ?

« On s’étonne trop de ce que l’on voit rarement et pas assez de ce que l’on voit tous les jours » disait madame de Genlis. S’étonner de ce que l’on voit tous les jours sur les écrans et les médias, c’est ce qu’il faut faire. Un trop grand nombre de publicités marquées par les stéréotypes et l’assignation des genres à un rôle est encore diffusé sur nos écrans. Les femmes ne font qu’entretenir, tandis que les hommes achètent. Pire, la femme est avant tout un corps, un objet : 67 % des publicités sexualisées mettent en scène des femmes ; 54 % des publicités nues mettent en scène des femmes. Ces représentations déformées ont des conséquences lourdes en termes d’éducation et de figurations mentales.

Plus largement, je pense qu’il faut faire davantage de place aux femmes dans les instances de régulation et de financement afin de changer ces représentations et offrir plus de visibilité aux femmes artistes. Mais peut-on se passer de régulation pour dire aux acteurs privés ce qui est tolérable ou non lorsque l’on crée une image de la femme ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Madame la présidente, chère Marie‑Pierre Rixain, mesdames et messieurs les députés, je suis particulièrement heureuse que vous m’offriez l’occasion, cet après-midi, d’évoquer devant vous ce combat crucial, devant lequel nous ne devons jamais baisser la garde, ce combat dont nous devons sans cesse dire l’urgence et la nécessité démocratique : l’égalité entre les femmes et les hommes.

Il est des domaines dans lesquels nous ne pouvons plus attendre que les choses changent d’elles-mêmes – parce qu’elles ne changeront pas, ou pas assez vite. Celui-ci en fait partie, c’est ma conviction. J’ai donc décidé de mener en la matière une politique volontariste.

L’égalité femmes-hommes a évidemment progressé. Elle a fait plus de progrès au cours du siècle dernier, sans doute, qu’en plusieurs millénaires. Mais l’erreur serait de croire qu’il faut s’arrêter là, car nous n’en sommes qu’à la moitié du chemin. Nous avons obtenu l’égalité en droit – décisive –, mais il nous reste à obtenir l’égalité en actes. C’est l’un des grands défis pour les sociétés du monde entier, et la France ne fait pas exception.

Nous pensions que seule la révolution des comportements restait à faire, nous découvrons que même la révolution des consciences n’est pas achevée. L’actualité récente nous l’a malheureusement bien rappelé. Elle nous a rappelé les non-dits, l’omertà, les mentalités souterraines. Elle nous a rappelé les faits, c’est-à-dire les stéréotypes et les discriminations dont les femmes continuent de faire l’objet.

Aucune sphère n’est épargnée, aucune catégorie sociale, aucun secteur – surtout pas la culture. Les chiffres parlent – ils « crient », même ! Je ne veux pas vous assommer, mais je crois qu’il est important d’en rappeler quelques-uns. Ils sont issus du tout dernier observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, publié le 8 mars dernier.

À peine plus d’un tiers de nos établissements publics culturels sont dirigés par une femme. Moins d’un tiers de nos 369 labels du spectacle vivant sont dirigés par des femmes. Et elles sont totalement absentes de certaines catégories : on ne compte, par exemple, aucune femme chef d’un orchestre labellisé par l’État.

L’accès aux opportunités professionnelles et aux postes à responsabilités reste donc profondément inégal. Mais ce n’est pas tout. L’accès aux programmations, aux scènes, aux expositions, reste aussi plus difficile pour les femmes artistes. Un long-métrage sur cinq agréés en France est réalisé par une femme. Un tiers seulement des œuvres programmées dans nos théâtres publics sont signées par des femmes. Moins d’un artiste sur quatre exposés dans un Fonds régional d’art contemporain, structure financée à parité par l’État et les régions, est une femme. Seulement 2 % des œuvres jouées dans nos labels sont les œuvres de compositrices.

Par ailleurs, l’accès aux moyens de création et de production reste inégal : les femmes sont en moyenne moins soutenues. Dans le cinéma, par exemple, et je n’ai pas manqué de le rappeler au dîner des producteurs qui précède chaque cérémonie des César, sur les dix dernières années, le budget moyen des films de femmes était plus d’une fois et demi inférieur à ceux des hommes, ce qui me paraît très significatif. Parmi nos lieux labellisés, les femmes sont également à la tête des structures qui ont les plus faibles budgets.

Moins nombreuses, moins soutenues, les femmes restent aussi moins rémunérées. Les chiffres sont inacceptables. Dans les entreprises culturelles, les femmes gagnent près de 20 % de moins que les hommes, en moyenne. Au sein de mon propre ministère, les femmes gagnent en moyenne 10 % de moins que les hommes.

Devant ces réalités assommantes, il y a trois attitudes possibles.

La première, c’est le fatalisme : penser que les choses sont vouées à être ainsi, qu’il y a des métiers pour lesquels les femmes sont moins douées, point final… C’est un discours qu’on ne peut plus accepter aujourd’hui.

La seconde attitude possible, c’est la passivité : considérer qu’il faudra du temps, sans doute, mais que les talents parleront, et que la situation finira par s’équilibrer.

Moi, je ne veux plus attendre, parce que notre société ne peut plus attendre. Les jeunes filles qui grandissent aujourd’hui ne doivent pas attendre. C’est pourquoi je veux emprunter une troisième voie, celle du volontarisme.

Il faut changer la donne maintenant. Et je « forcerai » le changement à chaque fois que ce sera nécessaire. J’assume le recours aux quotas, aux obligations, aux objectifs chiffrés. Je considère que le secteur culturel a un devoir d’avant-garde dans les grands combats de société, et que mon ministère a un devoir d’exemplarité. Il va donc montrer la voie à son niveau, à travers ses établissements et toutes les structures qu’il soutient.

Je vous précise que mon cabinet est composé de sept femmes et trois hommes, et que la parité s’impose à tous les niveaux du ministère, y compris celui de la direction – où nous avons la chance de compter Mme Agnès Saal, ici présente. Nous sommes le premier ministère à avoir reçu le label « Égalité professionnelle » de l’Association française de normalisation (AFNOR), en octobre dernier. Il reconnaît l’exemplarité de notre politique de ressources humaines en administration centrale, dans les directions régionales et dans nos services à compétence nationale.

Nous sommes en train d’élargir la démarche à nos opérateurs, dont une vingtaine sont d’ores et déjà candidats. Je veux aller plus loin et obtenir des résultats tangibles d’ici la fin du quinquennat, afin que les citoyennes et les citoyens se disent : « Oui, les choses ont changé ». Pour que l’égalité ne reste pas une éternelle ligne d’horizon, mais qu’elle se concrétise enfin, j’ai tracé une feuille de route pour 2018-2022, qui répond à cinq urgences.

La première urgence, c’est la rémunération, l’un des principaux marqueurs de reconnaissance – pas le seul, mais un marqueur essentiel. C’est également un vecteur d’autonomie, car l’écart de salaire se répercute sur le plan social et culturel.

L’écart actuel de 10 % au sein de mon ministère est inacceptable, mais il n’est pas une fatalité. J’ai dégagé des moyens significatifs pour le résorber : nous allons ainsi consacrer un demi-million d’euros au rattrapage des écarts de salaire entre les femmes et les hommes sur la période 2018-2022.

La deuxième urgence, c’est l’accès aux opportunités. Nous devons lever les freins à l’emploi. Les femmes restent nombreuses, dans les couples, à assurer principalement la prise en charge des enfants : nous le savons, et nous devons tout faire pour que ce ne soit pas un obstacle à leur carrière. J’ai le plaisir de vous annoncer que nous avons mis en œuvre le mécanisme permettant aux intermittentes du spectacle de faire financer la garde de leurs enfants par le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS).

La troisième urgence est la formation. Il faut traiter les inégalités à la racine. Les écoles du ministère ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les discriminations, contre l’autocensure et contre le harcèlement. L’exemplarité passe par les jurys de nos 99 écoles, c’est pourquoi je souhaite instaurer la parité au sein de tous les jurys de sélection et de sortie – il n’existe en la matière aucune règle aujourd’hui. Et je souhaite voir une alternance femme-homme à leur présidence.

J’ai aussi demandé à nos établissements de s’engager dans la lutte contre le harcèlement, qui est une priorité absolue, et dans l’accompagnement des étudiantes dans leur orientation. Ils ont commencé à élaborer des chartes éthiques.

La quatrième urgence est celle des nominations. Le ministère de la Culture doit faire figure de modèle en matière de parité aux postes à responsabilités. Nous en sommes loin dans nos établissements publics, puisque 48 de nos 76 établissements sont dirigés par des hommes aujourd’hui, et seulement 27 par des femmes. Je souhaite que la parité devienne la règle, et qu’elle soit acquise d’ici la fin du quinquennat.

Tous les mandats vont arriver à échéance dans les cinq ans à venir – il y aura notamment 26 renouvellements cette année, 21 l’année prochaine, et 18 celle d’après, ce qui constitue une belle opportunité. La moitié des postes de direction exécutive des établissements publics du ministère seront occupés par des femmes en 2022.

Pour ce qui est des labels, je souhaite que la parité progresse à la fois au niveau des nominations et des programmations.

L’égalité doit concerner l’accès aux postes à responsabilité, mais aussi aux moyens de production et aux programmations. Nous en sommes loin, comme le montrent les quelques chiffres que j’ai indiqués. Vous savez que les nominations à la tête des labels ne dépendent pas seulement de nous : elles sont le fruit de codécisions avec les collectivités territoriales. Mais je veillerai à ce que l’État porte la voix de la parité, et je sais que nos élus comprennent et soutiennent cette ambition.

Des objectifs ont été donnés aux labels par la circulaire du 8 mars 2017. Nous allons disposer d’un bilan de leurs actions et de leur situation en juin. Sur cette base, nous fixerons des objectifs de progression.

En matière de nomination, je fixerai un objectif de progression de plus 10 % de femmes par an pour les catégories de labels dans lesquelles elles représentent moins de 25 % des dirigeants aujourd’hui, et un objectif de plus 5 % par an pour les catégories de labels dans lesquelles elles représentent entre 25 % et 40 % des dirigeants.

Les mêmes objectifs de progression seront mis en œuvre, dès 2018, en matière de programmation : plus 10 % par an pour les structures dans lesquelles les femmes représentent moins de 25 % des artistes invités ou associés, et plus 5 % par an pour les structures dans lesquelles les femmes comptent pour 25 à 40 % des artistes invités ou associés.

Un suivi sera instauré, avec des conséquences directes sur les subventions, et un système de « malus » sera mis en œuvre pour les labels qui ne respecteraient pas leurs obligations.

La programmation est un enjeu majeur, à double titre : non seulement pour offrir une juste reconnaissance aux artistes actuelles ; mais aussi pour préparer l’avenir, en suscitant des vocations chez les jeunes filles qui, en allant au spectacle ou au musée, se diront : « Demain, ce sera moi ! »

La cinquième urgence est celle des regards : nous devons faire tomber les stéréotypes, et changer la représentation des femmes dans les médias. Le secteur s’est lui-même saisi de cet enjeu, et je veux saluer les initiatives qui ont été prises dans ce domaine.

Je pense à l’audiovisuel public, qui fait figure de modèle en matière de nomination, puisque la moitié des dirigeants sont des femmes, et il continue à se mobiliser. Arte et France Médias Monde vont préparer leur candidature au label Égalité ; France Télévisions s’est engagé à faire progresser la part de femmes sur ses plateaux d’experts, pour parvenir à la parité en 2020.

Je pense à l’action du Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui a récemment signé une « Charte d’engagement pour la lutte contre les stéréotypes sexistes dans la publicité », avec les professionnels du secteur.

Je pense aussi au journalisme et à l’édition. Cette année, les écoles de journalisme ont consacré deux jours de leur conférence nationale annuelle à l’égalité professionnelle. L’édition souhaite engager, avec le soutien du ministère, une réflexion sur les stéréotypes présents dans la littérature jeunesse et dans la bande dessinée.

Je pense enfin au secteur du cinéma, qui a du chemin à faire et qui doit devenir irréprochable. Je salue les initiatives annoncées par Frédérique Bredin, présidente du centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) : la création d’un observatoire de l’égalité dans le cinéma et l’audiovisuel, qui produira des statistiques sur l’emploi, les salaires, les aides attribuées ; l’instauration de la parité dans les commissions du CNC et à leur présidence, ainsi que dans les jurys des festivals et des écoles de cinéma ; le lancement d’une étude sur le devenir des femmes diplômées des écoles de cinéma, afin d’objectiver les difficultés d’accès à l’emploi.

D’autres mesures sont en préparation pour améliorer la place et la présence des femmes au cinéma. Je ferai des annonces le moment venu. J’organiserai par ailleurs un séminaire sur l’égalité femmes-hommes au Festival de Cannes, avec mon homologue suédoise.

Mesdames et messieurs les députés, vous l’aurez compris : je suis déterminée à agir, à faire bouger les lignes, en actionnant tous les leviers qui sont à ma disposition. Je commencerai par mon ministère, nos établissements publics, nos labels, qui doivent être exemplaires. Et je veux accompagner plus largement toute la sphère artistique et culturelle dans sa révolution.

Je considère que tous les moyens sont bons pour mener ce combat. C’est un combat culturel. C’est l’un des grands combats du xxie siècle. C’est notre combat, celui de toutes les générations.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Merci, madame la ministre, pour cet exposé très complet des mesures que vous avez décidé de mettre en place de manière très proactive au sein de votre ministère.

Mme Emmanuelle Anthoine. Merci, madame la ministre, pour ce plan ambitieux et volontariste. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les mesures à prendre en matière de formation qui constituent l’une des cinq urgences que vous avez citées ?

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Je souhaite vous poser une question d’ordre philosophique, Madame la ministre. Il y a eu un débat, avant même l’affaire Weinstein, sur la représentation de la femme et la liberté artistique. Dans le domaine du cinéma et de la chanson, des propos ont récemment été tenus et me semblent constituer une forme de dérive. Comment, selon vous, pourrions-nous agir pour mettre fin à ce type de comportements, tout en préservant la liberté artistique ?

Dans le secteur du cinéma se pose la question du financement et du soutien à la création artistique des femmes – à ce sujet, je salue les actions entreprises par Frédérique Bredin, présidente du CNC. La diffusion, notamment à la télévision, des œuvres réalisées par des femmes, constitue également une question importante, car ce qui est montré aujourd’hui sur les écrans peut avoir une influence sur la façon dont les jeunes filles peuvent imaginer leur vie future et éventuellement se projeter dans l’exercice d’une profession artistique. Plus largement, il ne sert à rien de permettre aux femmes de créer si leurs œuvres ne sont pas lues ou vues. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Madame la ministre, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les actions menées en matière de lutte contre les stéréotypes dans les médias et la culture au sens large – y compris les magazines ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Toutes les questions que vous m’avez posées sont liées. Ainsi, la question d’ordre philosophique de Mme la présidente sur la façon de mettre fin aux représentations dégradantes des femmes tout en faisant en sorte de préserver la liberté artistique trouve une partie de sa réponse dans les mesures à prendre en matière de formation, qui faisaient l’objet d’une question de Mme Anthoine.

Effectivement, c’est au cours de la formation que tout commence, même si cela ne fait pas tout. J’en parlais dernièrement avec Stanislas Nordey, directeur du théâtre national de Strasbourg et de son école, qui fait beaucoup d’efforts pour aller chercher des jeunes femmes ou de jeunes artistes issus de la diversité. Faire en sorte que davantage de femmes intègrent ces filières de formation artistique est une bonne chose, mais notre réflexion ne doit pas s’arrêter là, car on a déjà constaté qu’on ne retrouve pas forcément toutes ces femmes en sortie de filière – c’est vrai pour le théâtre comme pour le cinéma, notamment avec la FEMIS.

Pour ma part, je crois que l’image que les femmes peuvent avoir d’elles-mêmes est très importante, c’est pourquoi il faut continuer à lutter contre les stéréotypes de manière déterminée et volontaire, et faire en sorte que des femmes fassent partie de conseils d’administration et de jurys. Tout cela a à voir avec l’objet même de la politique que je mène au sein de mon ministère, à savoir la lutte contre la ségrégation culturelle qui ne consiste pas seulement en une ségrégation géographique, sociologique et économique. Pour les femmes, cette ségrégation est aussi d’ordre psychologique, et consiste à s’autocensurer en se disant : « Ce n’est pas pour moi » – une attitude que nombre de femmes ont complètement intériorisée.

Je suis étonnée de constater que les femmes les plus jeunes sont souvent les moins convaincues de la nécessité de mettre en place des quotas et, d’une manière générale, de prendre des mesures afin de contrebalancer la ségrégation dont sont victimes les femmes. Si la volonté et l’envie d’aller de l’avant permettent à de nombreuses femmes de s’en sortir, ce n’est malheureusement pas suffisant pour toutes !

Hier soir, lors du grand rassemblement des volontaires « Cinéma et Citoyenneté » qui avait lieu au Grand Rex, et auquel j’ai assisté avec Frédérique Bredin, une jeune fille qui avait effectué son service civique a déploré que les gens aient une mauvaise image des jeunes. Je lui ai dit que si j’étais ministre de la Culture, c’était pour que les choses changent.

Pour en revenir aux actions engagées en matière de formation, j’ai évoqué dans mon exposé liminaire les chartes éthiques que j’ai demandé à nos 99 établissements de rédiger, dès le début de l’affaire Weinstein, afin de combattre le harcèlement, et de le faire en concertation avec les enseignants, les étudiants et les représentants du personnel. Pour lancer cette action, nous nous sommes rendus dans deux écoles, et j’ai constaté que, lors des discussions sur le projet entre les élèves et les professeurs, la parole s’est libérée. Nous devrons veiller à transmettre une culture de l’égalité au travers des enseignements dispensés, mais aussi de l’instauration de la parité au sein du corps enseignant et des jurys et commissions – un point auquel j’attache une grande importance. Il s’agit également d’informer les jeunes filles sur l’ensemble des métiers, afin qu’elles puissent se projeter dans des carrières diversifiées.

Dans les chartes éthiques, qui constituent un outil de communication et de formation, un accent particulier sera mis sur la prévention et la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes dans les écoles supérieures culture. Au sein du ministère de la Culture, des cellules d’alerte ont été mises en place, ainsi qu’un numéro de téléphone « Allô Discrim » ouvert aux 30 000 agents du ministère de la Culture, et une publicité est faite au sujet des sanctions qui seront prises contre les auteurs d’agissements répréhensibles.

Une autre idée peut consister à créer des réseaux transdisciplinaires d’anciennes élèves, afin de consolider et diversifier les parcours professionnels féminins, et à mettre en place des « marrainages ».

Vous avez évoqué, madame la présidente, la difficulté qu’il y a à concilier les droits des femmes et la liberté de création, une difficulté à laquelle nous sommes confrontés dans chacune des affaires qui éclatent. Au moment de l’affaire Weinstein, il y a eu une polémique au sujet de la rétrospective Polanski qui devait avoir lieu à la Cinémathèque, l’association Osez le féminisme ayant appelé à une manifestation à l’occasion de l’inauguration de cette rétrospective. Je me suis entretenue avec le président de l’institution, Costa-Gavras, ainsi qu’avec Marlène Schiappa, et la décision a été prise de maintenir la rétrospective qui devait commencer le jour même, considérant que l’homme devait être dissocié de son œuvre. En revanche, Costa-Gavras a convenu qu’il valait mieux annuler la rétrospective qui devait être consacrée à Jean-Claude Brisseau quelques mois plus tard, en janvier 2018.

De merveilleuses réalisatrices – je pense à Chantal Akerman, à Agnès Varda, à Coline Serreau – ont travaillé sur la notion de stéréotypes, et nous ne sommes donc pas en manque de matière si nous voulons engager une réflexion sur ce thème. On ne saurait en tout cas reprocher à la Cinémathèque de ne pas valoriser les réalisatrices et les actrices dans les rétrospectives qu’elle organise. Par ailleurs, le conseil d’administration de cette institution est paritaire et, sur les quatre personnalités nommées par le ministre de la Culture, trois sont actuellement des femmes.

On m’a souvent demandé de m’exprimer au sujet de l’affaire Cantat, ce qui m’est douloureux. Je réponds à chaque fois que, plutôt que de parler de Bertrand Cantat, je préfère évoquer la mémoire de la femme et de l’actrice merveilleuse qu’était Marie Trintignant – je la connaissais personnellement. Quand une personne disparaît, surtout dans des conditions aussi atroces, je trouve que le pire serait de l’oublier. Je pense donc à Marie, ainsi qu’à ses parents.

Pour ce qui est de Bertrand Cantat, il a été jugé et a désormais le droit de vivre normalement. Si la liberté de création et de programmation est un principe essentiel, consacré par la loi, et si le ministère n’a en aucune manière à intervenir dans la programmation des festivals, j’estime que les programmateurs doivent prendre leurs responsabilités, et j’ai d’ailleurs noté que plusieurs manifestations avaient retiré Bertrand Cantat de leur programmation. Cela dit, l’essentiel aujourd’hui consiste à nous engager, plus fortement que jamais, dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Je crains pour ma part que la situation des femmes dans le monde ne régresse, c’est pourquoi nous nous devons d’être absolument exemplaires en France.

Pour ce qui est du financement et de la diffusion télévisée des œuvres artistiques créées par des femmes, un observatoire de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma et l’audiovisuel a été créé. Il publie chaque année, dans le cadre du bilan du CNC, des statistiques genrées précisant l’emploi des femmes dans le cinéma et donnant des chiffres sur l’exploitation en salles des films des femmes, ainsi que la place des femmes dans les projets soutenus par le CNC. Je veux également mentionner l’instauration de la parité dans toutes les commissions d’aides du CNC et à leur présidence, ainsi que dans les jurys et comités de sélection des festivals. Le festival de Cannes 2018 sera présidé par une femme et la présidence de l’avance sur recettes au CNC est confiée à une femme. Nous sommes deux ici à avoir présidé des commissions d’aide au CNC ; j’insiste sur le fait que ce point est loin d’être insignifiant, car en faisant en sorte que des femmes siègent au sein de ces instances, on permet à une sensibilité et une attention différentes de s’exprimer.

Comme je le disais tout à l’heure, il ne suffit pas que les jeunes filles intègrent des filières de formation artistique, il faut également que nous soyons attentifs à leur devenir. Nous allons lancer une étude sur le devenir des diplômées des écoles du cinéma et de l’audiovisuel, et soutenir les associations de promotion des femmes dans ce secteur.

Le CSA contribue à la lutte contre les stéréotypes dans la publicité et nous allons l’accompagner dans ses actions. Pour ce qui est de l’édition jeunesse et de la bande dessinée, les actions à mener vont être déterminées en concertation avec le syndicat national de l’édition (SNE) et les maisons d’édition concernées. Les choses changent, mais nous sommes encore loin du compte. Je me souviens de l’arrivée sur le marché français, il y a quelques années, de livres venant de Suède, où tous les codes que nous connaissions étaient inversés – il était question de papas qui emmenaient les enfants à la crèche, etc. –, et il nous est rapidement apparu incroyable que cette conception soit totalement absente en France.

Des actions vont également être menées en France avec le syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et le syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), à la fois en ce qui concerne le contenu des jeux et afin de favoriser une présence accrue des femmes dans l’industrie du jeu vidéo, un secteur très prometteur en termes d’emploi, dont nous pouvons accompagner l’essor.

Dans le domaine de l’éducation artistique et culturelle, nous souhaitons qu’il soit fait une large place aux femmes, dans toutes les matières enseignées – les matières littéraires et scientifiques, l’histoire, mais aussi celles relatives à la pratique artistique et culturelle. Autrefois, toutes les jeunes filles faisaient du piano ou de flûte, et les garçons du cor ou de la contrebasse : les choses ont changé, mais pas encore suffisamment. Il en est de même pour ce qui est du cinéma et de l’éducation aux médias.

Mme Laurence Gayte. J’aurais souhaité vous poser une question relative aux films pornographiques et à la vision qu’ils peuvent donner de la femme et de son corps. Les jeunes accèdent de plus en plus tôt à ce genre de production cinématographique. Envisagez-vous d’agir dans ce domaine, en lien peut-être avec d’autres ministères ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Vous avez raison. Ce sont des actions que nous devons mener tous ensemble, avec Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer.

Le Premier ministre a mis en avant la responsabilité des plateformes. En effet, celles‑ci se retranchent trop souvent derrière leur statut d’hébergeurs non responsables. C’est absolument insensé et on ne peut plus l’admettre.

J’ajoute qu’il existe une commission, qui donne son avis sur la classification des films : tous publics ; tous publics avec avertissement ; moins de douze ans ; moins de seize ans. In fine, c’est moi qui signe l’arrêté. Et, dans 99 % des cas, je suis l’avis de la commission.

Mme Céline Calvez. Madame la ministre, l’accession des femmes au monde scientifique est un sujet central. Certaines innovations destinées à l’humanité ne peuvent se faire sans les femmes. La Délégation aux droits des femmes s’est saisie de cette problématique, en confiant à Stéphane Viry et à moi-même une mission sur les liens entre les femmes et les sciences.

Aujourd’hui, lorsque l’on parle de sciences, l’histoire se souvient souvent des hommes. Pourtant, des femmes ont participé activement à ces découvertes scientifiques. Sans revenir à l’éternelle Marie Curie, je citerai encore une fois Ada Lovelace qui est à la base des grandes avancées dans la programmation, ce que l’on appelle aujourd’hui le codage. Historiquement, les femmes ont été trop souvent oubliées. Il suffit de compter le nombre de femmes qui reposent au Panthéon pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, les femmes scientifiques ne cessent de marteler que, pour que les filles cessent de considérer que les sciences sont réservées aux hommes, il faut mettre en valeur des rôles modèles, aussi bien dans l’histoire que dans le monde actuel. La culture est un important vecteur d’éducation, et donc de modèles.

Quelles mesures pourrait-on prendre pour mettre en lumière ces femmes et pour mettre en place une vraie culture scientifique de mixité ? Comment la culture peut-elle participer à cette mise en lumière, dont la société a vraiment besoin aujourd’hui ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Effectivement, la culture a un rôle déterminant. La création, notamment, peut mettre en valeur l’action des femmes. Je pense à l’extraordinaire film sur ces trois femmes astronautes américaines « Les figures de l’Ombre » qui portait à la fois sur la place des femmes et sur la discrimination raciale.

Mais vous avez parlé de « l’éternelle Marie Curie ». Justement, arrêtons-nous sur Marie Curie, qui a reçu par deux fois le prix Nobel. Cela n’a pas été simple pour elle de l’obtenir. Pour autant, on ignore souvent son histoire. Je pense notamment à cet épisode absolument stupéfiant : pendant la guerre, elle s’est rendu compte que les blessés arrivaient trop tard à l’hôpital, alors que la balle avait eu le temps de faire dans leur corps des dégâts incroyables. Contre l’avis des autorités, elle a mis son appareil à rayons X dans une vieille camionnette et elle est partie avec sa fille sur les champs de bataille pour aller opérer sur place. Grâce à son appareil, on pouvait repérer la balle et opérer avec précision. Si on connaît cet épisode aujourd’hui, c’est parce qu’on a fait un documentaire et un livre dessus.

La culture peut contribuer à mettre en valeur l’action des femmes, que l’on a tendance à oublier. Et je vais vous parler de façon un peu plus personnelle : la chanson est un véhicule extraordinaire de la lutte des femmes, et je considère que les plus belles chansons du monde ont été écrites sur ce sujet par une femme exceptionnelle qui s’appelle Anne Sylvestre. Je vous invite tout particulièrement à écouter « Une sorcière comme les autres », qui a été magnifiquement interprétée par une militante féministe du Québec libre, Pauline Julien, que personne ne connaît plus aujourd’hui. Vous verrez que, dans cette chanson, tout est dit.

Mais il existe aussi des prix. J’ai récemment remis le prix Aware qui distingue des femmes plasticiennes, jeunes et artistes confirmées. C’est d’autant plus notable que les femmes ne sont pas souvent lauréates des grands prix. Je déborde de la culture scientifique mais il me semble important d’en parler. Nous travaillons aussi avec Universcience, un établissement public du ministère dont l’objectif est de promouvoir la culture scientifique pour tous – en coopération avec l’éducation nationale et l’enseignement supérieur.

On a beaucoup à faire pour promouvoir la culture scientifique en général et pour mettre en valeur le rôle des femmes, en particulier, dans la culture scientifique. Et si je me suis permis de revenir sur l’histoire de Marie Curie, c’est parce que l’on croit la connaître, mais qu’il a fallu un documentaire et un livre pour en savoir un peu plus sur elle.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Certaines collections pour enfants initient à la culture scientifique et donnent des informations sur Marie Curie, ce qui est une très bonne chose.

Mme Annie Genevard. Merci, madame la ministre, pour votre présence. Si nous sommes membres de la délégation, c’est parce que nous nous préoccupons de la reconnaissance des femmes et de la place qu’elles doivent conquérir dans tous les domaines de l’activité humaine. Mon intervention ne sera peut-être pas « politiquement correcte », mais il faut pouvoir débattre dans une telle instance.

Je suis embarrassée par le caractère systématique d’une approche genrée de toutes les questions. Je vous le dis comme je le pense, et comme le pensent de nombreuses personnes qui n’osent plus le dire. En effet, une certaine chape, certains parlent même de « terrorisme intellectuel », interdit d’aborder les excès que peuvent entraîner des approches trop systématiquement genrées. Que pourriez-vous nous dire sur la question ? Y réfléchissez-vous ? Est-ce que cela vous fait écho ? Voyez-vous là des dommages collatéraux, qui seraient  négligeables par rapport à l’intérêt que peut avoir une telle approche ?

Je voudrais également aborder la difficulté qu’ont certaines femmes, et notamment les créatrices, à faire reconnaître leur talent. Mais c’est parfois dans cette difficulté, voire dans cette adversité que peuvent se forger des œuvres magnifiques. L’exemple de Camille Claudel et de sa relation si difficile avec Rodin, avec sa propre famille et avec le corps social en général, me vient à l’esprit. Ses œuvres absolument sublimes traduisent toute la douleur qui a été la sienne – la biographie écrite par Anne Delbée est d’ailleurs particulièrement déchirante à ce point de vue. Je ne dis pas que la souffrance est nécessaire à la création, mais qu’il se peut aussi parfois que cette souffrance crée des œuvres magnifiques. Qu’en pensez-vous ?

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Merci, madame la ministre, pour ce que vous nous avez apporté en nous montrant que la culture est au cœur du dispositif de l’égalité hommes-femmes.

Vous allez mettre en place le « Pass Culture », pour que tous les jeunes puissent accéder à la culture. Le dispositif est assis sur la liberté de choisir son contenu parce que, finalement, c’est à chacun de choisir sa culture. Mais sera-t-il possible, dans ce cadre, de promouvoir l’égalité hommes-femmes ? On pourrait, par exemple, donner des informations ou mettre des signes distinctifs sur certains contenus.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Madame la ministre, peu de femmes occupent des postes à responsabilité. Par exemple, il y a peu de directrices de théâtre et encore moins de cheffes d’orchestre. Qu’envisagez-vous pour y remédier ? Comment développer la place des femmes dans le monde de la culture ? Ce n’est pas une question de talent, car les femmes ont autant de talent que les hommes.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Vous avez mille fois raison, madame la députée. Un tiers des établissements sont dirigés par des femmes, et il n’y a aucune cheffe d’orchestre à la tête d’un orchestre labellisé. La situation n’est pas acceptable. Et je ne parle pas de la différence de salaires.

On mène une politique très volontariste. Et heureusement, d’ici à 2022, on aura renouvelé l’ensemble des responsables de tous les établissements. On pourra alors atteindre notre objectif qui est de compter 50 % de femmes à la tête des établissements publics. Et comme j’ai beaucoup parlé d’exemplarité, je rappelle ce que j’ai dit au début de mon propos liminaire, à savoir que dans mon cabinet, il y a sept femmes et trois hommes.

Par ailleurs, nous allons vous remettre notre feuille de route. Vous pourrez constater que nous n’entendons pas nous contenter de mots, mais que nous allons agir concrètement. Ce sera très précieux.

J’en viens au « Pass Culture ». Ce sera un outil contre la ségrégation culturelle, dans la mesure où il sera accessible à tous, partout. Il s’agit d’une application géolocalisée, que le jeune, ou le moins jeune, pourra utiliser pour savoir ce qui se passe en matière culturelle. L’idée est d’éditorialiser les propositions culturelles – pratiques culturelles, expositions, biens culturels – en fonction de la co-construction réalisée avec les différents partenaires. Par ailleurs, à dix-huit ans, au moment où il rentrera dans la vie citoyenne, le jeune recevra 500 euros pour financer des dépenses culturelles. C’est un signe fort.

De fait, quand on va un peu partout, on se rend compte que dans la réalité, notre France, si riche en matière culturelle, si ouverte en matière d’égalité hommes-femme, ne l’est pas pour tous. En se déplaçant pour voir les gens sur les territoires, on se heurte à une réelle ségrégation culturelle, qui est aussi une ségrégation par rapport aux femmes, dans les quartiers, avec des problèmes d’accès à la culture. Il faut y travailler.

L’une de vous a évoqué une approche genrée systématique. J’observe qu’elle n’est pas systématique. Je me suis d’ailleurs exprimé à propos de l’écriture inclusive, que je trouve compliquée et inadaptée…

Mme Annie Genevard. L’écriture inclusive, ce n’est pas seulement le point médian. C’est aussi l’utilisation de « celles et ceux ». C’est la féminisation systématique…

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Selon moi, l’écriture inclusive, avec le point médian, aboutit à un alourdissement des textes. J’en ai parlé avec Jean-Michel Blanquer, et nous sommes d’accord pour dire que cela ne fera pas avancer les choses. Je me demande même si cela ne risquerait pas de compliquer l’apprentissage de la lecture, notamment pour les enfants dyslexiques.

En revanche, nous avons adopté une démarche totalement volontariste s’agissant de l’encadrement – écoles, établissements, et jurys. Placer systématiquement des femmes, à égalité avec les hommes, à la tête des établissements, des écoles, etc. me paraît essentiel pour changer l’état d’esprit. Et il n’y a aucune raison pour ne pas procéder ainsi.

Ensuite, comme vous l’avez dit vous-même, Camille Claudel a eu une vie que personne ne lui souhaite – enfermée, abandonnée par sa famille, etc. D’autres femmes, moins connues, ont eu une vie très difficile. Je pense à Leonora Carrington, la compagne de Max Ernst, qui a été enfermée dans un institut psychiatrique en Espagne, ce que l’on ne sait pas. C’était une très grande artiste surréaliste, qui a fait des choses extraordinaires, mais ce n’est pas parce qu’elle a souffert qu’elle a été reconnue. Vous êtes d’accord avec moi, ce n’est pas un argument.

Certaines femmes magnifiques ont acquis aujourd’hui une reconnaissance internationale dans la culture dans la capacité à promouvoir les femmes artistes du passé. Je peux citer Camille Morineau, directrice des expositions et des collections à la Monnaie de Paris qui a monté des expositions emblématiques comme Women House ou encore Elles au centre Pompidou, ou à Laurence Equilbey, une cheffe d’orchestre qui a monté avec tellement d’énergie son ensemble et qui le dirige, et qui a mis en lumière très récemment des femmes compositrices comme Louise Farrenc, compositrice du XIXe siècle. Il n’est pas besoin d’être dans la souffrance pour faire tout cela. D’ailleurs, rien ne dit que si Camille Claudel et ces autres femmes n’avaient pas connu cette souffrance, elles n’auraient pas fait ce qu’elles ont fait, voire plus encore, dans la liberté. Qui sait ?

On parlait, avant de venir ici, d’une femme écrivain – ou écrivaine, ou autrice, terme utilisé au XVIIIe siècle – qui a été totalement occultée, au début, par l’image de son mari, et qui a précisément écrit là-dessus. Il s’agit de la femme de Paul Auster, Siri Hustvedt. Aujourd’hui, elle travaille avec des groupes de recherche scientifique parce qu’on considère que le travail qu’elle fait en termes d’écriture éclaire les neuroscientifiques. Elle prononce les conférences inaugurales dans les grands instituts de psychanalyse. Elle a vraiment une grande réputation.

J’ai fréquenté beaucoup d’auteures femmes et je ne vais pas en faire le catalogue. Mais elles sont là, et heureusement, elles existent. Je dois dire que je suis très agréablement surprise de l’écho qui a été donné à Siri, en partie grâce à Paul qui a beaucoup lutté, notamment sur les stéréotypes auxquels ils se heurtaient, principalement en France. Il fut un temps où il ne voulait plus venir dans notre pays, parce que chaque fois que l’on parlait de Siri, on disait « la femme de Paul ». On a donc encore beaucoup à faire.

Enfin, il me semble très important de féminiser tous les métiers d’art, pour exprimer, en utilisant le mot juste, le fait que ces métiers sont ouverts aux femmes. Je pense à autrice, justement. Plus généralement, maintenant, on parle des droits humains, et plus des droits de l’Homme. Et c’est une belle expression…

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Madame la ministre, je ne parlerai pas de « femme de », mais de « sœur de » : Virginia Woolf, dans Une chambre à soi, remarque que si Shakespeare avait eu une sœur tout aussi douée que lui, elle n’aurait probablement pas pu écrire autant d’œuvres que lui, parce qu’elle aurait été assignée chez elle à s’occuper des enfants.

Vous avez d’ailleurs évoqué, dans le cadre de votre intervention, la difficile conciliation, pour les femmes artistes, de leur vie familiale et professionnelle. Vous avez dit que vous souhaitiez leur faciliter les gardes d’enfants. Je travaille actuellement sur une mission sur le congé maternité, et j’ai reçu, entre autre, les « matermittentes ». Pourriez-vous nous en parler ?

Enfin, dernièrement, Muriel Pénicaud et Marlène Schiappa ont lancé un plan très volontariste en matière de réduction des inégalités de salaire dans les entreprises. Où en est‑on, aujourd’hui, de la rémunération des artistes et des autrices ? Comptez-vous exiger des productions cinématographiques qu’elles fassent en sorte que les rémunérations des artistes femmes et hommes tendent, au moins, vers l’égalité ? Pour le moment, il y a une forte inégalité.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Sur l’égalité des salaires, je me suis exprimée très précisément. Et parce que le ministère de la Culture se doit d’être exemplaire, une enveloppe dédiée de 500 000 euros sera sanctuarisée dans le budget, pour les quatre années à venir. C’est très important, parce que c’est concret.

On a mis en place, à travers le fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS), une aide à la garde d’enfants de moins de douze mois, pour les intermittents. Elle consiste à rembourser jusqu’à 50 % des frais de garde, avec un maximum de 3 000 euros par an. Les intermittents ayant souvent de faibles revenus et travaillant à des heures complètement décalées, c’est une aide importante.

Ensuite, la rémunération des autrices n’est pas régulée par le ministère, loin s’en faut. Elle résulte des accords passés avec les éditeurs et dépend de l’estimation des tirages et des ventes à venir. Plus généralement, la rémunération des auteurs est très aléatoire et directement liée au succès des livres.

Enfin, il existe une circulaire qui prévoit des dispositions particulières pour les « matermittentes ». Le dernier accord d’assurance chômage prévoit également des dispositions particulières pour la prise en compte de leurs droits quand elles sont en congé de maternité.

M. Gaël Le Bohec. Chère présidente, il y a quelques mois, j’ai été déçu de ne pas faire partie de votre délégation. Mais aujourd’hui, je suis heureux de pouvoir m’engager totalement à vos côtés.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Vous êtes le bienvenu parmi nous.

M. Gaël Le Bohec. Madame la ministre, vous avez parlé de discrimination dans l’accès à l’art. À l’occasion de la journée des femmes, nous avons organisé un forum en circonscription pour discuter des freins qui pouvaient limiter les femmes dans leur carrière professionnelle, ou les empêcher d’avoir accès au monde politique ou à l’art.

Au cours de ce forum, nous avons réfléchi aux moyens à mettre en œuvre pour aider les femmes. Il est ressorti de cette soirée que la garde des enfants était l’un des principaux obstacles qu’elles pouvaient rencontrer. Voilà pourquoi, lors de la prochaine consultation citoyenne sur l’Europe, le 12 avril, à Redon, un dispositif de garde d’enfants sera mis en place en parallèle, pour permettre aux femmes d’accéder à la politique.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Je viens de répondre sur les intermittentes, pour lesquelles une disposition a été mise en place. Il est vrai, cela dit, qu’on pourrait faire valoir l’ensemble des bonnes pratiques et prévoir des systèmes de garde. Les musées pourraient disposer d’un lieu d’accueil pour les petits.

J’observe que les bibliothèques ne sont pas seulement des lieux où l’on vient chercher un livre ou un DVD, mais aussi des lieux où l’on vient chercher de l’aide, où l’on peut apprendre le français, des lieux inclusifs, des lieux d’accueil, notamment pour ceux qui arrivent et qui ne savent pas où aller. Et de plus en plus de bibliothèques organisent des coins pour les tout-petits. Des théâtres pourraient faire la même chose – si ce n’est déjà le cas.

Il faudrait que nous listions l’ensemble des bonnes pratiques en matière de garde d’enfants. Cela étant, on vit dans un pays de normes, dont il faut tenir compte. Je m’en suis aperçue, dans mon ancienne vie, quand j’ai souhaité créer une crèche à l’endroit où je travaillais. Mais en tout cas, je trouve que vos suggestions sont intéressantes, qu’il faudrait voir ce que l’on fait, et le prendre en considération, car c’est une réalité objective.

Mme Nadia Hai. Madame la ministre, je voudrais vous faire part d’un constat alarmant, en lien avec l’accès à la culture dans certains quartiers prioritaires – domaine dans lequel je sais que vous êtes très active. On s’aperçoit en effet que l’absence de culture est un terreau majeur à toute sorte de dérives, et que dans ces quartiers, un gouffre s’est creusé entre l’offre culturelle et la vie quotidienne des citoyens, et notamment des jeunes filles.

On observe dans ces quartiers, non seulement le recul de la République, mais aussi un recul criant dans le domaine de la culture. Or la culture est un levier, un moyen d’intégration, un moyen de connaître l’autre et de s’ouvrir à l’autre. Partagez-vous ce constat ?

Mme Françoise Nyssen, ministre de la Culture. Il fut une époque où être ministre de la Culture consistait à accompagner notre offre culturelle magnifique. D’ailleurs le résultat est là. En France, l’offre culturelle est exceptionnelle en France – établissements, lieux de spectacles vivants, musées, patrimoine magnifique et nombreux dispositifs culturels. Pour autant, la ségrégation culturelle est une réalité. De nombreux jeunes sont exclus, pour des raisons économiques, géographiques, culturelles, de mode de vie, parce qu’on les empêche d'accéder à la culture, ou pour des raisons psychologiques, par manque de confiance en soi.

Voilà pourquoi la politique des droits culturels est pour nous une véritable boussole. Nous devons réfléchir à tous les leviers permettant d’accéder à la culture. Vous dites « émancipation ». Je dis émancipation, responsabilisation, autonomie. C’est très important, dans la mesure où cette autonomie risque d’être fauchée pour toutes sortes de raisons que nous connaissons.

La pratique artistique et culturelle depuis le plus jeune âge permet effectivement de grandir en autonomie, en confiance – Jean-Michel Blanquer parle d’école de la confiance – et d’apprendre à respecter l’autre. C’est tout l’intérêt des chorales puisque chanter dans les écoles, c’est apprendre à être ensemble, à écouter et à regarder l’autre. Je l’ai vécu très concrètement dans l’école que j’ai créée, et où justement, on chante tous les jours.

Réapprendre à être ensemble, réapprendre la joie d’être ensemble, a un effet phénoménal sur les enfants. La pratique culturelle et artistique dès le plus jeune âge les met sur le chemin de confiance, du respect de l’autre et de l’émancipation.

Ensuite, le Pass Culture est un outil révolutionnaire d’émancipation culturelle. Des jeunes peuvent choisir en toute autonomie, sans intermédiaire, à partir de leur application, des activités culturelles. Nous y avons réfléchi avec des laboratoires composés de jeunes, qui ont participé avec une grande vivacité.

Il ne faut pas oublier les bibliothèques. Le « plan bibliothèques » est très important. En effet, des jeunes qui sont confinés chez eux peuvent se rendre dans ces lieux qui, normalement, qui ne sont pas suspects pour les familles. Ils peuvent y travailler et rencontrer les autres.

Il y a aussi le plan pour le patrimoine. Il est très important, là encore, de revitaliser par le patrimoine des territoires qui sont exclus de la culture. Cela permet de se rassembler avec fierté autour de ce patrimoine.

Enfin, la semaine prochaine, nous allons lancer un grand plan sur l’itinérance, pour remettre la culture sur la place publique, et l’amener aux gens sans attendre. Ce sera sûrement bénéfique pour les jeunes qui n’ont pas de mobilité, soit parce qu’ils sont trop jeunes, soit parce que leurs parents ne peuvent pas, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens, soit parce qu’ils n’ont pas l’autorisation de leurs parents de se déplacer.

Tout cela pour vous dire que la lutte contre cette ségrégation culturelle, dont on ne peut que constater la réalité, sert de boussole à notre politique.

Certains pensent que la culture n’est pas pour eux. Mais lorsque l’on est confronté aux œuvres, à l’école et en dehors de l’école, dans les médiathèques, ou lorsque l’on pratique, par exemple le théâtre, on accède à d’autres univers, et on découvre l’autre. Parfois, il suffit d’amener des jeunes dans certains lieux de culture et de leur dire : vous pouvez entrer, vous êtes chez vous. Cela peut changer la vision des choses. Toutes les actions que nous menons en ce sens sont à l’aune de cette politique de lutte contre la ségrégation culturelle et de l’assignation à résidence.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain. Merci, madame la ministre, pour l’ensemble de ces éclairages, et pour ces échanges enthousiasmants autour de la participation des femmes à l’univers de la culture.

 

 

La séance est levée à 17 heures 50.

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Membres présents

 

 

Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Céline Calvez, Mme Laurence Gayte, Mme Annie Genevard, Mme Nadia Hai, Mme Cécile Muschotti, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Laurence Trastour-Isnart

 

Excusés. - Mme Sophie Auconie, Mme Sophie Panonacle

 

Assistait également à la réunion. - M. Gaël Le Bohec