Compte rendu

Commission
des affaires économiques

– Examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat (nos 1908 et 2032) (M. Anthony Cellier, rapporteur) 2


Mardi
18 juin 2019

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 48

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
M. Roland Lescure,
Président
 


  1 

La commission a commencé l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat (nos 1908 et 2032) (M. Anthony Cellier, rapporteur).

M. le président Roland Lescure. « Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? » Tel était le sujet de l’épreuve de philosophie du baccalauréat, lundi dernier. J’ignore si les candidats, dans leur copie, ont apporté une réponse positive à cette question. Ce que je sais en revanche de façon certaine, c’est que les projets de loi font la joie des députés qui prennent un plaisir manifeste à déposer des centaines d’amendements.

Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat dont nous commençons l’examen aujourd’hui fait ainsi l’objet de 712 amendements, ce qui pourrait sembler peu eu égard à nos habitudes au sein de cette commission : 1 200 sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGALIM) et plus de 3 000 sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN). Je souligne que le Gouvernement, quant à lui, avait été peu prolixe puisque le présent texte ne comporte que douze articles – huit lors de son dépôt initial et quatre ajoutés par lettre rectificative.

Sur ces 712 amendements, 450 portent articles additionnels. Un tiers des amendements déposés visent donc à modifier une disposition du projet de loi, tandis que les deux autres tiers tendent à en introduire de nouvelles. Loin de moi l’idée de brimer le droit d’initiative des parlementaires, mais je dois également composer avec une autre disposition de nature constitutionnelle : l’article 45, qui interdit les cavaliers législatifs.

Je tiens à vous rappeler que les trois textes importants examinés ces derniers mois par notre commission, ou par plusieurs d’entre nous en commission spéciale, ont tous été sanctionnés assez fortement, mais à juste titre, par le Conseil constitutionnel qui semble avoir durci ces dernières années sa jurisprudence sur les dispositions qui ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles figurant dans le projet de loi déposé. Ce sont ainsi 23 articles qui ont été annulés dans la loi EGALIM, 19 dans la loi ELAN et 24 dans la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE).

Derrière ces chiffres, ce sont d’abord des heures de discussions en commission et en séance qui s’avèrent in fine inutiles. Et encore, les articles censurés sont-ils ceux qui ont été adoptés. Je ne parle évidemment pas des longs débats sur les amendements qui ont été rejetés, tout aussi cavaliers que ceux annulés par le Conseil constitutionnel. Ce sont ensuite souvent de faux espoirs, ou de fausses craintes, donnés à certains de nos concitoyens. Ce sont enfin des critiques sur notre travail et sur la qualité de la loi qui peuvent sembler être confortées par ce type de décision.

Il m’appartient, en tant que président de la commission, de décider de la recevabilité des amendements. Avec l’appui du Président de l’Assemblée nationale et en totale coordination avec la présidente de la commission du développement durable saisie pour avis et bénéficiant d’une délégation sur le fond sur les articles 2 et 4, j’ai souhaité appliquer avec rigueur l’article 45 de la Constitution lors de l’examen du présent projet de loi. Vous en aviez toutes et tous été informés par courrier, en date du 29 mai, cosigné par Mme Barbara Pompili et moi-même.

Soyons précis : je ne souhaite en aucun cas brider nos échanges, mais je ne peux pas accepter non plus qu’ils s’éparpillent hors des limites fixées par les dispositions du texte déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. De ce point de vue, l’intitulé du projet de loi en lui-même n’est évidemment en rien une référence, sinon tous les amendements se rapportant de près ou de loin à l’énergie et au climat pourraient nous être soumis. Nous sommes donc tenus par le contenu des douze articles du texte. Sans entrer dans le détail des justifications, je tiens tout de même à vous expliquer les principes qui m’ont guidé et vous fournir quelques exemples des décisions que j’ai été amené à prendre.

Je tiens à vous dire que je ne suis tenu en rien à justifier ces décisions. Si l’irrecevabilité financière de l’article 40 peut éventuellement donner lieu à une demande d’explication écrite des députés dont les amendements seraient rejetés, ce n’est pas le cas pour celle de l’article 45. Pour autant, j’ai décidé de ne pas retenir les amendements ne prévoyant pas une contribution directe et significative à l’atteinte des objectifs de la politique énergétique et de la transition énergétique.

Sans entrer dans les détails, j’ai décidé de ne pas retenir les amendements ne prévoyant pas une contribution directe et significative à l’atteinte des objectifs de la politique énergétique et de la transition énergétique. Je vous donne quelques exemples. J’ai déclaré irrecevables des séries d’amendements concernant le provisionnement du démantèlement des centrales nucléaires ou des installations éoliennes. Pour les mêmes raisons, plusieurs amendements relatifs à la sécurité des installations nucléaires ont été écartés. La protection contre les actes de malveillance et la vérification de la conformité des installations techniques ne sont manifestement pas dans le champ du projet de loi.

De même, n’ont pas été retenus les amendements relevant surtout d’une approche liée à l’environnement entendue au sens de la protection de la biodiversité ou de la continuité écologique des cours d’eau, ou des amendements motivés par des considérations touchant à l’aménagement du territoire ou ayant principalement un objet d’ordre social. J’évoque ici notamment les nombreux amendements sur les moulins qui, pour la plupart, visaient à modifier le code de l’environnement. Je range aussi dans cette catégorie les amendements visant à réviser la distance minimale entre les éoliennes et les habitations. La préoccupation majeure de ces amendements était clairement présentée comme liée à l’aménagement du territoire, voire à la protection de la santé. De la même manière, les amendements portant sur les modalités de gestion des barrages hydroélectriques n’ont pas été acceptés. Cette question est certes importante mais ne peut se rattacher aux dispositions figurant dans le projet de loi. Enfin, les amendements introduisant des dispositions ayant une simple portée informative ou à visée éducative ont aussi été écartés. Je pense par exemple aux amendements interdisant la publicité pour les véhicules les plus polluants.

Je ne nie évidemment en aucun cas l’importance de ces sujets. J’ai dû décider de leur pertinence rapportée au texte du projet de loi.

Au total, ce sont 120 amendements qui ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Je signale que j’ai fait preuve d’une approche écartant tout esprit partisan. La répartition par groupe est la suivante : 32 amendements du groupe La République en Marche, 39 amendements du groupe Les Républicains, 8 amendements du groupe UDI et Indépendants, 3 amendements du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, 8 amendements du groupe Libertés et territoires, 3 amendements du groupe Socialistes et apparentés, 17 amendements du groupe La France insoumise, 8 amendements des députés non inscrits, ainsi qu’un certain nombre d’amendements émanant du Gouvernement.

J’espère vous avoir tous convaincus du bien-fondé de ma position. Au cas où vous en douteriez, ce que je n’ose imaginer, je vous propose d’éviter de vaines discussions en commission. J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de m’en entretenir avec certains d’entre vous et je suis prêt à le faire à l’avenir.

Je vous rappelle enfin qu’en séance publique c’est le Président de l’Assemblée qui apprécie la recevabilité des amendements. Vous pourrez donc lui soumettre à nouveau vos amendements. Il peut évidemment consulter le président de la commission, ce qui ne veut pas dire qu’il le suive systématiquement.

Mme Delphine Batho. Monsieur le président, je vous remercie pour vos explications et pour l’éclairage que vous avez bien voulu apporter. Néanmoins, je m’interroge sur le caractère recevable d’un certain nombre d’amendements et le caractère irrecevable de certaines autres qui, à l’épreuve des faits, ne permettent pas de comprendre clairement la doctrine appliquée. A ainsi été considéré comme recevable un amendement du Gouvernement sur l’hydrogène. Or le projet de loi initial ne comprend aucune disposition en la matière. A contrario, a été considéré comme irrecevable un amendement sur l’hydroélectricité qui est aussi une énergie renouvelable et de stockage. Je n’arrive donc pas à comprendre la logique.

De la même façon, ont été considérés comme recevables – c’était le cas aussi en commission du développement durable – tous les amendements relatifs aux économies d’énergie dans les logements, alors que le texte ne comporte aucune disposition sur ce sujet. A contrario, ont été considérés comme irrecevables bon nombre d’amendements sur les installations d’énergies renouvelables dont on peut estimer qu’elles ont un rapport direct avec les dispositions du projet de loi initial.

Si on peut comprendre la logique générale d’application de l’article 45, je n’arrive pas à suivre le raisonnement appliqué sur ces exemples précis, en particulier pour l’hydroélectricité.

M. le président Roland Lescure. Je ne souhaite pas nécessairement répondre au cas par cas. Ayant déclaré 120 amendements irrecevables, cela nous prendrait en effet beaucoup de temps. Je pense avoir été assez clair dans les principes que j’ai tenté de suivre pour appliquer l’article 45. Je le répète, vous pouvez toujours redéposer ces amendements pour la séance publique. Le jugement sera peut-être différent. Bien évidemment, je m’engage à transmettre les principes qui ont été les miens à la présidence de l’Assemblée, de manière qu’une décision soit prise avec un œil instruit. Je le répète, je l’ai fait de manière totalement transpartisane, me demandant seulement si ces amendements contribuaient de manière directe et importante au respect des objectifs du projet de loi. J’ai considéré que ceux auxquels vous faites référence ne le faisaient pas.

Après l’intervention liminaire de M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, nous entendrons notre rapporteur, M. Anthony Cellier, la rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Mme Nathalie Sarles, puis les orateurs des groupes, chacun disposant de quatre minutes. Enfin, les députés qui le souhaitent pourront poser des séries de questions. J’espère que celles‑ci sont relativement brèves et aussi peu nombreuses que possible de manière que nous puissions commencer dès que possible l’examen des 496 amendements restant.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Je suis très heureux de revenir à l’Assemblée nationale et de voir que les travaux qui ont été engagés pour améliorer les conditions de travail des députés, notamment dans cette salle, auxquels j’attachais une importance particulière lorsque j’étais Président de l’Assemblée nationale, ont porté leurs fruits puisqu’ils permettent aux députés, et indirectement aux membres du Gouvernement, d’examiner dans de bonnes conditions les textes de loi.

Lors de mes auditions devant les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, j’avais fait part de ma volonté de déposer un texte de quelques articles visant à rehausser l’ambition de la France en matière de lutte contre l’effet de serre et le dérèglement climatique, et à mettre en œuvre la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) que nous avons présentée avec le Président de la République à la fin de l’année dernière.

Ce texte vient en discussion dans le contexte particulier que nous avons vécu ces derniers mois : d’abord la crise des « gilets jaunes » à la fin de l’année 2018, puis le Grand débat national au début de l’année 2019. Il est ressorti de ce Grand débat que les questions écologiques sont importantes pour les Françaises et les Français, plus de 60 % de celles et ceux qui y ont participé estimant que le changement climatique était visible, palpable dans leur vie quotidienne et s’étant déclarés prêts à agir en faveur d’une transition écologique. Plus des trois quarts ont considéré que cela pouvait être bénéfique pour eux à titre individuel, au‑delà de l’intérêt collectif.

Sans entrer dans les détails, on peut dire également que les résultats des récentes élections européennes sont venus confirmer que nombre de Français souhaitent que nous fassions davantage pour l’écologie, que nous allions en quelque sorte plus vite et plus loin. Il y a quelques jours, lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a ainsi placé l’urgence écologique au premier rang de ses priorités. C’est dans ce cadre que nous proposons aux parlementaires des mesures législatives relatives à l’énergie et au climat, et, dans quelques semaines, un texte visant à lutter contre le gaspillage et à développer le recyclage.

Ainsi que j’ai pu l’observer lorsque j’étais Président de l’Assemblée, cette préoccupation est largement partagée par de nombreux députés de la majorité, mais aussi d’autres groupes – en tout cas davantage que lors des précédentes législatures. Cette progression de la prise de conscience, et même de la volonté d’action doit maintenant nous conduire à être plus efficaces et à agir plus rapidement pour répondre aux aspirations des Français.

Comme vous le savez, nous avons mis en œuvre ces dernières semaines plusieurs dispositifs. Nous avons d’abord créé, au début de cette année, le Haut Conseil pour le climat qui rendra son premier rapport la semaine prochaine, rapport qui pourra nourrir utilement la discussion de ce projet de loi en séance plénière.

Nous avons également souhaité qu’un conseil de défense écologique, sous l’autorité directe du Président de la République, permette de mobiliser tous les ministères, tous les services de l’État. Ce conseil, qui s’est déjà réuni une première fois au mois de mai, se réunira une deuxième fois au mois de juillet, puis à nouveau régulièrement.

Nous avons encore souhaité mettre en place une convention citoyenne pour être plus efficaces dans notre action pour le climat, pour mobiliser et entraîner le maximum de Français. Bien évidemment, nous ne visons pas l’unanimité et le consensus général, mais emporter l’adhésion d’une très grande majorité de nos concitoyens est la clé du succès. Le climat, ce n’est pas l’affaire seulement de l’État, ou de l’État et des collectivités locales, ou encore de l’État, des collectivités locales et des entreprises : c’est l’affaire de toutes et tous. Nous avons donc considéré qu’il fallait innover sur la méthode. C’est ainsi qu’une assemblée citoyenne composée de 150 personnes tirées au sort présentera des propositions d’ici à la fin de l’année à partir des différents constats.

Des mesures importantes ont été prises depuis deux ans, au premier rang desquelles la loi permettant de mettre fin à l’exploration et l’exploitation de toutes les formes d’hydrocarbures, conventionnelles et non conventionnelles, gaz de schiste, pétrole. Bien entendu, les quelques permis qui avaient été octroyés avant le vote de la loi n’ont pas été remis en cause, mais ils font l’objet de la date butoir de 2040. Très concrètement, depuis l’adoption de la loi par la majorité de cette assemblée à la fin de l’année 2017, nous avons refusé cinquante demandes de permis de recherche ou d’exploitation d’hydrocarbures en France. En Guyane, où un permis avait été accordé avant l’adoption de la loi, les forages d’exploration n’ont rien donné. Mais il n’y aura pas d’autres explorations possibles alors que le groupe Total, mais aussi la collectivité de Guyane, auraient pu souhaiter que de nouveaux permis soient octroyés dans la même zone. C’est un choix fort de renoncer à exploiter les énergies fossiles que nous pourrions avoir dans notre sol. Peu de pays au monde ont fait ce choix.

Nous avons également déployé différentes aides à destination des ménages français. C’est le cas de la prime à la conversion pour les voitures, annoncée lors de la campagne électorale de 2017, votée par le Parlement à l’automne de 2017 et mise en œuvre dès le 1er janvier 2018. Cette mesure a connu un grand succès puisqu’en 2018, près de 300 000 personnes ont pu mettre à la casse de vieilles voitures gourmandes en carburant et polluantes et les remplacer par des véhicules moins polluants, plus sobres et abordables. Comme cette aide était ouverte à l’achat de véhicules d’occasion, elle a permis en effet une large accessibilité sociale.

Nous avons suivi la même logique pour les chaudières au fioul qui peuvent être remplacées par des chaudières à gaz à haute performance, voire – c’est encore mieux – par des chaudières à bois ou des pompes à chaleur électriques, pour un euro seulement parfois, en fonction des revenus des ménages.

Ces mesures concrètes soutiennent notre action en faveur des économies d’énergie et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Quant à la programmation pluriannuelle de l’énergie, nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir, même si elle est déterminée par décret et non par la loi. Comme nous l’avions indiqué avant les élections, nous ne remettrons pas en cause les grands équilibres de la loi 2015, mais, pour que cette programmation soit mise en œuvre, il est nécessaire que le présent texte soit adopté.

Je veux dire d’ores et déjà, car je suis attaché à la politique des résultats, que les efforts des Français, qui sont rendus possibles par cette mobilisation et ces mesures, portent leurs fruits. Je rappelle que les émissions de gaz à effet de serre en France ont baissé de 18,8 % entre 1990, année de référence, et aujourd’hui, selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA), qui fournit chaque année les données consolidées en la matière. Après une année 2017 qui n’avait pas été bonne, la courbe a été inversée en 2018 puisque les émissions ont diminué de 4 %, ce qui représente une baisse de 20 millions de tonnes équivalent CO2, et une baisse des émissions résultant de la production d’électricité de 27 %. Les fermetures de centrales au fioul ou au charbon visent précisément à pérenniser durablement la baisse des émissions de CO2 dans la production d’électricité. Dans le secteur du logement et des bâtiments tertiaires, les émissions de CO2 ont diminué de 6,8 %. Dans le secteur des transports, qui représente 30 % des émissions dans notre pays, la baisse est de 3 % pour les véhicules particuliers et de 3,6 % pour les véhicules utilitaires. Quant à la consommation de carburant, elle était aussi en régression – nous avions les chiffres en temps réel dès la fin de l’année 2018. J’ajoute que la tendance est la même pour 2019.

Le présent texte vise donc à rehausser nos objectifs sur le climat, en l’occurrence atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, en divisant non par quatre mais par six nos émissions de CO2 entre 1990 et 2050. Je le dis tout de suite puisque certains avaient cru pouvoir polémiquer, mais c’était, pardonnez-moi de le dire aussi franchement, se mettre le doigt dans l’œil de façon assez profonde à moins que ce ne soit de la mauvaise foi assez crasse. Nous écrivons cet objectif noir sur blanc dans la loi, de même que nous fixons la réduction de la consommation d’énergies fossiles à 40 % – et non plus 30 % – en 2030. Baisser de 40 % notre consommation d’énergies fossiles en onze ans : voilà là encore un engagement extrêmement fort.

Nous avons aussi souhaité que ce texte permette l’adoption de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Dès le début du quinquennat, il a été annoncé clairement qu’il serait impossible de réduire à 50 % la part du nucléaire en 2025, le rééquilibrage en faveur des énergies renouvelables n’étant pas atteignable dans ce laps de temps compte tenu des retards pris au cours du précédent mandat. Cette date est repoussée à 2035. Il nous fallait modifier le code de l’énergie pour que la PPE soit conforme à la loi. C’est l’adoption définitive du présent projet de loi qui permettra, dans la foulée, et sans délai car toutes les procédures ont déjà été lancées, l’adoption de la programmation pluriannuelle de l’énergie qui fait déjà l’objet d’une consultation publique à laquelle tout le monde peut avoir accès. C’est un moment extrêmement important qu’attendent tous les acteurs de l’énergie afin d’avoir des trajectoires claires sur les économies d’énergie et la production d’énergies renouvelables que nous développons fortement.

Nous pérennisons également le Haut Conseil pour le climat qui est inscrit à l’article 2 du projet de loi. Ainsi, cette instance ne sera pas soumise à la volonté d’un gouvernement, mais pourra avoir une action pérenne et durable, sur le modèle du Haut Conseil pour les finances publiques qui rend un rapport tous les ans. Ce sera la même chose pour le climat qui fera l’objet d’au moins un rapport par an sur l’état de la connaissance scientifique, car il est extrêmement important que l’écologie avance sur la base des données éclairées par les scientifiques. Il n’appartient pas aux scientifiques de prendre les décisions : elles sont du ressort du politique, mais celui-ci a tout à gagner à s’appuyer sur les études scientifiques en matière de climat, comme dans d’autres domaines. Je tiens à le souligner car le débat politique est malheureusement rarement structuré autour d’éléments objectifs scientifiques, et j’entends souvent des choses assez éloignées de la réalité.

L’article 3 du projet de loi permettra d’avoir une assise législative claire pour mettre en œuvre l’engagement politique que nous avons pris de fermer les centrales à charbon avant la fin de leur exploitation. Nous avons déjà commencé à discuter avec tous les acteurs concernés, territoire par territoire, avec les deux entreprises concernées, EDF et Uniper, avec les représentants syndicaux des salariés, avec les élus des territoires. Des processus d’accompagnement de la reconversion sont déjà en cours, notamment les contrats de transition écologique. Nous avons pris également des mesures sociales. Il fallait que les choses soient très claires et qu’un opérateur ne puisse pas opposer un vide juridique. L’article 3 permet à l’autorité administrative, donc à l’État, de plafonner la durée de fonctionnement des centrales, en l’occurrence de programmer leur extinction d’ici à 2022.

L’article 3 prévoit également, et c’est une première, un dispositif spécifique d’accompagnement des salariés. En effet, de nombreuses centrales thermiques ont été fermées par le passé sans que rien n’ait été prévu sur le plan social ou territorial – je pense notamment à celle de Porcheville dans les Yvelines. C’est l’entreprise qui a dû gérer en interne la fermeture. Il en a été de même à la centrale de Cordemais, en Loire-Atlantique.

Le présent projet de loi vise également à régler des problèmes qui avaient été laissés en suspens ou qui créaient des complexités juridiques et administratives de divers ordres. Il nous fallait, par exemple, tirer les conséquences d’une jurisprudence du Conseil d’État de 2017. Les mesures prévues à l’article 4 permettent de sécuriser juridiquement le dispositif transitoire de l’autorité environnementale, l’insécurité juridique créant un facteur de contentieux. Or, en France, nombreux sont ceux qui aiment développer les contentieux notamment sur les projets liés aux énergies renouvelables, ce qui perturbe beaucoup la vie de nos territoires, de nos entreprises et de nos collectivités. Il était donc indispensable de clarifier les choses et de les sécuriser juridiquement.

J’ai souhaité également aborder la question des tarifs de l’électricité qui a créé beaucoup de débats ces derniers mois, et c’est normal. Le mode de calcul de ces tarifs a été fixé dans la loi de 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi NOME », conforté en 2015 par une autre majorité, un autre gouvernement. Je rappelle les faits, car certains ont quelques trous de mémoire et viennent parfois aujourd’hui se lamenter sur les effets de ce mode de calcul, et notamment la hausse de 5,9 % qui a été appliquée sur les tarifs régulés de l’électricité à compter du 1er juin dernier. Comme je l’avais indiqué, nous ne voulions pas nous contenter de constater certaines failles. C’est pourquoi l’article 8 permet – et c’est le débat parlementaire qui ira au bout des choses – de peser sur les prix dans le sens de la stabilisation et de la maîtrise sur la base notamment du plafond de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).

Le président de la commission a évoqué des dispositions de la loi PACTE, considérées comme des cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel, et censurées à ce titre. Il en a été ainsi de celles concernant la fin des tarifs régulés du gaz. Le Gouvernement vous propose donc, après avoir saisi le Conseil d’État, des mesures claires et sûres sur le plan juridique.

Tels sont les objectifs du présent projet de loi, qui redonne clairement le cap d’une ambition forte sur le climat, plus forte que celle qui avait été tracée par les gouvernements précédents. C’est la programmation pluriannuelle de l’énergie qui en fixe la déclinaison concrète et qui pourra être mise en œuvre grâce à l’adoption définitive de cette loi. Je sais que des préoccupations complémentaires se font jour sur les différents articles et je suis totalement ouvert à la discussion, sans bien sûr remettre en cause les grands équilibres, sans refaire tous les débats de 2015 puisque nous avions annoncé, avant les élections, que nous ne reviendrions pas sur la loi de 2015. D’autres candidats avaient fait des propositions différentes, mais ils n’ont pas été élus – c’est la démocratie. Une majorité à l’Assemblée nationale a également été élue sur la base des engagements pris. Je le répète, sans remettre en cause les grands équilibres, il sera possible d’enrichir le projet de loi sur certains points, notamment sur l’efficacité énergétique et tout ce qui permettra de baisser les consommations d’énergie dans le logement ou pour préciser les choses et être aussi opérationnel que possible sur le mode de calcul des tarifs régulés de l’électricité.

M. Anthony Cellier, rapporteur. Je suis très heureux d’aborder aujourd’hui l’examen du projet de loi relatif à l’énergie et au climat.

Je souhaite tout d’abord remercier les personnes qui ont travaillé avec moi sur ce texte, notamment Mathilde, Jennifer et Adrien, qui y ont consacré des nuits et des week-ends.

La dernière fois que le Parlement a eu à se prononcer sur la politique énergétique et climatique de la France et sur ses grandes orientations, c’était avec la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV). Cela fait donc près de cinq ans que le Parlement n’a pas été saisi d’une loi structurelle sur nos objectifs, sur notre avenir énergétique et climatique qui revêt, au travers des enjeux qui s’y rattachent, plus que jamais une dimension civilisationnelle et générationnelle.

Comme de nombreux parlementaires, je m’étonne que la LTECV n’ait pas laissé de place au Parlement dans la définition de notre politique énergétique au travers, par exemple, de grands rendez-vous, non seulement pour vérifier si notre pays respectait les ambitions qu’il s’était fixés, mais également afin de pouvoir faire évoluer ces dernières et décliner les grandes orientations qui s’y rattachent.

Depuis plus d’un an, j’ai travaillé avec mon collègue, Jean-Charles Colas-Roy et le soutien du président de la commission des affaires économiques M. Roland Lescure, ainsi que de la présidente de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Mme Barbara Pompili, à trouver un juste équilibre entre l’implication du Parlement sur les grands enjeux de politique énergétique et de stratégie nationale bas carbone et leurs déclinaisons techniques où je pense que le parlementaire aurait tort de s’engouffrer.

Je sais que la volonté de saisir le Parlement est partagée par tous les groupes politiques présents et je suis convaincu que nous pouvons tous ensemble y parvenir. Je vous proposerai d’ailleurs une rédaction en séance, fruit de cette année de travail.

Mais revenons plus particulièrement à ce projet de loi relatif à l’énergie et au climat. Face à l’urgence écologique et climatique, c’est une loi nécessaire et fondamentale, c’est une loi à la temporalité particulière, de la facture énergétique d’aujourd’hui à la neutralité carbone à l’horizon 2050 en passant par la fermeture des centrales à charbon en 2022. Mais finalement, on parle ici d’une génération, celle de nos propres enfants.

C’est une loi technique, complexe, mais dont les enjeux – et c’est bien ce qui doit systématiquement nous guider – sont toujours rattachés à l’humain et à son environnement. C’est une loi qui doit être complétée par des mesures fortes, concrètes, incitatives, notamment dans la rénovation énergétique.

Au travers de l’article 1er, nous inscrivons dans la loi l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, couplée à une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à 6. Il s’agit d’un objectif ambitieux qui vient concrétiser en droit français les engagements pris lors des accords de Paris, objectif évidemment plus ambitieux que celui fixé précédemment dans la LTECV qui était d’un facteur 4.

J’ai pu voir dans vos amendements que certains d’entre vous étaient préoccupés par l’absence de définition de la neutralité carbone. Je partage cette préoccupation et je vous proposerai de la définir dans la loi.

Mme Delphine Batho. Ah !

M. Anthony Cellier, rapporteur. Outre nos émissions de gaz à effet de serre sur le territoire français, nous devons prendre en compte notre empreinte carbone. L’urgence écologique et climatique se mesure à l’échelle internationale. Cette notion est donc importante et je souhaiterais que les objectifs de réduction de l’empreinte carbone soient intégrés dans les futures stratégies nationales bas carbone. Je vous soumettrai également un amendement.

Autre objectif majeur : nous augmentons nos ambitions concernant la réduction de la consommation primaire d’énergies fossiles, passant de moins 30 % à moins 40 % par rapport à 2012.

Enfin, l’article 1er modifie l’échéance qui avait été fixée de réduire à 50 % la part du nucléaire dans notre mix électrique à l’horizon 2025. Dès 2017, le Gouvernement avait annoncé le caractère irréaliste de cet objectif. Ce projet de loi propose donc un horizon de temps pragmatique, celui de 2035.

Avant d’aborder l’article 3, je vous précise que l’article 2 créant le Haut Conseil au climat et l’article 4 sur la définition de l’autorité environnementale ont été délégués au fond à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Ils ne seront donc pas rediscutés au sein de cette commission. J’en profite d’ailleurs pour saluer le travail de ma collègue Nathalie Sarles sur ces articles.

L’article 3 prévoit un dispositif organisant la fermeture des centrales à énergies fossiles les plus polluantes, notamment celles au charbon, en 2022, tout en se laissant la possibilité d’utiliser la centrale de Cordemais dans des laps de temps très courts afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement. D’aucuns pourraient dire qu’il s’agit d’une mesure purement symbolique. Je leur ferai remarquer que là où l’emploi de femmes et d’hommes est en jeu, il n’y a pas de symbole, que leur accompagnement ainsi que celui des territoires qui les accueillent doit être notre priorité. Il est d’ailleurs prévu qu’une ordonnance vienne préciser les modalités d’accompagnement concrètes des salariés des entreprises exploitantes de centrales, mais également de leurs sous-traitants. Je vous proposerai un amendement permettant de prendre en compte la situation de toute la chaîne de sous-traitance et non pas seulement des sous-traitants de rang 1. De nombreux amendements constructifs ont été déposés sur ce sujet afin de préciser la teneur des ordonnances.

Mes chers collègues, tout ne peut pas être réglé par la loi. Je pense par exemple aux contrats de transition écologique, aux projets de territoire qui doivent être construits au niveau local entre élus, représentants de l’État, entreprises, associations et citoyens du territoire.

D’autres diront que la part du charbon dans la production d’électricité est de 1,8 %, que nos voisins allemands ont choisi de fermer les leurs en 2038. Je leur rappellerai que si la part du charbon dans la production d’électricité est de 1,8 %, sa part dans les émissions de gaz à effet de serre du secteur est de 35 % et, comme l’écrivait La Rochefoucauld, rien n’est plus contagieux que l’exemple. L’enjeu est mondial, la solution européenne, l’exemplarité nationale.

L’article 5 permet de mieux lutter contre la fraude aux certificats d’économie d’énergie (CEE). Le dispositif des CEE est un outil majeur pour l’efficacité énergétique qui reste malheureusement très peu connu de nos concitoyens. Accusé de nombreuses failles, prêtant le flanc à la fraude, ce dispositif a considérablement évolué. Toutefois, il suscite un problème de confiance que nous devons restaurer au travers de différentes mesures de correction et d’information. Sur ce dernier point, le Gouvernement peut davantage agir que le Parlement.

L’article 6 habilite le Gouvernement à transposer par ordonnance le paquet « Une énergie propre pour tous les Européens ». Je note pour le regretter, tout comme vous, le caractère tardif de publication de la dernière directive, adoptée le 14 juin.

S’il m’apparaît légitime que des mesures très techniques soient directement transposées dans ces ordonnances, d’autres peuvent faire l’objet d’une transposition au sein de ce projet de loi. C’est ce que je vous proposerai notamment pour l’autoconsommation, les communautés énergétiques citoyennes et les communautés énergétiques renouvelables.

L’article 7 est consacré à la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Il permettra notamment de lui donner de nouveaux pouvoirs afin de régler un contentieux vieux de plusieurs années.

L’article 8 s’intéresse au mécanisme de compensation de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), créé pour 15 ans par la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (NOME), en 2010. L’ARENH permet à tous les Français, quel que soit leur fournisseur d’électricité, d’avoir accès à la rente nucléaire. Chaque année, les fournisseurs alternatifs peuvent demander à bénéficier d’une quantité d’ARENH, en fonction de la consommation de leurs clients. Le plafond de l’ARENH, fixé par arrêté à 100 terawatts‑heure (TWh), a été dépassé pour la première fois en 2019, ce qui a contribué à la hausse des factures pour nos concitoyens. Nous avons aujourd’hui un système qui est à bout de souffle : il ne parvient plus à remplir ses missions, qui consistent à faire bénéficier les Français de la rente nucléaire et à développer la concurrence. Le Président de la République a demandé à EDF et au Gouvernement de réfléchir à une réforme de la régulation de l’énergie, objectif qui a été réaffirmé le Premier ministre lors de son discours de politique générale. Les conclusions d’EDF devraient être remises à la fin de l’année.

Les articles 9 à 12 réintroduisent les mesures d’extinction progressive des tarifs réglementés de vente (TRV) du gaz, d’ici à 2023, et de l’électricité, à l’exception des consommateurs résidentiels et des micro-entreprises, qui étaient prévues au sein de la loi PACTE mais qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel, en tant que cavaliers législatifs.

Ce projet de loi ambitieux est un outil que nous allons pouvoir enrichir et qui comporte des mesures concernant le quotidien de nos concitoyens. Ce texte est une des composantes de la solution et de l’action – ce n’est pas le seul. L’urgence écologique et climatique est là. Elle relève de notre responsabilité à tous.

Mme Nathalie Sarles, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de laménagement du territoire. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est saisie pour avis du projet de loi relatif à l’énergie au climat. Elle a bénéficié d’une délégation au fond pour les articles 2 et 4, sur lesquels je vais surtout insister.

L’article 1er du projet de loi comporte de nouveaux objectifs ambitieux que notre commission souhaite consolider grâce à 6 amendements destinés à améliorer leur suivi opérationnel. Deux amendements portant sur l’article 1er prévoient l’adjonction à la PPE d’une feuille de route pour la rénovation énergétique des bâtiments et la présentation au Parlement d’un rapport sur les usages superflus ou non prioritaires de l’énergie. Quatre autres amendements, portant articles additionnels après l’article 1er, visent à étendre le plan stratégique d’EDF à la deuxième période de la PPE, à instaurer pour 2030 et 2035 des plafonds de capacités nucléaires installées, à définir une méthode de calcul réaliste pour le facteur de conversion en énergie primaire et, enfin, à demander un rapport sur le budget « vert ».

S’agissant de l’article 2, la création du Haut Conseil pour le climat doit être saluée. Cette instance autonome, se caractérisant par un haut niveau d’expertise et par la variété des compétences de ses membres, devra donner un nouveau souffle à l’analyse des questions climatiques en France. Il sera essentiel de nous assurer, lors de la présentation du projet de loi de finances, que ce Haut Conseil bénéficie des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions. Nous avons adopté trois amendements tendant à inscrire dans la loi certaines dispositions essentielles et à préciser les réponses et l’écho institutionnel qui seront donnés aux travaux du Haut Conseil. Nous souhaitons également renforcer le lien avec le Parlement : nos commissions seront chargées d’auditionner la personne pressentie pour présider le Haut Conseil, avant sa nomination. Elles recevront ensuite le président de cette instance dans le cadre de la présentation de son rapport annuel. Un autre amendement, déposé après l’article 2, est destiné à assurer l’indispensable prise en compte des avis du Haut Conseil au niveau régional.

En ce qui concerne la fermeture des centrales à énergie fossile les plus émettrices de gaz à effet de serre, qui font l’objet de l’article 3, la commission du développement durable s’est évidemment inquiétée des conséquences sociales et économiques.

Après l’article 3, notre commission a adopté 6 amendements, dont 3 visent à encadrer la disparition progressive, mais incontournable, des passoires énergétiques à l’occasion de la mutation ou de la mise en location de logements.

Un amendement déposé avant l’article 4 supprime la notion de simplification, car il s’agit plutôt de réaliser une mise en conformité des procédures à la suite d’une décision du Conseil d’État.

L’article 4, relatif à la définition de l’autorité compétente pour prendre des décisions au cas par cas, dans le cadre de l’évaluation environnementale, doit permettre de garantir la sécurité juridique des procédures d’examen, la situation actuelle ne pouvant être que temporaire. Notre commission a constaté que l’organisation proposée par le Gouvernement permettrait de répondre aux préconisations formulées par le Conseil d’État, et elle a donc adopté cet article sans modification.

S’agissant du renforcement de la lutte contre la fraude aux certificats d’économie d’énergie, nous avons adopté l’article 5 sans modification.

Après cet article, nous avons adopté 4 amendements destinés à mieux encadrer le régime juridique applicable à ces certificats et à mieux informer les consommateurs.

Après l’article 8, la commission du développement durable a adopté un amendement portant le plafond de l’ARENH de 100 à 150 TWh. Comme le rapporteur l’a souligné, il s’agit de prévenir de nouvelles hausses tarifaires qui seraient défavorables au pouvoir d’achat des Français, avant une vaste réforme du prix de l’électricité.

M. le président Roland Lescure. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Huguette Tiegna. Au cours de ces derniers mois, des attentes fortes ont été exprimées par nos concitoyens en matière d’écologie, de justice sociale et de pouvoir d’achat. Ces attentes sont légitimes, et nous devons avoir à l’esprit ce que nous disent les jeunes qui descendent dans la rue pour manifester, toutes les semaines, en faveur du climat. Ils nous disent qu’il est urgent de mieux faire, et plus vite : nous devons respecter les engagements pris par la France en vertu de l’accord de Paris et les préconisations faites par le groupe d’experts environnemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans son rapport préconisant la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré. Cet appel, comme celui des milliers d’autres citoyens qui sont engagés dans leur territoire pour une transition forte et juste, nous l’avons entendu. Sans entrer dans le détail des mesures déjà adoptées, je rappelle que nous avons beaucoup fait en la matière depuis deux ans, et je crois que la loi d’orientation des mobilités, que nous venons de voter en première lecture, est l’illustration de notre volontarisme. Le Premier ministre l’a dit dans son discours de politique générale : la première des priorités est la transition écologique. Nous devons – et nous le ferons – aller plus loin et plus fort en la matière dans les mois et les années à venir.

Nous sommes amenés à examiner, à partir d’aujourd’hui, le projet de loi relatif à l’énergie et au climat. Ce texte comporte des mesures fortes, qui illustrent notre marque de fabrique, à savoir l’ambition et le pragmatisme, pour accompagner l’ensemble des parties participant à la transition.

L’article 1er permettra à notre pays d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant par 6 nos émissions de gaz à effet de serre et de porter à 40 % l’objectif de réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles. Nos voisins suivent aussi ce chemin – il suffit d’écouter, par exemple, les déclarations récentes de la Première ministre britannique, Mme Theresa May.

Ce texte renforcera également la gouvernance de la politique climatique, ce qui correspond à une demande forte des Français. Nous allons ainsi créer, à l’article 2, un Haut Conseil pour le climat, et il y aura une clarification du rôle des autorités environnementales grâce à l’article 4.

Une transition énergétique juste consiste notamment à permettre la fermeture des centrales à charbon, en 2022, tout en accompagnant les territoires et les salariés touchés. Là aussi, nous serons au rendez-vous.

Le projet de loi propose ensuite de mettre en place de nouveaux outils pour accélérer la transition énergétique, renforcer la lutte contre la fraude aux CEE, transposer des directives européennes et adapter notre législation à des règlements issus du paquet « Énergie propre », modifier certaines compétences attribuées à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et transformer le dispositif d’accès à l’énergie nucléaire historique.

Ce beau texte, sur lequel nous aurons de vifs débats, a fait l’objet d’un travail constructif avec les deux rapporteurs, M. Anthony Cellier et Mme Nathalie Sarles, dont je veux saluer le travail, accompli dans un laps de temps très restreint, et avec Mme Marjolaine Meynier-Millefert, coresponsable du projet de loi pour le groupe La République en Marche. Les travaux issus de l’étroite collaboration entre nos deux commissions vont enrichir et améliorer ce texte, qui nous offre une occasion de nous saisir de sujets cruciaux.

Mon groupe, vous l’aurez compris, est pleinement engagé derrière ce projet de loi qui illustre notre volonté et, en même temps, notre pragmatisme sur les questions énergétiques. Nous défendrons des mesures visant à renforcer l’ambition du texte suivant plusieurs priorités : le développement des énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque, la rénovation énergétique des bâtiments ou encore l’accompagnement des salariés touchés par la fermeture des centrales à charbon. Nous y sommes très attachés, et je ne doute pas que cela fera l’objet de longs échanges.

M. Julien Aubert. J’ai employé en 2014, lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique, pour lequel j’étais l’orateur du groupe Les Républicains, l’expression de « trahison énergétique ». Force est de constater que le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à notre examen ne revient pas sur cet état de fait. Ce texte repousse de 2025 à 2035 la réduction de la part du nucléaire à 50 % de la production électrique. Nous avions affirmé en 2015 que l’objectif fixé par la loi était inatteignable et incompatible avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous avions prophétisé qu’il faudrait une nouvelle loi, et nous avions manifestement raison. L’article 1er du présent texte est là pour le prouver. Néanmoins, vous ne renoncez pas à l’objectif.

Ce projet de loi va aussi déterminer, en creux, l’avenir d’EDF. Nous sommes à la croisée des chemins : allons-nous décider de détruire un grand groupe national en maintenant un système, l’ARENH, qui permet à des fournisseurs alternatifs de survivre sur le dos d’EDF au nom de la sacro-sainte concurrence, ou bien allons-nous tirer les conclusions de 10 années de fonctionnement de ce système en considérant, enfin, que la mise en concurrence à tout prix dans le secteur de l’énergie n’est pas compatible avec la maîtrise des coûts ? Il va falloir choisir si le nucléaire est une poule aux œufs d’or ou un baudet sur lequel on crie haro.

L’examen de ce texte sera l’occasion de mettre en avant les marqueurs du projet des Républicains pour l’avenir énergétique de notre pays, qui sont la préservation de l’excellence nucléaire française et le souci de renforcer la position des énergies alternatives – hydrogène, biocarburants, biogaz – dans notre mix énergétique, face au projet de tout électrique qui est soutenu par le Gouvernement, notamment dans le domaine des mobilités.

Nous ne pouvons que regretter le calendrier d’examen de ce projet de loi. En effet, je préside actuellement une commission d’enquête, dont je vois que beaucoup de membres sont ici présents, sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l’acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique. Cette commission d’enquête a mené de nombreuses auditions, très instructives, et elle continuera à le faire. Je suis convaincu que nos conclusions, qui seront adoptées fin juillet, auraient pu éclairer utilement la Représentation nationale et le Gouvernement sur la voie à suivre en ce qui concerne la politique énergétique. Je vais devoir vous quitter bientôt pour présider cette commission d’enquête, et je ne pourrai peut-être pas entendre la réponse du ministre. Mais rassurez-vous : je reviendrai. (Sourires.)

Le groupe Les Républicains considère que s’il est nécessaire de se fixer des objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas compatible avec la volonté de démanteler à tout prix toute une filière qui est aujourd’hui la source d’une production électrique décarbonée.

Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, les travaux du centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA). Nous sommes revenus aux émissions qui étaient celles de 2015, ce qui veut dire que nous n’avons réalisé strictement aucun progrès depuis la loi de transition énergétique. Vous vous êtes félicité d’une baisse de 4 % des émissions. Or je suis allé regarder l’étude en question : en réalité, c’est grâce à un hiver doux qu’il y a eu une baisse de 6,8 % dans le secteur résidentiel et tertiaire, et la baisse des livraisons de diesel a également alimenté la réduction des émissions de CO2. Malheureusement, ce n’est donc pas votre politique qui a conduit à la baisse de 4 % des émissions de CO2.

Afin d’apporter une clarification, nous proposerons de remplacer l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique par un objectif de décarbonation de la production. Il s’agit d’être clair avec les Français : notre véritable objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre et non de démanteler l’industrie nucléaire, qui est décarbonée. Dans le domaine de l’éolien, parce que nous croyons que les pouvoirs publics et les promoteurs avancent à marche forcée, contre la volonté des citoyens, nous avons déposé un certain nombre d’amendements dont une partie a malheureusement été écartée au titre de l’article 45 de la Constitution. Je crois que c’est une erreur, car ils avaient un impact direct sur le potentiel économique. Lorsqu’on dit, par exemple, que les éoliennes doivent être situées à une certaine distance des habitations, cela réduit de facto leur potentiel de déploiement. Nous insistons par ailleurs sur l’hydroélectrique, qui est en réalité le nœud stratégique pour redémarrer notre système électrique en cas de black-out.

Parce que la politique de transition énergétique mobilise des dizaines de milliards d’euros et qu’elle engage l’avenir de notre pays selon des scénarii qui peuvent profondément changer nos modes de vie, nous considérons que le Parlement devrait être davantage associé aux prises de décision en la matière. Aussi, nous proposons que la programmation pluriannuelle de l’énergie n’ait plus un caractère réglementaire mais qu’elle soit discutée au Parlement et adoptée par lui.

Le rapporteur ayant cité La Rochefoucauld, je vais le faire à mon tour : « Nous ne trouvons guère de gens de bon sens que ceux qui sont de notre avis ». J’espère que vous vous rangerez, parfois, au nôtre. Les Républicains réaffirmeront tout au long de l’examen de ce texte une vision claire pour la politique énergétique et environnementale de la France. La transition énergétique, oui ! la trahison énergétique, non !

M. Philippe Bolo. Voilà plus d’une année que la PPE occupe celles et ceux qui, parmi nous, s’intéressent aux sujets de l’énergie et de la lutte contre la dérive climatique. Cela fait également deux ans que nous intégrons dans différents textes de loi des éléments en lien avec l’énergie – loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC), loi ELAN, loi EGALIM, loi PACTE, et plus récemment encore le projet de loi d’orientation des mobilités (LOM). Nous avons ainsi adopté des mesures visant à simplifier les procédures de production des énergies renouvelables et à améliorer les dispositions concernant les consommations énergétiques. Cette dispersion législative engendre une complexité qui peut contredire l’ambition initiale. Conscient de cet éparpillement et de ses effets, comme d’autres, j’avais appelé de mes vœux une loi sur l’énergie. La voici. Un texte a bien été préparé par le Gouvernement, et nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examiner.

La question qui nous est collectivement posée est de savoir si ce projet de loi répond aux enjeux énergétiques du pays en apportant des solutions adaptées. Le texte concerne notamment les objectifs de la politique énergétique de la France, la fermeture des centrales à charbon, la fraude aux CEE et le mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Cette première analyse montre que le projet de loi comporte des points positifs. Du point de vue du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, d’autres avancées étaient néanmoins possibles, et elles auraient pu se concrétiser grâce à un autre processus législatif : mon groupe défendra un amendement visant à ce qu’il y ait une loi de programmation pluriannuelle de l’énergie.

Nous espérons que nos collègues vont nous suivre : cette nouvelle façon de procéder réaffirmerait le rôle du Parlement dans le domaine de la politique énergétique. Ce n’est pas une innovation inatteignable, mais une solution pertinente. De telles programmations pluriannuelles sont au cœur d’autres champs législatifs, comme ceux de la justice et de la défense. Les bancs de notre Assemblée sont le lieu où doit avoir lieu le débat, nécessaire, sur la stratégie énergétique nationale, qui est par nature indissociable de la souveraineté de notre pays. Le débat parlementaire est compatible avec la technicité de ce sujet, car il peut se dérouler autour d’un document cadre produit par le Gouvernement et amendable par le Parlement. Un débat parlementaire paraît cohérent avec ce domaine qui est par essence transversal : cela permettrait d’accroître la concertation et l’acceptabilité en la matière. Enfin, renforcer la dimension législative de la stratégie énergétique de notre pays permettrait de rétablir l’ordre normatif. Nous nous apprêtons à examiner un texte qui a notamment pour vocation d’adapter la loi aux orientations réglementaires de la PPE. Or ce n’est pas à la loi de se plier au règlement, mais le contraire. Il convient de rétablir la primauté législative en ce qui concerne notre stratégie énergétique.

Je souhaite évoquer un autre sujet qui a suscité de nombreux débats au sein de la commission du développement durable, à savoir la rénovation énergétique des bâtiments et, plus spécifiquement, l’interdiction de la mise en location des passoires thermiques dans les zones tendues à l’horizon 2025. Mon groupe estime qu’il est illusoire d’imaginer que des interdictions prévues par la loi sans dispositif d’accompagnement vont régler ce problème. Nous refusons une écologie punitive qui conduirait de nombreux Français issus des classes modestes à ne plus recevoir des revenus complémentaires qui leur sont indispensables pour vivre. Nous préférons une transition énergétique accompagnée, pour tous ceux qui en ont besoin. Nous pensons également qu’il est important de réfléchir à un mécanisme différencié selon les situations. Nous militerons toujours pour l’accompagnement de nos concitoyens vers une société décarbonée.

Je vais conclure en vous interrogeant, Monsieur le ministre, sur un sujet qui nous paraît sous-estimé, celui du prix des énergies. En quoi et comment ce projet de loi tend-il à assurer la maîtrise du prix des énergies, en cohérence avec les contraintes de pouvoir d’achat de nos concitoyens ?

Mme Laure de La Raudière. Le constat partagé à l’occasion de l’accord de Paris est que le réchauffement climatique résulte bien de la consommation d’énergies fossiles fortement émettrices de C02, que ce soit le charbon, le pétrole ou le gaz. Je suis convaincue que notre transition énergétique, en France, doit se fonder sur nos atouts stratégiques et reposer sur un impératif d’efficacité. Le nucléaire fait partie de ces atouts. Je veux saluer le bon sens du Gouvernement, qui a pragmatiquement repoussé de 2025 à 2035 l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire, mais j’aimerais aussi que la réflexion puisse aller un peu plus loin : pourquoi ne pas revisiter l’objectif de 50 % ? Il ne faut pas remonter ou rester à 75 %, sans doute, parce qu’une part d’électricité à base d’énergies renouvelables est souhaitable, mais pourquoi un taux de 50 %, et non de 60 ou 65 % ? Cela donnerait un peu plus de souplesse en termes de développement et peut-être aussi l’assurance que le prix de l’énergie électrique sera moins chère, compte tenu du financement des énergies renouvelables.

Je regrette que ce texte ne permette pas de débattre davantage des choix énergétiques de notre pays dans le cadre des PPE 2019-2023 et 2024-2028. Le projet de loi ne se prononce pas en ce qui concerne le mix électrique, sauf pour le nucléaire. C’est d’ailleurs assez étrange : pourquoi le fait-on pour le nucléaire et non pour le reste ? C’était un totem politique du précédent gouvernement, qui voulait inscrire la question du nucléaire dans la loi, mais on ne l’a pas fait pour l’éolien, pour l’hydroélectricité ou pour la méthanisation. Nous ne sommes amenés à débattre que d’une source d’énergie, le nucléaire. J’aimerais qu’on le fasse aussi pour les autres énergies renouvelables, car je pense que certaines d’entre elles doivent être mieux encadrées afin d’être acceptées : il y a des externalités négatives qui font naître des problèmes d’acceptabilité sociale.

C’est le cas, notamment, de l’éolien terrestre, pour lequel on atteint aujourd’hui un point de saturation dans certains territoires ruraux. Je ne suis pas la seule élue à le dire – je pense à des présidents de conseils départementaux ou régionaux tels que MM. Dominique Bussereau et Xavier Bertrand. Ces élus de terrain tirent la sonnette d’alarme en ce qui concerne le manque d’acceptabilité sociale de l’éolien terrestre dans certaines régions. Les externalités négatives sont multiples, mais elles sont constamment minimisées, Monsieur le ministre. Quand vous parlez de l’éolien, j’ai d’ailleurs remarqué que vous évoquez la partie offshore.

Ce projet de loi ne nous permet pas de rediscuter d’un point important : depuis la suppression des zones de développement de l’éolien (ZDE), les élus sont démunis d’instruments pour décider ce qu’ils veulent sur leur territoire. Un plan local d’urbanisme (PLU) n’a pas le droit d’interdire l’implantation d’éoliennes terrestres sur tout le territoire d’une commune et les régions ont décidé de ne pas faire des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), qui auraient pu être un cadre de planification dans ce domaine, des documents prescriptifs. Je voudrais attirer l’attention sur le fait que la tension commence à monter dans certains territoires, pas là où on implante une première éolienne, mais quand on commence à en avoir 200 ou 250 dans un département – il y a alors un vrai problème d’acceptabilité sociale.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous attendions depuis plusieurs mois le grand projet de loi qui devait répondre à l’urgence climatique et écologique : c’était le texte visant à faire notre planète à nouveau « grande » – je le dis volontairement en français – pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron. Ce texte arrive enfin au Parlement, et je voudrais vous dire notre déception. Alors que les préoccupations environnementales mobilisent les peuples, et notamment les citoyens les plus jeunes, que les résultats électoraux nous rappellent notre responsabilité et que les effets du changement climatique se multiplient sous nos yeux, nous sommes face à un texte creux, composé de 8 articles, dans sa version initiale, qui se résument à 2 mises à jour d’objectifs et à 4 fermetures de centrales à charbon. C’est un peu juste, vous en conviendrez, Monsieur le ministre, pour rendre notre planète grande à nouveau. L’annonce de la présentation d’une lettre rectificative en conseil des ministres, le 12 juin dernier, jour du discours de politique générale du Premier ministre, nous a laissés espérer une tentative de sursaut. Il ne s’agissait, en fait, que de rétablir les dispositions visant à supprimer les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité qui ont été censurées dans la loi PACTE par le Conseil constitutionnel et que nous avions combattues.

Ce projet de loi tend à actualiser des trajectoires et des objectifs que nous approuvons, mais absolument rien n’est prévu pour en assurer la transcription. Où sont les moyens ? Quels sont les leviers ? Vous ne prévoyez rien pour la transition écologique des bâtiments, alors que le secteur résidentiel et le secteur tertiaire représentent 45 % de la consommation énergétique. Il n’y a rien, non plus, en ce qui concerne les transports, qui représentent pourtant 31 % de la consommation nationale. Nous aurions pu avoir un débat sur ce dernier point dans le cadre du projet de loi d’orientation des mobilités, mais tous nos amendements visant à favoriser le développement du fret ferroviaire et fluvial, à maintenir les petites lignes et les petites gares ou à mieux prendre en compte l’impact carbone du transport aérien ont été renvoyés aux calendes grecques ou au projet de loi de finances.

Nous soutenons naturellement – comment pourrait-il en être autrement ? – l’objectif sous-tendu par l’article 3, qui vise à entraîner la fermeture de 4 centrales à charbon en métropole à l’horizon 2022, même si vous auriez pu proposer, plus simplement, une interdiction claire et définitive de l’usage du charbon comme combustible pour la production d’énergie, hors usage individuel. Nous nous satisfaisons du fait que le Gouvernement prévoie les modalités d’accompagnement des salariés, des sous-traitants et des territoires. Nous sommes convaincus que la transition écologique et énergétique, comme toute transition, sera à la fois destructrice et créatrice d’activités et d’emplois. À cet égard, un mécanisme global d’accompagnement des entreprises et des salariés devrait être pensé collectivement dans les prochains mois, et l’État doit y prendre sa part.

Pour ce qui est des objectifs actualisés par l’article 1er, il y a un constat partagé : l’objectif de réduction de la part du nucléaire dans notre mix énergétique n’était pas suffisamment réaliste. Sur ce point, comme sur les autres, il manque néanmoins les modalités qui permettront d’atteindre l’objectif. Il n’y a rien, notamment, en ce qui concerne la levée des freins à la transition énergétique, qui est pourtant nécessaire – les conclusions de notre mission d’information sur ce sujet le montreront très prochainement. Le projet de loi ne prévoit rien, non plus, à propos de l’hydroélectricité, alors que le Premier ministre a évoqué ce sujet dans sa déclaration de politique générale. Comme vous le savez, l’hydroélectricité a un rôle majeur à jouer dans la réussite de la transition énergétique.

Nous serons force de proposition grâce à nos nombreux amendements. Ce n’est pas une surprise si plus de 700 amendements ont été déposés sur ce texte.

Nous souhaitons également adresser une remarque de forme au Gouvernement. Les articles 9 à 12 du projet de loi, qui sont issus d’une lettre rectificative présentée en conseil des ministres, ont seulement été mis en ligne sur le site de l’Assemblée, avec l’exposé des motifs et l’étude d’impact qui correspondent, le 13 juin dernier, à 16 h 25, ce qui a tout juste laissé 24 heures pour le dépôt des amendements au sein de notre commission, et postérieurement à l’examen du texte par la commission du développement durable. Le Gouvernement avait amplement la capacité de déposer cette lettre rectificative dans des délais décents après la décision du Conseil constitutionnel du 16 mai dernier. Ce procédé particulièrement irrespectueux du Parlement est contraire à l’exigence de sincérité.

Nous nous sommes attachés, je l’ai dit, à faire des propositions pour donner une substance aux objectifs fixés par ce texte. J’espère que ces propositions seront accueillies avec enthousiasme.

M. François Ruffin. J’ai donné rendez-vous à mon copain Cyril à la gare du Nord, sous le panneau des départs – vous savez, celui qui fait « tchic-tchic-tchic-tchic », avec les indications Bruxelles, Amsterdam, Amiens ou Lille. J’ai cherché, mais le panneau avait disparu : je ne le retrouvais plus. J’ai levé mon nez, j’ai regardé alentour, et sur quoi suis-je tombé ? Sur un immense panneau d’affichage publicitaire pour la nouvelle Audi. J’ai cherché où les trains étaient indiqués : il y avait des petits panneaux Samsung, de type LCD, devant tous les quais, par dizaines. Je me suis informé : j’ai appelé la SNCF, peut-être par nostalgie – dans les films policiers, quand le héros cherche à choper son train, il le rate à une minute près et on entend « tchic-tchic-tchic-tchic » : une époque disparaît discrètement – et aussi parce que je me suis dit que cela doit quand même consommer nettement plus d’électricité que le seul panneau central. J’ai donc appelé la « com » de la SNCF, qui m’a dit que toutes les gares vont passer au numérique. J’ai demandé pourquoi : « pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles on ne roule plus en 404 ou qu’on ne tape plus à la machine à écrire, c’est le progrès ». J’ai répondu : « avez-vous une idée de la consommation électrique que cela représente ? ». On m’a dit : « moi, non, pas du tout, je n’en sais rien, mais le tableau de publicité, pardon, d’information, rapporte un peu d’argent à la gare ».

Nous sommes dans le cadre d’un projet de loi relatif à l’énergie et au climat. Cette invasion de l’espace public par des écrans qui bouffent de l’énergie est incompréhensible. Même quand vous allez pisser, vous vous retrouvez avec des écrans devant vous dans les toilettes – cela arrive à Paris, et ce sera donc bientôt le cas en province, aussi. C’est complètement absurde si on veut suivre une trajectoire sur le plan énergétique. Il y a dans ce texte des objectifs qui sont ambitieux et auxquels on ne peut que souscrire : un plan national de lutte contre le changement climatique, la neutralité carbone à l’horizon 2050 et la division par 6 des émissions de gaz à effet de serre – mais pourquoi pas par 8, 10 ou 12 ? Ce qui compte, ce sont les moyens qu’on met en face. Or je ne les vois pas dans ce texte.

Nous devrions avoir une sorte d’obsession : on doit consommer moins d’énergie. C’est vrai pour les ménages, les collectivités et les entreprises. Ce n’est pas compatible avec la croissance, il faudrait le marteler. On ne voit pas comment vous allez y arriver sans toucher aux écrans publicitaires, ni aux vols intérieurs, ni aux yachts, ni aux camions, ni, surtout, aux 7 ou 8 millions de passoires énergétiques. Je le redis : on aurait mieux fait de diriger les 40 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) vers cette dernière question, qui correspond à un objectif à la fois social – permettre aux familles les plus précaires de payer moins en factures de gaz ou d’électricité – économique, parce que cela représente évidemment des créations d’emplois, et écologique, puisqu’on serait moins dépendant, par exemple, du gaz et du pétrole pour se chauffer. Mais ces ambitions ont été remisées.

Comment parvenir à diviser par 8 les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 ? Par un miracle, par le marché. Vous avez une seule réponse, comme quelqu’un qui n’aurait qu’un seul marteau – que vous repeignez en vert –, le marché, et vous voyez donc tous les problèmes sous forme de clous. Vous tapez et vous nous répétez : « marché », « marché », « marché » – celui des certificats d’économie d’énergie, un marché unique européen de l’énergie ou encore la fin du tarif réglementé du gaz et de l’électricité. Nous serons donc privés du peu d’outils de régulation dont nous disposions. Je vais vous dire ma conviction : la transition ne se fera pas toute seule, par le marché, par le laisser-faire, mais par une rupture, notamment avec l’idéologie de la croissance. Nous devons associer le « consommer moins » et le « répartir mieux », et c’est vrai aussi en matière d’énergie.

M. Hubert Wulfranc. Le ministre nous dit que c’est un projet de loi visant à rehausser l’ambition nationale dans ce domaine. C’est un objectif tout à fait normal et légitime au vu de l’urgence, qui est plus que criante. En l’état, je réserverai l’avis de mon groupe en ce qui concerne l’article 1er, mais ce que j’ai entendu à propos des précisions que le rapporteur semble vouloir apporter me laisse penser qu’il y aura des éléments intéressants. Vous avez également dit, Monsieur le ministre, que les résultats doivent suivre. Nous nous accordons sur ce point. Je voudrais faire deux autres remarques préalables.

J’imagine que l’ensemble des membres de la commission partageront la première. Sur ce sujet, l’énergie et le climat, il faudrait s’adresser au monde. On doit avoir un peu d’humilité dans la démarche. La France n’est pas seule, évidemment, sur le plan européen et international. L’ambition que nous défendons est aussi à mettre en regard des politiques menées par certaines grandes puissances : les nuages de Tchernobyl ne s’arrêtent pas aux frontières. Or chacun sait quel est le climat international, avec le climatosceptique Donald Trump aux États-Unis, le capitalisme d’État productiviste qui règne en Chine, le président Bolsonaro au Brésil, nouveau massacreur de la forêt amazonienne, et cette grande puissance pétrolière qu’est l’Arabie saoudite – qu’en sera-t-il demain dans cette monarchie ? Ce sont de vraies questions qui devraient nous interpeller, même si ce projet de loi n’est pas le cadre qui convient, sur notre politique internationale.

Je voudrais également évoquer l’aide au développement. Il est évident que la France a une responsabilité en tant que puissance engagée dans ce domaine, même si on peut débattre des efforts que nous consentons. Il y a de véritables enjeux qui concernent le continent africain, l’Asie du Sud-Est et d’autres régions du monde en matière de production d’énergie, d’accès à l’alimentation et à l’eau ou encore de gestion des déchets. Cela pose aussi la question de la coopération internationale que notre pays entend conduire.

Je suis largement resté à la périphérie du contenu du projet de loi jusqu’à présent. J’en viens maintenant, et rapidement, aux questions essentielles que pose ce texte, selon nous : l’outil qu’est EDF, son unicité et ses capacités d’investissement, ce qui renvoie notamment à ce que Mme Marie-Noëlle Battistel a indiqué à propos de l’hydraulique – nous ne pourrons pas en débattre, mais cela fera son chemin ; la question des énergies renouvelables, et notamment la nécessité d’en finir avec la jungle que constitue l’éolien terrestre et de bien voir les externalités négatives qui existent ; la question de la domination de l’électrique et du basculement à venir vers cette énergie, ainsi que la vigilance à exercer en ce qui concerne l’indépendance nationale et l’environnement, y compris chez les autres ; l’habitat et le bâtiment ; la reconversion industrielle ; les tarifs de l’électricité, enfin, et la question de la précarité énergétique – nous n’avons pas obtenu les résultats indispensables pour assurer un accès social au droit à l’électricité.

M. le président Roland Lescure. Merci, Monsieur Wulfranc, pour ce tour du monde dont le bilan carbone est finalement assez neutre. (Sourires.)

M. François-Michel Lambert. Ce projet est, à tous points de vue, une petite loi, un texte a minima : on passe à côté de la véritable loi sur l’énergie dont notre pays aurait besoin. Nous aurions aimé faire suite à vos annonces relatives à l’ambition écologique du Gouvernement en ayant l’opportunité de débattre de la politique hydroélectrique de la France, du montant de la prime à la conversion des automobiles ou encore de celui de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), mais l’occasion ne nous en est pas donnée. Nous comprenons bien que l’objet de ce texte est plutôt de modifier le cadre législatif afin qu’il coïncide un peu plus avec la PPE.

Nous applaudissons le fait que les ambitions sont revues à la hausse pour la diminution des émissions de gaz à effet de serre – il faut le reconnaître – et pour la baisse de la consommation des énergies fossiles, mais nous regrettons le report à 2035 de la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique : même si le nucléaire est décarboné, il est loin d’être soutenable. Sa pérennisation dans notre mix énergétique constitue non seulement un danger pour la planète mais aussi pour notre territoire. C’est aussi une justification pratique quand on ne veut pas se montrer plus volontariste pour le développement des énergies renouvelables.

Ce projet de loi illustre aussi, par ses zones d’ombre, l’absence de mesures en matière de logement. Face au fléau de la précarité énergétique, qui paupérise plus de 12 millions de Français, nous devrions mener une politique publique résolue en matière de rénovation des passoires thermiques, pour mettre fin aux radiateurs dits « grille-pain ». Malgré l’absence de propositions concrètes de la part du Gouvernement, nous aurons l’opportunité de discuter de ce sujet à la faveur des nombreux amendements qui ont été déposés. L’article 5 prévoit, certes, quelques dispositions visant à réduire la fraude aux certificats d’économie d’énergie (CEE), mais on est loin de la levée des freins qui est nécessaire pour accélérer les rénovations dans le cadre d’une volonté de transformer notre modèle énergétique et, surtout, de faire des passoires thermiques des espaces de vie socialement responsables et écologiquement positifs.

Je pourrais évoquer d’autres manquements ou faiblesses, qui concernent notamment la chaleur et le biogaz, les réseaux de distribution, le développement de l’éolien, notamment offshore, même si on peut relever le lancement de l’appel d’offres qui a eu lieu la semaine dernière, mais aussi l’énergie fatale, dont l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ne cesse de souligner le potentiel important, mais qui n’apparaît que pas ou peu dans ce que vous proposez.

Je dois aussi aborder la question de l’article 3. Vous n’ignorez pas que je suis le député d’une des 4 circonscriptions concernées, ou plutôt impliquées, par la fermeture des centrales à charbon. Cela menace un nombre important d’emplois locaux. L’instauration d’un plafond pour les émissions de gaz à effet de serre aboutira de facto à la fermeture de ces centrales. Je soutiens cette initiative, en tant que député de la circonscription de Gardanne : j’ai déjà eu l’occasion de le dire à de nombreuses reprises, et je le redis.

Cependant, je ne peux pas m’empêcher de faire un parallèle avec les débats que nous avons eus la semaine dernière dans l’hémicycle : le Gouvernement a refusé d’engager une action sur la fiscalisation du kérosène qui aurait constitué un autre grand symbole de notre transformation écologique. On aurait ainsi démontré que ce ne sont pas que des ouvriers, dans des territoires éloignés, mais aussi toutes les classes sociales qui doivent mettre la main à la poche. En ce qui concerne les ouvriers, c’est bien plus que cela, puisqu’il s’agit d’un sacrifice personnel : c’est la fin d’un espoir de vie pour eux.

Vous avez dit, Monsieur le rapporteur, que rien n’est plus contagieux que l’exemple. Encore faut-il qu’il y en ait un ! Cela n’a pas été le cas la semaine dernière en ce qui concerne le kérosène. Je serai très vigilant à ce que l’on soit au niveau du sacrifice demandé aux salariés et aux habitants de mon territoire dans le cadre de l’exemple donné avec la fermeture des centrales à charbon.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Merci, Mesdames et Messieurs les députés, pour ces interventions qui permettent d’aborder le débat de fond avant d’étudier le texte article par article.

Je voudrais commencer par quelques réflexions un peu transversales. Comme c’est souvent le cas – et cela ne m’étonne donc pas – quand on parle de l’énergie et de la politique menée par le Gouvernement dans ce domaine, que je défends et que je mets en œuvre, on nous accuse, d’un côté, de vouloir purement et simplement démanteler le nucléaire en France – c’était le sens de l’intervention de M. Aubert – et, de l’autre, de ne pas vouloir avancer sur ce sujet, de repousser à plus tard l’objectif de ramener à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique, dans un effort de rééquilibrage. On nous accuse de créer une « jungle » de l’éolien terrestre et de vouloir développer des énergies renouvelables contre la volonté des citoyens, et j’ai aussi entendu Mme de La Raudière dire qu’on en faisait trop en matière d’énergies renouvelables, tandis que M. Lambert et d’autres estiment qu’on n’en fait pas assez ou que l’on ne va pas assez vite.

Je pourrais répondre point par point, et je le ferai, car je ne veux pas laisser un certain nombre d’interventions sans réponses précises, factuelles, sur le fond. Mais je veux également souligner d’entrée de jeu, et je le redirai sans doute en séance publique, que c’est probablement le destin de ce Gouvernement et de cette majorité d’assumer une position équilibrée et donc de recevoir des critiques des deux côtés, à la fois de ceux qui trouvent que l’on va trop vite et de ceux qui estiment que l’on va trop lentement. J’assume, pour ma part, de défendre des mesures réalistes, que l’on peut mettre en œuvre autrement qu’en employant des termes tels que « prophétiser », que j’ai entendu dans la bouche de M. Aubert, « trahison », « poule aux œufs d’or » ou « crier haro sur le baudet ». M. Ruffin a dit, pour sa part, que l’on ne peut rien faire si on ne remet pas en cause la croissance. Ce sont des postures, des discours : ce n’est même pas de l’idéologie, car on ne voit pas à quoi cela pourrait correspondre dans ce domaine. Je sais bien ce que vous défendez, par derrière, mais vous ne faites aucune proposition concrète, étayée, chiffrée.

M. Aubert affirme que l’on veut démanteler à tout prix toute une filière. On pourrait discuter de manière approfondie de la filière nucléaire, un jour – mais il faudrait que vous commenciez par vous mettre d’accord avec Greenpeace, qui prétend le contraire, c’est-à-dire que l’on veut relancer le nucléaire. Nous avons dit des choses avant les élections, et nous les faisons. Nous avions annoncé que nous fermerions la centrale de Fessenheim. Je vous rappelle qu’un autre Président de la République, qu’un certain nombre d’entre vous a soutenu sous la législature précédente, avait annoncé la fermeture de cette centrale avant les élections de 2012, mais qu’il n’a pas réussi à le faire en 5 ans : il n’est pas parvenu à passer à l’acte. Un décret a été adopté en avril 2017, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, et il a ensuite été cassé par le Conseil d’État, car il avait été très mal rédigé. J’ai repris les choses en main, comme l’avait également fait mon prédécesseur. Nous l’avons dit et nous le faisons : la centrale de Fessenheim fermera en 2020 – au mois de mars pour la première tranche, et en août en ce qui concerne la deuxième.

Je rappelle que d’autres disaient qu’il fallait d’abord ouvrir l’EPR de Flamanville avant de fermer Fessenheim. C’était un sujet sans fin, qui créait de l’incertitude sur le territoire de Fessenheim et au sein de l’entreprise EDF, et pour l’équilibrage entre la production et la consommation électriques en France. C’est pourquoi nous avons découplé les choses, en opérant enfin un choix clair pour éviter de traîner indéfiniment. Nous avons prévu pour la suite une programmation dans le temps, en précisant les choses site par site, territoire par territoire, pour étaler ainsi la programmation de la fermeture de 14 réacteurs d’ici à 2035, soit à peu près un par an en moyenne. Cela nous paraît réaliste.

Cela nous permettra, et je réponds là à Mme de La Raudière, de réduire, ainsi que le souhaite le Président de la République, notre dépendance au nucléaire. Nous ne voulons pas, en effet, être dépendants d’une technologie ultra dominante. Nous voulons que notre système électrique, comme notre système énergétique en général, soit aussi diversifié que les atouts dont bénéficie notre pays. Grâce à sa géographie, la France offre, de fait, des ressources diversifiées, depuis le bois énergie jusqu’au vent, en passant par le soleil, l’hydroélectricité ou le gaz renouvelable… et j’en oublie encore ! Nous souhaitons par ailleurs agir de façon progressive afin de continuer à bénéficier des investissements qui ont été faits par le passé dans cette filière et dans une énergie qui, même si elle peut avoir d’autres inconvénients, n’émet pas de dioxyde de carbone. C’est un atout : notre production d’électricité  est, en Europe, l’une de celles qui émet le moins de CO2. J’assume pleinement cette politique équilibrée et réaliste.

Je ne peux pas laisser dire à M. Aubert que nous développons les énergies renouvelables contre les citoyens. Je suis même un peu inquiet, je dois dire, qu’un représentant de la Nation puisse tenir  des propos à ce point en dehors des réalités. C’est comme si on disait que quelqu’un qui a été élu… n’a pas été élu ! À mes yeux, celui qui recueille plus de 50 % des voix, comme je pense que c’est son cas, a été élu. Je ne conteste pas son élection pour cinq ans.

De la même façon, je ne conteste pas les résultats de trois sondages différents, effectués en 2018 et 2019. Un sondage Harris fait ressortir que 73 % des Français ont une bonne image de l’éolien, valeur qui monte jusqu’à 80 % pour ses riverains ! Dans la région des Hauts-de-France, cette valeur s’élève à 74 %. En outre, 68 % des Français estiment qu’une installation près chez eux est une bonne chose.

Le baromètre annuel OpinionWay fait apparaître, quant à lui, que 41 % des Français possèdent déjà un équipement d’énergies renouvelables. Ainsi, les Français sont déjà entrés de plain-pied dans la transition énergétique. Je disais il y a douze ans, quand j’ai été élu la première fois, qu’il fallait faire des Français de petits entrepreneurs de l’écologie. Eh bien, c’est déjà le cas pour 61 % de ceux qui vivent en maison individuelle ! Comment est-ce possible, me direz-vous ? Tout le monde n’a pas de panneaux solaires sur son toit… En réalité, cela s’explique par le fait que les énergies renouvelables sont diversifiées. Elles vont des inserts de cheminées aux poêles à bois, en passant par les pompes à chaleur, les panneaux solaires ou les chauffe-eau solaires.

Enfin, un sondage paru dans La Dépêche du Midi, le 31 mars 2018, indique que 90 % des Français sont favorables au solaire, 89 % à l’hydroélectricité, 84 % à l’éolien et… 42 % au nucléaire. Voilà l’avis des Français ! Il faut prendre en compte ces études avant de prétendre que le Gouvernement n’est pas en phase avec eux.

Monsieur Bolo, je comprends votre préoccupation : oui, nous avons pris un certain nombre de dispositions dans des lois différentes. Il s’agissait pour nous de ne pas perdre de temps. Sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, vous avez raison : il est temps de l’adopter.

Quant à l’adoption éventuelle d’une loi de programmation, je peux comprendre cette idée, et même y souscrire. Mais j’appelle l’attention sur le fait que ce n’est pas non plus une recette miracle. Membre pendant cinq ans de la commission de la défense, je sais d’expérience que la loi de programmation militaire adoptée tous les cinq ans ne garantit pas son application exacte. Il ne suffit pas d’un texte législatif. Une loi de programmation peut être frappée par des aléas budgétaires ou de nature différente.

M. Philippe Bolo, Mme Laure de La Raudière et M. Hubert Wulfranc ont soulevé la question du prix des énergies. À cet égard, je tiens à rappeler que nous avons cherché à limiter le coût des énergies renouvelables par un certain nombre de mesures, de telle manière que les projets soient moins longs à mettre en œuvre. Car le temps, c’est de l’argent, dans l’énergie comme dans d’autres domaines…

En outre, j’assume pleinement qu’il y ait des appels d’offres concurrentiels. J’ai entendu que M. Aubert était contre la concurrence. S’exprimait-il   sur ce point au nom des Républicains ? Les députés de ce groupe seraient-ils dorénavant contre la concurrence ? Si tel est le cas, il faudrait le dire aux électeurs. Cela pourrait d’ailleurs expliquer qu’un certain nombre d’entre eux ne s’y retrouvent pas… Il faut tout de même conserver un minimum de cohérence sur les sujets et dans le temps.

Pour ma part, je considère que la concurrence régulée et encadrée par les lois et par des règles permet d’obtenir les meilleurs prix. C’est elle qui permet de faire en sorte que les entreprises se développent, en cherchant à innover et à formuler des propositions toujours meilleures. Si nous n’avions qu’un seul opérateur, nous recevrions évidemment beaucoup moins de propositions. Cela aurait un impact sur les coûts.

Le dernier appel d’offres éolien maritime (offshore) sur Dunkerque a fait ressortir un prix inférieur à 45 euros le mégawatt-heure (MWh), prix garanti pendant vingt ans. Et, si jamais le prix de marché est supérieur, EDF, qui a été désigné lauréat, devra payer la différence à l’État. Tout le monde gagne dans cette opération qui permet d’avoir une électricité à coût maîtrisé. Sept industriels ou groupements d’entreprises avaient répondu à l’appel d’offres à l’issue duquel EDF a été choisi – non pas parce que c’est EDF, mais parce qu’il était le meilleur et qu’il offrait le meilleur prix.

Sur les centrales solaires photovoltaïques, on est aujourd’hui à 45 euros. Sur l’éolien terrestre, on est tombé en moyenne à 63 euros, contre plus de 80 euros, il y a dix ans. Voilà la réalité ! C’est la concurrence qui permet de baisser les prix – et durablement.

Plusieurs interventions ont abordé la question de l’ARENH. Cela permet une indépendance relative à l’égard des variations sur le marché de gros. Tandis que, sur le marché de gros, il y a eu des périodes où le prix de l’électricité a baissé ou a augmenté, l’ARENH est resté à coût fixe. Je tiens d’ailleurs à rappeler – M. Aubert ne l’a pas dit –qu’EDF souhaite que l’ARENH soit revalorisé. Cela porte tant sur le volume que sur le prix – 42 euros –, qui n’a pas été revalorisé depuis plus de sept ans. C’est un argument qu’on peut entendre, mais il faut évidemment avoir en tête ce que cela signifie en termes de prix. Je vous renvoie, sur ce point, à ce que je disais sur l’éolien offshore de Dunkerque ou sur les panneaux solaires photovoltaïques installés à l’issue des derniers appels d’offres.

Je remercie Mme Laure de La Raudière d’avoir salué notre réalisme. En revanche, ce qu’elle dit n’est pas exact lorsqu’elle affirme qu’il n’y aurait d’objectifs chiffrés que sur le nucléaire. Dans la loi relative à la transition énergétique de 2015, tous les modes de production sont concernés. Il est en effet logique de définir des trajectoires précises sur tous les modes de production.

Quant au fait qu’on ne puisse pas interdire l’éolien dans les plans locaux d’urbanisme (PLU), c’est un débat de fond. La production d’énergie n’est pas, en France, une compétence communale. Sinon, demain, le maire d’une commune sur laquelle est implantée une centrale à charbon pourra aussi décider de son ouverture ou de sa fermeture… Et ainsi de suite pour tous les modes de production. Comment assurer alors la sécurité d’approvisionnement en électricité des Français dans toutes les régions, tant dans les zones urbaines que dans les territoires ruraux, tant dans les petites communes que dans les grandes, en plaine comme en montagne, en bord de mer comme en France intérieure ? Nous ne pourrions le garantir.

La production d’énergie en France est une politique nationale. Je l’assume. La décision de développer telle ou telle énergie est un choix national. Développer l’énergie nucléaire n’a pas été un choix communal, un choix fait commune par commune… Auquel cas nous ne l’aurions jamais pris. De même, les centrales thermiques qui ont permis l’électrification de la France après la deuxième guerre mondiale n’ont pas été un choix communal. Imaginez que la création des barrages ait été un choix communal, alors qu’elle impliquait de noyer des communes ! J’ai visité, il y a peu, une commune qui ne compte plus que quelques habitants, tous les autres étant partis du fait de la construction dans le passé d’un barrage. Il faut tout même être un peu sérieux quand on parle de l’approvisionnement électrique.

Cela n’empêche pas les communes, les intercommunalités, les départements et les régions d’agir en matière d’énergie. Les collectivités locales le font et c’est très bien. Mais ce ne sont pas elles qui vont décider quelle politique énergétique doit être mise en œuvre, région par région… Ou alors les tarifs aussi seront fixés région par région, avec des endroits où ils seront beaucoup plus élevés qu’ailleurs. Je vous rappelle tout de même que les zones non interconnectées, comme l’outre-mer ou les îles de France métropolitaine, qu’elles soient petites comme les îles bretonnes ou plus grandes, comme la Corse, bénéficient de la solidarité nationale, qui leur permet de se voir appliquer le même prix que sur le reste du territoire. Si on leur facturait le vrai prix, l’électricité serait quatre ou cinq fois plus chère pour les habitants de ces territoires. Voilà un choix politique concret ! J’espère qu’il sera soutenu par toutes celles et tous ceux qui défendent la solidarité nationale en matière non seulement d’approvisionnement électrique, mais aussi de prix et de tarifs.

Madame Battistel, les propos que vous avez tenus au nom du groupe Socialiste, m’ont  quelque peu étonné. Je pensais en effet que vous alliez défendre la non-remise en cause de la loi de 2015, que vous aviez soutenue et initiée. Moi qui étais député à l’époque, j’en assume la responsabilité. Mais je suis surpris d’être le seul à le faire. De même, Monsieur Lambert l’a visiblement oubliée, lui qui affirme qu’on n’a pas de grande loi sur l’énergie. On en a voté une il y a quatre ans ! Il faudrait donc déjà remettre en cause tous les équilibres qu’au moment des élections, nous avons défendus devant les Français ? En l’occurrence, nous redoublons d’ambition sur le climat, mais nous ne réécrivons pas tout car nous considérons que les grands équilibres ont été définis par la loi de 2015. En revanche, je vous remercie de nous soutenir sur la fermeture des centrales à charbon. Il n’y a aucune ambiguïté à ce sujet.

Sur l’hydroélectricité, et j’en ai déjà parlé avec vous, Madame Battistel, comme avec les autres élus des territoires concernés, il y a un choix à faire sur le mode d’organisation. Le Premier ministre a déjà donné des indications dans sa déclaration de politique générale. J’aurai l’occasion, au cours du débat en séance publique, de préciser davantage les choses. Le sujet n’est pas simple, mais nous devons avancer.

En tout cas, je souhaite qu’on sorte de la situation dans laquelle nous nous trouvons depuis des années : d’une part, être en contentieux avec la Commission européenne parce qu’on n’applique pas des directives auxquelles plusieurs gouvernements successifs ont pourtant souscrit ; d’autre part, ne plus investir dans le secteur, parce qu’on en a bloqué les opérateurs. Si on veut optimiser l’hydroélectricité en France, il faut absolument réinvestir sur un certain nombres de barrages. Nous nous donnerons les moyens de le faire dans les meilleures conditions, pour l’intérêt général des Français et du système électrique français.

Je tiens à dire, en revanche, qu’on ne créera pas de nouvelles unités. On ne va pas noyer de nouvelles vallées et construire de nouveaux barrages. Je pense que cette position est partagée. Mais il est important de le préciser car certains citent parfois en exemple des pays qui ont fait un tel choix. Pour notre part, nous optimiserons le parc existant.

Monsieur Ruffin, je ne crois pas que la loi relative à la transition énergétique joue son avenir sur les panneaux lumineux de la gare du Nord. Si on peut agir sur ce point de concert vis-à-vis de la SNCF, nous le ferons. Mais, vous le savez, il y a bien d’autres enjeux.

En revanche, je tiens à ce qu’on parle de faits et de chiffres. La politique énergétique, ce n’est pas du théâtre ! C’est la réalité dans laquelle vivent les Français. Selon vous, les objectifs environnementaux seraient incompatibles avec la croissance. Eh bien, l’an dernier, alors que la croissance économique en France s’établissait à 1,7 %, les  émissions de dioxyde de carbone baissaient de 4,2 %. C’est cela, l’économie décarbonée : l’économie progresse, la richesse produite augmente, mais les émissions de CO2 diminuent ! Permettez-moi, à cet égard, de corriger une affirmation erronée de M. Aubert : entre 2015 et 2018, les émissions de dioxyde de carbone ont baissé en France de 3,2 %, mais de 4,2 % rien que sur l’année 2018.

Je me réjouis, Monsieur Wulfranc, que nous soyons d’accord sur les ambitions du projet de loi. Je partage aussi vos propos sur les enjeux internationaux. Comme vous le savez, la France est extrêmement active. Nul n’est prophète en son pays, sans doute, mais, sur la scène internationale, l’ambition de la France en matière climatique est non seulement reconnue, mais fait d’elle, avec d’autres pays, une locomotive en Europe et dans le monde, face à ceux qui veulent reculer.

Sur l’aide au développement, et ainsi que l’a indiqué le Premier ministre, un projet de loi sera présenté en conseil des ministres dès la fin de l’été et examiné au Parlement avant la fin de l’année. Je le précise une fois encore, l’aide publique au développement française, sous la houlette de l’Agence française de développement, est particulièrement centrée sur l’action pour le climat. De façon que notre action à l’échelle internationale soit cohérente avec celle que nous menons en France, nous ne finançons plus de projets émetteurs de gaz à effet de serre, telles les constructions de centrales à charbon, comme cela avait pu être le cas par le passé.

Sur l’hydraulique, l’éolien ou les tarifs de l’électricité, j’ai déjà apporté des éléments de réponse. En revanche, sur la précarité énergétique, je ne peux pas vous laisser dire que nous n’avons rien fait. Là aussi, je suis désolé de rappeler les faits : en 2015, lorsque la loi relative à la transition énergétique a été votée, on s’est engagé à faire évoluer les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz vers un dispositif plus large de type chèque-énergie ; or, en 2017, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, ce n’était toujours pas mis en œuvre, sauf à titre expérimental…

Comme vous le savez, nous avons généralisé ce dispositif à la fin de l’année dernière, quand nous avons décidé d’en augmenter le nombre de bénéficiaires et le montant. Ainsi, plus de 5,5 millions de Français en bénéficient. Comme moi, vous en avez sans doute rencontré qui ont reçu un courrier et un chèque d’un montant précis. Voilà du concret ! C’est une aide sociale – il ne s’agit pas d’obtenir des économies d’énergie – pour répondre à la précarité énergétique et aux difficultés d’un certain nombre de familles françaises pour payer leurs factures d’énergie. Nous avons donc souhaité élargir le dispositif, par rapport au périmètre des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz. Cette réalité représente d’ailleurs un coût pour le budget, qui a augmenté. Mais nous l’assumons.

Monsieur Lambert, je ne reviendrai pas sur le volontarisme en matière d’énergies renouvelables. Mais je trouve que vos propos sont un peu forts de café, quand on voit ce que nous faisons et les records que nous battons aujourd’hui en matière de production solaire ou éolienne. Et nous allons continuer ! C’est prévu dans la programmation pluriannuelle de l’énergie. Nous allons même rehausser les objectifs, sur l’éolien offshore flottant notamment, comme cela a été annoncé par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale et comme je l’ai détaillé vendredi dernier.

En ce qui concerne la centrale à charbon de Gardanne, il me paraît étrange de parler de « territoires éloignés », s’agissant d’une commune qui appartient à la deuxième métropole de France. Par ailleurs, sur le fait qu’il y aurait un manque de projet d’avenir, je me suis précisément battu pour qu’il y ait deux projets éoliens offshore flottants sur la façade méditerranéenne, en Occitanie et en Provence. C’est cela, la transition énergétique ! Il y a les vieilles installations émettrices de CO2, comme les centrales à charbon que nous fermons, et il y a de nouvelles installations qui prennent le relais, comme l’éolien offshore flottant. Ou encore le solaire photovoltaïque, que nous développons en Provence, en lien avec les acteurs locaux, de façon à disposer d’électricité à la fois décarbonée et sans impact sur l’environnement.

Voilà les éléments de réponse que je voulais apporter, en revenant toujours aux faits et aux chiffres.

M. Jacques Marilossian. Le président de l’Autorité de sûreté nucléaire a fait part récemment de son doute sérieux sur la poursuite probable, ou possible, de certaines installations nucléaires, compte tenu notamment de l’ampleur prévisible des travaux qui seraient à recommander pour les prochaines visites décennales. Parce que nous devons être très vigilants sur la prolongation de l’activité de certains réacteurs, il me semble nécessaire d’envisager que certains d’entre eux puissent cesser de fonctionner plus tôt que prévu.

Or la programmation pluriannuelle de l’énergie ne présente, me semble-t-il, qu’un seul scénario de production électrique sur les dix prochaines années. Ce scénario semble considérer que, hormis ceux de Fessenheim, tous les réacteurs actuellement en activité le resteraient au-delà de la durée de vie de 40 ans. Si ce n’était pas le cas, pour des raisons de sécurité, nous pourrions nous trouver devant un sérieux problème de production et une remise en question du mix énergétique. N’est-il pas nécessaire – ou souhaitable, à vous de choisir – d’imposer par la loi, à travers son article 1er, que d’autres scénarii puissent être étudiés, à titre préventif ?

M. Rémi Delatte. Ce projet de loi répète à l’envi que le réchauffement climatique et les gaz à effet de serre sont de grandes causes à combattre. En cela, bien sûr, je vous rejoins pleinement.

Néanmoins, dans le projet de loi, ce combat devient celui de la substitution programmée du nucléaire par des énergies renouvelables, ce qui n’a alors plus rien à voir. La France est en effet aujourd’hui la puissance la plus vertueuse, celle qui émet le moins de gaz à effet de serre pour sa production d’électricité. La volonté du Gouvernement est donc bel et bien de supprimer le système électronucléaire français, pourtant une des plus grandes réussites de notre industrie dans les quarante dernières années, de même, comme vous le soulignez vous-même, Monsieur le ministre d’État, qu’un modèle économique intéressant dont l’impact sur le coût de l’énergie est probant.

Tous les discours de mix énergétique et de diversification des sources ne sont que de fausses évidences qui reviennent à doubler nos systèmes de production électrique par d’autres qui ne peuvent, à eux seuls, garantir un approvisionnement constant et abordable. Car l’équilibre du système proposé dépend entièrement de technologies de stockage dont l’efficacité est loin d’être démontrée ou aboutie. Je ne reviendrai pas sur la traduction concrète de cette transition énergétique, empreinte d’idéologie, dans nos territoires.

Durant ce débat, nous vous ferons des propositions qui se veulent réalistes et pragmatiques. Elles porteront sur l’hydraulique et sur le photovoltaïque. Il existe en effet des moyens de production qui ne défigurent pas nos paysages et qui, en complément de l’indispensable énergie nucléaire, peuvent tirer parti des atouts de notre territoire.

Mme Delphine Batho. Notre débat ne doit pas tourner autour de la question de savoir si on va trop vite ou trop lentement. Je reprendrai plutôt ce qu’a dit le Premier ministre, lorsqu’il a affirmé qu’il croyait à la science.

En fait, tout le problème de ce projet de loi, c’est qu’il n’est pas du tout dans les clous du dernier rapport du GIEC, rapport qui n’est même pas évoqué dans son exposé des motifs. Il se situe effectivement dans la continuité de la loi relative à la transition énergétique que, pour ma part, je n’avais pas votée. Ainsi, le projet de loi est totalement décalé par rapport à ce que nous dit la communauté scientifique internationale sur le fait qu’il reste seulement dix à douze ans pour tout changer… Effectivement la croissance économique, des origines à nos jours, a été indexée sur la consommation de pétrole. À un moment donné, il va donc falloir choisir entre le climat et le vivant, d’un côté, et le pétrole et la croissance économique, de l’autre.

Monsieur le ministre, je ne vous poserai qu’une question, à propos de l’hydroélectricité. Il y a effectivement un fait politique nouveau, créé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale. Nous sommes ainsi dans une situation dont vous pouvez comprendre le caractère délicat. Si, aujourd’hui, de nouvelles orientations gouvernementales sont annoncées, c’est parce qu’il y a un front parlementaire uni contre la remise en concurrence des barrages. Il en va aussi d’un intérêt national dont le Gouvernement commence peut-être d’être finalement convaincu, ce dont je me réjouirais la première.

Nous avons, nous, députés, des amendements, c’est-à-dire des solutions, à proposer sur l’avenir de l’hydroélectricité, pour mettre fin au processus en cours. Vous venez de nous dire que vous allez faire à ce sujet des annonces la semaine prochaine en séance publique. En quoi vont-elles consister ? S’agit-il  de dispositions législatives destinées à régler le problème ? À défaut d’en discuter ici et maintenant, peut-on le faire rapidement avec vos équipes, de manière que le débat parlementaire puisse apporter une issue la semaine prochaine ?

M. Damien Adam. Je vais un peu déborder du projet de loi, mais, comme je ne vais pas parler des barrages hydroélectriques, n’ayez pas d’inquiétude : nous n’aurons aucun risque d’avoir les pieds mouillés ! (Sourires.) Monsieur le ministre, j’aimerais en effet évoquer trois points qui me paraissent essentiels et sur lesquels nous attendons des éclairages de la part du Gouvernement.

Premièrement, en ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments, les aides sont complexes à comprendre pour les citoyens, comme cela a été rappelé dans le Grand débat national : certificats d’économie d’énergie (CEE), crédits d’impôt pour la transition énergétique (CITE), aides de l’Agence nationale de l’habitat (ANAH)… Il est difficile de choisir l’entrepreneur en qui avoir confiance et de nombreuses arnaques sont constatées. On peut citer les combles à un euro, par exemple. À quand un guichet unique, une revue complète de tous les dispositifs visant à simplifier, des labels de qualité et une meilleure lutte contre la fraude ?

Deuxièmement, l’ARENH s’arrête en 2025. Le Président de la République a annoncé, lors de la présentation de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qu’une réflexion avait débuté pour l’après-2025. Quand aurons-nous des informations sur ce sujet ? Car nous devons dès maintenant agir pour disposer durablement, en France, d’une concurrence saine et sérieuse, un coût de l’électricité qui soit le plus bas possible pour nos concitoyens et une couverture des coûts du nucléaire. Pour cela, nous avons besoin de savoir ce qu’il va se passer à l’avenir.

Enfin, évoquons l’autoconsommation. C’est un levier extrêmement intelligent à activer pour pousser les énergies renouvelables dans notre pays. Avez-vous des chiffres sur l’application de la loi du 24 février 2017 et des dispositions existantes ? La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a publié début 2018 des recommandations à ce sujet. Le Gouvernement travaille-t-il sur des dispositions à ce sujet et dans quel calendrier ?

M. Nicolas Turquois. Je me limiterai à aborder le sujet de l’éolien terrestre. Car je partage les grandes lignes de votre projet de loi, Monsieur le ministre, mais, sur l’éolien terrestre, ma sensibilité est tout de même différente de la vôtre. En effet, des territoires entiers ne sont pas ou peu concernés par l’éolien. Or on observe une bonne acceptabilité chez ceux qui sont peu concernés, ce qui n’est pas forcément le cas là où on observe une très forte multiplication des projets.

Je fais partie, avec Mme Laure de La Raudière, de la commission d’enquête sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables et je suis plutôt favorable à l’énergie éolienne. Mais un certain nombre d’éléments me posent question. Par exemple, dans la Vienne, on arrive à des secteurs où il peut y avoir jusqu’à 50 éoliennes, ce qui commence à avoir un impact sur le paysage. Cet effet de mitage m’interroge.

Ensuite, s’agissant de la distance par rapport aux premières habitations, alors que les éoliennes prévues jusqu’alors ne faisaient que 120 mètres, des projets prévoient aujourd’hui des éoliennes de 220 mètres. Pour mémoire, je rappelle que la tour Eiffel s’élève à 300 mètres de hauteur. Imaginez une éolienne de 220 mètres à 500 mètres de votre habitation ! Que diriez-vous, Monsieur le ministre, si on en installait une sur la plage de La Baule, qui vous est si chère ?

Quant aux fonds de garantie qui sont prévus, leur montant est de 50 000 euros, quelle que soit l’éolienne, quelle que soit sa taille, quel que soit le projet, quelle que soit son implantation…Ne mesure-t-on pas que dix éoliennes de 220 mètres à démanteler dans la plaine de la Beauce ne représentent pas le même coût que deux éoliennes sur les hauteurs du Vercors ? Se pose ici un vrai problème de fragmentation de nos territoires. C’est pourquoi j’aimerais qu’on aborde certains éléments de régulation, pour mieux faire accepter nos éoliennes dans un certain nombre de territoires.

En ce qui concerne l’isolation à un euro, je vous indiquerai seulement que j’ai passé exceptionnellement l’après-midi d’hier à mon domicile et que j’y ai reçu non moins de six appels à ce sujet… Certaines personnes âgées doivent donc certainement, sachons-le, faire face à pareille insistance.

M. Martial Saddier. J’exprimerai d’abord un regret sur l’irrecevabilité des amendements que M. Jean-Marie Sermier et moi-même, notamment, avions déposé sur  l’hydroélectricité, première source d’énergie propre dans notre pays, à l’heure actuelle. Certes, j’ai entendu, Monsieur le ministre, que vous alliez nous éclairer en séance publique sur la position du Gouvernement en la matière. Le Premier ministre a fait également allusion à ce sujet dans son discours de politique générale. Comme l’a fait observer Mme Batho, la mobilisation des parlementaires n’y est pas pour rien. Mais il faut mentionner aussi celle des comités de bassin et, plus particulièrement, du comité de bassin Rhône-Méditerranée, qui représente, à lui seul, 65 % de l’hydroélectricité française.

S’agissant du Haut Conseil pour le climat, je regrette qu’on ne parle pas plutôt du Haut Conseil du climat et de la qualité de l’air. Je serai donc heureux que, dans l’hémicycle, vos propos nous rassurent sur le fait que, dans son rapport annuel, un jugement sera émis tant sur toutes les orientations et décisions publiques concernant les gaz à effet de serre que sur la qualité de l’air. Par le passé, en effet, on a pu prendre des décisions publiques favorables à la qualité de l’air et mauvaises pour le climat, ou l’inverse. Il me semble donc important de prévoir davantage de cohérence en la matière.

Enfin, je défendrai dans l’hémicycle l’idée que l’on doit pouvoir stimuler les décisions sur les zones couvertes par des plans de protection de l’atmosphère (PPA), où les enjeux de la qualité de l’air et du climat y revêtent une importance particulière.

M. Dominique Potier. Je commencerai par quelques remarques. J’étais hier soir dans un coin de ma circonscription qui invente, parmi une vingtaine d’autres territoires, des centrales villageoises pour un équipement collectif coopératif en photovoltaïque. J’y écoutais ces citoyens totalement bénévoles qui vont installer des panneaux sur les toits pour un euro du panneau. Être plus volontariste et plus généreux qu’eux, c’est difficile ! Or, en entendant tous ces gens absorbés dans une tâche désintéressée et bénévole, ne travaillant que pour la génération d’après ou pour le Bangladesh, je me disais que tous leurs efforts seront totalement ruinés si nous ne sommes pas assez sérieux ici.

Pour ma part, je serai très attentif à la question des normes. Nous avons échoué, dans la loi PACTE, à pousser l’idée d’un label public de responsabilité sociale et environnementale. Il faut que, dans ce texte, nous prenions des mesures permettant, pour les fournisseurs d’énergie, de distinguer le bon grain de l’ivraie.

Sur la dynamique territoriale, elle sort relativement appauvrie. Certes, j’ai entendu la promesse de faire des contrats de transition écologique (CTE) des living-labs ou des démonstrateurs. Mais il faudrait débloquer les moyens financiers qui ne sont pas aujourd’hui au rendez-vous. Bref, c’est encore une promesse qui n’est pas tenue ! Les territoires ne seraient-il pas à la traîne de la transition écologique, alors qu’ils ont un rôle fabuleux à y jouer partout en France, et qu’ils en ont l’aspiration ? Mais nous ne trouvons pas les relais financier et administratif pour les soutenir.

J’en viens à la dimension européenne. L’une des pétitions que je suis particulièrement fier d’avoir signée est celle qui demandait le dépassement de la norme budgétaire européenne des 3 % pour nous permettre d’élaborer un plan Marshall à la hauteur des besoins en énergie. Nous allons évoquer largement les besoins en rénovation énergétique pour les millions d’habitats précaires, les passoires énergétiques. C’est une question sociale et écologique ; c’est sûrement la plus importante source d’emplois. Or nous n’y mettons pas les moyens, faute de crédits ! Cette conquête d’économies d’énergie est pourtant un enjeu très fort. Nous plaiderons donc en faveur d’un déplafonnement des aides.

Enfin, la question de la sobriété énergétique est fondamentale. Or nous ne lisons rien, dans ce texte, sur les styles de vie qui la sous-tendent. Je terminerai en revenant sur le partage et ma centrale villageoise. Je ne veux pas que tous les efforts qui y sont menés soient ruinés par le comportement désinvolte d’une société consumériste et par l’octroi de privilèges, accordés à certains, de griller la planète tandis d’autres font des efforts pour la sauver !

M. Matthieu Orphelin. Certes, il y a eu une baisse des émissions de dioxyde de carbone en 2018, et c’est une bonne nouvelle, mais ne nous réjouissons pas trop, car le premier facteur explicatif en est l’hiver clément que nous avons connu. Pour le reste, nous restons largement au-dessus du budget carbone disponible pour cette année 2018.

J’en viens à mes trois questions précises.

La première porte sur le Haut Conseil pour le climat. Que penseriez-vous d’en faire une autorité indépendante ? Il me semble que cela permettrait de renforcer sa place, son indépendance et sa force.

Par ailleurs, pouvez-vous nous confirmer la transformation, dès le début de l’année 2020, du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) en prime à verser au moment des travaux ? C’était un engagement pris par le Président de la République pendant la campagne. Cela sera-t-il bien mis en œuvre ? L’enveloppe financière globale accordée au dispositif ex-CITE et désormais « avance au moment des travaux » sera-t-elle bien maintenue ou augmentée ?

Enfin, peut-on envisager un renforcement des dispositifs de soutien à la rénovation énergétique pour les familles monoparentales ? Ils sont pour l’instant défavorables aux familles monoparentales, qu’il s’agisse aussi bien du CITE que des aides ANAH. Il y aurait là un un beau dispositif à inventer ensemble.

M. François Ruffin. Monsieur le ministre, vous semblez vous satisfaire de la baisse de 4,2 % des émissions de gaz à effet de serre l’an dernier. Or non seulement cette diminution n’est pas à la hauteur de ce que préconise le GIEC, qui impliquerait une division par six des émissions de gaz à effet de serre, et même sans doute par huit, mais elle n’est pas non plus à la hauteur de ce qui était prévu par le projet de loi précédent, puisqu’on est à 445 mégatonnes de dioxyde de carbone émis, alors qu’on devrait être à 427 mégatonnes…

Vous semblez ne pas entendre mes propositions, qui sont pourtant très claires : interdiction des écrans publicitaires, limitation d’un certain nombre de vols aériens intérieurs, limitation, voire évacuation, des yachts et ainsi de suite. Ce ne seraient pas seulement des éléments ponctuels qui seraient ainsi remis en cause, mais tout un modèle de consommation. Un modèle qu’il s’agit d’éliminer des têtes, pour y en mettre un autre : celui de la sobriété énergétique ! Celle-ci ne doit pas être vécue de façon négative : au lieu de baigner dans l’hyperconsommation et, dirais-je même, dans l’hyper-consomption du monde, nous nous rapprocherons de la simplicité de l’existence.

J’ai proposé également une taxe kilométrique sur les camions, mesure dont la dimension n’est pas seulement symbolique, et je demande un véritable dispositif pour mettre fin aux passoires énergétiques. Je lisais dans la presse que la loi vise 500 000 rénovations annuelles au niveau B, alors que nous en sommes plutôt à 40 000, comme l’indique M. Jean‑Baptiste Lebrun en extrapolant les données de l’Observatoire Effinergie, sachant qu’il n’y a pas véritablement d’observatoire en la matière. Notre effort est ainsi dix fois inférieur à ce qu’il faudrait pour en finir avec ces passoires énergétiques.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Marilossian, s’agissant de l’Autorité de sûreté nucléaire, je crois que les propos que vous rapportez n’étaient pas exactement ceux qu’a tenus son président. En tout cas, les visites décennales doivent être effectuées en temps et en heure. Je rappelle qu’il y a 58 réacteurs nucléaires de production d’électricité en France et qu’on a prévu de n’en fermer progressivement d’ici à 2035 que 14. Ceux qui prétendent, comme M. Delatte, qu’on veut supprimer notre système électronucléaire français devraient donc y regarder d’un peu plus près. Les mots ont un sens !

On peut parler de sobriété, de décroissance et de tout ce qu’on veut, mais il serait tout de même bien qu’on s’entende sur les faits. Si nous ne faisons que nous envoyer des formules à la figure, au lieu de débattre, je ne suis pas sûr que nous représentions bien nos concitoyens. Ceux qui aspirent aux responsabilités doivent dire concrètement ce qu’ils veulent faire. En l’occurrence, Monsieur Marilossian, on veut en effet se prémunir contre ce risque sur la sécurité d’approvisionnement, dont vous avez bien fait de soulever l’existence.

Examinons seulement ce qui se passe chez nos amis belges… Il ne s’agit certes pas de les pointer du doigt ! La seule différence entre nos deux pays, sur la question du nucléaire, c’est que les centrales nucléaires belges sont un peu plus vieilles que les centrales nucléaires françaises. Or, l’hiver dernier, sur sept centrales, cinq étaient à l’arrêt pour des raisons de sécurité. La Belgique n’assurait donc plus son approvisionnement en électricité et s’est trouvée obligée d’en demander à ses voisins. Elle a fait jouer la solidarité européenne, qui a prouvé combien elle était utile. L’interconnexion européenne, beau projet européen et belle réussite européenne, a joué. Ainsi, les uns et les autres ont pu aider la Belgique.

Il reste que nous souhaitons tous éviter ce genre de situation. Nous devons donc être attentifs car les réacteurs nucléaires français ayant été construits en série, si un problème se pose sur l’un d’entre eux, il y a de fortes probabilités qu’il survienne ensuite sur les autres. C’est ce que nous invite à anticiper l’Autorité de sûreté nucléaire, de concert avec l’opérateur historique EDF. Cette question est d’ailleurs liée à l’ARENH, car tout se tient.

Évidemment, nous sommes très vigilants et très exigeants sur la question de la sécurité. C’est pourquoi nous avons demandé à EDF des vérifications sur une série de sites dont nous avons dressé la liste, liste que le Président de la République a donnée le 27 novembre dernier. Aucun gouvernement n’avait fait cela jusqu’à présent. Au cours du précédent mandat, le Président alors en  fonction disait qu’il ne fallait surtout pas établir de liste, parce qu’on commencerait ainsi à inquiéter sur différents territoires et qu’il valait mieux repousser à plus tard, au motif que Fessenheim suscitait déjà la discussion. Nous faisons quant à nous l’inverse : nous voulons préparer la France ; nous voulons anticiper et choisir, et non pas subir. Nous ne voulons pas nous retrouver acculés,  dans la situation que vous décriviez : nous voulons au contraire pouvoir y faire face en anticipant.

C’est la raison pour laquelle nous pensons que la diversification des modes d’approvisionnement en électricité est une double force pour notre pays. D’abord, il s’agit de ressources made in France et qui, dans le monde entier, se développent. Permettez-moi de vous rappeler que 70 % des investissements effectués dans le domaine de l’énergie dans le monde sont réalisés dans les énergies renouvelables ! Veut-on, oui ou non, que notre pays reste un grand pays industriel, notamment dans le domaine de l’énergie ? En France, quand on fait allusion aux grands groupes énergétiques, on n’évoque qu’EDF et Total, en oubliant même Engie. En tout cas, on ne parle des industriels que lorsqu’il y a une crise, comme pour General Electric à Belfort. Pourtant, nous sommes un pays producteur d’éoliennes  et d’autres modes de production d’énergie. C’est une force. Mais on ne peut pas vendre cette énergie que sur notre marché intérieur. Il ne faut pas qu’on reste à côté des marchés à l’export. C’est aussi pour cette raison que nous soutenons le développement de l’éolien, du solaire, du biogaz…

Monsieur Delatte, écoutons tout de même ce que nous disons. Il faut développer le photovoltaïque et les barrages hydroélectriques qui n’ont pas d’impact sur le paysage, avez‑vous dit. En fait, vous proposez cela parce que vous ne voulez pas de l’éolien, ni terrestre et offshore. J’ai connu une époque où on disait que l’éolien serait plus intéressant s’il était offshore. Puis, lorsqu’on a commencé à faire de l’offshore, c’est loffshore flottant qui est devenu plus intéressant.. C’est-à-dire qu’on repousse toujours à plus tard et à plus loin. Pour notre part, nous le faisons ici et maintenant et nous assumons. Si nous voulons produire de l’électricité à grande échelle par le photovoltaïque, cela aura un impact : il ne faut pas mentir aux Français – même si l’aspect esthétique est subjectif. L’énergie photovoltaïque n’occupera pas que les grandes toitures. Elle se déploiera aussi au sol. Monsieur le député, il m’arrive de refuser un certain nombre de projets photovoltaïques au sol, parce qu’ils viennent en concurrence directe avec des terres agricoles ou avec des espaces naturels sensibles. Eh oui, dans notre pays, on n’installe pas d’équipements photovoltaïques dans n’importe quelles conditions.

Il en va de même pour l’éolien terrestre. Je ne peux pas laisser dire qu’on en installe dans n’importe quelles conditions. Là encore, il y a des règles. Et, quand vous les croisez toutes pour dresser une cartographie des endroits de France où on peut implanter des éoliennes, vous vous rendrez compte que ce n’est pas possible pour l’essentiel de la surface du pays… Car il y a des règles, ne serait-ce que celle qui défend de rien construire à moins de 500 mètres des habitations. Or, comme l’habitat est assez dispersé en France, cette règle conduit évidemment à réguler les installations. Pour mémoire, il y a 8 000 mâts d’éoliennes en France. Et, si nous remplissions les objectifs de la PPE, ce que nous souhaitons faire, nous arriverions dans dix ans à 15 000 mâts d’éoliennes. Or il y a 200 000 pylônes électriques en France ! Moi qui ai fait du vélo dans le Val-de-Loire, je peux vous dire que quand vous vous promenez dans la belle région de Chinon, avec l’intention d’admirer la Loire, ses espaces naturels, ses constructions magnifiques en tuffeau, ses vignes… plus encore que vous ne les voyez, vous entendez le grésillement des pylônes électriques. Car, depuis l’après-guerre, pour alimenter le pays en électricité à partir des grandes centrales, nucléaires et thermiques, on a implanté 200 000 pylônes en France !

Si j’avais à choisir, sur le plan esthétique, je préférerais les éoliennes aux pylônes. Il se trouve que nous n’avons pas le choix : il faut assurer une production suffisante pour alimenter le pays en électricité, faute de quoi ce qui nous attendrait, ce serait non pas la sobriété ou la décroissance, mais véritablement la restriction autoritaire. Il faut donc accepter un compromis entre l’esthétique – domaine subjectif, du reste – et l’impératif de production. Soit dit en passant – je pense que nous pouvons sourire quelques instants –, Monsieur Turquois, vous avez parlé de la tour Eiffel. Or nous connaissons tous les débats qui ont eu lieu au moment de sa construction : les gens voulaient la démonter. Aujourd’hui, tout le monde la trouve formidable...

Plus concrètement, en ce qui concerne la taille des éoliennes, puisque vous m’avez interrogé sur ce point, je souhaite que l’on soit précis. Dans les derniers appels d’offres pour le terrestre, autrement dit des installations qui seront construites d’ici à 2025, les éoliennes font en moyenne, en bout de pale, 120 mètres. Il ne faut donc pas se faire peur en parlant de 220 mètres. Un certain nombre d’industriels disent qu’on pourrait, un jour, atteindre cette taille. Vous savez d’ailleurs pourquoi ils le proposent : il s’agit de construire des éoliennes moins nombreuses mais plus grandes et plus puissantes. Lorsque cela existera, la décision d’en installer – ou pas – relèvera d’un choix politique. En l’occurrence, nous parlons bien d’éoliennes de 120 mètres. S’agissant d’ailleurs de l’éolien terrestre, l’un d’entre vous a dit que je n’en parlais pas. C’est tout le contraire – je suis même un des seuls à le faire. Je considère qu’il faut en construire, et je l’assume parfaitement.

Madame Batho, vous savez très bien que le projet de loi fait référence directement et explicitement à la stratégie nationale bas carbone, laquelle est la déclinaison concrète des scénarios du GIEC. Il ne faut donc pas se faire du mal ou inventer des divergences là où il n’en existe pas.

S’agissant de l’hydroélectricité, je voudrais citer des propos que vous avez tenus il y a quelques jours dans l’Isère, lors de votre participation à une manifestation. Vous avez dit : « il y a une seule concession hydroélectrique en France, et elle est un service d’intérêt général, et donc elle ne peut pas être privatisée ».

Là aussi, il faut regarder la réalité de notre pays, dans sa diversité. Le fait est qu’il existe des concessions.

Mme Delphine Batho. Ce que vous avez lu correspond à un amendement que je voulais déposer.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous réponds sur le fond, parce que c’est cela qui compte, et non la procédure.

Mme Delphine Batho. Je ne peux pas vous laisser déformer mes propos ! Pour la clarté du débat, je précise que la phrase que vous avez citée décrit en fait le dispositif d’un amendement que je voulais présenter, mais qui a été déclaré irrecevable.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. J’ai cité vos propos rapportés dans Le Dauphiné libéré.

M. le président Roland Lescure. Nous n’allons pas commencer à débattre, dans le cadre de la discussion générale, d’amendements déclarés irrecevables !

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Admettons, Madame Batho, qu’il s’agissait d’un amendement. Le quotidien en question ne l’avait peut-être pas suffisamment précisé. Quoi qu’il en soit, cela ne change rien à ma démonstration.

Mme Delphine Batho. Si !

M. le président Roland Lescure. Laissons M. le ministre d’État achever sa réponse ; je vous donnerai de nouveau la parole ensuite, Madame Batho, si vous le souhaitez. Jusqu’à preuve du contraire, c’est moi qui organise nos débats.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame Batho, je vous prie de m’excuser si j’ai mal compris et s’il s’agissait d’un amendement que vous vouliez déposer.

Quoi qu’il en soit, je souhaitais vous dire qu’actuellement certaines concessions hydroélectriques sont attribuées à EDF, mais qu’il s’agit bien de concessions, c’est-à-dire qu’il n’est en aucun cas prévu qu’EDF les exploite ad vitam aeternam. Le droit de la concession, je le rappelle au passage, a été inventé par la France – et non par l’Union européenne. Les concessions ont un terme. Par ailleurs, EDF n’est pas le seul détenteur de concessions : certaines sont attribuées à la Compagnie nationale du Rhône et à la Société hydro-électrique du Midi (SHEM), filiale d’Engie qui opère surtout dans les Pyrénées. Il y en a également de plus petites à l’échelle locale.

Si le dispositif de votre amendement était bien celui que j’ai lu, cela veut dire que vous proposiez de fusionner tout cela en une seule concession – si tant est, d’ailleurs, qu’on puisse encore parler de « concession » dans ce cas, car l’un des principes du droit de la concession est quand même la possibilité d’un renouvellement. Ce serait donc là un bouleversement majeur. La diversité des acteurs intervenant sur le marché n’existerait plus. Certes EDF est dominant, mais il n’est pas le seul acteur. Pour ma part, je ne veux pas que l’on casse les outils existants. Je ne vois pas pourquoi on casserait la Compagnie nationale du Rhône, notamment, car elle fait un excellent travail – j’ai visité récemment l’une de ses installations dans le Gard avec M. le rapporteur : la société a investi, y compris d’ailleurs sur l’aspect écologique, parce que les barrages ne sont pas toujours neutres, notamment pour les poissons remontant les fleuves. Je ne vois pas pourquoi, d’un seul coup, et alors que la société essaie de régler ces problèmes, on briserait ses efforts. Quoi qu’il en soit, le débat sur le sujet se poursuivra sans doute en séance.

En France, notre modèle est fondé sur la concession. Il n’a jamais été question de privatiser les barrages. Là aussi, les mots ont un sens : « privatiser », cela veut dire vendre à une entreprise privée, lui transmettre la propriété. Il n’en a jamais été question, je le répète : ni ce gouvernement ni les précédents, d’ailleurs, n’ont envisagé de privatiser les barrages. Certes, cela rapporterait de l’argent à l’État, mais tel n’est pas notre objectif. Nous voulons examiner les modalités du renouvellement des concessions, leur cadre et les opérateurs avec lesquels elles peuvent être signées. Je préciserai davantage en séance la voie que nous privilégions. Nous entendons respecter le fait qu’il existe, en France, plusieurs opérateurs pour les barrages hydroélectriques. Chacun a un tropisme régional, je peux le comprendre – même si, dans ma région, il n’y a pas de barrages hydroélectriques –, mais je m’intéresse à l’ensemble des situations dans le pays. Comme l’a déclaré le Premier ministre, nous ne voulons pas fractionner la gestion des barrages. Sur ce point, je le répète, nous apporterons des réponses précises.

Mme Delphine Batho. Il semble que mes propos, rapportés par Le Dauphiné libéré, n’aient pas été compris par M. le ministre d’État. Je lui rappelle que je connais vaguement le sujet, m’étant opposée, comme membre du Gouvernement, à la remise en concurrence des concessions hydroélectriques.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Tout à fait !

Mme Delphine Batho. La phrase que M. le ministre d’État a lue décrivait le dispositif d’un amendement et non pas la situation existante : c’est la situation que je souhaite voir advenir. Il s’agissait d’une disposition que je souhaitais proposer dans le cadre du débat sur ce projet de loi.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Dont acte, Madame Batho.

M. Adam a parlé notamment de l’autoconsommation. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a formulé des recommandations à cet égard. Nous allons travailler avec elle. Dès cette semaine, nous aurons un certain nombre d’échanges sur le sujet. Nous visons 100 000 sites en autoconsommation en 2023, et le solaire photovoltaïque fait partie, très clairement, des axes de développement.

S’agissant des offensives commerciales, notamment au sujet de l’isolation à 1 euro, nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cours du débat. Il en va de même, plus largement, pour la rénovation énergétique des logements. J’ai dit, en introduction, que le Gouvernement était ouvert à ce que l’on progresse sur ces questions au travers du projet de loi.

Monsieur Saddier, en ce qui concerne les rapports entre la qualité de l’air et le climat, je comprends votre préoccupation et je vois ce que ce que vous voulez dire, mais je ne souscris pas à votre proposition d’élargir le champ : il est préférable que le texte soit centré sur le climat, tout en sachant que la qualité de l’air est évidemment l’une de nos préoccupations. S’agissant des plans de protection de l’air, vous le savez, nous avons pris un certain nombre d’initiatives. Je souhaite que nous allions encore plus loin, mais tel n’est pas l’objet de ce projet de loi. Par ailleurs, plusieurs dispositions ont été inscrites dans le projet de loi d’orientation des mobilités. Je pense aussi aux zones à faibles émissions. Nous entendons poursuivre notre action dans ce domaine. Il s’agit pour nous d’une préoccupation très forte mais, là aussi, cela suppose de faire des choix. Or, force est de constater que tout le monde n’est pas d’accord – y compris dans votre propre région, mais je pense que vous le savez – au sujet des solutions qu’il faut mettre en avant, car chacune d’entre elles implique des contraintes, en matière de circulation automobile, d’équipements de chauffage, d’industrie voire d’agriculture.

M. Potier a bien fait de donner l’exemple des coopératives citoyennes. J’en ai vu moi aussi dans certaines régions ; je trouve que c’est extrêmement positif. Je ne partage pas votre pessimisme : non, Monsieur Potier, tous leurs efforts ne seront pas ruinés. Tout au contraire, je pense qu’elles participent de l’effort collectif et que ce mouvement doit être amplifié.

En ce qui concerne la dynamique territoriale, je ne peux pas vous laisser dire qu’elle est appauvrie. La loi relative à la transition énergétique, que vous avez votée – tout comme moi – a créé les plans climat-air-énergie territoriaux, qui doivent être élaborés au niveau des intercommunalités. Au total, 700 sont prévus. Les trois quarts ont été engagés ; il serait bien que la totalité d’entre eux voie le jour. Par ailleurs, au début de l’année, une quinzaine seulement avaient été signés, alors que l’échéance était fixée début 2019. Il faut donc, en effet, que les collectivités accélèrent – mais je sais qu’il existe de très bons exemples, qui ne pourront qu’encourager les autres collectivités à en faire de même. Pour ce qui est des moyens financiers, ces derniers ne sauraient constituer la seule motivation. Du reste, vous le savez, il y avait un débat sur l’affectation d’une fraction de la taxe carbone. La question n’est plus d’actualité depuis que la trajectoire de la taxe carbone a été stoppée, mais elle pourra revenir ultérieurement.

En ce qui concerne la sobriété, Monsieur Orphelin – mais je sais que c’est également là une véritable préoccupation pour M. Dominique Potier, qui en a parlé lui aussi, de même que Mme Delphine Batho et M. François Ruffin –, il faut que nous soyons clairs vis-à-vis de nos concitoyens. En effet, on ne saurait se contenter de lancer ce que j’appelle des « mots‑valises » : encore faut-il savoir ce qu’on met dans la valise. En l’occurrence, qu’entend-on par « sobriété » ? Cela veut-il dire réduire drastiquement les consommations ? Si oui, cela ne concerne pas seulement la consommation de chauffage : les loisirs, mais aussi les déplacements pour les vacances sont en jeu. Si l’on prône la décroissance…

M. Dominique Potier. Ce n’est pas ce que nous faisons !

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Je croyais que vous aviez dit qu’une politique en faveur du climat était incompatible avec la croissance. Or, si l’on n’est pas favorable à la croissance, cela veut dire que l’on souhaite la décroissance. À un moment donné, il faut être concret : la décroissance de l’économie s’accompagne de celle de la protection sociale, ou encore de celle du pouvoir d’achat. On ne peut pas à la fois dire, sur les ronds-points, qu’il faut augmenter le pouvoir d’achat et ici, à l’Assemblée nationale, qu’une véritable politique climatique n’est pas compatible avec la croissance, et que la politique que nous menons en la matière est scandaleuse. Il faut être le plus clair possible avec nos concitoyens, sinon on profère des mensonges – et on se ment aussi à soi-même.

Monsieur Orphelin, la baisse des émissions de CO2 en 2018 est certes liée en partie à la baisse de la consommation de chauffage du fait d’un hiver relativement doux, mais il faut tout de même éviter de verser dans l’autodénigrement et l’autoflagellation : la diminution de 27 % des émissions de CO2 dans le domaine de la production d’électricité s’explique aussi par le fait que nous avons fait tout ce qui était possible pour faire tourner moins les centrales thermiques – et nous allons continuer. Je rappelle quand même que 3 millions de tonnes de charbon sont consommées en moyenne chaque année pour les centrales thermiques, ce qui correspond aux émissions de CO2 de 4 millions de voitures. Surtout, comme je le disais en commençant, on observe une diminution de la consommation de carburant, ce qui n’est pas lié à la température extérieure.

M. Hubert Wulfranc. C’est parce que les voitures bloquaient les ronds-points ! (Sourires.)

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. On peut toujours plaisanter ; il n’en demeure pas moins que cette tendance a été observée sur la totalité de l’année 2018, et qu’elle s’est poursuivie au cours des six premiers mois de l’année 2019 : la consommation de carburant des voitures particulières et des utilitaires diminue. Or, il s’agit des deux principales sources d’émissions de CO2 en France.

En ce qui concerne la transformation du CITE en prime, oui, je le répète, cela se fera, sans doute d’ailleurs en deux fois – en 2020 et 2021. L’Agence nationale de l’habitat (ANAH) en sera l’opérateur.

La commission aborde lexamen des articles du projet de loi.

Avant larticle 1er

La commission examine lamendement CE249 de M. Julien Aubert.

M. Jean-Marie Sermier. Cet amendement vise à préciser que la « décarbonation de la transition énergétique repose sur la substitution de l’électricité décarbonée ou du biogaz à des énergies fossiles ». Il importe en effet de tenir compte du rôle majeur de l’énergie nucléaire. Je vous rappelle que celle-ci, avec seulement quelques grammes de CO2 émis par kilowatt, est totalement décarbonée. Elle permet donc d’éviter une quantité importante d’émissions de gaz à effet de serre. Chaque fois qu’on ferme une centrale et qu’on envisage de mettre en place des énergies renouvelables, on ne gagne rien, malheureusement, en termes de CO2 rejeté.

Je tiens à rappeler également que la filière française d’énergie nucléaire est une filière d’excellence, qu’elle s’exporte et qu’elle a besoin d’un avenir : il faut que nous lui fixions un certain nombre d’orientations. Beaucoup de jeunes chercheurs et ingénieurs se posent des questions ; le projet de loi devrait permettre d’y répondre.

Par ailleurs, le prix de l’électricité en France est un avantage, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. Or il nous semble que cette situation est due, en partie, à cette énergie bon marché qu’est l’électricité nucléaire, qui a été domptée il y a plusieurs décennies.

Certes, l’objectif affiché n’est pas de sortir du nucléaire, mais, Monsieur le ministre d’État, si nous ne travaillons pas à entretenir le parc nucléaire – comme l’a relevé notre collègue M. Rémi Delatte –, et si nous ne programmons pas de nouveaux investissements, cette sortie finira indiscutablement par advenir. Au-delà de l’objectif consistant à ramener à 50 % la part de l’électricité d’origine nucléaire, l’enjeu doit donc être d’assurer un avenir à la filière nucléaire française.

M. Anthony Cellier, rapporteur. Cet amendement est purement déclaratif. Si l’activité nucléaire est actuellement le socle de notre politique énergétique, elle en restera, à l’avenir, l’un des piliers, à côté des énergies renouvelables. Nous aurons tout à l’heure un débat sur le nucléaire. Ce sera très intéressant.

Je partage une partie de votre analyse – celle qui concerne la préservation des compétences. C’est d’ailleurs l’objet des engagements du ministre d’État dans le cadre du contrat de filière. Il faut, par ailleurs, structurer la filière du démantèlement. À titre personnel, je considère également que la recherche sur les réacteurs de quatrième génération devrait être un peu plus poussée. Quoi qu’il en soit, j’émets un avis défavorable sur votre amendement.

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Ne refaisons pas à chaque amendement le débat sur le nucléaire. Je vous fournirai, d’ici à l’examen du texte en séance, la liste des investissements publics réalisés par la France dans la filière électronucléaire. En effet, je ne peux pas laisser dire qu’il n’y a pas d’investissements dans le nucléaire. Par ailleurs – je l’ai dit, et cela m’a d’ailleurs valu des critiques –, la loi relative à la transition énergétique de 2015 et la programmation pluriannuelle de l’énergie ne visent pas à sortir du nucléaire, comme vous l’avez vous-même reconnu. Il s’agit d’opérer un rééquilibrage.

Enfin, concernant votre amendement, je pourrais appeler votre attention sur le fait qu’il est contestable de dire que la transition énergétique ne passe que par la substitution de l’électricité décarbonée ou du biogaz à des énergies fossiles. J’imagine que le bois-énergie, par exemple, n’a pas de place dans votre stratégie. Il s’agit d’un amendement d’affichage : avis défavorable.

La commission rejette lamendement.

Chapitre Ier
Objectifs de la politique énergétique

Article 1er (article L. 100-4 du code de l’énergie) : Modification de certains objectifs de politique énergétique

La commission examine les amendements identiques CE118 de M. Matthieu Orphelin, CE210 de M. Dominique Potier, CE566 de la rapporteure pour avis et CE598 de Mme Huguette Tiegna, ainsi que les sous-amendements identiques CE713 de Mme MarieNoëlle Battistel et CE693 du rapporteur.

M. Matthieu Orphelin. L’amendement CE118 vise à inscrire dans la loi l’urgence écologique et climatique. Ce sera tout sauf un simple symbole : il s’agit d’un appel à rehausser non seulement l’ambition, mais aussi, bien sûr, les actions, y compris à court terme. Un mouvement a été lancé, nous avons pris des engagements lors de la COP21, qui s’est tenue à Paris : il faut maintenant aller plus loin. Nous lançons un appel à l’accélération. Je note, pour finir, que le Canada et le Royaume-Uni, entre autres, viennent de voter des motions dans ce sens. Elles n’ont pas forcément force de loi, mais il s’agit bien d’inscrire dans des textes l’urgence écologique et climatique – j’ai bien pris note, à cet égard, des deux sous‑amendements identiques, qui me vont bien. Tel est le sens de cet amendement.

M. Dominique Potier. Nous tenons absolument, nous aussi, à faire référence à la crise écologique. Il ne s’agit pas là de faire de l’affichage : les mots ont un sens, particulièrement quand ils sont inscrits au tout début d’une loi. Ils seront pour nous, en permanence, une sorte de rappel : ils nous permettront de nous rappeler que nous devons accélérer les processus et y consacrer des moyens supplémentaires. Or, à cet égard, le projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux affichés. L’amendement CE210 est une manière de l’affirmer dès l’article 1er.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le sous-amendement CE713 vise, en définitive, à mettre tout le monde d’accord. En effet, un certain nombre de parlementaires appartenant à des groupes politiques différents ont déposé des amendements identiques, et le rapporteur lui-même a présenté un sous-amendement identique au mien. En privilégiant la notion d’« urgence » climatique à celle de « crise » climatique, nous satisferons l’ensemble des parlementaires qui avaient manifesté la volonté d’inscrire cette préoccupation dans le texte.

Mme Nathalie Sarles, rapporteure pour avis. En commission du développement durable, un consensus s’est créé autour de l’idée d’inscrire l’urgence climatique dans la loi. Ce sera aussi une manière de reconnaître les travaux du GIEC. Tel est l’objet de l’amendement CE566.

Mme Célia de Lavergne. Inscrire l’urgence écologique dans le texte est à la fois un acte symbolique et un geste fort. Je tiens à rappeler que le groupe La République en Marche en a d’ailleurs fait la demande en avril dernier – je m’en étais fait la porte-parole –, à la suite de la partie du Grand débat qui était consacrée à la transition écologique. Déclarer l’état d’urgence écologique, répondre à la demande des citoyens et aux alertes des experts est pour nous essentiel. La seconde mesure que nous avions préconisée consistait à instaurer plus de transversalité dans les décisions en matière de transition écologique – ce qui avait donné lieu à la création du conseil de défense écologique, dont nous soulignons par la même occasion la réunion.

M. Anthony Cellier, rapporteur. Nous avons tous, en définitive, conscience de l’urgence climatique et écologique. Le sous-amendement CE693 traduit l’ambition d’aborder la question climatique à travers la notion d’« urgence » plutôt que par celle de « crise » : la crise viendra si on ne prend pas en compte l’urgence. Je serai donc favorable aux amendements identiques tels que nous proposons de les sous-amender. Autrement dit, la rédaction ferait référence à « l’urgence écologique et climatique ».

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. Avis favorable aux amendements sous-amendés. Il s’agit d’une déclaration, mais d’une déclaration politique. Le Premier ministre lui-même a d’ailleurs souligné, dans sa déclaration de politique générale, que nous nous trouvions dans une situation d’urgence. Nous souscrivons à l’inscription de cette phrase dans la loi.

Toutefois, cette déclaration, qui me paraît cohérente – notamment pour ce qui concerne les amendements des députés de la majorité – avec les ambitions du texte en matière climatique, doit également valoir mobilisation – et je m’adresse, cette fois, aux députés de l’opposition – en faveur de la mise en œuvre des mesures une fois qu’elles ont été votées. En effet, comme l’a souligné le Président de la République dans sa conférence de presse du 25 avril dernier, il faut « passer du consensus sur l’analyse au compromis sur les solutions ». Or je constate que, dès que l’on met en place la moindre solution, la polémique politique reprend le dessus. Je n’ai pas oublié, à cet égard, ce qui s’est passé en novembre et en décembre derniers. Certains, y compris dans cette assemblée, qui réclamaient depuis des années – et pas simplement à travers quelques amendements – une fiscalité écologique plus forte, ont disparu dès qu’il a fallu l’expliquer aux Français et la défendre. Nous avions mis en œuvre cette fiscalité, sa trajectoire avait été votée par le Parlement – j’y insiste : elle n’avait pas été imposée uniquement par le Gouvernement. Je ne vous cacherai pas qu’en dehors des députés de la majorité, je me suis senti un peu seul pour la défendre.

Mme Delphine Batho. Il n’y avait pas que les députés de la majorité !

M. François de Rugy, ministre dÉtat, ministre de la transition écologique et solidaire. En revanche, j’ai vu des gens faire de la démagogie, passant la main dans le dos de certains Français en leur disant : « Vous avez bien raison, il ne faut pas accepter cela. D’ailleurs, si vous votez pour nous, cela s’arrêtera ». Je souhaite donc que l’on proclame l’urgence, mais sans perdre de vue la cohérence.

Mme Delphine Batho. Ayant promu le thème de l’urgence écologique, notamment lors des élections européennes, je pourrais voir dans ces amendements, ainsi que dans le fait que le Premier ministre a repris le thème, une consécration, une victoire politique et culturelle. Le problème est que, depuis des années, dans le domaine de l’écologie, les mots sont repris mais les actes et les décisions ne suivent pas. L’expression « développement durable » a été reprise, de même que l’expression « transition énergétique », et aujourd’hui les mots « urgence écologique » – mais dans une disposition législative dont je veux dire qu’elle n’a pas de portée autre que symbolique. En effet, ces amendements visent à modifier le texte de l’article L. 100-4 du code de l’énergie, lequel énumère un certain nombre d’objectifs de la politique énergétique nationale. Or, en général, de tels objectifs ne sont pas atteints.

Je voterai ces amendements, mais il faut qu’ils aient des conséquences sur la suite de la discussion. En effet, si l’on écrit dans l’article 1er que l’on entend se mobiliser pour l’urgence écologique et climatique mais que, dans les suivants, notamment en ce qui concerne les gaz à effet de serre, on n’est pas dans les clous du rapport du GIEC, cela veut dire qu’il s’agit simplement d’une posture politicienne.

M. Serge Letchimy. Nous vivons un moment important et il n’y a pas de place pour la polémique dans ce genre de débat – je le dis comme je le pense, Monsieur le ministre d’État. L’expression utilisée ici est celle de « crise ». Or la crise survient à partir du moment où l’on ne s’est pas engagé dans un processus permettant de l’éviter. Nous voulons, à travers ce texte, déclarer l’urgence écologique. Personne ne reste éternellement au pouvoir : demain, peut-être, d’autres iront beaucoup plus loin que vous. Quoi qu’il en soit, il faut avoir la lucidité de faire cette déclaration, pour nous conformer aux exigences du GIEC. En même temps, il faut être conscients de la complexité de la situation et avoir le courage de mettre en œuvre des dispositions extrêmement fortes pour atteindre l’objectif. Nous devons donc nous réjouir de ces amendements et sous-amendements, d’autant plus qu’ils émanent de tous les groupes : c’est un moment important. Toutefois, nous devrons nous efforcer, par la suite, d’être à la hauteur.

M. Matthieu Orphelin. Je voudrais remercier tous ceux de nos collègues qui ont travaillé à ces amendements, à savoir bien sûr les députés membres du groupe transpartisan « Accélérons la transition écologique et solidaire ». Je salue également le travail très opportun accompli avec la rapporteure pour avis en commission du développement durable.

Effectivement, ce texte nous obligera à adopter une nouvelle grille de lecture de toutes nos politiques publiques en la matière, et tant mieux si nous réussissons à nous rassembler autour de ces questions.

Je note malgré tout une différence entre l’analyse de M. le rapporteur et la mienne : la crise climatique est déjà là. Certes, il est très bien que nous cherchions à voter un texte à l’unanimité, et la nouvelle formulation proposée me convient mais la crise climatique a d’ores et déjà commencé.

M. François Ruffin. Je voudrais d’abord rappeler que ma collègue Mathilde Panot avait proposé, avant même le résultat des élections européennes, de déclarer l’urgence écologique. À l’époque, vous le lui aviez refusé, Monsieur le ministre. Par ailleurs, je suis tout à fait d’accord avec Mme Batho quand elle dit que ce sont des mots et que ce qui importe, ce sont les actes.

Ensuite, je trouve que vous risquez d’amener la discussion sur un terrain polémique avec une arrogance et une condescendance inutiles. Je n’ai pas envie qu’on refasse le match des gilets jaunes et de ce qui s’est passé en novembre dernier. Pour moi, l’exigence de résoudre la crise environnementale est une préoccupation permanente, mais il faut aussi garder comme fil conducteur la justice sociale. Or il est évident que les mesures que vous preniez à l’automne dernier, droit dans vos bottes, ne tenaient pas compte de la justice sociale. Si on veut sortir notre pays, voire la planète, du pétrin environnemental, il faut le faire en gardant ce fil à plomb qu’est la justice sociale. Si on oublie cela, on ne parviendra à rien.

Mme Huguette Tiegna. Les mots ont du sens. Il était question de faire référence à la notion de crise climatique, mais il faut savoir que le réchauffement climatique causera plusieurs crises successives. La notion d’« urgence écologique » correspond donc tout à fait à ce que nous avons voulu exprimer à travers cet amendement. Pour cette raison, le groupe La République en Marche votera en faveur des sous-amendements identiques et des amendements ainsi sous-amendés.

La commission adopte successivement, à lunanimité, les sous-amendements identiques et les amendements identiques ainsi sous-amendés.


Membres présents ou excusés

Commission des affaires économiques

Réunion du mardi 18 juin 2019 à 17 h 15

Présents.  M. Damien Adam, M. Patrice Anato, M. Julien Aubert, Mme Delphine Batho, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Philippe Bolo, M. Éric Bothorel, M. Jacques Cattin, M. Anthony Cellier, M. Yves Daniel, Mme Typhanie Degois, M. Rémi Delatte, M. Michel Delpon, M. Nicolas Démoulin, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Véronique Hammerer, Mme Christine Hennion, M. Antoine Herth, M. Philippe Huppé, Mme Laure de La Raudière, Mme Célia de Lavergne, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, M. Serge Letchimy, M. Richard Lioger, Mme Graziella Melchior, M. Mickaël Nogal, Mme Anne-Laurence Petel, M. Dominique Potier, M. Vincent Rolland, M. François Ruffin, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer, Mme Huguette Tiegna, M. Nicolas Turquois, M. Hubert Wulfranc

Excusés.  Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, Mme Anne Blanc, M. Sébastien Jumel, Mme Bénédicte Taurine

Assistaient également à la réunion.  M. Dino Cinieri, M. François-Michel Lambert, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Jacques Marilossian, M. Jean François Mbaye, M. Matthieu Orphelin, Mme Barbara Pompili, M. Martial Saddier, Mme Nathalie Sarles, M. Jean-Marie Sermier