Compte rendu

Pour une nouvelle
Assemblée nationale
Les rendez-vous
des réformes 2017-2022

Groupe de travail n° 5
« Le développement durable
dans la gestion et le fonctionnement
de l’Assemblée nationale »

 Audition de Mme Bettina Laville, présidente du comité français pour l’environnement et le développement durable, association également dénommée « Comité 21 »              2

 Audition de représentants de Pôle emploi, membre du Club développement durable des établissements et entreprises publics : Mme Hélène Rambourg, responsable du département responsabilité sociétale des organisations (RSO), et Mme Sandrine Cormier, chef de projet              12

 Présences en réunion.................................24

 


Jeudi
24 mai 2018

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 12

Session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
M. Bruno Millienne, rapporteur


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GROUPE DE TRAVAIL  5
« Le développement durable dans la gestion et le fonctionnement
de lAssemblée nationale »

Jeudi 24 mai 2018

Présidence de M. Bruno Millienne, rapporteur du groupe de travail

 

– Audition de Mme Bettina Laville, présidente du comité français pour l’environnement et le développement durable, association également dénommée « Comité 21 ».

La réunion commence à quatorze heures quinze.

M. Bruno Millienne, rapporteur, président. Nous recevons Mme Bettina Laville, présidente du Comité 21, conseillère d’État. Votre expérience, madame, va nous aider dans notre quête d’un fonctionnement durable de l’Assemblée nationale.

À l’initiative du Président de l’Assemblée nationale, sept groupes de travail ont été constitués dont celui-ci, chargé d’améliorer la gestion et le fonctionnement de notre Assemblée au regard des principes de développement durable. À l’issue d’un premier cycle d’auditions, ce groupe de travail a notamment souhaité engager l’Assemblée dans une démarche de responsabilité sociétale des organisations (RSO). Un diagnostic, confié à un prestataire extérieur qui réalise son audit jusqu’à fin juillet, sera prochainement établi et nous permettra de disposer d’une cartographie précise des actions et travaux en cours. Nous nous sommes en effet aperçus que l’Assemblée nationale avait déjà beaucoup fait pour le développement durable, même si ce n’était pas valorisé.

Les travaux en cours, dont l’objectif a été défini par une seconde feuille de route, conduisent le groupe de travail à s’interroger sur les moyens qui pourraient être mis en œuvre pour impliquer l’ensemble des parties prenantes internes dans une telle démarche – c’est complexe dans une institution comme la nôtre.

La question du « comment » est, en effet, essentielle. Comment, tout d’abord, convaincre les membres du groupe de travail d’échanger entre eux sur les actions qu’il conviendrait d’engager ? Comment aussi créer une synergie entre les différents groupes de travail pour inscrire leurs propositions dans une démarche responsable ? Comment enfin, dans une optique moins politico-institutionnelle, et plus administrative, mobiliser les moyens nécessaires pour assurer l’effectivité des propositions d’ores et déjà formulées par le groupe de travail et validées par le Bureau de l’Assemblée, notamment en matière de sensibilisation et de communication interne ?

Pour y répondre, au cours de ce second cycle, le groupe de travail a procédé à trois auditions et organisé deux visites. Nous avons notamment réfléchi sur le levier que peut constituer l’engagement de travaux d’envergure offrant l’opportunité d’intégrer des objectifs de développement durable (ODD) dans un projet portant sur le cadre de travail des députés, de leurs collaborateurs et des fonctionnaires, tout en nous intéressant aux prestataires appelés à concevoir ce projet et à le mettre en œuvre, mais aussi au voisinage – habitants du quartier et collectivité territoriale.

Dans ce cadre, nous avons auditionné des responsables du plan « Bâtiment durable » dont les réflexions portent notamment sur les bâtiments tertiaires publics. Ils sont nombreux à Paris. Deux visites ont été organisées : celle de l’Hôtel de Broglie, immeuble appartenant à l’État, récemment mis à disposition de l’Assemblée nationale à titre onéreux, puis la visite du site Fontenoy-Ségur qui a fait l’objet d’une profonde rénovation prenant en compte à la fois des préoccupations environnementales, sociales et économiques. Je peux témoigner qu’il s’agit d’une réalisation remarquable.

Le groupe de travail a par ailleurs réalisé deux auditions. Mme Paula Forteza, rapporteure du groupe de travail sur la démocratie numérique, est venue nous présenter les outils qui pourraient être utilisés, notamment pour impliquer les différents acteurs de l’Assemblée nationale dans une démarche de développement durable. Une vaste réflexion est en cours sur la transformation publique, qui s’appuie notamment sur les nouvelles technologies pour favoriser les échanges entre les entités publiques et les usagers-citoyens. Il reste à déterminer comment ces outils peuvent également être mobilisés pour stimuler les échanges à l’intérieur des organisations et comment établir des connexions entre ces différents flux.

Mme Hélène Valade, directrice du développement durable chez Suez, et exerçant diverses responsabilités au sein d’associations impliquées dans la responsabilité sociétale des organisations, nous a fait part de son expérience dans ce domaine. L’une des clés du succès d’une démarche RSO ou RSE est certainement la persévérance. Le premier pas est important, mais il faut ensuite continuer à appuyer sur l’accélérateur !

La question des moyens est également essentielle : moyens techniques, moyens financiers, mais aussi « relationnels » – partenariats, participation à des réseaux, comptes rendus de ce qui est entrepris, réalisé ou envisagé.

J’en viens à notre audition de ce jour. Madame Laville, vous présidez le Comité 21. Vous êtes fortement impliquée dans l’appui et l’analyse des démarches de responsabilité sociétale initiées au niveau local. Plusieurs collectivités territoriales se sont engagées dans ces démarches, afin de répondre à des préoccupations environnementales mais aussi de prendre en compte des préoccupations sociales et économiques et de favoriser le dialogue avec les différentes parties prenantes.

Vous êtes conseillère d’État et présidez ce comité depuis plusieurs années.

Je vous pose les premières questions et ne doute pas que d’autres viendront les compléter. Dans quelle mesure les objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations unies ont-ils infléchi la démarche initiale ? Comment les nouvelles technologies ont‑elles modifié les comportements et les modes opératoires ? Quels sont les nouveaux concepts porteurs d’une démarche responsable ? On pense notamment à l’économie circulaire.

Si beaucoup de collectivités territoriales se sont résolument engagées dès l’Agenda 21 dans des politiques publiques environnementales puis de responsabilité sociétale, ont-elles appliqué ces principes à leur gestion et à leur fonctionnement internes ? Sinon, quelles en pourraient être les raisons ?

Mme Bettina Laville, présidente du Comité 21. Je vous remercie de m’auditionner sur ce thème qui occupe ma vie depuis trente ans. Je connais bien Hélène Valade, j’ai écouté son intervention et, comme elle, je suis particulièrement impressionnée que l’Assemblée nationale ait engagé cette excellente démarche : en effet, comment imaginer que la représentation nationale – qui doit donner l’exemple – n’ait pas mis en œuvre plus tôt ce qu’on appelle une stratégie de développement durable ?

Il aura fallu trente ans : en 2022, nous fêterons en effet les trente ans de la conférence de Rio ; le rapport Brundtland, à l’origine du concept de développement durable, date quant à lui de 1987. C’est un peu dommage, mais l’Assemblée est loin d’être la seule ! Il y a eu l’époque des pionniers, celle de la mise en œuvre et l’époque actuelle – celle de la généralisation, de la massification.

Le concept de développement durable n’a pas été accepté tout de suite. Il est encore remis en cause, parfois de manière très artificielle, par ce que l’on appelle la RSE, la transition, la transformation, ou par ce qu’Edgar Morin appelle la métamorphose.

Quels sont les deux principaux sens du concept ? Premièrement, il s’agit d’accorder toutes nos politiques publiques. Depuis la loi du 5 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (NRE) – dont je revendique la maternité puisque je travaillais au cabinet de Lionel Jospin sur ce sujet –, le secteur privé a commencé à s’impliquer dans le développement durable. Que recouvrait-il à l’origine ? Le fait que le développement – terme préférable à celui de croissance – doit être extrêmement attentif à ses conséquences environnementales et à ses effets sociaux. Ce triptyque est fondamental et son équilibre précaire : nous connaissons tous les contradictions entre l’économie et le social, entre l’économie et l’environnement, mais également, même si c’est moins visible, celles entre le social et l’environnement.

Dans un deuxième temps, depuis 2015, les concepts d’environnement et de développement ont eu tendance à se rapprocher. Pourtant, si l’on se souvient bien, dès l’origine, Mme Brundtland estimait que le développement ne pouvait être durable que s’il n’était pas réalisé au mépris de certaines « contraintes » – rareté des ressources, nécessité de respecter des vies humaines.

Les deux concepts – environnement et développement – avaient été disjoints en 2002 à la conférence de Johannesburg. D’une part, le bloc environnemental était représenté par la convention sur le climat, la convention sur la diversité biologique, la convention sur la désertification et toutes les importantes conventions concernant les problèmes environnementaux. D’autre part, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) énuméraient un certain nombre de priorités – en particulier la pauvreté.

Cette disjonction a été particulièrement dommageable, l’impasse de la conférence de Copenhague en est la preuve : lors de cette conférence, les pays en développement ont indiqué aux pays développés qu’ils reconnaissaient la problématique du réchauffement climatique, mais n’ont pas voulu signer d’accord sans la certitude que des mesures seraient prises pour leur permettre de se développer autrement.

De l’échec de Copenhague à ce mois de décembre 2014 où la communauté internationale s’est accordée sur des objectifs de développement durable lors de la conférence de Paris, on a assisté à une progressive réconciliation des deux concepts.

La commission du développement durable a réalisé des auditions concernant ces ODD, auxquelles j’ai participé. Désormais, les objectifs mêlent environnement et développement. C’est fondamental : cela réintroduit l’égalité entre pays – les pays en développement qui doivent se développer ne s’opposent plus aux autres qui doivent moins polluer. Désormais, tous les pays doivent continuer à se développer, même les plus développés puisqu’ils sont malheureusement loin d’avoir éradiqué la pauvreté et atteint l’égalité. Par ailleurs, les pays en développement sont conscients qu’ils ne peuvent plus suivre un modèle polluant de développement – la Chine en est un parfait exemple.

Les trente dernières années ont donc été extrêmement riches de tâtonnements, d’affinement du concept, d’intrusion du secteur privé. En 1992, aux côtés du Président de la République, j’étais la coordonnatrice pour la France de la conférence de Rio. À cette époque, le secteur privé était extraordinairement réticent. Ce n’est qu’à partir de la conférence de Johannesburg que le secteur privé est totalement rentré dans la bataille.

À l’époque, du fait de la mise en œuvre de la loi NRE précitée, la France était en avance sur ses partenaires et a pu influencer les travaux internationaux. Nous avons ainsi abouti au reporting international du secteur privé. Puis, grâce à l’action de la Commission européenne, le concept de responsabilité sociale et environnementale (RSE), désormais responsabilité sociétale et environnementale, s’est développé. Pour ma part, je préfère le terme de responsabilité sociétale des organisations (RSO), car il englobe à la fois le secteur privé et le secteur public, et en particulier les collectivités locales dont vous avez parlé.

J’ai lu attentivement vos débats : l’Assemblée nationale veut être plus citoyenne, plus proche du citoyen. C’est la première pierre du développement durable ! Pourquoi ? En associant l’ensemble des citoyens à la représentation nationale, vous combattez un phénomène grandissant : le refus de la représentation.

Peut-être d’ailleurs ne le soulignez-vous pas suffisamment dans vos rapports : la représentation nationale réalise un travail considérable pour associer les citoyens, mais les citoyens que vous associez se sentent-ils représentés par vous ? N’en déplaise à quelques-uns, notre démocratie n’est pas directe, mais représentative.

La problématique est la même lors des conférences mondiales relatives au développement durable, où les négociations concernent sept milliards et demi d’êtres humains. Peut-on encore déléguer certaines actions publiques à l’heure du numérique, alors que tout le monde se sent acteur ? En réalité, la parole n’a aucun impact – c’est seulement un bruissement général. Le maître mot des réseaux sociaux n’est-il pas « moi, par exemple » ? Cela signifie que les gens n’ont pas d’autres exemples qu’eux-mêmes, ce qui est cocasse…

J’avais pu le constater à l’occasion du Grenelle de l’environnement, à la lecture des contributions numériques. À l’inverse, un député n’est pas autocentré, mais à l’écoute des gens qu’il représente. Ce positionnement me semble de plus en plus mal compris.

Cet aspect du développement durable devrait être creusé. Je ne suis pas hors sujet car les préambules de toutes les conventions évoquent la démocratie. Or cette démocratie peut être directe, mais elle est surtout représentative. Toutes les mesures relatives à la citoyenneté sont une première pierre en matière de développement durable.

Je ne rentrerai pas dans le détail des mesures « classiques ». Vous avez auditionné M. Pelletier, grand spécialiste des bâtiments, de l’efficacité énergétique, et voyez probablement désormais très bien ce que peut être la transformation durable d’un bâtiment très ancien et très moderne comme celui-ci, avec ses annexes : économies d’énergie, tri exemplaire, économie circulaire, cantine durable, achats – Mme Valade vous en a parlé. Sans cet arsenal important, il n’y aura pas de développement durable et vous ne diminuerez pas l’empreinte écologique de l’Assemblée nationale sur la ville de Paris.

Je m’arrêterai une minute sur l’économie circulaire puisque vous m’avez posé une question. Pour moi, ce concept est une application technique du développement durable. Elle ne saurait le remplacer. Sa finalité est intéressante : tendre vers l’impact écologique nul. Le recyclage y tient une place importante : à toutes les phases d’un produit, il est employé pour créer un nouveau produit ou un nouvel usage. Les outils de l’économie circulaire contribuent donc à la sobriété.

Vous m’avez également interrogé sur les nouveaux concepts. Permettez-moi de souligner l’importance du dialogue avec les parties prenantes – élus comme personnels – si l’Assemblée nationale veut développer une stratégie de développement durable. Pourquoi ? Pour trois raisons : en premier lieu, vous pouvez dialoguer – comme vous avez entrepris de le faire dans la première phase de vos travaux – avec l’ensemble des citoyens, mais rien ne remplace le contact de proximité, notamment avec les citoyens aux alentours. Le 7e arrondissement est un quartier dont la configuration est très intéressante car il est au bord de la Seine.

Personnellement, je suis adepte de l’adaptation aux changements climatiques. Il faut regarder les choses en face : nous aurons infiniment de mal à contenir le réchauffement climatique à une augmentation de deux degrés… L’adaptation est donc la clé. À Paris, les moyens mis en œuvre sont insuffisants : à partir du moment où la crue de la Seine sera importante, l’Assemblée nationale sera une des premières touchées… Il est anormal qu’aujourd’hui, lors d’un gros orage, trois stations de métro soient noyées… C’est parfaitement contraire à tous les avertissements de la communauté du développement durable ! On parle toujours de la diminution des émissions, mais l’adaptation est beaucoup plus simple et bien plus à la portée de notre société. Par ailleurs, les parties prenantes y sont extrêmement sensibles, tout simplement parce qu’elles sont face aux risques.

En deuxième lieu – c’est la juriste qui parle –, je suis frappée de la timidité des études d’impact jointes aux projets de loi en matière environnementale. Certes, ce n’est pas encore dans nos habitudes, mais l’impact financier est parfaitement illustré par Bercy et l’impact social par notre grand ministère social. Pourtant, tout est lié : l’environnemental et le social, l’environnemental et l’économique.

Évidemment, les études d’impact évoquent l’environnement quand il s’agit d’un grand projet environnemental, mais ce n’est pas le cas pour les autres projets de loi. L’Assemblée nationale ne peut pas corriger les études d’impact de l’État, mais les rapports des commissions – au fond ou pour avis –, qui sont d’une grande qualité, pourraient être enrichis de l’analyse de l’impact de durabilité des projets discutés. Ce serait exemplaire par rapport à l’État – ce qui est toujours intéressant – et cela prouverait l’engagement des députés en faveur du développement durable.

En troisième lieu, les parties prenantes doivent être impliquées à tous les niveaux. Une première suggestion : actuellement, vous interrogez les citoyens lorsque vous recevez un projet de loi. Il sera intéressant de les associer à tous les stades et pour tous les projets de loi, car le développement durable est un concept qui devrait englober l’ensemble de la société. Si vous le cantonnez aux projets renvoyés à la commission du développement durable, cela ne permet pas d’évangéliser le citoyen au développement durable. Un comité des parties prenantes pourrait donner des idées d’amendements relatifs au développement durable aux députés, sur tous les projets de loi.

Ma deuxième suggestion est sans doute présomptueuse, mais les députés devraient devenir des « parlementaires durables » et compenser le coût environnemental de leurs transports et de leurs voyages – beaucoup d’ONG le font. Il n’y a rien de mieux que les échanges entre Parlements, mais la compensation permet de faire la liaison entre le local et le global.

Chaque député devrait être exemplaire en la matière et disposer d’un profil de durabilité – même un mandat de cinq ans est l’antithèse de la durabilité, et le sera encore plus avec la limitation des mandats dans le temps. Le malaise démocratique actuel est en effet lié à l’impression qu’ont nos concitoyens que les élites – dont nous faisons tous partie – s’exemptent des obligations qu’ils prônent.

Troisième proposition, beaucoup plus classique mais très intéressante : vous devriez organiser des Assises annuelles du développement durable. Elles permettraient de faire le bilan législatif du développement durable – au-delà du travail réalisé par la commission du développement durable – mais également un bilan du comportement de l’Assemblée nationale en matière de développement durable, tant par rapport à ses agents qu’aux députés.

Le Comité 21 soutient la thématique de la citoyenneté et du développement durable. Nous avons organisé un premier colloque sur la citoyenneté écologique. Une telle initiative à l’Assemblée nationale serait à la fois passionnante et importante car certains de nos concitoyens, vous le savez, considèrent que la protection de l’environnement est désormais du ressort d’une démocratie active directe, et non plus institutionnelle.

À travers le nouveau reporting de la RSO, des sujets émergent, de la compétence de la représentation nationale. En premier lieu, le sujet des droits dont le Pacte mondial pour l’environnement présenté par Laurent Fabius est un exemple parfait. L’abondance des textes finit par nuire à leur lisibilité alors qu’ils sont présentés comme élargissant les droits issus de 1789, de 1848 et de 1945. Nous sommes passés des droits de l’homme aux droits humains.

Cela va constituer un énorme problème en matière de reporting. Hélène Valade l’a parfaitement compris : elle réalise le reporting des droits humains dans l’entreprise dont elle dirige le service du développement durable. C’est très important car le cadre juridique est de plus en plus exigeant du fait de l’abondance des textes.

Parallèlement, les droits humains sont de moins en moins respectés, alors – ou peut‑être parce – que les chartes et conventions sont de plus en plus nombreuses et que même les pays qui ne les respectent pas les signent… En tant que gardienne du droit, l’Assemblée nationale devrait se pencher sur le sujet.

Un autre point doit faire l’objet de votre attention : la formation et l’information. Très peu de spécialistes ont une vision exhaustive des enjeux internationaux de l’ensemble de ces conventions, sauf ceux qui, comme moi, assistent aux conférences depuis des années. Or même si elles ne sont pas d’application juridique directe, ces conventions s’imposent aux législations nationales…

Enfin, si je puis me permettre une dernière suggestion, le Parlement devrait insister sur le sociétal. Vous êtes les représentants élus de la société et devriez analyser ce concept. À la fin du trimestre, le Comité 21 va produire une note sur cette thématique. Le terme est de plus en plus utilisé dans le reporting, sans que personne ne sache ce qu’il recouvre – social, sociologie, malaise de la société, bien-être, personnes défavorisées.

Vous m’avez interrogé sur les nouvelles technologies. Le Comité 21 est désormais hébergé par une société pionnière en matière d’intelligence artificielle. Le rapport Villani souligne que l’intelligence artificielle peut contribuer à la protection de l’environnement
– nouvelles mobilités, diminution des émissions de CO2 grâce aux mesures par satellite, accélération générale des technologies. Les nouvelles technologies peuvent être soit le plus grand ennemi du développement durable, soit un appui précieux : tout dépend de la direction stratégique que l’on choisit…

Dans tous les cas, à l’ère des nouvelles technologies, nous devrions nous pencher sur la notion juridique d’usage. Le slogan de la Conférence de Rio en 1992 était : « Nous avons la terre en usufruit. » Qu’est-ce que l’usufruit ? Il relève des dispositions relatives à la propriété dans le code civil et y est donc intimement lié. Il serait intéressant de le redéfinir : grâce aux nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle, nous pouvons user d’objets et de services sans en avoir la propriété. J’ai souligné ce point lors de mon audition devant la commission coprésidée par M. Jean-Dominique Senard et Mme Nicole Notat sur la thématique « Entreprise et intérêt général ».

Si nous disposions d’une définition juridique de l’usage, nous n’aurions pas connu tous les problèmes que nous avons rencontrés avec Uber et nous pourrions articuler Open Source et protection des données.

C’est d’autant plus important qu’il n’y a pas de développement durable sans diminution de la pression matérielle. Les nouvelles technologies nous donnent accès à l’immatériel, mais sans cadre juridique, il sera difficile d’avancer.

Vous m’avez également interrogée sur les objectifs de développement durable (ODD), également appelés Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) : ont-ils contribué à l’évolution du concept ? Je dirai plutôt qu’ils le renforcent. Nous disposons désormais d’un cadre mondial cohérent, qui englobe réchauffement climatique, biodiversité, etc. La mise en œuvre de ces OMD constitue le fil rouge du Comité 21.

Pour sa part, l’Assemblée nationale pourrait s’emparer de l’ODD17 « Partenariats pour la réalisation des objectifs ». Il ne s’agit pas d’un ODD fourre-tout, mais de celui qui incite les citoyens financeurs, techniciens et scientifiques à travailler ensemble pour réaliser les seize autres objectifs. Un ODD relatif à la gouvernance est également prévu mais aucune charte ne l’explicite. L’Assemblée nationale devrait s’y pencher, puisqu’elle représente l’ensemble des citoyens.

Le ministère de la transition écologique et solidaire a mis en place un comité interministériel sur les objectifs de développement durable – des députés y siègent d’ailleurs. Pour autant, nous avons pris du retard. L’Assemblée nationale doit réfléchir à la gouvernance citoyenne et démocratique de ces ODD, alors que le concept est vu comme particulièrement technocratique par nos concitoyens.

Enfin, vous m’avez interrogée sur les Agendas 21 : ils doivent se poursuivre, même si c’est sous une autre appellation. Mme Royal, lorsqu’elle était ministre, s’en était beaucoup éloignée en les condamnant et en mettant en avant des documents plus climatiques. Mais le développement durable ne se réduit pas aux problématiques climatiques ! La preuve : tout le monde redécouvre aujourd’hui la perte de biodiversité.

Au niveau local – communes ou départements –, ces agendas essayaient de concilier l’ensemble des contraintes environnementales, le progrès social, les nouvelles technologies et la culture. Par ailleurs, ils étaient construits avec les parties prenantes. Vous pourriez peut-être les remettre à la mode en en faisant un à l’Assemblée nationale !

M. Bruno Millienne, rapporteur, président. Je vous remercie. Votre intervention nous conforte dans nos conclusions et nous ouvre de nouvelles perspectives. Vous avez raison : nous disposons déjà de beaucoup d’outils pour réduire notre empreinte énergétique et devons simplement veiller à ce que le maître d’ouvrage soit exemplaire, notamment dans le cadre de la rénovation de l’hôtel de Broglie.

L’implication des parties prenantes est plus complexe : nous continuons à discuter avec elles et à mettre en place des outils. Vous serez heureuse d’apprendre que nous allons organiser une veille législative concernant les implications en matière de développement durable des textes que nous votons. Sur ce sujet, nous pourrions utilement auditionner Mme Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable !

En interne, nous allons poursuivre le dialogue avec les parties prenantes, mais également – et ce sera nouveau – mettre en valeur le travail effectué par les personnels administratifs de l’Assemblée. Il ne s’agit pas de flagornerie, mais de reconnaissance de leurs actions concrètes quand elles sont positives pour le développement durable. La valorisation des acteurs est importante en termes de communication interne et externe.

Je partage également votre constat sur les études d’impact des projets de loi. Vous avez probablement rendu un avis sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN). Je me suis personnellement opposé à la réduction à quinze jours des débats avec les citoyens lors des enquêtes publiques… Je comprends la volonté d’accélérer le processus, mais on ne peut construire des projets solides au détriment de la population.

Effectivement, le développement durable n’est que rarement abordé dans les lois. Nous nous sommes posé la question des moyens d’améliorer la situation avant de rédiger le rapport. Malheureusement, vous vous en rendez compte, beaucoup de collaborateurs sont présents à cette audition, et peu de députés…

L’organisation du travail à l’Assemblée nationale ne facilite pas la disponibilité. Nous allons essayer d’impliquer les acteurs et analyser votre proposition concernant le profil de durabilité des députés. Sous l’ancienne législature, il me semble qu’un parlementaire a reçu un label « développement durable » pour le travail qu’il avait réalisé dans sa circonscription
– c’est plus compliqué ici.

La tenue annuelle d’Assises du développement durable serait intéressante ; nous allons en parler à M. François de Rugy.

Enfin, nous essayons de travailler de manière transversale, en lien avec les autres groupes de travail.

Je vous remercie de cet éclairage. Nous étions restés dans l’opérationnel direct et vos remarques vont nous permettre d’élargir le champ de notre réflexion et de notre action.

M. Nathanaël Mion, collaborateur de Mme Stéphanie Rist. Ma première question concernera la gouvernance : souvent dans les entreprises, le responsable du développement durable occupe d’autres fonctions. Ainsi, parfois, il est directeur financier ; sa parole a alors plus de poids.

Mme Bettina Laville. Cela lui permet surtout d’avoir plus d’argent !

M. Nathanaël Mion, collaborateur de Mme Stéphanie Rist. Cela est-il transposable à l’Assemblée nationale ?

Ma deuxième question concernera notre fonctionnement. Nous travaillons en silo : les députés et les collaborateurs – qui sont de petites équipes – d’un côté, les administrateurs de l’autre. Comment faire pour créer un sentiment de bien commun, une responsabilité commune ? C’est d’autant plus difficile que les engagements politiques sont parfois différents.

Ma dernière remarque concerne la sobriété. Nous parlons beaucoup d’optimisation mais nos échanges de courriels – dont on commence à peine à mesurer l’impact environnemental – sont considérables et les masses de magazines que reçoivent les députés également. Comment intégrer cette notion, par ailleurs utile pour améliorer l’efficacité du travail législatif, dans notre fonctionnement quotidien ?

Mme Bettina Laville. Qui est en charge du développement durable dans les entreprises ? À l’origine, à partir de la loi NRE, la question était basique : « Qui veut s’occuper de ce truc ? ». Souvent, c’était un salarié en préretraite. Le correspondant développement durable des ministères avait d’ailleurs le même profil.

Puis, quand le sujet a pris de l’importance, on a créé des directions du développement durable et les échanges entre directeurs se sont développés. De qui dépendait ces directions ? Soit elles étaient autonomes, soit elles dépendaient de la direction des affaires juridiques, du fait de l’importance des problématiques de conformité à l’époque. La meilleure solution était un rattachement au secrétariat général. Peu étaient rattachées à une direction financière.

Actuellement, les directions du développement durable font souvent partie de la direction de la stratégie – direction de la transformation – qui inclut la transformation numérique, le développement durable et l’ensemble des transformations liées aux filiales. Ce schéma est majoritaire au sein des sociétés du CAC 40 et permet au directeur de la stratégie d’être en contact direct avec le président de la société. Par ailleurs, au sein des conseils d’administration, de plus en plus de personnes sont responsables du développement durable ou de la RSE.

Dans le cadre de la commission Notat-Sénard, nous avons proposé que des comités de parties prenantes assistent la personne en charge du développement durable au sein du conseil d’administration. Cela n’a pas été inscrit dans le premier rapport, mais nous ne baissons pas les bras car la commission a bien réagi à cette idée ! Nous verrons d’ailleurs si cela trouve une traduction dans le projet de loi relatif au plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE).

Je ne me permettrais pas de transposer cela à l’Assemblée nationale, mais il se trouve que votre président est ouvert à ces sujets. Je sais que la charge de travail d’un secrétaire général de l’Assemblée nationale est très importante, mais la gouvernance ne peut être que de ce niveau. Des émissaires du président, choisis parmi les députés les plus actifs sur le sujet, pourraient ensuite pratiquer l’essaimage – si vous me permettez cette expression – du concept de développement durable au sein de l’institution.

Enfin, la sobriété est un concept complexe et subjectif : à l’étranger, certaines personnes sont sobres sans l’avoir voulu, et d’autres ont du mal à l’être parce qu’ils ne l’ont jamais été… Différentes conceptions de la sobriété s’affrontent : vous évoquez les magazines, j’estime que ce n’est pas un problème car il n’y a rien de plus recyclable que le papier. Avec un bon accord avec CITEO – successeur d’Eco Emballages –, le problème est réglé.

Les mails sont un sujet autrement plus complexe… Mais vous pouvez passer par des plateformes, techniquement très intéressantes : elles consomment infiniment plus d’énergie à l’origine, mais beaucoup moins ensuite. Un bilan coût-avantages doit être effectué et les gens formés. Je m’initie actuellement à la plateforme Trello. Même si les députés sont considérablement plus jeunes que par le passé, il faut s’accrocher ! Pourtant, c’est un outil extraordinaire, car vous faites tout en même temps : vous corrigez et la personne voit simultanément vos corrections. La rédaction d’un texte sur Trello vous évite trente mails !

Plus simplement, il faut être attentif à la sobriété d’images. L’Assemblée n’a pas un train de vie luxueux – beaucoup moins que par le passé et que le Gouvernement – mais elle pourrait encore faire passer des messages au public.

M. Bruno Millienne, rapporteur, président. Je vous remercie infiniment.

*


– Audition de représentants de Pôle emploi, membre du Club développement durable des établissements et entreprises publics : Mme Hélène Rambourg, responsable du département responsabilité sociétale des organisations (RSO), et Mme Sandrine Cormier, chef de projet.

M. Bruno Millienne, rapporteur, président. Mes chers collègues, nous recevons aujourd’hui Pôle Emploi en qualité de membre du Club Développement durable des établissements et entreprises publics.

Le groupe de travail a conduit un premier cycle d’auditions au cours des six premiers mois de la législature, qui l’ont amené à formuler une dizaine de propositions, toutes acceptées par le Bureau de l’Assemblée nationale.

Un audit sera réalisé par un prestataire pour évaluer les actions menées dans le domaine du développement durable à l’Assemblée nationale, car nos auditions nous ont fait comprendre que beaucoup de choses étaient réalisées en silo et, de ce fait, n’étaient pas valorisées. Certains services ont d’ailleurs découvert que d’autres menaient des actions de développement durable.

Nous allons par ailleurs établir une feuille de route, et l’audit dont nous attendons les résultats à la fin du mois de juillet, devra évaluer les besoins de notre maison. Sur cette base nous pourrons orienter nos actions, car une législature est bien courte, ce qui impose de fixer des priorités.

La question venant ensuite est celle du comment : Comment impliquer les députés, les collaborateurs et les services de l’Assemblée nationale ?

La désignation de référents peut constituer une solution. Nous voulons également créer une synergie entre les sept groupes de travail, car notre groupe est transverse. Comment, par ailleurs, dans une optique plus administrative parvenir à mobiliser les moyens nécessaires pour assurer l’effectivité des propositions d’ores et déjà formulées ?

Nous sommes entrés dans le second cycle des auditions, qui se poursuivra peut-être jusqu’au début du mois d’août. Ce second cycle consiste à approfondir tous les engagements que nous avons pris. Certaines choses sont simples, car les outils existent et nous les connaissons. Ainsi, l’Hôtel de Broglie que nous venons d’acquérir est un ensemble contraint et hétérogène, car il date de trois époques différentes ; nous travaillerons en étroite collaboration avec la maîtrise d’ouvrage et l’architecte chargé de cette rénovation pour en faire un bâtiment remarquable dans le domaine environnemental.

Nous avons aussi visité le site Fontenoy-Ségur, dont la rénovation a été une vraie réussite, tenant compte des préoccupations environnementales, mais aussi sociales et économiques ; c’est la première fois qu’il m’a été donné de voir un bâtiment administratif aussi bien réalisé.

Nous avons entendu en audition Mme Paula Forteza, rapporteure du groupe de travail sur la démocratie numérique, puis Mme Hélène Valade, directrice développement durable chez Suez. Celle-ci nous a notamment indiqué que l’une des clés d’une démarche responsabilité sociétale des organisations (RSO) est la persévérance.

Nous venons tout juste d’entendre Mme Bettina Laville, du Comité 21, qui nous a ouvert des perspectives plus législatives. Le développement durable est en effet trop souvent ignoré, singulièrement dans les études d’impact. Cette préoccupation fera d’ailleurs l’objet de l’une des propositions de notre prochain rapport visant à organiser une veille législative.

On est parfois pris de vertige devant l’ampleur de la tâche. Nous étudierons ce qui peut être fait dans l’immédiat à l’Assemblée, relevant du service chargé de la restauration ou du parc automobile, par exemple, avec des mesures concrètes relativement faciles à mettre en œuvre pour peu qu’elles soient décidées et, en ce qui concerne les mesures plus structurantes devant s’inscrire dans la durée, nous essaierons d’assurer leur pérennité.

Le Club Développement durable a été créé en 2006 et regroupe plus de 70 adhérents. Son action, qui s’appuie notamment sur la norme ISO 26000, s’inscrit dans le cadre de l’exemplarité des pouvoirs publics : hiérarchiser les enjeux de développement durable pour chaque organisme, définir et déployer des programmes d’action en s’appuyant sur l’organisation managériale, assurer un suivi et rendre compte.

Une charte a été élaborée. Souple, elle comporte des engagements transposables à d’autres entités publiques ce qui est une bonne chose, car il importe de bâtir un cadre général susceptible de s’appliquer à tout le monde. Elle dispose notamment que « les engagements de développement durable d’un organisme sont un des aspects de la qualité du service dont il a la mission, de son implication dans les stratégies européenne et nationale de développement durable et de sa responsabilité vis-à-vis des générations actuelles et futures ».

Madame Rambourg, vous êtes responsable du département « responsabilité sociétale des organisations » (RSO) de Pôle Emploi. Madame Cormier, vous êtes chef de projet. Vous allez pouvoir présenter au groupe de travail les conditions dans lesquelles ce club fonctionne, et l’intérêt qu’il représente pour ses adhérents, mais aussi faire part de votre expérience au sein de Pôle emploi. Comment une politique de RSO a-t-elle pu être mise en place ? Sur quels leviers s’est-elle appuyée ? Quels avantages en ont retirés les parties prenantes, usagers et agents de l’entité concernée ?

Deux questions pourraient, par ailleurs, être posées.

Lors de son audition, Mme Valade a lancé lidée dun regroupement ou du moins du resserrement des liens entre les réseaux constitués entre les entreprises, et ceux mobilisant des acteurs publics. Cette ouverture semble avoir été au moins partiellement réalisée par le Comité 21 qui rassemble des acteurs publics et des acteurs privés. Comment un membre « public » du club voit-il cette ouverture ? Et une ouverture vers des entités publiques, plus « institutionnelles » que les entreprises et établissements publics, telles que les administrations publiques nationales ou locales, voire des pouvoirs publics, est-elle envisageable et profitable à tous ?

Au sein du club, les politiques RSE et RSO semblent, si on consulte les sites internet, plus ou moins abouties. Dans quelle mesure, les moyens financiers dont dispose chaque organisme et dédiés à ces politiques sont-ils discriminants ? Dans quelle mesure aussi, lengagement « managérial » est-il un élément important de différenciation ? Qui, au sein dune entité, engage celle-ci au sein du club ? Qui signe la charte ? Quelles sont les démarches internes qui permettent daboutir à cet engagement et comment le suivi est-il assuré ?

Mme Hélène Rambourg, responsable du département responsabilité sociétale des organisations (RSO) de Pôle Emploi. Nous sommes ravies d’être avec vous pour vous apporter notre témoignage et peut-être notre contribution à votre propre programme, qui est très audacieux, ce dont je ne peux que vous féliciter, mais ce sont bien là des étapes qui ont fait écho au regard de ce que nous avons nous-mêmes vécu.

La responsabilité sociale et environnementale au sein de Pôle Emploi est une histoire qui remonte en fait à la création de Pôle Emploi par la fusion des deux anciennes maisons
– Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC). À l’époque il n’y avait pas d’entité instituée, dédiée au développement durable, mais des réflexions étaient déjà menées, parce que le sujet commençait à pointer son nez dans les organisations aussi bien privées que publiques.

Lors de la création de Pôle Emploi, il a été décidé d’y créer une direction du développement durable – c’est ainsi que nous nous étions nommés à l’époque – rattachée à la direction de la maîtrise des risques. Beaucoup d’échanges avaient eu lieu avec le directeur général de l’époque pour nous rattacher soit à la direction de la communication, soit à la direction des ressources humaines. En effet, en fonction de la façon dont on aborde le sujet, on le rattache à une direction particulière.

Pour notre part, ce choix a été opéré par le biais de la maîtrise des risques, ce qui fait que, dans un premier temps, nous nous sommes beaucoup préoccupés de sujets environnementaux. Le bâtiment a constitué un de nos premiers gros chantiers, il s’agissait de prendre en considération les différentes réglementations thermiques et de nous assurer d’aller au-delà de ce qui était prescrit à l’époque afin d’être en avance sur la réglementation thermique à venir. Je considère que l’un des apports d’une direction du développement durable est d’être le poisson-pilote qui indique la direction où il faut aller parce que l’on anticipe l’avenir, en ayant notamment pour préoccupation la gestion de son propre impact environnemental.

Pour implémenter de façon pérenne une direction du développement durable, avec des objectifs de développement durable – j’utilise le terme développement durable qui est à mes yeux l’objectif, la responsabilité sociale et environnementale constituant la méthode – il faut écouter ce que les collaborateurs sont en mesure d’exprimer en termes de besoins, mais également en termes d’action que l’on va leur demander de conduire. Et il faut également écouter la société civile, savoir où elle se situe dans sa maturité par rapport à un sujet de développement durable, afin d’être sûr de développer des actions susceptibles de rencontrer un écho et de mobiliser les personnes.

Pour parler trivialement, avoir raison trop tôt est dramatique : c’est démotivant pour les collaborateurs, pour les personnes qui sont dans le sujet et peut être contreproductif pour ce qu’on fera ensuite.

C’est la raison pour laquelle nous nous sommes tout de suite appuyés sur des textes qui excédaient le champ de Pôle Emploi, nous avons tout de suite pris connaissance de ce qui existait autour de nous, parce qu’il n’y a pas Pôle Emploi et les autres, mais Pôle Emploi avec les autres. Nous avons donc pris pour socle le Grenelle de l’environnement sur la stratégie nationale de développement durable, nous avons passé une première convention avec le ministre de l’écologie de l’époque, M. Borloo.

Il est important de commencer à mener des actions pouvant entrer en résonance avec les collaborateurs de Pôle Emploi et qui ont une signification à leurs yeux. Dans un premier temps, la meilleure signification qui soit c’est l’environnement immédiat de travail, donc le poste de travail, le lieu où je demeure quand je travaille, le poste informatique, car nous nous sommes intéressés à la problématique de l’énergie que consomment nos systèmes d’information.

Il faut ainsi motiver les collaborateurs qui ont l’impression de participer à la question du développement durable et éviter que le sujet soit désincarné. À cette fin, il faut éviter qu’il demeure dans la sphère du conceptuel et jouer sur les deux registres, c’est-à-dire à être dans du concret, démontrer que ça marche : mon voisin le fait, donc si je le fais, ça va marcher ; mon voisin trie ses déchets, donc si je le fais, ça va finir par marcher.

Si je commence à dérouler une grande théorie sur le recyclage, l’économie circulaire, etc., je ne suis pas entendue ; j’ai même essayé avec mon directeur général sans plus de succès. Nous avons conclu un marché national de recyclage pour les cinq déchets, et là nous étions dans le concret. En même temps, il est intéressant de brosser petit à petit une politique qui fait sens, et qui dise que les petits gestes du quotidien contribuent à une cause, le développement durable en l’occurrence, qui nous dépasse tous et regarde l’intérêt général.

C’est là que, pour un organisme chargé d’une mission de service public comme le nôtre, la chose devient intéressante parce qu’elle se rapproche de notre cœur de métier. Il s’agit de travailler sur cette politique d’ensemble qui permette de rassembler les gestes du quotidien, mais également de leur donner un sens, une cohérence, dans une trajectoire pluriannuelle. Cela n’est pas forcément évident, nous nous sommes bagarrés, c’est bien le mot, pour justifier pourquoi il fallait que Pôle Emploi s’engage au-delà des petits gestes quotidiens et se préoccupe de l’impact environnemental : nous réalisons le bilan carbone annuel depuis 2010. Pourquoi fallait-il aller au-delà ? Parce que, pour Pôle emploi, entreprendre une démarche de responsabilité sociale ainsi qu’une démarche visant des objectifs de développement durable, cela revêt une vraie signification, surtout lorsque l’on a pour préoccupation de s’occuper des plus faibles dans la société.

À l’aube de la future convention stratégique pour les prochaines années, la question se pose encore : comment utiliser la RSO pour appuyer mon cœur de métier, qui est l’intermédiation, mais en faisant en sorte que la RSO conserve sa plus-value et son identité propre par rapport à l’offre de services telle que je peux la concevoir de façon plus classique ?

La force des entreprises privées – en cela je suis en complet accord avec Mme Valade, qui considère qu’il faut rapprocher les deux visions du public et du privé – est qu’elles ont vite compris que la RSE pouvait être un élément de leur stratégie, de leur différenciation compétitive. Nous n’avons pas cette logique, mais la force de la RSE pour pousser notre cœur de métier consiste à être le poil à gratter, d’aucuns pourraient dire lanceur d’alerte. Nous sommes en avance de phase, c’est-à-dire un peu précurseur, nous poussons le bouchon toujours un peu plus loin.

Nous menons actuellement un « POC » – acronyme de l’anglais Proof of Concept –, démonstrateur sur l’insertion professionnelle des personnes en situation d’autisme Asperger, nous testons quelque chose, nous poussons les lignes ; parfois je me fâche avec certains de mes collègues des directions régionales qui considèrent que je les oblige à sortir de leur rang. Mais c’est justement là que ça devient intéressant : sortir un peu du rang et voir ce que l’on peut faire autrement. Et là, sur un segment, qui est quasiment du sur-mesure pour les demandeurs d’emploi souffrant de ce handicap, chercher comment adapter notre action à leurs côtés pour leur permettre de s’insérer professionnellement.

Il est donc vraiment possible de s’inscrire dans la stratégie d’un organisme tel que le nôtre, c’est d’ailleurs pourquoi nous nous interrogeons sur l’opportunité d’intégrer des indicateurs RSE dans les indicateurs stratégiques de la future convention tripartite.

Il est très important de mêler le regard des organisations publiques et des organisations privées d’autant plus qu’avec le futur plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit « projet de loi PACTE », les entreprises privées auront un intérêt particulier, qui permettra de nous rejoindre de façon encore plus pressante. C’est d’ailleurs ce que nous constatons pour la plateforme RSO. C’est peut-être ce qui manque au Club des établissements publics, qui va devoir se poser la question de son élargissement.

Pour vous dire d’où nous venons, petit à petit nous avons engrangé des sujets nouveaux comme la non-discrimination, la politique vis-à-vis des plus vulnérables, notamment des personnes en situation de handicap. Ce qui nous a d’ailleurs permis de pousser le bouchon encore un peu plus loin en matière d’accessibilité de nos sites pour les personnes à mobilité réduite, et d’obtenir des résultats dont nous n’avons pas à rougir, puisque 69 % de nos sites sont accessibles. Nous nous sommes assigné une cible quelque peu ambitieuse de 100 % à l’horizon de la fin de l’année, même si nous savons que quelques sites resteront à la marge.

En revanche, au fur et à mesure que l’on se diversifie dans les sujets à traiter, il faut s’assurer que les premiers thèmes traités ne se perdent pas en route. Le grand danger, pour une démarche comme la nôtre, est de ne pas nous assurer au préalable d’avoir passé le relais de la façon la plus complète possible aux directions « métiers ».

Il faut s’assurer que les acteurs sont convaincus du bien-fondé du sujet, qu’il a bien été intégré dans les métiers de cette direction, par exemple la direction des affaires immobilières. Les acteurs sont quasiment autonomes dans la réalisation des activités nouvelles ou en cours, et finalement, la responsabilité sociale et environnementale s’inscrit en termes de démarche par rapport au reporting, et au « relevé des compteurs » que l’on peut faire afin d’estimer la solidité de la démarche ainsi que son bon arrimage dans l’activité quotidienne de la direction « métiers ». Car il peut se produire que la remarque d’un directeur régional sur un sujet que l’on pensait bien intégré remette en cause des mois de travail, d’acculturation et de partenariat avec la direction concernée, et suffise pour que la direction des affaires budgétaires bloque le projet. Il ne faut donc jamais imaginer que les choses sont acquises, d’où la nécessité d’être pugnace.

Vous parliez de législature ; la législature actuelle mettra sous les projecteurs certains sujets, et la suivante d’autres sujets. Nous avons aussi vécu cela à travers les différentes réorganisations de la direction générale, en fonction des personnes et de leur sensibilité parce que c’est aussi une affaire d’hommes et de femmes.

Ainsi un directeur de l’innovation et de la RSO a déployé toute son énergie en faveur du numérique. Cela nous a permis de nous ouvrir sur d’autres façons de faire, une autre compréhension du monde, ce qui a été profitable puisqu’à l’époque on s’intéressait fortement à l’économie verte et que le lien entre économie verte et économie numérique est essentiel.

Certains sujets correspondent aux attentes de la société comme la non-discrimination, et même si ce principe est inscrit dans notre mission, en 2014, il a refait surface. Notre département RSO s’en est alors emparé afin de lui donner un autre souffle et une autre dynamique ; cela correspondait aux attentes des usagers et des conseillers de Pôle Emploi.

Dans le cadre de la stratégie de Pôle Emploi, nous avons introduit dans le préambule de la convention tripartite de 2015 des éléments concernant le développement durable et nous poursuivons dans cette direction.

Pour bâtir notre prochaine politique RSO, nous souhaitons intégrer le regard des parties prenantes, ce que nous avons fait pour l’interne, mais insuffisamment pour l’externe. À cet effet, nous souhaitons donc instituer un dialogue et créer des instances ad hoc afin de recueillir tous les avis et les intégrer dans nos priorités, en utilisant les outils adaptés comme les tests de matérialité.

Nous envisageons encore la mise en place d’un indicateur RSO parmi d’autres indicateurs stratégiques du cœur de métier de Pôle Emploi afin de mobiliser le plus grand nombre, particulièrement le top management. Nous souhaitons encore remettre un tableau de bord à l’ensemble de la ligne managériale afin qu’elle se sente concernée, et dispose d’indicateurs sur lesquels elle ait la main pour agir.

Par ailleurs, il nous est souvent reproché de ne pas suffisamment communiquer et de ne pas assez valoriser nos actions. Ce sujet est délicat à Pôle Emploi. Nous devons être très attentifs à la façon dont nous communiquons au sujet de notre politique RSO, car nous risquons de tomber très vite sous le feu de la critique prenant pour argument que là n’est pas notre cœur de métier.

Nous n’avons pas moins conduit de belles actions. Ainsi, depuis 2009 nous conduisons une politique d’intégration des sportifs de haut niveau en leur permettant de poursuivre un double cursus professionnel et sportif. Ils défendent les couleurs de la France dans les compétitions internationales, et certains d’entre eux nous ont fait le plaisir de décrocher des médailles d’or et d’argent, notamment à Londres. Nous avons communiqué sur ces événements, mais, en dépit d’échos favorables, nous devons rester prudents et ne pas perdre de vue que nous sommes avant tout Pôle Emploi. Il n’en demeure pas moins que nous avons l’ambition de développer ce travail de communication.

Mme Sandrine Cormier, chef de projet. Au départ, nous avons constaté que les actions que nous conduisions, quelle que puisse être leur qualité, n’étaient pas coordonnées de façon suffisamment cohérente pour en faire une vraie politique, remarquable sur le plan stratégique, et une réalité quotidienne pour l’ensemble des agents de Pôle Emploi.

La mise en place du bilan carbone, par exemple, est une des actions très fortes ayant nécessité une ingénierie importante, et prenant beaucoup de temps et d’énergie, alors que nos collègues n’en mesuraient pas toujours la portée ni l’intérêt dans leur activité de tous les jours. Pourtant, les éléments du plan carbone, avec l’énergie des bâtiments ou la gestion des déplacements notamment, sont susceptibles d’être mis en valeur auprès des services financiers, même s’ils ne sont pas toujours exprimables en termes numéraires.

Dans le cadre des actions de sensibilisation que nous conduisons, nous avons constaté que la mise en œuvre du plan carbone par exemple touchait les agents en tant que personnes. Elle fédère et responsabilise de façon très concrète. Nous avons aussi constaté que des collègues nous adressaient des suggestions fondées sur leur quotidien, en nous demandant pourquoi ne pas faire dans l’entreprise ce que l’on fait chez soi ; qu’il s’agisse du tri des déchets ou de l’utilisation mieux raisonnée de certains outils.

Cela a eu une portée forte, et la ligne managériale y a été sensible, ce qui a permis des expérimentations nouvelles et souligne l’importance de l’écoute de ce que les agents rapportent du quotidien de leur vie au travail. Des services se sont ainsi rapprochés pour conduire des actions communes, car celles-ci peuvent avoir trait à la qualité de vie au travail, intéressant particulièrement les services de ressources humaines (RH).

Dans le cadre du volet environnemental, le télétravail, par exemple, a constitué une demande forte de la part des agents ; après une phase d’expérimentation, il a été généralisé. Il a constitué pour nous l’occasion de travailler en réelle collaboration entre les services, particulièrement les services RH et RSO, mais encore entre bien d’autres, car le télétravail illustre de façon criante le besoin de transversalité.

Il s’agit donc de montrer l’intérêt qu’il y a à fédérer une politique de responsabilité sociétale ; à cet égard, je peux dire que notre établissement a su prendre la balle au bond.

Mme Hélène Rambourg. Pendant plusieurs années, nous avons conduit un projet d’accompagnement des métiers et des emplois de l’économie verte, à cette fin, avec notre direction des affaires internationales, nous avons organisé un bench avec d’autres services publics de l’emploi comme l’Office wallon de la formation professionnelle et de l’emploi (FOREM) et l’Irish National Training and Employment Authority (FAS). Nous avons par ailleurs engagé un partenariat avec notre homologue suédois, l’arbetsförmedlingen, qui a duré dix-huit mois environ. Deux directions régionales suédoise et française étaient impliquées et nous avons organisé des voyages d’études et procédé à des échanges de bonnes pratiques, ce qui a été très riche pour nous.

Cela nous a permis d’apprécier la qualité de notre propre travail, car on ne prend pas toujours le temps d’apprécier le chemin parcouru, et cette dimension régionale conduit chacun à agir en fonction de son propre contexte et de son propre portage managérial. En l’occurrence, à l’époque il s’agissait des régions Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) et Nord-Pas-de-Calais ; nous avons constaté que nous menions beaucoup d’actions intéressantes, conduites avec des partenaires variés. À cela il faut ajouter le regard des Suédois, qui nous ont posé des questions sur notre propre organisation ; nous nous sommes rendus à Piteå où nous avons beaucoup appris au sujet de l’approche suédoise de l’économie verte.

Ce fut un vrai choc ! Nous avons éprouvé les différences culturelles d’approche d’un même sujet, ce qui a été l’occasion de nous enrichir mutuellement.

De la même façon, en France, nous avons échangé avec l’Alliance Villes Emploi (AVE), qui a lancé des projets avec une vingtaine de maisons de l’emploi ; et nous nous sommes rapprochés de Marie-Pierre Establie d’Argencé, déléguée générale de l’AVE, afin de nous enrichir mutuellement de nos travaux respectifs. Nous nous inscrivons dans cette démarche consistant à observer ce que font les autres, et c’est pourquoi le Club constitue pour nous un point d’appui très intéressant.

J’ai connu le Club à l’époque où il cherchait à déterminer une méthodologie et où les groupes de travail se constituaient. Nous apprenions alors à nous connaître et à nous faire mutuellement confiance ; ensuite, nous nous sommes dit beaucoup de choses. Le Club est ainsi devenu un outil très puissant où l’on échange entre pairs, car on peut s’y dire tout, et bénéficier du regard expert de l’autre, auquel on accorde d’autant plus de crédit que les remarques sont exprimées avec bienveillance et fondées sur le propre vécu de l’interlocuteur. La relation est donc tout à fait différente de celle que l’on peut établir avec un consultant réalisant un audit, par exemple.

M. Bruno Millienne, rapporteur président. J’ai pris bonne note de toutes les actions que vous avez conduites pour bâtir la RSE au sein de Pôle Emploi.

J’ai eu l’occasion de visiter l’agence Pôle Emploi des Mureaux, où un effort particulier a été réalisé dans le bâti comme dans le mobilier et les postes de travail des agents, mais aussi dans le parcours de l’usager. J’ai bien compris que les agents ont intégré la démarche RSE, mais les usagers en sont-ils conscients, cela leur est-il expliqué, cela leur paraît-il normal ?

Mme Hélène Rambourg. Nous sommes humbles, nous ne présentons pas ce que nous faisons comme s’inscrivant dans le cadre d’une RSE, mais nous disons que c’est toujours dans le but d’améliorer notre service et son accès.

Ainsi avons-nous généralisé l’équipement de l’ensemble de nos sites en boucles à induction magnétique ouvrant l’accès à un service de traduction instantanée, notamment en langue des signes. Il a été naturel de présenter cet équipement à nos collègues et au public en expliquant que son objet était de faciliter encore plus l’accès à nos services pour les personnes en situation de troubles auditifs.

De même, nous travaillons beaucoup sur l’accessibilité numérique de notre site pole-emploi.fr, nous progressons à petits pas en nous appuyant sur les prescriptions du référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA), jusqu’au niveau 5, le plus exigeant.

Je répète que l’ensemble de la démarche vise à ouvrir l’accessibilité à nos services, de même allons-nous travailler sur « l’expérience utilisateur » afin de nous assurer que les personnes en situation de handicap bénéficient d’une bonne accessibilité à l’ensemble des points essentiels du site afin d’avoir accès à l’ensemble de nos services.

Mme Sandrine Cormier. Un travail important est mené par les équipes de nos services informatiques pour que les personnes, quel que soit le matériel dont elles disposent, récent ou plus ancien, puissent avoir accès aux informations, ce qui implique de recourir à plusieurs formats différents. En d’autres termes, nos actions sont tournées vers l’usager, c’est pourquoi nous prévenons ses besoins en adaptant notre offre.

Certains agents de Pôle Emploi sont en situation de handicap. Nous cherchons continuellement à faire évoluer les outils mis à leur disposition afin qu’ils puissent travailler de la même façon que les personnes valides. À cette fin, nous utilisons les méthodologies permettant de faire évoluer nos services en interne pour pouvoir déterminer comment utiliser ces mêmes processus à l’intention des usagers. Nous nous situons donc toujours dans l’interaction entre ce qui est utilisé par nos agents et ce qui peut l’être par les usagers puisque, dès lors que nous facilitons la vie de nos agents dans le service à rendre, la prestation est de meilleure qualité.

Le Club a fêté ses dix ans l’an passé, nous y avons adhéré dans les trois ans qui ont suivi sa création. Cette adhésion nous a semblé intéressante, car nous étions dans une phase de construction, et nous avions besoin d’échanger et de recueillir l’avis d’autres organisations. En tant qu’établissement public, on se pose souvent la question de notre légitimité à nous conformer aux mêmes obligations que les entreprises du secteur privé. Est-ce notre rôle ? Ne devons-nous pas privilégier nos missions de service public plutôt que nos « intérêts d’établissement » ?

Le Club a alors constitué pour nous une instance bienveillante constituée d’organismes qui se posaient des questions semblables aux nôtres et cherchaient à y répondre, tout en étant animé par la volonté de s’inscrire dans une démarche de développement durable.

Au fil du temps, le Club a grandi, car les adhésions se sont multipliées ; ainsi le premier intérêt du Club réside-t-il dans sa diversité, notamment en raison des statuts des organismes qui le composent, car il compte en son sein des établissements publics à caractère administratif (EPA), des établissements publics à caractère industriel ou commercial (EPIC) ou des organismes chargés de certaines missions de service public, mais exerçant aussi des activités d’ordre privé. C’est précisément cette hétérogénéité qui nous a semblé intéressante.

C’est donc de façon spontanée et dynamique que nous avons adhéré au Club en nous positionnant rapidement dans les groupes de travail. De fait, l’intérêt du Club n’est pas de nous rencontrer une fois par an en assemblée plénière et de nous congratuler pour notre travail dans le domaine du développement durable. Bien au contraire, il s’agit de retrousser ses manches et de travailler concrètement à faire avancer un certain nombre de sujets. Nous avons ainsi pu répondre positivement à des propositions de travaux réalisés au sein de groupes de travail et pour devenir éventuellement terrain d’expérimentation sur un certain nombre de chantiers.

Le Club nous apporte un cadre. Vous avez évoqué sa charte, qui est souple tout en garantissant une compréhension et une écoute mutuelles. À mesure que nous avons grandi, nous avons établi une feuille de route déterminant ce sur quoi nous souhaitions travailler afin de nous structurer. De la même façon qu’en tant qu’organisme nous nous structurons à mesure que nous progressons dans notre démarche de développement durable, nous nous structurons au sein du Club, et mettons en place des éléments nous permettant d’avancer de façon concrète. La dernière feuille de route a d’ailleurs été validée par Laurence Monnoyer-Smith, commissaire générale au développement durable, et présentée à la dernière réunion plénière du Club ; ce qui donne du poids à ce que nous proposons.

Le Club est aussi un terrain d’expérimentation, en fonction de nos propres priorités, il offre la possibilité de s’intégrer dans des groupes de travail abordant des sujets nous intéressant particulièrement. Ainsi avons-nous constaté au sein de Pôle Emploi que, dans notre bilan carbone, le poste relatif aux déplacements est le plus important. Nous avons donc intégré le groupe de travail consacré à la mobilité, nous y partagerons nos expériences, nos progrès et nos interrogations, qui demeurent nombreuses.

Par ailleurs, l’intérêt de travailler entre pairs est de pouvoir s’évaluer. Un organisme membre du club peut proposer que d’autres organismes membres viennent évaluer l’état d’avancement de sa démarche et poser un certain nombre de questions sur ce qui a pu motiver certains choix par exemple. Cela évite d’être trop autocentré et confère une ouverture allant dans le sens de ce qui est attendu des parties prenantes au sein d’une démarche de développement durable.

Mme Hélène Rambourg. Je répète qu’il ne s’agit pas d’un audit, et les choses se passent dans des conditions particulièrement favorables pour entendre des propos parfois inconfortables. Car là où on croyait parfois avoir été performant, on est démenti ; il faut donc accepter de montrer ses faiblesses, mais cela permet de rebondir et de conduire des actions par la suite.

Mme Sandrine Cormier. Le Club constitue encore un lieu d’échange d’informations, de documents et de méthodes, soit parce que l’on veut les éprouver, soit parce que l’on souhaite les partager avec ses pairs dans une logique d’open source. On échange autant sur des idées que sur les pratiques. Partager sur les idées peut conduire à partager des besoins, ce qui peut aboutir à la constitution de groupes de travail. Partager sur les pratiques permet, sur la base de l’expérience, de s’assurer que le process est clair, qu’il peut être démultiplié, et que chacun peut s’en emparer par la suite.

Par ailleurs, ces échanges font fonction de mini benchmark, et, lorsque l’on s’interroge sur un sujet, notamment lié à la veille réglementaire comme la mise en œuvre des dispositions d’un décret, il est utile de savoir comment d’autres ont procédé. En effet, s’engager dans une démarche précise dans ce contexte nous fournit des arguments vis-à-vis de notre propre hiérarchie, et nous permet d’entamer une réflexion.

Au risque de surprendre, je dirais que le Club est aussi un refuge, car le développement durable ne constitue pas au quotidien une démarche simple, et nous avons parfois l’impression de prêcher dans le désert ou de ne pas être entendus. Ainsi, dans un domaine nous échappant parfois par ses dimensions, nous ressentons régulièrement un sentiment d’inachèvement. Le Club est constitué de structures de toutes tailles, et une personne est parfois seule chargée du développement durable là où elle travaille.

Je ne veux pas faire pleurer dans les chaumières, mais la transversalité dans les services, par exemple, n’est pas toujours évidente. Et pouvoir en parler entre nous peut être l’occasion de trouver de petites astuces, des tactiques et des arguments auxquels nous n’avions pas pensé. Ces échanges sont encore l’occasion de nous interroger mutuellement sur la cohérence de nos actions.

Comme Hélène Rambourg l’a dit, dans le cadre du développement durable, nous avons beaucoup d’idées sur des sujets divers qu’il nous semblerait opportun de développer, mais nous réalisons qu’ils ne font pas nécessairement écho, ce qui génère de la frustration. C’est pourquoi il est important de pouvoir en parler dans le cadre du Club.

Travailler en coopération constitue par ailleurs un accélérateur, c’est une forme d’émulation que de se dire que si d’autres y sont parvenus rien n’empêche que j’y arrive moi‑même. Au sein de Pôle Emploi, des collègues appartenant à d’autres services nous envient d’ailleurs parfois cette possibilité d’échanger très rapidement avec d’autres organismes. Nos collègues du service des achats et marchés, par exemple, nous demandent souvent de nous renseigner auprès de membres du Club afin de savoir comment ils ont pu gérer telle ou telle situation.

À travers ce club, nous ouvrons ainsi des portes, ce qui aurait probablement été difficile dans un cadre plus institutionnel.

Enfin, je dirais que le Club constitue une carte de visite. Je prendrai l’exemple de l’achat de papier, pour lequel nous avons travaillé d’arrache-pied en 2017, et qui nous a permis d’acheter 100 % de papier recyclé. Un décret recommandait bien une augmentation progressive de la part de l’usage du papier recyclé, mais nous avons décidé d’aller au-delà ; nous avons fait valoir que lorsqu’un organisme comme Pôle Emploi essaie d’aller au-delà de ses obligations légales, il embarque avec lui d’autres organismes publics, qui se proposeront à leur tour d’en faire autant.

C’est pourquoi je parle de carte de visite : nous ne sommes pas seuls devant une évolution ou un nouveau marché, d’autres organismes partagent notre dynamique et nous nous soutenons mutuellement, ce qui nous fait du bien.

M. Bruno Millienne, rapporteur, président. Je vous remercie, mesdames, pour cet exposé intéressant et complet.

Mme Fabienne Colboc. Vous avez indiqué la place du développement durable en tant qu’objectif dans votre établissement tout en considérant qu’il ne doit pas dépasser votre cœur de métier. Pôle Emploi s’adresse à divers publics répartis sur différents territoires, notamment les territoires ruraux même si l’on songe au numérique. Dans ce contexte, comment la démarche de développement durable est-elle uniformément appliquée sur l’ensemble du territoire national ?

À l’Assemblée nationale, par exemple, si des décisions sont prises, il sera plus facile de les mettre en œuvre, car elles s’adressent à un ensemble cohérent et restreint.

Il est plus difficile d’apporter des changements radicaux et de toucher tous les publics lorsque l’on est dans les territoires. Comment mettre en œuvre, dans ces conditions, des actions de développement durable ?

Mme Hélène Rambourg. Vous avez évoqué un réseau de référents. En 2009, lorsque nous avons créé la direction du développement durable, nous nous sommes très rapidement attachés à avoir des correspondants dans chacune des directions régionales de Pôle Emploi. Ces correspondants se sont eux-mêmes attachés à trouver des interlocuteurs jusqu’au niveau le plus proche, à savoir les sites d’accueil du public.

La qualité de ce réseau de correspondants est absolument nécessaire, et nous nous sommes attachés à leur proposer une formation afin de leur fournir les fondamentaux du développement durable, en leur donnant une perspective historique et philosophique, pour ensuite nous plonger avec eux dans l’action.

Par ailleurs, j’ai évoqué la nécessité de disposer d’une feuille de route présentant des objectifs clairement identifiés correspondant à la volonté de notre établissement, de notre directeur général, ainsi qu’aux attentes de nos parties prenantes. La rédaction de ces objectifs est très importante, nous avons élaboré un document reprenant les dix engagements pour 2018 dans une présentation faisant en sorte que tout le monde puisse s’y retrouver.

Il est important de donner les directions dans lesquelles on veut aller, pour notre part nous avons fait le choix de l’accessibilité universelle de nos services, que celle-ci soit physique ou numérique. Nous avons fait le choix d’une organisation responsable prenant en compte l’impact environnemental de notre fonctionnement, en restant particulièrement attentifs à la question de la mobilité. Nous avons aussi mis l’accent, dans le domaine de la gestion des ressources humaines, sur l’égalité hommes-femmes, mais aussi dans celui de l’accueil des publics en situation de handicap.

Nous avons par ailleurs fait le choix d’une autre orientation vers des achats responsables prenant en compte certaines clauses sociales et environnementales.

Ensuite, nous n’entrons pas trop dans le détail, et laissons les directions régionales décliner comme elles le souhaitent ces orientations, voire les compléter avec des éléments relevant de leur propre « écosystème » de partenariat.

Ainsi, à l’échelon national, nous travaillons à la meilleure structuration possible d’un plan de mobilité, mais la région PACA, par exemple, a choisi de recourir à un partenaire local pour pratiquer le covoiturage solidaire des demandeurs d’emploi à l’aide d’une plateforme spécifique. En Bretagne, c’est un autre partenaire associatif qui a été retenu.

C’est donc à chacun qu’il revient de décliner en son sein sa politique de développement durable, voire d’y ajouter des actions supplémentaires.

En 2018 nous organiserons un challenge régional et national sur les meilleures initiatives RSE prises par les différentes équipes, toutes les équipes étant concernées. Au niveau national, nous avons proposé qu’il y ait un thème dans lequel chacun pourrait se retrouver. Nous avons décliné pour Pôle Emploi le plan quinquennal pour l’égalité hommes-femmes en nous demandant comment donner aux femmes des leviers pour un parcours professionnel réussi. À ce thème national s’ajoutent tous les thèmes relatifs à la responsabilité sociale et environnementale, et chaque région est libre de ses choix.

Ce qui importe, c’est de donner une impulsion et dire : « Vous n’êtes pas seuls », et l’impulsion nationale fera que toutes les actions se retrouveront chacune dans leurs régions, ce qui donnera du corps, du sens et du poids ; par la suite, nous pourrons communiquer sur les réalisations accomplies.

Les régions sont autonomes dans leurs partenariats, de même que certains de nos collègues sont membres de clubs de développement durable régionaux.

Mme Sandrine Cormier. C’est d’ailleurs ainsi que nous envisageons la présentation de notre rapport RSO. Plutôt qu’un document très institutionnel, nous valorisons avant tout les initiatives locales en montrant comment elles se rattachent à la stratégie nationale.

M. Bruno Millienne, rapporteur, président. Merci beaucoup pour ce point de vue différent de ce que nous avions entendu jusqu’à présent. Vous montrez qu’il existe une réelle adaptabilité à notre environnement pour conduire cette démarche RSE, car les choses sont plus compliquées dans les entreprises publiques que dans le secteur privé.

Vous nous avez donné quelques clés susceptibles de nous aider dans la réussite de notre parcours, ce dont je vous remercie.

L’audition sachève à seize heures trente.

 


Présences en réunion

Groupe de travail sur le développement durable dans la gestion et le fonctionnement de lAssemblée nationale

Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 14 h 10

Présents.  Mme Fabienne Colboc, M. Bruno Millienne

Excusés.  M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Guy Bricout, Mme Coralie Dubost, Mme Valérie Lacroute, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Mathilde Panot, M. Hubert Wulfranc