Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

          Audition du Général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République, dans le cadre des travaux menés pour « faire la lumière sur les événements survenus à l’occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 » (article 5 ter de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958)                             2

 

 

 

 

 


Mercredi
25 juillet 2018

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 112

session extraordinaire de 2017-2018

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet,
Présidente


—  1  —

La réunion débute à 9 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente.

La Commission auditionne le Général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République, dans le cadre des travaux menés pour « faire la lumière sur les événements survenus à l’occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 » (article 5 ter de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Mes chers collègues, je voulais vous indiquer que les personnes que nous auditionnons ce matin ont formulé une demande de huis clos, à laquelle, en tant que co-rapporteure, je ne suis pas favorable, souhaitant que toute la lumière soit faite sur les faits dont nous sommes saisis. Je demanderai donc à mon co-rapporteur ce qu’il en pense et, en cas de désaccord entre nous, la commission des lois devra trancher cet éventuel désaccord.

En ce qui concerne les interrogations très légitimes qui se font jour sur la suite de nos travaux, je vous indique que nous allons arriver ce matin au terme des auditions qui faisaient consensus entre tous les groupes et entre le rapporteur et moi-même. Je vous propose donc, compte tenu du fait que nous avions réservé un créneau cet après-midi à seize heures trente, de nous réunir afin de définir ensemble la suite que nous allons donner à nos travaux.

Je vous précise, à la demande notamment de M. Philippe Gosselin, que je réunirai le bureau de la commission des Lois à seize heures.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. S’agissant de la demande de huis clos qui a été formulée par le général Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République et par le colonel Lavergne, je constate, madame la présidente, que vous vous ralliez à la position que j’avais, dès le départ, défendue ; l’audition aura donc un caractère public.

S’agissant ensuite de l’organisation de nos travaux, je veux redire avec gravité que je regrette que la liste des auditions que j’ai suggérée dès samedi dernier ait jusqu’à présent fait l’objet de la part de la majorité d’un refus qui est une entrave au bon fonctionnement de notre commission d’enquête.

Je regrette également que les demandes qui ont été faites par les différents groupes – Nouvelle Gauche, France insoumise, UDI – et les non inscrits n’aient pas été examinées par notre commission. Il est plus que temps en effet que la lumière soit faite et que ces auditions puissent être conduites.

Je regrette donc que le programme de nos auditions n’ait toujours pas été fixé pour cet après-midi, que des créneaux n’ait pas été aménagés pour les jours à venir et, je le dis, je suis très préoccupé par les conditions dans lesquelles nos travaux pourront se poursuivre.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Madame la présidente, y a-t-il deux catégories de députés : les députés en marche qui ont l’honneur de recevoir le Président de la République pour avoir des explications sur ses responsabilités et les autres, qui sont baladés par une commission qui n’auditionne pas tous ceux qu’ils veulent entendre ?

J’ai toujours dit que j’étais hostile au fait que le Président de la République soit auditionné par la commission, car cela remettrait en cause la séparation des pouvoirs, mais je constate que le Président de la République n’est plus le président de la Nation, mais seulement celui de « ses » députés, ce qui est totalement contraire aux institutions. La situation est très grave et le Président de la République, dans cette affaire, n’est pas digne de sa fonction. Je ne participerai plus à cette mascarade. (M. Nicolas Dupont-Aignan quitte la réunion.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Nous sommes réunis pour auditionner des protagonistes de cette affaire et non pour se servir de cette commission comme d’une tribune politique, bien que cela soit clairement l’objectif de certains.

M. Éric Ciotti. Mon intervention concerne le fonctionnement et l’organisation des travaux de notre commission. À ce stade, nous ne pouvons que déplorer la situation de blocage dans laquelle nous nous trouvons. Notre groupe ne comprend pas votre refus de la transparence nécessaire à la poursuite de la mission qui nous a été confiée et déléguée au travers des pouvoirs d’enquête qui ont été conférés à la commission des Lois.

Il est légitime aujourd’hui que nous entendions les personnes que votre co-rapporteur a proposé d’auditionner, notamment le secrétaire général de l’Élysée. Il est d’autant plus important que nous l’entendions, ainsi que tous les membres de la chaîne administrative hiérarchique de l’Élysée, que le Président de la République a totalement contredit hier soir, par ses déclarations, la version de son directeur de cabinet que nous avions entendu dans l’après-midi. Le directeur de cabinet a-t-il menti hier quand il a affirmé qu’il n’avait jamais évoqué la sanction infligée à M. Benalla avec le Président de la République, alors que le Président de la République dit avoir validé cette sanction ? À moins que ce ne soit M. Kohler qui ait évoqué cette sanction avec le Président.

Sur la forme donc, nous devons, par souci de transparence, entendre tous ceux qui ont joué un rôle dans cette affaire. Quant au fond, les faits qui se sont produits hier soir nous conduisent à demander, avec plus de force encore, l’audition de M. Kohler. Je le dis très clairement, le groupe Les Républicains ne se satisfera pas de la façon dont est gérée cette commission qui, avec votre stratégie consistant à gagner du temps, va aboutir à un enterrement de première classe. Nous ne l’accepterons pas.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. J’ai entendu vos propos. Je vous indique néanmoins que, contrairement à tout ce que je viens d’entendre, la commission des Lois a fait preuve d’une extrême rapidité pour mettre en place cette commission d’enquête : jeudi dernier, nous avons réuni le bureau de cette commission, et vendredi, la commission des Lois ; nous avons commencé nos auditions dès le lundi matin, nous avons réalisé lundi trois auditions, et travaillé hier jusqu’à vingt-trois heures passées ; nous étions de nouveau réunis ce matin pour auditionner les personnels de l’Élysée, et je viens de vous indiquer que le bureau de la commission se réunirait à seize heures et la commission des Lois à seize heures trente pour organiser la suite de nos travaux, ce qui devrait nous permettre de débattre entre nous de l’opportunité de telle ou telle audition.

Pour l’heure je souhaite que nous commencions nos travaux. À moins que vous ne vouliez pas auditionner les personnes prévues aujourd’hui…

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Madame la présidente, je ne comprends pas que vous n’ayez pas pris le soin d’accueillir et d’introduire les personnes que nous auditionnons. Cela aurait permis d’éviter qu’elles soient ainsi les témoins de nos débats internes, ce qui ne me paraît pas tout à fait de bonne méthode.

M. Jean-François Eliaou. Ce n’est pas de notre fait !

M. Didier Paris. Votre propos est scandaleux !

M. Guillaume Larrivé, corraporteur. S’agissant de la liste des auditions, je ne peux pas, madame la présidente et co-rapporteure, vous laisser parler de consensus. Comme je l’ai déjà dit dans l’hémicycle devant le président de Rugy samedi matin, au titre de mes fonctions de co-rapporteur, je vous ai saisie officiellement et par écrit d’une liste extrêmement précise de personnes appartenant à l’Élysée, au ministère de l’intérieur et à En Marche ! que je souhaite voir convoquées par notre commission d’enquête. Les groupes Nouvelle Gauche, de La France insoumise, de la Gauche démocrate et républicaine, UDI Agir et Indépendants ainsi que des députés non inscrits vous ont également saisie de demandes extrêmement précises. Or je constate qu’à dix heures ce matin nous n’avons pas une seule audition prévue dans l’après-midi d’aujourd’hui. Je considère donc qu’il y a là un dysfonctionnement manifeste de notre commission d’enquête et, en tant que co-rapporteur, je n’accepterai pas que cette commission fasse l’objet d’entrave et d’obstruction de la part d’une majorité aux ordres de l’Élysée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Mon cher co-rapporteur, je trouve vos propos ahurissants… mais commençons nos travaux.

Nous sommes réunis pour faire la lumière sur les événements survenus à l’occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018. Je vous rappelle que, pour ce faire, la commission est dotée des prérogatives d’une commission d’enquête, conformément à l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

Avant de commencer, je tiens à vous rappeler le cadre général de notre travail. Après avoir prêté serment, le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République, tiendra un propos liminaire, puis moi-même et le co-rapporteur lui poserons quelques questions. Le général y répondra et je laisserai ensuite les représentants des groupes, dans l’ordre d’importance numérique de ces derniers, poser une première série de questions.

Je vous précise que les questions que vous poserez devront être limitées sur le fond par le principe de séparation des pouvoirs, en vertu duquel il est interdit aux travaux d’une commission d’enquête de porter sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires, aussi longtemps que celles-ci sont en cours. La garde des sceaux, nous a fait savoir, le 23 juillet, qu’une information judiciaire était ouverte.

Je vous rappelle également que cette audition est ouverte à la presse, qu’elle est diffusée en direct sur la chaîne parlementaire et qu’elle fait l’objet d’une retransmission sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander, général, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. le général Éric Bio-Farina prête serment.)

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Madame la présidente, monsieur le co-rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je salue respectueusement ici la représentation nationale. C’est un honneur que de participer à la manifestation de la vérité.

Je n’ai pas à proprement parler de propos liminaire. Je dirai juste en préambule que, le 1er mai 2018 le commandement militaire, de par ses fonctions, était assez loin des événements de la Contrescarpe.

Bien sûr, nous connaissions M. Alexandre Benalla. Ses fonctions auprès du chef de cabinet l’amenaient à travailler avec nous, régulièrement. Bien sûr, M. Vincent Crase fut un temps réserviste de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, employé à la Présidence de la République mais, ce jour-là, il n’avait pas été convoqué : il a donc agi de son propre chef, en tant que citoyen.

J’espère pouvoir répondre avec la plus grande clarté et avec le plus de détails possible aux questions que vous poserez. Néanmoins, à l’instar du directeur de cabinet, je dois vous rappeler que je suis soumis à la norme constitutionnelle et à la séparation des pouvoirs : je ne peux donc pas m’exprimer sur l’organisation interne de la Présidence. Par ailleurs, une enquête judiciaire étant ouverte, je ne pourrai pas non plus m’exprimer sur des faits relatifs à une instruction en cours. Plus particulièrement, mon positionnement au cœur du dispositif de sécurité de la Présidence de la République m’incite à la plus grande vigilance en ce qui concerne la protection du secret de la défense nationale.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. M. Crase est donc réserviste, ponctuellement mobilisé par votre commandement militaire. Pouvez-vous me préciser à quelles occasions et dans quelles conditions le commandement militaire a pu le mobiliser ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Le 23 octobre 2017, M. Vincent Crase a contracté un engagement pour servir dans la réserve opérationnelle, au sein de la Garde républicaine. Au travers de cet engagement, il est employé par moi-même, dans le cadre du vivier de réservistes que j’ai constitué au sein de la Présidence de la République, afin que la réserve, qui incarne l’engagement citoyen au service de la nation puisse s’incarner également au plus haut niveau de l’État, selon une conception à la fois symbolique et opérationnelle.

M. Vincent Crase a servi à l’Élysée dans le cadre de la réserve entre le 10 novembre 2017 et le 27 avril 2018, date de sa dernière convocation ; sur cette période de six mois, M. Crase a été convoqué quarante fois. Dans un premier temps, c’est-à-dire lors des dix premières convocations, M. Vincent Crase s’est acculturé aux modes de sécurité de la Présidence de République. Je l’avais plus particulièrement intégré au sein du service de contrôle des entrées, et sa mission se situait dans ce périmètre de sécurité. Il a fait le tour des postes pour comprendre comment fonctionnait le contrôle des entrées et pouvoir exécuter des missions dans ce service. Par ailleurs, comme il était le plus gradé de ma réserve – il était chef d’escadron –, je l’avais également missionné pour gérer au plan administratif le corps des réservistes que nous recrutions – il y a aujourd’hui quatorze réservistes à l’Élysée. Il a ensuite participé de manière opérationnelle à quelques événements du palais, essentiellement dans le cadre du service de contrôle des entrées.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Est-il habituel que des agents du commandement militaire participent à des opérations de maintien de l’ordre ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. La réponse est clairement non. Le commandement militaire a un périmètre d’action qui est strictement circonscrit aux enceintes de la Présidence de la République. Nous ne sortons pas de nos murs. La protection que nous effectuons concerne essentiellement l’intérieur des enceintes et des annexes de la Présidence. En tout état de cause, aucun réserviste ni militaire du commandement militaire n’est supposé participer à des opérations sur la voie publique, en dehors de nos murs.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Étiez-vous au courant que, le 1er mai, il devait se trouver aux côtés de M. Benalla avec le statut d’observateur sur des opérations de maintien de l’ordre ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Absolument pas. J’apprends ce fait le 2 ou le 3 mai et prends immédiatement des dispositions le concernant. Le 3 mai, je l’informe que, au regard de sa participation totalement déplacée aux événements du 1er mai, il ne fait plus partie de la réserve de la Présidence de la République, et je le remets par message, le 4 mai, à disposition de la Garde républicaine.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Le 3 mai, avez-vous un entretien avec lui ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Le 3 mai, j’ai un entretien téléphonique avec lui et lui signifie oralement que, dès le lendemain, il ne servira plus au sein de la Présidence de la République dans la réserve opérationnelle.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Cela n’a pas d’incidence sur son appartenance à la réserve opérationnelle ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non. Pour radier un militaire de la réserve opérationnelle, il faut qu’une commission de radiation soit saisie, ce qui est une prérogative du ministre de l’intérieur.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Mon général, connaissez-vous la société Byblos ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Connaissez-vous la société Mars ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Qui vous a présenté M. Crase ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. M. Crase s’est présenté tout seul, mais certainement sur suggestion de M. Alexandre Benalla, puisque tous les deux se connaissaient de longue date.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Quel type de vérifications le commandement militaire de l’Élysée que vous dirigez a faites, ou n’a pas faites, sur les aptitudes qu’avait M. Crase pour être ainsi mobilisé au cœur de l’État.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. M. Crase appartient à la réserve depuis assez longtemps, puisqu’il me semble que c’est en 1996 qu’il a contracté son premier engagement au sein du groupement de gendarmerie départemental de l’Eure. En 2017, il a rompu ce premier contrat d’engagement à servir dans les réserves (ESR) pour contracter un autre contrat ESR auprès de la Garde républicaine. C’est à ces deux niveaux que les opérations de vérification administratives ont été effectuées. Lorsqu’il a manifesté sa volonté de servir au sein de la Présidence de la République, il a, bien sûr, dû se soumettre à plusieurs entretiens, d’abord avec mes adjoints, ensuite avec moi-même, et il a fait l’objet d’un criblage, qui n’a rien révélé. Sa moralité étant donc attestée par ses services antérieurs et rien ne me semblant par ailleurs s’y opposer, j’ai accepté de le prendre dans la réserve opérationnelle de l’Élysée.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Dans son intervention officielle du 19 juillet dernier, le porte-parole du Président de la République, M. Bruno Roger-Petit, a déclaré que M. Benalla avait demandé l’autorisation d’observer les opérations du 1er mai et que cette autorisation lui avait été donnée. M. Bruno Roger-Petit a ajouté que « M. Alexandre Benalla était accompagné ce jour-là, et dans les mêmes conditions, de M. Vincent Crase ».

Je vous demande donc si M. Crase a été, comme l’a été M. Benalla, et dans les mêmes conditions que lui, autorisé à assister aux opérations du 1er mai.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Absolument pas. La dernière convocation de M. Crase pour une mission de service de la réserve opérationnelle au sein de la Présidence de République date du 27 avril 2018. Je n’ai à aucun moment eu connaissance du souhait de M. Crase de participer aux événements du 1er mai.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Quand avez-vous été informé, et par quel moyen, de la participation de M. Crase aux opérations du 1er mai ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Le 2 mai, M. Alexandre Benalla est venu me trouver pour m’expliquer qu’au cours de la manifestation du 1er mai, il avait participé à une interpellation, dans un contexte où des manifestants jetaient sur les forces de l’ordre et sur lui-même des objets. Il m’a montré sur son téléphone portable un court extrait vidéo de son intervention. C’est à peine si je l’ai reconnu, et je n’ai pas identifié M. Vincent Crase ; ce n’est que le 2 mai au soir, ou le 3 mai, qu’Alexandre Benalla m’apprendra que ce dernier se trouvait avec lui. Par ailleurs, je ne suis jamais parvenu à retrouver cette vidéo sur internet, n’étant pas sur les réseaux sociaux et n’y ayant pas accès. Je ne l’ai visionnée dans son intégralité que lorsqu’elle est devenue publique.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Vous nous dites, mon général que, vous n’avez pas pu accéder aux réseaux sociaux, qui sont pourtant publics…

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Disons que nous avons cherché cette vidéo sur les réseaux sociaux et sur internet mais que je ne l’ai pas trouvée.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. J’observe que les autorités préfectorales que nous avons entendues ont eu manifestement moins de difficultés que le général en charge du commandement militaire de l’Élysée à trouver, en quelques clics, cette vidéo sur internet.

J’en viens à vos relations avec M. Benalla : le connaissez-vous personnellement ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je connais M. Alexandre Benalla dans le cadre de nos relations professionnelles. M. Alexandre Benalla est arrivé à la Présidence de la République en mai 2017. Il a été affecté auprès du chef de cabinet avec le rang d’adjoint au chef de cabinet.

M. Patrice Strzoda vous a expliqué hier le rôle qu’il avait dans l’organisation des événements, un rôle de « facilitateur » en quelque sorte, qui le plaçait à la charnière des problématiques de sécurité entre le Groupe de sécurité de la Présidence de la République (GSPR) et le commandement militaire. J’avais donc des relations quotidiennes avec M. Alexandre Benalla dans le cadre de la préparation et de la gestion d’événements, parmi lesquels beaucoup commencent à l’extérieur de l’Élysée, mais se terminent dans son enceinte, comme, tout récemment, l’accueil de l’équipe de France, dont la gestion opérationnelle commençait sur le tarmac de Roissy pour se terminer au palais de l’Élysée.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. À votre connaissance, M. Benalla a-t-il participé à la préfecture de police à des réunions relatives à l’organisation des déplacements du Président de la République ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Oui. À l’époque, il était totalement impliqué dans l’organisation des déplacements du Président de la République.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. À l’époque ? Jusqu’à quand M. Benalla a-t-il participé à ces réunions ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. De façon certaine, jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions ; pour le moins, tant qu’il était adjoint au chef de cabinet.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Quand a-t-il été démis de ses fonctions relatives à l’organisation des déplacements du Président de la République ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Dès lors que le directeur de cabinet l’a suspendu, sans doute le 2 ou le 3 mai, immédiatement après qu’il a eu découvert les faits.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Je rappelle que dans la déclaration écrite qu’il nous a adressée hier, M. Alain Gibelin, directeur de la Direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) nous a indiqué que M. Benalla avait participé, entre le 18 mai et le 18 juillet, à la préfecture de police, à des réunions relatives à l’organisation des déplacements du Président de la République.

 Mon général, pouvez-vous nous apporter des précisions sur le grade de lieutenant-colonel de M. Benalla ? Quelles responsabilités implique-t-il ? Quelle est l’autorité qui l’a sollicité et celle qui l’a accordé ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Votre question nécessite une petite digression sur le fonctionnement de la réserve opérationnelle de la gendarmerie.

À l’origine, si ma mémoire est bonne, M. Benalla appartenait à la réserve opérationnelle du groupement de gendarmerie départementale de l’Eure.

Il a démissionné de cette réserve pour signer un contrat, toujours dans la réserve opérationnelle de premier niveau mais au sein d’une ressource spécialisée, dite ressource experte, mobilisée par le directeur de la gendarmerie, dès lors qu’un groupe de travail ou une réflexion particulière doit se tenir sur un sujet particulier. Il s’agissait, en l’occurrence, d’une mission de réflexion sur la protection des brigades territoriales montée après l’incendie criminel qui avait visé la gendarmerie de Meylan.

Dans la perspective de son intégration à cette ressource, le directeur général a accordé à M. Benalla le grade de lieutenant-colonel. Il s’agit d’un grade d’officier du corps technique administratif (OCTA) ne valant que pour la participation aux débats du groupe de travail et ne permettant pas à son titulaire d’assumer des fonctions opérationnelles sur le terrain ou de concourir à l’avancement. Je présume que le grade de lieutenant-colonel a été retenu pour donner à M. Benalla un positionnement satisfaisant dans un groupe de travail qui était d’un assez haut niveau.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Quel était le grade de M. Benalla lorsqu’il était membre de la réserve opérationnelle du groupement de l’Eure ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je ne le sais pas exactement, mais il devait s’agir d’un grade de sous-officier.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Mon général, vous êtes général de brigade de la gendarmerie nationale, et vous ignorez le grade qu’avait M. Benalla, adjoint au chef de cabinet du Président de la République, lorsqu’il était au sein de la réserve opérationnelle de l’Eure ? Il me semble que vous avez une connaissance assez elliptique du parcours de M. Benalla au sein de la gendarmerie nationale.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je sais qu’il était sous-officier, mais j’ignore quel a été son parcours de réserviste opérationnel au sein du groupement de l’Eure.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Est-il habituel qu’un sous-officier, à supposer que tel ait été son grade, puisque vous l’ignorez, soit promu lieutenant-colonel ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Cette ressource spécialisée est constituée d’experts qui constituent un vivier de personnes uniquement mobilisées dans le cadre de groupes de travail et à qui le directeur général de la gendarmerie peut en effet attribuer, à titre temporaire, ce niveau de grade. Cela se fait d’ailleurs dans les autres armées ; ce n’est pas spécifique à la gendarmerie nationale.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. M. Benalla, en sa qualité de lieutenant-colonel de cette réserve opérationnelle spéciale de la gendarmerie nationale, a-t-il effectué une mission et a-t-il participé à un groupe de travail ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je l’ignore.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. J’en reviens à M. Crase. Avez-vous saisi l’autorité judiciaire au sujet de la participation de M. Crase aux événements du 1er mai, à savoir, d’une part, les violences dont il semble s’être rendu responsable et, d’autre part, le fait qu’il se soit apparemment substitué aux forces officielles du maintien de l’ordre. Cette double circonstance vous a-t-elle semblé motiver le recours à l’article 40 du code de procédure pénale ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Absolument pas, parce que, dans le temps de la flagrance, j’ai très mal apprécié, visuellement, le rôle de M. Vincent Crase, et à aucun moment il ne m’est apparu dans les bribes d’actions que j’ai vues sur le portable d’Alexandre Benalla qu’il relevait de l’article 40.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Vous évoquez le visionnage que vous avez effectué sur le téléphone portable de M. Benalla, le 2 mai. Nous sommes aujourd’hui le 25 juillet. Entre le 2 mai et le moment où l’autorité judiciaire s’est elle-même saisie, c’est-à-dire le 18 ou 19 juillet, vous n’avez donc pas été conduit, en tant que commandant militaire de l’Élysée, mobilisant ponctuellement M. Crase, à revisionner les faits, à les analyser et à vous interroger sur l’opportunité qu’il y aurait à saisir l’autorité judiciaire au titre de l’article 40 ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non. Au vu de ce que je savais et de ce que j’ai vu, la décision que j’ai prise d’exclure quasi immédiatement M. Vincent Crase de la réserve de l’Élysée me semblait proportionnée.

Ensuite, il appartient à la Direction générale de la gendarmerie de statuer sur l’avenir de M. Crase dans la réserve. Je pense que nous allons nous diriger vers une radiation, mais c’est une prérogative du ministre de l’intérieur. En mon âme et conscience, j’ai fait ce qui me semblait devoir être fait à mon niveau.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Avez-vous fait un compte rendu relatif à M. Crase pour le secrétaire général de la Présidence de la République, M. Alexis Kohler ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Ma chaîne hiérarchique au sein de la Présidence de la République est très claire : je dépends du directeur de cabinet. Dès que j’apprends que M. Vincent Crase a participé, aux côtés de M. Benalla, aux événements de la Contrescarpe je lui en rends compte. Mais je n’ai pas, sauf en l’absence du directeur de cabinet, à rendre compte directement au secrétaire général.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Mon général, le porte-parole du Président de la République a déclaré le 19 juillet que M. Crase était, d’une part, gendarme réserviste mobilisé par le commandement militaire de la Présidence de la République et, d’autre part, employé de La République en Marche. D’autres employés de La République en Marche sont-ils mobilisés sous votre autorité par le commandement militaire de l’Élysée ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. De mémoire, il doit y en avoir un sur les quatorze que nous employons aujourd’hui.

M. Guillaume Larrivé, co-rapporteur. Vous employez donc toujours un salarié de La République en Marche au sein du commandement militaire de l’Élysée.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Oui, monsieur le co-rapporteur.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Je vais, comme à l’accoutumée, donner la parole à des représentants de chacun des groupes présents dans cette salle. Je vous précise que j’ai deux demandes de la part de députés non inscrits et que, privilégiant les commissaires aux lois, je donnerai la parole à Mme Lorho, pour cette audition et la suivante.

Mme Naïma Moutchou. Depuis nos auditions de lundi, nous cherchons notamment à déterminer qui était informé de l’intention de M. Alexandre Benalla de participer à la manifestation du 1er mai. À ce jour nous n’avons pas de réponse, notamment de la préfecture de police et de ses services, qui étaient pourtant en première ligne dans l’organisation de la manifestation du 1er mai. Le préfet de police et le directeur de l’ordre public et de la circulation nous ont notamment dit ne pas avoir été informés de la présence de M. Alexandre Benalla avant la manifestation et l’avoir découvert, le soir du 1er mai, dans la salle de commandement.

Compte tenu de vos fonctions de haut niveau, savez-vous si quelqu’un, à la préfecture de police, en particulier le préfet de police ou le directeur de l’ordre public et de la circulation, était informé de l’intention de M. Benalla de participer à la manifestation du 1er mai ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Le 25 avril 2018 – la date est reportée sur mon agenda – s’est tenu un déjeuner de travail entre M. Alain Gibelin, moi-même et Alexandre Benalla. L’objet de ce déjeuner de travail était de reconsidérer les conditions d’emploi et de travail des fonctionnaires de police de la compagnie de gardes de l’Élysée, qui dépendent de la Division de protection des institutions, qui, elle-même, dépend de la DOPC. Ces fonctionnaires de police sont chargés du premier périmètre de défense de la Présidence de la République, et nous réfléchissons de longue date, Alain Gibelin et moi-même, à la manière de mieux les intégrer au sein de la Présidence de la République, afin qu’ils aient une meilleure perception du niveau de leur emploi. Au titre de ses fonctions d’adjoint au chef de cabinet et étant souvent amené, lors des déplacements du Président de la République, à traiter avec la compagnie des gardes de l’Élysée, qui ouvre et ferme les accès du Faubourg Saint-Honoré, Alexandre Benalla participait à ce déjeuner.

Au cours de ce déjeuner – et je m’en tiendrai à ce que ma mémoire a retenu –, il y a eu entre MM. Alain Gibelin et Alexandre Benalla un aparté au sujet de la manifestation du 1er mai, à l’occasion duquel ils ont échangé sur les équipements qui seraient fournis à M. Benalla pour sa participation à la ladite manifestation. C’est tout ce dont je me souviens.

Mme Naïma Moutchou. Je comprends donc qu’au cours de ce déjeuner qui s’est tenu quelques jours avant la manifestation du 1er mai, M. Gibelin et M. Benalla ont, selon votre mémoire, échangé sur les équipements dont M. Benalla disposerait à l’occasion de la manifestation du 1er mai. J’en conclus que M. Gibelin était informé du fait que M. Benalla participerait à la manifestation du 1er mai. Est-ce exact ? Je vous rappelle, monsieur le général, que vous parlez sous serment.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. C’est ce dont je me souviens.

Mme Naïma Moutchou. Il semblerait donc qu’il y ait une contradiction très nette entre ce que vous nous apprenez et ce que nous a déclaré M. Gibelin, puisqu’il nous a indiqué ne jamais avoir été informé de la participation de M. Benalla à la manifestation et l’avoir découvert le soir-même en salle de commandement. Nous devrons donc éclairer ce point, et je proposerais à Mme la présidente que nous réentendions M. Gibelin.

Général, la présence de M. Alexandre Benalla, le 1er mai, sous l’apparence d’un policier et doté d’équipements de police, fait dire à certains qu’il existerait une sorte de police parallèle au sein même de l’Élysée : cette police parallèle existe-t-elle ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non, madame la députée, il n’y a pas de police parallèle au sein de la Présidence de la République, mais uniquement le commandement militaire de la présidence de la République et le Groupe de sécurité du Président de la République.

M. Philippe Gosselin. Mon général, vous nous avez indiqué quelles avaient été les sanctions prises à l’encontre de M. Crase, qui a été remis à la disposition de la garde républicaine.

Il nous a été dit à plusieurs reprises que M. Benalla avait été absent de l’Élysée du 4 au 22 mai. Nous le confirmez-vous ? Pouvez-vous par ailleurs attester que, pendant cette période, il n’était pas affecté à des travaux liés à la sécurité ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Jamais pendant la période de sanction M. Alexandre Benalla n’est revenu au palais de l’Élysée. Comme je suis responsable du contrôle des entrées, je peux vous l’affirmer, monsieur le député. J’ajouterai qu’à titre personnel, je n’arrivais même plus à le joindre sur son téléphone.

M. Philippe Gosselin. À votre connaissance, a-t-il travaillé de près ou de loin pour l’Élysée pendant cette période ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Alexandre Benalla ne travaillait pas sous mes ordres. Je peux vous affirmer qu’il n’a jamais remis les pieds à l’Élysée mais là s’arrêtent mes certitudes pour cette période.

M. Aurélien Pradié. J’aimerais revenir sur l’autorisation de port d’arme délivrée à M. Benalla et manifestement à M. Crase. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet compte tenu des relations de travail directes que vous avez eues avec ces deux individus ?

Aviez-vous constaté qu’ils portaient une arme ? Si oui, en quelles circonstances ? Était-ce au sein du palais de l’Élysée ou au cours des missions qui leur étaient confiées ? Vous êtes-vous interrogé sur le fait que l’un ou l’autre portait une arme ? Savez-vous aujourd’hui si ces armes ont été fournies par l’Élysée, par votre commandement ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Procédons dans l’ordre.

Commençons par M. Benalla. Je l’ai vu porter une arme, bien sûr, dans le cadre de certaines de ses missions. Je savais qu’une autorisation de port d’arme lui avait été délivrée et donc qu’il portait son arme de manière réglementaire.

Quant à M. Vincent Crase, dans le cadre de ses convocations, et donc dans le cadre des missions de réserviste qu’il a pu mener au sein de la présidence de la République, il était doté d’une arme de service qu’il percevait au début de ses missions et qu’il réintégrait quand elles prenaient fin. Je n’insiste pas sur le caractère extrêmement verrouillé de la procédure de perception et de réintégration des armes qui prévaut au commandement militaire et au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Autrement dit, le commandant militaire prêtait une arme à M. Crase dans le cadre de ses missions qui étaient toujours précédées d’une convocation.

M. Aurélien Pradié. Quelle est l’origine de l’arme que M. Benalla portait le 1er mai ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je l’ignore, monsieur le député. En tout cas, ce n’est pas une arme du commandement militaire.

M. Raphaël Schellenberger. Vous nous avez appris ce matin, mon général, que la réserve opérationnelle de gendarmerie de la présidence est composée de quatorze réservistes. Le nom de M. Crase, qui en faisait partie jusqu’au 4 mai, vous a été suggéré par M. Benalla. Nous savons que parmi ces quatorze réservistes figure aussi un salarié du mouvement La République en Marche. Y a-t-il d’autres personnes salariées de ce mouvement qui vous ont été suggérées soit par M. Benalla, soit par un conseiller ou chargé de mission de l’Élysée ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. J’ai sous les yeux la liste des quatorze réservistes de la réserve opérationnelle qui servent au sein de la présidence de la République. Outre M. Vincent Crase, il y a un autre réserviste qui était salarié du mouvement La République en marche quand je l’ai rencontré. Je crois qu’il ne l’est plus car il est indiqué qu’il est actuellement technicien d’études chez Engie.

M. Raphaël Schellenberger. Vous a-t-il été suggéré par M. Alexandre Benalla ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non. C’est la garde républicaine qui me présente des profils de personnes qui ont demandé à souscrire un engagement dans la réserve et c’est moi qui choisis ceux qui, à l’issue de nombreux entretiens, intégreront la réserve de l’Élysée.

Mme Laurence Vichnievsky. Général, je voudrais d’abord redire notre attachement aux services qui assurent traditionnellement la sécurité de la présidence de la République et la protection du Président de la République. Nous leur faisons confiance et nous leur maintenons cette confiance.

Le périmètre des attributions de M. Benalla était strictement défini, comme plusieurs personnes auditionnées nous l’ont précisé. Indépendamment des événements du 1er mai, qui font l’objet d’une enquête judiciaire, vous est-il apparu qu’il arrivait à M. Benalla de sortir de ce périmètre ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Madame la députée, à ma connaissance et selon ce que j’ai pu moi-même constater, M. Alexandre Benalla est toujours resté dans le cadre des attributions qui avaient été définies par le chef de cabinet.

M. Erwan Balanant. Vous nous avez dit avoir vu la vidéo le 2 mai et ne pas l’avoir revue ensuite. Est-ce parce que vous n’avez pas cherché à la revoir ou parce que vous ne l’avez pas retrouvée sur les réseaux sociaux ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je n’ai pas cherché à la revoir sur le portable d’Alexandre Benalla.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Mon général, j’ai bien noté vos observations sur la séparation des pouvoirs, l’organisation de la présidence de la République et l’enquête judiciaire. Vous êtes un militaire de très haut niveau, donc soucieux de rectitude. Vous connaissez M. Benalla, que vous avez rencontré à maintes reprises. Pouvez-vous nous en dire plus sur sa personnalité ? Quel est votre sentiment à ce sujet ? Se sentait-il l’objet d’une protection particulière ? Disposait-il d’une grande latitude au sein de l’Élysée ? Peut-il être considéré comme un électron libre, comme certains collaborateurs de l’Élysée l’ont laissé entendre ? Enfin, avez-vous une idée des relations qu’entretenait Alexandre Benalla avec Yann Drouet, qui est maintenant à la cellule anti-terroriste de l’Élysée ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Monsieur le député, j’ai parfaitement compris votre question. Je ne suis un expert ni en sociologie ni en étude de caractère. Ce que je peux vous dire – et je me contenterai de rester dans le champ de l’opérationnel et du missionnel –, c’est qu’Alexandre Benalla était un excellent spécialiste. Ce qu’il faisait, il le faisait bien et il le faisait vite, bien souvent avec une grande faculté d’anticipation.

Sur le plan de la personne – et là, vous me permettrez d’être très succinct –, il avait sans doute quelques défauts propres à la jeunesse – vingt-six ans –, une forme d’enthousiasme, une fougue qui pouvaient parfois paraître un peu débridées.

Sur le plan opérationnel et missionnel, en tout cas, tout le monde à la présidence de la République appréciait les services qu’il rendait. Et ce serait faire preuve d’injustice à son égard que de le nier ici et maintenant.

M. Meyer Habib. Vos officiers se sont-ils fait l’écho d’altercations et de tensions qui auraient eu lieu à un niveau ou à un autre avec M. Benalla ? Avez-vous parlé avec lui de la réorganisation des services de l’Élysée ? Est-il courant dans la gendarmerie qu’une personne de vingt-six ans soit promue au grade de lieutenant-colonel ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Jamais il n’a été porté à ma connaissance une quelconque friction entre mes gendarmes et mes policiers et Alexandre Benalla, qui était, je peux le dire, unanimement apprécié.

Le projet de direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR) était piloté par le directeur de cabinet Patrick Strzoda, pour ce qui est de son concept global, et par moi-même pour ce qui est du plan applicatif. Alexandre Benalla y participait à titre consultatif – un peu comme pour la ressource spécialisée : d’une part, parce qu’il faisait partie de la chefferie de cabinet et que nous avions besoin de cette vision-là pour construire les orientations ; d’autre part, parce qu’en de nombreux domaines touchant à la sécurité, sa parole était assez pertinente, je dois le dire.

Le grade de lieutenant-colonel était-il approprié ? M. Benalla participait à un groupe de travail de haut niveau créé par le directeur général de la gendarmerie et sans doute a-t-il paru opportun au général Lizurey de lui conférer ce grade afin qu’il puisse y prendre toute sa place. C’est la seule raison pour laquelle il a eu un grade de ce niveau-là. Par ailleurs, je le répète, ce grade ne valait pas sur le terrain en matière opérationnelle mais seulement dans le cadre des travaux menés par le groupe de réflexion.

M. David Habib. Mon général, vous avez pu constater sur des photos et des vidéos que le 1er mai, M. Benalla disposait d’un poste de radio ACROPOL. Cet appareil a-t-il fait partie des équipements évoqués par M. Gibelin et par M. Benalla lors du déjeuner du 25 avril dernier ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Monsieur le député, je n’en ai pas souvenir.

M. David Habib. Pensez-vous que M. Benalla ait pu communiquer avec quelqu’un de l’Élysée pendant la journée du 1er mai ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Il serait sans doute plus utile de poser la question au colonel Lavergne tout à l’heure. Sous réserve que mes connaissances techniques au sujet des postes Acropol soient justes, je ne pense pas que la radio dont disposait M. Benalla lui permettait de communiquer avec l’extérieur.

M. David Habib. A-t-il pu communiquer avec l’Élysée en dehors de ce poste de radio ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je ne sais pas. En tout cas, pas avec le commandement militaire.

M. David Habib. À ce propos, madame la présidente, je renouvelle ma demande : nous serait-il possible d’avoir connaissance des échanges qui ont eu lieu à partir de ce poste ACROPOL le 1er mai ?

La presse évoque le nom de M. Yann Drouet. Le connaissez-vous ? Quel était son rôle dans la sécurité de l’Élysée ? Quelles relations avait-il avec M. Benalla ou M. Crase ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la présidence de la République. Je connais M. Yann Drouet à deux titres : parce qu’il a été chef de cabinet du préfet de police de Paris et parce qu’il est aujourd’hui secrétaire général de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Dans ces deux cadres, nous avons eu et nous avons des relations quotidiennes.

Je sais qu’il connaissait Alexandre Benalla. Je ne peux guère vous en dire plus car je n’ai pas constaté, dans le champ missionnel ou opérationnel, de relations particulières entre MM. Alexandre Benalla et Yann Drouet.

M. David Habib. Madame la présidente, nous sollicitons bien évidemment l’audition de M. Yann Drouet.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Nous en discuterons tout à l’heure à seize heures dans le cadre de la réunion du bureau et à seize heures trente lors de la réunion de la commission des Lois.

M. Ugo Bernalicis. Mon général, ma première question portera sur le cas de M. Crase. Après son renvoi, avez-vous cherché à savoir si c’était la première fois qu’il participait à une opération de maintien de l’ordre sans que vous en ayez été informé ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je n’ai pas enquêté stricto sensu sur les activités de M. Crase en dehors de ses périodes de réserve. Par acquit de conscience, j’ai vérifié qu’il était bien hors du champ d’une convocation opérationnelle le 1er mai, ce qui m’a conduit à constater que sa dernière convocation remontait au 25 avril. Par acquit de conscience, j’ai aussi vérifié que son arme était dans notre armurerie et elle l’était. Là se sont arrêtées mes investigations.

À ma connaissance – c’est un fait avéré –, lorsque M. Vincent Crase était convoqué à la présidence de la République au titre de la réserve opérationnelle, il ne participait qu’aux missions pour lesquelles je le mandatais.

M. Ugo Bernalicis. L’arme qu’il portait sur lui le 1er mai est donc celle qui est restée dans l’armurerie après son renvoi.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je ne sais pas s’il portait une arme le 1er mai. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne pouvait pas porter une arme du commandement militaire. Après, nous rentrons dans le champ de l’instruction judiciaire.

M. Ugo Bernalicis. Vous avez indiqué avoir cherché à joindre M. Benalla sur son téléphone durant la période de sa sanction. Pour quelles raisons ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Nous échangions sur nombre de dossiers, notamment sur la DSPR car nous étions en train de construire l’espace opérationnel. J’ai dû vouloir l’appeler à propos de l’un de ces sujets. Je n’ai pas en mémoire la raison exacte. C’était en tout cas dans un cadre purement professionnel.

M. Ugo Bernalicis. Il a été question de police parallèle ou de chaîne de commandement parallèle. Je ne pense pas qu’il s’agisse de cela. À mon sens, il n’aurait pas été possible de mettre en place une telle organisation au sein de la présidence de la République à la vue de tous. Je sais l’attachement que vous et d’autres fonctionnaires de l’Élysée avez pour la République. Le fait qu’il y ait des salariés de La République en marche dans la réserve opérationnelle placée sous votre commandement vous posait-il question eu égard à la séparation des pouvoirs ? La séparation des pouvoirs s’entend en effet aussi entre le Président de la République et le Gouvernement puisque c’est le Premier ministre et non pas le Président qui est à la tête de l’administration publique. Cela vous a-t-il alerté ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. C’est une question que j’ai évoquée avec Patrick Strzoda dans le cadre de nos réunions quotidiennes ou hebdomadaires avant d’accepter d’intégrer Vincent Crase notamment. Nous avons discuté de l’opportunité de le prendre dans nos rangs, compte tenu du fait qu’il était salarié de La République en Marche. Rien juridiquement ne nous empêchait de le faire. Nous avons bien bordé son champ opérationnel et nous l’avons accepté.

Mme Huguette Bello. Général, l’arrivée d’Alexandre Benalla et de son équipe est-elle venue combler un manque dans le dispositif existant ? La fonction charnière entre le commandement militaire et le GSPR était-elle jusque-là vacante ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Toute structure, aussi perfectionnée soit-elle, est susceptible d’être améliorée – c’est le sens de la réflexion que nous avons menée sur la DSPR – mais non, il n’y avait pas de manque et non, il n’y avait pas rupture dans la continuité de sécurité avant l’arrivée d’Alexandre Benalla.

Avait-il une fonction charnière ? Pas au sens opérationnel du terme. Son positionnement en tant qu’adjoint au chef de cabinet lui permettait d’ajouter un degré dans la coordination entre ce qui se passe à l’extérieur de l’Élysée et ce qui se passe à l’intérieur, l’extérieur et l’intérieur étant liés dans un continuum de sécurité. Voici la plus-value qu’apportait Alexandre Benalla à notre dispositif global de sécurité.

Ai-je répondu, madame la députée, à votre question ?

Mme Huguette Bello. L’irruption d’Alexandre Benalla dans le dispositif chargé d’assurer la sécurité de la présidence de la République vous a-elle amené à modifier sensiblement votre protocole d’action et d’intervention ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je ne parlerai pas d’irruption mais d’arrivée d’Alexandre Benalla et je répondrai clairement non à votre question.

Mme Huguette Bello. Le ministre de l’intérieur a affirmé hier matin avec force : « la sécurité ne s’improvise pas, elle est l’affaire de professionnels ». J’aimerais savoir si l’irruption – je maintiens ce mot – d’Alexandre Benalla et de son équipe vous a contraint en plus de vos missions classiques à concevoir des mesures visant à anticiper l’action de non-professionnels auprès de vos équipes. Outre la protection du Président de la République, ne vous fallait-il pas en plus surveiller les actions de ces personnes ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. D’abord, à mon niveau, je n’ai pas constaté qu’Alexandre Benalla avait fait « irruption » avec une équipe. Je l’ai vu arriver seul à la chefferie de cabinet. En aucun cas son action n’a pu parasiter la mienne. En aucun cas.

Mme Marie-France Lorho. Général, tout d’abord, je vous remercie d’être venu devant notre commission. Je cite l’intitulé de votre poste : « commandant militaire, correspondant de défense et de sécurité ». Vous êtes général de gendarmerie, corps connu comme étant particulièrement hostile aux barbouzes et aux dérives des barbouzes dans d’autres corps. Avez-vous accepté sans restriction la désignation de M. Benalla au poste qu’il occupait ?

Par ailleurs, vous avez dit avoir participé à un déjeuner le 25 avril avec M. Gibelin et M. Benalla et avoir discuté en aparté des armes qu’il allait porter lors de la manifestation du 1er mai (Exclamations.) Vous étiez donc au courant de la participation de M. Benalla à la manifestation et du fait qu’il allait être armé ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Madame la députée, je vous confirme notre profonde détestation des barbouzes.

Ensuite, la désignation d’Alexandre Benalla a procédé d’une prérogative du directeur de cabinet. Je n’avais aucun avis à émettre et je n’en ai émis aucun.

Lors du déjeuner du 25 avril, qui n’avait pas trait à la manifestation du 1er mai, je le redis, l’ordre du jour portait sur l’amélioration du travail des policiers postés autour du palais de l’Élysée... j’ai assisté à un aparté entre MM. Alain Gibelin et Alexandre Benalla. À aucun moment, ils n’ont parlé d’armes. Ils ont évoqué des équipements.

Mme Marine Le Pen. Vous saviez donc qu’Alexandre Benalla serait présent à la manifestation du 1er mai.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Oui, madame. Il en avait déjà parlé avec le directeur de cabinet qui l’avait autorisé à participer en tant qu’observateur. Sa motivation, a-t-il dit, était d’observer les modes opératoires des Black Blocs. On pouvait en effet avoir affaire à eux au plus près de la présidence de la République. C’était un cas d’école envisageable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Avant que ne débute l’audition suivante à onze heures, je vous propose, chers collègues, de vous redonner la parole à raison de deux questions par groupe, en vous demandant qu’elles soient rapides et précises et qu’elles portent sur des sujets qui n’ont pas été abordés par le général Bio-Farina.

Mme Naïma Moutchou. Quel était l’état des relations entre Alexandre Benalla et l’Élysée et entre Alexandre Benalla et le corps policier ? Diriez-vous que ces relations, à ces deux niveaux, étaient bonnes ou mauvaises ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Avec l’Élysée, l’adjoint au chef de cabinet avait de bonnes relations. Et d’après ce que j’ai pu constater, il avait également de bonnes relations avec le corps de la police nationale à l’extérieur de l’Élysée. Je ne l’ai jamais vu avoir une altercation avec qui que ce soit ni à l’intérieur ni à l’extérieur mais il est vrai que je ne suis pas très souvent à l’extérieur.

Mme Naïma Moutchou. Je préciserai ma question : des auditions des syndicats menées par nos collègues sénateurs, il ressort qu’Alexandre Benalla avait des relations difficiles avec les policiers.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Personnellement, je ne l’ai pas constaté.

M. Guillaume Vuilletet. Vous avez dit avoir appris par M. Benalla le 2 ou le 3 mai que M. Crase était présent avec lui le 1er mai. Vous avez ensuite appelé M. Crase pour lui signifier qu’il ne pouvait plus faire partie de la réserve opérationnelle de l’Élysée. Comment l’un et l’autre ont-ils justifié cette présence ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Ils ne l’ont pas justifiée. M. Crase, quand je l’ai eu au téléphone pour lui signifier qu’il ne reviendrait plus à l’Élysée, m’a dit qu’il avait suivi Alexandre Benalla de son propre chef ce jour-là.

M. Sébastien Huyghe. Général, pour assurer la sécurité du président de la République, y a-t-il aux côtés des forces de police et de gendarmerie des personnels privés ? Lors d’un séjour à Brégançon du Président de la République et de son épouse, certains syndicats disent que les personnels privés étaient majoritaires par rapport aux forces de police et de gendarmerie. Nous le confirmez-vous ? S’il n’y avait pas de personnels privés pour assurer la sécurité du Président de la République, y avait-il des gens qui auraient été intégrés aux forces de l’ordre de manière accélérée ?

Je profite du fait d’avoir la parole, madame la présidente, pour vous inviter avec le co-rapporteur à demander une copie du dossier qu’a dû remplir M. Benalla pour devenir lieutenant-colonel de réserve.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je vais être clair : il n’y a aucun membre d’une force privée, quelle qu’elle soit, actuellement en service dans la mission de sécurité de la présidence de la République. Je ne vois pas de quoi vous parlez quand vous dites qu’il y a eu des personnes qui ont été incorporées aux forces de l’ordre de manière accélérée. Il n’y a eu aucun mouvement de ce type au niveau du commandement militaire, pas plus à l’Élysée qu’à Bregançon ou dans d’autres résidences présidentielles.

M. Jean-Louis Masson. Mon général, connaissez-vous Ludovic Chaker ? Si oui, joue-t-il un rôle particulier dans la protection de la Présidence de la République ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la présidence de la République. Monsieur le député, je connais bien évidemment Ludovic Chaker puisqu’il travaille auprès de l’amiral Rogel au sein de l’état-major particulier de la présidence de la République. Nous échangeons sur certains dossiers. À ma connaissance, il n’est jamais sorti de son rôle, qui est, je pense – mais c’est sous toutes réserves – celui d’un chargé de mission.

M. Erwan Balanant. Mon général, vous occupiez le poste de commandant militaire de la présidence de la République avant qu’Emmanuel Macron ne devienne Président de la République. Qui assurait alors les missions de coordination dont avait la charge M. Benalla ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Vous le savez, aucun cabinet ne se ressemble : ils ne fonctionnent pas nécessairement de la même façon. Du temps du président François Hollande, le chef de cabinet avait des adjoints et des chargés de mission dont les missions recouvraient peu ou prou le champ de celles d’Alexandre Benalla. Ils les effectuaient – je le dis par honnêteté intellectuelle – avec moins d’allant et moins de sens de l’anticipation que lui.

M. Erwan Balanant. Le fonctionnement était donc le même sous la présidence de M. Hollande ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. La coordination entre les services faisait partie, si je puis dire, du portefeuille d’un chargé de mission.

M. Erwan Balanant. Quel était le profil de ce chargé de mission ? Quel était son parcours professionnel ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Il s’agissait d’un civil chargé de mission. Il n’avait pas de grade dans l’administration, il n’était ni sous-préfet ni préfet. Il n’était pas non plus salarié d’un parti.

M. Meyer Habib. Mon général, nous confirmez-vous que M. Benalla ne s’occupait pas de la sécurité du Président de la République ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je vous le confirme : M. Benalla n’était pas en charge de la sécurité du Président de la République. Cette mission relève du commandement militaire et du GSPR.

M. Meyer Habib. Est-il normal qu’il soit allé observer les Black Blocks lors des manifestations du 1er mai ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Il ne m’appartenait pas de porter un jugement sur sa volonté d’aller observer les Black Blocks. Est-ce qu’observer les Black Blocks, c’est contribuer à assurer la sécurité du Président de la République ? Il me semble que non.

M. Meyer Habib. Le problème majeur dans cette affaire, c’est que M. Benalla, qui faisait partie du service de sécurité privé d’Emmanuel Macron quand il n’était pas encore Président, semble avoir voulu conserver ses prérogatives. C’est du moins ce qui ressort des auditions. Et c’est plutôt un sentiment que j’exprime ici qu’une question que je pose.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je comprends mieux votre question précédente. M. Benalla avait un tropisme pour la sécurité, c’était un sujet qui l’intéressait. Toutefois il n’est jamais intervenu dans ce domaine et, de toute façon, il ne pouvait pas intervenir dans les procédures de sécurité du commandement militaire ou du GSPR.

Mme Cécile Untermaier. Vous vous accorderez sans doute avec nous, général, sur l’importance que revêt la délivrance d’une autorisation de port d’arme. Nous avons appris hier que l’autorisation de port d’arme de M. Benalla était dénuée de toute base légale. Le 1er mai, M. Vincent Crase avait une arme à la ceinture. Nous supposons que cette arme n’était pas celle qu’il était autorisé à porter au titre de sa mission en tant que réserviste puisque vous nous avez précisé qu’elle était conservée à l’Élysée. Je ne doute pas que vous connaissez la liste des personnes travaillant sous vos ordres qui disposent d’une autorisation de port d’arme.

Ma question est la suivante : M. Vincent Crase avait-il une autorisation de port d’arme distincte pour les missions qu’il remplissait sous votre autorité ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Madame la députée, je comprends bien votre question mais nous entrons de plain-pied dans le champ de l’enquête judiciaire.

Mme Cécile Untermaier. Etait-il muni d’une autorisation de port d’arme pour le 1er mai ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je n’en ai pas eu connaissance.

Mme Marietta Karamanli. Les personnes qui remplissaient les mêmes fonctions que M. Benalla sous la présidence de François Hollande portaient-elles aussi une arme ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je n’ai pas dit, ou peut-être me suis-je mal exprimé, qu’il existait un homologue de M. Alexandre Benalla dans le cabinet précédent. J’ai indiqué que les missions effectuées par M. Benalla recouvraient celles des collaborateurs du chef de cabinet sous la présidence antérieure. Il y a toujours eu une mission de coordination au sein de la chefferie de cabinet qui s’occupe de l’événementiel.

Et pour répondre à votre question, les adjoints du chef de cabinet sous François Hollande n’étaient pas armés. Je n’ai jamais vu d’armes à leur ceinture.

Mme Marietta Karamanli. Vous avez parlé à plusieurs reprises de M. Benalla comme d’un expert. Quelles expériences passées et présentes auraient fait de lui un expert de haut niveau ? On ne le comprend pas très bien.

Quelles sanctions disciplinaires sont prévues contre les réservistes qui ne respectent pas le code de déontologie ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Cela revient à se demander si la valeur attend le nombre des années. Alexandre Benalla avait une grande connaissance des problématiques de sécurité. L’avait-il acquise par son expérience personnelle ? Au cours de ses études ? Je dirai que c’était sans doute un mélange des deux.

Le code de déontologie l’exposera-t-il à des sanctions ? La question se posera, comme pour M. Vincent Crase, de sa radiation de la réserve opérationnelle de premier niveau dans la ressource spécialisée.

M. David Habib. J’aimerais moi aussi poser une question, madame la présidente.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Vous ne m’avez pas écoutée, monsieur Habib : j’ai indiqué très clairement que je faisais un deuxième tour de questions, avec deux questions par groupe. (Exclamations.)

M. Ugo Bernalicis. Général, pourriez-vous donner l’identité de la personne ex-salariée ou actuellement salariée de La République en Marche qui figure parmi les quatorze réservistes de votre réserve opérationnelle ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non, monsieur le député, je ne peux pas.

M. Ugo Bernalicis. Pouvez-vous retranscrire, de la manière la plus exhaustive possible, l’échange entre M. Gibelin et M. Benalla concernant le 1er mai ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Je vous ai dit, de la manière la plus exhaustive possible, tout ce que je me rappelais personnellement de cet échange. Je ne saurais en ajouter davantage.

Mme Huguette Bello. Général, avez-vous connaissance de l’existence d’une fonction équivalente à celle d’Alexandre Benalla à l’Élysée avant mai 2017 ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Si quelqu’un tenait la même fonction, avec le même périmètre missionnel ? Non. C’était un recouvrement de périmètres, distribués entre plusieurs adjoints et chargés de mission de la chefferie de cabinet. Vous le savez, les cabinets qui se succèdent ne fonctionnent jamais à l’identique.

Mme Huguette Bello. Général, j’ai bien noté qu’il n’y avait pas d’équipe Benalla. J’aimerais toutefois savoir combien de personnes ont été recrutées depuis mai 2017 pour assurer la sécurité de l’Élysée.

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. La question est vaste. Les équipes connaissent toujours un turnover, aussi bien au sein du commandement militaire que du GSPR. Le renouvellement des équipes procède d’un cycle naturel de constitution, de reconstitution et de consolidation des équipes de sécurité. Combien de gendarmes ont été mutés et combien de gendarmes avons-nous recrutés dans l’année 2017 ? Je dirais entre quinze et vingt.

Le turnover du GSPR doit être moindre, puisque l’équipe est moins importante qu’au sein du commandement militaire. Je précise que je ne recrute que des gendarmes ou des policiers.

Mme Emmanuelle Ménard. Je demande la parole.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Les députés non inscrits ont eu droit à une question ce matin, en la personne de Mme Lohro, membre de la commission des Lois. Celle-ci m’avait indiqué qu’elle souhaitait ne poser qu’une question par audition. Ce sont les règles de notre assemblée.

M. Guillaume Larrivé, corraporteur. Madame la présidente, je suis prêt à céder mon temps de parole aux non-inscrits.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Ce n’est pas vous qui décidez, monsieur Larrivé, de l’organisation de nos débats. En ma qualité de présidente, j’avais indiqué à Mme Lohro que j’acceptais sa requête, poser une question par audition au titre des non-inscrits. Nous sommes dans le strict respect de ce que nous étions convenus.

Monsieur Larrivé, je vous remercie de poser votre question.

M. Guillaume Larrivé, corraporteur. Mon général, pourriez-vous préciser le périmètre du groupe de travail de réorganisation des services de sécurité de la présidence de la République ? Pouvez-vous préciser si M. Benalla y participait et si, comme un grand journal du soir l’indiquait hier, l’ancien secrétaire général du parti La République en Marche, M. Ludovic Chaker, y participait également ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Cette question se situe à la frontière de ce qui peut être dit. Je ne peux pas décrire le périmètre de la réflexion sur l’amélioration de la sécurité de la présidence de la République. Ce que je peux vous dire, c’est que notre réflexion s’est portée sur chaque segment de la mission sécurité, afin de voir ce que nous pouvions faire pour l’améliorer, ou si cela était inutile.

M. Alexandre Benalla a participé à quelques groupes de travail. Il participait d’ailleurs au groupe de travail de la direction générale de la gendarmerie nationale – DGGN.

M. Ludovic Chaker, au titre de son travail au sein de l’état-major particulier de la présidence de la République, donc bien au fait des questions de défense, a pu être convié à une réunion d’un groupe de travail qui traitait de ces questions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Dans la continuité de la question de M. Guillaume Larrivé, savez-vous si certaines des personnes que nous avons auditionnées dans le cadre de l’enquête ont participé à ces travaux de réorganisation ou sont pressenties pour en faire partie ? Je pense à MM. Gibelin ou Simonin. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. À ce stade de notre réflexion, nous n’en étions pas à l’établissement de l’organigramme hiérarchique et fonctionnel de la nouvelle structure. Nous n’avions pas abordé les questions de personnes, mais les questions de process.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Ces personnes ont-elles participé à des réunions ?

M. le général Éric Bio-Farina, commandant militaire de la Présidence de la République. Non, madame.

 Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, co-rapporteure. Général, je vous remercie pour les précisions que vous avez apportées.

 

La réunion s’achève à 11 heures 15.

————

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, Mme Huguette Bello, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Éric Poulliat, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, Mme Hélène Zannier, M. Michel Zumkeller

 

Excusés. - M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, Mme Paula Forteza, M. Jean-Christophe Lagarde, Mme Maina Sage

 

Assistaient également à la réunion. - M. Louis Aliot, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Vincent Bru, Mme Danielle Brulebois, M. Dino Cinieri, M. Pierre Cordier, M. Julien Dive, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Meyer Habib, Mme Marine Le Pen, M. Denis Masséglia, Mme Emmanuelle Ménard, M. Dominique Potier, M. Éric Straumann