Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Commissions dévaluation des politiques publiques :

Mission Travail et emploi ; Compte spécial Financement national du développement et de la modernisation de lapprentissage : audition de Mme Muriel PÉnicaud, ministre du travail               2

–  Présences en réunion...........................17

 

 

 


Jeudi
7 juin 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 112

session ordinaire de 2017-2018

 

 

Présidence

 

 

 

de M. Éric Woerth,

Président


  1 

La commission entend, dans le cadre de lévaluation des politiques publiques, Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail sur la mission Travail et emploi et le compte spécial Financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage.

M. le président Éric Woerth. Nous sommes réunis, pour la troisième fois de la journée, en commission d’évaluation des politiques publiques, une formation quelque peu nouvelle structurée autour du travail des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis des autres commissions. Il s’agit de mesurer, pour en tirer les conséquences, l’efficience des politiques publiques pour 2017, la loi de règlement devant être votée dans quelques jours, même s’il est évidemment possible, ici, de déborder le strict exercice 2017.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, rapporteure spéciale pour le travail et lemploi. La France a créé 253 000 emplois dans le secteur privé en 2017, soit une hausse de 1,3 %, ce qui est inédit depuis dix ans et mérite d’être souligné. Nous nous réjouissons donc de cette dynamique positive sans pour autant sous-estimer ce qu’il nous reste à accomplir. La part des demandeurs d’emploi de longue durée est en effet, hélas, en hausse de 1,9 % sur un an. La mobilisation, si j’ose dire, de la mission Travail et emploi, notamment en matière de formation, apparaît ainsi plus que jamais nécessaire.

Nous vous proposons une approche en deux temps avec, en premier lieu, des commentaires sur l’exécution des crédits de l’année 2017, puis, en second lieu, une mise en perspective des choix du Gouvernement par rapport aux enseignements de l’exercice 2017.

Nous soulignons tout d’abord que la loi de finances initiale pour 2017 avait sous‑budgété plusieurs dispositifs comme le plan « 500 000 formations supplémentaires » et les contrats aidés, sous-budgétisations que la Cour des comptes avait évaluées à près d’un milliard d’euros – ce qui témoigne bien d’une budgétisation insincère. Nous nous réjouissons de constater que l’analyse de l’exécution du budget 2017 concernant cette mission conforte les choix effectués par le Gouvernement, soutenu par la majorité ; des choix courageux destinés à maîtriser l’exécution budgétaire et en particulier à éviter le risque de dérapage des contrats aidés ; des choix courageux consistant à réformer ce dispositif, qui a largement contribué à des effets d’aubaine, afin de le centrer sur le bénéficiaire plutôt que sur la structure d’accueil. Ainsi, sur l’ensemble de l’année, la consommation finale des crédits a été légèrement inférieure aux ouvertures de crédits avec 15,62 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 15,57 milliards d’euros en crédits de paiement (CP).

Cette situation maîtrisée doit beaucoup au nouveau gouvernement qui a su, dès l’été, prendre des mesures correctives pour lisser la trajectoire des contrats aidés, dont près de 80 % des crédits avaient été consommés au cours du premier semestre. C’est aussi le cas en matière de formation : alors que le plan « 500 000 formations supplémentaires » a privilégié trop de formations courtes, peu financées et donc peu décisives en matière d’insertion dans l’emploi, le plan d’investissement compétences (PIC) va permettre de monter en gamme, si l’on peut dire, tant en matière de financement que de durée, pour de meilleures chances d’insertion durable dans l’emploi. Enfin, le Gouvernement a tiré les conséquences des effets positifs, en 2017, de l’insertion par l’activité économique (IAE) et de la garantie jeunes, renforcées dans le budget pour 2018.

Nous avons donc pris acte des réussites et des insuffisances de la politique de l’emploi pour la réorienter au profit des dispositifs les plus prometteurs. Néanmoins, nous devons aussi assumer le passé ; or nous constatons des restes à payer importants, à hauteur de 8,7 milliards d’euros, même si cette somme est manifestement surévaluée par rapport à la réalité. En effet, une large partie de ces engagements ne donnera pas lieu à des décaissements réels du fait des aléas inhérents à des dispositifs d’intervention tels que des ruptures de contrat, des désengagements ou des non-demandes d’aides ; mais, à ce jour, la règle comptable consiste à enregistrer la totalité de l’engagement. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions sur ces restes à payer sur la mission et sur la stratégie déployée par l’État pour en abaisser le montant ou modifier leur présentation comptable en cohérence avec la réalité ?

Par ailleurs, il convient également de faire attention à ne pas pénaliser la réalisation des engagements du Gouvernement par une application uniforme de la réserve budgétaire, notamment en ce qui concerne les aides au poste pour les personnes handicapées. Cette remarque étant toujours valable en 2018, nous appelons votre attention sur le fait que, bien que le niveau global de réserve ait été ramené de 8 à 3 %, cela ne semble pas suffire pour que nous puissions tenir notre engagement d’une montée en puissance à hauteur de 1 000 postes sur l’année. Madame la ministre, pouvez-vous ainsi nous dire quelles sont vos directives sur l’usage de la réserve de précaution, notamment pour ces aides au poste des travailleurs handicapés ?

Enfin, on dénombre près de vingt‑trois dépenses fiscales rattachées à la mission, pour un coût estimé à un peu plus de 7 milliards d’euros en 2017 ; or la performance des exonérations de charges sociales compensées sur des crédits budgétaires de la mission n’est pas mesurée – presque 5 milliards d’euros –, de même que l’augmentation des dépenses fiscales en faveur des services à la personne ou celles liées au taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont bénéficie le secteur de la restauration collective. Les rapporteurs spéciaux rejoignent ainsi les recommandations de la Cour des comptes de clarifier les objectifs poursuivis par les dépenses fiscales et d’intégrer des indicateurs de performance. Madame la ministre, que pensez-vous de cette recommandation et disposez-vous d’éléments précis d’évaluation concernant ces dépenses fiscales ? Par ailleurs, quel travail pourrions-nous mener pour mieux prendre en compte les effets de la conjoncture économique sur les indicateurs ? Suivre le nombre de retours à l’emploi des personnes passées par Pôle emploi a‑t‑il encore du sens ?

M. Gilles Le Gendre, rapporteur spécial pour le travail et lemploi. Comme Marie-Christine Verdier-Jouclas l’a précisé en introduction, la spécificité de l’exercice qui nous réunit consiste à évaluer une mission en pleine transformation, du fait des orientations nouvelles que le Gouvernement et la majorité ont souhaité lui donner depuis un an. Il n’est pas question de détailler ici ces transformations, nous voulons simplement braquer le projecteur sur trois sujets pour lesquels le croisement de l’analyse de l’exécution budgétaire de 2017 et des transformations évoquées avec vos explications se révélera pertinent.

Premier sujet : les contrats aidés et leur articulation avec les crédits d’IAE. À la suite du rapport de Jean-Marc Borello, vous avez fait le choix de déployer des contrats aidés sous forme de parcours emploi compétences (PEC) dont la logique est celle d’un recentrage sur les bénéficiaires. Le fin ciblage des publics a ainsi permis une hausse de la part des travailleurs handicapés. La part des demandeurs d’emploi de très longue durée a également augmenté de 1,3 point entre 2016 et 2017. Dans cette perspective, pensez‑vous, madame la ministre, que l’exécution budgétaire à venir, concernant les contrats aidés, sera mieux maîtrisée par rapport à ces dernières années, alors qu’il est prévu de les recentrer sur les publics les plus en difficulté ? Quelle sera en outre la valeur ajoutée de la création d’un fonds d’inclusion qui intégrera les crédits destinés à l’IAE et aux contrats aidés ? Enfin, comment continuer à assurer une exigence en matière de formation de la part des organismes d’accueil comme le préconise le rapport de Jean-Marc Borello ?

Deuxième sujet : le plan « 500 000 formations » des chômeurs. En effet, compte tenu d’une certaine précipitation dans sa mise en œuvre, les acteurs se sont focalisés sur le lancement des nouveaux marchés avec des formations courtes, ce qui a conduit à une saturation des marchés existants au détriment d’un ciblage sur telle ou telle branche ou telle ou telle modalité de formation. Le montant de la subvention versée par l’État, environ 3 000 euros par formation, a conduit à privilégier les formations courtes soutenues à 80 % par Pôle emploi. Cela n’a pas permis d’obtenir les résultats escomptés en matière d’insertion durable dans l’emploi, dont le taux demeure relativement faible : 27,6 %. Ce constat démontre toute l’importance, dans le déploiement du prochain PIC, d’investir dans des formations à long terme réellement qualifiantes et davantage ciblées sur les publics en difficulté. D’un point de vue budgétaire, il représentera un investissement majeur de 14,6 milliards d’euros sur cinq ans dont 13,8 milliards au titre des programmes 102 et 103.

À cet égard, madame la ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur la manière dont sera déployé ce PIC pour éviter les écueils identifiés dans les précédents grands plans de formation et garantir des formations de longue durée bien ciblées ? Comment bien articuler le PIC avec le futur compte personnel de formation et quels sont les critères déterminants désormais mis en avant dans les conventions d’amorçage qui seront signées avec les régions ?

Troisième sujet que je voulais aborder : l’apprentissage. L’effort financier total des institutions publiques en faveur de l’apprentissage s’élève à un peu plus de 6 milliards d’euros en 2017, dont 1,5 milliard au titre de la mission Travail et emploi et autant au titre du compte d’affectation spéciale Financement du développement et de la modernisation de lapprentissage. Malgré cet effort financier important, l’apprentissage demeure marqué par des lourdeurs et des complexités qui appellent la réforme d’ampleur que notre assemblée s’apprête à discuter et à voter à partir de la semaine prochaine. Il est clair que la France accuse un retard en la matière par rapport à ses partenaires européens : elle compte 400 000 apprentis, soit seulement 7 % des jeunes de seize à vingt-cinq ans, deux fois moins qu’en Allemagne. Du point de vue du pilotage budgétaire et stratégique et de son efficacité, nous relevons les effets négatifs d’un système fragmenté et éclaté : 995 centres de formation d’apprentis répartis sur 3 057 sites de formation. Le manque de réactivité à proposer des formations répondant aux besoins exprimés par les entreprises doit être impérativement corrigé – c’est précisément ce que nous allons faire. Il en est de même des incitations proposées aux entreprises pour développer l’apprentissage.

Le système est lui aussi très complexe : exonérations de cotisations patronales et salariales, crédit d’impôt en faveur de l’apprentissage, primes directes, aides de l’État. En fonction des conditions d’éligibilité, les entreprises peuvent cumuler plusieurs ou l’ensemble de ces aides qui sont par ailleurs mises en œuvre par trop d’acteurs, ce qui induit un manque de cohérence.

Face à l’ensemble de ces constats, madame la ministre, pouvez-vous nous rappeler les implications budgétaires et financières de la fusion des aides et de la rationalisation des structures au regard de la situation héritée des années passées ?

M. Joël Giraud, rapporteur général. En 2017, l’effort financier total des institutions publiques en faveur de l’apprentissage s’est élevé à 6,06 milliards d’euros. Malgré cet effort financier important, l’apprentissage demeure marqué par des lourdeurs et des complexités qui appellent une réforme, comme viennent de l’expliciter à l’instant les rapporteurs spéciaux. Du point de vue du pilotage budgétaire et stratégique, les deux rapporteurs spéciaux font le constat d’un système complètement fragmenté et éclaté. Le projet de loi portant réforme de la formation professionnelle, de l’assurance chômage et de l’apprentissage a pour but de simplifier le modèle actuel de gouvernance et de financement de l’apprentissage. Quels enseignements sont-ils tirés du système actuel de financement et de gouvernance de l’apprentissage ? Compte tenu de la réforme que vous souhaitez mener, quels objectifs et indicateurs de performance seront-ils fixés dans le prochain projet de loi finances pour pouvoir évaluer les résultats de votre politique en matière d’apprentissage ?

M. le président Éric Woerth. Madame la ministre, quel regard portez-vous sur l’efficience de la politique des contrats aidés ? Vous semblez vouloir l’infléchir au terme de nombreuses années d’existence. Il est vrai que la croissance est le meilleur moteur de création d’emplois – et le plus naturel. Cela étant, les cycles fluctuent. Que pensez-vous de l’utilité d’une aide à l’emploi – plutôt dans le domaine public que dans le domaine privé, il est vrai – à ceux de nos compatriotes qui n’ont pas les qualifications nécessaires ou en cas de retournement de conjoncture ?

D’autre part, plus de 5 milliards d’euros de dépenses fiscales relèvent de votre compétence. La Cour des comptes indique que le ministère n’évalue pas suffisamment l’efficacité et l’efficience des dispositifs en faveur des services à la personne. Le contribuable et les Français en ont-ils pour leur argent ? Cet effort public est-il utile ? Dans quelle mesure vos services et votre ministère se mobilisent-ils pour assurer la maîtrise de ces dépenses et leur évaluation ?

Enfin, j’ai le sentiment – mais peut-être me trompé-je – qu’en nombre d’emplois, l’aide au poste dans les entreprises adaptées est plutôt en voie de diminution. Est-ce le cas en 2017 ? Quelle est votre position sur ce sujet très spécifique ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Comment avons-nous abordé ce budget de transition que nous avons exécuté au cours d’un peu plus de la moitié de l’année dernière ?

Premièrement, nous avons trouvé une situation difficile, notamment du fait de la surconsommation au premier trimestre d’un volume de contrats aidés inscrits en loi de finances initiale, déjà en forte baisse et à 80 % consommés.

Deuxièmement, nous avons assuré une gestion rigoureuse au second semestre pour tenir les crédits disponibles sur l’exercice et commencer à engager nos premières réflexions en termes de politiques publiques en vue de changer de modèle et de faire des réformes structurelles.

Troisièmement, le contrat budgétaire pour 2018 est caractérisé par des choix forts : la sincérité des programmations, le recentrage des dispositifs d’insertion sur leur cœur de cible, une plus grande efficacité et la réallocation des moyens au bénéfice d’un grand plan de transformation des compétences.

Venons-en à l’exécution budgétaire 2017. Conformément aux règles de la comptabilité budgétaire, le montant des restes à payer constitue l’écart entre le montant plafond maximal de dépenses calculées au moment de l’engagement juridique de l’État et la réalité de ces dépenses, année par année. Dans un ministère où il y a beaucoup d’aides directes comme les aides à l’embauche dans les PME ou les prescriptions de contrats aidés, les restes à payer sont considérables par rapport à l’ensemble du budget ; qui plus est, ils posent un problème de méthode dans la mesure où ils n’intègrent pas le taux de chute et ne sont pas ajustés en continu en fonction de la vie du contrat et de l’aide. Autrement dit, chaque fois qu’un bénéficiaire rompt le contrat avant son terme, le reste à payer n’est pas pour autant annulé.

Le reste à payer est donc une vision théorique et maximale des engagements financiers qui ne se concrétisera en réalité jamais par des paiements équivalents. De ce fait, les volumes importants de contrats aidés et d’aides à l’emploi versées ces dernières années ont conduit à accroître mécaniquement les engagements ouverts pour ces dispositifs et le montant des restes à payer. Ainsi, la seule aide à l’embauche dans les PME a engendré en 2017 près de 3 milliards d’euros de restes à payer qui ne seront pas versés.

La valeur exacte des engagements de l’État devrait donc plutôt être regardée via les charges à payer et les engagements hors bilan, qui sont calculés en se fondant sur la constatation effective des durées des contrats et des aides. Ces engagements hors bilan, à la fin de l’année 2017, s’élèvent à 2,2 milliards d’euros pour la majorité des dispositifs généraux des restes à payer. On voit ainsi l’écart engendré par cette méthode.

C’est la raison pour laquelle mes services ont engagé, à ma demande, en lien avec les services du contrôle budgétaire, des travaux pour procéder à la clôture des engagements effectivement effectués antérieurement, parfois il y a plusieurs années. Ces engagements ne donneront plus lieu à des paiements parce que le dispositif est éteint ou que la durée maximale de l’aide a été atteinte. Cela permettra d’avoir une vision plus précise des engagements en cours, susceptibles de faire l’objet de décaissements au cours des prochains exercices. Il y a donc bien un problème de méthode que nous voudrions faire évoluer.

En ce qui concerne la réserve de précaution, notamment pour les aides aux postes de travailleurs handicapés, nous sommes d’accord sur le fait que ces dispositifs doivent faire et font effectivement l’objet d’une attention particulière. C’est pourquoi j’ai appliqué aux aides en faveur des entreprises adaptées un taux de mise en réserve de 2 %, inférieur au taux de 3 % fixé en loi de finances pour 2018. Cela a déjà permis de distribuer 590 aides au poste supplémentaires par rapport à ce qui avait été notifié en 2017. Je souhaite désormais obtenir rapidement la levée de cette réserve afin que les recrutements puissent être effectués à la hauteur de nos engagements. En 2018, 380 millions d’euros seront consacrés au financement des aides aux postes, soit 1 000 aides de plus que l’année dernière.

Les services à la personne, que vous avez évoqués, monsieur le président, sont un secteur très important. La mission Travail et emploi leur consacre trois exonérations de cotisations sociales, soit environ 2 milliards d’euros, et sept dépenses fiscales pour un montant total d’environ 4,4 milliards d’euros. L’absence ou l’insuffisance des indicateurs de performance dans ce domaine est patente ; ces indicateurs ne sont pas simples à mesurer dans le temps court. Il n’en reste pas moins que des évaluations doivent être conduites grâce au développement d’études économétriques ou statistiques plus sophistiquées. Plusieurs corps de contrôle y ont travaillé. Ces évaluations relèvent d’un travail interministériel que je compte développer car nous ne pouvons pas, à de tels montants, nous fonder sur des chiffres aussi approximatifs.

J’en viens aux indicateurs de Pôle emploi et à la prise en compte des effets de la conjoncture économique. L’indicateur 1.1 « Évolution du nombre de retours à l’emploi » présente un intérêt particulier car il couvre l’ensemble des dispositifs et des objectifs assignés au programme 102 et qu’il pèse pour la moitié des crédits de paiement consommés en 2017.

La performance de Pôle emploi étant appréciée « à conjoncture et structure de la demande d’emploi en fin de mois (DEFM) constante », cet indicateur permet bien d’identifier la performance de Pôle emploi en matière de retour à l’emploi, indépendamment des effets positifs ou négatifs du contexte macroéconomique. Cet indicateur a été inscrit dans la convention tripartite entre l’État, Pôle emploi et l’UNEDIC. Il nous permet de mesurer séparément, d’une part, le retour à l’emploi général, d’un point de vue macroéconomique, et, d’autre part, l’efficacité propre à Pôle emploi. Plus globalement, la prise en compte de la conjoncture économique au sein des indicateurs est un sujet prégnant – il l’est de plus en plus avec la nouvelle encourageante de la reprise de la croissance. Cependant, l’enjeu est de faire bénéficier aux publics les plus éloignés du marché du travail, pour lesquels la solidarité nationale doit pleinement et efficacement s’exercer, des effets favorables de la conjoncture. Ce n’est pas un mouvement mécanique : ce n’est pas parce qu’il y a croissance qu’elle est riche en emplois et encore moins qu’elle est inclusive. Il faut donc aller chercher ces points de croissance pour les transformer en emplois et en inclusion. C’est l’objet du plan d’investissement dans les compétences.

En ce qui concerne les contrats aidés et l’IAE, l’année 2018 a été marquée par une rupture – que nous avons entamée mi-2017 mais qui a été officialisée en 2018 : nous avons souhaité non seulement budgéter sincèrement la dépense des contrats aidés, à rebours des exercices précédents, mais aussi changer de paradigme et tenir compte de l’évaluation que nous avons faite du système précédent. Les contrats aidés, dans leur version de 2017 et des années précédentes, aboutissaient à l’embauche de nombreuses personnes certes en situation de précarité mais pour des emplois précaires et donc assortis de peu d’obligations d’accompagnement et de formation. De ce fait, les résultats, en termes d’insertion, sont très en deçà de ceux enregistrés dans le cadre des autres dispositifs : le taux de sortie dans l’insertion durable n’est que de 26 % alors que dans le cadre d’autres dispositifs relevant de l’insertion par l’économique, il est de plus de 50 %, voire de 60 % avec les mêmes publics, et parfois en plus grande difficulté encore.

Il n’y a donc pas de fatalité liée aux difficultés de ces publics : ce sont les systèmes qui sont plus ou moins efficaces. Notre devoir est effectivement de nous concentrer sur les dispositifs les plus efficaces. Ce changement de paradigme a été engagé à la suite du rapport de Jean-Marc Borello. Le nouveau paradigme repose sur le triptyque accompagnement-emploi-formation qui est celui du parcours emploi compétences. Il a fallu un petit temps d’adaptation pour bien s’approprier ce dispositif. Quels premiers enseignements peut-on tirer de ce changement de paradigme ? En bénéficient à hauteur de 75 % les publics les plus éloignés de l’emploi – plus que les contrats aidés dans leur version précédente –, 43 % parmi les demandeurs d’emploi de très longue durée, 13 % sont des résidents des quartiers prioritaires de la ville et près de 20 % sont allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Surtout, le taux de travailleurs handicapés bénéficiaires du dispositif a augmenté pour s’établir à 18 %, comme celui des seniors pour atteindre 38 %, dans le respect de l’enveloppe financière.

Nous avons évalué l’efficacité de l’insertion par l’économique. Sur certains territoires, tel ou tel dispositif fonctionne mieux en fonction de la nature du tissu associatif de l’insertion par l’économique. Nous avons créé en 2018 un fonds d’inclusion dans l’emploi – c’était une des propositions de Jean-Marc Borello – qui permet une fongibilité et une approche décloisonnée. Cela permet aussi, quand les préfets le jugent nécessaire, d’accorder une plus grande place à l’insertion par l’économique et une moindre place aux contrats aidés, le but étant d’assurer une meilleure insertion dans l’emploi des personnes les plus éloignées de l’emploi. Il ne faut pas simplement raisonner par dispositif, mais en termes d’efficacité globale et d’adaptation au terrain des politiques. Cette fongibilité permet aussi de soutenir des initiatives territoriales. C’est une démarche que nous souhaitons développer.

En ce qui concerne les exigences de formation requises de la part des organismes d’accueil, la transformation des contrats aidés en parcours emploi et compétences oblige les nouveaux employeurs – qui sont tous dans le domaine non lucratif puisque nous avons supprimé les contrats aidés dans le domaine lucratif, considérant qu’ils n’étaient pas nécessaires en période de croissance et de reprise de l’emploi – à offrir un accompagnement à la formation. Dans le cadre du PIC, nous accompagnons le secteur de l’insertion par l’économique et d’autres secteurs qui ont besoin de financements supplémentaires pour réaliser cette formation. Pour l’IAE, j’ai signé avec les réseaux de l’insertion par l’économique et les organismes paritaires collecteurs agréés un accord-cadre le 28 mai dernier qui réserve, dans le cadre du PIC, 200 millions d’euros sur cinq ans à la formation dans l’IAE. Les acteurs du secteur de l’insertion par l’économique reconnaissaient eux-mêmes qu’ils assuraient bien la mise en situation de travail et l’accompagnement personnalisé mais qu’ils n’étaient pas toujours en mesure d’assurer la montée en compétences permettant l’obtention d’un emploi plus durable. Nous avons désormais les moyens de le faire.

Quant au PIC lui-même, c’est un élément clé de notre stratégie. Dans le cadre de son volet régional, des conventions d’amorçage sont engagées entre l’État et seize régions. Douze conventions sont d’ores et déjà signées ; et si deux régions n’en ont pas signé, c’est qu’elles n’ont pas souhaité se soumettre aux exigences de l’État, qui ne voulait pas se substituer aux régions en matière d’accompagnement des personnes les plus éloignées de la qualification. Certaines régions avaient, dans le cadre de la décentralisation, décidé de réduire le nombre de formations pour les personnes les plus éloignées de la qualification ; pour contractualiser dans le cadre du PIC, nous leur avons demandé de remonter au niveau antérieur, ce que la plupart ont fait. Cette exigence nous permet d’être sûrs d’apporter un effort supplémentaire, bien ciblé sur le million de jeunes et le million de demandeurs d’emploi qui en ont le plus besoin. Le processus démarre bien avec les régions ; je suis donc confiante en ce domaine.

Par ailleurs, nous nous lançons des appels d’offres nationaux en matière d’innovation : le « 100 % Inclusion » que j’ai lancé à Strasbourg ce lundi, 10 000 formations numériques, 10 000 formations dans le domaine des métiers verts et d’autres actions à venir. Cette contribution financière supplémentaire de l’État transférée aux régions sera subordonnée à un engagement pluriannuel réciproque et mesurable entre l’État et les régions, conformément à la recommandation de la Cour des comptes. Concrètement, nous sommes en train de discuter, pour la période 2019-2022, des pactes pluriannuels qui permettront un flux annuel supplémentaire de 200 000 parcours de formation chaque année.

En ce qui concerne l’apprentissage, à l’occasion de la concertation sur la transformation de l’apprentissage, le système d’aide aux entreprises a été jugé peu lisible, fondé à la fois sur une prime à l’apprentissage, une aide au recrutement d’un apprenti – toutes deux financées par l’État mais distribuées par les régions –, une aide TPE jeune apprenti, financée et distribuée par l’État, et un crédit d’impôt. Bon nombre de petites et moyennes entreprises, qui sont pourtant la cible prioritaire, ne connaissent pas ces quatre aides ou n’y ont pas recours compte tenu de la complexité du système. Nous souhaitons donc, dans le cadre du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, fusionner ces aides dans un dispositif unique qui sera beaucoup plus incitatif, clair et cohérent pour les TPE‑PME. Concrètement, cette aide concernera plus de 60 % des apprentissages ; toutes les entreprises de moins de 250 salariés recevront une aide de 6 000 euros la première année et de 3 000 euros la seconde si elles embauchent des jeunes en passe d’obtenir des diplômes de niveau baccalauréat professionnel ou en deçà. Qui plus est, elle sera automatiquement versée sans qu’il soit besoin de la demander : nous allons utiliser les données de la déclaration sociale nominative pour savoir qui y requiert et la distribuer automatiquement.

J’en viens au financement global de l’apprentissage et aux 6 milliards d’euros que vous avez évoqués. Nous souhaitons ouvrir l’apprentissage à beaucoup plus de jeunes dans le cadre de notre projet de loi. Le rapport de concertation a montré la complexité du système de financement : il faut savoir que pas moins de cinquante-sept types d’interlocuteurs interviennent dans la collecte de financements en matière d’alternance, de formation et d’apprentissage. Nous allons ramener ce chiffre à un seul collecteur, ce qui sera beaucoup plus simple pour les entreprises. Nous voulons aussi avoir un système plus lisible et plus compréhensible pour l’ensemble des acteurs. J’aurai l’occasion d’en parler lors de l’examen du projet de loi.

L’évaluation de la performance de l’apprentissage est mesurée à l’aide de deux indicateurs principaux. Le taux d’insertion dans l’emploi des apprentis, tout d’abord : c’est cet indicateur qui me permet de dire que 69 % des apprentis sont en emploi durable après sept mois à l’issue de leur formation. Le second indicateur est celui de la part des apprentis qui préparent un diplôme de niveau IV et V. Comme vous le savez, cet indicateur est en baisse depuis des années. L’un des objets de la réforme est de faire faire augmenter ce chiffre massivement et en particulier aux niveaux IV et V. Le but est de mesurer la performance globale du dispositif et le ciblage opéré sur les jeunes qui, parmi le 1,3 million d’entre eux qui ne sont ni en formation ni en emploi ni en études, pourraient avoir cette chance d’une voie de réussite.

Nous avons, à ce stade, souhaité maintenir ces indicateurs afin de conserver une stabilité dans la mesure de la performance. Nous nous sommes également fixé une cible ambitieuse à l’horizon 2020 de 70 % de taux d’insertion dans l’emploi – et plus tôt qu’au bout de sept mois. Une fois la réforme entrée en vigueur, nous voulons engager la réflexion pour définir d’autres indicateurs de résultat avec les régions et les partenaires sociaux au sein de France compétences, l’agence qui sera chargée de l’évaluation et de la qualité du développement des formations. Nous sommes tout à fait d’accord pour dire que ces deux indicateurs ne suffisent pas pour une réforme de cette ampleur. Nous aurons à les compléter.

Mme Amélie de Montchalin. Madame la ministre, la Cour des comptes demande de manière persistante davantage d’évaluation et une clarification des objectifs des dépenses fiscales pour les services à la personne qui augmentent sensiblement d’année en année depuis quelque temps.

Ma seconde question concerne la situation financière de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) qui a été transformée en établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) en janvier 2017. La subvention de l’AFPA lui a été versée par l’État depuis l’action 2 du programme 103. Faute d’un modèle économique viable, du fait la libération du marché des formations, l’AFPA a déjà fait l’objet de deux versements exceptionnels : l’un de 50 millions d’euros en 2016 et l’autre, de 33 millions en 2017. Il semble qu’un déficit structurel de trésorerie se soit installé au sein de cette institution. Nous serions donc intéressés par des explications et des clarifications ainsi que par les projections que vous pourriez avoir sur la situation financière de cet établissement.

M. le président Éric Woerth. Et ce n’est pas la première fois...

M. Boris Vallaud. Madame la ministre, le budget 2017 n’est que pour partie un héritage. Comme l’ont fait certains parlementaires, vous avez qualifié d’insincère le budget initial, mais c’était sans compter sur les 2 % de croissance – là où la loi de finances initiale ne prévoyait que 1,5 % –, sur les 13 milliards d’euros de réserve de précaution, sur les 4 milliards d’euros de recettes fiscales et sur les 253 000 emplois créés en 2017. Peut-être finirez-vous par reconnaître que l’héritage n’était finalement pas si mauvais, et qu’il était peut-être même bon. En tout état de cause, nous devons, en tant que représentation nationale, avoir la discipline de faire en sorte que la politique ne se fasse ni à la corbeille ni rue Cambon. C’est le motif que vous avez invoqué pour réduire le nombre des emplois aidés, que vous qualifiez de « commodité » en avançant un taux de sortie positive dans l’emploi dans le secteur non marchand de 26 % alors que la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), qui fait pourtant partie de vos services, avançait en mars 2017 le chiffre de 41 % – c’est donc ce chiffre que nous que nous reprenons.

Non seulement nous avons le sentiment que l’héritage n’était pas si mauvais, mais sommes préoccupés par les décisions que vous avez prises au début de l’année 2018. D’abord, votre dispositif parcours emploi compétences ne décolle pas : ce n’est pas moitié moins d’emplois aidés qui sont prescrits mais bien quatre fois moins par rapport au premier trimestre 2017. De la même manière, les chiffres du premier trimestre sur l’emploi sont en hausse de 0,2 %. Le nombre d’entrées en formation des demandeurs d’emploi, qui est votre priorité, est en chute de 30 % par rapport au même trimestre de l’année 2017. N’avez-vous pas le sentiment, madame la ministre, d’avoir baissé la garde s’agissant de la politique de l’emploi ? Que comptez-vous faire pour les plus éloignés de l’emploi et les plus fragiles de nos compatriotes qui sont souvent les premiers touchés par la crise et les derniers à bénéficier de la reprise ?

M. Adrien Quatennens. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le taux de chômage est encore en augmentation au premier trimestre de l’année 2018. Il atteint désormais 9,2 % de la population active. Ce chiffre ne tient pas compte d’une réalité plus grave encore : toutes catégories confondues, ce sont plus de 6 millions de personnes qui souffrent du sous-emploi. Autrement dit, près de 20 % de la population active souhaiteraient pouvoir travailler ou travailler davantage. Le chômage de masse que connaît notre pays a des effets concrets et durables sur les personnes concernées mais aussi sur toute la collectivité. Chaque année, 10 000 à 20 000 personnes meurent des conséquences directes et indirectes du chômage. Depuis 2002, les gouvernements successifs ont manifestement échoué à endiguer ce fléau dont les causes sont pourtant connues : libéralisation aveugle du marché du travail, soumission à la recherche de profits privés et manque de planification. L’action de votre ministère ne déroge pas à cette règle. Vous voulez au mieux remplacer le chômage de masse par une précarisation de l’emploi généralisée. À cet effet, les ordonnances détricotant le code du travail ont porté un coup dur aux droits des salariés. Vous ne vous arrêtez pas là : votre action suit depuis lors toujours la même logique. Depuis votre arrivée au pouvoir, le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de 2 % pour frôler la barre des 2,6 millions de personnes. Au vu de l’échec de votre politique, un changement de cap devrait s’imposer.

Avec le groupe La France insoumise, nous vous faisons régulièrement des propositions afin de relancer l’emploi de manière socialement responsable et écologiquement soutenable. En effet, avec une seule offre d’emploi pour quarante demandeurs, le problème est bien celui d’une pénurie d’emplois pérennes dans notre pays. Alors que celui-ci aurait besoin d’une action publique efficace pour accompagner les demandeurs d’emploi, la suppression de 4 000 postes est envisagée chez Pôle emploi. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, qu’il serait temps d’affronter concrètement et directement ce problème de pénurie d’emplois pour résoudre enfin celui du chômage de masse dans le pays ?

M. Daniel Labaronne. Permettez-moi de parler d’un héritage.

Le 18 janvier 2016, le Président de la République, François Hollande, annonce un plan d’urgence pour l’emploi, en deux volets : la prime à l’embauche pour les TPE-PME et un plan de 500 000 formations financées par l’État. La prime à l’embauche dans les TPE-PME doit concerner les embauches réalisées jusqu’au 31 janvier 2017 avec une aide versée par trimestre à terme échu. Dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire 2017, la Cour des comptes souligne que le Gouvernement de l’époque prend alors la décision d’interrompre prématurément l’admission de nouveaux dossiers au titre de la prime pour l’embauche, au 30 juin au lieu du 31 décembre. Le coût total de cette prime à l’embauche est estimé entre 3,5 et 4 milliards d’euros au cours de la période d’existence du dispositif : de janvier 2016 à juin 2017. L’impact de cette prime sur l’emploi serait « positif mais limité » – doux euphémisme ! L’INSEE, dans sa note de conjoncture de décembre 2017, estime à 10 000 le nombre d’emplois générés par cette prime. Dans sa note de conjoncture de juin 2016, l’INSEE prévoyait un impact à hauteur de 50 000 emplois créés, c’est-à-dire cinq fois plus que celui réalisé, tandis que la note du Trésor d’août 2016 l’estimait à 60 000, autrement dit six fois plus !

Ces résultats soulèvent plusieurs questions dans notre travail d’évaluation. La première concerne le rapport coût-efficacité de cette action publique : un coût de 3,5 à 4 milliards d’euros pour 10 000 emplois créés signifie qu’un emploi créé coûte entre 350 000 et 400 000 euros. Quel regard portez-vous sur ce résultat ?

La seconde question concerne l’écart entre les prévisions relatives aux résultats attendus de cette action et les résultats obtenus. Les modèles prévisionnels tablaient sur la création de 50 000 à 60 000 emplois ; or seulement 10 000 emplois ont été créés. L’écart entre la prévision et la réalisation est donc de 1 à 5, voire de 1 à 6.

Madame la ministre, ne serait-il pas utile de se pencher, sur un plan théorique, méthodologique ou statistique, sur l’origine de ces écarts, dès lors que la fiabilité et la permanence de ces modèles sont une condition essentielle pour éclairer utilement les choix de politique publique ? Ne serait-il pas utile d’établir des indicateurs de performance des outils économétriques d’aide à la décision publique ?

Mme Anne Laure Cattelot. Madame la ministre, il va sans dire qu’en tant que commissaire aux finances du groupe La République en Marche, j’ai entièrement soutenu les décisions que vous avez prises l’an dernier eu égard aux contrats aidés et à la mise en œuvre du PEC. Toutefois, auriez-vous des indicateurs, des éléments d’évaluation et des statistiques concernant les seniors, c’est-à-dire les personnes qui sont à deux ou trois ans de la retraite et pour lesquels le parcours emploi compétences semble peu adapté ?

Quant à l’insertion par l’activité économique, elle peut être un succès, notamment dans des territoires comme le mien où le chômage avoisine encore les 16 % et l’illettrisme les 12 %. Au sein du Nord-Pas-de-Calais, et en particulier du département du Nord, ces chantiers peuvent être de réels palliatifs et des tremplins pour l’emploi. Toutefois, leur financement et la possibilité de développer ce type de parcours au sein d’ateliers-chantiers d’insertion sont conditionnés aux résultats obtenus et donc à l’insertion – c’est-à-dire à la sortie positive des personnes concernées ; or il semble que cela donne lieu à une sorte de compétition entre les structures pour accueillir des publics jugés plus aptes à se réinsérer. Quid des indicateurs de performance de ces structures parfois amenées à s’occuper de personnes extrêmement éloignées de l’emploi et dont les taux de réussite sont du coup relativement faibles ?

Enfin, les périodes de mise en situation en milieu professionnel vous paraissent-elles efficaces ? Serait-il selon vous opportun de les étendre puisque pour le moment, ces périodes de mises en situation sont relativement courtes ?

Mme Cendra Motin. Madame la ministre, j’aurais souhaité avoir au moins une demi-heure pour vous interroger sur tous les indicateurs de qualité de vie au travail et sur l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail afin d’avoir une vision un peu positive de votre mission... Je m’en tiendrai cependant au travail des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et des priorités qui leur ont été fixées en matière de contrôle des politiques prioritaires du travail. Les objectifs fixés sont mieux atteints en 2017 qu’en 2016 mais les résultats ne sont toujours pas au rendez-vous, malgré une meilleure prise en main du système d’information WIKI’T qui les aide désormais dans leur tâche. Que pensez-vous de ces indicateurs, sachant que la mesure de la performance doit aussi tenir compte du contrôle que font les DIRECCTE auprès des travailleurs détachés. Ceux du BTP sont depuis cette année munis d’une carte du BTP. Ce dispositif a-t-il été utile ?

D’autre part, je voudrais vous faire part d’une inquiétude à propos des effectifs de la DIRECCTE sur mon territoire et dans l’Isère, en particulier. Du fait de la pyramide des âges, les départs à la retraite se multiplient sans pour autant donner lieu à remplacement de personnel. Il est évident qu’il faut faire partout des efforts pour respecter les plafonds d’emplois. Selon vous, la mise en œuvre de ce système d’information WIKI’T apporte-t-elle une réponse à cette baisse d’effectifs ou bien avez-vous prévu des renforcements de personnel au sein des DIRECCTE ?

Mme la ministre. L’AFPA est effectivement devenue un EPIC en janvier 2017. Il est vrai que depuis des années, probablement depuis la décentralisation de la formation professionnelle, l’AFPA est en difficulté. Historiquement, l’AFPA est chargée de rendre des services d’intérêt général, mais on lui demande aussi d’intervenir sur le marché concurrentiel, sans qu’elle soit en mesure de proposer une offre spécifique susceptible de faire pendant à l’offre de formation privée. Quand l’AFPA a été créée après-guerre, le marché était dans une situation de vide immense : il fallait construire et reconstruire toutes les compétences pour le pays. Aujourd’hui, l’AFPA se trouve parmi 80 000 organismes de formation, dont 8 000 concurrents directs qui ont la formation pour activité principale. En conséquence de la loi de décentralisation, l’AFPA n’a plus de domaine réservé et se voit mise en concurrence avec les autres organismes formateurs. Elle subit donc les fluctuations du marché, ce à quoi sa structure n’est peut-être pas adaptée.

En fin d’année dernière, vous l’avez rappelé, nous avons apporté les crédits nécessaires pour que l’agence puisse terminer l’année. Nous avons aussi entamé une réflexion stratégique sur l’avenir. Je souhaite, d’ici à la fin de l’année, après le vote de la loi réformant la formation professionnelle, définir une feuille de route stratégique pluriannuelle avec l’AFPA, fixant des engagements et des missions claires à l’agence. On ne peut pas lui demander une chose et son contraire. Si l’on a besoin d’elle, cela ne veut pas dire qu’elle peut et doit tout faire. Et il y a des domaines où l’AFPA fait mieux, voire est la seule à pouvoir faire.

À propos des chiffres relatifs aux contrats aidés, je n’ai pas parlé d’insincérité au sens psychologique mais, de façon très factuelle, de l’insincérité budgétaire : quand on a déjà dépensé 80 % des crédits en milieu d’année et qu’on n’a pas budgété de dépenses pour la fin, on a quand même un problème...

S’agissant des sorties dans l’emploi, nous ne faisons pas la même lecture que vous des travaux de la DARES. Notre objectif n’est pas de savoir s’il y a un emploi court d’une semaine ou d’un mois à la sortie, mais de savoir s’il y a une sortie durable, autrement dit une entrée en qualification ou un emploi de six mois ou plus. Or, dans le cadre des contrats aidés, 26 % seulement des sorties ont été durables ; au total, effectivement, le taux de sortie est de 41 %, mais ce chiffre englobe tous les emplois à très court terme, ce qui ne correspond pas à l’objectif que nous recherchons.

Pour ce qui est des PEC que nous avons mis en place sur le socle légal des contrats aidés en début d’année – en nous appuyant sur le triptyque « mise en situation de travail-accompagnement-formation » –, un peu plus de 40 000 PEC ont été engagés, auxquels s’ajoutent 30 500 réservés, pour la rentrée scolaire, à l’accompagnement des élèves handicapés à l’école, et 15 000 fongibilisés en direction de l’insertion par l’économique. En dehors des parcours déjà réservés, 55 000 parcours sont engagés sur les 200 000 ouverts en loi de finances, sachant que le dispositif a démarré en janvier-février dernier. La consommation des crédits me semble donc normale.

En ce qui concerne les entrées en formation, le plan « 500 000 » a été mis en place de façon assez précipitée, une somme de 3 000 euros en moyenne ayant alors été prévue pour assurer les formations. Or, cette somme correspond à des formations courtes. Dans le cadre du PIC, nous prévoyons de proposer beaucoup plus de formations longues, à 5 000 voire à 7 000 ou 8 000 euros car les entreprises cherchent des compétences et n’en trouvent pas forcément. Encore une fois, lorsque la croissance n’était pas là et qu’on ne créait pas d’emplois, il était difficile de déterminer à quel niveau de qualification former les gens, mais maintenant que la demande est forte sur le marché, nous devons pouvoir financer des formations plus qualifiantes. Nous pensons donc obtenir de meilleurs résultats dans le cadre du PIC que dans celui du plan « 500 000 », dont le bilan n’est pas extraordinaire – c’est le moins qu’on puisse dire. Je ne dis pas qu’il ait été inutile – il est toujours utile de former les demandeurs d’emploi –, mais on peut aujourd’hui inscrire les formations dans la durée parce qu’on a créé 260 000 emplois nets l’année dernière et que depuis le premier trimestre 2018, la tendance est moins rapide, mais toujours en croissance. C’est là-dessus qu’il faut investir.

Cela renvoie à la question qui a été posée sur la pénurie d’emplois : effectivement, il y a pénurie d’emplois, mais il y a surtout une pénurie de compétences. Toutes les enquêtes montrent que la moitié des difficultés de recrutement sont liées à l’absence de compétences sur le marché. Ce ne sont pas les seules difficultés qui existent – la mobilité en est une autre – mais elles sont réelles. C’est pourquoi le PIC revêt une importance majeure.

La prime à l’embauche TPE PME a coûté un peu plus de 3,5 milliards d’euros. Le résultat, tel que mesuré par l’INSEE, n’est pas très satisfaisant. Le gouvernement précédent avait programmé la fin de la mesure pour juin 2017 ; nous ne l’avons pas réanimée. Nous n’avons fait qu’exécuter ce qui était déjà prévu, sans chercher à prolonger cette mesure ni à en réduire le champ.

Mais la question que vous posez est plus générale, puisqu’elle porte sur les indicateurs de performance pour l’aide à la décision publique. Je ne pense pas que la France soit le pays le mieux outillé au monde sur ce plan – c’est un euphémisme. Nous savons plutôt bien mesurer ex post : le ministère du travail effectue des mesures régulières des dispositifs. Nos simulations ex ante ne sont pas aussi robustes et ne tiennent pas compte de l’effet systémique, car elles sont isolées par dispositif. Or l’effet d’une aide à l’embauche ne sera pas le même si elle est mise en place en même temps qu’une aide à la formation, dans le cadre d’une évolution des règles de l’indemnisation du chômage, par exemple. La prévision est une science difficile, et elle n’est pas exacte, mais nous en avons besoin : j’ai donc donné pour feuille de route à la DARES, et au ministère en général, de travailler davantage sur l’évaluation.

C’est aussi parce que nous sommes mal outillés dans le champ de la formation que la création de l’agence France compétences est nécessaire. Pour caricaturer, nous ne pouvons pas déterminer grand-chose de plus que les taux d’insertion. Compte tenu des sommes engagées, argent public et mutualisé, l’évaluation est beaucoup trop rustique et nous manquons d’instruments pour effectuer les simulations dans les études d’impact. L’action de France compétences sera très importante pour évaluer, de façon beaucoup plus robuste, les effets et la qualité de la formation.

Vous m’avez interrogée sur les seniors dans les PEC. On pouvait en effet se demander dans quelle mesure les seniors ne seraient pas pénalisés par l’ajout d’un volet formation. Or ce n’est pas ce que nous observons depuis le début de l’année : ils représentent 38 % des bénéficiaires depuis début 2018, alors que leur part était de 36 % lorsque cette contrainte n’existait pas ; on peut donc en conclure qu’il n’y a pas eu d’effet négatif pour les plus de 50 ans. Les plus de 55 ans représentent 22,5 % des bénéficiaires, contre 20 % l’année dernière. Parmi les bénéficiaires de l’insertion par l’économique, leur part est de 17 %, en hausse de 1,5 point.

Mais je pense aussi que l’emploi des seniors ne doit pas passer uniquement par les contrats aidés. Beaucoup de personnes ici, même les plus jeunes, seront d’accord avec moi pour dire que la définition d’un senior – une personne âgée de plus de 45 ans – est absurde ; la réalité veut que l’on devienne senior de plus en plus tard, même si c’est inéluctable... La formation tout au long de la vie, la lutte contre l’obsolescence des compétences ont encore une grande importance lorsque l’on a encore deux, trois ou cinq ans à travailler. C’est l’objet du compte personnel de formation et des mesures contenues dans le projet de loi. Les seniors doivent pouvoir continuer à se former ; ils sont demandeurs et se dirigent volontiers vers ces dispositifs. Nous aurons l’occasion d’examiner d’autres mesures qui répondent à l’enjeu de l’emploi des seniors, suite aux conclusions du rapport d’avril 2018 du Conseil économique, social et environnemental.

Les périodes de mise en situation en milieu professionnel – PMSP – n’ont pas d’impact budgétaire sur les collectivités locales et les entreprises. Elles sont une réelle plus‑value pour les parcours d’inclusion dans l’emploi ou la reconversion. L’outil est sécurisé juridiquement, souple dans son utilisation : il permet à un demandeur d’emploi de découvrir un métier, de confirmer un projet professionnel ou d’initier une démarche de recrutement en passant une ou deux semaines à découvrir un métier, à vérifier que le métier lui convient.

En 2017, 430 000 PMSP ont été mises en œuvre contre 395 000 en 2016, soit une hausse de 9 %. Comme quoi, il y a des éléments positifs, y compris dans le passé... Pôle emploi et les missions locales assurent chacun la moitié des prescriptions. Les trois objectifs – découvrir, confirmer un projet et recruter – sont atteints dans les mêmes proportions. Un système de dérogation permet, à la marge, d’allonger la durée d’une PMSP ; mais dans la pratique, il est peu sollicité. Les PMSP demeurent inférieures à un mois, avec de bons résultats puisqu’elles permettent de rassurer à la fois le demandeur d’emploi et l’employeur, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un demandeur d’emploi de longue durée. C’est donc un dispositif qui fonctionne bien et qui doit être prolongé.

Vous m’avez aussi interrogée sur les indicateurs de performance en politique du travail, notamment sur l’activité des DIRECCTE. La première de nos priorités est de développer davantage les contrôles de l’inspection du travail, peu nombreux par rapport à l’ampleur et à l’intensité de la fraude au travail détaché. La carte BTP s’est révélée une très bonne initiative et nous réfléchissons à la possibilité de l’étendre à d’autres secteurs. Dans le domaine de la lutte contre le travail illégal, notre deuxième priorité, nous réformons nos pratiques. Il est important de ne pas travailler de façon isolée, car nous faisons face à des filières organisées. L’inspection du travail, les services fiscaux, les URSSAF, la police, la gendarmerie le cas échéant, doivent travailler de concert pour plus d’efficacité. Nous avons décidé ensemble que 50 % de nos contrôles seraient communs, et les informations partagées.

La troisième priorité, c’est l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Aujourd’hui, il y a moins d’un contrôle par an par inspecteur du travail sur ce sujet ; pour accompagner la réforme, il faut que ces contrôles augmentent. Enfin, la santé et sécurité au travail demeurent un fondamental absolu : les contrôles de chantiers de désamiantage notamment sont en progression.

S’agissant des effectifs des DIRRECTE, les services déconcentrés de mon ministère prennent leur part de l’effort interministériel de réduction de l’emploi public. Cette réflexion aura toute sa place dans le cadre de l’action publique 2022, mais je crois que l’on ne peut pas raisonner simplement en effectifs. Certes, la baisse a été de 1,5 % en 2017, mais nous avons aussi travaillé sur l’adéquation entre les missions et les moyens, la redéfinition des missions, notamment les missions conjointes. Bien des choses ne peuvent pas être faites sans un certain recouvrement entre ministères ; c’est vrai aussi dans l’administration déconcentrée. Cela fait donc partie des réflexions en cours : je pense que des missions claires sont plus motivantes, plus valorisantes, et plus efficaces.

M. Gilles Le Gendre, rapporteur spécial. Madame la ministre, je veux vous remercier pour vos explications, dans un moment manifestement charnière dans la politique de l’emploi. M. Quatennens a fait état de suppressions éventuelles de postes à Pôle emploi. Êtes-vous en mesure de confirmer le chiffre de 4 000 postes évoqué dans la presse ? Par ailleurs, lors de l’examen de notre mission dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, nous avions pu souligner les très grandes transformations opérées par Pôle emploi ces dernières années pour remplir ses missions avec plus de précision et d’efficacité. Quel défi lui assigneriez-vous dans le cadre de la nouvelle politique d’emploi, et notamment dans le cadre des réformes dont nous débattrons la semaine prochaine ? Sur quels critères jugeriez-vous que Pôle emploi remplit de mieux en mieux sa mission ?

Mme Anne-Laure Cattelot. Ma question porte également sur les indicateurs. Avez‑vous le moyen de savoir quelle est la part des sorties des dispositifs Pôle emploi directement liées à l’accompagnement par l’agence, et la part qui revient à des acteurs extérieurs, comme les agences d’intérim, qui parviennent, dans beaucoup de territoires, à trouver une issue positive ?

Mme la ministre. L’efficacité de Pôle emploi se mesure à travers l’atteinte des objectifs fixés dans la convention tripartite État, UNEDIC et Pôle emploi. Nous avons négocié quatorze indicateurs de performance, qui ont tous été satisfaits en 2017. Ce n’est pas que les objectifs manquent d’ambition, mais les performances s’améliorent d’année en année, sur plan des résultats, de la satisfaction des demandeurs d’emploi et des entreprises et de l’innovation. Nous sommes donc sur une dynamique positive. Ainsi, on enregistre sur un an 4,1 millions de retours à l’emploi d’un mois ou plus, soit 4,8 % de plus que durant les douze mois précédents. Le nombre de demandeurs d’emploi a baissé de 3,3 %.

Une nouvelle convention tripartite est en cours de négociation, dans le contexte du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. À partir du moment où la croissance repart et que l’on enregistre des créations d’emplois, les objectifs, notamment en direction des personnes les plus éloignées de l’emploi, seront renforcés. Dans le cadre du PIC, je viens de confier à Pôle emploi 100 000 formations au savoir-être professionnel – un atout important.

L’efficacité de Pôle emploi est mesurée chaque année. Les enquêtes menées auprès des demandeurs d’emploi et des entreprises montrent des taux de satisfaction supérieurs à 70 %, en progression chaque année.

Il est difficile de distinguer la part relative de Pôle emploi dans la sortie des dispositifs, d’autant que le travail en partenariat est encouragé, dont les résultats, par définition, sont partagés... La mesure de la satisfaction des usagers est globale mais nous souhaitons, avec Pôle emploi, déterminer plus précisément la satisfaction sur son offre de services : nous discuterons avec les partenaires sociaux de ce nouvel indicateur.

Les effectifs de Pôle emploi s’élèvent à un peu plus de 50 000 personnes à ce jour. Nous n’avons pris aucune décision en ce qui concerne le budget 2019, mais nous avons engagé une réflexion avec les équipes de Pôle emploi : si – et seulement si – la baisse structurelle du nombre de demandeurs d’emploi s’avère importante, et nous faisons tout pour, nous en tiendrons compte, de la même manière que les effectifs ont augmenté en même temps que le nombre de demandeurs d’emploi. Bien évidemment, cette baisse doit être constatée, ce ne peut être un a priori budgétaire. La réflexion est en cours et aucune décision n’a été prise à ce stade.

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 16 h 30

 

Présents. - Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Joël Giraud, M. Christophe Jerretie, M. Daniel Labaronne, M. Gilles Le Gendre, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, M. Xavier Paluszkiewicz, Mme Christine Pires Beaune, M. Olivier Serva, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. Marc Le Fur, Mme Valérie Rabault

 

Assistaient également à la réunion. - M. Adrien Quatennens, M. Alain Ramadier, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs

 

 

 

 

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