Compte rendu

Commission spéciale chargée
d’examiner le projet de loi
pour un État au service d’une
société de confiance

 

– Table ronde, ouverte à la presse, de représentants de think tanks : M. Samuel-Frédéric Servière, de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP) et M. Pierre Bauby, directeur de l’Observatoire de l’action publique, Fondation Jean Jaurès              2

 

 


Mercredi
13 décembre 2017

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 2

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
Mme Sophie Errante, Présidente


  1 

La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.

Mme la présidente Sophie Errante. Mes chers collègues, nous ouvrons aujourd’hui nos travaux avec cette première table ronde.

Au préalable, pour la bonne information de la commission spéciale, je vous propose un bref rappel de méthode et d’organisation.

Les délais qui nous sont impartis sont nécessairement limités. Je rappelle que le projet de loi est soumis à la procédure accélérée. Le bureau de notre commission s’est réuni jeudi dernier aussitôt après notre réunion constitutive. Il a approuvé le principe d’un examen des articles en commission à partir du lundi 15 janvier. Ce choix est celui qui ménage le temps de préparation le plus long pour les auteurs d’amendements avant l’examen en commission. En contrepartie, le délai sera « serré » avant l’examen du texte en séance publique, prévu à partir du 22 janvier prochain.

D’ici là, notre commission pourra être éclairée par trois journées d’auditions : aujourd’hui, mercredi 20 décembre prochain ainsi que mercredi 10 janvier. Il n’a pas été possible de réaliser en décembre la totalité du programme annoncé par le rapporteur, faute de disponibilité de certaines personnes pressenties, dans le délai très court d’organisation.

Je souligne en particulier que, comme il était souhaitable, nous pourrons entendre le ministre de l’action et des comptes publics le 20 décembre après les questions au Gouvernement. Cette audition, qui se tiendra en salle Lamartine, donnera lieu à notre discussion générale sur le texte.

En complément, je rappelle que les membres de la commission peuvent assister aux auditions du rapporteur, dont la liste, mise à jour régulièrement, vous est adressée par messagerie.

Je sais que plusieurs d’entre vous ont assisté à ses premières auditions, en dépit de nos calendriers chargés de cette fin d’année.

Je tiens à préciser que ce projet de loi prend racine dans la proposition du Président de la République d’instituer un droit à l’erreur. Cette mesure, qui figure dans le texte présenté par le Gouvernement, est symbolique au regard de la crispation croissante que nous avons tous pu constater ces dernières années entre les usagers – qu’ils soient particuliers ou entrepreneurs – et l’administration.

Il nous revient à tous d’aider l’administration à retrouver la place qui est la sienne, une place belle et positive : celle d’aider les citoyens à mieux vivre, à être efficaces dans leurs projets, et ambitieux dans leur vie professionnelle. Pour ce faire, il nous faut aller de l’avant et rénover les relations qu’entretiennent les administrations de notre pays avec leurs usagers.

Cela passe par la poursuite de la réforme de l’État, qui a certes été engagée par les précédents gouvernements, mais qui doit maintenant donner des résultats fiables et visibles par l’ensemble de nos concitoyens. Cela passe aussi par une rationalisation ainsi qu’une simplification des pratiques et des procédures administratives. Enfin, nous avons besoin d’une administration plus agile, mieux adaptée aux situations locales et à même de répondre aux interrogations particulières des citoyens qui l’interrogent.

Nous voulons des citoyens éclairés, informés, des règles claires à respecter et un dialogue toujours possible. Nous devons tous prendre notre part dans l’amélioration du fonctionnement de notre pays. Nous devons redonner à nos concitoyens confiance en leur administration et aider les agents de l’État à mieux exercer leurs missions, par la formation professionnelle et l’expérimentation de nouvelles pratiques. Ce sont ces raisons qui ont conduit à modifier le titre du projet de loi.

Nous avons le plaisir d’auditionner aujourd’hui les représentants de deux organismes de réflexion et de proposition : pour la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), M. Samuel-Frédéric Servière  ; pour la Fondation Jean Jaurès, M. Pierre Bauby, directeur de l’Observatoire de l’action publique.

Messieurs, je vous remercie de votre disponibilité. Précisons que nous avions invité d’autres organismes à venir s’exprimer aujourd’hui, mais ils n’ont pas été en mesure de déléguer de porte-parole, soit que leur réflexion ne soit pas encore aboutie, soit pour des raisons de calendrier.

M. Stanislas Guerini, rapporteur. Je tiens tout d’abord à remercier nos interlocuteurs d’avoir bien voulu se rendre disponibles dans des délais aussi brefs.

L’audition de deux représentants de think tanks prestigieux constitue pour nous l’occasion de prendre un recul salutaire.

Je poserai sur le projet de loi quatre questions d’ordre général, alors que les auditions conduites ce matin ont porté sur des articles précis du dispositif présenté par le Gouvernement.

Que pensez-vous de la philosophie de ce texte, dont l’approche consiste moins en des simplifications qu’à introduire, à périmètre constant de complexité, des principes nouveaux propres à changer les relations et à rétablir la confiance entre les usagers et leur administration ?

Quel regard posez-vous sur les grands principes qui structurent ce texte, notamment le titre Ier : une administration qui conseille, qui s’engage, qui dialogue ? Avez-vous un avis sur ces principes, sur le droit à l’erreur, le rescrit, la médiation, la transaction, le certificat d’information, le référent unique, la durée du contrôle et la numérisation ?

Selon vous, dans quels domaines d’application serait-il le plus pertinent d’agir afin de conférer au projet de loi la meilleure effectivité ?

Souhaiteriez-vous enfin formuler des recommandations, dans l’esprit qui préside à ce texte, afin de nous aider à aller plus loin ou plus fort dans le resserrement du lien de confiance entre les citoyens et l’administration ?

Mme la présidente Sophie Errante. M. Samuel-Frédéric Servière, pouvez-vous éclairer le sens du titre de l’article publié le 30 novembre dernier sur votre site : Droit à l’erreur : Perlimpinpin chez Kafka ?

M. Samuel-Frédéric Servière, Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP). Ce titre était volontairement provocateur parce que nous n’avions pas encore toutes les dispositions en main.

Si l’on souhaite véritablement bâtir un droit à l’erreur opposable à l’administration, il va sans doute falloir renforcer les dispositions juridiques qui encadrent le dispositif proposé. À nos yeux, pour les deux versants du droit à l’erreur et du droit au contrôle, ce projet de loi prévoit des exceptions qui nous posent problème.

Pour le droit à l’erreur, en exclure les professionnels soumis à leur autorité sectorielle semble excessif, surtout si cela est couplé avec d’autres dispositifs figurant dans le texte, comme tout ce qui relève de la demande de prise de position formelle, par exemple.

J’ai essayé de raisonner en réseaux : dès lors que l’on crée une pluralité de droits, ils doivent pouvoir se recouper et se renforcer. Ainsi, lorsque l’on dispose d’un droit à communication des documents, de la demande de prise de position formelle, et que l’on a droit au contrôle, il serait possible d’ouvrir le droit à l’erreur de façon un peu plus large envers les autorités de tutelle lorsqu’elles sont sectorielles. J’en veux pour preuve la prise en compte de la jeunesse de l’activité du requérant. Ainsi, à partir du moment où vous souhaitez entrer dans une activité, la possibilité vous est offerte de demander à l’administration compétente un certain nombre de documents. De bonne foi, vous tâchez de vous soumettre aux obligations légales qui vous sont opposées ; cela devrait, dans un délai restant à déterminer par le législateur, ouvrir droit à l’erreur auprès des autorités de contrôle, car vous êtes jeune dans l’activité.

Cela améliorerait le texte, et renforcerait l’activité et l’attractivité d’un certain nombre de professions.

S’agissant du droit au contrôle, le texte prévoit deux limitations, lorsqu’il peut soit compromettre le fonctionnement du service, soit mettre l’administration dans l’impossibilité matérielle de mener à bien son programme de contrôle.

Nous proposons qu’il soit demandé à une autorité tierce, qui interviendrait en médiation, de s’assurer que ces motifs soulevés par l’administration pour ne pas accéder au droit au contrôle sont matériellement vérifiables. À défaut, l’application de ces nouveaux droits ne sera pas garantie, et de ce point de vue, on risque de connaître un écart important entre la théorie et la pratique. C’est pourquoi nous considérons que ces questions doivent être posées ab initio.

Il conviendrait de conduire une réflexion au sujet du déploiement du Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), pour la partie touchant aux performances des agents publics qui auront à en connaître, de façon à vérifier qu’il n’y a pas de contradiction entre les objectifs qui leur sont assignés en matière de rendement, par exemple, dans leur activité de contrôle, et les possibilités d’y déroger.

Le Gouvernement opposera peut-être au Parlement que ce sujet ne relève pas de sa compétence, mais des amendements d’appel n’en pourraient pas moins être déposés afin de le sensibiliser à la nécessité d’évaluer les capacités des fonctionnaires concernés à ouvrir ce droit aux administrés.

S’agissant de la philosophie générale du texte, il est agréable de constater qu’elle répond à l’esprit de la stratégie nationale d’orientation qui lui est annexée. Toutefois, je déplore que les questions d’évaluation, de simplification et d’étude d’impact soient renvoyées à un projet de loi prévu au printemps prochain. Ainsi que nous l’avons dit devant de nombreuses institutions, dont le Conseil d’État, nous sommes très attachés à la démarche d’évaluation continue, promise par la stratégie nationale d’orientation. Or, cette démarche est singulièrement absente du texte ; le Conseil d’État a d’ailleurs considéré que l’étude d’impact était extrêmement lacunaire.

Il serait de bonne méthode de fournir des études d’impact consistantes, portant notamment sur des questions juridictionnelles emportant la création de demandes d’appréciation en régularité, etc., qui ne sont pas évaluées en termes de lourdeur du contentieux, de risque de conflit entre autorités de même niveau hiérarchique sur le plan juridictionnel, par exemple. C’est un domaine qui reste en friche.

Par ailleurs, vous n’êtes pas sans savoir que l’IFRAP a pris position sur la question du flux et du stock des textes réglementaires.

La circulaire du Premier ministre du mois de juin 2017, ainsi que celles de 2015 et 2016, qui l’ont précédée, traitent de la question du flux. En revanche, le problème du stock demeure, pour lequel un cabinet privé a réalisé un audit dont les conclusions ont été jointes à un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) sur les obligations d’information, réalisé en 2006 et mis à jour en 2007.

Ce document, qui n’a pas été publié, faisait état d’un manque d’évaluation du stock, ce qui avait conduit à construire un « outil stock commun antennes et réseaux », dit OSCAR destiné à évaluer la complexité normative, dont la version émulée existe toujours au secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP).

Dans le cadre de cette stratégie nationale, qui constitue le fil conducteur de la lecture du projet de loi et des textes à venir sur la question, si l’évaluation régulière de l’action publique ainsi que de tout vecteur législatif ou réglementaire est effective, ne faudrait-il pas engager une réflexion portant sur le stock ?

Cela permettrait un positionnement raisonnablement proche de la trajectoire allemande, qui consiste à évaluer le stock, puis créer une baseline à partir de laquelle on estime le flux entrant et sortant des dispositions législatives afin de procéder à une évaluation au fil de l’eau. En Allemagne, cette évaluation est pratiquée au mois le mois et publiée annuellement par les services compétents. Une telle initiative permettrait de maintenir la cohérence entre les droits nouveaux et la production normative, qui sont les deux premiers axes de la réforme.

La question de la numérisation constitue le troisième axe. À cet égard, il conviendrait d’articuler tout ce qui est en rapport avec l’expérimentation autour des référents uniques, notamment en matière de protection sociale, avec les dispositifs existants, dont le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Nous attendons d’ailleurs toujours de cet organisme les développements informatiques susceptibles de permettre un certain nombre de croisements de fichiers, en prenant pour modèle la Banque carrefour de la sécurité sociale belge (BCSS).

Pour en revenir à la philosophie générale de ce projet, elle va dans la bonne direction depuis la communication de la note initiale, nous avons compris qu’il est comme un fer de lance et qu’une série de textes en déclineront par la suite les applications.

M. Pierre Bauby, directeur de l’Observatoire de l’action publique, Fondation Jean Jaurès. Merci de m’avoir invité à réfléchir à ce projet de loi. La réforme de l’État est un serpent de mer dont on parle depuis que l’État existe. J’ai été frappé de trouver pour la première fois dans le titre du projet de loi le mot « confiance » : il est inhabituel de voir ce lien entre l’État et les citoyens évoqué de la sorte.

C’est pourtant le mot-clé du projet de loi et de sa philosophie, ce qui m’amène à une première réflexion : si on parle de confiance, cela signifie qu’il y a de la méfiance, sinon cet objectif n’aurait pas de sens. Je déplore qu’à aucun moment ni l’exposé des motifs ni l’étude d’impact ne tentent de recenser quelles sont les méfiances existantes qui paralysent ou handicapent les relations entre l’État, les citoyens et les divers acteurs. Cet état des lieux serait pourtant utile afin que ce projet remédie à ces méfiances.

Pour éclairer ce débat et répondre aux questions de votre rapporteur sur la philosophie et les principes, je tenterai de prendre un peu de recul.

Aujourd’hui, lorsque l’on évoque l’État et ses rapports avec la société, on parle des décideurs politiques, des services administratifs et des agents publics ainsi que de tous les acteurs de la société dite civile, qu’il s’agisse des citoyens, des individus – les utilisateurs comme disent les textes européens –, des entreprises et des acteurs économiques.

Il existe donc trois grandes catégories d’acteurs entre lesquelles se manifestent des méfiances. Les taux d’abstention aux élections montrent que tel est bien le cas entre les décideurs politiques et les citoyens. Réciproquement, l’histoire de l’État en France – qui est très particulière – et sa sédimentation montrent une méfiance spontanée de l’État envers les citoyens, considérés comme suspects de vouloir abuser de leur situation.

Une société de confiance, l’exposé des motifs et le projet de loi le disent bien, implique de changer de vision, de paradigme, de sortir par le haut du débat entre ceux qui prônent plus d’État, parce qu’il est protecteur, et ceux qui veulent moins d’État, parce qu’il est le fossoyeur des libertés… Pour cela, il faut s’interroger sur les finalités, les missions, les objectifs.

Il faut ainsi remettre l’État à sa place : il ne doit pas être dominateur de la société, ce qu’il a trop été en France comme dans d’autres pays. Mais il n’en faut pas moins lui donner toute sa place, et ne pas en faire un État minimal ou croupion, comme nos amis de l’IFRAP ont parfois pu le dire ou l’écrire…

M. Samuel-Frédéric Servière. Je m’inscris en faux… (Sourires.)

M. Pierre Bauby. Il faut repartir de l’essence de l’État, assurer et garantir les droits de chacun, promouvoir des solidarités, une cohésion économique, sociale, territoriale, environnementale, et préparer l’avenir. Car les forces spontanées du marché et de la concurrence conduisent à une polarisation économique, sociale, territoriale… L’État doit donc compenser les abus et les erreurs du marché.

De ce point de vue, la lecture de l’exposé des motifs du projet de loi est passionnante et s’inscrit parfaitement dans cette refondation. C’est peu dire que l’auteur, en octobre 2014, de la note de la Fondation Jean Jaurès « Réformer l’État par la société », se retrouve dans la stratégie de transformation proposant la confiance a priori, le droit au contrôle, le rôle de conseil, pour ne citer que ces éléments figurant dans le texte. À ce titre, ce projet de loi me semble aller dans le bon sens.

Mais, car il y a toujours un « mais » : ce texte s’inscrivant dans une problématique de Nouveau monde – au sein duquel toutefois l’Ancien monde demeure présente –, il ne faudrait pas créer de faux espoirs en assortissant chaque disposition de tant d’exemptions et d’exceptions qu’elle finirait par ne produire que peu d’effets. C’est bien ce qui s’est passé, sous la précédente législature : il y avait tellement d’exceptions au principe que l’absence de réponse valait acceptation, que cette grande idée a fait flop.

Il faudrait donc que votre commission spéciale et le Parlement encadrent strictement les exceptions au droit à l’erreur afin qu’elles ne deviennent pas la règle : c’est la règle qui doit l’emporter sur l’exception. La phrase « en cas de première méconnaissance involontaire d’une règle applicable à sa situation », signifie que l’on n’a le droit de se tromper qu’une fois mais il faut que cela ne vaille que dans le cas où la situation est strictement identique. Cette notion étant au cœur du débat, il faudra être très attentif à cette formulation.

Il conviendrait encore de compléter les marques de confiance en créant des conditions de participation démocratique à l’élaboration des lois, à l’évaluation, au contrôle. Des expérimentations ont lieu, mais cette idée est absente du texte.

Autre grand absent du texte : le dialogue social à l’intérieur de l’État, fondé sur l’attachement massif des agents publics à des services publics de qualité, répondant aux besoins des citoyens et à leurs évolutions. C’est à partir de là que l’on coconstruira, avec les décideurs politiques – qui ne sauraient le faire seuls – et les agents publics, les réponses adaptées aux besoins de notre société.

Ce dialogue doit toutefois partir de sa finalité : répondre aux besoins du citoyen.

Un dispositif de traitement systématique des plaintes et réclamations devrait par ailleurs être institué, comme cela se pratique dans d’autres pays d’Europe. Les plaintes, si elles sont souvent injustifiées, mettent aussi fréquemment en évidence des dysfonctionnements que les équipes dirigeantes ne connaissent pas forcément, pour la bonne raison qu’elles ont la responsabilité de cinq ou six millions d’agents publics. Un tel outil serait intéressant pour recréer la confiance.

Le titre II me semble en complet décalage avec le reste du projet : il énumère de nombreuses mesures, dont je ne conteste pas l’utilité, mais on n’y parle plus de confiance. On retrouve là les DDO, ces diverses dispositions que l’on colle de force dans un texte sous la pression des énarques de Bercy.

Pour que le texte ne perde pas son sens, je vous suggère donc de dissocier ce titre II du titre Ier qui, lui, a vraiment trait à la confiance. Or, nous ne travaillons pas pour nous-mêmes, mais pour redonner confiance à nos concitoyens.

M. Claude Goasguen. Pour avoir moi-même été ministre de la réforme de l’État, je peux dire que cette réforme n’a guère progressé : c’est avec un certain amusement que j’ai découvert que des commissions, des structures qui avaient été supprimées par décret il y a vingt ans existent toujours...

Pour intéressant qu’il soit, ce texte n’aborde pas véritablement une des conditions essentielles de la confiance : le recours du citoyen contre l’État, ce geste ultime par lequel le citoyen peut s’exprimer contre les abus éventuels de l’État. Or, nous avons en France une particularité exceptionnelle : celle d’une juridiction administrative omniprésente, ce qui constitue un cas unique.

On enseigne dans les facultés de droit qu’au XIXe siècle l’arrêt Blanco a été merveilleux pour les libertés publiques. Mesurons bien le merveilleux de l’époque : en réalité cela signifie que pour la première fois l’administration acceptait de s’autocontrôler, ce qu’elle ne faisait pas auparavant.

Au début du XXIe siècle, l’autocontrôle exercé par le tribunal administratif n’est pas nécessairement capable de donner confiance à celui qui forme un recours. Ce grave problème devait un jour être examiné, car, pour en avoir souvent discuté avec des membres du Conseil d’État, en prenant en considération l’évolution de sa jurisprudence, on constate que l’effort juridictionnel est constant. Ainsi, avec la pratique des référés, il tend à se rapprocher des juridictions de l’ordre judiciaire.

Mais ce projet de loi n’évoque pas cette question. En toute hypothèse, lorsque l’organisation publique de l’État est en cause, c’est qu’elle a en face d’elle un citoyen, dont l’ultime recours est la juridiction administrative.

Très franchement, il faudrait se pencher sur les sentences de la juridiction administrative, leur longueur, leur caractère non exécutoire – puisque l’administration n’exécute pas ses propres décisions, ce qui est une survivance unique. J’entends bien qu’il s’agit d’un problème gigantesque, et que la résistance de la haute administration publique française est extraordinaire. Mais comment ne pas l’examiner ? Certains articles de ce projet de loi sont tout de même cocasses ; l’article 13 est une pure merveille.

Mme la présidente Sophie Errante. Merci de conclure, cher collègue.

M. Claude Goasguen. Pourquoi n’avoir pas traité le contentieux administratif ? Ne s’agit-il pas là, par excellence, d’un problème de confiance entre le citoyen et l’État ?

Mme Cendra Motin. Au-delà d’une simple réforme de l’État, nous cherchons à modifier en profondeur la relation entre l’État et le citoyen, en établissant la confiance a priori. Ce texte est très attendu des entreprises, qui se sentent aujourd’hui étouffées : nous voulons leur apporter des réponses. J’aurais souhaité vous entendre sur la relation des entreprises avec les administrations, ainsi que sur la notion d’expérimentation, qui me paraît centrale.

M. Arnaud Viala. Je salue l’esprit de ce texte, qui promeut la concertation entre le citoyen et l’administration. Mais une telle disposition ne crée-t-elle pas un risque d’arbitraire, qui serait pour finir davantage préjudiciable au citoyen que l’application d’une règle identique à tous ?

Quant à l’expérimentation, je souscris à cette idée, ainsi qu’à celle d’évaluation. Mais le projet de loi prévoit des expérimentations territoriales. Je pense notamment à l’article 30, qui prévoit d’expérimenter l’allègement du contrôle des exploitations agricoles. N’y a-t-il pas là une rupture d’égalité entre les citoyens ? Comment seront choisis les territoires ? Comment se passera la généralisation ? Comment traitera-t-on les problèmes que les expérimentations n’ont pas fait émerger, car ils n’existaient pas dans la zone d’expérimentation ?

Mme Carole Grandjean. Je m’interroge également sur l’expérimentation territoriale.

Plus généralement, des dispositifs similaires à ceux prévus par le projet de loi ont-ils à votre connaissance été instaurés à l’étranger, et quels ont été leurs résultats, positifs ou négatifs ?

M. Pierre Bauby. S’agissant du contentieux administratif, monsieur Goasguen, c’est la question que j’effleurais en évoquant le traitement des plaintes. Si le mécontentement qui est à l’origine d’une plainte n’est pas correctement traité, il peut déboucher sur un contentieux – ce qu’il faut essayer d’éviter. C’est donc, vous avez raison, une question importante : ce projet de loi pourrait sans doute aborder le problème, mais peut-être de façon progressive, en commençant par les plaintes. Le texte traite de médiation, par exemple, mais il pourrait être étoffé, dans le sens que vous indiquez.

S’agissant des entreprises, je le disais tout à l’heure : le rétablissement de la confiance est essentiel. La complexité administrative est une préoccupation de la très grande majorité d’entre elles. Les plus grandes sont outillées pour traiter les paperasses, pour connaître les dispositions légales… – travaillant actuellement sur la réglementation européenne des aides d’État, je peux néanmoins vous assurer que c’est un sujet gigantesque. On croit généralement que, puisque l’Europe fait la chasse aux aides d’État, il faut faire des appels d’offres. Mais la réalité est bien plus complexe, et il y a bien plus de portes ouvertes qu’on ne l’imagine. Or les entreprises prennent des risques, puisqu’elles risquent toujours de devoir rembourser – après plusieurs années – des aides considérées comme indues.

Mais il faut surtout se concentrer sur les PME, qui n’ont pas les moyens humains et techniques des grandes entreprises pour connaître la réglementation.

Il est également nécessaire de simplifier ce que l’on demande aux entreprises. Le numérique est une grande chance, à condition d’avoir la volonté politique de l’utiliser. Certains fonctionnaires, et sans doute de hauts fonctionnaires, se sentent dépossédés, court-circuités. C’est pourquoi j’évoquais tout à l’heure la nécessité du dialogue social : on ne peut pas imposer la numérisation aux agents publics ; il faut agir avec eux, afin que le numérique simplifie leur travail et, par là, dégage du temps pour qu’ils jouent leur rôle d’interface avec les citoyens comme avec les entreprises.

En ce qui concerne l’expérimentation territoriale, nous sommes un État unitaire, l’État le plus centralisé d’Europe, mais aussi un État qui, comme l’écrivait Fernand Braudel, conjugue unité et diversité. Les territoires ne sont pas identiques, et il faut prendre en considération leurs spécificités. La loi ne sert qu’à répondre aux besoins, à nous permettre de vivre ensemble.

Quant aux risques d’arbitraire dans les négociations avec l’administration, chacun sait bien aujourd’hui qu’il y a en permanence des arrangements sur le terrain ; des études sociologiques l’ont montré. Avec les négociations, il ne s’agit pas de contourner la loi, mais de la rendre applicable. Ce qu’il faut éviter, ce sont les disparités de traitement, et c’est là que l’État doit jouer son rôle d’encadrement.

S’agissant enfin des expérimentations à l’étranger, il en existe certainement. Je ne peux pas vous en parler aujourd’hui, mais nous pourrons faire circuler des documents.

M. Samuel-Frédéric Servière. Une fois n’est pas coutume, je serai d’accord avec M. Bauby sur la justice administrative et les réformes à mener dans ce domaine.

S’agissant des entreprises, il n’y a pas d’évaluation du « test PME ». Une disposition prévoit de limiter les transmissions d’informations, grâce à l’API Entreprise. Mais il faudrait connaître les critères d’évaluation, de manière à ne pas être pris de court…

À propos du dispositif « relation de confiance », instauré en 2013, l’étude d’impact est muette : nous ne savons pas ce que les actions menées ont donné. Des conversations informelles me laissent penser que les résultats ont été contrastés et, qu’au lieu d’une relation de confiance, le dispositif a parfois débouché sur des relations de contrôle… Il serait à tout le moins intéressant de disposer des chiffres. Nous serions preneurs des éléments que pourrait fournir le rapport.

Il serait également bon de savoir quel organisme va s’occuper des chiffrages. Cela relève sans doute plutôt de la réforme de l’Assemblée nationale lancée par le président François de Rugy. Mais quelle sera par exemple l’articulation avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) ? Il serait bon de disposer d’un interlocuteur clairement identifié.

En ce qui concerne la concertation avec les fonctionnaires, le texte prévoit un « référent unique », investi d’une mission de coordination, mais pas de décision – ce que l’on peut regretter à certains égards, par exemple pour ce qui concerne l’URSSAF. En revanche, si le médiateur devait recevoir des pouvoirs de décision, il faudrait prévoir une instance de médiation. J’ajoute que si les administrations que le référent unique doit coordonner sont elles-mêmes lentes, les résultats ne seront pas au rendez-vous.

S’agissant des expérimentations territoriales, tant que l’on ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi, c’est une méthode qui me paraît plutôt pertinente. Il faudra vérifier qu’elles sont menées de façon cohérente.

En ce qui concerne les comparaisons avec d’autres pays, je voudrais citer le référent fiscal unique, qui existe au Luxembourg depuis longtemps. Cela pourrait être une piste intéressante. Pour les relations entre les particuliers et l’administration fiscales, le Royaume-Uni dispose de centres d’appels très importants. En France, la relation informatique avec l’administration fiscale fonctionne de mieux en mieux, mais il y a un énorme retard à rattraper du côté des URSSAF.

En la matière, d’ailleurs, l’interprétation des normes est parfaitement régionalisée : il y a un travail d’unification de la jurisprudence des URSSAF à mener, car la situation n’est pas satisfaisante.

Il n’y a pas en France de réflexion sur les réductions automatiques de productivité dans les crédits budgétaires (automatic productivity cuts), c’est-à-dire sur un mécanisme qui permet de répercuter automatiquement les gains de productivité que l’on peut constater dans des secteurs comparables. Un indice synthétique permettrait de se faire une idée des gains de productivité qui pourraient être réalisés, notamment pour un certain nombre de fonctions support.

J’ai déjà évoqué la Banque Carrefour de la sécurité sociale belge.

En matière de contrôle fiscal, l’administration continue d’utiliser une stratégie de contrôle fiscal « à l’ancienne ». Dès lors que le contrôle est plus algorithmique – ce qui a par exemple donné de très bons résultats en Belgique pour lutter contre les « carrousels de TVA » – on arrive à mieux cibler les profils suspects : le droit à l’erreur pourrait dès lors être beaucoup plus encadré qu’il ne l’est dans le projet de loi. Pourquoi ne pas prévoir une clause de revoyure, en fonction de l’évolution des pratiques ? La France est relativement en retard, en raison notamment des réticences des agents publics, mais aussi parce que l’on a souvent voulu développer des logiciels maison, à partir de logiciels libres, ce qui n’est pas forcément une très bonne chose. Il existe, par exemple chez SAS mais aussi chez d’autres fournisseurs, une véritable expérience de ces sujets, mais ils ont souvent été écartés d’emblée.

M. Mohamed Laqhila. Quels sont pour les observateurs avisés que vous êtes le principal point fort et le principal point faible de ce texte ? Quel est le point essentiel qui ne serait pas traité ici ?

M. Dominique Da Silva. J’ai lu sur le site de l’IFRAP que « mieux vaudrait commencer par rendre la loi intelligible pour ne pas avoir à pardonner sa méconnaissance ». Cette phrase me semble pertinente. Pourriez-vous développer ce point ? Comment rendre la loi intelligible ?

La justice administrative peut certainement faire des progrès. Comment aborder cette question ?

M. Gaël Le Bohec. J’ai le sentiment que la confiance doit commencer à l’intérieur même de l’administration. Les fonctionnaires ont parfois l’impression, pour lutter contre les corporatismes, de devoir passer par l’extérieur de l’administration pour agir. On me racontait récemment l’histoire d’un fonctionnaire venu contrôler une exploitation avicole qui avouait à l’éleveur sa gêne de n’avoir rien trouvé, et donc de n’avoir rien à dire à son chef…

Comment passer, à l’intérieur même de l’administration, de la méfiance à la confiance ?

Mme Anne-Laure Cattelot. Le principe « silence vaut accord » est entré en vigueur en novembre 2015. Que penseriez-vous d’un principe « silence vaut continuité de la situation » ? Dans de nombreuses situations, le fait de devoir réitérer la déclaration crée des erreurs, alors même que rien n’a changé : c’est entre autres le cas d’une déclaration de handicap.

M. Jean Terlier. Je reviens sur la gestion des désaccords qui surviennent entre le citoyen et l’administration. Aujourd’hui, le seul moyen de contester une décision administrative est le recours hiérarchique, auquel en général l’administration ne répond pas : dès lors, le seul choix du citoyen est de saisir la juridiction administrative. Dans le meilleur des cas, celle-ci rendra sa décision trois ans plus tard.

Je rejoins donc les propos de M. Goasguen. Il faut, je crois, travailler à la résolution des contentieux administratifs. Avez-vous des propositions à faire sur ce point ? Pour restaurer la confiance entre les citoyens et l’administration, c’est un sujet qu’il faut absolument traiter.

M. Samuel-Frédéric Servière. Le point fort du texte, c’est à mon sens l’instauration d’un droit à l’erreur et d’un droit au contrôle. Le point faible, c’est l’évaluation, absente du projet de loi. Sur ce sujet, certaines dispositions relèvent d’une autre future loi, et d’autres des groupes de travail qui viennent de présenter leurs conclusions au Bureau de l’Assemblée nationale. Nous n’avons donc pas encore de vision globale de la situation, ni des mesures qui seront prises.

Quant au point essentiel qui ne serait pas évoqué, je pense plutôt à une extension claire au-delà de l’administration de l’État. Certaines mesures, là encore, relèvent d’autres instances, comme le Comité action publique 2022 (CAP 22). Les questions relatives aux collectivités territoriales devront être traitées par la Conférence des territoires. Nous n’avons pas de vision globale de l’action du Gouvernement, mais lorsque l’on évoque un interlocuteur unique, il paraît difficile de dissocier les collectivités locales de l’État. Le citoyen lambda préférerait trois ou quatre interlocuteurs à une myriade de guichets…

Certaines dispositions ne figurent pas dans le texte, comme l’armoire numérique. Le principe « Dites-le-nous une fois » n’est pas bien appliqué. Il y a trois ans, habitant à Saint-Cloud, j’ai dû envoyer sept exemplaires d’un acte de naissance à différents organismes… À l’autre bout de la vie, avec les actes de décès, il en va de même. Au Royaume-Uni, la naissance et le décès ont à l’inverse été prioritaires pour l’application du principe « Dites-le-nous une fois ».

S’agissant de l’intelligibilité de la loi, il y a là encore plusieurs instances qui réfléchissent de façon parallèle, en particulier l’un des groupes de travail sur la réforme de l’Assemblée nationale. Je voudrais néanmoins souligner un point : si les études d’impact sont maintenant publiées avec le projet de loi, elles ne sont pas mises à jour au fur et à mesure du processus législatif : quand un texte est adopté, l’étude d’impact est souvent obsolète. Quelles sont les conséquences du travail parlementaire sur la charge de travail de l’administration ? Nous ne le savons pas.

Comment passer de la méfiance à la confiance ? Les dispositifs de transaction, inscrits dans la loi, nous semblent très importants. Il faut aussi multiplier les éléments de collégialité. En matière de transaction, il est intéressant d’avoir un comité. Je suis en désaccord avec le Conseil d’État quant à la possibilité de saisir le juge en cas d’avis défavorable. Pour ma part, je pense que cela serait utile, quitte à envisager une procédure administrative d’urgence du genre référé particulier.

L’administration sera-t-elle suffisamment diligente si elle est soumise à des injonctions contradictoires ? Il me semble que la part variable de la rémunération des fonctionnaires concernés devrait être calculée en fonction de leur faculté à donner droit aux requêtes en question : droit à l’erreur, certificat de législation, capacité de transiger. Le Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), notamment le complément indemnitaire annuel (CIA) devraient être profilés par circulaire pour que les personnels soient évalués en tenant compte de ce critère. C’est la seule manière de parvenir à engager le mouvement de manière intelligente : les agents doivent avoir un intérêt – en termes de rémunération et d’objectifs professionnels – à réaliser ce qu’on leur demande. Vous me rétorquerez que les régimes indemnitaires ne relèvent pas du domaine de la loi. Un appel à circulaire ne serait pas mal venu.

M. Pierre Bauby. Quels sont les points forts du texte ? Pour moi, c'est l'affirmation de la confiance a priori, qui n'est pas simplement le droit à l'erreur, mais un changement complet d'attitude de l'État et des agents publics dans leur rapport aux citoyens. L'État n'est pas supérieur à la société, il est porteur de l'intérêt général. Or l’intérêt général n’est pas un concept défini une fois pour toutes et qui devrait s'imposer par tous les moyens. Il faut que la société ait sa propre dynamique et que l'État négocie, dialogue et trouve des solutions.

Quant aux points faibles, j’en vois deux. Il y a le titre II, déjà évoqué. L’autre point faible va m’amener à l’essentiel qui n'est pas traité : c'est tout ce qui concerne la vie interne de l'État, des administrations, et qui va au-delà du dialogue social. Comment passer de la méfiance à la confiance dans l’administration ? On n’en parle pas. À trop saucissonner les choses, on va retomber dans les défauts antérieurs. La confiance ne se négocie pas. C’est un tout. Même avec quelques améliorations, la méfiance risque de continuer à l'emporter. Un tel changement de paradigme passe aussi par les relations qui lient le sommet de l’État aux 5 à 6 millions d’agents publics. Il est nécessaire d'associer tous les agents publics pour créer une dynamique de confiance qui mettra du temps à s’installer. Ne rêvons pas, tout ne va pas se transformer du jour au lendemain.

Qu’en est-il de l'intelligibilité de la loi ? Comme chacun sait, nul n'est censé ignorer la loi. En réalité, cette assertion est absurde. Il me semble qu’une fois un texte adopté, il faudrait le résumer en deux pages pour le rendre compréhensible par tous les citoyens. Les énarques savent faire ce genre d’exercice en une page. Chaque citoyen pourrait ainsi comprendre l’essence la loi et savoir ce qu’elle change pour lui. Peut-être faudrait-il commencer par le présent texte qui, en l’état, fait 320 pages… Personne ne le lira à part vous et quelques spécialistes.

Passer de la méfiance à la confiance dans l’administration implique aussi que les responsables, au sein de l’administration, assument leurs responsabilités auprès des agents. On en connaît de ces responsables administratifs qui cherchent à faire le moins possible de vagues et se disent : laissons faire, ne changeons pas les habitudes. Il faut instaurer la responsabilité partagée. Dans ce domaine, le projet de loi comporte des manques que vous pourrez essayer de combler même s’il ne faut pas rêver d’un aboutissement complet.

M. Samuel-Frédéric Servière. Même si ce n’est pas notre vocation, en tant que fondation, j’aimerais faire remarquer qu’un cavalier législatif semble s’être glissé dans ce projet de loi : tout ce qui a trait aux cultes. Je suis un peu étonné de trouver ces mesures dans le texte. Quel rapport ont-elles avec un État au service d’une société de confiance ? Peut-être s’agit-il de confiance dans les institutions cultuelles ?

Les deux dispositifs sont d’ailleurs assez intéressants. Si je comprends bien la mesure décrite à l’article 25, il sera possible de faire des dons par SMS. En revanche, les associations cultuelles ne seront pas obligées d’établir un compte d’emploi annuel des ressources collectées auprès du public. L’article 38 prévoit un dépôt des comptes mais pas leur publication. Une association cultuelle peut avoir du mal à tenir un compte de résultat, mais elle pourrait au moins rendre public son bilan.

Mme Cécile Untermaier. Vous avez raison, monsieur Bauby, la confiance ne se décrète pas mais elle s'établit. Il n'y a pas de confiance a priori. Je suis aussi complètement d'accord avec vous en ce qui concerne l’intelligibilité de la loi : celle-ci est faite pour les citoyens et ils doivent se l'approprier. Le présent texte doit être mis en corrélation avec la réflexion que nous menons sur la manière de faire rayonner les travaux parlementaires.

J’aimerais vous faire part d’une expérience de terrain sur le droit à l'erreur. Avec le ministre du budget, nous avons mis en avant des critères généraux qui nous ont permis de faire reconnaître ce droit à l’erreur et de sauver une entreprise. Voici ces quatre critères généraux qui pourraient être retenus dans le texte : la bonne foi ; la complexité d'une disposition législative dont on peut comprendre que le citoyen ou le chef d'entreprise ne l'a pas comprise ; l'absence d'enrichissement dû à l'erreur commise ; les effets extrêmement graves d’une sanction sur l'organisme en question. Nous avons pu argumenter à partir de ces critères et les services des douanes sont finalement revenus sur la sanction qu’ils avaient infligée à l’entreprise.

Cette décision récente est extrêmement intéressante car elle préfigure tout le bien-fondé du droit à l'erreur. Dans un deuxième temps, il faut simplifier le dispositif complexe qui a induit l’entreprise en erreur. Le cas échéant, il peut être modifié par une disposition législative. En l’occurrence, chacun considérait qu'il n'y avait pas lieu de sanctionner dans une situation de cette nature mais l'administration était contrainte de le faire puisque les textes le lui imposaient.

En tant que députés, nous sommes aussi souvent saisis par des exploitants agricoles qui rencontrent des difficultés dans l’identification d'une parcelle, en toute bonne foi. Même en invoquant les quatre critères précités, j'avoue avoir toujours échoué parce qu'on m'a toujours opposé le fait qu'il s'agissait d'une disposition de l'Union européenne. Nous pourrions réfléchir aux moyens de permettre à une direction départementale du territoire de faire la rectification nécessaire, quand elle reconnaît la bonne foi de l’exploitant agricole. Le droit à l'erreur ne peut pas oublier le monde agricole qui, en raison de la complexité du dispositif, subit de lourdes conséquences financières.

Mme Jeanine Dubié. Merci à nos deux invités qui nous apportent leur éclairage sur ce texte.

Pour ma part, j’aimerais les interroger sur l’extension du rescrit fiscal à d’autres domaines, ce qui relèverait du domaine réglementaire. Cette nouvelle façon de procéder pourrait-elle favoriser cette relation de confiance a priori entre l'administré et l'agent public ? On parle du citoyen et de l'administration. En fait, il s’agit souvent d’une relation très personnelle entre une personne – administré ou chef d'entreprise – et l’agent public d’une administration. L'agent public recevrait des informations en amont qui lui permettraient de rédiger le rescrit. Pensez-vous que cela peut participer à la restauration d’une relation de confiance a priori ? Pensez-vous que cela va, au contraire, compliquer le travail de l'agent public ? Dans quel domaine pensez-vous qu’il serait utile de développer cette procédure ?

M. Pierre Bauby. Pour répondre à la question sur le monde agricole, je signale que le texte mentionne à deux reprises – et surtout dans le titre II, d'ailleurs – une surtransposition des règles européennes dans certains domaines. Pour éviter le risque de ne pas être eurocompatible, on prend des précautions, on ouvre les parapluies, en allant souvent au-delà de ce qu’exigent stricto sensu les règles et normes européennes. Il faut donc simplifier aussi dans ce domaine-là et se poser la question de la pertinence des mesures. Contrairement à d’autres, ces dispositions ont vraiment leur place dans le titre II car elles sont liées au corps de normes appliquées à l'ensemble des acteurs dans la société française. Il faut éviter de se réfugier derrière l’excuse habituelle – c’est l’Europe qui nous l’impose – qui a induit une image désastreuse de l’Union européenne dans la population. Nous avons l’espoir de sortir de là.

La dynamique de confiance va prendre du temps, disais-je. Nombre d'acteurs évitent de parler en amont de leurs projets et de leurs intentions à l’administration parce qu’ils ont peur que cela se retourne contre eux. Ils appliquent l’adage : moins j’en dis, mieux je me porte. Ils essaient de faire le moins possible de vagues, compte tenu des relations de défiance qu’ils entretiennent avec l’administration. Il faudra du temps pour dépasser ce mode de fonctionnement. Il faut enclencher une dynamique, c'est-à-dire faire en sorte qu'il y ait des résultats visibles du processus, au fur et à mesure. La confiance se gagne, elle ne sera jamais acquise.

M. Samuel-Frédéric Servière. Je suis d’accord avec M. Bauby en ce qui concerne les surtranspositions mais j'ajouterais un degré. Regardons outre-Rhin : après avoir réussi à contenir leurs charges administratives, les Allemands réfléchissent désormais à la manière d’influencer la future législation européenne. Quand des directives ou des règlements sont en cours d’élaboration, ils essaient d'analyser les choses sous l’angle de leurs intérêts économiques stratégiques.

Que la mention obligatoire du taux effectif global (TEG) aux entreprises soit classée dans les surtranspositions m'étonne un peu. Pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), cette mention est bien utile. Elles n’ont pas forcément l'expertise juridique et financière d’une entreprise de taille intermédiaire (ETI) ou d’une grande entreprise. Il faudrait peut-être avoir une vision stratégique de la surtransposition. Il faut analyser le stock, s'intéresser aux flux et préempter l'avenir.

S’agissant du rescrit fiscal, je pense que, par souci de cohérence, il faut l’articuler avec la prise de position formelle car ces deux démarches sont complètement liées. Dans un cas, l'administré fait une demande à l’administration. Dans l’autre cas, il prend la faculté de rédiger et soumet son texte à l'administration. Les deux démarches sont voisines, la deuxième étant un peu plus positive.

Comme le disait M. Bauby, il faut tracer une sorte de sentier de confiance, donc essayer de chaîner les dispositifs. Le fait de demander un certificat d'information pourrait emporter une présomption simple de bonne foi, permettant d'obtenir plus facilement une prise de position formelle de la part de l’administration sur sa situation. Plutôt qu’un iter criminis, il faudrait un iter administrativis qui permette aux gens de progresser par étapes. L’administré pourrait se dire qu’on sécurise son parcours administratif en fonction de la disposition par laquelle il entre dans la procédure. À mon avis, ces axes devraient être pris en compte par votre commission spéciale.

M. le rapporteur. Je tenais à vous remercier de nous apporter un éclairage pour la suite de nos travaux. Le compte rendu de toutes les auditions effectuées sera publié et je convie nos collègues qui le peuvent à assister aux auditions que je mène en tant que rapporteur. Ce matin, nous avons eu un échange très intéressant avec des représentants du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) qui ont rendu un rapport au ministre des finances sur le TEG. Ils nous ont expliqué l'intérêt de la « désurtransposition » et leurs propos nous ont rassurés en ce qui concerne les TPE.

De vos interventions, il ressort que notre commission a une responsabilité en ce qui concerne le devenir de ce texte et le message qui sera envoyé à nos concitoyens. Vous nous avez confortés dans notre philosophie du texte. Le patron – législateur ou Président de la République – exprime une intention qui est claire au départ et qui doit le rester dans la suite des travaux. À cet égard, vous nous avez fait des remarques sur le titre Ier et le titre II. En même temps, vous nous avez ouvert des pistes d'enrichissement et de renforcement du texte. Au sein de cette commission spéciale, nous voulons enrichir le texte. Nous serons ouverts tout en restant fidèles à la philosophie du titre Ier : l’État conseille, s'engage et dialogue.

Il existe une porosité entre nos travaux et le programme Action Publique 2022, un chantier mené en parallèle. Vous nous avez parlé de ressources humaines, monsieur Servière. Je souhaiterais inviter le secrétaire d'État Olivier Dussopt, afin d’échanger avec lui sur la manière dont il s'emparera de ce texte pour nourrir ses travaux sur l'organisation de l'État.

De façon pertinente, vous avez insisté sur l’importance d’avoir un diagnostic de départ. Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) dispose d’études sur la manière dont les citoyens jugent leurs administrations, qui pourraient être utiles à nos travaux et nous donner des idées de champs d'application.

S’agissant de la relation de confiance, nous envisageons aussi l’audition de chefs d’entreprise – de TPE, de PME ou de grandes entreprises. Des TPE ont participé à l'expérimentation, que le projet de loi propose d'élargir.

En matière d’évaluation, il y a un parallèle entre nos travaux et ceux qui sont réalisés à l’initiative du président de l’Assemblée nationale, cela a été souligné à plusieurs reprises. Ce texte devra être, au minimum, un premier exemple concret de la bonne application et évaluation des mesures que nous adoptons. Si le calendrier le permet, il faudra envisager un point de contact entre nos travaux et ceux qui sont en cours sur l'évaluation et de suivi des lois. Nous aurons l'occasion d'en rediscuter.

Mme la présidente Sophie Errante. À mon tour, je vous remercie, Messieurs, de votre contribution à nos travaux. S’il a été co-construit, ce projet de loi n’en émane pas moins du Gouvernement. Nous devons analyser les articles et en discuter avec le ministre que nous rencontrerons mercredi après-midi. Le matin, notre réunion consistera en une table ronde réunissant des représentants d'organisations syndicales de la fonction publique. Nous sommes en train de poser la première pierre d’un édifice : d’autres textes vont venir et nous nous intéressons aussi au plan d'action pour la transformation des entreprises.

 

La séance est levée à dix-huit heures.

 

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Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

 

Réunion du mercredi 13 décembre 2017 à 16 h 30

 

Présents. - Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Grégory Besson-Moreau, M. Éric Bothorel, M. Fabrice Brun, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, Mme Jeanine Dubié, Mme Sophie Errante, M. Bruno Fuchs, M. Claude Goasguen, Mme Carole Grandjean, M. Stanislas Guerini, Mme Véronique Hammerer, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Mohamed Laqhila, Mme Laure de La Raudière, M. Gaël Le Bohec, Mme Nicole Le Peih, M. Emmanuel Maquet, Mme Monica Michel, Mme Cendra Motin, M. Christophe Naegelen, M. Hervé Pellois, M. Laurent Pietraszewski, M. Benoit Potterie, M. Jean Terlier, M. Nicolas Turquois, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, M. Jean-Luc Warsmann

 

Excusés. - M. Alain Bruneel, Mme Marietta Karamanli, M. Marc Le Fur, M. Olivier Serva, Mme Huguette Tiegna