Compte rendu

Commission spéciale chargée
d’examiner le projet de loi
pour un État au service d’une
société de confiance

 

– Examen des articles du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (n° 424) (M. Stanislas Guerini, rapporteur )              2

 

 


Lundi
15 janvier 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 10

session ordinaire de 2017-2018

Présidence de
Mme Sophie Errante, Présidente

 


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La Commission spéciale procède, sur le rapport de M. Stanislas Guerini, rapporteur, à l’examen des articles du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance (n° 424).

La réunion commence à seize heures trente-cinq.

Mme la présidente Sophie Errante. À l’ouverture de notre discussion en première lecture sur les articles du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, permettez-moi quelques indications factuelles.

Pas moins de 928 amendements ont été déposés sur ce texte.

Parmi eux, 75 ont été retirés et 52 déclarés irrecevables pour des motifs tenant à la hiérarchie des normes. Ces motifs relèvent de trois catégories : 44 amendements ont été déclarés irrecevables, comme je l’avais annoncé, parce qu’ils empiétaient sur le pouvoir exclusif, que le Gouvernement tient de l’article 38 de la Constitution, de définir le champ des ordonnances pour l’exécution de son programme ; 7 amendements étaient irrecevables parce qu’ils tendaient à modifier des actes réglementaires en méconnaissance de l’article 37 de la Constitution ; un amendement ne respectait pas le domaine des lois organiques défini à l’article 46 de la Constitution.

Par ailleurs, 25 amendements ont été déclarés irrecevables pour motif financier au titre de l’article 40 de la Constitution.

Il nous reste donc 776 amendements à examiner.

Un calcul arithmétique simple montre que pour terminer l’examen du texte jeudi dans la soirée, il nous faudra tenir un rythme de 35 amendements examinés par heure. C’est soutenu, mais tenable. Je vous invite à ne pas dépasser les deux minutes imparties pour défendre vos amendements.

Si nous allons moins vite, il faudra certainement repousser la date limite de dépôt des amendements en vue de la séance publique, actuellement fixée au vendredi 19 janvier à 17 heures.

J’invite donc chacun à prendre ses responsabilités pour que nos débats se poursuivent avec concision et selon le mode respectueux de toutes les opinions qui a prévalu jusqu’ici. Nous pouvons le faire : j’ai confiance…

Nous inaugurons également la dématérialisation des amendements en commission à l’occasion de l’examen de ce texte.

Je rappelle que la discussion générale a eu lieu le 20 décembre, en présence de M. le ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous dire un mot de méthode ?

M. Stanislas Guerini, rapporteur de la commission spéciale. Alors que nous commençons l’examen des articles du projet, je voulais vous faire part de l’état d’esprit dans lequel j’aborde cette discussion, et partager en effet quelques points de méthode relatifs à l’animation de nos débats.

Les attentes de nos concitoyens en matière de réforme de l’État et de l’administration sont très fortes. Nous avons eu l’occasion d’échanger sur ce point lors de la discussion générale, il est attendu de notre commission spéciale un travail qui dépasse les clivages politiques et permette de co-construire ce projet de loi.

Ce projet de loi sur le droit à l’erreur constitue la première brique du chantier qui nous permettra d’aller vers une administration qui conseille et accompagne nos concitoyens. Nous devons ce texte à ceux qui réussissent, qui prennent des risques, et qui sont parfois freinés par les complexités de notre administration. Les dispositions sur le droit à l’erreur ou les porteurs de projets sont faites pour eux. Mais nous devons aussi ce texte à nos concitoyens les plus en difficulté, qui sont parfois les plus éloignés de l’administration. Le droit à l’erreur et le référent unique dans les administrations doivent s’appliquer aussi pour eux.

Si le cadre principiel a été considérablement enrichi par le Gouvernement depuis juillet dernier en association avec des parlementaires, ce qui constitue une démarche relativement inédite, il est de notre devoir de continuer ce travail, et je sais que bon nombre d’entre vous ne manquent pas d’idées, au vu du nombre d’amendements déposés.

S’agissant de ces amendements, ma ligne de conduite en tant que rapporteur est que ce texte n’a pas vocation à être la grande et unique loi de simplification de ce quinquennat, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce point. Notre conviction est qu’il faut bien entendu continuer le travail de simplification ; il existe plus de 400 000 normes dans notre pays et, sur les 130 000 pouvoirs adjudicateurs en Europe, 70 000 sont en France. Mais notre choix est d’attacher des paquets de simplification à chaque texte de loi. Plus que de la simplification, c’est de donner du sens à l’action publique, champ public par champ public, qui est attendu par nos concitoyens. Une vision comptable de la simplification n’apporte que des résultats limités.

C’est pourquoi je serai défavorable à des amendements de pure simplification que je renverrai à l’examen de futurs projets de loi.

Enfin, comme l’a rappelé la présidente, il me semble important de saisir l’occasion que représente la constitution de notre commission spéciale pour continuer à rénover et améliorer nos pratiques parlementaires. C’est un texte qui est adapté pour ce sujet.

Le bureau de notre commission spéciale s’est réuni avant de commencer l’examen des articles, et nous avons évoqué le cadre de ce que nous avons nommé le conseil de la réforme. En quelques mots, notre idée est qu’un conseil de la réforme survive à cette commission spéciale et dure tout le quinquennat. Il serait transpartisan, c’est-à-dire que toutes les formations politiques qui le souhaitent pourront y prendre part. Il fonctionnerait selon un principe de spécialisation : comme le domaine touche un certain nombre de secteurs et de champs de l’action publique, nous pourrions avoir des députés qui travaillent de manière spécialisée sur l’agriculture, l’environnement, le logement, la fiscalité ; et associer des personnalités de la société civile à nos travaux. Nous pourrions également nous appuyer sur les services gouvernementaux, je pense notamment à la direction interministérielle de la transformation publique. Nous avons reçu Thomas Cazenave qui s’est montré très favorable à l’idée de travailler avec ce futur conseil.

Au cours de nos débats, nous aurons la possibilité de porter des propositions très concrètes pour renforcer encore les pouvoirs du Parlement en matière d’évaluation.

En bref, saisissons-nous de la chance que nous offre ce projet de loi pour rénover tant les pratiques de nos administrations – c’est l’objet du texte – que celles de notre belle assemblée.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Mesdames et messieurs les députés, je voudrais d’abord adresser à chacune et chacun d’entre vous mes vœux pour la nouvelle année, et comme on dit dans le Nord, vous souhaiter un bon reste pour les onze mois suivants. Souhaitons donc nous tous un bon reste, car les vœux ont ceci de difficile que nous nous embrassons au mois de janvier avant de nous étriper le reste de l’année. Espérons garder cette bienveillance entre nous.

Je suis très heureux et très fier de venir devant vous, d’autant que pour une fois, je ne présente pas un texte financier. Cela devenait une habitude du ministre de l’action et des comptes publics, sans qu’elle vire à la manie, et il est bien de parler d’autre chose. Je suis heureux de montrer que l’action publique est également très importante. Même si ce domaine est très interministériel, je suis très fier de porter cette idée qui vient directement du Président de la République, qui l’avait placée au cœur de sa campagne électorale. Je crois que chacune et chacun peut s’y retrouver.

Avec beaucoup de modestie, nous pourrions rappeler que beaucoup de gouvernements ont essayé de faire simple, beaucoup ont essayé d’éviter la complexité, et il est honnête de dire, quelles que soient nos opinions politiques, que beaucoup ont échoué. S’il y a parfois eu quelques réussites ici ou là, le bon sens commun n’a pas prévalu et les citoyens, les contribuables, les associations, les collectivités locales et les entreprises considèrent qu’il y a encore trop de normes, trop tatillonnes. J’ai déjà évoqué ce paradoxe : les Français aiment leurs services publics, mais pas leur administration. Ils aiment l’agent public qu’ils connaissent – le policier, l’infirmière qui s’occupe de leurs parents ou le professeur qui s’occupe de leurs enfants – mais souvent ils n’aiment pas le fonctionnaire en général. Nous devons régler ce sujet.

Je voudrais évoquer trois points très rapidement. Le premier est que l’attitude du Gouvernement sera très ouverte aux amendements parlementaires, du rapporteur et de tous les députés de quelque bord que ce soit. J’ai déjà dit lors de mon audition que je serai preneur de tout amendement qui s’inscrira dans la perspective du bon sens. Cela veut aussi dire qu’il faut que nous ayons chacune et chacun l’idée que le débat est libre, et lorsque le Gouvernement rendra un avis défavorable, ce dernier ne sera pas fondé sur l’avis d’une administration qui peut être un peu conservatrice et qui a sans doute donné quelques fiches au ministre, mais sur une conviction que le ministre s’est forgée lui-même qu’il y a des annonces à faire, notamment dans le cadre de la transformation de l’administration pour 2022, ou que des transformations sont déjà prêtes. En tout cas, les avis défavorables que je donnerai ne seront pas administratifs, ceux qui me connaissent dans les débats budgétaires le savent, et ceux qui ne me connaissent pas doivent être persuadés que je suis là pour faire prévaloir le bon sens, quitte à forcer un petit peu l’administration.

Le deuxième point que je souhaite développer est que le droit à l’erreur, ou l’intégralité des expérimentations et des demandes portées par le Gouvernement et amendées par les parlementaires, doit être vu comme le moyen d’une conduite du changement ou, pour faire plus simple, d’une bonne politique de ressources humaines avec les agents publics.

Nous avons un problème, extrêmement important, chaque élu qui a dirigé une administration le sait : les agents publics qui dans une très grande majorité sont plein de bon sens, connaissent leur métier, connaissent les difficultés créées par une application tatillonne des règlements, connaissent les difficultés de la vie des gens qu’ils reçoivent – qui ne sont jamais prévues par toutes les possibilités juridiques – sont pris dans un carcan de règlements, de lois et de responsabilité individuelle. Et l’esprit d’initiative des agents publics est souvent sanctionné. Nous devons changer cela. Nous devons donner aux agents publics un esprit d’initiative, rendre du sens à leur travail. Dans le malaise de la fonction publique, il n’y a pas qu’un aspect financier, même si les questions de pouvoir d’achat sont importantes pour les agents publics, mais aussi un manque de sens. Si les gens ont choisi le service public, c’est pour servir l’intérêt général et aider les gens, les entreprises et les contribuables. Les agents publics sont pris dans un carcan administratif que nous, les politiques, et particulièrement les ministres, avons créé. Nous avons dénaturé la possibilité de donner l’esprit d’initiative à un agent public qui pourrait adapter la règle si la situation l’impose. Bien sûr, une difficulté tient à l’esprit de responsabilité de l’agent public, qui est parfois responsable sur ses deniers, parfois pénalement responsable ou sanctionné administrativement lorsqu’il prend ce genre d’initiatives. L’esprit d’initiative est parfois sanctionné du fait que nous devons appliquer une même politique publique sur l’intégralité du territoire national : il ne s’agit pas d’adapter les règles selon les spécificités de chacune des administrations. Mais nous devons considérer que ce texte porte aussi sur les ressources humaines pour nos administrations. Ce n’est pas un texte uniquement pour nos concitoyens, même s’il est évidemment fait pour les personnes qui utilisent les services publics.

Je voudrais terminer en saluant le travail de la présidente, ainsi que celui du rapporteur et de vous tous, et les auditions, nombreuses et éclectiques. Je crois que ce texte a l’énorme avantage, indépendamment des expérimentations menées ici ou là, d’avoir un principe général. Il ne faut pas, contrairement à ce que j’ai entendu lors de mon audition, penser qu’il s’agit d’un texte comme un autre, avec des dispositions de simplification. Nous ne devons pas écarter la révolution que nous souhaitons tous mener et dont nous espérons tous qu’elle aura lieu. Le principe général est que la bonne foi est présumée, et non l’inverse. C’est vraiment quelque chose qui, peut-être pas demain ni même après-demain, mais au fil des jurisprudences des juridictions administratives, des saisies des autorités administratives indépendantes, et finalement de la pratique administrative, fera que nous aurons inversé la charge de la preuve.

Tous les citoyens n’ont pas toujours raison, et le droit à l’erreur n’est pas la licence à l’erreur ou l’acceptation d’une faute caractérisée – typiquement, je me gare à une place pour handicapés et je fais croire que je ne l’ai pas vu. Le droit à l’erreur et la société de confiance dans son ensemble répondent à l’idée que la bienveillance est du côté de l’administration, la bonne foi du côté du contribuable et de l’entreprise. Cela n’a l’air de rien, peut-être que cela n’occupera que quelques moments de nos débats dans l’hémicycle tandis que nous passerons beaucoup plus de temps sur des formules plus précises. Je serai solidaire du rapporteur pour dire que toutes les mesures de simplification ne pourront pas être acceptées parce que chaque loi aura son volet de simplification – excusez la frustration pour quelques bonnes idées que vous auriez ici ou là, mais viendra le moment où vous aurez l’occasion de les porter : pour les entreprises, dans la loi PACTE de M. Le Maire ; la loi de programmation militaire comprendra aussi son volet de simplification, ainsi que la loi de programmation pour la justice. Mais j’insiste sur le fait que nous allons passer rapidement sur le droit à l’erreur, de manière générale, alors qu’il constitue la véritable ossature de la révolution administrative que nous attendons tous.

Je remercie toutes les administrations qui ont travaillé, bon gré, mal gré, à la commande du Président de la République, et remercier surtout par votre intermédiaire tous les agents publics qui vont appliquer les lois de notre République. Je prends aussi l’engagement devant vous que s’agissant de choses qui relèvent manifestement du domaine réglementaire ou d’habitudes administratives, vous pourrez m’interroger pour que je fasse en sorte que les décrets sortent vite, que nous fassions le conseil de la réforme et que nous puissions appliquer les choses selon la volonté du législateur, et non une volonté de conservatisme administratif qui peut se manifester de temps en temps ici ou là.

Madame la présidente, vous avez souhaité m’inviter à l’intégralité des travaux de votre commission, ce qui n’est pas de coutume. Je souhaite me rendre à toutes vos réunions, et si je suis absent, ce soir par exemple, c’est parce que j’ai un chef comme tout le monde et qu’il m’a demandé d’aller le voir… Si je ne suis pas en commission ou dans l’hémicycle, ce qui arrivera assez peu, M. Olivier Dussopt, dont vous connaissez la compétence et l’énergie, et dont la ligne sera comme la mienne celle du Gouvernement, sera à votre disposition.

Article 1er : Approbation de la stratégie nationale dorientation de laction publique pour la France

La commission examine l’amendement CS156 de M. Fabrice Brun.

M. Fabrice Brun. Beaucoup a déjà été dit par le rapporteur et la présidente, dont je salue le travail colossal, ainsi que par le ministre qui s’est exprimé avec beaucoup de bon sens. Mais il faut bien se mettre d’accord d’emblée : toutes les dispositions que nous allons prendre vont avoir un impact sur les ressources humaines de l’administration, vous l’avez dit monsieur le ministre, mais je pense qu’il faut travailler à une simplification pour les opérateurs, et pas en premier lieu pour les administrations. Souvent, lorsque l’administration parle de simplification, elle profite de la numérisation pour faire remplir les démarches par les usagers. L’enjeu est bien de simplifier la vie des Français et de lever de nombreux freins qui nuisent à nos petites entreprises.

L’objet du présent amendement est d’instituer un débat dans chaque assemblée parlementaire afin d’évaluer la mise en œuvre du présent projet de loi et de la stratégie nationale d’orientation de l’action publique pour la France.

Ce débat se tiendrait à partir d’un rapport d’application transmis aux assemblées par le Gouvernement, mais aussi des conclusions des rapports des assemblées sur la mise en application de la loi, rapports prévus dans notre assemblée par l’article 1457 de son règlement, afin que la représentation parlementaire soit efficacement associée au contrôle et à l’évaluation de la présente stratégie et du présent projet de loi.

J’ajoute que l’idéal serait d’être saisi chaque année d’un projet de loi de simplification ou d’une proposition de loi, comme le faisait en son temps notre collègue Jean-Luc Warsmann.

M. le rapporteur. J’aurais aimé commencer en donnant un avis favorable, mais ce ne sera pas le cas, bien que je partage pleinement votre objectif de procéder régulièrement à une évaluation de la loi. Vous verrez d’ailleurs que nous avons déposé un certain nombre d’amendements afin de renforcer les moyens d’évaluation. J’ai parlé du conseil de la réforme, ce ne sera évidemment pas le seul dispositif.

J’émets donc un avis défavorable car votre amendement sera satisfait. J’ajoute qu’il adresse une injonction au Parlement, ce qui est contraire à la Constitution.

M. le ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que le rapporteur. Vous évoquez, monsieur le député, le travail très important de M. Jean-Luc Warsmann en tant que président de la commission des lois, lorsqu’il a porté la simplification, mais aussi récemment, avec une de vos collègues de la République en marche, s’agissant de la lutte contre la surtransposition.

Je m’en suis entretenu avec lui, grand législateur, qui connaît les limites de l’exercice. Le travail qu’il a effectué jusqu’à présent avait un intérêt très fort, évidemment, et le gouvernement précédent avait aussi une volonté de porter cette simplification. Néanmoins, les listes à la Prévert et les débats à leur propos ont leurs limites, parce qu’ils portent sur des mesures toutes de bon sens mais pas soutenues politiquement, tellement hétéroclites qu’elles avaient un côté absurde, par exemple quand la simplification aboutissait à des projets de loi de 600 pages… On le voit, la simplification, ce n’est pas simple !

Je ne veux pas parler au nom de M. Jean-Luc Warsmann, pour lequel j’ai beaucoup de respect ainsi que pour son travail parlementaire, mais je crois que lui-même en convient. Tout en saluant le travail très important réalisé, par Jean-Luc Warsmann, mais aussi, lors du mandat précédent, par Sophie Errante et par François-Michel Lambert, je pense donc qu’indépendamment de l’injonction au Parlement, ce n’est pas la bonne solution pour que le bon droit l’emporte à la fin.

Il me semble que la loi, pas plus que le règlement, ne doit pas prévoir toutes les exceptions. La vie, vous le savez en tant qu’élus, est beaucoup plus complexe que ce que nous pouvons prévoir en chambre, même si nous sommes entourés de gens extrêmement intelligents et que nous sommes nous-mêmes pleins d’intelligence et de bon sens.

Il m’apparaît plus simple de prévoir la possibilité d’une adaptation de la règle – c’est ce que nous appelons le droit à l’erreur ou le bon sens – pour qu’elle corresponde à la vie de la personne à qui elle s’applique, sans déroger au principe général du droit que le Parlement a adopté et que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution, plutôt que de supprimer ou de créer des normes afin de s’adapter à la réalité du monde numérique, de la vie familiale ou encore du logement.

Je crois plutôt au permis de faire, une forme de simplification généralisée, qu’à la suppression de normes dans le logement, alors que nous savons tous que chaque norme a sa raison d’être : lutte contre la pollution, adaptation au handicap… Il faudrait des projets de loi portant sur les objectifs plutôt que sur les moyens. Si le législateur se fixe pour but que tous les logements soient accessibles aux personnes handicapées, l’important est d’atteindre cet objectif : laissons les entreprises adapter les logements comme elles le souhaitent, pour que ces normes ne les empêchent pas d’innover et que le coût de la construction ne soit pas plus élevé.

La commission rejette ces amendements.

Mme la présidente Sophie Errante. Nous en venons aux amendements portant sur l’annexe.

La commission est saisie de l’amendement CS421 de M. Éric Pauget.

M. Éric Pauget. Cet amendement porte sur les alinéas 5 et 27 de l’annexe, les alinéas 8, 12 et 15 faisant l’objet d’amendements ultérieurs.

S’agissant de l’alinéa 5, je vous propose que l’administration renforce systématiquement la prise de responsabilité des agents, à chaque échelon. Pour aller dans le sens du ministre, les agents doivent retrouver une autonomie qui leur permette une certaine prise de responsabilité.

À l’alinéa 27, pour accompagner les TPE et les petites entreprises, je préconise qu’en cas de redressement, l’administration propose automatiquement un plan de règlement échelonné, sur la base d’une analyse financière de l’entreprise. De toutes petites entreprises nous ont fait savoir que les situations de trésorerie pouvaient les mettre en difficulté.

M. le rapporteur. Une fois encore, je pense que la finalité de cet amendement est louable, mais qu’il est satisfait par le texte en l’état. Il s’agit d’un projet de loi de confiance, et également de confiance envers l’administration et ses agents. Un certain nombre des mesures prises dans le texte – droit à l’erreur, rescrit administratif, certificat d’informations – sont des outils au service d’une administration qui s’engage, donc qui encourage la prise de responsabilités de ses agents. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

J’ajoute que ce projet de loi doit être accompagné d’un plan de formation très important, dont nous avons parlé avec le secrétaire d’État Olivier Dussopt, pour transformer la culture des agents du service public afin d’établir cet état d’esprit propice au conseil et à la prise d’initiatives. Je pense que ce sera une réponse plus opérationnelle.

M. le ministre. Même avis. Je pense effectivement que les attendus de votre proposition se retrouvent dans le texte. Mais je suis prêt à écouter les arguments rationnels qui tendraient à prouver le contraire et ma première réponse est donc que si vous n’êtes pas convaincu après le travail en commission, il sera toujours temps d’avoir cette discussion dans l’hémicycle.

À propos du plan de formation, M. Guerini a tout à fait raison : il ne faudrait pas répondre à la volonté de simplification des normes en produisant une norme. C’est toute la difficulté de notre texte, il ne faut pas que nous légiférions pour essayer de simplifier, sinon nous allons terminer par créer des normes dans un projet qui prévoyait d’en diminuer le nombre.

Ce qui est intéressant dans ce texte, c’est la volonté d’expérimentation : s’il faut expérimenter une ou deux propositions des parlementaires, faisons-le, mais évitons de prévoir une mesure générale qu’un autre texte assortira finalement d’une exception.

Dans le grand plan de formation prévu par Mme Pénicaud, 1,5 milliard d’euros est prévu pour former les agents de la fonction publique, notamment au numérique – les usagers ne sont pas les seuls concernés –, mais aussi au droit à l’erreur. Je souhaite que des modules de formation soient prévus à la direction générale de l'administration et de la fonction publique et dans les collectivités territoriales, afin de former les agents à l’application du texte que vous allez, j’espère, adopter. Et 700 millions d’euros supplémentaires sont prévus par la loi de finances pour 2018, dont 200 millions dès cette année, pour des appels à projets afin que l’État accompagne ces agents dans la transformation. Ces 200 millions iront notamment à des projets informatiques, une partie étant attribuée à M. Mounir Mahjoubi, suite au travail de M. Cazenave. Il faudra sans doute attribuer des moyens informatiques pour mieux piloter les contrôles, et ne pas laisser à l’administration ses seuls moyens actuels. Pour toutes ces raisons, avis défavorable, même si je partage la finalité de vos propos.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite deux amendements identiques, CS196 de M. Fabrice Brun et CS899 de M. Éric Pauget.

M. Fabrice Brun. L’article préliminaire du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance définit les objectifs de l’action publique à l’horizon 2022. Elle s’articule autour de l’affirmation de principes généraux d’organisation et d’action qui nécessitent des compléments, c’est l’objet du présent amendement. Il est nécessaire de permettre une prise de responsabilité de chaque agent, à tous les échelons. Un exemple concret nous remonte très souvent du terrain : si les agents donnent leur numéro de téléphone lors d’un contrôle, il semble que les contribuables aient de plus en plus de mal à les joindre par ce biais. C’est pourquoi il conviendrait de demander aux agents de répondre aux appels des contribuables – ça semble être un minimum – ou à défaut de créer une cellule téléphonique qui permette aux PME de joindre les agents.

C’est vraiment un sujet récurrent. Lorsqu’un usager ou un chef d’entreprise est en voiture, qu’il obtient le bon interlocuteur après plusieurs minutes d’attente, mais que du fait de la fracture numérique, l’appel est coupé quand la discussion s’engage, c’est un vrai parcours du combattant pour les usagers ou les chefs d’entreprise, particulièrement les PME.

M. Éric Pauget. Il est très important de mieux identifier et de mieux organiser la réponse téléphonique. En province, pour les toutes petites entreprises, les artisans ou les commerçants confrontés à un problème avec l’administration, le seul lien est le téléphone. La réponse téléphonique pose problème aux commerçants ou artisans qui doivent faire face à leur activité mais se noient dans les problèmes de paperasserie et d’administration. L’identification téléphonique est un sujet sur lequel il faut améliorer le processus.

M. le rapporteur. C’est une bonne idée, mais elle n’est pas placée au bon endroit dans le texte. Nous discuterons par la suite d’amendements sur ce sujet essentiel de l’accessibilité téléphonique de l’administration.

Nous examinons ici une loi de programmation, et il me semble que votre proposition est très précise et de caractère opérationnel. Prévoir que chaque agent administratif doit donner le numéro de téléphone portable sur lequel on peut le joindre n’a pas sa place dans une loi de programmation. L’accessibilité renvoie à l’idée du référent unique, dont nous aurons l’occasion de discuter.

M. le ministre. Ma culture administrative est assez limitée, n’étant pas moi-même agent public, même si j’ai dirigé une administration locale. Mais autant je me souviens d’Astérix et Obélix pour illustrer les rapports entre citoyens et administration dans leur forme la plus caricaturale, autant je me souviens d’un sketch d’un grand philosophe français, Jean-Marie Bigard (Sourires.), dans lequel il n’arrive pas à joindre l’opérateur téléphonique. En l’occurrence, il me semble qu’il ne s’agissait pas d’une administration, mais d’une société privée. Il expliquait l’énervement né de l’impossibilité à joindre une personne et du fait d’être renvoyé de standard en standard.

J’ai lu par ailleurs un très bon livre écrit par M. Jean-Paul Delevoye lorsqu’il était médiateur de la République. Je ne sais d’ailleurs pas si vous l’avez auditionné, il a été ministre de la fonction publique, puis médiateur de la République et a eu d’éminentes fonctions au sein du Conseil économique et social. Il a écrit Reprenons-nous, dans lequel il décrit une France au bord de la crise de nerfs, évoquant comme vous les patrons de TPE et de PME. C’est d’ailleurs un reproche que je pourrais faire à votre amendement, il est très centré sur la fiscalité et sur les entreprises, alors que ce problème touche à peu près tout le monde. Dans ma ville, qui connaît beaucoup de difficultés sociales, à la difficulté d’être au RSA ou à Pôle emploi s’ajoute celle des appels informatisés, au cours desquels il faut presser des touches du clavier sans avoir de contact humain. Il est évident que c’est un défaut, une censure administrative, mais également une cause d’inefficacité, car cela énerve les gens, qui ont autre chose à faire.

Le rapporteur a raison de dire qu’il faudra y réfléchir. De même, j’ai évoqué avec lui un sujet qui n’est sans doute pas de nature législative, celui de la lettre administrative, qui a aussi son importance. Rien n’est pire que de recevoir une lettre anonymisée, dont la phraséologie est tellement administrative qu’elle en est déshumanisée, et dont on ne connaît pas vraiment l’auteur – il est bien sûr des administrations dont le contact est différent.

Je suis le premier à dire, y compris aux parlementaires qui m’interrogent sur la disparition des services publics dans leur territoire, que tout ne peut pas être physique au moment de la numérisation et alors que l’on accepte la réduction du nombre d’emplois publics. Mais la contrepartie doit être l’existence d’un lien direct, facile, qui ne soit pas uniquement informatique, ni prendre la forme d’une lettre qui ne commence même pas par les salutations d’usage.

Vous posez de vraies questions et, nous pourrons parler de la lettre administrative même si cela n’est pas de nature législative, mais, sur l’accueil téléphonique, je me range à l’avis du rapporteur : nous pourrons l’aborder à un autre endroit du texte. Pas simplement dans le domaine fiscal, car sans vouloir protéger la DGFiP, il ressort de mon expérience que ce n’est pas l’administration qui répond le moins – elle ne répond pas toujours ce que l’on a envie d’entendre, c’est vrai –, mais elle répond en général très vite et ses agents sont assez efficaces. Il peut y avoir des déceptions, mais je crois que c’est une administration qui a montré son efficacité humaine. En revanche, il est vrai que l’administration en général est un peu déshumanisée, mais ce n’est pas de la faute de ses agents, c’est celle des processus qui ont été instaurés par leurs responsables hiérarchiques, c’est-à-dire les ministres. Je suis donc tout à fait favorable à cette proposition, à condition que l’on ne la limite pas aux TPE et aux PME et que l’on l’étende à toute l’administration.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CS650 de M. Laurent Saint-Martin.

Mme Stéphanie Kerbarh. Il est proposé de compléter l’annexe en prévoyant que l’administration prenne en compte la capacité financière du contribuable dans le cas d’un recouvrement fiscal ou administratif.

En effet, les contribuables peuvent parfois rencontrer des difficultés financières pour acquitter les sommes dues, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. Cet amendement tend à ce que l’administration prenne en compte et reconnaisse les difficultés, pour proposer éventuellement un échelonnement des sommes dues en fonction de la capacité financière du contribuable en difficulté.

Il s’agit simplement de faire preuve de pragmatisme pour ces recouvrements.

M. le rapporteur. Je suis favorable à cet amendement car je pense que dans la loi de programmation que nous sommes en train de discuter, il faut fixer le principe de la prise en compte de la situation de l’administré pour prendre des décisions.

M. le ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CS72 de Mme Véronique Louwagie et CS900 de M. Éric Pauget.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement demande la publication des statistiques concernant la mise en œuvre des pénalités, en distinguant, d’une part, celles qui figurent dans les propositions de rectification ou les notifications qui sont adressées aux contribuables et qui peuvent être des notifications de taxation d’office, d’autre part, celles qui sont maintenues à l’issue de la procédure de redressement.

Il me paraît intéressant de disposer de cette information pour plusieurs raisons : par souci de transparence d’abord, ensuite parce que l’analyse de l’écart entre les unes et les autres fournirait des informations précieuses non seulement à l’administration mais également aux citoyens.

M. le rapporteur. Sur le fond, je suis favorable à cet amendement, mais je me demande, compte tenu du point précis qu’il aborde, s’il est à sa place dans l’annexe, dont la vocation est programmatique. Avis défavorable.

M. le ministre. Je suis sensible aux arguments de Mme Louwagie, mais également à ceux du rapporteur, qui argue que l’amendement n’est pas bien positionné dans le texte.

Outre qu’elles me recommandent de donner à l’amendement un avis négatif, mes équipes indiquent également que ces statistiques figurent déjà ailleurs, ce qui m’étonne – mais je peux me tromper. Cela étant, ma question va peut-être vous paraître naïve, mais à quoi cela servirait-il ?

Mme Véronique Louwagie. Il me paraît important de savoir dans quelle mesure les discussions qui interviennent entre les propositions de rectification et de notification de bases en amont, et l’issue de la procédure de redressement en aval, permettent de tenir compte des situations personnelles des contribuables. Cela fournit un indicateur intéressant.

M. le rapporteur. Je persiste à penser que cela n’a pas à figurer dans l’annexe, mais sans doute pourriez-vous redéposer votre amendement en séance, en l’insérant ailleurs dans le texte.

M. le ministre. Sur le fond, je suis favorable à cet amendement, qui, d’ailleurs, pourrait parfaitement justifier une demande de rapport. Quant à savoir s’il doit figurer dans l’annexe, je m’en remets aux compétences du rapporteur en matière de légistique.

Les amendements CS72 et CS900 sont retirés.

L’amendement CS197 de M. Fabrice Brun est retiré.

 

Puis la commission en vient à l’amendement CS902 de M. Éric Pauget.

M. Éric Pauget. Il s’agit d’insister sur le fait que les agents doivent avoir, dans le domaine fiscal, l’expérience nécessaire pour traiter des cas de plus en plus complexes ; en d’autres termes, nous demandons que ne soient pas envoyés dans les entreprises des agents sans expérience.

M. le rapporteur. Le ton de votre amendement me paraît quelque peu déplacé vis-à-vis des fonctionnaires. Avis défavorable.

M. le ministre. Je suis également totalement défavorable à cet amendement, d’abord parce qu’on pourrait discuter sur ce qu’est l’expérience, ensuite parce que, comme le dit Brassens, « le temps ne fait rien à l’affaire… quand on est con, on est con. »

Il me semble par ailleurs que le Président de la République et, si vous le permettez, votre modeste serviteur, sans compter le rapporteur et votre présidente, montrent qu’on peut, sans expérience, avoir un minimum de compétences. Il serait d’ailleurs assez étonnant de considérer que le ministre puisse être jeune mais que les agents de la DGFiP doivent être plus âgés : cela me rappelle mon directeur général des services qui m’expliquait, lorsque je suis devenu maire à trente et un ans, qu’il ne fallait pas nommer un directeur de la police municipale âgé de trente-cinq ans parce qu’il était trop jeune…

Je pourrais également vous renvoyer à Carambolages ce très bon film dialogué par Michel Audiard, avec Louis de Funès et Jean-Claude Brialy. De Funès y incarne le patron d’une firme, dont le bureau est au dernier étage, tandis que Jean-Claude Brialy joue le rôle d’un jeune ambitieux, intelligent, cantonné au rez-de-chaussée. Ayant soufflé à son patron l’idée d’un nouveau produit à lancer et ce dernier ayant trouvé l’idée formidable, Brialy en profite pour lui demander d’accélérer son avancement, la personne qu’il est censé remplacer ne partant à la retraite que deux ans plus tard. De Funès a alors une réplique formidable et explique qu’une société où l’on prend, lorsqu’il part à la retraite, la place de son supérieur hiérarchique direct, est une société merveilleuse puisqu’on n’y récompense guère le mérite – ce qui serait arbitraire – mais l’ancienneté – ce qui est objectif. Je pense pour ma part que le mérite peut parfois être une donnée objective et que l’expérience n’est pas ce qui fait un bon ou un mauvais agent, notamment à la DGFiP. Il y a sans doute de bons et de mauvais agents mais on ne saurait fonder la nomination des contrôleurs fiscaux sur le seul critère de l’expérience.

M. Éric Pauget. Louis de Funès m’ayant convaincu, je retire mon amendement.

L’amendement CS902 est retiré.

La Commission en vient ensuite à l’examen des amendements identiques CS218 de Mme Véronique Louwagie, CS235 de M. Fabrice Brun et CS552 de M. Jean-Luc Lagleize.

Mme Véronique Louwagie. Curieusement, la stratégie nationale d’orientation de l’action publique n’aborde pas une problématique pourtant centrale pour nos concitoyens qui est celle des délais administratifs. À titre d’exemple, j’ai reçu ce matin-même dans ma permanence des personnes qui attendent depuis bientôt six mois la finalisation de leur dossier de retraite. Il me paraît donc indispensable d’inscrire la réduction des délais administratifs comme un des objectifs de la stratégie nationale d’orientation de l’action publique. Les citoyens ne comprendraient pas qu’il en soit autrement.

M. Fabrice Brun. L’exemple des délais d’instruction des dossiers par les caisses de retraite est un très bon exemple, et je pense comme Véronique Louwagie que le projet de loi n’accorde pas une place suffisante à la réduction des délais, alors qu’il y a là une vraie piste pour mettre fin à la défiance de nos concitoyens envers leur administration. Pour rester dans les références cinématographiques, je souhaiterais que l’administration traite les demandes des usagers en quatrième vitesse, comme le suggérait Robert Aldrich en 1955.

Mme Florence Lasserre-David. L’amendement CS552 est défendu.

M. le rapporteur. C’est en effet un des éléments manquant dans la stratégie nationale d’orientation de l’action publique. Or, la question de la réduction des délais et de l’accélération du temps de traitement est essentielle, même si cela ne relève pas uniquement de dispositions législatives mais également de facteurs opérationnels et organisationnels. Néanmoins votre proposition mérite évidemment de figurer dans la stratégie nationale ; j’y suis donc extrêmement favorable.

M. le ministre. Même avis.

La commission adopte les amendements.

Elle en vient ensuite à l’examen de l’amendement CS300 de M. Gaël Le Bohec

M. Gaël Le Bohec. Cet amendement vise à instaurer un référent au sein de l’agence ou de l’antenne territoriale dont dépend l’administré, l’objectif étant de recréer le lien humain mis à mal par les procédures téléphoniques et numériques. Vous avez parlé tout à l’heure, monsieur ministre, de lien direct et facile : c’est tout l’esprit de cet amendement.

M. le rapporteur. S’il s’agit de garantir l’accessibilité universelle des services publics, votre amendement est satisfait par les alinéas 20 et 21 de l’annexe, qui disposent que « l’administration prend en considération les contraintes horaires du public dans ses horaires d’ouverture » et que « la proximité territoriale doit permettre à l’administration d’assurer le service public sur tout le territoire de la République. » Le cas plus particulier de l’accessibilité téléphonique fait l’objet d’amendements à d’autres articles du projet. Avis défavorable.

M. le ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement 646 de M. Laurent Saint-Martin.

Mme Danièle Hérin. Les politiques de dématérialisation des démarches administratives menées récemment ont pu éloigner de l’administration les citoyens ne maîtrisant pas les outils numériques. Le baromètre du numérique 2017 souligne ainsi que 12 % des Français ne se connectent jamais à internet, tandis que 18 millions d’entre eux s’estiment peu ou pas compétents pour utiliser un ordinateur. Cette fracture numérique touche d’abord les zones rurales et périurbaines et concerne principalement les personnes âgées, non diplômées ou à bas salaire.

Dans ces conditions, l’État doit veiller à prévenir un tel écueil dans le cadre de sa stratégie nationale d’orientation de l’action publique et de son objectif de dématérialisation de l’ensemble des démarches administratives à l’horizon 2022. C’est l’objet du présent amendement, qui prévoit un dispositif d’accompagnement des citoyens géographiquement éloignés du numérique.

M. le rapporteur. La lutte contre la fracture numérique me paraît en effet un objectif essentiel, en particulier en ce qui concerne les relations des citoyens avec l’administration. Je suis donc favorable à ce que cela soit inscrit dans la charte de l’action publique.

M. le ministre. J’y suis également favorable, à ceci près que je ferai remarquer que cet amendement mériterait sans doute d’être précisé en séance, car cette fracture numérique n’est pas qu’une question géographique de zones blanches. Beaucoup de gens ont accès à internet et savent en faire un usage récréatif tout en ayant de grandes difficultés lorsqu’il s’agit d’accomplir des démarches administratives, difficultés qu’ils éprouvent d’ailleurs tout autant lorsque ces procédures ne sont pas dématérialisées. Maire de Tourcoing, j’ai voulu numériser les procédures d’inscription dans les cantines scolaires, mais je me suis rapidement aperçu que certains parents avaient besoin d’une médiation pour remplir les formulaires, soit qu’ils aient des difficultés de lecture et d’écriture, soit qu’ils souffrent de handicap, soit enfin qu’ils ne soient pas familiers du langage administratif.

Il me semble donc qu’il faudrait revoir la formulation de cet amendement, pour l’élargir à toutes les formes d’accès aux procédures administratives, y compris lorsqu’elles n’ont pas été dématérialisées. On sait notamment que, dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville, il est fréquent que les habitants n’ouvrent pas les courriers administratifs, non par phobie administrative, mais parce qu’ils craignent de ne pas comprendre leur contenu, potentiellement porteur de mauvaises nouvelles. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une problématique géographique et, en la matière, la situation dans les quartiers prioritaires en politique de la ville est assez similaire à celle des campagnes.

M. Laurent Saint-Martin. J’acquiesce aux propos du ministre, car qui peut le plus peut le moins. La notion importante dans cet amendement est celle d’accompagnement, et le critère géographique n’était qu’une manière de cibler des besoins objectifs. Nous complèterons donc volontiers cet amendement avant son examen en séance, de manière à inclure dans ce principe d’accès universel non seulement les citoyens privés de bande passante mais également ceux qui ne maîtrisent pas les outils numériques.

M. Nicolas Turquois. Cet amendement me pose un problème car, en précisant qu’il concerne essentiellement, dans les zones rurales et périurbaines, les personnes âgées, non diplômées ou à bas salaire, il semble assimiler les zones rurales à des zones sous-développées intellectuellement.

M. Bruno Fuchs. Un tiers des personnes reçues dans les agences Pôle emploi ne sont pas capables d’aller au bout des procédures informatisées sans accompagnement, et une sur cinq en est purement et simplement incapable. Cela montre bien que toute une partie de la population n’est pas prête à passer à la dématérialisation des procédures que le Gouvernement envisage d’avoir achevée en 2022, soit parce qu’elle n’en a pas les moyens techniques, soit parce qu’elle n’en a pas les aptitudes.

M. le ministre. M. Turquois aborde une question récurrente lorsqu’on parle de politiques prioritaires : d’aucuns les jugent formidables, d’autres discriminantes. Je me garderai bien sur ce point de trancher à la place de la majorité.

Pour ce qui concerne l’amendement, si l’objectif est de définir un critère objectif, il me semble, par expérience, que le taux de pauvreté est un critère est pertinent.

M. Laurent Saint-Martin. La majorité a bien le souci de cibler les habitants des quartiers prioritaires de la ville et nous nous engageons à proposer pour la séance une formulation adaptée. Je tiens par ailleurs à rassurer Nicolas Turquois : l’idée n’est absolument pas de stigmatiser les zones rurales mais bien d’accompagner ceux qui en ont besoin pour accéder aux services publics dématérialisés.

M. le rapporteur. Je maintiens mon avis favorable, avec l’idée que l’amendement sera sous-amendé en séance.

M. le ministre. Il ne peut pas y avoir dans notre pays deux types d’administration, l’une pour les habitants des zones blanches et les citoyens ne sachant pas se servir d’internet, l’autre pour les gagnants ayant pris le train de la mondialisation, car la numérisation rend d’énormes services à tout le monde, notamment lorsqu’elle dispense d’avoir à prendre une demi-journée de congé pour effectuer une démarche administrative.

Par ailleurs, il y a fort à parier que, pour les responsables politiques qui nous auront succédé dans vingt ou trente ans, la problématique de la numérisation sera dépassée, car nous aurons probablement atteint le stade post-papier. L’objectif n’est donc pas de mettre en place une administration à deux vitesses mais d’imaginer des solutions transitoires permettant de compenser les distorsions qui existent actuellement entre les différents publics dans l’accès à internet. Cela étant, je suis favorable à l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS548 de M. Jean-Luc Lagleize.

Mme Florence Lasserre-David. Cet amendement vise à inscrire dans la stratégie nationale d’orientation de l’action publique l’objectif d’accélération des procédures et de réduction des délais administratifs.

M. le rapporteur. L’amendement est satisfait par l’amendement CS552 que nous venons d’adopter, puisque l’accélération des procédures va nécessairement de pair avec la réduction des délais.

M. le ministre. Même avis.

L’amendement CS548 est retiré.

La commission adopte l’article 1er et l’annexe, modifiés.

Après l’article 1er

La commission examine l’amendement CS560 de M. Mohamed Laqhila.

M. Mohamed Laqhila. Nous parlons de confiance entre l’administration et les citoyens, mais il conviendrait de parler également de réciprocité. Cet amendement vise donc à fixer à l’administration les mêmes règles que celles qui s’appliquent aux citoyens et aux entreprises : puisqu’on leur impose des délais de réponse, il serait juste que l’administration soit soumise aux mêmes délais. Dans les cas où, pour telle ou telle raison, elle ne parviendrait pas à répondre dans ces délais, s’appliquerait alors le principe du silence valant acceptation.

M. le rapporteur. Il s’agit d’un objectif louable, cependant la mesure que vous vous proposez a une portée normative qui, compte tenu de la diversité des administrations à laquelle elle pourrait s’appliquer et de la diversité des sollicitations qui leur parviennent de la part des administrés, emporte une très forte insécurité juridique. Avis défavorable.

M. le ministre. Adopter ce principe de la réciprocité et du silence valant acceptation va immanquablement donner lieu à des centaines de cas dérogatoires, en particulier dans les domaines sensibles comme la sécurité alimentaire ou la sécurité nucléaire.

Ensuite, on ne peut prétendre conférer aux particuliers les mêmes droits qu’à l’administration. En effet, la supériorité de l’administration sur les particuliers tient au fait qu’elle est en charge de l’intérêt général, tandis que le particulier considère en l’occurrence – de manière tout à fait légitime – son intérêt particulier.

Cependant, je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il n’est pas normal que l’administration ne soit pas tenue à des délais, et c’est en ce sens que ce que prévoit le Gouvernement n’est pas tout à fait satisfaisant. Je propose donc que nous tentions de trouver un compromis, sachant qu’il ne me paraît pas nécessairement opportun de demander à l’administration de se caler sur les mêmes délais que les particuliers. Dans le cas, par exemple, où le particulier se trompe…

M. Mohamed Laqhila. Comme cela arrive à l’administration !

M. le ministre. Vous avez raison, mais ce projet de loi a précisément pour ambition de faire en sorte qu’elle se trompe le moins possible. Pour en revenir au particulier, s’il écrit à la mauvaise administration, partez-vous du principe que le délai court à partir du moment où la première administration, c’est-à-dire la mauvaise, reçoit le courrier ? Cela me paraît parfaitement inadapté aux cas les plus complexes.

Je me tourne donc vers le rapporteur, pour qu’il nous indique s’il est possible d’inscrire dans le texte des mesures d’encadrement des délais et à quel endroit. Si cela convient à tout le monde, je me rangerai à son idée.

M. le rapporteur. Le directeur général des douanes, que nous avons auditionné, nous citait l’exemple de cas dans lesquels les services doivent prélever et analyser des échantillons de marchandise : or il tombe sous le sens que le temps nécessaire à ces procédures est supérieur au délai imposé à l’administré pour qu’il fournisse ces échantillons. Cela montre que la réciprocité n’est pas une idée opérante.

Quant à l’idée d’encadrer les délais, elle peut être abordée à l’article 10, qui traite de la question des rescrits, par lesquels les administrés sollicitent l’avis d’administration. Pour ce qui me concerne, il me semble qu’on ne peut pas fixer le même délai à l’ensemble des administrations, car c’est ainsi que l’on aboutit à une liste de 1 200 dérogations au principe du silence valant acceptation. Nous devons prendre en compte l’hétérogénéité des tâches administratives. Ce qui me semble essentiel en revanche, c’est que chaque administration s’impose des délais qui lui sont adaptés et qu’elle en fasse la publicité.

M. le ministre. Cet amendement induit un autre effet pervers, c’est qu’il va inciter l’administration à accorder des délais beaucoup plus importants aux particuliers et aux entreprises, avec cette idée que cela allongera d’autant ceux auxquels elle est elle-même soumise. Cette mesure produira donc l’effet inverse de ce pour quoi vous la proposez, à savoir accélérer les procédures administratives. Je vous recommande donc de vous appuyer sur l’article 10 pour bousculer le Gouvernement et l’inciter à modifier ses habitudes.

M. Mohamed Laqhila. Je ne suis pas entièrement convaincu par vos arguments concernant un texte censé organiser un État au service d’une société de confiance, car le rétablissement de la confiance ne peut, selon moi, s’envisager sans un principe de réciprocité, en tout cas pour ce qui concerne l’administration prise dans son acception générale.

Mais nous y reviendrons à l’article 10, et je retire mon amendement.

L’amendement CS560 est retiré.

La commission en vient à l’examen des amendements identiques CS219 de Mme Véronique Louwagie, CS236 de M. Fabrice Brun et CS556 de M. Jean-Luc Lagleize.

M. Fabrice Brun. Ces amendements proposent de restaurer et de pérenniser le Conseil de la simplification pour les entreprises, composé de membres bénévoles ne touchant aucune rémunération ou indemnités de la part de l’État. Il serait renommé Haut conseil de la simplification et de la réduction des délais administratifs, et son champ d’intervention serait élargi aux particuliers. Cela s’inscrit dans la logique des travaux réalisés par M. Mandon et M. Poitrinal, dont l’audition a été très éclairante sur les enjeux et les écueils de ce vaste et complexe chantier qu’est la simplification administrative.

Mme Florence Lasserre-David. Créé pour une durée de trois ans, ce conseil n’est plus actif. Comme il avait fait la preuve de son utilité, nous souhaitons le ré-instituer.

M. le rapporteur. Je vous remercie d’aborder ce sujet essentiel auquel nous avons tous réfléchi en amont de l’examen de ce texte. Ces amendements sont l’occasion de saluer le travail des premiers co-présidents du conseil de la simplification, Thierry Mandon et Guillaume Poitrinal, que nous avons auditionnés.

S’il importe que nous maintenions notre volonté politique de simplification tout au long du quinquennat, la création d’un haut conseil n’est pas la méthode qu’a choisie cette majorité pour atteindre cet objectif. La nomination d’un secrétaire d’État à la fonction publique, placé auprès de Gérald Darmanin, et d’un délégué interministériel à la transformation publique traduit la volonté du Gouvernement de « changer de braquet » et d’embrasser le sujet le plus largement possible, mais il faut aussi que le Parlement se dote des moyens de suivre ce sujet. Notre double dispositif de suivi sera ainsi aussi ambitieux que l’était le conseil de la simplification. En matière de simplification, notre capacité à obtenir des résultats tient moins à l’architecture institutionnelle qu’on crée qu’à la portée politique qu’on donne à ses objectifs. Le conseil pour la simplification a été très efficace au début car un secrétaire d’État s’y était directement investi, en lien avec le Président de la République. Il a moins bien fonctionné, dès lors qu’il a été moins soutenu politiquement. Avis défavorable.

M. le ministre. Je suis d’autant plus défavorable à ces amendements que si les co-présidents successifs du conseil de la simplification ont fait preuve de vraies qualités, le précédent gouvernement a aussi eu la volonté de diminuer le nombre de hauts conseils et de comités, qui sont passés, de mémoire, de 600 à 380. Il s’était en effet aperçu que c’étaient parfois ces instances mêmes qui créaient la norme. La simplification consiste aussi à éviter de créer des instances extérieures au processus législatif et administratif de droit commun. C’est aux parlementaires qu’il revient de contrôler le pouvoir exécutif et je ne suis pas certain que la création d’un haut conseil ad hoc simplifie grand-chose. Pour que la simplification soit efficace, il faut que les ministres et les parlementaires s’en chargent directement, sinon il y a fort à parier que ce haut conseil, que vous auditionnerez une à deux fois par an, se contentera de publier un rapport sans doute très intéressant mais sans réelle portée concrète.

M. Mohamed Laqhila. Il y a eu entre 600 et 700 simplifications sous la précédente législature, notamment grâce au choc de simplification voulu par Emmanuel Macron. Il est vrai que ce conseil n’avait pas le poids politique souhaité, c’est pourquoi nous retirons notre amendement.

Mme la présidente Sophie Errante. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Brun ?

M. Fabrice Brun. Oui.

L’amendement CS556 est retiré.

Puis la commission rejette les amendements CS219 et CS236.

Article 2 (art. L. 123-1, L. 124-1 et L. 124-2 (nouveaux), L. 552-3, L. 562-3 et L. 572-1 du code des relations entre le public et l’administration) : Consécration au profit du public d’un droit à l’erreur et création d’un droit au contrôle

La commission examine l’amendement CS563 de M. Mohamed Laqhila.

M. Mohamed Laqhila. Cet amendement vise à supprimer les sanctions financières applicables aux contribuables qui commettent une erreur de forme tout en respectant la loi sur le fond.

M. le rapporteur. L’objectif poursuivi par le Gouvernement dans cet article est évidemment de prendre en compte les erreurs de forme, consistant par exemple pour un administré à cocher la mauvaise case sur sa déclaration, la question étant de savoir si une erreur de forme peut constituer une méconnaissance implicite de la règle. Il me semble que l’article 2 satisfait à votre demande mais pour que les choses soient claires, j’émets un avis favorable à cet amendement, ce qui nous permettra d’avoir l’avis du ministre en séance publique.

M. le ministre. Est-il possible de définir la notion d’erreur de forme ?

M. Mohamed Laqhila. On peut en donner des exemples vécus. On retrouve des erreurs de forme dans de nombreuses déclarations fiscales où l’administré oublie, une année, de cocher une case.

M. le ministre. Pourrait-on définir l’erreur de forme comme une erreur matérielle n’ayant aucune incidence financière ?

M. Mohamed Laqhila. Oui.

M. le ministre. Bien que cet amendement ait donné lieu à un arbitrage défavorable, j’émets un avis de sagesse car vos arguments sont de bon sens, monsieur Laqhila, et car cela nous permettra d’en débattre dans l’hémicycle et peut-être d’apporter une définition de l’erreur de forme. Pour retenir cette rédaction, il faudrait en tout cas que l’erreur de forme ne soit qu’une erreur matérielle n’ayant aucune incidence financière.

Mme Véronique Louwagie. Cet amendement très intéressant mérite d’être illustré par l’exemple. Je citerai le cas du pacte Dutreil, au sujet duquel j’avais déposé un amendement à la loi de finances : M. le ministre m’avait demandé de le retirer au motif que nous aurions l’occasion d’en discuter dans ce texte. Le pacte Dutreil présente des difficultés d’application : ses bénéficiaires doivent fournir chaque année de très nombreux documents à l’administration fiscale. S’ils oublient de fournir le moindre de ces documents au titre d’une année, le bénéfice de l’ensemble des avantages liés au pacte est remis en cause, avec des conséquences financières très importantes. Comme ces oublis résultent d’erreurs et qu’il ne s’agit pas du tout pour les contribuables de se soustraire au paiement de l’impôt, j’avais proposé de permettre la régularisation de la situation des contribuables et de ne remettre en cause le bénéfice de leurs avantages que s’ils ne répondaient pas à la demande de l’administration. C’est pourquoi je soutiens l’amendement de M. Laqhila.

M. le rapporteur. Nous examinerons ultérieurement des amendements spécifiquement consacrés au pacte Dutreil. J’avais moi aussi prévu d’émettre un avis défavorable à l’amendement de M. Laqhila mais je maintiens mon avis favorable. Nos discussions dans l’hémicycle présentent en effet un intérêt pour la jurisprudence et nous permettront de souligner l’ambition de l’article 2 : poser des principes généraux et faire évoluer les comportements de l’administration.

M. le ministre. Je maintiens quant à moi mon avis de sagesse, ce qui permettra à chacun de voter en son âme et conscience et, éventuellement, de suivre l’avis du rapporteur, mais ne soyez pas étonné si, dans l’hémicycle, je défends un amendement de suppression de cette disposition ou de précision de la notion d’erreur matérielle. Il faut en tout cas que vous forciez le Gouvernement à vous fournir des explications car c’est un amendement de bon sens.

M. Bruno Fuchs. Il conviendrait de préciser la portée de cet amendement afin qu’il n’incite pas les contribuables à glisser des erreurs dans leur déclaration pour bénéficier de la mansuétude de l’administration.

M. le ministre. Je ne vois pas quelles erreurs formelles pourraient ne pas être traitées avec bienveillance par l’administration dès lors qu’elles sont sans conséquences financières. Je vous propose néanmoins que nous en débattions dans l’hémicycle, quitte à ce que je revienne sur ma position à ce moment-là.

L’argument de Mme Louwagie me semble le plus percutant de tous mais toute demande de documents s’explique par des raisons précises – même s’il faut peut-être simplifier le pacte Dutreil par ailleurs.

M. Mohamed Laqhila. Mon amendement est assez clair. Quand l’administration s’aperçoit d’une erreur de forme, elle la notifie au contribuable. Nous proposons qu’elle demande à ce dernier de rectifier son erreur dans un certain délai.

M. le rapporteur. Ce débat a une vertu pédagogique puisqu’il nous permet de repréciser ce qu’est le droit à l’erreur prévu à l’article 2 : face à une erreur de bonne foi, en l’absence d’intention frauduleuse, l’administration demande au contribuable, d’une part, de corriger sa déclaration – il ne s’agit donc pas de faire abstraction des erreurs commises – d’autre part, de payer le prix de l’argent. Nous débattrons aux articles 3 et 4 de l’appréciation de ce prix de l’argent. La reconnaissance d’un droit à l’erreur permet de ne pas infliger de pénalités au contribuable et de ne pas lui faire perdre le bénéfice de ses droits.

La commission adopte l’amendement CS563.

Puis elle étudie l’amendement CS214 de Mme Jacqueline Dubois.

Mme Jacqueline Dubois. Cet amendement dispose qu’un citoyen ne peut être tenu pour responsable d’un retard de déclaration si ce dernier est imputable à une défaillance de l’administration, que cette défaillance soit liée à un problème de délivrance d’information ou de documents ou encore à un problème informatique. C’est un cas vécu par un agriculteur en Dordogne : ayant déplacé ses vaches en Gironde, il n’a pu obtenir le numéro lui permettant de faire sa déclaration dans les délais. Malgré diverses réclamations, dont la mienne, il n’a alors pu bénéficier de la subvention à laquelle il avait droit.

M. le rapporteur. La rédaction de votre amendement pose problème. En matière de droit à l’erreur, il faut à la fois de la clarté et de la souplesse. L’article 2 précise clairement que le non-respect des délais ne peut être pris en compte dans le cadre du droit à l’erreur. Il ne faut pas alourdir la rédaction de cet article en l’assortissant d’exceptions, mais en conserver la souplesse pour laisser des marges d’appréciation à l’administration. Dans le cas que vous citez, l’administration devrait déjà prendre en compte l’impossibilité pour l’administré de produire les pièces qui lui ont été demandées. Avis défavorable.

M. le ministre. Je suis sensible à l’idée que quand l’administration a commis une erreur, elle ne peut en imputer la responsabilité au contribuable mais vous évoquez dans votre exposé sommaire un cas précis : en avez-vous parlé au ministère de l’agriculture ?

Mme Jacqueline Dubois. Non mais d’autres personnes – commerçants, artisans, retraités – ne sont-elles pas susceptibles d’être confrontées à une telle situation ?

M. le ministre. Ne peut-on considérer que le principe général du droit à l’erreur s’appliquera à ce type de situations, sans qu’il soit nécessaire de viser des cas particuliers ? Tout contribuable, quel qu’il soit, est évidemment de bonne foi s’il arrive à démontrer que l’administration ne lui a pas fourni le document demandé dans les temps. Vous évoquez dans votre amendement des difficultés administratives liées à l’obtention des subventions de la politique agricole commune mais, comme vous le dites, le problème peut toucher tout le monde.

M. Yves Daniel. La loi actuelle ne permet pas aux éleveurs de résoudre dans le temps imparti les difficultés qu’ils rencontrent en cas de déplacement de leur cheptel. On ne peut donc faire autrement que de modifier la loi pour que l’administration puisse demain prendre en compte cette réalité.

M. le rapporteur. La loi va évoluer puisque nous allons voter l’article 2 qui y introduit la notion de bonne foi. Le but n’est évidemment pas de créer des contentieux ni d’obliger les contribuables à faire la démonstration qu’il ne leur était pas possible de produire un document donné ; mais rédiger trop précisément cet article – qui pose un principe très général de bonne foi – lui ferait perdre de sa force. Je rappelle que le principe du droit à l’erreur vaudra pour toutes les administrations, collectivités locales comprises, et dans tous les champs du droit.

M. Bruno Fuchs. Je comprends qu’il soit difficile de légiférer à partir d’un cas particulier mais nous avons de nombreux exemples où l’administration a pris une position hermétique, rigide, voire de mauvaise foi. Il s’agit par cet amendement de régler ce type de situations, notamment quand plusieurs administrations sont concernées – car dans ce cas, elles se renvoient souvent la balle.

M. le ministre. L’argument du rapporteur est d’or. Préciser un principe général risque d’en atténuer la force aux yeux de l’administration, voire du juge. Je m’engage, en introduction de la discussion de l’article 2 en séance publique, à préciser dans quel esprit cet article a été rédigé et à expliquer que si, du fait du manquement d’une administration, un chef d’entreprise ne peut répondre à une autre administration, ce dernier sera par définition de bonne foi.

M. le rapporteur. Nous discuterons un peu plus tard, à ce même article, de la définition de la mauvaise foi. Cela nous permettra de comprendre, en creux, ce qu’est la bonne foi.

M. le ministre. Avis défavorable, non pas à l’égard de l’exemple précis qu’évoque Mme la députée, mais à son amendement.

M. le rapporteur. Même avis.

Mme Jacqueline Dubois. Je retire mon amendement.

L’amendement CS214 est retiré.

La commission aborde l’amendement CS561 de M. Mohamed Laqhila.

M. Mohamed Laqhila. La déclaration préalable à l’embauche vise à informer les services de l’État de l’entrée d’un nouveau salarié dans l’entreprise, ce, pour lutter contre le travail dissimulé. Toutefois, il arrive que des artisans, des commerçants ou de très petites entreprises (TPE) fassent cette déclaration avec retard et s’exposent à de très lourdes sanctions. Nous proposons que le droit à l’erreur s’applique dans cette hypothèse.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Nous en avons clairement discuté : les retards de déclaration sont exclus du champ du droit à l’erreur. Si on ouvre cette boîte de Pandore, on risque d’affaiblir la portée de l’article 2. Encore une fois, faisons confiance à l’administration pour faire preuve de discernement à l’égard des situations que vous évoquez.

M. le ministre. Je ne suis pas favorable non plus à cet amendement car le droit à l’erreur n’est pas le droit au retard. S’il existe des dates butoirs, c’est aussi parce qu’elles déclenchent des délais de recours. J’entends l’argument de M. Laqhila mais l’administration est en général assez à l’écoute, surtout lorsqu’il s’agit d’instruction fiscale, et il est bien connu que quand on doit payer ses impôts le 15 du mois, c’est ainsi et pas autrement. Vous évoquez un retard de cinq jours, monsieur Laqhila, mais vous pourriez le fixer à dix, voire à quinze jours. Il faut quand même que les règles soient simples sans quoi leur interprétation sera confuse.

M. Mohamed Laqhila. Vous voyez bien que le principe de réciprocité ne s’applique pas toujours. La déclaration préalable à l’embauche étant un document important pour lutter contre le travail dissimulé, les sanctions en cas de non déclaration dans les délais sont très lourdes pour les artisans et les commerçants. Nous n’exigeons pas de tels délais de réponse de l’administration. Cela étant dit, j’ai bien entendu vos arguments et je retire mon amendement.

L’amendement CS561 est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS680 de M. Laurent Saint-Martin.

M. Cédric Roussel. L’article 2 ne vise pas à accorder aux administrés un droit de commettre des erreurs mais reconnaît un droit à régulariser les erreurs commises de bonne foi. La crainte première de l’administration est que ce nouveau dispositif soit utilisé de manière frauduleuse. C’est pourquoi nous proposons de doubler la sanction initialement prévue, en cas de récidive du contribuable. En présence d’une erreur similaire dans le même domaine, l’administration doit avoir les moyens de dissuader mais surtout de sanctionner avec plus de fermeté. S’il convient certes que l’administration bascule vers une mission de conseil et d’accompagnement, elle doit également garder à l’esprit sa mission coercitive et dissuasive. L’instauration d’une sanction accrue permettra de rééquilibrer la relation entre l’administration et les usagers.

M. le rapporteur. Cet amendement est l’occasion de rappeler, comme vous venez de le faire, que le droit à l’erreur n’est pas une licence à l’erreur et que cette majorité est très attachée à la lutte contre la fraude fiscale. Un travail est d’ailleurs en cours à ce sujet – il a été confié à notre collègue Émilie Cariou – et un projet de loi est également en préparation. L’administration doit pouvoir marcher sur ses deux jambes, je suis entièrement d’accord avec vous, monsieur Roussel. J’ai moi-même défendu un amendement au projet de loi de finances qui visait à renforcer les sanctions applicables en cas de fraude fiscale avec circonstances aggravantes. Cela étant, je ne suis pas favorable à cet amendement. Instaurer des sanctions automatiques, deux fois plus importantes que celles prévues initialement, ne me semble pas tenable, juridiquement.

M. le ministre. Il convient de veiller à ce que la simplification administrative que nous souhaitons tous ne se traduise pas in fine par un renforcement des sanctions applicables. Je comprends que ce renforcement des sanctions soit selon vous le pendant du droit à l’erreur.

Si votre objectif est de lutter contre la fraude fiscale, les sanctions que l’administration fiscale inflige au contribuable sont quand même très élevées, entre 10 et 80 %. En ce qui concerne le « verrou de Bercy » et la fraude fiscale caractérisée, qui inquiètent votre commission spéciale, le Gouvernement est en train d’élaborer plusieurs dispositions législatives et réglementaires. Il est vrai que l’habitus de l’administration doit évoluer et que dès lors que l’on instaure un droit à l’erreur, il convient d’être encore plus dur en cas de récidive. Mais ces considérations relèvent plutôt de la circulaire que de la loi. Avis défavorable.

M. Laurent Saint-Martin. Permettez-moi de compléter les propos de mon collègue Roussel. Les Français ont une double attente à l’égard de ce texte, confirmée par notre expérience de terrain : que soit reconnue la bonne foi des contribuables – c’est le sens de l’article 2 – mais aussi que soit proprement sanctionnée la mauvaise foi. La modulation des sanctions est un sujet important et attendu. Vous avez peut-être raison de mettre en question la portée législative d’une telle disposition, monsieur le ministre, mais il importe que le sujet soit abordé en commission et que nous réfléchissions, d’ici à la séance publique, à une rédaction qui soit juridiquement valable.

M. le ministre. Vous avez raison, monsieur Saint-Martin, les Français aspirent à la fois à ce que l’administration lutte contre la fraude et à ce qu’elle fasse preuve de bienveillance à l’égard des contribuables qui commettent des erreurs de bonne foi. Sauf que les gens souhaitent le droit à l’erreur pour eux et la sanction, pour leur voisin. Reprenons l’exemple, évoqué tout à l’heure par M. Laqhila, du retard pris dans la déclaration préalable à l’embauche. Vous pourriez très bien, à l’inverse de votre collègue, vous faire le porte-parole de ceux qui estiment qu’on ne sanctionne pas assez rapidement les employeurs qui jouent avec les délais pour pouvoir recourir au travail dissimulé.

Je maintiens donc mon avis défavorable. Si le Gouvernement avance suffisamment en matière de lutte contre la fraude fiscale d’ici à l’examen du présent texte en séance publique, je donnerai quelques éléments à la représentation nationale. Cependant, il ne me semble pas que l’objet de cet amendement relève du domaine législatif mais plutôt du management de l’administration.

M. le rapporteur. Je maintiens mon avis défavorable pour la raison technique que j’ai déjà évoquée : l’automaticité du doublement des sanctions. Je vous propose de retirer votre amendement pour le redéposer en séance dans une autre rédaction.

M. Cédric Roussel. J’entends et retire cet amendement pour le réécrire d’ici à la séance publique.

L’amendement CS680 est retiré.

Puis la commission examine les amendements identiques CS148 de M. Fabrice Brun et CS759 de M. Stéphane Mazars.

M. Fabrice Brun. Si nul n’est censé ignorer la loi, les règles visant à la préservation de l’environnement sont très nombreuses. Le code de l’environnement contient à lui tout seul 2 623 pages. En 2015, il a été modifié cinquante-six fois, soit plus d’une fois par semaine et ces modifications ont concerné plus de 640 articles. En 2016, il a connu quatre-vingt-sept modifications portant sur près de 1 000 articles. Face à un tel constat, et bien que la préservation de l’environnement soit un enjeu majeur, il est difficile d’accepter que toutes les règles en la matière soient exclues du champ d’application du droit à l’erreur. Il est proposé de restreindre cette exclusion en permettant l’application de ce droit aux sanctions administratives prononcées en cas de méconnaissance des règles préservant l’environnement.

M. le rapporteur. Cette question a suscité de nombreux amendements. Je présenterai moi-même, juste après celui-ci, une nouvelle rédaction.

Le principe est que lorsque l’on porte vraiment atteinte à l’environnement, il faut prendre en compte cette exception. Plus généralement, il n’est pas question de transiger lorsque des intérêts fondamentaux sont en cause, qu’il s’agisse de l’environnement, de la sécurité ou de la santé.

En l’occurrence, l’introduction du mot « pénales » réduirait trop fortement les cas d’exception qui sont prévus dans cet article.

Vous avez cité le code de l’environnement, son article L. 171-7 prévoit une mise en demeure de l’intéressé par l’autorité administrative ; je ne vois pas pourquoi il faudrait faire disparaître une telle possibilité.

Je suis donc défavorable à ces amendements.

M. le ministre. Je suis d’accord avec le rapporteur. Le droit à l’erreur ne s’applique pas aux sanctions pénales, mais aux sanctions administratives, ne serait-ce que parce que c’est l’État qui prend des sanctions administratives.

La question posée est intéressante, mais elle va bien plus loin que le projet de loi. Mon avis sera donc défavorable.

M. Fabrice Brun. Je maintiens mon amendement.

M. Stéphane Mazars. Je vais m’en remettre à la version proposée par M. le rapporteur.

L’amendement CS759 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS148.

Elle examine alors l’amendement CS753 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à remplacer le mot « préservant » par les mots « portant atteinte à » qui me semblent mieux préciser l’esprit de la loi.

Ce n’est pas parce que l’erreur commise, par exemple par un agriculteur, touche au domaine de l’environnement, qu’elle porte directement atteinte à l’environnement. Si tel n’est pas le cas, autant faire en sorte que les sanctions prononcées entrent dans le champ du droit à l’erreur.

M. le ministre. Favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle est alors saisie des trois amendements identiques, CS233 de M. Fabrice Brun, CS283 de Mme Véronique Louwagie et CS327 de M. Christophe Naegelen.

M. Fabrice Brun. Il me semble que l’adoption de l’amendement précédent fait tomber ces amendements.

M. le rapporteur. Ils ne tombent pas : ils sont satisfaits.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS542 de M. Bruno Fuchs.

M. Bruno Fuchs. Cet amendement, qui est au cœur du principe de droit à l’erreur, vise à protéger prioritairement les personnes en difficulté, voire en très grande difficulté. Ces dernières ont du mal à remplir les documents administratifs, et lorsqu’elles commettent une erreur en les remplissant, il leur arrive de voir leurs allocations suspendues. Voilà pourquoi je suggère de faire bénéficier ces personnes d’un droit d’alerte : elles ne seraient pas mises devant le fait accompli, elles seraient informées que leurs allocations risquent d’être suspendues et disposeraient d’un délai pour mettre leur dossier à jour.

Il est très pénalisant, pour des publics qui gagnent 400 ou 500 euros par mois, de devoir attendre deux, voire trois mois, pour faire admettre leur erreur et toucher à nouveau leurs allocations.

M. le rapporteur. Je ne vois pas comment l’administration peut instruire correctement un dossier incomplet ou erroné. Je crains qu’en votant un tel amendement on limite la capacité de l’administration à bien traiter les dossiers. De nombreux droits reposent sur la déclaration des administrés. L’administration, qui doit être bienveillante, doit aussi pouvoir s’appuyer sur des dossiers renseignés dans les temps. Avis défavorable.

M. le ministre. Avis défavorable. Lorsqu’un dossier de demande de prestations est incomplet, l’administration concernée doit s’adresser dans un délai assez bref à l’administré, afin de pouvoir traiter son dossier.

Cela étant dit, monsieur le député, je veux bien regarder avec vous ce qu’il en est des prestations particulières.

Le problème de l’administration, notamment dans le domaine social, ne tient pas tant au fait que les dossiers soient incomplets – ce qui amène certaines allocataires à ne pas toucher ce qui leur est dû – qu’au délai de traitement de ces dossiers.

Pour les aides personnalisées au logement (APL) ou les allocations servies par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), lorsque l’administration met beaucoup de temps à répondre à l’administré, elle aggrave la situation de celui-ci. J’ai le souvenir d’APL versées trois mois après, alors que le dossier administratif était complet.

Pour l’allocation aux adultes handicapés (AAH), il faut des certificats médicaux et des éléments parfois assez difficiles à fournir.

Monsieur le député, votre amendement était assez général, avez-vous en tête des prestations particulières ?

M. Bruno Fuchs. Je peux vous donner l’exemple d’une jeune femme en grande précarité qui arrive à travailler, dix, quinze ou vingt heures par mois. Il se trouve qu’entre Pôle emploi et la caisse d’allocations familiales, les formulaires de déclaration de ces heures diffèrent. Un jour, cette jeune femme s’est trompée dans sa façon de remplir ces formulaires, ce qui lui a valu deux mois ou deux mois et demi de suspension de ses prestations.

J’ajoute qu’il faut beaucoup de temps pour recontacter ces publics en très grande précarité qui sont un peu « dans la nature », et pour leur faire comprendre où aller, qui voir, etc. Une fois l’erreur retrouvée, il est difficile de leur faire remplir leur dossier dans les formes et dans les délais. Voilà pourquoi nous nous intéressons à ces publics, qui se trouvent plus particulièrement pénalisés.

Peut-être aurais-je dû être plus précis ? Je comprends votre réflexion, monsieur le ministre, et je reconnais que mon amendement est assez général. Mais c’était le moyen d’engager la discussion en commission.

M. le ministre. Je suis très sensible à votre amendement, monsieur le député, même s’il est trop général, et même si je pense qu’il faut soit le retirer, soit le rédiger différemment.

De trop nombreuses personnes ne réclament pas et ne touchent pas certaines prestations parce qu’elles ignorent leurs droits. En même temps, il faut éviter les effets de bord qui permettent à d’autres de commettre des fraudes aux prestations sociales, ce qui est tout aussi scandaleux. On ne peut ignorer ces spécialistes de la récupération d’argent public : bien que peu nombreux, ils donnent un coup de canif au pacte républicain.

Je souhaiterais – et je me tourne vers les membres de mon cabinet – que l’on dresse la liste des prestations que nous pourrions évoquer dans ce cadre, qu’elles concernent ou non le handicap.

Comme vous l’avez fait remarquer, certaines personnes mettent du temps pour remplir les formulaires de Pôle emploi parce qu’elles ont un travail compliqué. De leur côté, les frontaliers – ma circonscription se trouve près de la Belgique – ont parfois du mal à récupérer un certain nombre de données.

Par ailleurs, il faut savoir que 95 % des allocataires des APL figurent dans les deux premiers déciles de revenu, et qu’il leur est donc difficile, en cas de retard, d’avancer l’argent qui leur est dû.

Nous allons dresser la liste de ces prestations. Je vous propose de le faire aussi. Et si madame la présidente en est d’accord, je reviendrai vers vous pour regarder quels sont les effets de bord. Sans doute pourrait-on apporter quelques précisions. Votre amendement est un peu trop général, mais il pose une question importante.

M. Bruno Fuchs. On pourrait, à ce stade, le retirer, puis le réintroduire …

M. le ministre. Je vous propose de le retirer et je m’engage, d’ici à la fin de la semaine, à organiser un rendez-vous avec mon cabinet, voire avec la ministre de la santé et des solidarités, ou en tout cas avec la direction de la sécurité sociale (DSS) qui pourrait nous éclairer et nous mettre d’accord. Et pourquoi ne pas mener des expérimentations sur une ou deux prestations, les plus marquantes et celles qui sont versées aux publics les plus en difficulté ? En effet, il s’agit de faire de la trésorerie, pour éviter que certains ne s’endettent pour avancer l’argent auquel ils ont légitimement droit.

M. Bruno Fuchs. Dans ces conditions, je retire mon amendement.

L’amendement CS542 est retiré.

La commission examine l’amendement CS682 de M. Laurent Saint-Martin.

M. Cédric Roussel. Cet amendement définit la notion de mauvaise foi au regard de deux éléments : d’abord un élément matériel, le manquement, et un élément intentionnel. Il est motivé par les propos et les éléments recueillis lors des concertations, mais aussi par l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur l’avant-projet de loi.

Cet amendement préserve également la portée de la jurisprudence passée. Il définit la notion de mauvaise foi en incluant le prononcé de la sanction administrative – c’est l’élément intentionnel.

M. le rapporteur. Je suis très favorable à cet amendement, qui apporte des précisions utiles.

Le droit à l’erreur existait déjà dans certains champs administratifs – notamment la fiscalité. Il est intéressant de constater que toute une jurisprudence s’est établie autour de ce droit à l’erreur, et que celle-ci a poussé l’administration fiscale à détailler ce qu’elle entendait par « mauvaise foi ».

Je citerai le commentaire sur l’article 3, qui figure dans le rapport : « Le manquement délibéré est établi lorsque l’administration peut démontrer que l’intéressé a nécessairement eu connaissance des faits, lorsque le rehaussement porte sur une question de principe ayant déjà fait l’objet d’une décision administrative non contestée par l’administration, lorsqu’une manœuvre frauduleuse donne l’apparence de la sincérité à des déclarations inexactes. »

Ce détail contribue à la sécurité juridique que l’on veut par ailleurs renforcer en instituant le droit à l’erreur. Je suis donc très favorable à ce que l’on puisse, par amendement, définir la mauvaise foi.

M. le ministre. Favorable.

L’amendement est adopté.

La commission est saisie de l’amendement CS654 du rapporteur.

M. le rapporteur. Amendement rédactionnel.

M. le ministre. À mon regret, avis défavorable. Le Gouvernement préfère s’en tenir à la notion de convention internationale, qui est plus « englobante »…

M. le rapporteur. Il faudra que nous nous concertions sur cette question de formulation, qui ne doit pas être nouvelle. Dans l’immédiat, je ferai œuvre d’humilité en m’en remettant à la sagesse du cabinet, qui a rédigé ce projet de loi, et je suis donc prêt à retirer mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS656 du rapporteur.

M. le rapporteur. Amendement rédactionnel.

M. le ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS815 de Mme Cendra Motin et des trois amendements identiques CS5 de M. Julien Aubert, CS18 de M. Arnaud Viala, et CS252 de M. Éric Pauget, qui peuvent faire l’objet d’une discussion commune.

Mme Cendra Motin. J’ai rédigé cet amendement avec mon collègue M. Romain Grau. Selon la jurisprudence, lorsqu’un administré ou une entreprise fait l’objet d’une notification de contrôle, ce contrôle doit intervenir dans un délai raisonnable. Et elle a jugé que quarante-huit heures constituaient un délai raisonnable.

Nous considérons, par exemple, qu’un chef d’entreprise ne peut pas se préparer en quarante-huit heures à un contrôle fiscal, ou même à un contrôle Urssaf. Nous proposons donc de lui accorder quatorze jours calendaires. Il pourra ainsi se préparer et recevoir les inspecteurs dans de bonnes conditions.

M. le rapporteur. Je comprends votre souci de précaution. Mais en l’occurrence, cette précaution n’a pas à figurer à cet endroit du texte. En effet, l’article 2 concerne le droit au contrôle. Dans ce cadre, c’est l’administré qui fait lui-même la demande de contrôle – dont les conclusions seront opposables à l’administration.

Dès lors que l’administré fait une demande de contrôle, on peut présumer qu’il est prêt à le recevoir. Sinon, il n’a qu’à décaler la date de sa demande pour que l’administration fiscale vienne au moment qu’il jugera bon. Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. le ministre. Je n’ai pas d’autre argumentation que celle du rapporteur

Mme Cendra Motin. Je comprends que notre amendement n’est pas au bon endroit. L’idée n’était pas de le positionner dans le cadre du droit au contrôle, mais dans le cadre d’un contrôle subi. En attendant, je le retire.

L’amendement CS815 est retiré.

Mme la présidente Sophie Errante. Les amendements identiques, CS5, CS18 et CS252 sont défendus.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Je considère qu’en matière de droit au contrôle, il faut ménager à l’administration une certaine marge pour qu’elle puisse s’organiser. Le projet de loi prévoit d’ailleurs que ce droit peut être refusé si jamais cela pose des problèmes d’organisation à l’administration. C’est une mesure assez forte qui est introduite dans ce texte. Il faut laisser à l’administration le temps de vivre !

Pour ma part, je suis défavorable à ce que l’on fixe un délai uniforme pour toutes les demandes de contrôle sachant que, comme dans la première partie de l’article 2, on introduit un droit général qui concerne toutes les administrations.

M. le ministre. Même avis.

La commission rejette les trois amendements.

Elle examine l’amendement CS775 de Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. L’objet de cet amendement est d’institutionnaliser et de retranscrire par écrit la réunion de synthèse de fin de contrôle, au cours de laquelle le vérificateur informe oralement la personne contrôlée de la fin de ses interventions, de l’existence ou non de points litigieux, ou d’une date approximative de l’envoi de propositions de rectification.

Je crains toutefois que cet amendement, qui a une portée générale, ne soit pas à la bonne place.

M. le rapporteur. Je salue l’arrivée de notre collègue Warsmann, qui arrive un peu trop tard pour pouvoir défendre son amendement CS414. S’il le redépose en séance, j’émettrai un avis favorable.

J’en viens à l’amendement CS775. Madame Dubié, je ne crois pas à la nature législative de la disposition que vous proposez : selon moi, elle a un caractère réglementaire. En revanche, sur le fond, une telle disposition tombe sous le sens. Voilà pourquoi je proposerai d’introduire à l’article 16 – qui vise à encadrer de manière expérimentale les durées de contrôle – des amendements qui vont exactement dans votre sens. L’idée est de définir le cadre de cette expérimentation – contenu, durée, modalités de début et de fin de contrôle.

À ce stade du débat, mon avis sera donc défavorable à l’amendement CS775.

M. le ministre. Même avis. Sur le fond, madame Dubié, vous avez tout à fait raison. Mais il me semble plus cohérent de traiter de cette question dans le cadre de l’expérimentation des durées de contrôle.

Mme Jeanine Dubié. Sensible aux arguments de M. le rapporteur et de M. le ministre, je retire mon amendement.

L’amendement CS775 est retiré.

La commission examine l’amendement CS657 du rapporteur.

M. le rapporteur. Amendement rédactionnel.

M. le ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS232 de M. Fabrice Brun.

M. Fabrice Brun. C’est un amendement de cohérence. L’alinéa 14 semble indiquer qu’une même situation pourrait faire l’objet de conclusions divergentes selon les corps de l’État qui en sont saisis, et propose dès lors de ne les rendre opposables qu’au corps les ayant produites. Il serait difficile, dans ces conditions, d’établir la relation de confiance souhaitée.

En matière fiscale notamment, on constate dès à présent combien ces divergences entre corps de contrôle nuisent à l’atteinte de cet objectif. Il est donc proposé de rendre les conclusions expresses mentionnées au présent article opposables non pas à la seule administration les ayant produites, mais à l’ensemble des corps de contrôle de l’État.

M. le rapporteur. J’y suis défavorable pour deux raisons différentes.

La première est que les champs de contrôle des grandes administrations – comme le fisc, les douanes ou l’Urssaf – sont bien définis, donc que l’esprit de cet article n’est pas dénaturé dès lors qu’elles rendent des conclusions sur leur propre champ de contrôle.

La seconde est que le problème ne peut plus intervenir quand on descend dans une « granularité » un peu plus fine : par exemple, il serait ennuyeux que la DGCCRF, qui a des moyens de contrôle plus importants, soit tenue par un contrôle qui a été effectué préalablement par les services d’hygiène d’une mairie. Dans ce cas, je crois que chacune des administrations doit garder la responsabilité de ce qu’elle peut faire.

Voilà pourquoi je pense que l’adoption de votre amendement conduirait à amoindrir la portée du droit au contrôle que l’on souhaite introduire.

M. Fabrice Brun. Je maintiens mon amendement au motif que j’ai en tête, par exemple, un certain nombre de contrôles communs entre la DGCCRF et les douanes, pour lesquels un tel amendement serait le bienvenu.

M. le ministre. Je donnerai un avis défavorable, mais je suis preneur de ce contre-exemple qui concerne deux administrations qui sont dans un même ministère, même si elles ne sont pas sous l’autorité du même ministre. Je suis également intéressé par tout autre exemple.

M. Fabrice Brun. Sans entrer dans le détail, je me permettrai de vous soumettre un cas assez récent.

M. le ministre. S’il s’agit d’une « bêtise administrative », d’administrations qui ne se parlent pas et qui portent des jugements différents, je suis intéressé.

Maintenant, il ne faut pas oublier que l’administration a un pouvoir qu’elle utilise assez peu : celui de contrôler, voire d’être très tatillonne vis-à-vis de personnes qui, manifestement, ne sont pas du côté de la bonne foi, mais de l’utilisation des effets de bord pour faire n’importe quoi. Ceux qui connaissent bien la vie locale savent qu’il est utile d’avoir, par exemple dans les commissions de sécurité, plusieurs administrations différentes pour pouvoir intervenir là où c’est difficile, du fait de troubles à l’ordre public qui ne sont pas caractérisés.

Il ne faut tout de même pas que le pouvoir public se coupe une main. Il faut qu’il sache qui doit vraiment être aidé. Il faut sans doute aussi faire passer quelques consignes bien claires. En même temps, il faut conserver un pouvoir de contrainte qui permette tout de même de s’appuyer sur la puissance publique si la loi n’est pas extrêmement claire et si des problèmes administratifs d’ordre public se posent. Le maire et le préfet disposent de compétences tatillonnes, qu’ils peuvent utiliser à bon escient pour le bien-être de chacune et de chacun.

La commission rejette l’amendement CS232.

Elle est alors saisie de l’amendement CS659 du rapporteur.

M. le rapporteur. Amendement rédactionnel.

M. le ministre. Favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine les amendements de suppression CS231 de M. Fabrice Brun, et CS282 de Mme Véronique Louwagie.

M. Fabrice Brun. L’alinéa 17 prévoit que l’administration pourra, à la faveur d’un nouveau contrôle, changer d’avis et revenir sur les conclusions expresses auxquelles avait donné lieu un précédent contrôle, et ce sans que des circonstances de droit ou de fait nouvelles ne le justifient. Une telle éventualité heurte l’objectif de confiance poursuivi par le présent projet de loi. Voilà pourquoi, en cohérence, l’amendement CS231 propose de supprimer cet alinéa.

Mme Véronique Louwagie. On peut se réjouir que l’article 2 définisse un droit d’opposition de toute personne contrôlée, pour que cette personne puisse s’appuyer sur des conclusions expresses – et non tacites – d’un contrôle réalisé précédemment par l’administration. Je pense que c’est un droit fort, qu’il faut maintenir au profit des contribuables, particuliers ou entreprises.

Franchement, je ne comprends pas le dispositif du projet de loi. Pour moi, il est important que les conclusions restent opposables lorsqu’il y a un nouveau contrôle. À défaut, quel intérêt y a-t-il à instituer un droit d’opposition, qui est légitime, au profit des contribuables ?

M. le rapporteur. Ces amendements m’ont beaucoup fait réfléchir. Je partage entièrement le fond de vous propos. Il faudrait, notamment, que les conclusions d’un contrôle fiscal soient opposables. Ce que vous dites en matière fiscale est donc incontestable. C’est d’ailleurs pourquoi je défendrai un peu plus tard, à l’article 3 ou à l’article 4, un amendement dans ce sens.

Cela étant, je pense que l’esprit de cet alinéa est qu’il s’applique à des contrôles de toute nature. C’est le corollaire du choix que nous avons fait en faveur d’un principe général, avec le moins d’exceptions possible.

Imaginez, en matière de sécurité, des contrôles prévus tous les ans pour tester la robustesse des cordes ou évaluer des points très précis de l’environnement. Il peut y avoir des « angles morts ». Dans certains cas, il peut être nécessaire que l’organisme qui vient faire le contrôle puisse rendre des conclusions différentes de celles qui ont été rendues précédemment – ne serait-ce que parce que l’objet de son contrôle, qui est différent, vise à corriger telle ou telle situation.

Je vous donne rendez-vous un peu plus tard pour que l’on encadre, par amendement, la possibilité, pour l’administration fiscale, de changer d’avis – si le droit fiscal n’a évidemment pas été modifié. Mais puisque ce droit d’opposition est un droit général, je ne peux que donner un avis défavorable à ces amendements de suppression.

M. le ministre. Madame Louwagie, monsieur Brun, ce que vous disiez relève du bon sens. Mais il peut y avoir des effets de bord. Et puis il y a la question fiscale, qui nous interpellera tout à l’heure. Je proposerais volontiers à monsieur le rapporteur et à vous-mêmes de mettre en place une expérimentation – quitte à ce que le Gouvernement vous prête son savoir-faire pour que vous puissiez porter des amendements en dehors de tout jeu politique.

On pourrait se mettre d’accord pour choisir un ou deux départements, cibler quatre ou cinq administrations parmi celles qui contrôlent le plus – en mettant toutefois de côté le domaine de la sécurité. On mènerait une expérimentation de deux ans. Et l’on verrait, à l’issue de ces deux ans, ce que donne un contrôle opposable. Si l’expérimentation est concluante, on la généralisera, sinon, on ne la généralisera pas.

En conclusion, j’adopterai une position d’ouverture : je propose que vous retiriez vos amendements et, qu’en lien avec mon cabinet et le rapporteur, vous en redéposiez un de nature plus « expérimentale ».

M. Nicolas Turquois. Je me souviens, en tant qu’ancien maire, avoir demandé conseil à l’architecte des bâtiments de France (ABF), pour qu’il donne son avis sur un certain nombre d’aménagements, dans le cadre d’un projet de construction, dans un périmètre de bâtiments classés.

On connaît la variabilité dans le temps des architectes des bâtiments de France. Et s’il est possible de revenir sur un avis – entre l’avis qui a été demandé et l’autorisation de permis de construire qui sera accordée par le successeur – on peut s’attendre à des soucis importants.

Mme Véronique Louwagie. Il ressort de cet article 2 que, finalement, le droit d’opposition accordé au contribuable n’existe pas.

Le contribuable a intérêt à opposer les conclusions d’un contrôle lorsqu’il est soumis à un nouveau contrôle ; en dehors d’un nouveau contrôle, il n’a pas l’occasion de le faire. Mais avec l’alinéa 17, si l’administration change d’avis à la faveur d’un nouveau contrôle, il ne peut plus opposer les conclusions du précédent.

La manière dont ce texte est rédigé pose un vrai problème. Dites directement à tous les Français, à toutes les entreprises et à tous les particuliers qu’ils ne pourront jamais opposer les conclusions d’un précédent contrôle. Très sincèrement, je ne voterai pas l’article 2 dans cette rédaction qui leurre les Français.

M. le ministre. Je reconnais que les architectes des bâtiments de France, qui font un travail formidable de préservation du patrimoine, ne sont toutefois pas toujours faciles à suivre ; et je préfère passer sur la couleur rouge ou blanche des joints des briques des bâtiments des communes du Nord… Je serais assez favorable à un rescrit des ABF. Cela règlerait bien des problèmes. Mais c’est la position de l’élu local que je porte, si un parlementaire souhaite la reprendre un jour…

Madame Louwagie, je l’ai déjà dit, vos propos relèvent du bon sens. Pour autant, il ne faut pas verser dans la caricature. Si notre texte ne comprenait que l’article 2, vous seriez fondée à dire qu’il ne sert pas à grand-chose. Mais cet article 2 fait partie d’un ensemble, d’un texte qui consacre un principe général de bonne foi.

Une entreprise, par exemple, pourra plaider la bonne foi en disant qu’elle a demandé un contrôle, que ce contrôle ait été ou non effectué. Elle pourra éventuellement mettre en avant le satisfecit ou les réserves de l’administration, et les modifications qu’elle aura faites en conséquence. Peut-être même que ces modifications et ces changements ne seront pas considérés comme étant appropriés. Mais l’entreprise bénéficiera d’une présomption de bonne foi.

Vous sous-estimez la force de la demande de contrôle par l’entreprise, de la délivrance de conclusions par l’administration, lorsque le contrôle « pour de vrai » aura lieu. Il n’est pas totalement illégitime de penser que ce que dit le rapporteur se vérifiera en de nombreuses occasions et dans de nombreux domaines, comme la sécurité, les conditions de travail, la sécurité alimentaire, etc. Il peut tout à fait arriver, sans qu’un changement de législation soit intervenu, que le deuxième contrôle permette de voir ce qui n’était pas apparu lors du premier.

Maintenant, vous avez fait preuve de bon sens, au point que je vous propose une expérimentation. Il ne faut pas généraliser ce qui pourrait avoir des effets de bord. Prenons un an ou deux, procédons à des vérifications concrètes et pragmatiques, en évitant toute position idéologique. À l’issue de cette période, nous pourrons tirer des conclusions et éventuellement généraliser cette expérimentation. C’est de cette façon que l’ancien gouvernement a procédé avant de mettre en place, au bout de deux ou trois ans, une médiation pour l’Urssaf en Ile-de-France.

Pour résumer, madame Louwagie, ce que vous dites me paraît un peu caricatural dans le sens où le droit au contrôle servira à établir la bonne foi du contribuable ou de l’entreprise. Mais je vous ai entendue et je vous propose d’aller jusqu’au bout de votre idée – qui n’est pas aujourd’hui celle du Gouvernement – en choisissant deux ou trois terrains d’expérimentation, dont on pourrait tirer les conclusions d’ici à la fin du quinquennat.

M. Nicolas Turquois. Juste pour l’anecdote : certains bâtiments du Nord sont en brique, mais il y a aussi, dans ma circonscription, le village des bâtiments en terre – même si on n’est pas en Afrique de l’Ouest.

M. le rapporteur. Monsieur le ministre, ne nous tentez pas trop avec le rescrit ABF ! Nous en avons discuté au sein de notre groupe politique, et j’ai considéré qu’il était préférable d’inscrire ce type de dispositif, que j’ai qualifié de « dispositif de simplification », dans le cadre de la future loi sur le logement.

Je suis très favorable à votre proposition d’ouverture visant à mettre en place une expérimentation. Laisser l’alinéa 17 en l’état aurait pu avoir un caractère frustrant, et je comprends le sentiment de Mme Véronique Louwagie. Le bon sens voudrait que nous testions les deux dispositifs – les développeurs parlent d’A/B testing. On verra lequel incite les entreprises à faire usage du droit au contrôle et à tisser une relation de confiance avec l’administration.

Madame Louwagie, je vous invite à retirer votre amendement afin que nous puissions en rédiger ensemble un autre qui prévoira un dispositif expérimental.

Mme Véronique Louwagie. J’accepte de retirer l’amendement, mais je maintiens que cette disposition ne crée pas la confiance : quel est l’intérêt de demander un contrôle si ce dernier n’est pas opposable en cas de nouveau contrôle ?

M. le ministre. Madame la députée, l’étudiant qui passe un examen blanc et obtient 17/20 n’est pas reçu à son examen. En revanche, il sait qu’il est plutôt dans les clous qu’en dehors. C’est aussi comme cela qu’il faut prendre les choses. Initialement, nous avions même pensé organiser des contrôles à blanc…

Peut-être l’alinéa est-il un peu mal rédigé… Il faut réfléchir, je ne voudrais pas m’engager, mais, peut-être peut-on compléter cette rédaction afin de préciser que la demande d’un contrôle fait partie des arguments qui entrent en compte dans l’appréciation de la bonne foi. Cela dit, je ne veux pas qu’un contrôle empêche des vérifications lors d’un contrôle ultérieur, car un second contrôleur peut faire des constats qui n’ont pas été faits par le premier – d’une part, il s’agit d’une activité humaine, d’autre part, des changements peuvent avoir eu lieu.

Vous pourriez réfléchir avec le rapporteur à quatre lieux où une expérimentation serait menée avec quatre administrations de contrôle – en excluant l’administration fiscale qui fait l’objet d’une autre discussion. Cela n’empêche pas, par ailleurs de clarifier la rédaction de l’alinéa.

M. Dominique Da Silva. Après l’alinéa 17, il est immédiatement précisé que : « Les dispositions qui précèdent ne peuvent faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou réglementaires visant à assurer la sécurité des biens et des personnes et la préservation de la santé et de l’environnement. » Cette mention limite à la fois la portée de l’alinéa 17, et celle des arguments du rapporteur et du ministre qui souhaitent le maintenir. On peut vraiment s’interroger sur la pertinence de l’alinéa 17.

M. le rapporteur. Je m’engage, d’une part, à ce que nous rédigions ensemble un amendement qui mette en place une expérimentation, d’autre part, à travailler avec le cabinet du ministre afin de voir s’il n’y a pas matière à modifier la rédaction relative à cette disposition d’ici à la séance publique.

Les amendements CS282 et CS231 sont retirés.

La commission examine l’amendement CS328 de M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen. L’alinéa 17 est contradictoire avec l’objectif affiché du projet de loi en matière de confiance. Il est proposé de le modifier afin d’exclure tout changement d’avis de l’administration lors d’un contrôle ultérieur si les conclusions sont moins favorables pour le tiers concerné. À l’inverse, l’administration doit pouvoir changer d’avis en faveur de la personne contrôlée.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Par principe, on ne peut pas considérer que la loi doit s’appliquer ou non selon qu’elle est favorable ou défavorable à l’usager.

M. le ministre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement CS328.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CS755 du rapporteur.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CS371 de M. Julien Aubert.

Puis elle adopte l’amendement CS660 du rapporteur.

La commission adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

La commission est saisie de l’amendement CS2 de M. Vincent Ledoux.

M. Christophe Naegelen. Il vise à encourager l’administration à appliquer le droit à l’erreur dans le domaine de la politique agricole commune (PAC) en utilisant les marges de manœuvre françaises généralement régies par des instructions techniques ou des circulaires. Il s’agit donc de consacrer et de généraliser la notion de correction d’erreurs manifestes prévue par les règlements européens, en l’appliquant aux démarches nationales.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Nous aurions un problème juridique si nous voulions nous soustraire à un règlement européen. Je ne peux pas être favorable à une telle disposition.

M. le ministre. Défavorable. Un règlement européen n’entre pas dans le champ du droit à l’erreur. Le dispositif proposé ne résoudra pas le problème intrinsèque de la PAC. Je rappelle que, lorsque l’Union réclame de l’argent des années après l’avoir indûment versé aux agriculteurs, c’est souvent le ministère de l’agriculture qui paie, ce qui ne l’aide pas à équilibrer son budget. Votre assemblée devrait s’intéresser à ce problème.

M. Nicolas Turquois. La réponse du rapporteur et du ministre me surprend car, si les objectifs d’un règlement sont européens, s’agissant d’un certain nombre des dispositifs de la PAC, les déclinaisons sont strictement françaises !

M. Jean-Luc Warsmann. Selon le paragraphe 6 de l’article 59 du règlement de l’Union européenne n° 1306/2013, « dans des cas à prévoir par la Commission sur la base de l’article 62, paragraphe 2, point h, les demandes d’aide et les demandes de paiement ou toutes autres communications, demandes ou requêtes peuvent être corrigées et ajustées après leur présentation en cas d’erreurs manifestes reconnues par l’autorité compétente ». On peut également lire à l’article 4 du règlement d’exécution européen n° 809/2014, au sujet des autorités nationales désignées par les termes « l’autorité compétente » : « L’autorité compétente ne peut reconnaître des erreurs manifestes que si elles peuvent être constatées immédiatement lors d’un contrôle matériel des informations figurant dans les documents visés au premier alinéa. » Autrement dit, les règlements européens comportent déjà les éléments qui permettent la reconnaissance de l’erreur manifeste et la réparation. Pourtant, très objectivement, je peux vous dire que, dans nos départements, ces dispositions ne sont pas du tout appliquées.

Même s’il doit le faire dans un autre cadre, il faut vraiment que le Parlement se saisisse du sujet. Je crains qu’il ne s’agisse d’un cas de « surtransposition ». Nous nous sommes interdit d’utiliser le droit de rectification : l’agriculteur qui, en remplissant un formulaire, a oublié de cocher la case « demande de subventions » ne peut plus en recevoir alors que nous pourrions admettre qu’il s’agit d’une erreur manifeste.

M. Jean-Baptiste Moreau. S’il est évident que nous ne pouvons pas contrevenir à un règlement européen, l’administration française dispose de marges de manœuvre pour l’appliquer. Cela dit, je ne suis pas certain que cette question doive être abordée à l’occasion de l’examen de ce projet de loi.

M. le rapporteur. De deux choses l’une : soit le règlement européen prévoit un dispositif proche de celui du droit à l’erreur, tel que M. Jean-Luc Warsmann vient de le décrire, et alors nous avons un problème d’application et de pratiques, et dans ce cas, l’amendement ne règle rien, soit nous avons transposé le droit européen et, dans ce cas, je confirme que le droit à l’erreur s’appliquera aux dispositions transposées dans la loi française. Il me semble en conséquence que votre amendement est satisfait.

M. le ministre. N’oublions pas que le droit à l’erreur aura une portée générale et qu’il s’appliquera à toutes les lois et à tous les règlements français ! Demain, il sera généralisé, ce qui répondra au souci de M. Warsmann.

S’il est nécessaire de préciser dans le débat que le droit à l’erreur concerne tous les champs, champ agricole compris, si je puis dire, sauf ce qui relève des textes européens d’application directe, nous le répéterons.

M. Christophe Naegelen. L’amendement visait à ce que l’ensemble des obligations déclaratives de la PAC bénéficient du droit à l’erreur, mais je le retire.

L’amendement CS2 est retiré.

Article 3 : Droit à l’erreur en matière fiscale – Réduction de moitié des intérêts de retard en cas de rectification spontanée

La commission est saisie de l’amendement CS514 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. L’article 3 propose d’appliquer l’adage « faute avouée à demi pardonnée » en divisant par deux le montant des intérêts de retard en cas de dépôt spontané d’une déclaration rectificative par le contribuable. Le Gouvernement entend créer un effet incitatif pour que les contribuables corrigent d’eux-mêmes leur erreur de déclaration, mais c’est déjà l’objet du droit à l’erreur. En effet, dans ce cadre, le contribuable de bonne foi n’est pas sanctionné ; il règle simplement ce qu’il doit à l’administration.

Les intérêts de retard relèvent d’une autre logique. Il ne s’agit pas de sanctionner mais de combler le manque à gagner pour l’administration en raison du « prix du temps ». Si le contribuable avait réglé en temps et en heure, l’État aurait pu tirer profit de cette somme. Ce retard de paiement représente donc un coût pour l’État.

Depuis 2006, le taux d’intérêt de retard applicable était fixé à 0,4 % par mois. Le PLFR 2017 a déjà réduit de moitié le taux des intérêts de retard pour le rapprocher des taux de marché.

Diviser à nouveau par deux le montant des intérêts de retard réduit donc les ressources de l’État de manière illégitime alors même qu’un mécanisme incitatif existe déjà. Nous demandons en conséquence la suppression de l’article 3.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Je constate que l’article 3 qui vise à réduire de moitié le montant dû au titre de l’intérêt de retard en cas de dépôt spontané par le contribuable d’une déclaration rectificative fait l’objet d’amendements opposés : certains, comme le vôtre, veulent maintenir le niveau de ce « prix du temps », d’autres tendent à le supprimer totalement. Cela m’amène à considérer que le projet de loi opte pour une position médiane.

Comme nous l’a parfaitement expliqué, mercredi dernier, le directeur général des finances publiques, M. Bruno Parent, lors de son audition, l’État ne peut pas être « la banque » des contribuables qui bénéficieraient du droit à l’erreur : il n’est pas possible de supprimer la totalité des intérêts de retard. Nous estimons toutefois que l’administration fiscale, qui applique déjà le droit à l’erreur, peut aller plus loin dans une logique incitative, et qu’en vertu de l’adage « darmanien » « faute avouée à moitié pardonnée », elle peut diviser le montant des intérêts par deux.

Cette disposition ne s’appliquerait évidemment qu’aux contribuables de bonne foi, seuls concernés par le droit à l’erreur. Elle assurerait une meilleure acceptation de l’impôt puisqu’elle est subordonnée au paiement des droits dus, et elle accélérerait le recouvrement des créances pour l’administration fiscale. L’État a donc un véritable intérêt financier à sa mise en œuvre.

La commission rejette l’amendement.

Elle étudie l’amendement CS564 de M. Mohamed Laqhila.

M. Mohamed Laqhila. Il convient de supprimer toutes les pénalités de retard qui s’appliquent au contribuable qui rencontre un problème de transmission informatique de sa déclaration au service des impôts – en cas de bug informatique ou de non-réception du document par le portail de l’administration. Cette situation est assez fréquente.

M. le rapporteur. Cela tombe sous le sens, si je puis dire, mais il ne me semble pas nécessaire de l’écrire dans la loi ! Une telle mesure relève du règlement, et, en l’espèce, il est d’ores et déjà possible de faire une demande de remise gracieuse. L’administration fiscale doit évidemment résoudre ce type de situation. Avis défavorable.

M. le ministre. Monsieur Laqhila, votre amendement relève du bon sens, mais dans la pratique, il semble satisfait. Mon administration m’a indiqué, que dans le cas que vous évoquez, il était procédé à une remise systématique. Connaissez-vous des cas de bugs informatiques pour lesquels l’administration n’aurait pas donné suite à une demande de remise gracieuse de la totalité des pénalités de retard ?

M. Nicolas Turquois. S’agissant du règlement de l’impôt, j’ai été sollicité par un habitant de ma circonscription qui avait réglé un premier tiers de façon dématérialisée – comme cela est prévu à partir d’un certain montant –, mais un deuxième tiers par chèque parce qu’il se trouvait dans un secteur non couvert par le réseau internet. Il a fallu que j’intervienne pour demander le remboursement de l’amende infligée en raison de l’utilisation d’un moyen de paiement inapproprié et que nous expliquions que la zone en question est mal desservie par le réseau numérique. Quelle perte de temps !

M. Mohamed Laqhila. Des pénalités sont appliquées de façon automatique, et elles sont parfois calculées comme si le contribuable était de mauvaise foi. Comme vient de l’indiquer mon collègue, il faut ensuite entrer dans une procédure assez lourde de saisine de l’administration et d’argumentation pour demander une remise… Nous pourrions simplifier tout cela ! Il suffirait que le lendemain de l’envoi, le contribuable qui constate le bug puisse en justifier pour éviter des allers-retours pénibles.

M. le ministre. Vous avez raison, monsieur Laqhila, mais il n’est pas si évident de prouver qu’il y a eu un bug ! Prouver que l’on n’a pas reçu d’accusé de réception, c’est assez compliqué.

M. Mohamed Laqhila. Il y a des rejets par le portail !

M. le ministre. Parfois, les choses sont claires, vous recevez un message d’erreur ou vous pouvez faire une capture d’écran, mais ce n’est pas toujours aussi évident. Je le répète, il sera difficile de prouver à l’administration que l’on n’a pas reçu un accusé de réception.

La direction générale des finances publiques m’a affirmé qu’elle prenait en compte le phénomène des zones blanches. Il faut aussi faire confiance à notre administration, qui applique la remise gracieuse comme un principe général dans les cas que vous évoquez, plutôt que d’inscrire dans la loi des dispositions qui risquent de susciter des démarches ubuesques pour démontrer l’existence de bugs informatiques.

Je suis défavorable à l’amendement, mais je suis très preneur d’exemples précis pour lesquels une remise gracieuse n’aurait pas été appliquée.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CS6 de M. Julien Aubert, CS260 de M. Éric Pauget, CS291 de M. Gaël Le Bohec, ainsi que les amendements CS19 de M. Arnaud Viala, et CS127 de Mme Véronique Louwagie.

M. Frédéric Reiss. L’article 3, qui entend tirer les conséquences du nouveau droit à l’erreur en matière fiscale, prévoit que la sanction pécuniaire prévue au titre de l’intérêt de retard serait réduite de moitié pour le contribuable qui rectifie spontanément sa déclaration. En conséquence, même si elle est réduite, une sanction frappera bien des personnes qui sont pourtant de bonne foi. L’amendement vise à donner tout son sens au droit à l’erreur en supprimant toute sanction à leur égard. Il s’oppose en cela à la théorie « darmaniène » qui revient à créer un demi-droit à l’erreur.

M. Éric Pauget. Si nous voulons aller au bout de notre démarche en matière de droit à l’erreur, nous devons être cohérents et supprimer le montant dû au titre de l’intérêt de retard par les contribuables de bonne foi qui rectifient leur déclaration.

M. Gaël Le Bohec. Le projet de loi se fonde sur les notions de réciprocité et d’équilibre pour renforcer la confiance entre les citoyens et l’administration. Nous sommes dans le cas du « dépôt spontané par le contribuable, avant l’expiration du délai prévu pour l’exercice par l’administration de son droit de reprise, d’une déclaration rectificative ». Autrement dit, l’aveu d’une erreur de bonne foi a bien lieu dans un délai précis ce qui crée un certain équilibre. Dans ce cadre, l’amendement CS291 vise à supprimer les intérêts de retard.

Si nous parlons de réciprocité, je rappelle que ces intérêts ne sont pas nécessairement versés lorsque l’administration paie des entreprises ou des particuliers avec retard.

M. Laurent Saint-Martin. Le versement d’intérêts de retard ne constitue pas une sanction : ces amendements ne font malheureusement pas la différence. Je comprends que le contribuable qui paie des intérêts puisse avoir le sentiment d’être sanctionné puisqu’il paiera davantage que s’il n’avait fait aucune erreur, mais il faut s’efforcer de distinguer la sanction, qu’il s’agisse d’une amende ou de la privation de l’accès à un droit, de la simple prise en compte du délai de paiement accordé au contribuable qui se traduit par l’application d’intérêts de retard, considérée comme un « prix du temps ».

Si nous faisions totalement l’impasse sur ces intérêts, nous brouillerions le message du projet de loi en laissant penser que le retard et l’omission relèvent du droit à l’erreur, ce qui n’est pas le cas. La notion de « prix du temps » doit être prise en compte même si, comme le propose l’article 3, ce prix est réduit de moitié en cas de rectification d’une erreur de bonne foi. Il ne faut pas aller trop loin au risque de modifier l’équilibre et la philosophie du texte.

Mme Véronique Louwagie. Je défends mon amendement ainsi que l’amendement CS19 de M. Arnaud Viala. Si nous pouvons entendre qu’il faille maintenir un « prix du temps », nous estimons que le droit à l’erreur n’est pas assuré si l’on se contente de réduire de moitié le montant dû au titre de l’intérêt de retard, car on propose, en quelque sorte, un partage « équitable » entre l’administration et le contribuable. Le droit à l’erreur de ce dernier passe au contraire par un partage en sa faveur et une réduction des intérêts qu’il verse à l’administration de 70 %, ou même de 80 %, comme le proposent respectivement mon amendement et celui de M. Viala. Sur le plan symbolique, le passage du cap de 50 % permettrait une véritable reconnaissance du droit à l’erreur.

M. Laurent Saint-Martin. J’insiste sur la nécessité de maintenir les intérêts de retard pour conserver le prix du temps – je n’aurais rien contre le paiement de l’intégralité de ces intérêts –, et pour préserver la notion de droit à l’erreur. Il est faux d’affirmer que la logique du texte nécessite de les supprimer. Ils ne relèvent tout simplement pas du droit à l’erreur.

M. le rapporteur. Je suis défavorable à l’ensemble des amendements. Je conteste l’idée d’un demi-droit à l’erreur. Le droit à l’erreur, tel que nous l’avons adopté dans l’article 2, est plein et entier puisqu’en cas de rectification de bonne foi aucune pénalité ni aucune perte de droits ne s’appliquent – il n’y a pas de demi-pénalité. L’intérêt de retard est un sujet additionnel qui n’entre pas dans le champ du droit à l’erreur.

La question de la réciprocité a été posée. Nous devons veiller à ce que l’État verse des intérêts de retard lorsqu’il doit de l’argent au contribuable. Cela me semble juste. Nous avons évoqué ce point avec M. Parent lors de son audition : cette réciprocité est effective.

Nous proposons une division par deux des intérêts de retard, ce qui me semble raisonnable, même si on peut toujours discuter de la façon de placer le curseur. En tout état de cause, cette évolution nous permet de poursuivre celle déjà entreprise dans le projet de loi de finances rectificative pour 2017 puisque nous avions divisé par deux ces intérêts de retard qui étaient passés de 0,4 % par mois à 0,2 %. En conséquence, la réduction totale ne serait pas de 50 % mais de 75 %.

Je n’ajouterai rien aux arguments de M. Laurent Saint-Martin en faveur du maintien d’un prix de l’argent. S’agissant du niveau de réduction proposé, celui du projet de loi me paraît raisonnable compte tenu des dispositions déjà prises dans le collectif budgétaire.

M. le ministre. Je souscris totalement à la distinction entre la notion de sanction et celle de prix de l’argent. En conséquence, j’exclus de ramener à zéro le montant dû au titre de l’intérêt de retard.

Aujourd’hui, l’État emprunte sur dix ans à un taux situé entre 0,8 et 1 %. Pour les particuliers, ce taux se situe entre 1,2 et 1,4 %. Certes, faute avouée à moitié pardonnée, mais je ne vois pas pourquoi l’erreur des uns serait payée par les autres. Dans la période durant laquelle l’erreur est commise, l’État emprunte pour financer les services publics – on imagine bien qu’avec 2 200 milliards de dette, il ne dispose pas d’une trésorerie positive. Il emprunte donc à 1 %, sur les marchés financiers, un argent qui aurait dû entrer dans ses caisses si le contribuable n’avait pas commis d’erreur.

Autant, on comprend que le principe du droit à l’erreur permette de ne pas payer plus que le coût de l’argent suite à une déclaration rectificative de bonne foi, autant on ne comprendrait pas que l’erreur d’un contribuable, qui reste malgré tout une erreur, soit payée par un autre contribuable sur lequel pèserait le financement de l’emprunt de l’argent qui n’a pas été perçu à temps.

L’intérêt de retard d’environ 1,2 % n’est en aucun cas un vol de l’administré. Il lui fait réparer le coût de l’erreur qui a conduit l’État à emprunter sur les marchés financiers. Imaginez que 10 % des contribuables fassent jouer le droit à l’erreur : le montant des intérêts versés par l’État pour remplacer ce manque à gagner serait considérable. Il est logique que ce coût soit assumé par ceux qui sont à l’origine d’une erreur. Faute avouée à moitié pardonnée certes, mais il n’y a aucune raison que tous paient pour les erreurs de ceux qui ont été négligents. Si dans cinq ans l’argent vaut beaucoup moins ou beaucoup plus cher, il faudra rediscuter – une clause de revoyure a déjà été prévue à ce sujet.

Mme Véronique Louwagie. J’entends vos arguments, monsieur le ministre, mais je constate que, finalement, les intérêts de retards dus par le contribuable de mauvaise foi ne seront pas très différents de ceux payés par celui qui est de bonne foi. Symboliquement, les seconds devraient régler moins de la moitié de ce que les premiers paient, j’ai donc proposé une réduction de 70 % du montant dû au titre des intérêts par les contribuables qui ont fait jouer le droit à l’erreur.

M. le ministre. Il y a trois catégories : ceux qui sont à l’heure à l’école, qui doivent être une majorité de nos concitoyens ; ceux qui ont un retard de bonne foi, parce que le bus n’est pas arrivé à temps – il reste qu’ils sont en retard –, et ceux qui ne se lèvent jamais le matin pour prendre le bus à l’heure. Si le traitement de ceux qui arrivent en retard, même de bonne foi, est le même que celui de ceux qui arrivent à l’heure, plus personne n’a intérêt à arriver à l’heure.

En tant que citoyen arrivé à l’heure, je trouve assez choquant que l’on me demande de payer des intérêts pour celui qui est en retard. Je comprends aussi que celui qui arrive en retard et qui est de bonne foi estime scandaleux qu’on lui applique la même règle qu’à celui qui arrive en retard et qui est de mauvaise foi. C’est pour cela que nous proposons une gradation avec trois réponses possibles.

Mme Véronique Louwagie. Je ne défends pas la suppression des intérêts de retard. Sur le plan du symbole, il aurait suffi de réduire de 55 % le montant dû à ce titre pour mieux reconnaître le droit à l’erreur.

M. le rapporteur. La différence entre les intérêts payés par le contribuable de bonne foi et celui qui est de mauvaise foi vont tout de même du simple au double : la différence est loin d’être négligeable.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle rejette ensuite successivement les amendements CS19 et CS127.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS870 du rapporteur.

Elle est alors saisie de l’amendement CS683 de M. Laurent Saint-Martin.

Mme Sophie Beaudouin-Hubière. Il vise à inscrire dans le texte les principes d’une évaluation de la loi dans la ligne des propositions du groupe de travail sur le contrôle et l’évaluation créé par le Bureau de l’Assemblée nationale.

Nous proposons que le droit à l’erreur fasse l’objet d’une évaluation comptable et financière par la Cour des comptes, instance légitime en la matière en raison de son indépendance et de son rôle dans le soutien aux missions de contrôle et d’évaluation du Parlement. Il semble important d’inscrire cette mesure dans la loi afin de ne pas solliciter le Gouvernement qui serait juge et partie s’il devait procéder à une évaluation.

M. le rapporteur. Je suis extrêmement favorable à cette disposition. Nous voulons que le contrôle et l’évaluation se fassent au sein du Parlement, et, pour que ces opérations soient efficaces, il faut qu’il soit doté des bons outils. L’expertise de la Cour des comptes sera particulièrement utile s’agissant de dispositions qui ont des conséquences financières.

Madame la députée, accepteriez-vous de retirer votre amendement afin de le déposer dans le titre III que je compte ajouter au projet de loi ? Ce titre mettra en place « un dispositif d’évaluation renouvelé » qui réunira l’ensemble des dispositions qui visent à un meilleur contrôle de la loi.

L’amendement CS683 est retiré.

Mme la présidente Sophie Errante. Mes chers collègues, nous avons examiné près de cent amendements, treize d’entre eux ayant été adoptés. Trente-huit n’ont pas été soutenus.

La réunion se termine à vingt heures.

 

 


Membres présents ou excusés

Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

 

Réunion du lundi 15 janvier 2018 à 16 h 30

Présents.  Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, M. Éric Bothorel, M. Fabrice Brun, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Jean-Charles Colas-Roy, M. Yves Daniel, M. Dominique Da Silva, Mme Jeanine Dubié, Mme Sophie Errante, M. Bruno Fuchs, M. Stanislas Guerini, Mme Véronique Hammerer, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Mohamed Laqhila, Mme Florence Lasserre-David, M. Gaël Le Bohec, Mme Nicole Le Peih, Mme Monique Limon, Mme Véronique Louwagie, Mme Sereine Mauborgne, M. Stéphane Mazars, Mme Monica Michel, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Cendra Motin, M. Christophe Naegelen, M. Éric Pauget, M. Hervé Pellois, M. Laurent Pietraszewski, M. Benoit Potterie, M. Frédéric Reiss, Mme Stéphanie Rist, M. Cédric Roussel, Mme Sabine Rubin, M. Laurent Saint-Martin, M. Olivier Serva, M. Buon Tan, M. Adrien Taquet, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Nicolas Turquois, M. Boris Vallaud, M. Jean-Luc Warsmann

Assistaient également à la réunion.  Mme Jacqueline Dubois, Mme Danièle Hérin