Compte rendu

Commission
des affaires sociales

  – Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques (n° 630) (M. Dominique Potier, rapporteur)              2

  – Examen de la proposition de loi pour des mesures d’urgence contre la désertification médicale (n° 1542) (M. Guillaume Garot, rapporteur)              28

  – Présences en réunion.................................44

 


Mercredi
23 janvier 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 36

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Brigitte Bourguignon,
Présidente,

 


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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 23 janvier 2019

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)

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La commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques (n° 630) (M. Dominique Potier, rapporteur)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre commission est appelée à travailler sur le texte de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, dont le rapporteur est M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Madame la présidente, mesdames et messieurs, chers collègues, je vous remercie de m’accueillir comme rapporteur au sein de votre commission des affaires sociales. Pour un membre de la commission des affaires économiques, c’est toujours comme une promotion !

Je voudrais tout d’abord rendre hommage aux députés qui ont participé, avec beaucoup d’attention, aux auditions préparatoires à l’examen de cette proposition de loi. Le dialogue que nous avons eu en marge de ces auditions était lui aussi d’une grande qualité. Je suis sûr que cela présage d’une capacité d’échange du même niveau pour l’examen du texte dans cette commission, en toute humilité, sans chercher à se donner des leçons les uns aux autres, encore moins des leçons de morale, à plus forte raison sur un sujet aussi sensible. Il s’agit plutôt de chercher la vérité, de s’efforcer d’être juste et d’agir au mieux.

Nous proposons, en lien avec les députés de la majorité qui ont suivi ce dossier, de considérer ce débat en commission comme une première étape, où nous allons gagner en connaissance du sujet et faire les premiers pas. La séance publique pourrait être l’occasion d’arriver à des accords plus importants.

Le 19 décembre, j’avais l’occasion de présider, à la fondation Jean Jaurès, aux côtés de Matthieu Orphelin, dans le cadre du collectif « Accélérons la transition écologique et solidaire ! », un colloque sur le fondement des travaux de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), filiale de Sciences Po, qui posaient le principe d’une Europe sans pesticides à l’horizon 2050. La qualité des débats, menés notamment avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et les ONG présentes, a montré que cette perspective, loin d’être utopique, était même heureuse au sens où elle permettait, par exemple, d’espérer une baisse des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 40 %.

Cette perspective d’une Europe sans pesticides en 2050 m’évoque l’après-guerre. Car nous serons alors un siècle après l’après-guerre. Ira-t-on alors jusqu’à considérer que la chimie dans l’agriculture n’aura finalement été qu’une parenthèse ? Envisager cette perspective, c’est vraiment engager un changement de paradigme tout à fait important. Cela me paraît être une des bonnes nouvelles de ce début du XXIe siècle : dans le monde de l’agronomie et dans la grande histoire de l’agriculture à l’ère moderne, la chimie n’aura-t-elle finalement été la solution majoritaire dans la lutte contre les ravageurs, les maladies et tous les maux qui peuvent frapper nos animaux et nos plantes que pendant une parenthèse dans l’histoire de l’humanité, entre 1950 et 2050 !

C’est dans cette perspective que je propose de nous placer désormais. J’évoquerai, pour preuve du consensus qui est en train de s’établir sur ce point, le dialogue que j’avais encore hier soir avec le nouveau président d’Interfel, l’interprofession des fruits et légumes. Ce secteur d’activité ne représente que quelques pourcents de la surface agricole utile française ; or il concentre, avec la viticulture, une part importante de la dépendance à la phytopharmacie. Eh bien, le président de l’interprofession des fruits et légumes me déclarait hier soir qu’il était prêt à adopter cette perspective d’une Europe sans pesticides en 2050. Autrement dit, même les secteurs les plus exposés dans la compétition internationale et les plus dépendants des situations de phytopharmaceutiques se mettent désormais dans cette perspective, dès lors que nous avons acté que nous avions changé de monde et que nous nous dirigeons résolument, pour des raisons de santé publique, de changement climatique, de souveraineté alimentaire et de cohérence des politiques sociales environnementales, vers une Europe sans pesticides.

Mais regardons en arrière et considérons l’explosion de ce recours aux intrants chimiques, mais aussi les premiers temps de la prévention et des premières alertes, qui n’apparaissent qu’en 1974 : il aura fallu attendre près de dix ans, parfois vingt, pour voir se mettre en place les premières politiques de prévention solides… Il aura fallu pratiquement une génération entre les premières alertes sanitaires et les directives européennes de 2009 qui établissent un lien de causalité entre les pesticides et leurs effets nocifs et enclenchent une obligation pour les États membres de mettre en place des politiques de prévention.

Tout en regardant l’horizon d’une Europe sans pesticides, plus saine et plus durable, rappelons-nous le temps de l’incurie, de l’inconscience et d’une forme de désinvolture que nous portions collectivement : nous devons admettre que, dans notre pays, des personnes ont été, inconsciemment et involontairement, victimes d’une faute, d’une responsabilité collective, en un mot d’un système. Car la prévention n’était pas présente et les précautions qui auraient dû être prises ne l’ont pas été.

Tout l’objet de la présente proposition de loi est de mettre nos pas dans le chemin de cette nécessaire réparation. Il y aurait un parallèle à faire avec d’autres conflits, comme ceux qui peuvent opposer des peuples sur un territoire : chaque fois qu’on est capable de réparer, on prévient la guerre et on prépare la paix. Si on n’est pas capable de réparer, on ne prépare pas vraiment la paix.

Je propose ainsi que nous fassions en sorte de nous donner, par la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de l’usage, du mauvais usage, du mésusage de la phytopharmacie, les moyens de préparer un monde où nous serons affranchis de ces pratiques et où nous aurons mis en œuvre des solutions plus heureuses pour notre agriculture et notre alimentation.

Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur une série de travaux extrêmement récents. 2013 a vu la parution du rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui a réellement modifié la donne. J’ai eu l’honneur d’être le rapporteur du plan Ecophyto II, sollicité par Jean-Marc Ayrault et remis à Manuel Valls, mais jamais réellement mis en œuvre depuis 2014. Ce plan rendait hommage aux changements profonds survenus depuis le Grenelle de l’environnement et, surtout, depuis le rapport de l’INSERM qui a établi un lien de causalité entre l’utilisation des phytosanitaires et tout un faisceau de maladies. Car il y a vraiment un monde avant ce rapport et un autre après.

Un autre rapport très important est celui qui a été porté par nos collègues sénateurs. Ils sont d’ailleurs allés au bout de leur combat, puisqu’ils ont ensuite déposé et fait adopter cette proposition de loi. Leur rapport d’information de 2012, intitulé « Pesticides : vers le risque zéro », est le fruit d’une mission présidée par Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et membre du groupe Les Républicains du Sénat. Elle m’a renouvelé, par un message, son soutien et sa volonté de nous voir aboutir aujourd’hui. Vous voyez donc combien le spectre politique concerné est large.

Nicole Bonnefoy était quant à elle la rapporteure de cette proposition de loi. Le Sénat a adopté son rapport à l’unanimité en 2012. Ce rapport propose la création d’un fonds d’indemnisation. Nos collègues sénateurs socialistes et républicains ont, à partir de là, établi un diagnostic et, forts d’une conviction partagée, ont poursuivi leurs travaux visant à l’élaboration d’une loi.

Presque concomitamment, en 2011, Paul François crée l’association Phyto-Victimes. Lui-même avait été victime d’un accident dans l’usage de produits phytopharmaceutiques : nous connaissons tous son histoire héroïque, son courage, sa bravoure. Il poursuit son combat au-delà des frontières pour défendre des paysans victimes d’épandage aérien dans des régions d’Amérique du Sud. Paul François et des centaines de militants, à partir de 2011, ont montré la quasi-impossibilité, sur le plan juridique, d’une action en recherche de responsabilité des fournisseurs ou des autorisations publiques, aux fins d’obtenir la réparation des victimes. Entre 2011 et 2014, la conjugaison de l’action des acteurs de la société civile, d’un diagnostic parlementaire et des travaux scientifiques de l’INSERM, aura mis en lumière la nécessité d’agir par le biais d’un fonds d’indemnisation.

J’en viens à l’objet plus précis de ce fonds. Nous sommes héritiers d’une proposition de loi défendue par Nicole Bonnefoy et adoptée, le fait est assez rare, à l’unanimité par nos collègues sénateurs. Nous nous devons de reprendre ce combat, comme nous l’avons fait immédiatement en assurant une passerelle entre nos deux assemblées : nous nous sommes rendus au Sénat pour nous rendre compte des travaux réalisés ; nous avons accueilli les sénateurs Bernard Jomier et Nicole Bonnefoy à l’Assemblée nationale.

Je me réjouis de retrouver ici les visages de plusieurs personnes qui avaient participé à ce petit-déjeuner, à quelques pas d’ici. L’événement avait permis, autour de Paul François et de Nicole Bonnefoy, de réunir des députés de toutes sensibilités, qui ont en quelque sorte fait le serment de s’engager à poursuivre le combat engagé au Sénat. Ce que nous avons fait à l’occasion de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (EGALIM), sans succès, puis durant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), sans davantage de succès… C’est pourquoi je salue la détermination du groupe Socialistes et apparentés, qui a consacré sa niche parlementaire à ce combat et à une autre proposition sur le chlordécone, variante de la proposition que je vais défendre. Sur les cinq propositions de loi qu’il propose d’examiner, deux concernent la santé du monde agricole et des populations rurales et les effets des pratiques que nous dénonçons aujourd’hui.

Nous sommes aujourd’hui au pied du mur, face à cette proposition que nous allons amender et corriger ensemble. De quoi s’agit-il ? Tout part du constat que, sur les populations agricoles, le seul régime des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) ne permet pas de couvrir l’intégralité des dégâts et des dommages causés aux personnes. Qui plus est, une partie des publics concernés n’est pas couverte, en raison d’arguties juridiques sur lesquelles je ne m’étendrai pas plus que nécessaire : il s’agit, par exemple, d’agriculteurs retraités pour lesquels les délais de prescription sont forclos, ou bien des cas où un recours est possible, mais où la preuve se révèle très difficile à établir ; il y a aussi ce cas, auquel, tout pathos mis à part, personne ne sera insensible, de cet enfant né avant 2005 et qui a subi in utero une exposition à des pesticides à une époque où sa maman n’était pas reconnue juridiquement comme conjointe d’exploitant, ce qui exclut toute possibilité de réparation au titre du registre habituel des maladies professionnelles ou des accidents du travail. Ajoutons qu’avant 2002, il n’y avait pas d’obligation de souscrire une assurance volontaire accidents du travail ; autant de personnes qui ne sont pas couvertes. Voilà au moins trois catégories, et je peux en trouver d’autres, qui échappent totalement au régime actuel de prise en compte.

Celui-ci n’a progressé que lentement, notamment à travers la création, pour le monde agricole, des tableaux nos 58 et 59, qui couvre les maladies de Parkinson et les lymphomes, tout au moins une catégorie de lymphomes malins. Mais toute une catégorie de maladies – plusieurs dizaines, à croire le rapport de l’INSERM – n’est pas prise en compte, par le fait que ces maladies résultent d’un faisceau de facteurs, d’un effet cocktail découlant de l’exposition à plusieurs substances.

Bref, il y a des populations qui ne sont pas prises en compte et des maladies mal identifiées. La création d’un fonds permettrait à la fois de prendre en compte toutes ces catégories de population exclues pour des raisons parfaitement scandaleuses, en prenant en considération la complexité de la nature même de ces maladies, qui ne peuvent pas relever d’une causalité immédiate.

Dans le cas de l’amiante, il est possible d’établir une cause, une conséquence et de trouver des traces qui ne sont pas discutables, à travers les identifications de la radiologie. Mais dans le cas présent, la causalité en faisceau justifie, par sa nature même, le besoin d’un fonds qui permet d’intervenir au bénéfice de populations aujourd’hui écartées. La prise en considération des faisceaux de symptômes permettra aussi aux victimes d’étayer leur cas et d’inverser la charge de la preuve.

Les fonds d’indemnisation dans notre pays sont à chaque fois nés de crises sanitaires larvées. Ce fut le cas du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), le plus célèbre, fruit d’un combat politique majeur dans notre pays et dont personne ne conteste plus le bien-fondé. Nous nous réjouissons que ce combat auquel des députés de plusieurs sensibilités ont participé ces dernières années, ait pu finir en triomphe. De la même façon, un fonds a été mis en place pour les victimes des essais nucléaires, de même que pour les malades du VIH infectées à l’occasion de transfusions sanguines, et plus récemment à l’occasion de l’épisode tragique du Mediator.

Ces réponses reposent sur un appel à la collectivité dans son ensemble, tant à la puissance privée qu’à la puissance publique. Car l’État est sollicité à travers ces régimes particuliers, mais la responsabilité privée est également recherchée.

Si nous avions encore des doutes sur la nécessité d’adopter cette proposition de loi, je rappellerais seulement le contenu d’un rapport commandé par l’ancien gouvernement et remis au gouvernement actuel il y a exactement un an. Par un vote à l’unanimité, dès le stade de la commission, les sénateurs avaient réclamé une triple mission d’inspection, par l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Vous avez tous pu prendre connaissance de ce rapport, à tous égards exemplaire sur le plan de la clarté et de la pédagogie ; nul besoin d’être un spécialiste pour entrer dans le raisonnement. Ainsi, depuis un an, l’État est en possession d’un rapport complet qui fait l’état de la question sur la base du dernier état de l’art, et qui plaide sans réserve pour la création d’un fonds.

J’en viens aux questions qui ont été abordées au cours de nos auditions préparatoires. Ma stratégie de rapporteur face à nos interlocuteurs, qu’il s’agisse des autorités scientifiques, comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’INSERM ou l’INRA, des diverses autorités de gestion, des cabinets des ministres ou, bien sûr, des syndicats agricoles et syndicats de salariés, a été très simple : je leur ai demandé quels éléments d’information ils attendaient, qui n’aient pas déjà figuré dans le rapport de cette mission d’inspection rendu au mois de janvier 2018. Devant tous les députés qui étaient présents, je puis dire qu’aucun de nos interlocuteurs n’a pu nous démontrer que nous avions encore besoin d’informations complémentaires pour délibérer. La création d’un fonds apparaît comme une sorte de minimum requis.

Une première controverse, qui s’exprimera à l’occasion des amendements, a porté sur le périmètre des personnes concernées. Par prudence et par souci de consensus, je vais vous proposer non pas d’exclure, mais de reporter à 2022, la prise en compte des personnes qui auraient subi des affections liées aux pesticides sur le plan environnemental et non sur le plan professionnel. Autant il me semble urgent de prendre en compte l’ensemble des familles et l’ensemble des ressortissants des régimes agricoles de la Mutualité sociale agricole (MSA) concernés par les pesticides, autant une certaine prudence semble s’imposer sur le reste, dans la mesure où une série de rapports sont attendus pour 2019. Ils nous permettront de retrouver d’ici à 2022 la capacité à indemniser, le cas échéant, des victimes sur des critères de santé environnementale, encore mal renseignés aujourd’hui. À trop embrasser, nous pourrions mal étreindre ; nous avons donc choisi de rester centrés sur les accidents et maladies du travail, sans exclure pour autant les autres populations – car ce serait un mauvais service à rendre au monde agricole que de le privilégier dans la réparation des dégâts – dont la prise en compte sera reportée à l’issue d’un temps d’information non encore arrêté par la puissance publique.

La deuxième controverse qui pourrait animer nos débats ce matin, porte sur la nature intégrale ou forfaitaire de la réparation au titre du régime AT-MP. J’en appelle au sens de l’histoire : reportons-nous au combat de 1898 en faveur d’un régime d’accidents du travail et d’assurance maladie, mené par le député ouvrier Martin Nadaud. Il s’était engagé en faveur d’une réparation intégrale plutôt que d’une réparation forfaitaire. C’est la formule retenue dans le cas des crises sanitaires où une responsabilité collective, étayée par la puissance publique et privée, est établie.

Autrement dit, il serait totalement contradictoire avec les efforts engagés ces dernières décennies par nos prédécesseurs que de ne pas aller vers une réparation intégrale prenant en compte la totalité de la réparation, notamment dans la dimension patrimoniale et extra-patrimoniale, laquelle va jusqu’au préjudice esthétique et à tous les aspects de la souffrance à prendre en charge. La réparation intégrale est donc le point sur lequel nous pourrions être en désaccord partiel.

Ouvrir ce combat de la réparation, c’est certainement donner un signal très fort vers la prévention, qui est l’avenir de la puissance publique dans des sociétés complexes. Pour la première fois, un signal alarmant nous vient des États-Unis : l’espérance de vie en bonne santé y est pour la première fois en régression. Ce signal, nous ne pouvons pas ne pas l’entendre et adapter en conséquence nos modèles occidentaux de développement. Il est urgent d’agir.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes.

Mme Albane Gaillot. Au nom du groupe La République en Marche, je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour la qualité de nos échanges sur une véritable question de santé publique.

Nous sommes toutes et tous concernés car, nous le savons, il est aujourd’hui impossible de ne pas respirer ou ingérer de produits phytopharmaceutiques. Et ce, sans que nous le sachions. Les débats autour de la création de ce fonds d’indemnisation ont déjà eu lieu lors de l’examen du projet de loi EGALIM.

Nous avions pu acter à l’époque, à l’unanimité, la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, sur le financement et les modalités de création, avant le 1er janvier 2020, d’un fonds d’indemnisation des victimes de maladies liées aux produits phytosanitaires. La représentation nationale s’est donc déjà exprimée sur la création du fonds ; seules les modalités techniques et le financement doivent encore être précisés.

Nous ne pouvons ainsi que regretter l’examen de ce texte avant la remise des conclusions du Gouvernement, même si je comprends évidemment les contraintes de l’agenda parlementaire et la seule possibilité pour le groupe Socialistes et apparentés d’inscrire un texte à l’ordre du jour lors de la journée du 31 janvier.

Comme je le disais, nous nous rejoignons bien évidemment sur l’urgence que représente la création de ce fonds d’indemnisation, même si nous aurons à débattre de la mise en œuvre et du financement de ce nouveau dispositif.

Nous proposerons par exemple de modifier le champ des personnes pouvant bénéficier de cette indemnisation en reprenant la rédaction, plus sage, proposée par le groupe socialiste au Sénat lors du PLFSS 2019. En l’état actuel, les connaissances scientifiques concernant les victimes environnementales et leur degré d’exposition sont insuffisantes pour les prendre en charge.

Nous sommes par ailleurs très réservés sur la mise en place d’une indemnisation intégrale ; nous proposerons de nous limiter, pour le moment, à une réparation forfaitaire des victimes afin de ne pas risquer de mettre en péril le régime actuel des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Si nous partageons donc l’objectif de création du fonds, nous souhaitons toutefois respecter les engagements pris par la représentation nationale et attendre la remise des conclusions du rapport du Gouvernement.

Les articles 4, 5, 6 et 8, en ce qu’ils concernent les modalités d’indemnisation des victimes – procédure, délais, droit d’action en justice et prescription – nous posent des difficultés. L’article 7 ne paraît pas en l’état répondre au besoin de financement d’un tel dispositif : il prévoit que le financement du fonds soit assuré par la taxe sur les produits phytosanitaires qui représente environ 4 millions d’euros par an. Nous sommes bien loin des 30 à 100 millions d’euros par an nécessaires selon l’IGAS, qui a pris position sur le sujet dans son rapport de janvier 2018.

Pour conclure, vous aurez donc compris la volonté d’avancer sur la réparation des victimes de produits phytopharmaceutiques de la part des députés du groupe La République En Marche. Ce sujet nous oblige à l’égard de nos concitoyens ; c’est la raison pour laquelle nous sommes mobilisés aux côtés du Gouvernement pour apporter une réponse à court terme, qui repose sur un dispositif efficace.

M. Gilles Lurton. Je tiens à mon tour à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour les auditions que vous avez conduites et votre volonté de permettre à chacune des parties intéressées de se prononcer sur le fond d’un sujet de santé publique qui nous concerne tous. Nous avons d’ailleurs, comme vous l’avez rappelé, déjà eu l’occasion plusieurs fois de débattre de ce sujet, parfois de manière passionnée, au cours de l’examen du projet de loi de loi EGALIM ou de l’examen des PLFSS.

Je dois dans un premier temps rappeler que les victimes professionnelles bénéficient déjà de possibilités d’indemnisation puisque plusieurs tableaux recensant les maladies professionnelles agricoles reconnaissent déjà certaines pathologies, par exemple la maladie de Parkinson, comme pouvant naître d’une exposition régulière aux produits pharmaceutiques. Néanmoins, la réparation qui découle de cette reconnaissance reste partielle et ne paraît plus être suffisante. Votre proposition de loi vise donc à mettre en place une réparation intégrale à travers la création d’un fonds d’indemnisation des victimes.

Cependant, le fonds proposé dans ce texte continue de soulever plusieurs interrogations, déjà abordées au cours des auditions.

La première concerne le mode de financement. Vous nous proposez d’y consacrer une fraction de la taxe perçue par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) pour la mise en place de dispositifs de pharmacovigilance. Si l’on retient cette option, et si le taux de cette taxe reste identique, les ressources seront alors trop faibles pour pouvoir répondre aux demandes d’indemnisation. L’ANSES a confirmé en audition que celle-ci ne rapportait pour l’heure que 4,3 millions d’euros. C’est, à notre avis, loin d’être suffisant, vous-même en aviez convenu.

Si le choix devait être fait d’une augmentation de cette taxe, encore faudrait-il savoir par qui elle serait financée et si elle serait répercutée sur le prix des produits, autrement dit sur les agriculteurs eux-mêmes.

La seconde interrogation concerne la gestion de ce fonds puisque ni la MSA, subodorée gestionnaire dans le texte, ni même la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) ne souhaitent se la voir confier.

Enfin, la troisième interrogation concerne le public éligible. Le texte prévoit que le fonds s’adresse non seulement aux agriculteurs, exploitants et salariés, mais également à toute personne souffrant d’une pathologie directement liée à cette exposition et aux enfants exposés in utero. Cette recherche de lien direct, difficile d’ailleurs à mettre en application, ouvre la voie à un public dont le nombre n’est pas facilement estimable.

Comme vous l’avez dit d’emblée, monsieur le rapporteur, notre commission a pour rôle de faire évoluer ce texte. Le groupe Les Républicains se prononcera ainsi en fonction des modifications apportées.

Mme Justine Benin. Le modèle agricole développé en France depuis l’après-guerre repose sur une forte dépendance aux produits phytopharmaceutiques. Au fil du temps, les pesticides et leurs effets sur la santé sont devenus un sujet de préoccupation majeur et un encadrement étroit des pesticides a progressivement été mis en place. En parallèle, les conversions à l’agriculture biologique se sont multipliées.

Cette dépendance aux produits phytopharmaceutiques demeure néanmoins très forte, en particulier dans les secteurs de la viticulture et de l’arboriculture et notre pays reste l’un des tout premiers consommateurs de pesticides en Europe et dans le monde.

Partant du constat de l’insuffisance des dispositifs de réparation actuels, vous proposez, monsieur le rapporteur, de mettre en place un dispositif de réparation intégrale des préjudices résultant, pour les victimes à la fois professionnelles et environnementales, de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques, et de créer à cet effet un fonds d’indemnisation.

Vous faites ainsi suite aux nombreux débats qui ont eu lieu dans le cadre de l’examen du projet de loi EGALIM – vos amendements portant création de ce fonds avaient alors suscité de longs échanges. Comme lors de l’examen d’EGALIM, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) soutient une meilleure prise en charge des victimes des produits phytopharmaceutiques et nous sommes favorables à la création de ce fonds d’indemnisation.

Nous sommes toutefois sensibles aux arguments que la ministre a développés au Sénat sur la déresponsabilisation totale des industriels : car votre dispositif revient à une indemnisation systématique, sans détermination de responsabilité, et de surcroît financée par une taxe sur les produits phytopharmaceutiques, et non par les industriels.

J’aimerais vous entendre sur ce sujet, monsieur le rapporteur, car il s’agit d’une question très importante.

Ainsi, mes chers collègues, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) soutient la création de ce fonds d’indemnisation, moyennant certains ajustements. Nous demandons également que soit accentué l’effort de recherche afin de développer les actions de protection des travailleurs et des populations. Nous soutenons de ce fait la feuille de route sur les produits phytosanitaires et du plan Ecophyto proposés par le Gouvernement.

Mme Nicole Sanquer. Le Groupe UDI, Agir et Indépendants (UAI) ne peut que saluer l’initiative de nos collègues socialistes, tant le sujet qui occupe nos travaux ce matin constitue un enjeu majeur en termes de santé publique et de reconnaissance du préjudice subi.

Depuis déjà plusieurs décennies, de nombreux rapports ont mis en lumière les effets néfastes liés à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques, tant pour l’environnement que pour la santé humaine, et permis une prise de conscience progressive. Il est d’ailleurs à craindre que nous n’en prenions la pleine mesure que dans les années, voire les décennies à venir.

Nous saluons donc la mise à l’ordre du jour de cette proposition de loi, issue des travaux de nos collègues sénateurs et qui vise à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Nous sommes cependant partagés sur le mode de financement retenu, qui fait reposer la charge financière exclusivement sur les acteurs du monde agricole, premières victimes de l’utilisation de ces produits.

Nous nous interrogeons également sur le périmètre retenu, qui va bien au-delà des seules personnes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par une exposition aux produits phytopharmaceutiques, puisqu’il est étendu aux victimes environnementales.

Notre position de principe est qu’il revient à l’État de prendre ses responsabilités et de garantir un financement global, ou au moins majoritaire, du fonds d’indemnisation. Il nous paraît plus sage d’attendre les conclusions du rapport adopté lors de la loi EGALIM, prévu avant la fin du mois d’avril, qui doit nous donner des orientations et davantage de spécificités sur le financement et les modalités de création d’un fonds d’indemnisation.

Aussi nous contenterons-nous pour l’heure de ne pas nous opposer à cette proposition de loi, en attendant les propositions que le Gouvernement formulera lors de la séance publique.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais à mon tour saluer le travail engagé par Dominique Potier et nos collègues socialistes sur cette question dont l’importance grandit dans l’opinion publique, à savoir l’utilisation des produits phytosanitaires et ses conséquences sur la santé publique, à commencer par la santé des travailleurs de l’agriculture.

J’ai bien entendu la manière dont notre rapporteur inscrivait sa démarche dans une volonté plus globale de changer de modèle. Je pense qu’il y a effectivement un certain nombre d’actes à produire pour y parvenir.

Je voudrais insister sur la nécessité de la prévention et de l’action sur les causes des pathologies que nous connaissons, sans pour autant nier la nécessité de la réparation et d’une juste réparation des préjudices subis.

Je remarque également que la création de fonds de ce type souligne l’insuffisance des dispositifs actuels de la branche AT-MP. Cela soulève naturellement la question de l’établissement des responsabilités, qui ne s’éteint pas avec la création de ce fonds. Dans le cas du FIVA, par exemple, le fonds a la possibilité de se retourner contre les responsables supposés des maladies déclenchées. La question du financement n’a donc rien de mineur.

Cela étant, il faut bien reconnaître – et je pense que c’est ce constat qui vous a conduit à déposer cette proposition – qu’il y a bel et bien une défaillance, et une responsabilité publique qui doit être assumée. C’est dans cette optique que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) regarde avec bienveillance la proposition qui nous est présentée.

M. Jean-Hugues Ratenon. Je voudrais en premier lieu saluer le travail du groupe Socialistes et apparentés concernant ce texte. Le groupe La France insoumise (FI) trouve que sa démarche va dans le bon sens et soutient cette proposition.

Ce texte appelle toutefois plusieurs remarques, notamment sur le délai de prescription, qui est à notre sens trop court. Et pour cause : les maladies causées par les produits phytosanitaires se déclarent majoritairement après dix ans. Ainsi, comment faire pour les nombreuses victimes qui ne développent ces maladies qu’après dix ans ?

En outre, le fonds sera-t-il suffisant pour le nombre de victimes, dont le nombre sera amené à s’accroître au fil des années ? À notre sens, il est difficile de prévoir les recettes que produira une taxe sur les recettes des fabricants de pesticides. L’objectif reste donc bien celui de se passer des pesticides, au-delà de la seule indemnisation des victimes – on ne peut pas ne pas penser au glyphosate.

Nous soutiendrons ce texte qui témoigne à nos yeux d’une volonté d’aller dans le bon sens.

Mme Jeanine Dubié. Je voudrais souligner l’intérêt et l’exhaustivité de ce rapport mais également la persévérance du rapporteur sur ce sujet qui l’occupe depuis de nombreuses années.

Nous assistons aujourd’hui à une prise de conscience croissante, par les pouvoirs publics comme par nos concitoyens, des risques que la forte dépendance aux produits phytopharmaceutiques fait peser sur la santé humaine et sur l’environnement. Notre assemblée y a consacré une mission commune d’information, présidée par Élisabeth Toutut-Picard, dont les conclusions ont été publiées en avril dernier.

Si les effets sur les écosystèmes et la biodiversité font l’objet d’études concordantes, l’évaluation des effets sur la santé reste un exercice délicat, notamment lorsque l’on essaie de déterminer, au cas par cas, les relations de causalité et les effets cumulés de l’interaction de plusieurs substances, dit « effet cocktail ».

Les auteurs de la présente proposition de loi proposent d’améliorer les dispositifs actuels afin de faciliter l’accès des victimes à l’indemnisation, en créant un fonds dédié. Ainsi, cette proposition définit clairement la liste des personnes pouvant prétendre à une indemnisation intégrale.

Il témoigne également d’une volonté de remédier au système actuel, particulièrement lourd et complexe, en mettant en place un nouveau dispositif de réparation. Le texte adopté au Sénat introduit une présomption de causalité et prévoit qu’une commission spéciale statue sur l’existence de ce lien. Il importe que l’indépendance de cette commission soit garantie.

J’insiste aussi sur le fait que les réparations doivent se faire dans un cadre strict. La question notamment du renversement de la charge de la preuve mérite d’être traitée. En outre, il apparaît nécessaire d’actualiser et d’améliorer le tableau des maladies professionnelles, aujourd’hui trop peu fourni.

Au-delà de l’aspect sanitaire, la question de l’utilisation des « phyto » doit aborder le nécessaire soutien à l’activité professionnelle de ceux qui les utilisent, à savoir les agriculteurs. Le groupe Libertés et territoires préconise ainsi la recherche d’un équilibre entre protection environnementale et sanitaire, et soutien à notre agriculture. Ce qui suppose de se donner les moyens de chercher des alternatives efficaces. La mise en place d’un tel fonds ne doit pas faire oublier qu’il est impératif de développer des actions de recherche en ce sens.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux questions des députés.

M. Bernard Perrut. Nous avons tous conscience des risques liés à l’usage des produits phytopharmaceutiques et des dangers qu’ils représentent pour l’environnement et la santé humaine. À cet égard, il faut se féliciter des efforts d’ores et déjà consentis par les agriculteurs. Les plans Écophyto 1 et 2 et le plan de sortie du glyphosate permettent en effet d’accélérer le mouvement engagé et d’accompagner les agriculteurs, notamment les viticulteurs et les arboriculteurs, dans cette période de transition. Il faudra encore du temps pour qu’apparaissent de nouvelles alternatives et de nouveaux produits, mais on ne peut ignorer plus longtemps l’existence d’un lien entre l’exposition aux pesticides et certaines pathologies que les professionnels, leurs familles et les riverains contractent par divers modes de contamination : l’air, l’eau, le sol, l’alimentation…

La proposition de loi vise, à juste raison, à créer un fonds d’indemnisation des victimes de ces produits qui s’adresse à l’ensemble de la population. Toutefois, plusieurs interrogations demeurent, qui portent sur le mode de financement de ce fonds, notamment la taxe qui doit l’alimenter, les critères d’indemnisation, la répartition des montants d’indemnisation ou la gestion du fonds, puisque le texte prévoit que celui-ci sera géré par la caisse centrale de la MSA, laquelle semble ne pas le souhaiter.

La liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation est établie de telle façon que le champ des victimes potentielles est très large. Dès lors, je souhaiterais connaître l’évaluation du nombre de victimes dont vous disposez, monsieur le rapporteur. Comment établir – c’est toute la difficulté – le lien direct entre la pathologie observée et l’exposition aux pesticides, qui doit être démontré pour toute demande d’indemnisation ?

Si ce texte est nécessaire, on en perçoit bien les limites. Nous ne pourrons donc arrêter notre jugement qu’à la fin de la discussion.

Mme Élisabeth Toutut-Picard. Monsieur le rapporteur, vous soulignez bien l’insuffisance du régime d’indemnisation actuel. De fait, entre 2007 et 2016, moins de 700 malades ont vu leur pathologie reconnue au titre des maladies professionnelles, alors que le rapport des inspections générales évalue à 10 000 le nombre des victimes professionnelles potentielles de maladies liées à l’exposition aux pesticides. Ces chiffres sont, certes, à prendre avec précaution, car ils sont issus du croisement de données particulièrement complexes, mais le fait est qu’il existe, en la matière, une sous-déclaration et une sous-reconnaissance évidentes. Il est vrai que les tableaux des maladies professionnelles seront révisés, mais cette révision sera insuffisante. La création d’un fonds d’indemnisation se justifie donc amplement. La mission d’information que je présidais l’an dernier l’avait, du reste, clairement formulé dans ses recommandations : le principe de ce fonds n’est plus discutable. Il faut donc y aller, sans tarder ni mégoter sur les moyens ! Certes, la question du financement se pose, mais la mission des inspections avait proposé des scénarios plausibles, et nous pourrons bientôt trancher cette question sur le fondement du rapport qui sera transmis au Parlement en avril.

Votre proposition de loi vise à réparer les préjudices subis, mais ne serait-il pas encore mieux de les prévenir en améliorant le suivi médical des professionnels exposés ? Nous manquons en effet de données fiables concernant les exploitants et leurs familles qui ne sont pas astreintes aux obligations liées à la médecine du travail. La création d’un parcours de soins spécifique pour ces populations permettrait non seulement de remédier à ce problème, mais aussi de collecter des données épidémiologiques précieuses pour évaluer les besoins. Que pensez-vous de cette proposition, monsieur le rapporteur ?

M. Stéphane Viry. Je veux dire à quel point j’ai été sensible au plaidoyer de Dominique Potier. Manifestement, la question de la création d’un fonds destiné à indemniser les dommages causés aux personnes travaillant dans certaines filières agricoles doit être posée. Du reste, notre pays a su, jadis, créer des dispositifs analogues pour réparer des dégâts d’origine professionnelle. Il n’est donc plus temps de procrastiner !

Nous sommes ici un certain nombre, à avoir créé un groupe transpartisan pour avancer dans divers domaines liés à la transition énergétique. Ce texte me semble illustrer ce à quoi pourraient aboutir ces réflexions transversales et collégiales.

Des rapports ont d’ores et déjà été consacrés à cette question, qu’il s’agisse de celui de l’INSERM ou de celui du Sénat. Nous devons maintenant, sur le fondement de ce faisceau de présomptions d’imputabilité et de causalité, saisir la balle au bond et légiférer utilement sur le sujet.

Il n’en demeure pas moins, cher Dominique, qu’un certain nombre d’interrogations subsistent, notamment sur le financement, le champ d’application et le mode de réparation, intégrale ou forfaitaire. Nous verrons quelles réponses y seront apportées, mais je présume que nous pourrons réussir ensemble.

M. Matthieu Orphelin. Quel plaisir de constater un tel consensus ! C’est dans de tels moments que nous sommes fiers de faire de la politique. C’est un hommage collectif que nous rendons aux victimes, passées et présentes, de l’utilisation de ces produits phytosanitaires. Ce consensus va en effet nous permettre d’aller un peu plus loin que la loi EGALIM, en concrétisant la création un fonds d’indemnisation.

S’agissant de son financement, monsieur le rapporteur, une solution est proposée dans la proposition de loi, mais d’autres options seront discutées. Pourquoi ne pas prévoir, par exemple, comme le suggèrent certains groupes, une contribution spécifique assise sur les bénéfices des principales firmes produisant des pesticides, dont certaines jouissent d’excédents bruts d’exploitation très favorables ? J’aimerais connaître votre sentiment sur ce point. Je salue en tout cas la qualité de votre travail.

M. Boris Vallaud. Je veux tout d’abord remercier Dominique Potier de s’être à nouveau saisi de cette question qui l’occupe depuis bien longtemps. Notre discussion – et cela vaut pour l’ensemble des propositions de loi du groupe Socialistes et apparentés examinées dans le cadre de cette niche – n’est que la première étape d’un débat démocratique et pluraliste, qui intervient après le lancement du grand débat national. Dans ce cadre, notre capacité d’écoute sera mise à l’épreuve, en particulier celle de la majorité, qui devra se montrer ouverte à des propositions qui n’émanent pas de ses rangs et dont les membres seront amenés à user pleinement de leurs prérogatives de parlementaires, notamment de leur pouvoir d’amendement et de leur liberté de vote. Je dis cela car nous avons le sentiment que les sujets que nous abordons sont consensuels. Comment, du reste, le souci du sort de milliers de victimes des produits phytosanitaires pourrait-il ne pas l’être ?

Certains ont relevé qu’il nous était proposé de créer un dispositif de réparation, mais que la question de la prévention demeurait entière. C’est précisément cette préoccupation qui avait conduit un certain nombre d’entre nous à souhaiter que l’interdiction du glyphosate, par exemple, soit inscrite dans la loi. Nous estimions en effet nécessaire d’envoyer un signe aux grandes industries, afin de leur faire comprendre que, cette fois-ci, elles ne devaient pas compter sur une alternance pour échapper aux devoirs qui sont les leurs.

Le consensus se traduit, pour l’instant, par des mots. Je ne voudrais pas qu’en séance publique, la majorité adopte une motion de renvoi en commission ou une question préalable, tout en affirmant sa préoccupation. On peut débattre, arguments contre arguments, du financement du fonds d’indemnisation ou du mode d’indemnisation, intégrale ou forfaitaire. Mais j’en appelle à la responsabilité de chacun. Certes, le rapport que nous attendons permet de laisser du temps à l’exécutif mais, ce temps, un certain nombre de victimes, hélas ! ne l’auront pas, parce que, malades, elles ne peuvent pas attendre.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je vous remercie pour l’état d’esprit de vos interventions, que je sens propice à une véritable co-construction.

Au préalable, je veux dire à Mme la présidente qu’il serait bon – je ne suis pas un spécialiste des arcanes de la procédure législative – que le rapporteur puisse déposer des amendements jusqu’au dernier moment. Les délais sont, en effet, très brefs. Or, je le dis avec humilité, après ma rencontre avec Nicole Bonnefoy et Bernard Jomier, j’ai été saisi d’un doute sur un point très précis dont je veux m’ouvrir à vous très librement : je veux parler du cas des enfants – je le dis sans pathos –, qui peuvent être victimes d’une exposition aux pesticides sans que leurs parents soient des professionnels. Les sénateurs – sensibilisés au sort de ces enfants par la question des cancers pédiatriques – les avaient inclus dans le champ couvert par le fonds d’indemnisation. En revanche, notre position, qui semble être partagée par la majorité, vise plutôt à exclure, dans un premier temps, les victimes d’une exposition environnementale, y compris donc les enfants, et à reporter la prise en compte de cette population à 2022 ou, comme le propose Mathieu Orphelin, à 2023. Une telle position n’est pas facile à assumer ; nous devons faire preuve de discernement. Nous pourrions ainsi être amenés à consulter des experts pour examiner la possibilité de prendre néanmoins en compte cette population.

Je reconnais donc les faiblesses de notre proposition et nos doutes, qui mériteraient une réflexion approfondie. Sur l’identification des populations qui ne seront pas immédiatement prises en compte comme sur les modalités de la réparation, je suis convaincu que nous pouvons aboutir à un consensus, si le dialogue se poursuit. Mais cela suppose, madame la présidente, que, lors de l’examen des amendements au titre de l’article 88, je puisse, en tant que rapporteur, défendre un amendement mis au point dans le cadre d’un groupe de travail rassemblant diverses sensibilités. Vous nous direz ce qu’il en est, mais je plaide pour que nous puissions, jusqu’au bout, poursuivre le dialogue le plus loin possible.

Je vais maintenant répondre aux questions qui m’ont été posées.

Tout d’abord, je remercie Mme Gaillot d’avoir rappelé, avec compassion, que le groupe socialiste ne disposait que d’une niche parlementaire d’une journée par an et d’avoir compris que nous n’allions pas attendre un an pour poursuivre un combat que nous menons depuis 2013.

Mathieu Orphelin a rappelé que l’amendement au projet de loi EGALIM, défendu nuitamment, ne visait pas à reporter le sujet, mais bien à fixer un rendez-vous. Mais les auditions nous ont permis de vérifier que les différents rapports, tant celui de l’ANSES que celui qui a été demandé au Gouvernement, ne nous apprendront rien que nous ne sachions déjà. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur le fait que le calendrier proposé est le bon.

Par ailleurs, les arguments avancés pour limiter le bénéfice du fonds aux travailleurs de la terre et pour refuser de l’étendre à ceux qui sont exclus, pour des raisons parfois ubuesques, du champ des maladies professionnelles ne tiennent pas. À cet égard, opter pour un renvoi à la Commission supérieure des maladies professionnelles (COSMAP), dont je rappelle qu’elle s’est réunie, hier – est-ce un hasard ? je l’ignore –, pour la première fois depuis 2016, ce serait manquer le rendez-vous de l’histoire. J’ajoute que, dans le cadre d’un recours devant le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), la charge de la preuve repose sur le requérant. On sait à quel point c’est compliqué : tous les rapports de l’INSERM l’attestent, les causes sont multiples et s’additionnent pour produire ce qu’on appelle un « effet cocktail », si bien qu’il est pratiquement impossible d’établir devant la justice, ni a fortiori devant cette commission, un lien de causalité irréfragable. Par conséquent, seul un fonds analogue à celui qui a été créé pour indemniser les victimes de l’amiante notamment permet de prendre en compte globalement la maladie.

Cher Gilles Lurton, vous avez évoqué une compétition avec l’ANSES. Je suis bien placé pour vous répondre que, dans le cadre de la loi pour l’avenir de l’agriculture, le groupe parlementaire majoritaire avait prévu, en accord avec le ministre, que l’étude d’un produit phytosanitaire pouvait se poursuivre après sa mise sur le marché, afin que soient analysés ses effets à grande échelle, dans des contextes évolutifs – changement climatique, changements d’usage, évolution des pratiques économiques des filières, etc. C’est grâce à cette phyto-pharmacovigilance exercée par l’ANSES – je le dis avec une certaine fierté, ayant voté cet amendement – que le méta-sodium a été interdit en novembre 2018. Nous ne voulons donc en aucun cas détruire ce fonds, que nous avons créé et abondé lors des lois de finances. Je pense même que la somme – 4,2 millions – affectée aux travaux de l’ANSES est insuffisante et pourrait être portée à 5 millions, voire 6 millions, en prélevant entièrement la taxe de 0,3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises vendant des produits phytosanitaires soumis à autorisation de mise sur le marché. Ainsi, compte tenu de l’élargissement des finalités du fonds à la réparation des préjudices, ces 0,3 % constituent en quelque sorte un fonds d’amorçage. Du reste, nous savons que, dans leur étude, les trois inspections envisagent une augmentation de ce taux, qui devra être révisé le moment venu, jusqu’à 1,5 %, afin que les industries phytopharmaceutiques contribuent à la hauteur estimée dans les modélisations économiques.

Par ailleurs, nous ne devons en aucun cas baisser la garde en matière de prévention.

Mme Benin et Mme Sanquer ont évoqué la question sensible des réserves émises par Mme la ministre. Boris Vallaud l’a dit à sa manière : ce temps est celui de la société civile, du Parlement. Il nous revient de poser de grands principes. Du reste, si j’en crois nos collègues du Sénat, les positions de Mme la ministre ont évolué depuis : à nous d’obtenir une dernière évolution. Au demeurant, je vous rassure : la proposition de loi – que nous allons voter, je l’espère, à l’unanimité – renvoie très largement à des décrets, de sorte que le Gouvernement pourra fixer lui-même des normes qui tiennent compte du principe de réalité et de la vérité scientifique. Nous ne légiférons pas dans l’émotion ; notre propos n’est pas d’adresser des injonctions au Gouvernement mais de le mettre devant ses responsabilités, et je ne doute pas que la ministre saura les assumer.

S’agissant de la prévention, je retiens l’excellente proposition de Mme Toutut-Picard d’améliorer le suivi médical, et je suggère que son groupe dépose un amendement en ce sens, en espérant qu’il ne sera pas considéré comme un cavalier législatif. En tout état de cause, le fait d’appliquer des mesures de prévention à l’ensemble de la population rurale concernée – et ce sera encore plus vrai pour la chlordécone – me semble une excellente idée. J’y serais donc évidemment favorable.

M. Dharréville et M. Ratenon ont évoqué la question des recours en responsabilité. Le fonds d’indemnisation, je le rappelle, vise à assumer collectivement, privé et puissance publique, la réparation de dégâts collectifs dans le cadre d’une responsabilité sans faute – concept apparemment abscons mais reconnu à de multiples reprises dans notre pays. Son existence n’épuise pas les recours qui peuvent être formés lorsque la responsabilité des dommages est dûment établie. La justice peut ainsi être saisie si un industriel, un fournisseur ou un employeur a commis une faute ; nous devons effectivement y veiller. Ce n’est pas à la collectivité d’assumer une faute privée lorsqu’elle est établie par la justice.

Mme Dubié a plaidé pour la prévention, et je ne peux qu’abonder dans sons sens. Je rappellerai que le plan « Écophyto 1 », qui a été pourtant beaucoup dénigré, a permis l’établissement d’un Certificat individuel de produits phytopharmaceutiques, dit « Certiphyto », qui a été délivré aux dizaines de milliers d’agriculteurs, d’ouvriers agricoles et d’employés de coopératives qui ont suivi un stage sur la manipulation de ces produits. Une prise de conscience est donc intervenue et les pratiques ont changé : des progrès ont été réalisés notamment dans le domaine des vêtements de protection. Il faut poursuivre ce travail, bien entendu. Mais la meilleure prévention réside dans l’abandon progressif des pesticides. Nous travaillons à l’avènement de cet autre monde à l’échéance de 2050, selon des modalités, cher Boris Vallaud, qui peuvent être légèrement divergentes – mais nous sommes bien d’accord sur les finalités.

Pour ma part, je ne suis pas d’avis que le Parlement se prononce sur les molécules. Son rôle, selon moi, est plutôt de plaider au niveau européen pour renforcer l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), afin qu’elle dispose de fonds propres et puisse réaliser ses expertises sans dépendre d’aucun lobby. À cet égard, les mesures que le gouvernement précédent a prises concernant l’ANSES sont importantes : ses prérogatives doivent être renforcées et ses fonds suffisants pour qu’elle puisse s’autosaisir, sans dépendre ni de l’opinion ni du marché. Telle est ma position, et je n’ai pas à m’en excuser puisqu’en tant que paysan et élu local, je me suis affranchi depuis plusieurs décennies du glyphosate. Il me semble que, dans une démocratie moderne, il ne faut pas confondre les champs et les lieux : il faut renforcer des lieux de décision autonomes, libérés des lobbies. Quant au Parlement, il doit rester prudent dans ces matières, car il n’agit pas forcément en connaissance de cause.

Par ailleurs, l’écart existant entre l’estimation réalisée par la mission des trois inspections et le nombre de malades actuellement pris en charge est, c’est vrai, considérable, puisque nous sommes dans un rapport d’un à dix, voire d’un à quinze. En effet, on estime actuellement le nombre de cas indemnisés au titre des régimes ATMP à 70 par an, soit 700 cas recensés en 10 ans, alors que le nombre des personnes susceptibles d’être concernées ‑ ceux qui souffrent de la maladie de Parkinson notamment –, est évalué, avec beaucoup de prudence par les inspections à 100 000 travailleurs de la terre exposés aux pesticides au sens large dont 10 000 professionnels développeront une pathologie au sens strict.

De fait, les agriculteurs tout comme la médecine de ville, voire l’hôpital public, connaissent mal le lien de causalité entre le métier exercé et l’affection diagnostiquée. La première cause que nous devons défendre est donc celle de l’information : en l’espèce, l’ignorance est l’ennemie de la justice. Des progrès considérables doivent ainsi être faits, d’abord dans la connaissance de ces maladies et de leurs causes, puis dans la réparation des dommages. Quoi qu’il en soit, le delta entre la population estimée et celle qui est prise en charge est considérable : s’il n’y avait qu’une raison de créer ce fonds, ce serait celle-là.

Enfin, M. Viry notamment a abordé la question de la modélisation économique. Je rappellerai la version haute évoquée par la mission des trois inspections. Selon que l’on retient la population directement concernée ou que l’on inclue également les familles des travailleurs de la terre, selon que l’on opte pour une réparation forfaitaire ou une réparation intégrale, l’estimation varie entre 23 millions et 93 millions d’euros, soit, sur une période d’une dizaine d’années, un total compris entre 250 millions, dans la version la plus étriquée et économie, et 1 milliard d’euros. Comment la mission propose-t-elle de répartir cette charge ? Un quart de celle-ci pèserait sur la profession elle-même, c’est-à-dire la MSA, un autre quart serait supporté par l’industrie phytopharmaceutique – en portant le taux de la taxe actuelle à 1,5 % –, la moitié restante pesant sur la Sécurité sociale, abondée par l’État et la solidarité nationale. Cette répartition peut faire l’objet d’un débat : pour ma part, j’estime que la part de l’industrie est sous-évaluée. Quoi qu’il en soit, ce modèle donne une idée de la répartition qui pourrait être décidée. Celle-ci représente un véritable effort, mais il y va de la réparation, pour autant qu’elle soit possible, des dommages subis par des milliers de personnes qui souffrent.

La commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er : Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation

La commission examine, en discussion commune, les amendements AS21 du rapporteur et AS1 de M. Matthieu Orphelin.

M. Dominique Potier, rapporteur. En préambule, je tiens à dire que tous les amendements que je défendrai visent à nous rassembler.

Dans la loi EGALIM, il a été précisé, à l’initiative de Mathieu Orphelin, que le Gouvernement devait présenter au Parlement un rapport sur la création, avant le 1er janvier 2020, d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Je m’inscris dans cet horizon de temps. Tout le monde, du reste, est d’accord sur ce point. L’amendement AS21 tend donc à retenir cette date pour la création du fonds d’indemnisation.

M. Matthieu Orphelin. Il est en effet très important que nous respections l’engagement pris dans la loi EGALIM en fixant au 1er janvier 2020 la date de création de ce fonds d’indemnisation. Je sais que cette mesure provoque certaines résistances. Certes, le Gouvernement devra faire preuve de volontarisme pour définir les modalités de fonctionnement et de financement du fonds d’ici à un an. Mais cette date, je le rappelle, avait été adoptée à l’unanimité.

Nous proposons également, par l’amendement AS1, qu’à compter de cette date, le fonds s’adresse aux agriculteurs, premières victimes des produits phytosanitaires, car la reconnaissance des maladies professionnelles nous offre les outils nécessaires à leur indemnisation. S’agissant des autres personnes concernées, notamment les riverains pour lesquels certaines questions demeurent, notamment sur les matrices d’exposition, nous proposons de nous donner davantage de temps – trois ans – pour mettre au point les méthodes dont nous ne disposons pas forcément aujourd’hui.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je suggère à M. Orphelin de retirer son amendement au bénéfice du mien. S’agissant de la réparation intégrale, nous pensons également qu’il ne faut pas attendre 2023 : la réparation doit être intégrale dès le 1er janvier 2020, pour tous les travailleurs de la terre et leurs familles, actuellement exclues.

Mme Albane Gaillot. L’article 81 de la loi EGALIM du 31 octobre 2018 dispose que le fonds d’indemnisation sera créé avant le 1er janvier 2020, après la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement le 30 avril 2019. Il convient donc d’adopter la date du 1er janvier 2020. Par ailleurs, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) estime les que les connaissances actuelles en matière de santé environnementale ainsi que les données concernant les riverains ne sont pas suffisantes pour que nous légiférions avec clairvoyance et prudence sur le sujet. Je propose donc, en renvoyant à la discussion d’un amendement déposé par le groupe socialiste au PLFSS 2019, de limiter l’indemnisation aux victimes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

M. Gilles Lurton. Je serais tenté de dire que l’amendement de M. Orphelin est plus complet que celui de M. le rapporteur, dans la mesure où il prévoit de prendre en compte, à partir de 2023, le cas des riverains, auquel je suis très sensible. Certes, nous n’avons pas encore les moyens d’évaluer la situation sanitaire de ces derniers, mais nous rencontrons tous de nombreux riverains de terres agricoles qui se plaignent d’avoir à subir les conséquences de l’épandage de produits phytosanitaires.

Je regrette, par ailleurs, que la mission d’information sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate de l’Assemblée nationale n’ait pas pu émettre un avis sur ce dossier.

M. Boris Vallaud. Nous soutiendrons bien entendu l’amendement du rapporteur. En effet, la date de création du fonds au 1er janvier 2020 est inscrite dans la loi EGALIM, de sorte qu’en votant cet amendement, nous ne contreviendrions en rien aux précédents votes de la représentation nationale. Je ferai observer que la remise d’un rapport en avril prochain compléterait, le cas échéant, le texte proposé par Dominique Potier, sans que l’un ne fasse obstacle à l’autre. Je ne vois donc pas pour quel motif légitime nous rejetterions cet amendement.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Le groupe MODEM soutiendra l’amendement de Matthieu Orphelin.

M. Dominique Potier, rapporteur. Manifestement, il y a une petite confusion, et je m’en excuse. En fait, ces deux amendements sont jumeaux, sinon cousins : tous deux visent à fixer la date d’entrée en vigueur du fonds d’indemnisation au 1er janvier 2020. Ils diffèrent cependant sur la date à laquelle ce fonds doit prendre en compte la population des riverains, en tout cas les personnes dont la maladie n’est pas liée à une pratique professionnelle. Mathieu Orphelin propose la date de 2023 ; pour ma part, je propose 2022, sachant qu’une étude doit être rendue ce mois-ci à la demande des ministères de la santé et de l’agriculture, suite à l’émotion suscitée par la recrudescence de cancers pédiatriques dans une région française. En tout état de cause, il me paraît raisonnable d’approfondir nos connaissances scientifiques avant de prendre une décision politique sur ce point. Je propose d’attendre 2022, Mathieu Orphelin 2023. Que l’on adopte l’un ou l’autre de ces amendements, on ne déséquilibrera pas la visée politique que nous partageons.

La commission rejette l’amendement AS21.

Puis elle adopte l’amendement AS1.

La commission examine ensuite l’amendement AS16 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Si nous poursuivons l’objectif de la proposition de loi, certaines de ses modalités doivent faire l’objet d’ajustements. L’amendement AS16 propose une réparation forfaitaire des préjudices. Nous pensons qu’une réparation intégrale aurait pour effet de remettre en cause le système accidents du travail et maladies professionnelles, qui date pourtant de 1898. Après avoir fêté l’an dernier les cent vingt ans de la loi concernant les responsabilités dans le cadre des accidents du travail, notre proposition paraît plus raisonnable ; une réparation forfaitaire peut être conséquente. Nous attendons tout particulièrement les conclusions du rapport gouvernemental pour ajuster ses différents paliers. Par ailleurs, on peut lire à la page 51 du rapport de l’IGAS, de l’IGF et du CGAAER qu’« aucun système européen n’offre de véritable réparation « intégrale » ». Les conseillers aux affaires sociales des ambassades de France qui ont été interrogés ont pour la plupart répondu qu’il n’existe pas de dispositif spécifique d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, comme cela est envisagé en France. Aucun des interlocuteurs n’a fait état de la création d’un fonds dédié.

M. Dominique Potier, rapporteur. Madame Gaillot, vous voilà face à un dilemme terrible : en votant l’amendement AS1 de Matthieu Orphelin, nous avons adopté le principe d’une réparation intégrale, y compris pour les populations qui n’ont pas été exposées professionnellement, dès lors que la science aura fourni les preuves nécessaires, en 2023 au plus tard. Adopter votre amendement serait pour le moins paradoxal.

Par ailleurs, votre état des lieux européen est contestable. Le chapitre du rapport que vous avez cité montre que le sens de l’Histoire, dans le domaine de la réparation des maladies professionnelles, c’est la réparation intégrale. Dans la mesure où nous cherchons un consensus, je n’ouvrirai pas de polémique sur les excédents de ces régimes, qui pourraient permettre de mieux prendre en compte les souffrances des travailleurs et des personnes concernées, pour peu que nous décidions d’en affecter tous les bénéfices à ce qui était dévolu par la loi et non de les mettre au service de visées moins nobles.

Nous avons les moyens, avec le régime AT-MP, de mieux réparer. Tous les fonds spécifiques, comme celui dont nous avons acté le principe à l’instant, assurent une réparation intégrale, dès lors que la preuve de la responsabilité collective est faite. Remettre en cause ce principe dans le cas des pesticides revient à le remettre implicitement en cause pour le FIVA, le VIH ou le Mediator. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Notre groupe s’opposera à l’amendement AS16. Dans un autre domaine, un exemple montre que le sens de l’Histoire, c’est la réparation intégrale du préjudice : le plafonnement des indemnités prud’homales. Plusieurs tribunaux ont considéré qu’il fallait une réparation intégrale et non un plafonnement des indemnités forfaitaires.

Mme Albane Gaillot. Mon amendement pose en effet un problème législatif technique, monsieur le rapporteur, dans la mesure où nous venons de voter l’amendement de M. Orphelin sur la réparation intégrale. Nous ne pouvons pas inscrire une chose et son contraire dans la loi. Cependant, il est important d’examiner la question de la réparation des autres victimes, qui ne seraient pas concernées par des pathologies liées au phytosanitaire et qui risqueraient de se sentir discriminées, en n’étant indemnisées qu’au forfait. Il serait intéressant de réfléchir à une meilleure prise en charge des maladies professionnelles dans le cadre du régime AT-MP. Je vais donc retirer mon amendement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Pour clarifier le débat, je précise que l’amendement AS1 visait à créer deux régimes distincts dans leur date d’application, en précisant la liste des catégories concernées. Votre amendement, quant à lui, madame Gaillot, a trait à la réparation forfaitaire. Les deux amendements sont en réalité très différents et ne sont pas incompatibles.

Mme Albane Gaillot. Je vous remercie, madame la présidente, et ne souhaite plus retirer mon amendement. L’amendement de Matthieu Orphelin visait, de fait, à revenir sur les dates et les champs.

M. Matthieu Orphelin. Mon amendement ne concernait en effet que les dates et non le type d’indemnisation. Veuillez m’excuser si ma rédaction était fautive.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous n’allons pas agir par ruse ou jouer l’ironie. Outre que ce registre n’est pas le mien, ce n’est pas le moment : le sujet est trop grave. Alors que nous reprenons un texte du Sénat, adopté à l’unanimité et qui a mobilisé des centaines de personnes, nous n’allons pas nous donner des leçons pour telle ou telle maladresse. Matthieu Orphelin précisait dans son amendement que la réparation d’éventuelles victimes qui n’appartiendraient pas à la famille du travailleur de la terre serait intégrale. Il serait au moins paradoxal que l’indemnisation soit intégrale pour ces personnes, mais pas pour les travailleurs de la terre. Il faudra régler cette question et aligner les deux régimes.

Chaque fois que la responsabilité est collective dans une crise sanitaire, la réparation est intégrale. Voter contre la réparation intégrale, qui mobilise des fonds privés, reviendrait à remettre en cause la participation des industries phytopharmaceutiques dans le cas des drames sanitaires ou celle de l’industrie de l’amiante dans le cas du FIVA. Nous avons l’opportunité de réparer intégralement, puisque nous allons chercher les fonds privés d’industries, dont nous estimons qu’elles ont une part de responsabilité. Au nom de quoi pourrions-nous nous priver de cette juste réparation ? Imaginez-vous la vie d’un paysan atteint par une pathologie causée par les phytosanitaires, le devenir de sa ferme, et parfois de sa famille ? C’est de cela que nous parlons. Il n’est pas possible de faire du forfait dans un tel cas ; il faut aller au bout de la réparation. C’est le sens de l’Histoire.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS22 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS22 vise à expliciter la possibilité de prendre en charge, dès la création du fonds, des victimes d’exposition professionnelle non reconnues comme souffrant d’une maladie professionnelle, notamment les retraités et les conjoints, comme le préconise le rapport de l’IGAS, de l’IGF et du CGAAER, ou encore les enfants victimes d’une affection in utero. En effet, avant 2005, l’exposition des agriculteurs et de leurs conjoints n’était pas reconnue juridiquement et, partant, elle n’était pas prise en compte par ces régimes. Qui plus est, avant 2002, les assurances accidents du travail n’étaient pas obligatoires pour les exploitants. En substituant aux mots « la liste » « les listes », nous prenons en compte la famille des travailleurs de la terre et pas seulement ceux qui sont assurés à la MSA.

Mme Albane Gaillot. L’indemnisation des victimes professionnelles qui ne sont pas couvertes au titre de l’AT-MP, notamment des retraités, pose une vraie question. Je m’interroge toutefois sur la rédaction de votre amendement qui, à mon sens, n’inclut pas seulement les retraités agricoles, comme vous l’expliquez dans l’exposé des motifs. Je vous suggère de travailler ensemble, avant la séance, à une nouvelle rédaction afin de cibler précisément les retraités agricoles.

M. Pierre Dharréville. Je soutiens l’amendement du rapporteur, qui s’inscrit dans la logique des choses. Ce fonds est aussi fait pour répondre à un certain nombre de défaillances liées à l’étroitesse de tableaux et de dispositifs prévus dans le cadre dans la branche AT-MP.

M. Dominique Potier, rapporteur. Faisons attention au ton que nous utilisons. Tout à l’heure, vous entendiez renoncer à l’indemnisation intégrale au profit de l’indemnisation forfaitaire ; maintenant, vous nous dites qu’il faut en rester à la liste des victimes déjà prises en compte dans la branche AT-MP. Auquel cas ce n’est pas la peine d’adopter cette proposition de loi ! Vous faites seulement semblant de le vouloir. Nous avons proposé d’intégrer au système d’indemnisation des catégories qui n’y sont pas aujourd’hui. Peut-être que la rédaction n’est pas heureuse et qu’il faudra la modifier en séance ; mais si vous souhaitez vous en tenir à une indemnisation forfaitaire pour des gens qui sont déjà en mesure d’être indemnisés, autant voter dès le début contre notre proposition de loi. Je vous propose plutôt d’adopter mon amendement et de le corriger en séance, dans un esprit constructif. Comment allons-nous expliquer aux phytovictimes et à tous les syndicats que nous avons rencontrés que nous avons fait une loi pour ne pas changer la loi ? Il faut au moins élargir le champ d’indemnisation. Si la rédaction n’est pas heureuse, soyez certains du soutien de tous les députés présents ici, et en premier lieu de celui du rapporteur.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’examen de l’amendement AS29 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous sommes en train de revenir au régime actuel… Une catégorie pourrait souffrir du rejet de nos amendements : les enfants victimes in utero avant 2005, dont la maman ne bénéficiait pas du régime de conjoint collaborateur. Même si ce vide juridique a été corrigé en 2005, cette catégorie de victimes, qui ont aujourd’hui entre vingt et vingt-cinq ans, n’a pas été prise en compte. Nous souhaitons qu’elle le soit désormais.

Mme Albane Gaillot. Je vous rejoins une nouvelle fois, monsieur le rapporteur, quand vous souhaitez inclure dans la prise en charge par le fonds l’indemnisation des enfants victimes in utero, en raison de l’exposition de leurs parents. J’ai déposé un amendement visant à redéfinir le champ des personnes pouvant obtenir la réparation de leurs préjudices aux seules personnes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’à leurs enfants. Nos deux amendements sont assez similaires, si ce n’est que le vôtre englobe également la sphère non professionnelle.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement AS14 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Dans quelques heures, nous examinerons la proposition de loi dont je suis la rapporteure sur la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone. Par le biais de cet amendement, je souhaite d’ores et déjà prendre le pouls de nos discussions, en ouvrant le bénéfice du fonds d’indemnisation à toutes les victimes du chlordécone, dès sa mise en place. La proposition de loi restreint le champ d’indemnisation aux seules pathologies d’origine professionnelle, tout en ouvrant la faculté d’étendre son bénéfice aux victimes d’origine environnementale en 2023. En Martinique et en Guadeloupe, aux victimes professionnelles, à savoir les ouvriers agricoles de la banane, exposés entre 1972 et 1993, qui ne le sont plus maintenant, s’ajoutent désormais toutes les victimes environnementales qu’il convient de prendre en charge, comme l’a proposé le Président de la République lui-même, lors de sa visite en Martinique le 29 septembre 2018.

M. Dominique Potier, rapporteur. Avis très favorable ! Même si nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet dans quelques heures, je me réjouis que notre collègue ait déposé cet amendement. Dans l’écosystème des outre-mer, la distinction entre les victimes professionnelles du chlordécone et les victimes parmi les populations rurales est particulièrement complexe. Qui plus est, la pollution des sols continue de faire des dégâts sur les animaux et les hommes. J’invite la commission à adopter cet amendement qui prend en compte la spécificité des outre-mer et lance le débat sur un sujet que nous examinerons en fin d’après‑midi.

Mme Albane Gaillot. Je comprends votre position. Cependant, dans la mesure où nous avons adopté l’amendement AS16, nous ne pouvons pas étendre l’indemnisation à toutes les victimes du chlordécone. Qui plus est, nous aurons cet après-midi un débat approfondi sur le cas spécifique du chlordécone et les pathologies liées à son utilisation. Nous sommes contre cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AS17 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. L’amendement AS17 vise à redéfinir le champ des catégories des personnes pouvant demander une indemnisation au titre de l’existence d’une maladie directement liée à l’exposition des produits phytopharmaceutiques. Les connaissances scientifiques relatives aux riverains ne sont pas suffisantes à ce jour pour établir le lien de causalité entre la pathologie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques. L’IGAS a ainsi relevé dans son rapport que nous ne disposions pas de suffisamment de connaissances scientifiques, à l’exception des cas d’exposition professionnelle des parents, en matière de santé environnementale. Sauf pour l’amiante et le plomb, le lien de causalité entre la pathologie et l’environnement est habituellement difficile à mettre en évidence. L’amendement reprend la rédaction proposée par le groupe socialiste au Sénat dans le cadre du PLFSS pour 2019, à laquelle nous ajoutons le cas des enfants atteints d’une pathologie directement occasionnée par l’exposition d’un de leurs parents, dans le cadre de leur activité professionnelle.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons un vrai différend sur ce sujet. Faute d’être en mesure de prouver scientifiquement l’origine des pathologies des victimes environnementales, il ne faudrait pas les prendre en compte. Quel message n’enverrions-nous pas ! Ceux qui travaillent et vivent dans la ferme seraient indemnisés – et encore, pas les retraités, par exemple, que vous avez exclus dans vos amendements –, mais il n’y aurait rien pour leurs voisins. Vous ne pouvez pas penser ce que vous dites ! La position de Matthieu Orphelin, qui renvoie cette question à 2023, me semble beaucoup plus sage. Si l’on découvrait alors, suite à l’étude qui sera menée cette année, qu’il n’y a pas de sujet, ce dont je doute, le fonds ne couvrirait pas ce champ ; mais exclure dès à présent ces populations, c’est envoyer un mauvais signal à nos concitoyens, ainsi qu’au monde agricole, en lui donnant l’impression qu’il bénéficie d’un accès privilégié à une réparation dont les autres seraient exclus. La sagesse, c’est, comme je le proposais dans mon amendement AS21 ou comme le proposait Matthieu Orphelin dans l’amendement AS16, de ne pas les exclure aujourd’hui, mais de prendre le temps de réfléchir à la bonne dimension et aux bonnes conditions de l’indemnisation. Je vous invite à retirer cet amendement, qui aurait un effet désastreux sur le combat que nous partageons.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’examen de l’amendement AS23 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. C’est, d’une certaine façon, un amendement rédactionnel visant à prendre en compte pas tant les parents que les ascendants. Cette précision sémantique, sans être neutre, ne remet pas pour autant en cause l’équilibre du texte.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS18 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Cet amendement vise à indemniser les enfants atteints d’une pathologie résultant directement de l’exposition d’un de leurs ascendants à des produits phytopharmaceutiques dans le cadre de leur activité professionnelle.

M. Dominique Potier, rapporteur. Il me semble que l’amendement AS23 étant adopté, celui-ci n’a plus de sens. Je vous suggère donc de le retirer.

La commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Création et organisation du Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques

La commission examine l’amendement AS24 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’article 2 a essentiellement trait aux modalités de financement et de fonctionnement du fonds. Le rapport du Sénat prévoyait d’en confier la gestion à la caisse centrale de la MSA. Pour éviter toute querelle, l’amendement renvoie la création du fonds à un décret du Gouvernement. Nous voulons ouvrir le champ qui, me semble-t-il, se confondait avec la MSA. L’important, c’est que ce fonds relève d’un organisme public, sans présager de son identité. La majorité ne manquera pas d’être sensible à cet amendement qui ouvre une plus grande latitude au Gouvernement…

Mme Albane Gaillot. Nous y sommes sensibles ! Je crains toutefois qu’on ne présume un peu de la forme juridique du fonds, en le décrivant comme un établissement public administratif. Or on ne sait pas aujourd’hui s’il est pertinent qu’il recouvre cette forme-là ou une autre ou encore qu’il soit directement rattaché à une caisse de sécurité sociale. Retravaillons cette question pour la séance.

M. Dominique Potier, rapporteur. En fait, le choix est entre la MSA et la MSA… Nous souhaitions seulement offrir au Gouvernement la possibilité de proposer une formule plus adaptée. Je vais retirer mon amendement, dans la mesure où nous sommes d’accord sur la finalité.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’examen de l’amendement AS2 de Mme Sandrine Le Feur.

Mme Sandrine Le Feur. Cet amendement visait à inscrire dans le marbre la création du fonds d’indemnisation avant le 1er janvier 2020, conformément à l’article 81 du projet de loi EGALIM. Cette création fait l’unanimité, il est temps que ces maladies professionnelles soient indemnisées. S’engager clairement et fortement sur une date me semble important pour les victimes des produits phytosanitaires. Mais, étant donné que l’amendement AS1 de Matthieu Orphelin a été adopté, je vais le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission étudie l’amendement AS19 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Cet amendement vise à prendre en compte le rapport de l’IGAS, et pas seulement pour ce qui nous arrange… Il préconise en effet la création d’un conseil scientifique qui aurait pour mission la mise à jour continue des connaissances scientifiques. C’est un amendement de bon sens qui ne peut que nous rassembler.

Mme Albane Gaillot. Nous sommes une fois de plus favorables à votre amendement, dans la mesure où, si nous sommes sensibles à l’indemnisation, nous le sommes également à la prévention. Il apparaît nécessaire de faire de la pharmacovigilance et de s’adjoindre un comité scientifique, afin de réfléchir, d’anticiper et de prévenir.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice indemnisable par le fonds

La commission examine successivement les amendements AS25 et AS26 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS25 vise à corriger une erreur des excellents rédacteurs du Sénat, qui ont oublié de préciser que le secret médical ne s’appliquait qu’aux tiers et qu’on ne pouvait pas se voir interdire la consultation de son propre dossier médical… Quant à l’amendement AS26, il tire les conséquences du fait que le « secret industriel et commercial » est devenu le « secret des affaires », suite à la loi du 30 juillet 2018, dont je ne dirai pas ce que je pense, dans un souci de concorde…

La commission adopte successivement ces amendements.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 : Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds

La commission rejette l’article 4.

Article 5 : Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds

La commission rejette l’article 5.

Article 6 : Recours du fonds contre des tiers (actions subrogatoires)

M. Dominique Potier, rapporteur. Pour la bonne compréhension de tous, il aurait été bon que la majorité exprime les raisons de son rejet des articles 4 et 5.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. À ceci près que les articles ne faisaient pas l’objet d’amendements… Le débat aura lieu en séance.

La commission rejette l’article 6.

Après l’article 6

La commission examine l’amendement AS13 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Sur le modèle de ce qui se fait pour les indemnités versées aux victimes de l’amiante et aux victimes des essais nucléaires, cet amendement propose d’exonérer d’impôts l’ensemble des indemnités versées par le fonds aux victimes. Il nous semble utile de ne pas imposer une double peine aux victimes, en taxant les réparations dont elles bénéficient.

M. Dominique Potier, rapporteur. Avis extrêmement favorable. C’est la pratique habituelle pour l’ensemble des fonds. Je tiens à vous préciser que nous venons de rejeter la capacité d’actions récursoires qu’avait mentionnées M. Dharréville, soit une prérogative classique des fonds… C’est incroyable ! À part l’industrie phytopharmaceutique, je ne vois pas qui gagne au rejet de l’article 6.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je rappelle que l’on ne débat pas en commission sur les articles qui ne font pas l’objet d’amendements. Nous en discuterons en séance.

La commission rejette l’amendement.

Article 7 : Modalités de financement du fonds

La commission est saisie de l’amendement AS28 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je suis assez fier de cet amendement que j’ai déposé hier, en réponse à une remarque qui nous a été faite par plusieurs de nos collègues, notamment au sein du groupe Les Républicains, au sujet des bénéfices indus des multinationales : comme ils l’ont souligné à juste titre, une taxation sur le flux des ventes de produits phytopharmaceutiques pourrait se répercuter sur le client final, à savoir l’agriculteur. Je trouve cette objection parfaitement légitime.

Pour en tenir compte, le présent amendement propose une solution alternative à l’augmentation de la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques – que le rapport rendu conjointement par l’Inspection générale des finances (IGF) le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture, de l’agroalimentaire et des espaces ruraux (CGAAER) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) suggère de faire passer de 0,2 % à 1,5 %. Je rappelle que la part de responsabilité de l’industrie phytopharmaceutique dans l’apparition de maladies chez les professionnels exposés à leurs produits est estimée à environ 25 % – proportion amène à se réduire très fortement depuis que vous avez repoussé le principe d’une réparation intégrale du préjudice.

M’inspirant de la modélisation récemment proposée par Bruno Le Maire dans le cadre de la lutte contre les GAFA, et qui consiste à prévoir une taxe assise sur le chiffre d’affaires réalisé à l’échelle mondiale par ces géants du numérique, je propose de créer une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé au niveau mondial par les firmes commercialisant des produits phytopharmaceutiques, rapporté à la part des ventes de ces produits réalisées en France, ce qui paraît finalement plus juste. Cette solution, moins satisfaisante que la transparence sur les holdings que nous avions précédemment demandée dans le cadre de plusieurs textes, constitue cependant un progrès, et devrait permettre de collecter un montant de l’ordre de 25 millions d’euros par an pour le financement du fonds – dans l’hypothèse haute, correspondant à une indemnisation intégrale.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AS20 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS20 repose sur un mécanisme différent de celui défendu par le ministre de l’économie, puisqu’il vise à augmenter la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques, actuellement collectée par l’ANSES, en la faisant passer de 0,2 % à 1,5 %. Comme vous l’aurez compris, il est absolument nécessaire d’adopter cet amendement de repli car, à défaut, le fonds créé ne sera pas abondé.

Mme Albane Gaillot. Nous ne savons pas grand-chose des modalités pratiques de fonctionnement du nouveau fonds d’indemnisation ; même la façon dont il sera abondé – taxe sur le chiffre d’affaires ou sur les ventes de produits phytopharmaceutiques – reste encore indéterminée, mais ce qui est certain, c’est qu’une augmentation du prix de vente des produits phytopharmaceutiques aura pour conséquence une perte de pouvoir d’achat pour les agriculteurs. Lors des auditions auxquelles il a été procédé, les syndicats d’agriculteurs ont insisté sur le fait que la création d’un fonds ne présentait d’intérêt qu’à la condition qu’il soit effectif. Je vous invite par conséquent à engager une réflexion sur ce point, afin d’être en mesure de soumettre à notre assemblée, lors des débats en séance publique, un mode de financement répondant à cette exigence. En l’état actuel, le groupe La République en Marche votera contre cet amendement.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je ne peux que vous avouer ma stupéfaction en apprenant qu’aucune de nos deux propositions de financement ne vous paraît satisfaisante. Je vous rappelle que la première correspondait à une disposition préconisée dans un rapport rendu conjointement par ces organismes gouvernementaux que sont l’IGF, le CGAAER et l’IGAS… Je ne vais pas faire de cette commission une tribune et y refaire le procès de la mondialisation, mais votre position me paraît incompréhensible ! Je rappelle que lors des auditions, un seul syndicat – et ce n’est pas le syndicat majoritaire – a émis des réserves sur l’impact que pourrait avoir sur l’économie agricole la mise en place de la taxe proposée : avec beaucoup de courage et un grand sens des responsabilités, tous les autres syndicats ont affirmé que, s’ils n’appelaient pas de leurs vœux la création de cette taxe – sans doute auraient-ils préféré l’amendement précédent à celui dont nous débattons actuellement –, ils étaient prêts à l’assumer au nom de la responsabilité professionnelle. Vous ne pouvez donc pas faire dire aux syndicats qu’ils sont opposés à cette taxe ! Je vous le répète, si nous rejetons cette seconde solution prévoyant un abondement du fonds, nous revenons au régime « maladies professionnelles et accidents du travail », autrement dit à la case départ.

M. Stéphane Viry. C’est bien ce qu’ils veulent !

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Article 8 : Régime de prescription

La commission rejette l’article 8.

Article 9 : Rapport annuel, modalités d’application et dispositions transitoires

La commission adopte l’article 9 sans modification.

Après l’article 9

La commission est saisie de l’amendement AS27 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Cet amendement de coordination prévoit que la présente loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2020.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

M. Dominique Potier, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie pour les échanges que nous avons eus. Nous avons fait un petit pas en adoptant le principe de la création du fonds d’indemnisation, mais il nous reste beaucoup de chemin à parcourir d’ici à la séance publique si nous voulons aboutir à un texte répondant aux attentes des sénateurs comme à celles exprimées par la société civile tout entière – et il est dommage que, sur ce chemin, le principal obstacle qui se présente à nous semble être constitué par une position trop conservatrice et trop timide du Gouvernement.

La satisfaction que nous pouvons ressentir à l’issue de l’examen de cette proposition de loi doit rester mesurée. En effet, si nous avons créé un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, celui-ci n’a pas vocation à couvrir toutes les personnes ressortissant des métiers du travail de la terre. Contrairement à tous les autres fonds d’indemnisation créés précédemment – je pense notamment au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), au Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ou encore au Fonds d’indemnisation des victimes du Mediator –, il serait le seul à ne pas être basé sur le principe d’une réparation intégrale du préjudice subi par les victimes. Toute liberté est laissée au Gouvernement pour la détermination du délai de prescription et des modalités de remboursement, et quasiment rien n’est dit au sujet des exigences éthiques que nous aurions pu défendre. Plus étonnant encore, ce fonds ne mobilise pas la capacité de recours dans le cas où la responsabilité d’un employeur ou d’un fournisseur serait établie.

Ce premier pas accompli reste donc d’une portée encore trop symbolique et nous devons nous attendre à un vif débat d’idées en séance publique, car il y a pire que de ne rien faire, c’est de faire semblant.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est pour moi tout le sens du débat parlementaire que d’enrichir un texte dans un processus de coconstruction, à la fois en séance publique et en commission, et je me félicite que nous nous soyons livrés à cet exercice ce matin.

  *

La commission examine ensuite la proposition de loi pour des mesures d’urgence contre la désertification médicale (n° 1542) (M. Guillaume Garot, rapporteur)

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Mes chers collègues, nous en venons à l’examen de la proposition de loi pour des mesures d’urgence contre la désertification médicale, dont M. Guillaume Garot est le rapporteur.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, la crise des gilets jaunes et les cahiers de doléances ont mis en lumière une réalité que beaucoup d’entre nous connaissent : je veux parler du quotidien des territoires qui perdent leurs bureaux de poste, leurs gares, leurs perceptions, mais aussi leurs cabinets médicaux, que ce soit dans la Creuse, en Seine-Saint-Denis, dans la Meuse ou dans le Lot.

Pour y remédier, la proposition de loi que nous vous soumettons ce matin s’attache à définir des mesures d’urgence contre la désertification médicale. Que recouvre cette expression en janvier 2019 ?

Paradoxalement, le nombre de médecins inscrits à l’ordre a augmenté au cours des dernières années, puisqu’on comptait 297 000 médecins en 2018 contre seulement 255 000 il y a dix ans. Mais il faut aller plus loin dans le constat, car tous ces médecins ne sont pas en activité médicale, tant s’en faut : le nombre de médecins en activité régulière recule, leur proportion étant passée de 78 % en 2008 à 66,7 % aujourd’hui.

Surtout, les inégalités territoriales sont criantes. En ce qui concerne les médecins généralistes libéraux, le rapport entre le département le moins bien doté et le département le mieux doté est de 2,2 : autrement dit, il y a deux fois plus de médecins généralistes libéraux par habitant dans les départements les mieux dotés. Cet écart est encore plus fort pour certaines spécialités : le rapport entre les départements les moins bien dotés et les mieux dotés est de 1 à 12 pour les ophtalmologistes, de 1 à 24 pour les pédiatres, et de 1 à 23 pour dermatologues – compte non tenu des deux départements qui en sont totalement dépourvus ! Le problème est d’autant plus grave que la situation ne va pas s’améliorer dans les cinq ni même les dix prochaines années, car toute une génération de médecins va prochainement partir en retraite, ce qui va provoquer un creux démographique en 2025.

Face à cette réalité que nul ne conteste, ni le Gouvernement, ni aucun des acteurs que nous avons auditionnés, la ministre de la santé a annoncé un plan d’action, « Ma santé 2022 », qui tente d’apporter certaines réponses, dont certaines me semblent aller dans le bon sens – ainsi la suppression du numerus clausus ou la création des assistants médicaux, visant à libérer du temps médical.

Le problème, c’est que ce plan ne s’attaque pas au cœur du sujet, c’est-à-dire à ces inégalités territoriales. Celles-ci n’ont fait que s’accentuer entre 2010 et 2017. La Nièvre a perdu 27 % de ses médecins généralistes et l’Indre en a perdu 24 % alors que, dans le même temps, d’autres départements ont vu le nombre de leurs médecins augmenter : la Savoie a connu une augmentation de 8 %, les Pyrénées-Atlantiques de 3 %, la Charente-Maritime de 4 % et le Var de 3 % – ce qui, dans ce département, représente 150 médecins supplémentaires rien qu’entre 2012 et 2017.

Le plan annoncé par le Gouvernement présente donc un angle mort, celui des inégalités territoriales, car il ne produira réellement ses effets qu’à moyen et long terme. Or, l’urgence se fait ressentir dès aujourd’hui. Cette urgence est médicale, mais aussi politique, car elle représente un enjeu de solidarité et de responsabilité pour nous tous – législateur, mais aussi élus locaux et professionnels de santé. Je suis convaincu qu’on ne peut faire face à l’urgence territoriale et sociale d’aujourd’hui avec les réponses d’hier : continuer dans cette logique reviendrait à dire aux Français qui se sentent abandonnés que nous n’avons pas l’intention de mettre en œuvre de nouvelles solutions pour leur venir en aide, ce qui ne serait pas responsable. C’est pourquoi nous vous proposons ces mesures d’urgence, dans un souci d’efficacité et avec la conviction qu’il va falloir faire preuve d’audace, en mettant en œuvre des solutions inédites pour lutter contre la désertification médicale.

Partant du constat que toutes les mesures prises jusqu’à présent, quels qu’aient été les gouvernements, n’ont pas produit les effets qu’on en attendait, l’article 1er pose le principe d’une régulation appliquée au moyen d’un conventionnement territorial. Il étend ainsi aux médecins des mesures de régulation par voie conventionnelle – j’insiste sur ce point –, à l’instar de ce qui existe déjà pour d’autres professions de santé. L’objectif de cet article est de contenir la densification des médecins généralistes et spécialistes dans les zones suffisamment dotées, où les besoins de santé sont correctement pourvus.

Nous savons qu’il faut agir sans tarder. C’est pourquoi l’article 1er prévoit dans son troisième alinéa que, si la négociation conventionnelle n’aboutit pas dans les douze mois, c’est la puissance publique qui prendra le relais pour poser le cadre de la régulation. Par ailleurs, lorsqu’on parle d’accès aux soins, l’un des principaux enjeux est celui de l’accessibilité géographique, mais aussi sociale : en certains points du territoire, on trouve beaucoup plus de médecins en secteur 2 que de médecins en secteur 1. Par exception, le conventionnement territorial que nous proposons ne concernerait donc pas les médecins qui s’installeraient en secteur 1 dans les zones où les besoins sont bien pourvus.

Le principe de cette régulation est extrêmement simple : cela consiste à dire aux médecins qu’ils ne doivent pas aller s’installer là où les besoins de santé sont déjà pourvus, et à les encourager à le faire partout ailleurs, là où de nombreux patients les attendent – en d’autres termes, là où on a besoin d’eux.

J’entends des voix s’élever pour dénoncer une atteinte insupportable à la liberté d’installation. Ce à quoi je réponds d’abord qu’il faut se garder d’agiter un chiffon rouge pour éviter d’avoir à traiter le vrai problème… Ensuite, je maintiens qu’encadrer la liberté d’installation relève de l’intérêt général, et qu’il est parfaitement légitime que la Nation, qui forme les médecins et garantit leurs revenus grâce à l’assurance maladie, exprime ses préoccupations et demande qu’il soit apporté une réponse aux carences dans l’offre de soins. Dès lors, il revient au législateur de mettre au point des solutions efficaces, auxquelles seront associés les médecins.

On me dit parfois aussi que la régulation, cela ne fonctionne pas. À cela, j’ai envie de répondre que la régulation n’est qu’une solution parmi d’autres, et qu’elle doit systématiquement être associée à l’incitation : c’est en se combinant que les deux mécanismes atteignent une pleine efficacité.

Au demeurant, si la régulation est aussi inefficace que le prétendent certains, pourquoi en a-t-on retenu le principe pour d’autres professions de santé, notamment les pharmaciens, les infirmiers et infirmières, les kinésithérapeutes et les sages-femmes ? Pourquoi ce qui fonctionne très bien pour toutes ces professions ne fonctionnerait-il pas pour les médecins ?

Voilà pour l’article 1er, qui pose le principe de la régulation à travers le conventionnement territorial.

Les articles 2, 3, 4 et 5 actionnent d’autres leviers afin de parvenir à la plus grande efficacité possible, et c’est bien dans leur globalité qu’il faut considérer toutes ces solutions, qui doivent être mises en œuvre sans jamais perdre de vue l’équilibre que nous devons maintenir.

L’article 2 vise à concentrer les moyens publics sur les projets de santé qui améliorent l’attractivité des territoires, en d’autres termes à flécher des crédits publics vers les projets de territoire les plus innovants, en ce qu’ils répondent aux attentes en termes de pratique médicale, en particulier chez les jeunes générations de médecins. Bon nombre d’entre eux disent préférer exercer en groupe plutôt que de manière isolée : des projets en ce sens peuvent leur être proposés. Ils disent avoir besoin de maintenir un lien avec l’hôpital : il faut privilégier ce lien entre la ville et l’hôpital, et notamment permettre aux médecins libéraux, généralistes et aux spécialistes, d’accéder au plateau technique de l’hôpital. Ils souhaitent pouvoir travailler en télé-expertise et en télémédecine : on peut promouvoir des projets de ce type.

Si, par ailleurs, certains projets de territoire sont de nature à organiser harmonieusement la permanence des soins – ce qu’on appelle les gardes –, ce sera une raison supplémentaire de favoriser leur mise en œuvre. Il s’agit en fait de concentrer des moyens afin de « booster » l’attractivité de territoires qui, s’ils sont peut-être les plus en souffrance en termes de présence médicale, sont souvent aussi les plus audacieux, les plus agiles, les plus innovants en termes de réponses apportées aux demandes des médecins. C’est pourquoi nous proposons une labellisation « territoire innovation santé » destinée à mettre en valeur l’ambition des territoires concernés et surtout à marquer le soutien de la puissance publique à des projets très innovants,

L’article 3 tend à adopter une proposition, adoptée à une large majorité par la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale, dont Philippe Vigier était le rapporteur. Il s’agit de réduire la période probatoire pour les médecins diplômés à l’étranger, hors Union européenne, qui, après avoir réussi le concours, exerceraient en zone sous-dense. Plusieurs points méritent d’être précisés : premièrement, ni le concours ni les épreuves de maîtrise de la langue française ne sont supprimés. Deuxièmement, la période probatoire n’est pas non plus supprimée, ce que proposait du reste la commission d’enquête : il est simplement proposé de la ramener de trois ans à un an – comme cela se fait déjà pour les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes.

L’article 4 reprend deux propositions contenues dans le rapport d’enquête que je viens d’évoquer. D’une part, il introduit le médecin de renfort dans les zones sous-dotées, d’autre part, il étend le recours au médecin adjoint, afin de prévoir la possibilité d’une assistance temporaire en cas de carence de l’offre de soins.

Le dernier article de la proposition de loi, l’article 5, qui s’inscrit également dans le prolongement d’une proposition de la commission d’enquête rapportée par Philippe Vigier, vise à instituer un cadre expérimental de coopération entre les pharmaciens et les médecins, en particulier dans les zones où les besoins de santé sont difficilement pourvus. Pour ce faire, nous avons repris le dispositif proposé à l’occasion du dernier PLFSS par un amendement de notre collègue Delphine Bagarry ; il s’inscrit dans le cadre des projets de santé, en particulier celui des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui constituent l’un des objectifs du plan « Ma santé 2022 ». Et surtout, il est « protocolisé », soumis à une démarche très encadrée, rigoureuse et destinée à rassurer. Le but est de permettre aux pharmaciens de prescrire des médicaments pour des pathologies bénignes – par exemple des conjonctivites, des cystites ou des rhinites – selon un protocole extrêmement normé, ce qui suppose un accord d’ordre technique entre médecins et pharmaciens. Cet article, qui viendrait compléter ce qui est prévu pour les infirmiers en pratique avancée (IPA), vise en fait à élargir l’éventail des solutions destinées à faciliter l’accès aux soins et surtout à faire baisser la pression qui pèse aujourd’hui sur les salles d’attente des généralistes.

Cette proposition de loi ne prétend évidemment pas être l’unique solution à tous les problèmes de désertification. Mais elle est constituée d’un ensemble de leviers qui, actionnés tous ensemble – j’insiste sur ce point – donneront leur pleine efficacité à tous les dispositifs mis en œuvre séparément et sans résultat au cours des dix dernières années.

Pour conclure, je veux insister sur le fait que, si les médecins sont et doivent rester au centre de notre système de soins, nous avons avec eux la coresponsabilité d’apporter des réponses à l’attente tellement légitime exprimée par nos concitoyens en termes d’accès aux soins – à cette question tout à la fois simple et forte : « Comment vais-je faire demain pour être soigné près de chez moi, quand il n’y aura plus de médecins sur le territoire où je vis ? ». Pour répondre à cette question, mes chers collègues, nous avons le devoir de faire preuve d’audace. On ne peut pas continuer comme si de rien n’était ; on ne peut pas légiférer en vase clos, sans entendre ce que nous disent les territoires, ce que nous disent des patients qui perdent peu à peu leurs médecins et qui, demain, risquent fort d’être confrontés à des difficultés encore plus redoutables.

L’accès à la médecine et aux soins n’est ni plus ni moins qu’un des fondements du pacte républicain : tous les Français doivent avoir un égal accès à la santé. C’est un principe qui nous vient de la Résistance. Pour que ce droit continue d’être garanti, nous devons aujourd’hui refonder le pacte républicain, sous la forme d’un nouveau contrat conclu entre la Nation avec nos médecins : tel est le sens de cette proposition de loi.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Avant de passer la parole aux orateurs des groupes, je vous informe que le projet de loi Santé sera déposé sur le bureau de l’Assemblée le 13 février prochain ; l’examen en commission aura lieu durant la semaine du 11 mars, et l’examen en séance publique au cours de la semaine du 18 mars : autrement dit, c’est imminent.

Je donne maintenant la parole aux orateurs des groupes, en commençant par le groupe La République en Marche.

Mme Audrey Dufeu Schubert. Vous avez raison, cher collègue Garot. L’enjeu est partagé, dans quelque groupe que nous siégions : nous devons apporter une réponse à nos concitoyens en matière d’offre de soins. La question trouve un écho particulier dans l’actualité, les doléances citoyennes en témoignent : nous avons la responsabilité de garantir l’accès aux soins.

Notre majorité en a pris conscience il y a plusieurs mois, avant même l’élection du Président de la République : d’abord dans le cadre du programme proposé lors de la campagne présidentielle, évidemment élaboré en concertation, puis à l’occasion du rapport de notre collègue Thomas Mesnier sur l’accès aux soins ou encore de la mission sur la formation des professionnels de santé confiée à Stéphanie Rist au premier semestre de l’année 2018. Ce à quoi viendra s’ajouter, au cours des prochaines semaines, le projet de loi relatif à la santé que présentera Agnès Buzyn dans le cadre de la réforme « Ma santé 2022 ».

Il est donc intéressant d’étudier, monsieur le rapporteur, votre proposition de loi relative à la désertification médicale, question à laquelle il est urgent de répondre. Une étude transpartisane doit nous permettre une réponse collective.

Cependant, nous nous interrogerons également sur la notion de conventionnement sélectif. Cette proposition de loi a déjà été déposée par le groupe auquel vous appartenez, monsieur le rapporteur, elle a même été déposée sous la présidence de François Hollande. Pourquoi donc des mesures qui avaient alors été rejetées ne le seraient-elles pas aujourd’hui ?

Toujours soucieuse de voir adopter des mesures législatives pertinentes, notre majorité est ravie de pouvoir examiner ce matin cette proposition de loi et peut-être d’offrir à nos territoires ruraux, mais aussi urbains, une réponse de nature à résoudre certains paradoxes, à remédier à de profondes disparités en matière d’accès aux soins. Quand on parle de désertification, on parle de phénomènes en réaction à des changements…

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je suis obligée de vous prier de conclure, chère collègue. Chaque porte-parole de groupe n’a que deux minutes.

Mme Audrey Dufeu Schubert. … Il sera de notre responsabilité de les observer.

M. Jean-Carles Grelier. Monsieur le rapporteur, merci d’ouvrir devant notre commission ce débat d’une actualité particulière sur la démographie médicale et la présence des médecins sur notre territoire ; la question est d’actualité, mais depuis déjà des mois. Nombreux sont les groupes d’opposition de l’Assemblée nationale qui, par leurs propositions de loi, ont appelé l’attention sur ce problème, sans avoir jusqu’à présent retenu celle de la majorité.

Avec le groupe Les Républicains, je me réjouis que les débats sur « Ma santé 2022 » s’ouvrent dans quelques semaines, mais je déplore qu’il soit prévu de traiter les questions des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et de l’implantation des médecins par voie d’ordonnances. Cela privera la représentation nationale d’un débat important.

À mon avis, monsieur le rapporteur, il est une dimension que vous n’avez pas suffisamment prise en compte, notamment à l’article 1er : l’hôpital est devenu le premier concurrent de la médecine de ville. Pour un étudiant en médecine, il est beaucoup plus attractif que l’exercice libéral, ce que la suppression, envisagée dans le cadre de « Ma santé 2022 », du concours de praticien hospitalier ne fera qu’accentuer. Là réside la vraie difficulté. Tant que nous n’aurons pas corrigé ce problème, nous ne ramènerons pas les médecins vers la médecine de ville. Le message qu’adresse votre article 1er, avec cette coercition qui ne dit pas son nom, induira immanquablement un report des médecins vers l’hôpital et non vers la médecine de ville. Tous les syndicats de jeunes médecins, tous les syndicats d’étudiants en médecine sont opposés à tout ce qui pourrait restreindre leur liberté d’installation.

Réfléchissons plutôt aux raisons pour lesquelles celui qui entame aujourd’hui un cursus médical ne se destine pas à la médecine générale : il n’y est pas incité, il n’en a pas le goût et, lors des examens classants nationaux, elle n’est pas la filière d’excellence. Ce sont là les véritables questions, sur lesquelles votre proposition de loi, à mon grand regret, n’ouvre pas le débat.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Cette proposition de loi de notre collègue Guillaume Garot fait écho à celle que nous avions examinée l’an dernier. Elle est étoffée de plusieurs dispositions intéressantes, notamment aux articles 4 et 5 qui prévoient respectivement des mécanismes d’assistance aux médecins en zone sous-dotée et une expérimentation qui concerne les pharmaciens.

Toute la question réside dans le conventionnement territorial : est-ce efficace ? Notre conviction est que non ; c’est même contre-productif. Vous donnez une mauvaise réponse à la question, prioritaire, de la désertification médicale, à l’heure où seuls 15 % des jeunes médecins s’installent en libéral. Avec ce dispositif, leur appétence pour la médecine libérale sera encore moindre, et ils continueront de s’orienter vers l’hôpital. Nous proposons un amendement de suppression de l’article 1er.

Toutefois, parce qu’il est favorable à une vision holistique, et non symptomatique, de notre système de santé, le groupe MODEM examinera et bienveillance les articles 4 et 5 qui prévoient des mesures concrètes de soutien, et non des contraintes, et une extension à titre expérimental des compétences des pharmaciens d’officine.

M. Boris Vallaud. Je remercie Guillaume Garot pour sa constance et sa persévérance.

La majorité annonce une loi prochaine, mais un certain nombre des propositions formulées aujourd’hui l’avaient déjà été il y a un an. Vous y aviez répondu de façon dilatoire en assurant que le meilleur viendrait certainement des propositions que la majorité formulerait. On entend s’exprimer une demande de justice, d’égalité dans l’accès aux services publics, en particulier le service public de la santé. Force est de constater que cette égalité n’est pas assurée dans nos territoires, ce n’est pas normal et cela suscite un considérable sentiment d’abandon. On reproche donc à la puissance publique de ne pas se donner les moyens de ses ambitions et de sa politique.

Pourquoi n’avons-nous pas pris les mesures proposées par M. Garot plus tôt, en particulier dans le précédent quinquennat ? Oui, nous aurions dû le faire. Ne pas répondre à une demande sociale forte fait des dégâts, non seulement sanitaires mais aussi politiques ; nous le voyons lucidement.

La proposition du groupe Socialistes et apparentés est équilibrée : c’est une mesure de régulation, qui prend en compte l’évolution des pratiques professionnelles des médecins et répond à une demande d’innovation qui émane non pas seulement de nos concitoyens mais aussi des praticiens. Je connais bien les médecins installés dans les territoires ruraux ; s’ils n’avaient pas le sens de leur mission, certains auraient pris leur retraite il y a longtemps.

Nous appelons la représentation nationale à faire preuve d’audace en adoptant cette proposition de loi qui répond à une demande sociale.

M. Paul Christophe. Merci, monsieur le rapporteur, d’inscrire une nouvelle fois à l’ordre du jour de notre commission le sujet de la désertification médicale. Même s’il ne figure pas explicitement parmi les quatre thèmes retenus pour le grand débat national, nous savons tous à quel point ces difficultés d’accès à un médecin préoccupent quotidiennement nos concitoyens. La question de la désertification médicale se pose de manière trop récurrente, puisque nous n’avons pas encore trouvé la bonne solution, l’équilibre qui respecterait tout à la fois la liberté d’installation des médecins et la nécessité d’une bonne répartition dans les territoires.

Vous proposez, monsieur le rapporteur, de faire du conventionnement des médecins un outil de régulation pour ainsi rééquilibrer l’offre de soins au profit des zones insuffisamment dotées. Sans remettre en cause la liberté d’installation des médecins, vous conditionnez leur conventionnement à la densité de l’offre de soins sur le territoire ; malheureusement, cette mesure ne garantirait pas la présence de médecins dans certaines zones rurales. Vous proposez d’empêcher l’installation dans des zones surdotées mais en oubliant d’agir sur l’attractivité des zones sous-dotées. Les bénéfices de cette mesure demeureront par ailleurs limités quand on sait que neuf médecins diplômés sur dix choisissent d’exercer à l’hôpital. Il ne faut donc pas seulement rendre plus attractive l’installation dans certains territoires : il faut également rendre plus attractive la médecine de ville.

Vous proposez également, dans le cadre d’une expérimentation, de s’appuyer sur les pharmaciens d’officine. Ils pourront dispenser certains médicaments à prescription médicale obligatoire. Les pharmaciens ne sont pas prescripteurs. Cependant, ils sont présents sur tout le territoire, en raison de règles d’installation bien plus contraignantes. La pharmacie constitue aujourd’hui un lieu de santé de proximité dans les territoires que les médecins ont préféré déserter. Dans le cadre de la campagne de vaccination antigrippale, les pharmaciens ont déjà démontré qu’ils pouvaient aider ; pourquoi donc ne pas aller plus loin, notamment dans le cas de pathologies mineures, et nous appuyer sur notre formidable maillage pharmaceutique ? Choisir de mener une expérimentation me semble cohérent.

Cette proposition de loi, qui ne compte que peu d’articles, ne prétend pas à elle seule, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, résoudre toutes les inégalités territoriales d’accès aux soins. Cependant les mesures proposées ont le mérite de faire bouger les choses.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants les examinera avec bienveillance, même si certaines dispositions pourraient trouver à s’intégrer dans le projet de loi qui nous sera très prochainement soumis dans le cadre du plan « Ma santé 2022 ».

M. Jean-Hugues Ratenon. Les inégalités d’accès à la santé sont criantes et s’aggraveront encore au cours des prochaines années, si nous ne faisons rien. La population médicale continuera de diminuer jusqu’en 2025, compte tenu du nombre de médecins sur le point de partir à la retraite. : les médecins âgés de soixante ans ou plus représentent 47 % de l’ensemble des médecins inscrits au tableau de l’ordre – ils n’étaient que 25 % en 2007.

Comme l’année dernière, le groupe socialiste et apparentés présente une proposition de loi visant à lutter contre la désertification médicale. Cette nouvelle version reprend une des propositions phares de la précédente : le conventionnement sélectif de des médecins. Concrètement, il s’agit d’empêcher qu’un médecin s’installe, comme il peut actuellement le faire, dans une zone déjà dense. À l’époque, nous avons ardemment défendu cette proposition, même si elle est moins ambitieuse que nos solutions, même si le groupe LR et d’autres l’ont jugée « soviétique ». La situation va empirer, chers collègues. Il y a urgence à agir. Nous sommes donc favorables aux mesures relatives au conventionnement des médecins.

En revanche, deux autres points nous inspirent de vives inquiétudes. Premièrement, nous nous interrogeons sur le plus large recours aux praticiens diplômés hors de l’Union européenne, sans réflexion sur leur statut et leurs conditions de travail. Deuxièmement, la proposition de permettre aux pharmaciens de délivrer des médicaments sans prescription obligatoire nous inquiète vivement. Paradoxalement, cette mesure entérine une désertification à laquelle elle offre un bien étrange palliatif, comme si le problème de l’accès aux soins était un problème d’accès aux médicaments, alors qu’il s’agit surtout d’un problème d’accès à l’examen médical en lui-même. Déplacer la responsabilité de la prescription vers les pharmaciens nous semble, dans le contexte actuel, très dangereux.

Le groupe La France insoumise attend donc des précisions sur ces deux points.

M. Pierre Dharréville. Les déserts médicaux et l’accès à la médecine sont un sujet majeur dont nous avons déjà eu à traiter à plusieurs reprises dans le cadre de cette commission, notamment l’an dernier, déjà à l’initiative de Guillaume Garot et de son groupe. Il est urgent d’agir.

Nous avons accueilli favorablement la remise en cause du numerus clausus que nous demandions depuis très longtemps mais, pour être réellement efficace, cette mesure doit s’accompagner d’une volonté de former des médecins en plus grand nombre. Or, pour l’instant, nous considérons que ce n’est pas le cas.

Ensuite, même si ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi, j’appelle l’attention de notre commission sur l’opportunité d’un fort développement des centres de santé. Cela ne s’oppose pas à ce qui est proposé par notre collègue, mais c’est une des réponses que nous devons donner aux aspirations nouvelles des jeunes médecins qui cherchent à s’installer.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, votre article 5 et le rôle que vous souhaitez pouvoir faire jouer au pharmacien nous inspirent quelque doute. Un certain nombre de pharmaciens de ma circonscription étaient déjà dubitatifs sur le rôle qui leur était donné en matière de vaccination, en vertu d’une disposition précédemment adoptée. Nous ne sommes pas certains que cette solution soit bonne.

Le groupe GDR n’en soutient pas moins l’esprit de cette proposition de loi et estime que le conventionnement sélectif pourrait être un outil de régulation. Il est absolument nécessaire de donner à la puissance publique un outil d’intervention qui lui permette de mieux répartir l’offre médicale sur le territoire.

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le rapporteur, l’examen de votre proposition de loi nous permet d’évoquer ce matin, une fois encore, le sujet de l’accès aux soins, prégnant pour beaucoup de citoyens, et qui participe largement au malaise de notre société. Et, vous avez raison, il y a urgence. J’ai ainsi constaté l’échec des dispositifs mis en œuvre jusqu’à présent pour lutter contre ces inégalités, en particulier tous les dispositifs incitatifs. Or le groupe Libertés et territoires ne peut accepter que des Français soient plus ou moins bien soignés selon le territoire où ils vivent.

Il nous faut parvenir à un équilibre entre la liberté d’installation des médecins, à laquelle nous sommes attachés, et un accès à la santé garanti à chaque Français. Eu égard à l’urgence de la situation, nous considérons que toutes les solutions peuvent et doivent être débattues, d’autant plus que la solution régulatrice proposée par M. Garot et ses collègues du groupe socialiste, si elle est appliquée à d’autres professionnels de santé, n’a jamais été mise en œuvre ni même expérimentée pour les médecins.

Cependant, les dispositions proposées par ce texte dont nous reconnaissons tout l’intérêt ne restent malheureusement que des mesures d’urgence. Faute d’une politique forte et globale en faveur de l’attractivité des territoires – au-delà de la question de la santé –, l’efficacité de ces dispositifs de coercition risque d’être limitée, s’ils ne se révèlent pas contre-productifs.

Afin d’apporter une réponse équilibrée à une dramatique désertification médicale, la récente commission d’enquête sur l’égal accès aux soins, dont Philippe Vigier était le rapporteur, a formulé plusieurs propositions ambitieuses. Il s’agit avant tout de mobiliser le maximum de professionnels de santé sur tout le territoire, grâce à des mesures simples d’effet immédiat : ainsi l’exonération de cotisations retraite pour les médecins exerçant en cumul emploi-retraite dans les zones en tension, la création d’un statut de médecin volant pour des médecins « thésés », la création d’un statut de médecin assistant de territoire ou encore la révision de la procédure d’autorisation d’exercice.

En tout état de cause, nous soutenons votre texte, mais nous considérons que ces mesures intéressantes ne sont pas suffisantes pour relever le défi de l’égal accès aux soins.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux questions des députés.

M. Jean-Pierre Door. Nous sommes tous d’accord effectivement sur le constat, monsieur le rapporteur, mais, pour nous, membres du groupe Les Républicains, ce n’est pas la bonne réponse. Vous ressortez cette vieille lune de conventionnement sélectif que tous les ministres de gauche comme de droite, même la ministre actuelle, ont repoussé, ainsi d’ailleurs que tous les représentants des étudiants en médecine. N’oublions pas que moins de 8 % des étudiants choisissent la médecine générale, soit – ce sont les chiffres du conseil de l’ordre – environ 600 généralistes par an pour 100 départements. Faites le calcul par département…

Vous allez dissuader les étudiants de choisir la médecine libérale et plus encore la médecine générale. Vous écrivez dans votre rapport que le principe de la liberté d’installation demeure, mais c’est hypocrite : en vérité, le conventionnement sélectif le remettra bel et bien en cause. Déconventionner un médecin revient finalement à dérembourser les malades ; vous dérembourseriez les patients des médecins qui s’installeraient où ils veulent – et aucun médecin n’ira où il ne veut pas aller, il faut le savoir. Jamais vous ne parviendrez à l’y contraindre en l’y poussant avec un couteau dans le dos.

Nous réaffirmons pour notre part qu’une politique de santé publique ne peut se faire contre les professionnels de santé. Or ceux-ci forment leur projet professionnel dès l’entrée en premier ou deuxième cycle. Si au terme des douze à quinze ans d’études qu’ils font pour réaliser leur projet professionnel, vous les engagez à aller ailleurs, ils choisiront le salariat à l’hôpital. Ce que vous proposez, monsieur le rapporteur, a échoué en Allemagne, en Autriche et en Belgique. J’ai été y voir comment cela se passait. Ne faisons pas pareil.

Mme Delphine Bagarry. Cette proposition de loi vise à améliorer la couverture médicale en ciblant spécifiquement les territoires les moins dotés. Nous ne pouvons que souscrire à cet objectif. La suppression du numerus clausus, dont nous débattrons lors de l’examen du projet de loi consacré à santé que nous proposera prochainement le Gouvernement, n’est qu’une solution de long terme, qui ne peut répondre à ce besoin immédiat. Il faut malgré tout faire attention et nous en débattrons, en veillant à ne pas créer d’autres déséquilibres. Ne pensez-vous pas que nous prenons le risque de démultiplier les déconventionnements ? Ne pensez-vous pas que nous prenons aussi le risque d’une offre de soins toujours plus favorable aux médecins et non aux patients ? Il n’en reste pas moins qu’un dispositif équivalent existe pour d’autres professions de santé et que la proposition que vous nous faites, monsieur le rapporteur, mérite débat afin de nous assurer de sa pertinence.

Pour ma part il me semble plus intéressant d’insister davantage sur l’organisation des soins et l’articulation entre les professionnels, entre l’hôpital et la médecine ambulatoire. Ce sera l’enjeu du futur projet de loi si nous entendons résoudre partiellement le problème que pose cette baisse de la démographie médicale.

À vous entendre, monsieur le rapporteur, les jeunes médecins ne voudraient s’installer qu’en équipe ; à mon avis, le travail en équipe est davantage un moyen de répondre aux besoins liés à l’organisation des soins et aux maladies chroniques qu’une réelle volonté des jeunes médecins.

Enfin, je souscris totalement au dispositif que vous proposez à l’article 5 – je l’avais moi-même proposé lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Il faut insister sur le fait qu’il valorise les compétences des uns et des autres, qu’il valorise la coordination entre les différents professionnels et qu’il facilite l’accès aux soins, qui pourront être fournis plus rapidement et plus efficacement.

Mme Isabelle Valentin. Le nombre de médecins n’a jamais été aussi élevé. Pourtant, la désertification médicale s’aggrave, et le manque de médecins entraîne, nous le savons, l’engorgement des urgences et la désorganisation et le dysfonctionnement de notre système de santé. Bientôt, un médecin sur deux aura plus de soixante ans. La médecine générale est peu valorisée et attire peu de jeunes. Si nous ne prenons pas de mesures efficaces, cette situation va s’accentuer, et la suppression du numerus clausus ne portera ses effets que dans quinze ans. Les jeunes médecins sont attachés à leur projet de vie, et la féminisation de la profession, le souhait de travailler ensemble et en équipe sont des éléments à prendre compte dans nos réflexions.

La création des maisons de santé est aussi une des solutions qui fonctionne relativement bien dans mon département, mais l’agence régionale de santé (ARS) doit assouplir les règles ; abaisser le seuil obligatoire de deux médecins à un médecin a tout son sens dans les communes rurales. Dans mon département de Haute-Loire, des médecins, des dentistes diplômés hors de l’Union européenne ne peuvent s’installer alors que nous manquons des professionnels de santé. L’assouplissement des règles d’exercice et des procédures d’autorisation de ces praticiens diplômés mérite d’être étudié. Une validation des compétences après un an d’exercice en structure, en France, paraît intéressante et de nature à favoriser les installations de professionnels de santé.

La loi de 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui visait notamment à favoriser le maintien à domicile, a désengorgé les hôpitaux mais surchargé les professionnels de santé de ville et les services d’aide à la personne, sans que le travail de ceux-ci bénéficie d’aucune revalorisation financière. Nous devons impérativement nous pencher sur la révision de la nomenclature des infirmiers libéraux et sur le remboursement des frais kilométriques de nos professionnels de santé et des services d’aide à domicile, dont le statut doit lui aussi être valorisé.

M. Julien Borowczyk. Monsieur le rapporteur, je voudrais vous interroger sur l’envers du décor, autrement dit sur les chiffres. Aujourd’hui, sans tomber dans l’archéologie politique, nous payons un peu les pots cassés. La courbe d’évolution du numerus clausus a marqué une baisse drastique à partir des années quatre-vingt : c’était un choix politique que de diminuer le nombre d’étudiants en deuxième année de médecine. Tant et si bien que, à croire les chiffres officiels, nous nous classions en 2014 au vingtième rang, derrière la Lettonie, en nombre de médecins pour 100 000 habitants !

Il y a jamais eu autant de médecins, avez-vous dit. Je l’entends, mais nous savons aujourd’hui – c’est aussi cela, l’envers du décor – qu’il faut en fait deux à trois médecins pour faire un médecin, parce que les médecins travaillent différemment et que se pose la question du temps médical efficace. Aujourd’hui, grâce à certaines réformes, en particulier la création des assistants médicaux, nous allons pouvoir supprimer du temps administratif et rendre du temps médical au médecin ; c’est important, et c’est un facteur d’attractivité. Rendre un quart de temps médical partout en France aux médecins de toutes les spécialités, c’est, mathématiquement, comme si nous augmentions de 25 % le nombre de médecins. C’est un nouveau souffle pour la médecine ; et cela fait partie de la réforme « Ma santé 2022 » et du projet de loi bientôt déposé.

Pour ce qui est des pharmacies, même si la profession est réglementée, n’oublions pas que le coût de rachat d’une pharmacie est énorme, et que cela donne lieu à des effets d’aubaine. Des groupes rachètent aujourd’hui des pharmacies et les fusionnent. Cela aussi doit nous amener à nous interroger.

M. Joël Aviragnet. Nous sommes dans une situation d’urgence. Le droit à la santé, comme l’a très bien rappelé notre rapporteur Guillaume Garot est un droit de base que revendique la population. Avec les difficultés d’accès, nous assistons à de plus en plus de manifestations d’agressivité et d’incivilités envers le corps médical – n’oublions pas que la maladie nourrit l’angoisse.

Rappelons d’ailleurs que c’est une des premières revendications des gilets jaunes : trouver des moyens pour qu’à la fin de leurs études les jeunes médecins, avant même d’aller à l’hôpital ou ailleurs, travaillent un temps en milieu rural. Compte tenu de l’échec des mesures incitatives – nous en prenons depuis un certain temps –, une régulation doit être instaurée. À défaut, je crains que ces cabines de consultation qui ont le vent en poupe ne remplacent le corps médical, au risque de faire disparaître toute dimension relationnelle, toute dimension clinique de l’exercice médical. Et restera-t-il des pharmacies ? Comme il y aura moins de prescriptions, nous pourrions également nous retrouver avec de moins en moins de pharmacies.

M. Bernard Perrut. La désertification médicale est un des symptômes de cette fracture territoriale que nous évoquons souvent. Je partage bien sûr le constat du rapporteur : la désertification est un problème majeur de notre pays. M. Garot évoque bien sûr les territoires ruraux, mais n’oublions pas que le phénomène touche certains quartiers de nos villes moyennes et grandes villes.

Cependant, des mesures coercitives qui remettent notamment en cause la liberté d’installation des médecins ne remédieront pas aux déserts médicaux. Cela a été largement rejeté dans un certain nombre de pays où des expérimentations ont été faites.

Les professionnels de santé doivent être acteurs de cette lutte, en lien avec les élus locaux, inquiets et très mobilisés. Je crois beaucoup, pour ma part, aux maisons de santé, à leur réussite et à la complémentarité des activités pour les médecins qui peut à la fois exercer en hôpital ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et développer une activité libérale sur un territoire beaucoup plus large. Un certain nombre d’exemples montrent que cela permet d’assurer un maillage territorial – j’ai déjà évoqué le sujet. Il faut pouvoir développer cela.

Cette proposition de loi remet en cause le conventionnement d’un médecin libéral dans une zone d’excédent d’offre de soins, mais comment disposer d’un vivier suffisant de médecins généralistes qui ne seraient pas effrayés par ce déconventionnement sélectif ? Comment également éviter d’encourager le choix du secteur 3 et la pratique d’honoraires libres ? Ce dispositif trouve très vite un certain nombre de limites. C’est la raison pour laquelle votre proposition, cher collègue Garot, me trouve quelque peu réticent. Je suis pour ma part très favorable à une évolution qui joue sur des complémentarités – élément à mes yeux essentiel.

M. Thomas Mesnier. Nous revenons, monsieur le rapporteur, à une thématique qui vous est chère, comme à toutes et tous ici. Je me félicite que nous débattions de santé et d’accès aux soins dans notre commission, un mois avant l’examen du projet de loi du Gouvernement. Cependant, je rappellerai les mots des jeunes professionnels de santé auditionnés, ces jeunes médecins avec qui nous devons faire le système de santé de demain : ils ont qualifié, monsieur le rapporteur, votre proposition de dangereuse, de démagogique et d’inefficace – ce sont leurs propres termes ! Comme eux, je crois que vous prenez un peu le sujet à l’envers. Nul, dans cette salle où notre commission siège, ne vous dira que son territoire compte trop de médecins. La qualification de zones sur-denses n’est qu’une notion purement statistique.

Vous avez évoqué des territoires ruraux – ma Charente ne fait pas exception, qui perd malheureusement des médecins chaque année – mais nous pourrions aussi évoquer Paris, zone on ne peut plus urbaine, qui en a perdu 28 % en un an ! Ce problème de démographie médicale qui nous concerne toutes et tous va s’aggraver jusqu’en 2025.

Le cœur du sujet, c’est le nombre de médecins, c’est le temps médical, et je crois que vos propositions, notamment ce conventionnement sélectif qui est l’objet de l’article 1er, nous exposent à de graves risques. Il entraînerait – certains collègues l’ont dit – des inégalités financières d’accès aux soins, puisque des déconventionnements interviendraient. Ce serait aussi probablement un nouveau coup porté à l’exercice libéral, très dangereux alors que nous manquons de médecins ; à l’heure actuelle, 25 % des jeunes médecins n’exercent pas.

Je m’interroge aussi sur l’article 3. J’ai le sentiment que vous êtes prêts à mettre la sécurité et la qualité du soin en jeu dans des zones sous-denses, mais l’examen des articles nous donnera l’occasion d’en débattre.

Mme Josiane Corneloup. Merci, monsieur le rapporteur, pour cette proposition de loi. La lutte contre la désertification médicale est un sujet qui nous préoccupe tous.

L’article 1er vise à déconventionner sélectivement des médecins, ce qui pourrait avoir des effets pervers en contradiction avec l’objectif visé : les jeunes médecins risquent de se détourner de la médecine générale qui est déjà le parent pauvre de la médecine en France – seuls 8 % choisissent la médecine générale. Je suis plus favorable à des mesures incitatives qu’à des mesures coercitives.

Quant à l’article 2, le fonds d’intervention régional (FIR) finance des actions et des expérimentations validées par les agences régionales de santé en faveur de la performance, de la qualité, de la coordination, de la prévention, de la promotion, ainsi que de la sécurité sanitaire. Je suis bien évidemment favorable aux innovations, notamment celles construites à partir des territoires : les problèmes de démographie médicale n’ont pas de solution unique et nous devons être novateurs. Cependant, faire de cela une mission supplémentaire du FIR n’est pas forcément pertinent au vu de son objet même, qui est de soutenir l’innovation et la promotion de la santé.

La mesure proposée dans votre article 3 vise à favoriser l’accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire, de même que l’article 4. Nous ne pouvons qu’y être favorables.

Enfin, pour ce qui est de l’article 5, compte tenu du maillage harmonieux du territoire par les pharmacies, l’idée de les autoriser, dans le cadre d’expérimentations d’une durée de trois ans, à dispenser certains médicaments à prescription médicale obligatoire, me paraît judicieuse. Cela contribuera à pallier les difficultés croissantes que rencontrent nos concitoyens pour obtenir une consultation médicale dans un délai raisonnable et à proximité de chez eux ; mais n’oublions pas pour autant le rôle des infirmiers et infirmières qui ont une connaissance parfaite de leurs patients et de leur environnement. Ce sont des acteurs sur lesquels nous devons nous appuyer. Il est indispensable que leur nomenclature soit révisée et leur indemnisation kilométrique revalorisée.

M. Guillaume Garot, rapporteur. Je vous remercie pour ces interventions argumentées. Je ne répondrai pas à chacune dans le détail, mais rappellerai quels sont l’esprit et l’objectif de cette proposition de loi.

Prendre les choses dans le bon sens, monsieur Mesnier, ce n’est pas se faire le porte‑parole de telle ou telle corporation ou organisation syndicale ; c’est répondre aux problèmes de nos concitoyens. À cet égard, je vous invite, mes chers collègues, à envisager le problème non pas du point de vue du médecin, mais d’abord de celui du citoyen, pour ensuite trouver les solutions avec les professionnels de santé. C’est cela, notre rôle de législateur ; dois-je vous le rappeler ?

Nous devons trouver une nouvelle cohérence. Tous ceux qui se sont prononcés contre la régulation nous appellent à continuer avec l’incitation. Autrement dit avec ce qu’on fait depuis des années et des années. Et pour quels résultats, chers collègues ? Dois-je vous rappeler l’ensemble des dispositifs contractuels et des aides conventionnelles mis en œuvre, et qui coûtent une fortune aux organismes de l’assurance maladie et à la nation dans son ensemble ? J’en ai dressé la liste, qui figure dans mon rapport.

Devant ce constat, pourquoi vous empêchez-vous d’envisager de recourir à la régulation ? Du reste, celle-ci existe déjà pour d’autres professions de santé sans poser aucune difficulté. La régulation vise à assurer une répartition juste et harmonieuse sur l’ensemble du territoire national. Le résultat est là, comme on le voit à travers l’exemple des pharmaciens : on en trouve partout – sauf précisément là où il n’y a plus de médecins pour prescrire. Là est donc bien le problème, et voilà pourquoi je vous ai dit tout à l’heure que le médecin, et particulièrement le médecin généraliste, était au centre du dispositif.

La responsabilité nous commande de ne pas dire : « Continuons à faire comme nous avons toujours fait, nous ne voulons surtout pas faire autrement. » En effet, c’est précisément le genre de discours que les Français n’acceptent plus. Vous devez tout de même avoir conscience de ce qui se passe dans nos territoires, de l’attente de nos concitoyens. Et nous répondrions, ce matin : « Eh bien non, ce n’est pas possible parce que cela ne s’est jamais fait. » Je m’excuse de le dire, mais ce n’est pas là, cela ne peut pas être la bonne réponse.

M. Cyrille Isaac-Sibille. La bonne réponse n’est pas non plus de faire ce que vous proposez !

M. Guillaume Garot, rapporteur. Certains me disent que cela ne marche pas à l’étranger. Prenons le cas du Royaume-Uni : si la régulation n’y a pas fonctionné, c’est tout simplement parce que le nombre de médecins formés était largement inférieur aux besoins. Tel était le cœur du problème.

M. Gilles Lurton. C’est aussi le cas en France…

M. Guillaume Garot, rapporteur. Le problème en France, cher Gilles Lurton, est que certains territoires sont largement dotés par rapport à d’autres, en matière de généralistes comme de spécialistes. Dois-je vous rappeler les chiffres que j’ai cités tout à l’heure ? Il faut bien que remédions à cette inégalité, parce que les Français ne la comprennent pas – et ils ont raison. Nous devons donc trouver des solutions.

Jean-Carles Grelier m’a objecté que les médecins – en particulier les jeunes – allaient se reporter sur l’hôpital, au détriment de l’exercice libéral. Mais il ne suffit pas de venir frapper à la porte de l’hôpital pour s’y faire embaucher : encore faut-il qu’il y ait des postes… En soi, cela constitue d’ailleurs une forme de régulation : on ne va pas exactement où on veut, mais là où il y a des postes.

Mme Dufeu Schubert et plusieurs de nos collègues, en particulier du groupe Les Républicains, m’ont objecté que si aucun gouvernement n’avait essayé de faire ce que nous proposons, il devait y avoir de bonnes raisons à cela. Cette explication n’est pas suffisante. Au demeurant, Boris Vallaud a souligné la constance de cette proposition. En effet, nous l’avons déjà présentée l’an dernier. De plus – je vais faire un peu d’histoire –, j’étais de ceux qui soutenaient déjà l’idée d’une régulation sous la précédente majorité, à laquelle j’appartenais. Or savez-vous qui d’autre défendait l’idée à cette époque, qui proposait un conventionnement territorial ? Ma voisine, Brigitte Bourguignon.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Oh ! Ce n’est pas très élégant !

M. Gilles Lurton. Ce n’était pas le cas de Marisol Touraine !

M. Guillaume Garot, rapporteur. Ça, c’est vrai…

Brigitte Bourguignon, mais aussi d’autres membres éminents de la majorité actuelle – ils ne sont pas dans cette salle mais sont, qui au Gouvernement, qui à la présidence de l’Assemblée nationale – soutenaient donc l’idée. C’est à eux qu’il faut demander pourquoi ils l’ont abandonnée. En ce qui me concerne, je crois avoir le mérite de la persévérance et de la constance. Je suis absolument convaincu que la régulation est une solution ; je ne dis pas qu’elle est la seule, mais c’est une des solutions qu’il faut mettre en œuvre pour que toutes les autres soient efficaces.

La régulation seule, je viens de le dire, n’est pas suffisante. C’est la raison pour laquelle il faut une incitation très forte – ce que je propose dans l’article 2, avec les territoires innovation santé. L’objectif est de répondre aux attentes et aux besoins exprimés par les jeunes générations de médecins en termes de pratiques médicales – qu’il s’agisse des liens développés avec les plateaux techniques des hôpitaux, de la télé-expertise et de la télémédecine, ou encore de l’organisation de la permanence des soins. Tout cela est de nature à développer l’attractivité d’un territoire. Jeanine Dubié a tout à fait raison : il faut non seulement traiter de la santé, mais aussi envisager la question de l’attractivité dans un cadre beaucoup plus vaste. Nous pouvons tous en témoigner : nous nous battons tous, là où nous sommes élus, là où nous faisons notre œuvre de députés de terrain, pour renforcer l’attractivité de nos territoires, mais il est vrai qu’on doit lier l’attractivité médicale aux autres activités. L’attractivité vaut aussi dans le domaine économique, pour les transports et les services – et on en revient, à cet égard, à la question des services publics, qui est posée dans notre pays.

J’ai entendu certaines réserves, voire des préventions, à l’égard des articles 3 à 5. Pierre Dharréville a dit que nous nous occupons de la médecine libérale, mais qu’il y a aussi d’autres formes de pratique, notamment le salariat. Bien sûr ; de nombreux jeunes médecins éprouvent même une appétence forte pour cette forme d’exercice. Même si nous n’abordons pas le sujet dans cette proposition de loi, il va de soi que la médecine salariée a toute sa place dans le cadre des territoires innovation santé. Mais cela va mieux en le disant.

M. Mesnier a dit, à propos de l’article 3 – il s’agit des médecins formés en dehors de l’Union européenne et venant exercer en France –, que nous mettons en péril la sécurité. Permettez-moi de vous dire qu’il ne faut pas raconter n’importe quoi, ni diffuser des informations inexactes. En effet, l’article 3 se borne à modifier la durée de la période probatoire, qui s’ajoute à l’examen des connaissances théoriques du médecin étranger et à l’évaluation de sa pratique de la langue française. Il ne s’agit donc en aucun cas de remettre en cause ces deux examens : l’exigence vis-à-vis des qualifications des médecins – que ce soit sur le plan théorique et technique ou s’agissant de leurs connaissances linguistiques – reste strictement la même. Simplement, puisqu’il faut dégager du temps médical – comme vous le recommandiez à juste titre, monsieur Mesnier –, nous proposons de réduire la durée de la période probatoire de trois ans à un an. Cela met-il en péril la sécurité ? Non. S’il y a le moindre doute sur un médecin, je suis sûr que celui-ci n’aura pas satisfait au contrôle de ses connaissances et de sa maîtrise de la langue française – aspect qui pose souvent problème.

J’ajoute, cher Thomas Mesnier, que vous avez certainement voté en faveur du rapport de la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins.

M. Thomas Mesnier. Certes, mais sans en approuver toutes les propositions.

M. Guillaume Garot. Or, il se trouve que celle-ci proposait même de supprimer purement et simplement la période probatoire. Il faut donc être cohérent : on ne peut pas voter en faveur d’une chose au mois de juillet et préconiser le contraire au mois de janvier.

M. Thomas Mesnier. Je suis cohérent : je n’ai justement pas approuvé cette proposition !

M. Guillaume Garot, rapporteur. En ce qui concerne le niveau du numerus clausus, monsieur Borowczyk, quand on regarde de près la situation à la fin des années 1990 et au début des années 2000, on considérait alors qu’il était à peu près conforme aux besoins estimés. Actuellement, nous savons qu’il faudra attendre 2025 pour retrouver le niveau de 2018. Cela pose d’autant plus problème que la situation de l’année 2018 est moins bonne que celle du début des années 2000.

Nous allons poursuivre le débat cet après-midi à l’occasion de l’examen des amendements. Je préciserai alors tel ou tel argument, répondrai à telle ou telle réserve. Quoi qu’il en soit, ce que j’attends de notre débat, c’est que nous répondions vraiment à l’attente des Français et que nous considérions les médecins comme des partenaires dans notre recherche collective. Les Français attendent de nous des actes clairs. Les solutions qui ont été tentées jusqu’à présent n’ont pas apporté les résultats que les uns et les autres avaient espérés. Il nous faut donc du courage et de l’audace. Surtout, nous devons faire preuve, ensemble, de sens des responsabilités. Je suis sûr que ce sera le cas.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous allons interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à dix-sept heures quinze, à l’issue des votes solennels dans l’hémicycle.

 

 

La séance est levée à douze heures cinquante.

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  Présences en réunion

 

Réunion du mercredi 23 janvier 2019 à 9 heures 30

Présents. – Mme Delphine Bagarry, M. Belkhir Belhaddad, Mme Justine Benin, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, Mme Blandine Brocard, M. Gérard Cherpion, M. Guillaume Chiche, M. Paul Christophe, Mme Christine Cloarec, Mme Josiane Corneloup, M. Dominique Da Silva, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Albane Gaillot, M. Guillaume Garot, M. Jean‑Carles Grelier, Mme Claire Guion-Firmin, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, M. Mustapha Laabid, Mme Fiona Lazaar, Mme Charlotte Lecocq, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, M. Thomas Mesnier, M. Bernard Perrut, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, M. Dominique Potier, M. Alain Ramadier, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Nicole Sanquer, M. Hervé Saulignac, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Adrien Taquet, Mme Élisabeth Toutut‑Picard, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, Mme Isabelle Valentin, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner

Excusés. - M. Jean-Philippe Nilor, Mme Michèle Peyron, M. Adrien Quatennens, Mme Nadia Ramassamy, M. Jean-Louis Touraine

Assistaient également à la réunion. - M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Gisèle Biémouret, M. Pierre Cordier, M. Vincent Descoeur, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Le Feur, M. Matthieu Orphelin, M. Martial Saddier, M. Boris Vallaud