Compte rendu

Commission
des affaires européenne
s

I.Audition, conjointe avec la commission des Finances, de M. Dominique Antoine, conseiller maître à la Cour des comptes, président de la formation inter-juridictions relative à une enquête sur la décentralisation de la gestion des fonds européens, Mmes Christine de Mazières et Mme Corinne Soussia, conseillères maîtres, M. Romain Gareau, auditeur, sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur le bilan du transfert aux régions de la gestion des fonds européens structurels et d'investissement (FESI).              3


mercredi
22 mai 2019

16 h 15

Compte rendu n° 91

Présidence de Mme Sabine Thillaye
Présidente
et de
M. Éric Woerth
Président
de la commission
des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
 


 

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 22 mai 2019

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission, et de
M. Éric Woerth, Président de la commission des finances, de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

La séance est ouverte à 16 h 25.

 

I.                  Audition, conjointe avec la commission des Finances, de M. Dominique Antoine, conseiller maître à la Cour des comptes, président de la formation inter-juridictions relative à une enquête sur la décentralisation de la gestion des fonds européens, Mmes Christine de Mazières et Mme Corinne Soussia, conseillères maîtres, M. Romain Gareau, auditeur, sur le rapport d’enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur le bilan du transfert aux régions de la gestion des fonds européens structurels et d'investissement (FESI).

M. le président Éric Woerth. M. Dominique Antoine et les magistrats qui l’entourent nous présentent la communication relative au bilan du transfert de la compétence de la gestion des fonds européens structurels et d’investissement. Le texte a été adressé à l’ensemble des commissaires et à la commission des affaires européennes, le 30 avril. Conformément à l’usage désormais en vigueur, la Cour a autorisé la publication de ce rapport sur son site. Par ailleurs, vous vous souvenez que ce thème avait été suggéré par Amélie de Montchalin qui, dans ses nouvelles fonctions, s’est dite entièrement disposée à échanger avec nous, le cas échéant, sur les enseignements à tirer du travail de la Cour. Nous verrons s’il est nécessaire de l’auditionner.

M. Charles de Courson. De nombreux collègues ont demandé si nous disposions des deux rapports qui seront examinés mercredi prochain.

M. le président Éric Woerth. Ils ont été adressés aux commissaires il y a quelques jours.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je me réjouis de cette audition commune. En effet, la commission des affaires européennes a également décidé de réaliser un rapport d’information sur la gestion des fonds européens structurels et d’investissement, en juin 2018. Elle l’a confié à nos collègues Liliana Tanguy et Pierre-Henri Dumont. Il me semble judicieux d’analyser les conséquences de la réforme de 2014 qui a transféré aux régions le rôle d’autorité de gestion de ces fonds européens, notamment pour en tirer un premier bilan avant la prochaine programmation 2021-2027 et voir quelles peuvent être les pistes d’amélioration.

Pour ma part, dans vos recommandations, j’ai particulièrement retenu le point 5, c’est-à-dire encourager la création de portails ou de guichets communs à l’État et aux régions et autant que possible, mutualiser l’instruction des dossiers. Avant d’exercer mes nouvelles fonctions, en tant que militante des questions européennes, j’ai eu l’occasion de monter des dossiers et la complexité est vraiment très importante pour les porteurs de projets, que ce soit des associations ou des collectivités. Cette suggestion de mutualiser et de porter une assistance par un guichet unique me paraît être une très bonne recommandation que nous nous efforcerons de porter au niveau politique.

M. Dominique Antoine, président de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes. Madame la présidente, monsieur le président, merci de votre invitation et de vos mots d’accueil. En accord avec le Premier président Didier Migaud, nous allons vous présenter, cet après-midi, les principales conclusions du travail que vous avez souhaité sur le transfert aux régions de la responsabilité de la gestion des fonds européens structurels et d’investissement, appelés parfois par l’acronyme abrégé FESI.

Je voudrais d’emblée préciser le champ couvert par cette enquête. Quatre FESI ont été pris en compte. Il en existe cinq, mais l’un n’est pas applicable en France. Les quatre sont :

– le FEDER, le Fonds européen de développement régional ;

– le Fonds social européen (FSE) et son appendice l’initiative pour l’emploi des jeunes (IEJ) ;

– le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) ;

– le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).

Ces quatre fonds, sur la période prise en compte de 2014-2020, représentent une dépense potentielle de 27 milliards d’euros Le champ couvert par la décentralisation représente, au sein de ces 27 milliards d’euros, une vingtaine de milliards d’euros.

Comme l’a dit le président Woerth, la commission des finances a passé une commande à la Cour des comptes au mois de juillet dernier, qui a ensuite été précisée par une réponse circonstanciée du Premier président, après une rencontre avec Mme de Montchalin, sur le cahier des charges qui serait le nôtre. Nous avons retenu trois angles de travail, qui sont précisés dans la réponse du Premier président Migaud.

D’abord, la question du pilotage des FESI. Pour être plus concret, les sujets sont les suivants : nouvelle répartition des responsabilités entre l’État et les régions, conditions du transfert de moyens et d’expertise de l’État aux régions, système d’information, stratégie de sélection des projets.

La deuxième thématique concerne l’articulation entre les financements européens nationaux et régionaux. Le contexte est en effet celui des contrats dits « Cahors », la contractualisation entre les régions et l’État prévue par la loi de programmation des finances publiques pour 2018 à 2022. La question qui nous est posée est la suivante : la contraction sur les crédits de fonctionnement des régions a-t-elle ou non un effet sur la consommation des crédits européens dont ils sont parfois la contrepartie nationale ? Un effet d’éviction induit est-il constaté ? Quelles sont les interactions perceptibles entre la logique des contrats de Cahors et la mise en œuvre des fonds européens ? D’autres sujets sont abordés dans cette thématique, comme les risques financiers liés à la gestion des FESI, les dégagements d’office pour les crédits non consommés, les réserves de performance ou les refus d’apurement. Ces sujets semblent assez techniques, mais ils ont une véritable signification.

Enfin, le troisième angle est tourné vers l’avenir. Il nous a été demandé, ce que le Premier président a reformulé dans sa réponse, de tirer des leçons du bilan que nous faisons de la gestion 2014-2020, pour tenter d’apporter un éclairage sur les conditions de préparation de la programmation suivante 2021-2027, et ce, sous forme de recommandations. À la fin du rapport, vous est donc présenté un jeu de recommandations. Tels sont les trois axes que nous avons privilégiés.

Je vous donne très rapidement quelques repères sur le déroulement de l’enquête. Un échange de lettres a eu lieu en amont, les 19 juillet et 6 septembre, entre le président de la commission des finances et le Premier président de la Cour des comptes. Je ne méconnais en rien le rôle de la commission des affaires européennes, mais la commande initiale est venue de la commission des finances. Ensuite, nous avons compris que la commission des affaires européennes travaillant également sur le sujet, une articulation et une coordination étaient utiles. Madame la présidente, je remercie la commission des affaires européennes de s’être prêtée à cet exercice. L’instruction s’est déroulée entre septembre et décembre. Pour ce faire, nous avons créé une formation inter-juridictions. En général, les enquêtes des juridictions financières sont prises en charge par telle ou telle chambre de la Cour des comptes ou par telle chambre régionale des comptes. Lorsque nous traitons de sujets transversaux, nous créons des consortiums, appelés des formations inter-juridictions, en l’occurrence trois chambres de la Cour, la deuxième, la quatrième et la cinquième, quatre chambres régionales des comptes, Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), correspondant aux régions choisies pour l’échantillon étudié. Le Premier président m’a demandé de présider cette formation inter-juridictions dont la rapporteure générale est Christine de Mazières, qui prendra la parole tout à l’heure pour présenter les recommandations et répondre à des questions. Derrière moi se trouve l’équipe parisienne, assez nombreuse, mais qui a travaillé dans des délais assez réduits. Des collègues des chambres régionales des comptes, qui ne sont pas présents aujourd’hui, ont fait également équipe avec nous. Après la phase d’instruction, classiquement, la Cour des comptes procède à une contradiction, puisqu’elle ne publie rien qui n’ait été soumis au préalable à l’avis des parties prenantes, contradiction sous forme écrite et sous forme d’auditions. Ce calendrier a été également rythmé par des réunions de travail avec la commission des finances, avec Mme de Montchalin d’abord, avec M. Paluszkiewicz ensuite, que nous avons rencontré récemment, en compagnie de représentants de députés appartenant à la commission des affaires européennes. Le rapport a été transmis à l’Assemblée dans les délais prévus, fin avril 2019.

Venons-en maintenant aux principales conclusions. Je présenterai notre rapport, dont vous avez reçu la version complète, en trois temps, correspondant aux trois principales conclusions. Premièrement, le transfert aux régions a été mal anticipé et est resté partiel. Deuxièmement, la gestion demeure complexe et doit être améliorée. Troisièmement, il est impératif d’anticiper l’avenir rapidement et de manière pragmatique, pour la future programmation 2021-2027. Nous conclurons l’exposé par la présentation des sept recommandations.

D’abord, un peu d’histoire. Le Président François Hollande est élu au printemps 2012. Un accord politique est annoncé à l’Élysée entre régions de France et le Président de la République, sur le principe d’une décentralisation de la gestion des fonds européens. Des considérants justifient évidemment cette décision. C’est une orientation politique prise au plus haut niveau, à l’automne 2012. Difficulté technique, le calendrier impose d’aller vite puisque la programmation est supposée prendre effet le 1er janvier 2014. Dans les faits, les délais ont été plus longs.

Le premier sujet était de savoir ce qui était transféré. En réalité, tous les fonds n’ont pas été transférés. Il a été décidé de transférer l’essentiel du FEDER. Pour le FSE, une difficulté est apparue, à savoir que le FSE correspond à des crédits qui traduisent les compétences partagées entre les collectivités et l’État. Trois tiers ont ainsi été faits dans le FSE : un tiers, qui correspondait aux compétences régionales en matière de formation professionnelle et d’apprentissage, a fait l’objet d’un transfert ; l’État a conservé le tiers correspondant à la politique de l’emploi ; un troisième tiers correspond à l’activité d’inclusion sociale et d’insertion, qui est l’apanage des départements et que l’État a conservée dans son giron, en subdéléguant ensuite la compétence à l’organisme intermédiaire qu’a été le département. Telle est l’architecture décidée en amont pour le FSE.

Pour le FEADER, nominalement, 95 % des crédits font l’objet d’un transfert de gestion. En réalité, cette décentralisation est en trompe-l’œil puisque le ministère de l’agriculture conserve la maîtrise d’importants leviers de gestion. D’abord, un cadre national est fixé, et surtout, l’instruction d’environ 80 % des crédits est assurée par les services déconcentrés de l’État. Ils ne sont pas décideurs, mais ils instruisent. Une agence publique dépendant de l’État gère également les crédits, les paie, les certifie, etc. Le montage partage en réalité la gestion, bien que le centre de gravité soit politiquement placé au sein des régions. Quant au FEAMP, précisément parce qu’il est petit en taille, il n’a pas pu être décentralisé, des règlements européens s’y opposant. Une gestion de l’État central a donc été conservée, avec des mécanismes assez complexes et techniques de subdélégation ensuite aux régions.

Le transfert n’a donc pas été complet. Les délais de mise en œuvre ont été longs, la décision de principe tardive. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) du 27 janvier 2014 a concrétisé l’intention politique, alors que la période de programmation était déjà entamée. Ensuite, une série de pas à franchir sont nécessaires pour arriver à maturité. Il faut un accord de partenariat entre l’Union européenne et la France, qui est signé en août 2014. Il faut élaborer des programmes opérationnels pour le FEDER et le FSE, ce qui est le cas fin 2014. Pour les programmes de développement ruraux régionaux, il a fallu attendre 2015. Ensuite, un débat, sur lequel nous reviendrons, a porté sur les transferts de moyens pour les régions. Toutes ces étapes ont pris du temps. En résumé, s’agissant du FSE et du FEDER, nous avons été prêts fin 2015 et en 2016. Pour le FEADER, nous avons été prêts en 2017 et pour le FEAMP en 2018, pour une programmation qui couvre en principe la période 2014-2020. Les retards ont donc été importants au démarrage de cette programmation.

Les négociations sur les transferts d’effectifs ont été difficiles. Il faut transférer les moyens en crédits, en équivalents temps plein (ETP), etc. ce qui a pris également beaucoup de temps. De manière assez étonnante, une circulaire du 16 décembre 2013 encadre cet exercice de transfert de moyens. Nous soulignons, dans notre rapport, que les transferts de moyens ont fait l’objet de documents conventionnels signés par les présidents de collectivités et par l’État, mais que le nombre des ETP transférés est resté modeste et que ces ETP n’étaient pas toujours occupés. Ils ont été compensés parfois en crédits, mais une perte d’expertise est constatée entre la situation ex ante et la situation ex post. Des négociations restent donc difficiles sur les transferts d’effectifs.

Enfin, dernière caractéristique, un manque d’adaptation des systèmes d’information. Ce problème est classique, mais en l’occurrence, il a été considérable, non pas sur les systèmes de gestion du FEDER et du FSE, mais surtout sur le système Osiris dont vous avez peut-être entendu parler. Ce sujet technique est devenu politique tant les imperfections étaient importantes et tant les élus régionaux ont manifesté d’impatience et de mécontentement, la gestion de ces systèmes étant confiée à une agence d’État, l’Agence de services et de paiement (ASP).

Voilà ce que je voulais dire sur cette première série de conclusions. Je souhaite attirer votre attention sur un chronogramme que l’équipe est légitimement fière d’avoir élaboré. Il résume en un seul schéma les différentes étapes qui ont été franchies pour arriver à maturité dans la gestion des fonds européens.

Je voudrais aborder maintenant la deuxième série de conclusions. Je disais en introduction qu’à nos yeux, la gestion des fonds européens, qui demeure complexe, peut et doit être améliorée.

Le nœud le plus inextricable est celui qui affecte le FEADER, pour lequel l’enchevêtrement des compétences atteint son comble. Nous sommes dans des logiques croisées. Sociologiquement, le monde de l’agriculture a plutôt été résistant, à travers aussi le ministère de l’agriculture, pour aller loin dans la décentralisation. Les équilibres sont donc parfois fragiles et complexes entre une logique de décentralisation franche et le maintien d’une politique agricole qui se veut cohérente, y compris dans ses instruments de mise en œuvre.

Nous avons une interrogation sur le pilotage financier par les régions. Il s’agit bien d’une interrogation et non pas d’un constat négatif. L’Union européenne alimente les régions assez rapidement en crédits. L’argent arrive plus vite de l’Europe qu’il n’est dépensé par les régions, ce qui crée un effet très positif sur leur trésorerie. Cet effet est positif pendant un certain temps, mais ensuite, il faut payer. Lorsque les dossiers ont enfin pu être instruits, il faut liquider. L’inverse se produit. Les régions sont sous-alimentées en crédits par rapport aux dépenses instantanées de l’exercice considéré. Nous avons constaté avec surprise que la gestion prudentielle de ces crédits par les régions rencontrait des limites. Je parle ici du FEDER et du FSE puisque le FEADER et le FEAMP font l’objet de crédits qui restent gérés par l’État dans une agence spécialisée. Les facultés données aux conseils régionaux, le système de provisionnement et la régie, n’ont guère été utilisées. Nous pouvons donc nourrir des interrogations sur la fin de la gestion de cette programmation, sur le décalage dans les rythmes d’approvisionnement par les régions et dans les versements aux bénéficiaires. Cela rentre dans les finances des régions. Ce n’est pas nécessairement isolé ni tracé, sauf peut-être dans un système de comptabilité analytique, de contrôle de gestion propre au conseil régional, mais non pas dans la comptabilité rendue publique.

Malgré ces retards, nous constatons, toutefois que la France n’est pas en retard dans ses paiements par rapport à la moyenne européenne. Lorsque nous avons porté ce constat auprès du Premier président de la Cour des comptes, il nous a dit que la référence ne devait pas être la moyenne européenne, mais la tête de classe. Nous ne sommes pas en tête de la classe. En ce qui concerne la programmation et la dépense, nous suivons grosso modo le rythme moyen des autres États bénéficiaires des fonds. Ainsi, à la fin 2018, malgré les craintes, aucun dégagement d’office n’a été constaté. Au terme des trois ans, quand ils ne sont pas dépensés, les crédits remontent à Bruxelles. Nous avons évité ce risque, fin 2018.

En revanche, nous avons constaté une mauvaise pratique que nous avons appelée « la pratique des réserves ». Nous avons constaté que les taux directeurs utilisés pour servir les bénéficiaires étaient inférieurs aux taux utilisés par l’Union européenne pour servir les pays. Je citerai un cas d’école abstrait. Si l’Union européenne calcule les fonds sur une base de 50 % de subventions et que les régions concernées subventionnent à 40 %, il existe une mise en réserve de 10 %. Cet écart, qui est permanent et structurel, alimente ce que nous avons appelé des réserves, après avoir utilisé en interne des qualificatifs moins élogieux. C’est le terme que nous avons utilisé dans le rapport. Il s’agit d’une mise en réserve au profit de l’autorité de gestion qui est en l’espèce, le plus souvent, le conseil régional. Constituer des réserves n’est pas illégal. L’État français, coalisé d’ailleurs avec d’autres États membres, a démontré que les règlements européens n’interdisaient pas cette pratique. Dont acte.

En revanche, nous soulignons que l’utilisation qui est faite de cette réserve est souvent contradictoire avec la réglementation. Cette réserve sert pour un certain nombre de choses, notamment pour effacer les conséquences des corrections financières. Des redressements dans la gestion, à la suite d’un audit ou d’un contrôle, donnent lieu à reversements, mais nous avons constaté que dans de nombreux cas, ces réserves sont utilisées pour en effacer les conséquences. Le rapport donne d’autres exemples de pratiques que nous que nous considérons comme insatisfaisantes, pour des utilisations diverses. L’une que nous stigmatisons consiste à effacer la dette des bénéficiaires qui devrait être reversée suite à un contrôle. Ils ont perçu de l’argent en excès, parce que les règles n’ont pas été appliquées correctement, mais le reversement leur est épargné, parce que cette réserve permet d’avoir de la trésorerie. L’erreur n’est pas nécessairement du fait du bénéficiaire, elle peut être du fait de l’autorité de gestion. Il ne faut donc pas que le bénéficiaire en supporte les conséquences. Dans un certain nombre de cas, les réserves sont utilisées de manière étonnante. Le parquet général est saisi de ce dossier, dans le cadre de ses compétences, pour y donner les suites qu’il jugera appropriées. Il s’agit pour nous d’une gestion irrégulière.

Nous soulignons également un risque de perte d’efficience. Le morcellement des programmes et des mesures qui résulte d’un nombre plus important d’autorités de gestion qu’auparavant représente un coût de gestion. Si le coût par dossier est fixe, plus le nombre de dossiers est important, plus les dépenses sont élevées. Vu les pôles de décision plus nombreux, les dépenses globales de personnel ont augmenté. Nous situons ces constats dans la rubrique intitulée « risque de perte d’efficience ». Une simplification s’impose, ne serait-ce que pour cette raison économique.

Enfin, les bénéficiaires subissent des délais de paiement considérables. Dans certains cas, des dispositifs de préfinancement leur permettent de patienter, dans d’autres non. Nous avons diligenté une étude d’opinion assez sommaire, mais qui a le mérite d’exister, sur l’état d’esprit des bénéficiaires s’agissant de la décentralisation. Nous leur demandions s’ils préféraient une gestion d’État ou une gestion régionale. Le message reçu des bénéficiaires a été : « Peu importe, mais nous voulons être payés plus vite », ce qui sans doute ne vous surprend pas, mesdames et messieurs les élus.

Dans une troisième partie, nous avons regroupé les perspectives que nous essayons de tracer pour l’avenir, avant d’en venir aux recommandations.

Nous passons d’abord le message que l’essentiel n’est peut-être pas tant de savoir qui de l’État ou des régions gérera les fonds à l’avenir que de se mettre d’accord entre État et régions sur une stratégie partagée d’emploi des fonds. Les comparaisons internationales rapides, auxquelles nous avons procédé avec l’Allemagne et l’Espagne, montrent que le niveau de consensus État-région est faible en France sur le mode d’emploi des fonds, comparativement à ces pays qui certes ont une tradition de décentralisation beaucoup plus ancienne. Nous attirons fortement l’attention sur cet intérêt général qui s’attache à faire converger les réflexions, les anticipations et les perspectives, en mettant en commun les intentions respectives de l’État et des régions.

Nous livrons ensuite un message de pragmatisme. Nous pensons qu’il n’est pas indispensable de tout bouleverser à nouveau. Certes, sur le fonds agricole, il faut des changements francs et nous y reviendrons, mais pour le reste, au vu du bilan, nous incitons plutôt à une forme de prudence. Si nous devions recentraliser et revenir à la situation antérieure, le coût de transition serait relativement élevé. Se satisfaire de la situation existante, quitte à l’optimiser, éviterait un traumatisme économique, financier et administratif.

Pour le FEADER, il existe des scénarios alternatifs. Nous n’avons pas estimé être en capacité de trancher la question, mais nous soumettons à la représentation nationale des hypothèses de travail alternatives. Nous en avons parlé aussi avec les conseils régionaux, qui rejettent notre premier scénario et seraient enclins à discuter sur les scénarios 2 ou 3. Je me propose d’y revenir à la présentation de la recommandation 6, dont l’objet est précisément de traiter du sujet.

Pour terminer, nous insistons beaucoup sur l’urgence de décision. Nous avons constaté les conséquences néfastes, graves et sérieuses des retards qui ont caractérisé le lancement de la programmation 2014-2020. Nous sommes dans une période de pause en raison des échéances électorales, mais nous sommes déjà au milieu de l’année 2019 et la prochaine programmation doit commencer le 1er janvier 2021. Par exemple, pour les systèmes d’information, le fait de savoir si à partir de 2021, les conseils régionaux continueront à gérer ou non tel ou tel fonds ou telle ou telle partie de fonds est absolument capital. Le délai de dix-huit mois est déjà très court. Nous plaidons donc très fortement, et nous allons certainement le relayer auprès de l’exécutif, pour que des décisions soient prises, avant la pause estivale, sur les sujets que nous avons tâché d’instruire et sur lesquels nous proposons un certain nombre d’issues concrètes et opérationnelles.

Mme Christine de Mazières, rapporteure générale de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes. Les rapports de la Cour sont toujours conclus par des recommandations. Nous en avons formulé sept, qui sont dans l’ordre du rapport.

La première concerne les systèmes d’information. Les systèmes d’information sont clairement sous-évalués et leur importance est pourtant cruciale. Leurs défauts expliquent souvent les retards et les risques de corrections financières ou de dégagements d’office. Nous recommandons en premier lieu de lancer dès maintenant la réflexion pour la prochaine programmation qui démarrera dans un an et demi. Parmi l’ensemble des systèmes d’information des quatre fonds européens structurels, l’un a nécessairement besoin d’être remplacé, celui qui concerne une partie du FEADER et qui s’appelle Osiris. Il n’est absolument pas adapté à la décentralisation ; il est adapté uniquement à la gestion par l’organisme payeur. Ce système d’information a conduit à d’énormes retards de paiement, insolubles à ce stade.

Les deuxième et troisième recommandations portent sur les questions financières. Elles ne concernent que le FEDER et le FSE, parce que les fonds du FEADER et du FEAMP ne transitent pas par les budgets régionaux. Nous recommandons d’abord la transparence, c’est-à-dire qu’à l’occasion des débats d’orientation budgétaire des régions, les flux financiers concernant les différents fonds européens soient présentés, surtout en distinguant les deux programmations. Actuellement, la programmation précédente et l’actuelle sont souvent mises dans un pot commun. La deuxième recommandation financière, la recommandation n° 3, est de sanctuariser la trésorerie des préfinancements de la Commission européenne, afin d’anticiper la seconde période de cette programmation qui commencera à partir de 2020, où l’excédent actuel de trésorerie de financements européens va se muer en solde très largement négatif. Pour une traçabilité et par mesure de précaution, il faudrait sanctuariser cette trésorerie du FEDER et du FSE sous forme de provisions ou d’autres solutions.

La quatrième recommandation est absolument essentielle. Nous recommandons de rationaliser l’organisation de la gestion et de la programmation des fonds, d’une part en réduisant le nombre de programmes. Les programmes opérationnels ou les programmes de développement rural, pour le FEADER, sont en nombre très important – soixante-dix – ce qui conduit à des coûts de gestion démultipliés et donc à une perte d’efficience que nous avons critiquée. En corollaire, il faut fixer des priorités d’emploi en petit nombre et limiter le nombre de mesures. Pour prendre l’exemple du FEADER, pour les mesures agroenvironnementales et climatiques, les fameuses MAEC, il existe plus de 9 000 mesures différentes qui doivent chacune être implémentées par un logiciel différent, pour environ 25 000 bénéficiaires, soit un système assez compliqué. Troisièmement, il faut fixer des seuils d’aide peut-être plus élevés, car bien souvent, les montants sont très bas. Or les fonds européens ne sont pas faits pour distribuer des aides de petits montants pour lesquelles des aides nationales ou régionales sont plus adaptées. Enfin, il faut mener une réflexion sur la répartition des aides entre les différents niveaux, européen, national et régional.

La cinquième recommandation est d’encourager la création de portails ou de guichets communs à l’État et aux régions et chaque fois qu’il est possible, de mutualiser l’instruction des dossiers. En effet, le manque d’esprit de coopération entre l’État et les régions est très patent. Le constat n’est pas homogène suivant les régions. Dans certaines régions, l’esprit de coopération est tout à fait ancien et développé, mais malheureusement, dans beaucoup de régions, il est constaté une certaine rivalité, l’État se défaisant avec difficulté de ses prérogatives et les régions clamant la libre administration locale pour refuser toute coopération. Cette situation est tout à fait nuisible à la bonne gestion des fonds européens.

La sixième recommandation porte sur la nécessité de faire évoluer l’organisation du FEADER. Comme il a été dit, nous posons une recommandation de principe qui est une stabilité institutionnelle. Faire bouger les lignes entre l’État et les régions consomme énormément d’énergie qui serait mieux employée à gérer les fonds. Que ce soit pour le FEDER, le FSE ou le FEAMP, nous pensons qu’il ne faut pas revenir sur le partage réalisé lors de la décentralisation de 2014-2020. En revanche, pour le FEADER, le système actuel ne fonctionne pas. Il doit être absolument clarifié. Comme cela relève d’une décision politique, nous nous sommes bornés à définir trois scenarii que je vais développer. Nous aurions pu en proposer davantage, mais je vous indiquerai également les raisons pour lesquelles nous n’avons pas retenu les autres.

Le premier scénario est celui d’une autorité de gestion unique aux mains de l’État, soit une recentralisation complète, scénario de la Commission européenne qui a publié ses propositions en mai 2018. Pourquoi cette proposition de la Commission européenne ? Parce que telle est la situation actuelle dans vingt des vingt-huit États membres de l’Union européenne. Cette proposition a d’ailleurs toutes ses chances d’être adoptée, puisqu’elle reflète la situation dans une majorité des États membres. Ce scénario est rejeté par régions de France et a fait l’objet d’une déclaration du Premier ministre, en octobre, après une réunion avec Régions de France, disant que la France n’y était pas favorable.

Le deuxième scénario est celui d’un statu quo amélioré, l’amélioration portant sur le cadre national. Nous pourrions penser que le cadre national soit un facteur de simplification. C’est le cas en Allemagne et en Espagne, dont nous avons étudié les pratiques, puisqu’il s’agit d’un État fédéral ou largement décentralisé où la coopération institutionnelle entre l’État, les Länder ou les provinces est très bien organisée. En France, le cadre national est à la fois beaucoup moins développé – il concerne moins de mesures – et il est beaucoup moins accepté. Il a aussi laissé la voie à une imagination débridée de mesures. Je parlais tout à l’heure des mesures agroenvironnementales et climatiques, des MAEC. Ces nombreuses mesures conduisent de fait à une situation qui devient en pratique assez ingérable. Ce cadre national doit être revu et doit être un facteur de simplification et non pas de complexification, comme actuellement en France.

Le troisième scénario est celui d’une nouvelle répartition entre l’État et les régions. La situation actuelle se caractérise par une décentralisation théorique d’environ 95 % du FEADER. En pratique, l’État garde la main sur de nombreux leviers. Ce scénario consisterait en ce que l’État gère l’ensemble des mesures dites surfaciques, qui représentent environ 55 % du FEADER et qui sont gérées de la même manière que le premier pilier de la politique agricole commune, le FEAGA. Cela permettrait une cohérence en termes de gestion et de philosophie des mesures. Les régions géreraient les mesures qui ne sont pas liées à la surface des exploitations, c’est-à-dire les investissements, le développement rural, le développement local Leader, etc. qui sont des financements de projets et non pas des financements de surfaces.

Le quatrième scénario aurait été une décentralisation complète du FEADER, qui a été demandée dans le livre blanc des régions, au mois de décembre. Nous ne l’avons pas retenu parce que cette demande impliquait une multiplication des organismes payeurs, ce qui est totalement impossible. La Commission a fait savoir qu’il était hors de question de multiplier les organismes payeurs. Il nous semblait donc que ce scénario n’était absolument pas réaliste.

Enfin, la septième et dernière recommandation concerne la simplification. Le sujet est en débat. La Commission européenne a fait des propositions pour 2021-2027. Celles-ci doivent être prises en compte, ce qui nous paraît une évidence.

M. le président Éric Woerth. Je comprends que la consommation des crédits est à peu près satisfaisante et se situe dans la moyenne européenne. Je note toutefois que dans le rapport, vous revenez sur les crédits agricoles du FEDER et sur des engagements de 2015 remboursés en 2017 ou 2018. Pourriez-vous nous en dire davantage ? S’agissant du niveau des réserves, avez-vous une idée du montant national ? Je comprends qu’il s’agit d’un surplus. Les régions n’ont pas dépensé autant, le taux de subvention était inférieur, mais elles gardent l’argent. Est-ce que l’argent ne doit pas être rendu à l’Union européenne ? Ai-je bien compris ? Avez-vous une idée de ce volant de crédits mis en réserve et utilisés à d’autres fins ? Est-ce le cas ? Votre recommandation n° 3 porte sur la sanctuarisation de la trésorerie, pour le FEDER et le FSE. Pourriez-vous revenir sur sa signification ?

M. Xavier Paluszkiewicz, rapporteur spécial (Affaires européennes) C’est en ma qualité de rapporteur spécial pour les affaires européennes que j’ai eu le plaisir de vous rencontrer, le 30 avril dernier. Je vous remercie une nouvelle fois pour ce temps d’échange en cette date et vous remercie pour celui qui nous réunit présentement, et qui, j’en suis convaincu, saura éclairer votre auditoire, tout autant que vous m’ayez éclairé, vous et votre équipe, ce jour-là. Je crois même, sans exagération aucune, que cette audition, pour ma part en tout cas, fut la meilleure, la plus instructive et la plus intéressante que j’ai pu mener. Je puis vous l’assurer et ce, à bien des égards. Pourquoi ? Parce qu’il est appréciable d’observer que l’utilisation de la langue de bois ne fait pas partie de votre quotidien et que vous ne réduisez nullement vos commentaires à un angle strictement technocratique. Je pense qu’il est souhaitable de pouvoir l’indiquer présentement.

Ceci étant dit, l’idée n’est pas de réitérer mes questions, mais que vous puissiez m’apporter deux précisions en vue de mon prochain rapport qui sera accompagné d’une proposition de résolution ou de recommandations sur l’évaluation de cette politique publique. Au cours de vos travaux, avez-vous été surpris par le manque de valeur ajoutée de certains projets sélectionnés ? Par ailleurs, vous mentionnez le problème posé par la multiplication des programmes et des mesures qui conduit à l’émiettement des fonds. Pouvez-vous nous faire l’état de vos réflexions sur la pertinence d’imposer un seuil minimal à partir duquel un projet pourrait être sélectionné pour bénéficier des fonds européens ? Enfin, outre le fait que vous ayez présenté sept recommandations, quelle est cette huitième recommandation que vous n’avez pas osé mettre dans le rapport, celle qui pose débat et suscite souvent des regrets quelques mois ou quelques années après ? Merci pour ce travail important qui devra sans conteste nous aider à faire mieux dans les années à venir.

Mme Liliana Tanguy. Pierre-Henri Dumont et moi-même sommes co-rapporteurs sur l’évaluation de la gestion des fonds européens par les régions françaises. À ce titre, nous avons bien avancé dans notre mission, mais tel que l’a conclu l’enquête de la Cour, qui indique qu’il est encore un peu tôt pour réaliser un bilan circonstancié de la gestion des fonds par les régions, en page 80, nous faisons le même constat, à bien des égards. Nous souhaitions cependant compléter les travaux de notre rapport, qui sera présenté mi-juillet, par des questions aux magistrats de la Cour des comptes.

Ces questions portent tout d’abord sur les pistes d’amélioration de la gestion des fonds avancées par les régions, notamment par la Bretagne, le Centre, l’Île-de-France, les Pays de la Loire et PACA, qui plaident pour la possibilité de recourir aux options de coûts simplifiés, ce qui n’est pas mentionné dans le rapport de la Cour. Est-ce parce que cette option est d’ores et déjà avancée par la Commission européenne ? Sera-t-elle, à votre avis, une mesure de simplification efficace ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la réduction des délais de paiement, notamment pour le FEADER. Le rapport fait état, en page 92, d’un dispositif de forfaitisation pour soutenir les porteurs de projets ne disposant pas d’une trésorerie suffisante pour tenir jusqu’au paiement. L’instauration d’un tel dispositif de forfaitisation, tel que mis en œuvre par la région Hauts-de-France, vous paraît-elle envisageable pour l’ensemble des projets européens ?

Enfin, étant donné que M. Dumont et moi-même sommes députés des Hauts‑de-France et de Bretagne, nous souhaitions vous interroger sur le FEAMP, dont l’État demeure autorité de gestion du programme opérationnel unique à l’échelle nationale. À défaut d’être autorité de gestion, les onze régions littorales ont obtenu d’être des organismes intermédiaires de gestion pour environ 30 % de l’enveloppe totale du FEAMP. Le rapport que vous présentez indique, en page 96, que le maintien d’une multiplicité d’autorités de gestion et d’organismes intermédiaires engendré par ce statu quo doit pouvoir être corrigé, au bénéfice des porteurs de projets, par le développement de guichets uniques locaux. Avez-vous recueilli la position des administrations centrales sur ce point ?

M. Christophe Jerretie. Je pense que ce travail efficace et complet conduira à beaucoup d’autres réflexions. J’ai des questions assez précises sur cinq points.

La première concerne le pilotage. Dans le rapport de 2015 sur la gestion par la France des fonds structurels européens, il était recommandé d’améliorer la formation et l’accompagnement juridique des agents. Je voulais savoir si cela avait été fait. La défaillance n’est souvent pas due qu’à l’outil informatique, mais aussi à la formation.

Par ailleurs, vous parlez beaucoup de la compétence. Le triptyque autorité de gestion, services instructeurs et organismes payeurs est souvent divisé. Pour le FEADER, vous proposez notamment une recentralisation à l’État. En suivant le triptyque d’opérations et en regroupant les trois, seul l’État peut avoir cette fonction. Qu’en pensez-vous, dans le cadre d’une recentralisation du FEADER ?

Vous parlez des collectivités territoriales et je suis rapporteur spécial des crédits de la mission Relations avec les collectivités territoriales au sein de la commission des finances et rapporteur sur le cadre financier pluriannuel à la commission des affaires européennes. Vous parlez de la contractualisation « Cahors ». Or aujourd’hui, les départements, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les régions, notamment en matière d’investissements, font de la contractualisation avec leurs partenaires. Les fonds européens sont-ils intégrés à l’intérieur des contrats ou sont-ils distribués à l’extérieur ?

Ma quatrième question est liée à l’évaluation. La synthèse de la Cour des comptes européenne invite à renforcer la fonction d’audit externe indépendant des organismes créés par l’Union européenne, notamment pour les fonds européens. Je souhaitais savoir si vous étiez en phase avec cette idée. Faut-il ou ne faut-il pas des audits externes des organismes gestionnaires ?

Enfin, le titre du rapport « Améliorer, simplifier et évaluer » est quasi identique à celui du rapport de 2015.

M. Fabrice Brun. Pour illustrer mon propos, je voudrais reprendre l’exemple du programme Leader. La France dispose à ce titre de 700 millions d’euros du FEADER, sur 2014-2020, pour soutenir des projets en milieu rural. Ce programme en particulier connaît de nombreux retards et de sous-consommations de crédits, ce qui est assez paradoxal en ces temps de disette budgétaire. Nous avons identifié au moins trois causes à ces retards constatés. Vous avez souligné vous-même le décalage politique et législatif qui fait que nous ne sommes prêts que depuis 2017. Il a fallu aussi un temps de mise en place des procédures et des formations des agents des régions, pour accompagner les personnels en charge de l’instruction des dossiers. Puis, une troisième cause de dysfonctionnements, qui, à mon avis, n’a pas été suffisamment relevée, est liée à l’appareil d’État. En effet, si la programmation est régionale, le paiement est national. L’État a en charge la production des outils informatiques nécessaires, l’instruction et le paiement. Il faut s’appesantir sur la situation de l’ASP. À la complexité du montage des dossiers que vous avez vous-même soulignée, Mme la rapporteure générale, s’ajoutent des délais de paiement qui peuvent aller jusqu’à deux ans et qui ont deux niveaux de conséquence. D’une part, la mise en danger des porteurs de projets sur le terrain, qui sont fragilisés et mis en péril par ces retards de paiement. D’autre part, le découragement des maîtres d’ouvrage potentiels qui renoncent à solliciter des financements européens, ce qui est un comble au vu du besoin d’investissements structurants de nos territoires et de la dynamique des projets que connaissent nos territoires, grâce à la mobilisation des collectivités locales, des acteurs économiques et associatifs. Dans ce pays, nous disposons d’un appareil bureaucratique ou technocratique de grand niveau quand il s’agit d’inflation normative. Serait-il possible que toute cette expertise, toute cette énergie administrative, au niveau français, voire au niveau européen, soit mobilisée dans les prochaines semaines et les prochains mois, pour évaluer de manière pragmatique, pour tirer les enseignements des erreurs du passé et enfin simplifier les procédures, pour accélérer les procédures de paiement, améliorer in fine la capacité de notre pays à consommer ces crédits européens jusqu’en 2020, mais aussi préparer la programmation 2021-2027 ? En conclusion, pour l’avenir, dans la recommandation n° 6, il est proposé de faire évoluer l’architecture du FEADER selon trois scénarios. Il semblerait que l’un d’entre eux tienne la corde, celui de la recentralisation. Il est peut-être un peu facile, pour la Commission européenne, de s’orienter vers un retour de l’État comme autorité de gestion, car si elle avait voulu rendre impossible la tâche des régions en termes de gestion décentralisée de ces fonds, elle ne s’y serait pas prise autrement.

M. Mohamed Laqhila. Merci pour ce rapport qui tombe à point nommé puisque nous sommes à la veille d’échéances européennes. À l’heure où l’Europe est trop souvent incomprise et mal aimée par nombre de nos concitoyens, il est essentiel de rappeler qu’elle s’engage pour et dans notre pays. Malgré un lancement retardé des modalités de gestion que vous avez rappelé tout à l’heure, nous pouvons nous réjouir que la programmation 2014-2020 atteigne désormais son rythme de croisière puisque plus de quatre ans après son démarrage, plus de 25 000 projets, hors coopération territoriale européenne, ont déjà été financés grâce au FEDER, au FEADER ou au FSE.

Une fois ce satisfecit décerné, nous pouvons nous pencher sur le mode de fonctionnement de ces fonds et sur leur impressionnant appareillage de règles et de procédures. L’avis est unanime. L’Europe et les États membres ont fait naître, pour certains, un monstre administratif. J’en veux pour preuve l’exemple de ma région PACA, mais je pense que nous pouvons le vérifier dans d’autres régions. Notre région reconnaît qu’elle a bénéficié de 3,3 milliards de fonds européens au prix d’un renforcement du personnel régional et de la nécessité d’un pôle entièrement dédié. La Cour relève d’ailleurs un risque important de perte d’efficience dans la gestion des fonds européens. Je la cite : « La multiplication des programmes et des mesures n’a pu qu’augmenter les coûts de gestion, en particulier les coûts de personnel qui ont significativement augmenté sous l’effet d’un nécessaire développement des capacités et pilotage des fonds européens au sein de chaque nouvelle autorité de gestion, de revalorisations salariales destinées à inciter les agents de l’État à accepter leur transfert vers les régions et de la complexification du dispositif de gestion des fonds européens résultant du cadre réglementaire de la programmation 2014-2020 ». Ma question est double. Disposez-vous d’un différentiel chiffré entre ce que les fonds rapportent aux territoires et ce qu’ils coûtent aux collectivités en termes de gestion ? Dans quelle mesure pourrions-nous simplifier les procédures et permettre une gestion élargie et à moindre coût ? L’idée a été évoquée d’un guichet unique qui centraliserait toutes les demandes des collectivités.

Mme Christine Pires Beaune. Je suis surprise que la consommation des fonds européens, en France, paraisse être dans la moyenne. Je rejoins les propos du président Woerth. Il y a quelques semaines à peine, un certain nombre d’articles dans les journaux, relayés d’ailleurs à l’Assemblée nationale en question d’actualité, avaient évoqué une sous-consommation du programme Leader, avec 587 millions d’euros susceptibles de repartir à Bruxelles. Infirmez-vous ou confirmez-vous donc cet état de fait ?

Je suis surprise également de la méthode forfaitaire qui a été utilisée pour le transfert des effectifs aux régions qui, de surcroît, s’est traduite, me semble-t-il, par des compensations financières. Est-ce à dire que les agents ont refusé de muter en région ?

Ma prochaine question rejoint aussi celle du président Woerth concernant les réserves constituées par la différence entre le taux de paiement aux bénéficiaires et le taux remboursé par l’Union européenne. Si cette pratique n’est pas illégale, comme vous l’avez dit, vous avez parlé d’une utilisation problématique. Si j’ai bien compris, ces réserves serviraient à payer les pénalités ou les indus versés par l’Europe, ce qui me semble assez curieux. Est-ce à dire que l’Europe pourrait servir de ligne de trésorerie aux régions ? D’où votre recommandation de mieux gérer la trésorerie, puisque d’après votre rapport, l’Europe verse des avances supérieures à la consommation, durant les premières années du programme.

Je terminerai par un exemple. Vous avez parlé des bénéficiaires. Je suis conseillère municipale dans une commune de 1 600 habitants. Nous avons obtenu une subvention de 11 000 euros pour des tableaux blancs interactifs (TBI). Les TBI ont été installés en juillet 2017. Nous avons eu à ce jour une quinzaine d’échanges avec la région et nous n’avons toujours pas perçu la subvention. Les collectivités ont peut-être les reins solides, les associations beaucoup moins. Je suis assez surprise de ce portrait idyllique au regard de ce que je peux constater en région.

M. Jean-Paul Dufrègne. Le transfert mal anticipé et partiel n’a fait qu’aggraver une gestion des fonds européens qui était déjà très complexe, associée à des retards de paiement inacceptables mettant en difficulté les bénéficiaires. Ainsi, aujourd’hui, de nombreux porteurs de projets hésitent à solliciter les fonds européens. J’entends fréquemment qu’il faut demander des fonds européens lorsque l’on n’en a pas besoin, ce qui fait du mal à nos territoires. Si nous avons la malchance d’avoir un contrôle qui bloque les paiements, la situation devient pénible. La cerise sur le gâteau, c’est quand le contrôleur est lui-même contrôlé. Bref, des règles très compliquées, parfois peu compréhensibles, des instructions lourdes, des paiements aléatoires : il n’en faut pas plus pour jeter le discrédit sur des programmes pourtant indispensables au développement de nos territoires et la détérioration de l’image elle-même de l’Europe aux yeux de nos citoyens.

Comment allez-vous simplifier cette gestion pour que ces fonds retrouvent le rôle qui leur est dévolu ? Il faut de l’efficacité et de la réactivité. Il faut se mettre en cohérence avec la réalité vécue par les porteurs de projets sur les territoires et enlever toutes ces démarches administrées qui font peur à tous les acteurs et qui conduisent à renoncer à des projets, ce qui est particulièrement préjudiciable. Il faut des réponses pragmatiques, adaptées aux situations que vivent les porteurs de projets, qui n’ont pas toujours le temps nécessaire pour instruire les dossiers et apporter tous les éléments demandés.

M. Philippe Vigier. Nous sommes à quatre jours d’un scrutin capital et nous évoquons la gestion des fonds européens. Moi qui ai eu la chance d’en gérer pendant quinze ans, je confirme tous les propos tenus par mes collègues. La gestion de ces fonds apporte une image absolument dramatique du fonctionnement. On jette la pierre à l’Europe, mais les difficultés tiennent en fait à toutes les complications que l’État français a voulu apporter. Je rappelle un petit mot d’histoire Alors que Lionel Jospin est Premier ministre, les régions lui demandent de transférer les fonds. Il refuse. En 2004, l’Alsace commence à faire ses expérimentations et tout est fait pour reconcentrer. Au sein de mon groupe, nous sommes pour la décentralisation. Si j’ai bien compris, ce pays attend une décentralisation : faisons confiance aux collectivités territoriales, aux régions.

Prenons un exemple. Gérant actuellement un programme européen Leader, je suis à vingt-six mois d’attente de paiement. Lorsqu’une modification d’un centime apparaît sur une facture par rapport à ce qui était initialement prévu, tout est reprogrammé et on nous donne des plages horaires pour reprogrammer, parfois le vendredi, de 20 heures à 22 heures. C’est le vécu quotidien.

Alors, je suis très surpris que l’une de vos propositions est de confier de nouveau l’autorité de gestion exclusivement à l’État. De grâce ! Ce choix conduirait à tout reconcentrer, alors qu’un grand élan a été donné aux régions. Pour le FEADER, le FSE et le FEDER, faites confiance aux régions. Vous avez tous les moyens de contrôle. Il faut aller plus loin dans vos propositions. Vous dites qu’il faut parler des fonds européens lors des orientations budgétaires. Il faut aller plus loin. Il faut dissocier les autorisations de programme et les crédits de paiement, opération par opération, de manière à offrir une visibilité la plus totale et mettre fin à la situation actuelle, notamment dans ma région Centre-Val de Loire. Les directions départementales des territoires (DDT), qui assurent l’instruction, ont été décapitées depuis quelques années. Les dossiers sont donc instruits par les DDT dans les régions qui n’ont pas les effectifs nécessaires et nous attendons de longs mois. L’efficience et la confiance se perdent. De plus, le fameux document régional de développement rural est différent entre les régions. Je suis allé à Bruxelles pour comprendre le fonctionnement et j’ai compris comment, dans d’autres pays d’Europe, le système était beaucoup plus souple et adaptable que chez nous. L’administration française a complexifié cette gestion. Simplifiez, donnez les compétences aux régions, faites les contrôles que vous souhaitez. Vous avez parlé d’Osiris avec talent ; je n’y reviendrai pas. Vous avez parfaitement raison. Quant à l’ASP, la situation est vraiment insupportable.

Dans ce rapport, vous avez bien cerné les difficultés. Je suis en revanche assez surpris par les scenarii de la recommandation 6. Le premier est de confier l’autorité de gestion exclusivement à l’État, ce qui serait un recul considérable, à l’envers de la décentralisation attendue. Le second est d’améliorer le statu quo en simplifiant le cadre national. « Améliorer le statu quo » fait réfléchir et je pense qu’il ne faut vraiment pas suivre cette voie.

Je termine en disant que pour l’association qui gère notre contrat européen, nous sommes à 230 000 euros de lignes de trésorerie. Nous nous portons caution pour que les personnes soient payées. Ne faites plus jamais cela ; vous découragez tout le monde.

M. Jean-René Cazeneuve. J’ai trouvé très intéressant ce rapport qui décrit assez bien l’usine à gaz qui a été construite sous le mandat précédent. Je voudrais d’abord rappeler le travail qui a été fait par la délégation aux collectivités territoriales, dans le cadre de la validation du dispositif des zones de revitalisation rurale et qui mettait en avant tous les dysfonctionnements que vous avez décrits. J’ai un certain nombre de questions. D’abord, je crois comprendre, dans votre rapport, que l’Europe fait une avance de trésorerie vis-à-vis des régions et que le délai de paiement vers les utilisateurs est extrêmement long, ce dont tout le monde se plaint. C’est tout à fait contre-intuitif. Je me pose vraiment des questions sur la sincérité des comptes des régions. Avez-vous constaté des écarts significatifs sur l’utilisation de ces fonds entre les régions ?

Dans la quatrième recommandation, vous semblez dire qu’il faut concentrer les programmes. Est-ce que vous ne courez pas le risque de moins aider les territoires ruraux qui portent des programmes de plus petite taille ? Comment envisagez-vous l’articulation avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires ? L’Agence ne peut-elle pas jouer un rôle de relais vis-à-vis de ces territoires ?

Enfin, concernant la recommandation 6, vous avez multiplié les exemples pour démontrer une imbrication de gestion entre l’État et les régions. Vous avez sous-entendu qu’il fallait que l’État lâche prise sur un certain nombre de choses. Je suis également plutôt favorable à ce que l’on donne davantage de responsabilités aux régions sur ce sujet.

M. Marc Le Fur. Je voudrais insister, dans mon intervention, sur le programme Leader qui est l’un des aspects les plus sensibles. J’apprécie votre travail, vous avez bien souligné la complexité et le manque de concertation. De manière très intéressante, vos conclusions se rapprochent du travail effectué par l’association des programmes Leader, présidée par Thibaut Guignard, qui a su également mettre en exergue ces difficultés. Retards, lourdeurs, coûts de gestion et le plus embêtant, découragement : un certain nombre d’associations, pour des raisons de trésorerie, ne peuvent pas vivre avec de tels délais et demain, renonceront à des projets qu’elles auraient pu financer avec le concours de crédits européens Leader. C’est donc un échec. Objectivement, la situation antérieure n’était pas idéale, mais le système fonctionnait un peu mieux. Je suis plutôt régionaliste et je regrette que loin d’améliorer la situation, l’intervention des régions ait plutôt aggravé la difficulté. À qui est-ce dû ? Je ne suis pas là pour faire des procès, mais en tout état de cause, chacun se renvoie aujourd’hui la balle, les régions à l’État, l’État aux régions. C’est inadmissible et inaudible.

Philippe Vigier a été pendant quinze ans gestionnaire d’un programme Leader ; je l’ai été pendant vingt ans. Cela ne donne pas une priorité pour m’exprimer, mais cette gestion a toujours été très compliquée, parce qu’elle conjugue la complexité de Bruxelles et la complexité de Paris, ce qui fait beaucoup pour un petit territoire rural qui a bien d’autres choses à faire. Généralement, ce sont des petites unités. Je m’inscris en faux contre votre propos, madame la rapporteure générale, si je m’y autorise. Il ne faut surtout pas mettre un seuil minimum sur les projets et les aides. Le programme Leader est destiné à des projets ruraux, à de petits projets adaptés à des territoires. Nous sommes dans un monde qui a pris conscience, depuis novembre dernier, de ces territoires, qu’on le veuille ou non. Respectons-les et soyons à leur échelle dans l’intervention publique. La gestion a toujours été très compliquée. Elle l’était moins au début parce que l’autorité de gestion et l’autorité de paiement étaient les mêmes. Nous avions à faire à un interlocuteur qui, parce qu’il connaissait le sujet dès le départ, ne posait pas de problème à la fin. Désormais, l’autorité de paiement découvre le sujet uniquement au moment du paiement, comme un comptable public en quelque sorte. Il faut une adéquation entre l’autorité de gestion et l’autorité de paiement. Est-ce que ce doit être l’État ? Est-ce que ce doit être la région ? La question peut faire débat, mais il faut que ce soit une seule et même autorité. Elle peut se distinguer en fonction des projets. En tout état de cause, la situation est aujourd’hui dramatique et elle n’est pas à mettre au crédit des régions, y compris la mienne hélas, puisque la région Bretagne est très mal classée dans l’attribution des crédits.

M. Jean-Louis Bourlanges. J’irai dans la même voie que le président Vigier, avec sans doute beaucoup moins d’ardeur polémique et poserai d’abord des questions sur la structure. Vous présentez les structures de façon assez claire. Le FEDER est décentralisé à 80 % et vous semblez vous en satisfaire. Le FSE est partagé et apparemment, la répartition ne pose pas problème. Comme l’a dit notre collègue Vigier, le problème se pose pour le FEADER. Vous le dénoncez de façon très claire parce que cette décentralisation en trompe-l’œil est la pire des choses. Il faut qu’il soit géré soit par l’État, soit par la région. Je suis un peu frustré également par la recommandation 6. Que voulez-vous exactement ? La seule chose qui émerge est plutôt la reconcentration au profit de l’État. Vous avez donné une explication politico-sociologique extrêmement convaincante, à savoir que le monde agricole était assez jacobin et était attaché à cette centralisation. Quelle est la signification exacte des deux autres options ? Améliorer le statu quo, changer le statu quo est un projet oxymorique et la gestion des subventions surfaciques nous laisse sur notre faim. Je crois que se pose un réel problème de définition de ce que l’on fait sur le FEADER.

Par ailleurs, vous dites que les financements sont reçus avant d’engager les dépenses, ce qui provoque un décalage. Ma question est simple. Faut-il retarder les financements ou accélérer la dépense ?

Un élément m’a laissé perplexe. Je ne le savais pas et vous avez rappelé qu’il était légal, ce qui me rend encore plus perplexe. Lorsque les règlements européens prévoient le financement d’un certain nombre d’opérations à 50 % par les fonds structurels, les régions et/ou l’État se permettent de financer à 40 %, ce qui constitue une réserve dont vous notez qu’elle était mal utilisée, parce qu’elle ne servait pas à l’objet en question. Comment est-ce possible ? Comment peut-on y remédier ?

Enfin, vous avez évoqué les problèmes très intéressants des contrats « Cahors ». Le tassement des financements par les régions entraîne un phénomène d’éviction puisque les fonds structurels ne trouvent pas leur contrepartie dans les fonds régionaux. Est-ce que cela vous paraît très significatif sur le plan financier ou simplement marginal ?

M. Charles de Courson. Je voudrais tout d’abord partager votre diagnostic. Simplement, vous n’avez pas abordé un problème central qui est l’effet de substitution. Vu cette incroyable mécanique, notamment sur le FEADER, n’y a-t-il pas des effets de substitution ? Je l’ai vécu dans des dossiers dont j’étais le responsable. Nous avons substitué des crédits régionaux parce qu’après deux ans, nous ne pouvions pas continuer de cette façon. La région a décidé de nous payer et de se débrouiller. Avez‑vous pu mesurer l’effet de substitution dans les quatre régions que vous avez examinées ?

Dans votre diagnostic, vous avez été très flou sur le problème des réserves. Ce qui a été fait est complètement irrégulier. Vous avez saisi la Cour de discipline budgétaire et financière, si j’ai bien compris. Il faut que des sanctions tombent. C’est une gestion incroyable des fonds publics. Vous avez dit que la France était dans la moyenne, mais nous devrions nous comparer aux meilleurs. Comment font les pays où la gestion de ces fonds fonctionne bien ? Pourriez-vous approfondir le diagnostic ?

Maintenant, j’en viens aux remèdes. Vous savez tous qui est Osiris. C’est le dieu de l’agriculture. En l’occurrence, il est plutôt le démon de l’agriculture. Que s’est-il passé ? Comme vous l’avez évoqué, on a tout laissé faire aux régions sur les MAEC. Une région comptait parfois deux ou trois bénéficiaires de cette MAEC. Ils mettaient un temps infini. Osiris a explosé en vol, parce qu’il n’était pas calibré pour gérer 9 000 MEA. J’ai demandé des explications au DTT qui m’a dit que lui avait été imposé un outil totalement inadapté à la multiplicité. Il a été choisi par les régions, à leur décharge, mais il n’était pas adapté. Il a explosé en vol et nous sommes incapables de payer. Il faut aller plus loin dans la première recommandation, abandonner Osiris, faire un nouveau système et l’encadrer, c’est-à-dire revenir sur la multiplicité des MEA.

Quant à la troisième recommandation sur la sanctuarisation de la trésorerie, « sanctuariser » ne veut rien dire. La trésorerie est fongible. Il faut imposer un budget annexe, afin de pouvoir suivre, à tout moment, l’état de consommation des crédits. Il ne faut pas sanctuariser. J’ai quelques autres suggestions. Il faut mettre fin à la déconcentration.

M. Patrice Anato. Mon propos tient aux neuf régions ultrapériphériques de l’Union européenne. Nous en avons six en France, à savoir la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin. En raison de leur situation économique et sociale structurelle aggravée par leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief, le climat difficile et leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, les régions ultrapériphériques bénéficient de la possibilité d’utiliser les FESI pour financer à hauteur de 85 % les projets sélectionnés, contre 50 à 60 % en métropole. Bien que la population de ces territoires ultramarins représente 3,2 % de la population nationale, ils recueillent près d’un cinquième des financements des FESI, soit 4,8 milliards pour la période 2014-2020. Dès lors, vos conclusions sur ces régions sont intéressantes à bien des égards. Or à l’exception de La Réunion, le constat est plutôt mitigé. Il est vrai que certains exemples d’utilisation des fonds européens soulèvent des interrogations, comme par exemple le mémorial ACTe en Guadeloupe, qui est passé d’un coût de 21 à 76 millions à la faveur d’une réorientation de projets ou encore le projet de transport en commun en site propre à la Martinique. Ma question est la suivante. Quels sont, d’après vous, les mécanismes qui pourraient permettre de corriger les défaillances de gestion et le manque de transparence pointés dans votre rapport ? Enfin, constatez-vous des différences entre Mayotte et les autres régions ultrapériphériques, étant donné que depuis 2014, la gestion des FESI, à Mayotte, reste assurée par l’État ?

M. Dominique Antoine, président de la formation inter-juridictions de la Cour des compte. Monsieur le Président, Madame la Présidente, je voudrais remercier Mmes et MM. les parlementaires de l’intérêt qu’ils ont manifesté à la prise de connaissance de notre travail. Je voudrais juste faire une remarque de méthode liminaire. Nous ne sommes pas favorables au gouvernement des juges, nous ne dirons pas ce qu’il faut décentraliser ou non. Cette décision est d’opportunité politique. L’institution de la Cour des comptes conserve cette ligne très claire. Nous essayons d’éclairer les choix à faire.

Nous avons peut-être été maladroits dans l’exposé de la recommandation 6 et nous sommes disposés à reprendre les explications, mais nous n’avons pas de préférence entre telle ou telle alternative présentée. Nous essayons de livrer un seul message et je le dis avec le soutien explicite du Premier président Didier Migaud, avec lequel nous avons échangé sur cette question. Mesdames et Messieurs les politiques, vous décentralisez ou non, mais nous vous recommandons d’être cohérents. Si vous décentralisez, décentralisez vraiment. Si vous ne décentralisez pas, tirez-en également les conséquences. Le FEADER est l’exemple type d’une situation délicate, parce que l’alternative n’a pas véritablement été tranchée. Les experts de la Cour des comptes, que nous essayons d’être, n’ont pas d’opinion sur la direction dans laquelle il convient d’aller.

Monsieur le président Woerth, vous avez évoqué la consommation des crédits. À la fin de l’année 2018, pour le FSE, la France avait engagé 57 % des fonds qui lui étaient attribués, ce qui est proche de la moyenne européenne de 61 %. Elle est parvenue au paiement de 29 % des FESI, soit davantage que la moyenne européenne qui est de 22 %. Pour le FEADER, le taux de paiement est environ de 35 %, également dans la moyenne européenne. Nous convenons, avec les orateurs qui se sont exprimés en ce sens, que ce constat n’est pas complètement satisfaisant. Nous avons évité une mauvaise nouvelle qui aurait été la remontée de fonds européens, faute de les avoir dépensés, même si nous avons déjà eu l’occasion de dire que la dépense à tout prix n’est pas, pour nous, un horizon unique. Il faut veiller à ce que la dépense soit respectueuse des règles et respecte l’efficacité et l’efficience. Cela dit, il aurait été navrant de devoir remonter des crédits fin 2018 en raison d’une accumulation de retards. Cela ne s’est pas produit, ce qui est plutôt satisfaisant. Il est toutefois insatisfaisant pour nous de ne pas être parmi les meilleurs en termes de programmation et de consommation. Voilà le jugement que nous portons.

En ce qui concerne les mises en réserve, l’ampleur du phénomène ne pourra être véritablement mesurée qu’à la fin de la gestion, lorsque les bilans seront tenus. Nous avons quelques indications sur la programmation précédente puisque nous avons travaillé, l’année dernière, sur l’outre-mer s’agissant des fonds européens. Notre travail a donné lieu à une insertion dans le rapport public 2019 de la Cour des comptes qui résume nos messages. En Guadeloupe et à La Réunion, nous avions constaté, pour le FEDER, que les réserves atteignaient 62 millions d’euros, 17 millions d’euros en Guyane et 21 en Martinique, ce qui représente des proportions comprises entre 5 et 10 % des montants. Ces cas ne sont pas purement ultramarins. Nous avons constaté des phénomènes du même ordre dans les territoires métropolitains, mais nous n’avons hélas pas encore de chiffres précis à vous soumettre.

Comment ces réserves sont possibles ? Par le mécanisme que nous avons essayé de décrire, qui est une forme de thésaurisation du surplus résultant de l’écart entre le taux utilisé par l’Union européenne pour servir la France ou les régions françaises et le taux utilisé par les régions françaises pour servir les bénéficiaires. Pourquoi cet écart ? Ce n’est pas machiavélique. Simplement, la contrepartie nationale peut parfois être supérieure à ce qui avait été anticipé. Ce cas de figure peut exister. Dans d’autres cas, ces réserves sont moins explicables. Je confirme que nous avons des preuves qui montrent qu’il arrive que ces excédents soient utilisés pour effacer les conséquences des pénalités financières. Dans d’autres cas, les excédents sont versés dans la trésorerie générale des collectivités, sans que l’on sache tracer exactement l’usage qui en est fait. Cela donne lieu à des conversations qui, à une certaine époque, ont été très vigoureuses entre le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), au nom de la France, et les autorités européennes, qui ont cherché à régulariser cette situation. Or la lettre des règlements européens ne l’a pas permis, ce que le SGAE, au nom de la France, a démontré. Il est possible que le dernier mot ne soit pas dit et qu’au moment de la clôture de la reprogrammation 2014‑2020, le débat reprenne et la Commission revienne sur ces sujets. La Commission a manifestement tiré les conséquences de cette situation pour la programmation prochaine, ce qui paraît absolument évident.

Quant aux suites, nous avons, comme vous le savez, un parquet à l’intérieur de nos murs. Le parquet général est naturellement saisi de ces questions. L’irrégularité ne porte pas tant sur la constitution même de la réserve que sur son utilisation. Nous sommes notamment choqués lorsqu’une direction en administration centrale nous dit que la Commission sera plus rigoureuse sur ces questions dans la programmation prochaine et qu’elle peut donc provisionner dès maintenant sur la programmation actuelle. Puisqu’il ne sera bientôt plus possible de provisionner de cette façon, il faut mettre de l’argent en réserve dès maintenant pour plus tard. Je ne saurais être aussi éloquent que mon ex-collègue, aujourd’hui parlementaire.

Mme Christine de Mazières, rapporteure générale de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes. Cette situation concerne également l’État et non pas uniquement les régions. L’État, en tant qu’autorité de gestion, constitue aussi des réserves et tous les autres pays le font depuis très longtemps. Ces réserves ne sont pas que du fait des seules régions et dues à la décentralisation. Parfois, des réglementations d’aide d’État limitent les financements. Des raisons objectives peuvent donc amener à faire des réserves.

M. Dominique Antoine, président de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes. Plusieurs d’entre vous ont évoqué la sanctuarisation des crédits européens dans les régions et leur traçabilité. Il existe en effet des solutions techniques comme le budget annexe. Nous ne sommes pas allés jusqu’à recommander ces pratiques, parce que nous avons été arrêtés par le souci de respecter la libre administration des collectivités. Nous aurions pu imaginer une recommandation à l’attention de la direction générale des collectivités locales – nous en avons d’ailleurs discuté avec le directeur général – afin de contraindre les collectivités régionales à avoir une gestion plus saine. La collégialité, au sein de la Cour, n’a pas choisi cette option. En revanche, nous avons tracé une recommandation très précise et très claire sur la nécessité de mieux préserver la trésorerie issue des fonds européens.

Autre remarque à caractère général, notre mandat et le délai qui nous était imparti ne nous ont pas permis d’examiner l’usage fait des fonds européens. Nous n’avons pas pris un échantillon de projets. Il serait d’ailleurs un peu tôt pour le faire. Nous l’avons fait sur les fonds européens en outre-mer, pour la programmation 2007-2013. Dans ce rapport, en revanche, nous n’avons pas examiné l’usage des fonds, ce qui est un peu frustrant, y compris pour nous, mais nous ne sommes pas en mesure de donner une expertise sur la qualité des usages qui ont été faits des fonds européens en soutien des projets.

Mme Christine de Mazières, rapporteure générale de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes. Sur le programme Leader, nous confirmons que les paiements sont extrêmement en retard. La situation vient de s’améliorer à la suite des communications insistantes, mais nous étions quasiment le dernier pays de l’Union européenne pour les paiements de Leader. C’est l’effet de ce manque de clarté absolue de la gestion du FEADER. Leader étant des mesures de petits montants, elles sont souvent mises au dernier rang des priorités. Osiris, qui est également la divinité tutélaire de Leader, puisque cette mesure relève de ce système d’information, n’est absolument pas adapté à la gestion décentralisée et fine. Ce système d’information a été créé uniquement pour l’organisme payeur et pour le sécuriser d’un point de vue juridique, ce qu’il ne fait pas d’ailleurs. Nous suggérons, dans notre première recommandation, de remplacer Osiris. Je vous le confirme.

Nous avons étudié la situation en Allemagne et en Espagne, qui arrivent à utiliser beaucoup mieux Leader. En Espagne, Leader est même inclus dans les mesures dites du cadre national. Ce n’est pas le cas en Allemagne, mais les Länder et l’État fédéral sont entièrement d’accord sur les critères. Les critères de sélection ne sont pas infinis. Les systèmes sont beaucoup plus cadrés, par la négociation entre les différents niveaux. Leader peut justifier tout à fait nos recommandations de rationaliser les mesures et de parvenir à une meilleure coopération entre l’État et les autorités de gestion régionales.

M. Dominique Antoine, président de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes. Sur les contrats de type Cahors, nous avons constaté l’existence d’un risque, mais pour l’instant, aucun effet d’éviction n’est démontré à nos yeux. Les préfets seront chargés de faire un point, à partir du mois de juin, sur ces questions. Tout dépendra de l’ampleur du problème. L’approche devra être pragmatique. Nous allons essayer de mesurer l’impact éventuel de cette mécanique de restriction apportée aux dépenses de fonctionnement sur la consommation des fonds européens. Le sujet se pose davantage sur le FSE que sur le FEDER, puisqu’il s’agit de crédits de fonctionnement et non pas d’investissement. Pour l’instant, une vigilance est nécessaire, confiée aux préfets. Les réactions seront appropriées, si ce risque se révélait avéré.

Quelques améliorations ont été proposées. Les coûts simplifiés, pourquoi pas ? Cette question n’a pas été suffisamment développée dans notre rapport, mais nous trouvons que cette piste, mise en avant par les régions, est plutôt bonne. En revanche, certains d’entre vous se sont élevés contre l’idée d’un seuil minimal d’intervention. Nous comprenons la logique qui consiste à servir beaucoup de bénéficiaires, y compris modestes. Le coût de gestion est considérable pour chaque mesure et peut dépasser largement le montant de la subvention. Nous qui sommes soucieux de l’efficience, nous apportons ce point de vigilance en recommandant de limiter ce fractionnement, afin de ne pas dépenser davantage en frais de gestion que pour satisfaire les bénéficiaires.

Mme Corinne Soussia, conseillère maître, présidente de section à la Cour des comptes. Un mot sur la simplification qui a été évoquée tout à l’heure. Sur la programmation 2014-2020, nous avons eu le sentiment que la première préoccupation était d’éviter les dégagements d’office, les corrections financières et d’essayer de faire du sur-mesure, lorsque c’était possible, non seulement sur le FEADER, mais aussi sur d’autres programmations. Les auditions que la Cour a menées pour produire le rapport définitif montrent une prise de conscience des conséquences de cette priorisation des préoccupations de la part des autorités de gestion et des autorités de coordination nationale par fonds. L’idée de faire moins de sur‑mesure et plus de simplification, dans une perspective de service aux porteurs de projets, me semble avoir progressé dans l’anticipation de la programmation future. L’idée que le sur-mesure n’est pas toujours la meilleure solution et qu’en revanche, la simplification peut être tous azimuts, y compris parce que la Commission a ouvert des perspectives dans ce sens, pourrait progresser. Sur les programmations précédentes, nous avons pu constater que toutes les possibilités n’étaient pas utilisées. Que les autorités de gestion soient décentralisées ou non, de nombreuses perspectives de simplification n’avaient pas été complètement instruites par les autorités nationales. La porte s’ouvrant plus largement dans ce domaine, la Cour incite – c’est le sens de la dernière recommandation – les autorités qui préparent la programmation future à en tenir compte, non seulement sur l’architecture de gestion, mais également sur les procédures et le cas échant, sur l’audit et le contrôle, la perspective étant l’accompagnement du porteur de projet et la lisibilité des délais de paiement. C’est un point important.

M. Dominique Antoine, président de la formation inter-juridictions de la Cour des comptes. Je reviens en quelques mots sur le sujet très important d’Osiris. Notre recommandation n° 1 est bien de remplacer Osiris. Elle est claire et nette. Le point de non-retour a été dépassé. Alors que les fonctionnaires sont parfois prudents en disant qu’au vu de l’investissement important, il ne faut peut-être pas repartir de rien, nous affirmons, dans le rapport, qu’il faut remplacer Osiris. Il faut le décider dans les semaines ou les jours qui viennent. D’où le préalable institutionnel.

M. le président Éric Woerth. Merci à l’ensemble de l’équipe de la Cour pour ce très beau travail qui a suscité beaucoup d’intérêt. Nous avons notamment découvert le mécanisme des réserves.

Mme la présidente Sabine Thillaye. Je me joins à ces remerciements. Pour aller plus loin, peut-être faudrait-il évaluer les programmes et leur contenu, pour savoir s’ils sont en adéquation avec les besoins de chaque région.

 

 

La séance est levée à 18 h 05.

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M . Patrice Anato, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Yolaine de Courson, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Frédérique Dumas, Mme Christine Hennion, M. Christophe Jerretie, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Nicole Le Peih, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. Mme  Aude Bono-Vandorme, M. André Chassaigne

Assistait également à la réunion. M. Bruno Gollnish (membre du Parlement européen)