Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes              2

–  Présences en réunion...........................20

 

 

 


Mercredi
4 octobre 2017

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2017-2018

 

 

Coprésidence

 

 

de M. Éric Woerth,

Président

 

et

 

de Mme Sabine Thillaye,

Présidente de la commission des affaires européennes

 

 


  1 

La commission entend, en audition conjointe avec la commission des affaires européennes, M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes.

Mme la présidente Sabine Thillaye. Monsieur le commissaire, nous sommes très heureux de vous recevoir pour cette audition conjointe avec la commission des finances, à la veille de la discussion budgétaire. Il ne saurait y avoir de meilleur moment pour échanger avec vous. La Commission européenne s’apprête en effet à lancer le nouvel exercice du semestre européen, cycle de coordination des politiques économiques au sein de l’Union. La commission des affaires européennes a déjà eu l’occasion de vous entendre le 27 juillet dernier, mais je me réjouis particulièrement de l’organisation de cette réunion conjointe avec nos collègues de la commission des finances, car il me semble indispensable de replacer nos choix de politiques économiques et nos engagements budgétaires dans le contexte européen dans lequel ils s’inscrivent.

Aussi aimerais-je vous interroger sur les priorités qui seront celles de la Commission européenne pour l’année à venir, mais également sur les enseignements tirés de l’exercice précédent du semestre, et plus particulièrement sur les recommandations adressées par la Commission européenne à la France. Le triptyque – pour reprendre l’expression du Président Juncker – que constituent la relance de l’investissement, la mise en œuvre de réformes structurelles et le maintien de politiques budgétaires responsables reste-t-il d’actualité ? Quelles sont les recommandations de la Commission européenne auxquelles nous devrions prêter le plus d’attention dans les mois à venir, notamment dans les discussions budgétaires ?

Cette audition est également l’occasion de vous entendre sur des questions économiques et financières plus larges. J’aimerais ainsi vous interroger sur l’avancée des discussions sur la proposition relative à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) – proposition réintroduite par la Commission européenne en début d’année – ainsi que sur les perspectives économiques et institutionnelles de la zone euro. Ces questions, dont l’actualité a été soulignée par le Président Juncker dans son discours sur l’état de l’Union, ne manqueront pas de nous intéresser dans les mois à venir, en particulier au sein de la commission des affaires européennes, mais je souhaiterais vous demander de nous faire part de votre sentiment – et de celui de la Commission européenne – sur la création d’un poste de ministre de la zone euro et sur la possibilité de la doter d’un budget spécifique.

M. le président Éric Woerth. Ce n’est pas la première fois, monsieur le commissaire européen, que vous participez à ces réunions. Vous en êtes même un grand habitué et nous vous remercions pour cette régularité. Il est très important de pouvoir suivre de près l’évolution de la politique européenne. Hier, nous recevions d’ailleurs, dans le même format, M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, à la veille du Conseil « Ecofin ».

Monsieur le commissaire, nous vous attendons sur un certain nombre de sujets – sans doute beaucoup. Nous souhaiterions notamment que vous puissiez nous préciser l’état d’avancement des politiques et réflexions européennes sur la fiscalité du numérique. C’est un sujet récurrent, omniprésent, insupportable pour les peuples et, surtout, pour les entreprises, dans le cadre d’une économie de pleine concurrence. Êtes-vous en phase avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la France sur ce sujet ? En la matière, notre ministre de l’économie a émis des propositions pour une éventuelle fiscalisation – temporaire ou transitoire – fondée sur la notion de chiffre d’affaires.

Je souhaite par ailleurs vous interroger sur l’évolution de la TVA : la Commission européenne réfléchit beaucoup au sujet. Où en est‑elle quant à l’assouplissement des règles de fixation des taux de TVA par les États ? C’est un sujet classique de débat d’automne dans notre Assemblée, chacun voulant changer les taux de TVA pour différents produits, alors que les règles sont extrêmement contraignantes.

Enfin, le respect par la France de ses engagements européens est assez largement au cœur du travail du Haut Conseil des finances publiques. Même si le débat peut parfois apparaître comme un peu technique, voire technocratique – déficit structurel, nominal, taux d’endettement… –, quel est le regard de la Commission européenne sur les engagements français, notamment, sur les difficultés que nous avons à respecter nos engagements de réduction des déficits structurels ?

M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes. Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Comme toujours, j’éprouve un réel plaisir à échanger avec la représentation nationale – à laquelle j’ai longtemps appartenu. Ce n’est pas seulement un plaisir, mais aussi une nécessité. Dans mes fonctions de commissaire en charge de l’économie, des finances, de la fiscalité et de l’union douanière, j’ai en effet notamment en charge la surveillance budgétaire et le semestre européen, avec mon collègue Vasdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne chargé de l’euro et du dialogue social. Nous sommes donc contraints, de par les règles, d’échanger de manière régulière sur les finances publiques avec les États membres.

J’ai coutume de venir ici au moins deux fois par an : une première fois au début du semestre, c’est-à-dire maintenant, lorsque le projet de loi de finances est déposé – nous allons recevoir de notre côté l’avant-projet de budget le 15 octobre, pour l’examiner entre le 15 et le 30 octobre –, une seconde fois, à la fin du semestre, au moment où les fameuses recommandations qu’évoquait Mme la présidente sont formulées par la Commission européenne. En ce début de législature, je vous propose de reprendre ce cycle. Je serai par ailleurs très heureux d’honorer toute autre invitation que vous m’adresseriez.

Notre rencontre se déroule à un moment très intéressant au plan européen. Vous devez en être tous conscients, dans la diversité de vos sensibilités politiques : une fenêtre politique s’ouvre pour faire avancer l’Europe, de manière tout à fait inédite depuis plusieurs années. Trois facteurs viennent en effet se combiner : d’abord, une nouvelle donne politique s’instaure en Allemagne Je sais qu’elle suscite des interrogations. Mais, je veux le dire ici, je ne suis pas inquiet : je fais confiance à la fibre européenne de nos amis allemands et au sens des responsabilités de la Chancelière. Les négociations qui s’ouvrent pour former une nouvelle coalition, qui sera différente de la précédente, nous emmèneront peut-être jusqu’à la fin de l’année. Les équilibres européens de cette coalition sont à inventer. Ils seront sans doute un peu différents de ceux de la précédente coalition. Mais, nous en avons l’expérience, il y a le temps des discours de campagne et le temps des accords de coalition, puis le temps des compromis avec les partenaires européens. Je suis absolument certain que, comme toujours, nous trouverons dans l’Allemagne un partenaire avec lequel nous pouvons et nous devons avancer.

Ensuite, en France, le Président Macron a pris le parti de parler d’Europe avec force et ambition, notamment lors de son discours de la semaine dernière. Cela était très attendu de nos partenaires. Certaines de ses propositions sont très ambitieuses. Oui, madame la présidente, je suis favorable, depuis longtemps, à la création d’un ministre des finances de la zone euro. Il devrait être simultanément chargé de mon poste, commissaire pour les affaires économiques et financières, et président de l’Eurogroupe. J’y suis favorable pour deux raisons : d’abord afin de mieux piloter la politique monétaire de la zone euro, mais également afin d’assurer un réel contrôle démocratique. Sans ce double « chapeau », le contrôle démocratique est illusoire. Aujourd’hui, l’Eurogroupe discute en « chambre » de problèmes absolument fondamentaux, sans en référer à qui que ce soit. Je pense que cela n’est plus possible. Mais nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler au fil de nos échanges. Les autorités françaises vont désormais discuter avec leurs partenaires européens pour créer une dynamique et faire avancer notre continent.

Enfin, le rôle de la Commission européenne est important pour que cela fonctionne – car il faut toujours « Paris-Berlin-Bruxelles ». La Commission européenne se veut politique et facilitatrice. Vous aurez noté ses évolutions sur des dossiers tels que l’application des règles budgétaires – j’en reparlerai –, la fiscalité, le commerce ou les investissements. Cette Commission entame la dernière partie de son mandat, qui comporte encore un temps de travail utile : je pense que nous pourrons appuyer des initiatives fortes jusqu’à la fin du second semestre 2018. Après, naturellement, un autre cycle s’ouvrira, les partis entreront en campagne pour les élections européennes 2019 et le temps législatif européen ne permettra plus de faire adopter d’initiatives majeures.

Si l’on ajoute à tout cela que le Président Juncker a lui aussi délivré un discours important, sur l’état de l’Union, il y a quelques semaines devant le Parlement européen, une fenêtre d’opportunité est donc actuellement ouverte ; elle durera jusqu’à l’été prochain. Pour ce qui concerne l’Union économique et monétaire (UEM), c’est-à-dire la zone euro, on peut même être plus précis. En décembre, la Commission va présenter plusieurs initiatives pour approfondir l’UEM et proposer un chemin jusqu’en 2025. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir devant vos commissions à ce moment, pour vous présenter ce « paquet zone euro ». Dans la foulée, un sommet « zone euro » va se tenir – le premier en deux ans – pour définir une ligne commune et donner une direction politique claire à la Commission. Si ce sommet peut se tenir, c’est qu’il en a désormais la capacité, ce qui n’était pas le cas auparavant. En juin 2018, un autre sommet aura lieu, qui viendra clore cette séquence et peut-être dessiner notre feuille de route pour compléter la zone euro d’ici à 2025.

En résumé, la fenêtre sur ces sujets – importants pour la France –, sera ouverte de décembre à juin, avec une phase préparatoire intensive d’ici décembre. Parallèlement, s’ouvrira peut-être également, dans la même période, une phase de débats citoyens sur ces sujets – le président Macron propose des conventions démocratiques. Cela serait logique et souhaitable. Il est difficile d’en prévoir aujourd’hui les résultats, mais il est indéniable que l’opportunité politique, qu’il faut l’exploiter, est réelle et que la partie se joue maintenant.

La France a un agenda ambitieux. Il ne sera pas facile – il faut en être conscient – de convaincre les autres capitales. D’expérience, car j’ai fait campagne lors de toutes les élections européennes, je sais que l’Europe n’est pas la France en grand... Un discours européen est absolument indispensable, mais il faut ensuite le faire atterrir, dans la confrontation et, le moment venu, le compromis, avec les autres. La France devra mettre toutes les chances de son côté pour y parvenir, pour être plus forte et obtenir davantage.

Elle devra donc se montrer exemplaire sur le front des finances publiques. Il y a une relation très claire entre les deux : pour être une voix encore plus crédible – en particulier avec Berlin –, la France doit renouer avec l’exemplarité budgétaire. Comme l’Espagne, elle doit retrouver sa place dans un club où, désormais, dix-sept États membres sur dix-neuf ont leurs finances publiques en ordre. Seuls deux pays sont encore en procédure de déficit excessif : la France et l’Espagne. J’ai très bon espoir qu’en 2018 il n’en reste aucun et que tout le monde puisse aborder sainement la discussion.

C’est avec ces éléments de cadrage européen que je vais maintenant aborder les échéances budgétaires de l’automne. Différents textes seront examinés par cette Assemblée – je ne veux pas entrer dans leur détail. Je ne le ferai d’ailleurs que quand nous les aurons vus et examinés selon la méthodologie européenne usuelle. C’est ainsi que nous procéderons entre le 15 et le 30 octobre avec l’avant-projet de budget que nous transmettra la France le 15 octobre. Le 9 novembre, nous ferons connaître nos prévisions macroéconomiques. C’est au regard de cela que nous évaluerons les déficits.

Mais, à ce stade, je veux partager avec vous une première réaction. Pour l’année 2017, le projet de loi de finances confirme l’intention des autorités françaises de respecter l’engagement du retour sous 3 % – ou à 3 % – de déficit public. C’est bien sûr une bonne nouvelle, puisqu’il s’agit d’une étape nécessaire pour que la France sorte de la procédure de déficit excessif. Cette sortie pourrait être décidée au printemps 2018, sur la base des chiffres définitifs pour 2017 et des données prévues pour 2018-2019 – la correction doit en effet être durable.

Comme je l’ai dit, ce serait – je pourrais presque dire « ce sera », car je n’ai pas de doute sur le fait que cela interviendra – un signal très fort envoyé par la France à ses partenaires européens, un gage de crédibilité et un atout pour le pays dans sa stratégie pour pousser son agenda d’approfondissement de la zone euro.

Le projet de loi de finances pour 2018 affiche une intention de poursuivre l’assainissement des comptes au-delà de 2017. Mais, je voudrais appeler votre attention sur un point : les règles européennes applicables une fois que l’on est passé sous la barre des 3 %
– c’est-à-dire une fois que la France revient dans ce que l’on appelle « le bras préventif du pacte » – ne sont pas plus faciles que celles qui s’appliquaient jusqu’alors, au-dessus de 3 % ! Pour être tout à fait clair, nous sommes le dernier pays en Europe où l’on parle encore de ces 3 %... La moyenne des déficits dans la zone euro est en effet de 1,3 %. Ailleurs, on ne raisonne également plus sur le déficit nominal, mais sur d’autres notions que je vais essayer de présenter rapidement.

Je rappelle que 3 % est un seuil, pas une cible. Une fois sous ce seuil, le déficit budgétaire doit continuer à baisser, et à baisser significativement. Mais nous ne nous concentrerons pas uniquement sur sa valeur nominale, sujette aux aléas conjoncturels, mais également sur les efforts structurels de la France. C’est à cette aune que le budget français pour l’année prochaine – et les années suivantes – doit être évalué. Je dis « suivantes » car vous allez examiner un projet de loi de programmation des finances publiques.

Notre système de règles, défini par les États membres eux-mêmes – que l’on appelle le two-pack et le six-pack –, donne un rythme de référence pour les pays à dette publique élevée, dont la France fait partie. Je rappelle que la dette française tangente les 100 % du produit intérieur brut (PIB), et qu’elle devrait toujours être supérieure à 90 % du PIB en 2022 d’après la loi de programmation – alors que celle de l’Allemagne sera revenue sous 60 %, seuil prévu par les traités européens.

Il vous faut donc respecter la règle de réduction des déficits structurels. Sur ce point, je vous donnerai quelques éléments car le rythme de réduction du déficit structurel est très important : il est de 0,6 % du PIB par an d’effort. C’est beaucoup plus que ce que prévoit la loi de finances pour 2018, mais également plus que ce que prévoit en moyenne la loi de programmation pour le quinquennat.

Je ne suis pas un garde-chiourme – on m’a parfois reproché de ne pas l’être –, je ne suis pas non plus un garde-chasse ni un braconnier : je suis pour une interprétation intelligente des règles. Il se trouve que les règles offrent quelques éléments de flexibilité. Il est clair que, si la France optait pour un respect très littéral de cette règle de 0,6 % par an, alors l’effet sur la croissance française serait négatif et notre orientation générale de politique budgétaire en zone euro ne pourrait rester « neutre », comme nous l’appelons de nos vœux. Par ailleurs, la croissance de toute la zone euro en serait affectée.

Il faut donc faire preuve de souplesse et d’intelligence. Nos règles autorisent ces déviations, mais elles n’en autorisent que certaines. Pour la France, en 2018, 0,1 représente le « maximum de déviation autorisé » sur deux années consécutives par rapport à la norme de 0,6. En d’autres termes, c’est une déviation acceptable, mais qui consomme toute la marge ; au-delà, il faudrait donc rediscuter.

Un mot à présent sur le « comment », c’est-à-dire l’évolution des dépenses et des recettes. Je serai beaucoup plus prudent sur ce sujet, car il relève de la souveraineté nationale qui s’exerce à travers vous, mesdames et messieurs les parlementaires. La Commission européenne n’a pas à en juger. Au regard des recommandations qu’évoquait la présidente, je me permettrais malgré tout quelques commentaires. Vous avez raison, le triptyque « investissements, réformes structurelles et sérieux budgétaire » est valide et va le rester dans les années à venir.

Côté dépenses, je note à titre personnel deux évolutions positives. En premier lieu, la volonté de raisonner de manière structurelle : il n’y a pas de baisse durable des dépenses sans approche structurelle de la dépense publique. Je pense même qu’il faudra de plus en plus raisonner en termes de qualité, et non seulement en termes de quantité, de la dépense publique. En second lieu, la volonté d’en finir avec deux mauvaises méthodes, le rabot et le saupoudrage : le grand plan d’investissement du Gouvernement, qui respecte les règles européennes, va dans le bon sens.

Côté recettes, la baisse du coût du capital et du travail prolonge la politique d’offre précédemment engagée. La France commence à en récolter les fruits, ce qui est plutôt conforme aux recommandations annuelles de la Commission. Mais il faut conserver un paramètre à l’esprit : le capital est concentré, cette concentration est à l’origine des inégalités, et les inégalités pèsent sur la croissance, parfois même sur la stabilité financière ou politique. Je pense que l’on peut à la fois mener un combat pour améliorer la qualité de l’offre et lutter contre les inégalités. Les deux objectifs sont compatibles pour la Commission, qui insiste toujours sur la lutte contre les inégalités : nous sommes pour une croissance inclusive et juste.

Un mot à présent de l’action de la Commission – et la mienne – dans le domaine fiscal. Je poursuis trois priorités : la transparence fiscale, la justice fiscale et un meilleur fonctionnement du marché intérieur.

Je pourrais être intarissable sur la transparence, mais nous avons peu de temps. Je dirai simplement que nos avancées sont spectaculaires. Grâce à l’échange automatique d’informations entre administrations fiscales, nous avons mis fin au secret bancaire en Europe, parmi les vingt-huit États membres, mais aussi avec d’autres partenaires européens comme le Liechtenstein, la Suisse, Monaco, Andorre et Saint-Marin. L’échange automatique des rescrits fiscaux est également effectif : il va permettre aux fiscs nationaux de mieux combattre l’évasion fiscale des particuliers.

Deux chantiers restent encore ouverts. D’abord, l’instauration de nouvelles règles pour les intermédiaires – banquiers, avocats, conseillers fiscaux – qui organisent et vendent des montages fiscaux facilitant le contournement des législations et l’évasion fiscale – prenez, l’exemple du football. J’ai proposé d’imposer une obligation de transparence sur les montages fiscaux qu’ils vendent à leurs clients. Les États membres doivent avancer sur ce dossier important.

Ensuite, ne soyons pas naïfs : rien ne sert de devenir vertueux si le reste du monde peut attirer les évadés fiscaux. D’ici la fin de l’année, les États membres doivent se mettre d’accord sur une liste européenne des paradis fiscaux mondiaux, assortie de sanctions. Il s’agit de faire pression sur ces États pour que les pratiques changent. L’OCDE – avec laquelle nous travaillons très bien, monsieur le président, je vais y revenir – a proposé une liste réduite à Trinité–et–Tobago en juillet dernier. Le G20 n’a pas été enthousiaste... Personnellement, j’attends de nos États membres qu’ils se placent du côté de l’ambition. Je ne serai pas extrêmement heureux qu’ils fassent le même choix que l’OCDE : je souhaite que l’on aille plus loin car, si les listes les plus courtes sont les meilleures et la dissuasion la plus efficace, on ne peut imaginer qu’il n’y ait qu’un seul paradis fiscal dans le monde...

En matière de justice fiscale, un principe très simple a guidé toute mon action jusqu’à présent : les profits des entreprises doivent être taxés là où ils sont générés. Nous avons interdit les schémas d’optimisation fiscale les plus courants des entreprises. Mais il reste encore beaucoup à faire. Vous avez raison, monsieur Woerth, un chantier en particulier est d’intérêt pour cette Assemblée : la fiscalité des entreprises du numérique. Ces entreprises, comme les entreprises traditionnelles, doivent payer leur juste part du financement de nos biens et services publics. Or, actuellement dans l’Union – le chiffre est frappant –, le taux d’imposition effectif des entreprises du numérique serait plus de deux fois moins élevé (10 % en moyenne) que celui appliqué aux entreprises traditionnelles (23 %) ! Nous avons par ailleurs des raisons de penser que ce ne sont pas les plus grosses entreprises qui paient ces 10 %, mais plutôt toutes les autres.

Vous me demandiez comment nous travaillions avec l’OCDE. Je vous l’ai dit : bien. Je pense que la fiscalité des entreprises du numérique est un problème mondial, que nous devons traiter à l’échelle internationale. C’est pourquoi la Commission est favorable à ce que nous attendions la conclusion des travaux de l’OCDE sur la présence digitale, afin d’identifier correctement la base taxable.

Je considère que nous devons proposer, dans le cadre européen, une réponse globale et structurelle pour faire face à ce problème global et structurel. L’adoption d’une ACCIS rendrait ce principe effectif dans toute l’Union. La Commission continue donc de militer en faveur de l’ACCIS. Toutefois, des « remèdes à court terme » – appelés quick fix dans le vocabulaire bruxellois – peuvent également être examinés, mais à deux conditions : qu’ils soient opérationnels et n’éliminent pas des solutions plus structurelles. Nous sommes prêts à examiner toutes les options – je dis bien, toutes les options. Une première discussion a eu lieu au sommet de Tallinn la semaine dernière, qui a permis de fixer un agenda. Au printemps 2018, la Commission déposera sa proposition, qui doit être, je le répète, la plus ambitieuse possible : il ne s’agit pas de mettre une rustine sur un pneu crevé, mais de changer la roue, d’inventer la fiscalité des entreprises du XXIe siècle !

J’aborderai un dernier point : l’approfondissement du marché intérieur. Dans ce domaine, nous tentons de mettre fin aux dysfonctionnements dus à la fragmentation du marché intérieur. Les entreprises sont encore trop contraintes par leurs frontières nationales ; elles ont du mal à étendre leurs activités au-delà. Quand elles le font, ce n’est pas toujours dans les meilleures conditions. Dans quelques heures, je ferai, au nom de la Commission, une proposition qui posera les bases d’un espace de TVA européen unique. Concrètement, aujourd’hui, lors d’opérations transfrontalières, l’exemption de TVA aboutit à ce que l’on appelle la fraude « carrousel » : des entreprises disparaissent tout à coup à l’importation. En conséquence, les pertes de recettes de TVA sont considérables : 50 milliards d’euros par an ! Imaginez comment les services publics pourraient bénéficier de cet argent... Par ailleurs, on le sait, ces 50 milliards d’euros sont orientés vers des activités criminelles, voire vers le financement du terrorisme.

Concrètement, nous allons simplement proposer que les transactions de biens et services nationales et transfrontalières soient traitées de la même manière. C’est tellement simple et efficace que l’on estime que cela peut supprimer 80 % de la fraude à la TVA transfrontalière... Par ailleurs, ce sera un système beaucoup moins fragmenté et beaucoup plus simple pour les entreprises, qui encouragera donc leur activité au-delà de leur marché national.

Un mot encore : monsieur le président, vous m’avez interrogé sur les taux de TVA. Ma doctrine est très simple en la matière. J’ai été ministre des finances et je me souviens, à l’époque, d’avoir dialogué avec des professionnels qui me demandaient de fixer des taux réduits sur les e-books, la presse en ligne ou la filière équine... Je sais que ces choix ne sont pas simples. Je pense néanmoins qu’il vaut mieux les faire à Paris qu’à Bruxelles. Je suis favorable à la subsidiarité en la matière et, pour être extrêmement clair, je pense que les capitales doivent pouvoir plus facilement fixer les taux réduits de TVA, même s’il faut, ensuite, organiser des compensations. La liste centralisée dont nous disposons actuellement a vieilli, on ne peut nier sa part d’arbitraire et elle n’est pas adaptée aux situations nationales. Ce n’est donc pas la bonne solution. La Commission ne doit pas être une forme de Léviathan qui concentre tous les pouvoirs. Sur ce sujet, je suis très clairement pour la subsidiarité.

J’invite vos deux commissions à suivre de près les développements européens en matière de fiscalité et à peser dans le débat. Pourquoi ? Parce que si la Commission propose, ce sont les États membres qui disposent... Les États membres, ce sont bien sûr les gouvernements, mais aussi les parlements. Je vous invite également à aborder les échéances budgétaires de l’automne avec, à l’esprit, les éléments de cadrage européens que j’ai énoncés. En effet, désormais, l’élaboration d’un projet de loi de finances associe de manière étroite le cadre national – qui est premier – et le cadre européen, qui n’est pas un cadre contraint mais celui que nous avons choisi : ces règles ont été forgées pendant la crise, par et pour les États membres.

Je considère qu’il est extrêmement bienvenu que la France parle d’une voix forte sur la scène européenne, que c’est le bon moment, compte tenu de la fenêtre d’opportunité que j’évoquais. Cette voix sera d’autant plus forte que la France sera exemplaire sur le front des finances publiques. Les avancées en matière fiscale seront d’autant plus fortes que la France sera une force de proposition. Tout cela est de votre ressort – également un peu du mien. C’est la raison pour laquelle je vous redis ma disponibilité pour dialoguer avec vos commissions, chaque fois que vous le souhaiterez.

M. le président Éric Woerth. Les 50 milliards d’euros de fraude que vous avez évoqués sont peut-être plus virtuels que réels : le carrousel provoque de l’évaporation fiscale, mais beaucoup de carrousels reposent sur des activités économiques fictives. Les services fiscaux qui traitant ces dossiers en France le voient tous les jours. Il y a évidemment une énorme poche de fraude due à la TVA, mais la TVA elle-même entretient des activités tout à fait factices, qui permettent simplement de récupérer de la TVA, avant que les sociétés ne disparaissent.

M. Joël Giraud, rapporteur général. Monsieur le commissaire, je vous remercie pour votre exposé plus qu’offensif. Il est à la mesure des défis que doit affronter l’Europe. Un défi monétaire, avec la nécessaire réforme de la gouvernance de la zone euro ; un défi fiscal, avec l’indispensable harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés et la lutte contre l’optimisation fiscale agressive ; un défi budgétaire et lié à la dette, avec notamment le sujet de la Grèce.

Mais au-delà de ces défis, il faut aussi donner au projet européen un sens et un contenu dans lequel les populations puissent se retrouver. Je salue à ce titre le discours qu’a tenu le Président de la République à la Sorbonne, mais également vos propos liminaires.

Je souhaiterais vous poser trois questions plus précises sur chacun de ces défis.

La première porte sur le défi monétaire. Une zone monétaire commune sans budget fédéral commun suffisant suppose qu’il n’y ait pas de déséquilibres macroéconomiques importants entre les balances commerciales des différents pays. Pouvez-vous confirmer que la Commission européenne a identifié des déséquilibres macroéconomiques en Allemagne, notamment liés à des excédents commerciaux ? Pourriez-vous nous rappeler les recommandations que la Commission a adressées à l’Allemagne pour corriger ces déséquilibres ? D’une manière plus générale, quelles pourraient être les voies d’un compromis avec l’Allemagne pour une réforme de la zone euro, y compris si les changements politiques au Bundestag impliquent au ministère des finances une plus grande présence FDP, qui n’a pas toujours eu les mêmes positions que ses partenaires sur ces sujets...

Ma deuxième question porte sur le défi fiscal, et plus particulièrement sur le serpent de mer de l’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, le fameux projet ACCIS. Pouvez-vous nous indiquer précisément les points de blocage et le calendrier prévu ? Où en sont les négociations sur les propositions de directive ACCIS ?

Je voudrais aussi appeler votre attention sur deux points plus techniques, mais néanmoins cruciaux : le crédit d’impôt recherche et les normes comptables. La proposition d’ACCIS prévoit une « super-déduction » des dépenses de recherche. Ce dispositif sera-t-il compatible avec notre crédit d’impôt recherche ? Par ailleurs, l’harmonisation de l’assiette de l’impôt ne suffira pas sans harmonisation complète des règles comptables en Europe. Dans le cas contraire, un groupe de sociétés pourrait se trouver confronté à l’application, d’un État à l’autre, de règles différentes dans une même situation – par exemple s’agissant des charges déductibles. L’objectif de simplification poursuivi par l’ACCIS ne risque-t-il pas de pâtir de ces défauts techniques ?

Vous vous êtes largement exprimé sur le numérique, je ne reviendrai donc pas sur ce point.

S’agissant enfin du défi budgétaire et la question de la dette souveraine, je voudrais vous interroger sur la Grèce et la France. J’observe que la Grèce est sortie de la procédure de déficit excessif avant nous. Pensez-vous que le temps est venu de renégocier la dette grecque pour abattre définitivement cette épée de Damoclès qui menace le projet européen ?

Pour ce qui concerne la France, j’observe que l’année dernière, à la même époque, vous aviez été plus optimiste que le Haut Conseil des finances publiques, et vous aviez raison puisque vous indiquiez qu’un retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB était « jouable ». Maintenant que la partie est terminée, pensez-vous que le but a été atteint ? Que pensez-vous de la prévision de déficit pour 2018 et du rythme de réduction des déficits proposé par le Gouvernement français ?

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur spécial pour les affaires européennes. Député d’une circonscription qui jouxte les frontières belge et luxembourgeoise, nouveau rapporteur spécial pour les affaires européennes de la commission des finances, je suis chargé de suivre les finances de l’Union européenne. Le budget de l’Union européenne représente aujourd’hui environ 160 milliards d’euros et la France y contribue à hauteur de plus de 20 milliards d’euros. Cela peut paraître beaucoup. C’est en réalité très peu. La taille de ce budget est faible au regard de la taille de l’économie de l’Union européenne : elle est de l’ordre de 1 % du PIB de l’Union européenne. Ce budget est trop faible pour faire avancer le projet européen, mais également pour garantir l’efficacité économique de la construction européenne.

Au sens de la théorie économique, une zone monétaire optimale nécessite un budget commun, qui permette d’équilibrer les excédents et les déficits commerciaux au sein de la zone. Chacun sait aujourd’hui qu’accroître la taille de ce budget est une des solutions pour empêcher que des déséquilibres commerciaux au sein de la zone euro ne provoquent des crises budgétaires et financières qui pourraient, à terme, menacer le projet européen. À défaut de pouvoir agir au niveau de l’Union, il faut au moins agir au niveau de la zone euro et, comme l’a proposé le Président de la République, prévoir un budget spécifique pour ces dix‑neuf pays, contrôlé par un « Parlement de la zone euro », émanation restreinte du Parlement européen.

Mes questions portent sur les ressources fiscales qui pourraient alimenter ce budget. Vous avez déjà, et largement, répondu à celle que je voulais vous poser à propos de la TVA. Vous êtes en charge des affaires fiscales à la Commission européenne et vous êtes donc probablement aujourd’hui le mieux placé pour nous éclairer. Vos pistes de réflexion peuvent nous être précieuses dans cette période de relance du projet européen. Le Président de la République a proposé que le budget de la zone euro soit alimenté par la taxation du secteur du numérique ou des taxes environnementales. À plus long terme, le budget pourrait également être alimenté par l’impôt sur les sociétés. Qu’en pensez-vous ?

Pensez-vous qu’il faille transférer la composante carbone de notre fiscalité écologique ? Cela se justifierait d’autant plus que la lutte contre le réchauffement climatique et le financement de la transition énergétique sont des enjeux planétaires qui nécessitent aujourd’hui d’être traités à un niveau européen.

Enfin, pensez-vous qu’un « panier de fiscalité » soit la solution la plus appropriée pour cumuler les avantages de ces différentes pistes et amoindrir, de facto, leurs inconvénients ?

M. Alexandre Holroyd. Vous êtes le plus haut responsable français qui nous représente à Bruxelles. Vous côtoyez au quotidien nos partenaires européens. Pouvez-vous nous donner une indication de l’accueil que le discours du Président de la République à la Sorbonne a reçu, à la fois à la Commission et dans les institutions européennes, mais également chez nos partenaires européens. Des blocages se dessinent-ils parmi les différents États membres ? Si certains responsables politiques français ont commenté l’accueil réservé au discours par la Chancellerie allemande, il est difficile de savoir quel a été vraiment cet accueil : même la Chancellerie ne s’en souvient plus...

Une question plus technique : début septembre, vous avez fait au Forum Ambrosetti un discours dans lequel vous appeliez déjà de vos vœux la création d’un Trésor européen. Vous faisiez alors référence à un mécanisme qui pourrait assurer la discipline budgétaire, se fondant non pas sur des pénalités mais sur des incitations. Pourriez-vous détailler la forme et les modalités de ce mécanisme ?

Mme Marie-Christine Dalloz. En France, l’effort de réduction du déficit structurel est fixé à 0,1 % pour 2018, quand la norme prévue par le pacte de stabilité et de croissance est de 0,5 %. Quel est votre sentiment ? Comment pensez-vous que les négociations avec la Commission européenne peuvent avancer avec un tel écart ? Lors de votre audition de l’année dernière, vous aviez beaucoup insisté sur le pourcentage de relance budgétaire dans le PIB. À quel niveau le situez-vous dans le PLF 2018 ? Enfin, les réformes structurelles annoncées en France – mais pas encore mises en œuvre –, ainsi que celles encore à l’état de projet, vous semblent-elles d’un niveau satisfaisant pour ramener la France à un niveau de déficit acceptable ?

Concernant l’Europe, je vous poserai trois questions plus générales. Où en est-on de la négociation relative au Brexit ? Avance-t-on ? Ce n’est pas uniquement une question européenne ou française ; l’ensemble de la zone euro va être concerné.

Vous avez évoqué la taxe sur les transactions financières. L’an dernier, vous nous aviez indiqué être encore dans des débats techniques. Aujourd’hui, en est-on enfin sorti ? N’y a-t-il pas plutôt un blocage politique des États membres ?

L’Europe est une matière qui bouge énormément, chaque élection dans un pays porte à conséquences. Que pensez-vous des orientations et incertitudes géostratégiques après les élections allemandes ?

M. Charles de Courson. Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, déposé mercredi dernier, indique que le déficit structurel baissera de 0,1 point en 2018, vous l’avez rappelé, puis de 0,3 point en 2019 et de 0,2 point en 2020. Estimez-vous que ces prévisions sont compatibles avec les engagements européens de la France ?

D’autre part, en 2019, les 20 milliards d’euros que représente le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) seront transformés en allégement de charges sociales moyennant un surcoût temporaire de 20 milliards pour cette année-là, ce qui entraînera une remontée du déficit budgétaire à 3 % ; jugez-vous un tel niveau de déficit eurocompatible ?

M. Jean-Louis Bricout. Il existe en effet un besoin d’Europe et c’est peu dire que dans les territoires ruraux qui souffrent de fragilités structurelles comme mon département, l’Aisne, l’Europe est parfois moins perçue comme une chance que comme un facteur de dérégulation. La pédagogie est donc de rigueur. Vous nous avez dit votre attachement à la justice fiscale et prônez une dépense publique maîtrisée et intelligente. Que pensez-vous de l’intelligence et de l’efficacité des dispositifs qu’a récemment présentés le Gouvernement ?

Pour faire davantage œuvre de pédagogie à l’heure où les mécanismes de l’impôt sont si décriés et où il nous faut, sur le plan intérieur, expliquer clairement pourquoi ils sont nécessaires, en particulier pour maintenir un service public de proximité, comment nos concitoyens peuvent-ils comprendre les reculades et tâtonnements bruxellois sur la position des gens du web ? Vous l’avez rappelé, la fiscalisation de l’économie numérique s’établit au taux très faible de 10 %. Vous avez évoqué une assiette commune consolidée et attendez les résultats des travaux de la commission ; quel est votre point de vue personnel sur ces sujets ?

Enfin, que pensez-vous de l’évolution à venir de la monnaie européenne dans un contexte de très forte hausse qui pourrait pénaliser durablement la croissance ? Le risque est-il élevé ?

M. Éric Coquerel. Dans son discours sur l’état de l’Union du 13 septembre, M. Juncker expliquait que les mesures concernant les investissements directs étrangers et les mécanismes de surveillance visent particulièrement la Chine. Je ne nie pas la nécessité de conclure des accords commerciaux donnant-donnant avec ce pays, mais je m’étonne qu’il soit depuis quelques temps le seul que l’on cite ; il me semble que d’autres puissances économiques devraient être concernées. De surcroît, je m’étonne que M. Juncker ait cru bon, au nom de tous les pays européens, de décider de l’application de l’accord économique et commercial global – dit CETA pour Comprehensive Economic and Trade Agreement – entre l’Union européenne et le Canada alors que l’Assemblée nationale n’en a pas discuté. Qu’en pensez-vous ?

Seconde question : vous avez rappelé que votre mission repose sur un trépied – réformes structurelles, investissement et efforts budgétaires. Depuis quelques temps, il nous est souvent donné en exemple un pays qui démontrerait l’efficacité de ces politiques : l’Espagne. Ne pensez-vous pas que la politique d’austérité, de dérégulation et de « réformes structurelles » appliquée à ce pays a un lien avec le recul du consentement national et de la cohésion nationale, qui se manifeste notamment par la question de l’indépendance de la Catalogne, même si je n’ignore naturellement pas les caractéristiques historiques de l’Espagne ? Un tel mouvement apparaît également en Italie du Nord. Là encore, quel est votre point de vue ?

À l’inverse, il existe un pays que l’on ne cite jamais en exemple : le Portugal. Ce pays où le salaire minimal augmente de 5 % par an a mis fin au programme de privatisations, a revalorisé les petites retraites, a relevé les salaires des fonctionnaires à leur niveau antérieur, a rétabli les 35 heures dans la fonction publique, a réinstauré quatre jours fériés, a élargi les critères d’attribution des minima sociaux, a instauré une taxe sur l’énergie et les banques et a adopté un tarif social de l’énergie. Or, qu’observe-t-on ? La croissance redémarre – elle est de 1,6 % en 2017 alors qu’elle était négative de 4 % en 2013 – et le chômage recule, s’établissant à 9,8 % en 2017 contre 17,5 % en 2013. Les déficits publics se réduisent, à 2 % du PIB en 2017 contre 11,2 % en 2010. Enfin, les déficits commerciaux se réduisent : alors que le solde était de -10 % en 2010, il était s’établissait à 0,4 % en 2017. J’ai bien compris que le Portugal ne correspondait pas aux politiques que propose la Commission européenne, mais pourquoi n’est-il jamais cité en exemple ? Que pensez-vous de ses excellents résultats qui sont dus à une politique de relance de l’activité ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Comment envisagez-vous, monsieur le commissaire, les perspectives d’une fiscalisation du secteur numérique ? Plus précisément, quelle est la matière fiscale qui, selon vous, doit être frappée par une telle fiscalisation ? Le Gouvernement français considère que la seule donnée pouvant être prise en compte est le chiffre d’affaires des géants du numérique. Qu’en pensez-vous et y a-t-il une autre réponse ?

D’autre part, combien d’États doivent être impliqués ? Une révolution – ou disons une réforme – de cet ordre n’a-t-elle d’intérêt que si elle engage l’ensemble des États de l’Union européenne ou doit-elle donner lieu à des coopérations structurées, sachant que cela présenterait le risque de laisser de côté des États comme l’Irlande qui accueillent précisément les activités de ces géants ?

Enfin, sur quelle base politique et diplomatique envisagez-vous de convaincre un certain nombre d’États très réservés au sujet de telles mesures, comme le Luxembourg ou l’Irlande, de changer d’attitude ? Qu’avez-vous à leur offrir, étant rappelé que suite à la condamnation de leur comportement concernant Google, les Irlandais refusent catégoriquement de faire payer Google et de respecter les injonctions qui leur sont faites par la Commission européenne ?

M. Éric Alauzet. Ma question sera très pointue – ou plutôt ciblée. Le contrôle des moyens de paiement est efficace contre le terrorisme mais aussi en faveur du développement durable. En 2011, la France a voté l’interdiction des paiements en espèces concernant les transactions des métaux afin de lutter contre les trafics de déchets électriques. Cette mesure très efficace atteint aujourd’hui ses limites : les trafics transfrontaliers se développent et empêchent la filière légale d’atteindre ses objectifs de collecte. Il est donc nécessaire de généraliser cette interdiction des paiements en espèces à l’échelle européenne – généralisation en faveur de laquelle vous vous étiez d’ailleurs prononcé en 2012, monsieur le commissaire, alors que vous étiez ministre de l’économie. En février 2017, vos services ont lancé cette réflexion au niveau européen sous la forme d’une initiative sur la restriction des paiements, qui doit donner lieu à une étude d’impact et, nous l’espérons, à une directive ou à un règlement. Nous avons là une occasion unique à saisir pour lutter contre les trafics. Pouvez‑vous nous confirmer qu’un texte législatif est prévu et, le cas échéant, nous en préciser le calendrier afin de rassurer l’Assemblée quant à l’extension européenne de cette règle française ?

Mme Sophie Auconie. Vous avez indiqué, monsieur le commissaire, que la Commission s’orientait vers l’attribution aux États membres de l’Union de la compétence relative à la délimitation du champ d’application des taux réduits de TVA. Selon quel calendrier cette démarche aura-t-elle lieu au sein des institutions européennes, et quand la décision sera-t-elle applicable en France ?

M. Patrick Hetzel. Au lendemain de la présentation par le Président de la République de son plan pour relancer l’Europe, vous avez déclaré, monsieur le commissaire, que pour montrer l’exemple en Europe, il faut d’abord être exemplaire chez soi. Ma question est donc aussi simple que claire : quels sont les points sur lesquels vous estimez que nous ne sommes pas exemplaires ?

M. Ludovic Mendes. Ma question, monsieur le commissaire, a trait à l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), qui est l’autorité de surveillance directe de certains secteurs des marchés de capitaux dans l’ensemble de l’Union européenne. Ne faudrait-il pas aller plus loin, puisqu’un élargissement de la portée de l’autorité de l’AEMF requiert une réforme de sa gouvernance et de son financement, qui limitent actuellement son indépendance et ses capacités ? Dans ces conditions, l’AEMF ne pourrait-elle pas être gérée par un conseil exécutif de cinq ou six membres exerçant à plein-temps sous l’œil avisé du Parlement européen, en lieu et place du conseil des représentants nationaux ? Cela permettrait de surmonter les distorsions découlant des intérêts nationaux en présence. En outre, la réforme de l’AEMF devrait porter principalement sur les segments de marché sur lesquels l’activité de l’Union est actuellement la plus concentrée à Londres, à savoir la banque de gros.

D’autre part, quelles mesures sont prises pour maîtriser les risques liés au développement du financement de l’économie par des entités qui ne relèvent pas du système bancaire comme les assurances ou les gestionnaires d’actifs ? Plus profondément, l’absence d’harmonisation fiscale n’est-elle pas l’un des principaux obstacles à l’union des marchés des capitaux ?

M. le commissaire européen. S’agissant de la fraude à la TVA, une question que vous connaissez très bien, monsieur le président Woerth, pour avoir été ministre du budget, il ne s’agit pas seulement d’un manque à gagner ; il existe des sociétés factices qui obtiennent le « remboursement » de la TVA sur la base de transactions fictives qui, faute de temps, ne sont pas contrôlées ; c’est donc une fraude bien concrète. Sur 50 milliards d’euros liés à la fraude, on estime que 40 milliards sont récupérables, soit 80 %, comme je l’évoquais. Nous ne sommes donc pas en désaccord, et les différents gouvernements qui se sont succédé ont d’ailleurs engagé des plans de lutte contre la fraude, notamment la fraude à la TVA et la fraude « carrousel », que j’incite à poursuivre jusqu’à l’adoption de la directive TVA – ce qui pourrait prendre du temps puisque la date attendue est 2022, sachant qu’il faut dans l’intervalle mettre en place de nouveaux systèmes informatiques complexes et coûteux. Il va de soi que le changement ne se fera donc pas du jour au lendemain.

M. le rapporteur général, que je salue, m’a interrogé sur le défi de la zone euro. Sans exposer en détail l’architecture à laquelle je crois, je dirai simplement que le triptyque présenté par le Président de la République française – budget, ministre des finances et parlement de la zone euro – auquel j’ajouterai un Trésor de la zone euro, est celui vers lequel nous devons tendre. C’est une question d’efficacité et de démocratie, la démocratie étant d’ailleurs un facteur d’efficacité, car une décision prise à quelques-uns sans contrôle n’est pas la même qu’une décision prise sous le contrôle d’un parlement.

Reste à résoudre la question des déséquilibres macroéconomiques. La Commission a formulé de nombreuses recommandations à ce sujet. Je vous rappelle que les règles communes imposent un seuil de balance courante excédentaire de 6 % du PIB alors que celui de l’Allemagne s’établit à 9 % et celui des Pays-Bas, qu’il ne faut pas oublier, à 7 %. Les règles comportent des mesures incitant les États à agir mais pas de sanctions. De ce point de vue, les deux procédures dont j’ai la charge – celle de déficit excessif et celle de déséquilibre macroéconomique – n’ont ni la même efficacité, ni la même effectivité. La première est assortie de sanctions, la seconde ne comporte que des sanctions théoriques qui, pour être déclenchées, doivent recueillir l’assentiment de tous les États, y compris les États concernés. Il est donc nécessaire d’exercer une pression politique dans le cadre budgétaire de la zone euro pour remédier à ce problème de déséquilibre. Les recommandations que nous adressons à l’Allemagne sont bien connues : nous estimons que ce pays connaît un déficit d’investissement, en particulier dans les infrastructures mais aussi en général, en vue de contribuer à la croissance de l’ensemble de la zone euro. Je ne passe pas sous silence le fait que le gouvernement fédéral a déjà augmenté les investissements et qu’un plan de 15 milliards d’euros a été lancé – à raison de 10 milliards au niveau fédéral et 5 milliards à celui des Länder –, mais ce n’est pas encore à la hauteur de ce qu’il conviendrait de faire. Nous poursuivrons cette discussion avec nos amis allemands, y compris dans le cadre du débat sur l’avenir de la zone euro.

J’en viens à la proposition ACCIS, que la Commission a faite en octobre 2016 et sur laquelle les travaux sont déjà en cours. La balle est dans le camp des États membres. Il s’agit d’une décision fiscale majeure qui requiert l’unanimité. Nous avons repris une proposition qui existait au début des années 2010 mais qui n’a rien donné, et nous l’avons modifiée. Tout d’abord, nous proposons de procéder en deux temps – l’établissement de l’assiette commune puis sa consolidation – afin de faciliter la conclusion d’un accord. Puis nous avons pris plusieurs mesures incitant à investir, notamment dans le secteur de la recherche-développement. Nous pourrions au printemps prochain ajouter à l’ACCIS la base numérique, qui dépend de la « présence digitale », fondée sur une analyse des données numériques. Quoi qu’il en soit, nous devons parvenir à un accord avant la fin du mandat de cette Commission, à la fin 2019.

Vous demandez, monsieur le rapporteur général, si les incitations fiscales sont compatibles avec le crédit d’impôt recherche que vous avez décidé de sanctuariser – du moins cela semble-t-il être l’esprit du Gouvernement et de l’Assemblée et l’on peut se réjouir de cette orientation qui recoupe les précédentes. Non, le crédit d’impôt recherche n’est visé en rien. Concernant les incitations fiscales en matière de recherche et d’innovation, je rappelle que le blocage vient plutôt de l’Allemagne et des Pays-Bas, tandis que la France soutient clairement la démarche. N’ayez donc aucune inquiétude à cet égard.

J’en viens à la Grèce, qui est en effet sortie de la procédure de déficit excessif mais qui conserve une dette énorme correspondant à environ 180 % de son PIB. Un processus vertueux est en cours : les réformes engagées en Grèce permettent d’envisager la conclusion du programme grec à l’été 2018 ; c’est ce à quoi nous travaillons. Ensuite, nous pourrons aborder la question de la dette de manière plus ambitieuse en proposant des solutions non seulement à court terme mais aussi à long terme. La Commission est très mobilisée sur ce sujet, comme l’est la France. Mieux vaut être français que d’une autre nationalité pour les membres de la Commission qui se promènent dans les rues d’Athènes, ce qui prouve bien que nous n’avons pas mené une action d’austérité. Ce n’est pas l’austérité qui a créé la crise en Grèce ; c’est le fait que l’économie était largement fictive et les finances publiques falsifiées, d’où l’adoption des réformes nécessaires. La Commission et la France ont toujours insisté pour refuser le Grexit et pour trouver des solutions à la fois humaines et politiquement intelligentes.

Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur les déficits structurels. J’ai rappelé en introduction, monsieur de Courson, la règle des 0,6 % du PIB, ainsi que les déviations autorisées. Dans ce contexte, je répète qu’en 2018, avec une baisse de 0,1 %, la France atteint la limite de la déviation autorisée ; sur ce point, nous poursuivrons le dialogue avec les autorités françaises dans les années qui viennent. Cela étant, il ne s’agit pas de pénaliser la croissance et il faut utiliser les possibilités existantes de flexibilité de manière intelligente et appropriée.

Quant au CICE, monsieur de Courson, la programmation des finances publiques prévoit un ressaut du déficit à 3 % en 2019 en raison de la transformation de ce crédit d’impôt en charge sociale. Il est encore trop tôt pour en parler ; cela pourrait être considéré comme une opération ponctuelle qui n’affecterait pas l’appréciation portée par la Commission sur les finances publiques françaises, mais c’est in fine la direction générale ESTAT qui l’établira, et nous aurons de nouveau cette discussion – vous et moi serons encore là dans un an – lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2019. En attendant, il ne me semble pas que cette situation crée en soi une incompatibilité fondamentale avec les règles applicables aux finances publiques.

Qui dit budget de l’Union européenne et budget de la zone euro, monsieur Paluszkiewicz, dit travail sur les ressources ; le problème peut s’envisager dans tous les sens. Je crois depuis longtemps que l’on ne saurait se contenter de ce qui existe aujourd’hui, à savoir les contributions nationales au budget européen, et qu’il faut s’orienter vers un véritable système de ressources propres. Permettez-moi à cet égard de vous faire une recommandation : un groupe de haut niveau présidé par M. Mario Monti, ancien président du Conseil italien – que votre commission des affaires européennes pourrait au besoin interroger – a rédigé un rapport sur les ressources propres de l’Union. Le Président de la République a exprimé sa préférence ; on peut envisager tout un panier d’options. J’estime que le temps d’une fiscalité énergétique doit venir, hélas pas pendant le mandat de la Commission actuelle – si j’avais un regret, car il m’arrive d’en avoir, ce serait précisément de ne pas avoir pu lancer ce chantier. Quant à la taxe sur les transactions financières, j’ai noté que le Président de la République en a fait une priorité et j’oserais même dire qu’il n’est pas nécessaire d’attendre. Une coopération renforcée entre dix États membres dont les principales économies de la zone euro – France, Allemagne, Espagne et Italie – est en cours de négociation et il suffirait d’une volonté politique pour conclure les discussions techniques, madame Dalloz. Je souhaite que tous les gouvernements concernés manifestent cette volonté afin que puisse émerger assez vite une taxe sur les transactions financières. Rien n’oblige à recommencer tout le processus, j’en suis convaincu ; au contraire, il faut accélérer.

Incontestablement, monsieur Holroyd, le discours du Président de la République est important. Le sommet informel sur le numérique qui s’est déroulé la semaine dernière à Tallinn a en réalité été précédé d’un dîner autour de ce discours et de celui du président de la Commission, qui peuvent se lire comme les deux faces d’une même pièce car ils contiennent certes des différences, mais surtout de nombreux points de convergence. À l’évidence, il est trop tôt pour cerner quels seront les blocs, les alliés, les réticences, et il faut aussi attendre la formation de la coalition de gouvernement en Allemagne. À titre personnel – mais je sais que mon point de vue recoupe celui de la Commission et de nombreux États membres –, j’estime que le discours de M. Macron comptera et qu’il se situe au bon niveau. Sans doute toutes les propositions qu’il contient ne seront-elles pas réalisées in fine. Ayant pratiqué les institutions européennes en tant que parlementaire national et européen puis en tant que ministre et commissaire, je crois pouvoir dire ceci : il faut être capable de faire des compromis, ce qui suppose que chacun renonce à certaines choses ou s’efforce d’atterrir. À cet égard, le discours de Jean-Claude Juncker est à lire car, étant luxembourgeois, M. Juncker, qui possède la double culture française et allemande et connaît la droite et la gauche « en même temps », n’est pas insusceptible de réfléchir à des compromis.

Pour ce qui est de changer les règles afin d’adopter un système incitatif, je dois certes faire appliquer les règles puisque je suis le gardien de la surveillance budgétaire, mais je suis persuadé que cela peut se faire de manière intelligente. Les règles ne sont pas conçues pour pénaliser la croissance et nous devons réfléchir à la manière de les appliquer intelligemment. La Commission est ouverte à cette réflexion et s’engagera en ce sens.

Les réformes structurelles, madame Dalloz, sont complémentaires de l’action conduite en matière de déficits. Nos recommandations concernant la France portent sur la stabilité budgétaire, l’amélioration de la compétitivité – grâce, notamment, à la modernisation de secteurs-clefs tels que le transport ferroviaire et l’énergie – ainsi que les systèmes de retraites et de formation professionnelle. Il va de soi que le lancement de réformes structurelles conforte l’exemplarité et la crédibilité, et renforce la main de qui veut ensuite engager une discussion sur la zone euro.

S’agissant du Brexit, Michel Barnier, notre négociateur, a récemment dit ce qu’il fallait dire : nous avançons mais les progrès sont encore insuffisants pour passer à la deuxième phase de négociation. L’Union européenne a une position extrêmement forte et cohérente pour trois raisons. La première, c’est qu’elle repose sur des principes fermes. La deuxième tient au fait qu’elle répond à un enchaînement de séquences consistant à déterminer d’abord les termes du divorce avant d’envisager l’avenir des enfants communs, ce qui suppose de régler les questions financières, celle des droits des citoyens, celle de l’Irlande du Nord ; ensuite seulement, nous pourrons parler de l’avenir, dans lequel nos liens seront naturellement proches car si le Royaume-Uni ne sera plus demain un pays de l’Union européenne, il restera un pays européen avec lequel nous entretiendrons une coopération multiple. Troisième facteur de force : l’unité de la position européenne. Michel Barnier ne s’exprime pas en son nom propre mais en celui de toute la Commission et de toute l’Union européenne, ce qui lui donne une grande force. Pour clarifier, toutefois, il faut être deux ; nous attendons donc de parvenir au terme du processus.

J’ai répondu sur l’Allemagne et je ne veux faire aucune spéculation sur la coalition à venir ; je me contenterai de répéter que je ne suis pas inquiet. Ce n’est pas une question de sympathie personnelle pour tel ou tel, mais je crois que l’Allemagne est fondamentalement un grand partenaire européen et je suis convaincu que Mme Merkel, qui entame son dernier mandat, aura à cœur de laisser au cours de cette phase ultime un héritage européen.

Il faut absolument faire en sorte, monsieur Bricout, de rendre la dépense publique plus intelligente. C’est à vous, et non à moi, qu’il appartient d’évaluer le projet de loi de finances, mais j’ai tout de même donné une indication en début d’intervention : il me semble judicieux de passer de la méthode du rabot à une approche plus structurelle, et il faut poursuivre dans cette direction. C’est à l’aune de la qualité de la dépense publique que l’on juge de plus en plus les budgets, et non plus seulement de sa quantité.

Pour ce qui est de la fiscalité numérique, j’estime que la meilleure solution est celle qui est la plus ambitieuse et la plus internationale. C’est pourquoi je continue de militer pour que l’on avance avec l’OCDE et non pas contre ou sans elle. D’autre part, nous disposons à l’échelle européenne d’un outil – la proposition ACCIS – beaucoup plus puissant que n’importe quel autre car il résout plusieurs problèmes : celui du seuil de chiffre d’affaires, fixé à 750 millions d’euros, celui de la base taxable, qui sera constituée des profits, celui du transfert de bénéfices d’un État à l’autre, qui disparaît avec l’assiette commune consolidée. Enfin, nous pouvons nicher dans cette mesure les travaux de l’OCDE sur la présence numérique. Je le dis clairement : mieux vaut apporter une réponse structurelle et globale à un problème structurel et global. La proposition française est donc bienvenue car elle conforte un mouvement engagé en la matière ; reste à en examiner la mise en œuvre, à déterminer s’il existe ou non des risques de double taxation et d’effets de seuil et, surtout, à s’assurer de l’absence de contradiction entre les différentes démarches. Si nous prenons une décision intermédiaire, elle doit être vraiment intermédiaire ; évitons de reproduire le fameux régime temporaire de la TVA qui a duré vingt-cinq ans et empêché dans l’intervalle de traiter les vrais problèmes. C’est ainsi que la Commission envisage le sujet : de manière ouverte, en posant toutes les options sur la table et avec ambition. Au printemps 2018, nous présenterons une proposition qui, je l’espère, sera forte.

La question de l’euro doit être surveillée – davantage par la Banque centrale européenne que par la Commission, d’ailleurs. À ce stade, nous n’observons pas d’impact sur la compétitivité de la hausse de l’euro – qui n’est pas supérieure aux hausses enregistrées dans le passé –, ce qui prouve que la compétitivité n’est pas qu’une affaire de prix ou de monnaie mais une question bien plus fondamentale.

S’agissant des investissements directs étrangers, monsieur Coquerel, le président Juncker – comme le Président Macron – a dit que l’Europe devait protéger, et la Commission opère une sorte de révolution copernicienne en la matière, estimant qu’il faut mieux contrôler ces investissements et que, s’ils ne respectent pas les principes de concurrence, il doit être possible de prendre un certain nombre de mesures. Les entreprises chinoises ne sont pas les seules visées ; il s’agit d’un mécanisme général qui ne saurait être discriminatoire, qui pourrait tout aussi bien concerner des fonds souverains de pays du Golfe ou d’autres. Cette démarche globale se caractérise surtout par un changement d’attitude.

Le CETA est d’application provisoire et a été signé par tous les États membres, mais il faut désormais attendre leur accord pour qu’il soit ratifié ; c’est la procédure ordinaire d’adoption de tels accords. À titre personnel, j’estime, même s’il peut toujours exister des manquements, que cet accord se situe plutôt dans le haut du panier, en termes de qualité, par rapport à d’autres accords de la sorte que nous avons conclus dans le passé.

Quant au Portugal, je suis d’accord avec vous sur un point, monsieur Coquerel : s’il est bon d’être français pour les membres de la Commission qui se rendent à Athènes, il l’est tout autant dans les rues de Lisbonne parce que nous travaillons extrêmement bien avec le gouvernement d’António Costa, qui se trouve être un ami personnel très proche – nous étions vice-présidents du Parlement européen ensemble. Vous pourrez citer tous les chiffres que vous voulez, monsieur le député, mais il reste le fait suivant : ce gouvernement fait baisser les déficits de manière considérable – il s’établit autour de 1 % –, qu’il s’agisse des déficits nominaux mais aussi des déficits structurels. Je ne veux pas porter de jugement sur la politique portugaise mais regardez-y de plus près : c’est un gouvernement qui reste attaché aux grands équilibres. Sans doute n’est-ce pas ce que votre formation politique propose, mais c’est ce que font António Costa et ceux qui le soutiennent.

Vous avez compris, monsieur Bourlanges, que le chiffre d’affaires des entreprises ne constitue qu’une base possible parmi d’autres pour instaurer une fiscalité numérique ; allons vers l’objectif le plus ambitieux. Peut-on envisager une coopération structurée et renforcée dans ce domaine ? C’est toujours possible, mais je serais prudent à ce propos. L’instauration de deux, trois ou même vingt-sept bases taxables dans le secteur numérique présente le risque de provoquer l’émergence de paradis numériques. Une coopération renforcée risque donc d’accroître l’attractivité des pays qui n’y participeront pas. Sur un sujet tel que celui-ci, l’approche à vingt-sept me semble donc être de très loin la meilleure. Quant à Google, la Commission annoncera dans quelques heures sa réaction, par la voix de ma collègue Margrethe Vestager, qui tiendra une conférence de presse juste avant la mienne, au fait que l’Irlande n’a toujours pas entrepris le recouvrement des impôts dus.

J’en viens à la question de M. Alauzet qui, étant député du Doubs, est forcément le plus pointu d’entre nous... J’ai présenté voici quelques mois une proposition visant à limiter les paiements en espèces à 1 000 euros dans un contexte de terrorisme, mais cette limitation doit être applicable à tous les secteurs. La proposition est en discussion au Conseil et doit être adoptée à la majorité qualifiée ; elle me semble faire partie des propositions de bon sens qui devraient se concrétiser rapidement.

Je ferai une proposition sur la TVA à taux réduit à la fin du mois de novembre, madame Auconie. Je n’ai aucune illusion : je sais que les discussions sur la TVA seront longues, car ce sont des sujets très politiques et complexes qui exigent de nombreuses évolutions technologiques et d’importants investissements, notamment pour appliquer le système de TVA transfrontalière. S’agissant des taux réduits, cependant, la décision pourrait être prise rapidement. Il suffit que les États membres acceptent cette charge et ne reportent pas sur Bruxelles des responsabilités qui doivent leur incomber.

Enfin, vous avez raison, monsieur Mendes : l’union des marchés de capitaux est indispensable pour intégrer nos marchés et relancer l’investissement en Europe, et l’AEMF jour un rôle fondamental. La Commission vient de proposer d’accroître ses compétences et ses responsabilités. Nous ferons également des propositions pour approfondir l’union des marchés de capitaux la semaine prochaine ; les États et le Parlement européen en ont formulé beaucoup d’autres, et c’est un sujet à suivre absolument.

Je reste naturellement disponible pour d’autres auditions dans le cadre du semestre européen, pour parler du paquet de la Commission relatif à la zone euro en décembre, et à tout autre moment ; le président Juncker a d’ailleurs demandé aux commissaires d’être présents dans leurs pays d’origine pour participer à l’explication de notre action aux côtés de la représentation permanente, et se rendre devant les parlements nationaux est pour eux une tâche non seulement agréable, mais aussi utile et nécessaire.

Mme la présidente Sabine Thillaye. Je vous remercie, monsieur le commissaire et monsieur le président de la commission des finances, pour cette audition commune qui apporte la preuve que les sujets jugés nationaux sont en réalité européens, et que les sujets européens sont des sujets nationaux. Nous devons davantage mettre cet état de fait en avant pour avancer ensemble.

 

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Membres présents ou excusés

 

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 8 heures 30

 

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Présents - M. Éric Alauzet, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, Mme Sarah El Haïry, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. Romain Grau, M. Stanislas Guerini, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, Mme Valérie Lacroute, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, M. Gilles Le Gendre, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Sylvia Pinel, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Laurent Saint-Martin, M. Olivier Serva, M. Benoit Simian, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Jean-Pierre Vigier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

 

Excusés - M. Nicolas Forissier, Mme Muriel Ressiguier, M. Jacques Savatier

 

Commission des affaires européennes

 

Présents - M. Patrice Anato, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Sophie Auconie, Mme Fannette Charvier, Mme Yolaine de Courson, M. Alexandre Freschi, M. Michel Herbillon, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, M. Ludovic Mendes, M. Éric Straumann, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

 

Excusés - Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Françoise Dumas

 

 

 

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