Compte rendu

Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation

Journée déchange sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique

– Présentation du rapport de la mission d’information pour une nouvelle régulation de l’audiovisuel à l’ère numérique (M. Pierre-Yves Bournazel, président, et Mme Aurore Bergé, rapporteure)              2

– Ouverture de la journée d’échange........................24

– Intervention de Mme Françoise Nyssen, ministre
de la Culture......................................25

– Première table ronde : « Vers une nouvelle alliance entre les acteurs nationaux ? » 29

– Deuxième table ronde : « Quel partage de la valeur à l’ère numérique ? »41

– Intervention de M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques 52

– Troisième table ronde : « Quel(s) régulateur(s) pour quelle régulation ? »56

– Intervention de M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État chargé du Numérique 66

Jeudi
4 octobre 2018

Séances de 9 heures
et de 14 heures

Compte rendu n° 5

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
M. Bruno Studer,
Président
 


  1 

COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE LÉDUCATION

Jeudi 4 octobre 2018

La séance est ouverte à neuf heures cinq.

(Présidence de M. Bruno Studer, président de la Commission)

———

Journée déchange autour du rapport dinformation sur la nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique ([1]).

 

Présentation du rapport de la mission dinformation pour une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à lère numérique (M. Pierre-Yves Bournazel, président, et Mme Aurore Bergé, rapporteure)

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, nous entamons cette journée consacrée aux travaux de la mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique par la présentation du rapport de notre collègue Aurore Bergé, que la mission a approuvé, à l’unanimité, mardi 2 octobre.

Je rappelle que cette mission de dix-huit membres, présidée par Pierre-Yves Bournazel, a été créée par notre commission le 31 janvier dernier afin :

– de réfléchir globalement à l’impact de la révolution numérique tant sur les acteurs que sur les vecteurs et les consommateurs des médias audiovisuels,

– et de faire des propositions pour une nouvelle organisation du cadre législatif et réglementaire de l’exercice de la liberté de la communication, mais aussi de la régulation d’un secteur essentiel tant pour la culture, les créateurs et l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, que pour l’économie française et européenne.

La mission a débuté ses travaux mi-février et a mené un travail approfondi, nourri de très nombreuses auditions et rencontres, afin d’étudier tous les aspects et enjeux d’une réforme que j’estime incontournable pour cette législature.

Le rapport qui nous est présenté aujourd’hui constitue un document de réflexion et de proposition fouillé, argumenté et percutant qui nous permettra, bientôt j’espère, d’exercer notre mission de législateur de façon efficace et éclairée.

C’est donc avec plaisir et intérêt que je vais maintenant donner la parole au président Pierre-Yves Bournazel et à la rapporteure Aurore Bergé afin qu’ils nous rendent compte des travaux de la mission d’information et de ses propositions.

Je vous rappelle que cette réunion de commission sera suivie de plusieurs tables rondes qui nous permettront, de façon tout à fait innovante, d’échanger largement avec l’ensemble du secteur, et d’entendre le point de vue de deux ministres et d’un commissaire européen sur les propositions de la mission d’information.

Je salue, à ce propos, les intervenants présents que nous avons, à titre exceptionnel, invités ce matin à assister aux travaux de notre commission.

Je vous informe également que l’ensemble de cette journée est diffusé en direct sur le site internet de l’Assemblée ainsi que, pour la première fois, sur la page Facebook de l’Assemblée.

Monsieur Bournazel, vous avez la parole.

M. Pierre-Yves Bournazel, président de la mission. Nous présentons aujourd’hui le rapport d’une mission pour laquelle je crois que le Parlement a joué son rôle à plein. En effet, nous nous sommes inscrits dans la perspective d’un texte du Gouvernement à venir qui entreprendrait de refonder la loi audiovisuelle, mission complexe mais dont nous avons acquis la conviction qu’elle était indispensable. Nous avons entendu, pour cela, pas moins de deux cent vingt-deux personnes pendant six mois. Elles ont nourri dans leur diversité notre réflexion par leurs contributions utiles et toujours constructives. Nous avons ensuite pris le temps de la réflexion pour peser chaque proposition du rapport.

La législation, et la réglementation qui l’accompagne, est en effet particulièrement complexe et imbriquée : impossible de toucher un pan de la régulation applicable à l’un des acteurs sans que cela n’ait un effet sur un autre. Il a donc fallu rechercher un nouvel équilibre, qui tiendrait notamment compte de l’émergence de nouveaux acteurs de l’audiovisuel, dont ce n’était pas nécessairement le cœur d’activité initial. Je pense en particulier à Google et YouTube, moteur de recherche et plateforme « UGC » (user generated content) qui produisent désormais des films et viennent de lancer des séries, mais aussi à Apple, fabricant de terminaux et magasin d’applications, à Netflix, dont l’activité première était la livraison de DVD en location, etc.

C’est dire si le paysage audiovisuel que nous connaissons est en pleine recomposition. La chaîne classique de la création, qui va de l’auteur jusqu’au diffuseur et au distributeur en passant par le producteur, est chamboulée par de nombreux opérateurs qui intègrent progressivement l’ensemble de ces fonctions. C’est le cas des GAFAN ([2]) mais aussi, en France, des opérateurs de télécommunications qui se lancent progressivement dans la bataille des contenus.

Les acteurs dits « historiques » n’ont pas pour autant disparu, mais peinent à conserver leur place dans ce secteur économique en mutation, notamment en raison d’asymétries de régulation extrêmement handicapantes. C’est d’ailleurs, je crois, la ligne de nos travaux : rechercher tous les moyens de réduire ces distorsions réglementaires pour permettre à tous de jouer à armes égales.

Pour réduire cette asymétrie, deux voies d’action doivent à mon sens être privilégiées : d’une part, assouplir la règlementation et alléger la fiscalité applicable aux acteurs historiques ; d’autre part, élargir la réglementation aux acteurs du numérique qui jouent un rôle dans l’écosystème audiovisuel. Au-delà, une simplification apparaît également indispensable pour répondre à la sédimentation normative dont la loi de 1986 a, de façon logique, fait l’objet.

« Assouplir, élargir, simplifier », tels sont les maîtres mots qui devront guider, à mon sens, l’action du législateur dans les mois à venir. J’espère que vous en serez tous, ici, aussi convaincus que je ne le suis.

Vous l’aurez compris, je suis tout à fait en accord avec l’immense majorité des propositions de ce rapport. Je crois que nous avons eu plaisir à travailler ensemble, madame la rapporteure, et je tiens à vous remercier pour la qualité exemplaire de votre engagement tout au long de cette mission.

Il est toutefois un point que je souhaiterais approfondir ici, qui est celui du service public. Et, je le dis clairement, il n’engage que moi et mon avant-propos.

Une réflexion sur sa transformation doit être menée dans la perspective d’un double mouvement : celui de la mutation profonde de son environnement, au même titre que les acteurs privés du secteur ; celui de la nécessaire réforme de l’État dans laquelle il ne peut manquer de s’inscrire. Il faut aujourd’hui redonner du sens à ses missions, moderniser son organisation et définir ensuite le mode de financement qui en découle.

Le service public joue un rôle de transmission, de cohésion sociale, d’émancipation individuelle parfois, et de vecteur de la vie démocratique. Cependant, alors que l’offre en matière audiovisuelle n’a jamais été aussi abondante et ouverte, la pertinence et la plus-value du service public semblent avoir besoin d’être re-légitimées, en particulier auprès de la jeunesse.

L’ambition de différenciation du service public doit notamment se traduire par un contrat d’objectifs et de moyens (COM) plus exigeant en matière de diversité d’exposition des œuvres culturelles, et singulièrement de nouveautés. Cette exigence de différenciation passe par un effort d’éditorialisation du cinéma, de la création musicale et du spectacle vivant. À titre d’exemple, en matière de cinéma, l’absence d’une émission de grande écoute permettant de contextualiser un film, de faire la pédagogie de l’histoire du septième art et de faire découvrir des artistes constitue un manque criant pour France Télévisions.

La réussite de la modernisation de l’audiovisuel public réside aussi dans sa capacité à construire un « média global ». Dans la poursuite de cet objectif, les orientations de la ministre de la Culture visant à favoriser les synergies et les rapprochements, comme le projet d’une matinale commune à France Bleu et France 3, vont dans le bon sens.

L’enjeu semble également résider dans la capacité de l’audiovisuel public à disposer d’une continuité dans sa direction afin de mettre en œuvre des réformes structurelles et de développer une stratégie éditoriale de long terme. La comparaison avec la stabilité des équipes dirigeantes des chaînes privées demande en effet une réflexion sur ce point de gouvernance. Une désignation du président de France Télévisions ou de Radio France par le conseil d’administration, garant de continuité et de neutralité, semble le meilleur moyen, selon moi et, j’y insiste, selon moi, de pallier ce déficit de pilotage durable. L’extension de la durée du mandat pourrait également représenter une piste de réforme à étudier.

Enfin, se pose la question du financement de l’audiovisuel public. La transformation numérique de France Télévisions et de Radio France, la création d’un média global et la qualité des contenus sont les conditions de l’attractivité dans un contexte d’hyper concurrence face à des acteurs mondiaux puissants et d’abondance de l’offre, ce qui implique une forte capacité d’investissement à court et moyen termes, afin de ne pas prendre un retard préjudiciable.

L’universalisation de la contribution à l’audiovisuel public peut constituer une piste de travail utile pour sécuriser et accroître son financement. Au-delà, une mesure transitoire consistant à rétablir la publicité sur France Télévisions entre 20 heures et 21 heures pourrait permettre de dégager soixante millions d’euros de recettes susceptibles d’être affectées à la création de contenus sans peser sur les finances de l’État.

C’est là je crois, à titre personnel, une hypothèse pragmatique à considérer avec attention car, face à l’accélération de la mutation de tout un secteur, face au risque d’hégémonie de nouveaux acteurs mondiaux, notre objectif est de lui permettre de réussir de manière ambitieuse sa transformation à un moment clé de son histoire. Notre service public de l’audiovisuel se distingue par la singularité et la diversité de son offre. Des chaînes de France Télévisions à la richesse des antennes de Radio France en passant par la spécificité culturelle d’Arte et le rayonnement de France Médias Monde, ce modèle, s’il doit bien entendu se réformer, demeure un vecteur puissant de notre exception culturelle. Il s’avère donc pour moi indispensable de soutenir leurs actions porteuses de culture, de créativité, de vitalité de la francophonie. Voilà ce que je souhaitais dire ; ce point sur le service public audiovisuel n’engage que le président de la mission.

Mme Aurore Bergé, rapporteure de la mission d’information. Après huit mois de travaux, nous achevons aujourd’hui cette mission qui devrait, je l’espère, ouvrir sur un chantier plus grand encore : celui de la refonte de la loi du 30 septembre 1986.

En effet, le rapport démontre, s’il était besoin, que le paysage audiovisuel est soumis à une recomposition d’une ampleur inédite. Elle doit être une chance pour les acteurs audiovisuels, pour la création et pour le public.

La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, objet d’étude de la mission d’information, a su, jusqu’alors, s’adapter aux évolutions technologiques et aux nouveaux usages qui sont apparus depuis sa promulgation.

Mais les mutations actuelles sont d’une ampleur telle qu’il y a aujourd’hui urgence à agir pour changer de paradigme normatif. Il appartient ainsi au législateur de faire en sorte que des dispositifs enviés de tous et qui ont contribué à faire la force de l’audiovisuel français, en particulier de son cinéma, ne constituent pas, dans un environnement économique radicalement nouveau, un carcan insurmontable pour les acteurs français, qui font aujourd’hui face à la concurrence parfois déloyale que leur livrent actuellement les GAFAN.

D’ailleurs, il est intéressant de noter que, dans le cadre de notre mission d’information, deux de ces acteurs n’ont pas souhaité s’exprimer publiquement devant les membres de la mission, par peur de dévoiler des éléments-clés de leur modèle économique ou par souci de rester discrets, voire secrets, sur leurs ambitions en France.

La situation que dépeint le rapport est, en effet, peu favorable aux acteurs nationaux. Les auteurs et les créateurs n’ont pas tiré profit de l’apparition de ces nouveaux acteurs de l’ère numérique comme ils le devraient. Leurs rémunérations demeurent faibles au regard de la valeur ajoutée qu’ils créent et qui est devenue le nerf de la guerre.

Les éditeurs voient progressivement leurs recettes publicitaires absorbées par les géants du Net : Google et Facebook représentent ainsi à eux seuls deux tiers du marché de la publicité digitale. Les chaînes subissent, dans ce domaine, des entraves qui n’existent pas sur internet : interdiction de la publicité adressée ou segmentée, secteurs interdits comme le cinéma ou la distribution.

Enfin, toute la filière subit de plein fouet les effets du piratage, qui représente une perte économique estimée à 1,18 milliard d’euros, dont un manque à gagner fiscal et social pour l’État de plus de 400 millions d’euros. De la même façon, le piratage fragilise les auteurs, les producteurs et les distributeurs, et coûte particulièrement cher à des entreprises historiques comme Canal+ qui estime perdre 500 000 abonnés par an.

Cette question est donc, pour moi, absolument centrale : elle est même le préalable indispensable à toutes les autres réformes que nous proposons à travers ce rapport.

Après des années d’immobilisme et d’atermoiement autour du statut de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), il est plus que temps de prendre des mesures fortes pour lutter efficacement contre le piratage. Certes, ces mesures ne seront pas populaires – peut-être est-ce pour cela qu’elles ont été longtemps différées ; mais elles sont éminemment nécessaires.

Il faut, tout d’abord, rendre plus efficace la procédure de réponse graduée qui, je le rappelle, ne concerne que le pair-à-pair, pratique qui n’est plus majoritaire aujourd’hui. Il faut informer plus directement l’abonné de l’utilisation de sa connexion à des fins de piratage ; il faut aussi aller au bout de la logique et permettre à la HADOPI de prononcer directement une forme de sanction à l’encontre des pirates. C’est ce que nous proposons à travers l’instauration d’une procédure de transaction pénale.

Il est également nécessaire de renforcer son action dans le domaine de la lecture en ligne ou streaming, y compris en direct, qui est aujourd’hui le premier moyen utilisé pour consommer des contenus audiovisuels contrefaits. Évidemment, nous ne pouvons pas pénaliser cette consommation en tant que telle, car cela nécessiterait des moyens de preuve attentatoires aux libertés publiques. Néanmoins, je crois que nous pouvons largement améliorer la prévention de ces pratiques, en recherchant une coopération renforcée des acteurs de l’internet dans la conduite d’actions pédagogiques de grande ampleur.

Au-delà, il faut « muscler » les compétences de la HADOPI et lui donner un pouvoir de caractérisation des sites contrefaisants, par l’établissement d’une liste noire. Il faut aussi remédier rapidement au problème que rencontrent tous les ayants droit une fois qu’ils ont gagné un procès contre un site de streaming : le contournement de la décision judiciaire de blocage par l’apparition d’un site immédiatement répliqué. Sur ce point, la jurisprudence a récemment évolué en leur permettant de saisir le juge des référés : il faut sécuriser cette action en l’inscrivant dans la loi. De la même façon, le président de la HADOPI doit pouvoir, comme le président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne, saisir la justice pour permettre une actualisation rapide des décisions judiciaires. Nous devrons également exploiter toutes les possibilités laissées par la directive « droit d’auteur » pour permettre aux ayants droit d’atteindre un degré de coopération satisfaisant de la part des grandes plateformes.

Le piratage ne cesse d’évoluer avec la technologie, et nous sommes maintenant confrontés au piratage en direct de retransmissions télévisées, notamment dans le domaine du sport. Là encore, les pertes économiques sont très importantes, et appellent à une réponse rapide et solide de la part des pouvoirs publics. Nous devons, sur ce point, réfléchir à une procédure quasi-immédiate pour bloquer, temporairement bien sûr, l’accès à ces sites.

Enfin, je propose la création d’une nouvelle autorité indépendante, issue de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la HADOPI, pour gagner en efficacité en ayant un régulateur unique des contenus audiovisuels, quel que soit leur mode de diffusion, avec une capacité d’action nouvelle à l’égard des acteurs numériques.

J’en viens maintenant à ce qui constitue une donnée importante de notre équation : le financement de la création et donc, les ressources financières. Comme je l’ai dit, les recettes publicitaires des acteurs historiques sont en perte de vitesse. Cela signifie, très concrètement, moins de moyens pour investir dans des programmes de qualité, et moins de droits de diffusion pour les créateurs, car la rémunération issue de la diffusion à la télévision est assise sur le chiffre d’affaires des chaînes. Le marché publicitaire télévisé perd du terrain par rapport au digital, qui ne répond pas aux mêmes contraintes : le digital présente notamment l’immense avantage de permettre un ciblage très poussé des publicités proposées aux internautes. La télévision aurait les moyens techniques de le faire, mais la publicité segmentée lui est encore aujourd’hui interdite. Je propose donc de lever cette asymétrie, d’abord par une expérimentation, afin de placer les acteurs à armes égales sur le terrain publicitaire.

Quant aux secteurs interdits, qui n’existent pas non plus dans l’univers numérique, je suggère de réfléchir à leur ouverture mais avec précaution. L’interdiction de la publicité pour le cinéma à la télévision repose sur des justifications qui n’ont plus de sens compte tenu des possibilités offertes par internet, avec notamment Netflix qui peut faire la publicité de ses programmes à la télévision. Mais il ne faudrait pas bousculer un secteur fragile, celui de la distribution, qui pourrait pâtir de la levée de cette interdiction, en se voyant contraint d’augmenter encore les dépenses publicitaires autour des films. Il pourrait néanmoins y avoir plus d’avantages que d’inconvénients à cette mesure, comme je l’expose dans le rapport ; notamment, cela permettrait de toucher les personnes qui ne vont jamais ou très peu au cinéma, et elles sont nombreuses. J’ai toutefois entendu les craintes exprimées par le secteur et c’est pourquoi je demande à ce qu’une étude d’impact soit réalisée avant toute prise de décision.

Quant à la promotion de la grande distribution, il est clair qu’une levée de l’interdiction aurait un impact dommageable sur les recettes publicitaires de la presse comme de la radio, et risquerait de mettre à mal des modèles économiques déjà fragiles : c’est pourquoi j’y suis opposée.

La fiscalité des acteurs historiques est également trop élevée par rapport à celle qui pèse aujourd’hui – et depuis moins d’un an – sur les acteurs du numérique. Il est absolument indispensable, là encore pour réduire une asymétrie qui handicape fortement le secteur, de réfléchir à une remise à plat des taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) et d’opérer un rééquilibrage entre la taxe payée par les éditeurs de services de télévision et la taxe sur les vidéogrammes, payée par Amazon, Youtube et Netflix, et dont le rendement est extrêmement faible. Il me paraît illogique et contreproductif d’avoir un écart de taxation de plus de cinq points, aujourd’hui, entre Canal+, financeur majeur du cinéma français, et les GAFAN, qui tirent profit de la création française sans la financer en amont. La taxation des GAFAN opérant à destination du public français doit donc nécessairement être augmentée et appliquée sans considération de leurs pratiques commerciales, en prenant en compte l’assiette fiscale la plus large possible, c’est-à-dire l’entièreté de l’abonnement, même si celui-ci comprend l’accès à plusieurs services de nature distincte.

En ce qui concerne le financement du secteur public, nous attendons tous, ici, la réforme de la contribution à l’audiovisuel public (CAP). Il y a en effet quelque chose de profondément inéquitable aujourd’hui : tout le monde consomme des contenus produits par les entreprises de l’audiovisuel public, mais seule une partie de la population est assujettie au paiement de la contribution parce qu’elle possède un téléviseur… À l’inverse, certaines catégories de la population, et en particulier les CSP+, ne le sont pas, car ils regardent ou écoutent ces contenus par le biais de leur ordinateur ou de leur tablette. Sur ce point, je crois que l’universalisation est la seule solution viable si l’on ne veut pas être systématiquement en décalage avec les évolutions technologiques. Il y a aussi là une question de principe : l’audiovisuel public est un service public, il doit donc être financé par tous. Bien sûr, les exonérations sous conditions de ressources qui existent aujourd’hui devront être maintenues pour les personnes qui en bénéficient, et étendues aux nouveaux foyers assujettis à la contribution qui respecteraient des critères identiques. Concernant son montant – et je crois que c’est une proposition forte du rapport –, il faut le maintenir à son niveau actuel afin que les nouvelles recettes tirées de l’extension de la base fiscale puissent financer l’arrêt de tout ou partie de la publicité sur l’audiovisuel public. Selon les estimations que nous avons pu obtenir, il serait alors possible de supprimer entièrement la publicité sur Radio France quels que soient ses supports et sur France 5, par exemple. Lever la contrainte publicitaire du service public, c’est aussi lui permettre d’être plus innovant dans les contenus qu’il propose : c’est, pour moi, un élément fondamental de son avenir que de lui permettre de se singulariser plus encore.

 Si l’on se tourne vers l’avenir, justement, je crois qu’il sera nécessaire de poser, dans la loi, les termes d’une nouvelle alliance entre les acteurs nationaux : chacun devra y mettre du sien pour construire une économie solide face à la concurrence internationale. Cela passe, d’abord, par une évolution des liens qui unissent les diffuseurs aux producteurs. Les chaînes de télévision financent, dans le domaine de la fiction notamment, une large part des œuvres, mais ont des capacités d’exploitation aujourd’hui limitées par les accords passés avec les producteurs. Fait notable, dans le domaine des séries – dont Céline Calvez sait à quel point elles sont devenues vitales pour les diffuseurs –, ils ont généralement perdu les droits des premières saisons lorsqu’ils diffusent, sur leurs antennes et sur leurs services numériques, les saisons suivantes.

Il est indispensable que les producteurs conservent une part importante des droits, car ils ont besoin d’une assise financière solide pour assurer la recherche et développement. Toutefois, je crois nécessaire de desserrer le carcan normatif pour permettre la signature d’accords plus ambitieux entre les acteurs, au bénéfice de tous. Il faut donc maintenir l’obligation de recours à la production indépendante, qui a permis l’existence d’un tissu de production fort en France et a garanti la diversité culturelle, mais limiter sa définition légale à l’absence totale de liens capitalistiques entre le diffuseur et la société de production. Pour le reste, c’est-à-dire pour les droits et mandats, il paraît préférable de s’en remettre à des accords interprofessionnels ou de gré à gré. Le législateur doit pouvoir s’effacer.

Il est également indispensable d’étendre ces obligations, qui ont façonné l’exception culturelle française, aux nouveaux acteurs numériques. C’est d’ailleurs ce que rendra possible la future directive « Services de médias audiovisuels » : il faudra faire preuve de la plus grande vigilance, lors de sa transposition, pour ne pas créer une nouvelle distorsion en faveur des nouveaux entrants, et veiller à ce que les mêmes obligations d’investissement dans la production indépendante leur soient également applicables.

Je crois également nécessaire, à défaut d’un accord semblable à celui passé entre auteurs et producteurs sur la transparence des remontées de recettes, de faire en sorte que les auteurs, lorsque leurs œuvres sont disponibles sur les services numériques, puissent non seulement être rémunérés de façon proportionnelle – en application de la stricte loi française, que certains services ne respectent pas – mais qu’ils puissent également accéder aux données d’exploitation afférentes et ainsi connaître la valeur d’usage de leurs œuvres.

De la même façon, il est aujourd’hui indispensable de faire entrer les nouveaux acteurs numériques dans la chronologie des médias. La proposition des médiateurs était ambitieuse, mais elle n’a pas su réunir les acteurs. Si la négociation n’aboutit pas rapidement, une intervention législative sera nécessaire pour poser un cadre temporel équitable à l’exploitation des contenus audiovisuels, avec pour objectif de parvenir à terme à la neutralité technologique. La réduction de l’asymétrie entre acteurs historiques et acteurs numériques n’est donc pas nécessairement à sens unique : sur ce point, les opérateurs qui choisissent de s’inscrire dans la chronologie pourront bénéficier de fenêtres plus avancées qu’elles ne le sont aujourd’hui, à condition qu’ils respectent des conditions analogues à celles imposées aux acteurs historiques.

Enfin, il m’apparaît indispensable de donner plus de visibilité à la création française.

Cela signifie tout d’abord, au plan technique, moderniser la Télévision numérique terrestre (TNT) : contrairement aux propos tenus par le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), je ne crois pas qu’il faille enterrer la télévision numérique terrestre qui, certes, utilise des fréquences que le secteur des télécommunications souhaiterait récupérer, mais qui permet encore à 25 % de la population d’accéder aux programmes des chaînes gratuites, à défaut de posséder un autre moyen d’accès, qu’il s’agisse de la fibre, du câble et du satellite. Et, précisément, pour permettre au quart de la population française de bénéficier de services augmentés, il est indispensable de moderniser la TNT. C’est là une question d’égalité.

De la même façon, il faut accélérer le déploiement de la radio numérique terrestre ou DAB+, car elle présente de nombreux avantages qui ne peuvent qu’aider les radios à faire face à l’émergence des services de musique en ligne.

Au-delà, plusieurs propositions du rapport visent à donner plus de marges de manœuvre économiques aux radios privées, en assouplissant l’encadrement des messages publicitaires, notamment en ce qui concerne les mentions légales hors santé publique, et en revenant sur certaines dispositions de la dernière réforme des quotas, dont la complexité excessive apparaît largement contreproductive.

Mieux exposer la création, c’est aussi donner plus de latitude aux acteurs pour le faire. Ainsi, je crois que la réglementation entourant la programmation des chaînes de télévision est aujourd’hui parfaitement anachronique dans un univers audiovisuel de plus en plus délinéarisé : il faut cesser d’encadrer, par la loi ou le règlement, les jours et les heures de diffusion des films à la télévision.

Rendre la création visible, c’est aussi la rendre accessible à tous. Je souscris dans ce domaine pleinement aux propositions du CSA sur l’extension des obligations d’accessibilité aux personnes sourdes ou malentendantes aux services de médias audiovisuels à la demande, et je pense que nous pourrions aller encore plus loin dans ce domaine.

Accroître la visibilité de la création française passe aussi, évidemment, par le service public. Quelques précautions doivent être rappelées : dans le domaine de l’animation en particulier, il est indispensable, d’une part, de sanctuariser le niveau des crédits et l’investissement dans des programmes de qualité et, d’autre part, de continuer à assurer leur éditorialisation par le biais d’une diffusion linéaire.

Il faut aussi mettre fin aux injonctions contradictoires qui pèsent souvent sur le service public ; il faut respecter les contrats d’objectifs et de moyens, ou y faire des avenants quand la situation a évolué ; il faut libérer le service public des contraintes de l’audience – ce qui sera possible si l’on supprime la publicité –, et le mettre structurellement en capacité d’innover et de proposer des programmes qu’on ne trouve pas ailleurs, dans le domaine du spectacle vivant, du cinéma, de la création musicale ou encore de la culture scientifique.

Enfin, j’en termine par un sujet particulièrement important, celui de la parité. La création peut être aussi le moteur d’un changement des mentalités et des mœurs dans ce domaine ; mais, pour cela, faut-il encore qu’il y ait des créateurs – et des créatrices – pour porter ce type de messages. Elles existent en France, mais on leur confie trop rarement des œuvres. C’est pourquoi je propose, pour compléter les annonces récentes de la ministre, d’une part, de fixer des objectifs précis à l’audiovisuel public en matière de recours à des réalisatrices et, d’autre part, de rendre paritaire les commissions du CNC chargées de donner un avis sur l’attribution des aides.

Pour renforcer le contrôle que le Parlement exerce sur cet établissement public, je propose également de soumettre la nomination de son président à l’avis des deux chambres, suivant la procédure prévue à l’article 13, alinéa 5, de la Constitution. Ce sera ainsi renforcer les pouvoirs d’évaluation et de contrôle qui sont au cœur de nos missions en tant que parlementaire.

Je remercie le président de notre commission d’avoir permis, à travers la création de cette mission d’information, d’avoir un temps d’avance sur l’exécutif, et l’ensemble de nos collègues pour l’intérêt qu’ils ont manifesté au cours de nos nombreuses auditions, ainsi que tous ceux qui, par leurs auditions, ont permis d’enrichir le présent rapport – certains sont présents parmi nous ce matin. Je remercie enfin le président de la mission d’information pour le travail collectif que nous avons pu mener ensemble.

Mme Fabienne Colboc. Tout d’abord, je tiens à vous féliciter pour le travail approfondi que vous avez mené, qui reflète bien l’ensemble des enjeux soulevés par les acteurs que nous avons auditionnés au sein de la mission d’information, mais aussi lors de vos déplacements qui ont été nombreux en circonscription, où vous avez pu rencontrer les citoyens et échanger avec eux comme avec les professionnels. Je souhaiterais revenir sur la proposition n° 8 de votre rapport, qui propose notamment de labelliser de façon visible les contenus et les sites respectueux du droit d’auteur. Ce dispositif est intéressant car il permettrait de mettre en valeur les sites vertueux respectant la loi et d’encourager les bonnes pratiques des utilisateurs. Cette proposition va, bien sûr, dans le bon sens. Mais pour freiner le recours des utilisateurs aux vidéos postées illégalement sur internet, il faudrait aussi qu’elles soient retirées dans les plus brefs délais. Avez-vous identifié des pistes pour que cela puisse être possible ?

Mme Brigitte Kuster. Je tiens, tout d’abord, à saluer la qualité de votre rapport. L’important travail d’audition que vous avez conduit nous offre une vue à la fois large et détaillée des enjeux qui nous occupent. Une chose ressort avec force de vos travaux. Si les grands principes de la loi de 1986 demeurent, diversité culturelle et liberté de communication, les normes qu’elle énonce et qui en découlent ne sont plus en mesure de les garantir. Je vous rejoins totalement lorsque vous interrogez la pertinence de certaines réglementations, en matière de publicité notamment. Plus globalement, le numérique bouleverse les équilibres économiques du secteur, et s’il n’est pas davantage régulé, menace très directement la création audiovisuelle française et donc un pan entier de notre exception culturelle. Vous soulignez, à juste titre, que l’enjeu de la réforme audiovisuelle réside dans la capacité du législateur français à faire entrer dans le champ de la régulation des acteurs, souvent établis à l’étranger, et qui échappent aujourd’hui à la régulation. C’est là, un sujet majeur. Redonner de la valeur à la chaîne de création, c’est évidemment mieux rémunérer les auteurs, et on se réjouit des avancées européennes en la matière.

Mais c’est aussi et d’abord lutter plus efficacement contre la piraterie. J’aimerais, d’ailleurs, que vous précisiez votre proposition visant à fusionner la HADOPI et le CSA. L’idée n’est pas totalement neuve, puisque la précédente majorité l’avait envisagée un temps. Est-ce un moyen de donner au CSA le pouvoir coercitif qui lui fait jusqu’à présent défaut face aux plateformes ? N’est-il pas plus opportun, avant toute fusion, d’envisager des synergies et des partenariats à l’instar de ce que vous proposez pour l’ARCEP ? Ce projet de fusion n’entre-t-il pas en contradiction avec votre autre proposition, d’ailleurs pertinente, d’élargir les missions de l’HADOPI ?

Autre sujet clé, le financement de l’audiovisuel public. Sur la foi d’un rapport indépendant, vous évaluez à 500 millions d’euros le financement de la modernisation et de la transformation numérique de l’audiovisuel mais vous justifiez, dans le même temps, le plan d’économies de 190 millions d’ici 2022 qu’exige le Gouvernement. Comment parvenez-vous à résoudre cette contradiction ?

Par ailleurs, vous remettez sur la table l’extension de la CAP à tous les foyers. Cela constituerait une nouvelle taxe pour de nombreux Français, allant à l’encontre des propositions et des engagements du Président de la République. Par ailleurs, cette mesure ne risquerait-elle pas de pénaliser en premier lieu le public jeune, car parallèlement son rendement fiscal est assez faible ? Pourquoi acter le détournement de la taxe sur les opérations de communications électroniques (TOCE) du financement de France Télévisions vers le budget de l’État ? C’est une pratique que nous dénonçons chaque année en période budgétaire.

Mme Frédérique Dumas. Nous abordons ce matin un sujet qui devait être majeur : le rôle de l’écosystème audiovisuel dans notre projet de société.

Je voulais tout d’abord relever un point très positif : l’ensemble des propositions concernant le piratage. Ce sont des mesures fortes et nécessaires, attendues depuis longtemps. Il n’est pas sûr que l’arbitrage de l’exécutif aille aussi loin, et nous serons à vos côtés dans cette bataille.

Pour le reste, je vais rompre l’ambiance, car vos autres propositions sont assez décevantes. On s’attendait aux prémices d’une grande loi ambitieuse, une refonte de la loi audiovisuelle à l’ère du numérique de 1986 qui donne du sens et présente une vision de l’écosystème dans le monde de demain. Au lieu de cela, ce qui saute aux yeux, c’est ce qui ne figure pas dans le rapport. Ce sont les impasses, les sujets soigneusement laissés de côté et les sujets abordés, mais dans le flou le plus total, comme le sujet de la dérégulation des contraintes liées à la publicité, qui risque de nous amener à la même impasse que celle concernant la chronologie des médias. Non seulement les propositions sont très floues, mais elles ne sont pas toujours contextualisées de manière pertinente, puisqu’on parle de favoriser les formats de 90 minutes à l’heure du développement des séries.

Impasse totale sur l’audiovisuel public, soulevée par le président dans son avant-propos, impasse sur les conséquences sur la création des économies de près de 300 millions demandées à France Télévisions, sujet sur lequel aucune sanctuarisation n’est proposée à l’exception de l’animation. Impasse sur la gouvernance de l’audiovisuel public qui est une fois encore réduite à la seule nomination des dirigeants, la proposition de nomination par les conseils d’administrations n’offrant pas à ce stade toutes les garanties d’indépendance puisqu’il y a une nécessaire revalorisation et recomposition du rôle des conseils d’administration. Impasse sur la mise en place d’outils de contrôle et d’évaluation, notamment de l’application des décisions prises par l’exécutif. Impasse sur le rôle des chaînes payantes et sur les mesures qui pourraient être prises en leur faveur, alors que seuls Canal+ et OCS peuvent représenter des alternatives pertinentes aux offres de services de vidéo à la demande par abonnement de Netflix, Amazon et autres.

En résumé, vous proposez un catalogue de mesures qui ne sont pas au service d’un projet : des mesures structurantes comme l’universalisation de la CAP, très importante, côtoient des mesures, certes nécessaires, mais très techniques comme la proposition n° 27, ou encore des mesures purement incantatoires et sans réalité comme la nécessité par l’État de respecter ses engagements financiers pris dans le cadre des COM – on a vu ce qu’on a fait – ou de favoriser la rémunération des auteurs, sans propositions précises et concrètes. Certaines de ces mesures sont bien sûr pertinentes, comme la transposition tant attendue des directives européennes qui permettront enfin de réguler en partie les géants du numérique. Mais ce qui saute aux yeux, c’est qu’il s’agit de nouveau d’une occasion ratée d’adapter l’écosystème de l’audiovisuel au service d’un projet de société. Nous serons amenés, bien sûr, à faire des propositions en ce sens, et nous espérons que le projet de loi sera quant à lui à la hauteur des enjeux.

M. Pascal Bois. Je souhaiterais évoquer ici le sujet de la diffusion de la radio. En 2017, le CSA a annoncé vouloir accélérer le déploiement de la radio numérique terrestre (RNT). Le système numérique permet aux auditeurs de rester anonymes, et règle ainsi le problème de saturation des fréquences FM. Nous savons que les petites stations radio indépendantes y sont favorables, parce qu’elles y voient un déploiement plus facile. En revanche, les grands groupes y sont plutôt opposés car ils craignent une fragmentation et un éclatement du marché et donc une baisse de revenus publicitaires. Des précédents rapports ont aussi relevé que ce déploiement de réseau aurait un coût important et se sont interrogés sur sa pertinence. Pouvez-vous nous faire part de votre analyse et de vos conclusions sur ce sujet ?

Mme Marie-George Buffet. Je souscris aux propos de Monsieur le président de la mission d’information sur le service public. Nous avons besoin de l’exigence de qualité, une exigence par rapport à la création ; mais cela demande aussi à l’État d’assurer au service public une certaine stabilité. Pour construire un projet, il faut du temps et il faut être sûr qu’on aura les moyens d’aller au bout de ces projets. Nous avons certainement à travailler sur la construction du COM, afin qu’il soit élaboré de façon réellement partenariale entre l’État et le service public de l’audiovisuel, que l’on puisse assurer par ce COM une stabilité de financement, et que l’on travaille beaucoup plus sur les questions des personnels du service public – sur la qualité des métiers, des formations, etc. Ensuite, il faut assurer une indépendance aux équipes. C’est pour cela que je partage l’idée, non pas de la nomination des dirigeants ou dirigeantes par le Parlement – on retomberait dans les dérives politiques qu’on a connues à d’autres périodes –, mais par des comités d’administration recomposés où la représentation des équipes de salariés et des usagers serait beaucoup plus importante. Cela permettrait d’aller dans le sens de la construction d’une entreprise publique responsable dans ce qu’elle accomplit. En ce qui concerne la publicité, même certains syndicats réclament l’ouverture de la publicité après vingt heures, faute de moyens. Mais, si l’on veut libérer le service public audiovisuel de la question des audiences, il faudrait effectivement revisiter l’assiette de la redevance pour permettre la fin de la publicité.

Mme Cathy Racon-Bouzon. Vous soulignez dans votre rapport la nécessité d’adapter les règles du jeu de l’écosystème audiovisuel, pour réagir aux mutations d’un secteur marqué par l’émergence d’acteurs mondiaux très puissants qui ont déstabilisé les équilibres existants. Vous proposez, fort justement, deux voies d’actions complémentaires : d’une part, assouplir la réglementation applicable aux acteurs historiques et, d’autre part, imposer des règles nouvelles aux acteurs du numérique qui jouent un rôle dans le paysage audiovisuel. Pour corriger cette asymétrie, vous proposez notamment d’autoriser la publicité segmentée et géolocalisée à la télévision dans le cadre d’une expérimentation, afin d’augmenter l’attractivité des chaînes de télévision pour les annonceurs. Comment peut-on alors gérer les multiples utilisateurs au sein d’un même foyer et garantir que les enfants ne seront pas atteints par des publicités qui ne leur sont pas destinées alors que, dans le même temps, nous souhaitons réduire leurs expositions aux messages publicitaires ? Dans le même sens, vous proposez de limiter les mentions légales radiodiffusées en dehors de celles relatives à la santé publique. Comment envisagez-vous, alors que nous venons de légiférer pour encadrer à l’école l’usage des écrans pour en limiter les effets, de renforcer la protection des mineurs vis-à-vis de contenus violents, vulgaires, à caractère sexuel dont nous souhaiterions les préserver ?

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Madame Colboc, en ce qui concerne la question de la lutte contre le piratage et notamment la capacité que nous aurions à la fois de labelliser les sites qui respectent le droit d’auteur, et d’accompagner et permettre le retrait des vidéos de ceux qui l’enfreignent, je souhaiterais vous indiquer plus éléments. Tout d’abord, la nouvelle version de la directive « droit d’auteur » devrait permettre des progrès importants dans ce domaine. Par ailleurs, nous espérons que le régulateur pourra faciliter la coopération entre les plateformes, les hébergeurs et les ayants droit. Mais au-delà de cette coopération, il faut aller plus loin et confier de nouvelles prérogatives– en tout cas, c’est mon souhait – à l’autorité de régulation en charge de la lutte contre le piratage, pour permettre l’actualisation des décisions de justice et assurer qu’une sanction soit enfin définitivement prononcée. L’un des meilleurs moyens de lutter contre le piratage est de marcher sur ses deux jambes : il faut mener des actions pédagogiques et pouvoir prendre des sanctions. En ce qui concerne la labellisation des sites respectueux de la loi, je pense que, de la même manière, il faut à la fois entreprendre cette démarche de coopération en mettant en avant les sites respectueux du droit d’auteur, tout en permettant à la HADOPI d’établir des listes de sites contrefaisants pour aller plus vite dans l’obtention des décisions de justice pour les ayants droit. En outre, des initiatives privées ont été mises en place : je pense notamment au système mis en place par Dailymotion, qui conduit à ce qu’il n’y ait ni de monétisation, ni de publicité sur les contenus amateurs qui sont publiés sur leur plateforme. Cela limite beaucoup la publication de vidéos contrefaisantes, puisqu’il n’est pas possible d’en tirer profit. YouTube a créé avec Content ID un système d’empreintes sur les différentes vidéos. Je pense que nous devons encourager et soutenir ces différentes initiatives.

Madame Kuster, je vous remercie de partager cette urgence à lutter contre le piratage. Vous m’interrogez sur la légitimité de recommander la fusion entre la HADOPI et le CSA et sur le fait de savoir s’il n’y aurait pas une contradiction entre le besoin d’élargissement des prérogatives de la HADOPI et ce projet de fusion. À mon sens, cette fusion se justifie par le fait qu’elle permettrait d’avoir un régulateur unique en matière de contenus audiovisuels. L’idée n’est pas du tout d’étouffer la HADOPI. Vous l’avez compris, le sens du rapport est, au contraire, de délivrer un message politique clair en matière de lutte contre le piratage et de mettre fin à des messages souvent contradictoires, qui laisseraient penser que cette lutte n’est pas une urgence et une nécessité. Se doter d’un régulateur unique des contenus permettrait au contraire de renforcer la lutte contre le piratage. Je ne fais pas de cette fusion une priorité de très court terme, car l’urgence réside d’abord, à mon sens, dans les autres points évoqués dans le rapport sur ce sujet.

En ce qui concerne l’universalisation de la contribution à l’audiovisuel public, il y a d’abord un problème de cohérence. Alors que nous constatons tous les nouveaux usages qui sont ceux de nos concitoyens – la télévision se consomme de moins en moins de manière linéaire – mais aussi les avancées technologiques, nous n’en tirons pas les conséquences en ce qui concerne le financement de l’audiovisuel public. Par souci de cohérence, mais aussi d’égalité devant l’impôt, nous devrions donc mettre en œuvre cette universalisation. En effet, ce sont notamment les CSP+ qui échappent aujourd’hui à cette contribution parce qu’ils consomment de manière différente la télévision et ne détiennent pas de téléviseurs. Il me paraît important de souligner que nous garderions les mêmes exemptions qui celles qui existent aujourd’hui en matière d’âge et de revenus.

Pour ce qui est de la TOCE, ce n’est pas exactement la proposition que je fais, puisque j’évoque la fin du financement de France Télévisions par le biais de la TOCE, sans évoquer son éventuelle affectation au budget de l’État.

Madame Dumas, j’aurais été déçue que vous ne me posiez pas tant de questions et j’aurais même été presque étonnée que vous soyez d’accord avec le rapport que je propose, puisque vous n’en êtes pas l’auteur. Sur les différents sujets, j’assume d’avoir un parti pris et je regrette que vous n’ayez pas souhaité être membre de cette mission. Vous auriez alors pu nous apporter votre éclairage. En effet, il y a des partis pris. Le rapport que vous avez récemment écrit comporte, lui aussi, des partis pris. J’en ai également eu dans le cadre de ce rapport, rédigé à l’issue de plus de 200 auditions et de nombreux déplacements, comme le président de la mission et Mme Colboc l’ont rappelé. C’est le choix que nous avons fait de nous concentrer sur la loi de 1986 et sur les asymétries réglementaires extrêmement puissantes qui existent – et qu’à mon avis, vous ne pouvez vous-même que constater –, et qui deviennent aujourd’hui un carcan beaucoup trop fort pour notre audiovisuel. C’est la raison pour laquelle nous posons comme préalable la lutte contre le piratage – je vous remercie de partager cet objectif-là et j’ai bien noté que vous nous soutiendriez – et que nous considérons, dans le même temps, que tout ce qui génère aujourd’hui des asymétries trop fortes et limite les capacités de notre audiovisuel doit pouvoir être levé, dans le respect d’un modèle de financement qui est le nôtre et qui a fait ses preuves.

Monsieur Bois, votre question souligne que tous les acteurs n’ont pas toujours été d’accord sur la RNT ou DAB+. Je considère pour ma part que le déploiement de la RNT est nécessaire pour répondre à la saturation de la bande FM. Cela permettrait de donner plus de liberté à nos radios et de répondre à une demande ancienne de certaines d’entre elles. Ce n’est pas une fin en soi, mais c’est une étape technologique nécessaire et synonyme de garanties puissantes pour l’auditeur, notamment en matière d’anonymat, d’accompagnement dans la mobilité et de qualité d’écoute renforcée. J’espère donc que nous arriverons progressivement à convaincre de son bien-fondé. Le CSA a d’ailleurs progressé dans son déploiement.

Madame Buffet, je partage votre point de vue en ce qui concerne les règles d’élaboration du COM. Beaucoup de nos collègues ont d’ailleurs souligné la difficulté qu’il y a d’avoir des COM non respectés et, partant, un manque de stabilité pour l’audiovisuel public. C’est la raison pour laquelle, dans le rapport, nous soulignons les injonctions contradictoires d’un État actionnaire qui n’a pas toujours été très vertueux à l’égard de l’audiovisuel public, ni très respectueux des réformes qu’il lui demandait, et la nécessité, voire l’urgence, de respecter enfin les COM et d’aller vers une élaboration plus partenariale. C’est pourquoi des avenants seraient utiles.

En ce qui concerne la publicité, vous avez pu constater que c’est le seul point de désaccord entre le président et moi-même. À titre personnel, je me suis prononcée en faveur d’une libéralisation de la publicité sur les espaces de l’audiovisuel public, considérant que la publicité participait d’un discours contradictoire en ce qui concerne l’importance accordée à l’audience : l’audience ne serait pas un critère pour l’audiovisuel public, mais si elle est mauvaise, on le condamne tout de même… La suppression progressive de la publicité des espaces de France Télévisions et de Radio France permettrait de leur donner une plus grande liberté de programmation, et de sélectionner des programmes de qualité leur permettant de se distinguer de l’audiovisuel privé, notamment en matière de culture scientifique, de spectacle vivant, et de cinéma en particulier.

En ce qui concerne les risques qu’une modernisation des règles applicables à la publicité pourrait comporter, notamment pour le jeune public, je rappelle qu’une autorité de régulation professionnelle de la publicité faut aujourd’hui un travail efficace d’autorégulation en passant au crible les publicités proposées par les annonceurs. Les contenus violents font bien sûr l’objet d’un encadrement spécifique, la protection du jeune public étant assurée par le CSA, point sur lequel nous n’entendons pas revenir. La publicité est également limitée lors de la diffusion, par le service public, de programmes jeunesse.

Quant aux mentions légales, cela ne signifie pas pour autant un relâchement en matière de protection du consommateur. Je pense, par contre, que le volume des mentions légales aujourd’hui requis dans le cadre de publicité à la radio est tel que des annonceurs préfèrent renoncer à la publicité radio face à cette complexité excessive. Mais cela ne permet pas pour autant d’éclairer le consommateur, vu le nombre de mentions légales qu’il aurait à retenir avant de réaliser son achat. Il y a assurément un équilibre à trouver entre la nécessité d’informer le consommateur et celle de desserrer l’étau qui pèse sur nos radios, média fragilisé aujourd’hui.

M. Pierre-Yves Bournazel, président de la mission dinformation. Ce que nous voulons porter, c’est l’idée de créer un nouvel équilibre pour protéger notre modèle. C’est d’autant plus important de le faire, que notre modèle inspire maintenant. Pendant longtemps, dans certains pays, on a considéré que les Français étaient à part, dans ce modèle dit « d’exception culturelle ». Aujourd’hui, beaucoup, dans un contexte qu’ils perçoivent comme étant de plus en plus concurrentiel, sont en train de s’inspirer de ce que nous avons construit. Nous devons préserver ce que nous avons construit, le pérenniser et l’adapter aux réalités. Il faut donc assumer d’assouplir les règles encadrant le secteur audiovisuel, qui fait aujourd’hui face à une concurrence qui n’est pas loyale. Assouplir des règles, nous l’assumons. Simplifier, il est nécessaire de le faire. Il faut contribuer à ce que ce nouveau secteur émerge, et à ce que les GAFAN, notamment, puissent participer au développement de notre modèle. C’est absolument essentiel pour contribuer au soutien à la création.

Il faut assumer que l’audiovisuel public ait des missions singulières. Pour moi, l’audiovisuel public n’est pas en concurrence avec le reste de l’audiovisuel. Il exerce des missions singulières que l’on ne retrouvera pas dans le reste de l’audiovisuel. Il faut accroître cette singularité. C’est pour cela que ses missions doivent être précisées et soutenues. La mesure que je propose à titre personnel – j’insiste dessus pour la clarté du débat –, est une mesure transitoire, non pas définitive, mais transitoire, qui doit permettre à France Télévisions de lever des recettes supplémentaires le temps que l’on puisse établir cette nouvelle gouvernance et assurer la stabilité des relations que l’État et France Télévisions, et le service public audiovisuel en général. Cette stabilité est essentielle pour assurer la stabilité de cette gouvernance comme la stratégie des groupes et leur permettre d’affirmer leur singularité et d’être une référence dans ce modèle en pleine mutation. Quand on écoute France culture, les émissions de débats d’idées sur l’histoire, la philosophie, les sciences, quand on va sur Arte et que l’on découvre la mise en avant qui est faite du spectacle vivant, on perçoit le caractère singulier du service public. On ne le trouvera nulle part ailleurs dans l’audiovisuel, et on le trouvera dans très peu de pays. Ces missions-là doivent être défendues avec force et conviction. Pour cela, il faut absolument que nous adoptions de nouvelles gouvernances et une capacité d’assurer la stabilité à la tête de ces groupes.

M. Stéphane Testé. Je souhaiterais faire un retour sur le fléau du piratage car, selon un rapport commandé par le Centre national du cinéma et l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, publié en juin dernier, un million d’actes de piraterie de retransmissions sportives sont enregistrés chaque mois. Ce chiffre représente 10 à 20 % des audiences télévisées, selon les émissions. Les auteurs de ce même rapport ont, par exemple, comptabilisé 332 000 pirates pour le seul match PSG/Barcelone de la Ligue des champions, soit 21 % d’audience pirate pour ce match, diffusé par Bein Sport. Selon le rapport, l’audience pirate se concentre sur un nombre restreint de sites puisque vingt d’entre eux représentent 80 % de l’utilisation totale. Ce phénomène de piratage via le live streaming inquiète fortement les chaînes payantes car elles investissent massivement dans les droits télévisés pour diffuser le sport à la télévision, que ce soit Canal+ hier, ou Mediapro demain. Je me réjouis des pistes qui sont soit à créer, soit à étendre, soit à durcir. Mais comment combattre ce mal à la racine ? Chaque jour, de nouveaux sites voient le jour à l’étranger, notamment en Arabie Saoudite. Cela pose un réel problème : c’est un peu comme quand, sur Twitter ou Facebook, on bloque quelqu’un et qu’il revient à la charge avec un autre compte !

M. Stéphane Claireaux. Je tenais d’abord vous remercier pour ce travail important que vous avez mené en auditionnant un nombre considérable d’acteurs de la branche, permettant ainsi d’établir un panorama étendu de la situation actuelle du secteur de l’audiovisuel. Le monde évolue rapidement et les nouvelles avancées technologiques avec lui bousculent effectivement les modes de consommation culturelle. Je ne m’étendrai pas ici sur l’avenir de France Ô, puisque je me suis déjà exprimé longuement dans le cadre de la délégation aux Outre-mer et qu’il sera bientôt mis sur pied un comité de suivi de la mutation de la chaîne des Outre-mer auprès de la ministre de la Culture et de la ministre des Outre-mer, auquel je participerai activement. Cependant, je regrette l’absence des actualités de l’Outre-mer aux journaux télévisés des grandes chaînes du service public, en dehors des catastrophes naturelles ou de crises sociales majeures. L’actualité de nos territoires ultra-marins est riche ; c’est un sujet qui devrait être traité quotidiennement dans les journaux télévisés des chaînes publiques nationales.

Par ailleurs, je salue le projet de la plateforme numérique Salto, qui arrive toutefois bien tard et tente de corriger le tir après une mauvaise appréciation du marché par les sociétés audiovisuelles historiques, qui ont cru que leur position dominante ne serait pas ébranlée par des acteurs comme Netflix ou Hulu. Cette position d’attentisme et de réaction plus que d’action est regrettable.

La partie de votre rapport concernant la publicité sur les réseaux de l’audiovisuel privé a retenu mon attention. Aussi, j’aurais voulu savoir, si lors de vos auditions, les groupes comme TF1 ou M6 qui diffusent un signal identique à destination des pays frontaliers tels que la Suisse ou la Belgique, tout en ciblant géographiquement la publicité pour les téléspectateurs de ces pays, avaient éventuellement évoqué avec vous l’investissement d’une fraction des recettes gagnées à l’étranger dans la production cinématographique desdits pays ?

En outre, vous évoquez le cas de la redevance et notamment l’acceptation par vote populaire chez nos voisins d’un montant bien supérieur à celui perçu en France. Cette redevance plus dispendieuse semble avoir été acceptée car elle garantit l’accès à une information impartiale diffusée par un service audiovisuel travaillant en toute confiance avec un conseil de déontologie. Pensez-vous qu’un conseil de déontologie de la presse et des médias pourrait contribuer à renforcer la confiance qu’ont les téléspectateurs français dans nos médias, et notamment de nos médias de l’audiovisuel public et de fait, permettre une meilleure acceptation de la redevance en tant qu’objet fiscal ?

M. Yannick Kerlogot. À mon tour de vous féliciter pour la qualité de ce travail et de constater avec vous que notre audition confirme que la révolution de l’ère du numérique est bien lancée. Le livre, la presse, aujourd’hui l’audiovisuel, nous rappellent que nous devons effectivement répondre à la présence plus que forte du monde GAFAN. Je me suis entièrement retrouvé dans les propositions n° 34 et n° 38, car nous sommes tous sensibles à l’exception culturelle française. Vous nous rappelez qu’il faut fixer un taux d’exposition des artistes et des œuvres francophones. Vous nous rappelez la visibilité des spectacles vivants, du cinéma et de la création musicale sur les chaînes de France Télévisions : c’est quelque chose qu’il faut renforcer. Pour autant, je m’interroge sur les quotas de diffusion des œuvres dans la réalité numérique. Vous nous faites un rappel historique précieux, car il nous permet de voir que dans les années 1970, un minimum de 60 % de fictions françaises était imposé aux trois chaînes, et que la loi de 1986 est fort heureusement venue imposer des quotas face aux programmes étrangers. Dans vos préconisations, vous proposez l’assouplissement, pour les heures de grande écoute, qui pourrait être envisagé à titre expérimental. Ma question est en lien avec une information que vous nous donnez : en 2017, 85 fictions françaises figurent dans le top cent des meilleures audiences audiovisuelles mesurées par Médiamétrie, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Néanmoins, fort de ce constat que les films français se portent très bien face à des films étrangers dans les audiences télévisées, vous évoquez la délinéarisation, qui est aussi l’une des concrétisations de cette révolution numérique. Ne pensez-vous pas que si ces fictions ont un tel succès, c’est parce qu’on est là dans le cadre d’un prime time, avec une activité, un rite familial ? Je suis peut-être un peu « rétro » mais j’ai tendance à penser que, précisément aux heures de grande écoute, parce que nous avons des œuvres françaises, nous parvenons à mobiliser des spectateurs. Via une délinéarisation, je ne suis pas certain qu’on aurait un tel succès des œuvres françaises dans le top des cent meilleures audiences.

Mme Béatrice Piron. Je tiens à vous remercier pour le travail impressionnant que vous avez mené pendant huit mois, qui présente bien l’urgence économique et culturelle à agir. Ma question concerne principalement le financement de l’audiovisuel public. Actuellement, il repose principalement sur la CAP, dont le recouvrement est adossé à la taxe d’habitation, et, dans une moindre mesure, sur les recettes publicitaires. Je sais combien la modernisation de son financement est nécessaire. Dans le rapport pour avis sur la mission Médias du projet de loi de finances pour 2018 que j’ai co-rédigé l’année dernière, j’ai présenté le même constat : le nombre de foyers déclarant ne pas ou ne plus posséder de télévision a triplé, passant de 2 % à 7 %, ce qui est souvent vrai mais aussi difficilement contrôlable. Par ailleurs, beaucoup de Français écoutent la radio et consomment, sans le savoir, des contenus issus de l’audiovisuel public sur leurs tablettes, smartphones, ordinateurs ou assistants vocaux intelligents. Nous recherchons tous une création audiovisuelle de qualité et une offre diversifiée garantissant l’indépendance de l’information. Il faut donc bel et bien un financement de l’audiovisuel public et nous ne souhaitons pas le voir diminuer. La télévision a maintenant plus de quatre-vingts ans, et est plus près de sa disparition que de sa naissance. En 2017, les ventes ont chuté de 30 %. Dans ce rapport, il est proposé d’universaliser la CAP, c’est-à-dire de la déconnecter de la détention d’un téléviseur et de garantir une neutralité technologique. Je m’en réjouis puisque nous avions fait les mêmes recommandations l’année dernière et c’est aussi la solution que plusieurs pays européens ont déjà mise en place. Contrairement à certains collègues, je suis favorable à la modernisation de cet impôt vieillissant plutôt qu’à la création d’un nouvel impôt. Néanmoins, vous ne précisez pas son mode de recouvrement. Ne faut-il pas le revoir également si la taxe d’habitation est supprimée ? Ne serait-il pas possible de l’adosser à un autre impôt ?

Mme Céline Calvez. Merci au président de cette mission d’information et merci à la rapporteure pour ces travaux complets et ces préconisations claires. Je vous sais gré d’avoir instauré la parité dans cette mission. Si des incitations à la parité ont été annoncées dans le monde du cinéma tout récemment, l’audiovisuel a pu en être écarté : c’est bien de pouvoir y prêter attention.

Je souhaitais revenir sur la notion de producteur indépendant. Vous y consacrez un encart à la page 76, pour ceux que cela intéresse. On a pu s’interroger sur la pertinence de la définition actuelle d’un producteur indépendant. On parle de l’indépendance capitalistique, de l’indépendance économique. Or, la notion d’indépendance est sûrement à réinterroger. Pourquoi ne pas laisser les diffuseurs devenir producteurs ? Est-ce que cela ne permettrait pas l’engagement de davantage d’investissements notamment dans la phase de concept et d’écriture de fictions, si on parle de fiction ? Dans quelle mesure cette hypothèse impacte votre proposition consistant à étendre aux obligations relatives aux œuvres cinématographiques la possibilité de mutualiser les obligations d’investissement au niveau des groupes ? Que désigne-t-on par groupe dans ces cas-là ? Et si oui, comment combiner diversité d’innovation indispensable et puissance d’investissement également indispensable ? Qui est-ce qui, dans la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), garantit ou met en danger cette combinaison diversité/puissance à laquelle il faudra être particulièrement vigilant ? Dans quel délai voyez-vous le déroulé et la forme de la transposition de cette directive SMA ?

Mme Anne-Christine Lang. Je m’associe à mes collègues, enfin presque tous, pour vous féliciter pour la qualité de votre rapport, et souhaite revenir sur l’adaptation de notre système de financement de la création dans un contexte économique et technologique en pleine mutation, marqué par la perte de vitesse de certains acteurs et par l’arrivée de nouveaux tels que les plateformes de vidéos à la demande. L’an dernier, un pas considérable a été franchi avec la mise en place des taxes dites Netflix et YouTube qui s’appliquent désormais à tout diffuseur mettant des contenus à disposition du public français, qu’il soit établit dans notre pays ou à l’étranger. Affecté au CNC, son produit est un soutien direct à la création. La directive SMA, portée par la France, et adoptée définitivement cette semaine, est depuis venue confirmer cette approche, ce dont on ne peut évidemment que se féliciter. Néanmoins, il semble qu’il faille aller plus loin, car la participation de ces nouveaux acteurs au financement de la création – un peu moins de deux millions d’euros de recettes fiscales en cette première année budgétaire –, semble pour le moins insuffisante pour compenser le manque à gagner dû aux difficultés conjoncturelles. Je pense à Canal+, qui risque de voir drastiquement chuter le nombre de ses abonnés, et aux difficultés structurelles liées à la baisse du marché de la vidéo physique, à laquelle certains financeurs historiques font aujourd’hui face. En outre, les acteurs comme Netflix contribuent trois fois moins, en proportion de leurs ressources, que les acteurs historiques, car ils sont soumis à une taxe de 2 % alors que les acteurs français de la filière le sont à hauteur de 5,65 %. Aussi, je souscris à ce que vous proposez sur la convergence fiscale. Pouvez-vous nous faire part des pistes envisagées, à ce stade, afin de rééquilibrer la charge fiscale entre les différents acteurs de manière à assurer un financement de la création audiovisuelle qui soit plus équitable, pérenne et surtout plus neutre au regard des mutations technologiques ?

Mme Marie-Pierre Rixain. Monsieur le président, madame la rapporteure, je vous félicite à mon tour pour le travail que vous avez mené, et pour ce rapport qui, je crois, fera date dans l’histoire de notre audiovisuel. Je partage, en effet, le sentiment de ma collègue Céline Calvez sur l’engagement que vous avez pris notamment quant à la parité dans le cadre de votre rapport, et notamment les propositions n° 21 et n° 22. Nous le savons aujourd’hui, les femmes ne sont pas suffisamment représentées dans le milieu du cinéma. C’est le cas pour les métiers techniques, comme ingénieur du son, mais également pour le métier de réalisateurs. Les femmes réalisatrices sont beaucoup trop rares. En 2017, seulement 23 % des films agréés par le CNC étaient réalisés par des femmes, contre 73 % par des hommes. En 2015, 85 % des fonds publics européens étaient alloués à des réalisateurs. Ces chiffres sont donc la preuve que les réalisatrices ne sont pas suffisamment accompagnées. Ce n’est sûrement pas le manque d’idées ou de projets intéressants qu’elles pourraient porter. Les femmes sont bien sûr tout autant capables que les hommes de créer des films de qualité. Il s’agit seulement maintenant de leur faire confiance, et de leur permettre de raconter leurs histoires. Je salue votre recommandation qui est de rendre paritaire la composition des commissions spécialisées du CNC. Dans quelle mesure estimez-vous que cette recommandation permettra d’aboutir, in fine, à un meilleur portage des projets menés par des femmes réalisatrices ? Est-ce que nous pourrions éventuellement aller plus loin avec des contraintes sur le financement du CNC de manière paritaire ?

M. le président Bruno Studer. Je me permets de vous dire que nous nous sommes efforcés, avec Mme Bergé, d’établir la parité parmi les intervenants de cette journée. Cela n’a pas tout à fait réussi…

Mme Marie-Pierre Rixain. Je l’ai noté, monsieur le Président, et je sais votre engagement sur le sujet.

M. Gabriel Attal. Je voulais d’abord vous remercier et vous féliciter, car j’étais aussi membre de la mission. Je n’ai malheureusement pas pu assister à tous les travaux. C’est un travail assez titanesque qui a été élaboré. Je voulais vous féliciter aussi, car cela fait du bien de voir un rapport dépassionné, qui s’attaque au fond des problèmes et qui n’est pas là pour régler des comptes avec certains, qui n’est pas là pour pousser les propositions historiques de certains lobbies ou autre, comme cela a pu être le cas dans certaines publications récentes. Ce rapport s’attache à transformer profondément le système. Je voulais revenir sur la question du CNC, puisque vous dressez un constat assez sévère, mais assez clair, dans votre rapport, sur les difficultés de gouvernance et de positionnement dans ce paysage en plein chamboulement. Vous proposez, notamment, de revoir le mode de nomination de son président en le soumettant à l’article 13 de la Constitution, et de permettre au Parlement d’en faire un bilan annuel. Je voulais revenir sur la question des objectifs politiques assignés au CNC qui sont à revoir, comme vous le soulignez : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la manière dont vous voyez les choses, et ce qui vous a conduit à établir ce constat et cette proposition ?

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Monsieur Testé, le piratage des contenus audiovisuels sportifs a des effets sur le financement de toute la chaîne du sport, notamment du fait de la taxe que Mme Buffet a introduite. Moins de recettes pour le sport, c’est aussi moins de recettes pour le sport amateur. Il me paraît important de souligner les conséquences concrètes que peut avoir le piratage dans ce domaine. Nous formulons une proposition spécifique pour lutter contre le live streaming, pour une raison évidente qui est le facteur temps. Les plateformes répondent aujourd’hui très a posteriori aux demandes qui leur sont faites de supprimer les liens qui renvoient vers des vidéos contrefaisantes. Après un match de football, répondre en quarante-huit heures a peu d’impact sur la lutte contre le piratage : même si c’est aimable à eux de répondre, mais c’est tout à fait insuffisant. Même le référé d’heure à heure n’est pas suffisant en la matière. C’est la raison pour laquelle notre proposition, pour répondre à des enjeux réellement spécifiques au monde du sport, est de retirer ces contenus de façon immédiate ou quasi-immédiate – en permettant à la HADOPI de faire injonction de bloquer ou de déréférencer les sites ou liens contrefaisants – et de ne pas donner un caractère suspensif à un éventuel recours contre la décision. Dans le cas contraire, toute action est inutile.

Monsieur Claireaux, je partage les enjeux que vous avez rappelés sur la question de l’outre-mer. Tout l’enjeu de la suppression du canal hertzien de France Ô est d’arriver à mieux exposer l’outre-mer sur l’ensemble des canaux de France Télévisions, pour qu’il ait non pas un traitement différencié, mais que, comme pour tous les territoires français, les territoires ultramarins – qui sont des territoires français – soient constamment présents sur nos antennes, que ce soit au journal télévisé, dans les bulletins météos, etc. La délégation à laquelle vous appartenez, mais aussi l’ensemble des parlementaires, seront d’une particulière vigilance sur ces sujets. Vous l’avez rappelé, le comité de suivi permettra de mesurer si les engagements sont bel et bien tenus. J’en profite pour préciser que, dans le cadre de la suppression de France 4 et France Ô, la question de la réattribution des canaux libérés se posera. Le rapport préconise une suppression de ces deux chaînes, sans réattribution ou mise en concurrence, considérant que l’offre de la TNT est aujourd’hui suffisante. Sur la question plus spécifique de TF1, il existe bien des coproductions mais j’estime préférable qu’ils vous répondent plus précisément lors de la table-ronde que nous aurons à l’issue de la réunion de commission, à laquelle le groupe participe.

La question de la mise en place d’un conseil de déontologie pour la presse excède tant le champ de la loi de 1986 que celui de notre mission. À titre personnel, je n’y suis pas favorable. Nous avons adopté en commission la loi sur la lutte contre la manipulation de l’information, avec la volonté de distinguer clairement ce qui relève de l’information, construite par des journalistes, et ce qui ne relève pas de l’information. Il s’agit, à mon sens, d’un tout autre sujet. De fait, avec cette proposition de loi qui, je l’espère, sera adoptée définitivement par notre assemblée, le CSA aura plus de prérogatives en la matière.

Monsieur Kerlogot, sur la question des quotas de diffusion aux heures de grande écoute, ils m’apparaissent tout aussi anachroniques que les jours où l’on ne peut pas diffuser de films à la télévision. À partir du moment où vous pouvez avoir accès aux films quels que soient l’heure et le jour, interdire à nos chaînes de télévision de diffuser certains programmes ne me paraît pas adapté, mis à part en ce qui concerne les enjeux de protection du jeune public et les recommandations à suivre en la matière. Vous avez raison, il existe une appétence très forte du public français pour la fiction. Je sais que Céline Calvez travaille plus spécifiquement sur la question des séries dans le cadre de son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019. Il appartient aux chaînes d’établir leurs grilles comme elles le souhaitent, la liberté de programmation doit être renforcée. Elles répondent d’ores et déjà à un processus de conventionnement, encadré par le CSA. Je ne pense pas que ce soit au législateur d’intervenir dans leur programmation.

Vous m’interrogez sur les quotas de diffusion, en référence aux sites de streaming musicaux. Je ne crois pas à la pertinence d’intégrer de tels quotas dans les playlists, par exemple. Très honnêtement, j’ai du mal à comprendre ce type de propositions ; ce serait totalement contradictoire avec l’objet de ces différents sites et la manière avec laquelle les auditeurs ont souhaité s’abonner ou avoir de la publicité à défaut de s’abonner. Par contre, le rapport propose, de façon symétrique par rapport à la directive SMA, qu’il y ait une obligation d’exposition des œuvres européennes et francophones, de la même manière que les services de médias de vidéo à la demande vont avoir l’obligation de proposer au minimum 30 % d’œuvres européennes dans leur catalogue. Ce qui sera une avancée, car Netflix en a environ 20 % et Amazon à 17 %. Je dis « environ » car c’est ainsi qu’ils l’ont formulé durant les auditions. On pourrait avoir une obligation symétrique pour les sites de streaming musicaux, qui sont des sites légaux et rémunèrent correctement les créateurs. Je pense qu’on peut avancer sur l’exposition des œuvres européennes et francophones.

Madame Piron, vous aviez, en effet, recommandé l’an dernier qu’il y ait une modernisation – et non nouvelle imposition – de la CAP : je pense que c’est tout à fait souhaitable. Je vous rejoins sur la question du recouvrement. De fait, avec la suppression de la taxe d’habitation, le mode de recouvrement doit nécessairement évoluer. Il y a plusieurs mécanismes qui sont en cours d’analyse au sein de la direction générale des Finances publiques (DGFIP) notamment sur ce plan ; l’idée n’est pas qu’il y ait des perdants à la réforme, mais qu’on établisse une nouvelle logique dans la manière dont on assujettit les Français à la redevance, c’est-à-dire une universalisation. Plusieurs options existent sur la taxe foncière, sur l’impôt sur le revenu, etc. Je recommanderai pour ma part que la taxation se fasse sur la base d’un même foyer, afin que plusieurs membres d’une même famille ne puissent pas être assujettis.

Madame Calvez, la question de la modernisation de la notion de production indépendante est revenue très souvent dans le cadre de nos auditions. Il me semble nécessaire de maintenir le principe de recours à la production indépendante, car c’est ce qui a assuré la diversité culturelle dans notre pays. Il faut aussi maintenir la différenciation entre l’audiovisuel et le cinéma, et ne pas permettre la mutualisation de ces obligations pour éviter tout effet cyclique. Ce serait peut-être aujourd’hui la production audiovisuelle, eu égard à l’attrait des séries, qui en bénéficierait, au détriment de la production cinématographique. Nous proposons simplement une mutualisation des obligations d’investissement cinématographique de chaque chaîne au sein de chaque groupe, mais tout en continuant à distinguer les obligations audiovisuelles des obligations cinématographiques.

En revanche, modifier la définition de la production indépendante en la limitant à l’absence totale de lien capitalistique me paraît apporter plus de clarté à ce qu’est la production indépendante, mais permet aussi de renvoyer la question des droits et des mandats soit à des accords interprofessionnels, soit à des accords de gré à gré. On a vu certaines chaînes récemment négocier avec les producteurs et renouveler leurs efforts. Il faut parfois que le législateur accepte qu’il ne lui appartienne pas de tout règlementer, notamment en ce qui concerne les parts de coproduction. Nous avons deux années au plus pour transposer la directive SMA, mais je souhaite – et ce sentiment sera probablement partagé – que nous n’attendions pas ces deux ans pour le faire. Le futur projet de loi sur la régulation audiovisuelle, que nous aurons à examiner en 2019, sera l’occasion de réaliser cette transposition.

Madame Lang, vous m’interrogez aussi sur la question de la transposition de la directive SMA et de ce qu’elle peut nous apporter, notamment en matière de convergence entre les différents acteurs. Il existe aujourd’hui une asymétrie trop forte entre des acteurs historiques, que ce soit les diffuseurs, les chaînes, les exploitants de salles de cinéma qui financent aujourd’hui la création dans l’audiovisuel et le cinéma, et les nouveaux entrants. Il faut que ces nouveaux entrants constituent une chance, et qu’ils jouent avec les mêmes règles du jeu que nos acteurs. Il y a donc deux choses à faire : d’une part, baisser la charge fiscale qui pèse aujourd’hui sur les diffuseurs et, d’autre part, augmenter celle qui pèse d’une façon aujourd’hui très anecdotique sur les GAFAN. C’est cet équilibre nouveau qu’il faudra, à mon sens, rechercher.

Madame Rixain, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, est attentive à la parité, à raison. Quand on voit qu’une école comme la FEMIS, qui est l’une des plus grandes écoles pour le cinéma, délivre ses diplômes à 52 % de femmes mais qu’ensuite seuls 3 % de femmes deviennent réalisatrices, on se demande où elles ont pu passer. Les budgets qui leur sont confiés dépassent rarement les trois millions d’euros. La difficulté est importante. Pour avoir rencontré un certain nombre de ces femmes, et quelles que soient les générations malheureusement, on voit que la situation n’évolue pas suffisamment vite. C’est la raison pour laquelle nous devons passer à une logique plus contraignante pour assurer un recours accru aux réalisatrices. Cette asymétrie existe également dans la production audiovisuelle. Les femmes sont très souvent réalisatrices de feuilletons, et beaucoup moins de séries créatives majeures, ou à plus forte notoriété et audiences. Il faut mener plusieurs actions dans ce domaine, notamment avec l’État actionnaire auprès de France Télévisions, qui fait déjà beaucoup pour répondre à ces enjeux de diversité et de parité, et accroître le recours aux réalisatrices. En ce qui concerne le CNC, présidé par une femme, la parité des commissions ne signifie pas que les projets portés par des femmes seraient nécessairement sélectionnés. Mais une telle réforme participe évidemment d’une logique d’égalité – dont on sait l’importance dans les conseils d’administration, par exemple – et les commissions doivent devenir progressivement paritaires. La ministre a fait des annonces récentes sur des bonus en faveur du cinéma qui pourraient être étendus à la production audiovisuelle car le quotidien des Français, c’est aussi la production audiovisuelle.

Enfin, Monsieur Attal, vous m’interrogez sur le CNC, sa gouvernance et son positionnement. Le CNC est un établissement public essentiel, évidemment, au financement de la diversité culturelle, du cinéma et de la production audiovisuelle. J’ai constaté, au cours des nombreuses auditions que nous avons faites, qu’il y avait peut-être une difficulté résidant dans l’autonomie extrêmement forte du CNC et dans le manque de transparence d’un certain nombre de décisions qu’il prend. Je fais référence, dans le rapport, à une décision qui est en cours, sur le financement des feuilletons quotidiens après une redéfinition des règles en matière de documentaires et de spectacles vivants. Évidemment, le CNC doit mettre en œuvre des politiques publiques puissantes et structurantes ; mais il est loisible de s’interroger sur des changements de pied qui sont faits au moment même où l’on demande notamment aux chaînes de multiplier par deux le nombre d’heures de fictions diffusées : est-ce que c’est le moment pertinent pour changer les règles applicables en la matière ? C’est, en tout cas, une question légitime que l’on doit pouvoir poser. Il serait tout aussi légitime que le Parlement ait plus de pouvoir à la fois en termes d’évaluation et de contrôle mais aussi en termes de nomination à l’égard du CNC. C’est le souhait de cette nouvelle assemblée que de renforcer les moyens d’évaluation et de contrôle des parlementaires, mais c’est aussi une question de transparence du CNC vis-à-vis de celles et ceux qui le financent.

M. Pierre-Yves Bournazel. Je souhaiterais, en conclusion de cette première partie d’une journée qui s’annonce longue, revenir sur quelques points évoqués. Nous nous réjouissons d’accueillir tous les professionnels que nous avons eu plaisir à auditionner : cela a été absolument essentiel de les écouter, d’apprendre et de comprendre aussi leurs métiers pour essayer, dans l’intérêt général, de faire un certain nombre de propositions.

Il a été posé, tout à l’heure, sur l’outre-mer, une question importante : comment faire en sorte d’avoir une information qui puisse parler à tous, quel que soit le lieu où l’on habite sur le territoire national ? La singularité de l’audiovisuel public doit permettre à chacun de pouvoir le retrouver. Cette diversité-là de l’information nécessite un soutien, c’est-à-dire une politique de stabilité et de soutien financier. Ceci est très lié à toutes les questions que nous avons évoquées tout à l’heure sur le soutien à la création.

Nous n’avons pas parlé de l’éducation aux médias, l’une des missions du service public pour laquelle il y a une urgence culturelle à agir. En revanche, vous avez évoqué la question de la désinformation : il appartient aussi au service public de l’audiovisuel de participer à cet éveil des consciences, de donner les moyens aux citoyens de comprendre le monde dans lequel ils vivent et de distinguer par eux-mêmes une véritable information, étayée, de ce qui relève de la désinformation organisée. Cette mission du service public constituera un enjeu fondamental à l’avenir. On nous reproche souvent de sur-transposer les directives, mais je m’oppose à ce que l’on mette fin à la sur-transposition. En l’occurrence, la directive SMA nous fournit une base pour aller plus loin : dans ce domaine, la surtransposition peut avoir du bon !

La disparition de la télévision a également été évoquée par certains. La télévision est incontestablement concurrencée et fait face à des défis majeurs, mais je ne crois pas, en tout cas dans l’immédiat, à sa disparition. Elle a un rôle important à jouer. Toutes les propositions que nous avons formulées visent justement à lutter contre cette asymétrie de régulation. Comme vous l’avez justement souligné, on consomme de plus en plus de contenus audiovisuels en dehors de l’écran de télévision. Il faut faire de la pédagogie dans ce domaine car, quand on interroge les jeunes, ils déclarent ne pas regarder la télévision, ni les programmes des chaînes. Il faut leur expliquer qu’ils consomment en réalité de la télévision, car toute une politique publique en découle.

En ce qui concerne le conseil déontologique de la presse, je n’y suis pas opposé mais il faudrait en discuter plus avant pour voir tous les tenants et les aboutissants.

Enfin sur la parité, sujet sur lequel nous formulons des propositions extrêmement fortes, j’ajouterais que si les projets d’hommes sont sélectionnés, c’est que l’on doit pouvoir le faire pour les femmes. Je le souligne car, à chaque fois qu’on nous oppose qu’« on ne trouve pas de femmes » – c’est notamment le cas en politique – c’est qu’il faut les chercher, et chercher encore, et répondre à un déficit d’envie.

La Commission autorise à l’unanimité, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.


Ouverture de la journée d’échange

M. le président Bruno Studer. Madame la ministre, monsieur le Président et madame la rapporteure de la mission d’information, mes chers collègues, mesdames et messieurs, je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue dans cette salle Lamartine, qui n’est pas notre salle de commission habituelle mais dont la capacité est plus conforme au vif succès qu’a rencontré notre journée d’échanges auprès de vous. Je rappelle qu’elle est aussi retransmise sur le site internet de l’Assemblée nationale et en live sur Facebook. Effectivement, dans le but de donner plus de publicité à nos travaux parlementaires, j’ai souhaité organiser cette journée et profiter de tous les moyens de diffusion possibles. Je compte sur votre coopération et sur les relais que vous êtes pour faire connaître nos travaux.

Cette journée d’échanges n’est pas habituelle non plus : je crois que nous innovons ici en permettant, à l’occasion de la remise d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale, un échange entre les députés de la commission des Affaires culturelles et les personnes entendues dans le cadre de ses travaux. Je me réjouis que vous ayez répondu aussi nombreux à notre invitation, même si je déplore qu’aucun président de chaîne n’ait pu se libérer pour être parmi nous aujourd’hui.

Mais, madame la ministre de la Culture, vous avez a bien voulu nous faire l’honneur de votre présence pour introduire nos travaux et je vous en remercie. Eu égard aux nombreuses propositions du rapport – quarante au total –, il était bien naturel que le Gouvernement puisse lui aussi s’exprimer sur leur contenu. Avant de vous donner la parole, Madame la ministre, pour nous livrer votre sentiment sur cet ambitieux rapport, je propose à Pierre-Yves Bournazel, président de la mission, et à Aurore Bergé, sa rapporteure, de dire à leur tour quelques mots d’accueil.

M. Pierre Yves Bournazel, président de la mission dinformation. Madame la ministre, je vous remercie de votre présence ce matin. Comme je l’ai dit devant les parlementaires, nous avons eu plaisir à rencontrer l’ensemble des professionnels du monde de l’audiovisuel, d’apprendre et de comprendre vos métiers et vos attentes. Nous nous sommes nourris de vos réflexions, de vos idées, de vos propositions et nous avons avec la rapporteure, dans l’intérêt général, formulé un certain nombre de propositions qui nous semblent fortes et courageuses. Nous allons pouvoir en débattre ce matin. C’est plus de six mois de travail, plus de deux cent vingt personnes auditionnées. Cela a nourri toute une réflexion, qui a cheminé et débouché sur ce rapport. Je voudrais remercier de leur présence ce matin tous les professionnels : c’est important que nous puissions échanger pour construire avec vous la future loi, le Gouvernement s’étant engagé à proposer un texte législatif dans les mois qui viennent.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Madame la ministre, nous avons souhaité, sous l’impulsion de Bruno Studer, prendre un temps d’avance, nous parlementaires, sur le futur projet de loi que vous avez progressivement commencé à esquisser : la transposition de la directive SMA, dont on peut saluer ici le vote extrêmement large qu’elle a pu obtenir, la directive droit d’auteur. On sait à quel point la France s’est impliquée pour permettre à ces deux directives non seulement d’être adoptées, mais adoptées dans les bonnes conditions et dans les bons termes. Nous avons mené avec Pierre-Yves Bournazel et un certain nombre de nos collègues, une mission d’information, et je suis heureuse de voir beaucoup de celles et ceux qui ont été auditionnés parmi nous pour la journée d’échange nouvelle et singulière que nous avons souhaité organiser à l’Assemblée nationale.

Plusieurs choses importantes nous sont apparues au fur et à mesure de ces auditions. Elles ont été rappelées en partie par le président de la mission d’information. Les frontières se sont beaucoup brouillées ces dernières années. Les rôles des différents responsables de la chaîne de la création que sont les auteurs, les producteurs, les diffuseurs, les distributeurs, que l’on croyait bien identifiés, ont évolué et les relations sont aujourd’hui plus complexes.

Est également apparue la nécessité de moderniser à la fois notre législation et notre règlementation. Il y a eu quatre-vingt interventions législatives sur la loi de 1986 et un certain nombre de décrets, madame la ministre, sont venus la compléter, voire la complexifier.

L’enjeu même de la convergence fiscale entre les acteurs historiques qui participent au financement de la création – les diffuseurs, les entreprises de télécommunications, les exploitants de salles de cinéma –, et les nouveaux entrants qui, eux, participent encore de manière bien trop modeste au financement de la création alors qu’ils bénéficient évidemment des contenus produits et réalisés par les créateurs – sans ces contenus, ils seraient finalement assez peu de choses – est crucial.

Enfin, il nous est apparu essentiel de faire en sorte que des dispositifs enviés de tous et qui font la force de notre modèle de production audiovisuelle et cinématographique puissent s’adapter pour ne pas devenir un carcan insurmontable pour nos acteurs historiques, mais continuer à participer à la diversité culturelle et à l’exposition des œuvres. Ce sont là des enjeux importants susceptibles de fonder entre vous une nouvelle alliance – puisque c’est la question qui vous est posée, Messieurs, dans le cadre de cette première table ronde. Nous tenterons d’être plus paritaires la prochaine fois ! Je précise que nous avons essayé de parvenir à une composition paritaire de nos intervenants et je ne doute pas que les patronnes de l’audiovisuel public, dont certaines sont aujourd’hui en déplacement à l’étranger, voudront participer à l’avenir.

Nous avons besoin de cette force collective que les acteurs historiques et nationaux représentent pour moderniser notre législation, y compris lorsque cela signifie nous effacer, en tant que législateur, quand des accords interprofessionnels peuvent prévaloir. Je vous remercie de votre présence, ainsi que madame la ministre, ce matin.

Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture. Monsieur le président de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation, monsieur le président de la mission d’information, madame la rapporteure de la mission d’information, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs. Effectivement, je suis très heureuse d’être ici pour ouvrir cette journée de travail vraiment indispensable pour avancer. Je veux donner quelques éléments de la méthode et du calendrier pour que l’on voie l’urgence et l’importance d’avancer très concrètement.

« Six pour cent ». Ce n’est pas le titre d’une de nos séries françaises les plus populaires, dont j’aurais écorché le nom. Six pour cent, c’est la proportion de films français sur l’ensemble des films que propose Netflix en France. Cela signifie que notre production cinématographique nationale est quasiment absente de la plateforme de SVOD ([3]) la plus répandue en France.

Le rôle historique de l’intervention publique dans le secteur audiovisuel est de garantir la création française, son financement, son pluralisme, sa diversité, sa meilleure accessibilité pour le plus grand nombre. Protéger les publics est une mission introduite par la loi de 1986 que nous placerons au centre de nos débats de 2018.

Ce service rendu aux Français suppose évidemment que le piratage, qui est aujourd’hui une pratique trop répandue et représente pour le secteur un manque à gagner de 1,4 milliard d’euros chaque année, soit combattu sans merci.

Assurer le développement économique et le renforcement des groupes audiovisuels français fait également partie des priorités du texte à venir.

La révolution numérique et les acteurs qui ont émergé ne sont pas une menace en soi ; ils en représentent une dès lors qu’ils ne jouent pas le jeu ou qu’ils surfent sur un vide juridique. Nous avons commencé à le combler avec l’adoption de la directive SMA, qui vient, comme l’a dit Aurore Bergé, d’être votée définitivement au Parlement européen à une très large majorité. Ce texte devra être transposé le plus rapidement possible en France de manière à ce que ces nouveaux acteurs contribuent au plus vite, comme les autres, au financement et à l’exposition de la création française.

À l’heure où les contenus abondent, où les modes de consommation se diversifient et les écrans se multiplient, la régulation audiovisuelle actuelle est dépassée. Nous devons la faire évoluer. Il n’y a aucun doute à ce sujet ; et c’est d’ailleurs ce qui nous réunit aujourd’hui.

Je tiens à remercier le président, la rapporteure et l’ensemble des membres de la mission d’information sur la régulation audiovisuelle à l’ère du numérique. Cher Pierre-Yves Bournazel, chère Aurore Bergé : votre travail et les propositions auxquelles il a abouti constituent un éclairage utile et un atout précieux pour la transformation de la régulation audiovisuelle à venir.

Au Gouvernement maintenant de prolonger cette dynamique. Pour transformer un modèle qui prévaut depuis plusieurs décennies et qui n’a été adapté qu’à la marge, il faut beaucoup d’ambition et assumer les ruptures nécessaires.

Un peu d’histoire : depuis la Libération, l’État soutient le secteur audiovisuel et cinématographique. Les politiques publiques de régulation du secteur ont vu le jour pour plusieurs raisons. Des raisons culturelles : dans l’immédiat après-guerre, nos écrans de cinémas auraient pu être monopolisés par les grands spectacles de Cecil B. DeMille et les thrillers de Hitchcock, par les grands succès d’Otto Preminger et ceux de William Wyler. Face à eux, à l’époque, les films de Robert Bresson et de Max Ophuls ne faisaient pas le poids au box-office. Pourtant, les uns comme les autres sont aujourd’hui reconnus comme des chefs-d’œuvre. C’est parce que nous avons su nous organiser que le public français a pu s’ouvrir au génie hollywoodien. Quand on se donne les moyens de garantir la création française, de protéger notre modèle, c’est sereinement qu’on peut accueillir sur nos écrans les grands films américains. Notre ambition, aujourd’hui, c’est de nourrir, grâce à nos œuvres audiovisuelles, notre identité commune dans sa diversité, et de promouvoir la langue française.

C’est aussi pour des raisons économiques que nous défendons la régulation : l’audiovisuel français est créateur d’emplois et de valeur sur notre territoire. Deux cent quarante mille personnes travaillent dans ce secteur, qui ne draine plus seulement la région Île-de-France mais contribue au développement de tous nos territoires, pour exemple, les régions Hauts-de-France et PACA en sont emblématiques. Générant onze milliards d’euros de valeur ajoutée, l’audiovisuel a un poids économique considérable. Nous devons lui garantir des conditions de concurrence équitables.

Il existe enfin des raisons citoyennes à la régulation. Par nos écrans et nos radios, nous nous divertissons, nous nous informons, nous nous cultivons. En comparaison de certaines autres démocraties, je veux rappeler la chance que nous avons, et saluer la qualité de l’information fournie par notre audiovisuel. Je veux redire, également, qu’il est la première porte d’entrée vers la culture. Le cinéma et la télévision, plus encore que d’autres médias, permettent de changer les regards et les perceptions. Ils portent à ce titre une responsabilité, tout particulièrement vis-à-vis des jeunes générations.

Pour toutes ces raisons, l’audiovisuel est un secteur stratégique.

La loi relative à la liberté de communication et l’ensemble des règles qui régissent ce secteur sont datées. Elles ont été conçues pour un univers restreint à une époque radicalement différente de celle que nous vivons aujourd’hui. Pour mémoire, en 1986, l’ambition affichée était de soumettre les éditeurs de chaînes de télévision et de radio à des obligations d’intérêt général, en contrepartie de l’attribution gratuite d’une ressource de diffusion rare : les fréquences hertziennes. Ces obligations ont été peu à peu appliquées à la diffusion par câble et satellite, puis par ADSL, à force de rapiècements consécutifs, sans, en fait, repenser une logique d’ensemble. Mais dans le même temps, le système de régulation a totalement ignoré l’émergence, dès les années 1990, de ces nouveaux acteurs qui ont prospéré en passagers clandestins ces dix dernières années.

Le numérique, symbole de liberté, de consommation à la demande et illimitée, nouveau secteur économique rempli de possibilités, a toujours paru inatteignable, inattaquable pour le régulateur. Notre ambition, c’est de ne plus en avoir peur. Les acteurs traditionnels et les acteurs numériques doivent pouvoir coexister. Cette cohabitation bénéficiera, bien entendu, aux publics, qui auront plus de liberté.

C’est tout l’objet de la réforme de la loi sur la régulation audiovisuelle.

Pour protéger les publics et les acteurs audiovisuels nationaux, nous devons intégrer dans notre modèle de régulation ceux qui croient pouvoir échapper aux règles. Cela implique également d’assouplir celles qui s’imposent aux acteurs traditionnels. Ce chantier suppose la modernisation de nos moyens d’action.

Nous diviserons le travail de rédaction de la loi en quatre chapitres.

Tout d’abord, renforcer l’audiovisuel public. En juin, vous le savez, j’ai présenté de concert avec les dirigeants des six sociétés concernées un scénario d’anticipation. Un scénario qui met au cœur des préoccupations la proximité, la jeunesse et l’éducation, la culture, la création et l’investissement dans le numérique. Un scénario fondé sur des synergies nécessaires et novatrices entre l’ensemble des acteurs. La loi doit nous permettre de traduire cette transformation en traitant le sujet de la gouvernance – qui inclut le mode de nomination des dirigeants et la composition des conseils d’administration – et en prévoyant les dispositions nécessaires pour s’assurer des synergies et coopérations entre les six sociétés.

Ensuite, mieux financer et exposer la création. Je ne peux pas, à ce stade, détailler nos pistes de travail. En revanche, il y a urgence réglementaire et financière à procéder à la transposition de la directive SMA. Netflix, qui vient d’ouvrir un bureau à Paris, va, grâce à cette loi, devenir un acteur essentiel du financement de la création audiovisuelle française, ce que j’ai eu l’occasion d’évoquer il y a quelques mois, à Lille, avec M. Hastings, lors d’un entretien très constructif.

En cohérence avec l’esprit de la loi de 1986, nous allons continuer à protéger les publics et garantir le pluralisme. Cela suppose évidemment la prise en compte des nouveaux usages. Une fois transposée, la directive SMA permettra d’étendre la protection des publics aux plateformes de partage de vidéos. Comme les opérateurs régulés de la télévision et de la radio, elles ne pourront plus diffuser de contenus portant atteinte au public, en particulier les contenus incitant à la haine et au terrorisme, ou portant atteinte aux enfants.

Enfin, pour assouplir et moderniser la régulation, nous simplifierons et améliorerons la lisibilité de la loi. Nous ferons en sorte que les outils du régulateur soient plus efficaces à l’ère numérique.

Je crois profondément, c’est une conviction, que sur un certain nombre de sujets, il faut laisser plus de place aux discussions, à la négociation interprofessionnelle. C’est notamment le cas en ce qui concerne les relations entre les producteurs et les diffuseurs. Des avancées significatives ont été faites ces dernières années, mais je considère que le point d’équilibre n’a pas été atteint. Je souhaite fortement que, dans les prochaines semaines, de nouvelles discussions aboutissent à un nouvel équilibre. Mais si la situation n’évoluait pas, l’État prendrait ses responsabilités, au bénéfice de l’ensemble de la filière, y compris par la loi.

Autre enjeu important : la nécessaire modernisation de l’écosystème des régulateurs. Dans un contexte où le régulateur traditionnel des contenus audiovisuels développe de plus en plus de compétences vis-à-vis du numérique, émerge nécessairement la question de son rapprochement avec d’autres autorités qui agissent dans ce champ. L’ensemble de ces interrogations sont légitimes, y compris celles formulées dans le rapport remis ce jour. Je suis ouverte à toutes les pistes de réflexion, mais ma priorité, avant toute chose, est de me préoccuper de l’efficacité d’une régulation élargie aux nouveaux acteurs du numérique.

Je tiens à saluer une fois encore la richesse de ce rapport et remercier leurs auteurs, et en particulier Aurore Bergé, pour son implication. J’attends beaucoup des conclusions de cette journée de travail.

Pour le travail législatif qui démarre, je veux que prévale l’esprit d’équipe. Lorsqu’il s’agit d’entamer le chantier législatif, c’est évidemment vers le législateur qu’on se tourne. Monsieur le président, cher Bruno, je sais pouvoir compter sur l’ensemble des travaux parlementaires menés par la commission des affaires culturelles que vous présidez. Nous travaillerons également ce texte au niveau interministériel, comme nous avions pu le faire pour la transformation de l’audiovisuel public.

Mounir Mahjoubi viendra conclure cette journée de travail. Je me réjouis de sa participation active et de notre complicité pour l’élaboration de ce texte. Sa connaissance de l’écosystème numérique et son expérience dans ce secteur sont une véritable chance. C’est avec lui et ses équipes que nous proposerons au Premier ministre une clarification des tâches et guichets d’entrée entre les régulateurs concernés par l’écosystème audiovisuel ; c’est à ce titre que la HADOPI, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), l’ARCEP et le CSA seront présents à la troisième table ronde de cet après-midi. Je tiens à cet égard à saluer vivement le rapport rendu public par le CSA le 11 septembre dernier, qui appelle à une refonte d’ampleur de la régulation audiovisuelle.

Je travaille également aussi étroitement avec Nicole Belloubet, garde des Sceaux, et ses équipes, sans lesquelles une lutte efficace contre le piratage serait un vœu pieux.

Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’une alliance entre nos trois ministères
– Culture, Justice et Numérique –, assez inédite sur ces sujets, place nos travaux sous les meilleurs auspices. Nous sommes conscients que nous ne pouvons décevoir ni les acteurs du secteur, ni les Français, attentifs à l’évolution d’un audiovisuel qu’ils côtoient chaque jour, dans un contexte d’urgence de la transformation.

Avant de vous laisser la parole, vous l’aurez compris : je suis déterminée à faire bien, mais aussi à aller vite. Parce que j’estime que nous avons trop attendu. Parce que la transposition de la directive SMA ne doit pas tarder. Parce que, longtemps, la France a été le mauvais élève de la transposition des directives européennes ; cette fois-ci, montrons l’exemple ! Montrons aux citoyens français l’efficacité de la protection que l’Europe peut leur offrir. Je souhaite donc que le texte de loi soit finalisé fin 2018 pour entamer les consultations obligatoires, en premier lieu le CSA, dès le mois de janvier, afin de présenter un texte en Conseil des ministres à la fin du mois de mars.

Mesdames et messieurs les députés, je veux vous remercier très chaleureusement pour votre implication dans cette mission d’information. Parce que les sujets que nous aurons à traiter dans la loi sont d’une importance cruciale, vos perspectives et vos points de vue sont indispensables pour avancer. J’ai à cœur que nous travaillions ensemble à un texte d’avenir. Notre audiovisuel le mérite. Un très grand merci et une très bonne journée à tous. Comme il se doit dans un agenda de Ministre, j’aurais eu le plaisir de lancer la journée de travail, et je vais vous laisser maintenant démarrer vos tables rondes.

 

Première table ronde :
« Vers une nouvelle alliance entre les acteurs nationaux ? »

M. le président Bruno Studer. Le rapport formule plusieurs propositions qui vont dans le sens d’une amélioration des conditions économiques dans lesquelles évoluent les acteurs nationaux, afin de les rendre collectivement plus fort dans la compétition nationale et mondiale.

Il s’agit, notamment, de repenser la définition de la production indépendante à laquelle les diffuseurs doivent faire appel, définition qui comprend aujourd’hui, au-delà d’un critère capitalistique, des critères relatifs aux droits et mandats possédés par les chaînes. La rapporteure Aurore Bergé propose ainsi que l’indépendance soit définie par un seul critère capitalistique – ramené à 0 % –, tandis que les droits et mandats seraient négociés dans le cadre d’un accord interprofessionnel ou de gré à gré entre les chaînes et les producteurs.

Ma première question sera donc la suivante : quel regard portez-vous, les uns et les autres, sur cette proposition ? Pensez-vous que les négociations en cours puissent être facilitées par une telle évolution législative ? Très concrètement, quelles sont les propositions des organismes et entreprises que vous représentez en matière de droits et mandats ?

Au-delà, je souhaite vous interroger sur les stratégies que les acteurs nationaux peuvent aujourd’hui conduire face à la concurrence internationale. Je pense notamment au lancement de SALTO, dont Julien Verley et Jean-Michel Counillon pourront nous parler plus précisément. Cette initiative est-elle, selon vous, à la hauteur des enjeux ? Que peut-on en attendre ? De tels projets, pour être fructueux, ne devraient-ils pas avoir une envergure européenne ?

Enfin, je voudrais vous faire réagir sur un sujet qui cristallise une large part des enjeux auxquels vous êtes, tous, confrontés : la chronologie des médias. Pourquoi les acteurs que vous représentez ne parviennent-ils pas à se mettre d’accord ? Comment voyez-vous une éventuelle mais de plus en plus vraisemblable incursion législative dans ce domaine ?

Je vais laisser la parole à nos différents intervenants, que je remercie de leur présence ce matin. Je vous propose de vous exprimer chacun pour environ 5 minutes, avant un temps d’échange avec la salle.

M. Emmanuel Priou, président du Syndicat des producteurs indépendants (SPI). En préambule, le SPI représente environ 450 sociétés. Il a la particularité d’être le seul syndicat unitaire : il regroupe à la fois des producteurs du cinéma, de l’audiovisuel, de tous les genres du documentaire jusqu’à l’animation en passant par le spectacle vivant. Deuxième spécificité : nous sommes présents sur tout le territoire jusque dans les territoires d’outre-mer et dans toutes les régions de France. Comme l’indique notre acronyme, nous sommes un syndicat indépendant ; cette notion d’indépendance du producteur est au cœur de nos réflexions. Je voudrais souligner un point que la ministre a brièvement évoqué tout à l’heure : la place particulière que la France occupe dans le monde, du point de vue de la culture. On a inventé, il y a soixante-dix ans maintenant, le CNC ; nous avons inventé, il y a soixante ans, le ministère de la Culture, et heureusement d’autre pays ont repris cette formidable idée. Le rayonnement de la France au travers de sa culture, et en particulier de sa culture cinématographique et audiovisuelle, est indéniable et indiscutable. Rapporter au nombre d’habitants de notre pays, c’est évidemment extraordinaire. Cette idée qui peut déjà paraître ancienne aujourd’hui est vraiment au cœur de nos préoccupations. Il faut donc prendre garde à ce que, dans un souci de vouloir simplifier, de vouloir changer, de vouloir coller aux habitudes, on n’oublie pas ce sur quoi sont fondées ces valeurs importantes que la France représente aujourd’hui aux yeux du monde.

Bien sûr, le monde a changé en quelques années, notamment avec l’arrivée des GAFAN. Le monde d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir, mais les auteurs, les producteurs, les créateurs que nous représentons continuent de créer. Finalement, peu importe le stylo que l’on utilise, peu importe le tuyau dans lequel ces œuvres sont diffusées. Au départ, il y a toujours la création, la volonté de créer, de raconter des histoires, ou de rapporter les faits qui se déroulent autour de nous. Il faut prendre garde à ce que le discours sur les moyens ne prenne pas le pas sur cela.

En ce qui concerne le rapport, nous l’avons trouvé très complet, et pour l’essentiel plutôt positif ; nous soutenons un certain nombre de ses propositions. J’aimerais souligner un point : la nécessité de ne pas décorréler une proposition d’une autre, car toutes sont liées.

Il est évidemment judicieux de proposer une modernisation de la CAP, que nous appelons de nos vœux depuis fort longtemps. Cela paraît inévitable de coller aux habitudes de nos concitoyens. Je crois avoir compris dans le rapport que, si on élargissait cette assiette tout en maintenant le montant actuel, il y aurait un supplément de recettes. Il me semble que vous proposez que ces recettes supplémentaires servent à compenser l’arrêt de la publicité sur Radio France d’une part, et sur France 5 d’autre part. Nous pensons que les recettes actuelles du service public sont insuffisantes. Si on trouve un moyen formidable de les augmenter, ce n’est pas pour aller les redistribuer ailleurs, toute aussi pertinente que soit cette proposition. Globalement, la suppression progressive ou même l’arrêt de la publicité sur le service public, en tant que citoyen d’une part, et producteur d’autre part, nous paraît une bonne chose. Mais il faut en parallèle augmenter les ressources du service public.

Aujourd’hui, on nous demande, à nous producteurs, de céder un peu plus de mandats et de pouvoir élargir les droits au non-linéaire. Il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de recettes que nous parvenons à obtenir pour financer ces programmes viennent du fait que nous arrivons parfois à vendre lesdits programmes à une petite chaîne en deuxième fenêtre ou à un service de vidéo à la demande. Il faut donc prendre ces éléments en considération, car ils sont essentiels, notamment en matière de financement.

SALTO est une idée formidable, que nous soutenons et qui doit avoir les moyens de se battre face à ces géants que nous avons tous en tête. S’il n’y a pas plus d’argent dans le secteur, que ce soit au niveau de la plateforme SALTO ou du service public, en chercher au niveau des productions et des œuvres que nous fabriquons risque de nous conduire très rapidement à une nouvelle impasse, avec des droits certes étendus, mais avec moins d’argent au final.

M. le président Bruno Studer. Je rappelle ma question, sur la proposition de Madame Bergé sur la définition de l’indépendance de la production : que pensez-vous de cette proposition, très concrètement ?

M. Emmanuel Priou. En ce qui concerne l’indépendance, nous défendons depuis quinze ans déjà le critère de 0 % capitalistique. C’est à la même époque que nous avons inventé la notion d’indépendance relative par rapport à l’indépendance absolue. Cela nous paraît être une excellente chose. Je rappelle tout de même que lorsqu’un producteur est face à un diffuseur –le rapport de force n’est généralement pas en faveur du producteur –, et qu’ils négocient les mandats, la discussion n’est pas toujours amicale. Parfois, c’est à prendre ou à laisser. On peut donc être indépendant et céder volontairement sa propriété, mais en réalité, dans les rapports quotidiens, cette autonomie-là n’est pas toujours garantie. Pour autant, il nous semble qu’il faut discuter de ces points de manière plus approfondie, car la détention des mandats pour le producteur est importante. À moins que, miraculeusement, les financements en amont soient tellement supérieurs, et que ce soit un plaisir de céder ces mandats à nos partenaires diffuseurs.

M. le président Bruno Studer. Dernière question pour laquelle je n’ai pas eu d’éléments : la chronologie des médias.

M. Emmanuel Priou. C’est une question complexe. Cela fait très longtemps que nous discutons avec nos partenaires de ces sujets. Nous sommes arrivés à une proposition acceptable pour le SPI, nous étions prêts à signer ; mais cela n’a pas été possible car certains acteurs ne souhaitent pas signer pour l’instant. Nous espérons donc que, dans les prochaines semaines, nous allons parvenir à débloquer cette situation et à signer avec tout le monde un accord qui devra probablement être renouvelé dans les deux à trois années qui viennent et modifié à l’aune des usages qui auront été analysés à ce moment-là.

M. Julien Verley, directeur du développement commercial de France Télévisions. Il a été souligné à quel point ce rapport est le fruit d’un travail complet, tant en ce qui concerne les auditions organisées qu’en termes de secteurs couverts. Je souhaitais souligner la vision et la réflexion économiques notables sous tendues dans ce rapport. Nous en partageons certains constats, mais je ne les reprendrai pas faute de temps. Nous sommes d’accord sur le fait que le paysage a considérablement changé et que ce mouvement s’accélère. Les usages, du fait de ces évolutions, ne correspondent plus aux offres de télévision classiques qui sont proposées. Nous souffrons tous les jours des nombreux handicaps et des asymétries de régulation qui ont été soulignés à juste titre dans le rapport. L’objectif principal de ce rapport, tel que nous le percevons, est de rapatrier autant que possible de la valeur et de la croissance sur le territoire.

Je souhaiterais me concentrer sur deux sujets en particulier : le premier – et qui me concerne au premier chef en tant que salarié de France Télévisions – concerne tout ce qui consiste à libérer les freins à la croissance ; le second porte sur la création du contexte le plus favorable possible pour favoriser des alliances au sens large, cœur de notre débat de ce matin.

En ce qui concerne les freins à la croissance, nous y sommes éminemment favorables. Un certain nombre de propositions sont avancées, sur lesquelles je ne reviendrai pas, que ce soit la dérégulation de certains secteurs publicitaires ou l’évolution de la CAP. Cela va globalement dans le bon sens. Je souhaiterais par ailleurs souligner, en écho à Emmanuel Priou, que cette croissance ne doit pas se solder par un jeu à somme nulle, où ce qui est créé d’un côté est repris de l’autre. Il faut au contraire que cette croissance participe au financement de la création. C’est clairement notre objectif au sein de France Télévisions. Même si nous estimons important que l’ensemble du secteur se porte bien, les mesures relatives à la publicité auront peu d’impact sur nos recettes et seront plutôt de nature à favoriser les acteurs privés. Pour autant, il importe également que le modèle économique de France Télévisions soit robuste et en croissance, et notamment pour moins peser, éventuellement, sur le pouvoir d’achat des ménages et les finances publiques et pour diversifier les ressources commerciales, dans un contexte où la croissance, notamment des revenus publicitaires, n’est sans doute pas totalement acquise.

En ce qui concerne les alliances, elles sont rendues plus propices par la menace avérée de voir face à nous s’ériger de grands acteurs. Nous sommes parvenus, à travers SALTO, à lever tout un tas d’antagonisme que l’on peut imaginer, en particulier entre éditeurs privés et publics. C’est un premier pas. Nous pourrons y revenir, sachant que beaucoup a été dit sur cette initiative française. Une seconde alliance essentielle est en train de se retisser
– elle est profonde et musclée –, entre producteurs, éditeurs et auteurs. Nous nous inscrivons dans une logique de partenariat avec les auteurs et les créateurs et nous comptons la poursuivre. Nous sommes tout à fait favorables à ce que l’on privilégie les accords de gré à gré ou interprofessionnels, plutôt que d’emprunter la voie législative. Nous avons d’ailleurs entamé, chez France Télévisions, des discussions avec les syndicats représentatifs des créateurs.

Dans cette discussion, il y a deux volets importants. Le premier qui touche à l’évolution des usages. Aujourd’hui, la proposition numérique des acteurs de télévision d’une façon générale comme de France Télévisions n’est plus adaptée ni aux usages, ni à leurs évolutions. Finalement, la dernière révolution numérique – la télévision de rattrapage – date d’il y a dix ans. Nous proposons aujourd’hui des offres numériques structurées autour d’une offre linéaire et d’une offre de rattrapage. Cela ne correspond plus aux usages, ni à la bascule numérique d’un certain nombre de nos chaînes, comme d’autres acteurs européens l’ont fait. Le premier volet de ces discussions a pour objet d’adapter les droits dont bénéficie le diffuseur aux usages.

Le deuxième volet, auquel je suis personnellement particulièrement attaché, est de se donner les moyens de développer les recettes commerciales dans un contexte économique et budgétaire qui sera, on le sait, baissier. Il y a pour cela deux aspects importants. Le premier touche à la distribution et à la récupération par France Télévisions des recettes générées par les programmes qu’il finance grandement. Il est un chiffre assez probant, dans ce domaine : entre 2009 et 2017, par exemple, France Télévisions a investi environ trois milliards d’euros dans la création et a perçu un peu plus d’un million d’euros de droits et de recettes en tant que coproducteur. Nous sommes donc proches de zéro ; c’est donc un sujet pour nous, sur lequel nous aimerions revenir.

Nous avons par ailleurs une activité de distributeur de programmes. Nos parts de marché, que ce soit dans l’animation, le documentaire ou la fiction, sont très faibles par rapport au montant que France Télévisions investit. Nous avons enfin une activité de production interne par le biais de France Télévisions Studios. Nous avons un savoir-faire en matière de production : nous nous félicitons à ce titre du lancement du feuilleton « Un si grand soleil » en septembre, qui est un grand succès pour la maison puisqu’il est intégralement produit en interne. Il nous semble important, là aussi, d’avoir les moyens de développer notre activité de production interne, qui crée un patrimoine pour l’entreprise.

M. Pierre Petillault, directeur adjoint des affaires publiques du groupe Orange. Je commencerais par joindre mes remerciements et mes louanges à ce rapport qui est très fouillé et que l’on estime de très grande qualité. En préambule à mon intervention, je souhaiterais commencer par un constat de relatif optimisme. Certes, nous sommes dans une période d’évolution accélérée, une sorte de révolution dans l’audiovisuel, sous le double effet du numérique et de la mondialisation. Nous voyons des équilibres, auxquels nous sommes habitués, être un peu bousculés. Pour autant, il nous semble que ces évolutions constituent aussi une bonne nouvelle pour la création et pour l’échelon le plus en amont de la chaîne de valeurs : les auteurs, les producteurs, les réalisateurs, etc. Pourquoi est-ce une bonne nouvelle ? D’abord parce que les évolutions technologiques de marché ont fait sauter les étranglements techniques entre le producteur et le spectateur. Aujourd’hui, on peut fournir une quantité infinie de programmes aux téléspectateurs, à peu près en tout lieu et à tout moment. Avec notre casquette d’opérateur télécom, nous contribuons à cela en essayant d’apporter une plus grande connectivité aux Français. La demande de programmes explose au niveau mondial. Je lisais l’autre jour qu’il y avait 525 nouvelles saisons de séries lancées aux États-Unis cette année, ce qui est visiblement un record absolu. Des acteurs mondiaux annoncent des investissements considérables dans la création européenne, et peut-être selon des modalités auxquelles nous ne sommes pas habitués en France.

Un signe qui ne trompe pas réside dans les mouvements capitalistiques à l’échelle mondiale : les rapprochements Disney/Fox et IT/Warner. Une des grandes raisons de ces rapprochements réside dans le contrôle des programmes et du catalogue. Le nerf de la guerre, ce sont désormais les programmes et en particulier les programmes de fiction. Il nous semble que tout cela constitue, à moyen et long terme en tout cas, une bonne nouvelle pour les créateurs, y compris pour les créateurs français, dont on connaît les talents. C’est une nouvelle un peu moins bonne pour les acteurs situés plus en aval dans la chaîne de valeurs, comme TF1 ou Orange, les éditeurs et distributeurs de services, qui font face à une concurrence plus intense aujourd’hui et, à certains égards, plus violente que par le passé. D’autant plus que nous sommes face à des acteurs de taille mondiale. Ils ont donc un bassin de clientèle large et bénéficient des économies d’échelle qui l’accompagnent. Or l’audiovisuel est une industrie de coûts fixes : plus votre bassin de clientèle potentiel est important, plus votre avantage compétitif l’est.

Par ailleurs, cette nouvelle concurrence ne répond pas aux mêmes règles. Cela nous pose un réel problème, qu’il s’agisse de la fiscalité ou de la réglementation. Notre principal souci est d’instaurer une réelle équité entre les acteurs. Nous sommes très contents de voir que c’est l’un des fils rouges du rapport et l’une des préoccupations fortes exprimée à l’instant par la ministre. À cet égard, un principe de bon sens pourrait guider les débats à venir : ne pas imposer de nouvelles règles aux acteurs nationaux si nous ne sommes pas sûrs de pouvoir les imposer simultanément et intégralement aux acteurs mondiaux présents en France, fussent-ils matériellement établis ailleurs.

Pour répondre plus directement, monsieur le président, aux questions que vous posiez : sur SALTO, je laisserai mon voisin, qui est plus impliqué que moi, répondre. En tant que distributeur, il est trop tôt pour nous prononcer, car nous ne connaissons pas exactement le périmètre exact de ce service, ni ses conditions tarifaires.

En ce qui concerne la notion d’indépendance, le rapport propose une simplification, ce qui constitue, en soit, une bonne nouvelle. Le niveau de complexité des règles est considérable et constitue une contrainte dans les investissements dans la création que peut consentir un acteur. Pour autant, notre principale préoccupation est de pouvoir créer des synergies dans nos propres investissements dans la création, notamment entre notre société de services de télévision payante et de télévision de rattrapage, OCS, et notre entreprise de co‑production, Orange Studios. De ce point de vue, le taux de détention capitalistique ne répond pas complètement à cette préoccupation. Pour autant, ce n’est pas le seul levier qui existe, il y en a d’autres dans le dispositif relatif à l’indépendance, et notamment le taux de l’investissement. C’est aussi des discussions que nous menons avec les acteurs du secteur en ce moment, dans le cadre du renouvellement de nos accords avec le secteur du cinéma.

J’en arrive à l’autre sujet, celui de la chronologie des médias. J’ai bon espoir que nous parvenions à une signature rapide. Le sujet connexe des accords cinéma constitue une préoccupation importante pour un acteur comme Orange, comme cela l’est aussi pour un acteur comme Canal+. Il est vraiment structurant de pouvoir renouveler notre engagement auprès du cinéma et de sécuriser cet accord parallèlement à nos accords sur la chronologie. Quant à la chronologie elle-même, nous pensons qu’il y a un relatif consensus, qui n’est certes pas parfait –certaines organisations ne veulent pas signer pour autant. Mais aurions-nous pu obtenir mieux avec autant d’acteurs autour de la table ? Je n’en suis pas complètement convaincu. Cet accord est ce qu’il est, et nous pensons qu’il pourra, si tout va bien, être signé dans les prochaines semaines.

M. Mathieu Debusschère, délégué général de la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP). Je vais me joindre au concert de louange : c’est là un travail très complet, et surtout un travail qui, selon moi, répond à deux caractéristiques absolument essentielles dans cette réflexion. La mission a réfléchi de façon collective en y associant l’ensemble des professionnels. Je pense, comme cela a été dit par plusieurs participants depuis le début de cette journée, qu’on ne peut pas changer une modalité, on ne peut pas bouger un curseur de notre régulation, même si elle est effectivement faisandée, sans que cela ait des conséquences sur un autre de ses pans. Depuis la fin des années 1980, beaucoup de choses ont changé : les modalités techniques d’accès aux œuvres, les offres commerciales et la typologie de celles-ci ont également été bouleversées. Pour autant, il s’agira de veiller à ne pas bouleverser un écosystème qui a permis, tant bien que mal, à une certaine diversité culturelle d’exister en France. Je tiens à rappeler, comme l’a fait Emmanuel, que cela n’a pas été le cas dans les pays européens, en Allemagne, en Espagne, en Italie. Aujourd’hui en France, il y a quand même encore près de 40 % de Français qui vont voir des films français en salle. Cela semble être une évidence, mais pourtant ça ne l’est pas. Il faudra garder en tête cette exigence de diversité culturelle dans l’ensemble de nos réflexions, comme c’est le cas de ce rapport.

L’autre aspect essentiel de cette réflexion, c’est son caractère prospectif. Nous devons absolument y veiller de manière collective, dans le cadre cette future loi audiovisuelle, Une vraie loi audiovisuelle, nous n’en avons pas eu une depuis un certain temps. La dernière était concentrée sur des aspects de gouvernance, en particulier en ce qui concerne le CSA. Nous avons là une très grande occasion – les parlementaires ont cette occasion – de réformer une régulation qui ne répond plus à la réalité des usages et des pratiques industrielles. Si nous ne parvenions pas à réguler ces nouveaux usages, cela équivaudrait tout simplement à une forme de dérégulation par défaut. Ce que nous ne souhaitons absolument pas, y compris les acteurs industriels présents autour de cette table. S’il est un sujet de concorde entre nous, c’est la stratégie à adopter face à des acteurs absolument monstrueux – au sens mélioratif du terme – comme Netflix ou Amazon. TF1, Orange, France Télévisions, les cinéastes et producteurs indépendants ont tout intérêt à être unis pour préserver ce principe de diversité culturelle, qui constitue une vraie richesse économique et civilisationnelle.

Je reviendrai sur la chronologie des médias à la fin de mon intervention. Travaillant avec des cinéastes, j’ai l’art de la narration et je vais tenter de garder le suspense jusqu’au bout !

La diversité culturelle est le premier concept qui nous meut, et que nous aurons à cœur de remettre systématiquement au centre du débat. Pour autant, je m’inscris parfois en faux par rapport à ce que je peux entendre sur un manque de collaboration entre les diffuseurs, et les distributeurs d’un côté, et de l’autre les créateurs. Je n’ai jamais vu un cinéaste se satisfaire de la mauvaise exposition de son film à la télévision ou sur une plateforme. Nous avons collectivement intérêt à échanger et à discuter ; dans le cadre de cette loi, je parle effectivement à Orange, TF1, France Télévisions et à l’ensemble des acteurs qui concourent au financement de la création, avec des volumes d’investissements et des qualités d’investissements différentes. Nous les considérons comme des partenaires et aurons donc à cœur d’échanger avec eux, d’entendre un certain nombre de leurs demandes, qui sont d’ailleurs mentionnés dans le rapport. Le principe général tendant à maximiser la visibilité des films européens et français sur les antennes de télévisions et sur les plateformes est un enjeu absolument fondamental. Cela va de pair avec le concept d’équité évoqué précédemment, que nous défendons également.

Quand nous nous sommes battus aux côtés de la ministre et de plusieurs parlementaires français dans le cadre de la révision de la directive SMA, le principe fondamental que nous avons défendu à Strasbourg durant des heures était un principe d’équité. Il fallait, pour des acteurs comme Amazon, Netflix, ou autre – linéaires, délinéarisés, peu importe du moment qu’ils tirent profit du bassin français et des talents français par capillarité –, qu’ils concourent d’une manière ou d’une autre au financement d’œuvres locales. Nous avons réussi, grâce à l’action du Gouvernement, à imposer ce principe d’équité. Il existe un principe de rigueur intellectuelle que nous devons mettre en œuvre collectivement.

Cela me permet de faire le lien avec la chronologie des médias, que l’on a signée et que l’on approuve. Pour autant, j’ai toute la liberté de dire qu’elle ne suffit pas. Le principe de neutralité technologique, qui est évoqué à plusieurs reprises dans le rapport, est un principe absolument fondamental. Si essentiel d’ailleurs qu’il a été défendu par la ministre de la Culture elle-même et par l’ensemble des membres du Gouvernement dans le cadre de la révision de la directive SMA. C’est ce type de principe que nous allons devoir défendre de manière intelligente, comme on l’a fait à Bruxelles et à Strasbourg, en France, y compris dans le cadre de la chronologie des médias.

La chronologie rejoint l’un des sujets que vous avez évoqué en préambule. Doit-on passer par des accords interprofessionnels ou bien par la loi ? Je fais partie de la concertation interprofessionnelle ; je ne vais pas vous dire que je la nie et je n’en ai pas terriblement envie. Je pense que ce n’est pas le désir des parlementaires que de devoir légiférer sur un niveau de détails tel que l’on peine parfois à voir quelle est la richesse de la concertation interprofessionnelle, que je crois réelle.

Pour autant, la chronologie des médias a montré que nous avions besoin de grandes lignes directrices. Le principe de neutralité technologique, par exemple, – peut-être est-ce du pessimisme ou en tout cas de la lucidité ? – ne sera pas acté par le biais d’une concertation interprofessionnelle. Il existe des principes sur lesquels nous avons besoin d’une manière ou d’une autre du législateur pour établir de grandes lignes directrices, avant de prendre nos responsabilités comme nous l’avons fait, il y a plusieurs semaines, en signant, sauf quelques acteurs, la chronologie des médias. J’invite l’ensemble des acteurs à discuter, comme nous le faisons avec France Télévisions, pour lui permettre de faire de la télévision de rattrapage et d’exposer au mieux la richesse du cinéma français et européen. Je tiens les mêmes propos à TF1 et aux différentes propositions qu’ils pourraient formaliser. Évidemment, elles ne nous convaincront pas toutes. Je dis la même chose à Orange dans le cadre des discussions que nous avons sur la chronologie des médias. Nous avons tout intérêt à être unis face à des acteurs qui sont, encore une fois, d’une taille absolument démentielle. Néanmoins, certains enjeux devront faire l’objet, d’une manière ou d’une autre, d’une intervention législative.

M. Jean-Michel Counillon, secrétaire général de TF1. Je me joindrai brièvement à tous les autres orateurs pour dire que j’ai particulièrement apprécié la qualité du rapport de Madame Bergé. C’est la première fois qu’un rapport se veut être une analyse de toutes les interconnexions de notre secteur, toutes les interdépendances et essaye d’aborder tous les sujets les uns par rapport aux autres ou les uns avec les autres. Je note, notamment, que c’est un rapport parlementaire qui se veut préparatoire à une loi audiovisuelle. Il aborde toute une série de sujets qui relèvent de la régulation et de la réglementation, et pas seulement de la loi. Je crois que cela, TF1 l’appelle de ses vœux depuis des années. Il faut aborder une réforme de la régulation audiovisuelle sur tous les aspects de cette dernière. Lorsque par exemple, on parle de la publicité, cela relève du domaine réglementaire et non législatif.

Quand nous venions, il y a quelques années, nous venions devant vos prédécesseurs et devant le gouvernement précédent, nous leur disions toujours : « Il faut faire évoluer les réglementations » Et ils nous répondaient : « Et vous, que faites-vous pour vous-mêmes ? ». Dès lors, nous n’avons pas chômé. Nous avons décliné une véritable culture de l’alliance et développé avec Mediaset et Prosieben Studio 71, qui est une vague plateforme de partage de vidéos en ligne européenne pour faire face à Facebook. Nous avons eu, avec nos partenaires des télécoms, une négociation, certes rugueuse, pour créer une nouvelle alliance sur le financement de nos contenus à travers les abonnements de ces opérateurs, afin de générer de nouvelles recettes pour la création et le financement du secteur dans un univers où la publicité, à cause des GAFAN, stagne voire régresse.

Nous avons également scellé une alliance avec France Télévisions et M6. Il ne nous est pas possible de dévoiler les détails de cette opération, car elle est en voie de pré-notification à la Commission européenne. Vous savez que, dans ce type de procédure, moins il en est dévoilé, moins on risque les remontrances des autorités de concurrence. Je peux toutefois vous dire que cette plateforme over the top ne sera pas nécessairement une concurrente de Netflix, mais viendra la compléter, pour les spectateurs et les abonnés internet, par une offre riche et totalement autonome de ses actionnaires fondateurs.

Enfin, nous avons toujours été demandeurs d’aménager les relations entre les producteurs et les diffuseurs sous la forme d’accords interprofessionnels. Pourquoi ? Parce que, d’abord, nos relations sont complexes ; elles sont le fruit d’une régulation qui était initialement complexe. Les notions de producteur indépendant et de producteur dépendant sont d’origine réglementaire ; elles remontent aux années 1980 et portent en elles une complexité en ce qu’elles induisent « un démantèlement », entre le producteur et le diffuseur, des droits acquis au titre du financement. La situation s’est compliquée avec l’arrivée du digital et des nouveaux modes d’exploitation des œuvres par les plateformes. Entre professionnels, nous sommes parvenus à faire évoluer nos relations, encore récemment sur ce couloir de souplesse laissé entre la part dépendante et la part indépendante. Mais, chose inédite – et je tiens à le souligner ici –, l’ensemble des syndicats de producteurs audiovisuels ont repris à leur compte la plateforme et les demandes du groupe TF1 en termes d’évolution de la réglementation. C’est la raison pour laquelle ces accords interprofessionnels sont structurants. Au lieu de s’opposer dans la complexité, nous parvenons à parler d’une même voix. Et cela constitue, pour le législateur, une aide fondamentale.

En ce qui concerne les alliances à venir, nous sommes demandeurs d’une alliance globale avec le cinéma. Dans les négociations qui ont eu lieu au CNC puis dans le cadre de la médiation de MM. Hurard et d’Hinnin, nous avons discuté de l’exploitation des œuvres sans évoquer leur financement. Nous avions à l’époque fait valoir à la ministre qu’il était illogique de modifier ces fenêtres sans, en amont, clarifier le modèle de financement. Je note, dans le rapport de Mme Bergé, une volonté de mutualiser au niveau des groupes les obligations relatives au cinéma, pour assurer la circulation des œuvres entre les chaînes. Nous avons insisté sur la nécessité d’une réforme globale du financement du cinéma, dont les décrets remontent au millénaire précédent et qui ne sont plus totalement adaptés au mode actuel d’exploitation du film. Il nous a été répondu que cette question serait abordée après celle de la chronologie. Au final, celle-ci n’est aujourd’hui pas signée en raison de l’absence d’accord avec Canal+ et Orange sur le financement… Cela démontre qu’un examen global, de la facette financement à la facette exploitation, est nécessaire.

Nous sommes également demandeurs d’alliances nouvelles en matière d’ouverture des secteurs interdits de la publicité à la télévision. C’est une très forte demande à laquelle nous resterons accrochés dans les mois et les années à venir, pour une raison très simple : la France est le seul pays où, alors qu’il y a une stagnation des recettes publicitaires, il y a encore des secteurs interdits à la publicité télévisuelle. C’est cette publicité qui finance, avec les abonnements et la redevance, une partie de la création. Il faut absolument remédier à cette bizarrerie. Le débat est un peu manichéen : ne pas le faire ou le faire. Pour notre part, nous proposons une alliance avec les annonceurs, les agences et les éditeurs pour mettre en place, sous l’égide des pouvoirs publics, des expérimentations d’une durée limitée, assorties d’une étude d’impact, pour montrer que cet argent, qui abondera la création via les diffuseurs, sera pris au GAFAN et non à la presse et à la radio. Il ne vous a pas échappé que lorsque ces secteurs interdits ont été mis en œuvre, il y existait trois grands médias : la radio, la télévision et la presse. Depuis, un quatrième média s’est installé entre la radio et la presse ; le média digital est le plus proche de la télévision, et c’est donc lui qui profite aujourd’hui de l’existence de secteurs interdits qui ne protègent plus la presse et la radio, mais exclusivement Facebook et YouTube. C’est une anomalie industrielle et politique. Nous demandons cette nouvelle alliance pour travailler ensemble sur ce sujet-là. Nous proposons d’ailleurs à nos amis du cinéma de travailler également, dans le cadre d’une plateforme de financement, sur une nouvelle façon d’envisager la publicité pour le cinéma à la télévision, en instaurant un tarif culturel comme pour l’édition, qui permettrait de faciliter l’arrivée des œuvres cinématographiques françaises sur les chaînes de télévisions, et en les favorisant par rapport à leurs concurrentes américaines.

Enfin, nous demandons une nouvelle alliance, qui vous fera peut-être sourire mais qui est sincère. C’est une alliance entre les producteurs audiovisuels, les diffuseurs et le CNC pour réfléchir ensemble aux aides que nous attendons pour le secteur de l’audiovisuel, aujourd’hui en pleine révolution. Ce secteur s’est réinventé : c’est en son sein que fleurissent le plus de nouvelles écritures, de prototypes, de nouveaux projets, qui rencontrent leurs publics. Il faudrait peut-être qu’une logique plus partenariale régisse les relations entre les autorités administratives et les contributeurs ou bénéficiaires de ces aides.

Enfin, je voudrais vous faire part d’une petite remarque sur Netflix. Il y a trois ou quatre ans, nous avions proposés à ses dirigeants de leur faciliter l’entrée sur le marché français en les labellisant « Soutien à l’exception culturelle » et en leur offrant un droit de choix sur l’ensemble des œuvres audiovisuelles et cinématographiques que nous coproduisions afin qu’ils s’insèrent dans une fenêtre payante, en contrepartie d’un préfinancement de ces œuvres. Cette proposition ne les a nullement intéressés, car leur ambition est d’acheter tous les droits sans les partager avec d’autres financeurs. Cela montre à quel point le modèle économique de ces acteurs est totalement incompatible avec l’exception culturelle française.

M. Emmanuel Priou. Je souhaite réagir aux propos de Julien Verley. Nous sommes très attachés à la distinction du travail des producteurs et des diffuseurs. Ce n’est pas le même métier. Cela n’empêche pas qu’il y ait des talents de producteurs chez certains diffuseurs ; mais lorsque l’on regarde d’un peu plus près les coûts de fabrication, on se rend compte que ce n’est pas vraiment une source d’économie par rapport au secteur. C’est un point important : c’est la diversité des producteurs, des créateurs, des acteurs qui crée la créativité et la diversité sous toutes leurs formes. Si cela est concentré demain sur quelques grands acteurs, nous craignons que cela nuise à la diversité.

Par ailleurs, sauf erreur de ma part, je ne crois pas avoir noté dans le rapport de Madame Bergé le mot « documentaire ». Elle évoque la culture scientifique notamment, ce qui est très intéressant. Néanmoins les modes de financement ne sont pas distingués en fonction des genres. Or, on ne finance pas de la même manière le cinéma, la fiction, le documentaire, l’animation, le spectacle vivant, etc. Aujourd’hui, l’animation et le documentaire sont les genres les moins financés par le diffuseur. Nous allons donc chercher ces financements ailleurs, notamment au niveau international ou chez d’autres partenaires nationaux. Appliquer des règles de financement identiques sans tenir compte des genres risque de poser de sérieux problèmes aux genres les plus fragiles. Cela est valable pour le partage de la valeur, pour les droits que nous serions prêts à céder à nos partenaires diffuseurs et qui ne sauraient être cédés sans contrepartie de financement initial. Ce n’est pas par gaieté de cœur qu’on se complique la vie en tant que producteur, en allant chercher des petits compléments de financement auprès d’un second diffuseur, de partenaires européens ou internationaux. Cela serait beaucoup plus simple pour nous de n’avoir qu’un partenaire principal, en complément du CNC, pour financer nos œuvres, comme c’est le cas dans le domaine de la fiction.

M. Julien Verley. Il existe un cercle extrêmement vertueux en matière de fiction. Les Français aiment leurs fictions. Elles battent des records d’audiences incroyables, quelle que soit la chaîne qui les diffuse. Ces fictions françaises connaissent également un joli succès à l’international. Les ventes ont crû de 30 % de 2016 à 2017. C’est extrêmement vertueux, car le secteur se développe et se structure. La France avait structurellement, par rapport à d’autres pays, notamment l’Angleterre, un secteur moins bien organisé. Le fait d’avoir trois fictions à succès structure la filière. Nous sommes fermement engagés et convaincus que ce secteur-là est important.

Ma deuxième remarque a trait à la notion d’indépendance : il y a d’un côté, les producteurs indépendants qu’il faut défendre et soutenir car ils ont parfois des modèles économiques fragiles, et de l’autre, un important mouvement de concentration de sociétés de production qui se rassemblent, se consolident et deviennent puissantes, qui ont des activités de production mais aussi de distribution et qui évincent d’autres acteurs.

Mme Céline Calvez. Je salue à mon tour l’essor de la fiction : c’est le thème que j’ai choisi de traiter dans le cadre du rapport pour avis sur le PLF 2019. Quand on parle d’une alliance entre les acteurs nationaux, quelles sont les conséquences possibles d’une alliance retardée avec les acteurs européens ? Est-ce que le fait de jouer sur un terrain national est un préalable ou un frein à la prise en compte de la dimension européenne ?

M. le président Bruno Studer. Je m’associe à cette question, que j’allais moi-même poser.

Mme Fabienne Colboc. Je remercie l’ARP de préciser que la diversité culturelle sera toujours au cœur des réflexions qui nous animent. J’aimerais revenir sur la troisième coupure publicité et savoir quel est votre avis sur cette proposition.

M. Mathieu Debusschère. Accepter une troisième coupure publicitaire irait à l’encontre de mes propos précédents. Pour autant, comme les jours interdits, cette réglementation n’a peut-être plus de sens aujourd’hui. Je ne peux que constater ce qui relève du fait. Nous avons de nombreuses réserves sur l’ouverture de la publicité pour le cinéma à la télévision, notamment en raison des conséquences que cela pourrait avoir sur la diversité, mais j’entends aussi l’argument d’iniquité par rapport aux médias numériques. Prétendre le contraire serait mensonger. Ce qu’avance TF1 est vrai ; mais ce n’est pas une raison pour ne pas considérer les conséquences que cela pourrait avoir. Au final, je ne saurais vous apporter une réponse tranchée, car ceci relève d’une discussion plus globale.

M. Jean-Michel Counillon. Il existe aujourd’hui deux univers : l’univers digital qui permet l’émergence d’alliances européennes – c’est le cas de Studio 71 – en raison d’un modèle économique et de modes de consommation fondamentalement transnationaux, et l’univers de la télévision, qui répond à un modèle purement national. Il existe une asymétrie totale de régulation entre les pays sur les mêmes sujets. Nous avons réussi, avec M6 et France Télévisions à trouver une affectio societatis commun : il était important de nous retrouver ensemble dans l’univers hyperbalkanisé de l’OTT, qui comporte des acteurs très puissants. L’agglomération de nos forces ne sera pas un moindre effort. Si demain, on voulait dupliquer l’expérience SALTO avec les services publics européens et les grands groupes privés européens, ce serait une opération d’une rare complexité. Elle pourrait, au mieux, faire perdre énormément de temps à tous pour arriver à contenter des partenaires aux logiques et aux intérêts différents ; au pire, elle n’aboutirait jamais. Il faut bien comprendre que le temps économique va deux voire dix fois plus vite que le temps politique, et que le temps politique va dix fois plus vite que le temps juridique. Entre le temps de la constatation d’une situation de marché et la prise en compte de cette situation par le droit, cette situation a souvent totalement changé au moment où la loi cherche à l’adapter. On le voit avec les directives européennes par exemple. Il est donc difficile de créer, sur des sujets de télévision, des alliances européennes.

M. Julien Verley. Je rejoins tout à fait ce que dit Jean-Michel Counillon. Nous sommes absolument convaincus de la nécessité d’aller chercher des alliances au-delà de notre seul territoire domestique. L’Europe est le terrain le plus naturel. Mais, malheureusement, l’Europe est une somme de pays avec non seulement des cultures mais aussi des structures, des droits et des modes de distribution propres. En même temps, nous avons beaucoup en commun. Nous sommes dans une approche méthodique, par briques. France télévisions a fait un pas vers d’autres structures publiques pour créer une alliance dans le domaine de la production. Ce n’est pas si simple à construire mais c’est absolument nécessaire pour obtenir une capacité de financement suffisante des fictions, qui nécessitent des budgets élevés. C’est une étape importante. Je pense, même si c’est moins évident, qu’il y a peut-être une réflexion à mener sur la distribution et la possibilité d’un accord miroir à celui qui existe dans le domaine de la production, afin d’évaluer dans quelle mesure ces acteurs qui partagent des valeurs de services publics ne peuvent pas trouver un terrain d’entente dans le domaine du financement.

Imaginer une plateforme paneuropéenne est extrêmement compliqué, notamment car chacun des marchés répond à une concurrence et à un système de distribution spécifiques. Nous pourrions imaginer une forme de mutualisation – je me prends à rêver –, une marque commune, un SALTO commun, par exemple. C’est un investissement marketing. Le marketing est important ! Nous pourrions imaginer des accords qui porteraient sur des plateformes techniques communes. Là aussi, les investissements sont importants et pourraient être mutualisés à travers une offre paneuropéenne. Ma réponse est un peu compliquée : nous appelons de nos vœux ces alliances – elles sont toutes indispensables – mais il y a un vrai sujet d’échelle, car nous n’arrivons pas à financer correctement les programmes domestiques. Il faudra le faire étape par étape.

M. Emmanuel Priou. Parler d’une alliance entre les différents acteurs, c’est parler d’une véritable confiance. Ce n’est pas parler d’une alliance tactique ou stratégique qui, à court terme, permettrait d’obtenir tel ou tel gain personnel ou corporatiste. Si nous allons vers une alliance plus poussée entre nous, cette confiance doit passer par plus de transparence. Ces dernières années, nous avons signé avec les diffuseurs et les auteurs un certain nombre d’accords de transparence ; mais il y a encore du travail sur ces questions-là. Je pense par exemple à Canal +, qui est à la fois distributeur et éditeur. On a du mal à savoir, en regardant son chiffre d’affaires, où est-ce qu’il se situe entre ces deux casquettes. Du côté des producteurs, même si beaucoup a été fait déjà, il y a certainement encore des améliorations possibles en matière de transparence des relations entre le CNC et les producteurs. Enfin, les plateformes sont évidemment au cœur de nos réflexions. S’il n’y a pas de la transparence sur leurs abonnés et leur chiffre d’affaires ramené au niveau national, nous ne pourrons créer une alliance efficace – ou alors, une alliance de façade qui ne durera probablement pas longtemps. Je tenais à insister sur ce lien fort entre alliance, confiance et transparence.

M. Pierre Petillault. Les marchés sont très fragmentés, en termes de consommation comme en terme culturel et juridique. De ce point de vue, la révision de la directive SMA – elle marque, certes, des progrès – est peut-être une occasion manquée en termes d’harmonisation européenne. Des fragmentations de règles persistent. Ce débat est derrière nous.

Si nous ne souhaitons évidemment pas l’émergence de comportements standardisés de consommation culturelle dans tous les pays européens, la convergence demeure une condition à des alliances ambitieuses. Par exemple, dans l’univers totalement différent des télécoms, nous avons formé une alliance très ambitieuse avec la Deutsche Telekom, portant sur 7 milliards d’achats annuels en commun de terminaux et d’équipement réseaux. Pourquoi ? Parce que ces équipements sont totalement standardisés. On achète les même iPhone et les mêmes équipements réseau pour faire fonctionner le réseau mobile en Allemagne et en France. Heureusement, l’univers audiovisuel n’est pas celui-là. Nous avons un partenariat assez ambitieux avec la RAI, qui verra l’arrivée d’une fiction inspirée du film « Le nom de la rose » et du livre d’Umberto Eco, qui devrait être diffusée en 2019. Je rejoins ce que disait Julien : nous sommes plutôt dans une logique pragmatique et au cas par cas, que dans la construction de grandes usines à gaz communes.

M. le président Bruno Studer. Nous arrivons au terme de cette première table ronde. J’ai bien pris note de tout ce que vous avez pu dire sur cette mission que j’ai souhaité lancer très rapidement après mon élection à la présidence de la commission. J’ai toujours affirmé, non seulement que c’était le chantier majeur de la commission, mais aussi de la mandature. Certes, il est moins médiatique que d’autres, mais il est essentiel. Nous suivrons de très près l’ensemble des travaux de la ministre.

 

Deuxième table ronde :
« Quel partage de la valeur à lère numérique ? »

Mme Aurore Bergé, rapporteure de la mission dinformation. Nous abordons maintenant la deuxième table ronde de cette journée d’échanges avec un sujet crucial : celui du partage de la valeur à l’ère numérique.

Nous avons constaté, à travers les différentes auditions que nous avons conduites, que ce partage n’avait pas nécessairement été rendu plus équitable par l’arrivée des acteurs du numérique, et ce malgré les accords passés avec les sociétés d’auteurs, que vous représentez, obtenus de haute lutte des géants du Net.

Il semble qu’il y ait encore beaucoup de chemin à faire pour assurer une réelle transposition des modes actuels de rémunération des auteurs aux contenus digitaux, natifs ou non, mais aussi pour permettre une juste rémunération de tous ceux qui contribuent à la création dans le cadre de modèles économiques – que ce soit celui de l’abonnement ou de la gratuité –, qui permettent une consommation illimitée des contenus.

Le sujet, qui a pris une ampleur sans précédent avec le numérique, est aussi celui du piratage, auquel certains acteurs de l’internet apportent, de fait, leur contribution, en facilitant l’action des pirates : je pense bien sûr à Google sur l’enjeu du référencement, à YouTube, qui a mis en place Content ID et fait le choix, sur cette plateforme, de permettre la publicité pour les contenus amateurs – contrairement à Dailymotion –, mais aussi à Facebook, réseau sur lequel le phénomène de streaming en direct devient préoccupant, en particulier pour le monde sportif mais aussi peut-être, demain, pour le spectacle vivant. Nous pourrions dire la même chose de Twitter.

La directive « Droit d’auteur » devrait, sur ces différents sujets, apporter des éléments de réponse ; je souhaiterais que vous réagissiez à la dernière version proposée par le Parlement européen, qui a pu parfois vous opposer.

Au-delà, quelle coopération peut-on attendre des géants du Net sur ce point ? J’ai proposé, dans le rapport, qu’ils mènent des actions pédagogiques de grande ampleur et qu’ils coopèrent de façon plus affirmée avec les ayants droit, notamment lorsqu’une décision judiciaire a été prise. J’ai également suggéré une coopération rapprochée avec la HADOPI, plus particulièrement pour la labellisation de sites proposant des contenus de façon légale. Comment réagissez-vous à ces propositions ?

Enfin, quand on parle de partage de la valeur, il faut aussi parler de financement de la création. Quel regard portez-vous, en particulier, sur la contribution fiscale aujourd’hui payée par YouTube, Netflix et Amazon ? Sommes-nous à la hauteur des enjeux, et de la place qu’occupent ces plateformes dans le paysage audiovisuel ? Sur le sujet de la fiscalité des GAFAN, je suis également ravie de la venue de Pierre Moscovici, commissaire européen et ancien ministre, qui conclura tout à l’heure cette table ronde.

Chers intervenants, je vous remercie de votre présence cet après-midi et vous propose d’intervenir à titre liminaire pour 5 minutes chacun, avant un échange avec la salle. Je vous cède immédiatement la parole, pour une table ronde très masculine !

M. Laurent Samama, directeur des Partenariats Médias Europe de Google France. Je remercie la commission de nous accueillir ici à l’Assemblée nationale, et du travail impressionnant qui a été fourni dans le cadre du rapport publié ce matin. Gisement de croissance, diversité de la culture, lutte contre le piratage sont trois thèmes qui ressortent dans le rapport, et ils nous sont chers. En septembre dernier, Google a fêté ses vingt ans. Cela fait vingt ans que notre entreprise existe, innove et développe des technologies pour donner accès à tous à l’information. Nous savons qu’avec ces innovations, des questions se posent et nous travaillons à y répondre.

Vous avez évoqué le partage des revenus avec le monde de la création. Je voudrais d’abord revenir sur YouTube, notre plateforme au cœur du système de la création, qui la favorise et accompagne les créateurs. YouTube fonctionne grâce aux revenus publicitaires qu’ils génèrent, et plus de la moitié de ces revenus sont reversés aux créateurs. Ce sont des millions de créateurs, dans plus de quatre-vingts pays, qui perçoivent des revenus grâce à leur chaîne. En France, plus de cent dix chaînes YouTube ont plus d’un million d’abonnés. Les revenus des créateurs ont augmenté de 50 % en moyenne au cours des trois dernières années. Néanmoins, YouTube partage aussi ces revenus avec les ayants droit. Pour prendre l’exemple de la musique, en 2016, plus d’un milliard de dollars revient à cette industrie. YouTube s’est engagé durablement pour le respect du droit d’auteur ; nous nous sommes attachés à conclure des accords avec tous les ayants droit et les sociétés de gestion collective. En France, cela concerne la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), la SCAM (Société civile des auteurs multimédia), l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques).

Au-delà de ces partages de revenus, nous avons des partenariats, dont témoigne l’ouverture récente et temporaire du YouTube Space à la SACD pour accueillir les créateurs, leur permettre de partager entre eux et leur apporter de l’aide. Enfin, YouTube permet aux créateurs qui visent une audience mondiale de rayonner à l’international. Je prendrai l’exemple des vues de l’INA sur YouTube, dont plus de 40 % proviennent de l’étranger en 2018.

Au-delà de YouTube, Google coopère avec les acteurs de l’audiovisuel à travers d’autres produits pour les aider à créer de la valeur. Je vous en donnerai trois exemples : l’offre transactionnelle de leur offre de vidéo à la demande (VOD) par le biais de Google Play, films et musiques ; la promotion des offres d’abonnement d’une entreprise comme celle de Canal+, à travers nos solutions publicitaires ; l’optimisation des revenus générés par la publicité, point couvert par le rapport.

Les pratiques programmatiques, qui ont révolutionné la publicité en ligne, arrivent aujourd’hui à la télévision. Dans ce cadre, Google investit depuis 2015 dans des technologies qui permettent aux diffuseurs audiovisuels de faire des publicités ciblées. Nous l’avons fait pour la première fois en Europe, en France durant l’Euro de football en 2016, avec TF1 et M6, par l’insertion d’une publicité dynamique. Cela consiste à remplacer un flux linéaire de publicité par un flux ciblé et permet donc d’accroître l’exposition publicitaire et les revenus générés pour les acteurs de la télévision.

Ce sont là des exemples de solutions de création de valeur qui, en associant une technologie et un contenu, permettent de développer de nouvelles sources de revenus. La création de valeur, pour nous, n’est pas uniquement liée aux revenus directs. Nous croyons à la création de valeur par l’innovation et à travers de nombreuses lignes de produits. Sans rentrer dans le détail, je citerai quelques produits sur lesquels nous travaillons avec tous les acteurs de l’audiovisuel : Android, Chromecast, Daydream – qui est notre plateforme de réalité virtuelle –, le cloud, etc. Ces plateformes technologiques permettent aux acteurs de l’audiovisuel de déployer leurs offres et de les distribuer.

Dans ce cadre, je ferai peut-être un point sur l’assistant vocal. L’assistant vocal est une innovation fondamentale pour les acteurs de l’audiovisuel et révolutionne la façon d’accéder aux contenus. Nous n’en sommes qu’aux prémices, mais les usages sont amenés à évoluer profondément ; nous travaillons dans ce cadre en coopération avec les acteurs de la télévision pour analyser comment les usagers vont utiliser ces nouvelles formes d’accès aux contenus. Au‑delà de la télévision, nous travaillons aussi avec les acteurs du cinéma pour donner des informations sur les films qui passent au cinéma, réserver et vendre des billets. Comment, là aussi, utiliser la technologie pour amener de la valeur dans le monde digital ? J’espère vous avoir donné quelques exemples concrets de la façon dont Google voit la création de valeur pour le secteur de l’audiovisuel grâce aux nouvelles technologies.

M. Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). Je ne réagirai pas sur la question des assistants vocaux : en réalité, Amazon et Google vont prendre le contrôle de nos maisons. Ils en tireront toutes les données personnelles leur permettant de contrôler l’ensemble de nos consommations. Ce n’est pas le sujet, mais c’est un sujet sur lequel le Parlement devra se pencher.

Sur la directive « Droit d’auteur », on a beaucoup parlé de la grande bataille sur l’article 13, sur la valeur et la responsabilité des plateformes. Une première version ayant fait l’objet d’un rejet, il était absolument vital que le texte soit adopté. Le compromis obtenu est globalement satisfaisant. Un équilibre a été trouvé, qui est politique. On peut toujours espérer mieux. Je sais que les producteurs américains qui suivaient de près le sujet auraient préféré un rejet ; mais les affaires européennes doivent se traiter en Europe et pas de l’autre côté de l’Atlantique. C’est un article qui est équilibré et qui devrait permettre aux plateformes qui n’ont pas signé un accord, à la différence de YouTube et de Netflix – je peux citer Facebook et Amazon –, d’être contraints de rémunérer les auteurs.

Les auteurs de l’audiovisuel et du cinéma étaient concernés par un autre article, qui, caché dans l’ensemble de la directive, n’a pas fait l’objet de bataille. C’est un article qui est nommé, comme le veut la réglementation européenne, « - 14 », alors que c’est un vrai plus pour les auteurs européens : il prévoit une obligation de rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation pour tous les auteurs européens. C’est Beaumarchais qui a inventé ce principe et la Révolution française l’a mis dans la loi. Il existe en France, en Italie, en Belgique, en Espagne, en Pologne également, mais pas ailleurs en Europe, comme en Grande‑Bretagne ou en Allemagne. Ainsi, dans ces pays, les auteurs peuvent être payés au forfait, et les auteurs français, lorsqu’ils sont diffusés dans ces pays, ne bénéficient pas de ce système de gestion collective qui est le seul à même de leur garantir une rémunération. Quand ça passe par les producteurs, et autres intermédiaires divers et variés, la rémunération s’affadit. Il y a une sorte de maillon faible entre le diffuseur et l’auteur. C’est ainsi un progrès majeur qui a été apporté par le Parlement européen. Cela ne figurait pas dans l’accord entre les États membres, ni dans la proposition de la Commission européenne. Sur ce sujet-là, le gouvernement français et les parlementaires nous ont soutenus pour que cela soit débattu dans le cadre du trilogue. Ce n’est pas gagné, mais je ne vois pas comment la France pourrait ne pas défendre l’idée selon laquelle l’ensemble des auteurs du cinéma et de l’audiovisuel doit bénéficier du système que nous avons inventé, et qui est la base de la propriété intellectuelle : la rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation.

Sur la fiscalité, votre rapport critique un peu le CNC. Je considère pour ma part que le CNC est un outil indispensable à l’écoute des professionnels. Bien sûr, quand le CNC tranche, impose certaines règles aux professionnels et en contrôle l’application, certains se plaignent de ce contrôle. Le rôle du CNC est de faire respecter les règles et les lois qui ont été violées. La fiscalité affectée au CNC est toutefois totalement déséquilibrée : les plateformes ont un taux de contribution de 2 % du chiffre d’affaires, tandis que les chaînes de télévision sont aux alentours de 5,5 %. Il y a donc une nette différence en dépit des abattements existants.

Ce déséquilibre est le fruit de l’histoire. La taxe sur les vidéogrammes a été créée juste avant les élections législatives de 1986. Or, créer une taxe à un niveau élevé sur les cassettes, qui touchait beaucoup les consommateurs, en particulier les plus jeunes, n’était pas possible. À l’époque, Jack Lang avait voulu fixé le principe de la taxe ; depuis, son niveau n’a jamais été augmenté. Il faudrait donc remonter très sensiblement les taxes sur les opérateurs internet qui font le même métier que les opérateurs audiovisuels. Si cela est possible et ne porte pas atteinte aux ressources du CNC, il faudrait également faire un petit effort pour que les chaînes de télévision puissent avoir un peu d’oxygène dans une période difficile.

Cette fiscalité doit être entièrement revue. Le Parlement a fait le principal en instaurant une taxe sur YouTube et Netflix. Je rappelle qu’en ce qui concerne la taxe « Netflix », il nous a fallu trois ans pour que, dans sa bonté et sa générosité, la Commission européenne la valide. Pour ce qui est de la taxe « YouTube », ça a été beaucoup plus vite. Le Parlement français et le Gouvernement ont un rôle à jouer pour rééquilibrer le système et faire en sorte que l’on contribue de la même manière que l’on soit un diffuseur audiovisuel qui dispose de fréquences ou que l’on soit un opérateur OTT ([4]) qui n’a pas de fréquence mais qui utilise gratuitement les sommes dépensées par les opérateurs télécom pour financer le réseau.

M. Christophe Roy, directeur des affaires européennes de Groupe CANAL+. Le débat que nous avons aujourd’hui sur le partage de la valeur n’est pas nouveau. Il s’est beaucoup intensifié ces derniers mois avec la réforme européenne du droit d’auteur. Pour nous, cette question recèle deux sous-questions : une première sur le partage de la valeur, sur la création de la valeur, sur la répartition équitable de la valeur créée entre tous les acteurs du secteur et l’adaptation de notre cadre réglementaire à cette nouvelle ère ; une deuxième, pas moins importante, liée à la déperdition de valeur et au piratage, qui continue malheureusement de se développer et constitue une vraie menace pour le secteur de la création. Il importe de traiter les deux sujets en même temps.

Au niveau européen, le débat s’est concentré sur le partage de la valeur organisé par l’article 13, qui vise un meilleur partage et une plus grande responsabilisation des plateformes par rapport aux contenus protégés par le droit d’auteur. Nous avons, à Canal+, accueilli très favorablement cette disposition, même si l’on peut regretter qu’elle arrive un peu tard. Quand on regarde la capitalisation boursière des GAFAN par rapport aux entreprises européennes, il y a matière à être inquiet. Mais nous restons optimistes car nous pensons que c’est une étape importante, qu’il faut légiférer, qu’il est urgent de le faire.

Il y a beaucoup de désinformation autour de cette directive et de cet article en particulier. Les parlementaires européens en ont été les premières victimes. La directive répond à la question suivante : comment faire contribuer financièrement les plateformes en ligne, qui sont devenues de nouveaux acteurs de l’audiovisuel, pour l’utilisation d’œuvres protégées se trouvant sur leurs plateformes ? La directive propose deux pistes : favoriser la conclusion d’accords de licence entre les plateformes et les ayants droit, et mettre en place des mesures de reconnaissance de contenus, ou généraliser ces pratiques. Il ne s’agit pas d’un filtrage de l’internet, ni de censure, comme on a pu l’entendre. Il n’est absolument pas question d’empêcher l’internaute lambda de mettre une vidéo de son chat ou de réguler cette vidéo sur internet. Cette intervention législative est logique et ne fait que prendre en compte l’évolution du modèle économique des plateformes et le fait qu’on trouve aujourd’hui, sur ces plateformes, de plus en plus des contenus audiovisuels ou musicaux protégés par le droit d’auteur. C’est une réforme nécessaire et urgente car la puissance de ces plateformes est telle qu’elle menace des pans entiers de l’économie– fragile – du secteur de la création. Il n’y a qu’à regarder le récent rapport de l’Autorité de la concurrence concernant le poids des plateformes sur le marché de la publicité. Pour nous, cette directive n’a d’autre but que de rétablir une égalité de traitement.

Aujourd’hui, on en est à l’étape du trilogue entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil européen et trois textes sont sur la table. De notre point de vue, aucun des trois n’est parfait. Néanmoins, nous avons accueilli favorablement le vote du texte du Parlement qui est quand même favorable au secteur de la création et nous permet d’enclencher une nouvelle étape de discussion. Nous allons rester mobilisés, comme l’ensemble du secteur de la création, pour obtenir le texte le plus ambitieux possible, et tenter de corriger les dispositions qui, de notre point de vue, sont encore insatisfaisantes. J’en citerai seulement une dans le texte du Parlement : l’exclusion des PME ne nous semble pas faire sens. Autant nous pouvons comprendre qu’on adapte les modalités de mise en œuvre et les mesures de reconnaissance de contenus en fonction de la taille des plateformes et des technologies, autant il nous semble totalement impossible d’admettre que certaines entreprises, en raison de leur taille, seraient exonérées du respect du droit d’auteur.

Si la directive marque une étape importante et positive, elle n’épuise malheureusement pas le sujet. La Commission européenne doit avoir une politique cohérente et globale. C’est ce qu’elle tente de faire de façon à chasser toutes les asymétries réglementaires et fiscales qui existent à tous les niveaux entre les nouveaux acteurs du digital et les acteurs dits traditionnels. Nous nous félicitons de cette démarche plutôt positive de la Commission et des propositions qu’elle formule : un règlement entre les fournisseurs de services et les plateformes, des éléments sur la désinformation et la publicité en ligne, etc. Nous regrettons toutefois que ces textes comportent finalement peu de dispositions contraignantes.

Sur les questions de fiscalité, nous saluons le volontarisme de la France : c’est une bonne chose de vouloir rétablir une forme d’équilibre fiscal. Dans votre rapport, il y a beaucoup de choses que nous accueillons favorablement, mais nous avons un petit faible pour la proposition 18, qui vise effectivement l’équité fiscale. Malheureusement, nous voyons que le sujet avance doucement du fait de la règle de l’unanimité : il n’est pas facile de mettre tout le monde d’accord.

Il faut également veiller à ce qu’il n’y ait pas de déperdition de valeur. C’est bien de se partager un gros gâteau plutôt qu’un petit, mais il faut aussi prendre garde à ce qu’il ne diminue pas de jour en jour. Le piratage est une question absolument essentielle. Nous sommes l’un des acteurs qui est le plus victime de ce piratage du fait de notre double activité d’éditeur et de distributeur. Ce sont à la fois nos contenus et nos offres qui sont piratés. On a une offre généraliste dont le cinéma est piraté mais le sport l’est aussi de plus en plus. L’Équipe a révélé ce matin que 20 % des audiences d’un match se faisait via du streaming illégal. Il faut absolument réagir. Nous avons trop longtemps été passifs sur le sujet. Notre dispositif juridique ne permet de sanctionner que 10 % du piratage, qui utilise le peer to peer. Il faut s’attaquer à tout le reste du piratage, donner de nouveaux moyens aux juridictions et se doter de procédures beaucoup plus efficaces, industrielles, pour combattre le piratage en live. Il faut également inclure toutes les plateformes techniques, les fournisseurs d’accès à internet, etc.

M. David El Sayegh, secrétaire général de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM). J’évoquerai évidemment l’article 13 de la directive tant dans son volet juridique qu’économique. En ce qui concerne le volet juridique, il importe d’analyser le chemin parcouru. Aujourd’hui, l’état du droit est fondé sur des normes dépassées : d’une part la directive de 2001 sur le droit d’auteur, d’autre part la directive de 2000 sur le commerce électronique, qui traite des questions de responsabilité des plateformes. À l’époque où cette directive a été imaginée, Google naissait, YouTube n’existait pas et nous n’avions qu’une très vague idée de ce que pourrait être internet en 2018. Il est donc logique de moderniser le cadre de responsabilité de ces plateformes. Ces directives, si elles coexistaient, conduisaient toutefois à des injonctions contradictoires. La directive sur le droit d’auteur a attribué une protection aux auteurs, aux artistes, aux producteurs sur internet ; la directive sur le commerce électronique a aménagé un système de non-responsabilité aux plateformes. Or, plus on avance dans la technologie, plus on est responsable : c’est comme cela que l’on a créé le droit de la responsabilité. Ces directives étaient néanmoins compatibles jusqu’à ce que la jurisprudence évolue et intègre dans le statut d’hébergeur des acteurs qui n’étaient pas que des hébergeurs, qui hébergent des contenus mais les diffusent également.

Quand on parle de YouTube, ce n’est pas simplement un cloud dans lequel les gens viennent déposer des vidéos : c’est aussi un diffuseur d’un genre nouveau et une régie publicitaire dont le modèle économique est assis sur la présence de contenus. Sans les contenus, YouTube n’a pas vraiment d’intérêt. En conséquence, ces plateformes rendent disponibles des contenus et facilitent leur consultation à l’aide de moteurs de recherche, de suggestions, etc. Elles ont un modèle économique assis sur la présence de contenus et sur l’audience générée par ces œuvres stockées par la plateforme. Il est donc nécessaire d’appréhender ces diffuseurs d’un genre nouveau, et c’est du reste l’objet de l’article 13 de dire : « vous nêtes plus des hébergeurs, vous nêtes peut-être pas des diffuseurs au sens traditionnel du terme car vous navez pas une activité éditoriale stricto sensu, mais vous profitez de la présence de biens culturels sur vos plateformes et, à ce titre, il est nécessaire de vous réguler ».

En plaçant le contrat avant la contrainte, l’article 13 indique que ces plateformes utilisent des axes de communication publics et qu’à ce titre, elles doivent nouer des relations contractuelles avec les titulaires de droits. Il y a une innovation dans ce contrat : il bénéficie aux internautes qui vont poster des contenus sur la plateforme. Une disposition expresse sécurise les internautes qui utilisent ces plateformes comme moyen de diffusion. L’existence d’un contrat, associé à des mesures préventives qui empêchent de manière proportionnée l’apparition de contenus illicites, constitue un réel progrès.

Ce combat n’est pas celui des liberticides contre les « créaticides » : il est idiot de le présenter ainsi. C’est un équilibre entre plusieurs libertés fondamentales : l’une qui protège le droit d’auteur, consacré à l’article 17 de la Convention européenne des droits de l’Homme
– je le rappelle le droit d’auteur est un droit de l’Homme – et d’autres qui ont trait à la liberté de communication, à la protection des données personnelles, à la liberté d’entreprendre. L’article 13 parvient à un point d’équilibre. Il existe un mécanisme destiné à protéger les exceptions et, si nécessaire, une autorité de régulation s’occupera des éventuels conflits. Il n’y en a pas eu à ma connaissance, mais il sera possible de rétablir un équilibre entre plusieurs libertés qui se conjuguent.

Sur le plan économique, je voudrais quand même réagir à ce qui a été dit. C’est très bien que Google, ou plutôt YouTube, donne 50 % de ses revenus au monde de la création, mais ce n’est pas une première. Une plateforme distribue en général 60 à 80 % de ses revenus. Quand on parle d’une plateforme comme Spotify ou Deezer, les proportions sont bien plus importantes. Le problème réside également dans la base qui sert au calcul de ladite rémunération. On sait aujourd’hui que le modèle économique fondé sur la publicité n’est pas viable pour les créateurs. Je vous donnerai un chiffre qui illustre bien cette problématique : un million de vues sur YouTube est valorisé par la SACEM à 80 euros. Quand ce même million de vues est réalisé sur un service financé à la fois par la publicité et l’abonnement, il est valorisé à 1 000 euros. Et quand ce même million de vues est réalisé à l’aide d’un service exclusivement payant, c’est 2 000 euros. Il y a donc un problème de valeurs économiques !

Nous pourrions vivre avec si le modèle gratuit était un modèle minoritaire. La musique a toujours vécu sur une jambe gratuite et une jambe payante. Notre problématique est qu’aujourd’hui, en termes de volumétrie, 70 % des streams sont réalisés par YouTube. On a un modèle qui, non seulement ne rémunère pas les auteurs, mais qui cannibalise les offres payantes ou semi-payantes. YouTube a lancé récemment un YouTube Music, ce dont nous nous en réjouissons. Nous verrons s’il arrive à convertir les personnes qui consomment du gratuit au payant ; mais la problématique réside aussi dans l’organisation d’un système qui ne cannibalise pas les offres qui permettent à la création de se régénérer.

Tel est l’objectif de l’article 13, qui n’est pas liberticide. La version du Parlement est une version de compromis encore imparfaite, qui mérite d’être spécifiée. Il va falloir la concilier avec le texte de la Commission européenne et du Conseil, qui est différent ; mais nous sommes tout de même sur la bonne voie. Le vote du 12 septembre, indépendamment de la robustesse de l’article, est plus important que cela. Indépendamment des intérêts des GAFA, ce qu’il s’est passé le 12 septembre dernier s’oppose aussi à la volonté de tuer toute velléité pour les créateurs d’améliorer leur sort. Si le vote avait été négatif, on aurait envoyé un message politique très fort : « nessayez pas daméliorer les droits des créateurs en ce qui concerne internet ».

Ce vote constitue donc une bonne nouvelle, car il indique que ce n’est peut-être pas aux GAFA de faire la loi, que l’unilatéralisme n’est pas admis et que nous avons besoin de régulation. Les GAFA ne sont pas nos ennemis ; nous avons besoin des plateformes, car elles exposent nos artistes. Personne n’envisage une seule seconde de se passer de leurs services. Nous voulons simplement plus de transparence. Aujourd’hui, je ne connais pas le chiffre d’affaires de YouTube. Je ne peux me fier qu’aux déclarations que veut bien me fournir ce service de Google, sans pouvoir les auditer. S’agissant de services multinationaux de surcroît, il est très difficile d’appréhender l’ensemble de leurs activités. Un peu de régulation, d’équité, et surtout de la transparence ne nuira ni aux créateurs, ni aux plateformes.

M. Bruno Boutleux, directeur général de la Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI). J’aimerais réagir à certains des propos qui ont été tenus, en commençant par vous remercier, Madame Bergé, au nom des artistes représentés par l’ADAMI, pour le rapport que vous venez de rendre et qui a le mérite de prendre en compte aussi la situation des artistes interprètes. Pascal Rogard évoquait tout à l’heure la situation des auteurs et la nécessité de généraliser un principe français, créé par Beaumarchais, de proportionnalité des revenus à dispenser aux auteurs en fonction de l’exploitation. J’aimerais dire que les artistes interprètes sont dans la même situation, à une nuance importante. Aujourd’hui, même en France, ils ne bénéficient pas systématiquement d’une rémunération proportionnelle. J’aimerais simplement rappeler à l’ensemble des parlementaires, qui seront amenés à travailler sur le sujet de cette rémunération proportionnelle si les débats ont lieu, que la situation des artistes interprètes est aussi préoccupante, voire plus, que celle des auteurs, dans la mesure où les rémunérations proportionnelles, lorsqu’elles existent, sont limitées à certaines exploitations secondaires. Les exploitations primaires ne le sont pas. Certaines exploitations secondaires, qui seront probablement les plus importantes à l’avenir – je pense, par exemple dans le domaine de l’audiovisuel pour les comédiens, aux exploitations des plateformes comme Netflix –, ne sont également pas soumises à une rémunération proportionnelle. Il est important, si l’on se pose la question de la proportionnalité des ressources de la chaîne de la création, de ne pas oublier de prendre en compte l’ensemble de cette chaîne.

M. David El Sayegh. Je partage totalement les propositions que vous formulez en ce qui concerne le piratage. Le rôle des moteurs de recherche est essentiel. Nous pouvons nous doter des dispositifs les plus sophistiqués pour lutter contre les sites pirates, nous ne pourrons pas atteindre ceux qui sont localisés à l’étranger, notamment au Maroc. Il est difficile de les appréhender, mais les moteurs de recherche comme Google leur fournissent une fenêtre d’exposition. Ces derniers ont donc un rôle majeur à jouer, non seulement en matière de lutte contre le piratage mais aussi de revente de billets illicites. Ce sont eux qui organisent la visibilité de ces offres et qui viennent perturber la chaîne de valeur, tant au niveau de la production des spectacles que de la diffusion des œuvres en ligne. Il est absolument essentiel que l’on s’intéresse à cela. Peut-être un jour une commission parlementaire s’intéressera-t-elle au rôle des moteurs de recherche dans la protection des droits d’auteur, ou des droits de l’ensemble de l’écosystème de la création. C’est vraiment par cet intermédiaire qu’on parviendra à juguler le piratage.

M. Laurent Samama. Nous sommes parfaitement en phase en ce qui concerne l’importance de la lutte contre le piratage. Pour la parfaite clarté des débats, nous ne voulons pas que des pirates utilisent nos plateformes au bénéfice de l’exploitation des œuvres audiovisuelles. Nous mettons en œuvre différents dispositifs en fonction de nos plateformes. Content ID, sur YouTube, permet aux ayants droit de fournir une empreinte de leurs œuvres. Si celles-ci sont détectées sur la plateforme, une notification leur sera envoyée et ils pourront soit bloquer leurs œuvres, qui n’apparaîtront plus sur YouTube, soit les monétiser et recevoir des revenus issus de la mise en ligne de leurs œuvres par un tiers. Sur le moteur de recherche, Google Play permet de retirer sur notification. Sur le search, trois processus existent aujourd’hui. Le premier, « Notice and take down », permet à l’ayant droit de nous notifier un lien violant le droit d’auteur ; il est alors retiré de l’index du search. Il existe également le programme TCRP qui permet, via des partenaires de confiance, de nous soumettre en masse les liens contrefaisants. Nous avons de tels partenariats avec l’industrie de la musique ou encore avec Canal+, qui nous soumet des dizaines de millions de liens de manière régulière, qui sont retirés extrêmement rapidement. Enfin, tout site qui a reçu de nombreuses notifications de liens violant le droit d’auteur est, en anglais, « demoted », c’est-à-dire rétrogradé dans l’algorithme de recherche : il n’apparaîtra plus sur les premières pages de Google et perdra donc la majorité de son trafic. Il faut certes aller plus loin. C’est la raison pour laquelle nous nouons des partenariats locaux, par exemple l’année dernière avec l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), sous l’égide du CNC et du ministère de la Culture. Nous nous inscrivons cependant en faux quand les plateformes sont présentées comme n’ayant pas pris la mesure du piratage.

M. Pascal Rogard. Il est très habile de mélanger ainsi YouTube – si les producteurs font bien leur travail de protection, les œuvres n’entrent pas dans le système – et Google… Je suis vraiment déçu, car vous êtes l’une des entreprises les plus modernes et technologiques du monde. Mais j’invite tout le monde à faire le test suivant dans cette salle : si vous tapez un titre de film, plus « VOD » ou « VAD », vous allez tomber sur les sites licites ; mais si vous tapez le titre de film et « streaming », vous tomberez sur des sites illicites qui vous permettront de voir les œuvres gratuitement. Je vous ai donné là un très mauvais conseil !

En réalité, vous cultivez une sorte de complicité, à la façon d’un annuaire. Si, demain, je voulais me procurer de la drogue, et que je tombais sur une adresse en tapant « drogue » et le nom d’une rue sur votre moteur de recherche, tout le monde le condamnerait. Et si, demain, vous parvenez enfin, avec votre technologie, à effacer tous les liens, il sera plus difficile pour les particuliers de pirater. Certes, il y aura toujours des pirates plus malins, comme il y a toujours des personnes qui volent dans les magasins… Mais, la situation actuelle rend les choses extrêmement aisées pour le grand public. La démonstration en a été faite devant votre responsable et devant Aurore Bergé lors du congrès des exploitants. Je m’étonne qu’une société comme la vôtre, si grande, si technologique et qui dépense tellement d’argent dans le lobbying – d’ailleurs vous en avez dépensé beaucoup à Bruxelles – n’arrive pas à régler ce problème depuis cinq ans.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Un point en particulier est très souvent revenu lors de nos auditions en ce qui concerne la rapidité d’exécution des décisions de justice. Les ayants droit nous ont fait part de leurs difficultés à faire appliquer, dans les meilleurs délais, les décisions de justice qui leur sont favorables…

M. Laurent Samama. Quand une décision de justice intervient et nous demande de retirer un site de l’index, il est retiré de l’index. Je n’ai pas les chiffres.

M. David El Sayegh. C’est la moindre des choses.

M. Laurent Samama. Je suis d’accord avec vous : c’est la moindre des choses.

M. David El Sayegh. Le problème avec Google ne réside pas dans son manque de réactivité. Le système de notifications fonctionne plutôt bien. Le problème, c’est que Google n’est pas proactif. C’est toute la différence, car vous êtes le moyen par lequel l’internaute peut accéder à des contenus illicites. Toute la problématique du moteur de recherche est qu’il se retranche derrière une fausse neutralité, alors que si vous « dérankez » les offres pirates, l’algorithme peut intégrer ces données. C’est là que réside précisément l’enjeu ! Vous nous proposez en réalité de vider l’océan avec une cuillère. On notifie, les liens sont enlevés mais réapparaissent deux heures après. Le travail doit toujours continuer : c’est vraiment l’hydre de la piraterie que nous n’arrivons pas à juguler. Il est absolument indispensable que nous puissions avoir une véritable discussion sur ce point. Déréférencer des sites qui sont manifestement illicites me semble être la moindre des choses vu le rôle que jouent les moteurs de recherche en la matière.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. L’un d’entre vous souhaite peut-être répondre sur la question de la rémunération proportionnelle ?

M. Pascal Rogard. La rémunération proportionnelle des auteurs – et des artistes interprètes, d’ailleurs – est abordée par un article « - 14 » : quand l’Europe veut faire plus pour les auteurs, elle appelle bizarrement l’article « moins » ! Mon ami David représente les auteurs et éditeurs de musique. Ils bénéficient d’une rémunération proportionnelle, même dans les pays où il n’y a pas de loi, car la puissance de négociation des industries musicales fait que partout en Europe et dans le monde, les auteurs et les éditeurs de musique bénéficient de recettes proportionnelles aux recettes d’exploitation. Imaginez que sur un même film – de Costa Gravas ou Tavernier par exemple –, leurs producteurs de musique aient une rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation dans toute l’Europe mais que les réalisateurs, eux, ne l’aient pas ! Ils l’auront dans les pays dans lesquels ce principe existe, mais pas dans toute l’Europe. Nous avons donc été surpris que la Commission, qui a toujours à cœur d’harmoniser les législations nationales – Jack Lang disait ainsi qu’il faut harmoniser le droit d’auteur « par le haut » –, ne le fasse pas. Il faut appliquer la règle de l’auteur le plus favorisé : c’est ainsi qu’on a harmonisé la durée de la protection à 70 ans. Je trouve quand même curieux que la Commission ait laissé subsister de telles disparités entre les pays et qu’elle ait été incapable de volontarisme pour imposer ce principe simple de la rémunération de la création proportionnelle aux recettes d’exploitation. C’est une demande forte des auteurs. Après quelques tergiversations, le Gouvernement, les pouvoirs publics français, le Président de la République le défendent aujourd’hui avec fermeté ; espérons que cela ne sombrera pas dans les discussions du trilogue.

M. David El Sayegh. Ce ne sont pas seulement des préoccupations d’auteurs. Quand on interroge les Européens, 66 % d’entre eux considèrent que les plateformes de l’internet ne rémunèrent pas de façon satisfaisante les créateurs et 85 % considèrent qu’il faut légiférer en la matière. On est au-delà d’intérêts corporatistes. Il y a un enjeu démocratique à trouver une juste régulation pour des acteurs considérés comme surpuissants et qui se jouent aujourd’hui des législations nationales. Le problème n’est pas simplement et uniquement un problème de créateurs contre les plateformes : c’est réellement un enjeu de société.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Avant de donner la parole à Pierre Moscovici, qui nous a rejoint pour conclure cette table ronde, y a-t-il une dernière intervention ?

M. Pascal Rogard. Le débat sur l’article 13 a été complètement faussé et les interventions n’ont pas contribué à le clarifier. On a assisté à un phénomène que j’ai connu quand on a débattu du piratage au Parlement français : la curieuse alliance des grandes plateformes et des libertaires de l’internet. Pourquoi sont-ils alliés ? Je l’ai compris lorsque j’ai vu que, par exemple, Amazon avait fait un don généreux d’un million de dollars à Wikipédia. C’est un don gratuit qui n’attendait pas de retour… Nous avons eu un combat – je suis heureux que le commissaire soit là pour discuter de ce combat – quelque part aussi affligeant, où dominaient les grandes plateformes américaines d’une part, et les producteurs américains, d’autre part. L’intervention américaine dans le débat européen est absolument incroyable. Je ne crois pas que les Européens interviennent jamais dans les débats au Congrès des États Unis. Nous n’arriverions pas à y pénétrer, tandis qu’en Europe, on leur déroule le tapis rouge parce qu’ils sont modernes… Finalement, ils arrivent à obtenir certaines choses. En particulier – je sais que le commissaire s’attelle à cette tâche –, on observe un manque d’harmonisation fiscale. L’argent qu’ils ne dépensent pas dans les impôts, ils le dépensent dans le lobbying contre les auteurs et les créateurs.

M. Laurent Samama. Je ne partage pas la lecture que Pascal a de ce qu’il s’est passé. Néanmoins, je suis d’accord sur un point : le débat sur l’article 13 n’a pas été productif. Opposer la liberté d’internet aux droits d’auteurs est vraiment une bêtise. Au point où nous en sommes, le travail collectif pour protéger le droit d’auteur dans le cadre digital est fondamental. Google a une vraie volonté de progresser sur ce point, je le constate en interne. Nous mettons déjà beaucoup de choses en place mais nous voulons continuer à travailler avec vous. C’est vraiment un travail coopératif que nous devons mener à présent pour préserver la valeur existante et créer de nouvelles pistes.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Une intervention au niveau législatif est également nécessaire, cette coopération n’étant pas suffisamment efficace…

Je vais donc céder la parole à Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques, qui a accepté de conclure cette table ronde. Nous avons deux directives : la directive « Services de médias audiovisuels » qui a été définitivement adoptée cette semaine à une large majorité, dont nous attendons beaucoup et à la transposition de laquelle nous allons nous atteler activement pour aller encore plus loin sur certains points, comme les obligations d’investissement et de financement des SMAD (Service de médias audiovisuels à la demande) ; et la directive « Droits d’auteur » sur laquelle vous allez pouvoir nous éclairer plus avant.

M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques. Je suis ravi d’être parmi vous aujourd’hui pour discuter d’un sujet aussi crucial que le partage de la valeur à l’ère du numérique. Il est toujours compliqué de clore une table ronde à laquelle on n’a pas assisté. Mais je vais quand même essayer de définir quelques sujets que la Commission européenne a à traiter maintenant.

En moins de vingt ans, la révolution numérique a bouleversé nos économies et la manière dont les entreprises créent de la valeur. De nouveaux acteurs ont émergé, et – désolé pour Pascal Rogard – leur business model est plus innovant et dynamique que celui des entreprises traditionnelles. Il n’y a qu’à prendre les plus grandes entreprises du monde, les plus grosses valorisations depuis vingt ans, vous verrez à quel point les entreprises numériques ont conquis de la richesse de manière considérable. Je suis convaincu que la numérisation croissante de nos économies est une chance pour l’Europe, ses États membres et les 500 millions de citoyens qui la composent. Elle est un atout pour la compétitivité, la croissance et l’emploi en Europe.

Il faut néanmoins sortir des évidences : la révolution numérique comporte aussi beaucoup de défis pour les États membres et l’Union européenne. Elle ne doit pas se faire
– c’est tout l’enjeu de la directive évoquée – au détriment des droits et libertés des citoyens européens, de la création, des autres entreprises ou de nos sociétés qui reposent sur des principes simples de contribution au bien public et à la redistribution. C’est d’ailleurs un sujet sur lequel je travaille beaucoup en tant que commissaire à la fiscalité.

Face à l’émergence de nouvelles activités numériques, notre responsabilité à tous est de moderniser notre législation. Le rapport d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère du numérique dont vous avez discuté aujourd’hui témoigne que vous avez pris l’entière mesure de la situation. En 2018, il est indispensable de faire évoluer les règles qui encadrent nos économies et de les faire entrer pour de bon dans le XXIe siècle. Nous agissons souvent avec des règles ou des principes fiscaux qui ont des décennies, voire un siècle pour certains ; on ne peut pas fonctionner de la sorte avec ces entreprises du XXIe siècle.

La Commission sest elle aussi engagée dans une série d’actions pour adapter le marché unique de lUnion européenne à lère du numérique. Un des objectifs de notre stratégie est justement de garantir une répartition plus juste de la valeur entre les acteurs économiques. Jaimerais aujourdhui vous présenter quelques-unes de nos propositions phares dont celles en matière de fiscalité – dossier dont je suis responsable à la Commission européenne.

Pour commencer sur un point d’actualité qui fait couler beaucoup d’encre et mobilise beaucoup d’énergie, je voudrais vous parler du vote sur la directive « Droit d’auteur » qui a eu lieu il a quelques semaines à Strasbourg – un vote qui a été, pour tous les citoyens européens, une vraie victoire. Cela n’a pas été facile : la veille encore, nous n’étions pas du tout certains de la nature nette du vote. Le principe défendu par la Commission, comme par la France depuis le début, est simple : une presse libre, une presse de qualité, une presse justement rémunérée. Il a fallu convaincre et dépasser certains clivages culturels qu’il faut comprendre : tous les pays européens ne partagent pas notre sensibilité sur ces sujets. Beaucoup de pays nordiques pensent que la liberté du Net doit être absolue et ne connaître aucune forme de barrière et que, partant, les principes de rémunération doivent être établis uniquement par le fonctionnement du marché. J’ai pris part à cet effort de conviction et je me réjouis de ce dénouement heureux.

Comme vous le notez très justement dans votre rapport, la directive constitue une avancée considérable dans la modernisation de la répartition de la valeur à l’ère du numérique. Je pense en premier lieu à l’article 13 de la directive, qui vise à assurer que la consommation de contenus créatifs en ligne donne droit à une rémunération plus juste pour tous les créateurs de contenus numériques. C’est l’un des principes qu’il faut défendre. Je le défends aussi en matière fiscale : je respecte totalement les entreprises du numérique – je déteste par exemple parler de « taxe GAFA », qui est une façon stigmatisante d’évoquer les choses – mais il est logique que de très grandes entreprises qui réalisent des profits considérables contribuent là où sont créés ces profits et là où est créée la valeur. La proposition de la Commission contribue à rétablir l’équité entre les créateurs de contenus culturels et les grandes plateformes de diffusion telles que Facebook, YouTube ou Twitter. Elle prévoit de renforcer la position des détenteurs de droits pour négocier et conclure des accords afin que l’exploitation de leurs contenus par les fournisseurs de services en ligne soit totalement fonctionnelle.

La directive que le Parlement européen va maintenant négocier – j’attire votre attention sur le fait que le vote n’était pas une fin mais un début sans lequel nous aurions été dans une situation plus complexe vis-à-vis du Conseil – consacre aussi, en son article 11, un nouveau « droit voisin » pour les éditeurs de presse. Il donnera le droit aux médias de réclamer le paiement de royalties lorsque des plateformes numériques diffusent ou agrègent des extraits d’articles accompagnés d’un lien. C’est ce qui a fait l’objet du plus grand nombre de discussions et de différends. Cette disposition constitue une excellente nouvelle pour la santé de la démocratie européenne : elle soutient un journalisme libre et de qualité, qui fait malheureusement face à d’importantes difficultés. Je veux souligner le rôle crucial des journalistes dans la dernière ligne droite au Parlement européen, bien plus que les politiques en vérité. Il était décisif que l’obstacle soit franchi. La discussion continue désormais entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne pour aboutir à une version finale. Les États membres et le Parlement européen pourraient se trouver en désaccord sur l’éventuel filtrage imposé par l’article 13 aux plateformes numériques. Toutefois, il est crucial d’avancer de manière constructive pour conclure ces négociations au plus vite ; je suis confiant quant à la possibilité de trouver un accord avant la fin de l’année. Il est préférable de trouver un accord car nous entrerons ensuite dans une période plus compliquée avec les élections européennes. J’espère pouvoir compter sur le soutien des autorités françaises pour faciliter les échanges entre le Parlement et le Conseil.

La Commission sest aussi engagée à mettre en place un environnement réglementaire plus équitable dans lensemble du secteur audiovisuel – un axe très important du rapport dinformation que votre Commission vient de publier. Le 6 juin dernier, la Commission, le Parlement et le Conseil ont clôturé avec succès leurs négociations en vue dune révision de la directive SMAà Bruxelles, nous adorons les acronymes. Ces nouvelles règles garantiront la promotion des films européens en imposant aux diffuseurs de garantir une part dau moins 30 % dœuvres européennes dans leurs catalogues. La directive offre aussi aux États membres la possibilité dimposer des contributions financières aux fournisseurs de médias audiovisuels établis dans un autre État membre mais ciblant des publics se trouvant sur leur territoire. Ce mardi, lors de la séance plénière qui sest tenue à Strasbourg, le Parlement européen a adopté le texte final de la directive SMA. Il sera soumis au Conseil pour une adoption formelle le 6 novembre prochain. Cest une nouvelle fois un véritable progrès pour tous les acteurs du numérique : les règles révisées encouragent linnovation dans le secteur audiovisuel européen et permettent lentrée de nouveaux acteurs sur le marché.

Vous abordez longuement la question du renforcement de la lutte contre le piratage. Cela est bien normal : le recours à la piraterie audiovisuelle est toujours élevé et très préoccupant. Il est injuste pour les créateurs de contenus qui ne sont pas rémunérés pour leur travail. La Commission européenne a pris ce problème à bras-le-corps en précisant l’interprétation de la directive de 2004 relative au respect des droits de la propriété intellectuelle (IPRED) afin que les autorités compétentes tiennent compte des enjeux liés au nouvel environnement numérique mais aussi en cherchant à développer des accords volontaires entre tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement en ligne. Un protocole d’accord a notamment été conclu en juin 2018 par les acteurs du secteur de la publicité en vue de réduire le nombre de publicités mises en ligne sur les sites internet portant atteinte à la propriété intellectuelle et à les priver de leur source majeure de revenus.

J’ai conscience que beaucoup reste encore à faire pour enrayer définitivement la piraterie audiovisuelle. Je peux vous assurer que les autorités européennes seront très attentives aux propositions que vous avancerez, car c’est un combat que nous gagnerons ensemble ou que nous perdrons séparément. Essayons plutôt d’agir.

J’aimerais maintenant vous présenter les propositions que j’ai mises en œuvre pour moderniser nos règles fiscales à l’ère du numérique, qui n’ont pas évolué depuis les années 1930 et reposent sur un principe simple : une entreprise est taxée là où se situe sa résidence physique. Cela ne peut pas marcher pour les entreprises du numérique : ces règles sont devenues totalement obsolètes. L’impôt des sociétés repose toujours sur le principe d’une présence physique, alors même que les entreprises de l’économie numérique sont immatérielles par essence et peuvent opérer partout dans le monde via internet.

En conséquence, les bénéfices numériques sont à peine taxés dans l’Union européenne, voire pas du tout, même lorsque les entreprises sont très actives dans nos pays. C’est ce qui a amené ma collègue Margrethe Vestager Hansen, par exemple, à réclamer des retours fiscaux pour des impôts non collectés par un certain nombre d’États, estimant que les taux d’imposition effectifs, en Irlande par exemple, pouvaient s’apparenter à des aides d’État. Cette situation est inacceptable. Elle menace la viabilité à long terme de nos finances publique, elle perturbe les conditions de concurrence pour les entreprises au sein de notre marché unique et sape les principes les plus fondamentaux de la justice fiscale. Le taux moyen d’imposition des entreprises traditionnelles est ainsi de 23 %, quand celui des entreprises numériques s’établit en moyenne à 9 %.

Plusieurs travaux sont menés sur ce sujet au sein du G20 et de l’OCDE. Pour ma part, j’ai présenté deux propositions majeures pour garantir une fiscalité équitable de l’économie numérique.

La principale – ce n’est pas celle dont on parle le plus, mais comme souvent, c’est au fond la réforme structurelle qui est décisive – consistera à revoir en profondeur les règles relatives à l’impôt sur les sociétés en introduisant le concept de « présence numérique ». Pour les entreprises du numérique, il faut identifier un certain nombre de critères qui permettent d’appréhender une base taxable à travers la présence numérique.

La seconde – on en parle bien davantage alors qu’elle est significative mais moins importante – offre un moyen de recours plus immédiat et plus ciblé, jusqu’à ce qu’une réforme plus complète soit adoptée. Le ministère des finances français a d’ailleurs proposé sur ce point, à juste titre, la mise en œuvre d’une « sunset close » consistant à adopter la mesure de court terme jusqu’à ce que la mesure de moyen terme entre en vigueur. Nous proposons ainsi de mettre en place une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires généré par certaines activités numériques dans l’Union.

Je veux être clair. Pascal Rogard évoquait il y a quelques secondes nos amis américains : il ne sagit pas dune bataille contre les entreprises numériques, ni de mesures protectionnistes anti-américaines. Cest ce que jai eu loccasion de dire la semaine dernière à Steven Mnuchin, le Secrétaire dÉtat du Trésor. Cette mesure ne doit pas être considérée comme un outil de guerre commerciale. Cest la raison pour laquelle je me refuse à parler de « taxe GAFA ». En réalité la taxe de 3 % ne concernerait pas tous les GAFA, et pas que les GAFA. Elle toucherait en réalité environ 180 entreprises mondiales dont le chiffre daffaires en Europe est de 500 millions deuros. Si les entreprises taxées sont américaines, ce nest pas parce quelles sont américaines, mais parce que nos amis américains sont en avance. Un tiers sont européennes et le reste d’entre elles sont asiatiques. Il sagit simplement de vivre avec son temps. Léconomie numérique représente une chance immense pour lEurope ! Mais pour en tirer pleinement bénéfice, il faut faire un effort dadaptation. Cest vrai en matière fiscale aussi.

J’espère que les États membres partageront avec moi le constat de l’urgence et soutiendront les propositions de la Commission. Je sais d’expérience que les progrès en matière fiscale sont très complexes – notamment du fait du verrou de l’unanimité – et les consensus difficiles à atteindre. Mais je veux les convaincre de la nécessité de cette refondation fiscale qui est dans leur intérêt. Que les entreprises contribuent là où elles créent de la valeur, c’est ce que je souhaite, ni plus ni moins.

Dans ce combat, la France est un fervent soutien de nos propositions et ce depuis la première heure. Je sais que l’Europe peut compter sur elle à la table des négociations du Conseil, pour accentuer la pression sur les autres États membres. J’espère, là encore, que nous parviendrons à un accord d’ici la fin de l’année. Pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées, si cet accord n’intervient pas avant cette date, alors ce sera beaucoup plus tard, mais beaucoup trop tard. De ce que je perçois du Conseil, c’est possible. Sans faire preuve d’un optimisme excessif qui ne serait pas à propos, je constate que la discussion évolue dans le bon sens et que de plus en plus d’États, y compris ceux qu’on n’attendait pas forcément, sont dans un état d’esprit positif.

J’ai d’ailleurs lu attentivement le rapport d’information relatif à l’évasion fiscale internationale des entreprises récemment présenté par la commission des finances de l’Assemblée nationale. Le constat d’un besoin d’adaptation de notre système de fiscalité internationale à l’ère du numérique m’y semble plus que partagé.

Enfin, un dernier point, fondamental : en prenant l’initiative de proposer des solutions concrètes, l’Europe est moteur sur la scène internationale. Si nous sommes capables de définir d’ici à la fin de cette année une vraie fiscalité numérique, alors cela incitera nos partenaires internationaux à engager cette réflexion. Cela est primordial car, à long terme, le moyen le plus efficace de garantir une taxation équitable des activités du numérique est de développer une approche internationale et coordonnée. Dès lors que le problème est mondial, la seule solution réelle l’est aussi.

Pour finir, j’aimerais évoquer les progrès très récemment accomplis en matière de TVA sur les livres numériques. Trois ans après la proposition de la Commission européenne, les ministres de l’Économie ont finalement adopté, ce mardi, le principe d’une TVA réduite pour les publications électroniques. Les livres électroniques comme les e-books et les journaux en ligne pourront désormais bénéficier du même avantage que leurs équivalents papier. On demandera maintenant aux États membres de prendre leurs décisions. Je sais à quel point c’était indispensable pour le modèle économique de la presse. Ce progrès n’est pas passé inaperçu – il a fait l’objet de polémiques et de débats, et d’une décision contraire de la Cour de justice –, mais on n’a pas forcément souligné le succès considérable que cela a été. C’est un progrès pour l’harmonisation de la fiscalité européenne et une excellente nouvelle pour le marché unique numérique qui s’en voit renforcé. Cela démontre aussi que la Commission applique le principe de justice et d’équité dans les deux sens. Comme je vous l’expliquais, nous ne voulons pas entraver l’activité des entreprises du numérique. Non, les seuls et uniques objectifs que nous poursuivons sont ceux de l’équité et de l’intégrité de notre marché unique. C’est finalement le fil rouge des sujets que j’ai évoqués.

Il est essentiel que la Commission et les autorités françaises entretiennent un dialogue dense et régulier sur ces sujets déterminants. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas hésité à venir devant vous. Je pense que nous pouvons nous aider mutuellement et porter ensemble ces combats pour faire de l’Europe un modèle en matière de gouvernance et d’encadrement des activités du numérique. Le combat n’est jamais fini, mais ces dernières années ont vu des progrès décisifs. Il faut toutefois les accélérer : les processus décisionnels ne sont pas adaptés à la rapidité des évolutions technologiques. Tant que nous aurons le verrou fiscal de l’unanimité, nous serons plus lents que l’économie numérique, ce qui est regrettable. Mais nous progressons malgré tout, et c’est plutôt une bonne nouvelle.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Le constat de l’urgence est largement partagé. Je me réjouis que vous restiez bien français : sur ces questions-là, on sait que la France a une voix bien particulière à porter et qu’elle est portée à la fois par les parlementaires européens qui ont, comme les parlementaires français, à une quasi-unanimité, soutenu ces avancées, et par vous-même.

M. Pierre Moscovici. Ne le dites pas trop, je risque de devenir suspect !

M. le président Bruno Studer. Je vous remercie de ce message doptimisme raisonnable et de détermination. La France bénéficie souvent du leadership dautres pays sur certaines questions ; mais sur ces sujets, cest la France qui a le leadership et qui tire le reste. Ce mouvement n’est pas à sens unique et la France pose aujourd’hui les termes du débat, notamment en ce qui concerne le statut des plateformes. Cest un autre grand sujet qui sera à lordre du jour et sur lequel nous comptons sur la détermination de nos élus et représentants européens.

 

Troisième table ronde :
« Quel(s) régulateur(s) pour quelle régulation ? »

M. Pierre-Yves Bournazel, président de la mission dinformation. La dernière table ronde de cette journée est consacrée à la forme que devrait prendre la régulation de l’audiovisuel et donc celle de son régulateur. Les quatre autorités que vous représentez interviennent en effet, à des titres différents, sur les sujets qui ont occupé la mission d’information. La question qui s’est naturellement posée à ses membres est donc celle d’une fusion ou d’un rapprochement entre plusieurs d’entre elles.

Nous en sommes venus à la conclusion qu’une fusion entre le CSA et l’ARCEP ne serait pas pertinente, mais qu’en revanche une fusion de l’HADOPI et du CSA, au sein d’une nouvelle autorité, aurait du sens. Il apparaît toutefois qu’un rapprochement avec l’ARCEP serait nécessaire, de même qu’avec la CNIL, notamment sur le sujet des données personnelles qui va devenir fondamental pour les chaînes de télévision. Je souhaiterais donc recueillir votre avis sur ces différentes pistes de réflexion.

Au-delà, la question de la forme de la régulation elle-même est soulevée par le rapport, qui préconise d’aller vers plus d’accords professionnels et de donner un pouvoir de médiation au futur régulateur, afin de pouvoir mettre rapidement un terme à des conflits dont on a vu qu’ils pouvaient affecter directement les téléspectateurs.

Il s’agit aussi de déterminer le champ des acteurs soumis à cette régulation : il est clair que les GAFAN ne peuvent rester en dehors de toute régulation, notamment du fait de la place importante qu’ils occupent, pour la plupart, dans le domaine de la communication audiovisuelle. Comment, pour vous, ces acteurs doivent-ils être intégrés à la régulation audiovisuelle ? Avez-vous d’ores et déjà fait l’expérience d’une telle intégration dans les autres domaines régulés par les autorités que vous représentez ?

Sur ces épineuses mais importantes questions, et avant que Monsieur le Secrétaire d’État en charge du Numérique, Mounir Mahjoubi, nous rejoigne, je vais donner la parole à nos intervenants, que je remercie de leur présence.

M. Olivier Schrameck, président du conseil supérieur de laudiovisuel (CSA). Je remercie le président de la commission des Affaires culturelles, qui a été le premier à me confier à quel point le problème de la refondation de la régulation à l’ère numérique lui semblait central et déterminant.

Je veux insister sur l’originalité de la démarche qui a été la nôtre tout au long de ces travaux et tout au long de cette journée, car il existe une véritable convergence entre les propositions que le CSA a été conduit à faire le 11 septembre dernier – au nombre de 20 – et les 40 propositions formulées par la mission d’information que vous avez présidée. Si cette convergence saute aux yeux, c’est parce qu’elle repose sur une même conception des méthodes du régulateur sous l’autorité du législateur, sur l’idée que l’hyper réglementation n’est pas de mise et, qu’en réalité, le régulateur est le meilleur serviteur des principes et des valeurs que le législateur a fixés. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire tout au long des dernières années. Mais la précédente législature, même si elle a conduit à renforcer le statut du CSA sur plusieurs points – 14 lois au total l’ont concerné –, n’a pas traité de cette question centrale qui nous réunit aujourd’hui.

Cette question doit être réglée sans plus attendre : tous en ont conscience. Les débats que nous avons connus, et que nous connaissons encore sur des problèmes aussi divers que la sauvegarde du pluralisme, la protection des mineurs, la cohésion sociale, l’égalité des droits des femmes et des hommes, ne sont pas abstraits et portent sur la façon de donner à notre société les gages d’un meilleur avenir. Comment y parvenir ?

D’une part, à travers la pluralité des autorités administratives indépendantes. Notre vision n’a jamais été celle d’une fusion ou d’une intégration dans laquelle s’engouffreraient tous nos efforts. Ce qui nous importe, c’est la convergence des finalités et des missions. En ce qui concerne la HADOPI, le problème s’était posé en 2014 d’une association plus étroite des deux organismes ; le CSA avait marqué son grand intérêt pour les missions de la HADOPI et notamment celle relative à la promotion de l’offre légale au-delà des mesures, administratives ou pénales, qui permettent d’éviter que l’offre illégale se développe – cette problématique demeure et s’accroît, notamment dans le domaine sportif, concomitamment à la multiplicité des abonnements qui s’impose aux téléspectateurs friands de performances sportives.

D’autre part, il importe que ces autorités administratives indépendantes se fédèrent et fassent converger leur action au niveau européen. L’Europe est en la matière notre horizon. Nous avons essayé de le montrer par la création de l’ERGA (Groupe des régulateurs européens des médias audiovisuels), qui a joué un rôle dans l’élaboration de la directive sur les services de médias audiovisuels. Je puis vous dire que cette action se poursuivra au-delà de l’année 2018, puisqu’il a été confié à la France l’étude de l’évolution des relations entre la Commission et l’ERGA, tâche déterminante pour l’avenir. Il nous a également été confié la co-régulation des nouvelles plateformes qui entre désormais dans le champ de compétence de cette directive.

Au-delà des progrès enregistrés sur le droit d’auteur, dont il a été longuement question avec l’article 13, nous pensons que c’est là que se jouent fondamentalement les futures conquêtes de nos valeurs, de notre création, et nos progrès économiques. Il est temps : nous sommes sous le signe de l’urgence. Les travaux que vous avez menés l’ont clairement souligné. Il faut maintenant nous mobiliser. Une partie de la législature est déjà dernière nous. Le processus de préparation exige différentes étapes et ne permet d’envisager un vote définitif sans doute qu’au second semestre de l’année 2019. Une fois la mi-temps de la législature passée, l’incertitude surgit. Je ne voudrais pas que l’expérience de la précédente législature se réitère. En tout cas, comptez sur la mobilisation de l’institution que je représente, en étroite liaison avec ceux qui vont s’exprimer, pour que ces progrès soient effectivement accomplis.

M. Denis Rapone, Président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI). Je souhaite au préalable souligner notre infinie satisfaction lorsque nous avons découvert les travaux de la commission. À ce titre, je voudrais vous faire part de notre gratitude pour la manière dont les travaux ont été menés et pour votre analyse fine et subtile des enjeux de la lutte contre le piratage. Ces propositions, pour ce qui concerne le renforcement de la lutte contre le piratage et le renforcement de l’efficacité de l’action de la HADOPI, ne peuvent que nous ravir.

Nous comprenons de ce rapport que l’efficacité accrue de la HADOPI s’appuierait notamment sur une nouvelle organisation institutionnelle. La fusion envisagée avec le CSA serait destinée à faire émerger, en quelque sorte, un régulateur unique des contenus et à donner plus de moyens à la lutte contre le piratage. La perspective que le rapport trace est donc celle d’une meilleure efficacité et d’un plus grand service de l’institution publique au produit de cette lutte. Cette proposition est, à en ne pas douter, destinée à donner une plus grande efficacité à l’institution que je préside fonctionne aujourd’hui, dans un cadre nouveau et avec la cohérence qui s’imposerait vis-à-vis de ses nouveaux pouvoirs. Comme je l’ai indiqué lorsque j’ai été entendu par la mission, je suis ouvert à l’exploration de tous les possibles en matière d’évolutions institutionnelles et organisationnelles des instances de régulation.

Les choix retenus répondent à la nécessité de l’intérêt général, c’est-à-dire de cet ADN commun à l’ensemble des autorités administratives indépendantes qui, de près ou de loin, ont à intervenir dans le domaine numérique.

Ces nécessités d’intérêt général sont, au fond, les architectures institutionnelles les plus à même de servir une politique publique. Il faut que la politique publique soit fixée avec précision et que les objectifs de régulation soient déterminés. C’est tout l’enjeu du débat qui s’ouvre aujourd’hui : pouvoir établir, à travers l’apport précieux de votre rapport et de ses propositions, des objectifs de régulation à horizon de cinq à dix ans.

Nous sommes en effet dans une logique prospective. À ce titre, les différentes solutions de rapprochement entre les autorités – il est évoqué une fusion CSA/HADOPI – méritent à mes yeux d’être pleinement expertisées, comme toutes les propositions de rapprochement plus ou moins prononcé. Il n’existe pour moi aucun tabou à évoquer cette solution. Je souhaite que ce débat soit abordé sans dogmatisme, sans esprit de système, sans corporatisme. Nous discutons ici de la façon dont nous pouvons servir au mieux la régulation qui sera déterminée par le Gouvernement et le Parlement. Il nous faut faire collectivement preuve de pragmatisme, d’inventivité et d’objectivité sur l’expertise qui doit être déployée. Cela signifie que la question de la régulation doit, en tout état de cause, précéder la question des régulateurs. La pertinence des modèles institutionnels de régulation retenus dépendra assurément des objectifs que le législateur donnera à cette politique de régulation à partir de principes et de valeurs qui sont ceux de l’intérêt général.

Je souhaiterais vous apporter quelques éléments de contexte pour éclairer les réflexions à mener. S’agissant de ce qui tend à être qualifié de régulation numérique, le Gouvernement a souhaité que soit débattue une modalité transverse à travers les États généraux de la régulation numérique dont le Secrétaire d’État a effectivement lancé les travaux. Sans préjuger de ce que sera la politique de régulation, notre expérience nous conduit à attirer l’attention des pouvoirs publics sur quelques particularités de la régulation à l’ère numérique.

Première particularité, toute intervention des pouvoirs publics sur internet et sur les réseaux numériques questionne immédiatement le respect de la liberté de communication, d’expression et d’entreprendre. Il faut donc rester particulièrement vigilant, à mon sens, sur le respect du principe de proportionnalité entre les différents principes et les modalités d’intervention de la régulation. Cela n’est absolument pas une manière d’éviter cette intervention. Au contraire, cette intervention est absolument nécessaire face au non‑respect de notre droit dans l’espace numérique comme face à la possibilité, si l’on se désengageait de cette régulation, de voir se développer une régulation opérée par quelques grands acteurs transnationaux regroupés sous ce vocable GAFAN. Il n’y a donc pas lieu, à mon sens, de débattre de la nécessité d’intervenir en matière numérique. Dès lors que l’on admet la nécessité de cette régulation, elle doit tenir compte de plusieurs contraintes systémiques. Il faut absolument tenir compte du fait que les usages et les technologies évoluent rapidement. Cela veut dire que nous devons privilégier, autant que possible, non pas une transcription normative inscrite dans le marbre de la loi, mais un recours au droit souple.

Deuxième contrainte : internet ne connaît pas de frontières. Dès lors, l’exercice doit être pensé au niveau européen et international. Il n’y aura pas de solution hexagonale aux enjeux qui nous guettent. Troisième contrainte systémique : la régulation doit tenir compte d’obstacles techniques qui peuvent empêcher la mise en place de solutions qui paraîtraient de bon sens, et dont on s’est aperçu à l’HADOPI, notamment en ce qui concerne la réponse graduée, aujourd’hui inapte, pour des raisons techniques, à faire face au piratage sur d’autres réseaux que les réseaux pair à pair. Tout le monde s’étonne que nous ne nous intéressions pas au streaming ou au téléchargement direct par le biais de la réponse graduée ; cela est techniquement impossible et appelle donc à trouver de nouvelles solutions. Autre contrainte systémique, déjà longuement évoquée au cours de cette journée : la prise en compte du déplacement des équilibres économiques dans la chaîne de valeur, en particulier liée à la création. Enfin, dernière contrainte, dont il faut absolument tenir compte : les débats sur l’article 13 à Bruxelles ont abondamment montré la sensibilité politique extrêmement forte en France et en Europe, de tout sujet relatif aux contenus sur internet. La récurrence de ces contraintes appelle ainsi une régulation souple, agile, experte et ouverte aux collaborations européennes et internationales.

En ce qui concerne la « régulation des contenus » que le rapport appelle de ses vœux et qui justifie la fusion du CSA et de la HADOPI, il est possible d’identifier nombre de contenus à risque pour lesquels la question se pose de savoir s’il faut leur appliquer une régulation similaire. C’est le cas des contenus en ligne contrefaisants, des jeux en ligne non autorisés, de la manipulation de l’information ou même du développement des contenus haineux sur le Net. L’éventuelle convergence des outils susceptibles de concourir à la régulation de ces contenus doit être explorée. Il faut cependant rester attentif aux différences qu’ils peuvent présenter, et aux modalités de régulation distincte qui peuvent en découler.

Tout d’abord, il y a des différences relatives à la gravité des infractions. La recherche des droits et libertés en balance est de loin le facteur qui doit être le plus déterminant dans la recherche de solution. D’autres différences doivent être prises en considération pour préciser la régulation que nous voudrions mettre en œuvre, comme la facilité avec laquelle on est susceptible de détecter ces contenus, leurs sources, l’auteur de leur diffusion, leurs poids économiques et les usagers, etc. L’usager peut être victime mais aussi auteur dans le cadre du partage de fichiers sur des plateformes. Les volumes en cause doivent conduire à des logiques différentes.

Enfin, il nous paraît essentiel de distinguer les modalités de notre régulation, soit que l’on souhaite traiter des contenus dont la nature même et le contexte doivent être appréciés, comme le fait très régulièrement le CSA en matière de programmes audiovisuels ; soit qu’il s’agisse au contraire d’une qualification automatique, indépendante de la nature intrinsèque du contenu, comme c’est le cas de l’HADOPI en matière de lutte contre la contrefaçon en ligne. Ce sont les conditions de la mise à disposition du contenu qui nous importent en matière de droit d’auteur.

À ce stade, il serait bon d’interroger les modèles étrangers. On ne peut pas avancer sur ce sujet dans une logique purement franco-française. On devrait faire le bilan de fusions opérées à l’étranger, pour permettre une comparaison et faire ressortir le meilleur des modèles. Indépendamment de la perspective de fusion évoquée par le rapport, on pourrait dès à présent expérimenter, de façon pragmatique, des coopérations institutionnelles plus poussées. Une convention avait été élaborée mais n’a pas abouti, alors qu’elle permettait déjà d’envisager une coopération et une mutualisation beaucoup plus poussées. Nous n’avons pas attendu cette convention pour travailler en commun. Nous lançons par exemple des études communes sur des sujets relevant de nos compétences communes. Nous travaillons en collaboration avec la CNIL. Beaucoup d’actions réunissent aujourd’hui les efforts de plusieurs autorités, qu’il s’agisse du CSA, de la CNIL, de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) ou de l’ARCEP. À cette lumière-là, nous pourrons avancer dans le débat d’une manière rationnelle et efficace.

M. Pierre-Yves Bournazel, président de la mission dinformation. Nous prenons bonne note des convergences de vue et des exemples opérationnels qui pourraient être mis en œuvre.

Mme Monique Liebert-Champagne, membre du collège de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Je veux saluer ce rapport très intéressant sur les droits d’auteurs et les contenus. Mais, à dire vrai, l’ARCEP n’est pas le régulateur des contenus mais celui des infrastructures, sujet sur lequel le rapport est particulièrement peu disert. Il fait un constat, partagé tout au long de cette journée, de la place croissante des fournisseurs d’accès à internet, qui élaborent aujourd’hui des stratégies de convergence contenus/contenants, de la place grandissante des acteurs OTT et du fait que la télévision est aujourd’hui reçue majoritairement par internet.

L’ARCEP prend acte des avis et des recommandations de ce rapport que le Parlement examinera. Mais, en ce qui concerne les infrastructures, l’ARCEP désire faire des propositions. Il est pour nous deux sujets majeurs qui doivent être approfondis : la liberté et la protection des chaînes et la liberté de choix des consommateurs.

L’ARCEP appelle ainsi l’État à clarifier sa vision en matière d’infrastructures en ce qui concerne l’audiovisuel. Ce point est fondamental. L’État a lancé le plan « France Très haut débit », auquel les collectivités territoriales, l’État et les opérateurs contribuent très largement. Il a lancé, avec les opérateurs, un plan pour améliorer considérablement la connectivité des Français, dans le cadre duquel ces derniers vont investir 3 à 4 milliards d’euros et l’État à peu près autant en perte de recettes. Il faut savoir que, chaque année, 3 millions de locaux vont être raccordés au haut débit ou au très haut débit. La clarification est nécessaire car la question de la TNT va se poser : faut-il moderniser la TNT ? Je sais que je suis attendue sur ce sujet. L’ARCEP n’appelle aucunement à une extinction de la TNT, ni même à une accélération du calendrier des fréquences audiovisuelles ; nous ne faisons qu’appeler à une stratégie claire et établie par les pouvoirs publics pour une meilleure efficience de l’argent du contribuable, aujourd’hui investi dans la connectivité et la fibre, et une meilleure efficience de l’argent des chaînes. Or, tout ceci se prépare très en amont. Le plan « France très haut débit » aujourd’hui mis en œuvre a été préparé en 2009. Dès lors, il faut dès aujourd’hui réfléchir aux plateformes qui distribueront la télévision ; comme les transitions sont longues, il faut que les acteurs puissent anticiper ces stratégies dans le cadre de leurs investissements.

D’ailleurs, je veux souligner, comme le fait la rapporteure, qu’il importe de « repenser les fondements de notre régulation à moyen terme pour faire face à la probable disparition du spectre hertzien audiovisuel au profit des télécommunications ».

Cet enjeu est donc clairement perçu par la rapporteure. Si l’objectif est le très haut débit pour tous – soit 8 mégabits, ce qui assure le fonctionnement du triple play –, alors cet objectif sera atteint à la fin de l’année 2020. On peut donc légitimement se poser la question de la multiplication des plateformes de réception de la télévision et du coût que cela représente. L’ARCEP souhaite que le Gouvernement se penche sur cette question, pour provoquer la discussion ; je pense qu’elle y a d’ailleurs réussi.

La liberté des chaînes, qui sont tenus de s’adapter sans cesse aux évolutions des consommateurs et des technologies alors que la réglementation ne suit pas, doit être au cœur de cette réflexion. Il faudra également les protéger dans leurs relations avec les fournisseurs d’accès à internet. La régulation de ces relations suppose de répondre à ces questions : que doivent-elles fournir comme contenus ? Doivent-elles reprendre certains contenus ? C’est le must deliver. Doivent-elles tout diffuser ? C’est le must offer. Ce principe équivaudrait presque à celui de neutralité du Net, qui signifie que tout doit circuler dans le tuyau, sans discrimination à l’entrée. Il y a certainement un principe d’universalité d’accès dans le domaine audiovisuel, au moins pour les chaînes gratuites.

Que se passe-t-il en cas de conflit entre une chaîne de télévision et un fournisseur d’accès à internet ? L’actualité l’a montré avec TF1. Tout s’est finalement résolu par la négociation. Votre rapport suggère d’ailleurs qu’une médiation serait nécessaire. À l’ARCEP, nous considérons qu’une médiation ne suffira pas, car les négociations commerciales connaissent nécessairement un point de blocage à un moment donné. Une procédure de règlement des différends sera nécessaire. Ces problèmes sont des problèmes d’infrastructures. La distinction entre contenus et infrastructures est une distinction courante dans le vocabulaire européen. Le coût d’accès à l’infrastructure est également une question fondamentale : c’est le rôle de l’ARCEP. Il faut aussi qu’il y ait, au-delà de la liberté de choix pour les chaînes et la possibilité de s’adapter, une liberté de choix pour le consommateur.

Je veux évoquer ici un point qui n’a pas été traité dans le rapport, que connaît le CSA : c’est la problématique des terminaux. Qu’est-ce qu’un terminal ? C’est le robinet au bout du tuyau. La télévision est, au même titre que la tablette et le portable, un terminal. L’ARCEP a d’ailleurs rendu un rapport remarqué sur les terminaux, dans lequel elle constate que ceux-ci, par le biais des magasins d’application et des systèmes d’exploitation, réduisent considérablement la capacité de choix des utilisateurs, mais aussi la capacité des producteurs de contenus de pouvoir accéder librement aux utilisateurs.

Si l’on prend l’exemple de Google Home, à qui vous demandez de vous mettre les informations en rentrant à votre domicile, il vous dirigera immédiation sur France Info. Pourquoi ? C’est une chaîne remarquable – je ne formule aucune critique à cet égard –, qui a un accord commercial avec Google. Si vous vouliez écouter une autre chaîne, il fallait être plus directif et lui indiquer : « Mets-moi RTL ». Mais en cas d’accord de double exclusivité, vous n’aurez que France Info, ni RTL, ni aucune autre chaîne d’information. C’est un problème aujourd’hui méconnu mais qui préoccupe beaucoup l’ARCEP. Il faut garantir l’universalité de l’accès au tuyau, mais aussi garantir que ce qui rentre puisse en sortir… Le terminal – la télévision en est un – ne doit pas laisser passer certaines chaînes et en exclure d’autres. Ce serait comme un robinet qui ne sélectionnerait que certaines catégories, alors même qu’elles seraient toutes entrées dans le tuyau.

Tous les terminaux – smartphone, ordinateur, ou téléviseur – doivent être régulés de la même manière. Mon propos est d’enrichir la réflexion que la mission a menée en faisant des propositions sur la régulation des infrastructures. Ces propositions vont se faire également lors des États généraux du numérique, dont le Secrétaire d’État va probablement parler tout à l’heure. Enfin, en ce qui concerne les institutions de régulation, nous sommes au service de la Nation et les institutions s’adapteront. Pour paraphraser quelqu’un de célèbre, la régulation est comme l’intendance, elle suivra !

M. Jean Lessi, secrétaire général de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Merci monsieur le président, je ne vais pas parler des tuyaux, ni des contenus, ni des terminaux mais d’un autre objet de régulation qui transite dans ces tuyaux : les données à caractère personnel.

La télévision connectée a tout changé dans l’audiovisuel. Elle a modifié les services proposés au consommateur et, de façon fondamentale, rendu accessible un nombre de données à caractère personnel extrêmement élevé. De nombreux acteurs ont aujourd’hui la volonté, puisque des données personnelles sont disponibles, de les exploiter pour des usages variés : faire de la publicité ciblée, faire des recommandations de consommation, faire des mesures d’audiences, adapter les programmes, etc. Beaucoup d’usages deviennent possibles parce qu’on a rendu disponible, par la télévision connectée, une grande masse de données personnelles.

Je ferais trois remarques en réponse à trois questions sur la régulation.

Pourquoi réguler les données personnelles dans ce contexte particulier ? Ces données sont une très grande richesse pour tout l’écosystème. Le rapport l’a bien souligné sous l’angle du marché de la publicité. Mais les choix de consommation sont très révélateurs de données qui relèvent de la vie privée. Il y a donc une proportionnalité à trouver entre l’usage qui peut être fait de ces données et le droit à la protection des données personnelles. Il faut trouver un équilibre entre ces deux impératifs.

Qui réguler ? Des acteurs très différents interviennent dans le monde de la télévision connectée : les fournisseurs d’accès à internet, par les box qu’ils fournissent aux consommateurs ; les éditeurs de chaînes, qui ont leur propre site sur lesquels les consommateurs peuvent aller naviguer ; les plateformes comme YouTube ou Netflix, qui répondent à deux modèles différents. Le cadre juridique dans lequel ces acteurs évoluent est complexe. Il faut le garder à l’esprit. Certaines règles s’appliquent à tous, comme le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui s’appliquera notamment au sein des univers dits logués et imposera un consentement ; d’autres leur sont propres, par exemple en matière de dépôt des cookies, ces traceurs qui suivent votre navigation. Enfin, des règles particulières s’appliquent aux fournisseurs d’accès à internet relevant du code des postes et communication électronique, qui conduit à un encadrement assez stricte de l’usage des données de trafic et encore plus des données de contenu qui transitent dans les tuyaux. Vous avez, enfin, une règle plus transversale qui est fixée par l’article 3 de la loi du 30 septembre 1986 bien connue, sur le secret des choix des consommateurs. Vous avez donc des acteurs différents, avec des règles en partie communes et en partie différentes. À la fin, vous avez un marché plus ou moins homogène. Aussi, lorsque l’on réfléchira à des évolutions législatives, il faudra avoir une vision d’ensemble de ces différentes règles pour éviter de bouger l’un des curseurs de cet échiquier.

Quel régulateur ? Je formulerai trois remarques. Sur les enjeux de données personnelles, il y a la réponse du régulateur des données personnelles qui est la CNIL. Dans ce domaine, les acteurs de l’audiovisuel ne présentent aucune spécificité. Le RGPD, la directive « e-privacy » et le futur règlement « e-privacy » s’appliquent à tous ces acteurs sans aucune spécificité. Il n’y a donc pas de marges de manœuvre nationales sur ce point. Le cadre est unifié pour tous les acteurs. Ce cadre est en grande partie européen, qui va s’imposer à l’usage de la donnée. La réflexion doit donc aussi être poussée au niveau européen.

S’il n’y a pas de spécificité sectorielle de l’audiovisuel par rapport au RGPD ou aux règles sur les cookies, il existe un enjeu d’inter-régulation : intégrer ce cadre de la protection des données dans les démarches sectorielles que peuvent être celle du CSA, de la HADOPI ou de l’ARCEP. Ce dialogue existe déjà, notamment sur l’enjeu des télévisions connectées. Nous parlons au CSA. L’enjeu est donc de construire des solutions de régulations combinées, intégrant les différents prismes de régulation pour parvenir à une réponse convergente.

Mme Aurore Bergé, rapporteure de la mission dinformation. Il est agréable de voir les quatre autorités ainsi représentées. Voir le dialogue s’instaurer est un motif de satisfaction au sein de la commission. J’aimerais juste revenir sur vos propos, Madame, relatifs à l’insuffisance d’un pouvoir de médiation. Qu’entendez-vous par là ? Estimez-vous qu’il faille aller au-delà ? Le CSA a un rôle de régulateur économique à jouer extrêmement important au regard de l’évolution du marché et des acteurs. Vous avez exprimé, pour certains, des positions contrastées lorsque des conflits ont éclaté entre les diffuseurs et les fournisseurs d’accès à internet. Que préconisez-vous dans un tel cas de figure ?

Mme Monique Liebert-Champagne. La remarque que j’ai faite est liée aux conflits qu’il y a eu entre TF1 et les opérateurs. Ces conflits sont symptomatiques de l’évolution actuelle des contenus audiovisuels et de leurs modes de diffusion. Cette fois-ci, des ententes ont eu lieu. En amont, le rôle du régulateur est de mener un dialogue approfondi avec les professionnels. L’ARCEP conduit des entretiens permanents avec les opérateurs télécoms. Le stade de la médiation est le stade suivant, cela présuppose l’existence d’un conflit. Un certain nombre de procédures sont prévues dans les différents codes pour cette médiation.

Votre rapport s’arrête à la médiation, car nous sommes donc au stade du conflit. Mais si la médiation a échoué, il faudra bien envisager à un moment donné une procédure de règlement des différends. Cette procédure est absolument nécessaire et servira surtout à protéger les petites chaînes. Les grandes chaînes réussiront toujours à s’entendre avec les sociétés ou les fournisseurs d’accès à internet. Ce sont les petites chaînes qu’il faudra alors protéger, car elles ne parviendront pas à conclure un accord.

M. Olivier Schrameck. J’avais mentionné, parmi les observations extrêmement positives que m’a inspirées votre rapport, l’accent porté au droit souple. En effet, ce qui caractérise la régulation, c’est précisément de faire du prêt-à-porter. Les méthodes souples d’interactivité que nous appliquons nous permettent de développer un dialogue avec nos interlocuteurs et de faire régner un climat de confiance qui les conduit à faire appel à nous lorsque leurs intérêts légitimes se trouvent en contradiction. L’exemple donné qui a frappé récemment, celui du conflit qui a opposé les éditeurs aux distributeurs, montre que le CSA a son rôle à jouer, à condition que son rôle reste discret et respecte le secret des affaires. Pour apporter une nuance d’appréciation à vos propos, le règlement des différends que nous pratiquons fréquemment entre les distributeurs et les éditeurs est une forme précontentieuse qui est elle‑même soumise au contrôle du juge. Le risque est donc d’alourdir les procédures. Ce que nous souhaitons, c’est que le CSA devienne, comme d’autres autorités dans leur champ d’action, la maison où se rencontre et s’échangent les positions des différents interlocuteurs.

Or, ces interlocuteurs ne sont pas simplement les éditeurs. Ce sont tous ceux qui contribuent à la constitution de la chaîne de valeur de l’audiovisuel, depuis les scénaristes, les ayants droits, les sociétés d’auteurs jusqu’aux agences de communication qui sont la source des ressources publicitaires, soit tous ceux qui contribuent à ce que les objectifs de création et de développement économique reposent sur une conjugaison des différents acteurs. Cette conjugaison des différents acteurs est une clé fondamentale. Pourquoi ? Parce que nous n’arriverons à une régulation complète et confiante que si cette régulation permet d’associer les efforts des différents régulateurs. Ces efforts s’expriment de différentes façons. Il y a les demandes d’avis que nous nous soumettons réciproquement ; il y a les études que nous développons en commun, y compris avec l’HADOPI tout récemment sur les enceintes connectées. En réalité, la force de la régulation tient à sa diversité, de manière à ce que les différents acteurs de l’audiovisuel, dans son périmètre élargi par la directive SMA, trouvent à chaque fois le ou les interlocuteurs qui leur permettent de résoudre leur problème commun.

M. Pierre-Yves Bournazel, président de la mission dinformation. Je souhaiterais vous entendre sur la manière dont vous travaillez avec les autres régulateurs européens, ce qu’ils vous inspirent et les avancées qui sont les vôtres.

M. Olivier Schrameck. Ces deux questions nous tiennent particulièrement à cœur. Il ne faut jamais perdre de vue que la fonction du Conseil supérieur de l’audiovisuel ne tient pas simplement aux programmes, mais essentiellement à un rôle de régulation économique. C’est sur ce terrain de la régulation économique que se développe notre action européenne concertée. Celle-ci consiste en un rôle d’impulsion et de suggestion auprès de la Commission. Qui aurait imaginé il y a deux ans que le champ de la directive sur les services de médias audiovisuels serait étendu à l’ensemble des plateformes de partage des vidéos, des plateformes en direct et en ligne, ou même aux réseaux sociaux ? Tout cela résulte d’un dialogue. Le fait que ce dialogue soit discret ne doit pas conduire à le minorer. C’est au contraire une garantie de sa qualité entre des interlocuteurs qui se font confiance.

Et puis, il y a aussi le dialogue entre les régulateurs eux-mêmes. Ils apprennent à se connaître. Il a été insisté à juste titre sur l’intérêt d’une analyse comparée de l’organisation de la régulation en Europe. Cette organisation est très diverse, mais ses finalités et missions sont identiques. Je ne saurai être plus précis dans mes propos, mais il m’est arrivé d’aider des opérateurs français à acquérir des positions ou à les développer dans d’autres pays de l’Union européenne, grâce à des contacts personnels de confiance qui se sont établis au fil des années entre les différents régulateurs.

Je souhaiterais en appeler aux opérateurs eux-mêmes, et à tous ceux qui développent leurs intérêts dans le secteur, afin de faire en sorte que les régulateurs soient naturellement leurs représentants dans le champ de la compétition européenne. J’ai souvent regretté, alors que dans d’autres secteurs la représentation de nos intérêts est forte et structurée, qu’elle soit beaucoup moins solide, et parfois seulement intermittente dans le champ de l’audiovisuel. J’ai souvent souhaité auprès des interlocuteurs privés ou publics qui sont naturellement les nôtres, qu’ils s’associent pour faire valoir nos intérêts économiques en matière audiovisuelle et cinématographique.

Comme la rapporteure l’a souligné, le PIB du cinéma est supérieur au PIB de nombre d’autres secteurs industriels. Les valeurs de notre création française et européenne, et bien entendu les valeurs sociétales de notre État de droit, doivent conduire à donner à l’idéal européen un contenu culturel qui ne soit pas périodiquement mis en cause. À l’orée d’échéances électorales qui nous concernent tous, je crois qu’il est fondamental que l’audiovisuel joue son rôle dans l’affirmation de ces valeurs et principes au sein des pays de l’Union européenne eux-mêmes, mais aussi en contact étroit avec d’autres pays qui aspirent aux mêmes valeurs d’ouverture et de démocratie. Assurant en ce moment la présidence du réseau euro-méditerranéen des régulateurs, je puis vous assurer qu’il s’agit là d’un support précieux à la diffusion de nos valeurs et en particulier de celles qui concernent la protection des mineurs et des publics les plus fragiles et l’égalité des droits des femmes et des hommes.

Mme Monique Liebert-Champagne. Pour répondre au Président Schrameck, l’exception culturelle française fait que les médias français ont beaucoup travaillé en interne. C’est à l’ARCEP notre travail quotidien que de travailler à l’échelle européenne. Sans vouloir parler au nom de Jean Lessi, si le RGPD existe aujourd’hui, c’est aussi grâce aux initiatives très importantes prises par la CNIL au plan européen. Discuter avec nos partenaires est un travail constant et permanent au sein de l’ARCEP et de beaucoup d’autres organismes.

M. Olivier Schrameck. Je me borderais à deux observations. Ce qui m’a beaucoup frappé à la lecture de votre rapport, c’est que l’approche méthodologique commune que je soulignais d’emblée conduit à des propositions conjointes. Je ne voudrais pas revenir sur les problèmes de la TNT. Nous pourrions également évoquer le DAB+ ou la libéralisation des contraintes dont souffrent un certain nombre d’acteurs, que l’on qualifie quelquefois d’acteurs « traditionnels » ou « historiques » du paysage audiovisuel. Pour moi, de tels acteurs n’existent pas : il n’existe que des acteurs contemporains et c’est à eux que doivent s’appliquer les mêmes méthodes fondées sur la souplesse des incitations et sur l’équité des contraintes. Nous avons, en tant que régulateur économique, le devoir d’assurer le respect de la libre concurrence et de l’équité. Ceci doit nous conduire à faire en sorte que ces acteurs nouveaux, qui naissent en grande partie du monde numérique, soient soumis aux mêmes contraintes, contributions et qualité d’exposition que celles qui, dans les années quatre-vingt, dans un contexte tout à fait différent dominé par une économie encore administrée, ont été imposées à des acteurs. Nous devons faire en sorte qu’ils ne se périment pas, que leur équilibre économique ne soit pas remis en cause, mais qu’ils soient au contraire stimulés et encouragés. La publicité segmentée me paraît un excellent exemple, compte tenu de l’importance de l’enjeu. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’en parler à la présidente de la CNIL pour que nous puissions travailler en commun sur le sujet. C’est un bon exemple qui montre que les régulateurs sont eux-mêmes une enceinte de dialogue, un forum à l’intérieur duquel des idées nouvelles et des coopérations renforcées peuvent se développer.

M. Pierre-Yves Bournazel, président de la mission dinformation. Monsieur le ministre, je vous remercie de venir conclure cette belle et longue journée d’échanges.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire dÉtat chargé du numérique. Je vous remercie d’avoir consacré cette journée à ces discussions et d’avoir participé, pour certains d’entre vous, le 28 juin dernier, au lancement des États Généraux des nouvelles régulations numériques. Avant de vous parler de ces États Généraux, je voudrais remercier le président et la rapporteure de cette mission : vos conclusions sont très intéressantes à bien des égards.

Pourquoi avons-nous voulu lancer les États Généraux du Numérique ? Pourquoi le Premier Ministre et le Président de la République ont-ils souhaité que nous puissions nous réunir et préparer une vision pour les cinq, dix, quinze ans à venir ? C’est parce qu’aujourd’hui, le numérique a atteint un âge de maturité. Nous sommes sortis de cette phase initiatique où nous avions tous regardé le numérique comme un phénomène à part. On parlait du numérique comme d’un outil, comme d’une grande transformation ; nous nous rendons compte aujourd’hui que le numérique est notre monde, et que notre attitude vis-à-vis des régulations doit être au même niveau que ce grand et très beau monde numérique au service de la planète et des humains. La protection des droits et libertés dans le monde numérique est actuellement garantie par un grand nombre d’instances de régulations et d’autorités publiques : la CNIL, le CSA, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’ARJEL, l’ARCEP, l’HADOPI, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Les personnes qui viennent habituellement de mon parcours, c’est-à-dire les entrepreneurs et les startupers, ont toujours eu une peur sans limite de chacun de ces acronymes. Cette peur a été mienne très longtemps. Aujourd’hui, je vois la force que vous représentez. Je travaille avec vous depuis près de deux ans. À la présidence du conseil national du numérique, j’ai appris à vous découvrir et à comprendre le rôle essentiel que vous jouez.

Le débat des autorités liées au numérique et de leur rôle est assez ancien. Chacun croit avoir une très bonne idée. Depuis que j’ai la chance d’être membre du Gouvernement, j’ai reçu de nombreuses de propositions. Certaines sous forme de notes blanches, de notes signées, d’analyses, de sms, qui appellent tantôt à une rationalisation majeure, à la fusion du CSA et de l’HADOPI, du CSA et de l’ARCEP. Le rapport au Premier ministre de Karim Amellal, Laetitia Avia et Gilles Taieb propose la création d’une nouvelle autorité de régulation des contenus illicites sur internet, qui serait notamment en charge de contrôler la mise en œuvre des objectifs de lutte contre les propos haineux en ligne.

Si tous ces objectifs sont absolument nécessaires à notre équilibre républicain, il est aujourd’hui certain que la discussion doit autant porter sur l’efficacité et l’efficience que sur les objets. Les propositions que j’ai reçues depuis un an et demi sont assez décevantes, à l’exception de celle tendant à la création d’une autorité de régulation des contenus illicites, car son objet n’est pas tant de créer cette autorité mais de créer la nécessité de réguler ces contenus illicites. Si les propositions et les débats ont été de niveau très moyen ces dernières années, c’est parce que nous avons beaucoup parlé de la machine, des tuyaux, des organisations et des personnes, et peu de l’impact sur nos démocraties, de l’efficience et des problèmes réellement posés.

Aujourd’hui, ce débat est ouvert. Dans ces États Généraux, j’ai demandé à ce que tout le monde puisse être le plus complet possible. Les contributions qui ont été rendues publiques par les différents régulateurs permettent d’entrer dans la chair du sujet. Vous avez fait l’effort de ne pas proposer de dispositif humain et budgétaire mais de rappeler vos objectifs et les mécanismes spécifiques de chacune des autorités d’origine, et d’envisager les missions et les expertises. C’est cela qui aujourd’hui permettra d’enrichir la discussion.

Pourquoi ces questions sont-elles si complexes ? Pourquoi personne n’est-il parvenu à formuler une proposition consensuelle ? Pourquoi le Parlement n’a pas déjà la solution universelle ? D’ailleurs, votre rapport a cette mesure de ne pas proposer une solution universelle sur ces régulateurs, mais bien de rappeler les missions dont nous avons besoin. C’est d’abord parce que les frontières traditionnelles ont été bouleversées entre l’écrit, l’image, l’édition, la distribution, les contenus professionnels, les contenus amateurs, les médias verticaux, les conversations publiques horizontales, la définition même du contenu, la définition même du média. Tout est en redéfinition permanente. Qu’est-ce qu’un contenu aujourd’hui à une heure où chacun peut produire un message qui est à la fois contenu ? Qu’est-ce qui est audiovisuel ou pas ? Qui suis-je quand je fais une vidéo de moi qui a un plus grand impact sur le public qu’un média traditionnel et pourtant, n’est pas soumis à la même régulation ? Parce que les pratiques des personnes, en France et à l’étranger, dépassent les catégories juridiques, nous devons être capables de dépasser les catégories pour restructurer l’action des autorités publiques.

C’est un défi immense et, si l’on n’y prend pas garde, la protection des droits et libertés risquent de se retrouver cantonnée aux modes de communication et d’expression traditionnels, tout en ignorant les nouveaux usages. Ce serait ce qu’il y a de pire. L’idée se répand qu’il y aurait un monde des Anciens qui, lui, serait régulé, et un monde des Modernes qui serait un monde de totale liberté, et qu’ils abuseraient finalement des plus faibles. Ce n’est satisfaisant ni du point de vue de l’équité concurrentielle entre les acteurs économiques – on a vu les effets terribles de cette iniquité –, ni du point de vue de la défense de nos valeurs et de nos principes, au premier rang desquels figurent la défense du pluralisme des courants de pensée, la promotion d’une information de qualité et la préservation de la diversité culturelle.

On a souvent pris à la légère les débats ayant trait à la violence sur les réseaux sociaux et à l’enfermement algorithmique. Ces débats sont anciens – ils ont cinq à dix ans –, mais, depuis quelques mois, ils prennent enfin une place dans l’actualité politique à travers le monde. En France, ce sujet a été pris au plus niveau : par le Parlement, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, au sein du Gouvernement, au niveau européen. Nous débattons enfin de ces sujets. La manipulation de l’opinion est beaucoup plus difficile quand, dans un pays, on a un véritable pluralisme des courants de pensée et la capacité à les exprimer. C’est lorsque ce pluralisme est abîmé que la manipulation est plus simple : quand vous avez affaibli toutes vos sources de vérité, il est beaucoup simple d’en créer une alternative. Quand vos sources de vérités sont solides et protégées, quand on s’assure que le public garde toujours la capacité à s’informer et à découvrir, alors l’arrivée d’un perturbateur extérieur tentant de transformer les perceptions est beaucoup plus complexe. De nouveaux acteurs utilisent avec beaucoup de joie la superposition des frontières entre les médias et les individus, financés par des États ou des groupes d’influence.

Quel avenir pour vos autorités ? Comment ces autorités vont-elles être capables de se confronter à ces problématiques ? Les journées comme celle d’aujourd’hui nous montre que de nombreuses problématiques vous sont communes. Il y a celle des algorithmes de recommandations et de prescriptions, sur laquelle chacune de vos autorités a rendu ces dernières années un avis. Plus généralement, l’utilisation de l’intelligence artificielle et de l’internet des objets vous occupent tous. Vous partez tous d’un point de départ différent : c’est ce qui est intéressant. Vous avez une culture et un regard différents. La fausse bonne idée serait de fusionner toutes vos autorités au motif que les problématiques sont communes, car l’équation est plus complexe que cela. Comment mettre en commun une partie de ces intelligences, tout en gardant des points de vue propres et des valeurs originelles constitutives de vos différentes organisations ? Ce que la CNIL, le CSA ou la DGCCRF ont à dire sur le sujet des algorithmes de recommandations n’est pas de même nature. Et pourtant, nous avons besoin des mêmes briques d’analyse. Aujourd’hui, nous avons une stratégie nationale pour l’intelligence artificielle et avons annoncé les premières priorités avec Bruno Le Maire et Frédérique Vidal, notamment le fonds d’investissement pour les technologies de rupture.

Nous avons choisi deux priorités. La première concerne l’intelligence artificielle liée au diagnostic de santé. La seconde, dont le choix a été fait à l’issue d’un débat assez long, concerne le financement de projets d’algorithmes d’analyse afin d’assurer la souveraineté française et européenne dans ce domaine, par la compréhension et la perception de ces algorithmes. C’est notamment grâce au rapport de la CNIL que nous avons pu convaincre les différentes personnalités qualifiées qu’il était d’une urgence absolue d’avoir des briques de recherche fondamentale sur ces sujets. C’est ce qui va permettre leur financement dans les prochains mois.

Une autre problématique réside dans l’existence d’un interlocuteur commun. Je pense notamment à ces grandes plateformes. Pendant plusieurs années – je m’en suis particulièrement rendu compte pendant mes six premiers mois au Gouvernement –, les représentants de Google et Facebook en France connaissaient mieux que moi et mes services les personnes qui, dans l’État et dans les autorités, travaillaient avec eux. C’étaient eux qui étaient capables d’animer, de diriger la relation avec les autorités publiques, voire même d’orienter les réflexions. Et il nous a fallu un peu de temps pour nous rendre compte qu’il était plus intéressant de nous parler entre nous pour ensuite parler d’égal à égal avec les acteurs.

Nous faisons mieux aujourd’hui qu’il y a un an, mais nous avons encore beaucoup à faire. Si la question a été résolue au sein des administrations, je crois qu’il faut qu’on la pousse encore plus loin avec les autorités indépendantes. Nous avons réuni à plusieurs reprises, au sein de l’administration, toutes les personnes qui sont ou ont été en dialogue avec ces plateformes. Vous le savez, nous avons un ambassadeur du numérique. David Martinez n’est plus en poste depuis quelques semaines car il a été nommé ambassadeur d’Afghanistan
– après plusieurs années sur internet on l’a considéré comme étant prêt à aller en Afghanistan ! On va dire que la relation avec les plateformes vous donne des prédispositions au combat et au renseignement.

L’un des rôles du nouvel ambassadeur du numérique sera de coordonner la parole de nos différentes administrations avec ces plateformes au plus haut niveau, et au niveau international notamment sur les sujets de sécurité. Sur ce sujet, il va falloir que l’on fasse mieux. Il va falloir que l’organisation même de vos autorités favorise ce dialogue de haut niveau. Aujourd’hui, on a deux possibilités : soit la mise en commun de la puissance européenne des différentes autorités thématiques, soit le double effet d’une mise en commun au niveau national et au niveau européen. Imaginez la force que nous aurions si nous étions capables de parler à ce niveau-là. Mais, encore une fois, sans jamais remettre en cause ce qui fait la typicité de chacune de vos organisations. Enfin, les outils et méthodes développés par toutes vos autorités constitue un autre sujet, déjà évoqué.

L’avenir des futures régulations n’est ni dans des régulations classiques, ni dans l’autorégulation ; elles ont besoin, pour exister, de nouveaux outils techniques qui n’existent pas. La régulation dynamique capable de faire des propositions d’influence n’a jamais été expérimentée au plus haut niveau. Et pourtant, avec notre capacité à traiter des volumes extrêmement importants de données, à avoir des règles de droit dynamiques, à avoir des régulateurs qui sont aussi des experts techniques, nous aurions la capacité de concevoir de nouvelles formes de régulation dynamique.

Cela soulève plusieurs questions : serez-vous les porteurs de cette technologie ? Sera-t-elle déléguée aux experts ou aux plateformes elles-mêmes, par le biais d’une obligation de transparence et d’obéissance ? Sur ces sujets, se posera la question de l’investissement et de la mobilisation des compétences, et de la relation entre le régulateur et les entités économiques régulées. C’est pour cela qu’aujourd’hui émergent de nouveaux modèles dits de co-régulation. S’ils ne font pas complètement partie de notre culture, ces systèmes de co‑régulation, qui requièrent des opérateurs économiques privés qu’ils participent en expertise, en transparence et en financement, sont un élément essentiel.

Dans le rapport précité sur les contenus haineux, plusieurs scénarios ont été analysés à travers le monde. Se pose la question de la responsabilité commune. Lorsque nous avons réuni à l’Élysée, avec le Président de la République, les représentants des plus grandes plateformes mondiales pour discuter de l’impact qu’elles avaient sur le monde, sur l’entreprise, l’économie, l’État, la démocratie, l’avenir du travail, elles ont fait preuve d’une très grande écoute et d’une très grande volonté d’être régulées. C’était assez surprenant.
Peut-être se sont-elles senties obligé d’être polies parce qu’elles étaient invités à déjeuner. Mais j’ai cru y voir beaucoup de sincérité. Toutes ces plateformes avaient compris qu’après la prise de conscience collective des citoyens dans chacune des grandes démocraties ces douze derniers mois, elles auraient à répondre de leur puissance et de leurs responsabilités.

Je reste aujourd’hui très ouvert. C’est la raison pour laquelle j’ai invité les plateformes à participer aux États Généraux. Elles en sont des acteurs très actifs et j’attends d’elles qu’elles rendent leurs participations publiques. J’espère qu’elles sauront aussi vous inspirer. Dans ce cadre, les contributions émaneront des parlementaires, de vos autorités, des grands acteurs, mais aussi du Conseil National du Numérique et de toutes les parties prenantes publiques en France. Ce que je souhaite, c’est que cela devienne la base d’une véritable réflexion commune pour la suite. Nous devons réfléchir ensemble à l’harmonisation, voire à la rationalisation de nos dispositifs de régulation du numérique ; les voies pour y parvenir seront multiples. Le brief qui a été fait aux 200 personnes qui ont participé au lancement des États Généraux repose véritablement sur l’exhaustivité, l’ouverture et la réflexion en scénarios. Je vous invite donc à la plus grande créativité et à la plus grande liberté. C’est d’ailleurs ce que vous avez fait en partie dans votre rapport.

Le dialogue des prochains mois sera essentiel. Il s’agira de tester ces scénarios et de regarder quelles pourraient être les meilleures façons de construire ces régulations.

En matière de contenus, l’enjeu est de faire évoluer le rôle du CSA pour que le régulateur des contenus audiovisuels s’impose comme le régulateur des contenus numériques audiovisuels, car il n’existe plus aujourd’hui une si grande différence entre communications audiovisuelles et communications électroniques. Nous avons débattu ensemble des heures durant. Ces questions ne sont pas simples, car elles ne correspondent pas encore à la réalité des acteurs économiques qui sont en face. Si, dans la réalité des usages, la superposition entre contenus audiovisuels et contenus numériques est véritable, il faut aussi que nous fassions attention à la réalité économique de nos acteurs européens et français.

 Aujourd’hui, si nous devions définir ensemble notre vision et notre souhait pour la dynamique économique à venir, je ne suis pas sûr que nous serions tous d’accord. Je ne suis pas sûr que ce soit d’ailleurs notre rôle. C’est aussi à nous de favoriser une concurrence saine et sereine entre des acteurs qui ne sont pas de même origine. Les prochaines années vont être passionnantes de ce point de vue. Celui qui est capable de vous dire qui va diriger les contenus en ligne, qui va leader l’économie du contenu audiovisuel, du contenu créatif dans les prochaines années, soit il vous ment, soit il se trompe !

Ce matin, j’ai eu la chance d’inaugurer les nouveaux engagements de Deezer en France. J’ai récemment parlé avec Spotify et rencontré leurs dirigeants. J’ai parlé avec quelques grandes plateformes françaises d’audiovisuel en ligne ; j’ai rencontré quelques grandes plateformes internationales de contenus. Je vous assure que le jeu est beau et grand, et que cette concurrence technologique va bénéficier aux consommateurs et aux citoyens, mais que nous aurons à instaurer de nombreuses règles.

Merci à tous de les y inviter. Inventer les régulations numériques de demain, c’est inventer le monde de demain. C’est pourquoi ces questions sont sensibles. Ma conviction, en arrivant, était qu’il fallait créer une seule autorité, rationaliser l’ensemble et s’assurer qu’on avait les meilleurs experts. Puis, j’ai travaillé avec vous. J’ai écouté, j’ai lu, et je me suis rendu compte qu’il y a, à chaque fois qu’on a créé ces nouvelles règles et ces autorités, des principes qui viennent de bien plus loin que les industries que vous régulez, qui viennent de bien plus loin que l’ère du numérique. Ces principes-là ne peuvent être fusionnés du jour au lendemain ; ils doivent nous dépasser. Ces principes-là vivront, même après le numérique.

Toute l’équation qui est posée est de maintenir ces principes qui font l’Europe et qui font la France mais qui, en même temps, doivent nous donner la capacité d’être performant dans notre analyse. Le risque, sinon, est de vivre un monde alternatif dans lequel de nombreux jeunes, dont je ne fais plus partie, vivront une vie de contenus qui ne ressemble pas à la nôtre. Si vous avez des jeunes de moins de 17 ans dans votre famille, demandez-leur s’ils utilisent une seule des plateformes dont nous parlons depuis tout à l’heure pour consommer leurs contenus. Beaucoup d’entre eux sont déjà passés à l’après et toutes nos réflexions ne sont pas au niveau de cet après.

Alors préparons-nous à être ces régulateurs agiles, à être ces institutions agiles et à être ce gouvernement agile. Mais cela nécessitera de bien discuter de nos principes. C’est en cela qu’à la fin des fins, je pense que la seule institution capable de porter cette réflexion est le Parlement. J’attends de tous les députés et de ce Parlement où j’ai moi-même été élu qu’ils portent cette réflexion dans les années à venir. Parce que cette réflexion n’est pas une mise au point ad hoc pour l’année à venir, mais bien une réinvention de la décennie à venir. Je vous donne rendez-vous lors de ces États Généraux en novembre, lors de l’Internet governance forum, où j’espère, nous arriverons à rendre publiques la diversité et l’exhaustivité de ce que nous avons évoqué précédemment.

Nous nous sommes également donné rendez-vous en janvier 2019, pour l’EuroTech 2024, pour établir une feuille de route que nous souhaiterions partager avec quelques pays européens en avance, qu’ils adresseraient à la Commission européenne à venir et au futur Parlement européen, et qui identifiera les sujets de régulations majeurs que nous attendons d’eux dès les premiers mois de leur activité.

M. le président Bruno Studer. Nous avons déjà eu l’occasion de discuter ensemble de la nécessaire montée en puissance du Parlement sur ces questions. J’ai moi-même défendu, lors de la discussion sur la proposition de loi de lutte contre la manipulation de l’information, l’opportunité de créer une délégation parlementaire aux plateformes qui serait un moyen de monter en puissance sur ces questions. Le rapport d’information que j’ai souhaité dès le début de mon mandat, et que j’ai eu le bonheur de pouvoir confier à Aurore et à Pierre-Yves, participe à cette montée en puissance.

Nous avons introduit cette journée par un calendrier fixé par la ministre Françoise Nyssen ; nous concluons cette journée avec un calendrier fixé par le ministre Mounir Mahjoubi. Au travail !

 

 

La séance est levée à dix-sept heures vingt.

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Présences en réunion

Réunion du jeudi 4 octobre 2018

Présents. - M. Gabriel Attal, Mme Géraldine Bannier, Mme Aurore Bergé, M. Pascal Bois, M. Pierre-Yves Bournazel, M. Bertrand Bouyx, Mme Marie-George Buffet, Mme Céline Calvez, Mme Fannette Charvier, M. Stéphane Claireaux, Mme Fabienne Colboc, Mme Frédérique Dumas, M. Laurent Garcia, M. Raphaël Gérard, Mme Florence Granjus, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, Mme Anne-Christine Lang, Mme George Pau‑Langevin, Mme Béatrice Piron, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Frédéric Reiss, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Bruno Studer, M. Stéphane Testé, Mme Agnès Thill

Excusés. - Mme Anne Brugnera, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Nadia Essayan, M. Grégory Galbadon, Mme Annie Genevard, Mme Josette Manin, Mme Michèle Victory

Assistaient également à la réunion. - Mme Marie-Ange Magne, M. Jean-Luc Warsmann


([1]) http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6683472_5bb5b7ec548a7.commission-des-affaires-culturelles--nouvelle-regulation-de-l-audiovisuel-a-l-ere-numerique-4-octobre-2018

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6687464_5bb5ff26c391c.commission-des-affaires-culturelles--suite-de-la-journee-d-echanges-autour-des-conclusions-du-rappo-4-octobre-2018

([2]) Acronyme pour désigner Amazon, Google, Facebook, Apple et Netflix, et au-delà, les grands acteurs du numérique mondial.

([3]) SVOD : service de vidéo à la demande par abonnement

(1) OTT : "Over the top”, diffusion directe sur internet