Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères

 

 

 

 


Mercredi
3 octobre 2018

Séance de 16 h 30

Compte rendu n° 004

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de Mme Marielle de Sarnez,
Présidente

 


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Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui M. Jean-Yves Le Drian, dans le cadre d’une audition ouverte à la presse, afin de l’entendre sur les crédits du ministère de l’Europe et des affaires étrangères dans le projet de loi de finances pour 2019. Je rappelle que le budget de ce ministère est structuré autour de deux missions : d’une part, la mission « Action extérieure de l’État », d’autre part la mission interministérielle « Aide publique au développement ». Parmi les neuf rapporteurs budgétaires pour avis de notre commission, certains examinent tout particulièrement les programmes qui dépendent de ces deux missions. Il s’agit d’Anne Genetet pour le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » et le programme 151 « Français à l’étranger et affaires consulaires », de Frédéric Petit pour le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » et d’Hubert Julien-Laferrière pour les programmes de la mission « Aide publique au développement ».

Les deux groupes qui ont la possibilité de joindre une contribution aux avis budgétaires, à savoir le groupe La France insoumise et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ont choisi de faire porter cette contribution sur le thème de l’aide publique au développement. En la matière, je rappelle l’objectif fixé par le Président de la République d’une augmentation de l’aide française à hauteur de 0,55 % du revenu national brut (RNB) d’ici 2022. Le budget pour 2019 en tient compte, et voit les crédits de la mission « Aide publique au développement » augmenter de manière substantielle. Si cette augmentation des crédits est évidemment une très bonne nouvelle, elle doit aussi, selon nous, s’accompagner d’une exigence renforcée en termes d’efficacité et d’évaluation.

Tant le rapport de Bérangère Poletti et de Rodrigue Kokouendo pour notre commission que celui d’Hervé Berville, remis au Premier ministre, ont insisté sur la nécessité de mieux gérer et de mieux évaluer notre aide au développement. Quelles décisions, monsieur le ministre, devront permettre de répondre à ces exigences ? Les deux rapports insistent également sur la nécessité d’un pilotage plus fort et plus cohérent, les crédits étant, comme vous le savez, dispersés entre plusieurs ministères. Peut-on espérer des progrès en ce sens ? Le futur projet de loi sur l’orientation de l’aide publique au développement devrait, en principe, nous permettre d’avancer dans cette direction.

Par ailleurs, la montée en puissance des crédits d’aide publique au développement va de pair avec une réduction d’autres moyens de l’action extérieure de l’État, en particulier ceux de notre diplomatie. Cette réduction devrait s’opérer à niveau d’ambition égal, grâce à une mutualisation des fonctions support des réseaux de l’État à l’étranger. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères verra ainsi sa tutelle renforcée sur les réseaux de l’État à l’étranger, ce qui est pour nous une très bonne chose. Néanmoins, il faut s’interroger sur le maintien du niveau d’ambition de notre diplomatie, compte tenu des réductions successives qui ont touché notre réseau au cours de ces dernières années. Ne pensez-vous pas que la réduction annoncée conduira nécessairement à un recentrage des missions de nos ambassadeurs, qui se trouvent aujourd’hui sur tous les fronts ?

Enfin, pour ce qui est de notre diplomatie culturelle et d’influence, les dotations aux opérateurs, en particulier à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), comme les crédits de fonctionnement et d’intervention du réseau de coopération du programme, se trouvent stabilisés. Conformément aux orientations fixées par le Président de la République, 5 millions d’euros ont été redéployés pour financer de nouvelles actions en faveur de l’Institut français et du réseau des Alliances françaises, dans la lignée du Plan francophonie. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les actions nouvelles qui seront ainsi financées ?

Je vous donne maintenant la parole pour une trentaine de minutes, avant que nous n’ouvrions le dialogue avec les membres de la commission sous la forme d’un échange de questions et de réponses.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vais vous présenter les missions « Action extérieure de l’État » et « Aide publique au développement », qui concernent toutes deux le ministère que j’ai l’honneur de diriger. Une fois n’est pas coutume, lors de cette audition, je ne traiterai donc pas directement des grands sujets qui sont au cœur de notre politique extérieure et constituent les thèmes qui nous occupent d’ordinaire, qu’il s’agisse des crises, des facteurs de déstabilisation de l’ordre international, ou du projet européen. Toutefois, à l’évidence, notre capacité d’action sur ces grands sujets est fonction des moyens dont nous disposons et de la manière dont nous les mettons en œuvre.

Comme vous venez de le dire, au regard des défis que nous aurons à relever en 2019, il est indispensable que notre diplomatie ait les moyens de fonctionner dans de bonnes conditions. L’année qui s’annonce sera décisive pour l’évolution des crises qui impactent directement notre sécurité. Je pense à la Syrie, à la Libye – où les parties en présence devront, après les élections, mettre en œuvre la feuille de route du représentant spécial des Nations unies, M. Ghassan Salamé –, mais aussi, bien sûr, aux pays du Sahel qui, grâce à la montée en puissance de la force conjointe, auront toutes les cartes en main pour garantir leur propre sécurité ; je pense, enfin, à l’accord sur le nucléaire iranien, que nous allons nous efforcer de préserver, avec le concours de nos partenaires. Afin d’œuvrer à la stabilité internationale, nous allons aussi consolider les initiatives que nous avons lancées pour lutter contre l’impunité chimique et contre le financement du terrorisme.

L’année 2019 sera également un moment de vérité pour l’avenir du multilatéralisme. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, notamment devant l’Assemblée générale des Nations unies, où je viens de passer une semaine, les fondements du multilatéralisme sont aujourd’hui en danger, et il nous faudra inlassablement poursuivre nos efforts non seulement pour le préserver, mais aussi pour lui donner un nouvel élan. Pour cela, nous continuerons à soutenir les grandes agences multilatérales que sont notamment les Nations unies, l’UNESCO et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour ne citer que les plus importantes. Conscients que préserver l’existant ne suffira pas, nous chercherons aussi les voies d’un multilatéralisme rénové et efficace, qui puisse répondre au mieux aux urgences de notre temps. Pour y arriver, nous avons commencé à mettre en place des formats innovants auxquels il nous faudra associer la société civile.

Enfin, l’année prochaine sera cruciale pour l’Europe, qui se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. L’année 2019 est celle où va avoir lieu le Brexit ; c’est l’année où se tiendront des élections dont dépendra le mandat confié à la future Commission – et, dans le contexte d’une montée des populismes, c’est aussi l’avenir de l’Union européenne qui se jouera.

Le budget pour 2019 du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui devra nous permettre de relever tous les défis et de saisir toutes les opportunités que je viens d’évoquer, s’élève après transfert à 4,89 milliards d’euros en crédits de paiement. Il affiche ainsi une hausse de 151 millions d’euros, soit 3,19 % de plus par rapport à la loi de finances initiale pour l’année 2018. Cette hausse globale se décompose en une diminution de 128 millions d’euros sur la mission « Action extérieure de l’État » et une hausse de 279 millions d’euros, soit plus 16 %, sur le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement ». Ces chiffres doivent être pris avec prudence, car ils ne tiennent pas compte des évolutions de périmètre, notamment pour ce qui est de la mission « Action extérieure de l’État », dont les moyens sont stabilisés – je vais y revenir en détail dans un instant –, tandis que notre aide publique au développement amorce, comme vous l’avez dit, une hausse rapide, plus conséquente encore en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement.

Toutes les dotations de la mission « Action extérieure de l’État » sont reconduites à périmètre constant, à l’exception de deux postes de dépenses. Premièrement, l’enveloppe destinée à l’organisation des événements internationaux est en hausse – je parle des deux postes de dépenses pour des raisons conjoncturelles. D’une part, les crédits du programme temporaire 347, consacré à la présidence française du G7, augmentent de 12 millions d’euros pour atteindre 24 millions d’euros, d’autre part, l’enveloppe du protocole sur le programme 105 augmente de 8,8 millions d’euros, notamment en raison de la préparation du sommet Afrique-France de 2020 et de la présidence française du Conseil de l’Europe, qui commencera à la fin de l’année 2019.

Deuxièmement, à l’inverse, le coût des contributions internationales et des opérations de maintien de la paix sera en baisse de 10 % par rapport à 2018 – moins 73,7 millions d’euros. Ces économies s’expliquent par la poursuite de la diminution du volume, donc du coût des opérations de maintien de la paix – même si nous devons veiller à rester constamment en situation de réactivité, au cas où de nouvelles initiatives devraient être prises –, par la réduction de la quote-part française – une anticipation du résultat des négociations qui vont être engagées à New York dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies –, enfin, par une gestion améliorée du risque de change par le ministère. En effet, pour la première fois cet été, le ministère a pu budgéter au coût réel la contrepartie en euros de 80 % de ses prévisions de dépenses en devises, au moyen d’achats à terme effectués le 31 juillet 2018 pour 478 millions de dollars et 35 millions de francs suisses – une opération qui renforce à la fois la bonne gestion et la sécurité du budget du ministère.

Outre ces évolutions, j’appelle votre attention sur certaines modifications d’assiette. Premièrement, les dépenses immobilières imputées sur le programme 105 connaissent une diminution de 92,6 millions d’euros, provoquée par l’abandon du mécanisme des loyers budgétaires. Je précise à l’intention du rapporteur que cette diminution est complètement indolore, puisqu’elle se justifie par une simplification comptable et correspond à des transferts d’écriture qui n’avaient pas lieu d’être inscrits de cette manière. Deuxièmement, si les dépenses d’investissement relatives à la sécurisation de nos emprises à l’étranger sont optiquement diminuées de 30 millions d’euros sur le programme 105, elles sont en réalité disponibles pour un montant au moins équivalent sur le programme 723, c’est-à-dire sur le compte d’affection spéciale (CAS) immobilier. Il en va de même pour les crédits de sécurisation des établissements scolaires à l’étranger : en apparence, la subvention à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) diminue de 14,7 millions d’euros sur le programme 185, mais une somme au moins équivalente se retrouve en fait sur le CAS immobilier.

C’est là un sujet sur lequel je me suis beaucoup engagé, en souhaitant notamment que 100 millions d’euros soient affectés à un plan de sécurisation des ambassades et des lycées français. Ces crédits seront disponibles en 2019 et en 2020 sur un programme spécifique, et je veillerai moi-même à la bonne exécution de ce plan. Il me semble en effet que, si les questions de sécurité ont été prises en compte dans le cadre des budgets précédents, elles l’ont été de manière insuffisante. J’insiste sur le fait que le plan de 100 millions n’est réparti que sur deux ans : il conviendra donc de s’assurer que les crédits correspondants soient intégralement mobilisés, de manière fructueuse et efficace, durant cette période. Je compte sur vous pour y veiller lors de vos déplacements à l’étranger, mais aussi sur les ambassades et lycées nécessitant une sécurisation, pour qu’ils fassent connaître leurs besoins dans les meilleurs délais.

Les moyens de notre réseau diplomatique sont maintenus, tout comme ceux de notre politique d’influence et ceux de l’AEFE – sous réserve de la diminution technique de 14,7 millions d’euros en réalité largement compensée par les crédits affectés au CAS immobilier, comme je vous l’ai expliqué. Le rôle de l’AEFE va se trouver consolidé, et nous allons engager les évolutions nécessaires à un développement plus ambitieux de l’enseignement français à l’étranger. Une réflexion est en cours sur ce point et, conformément au souhait du Président de la République, je lui présenterai des propositions en ce sens avant la fin de l’année. Bien évidemment, cette volonté d’évolution n’empêche en rien la permanence et le maintien des moyens affectés actuellement à l’AEFE.

Le rapprochement de l’Institut français et de la Fondation Alliance française, qui va dans le même sens, répond également à une demande exprimée l’année dernière par le Président de la République. L’Institut français sera renforcé dans son pôle d’appui aux deux réseaux et, en colocalisation avec la Fondation à Paris, créera les synergies nécessaires, tout en préservant l’indépendance des alliances à l’étranger – un point sur lequel vous étiez vous-mêmes, à juste titre, très mobilisés.

Je vous confirme aussi que l’enveloppe des bourses scolaires est préservée. Le passage de 110 à 105 millions d’euros en loi de finances vise à tenir compte de la sous-consommation chaque année de l’enveloppe des bourses ; la soulte accumulée par l’AEFE permettrait, en toute hypothèse, de couvrir des besoins supplémentaires.

Enfin, le Gouvernement a décidé de la sanctuarisation des moyens du réseau de coopération et d’action culturelle, déterminants pour consolider notre présence dans le monde et garantir notre influence. Il s’agit d’un outil indispensable pour promouvoir l’enseignement et la diffusion de notre langue, porter notre vision de la culture, défendre nos industries culturelles et créatives, nouer des partenariats dans tous les domaines scientifiques et renforcer notre attractivité universitaire. Après plusieurs baisses successives, nous avons réussi l’année dernière non seulement à stabiliser, mais aussi à augmenter les moyens du réseau de coopération d’action culturelle, qui se trouvent désormais sanctuarisés.

Si le budget de l’action extérieure de l’État sera stabilisé en 2019, il portera aussi la marque de la réforme de l’État engagée par le Premier ministre, un point très important auquel vous avez fait référence, madame la présidente. Dans le cadre de son projet de réorganisation du mode de gestion des réseaux de l’État à l’étranger, le Premier ministre a souhaité conforter le ministère de l’Europe et des affaires étrangères dans son rôle de pilotage interministériel de l’action extérieure de l’État. Ainsi, la gestion des fonctions support et des crédits de fonctionnement de tous les réseaux internationaux de l’État, aujourd’hui disséminés entre les différents services qui composent les ambassades, sera unifiée dès 2019, sous la seule responsabilité du ministère des affaires étrangères. Nous mettons fin de cette manière à l’effet « silo » de la gestion des ressources humaines de l’État à l’étranger – non seulement en termes de personnels, mais aussi de fonctionnement. En contrepartie de cette réorganisation, le Premier ministre a fixé un objectif de réduction de 10 % de la masse salariale à l’étranger sur quatre ans, tous ministères et opérateurs confondus, ce qui représente une économie globale de 110 millions d’euros d’ici 2022. L’effort de 13 millions d’euros, prévu pour le seul ministère de l’Europe et des affaires étrangères en 2019, s’inscrira dans cette trajectoire globale.

Si les dépenses de personnel, qui représentent 23 % du budget du ministère, augmentent de 36,6 millions d’euros – soit 3,3 % – pour s’établir à 1,12 milliard d’euros tous programmes confondus à périmètre courant et CAS Pensions compris, c’est que nous sommes dépendants de l’inflation à l’étranger, où se situe, par définition, l’essentiel de nos personnels – elle est d’environ 4 % par an. En 2019, nous compensons également une masse salariale dont nous avons constaté au cours de l’année 2018 qu’elle était sous-budgétée – ce qui explique l’augmentation de 3,3 % que j’ai évoquée.

Pour ce qui est des effectifs, le ministère doit « rendre » l’an prochain environ 130 équivalents temps plein (ETP), si bien que le plafond d’emplois du ministère s’établira à 13 598 ETP. Au-delà du schéma d’emplois, cette réforme se traduit budgétairement dans le projet de loi de finances pour 2019 par le transfert sur le programme 105, en provenance des autres ministères, de 387 emplois et de 11 millions de dépenses personnelles associées – en effet, c’est le ministère des affaires étrangères qui gérera désormais les supports et services d’autres ministères affectés à l’étranger. En outre, notre ministère devient l’affectataire de l’ensemble du patrimoine immobilier de l’État, à l’exception de certains biens spécifiques, comme les bases et les cimetières militaires. Ce sont donc 215 biens immobiliers qui vont être gérés par le ministère des affaires étrangères, sous la responsabilité et le contrôle des ambassadeurs et des postes – il s’agit là d’une évolution importante, et qui n’était pas acquise d’avance.

J’en viens à la deuxième mission budgétaire, qui a trait à notre aide publique au développement. La mission « Aide publique au développement » est composée de deux programmes. Le programme 110 « Aide économique et financière au développement », géré par le ministère de l’économie et des finances, avec 1,31 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,08 milliard d’euros en crédits de paiement, est surtout lié à la participation au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale, et au Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) ; il permet aussi la mobilisation des prêts bonifiés.

Quant au programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », géré par mon ministère, il représente 3,2 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2 milliards d’euros en crédits de paiement. Hors dépenses de personnels, le programme est doté de 1,86 milliard d’euros de crédits de paiement, grâce à une progression de 290 millions d’euros, soit 18,5 %, par rapport à 2018. En matière d’autorisations de programmes, l’augmentation de 1,3 milliard d’euros permet de lancer notre pays sur une trajectoire qui lui permettra de consacrer 0,55 % de sa richesse nationale à l’aide publique au développement (APD) d’ici à 2022, conformément à l’engagement pris par le Président de la République. Cela signifie que nous passerons de 8,6 milliards d’euros d’APD en 2016 à plus de 15 milliards d’euros en 2022, selon les hypothèses de croissance actuelles. Nous consacrons aujourd’hui 0,43 % de notre richesse nationale à l’APD, à laquelle nous n’avons jamais affecté, en euros courants, plus de 10 milliards d’euros : il s’agit donc d’une augmentation inégalée dans notre histoire.

Pour atteindre cet objectif, nous devons augmenter de manière significative les crédits budgétaires en autorisations d’engagement dès 2019, afin d’être en capacité de les décaisser en 2022. L’augmentation de la dotation du programme résulte d’un apport de crédits frais pour près de 100 millions d’euros en crédits de paiement, mais aussi de la budgétisation d’une partie des crédits extrabudgétaires de la taxe sur les transactions financières (TTF)à hauteur de 190 millions d’euros. Je sais que cette décision, abordée lors de la rencontre annuelle entre le Président de la République et les organisations non gouvernementales (ONG), a pu susciter des interrogations, mais je peux vous dire que la mutation prévue, aux termes de laquelle l’AFD recevra désormais indirectement les crédits qu’elle recevait jusqu’alors directement, est indispensable : en effet, si ces crédits n’étaient pas budgétés, les crédits de paiement ne généreraient pas le même niveau d’autorisations d’engagement, et nous ne pourrions donc pas financer la hausse de 1,3 milliard d’euros de l’aide au développement.

La répartition de ces crédits suit les principales orientations fixées par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 2018. Il s’agit de priorités sectorielles fortes, c’est-à-dire l’éducation et la jeunesse, la santé, la fragilité, les crises, le climat, l’égalité entre les femmes et les hommes, et de choix géographiques assumés, que j’ai déjà évoqués ici, à savoir l’Afrique en général – avec dix-huit pays prioritaires –, ainsi que Haïti.

L’action que nous menons grâce au programme 209 répond à une triple logique. D’abord une logique bilatérale : notre action bilatérale nous permet de projeter dans le monde nos priorités géographiques et sectorielles propres et de peser sur les décisions de nos partenaires et sur les instances multilatérales. Pour rétablir les leviers d’action directe de la France, nous avons décidé de renforcer cette dimension de notre aide au développement, qui avait sensiblement diminué ces dernières années. L’inscription dans le projet de budget de l’engagement que j’avais pris devant vous de renforcer le bilatéral se fait selon la répartition suivante : un tiers de la hausse est consacré à la coopération bilatérale et un tiers à la coopération multilatérale. Il ne s’agit pas d’opposer les canaux multilatéraux – Nations unies, banques de développement et organismes européens – aux canaux bilatéraux, mais de tirer les conséquences d’un constat simple : comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant vous, nous pourrons davantage peser sur la rénovation d’un système multilatéral efficace si nous retrouvons des marges de manœuvre à titre national et si nous avons des priorités clairement définies.

Ainsi, l’Agence française de développement (AFD) devra rehausser sa trajectoire de croissance en augmentant son activité de 72 % en cinq ans, afin de la porter à 17,9 milliards d’euros en 2022, tous instruments confondus. Vous observerez au passage que la rémunération de l’AFD est augmentée de 187 % pour atteindre 99 millions d’euros. Je précise que ces chiffres sont ceux que l’on obtient en appliquant mécaniquement les règles actuelles de rémunération de l’AFD. Il va de soi que ces règles ne sont plus adaptées : j’ai donc indiqué à l’AFD que la rémunération de 2019 serait inférieure à ce montant et que, pour le temps long, nous devrions trouver une autre règle du calcul. La moindre rémunération de l’AFD que nous allons constater au cours de l’exercice 2019 sera reversée aux fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), c’est-à-dire des fonds affectés aux ambassades et gérés par les ambassadeurs, qui permettent de financer des projets de terrain d’un montant modeste et dans des délais très brefs.

Nous faisons par ailleurs le choix de concentrer notre aide vers les pays pauvres et fragiles en augmentant considérablement – c’était un autre engagement de notre part – la proportion de dons par rapport aux prêts. Ces dons se feront en 2019 à hauteur de 1,3 milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 280 millions d’euros en crédits de paiement. Je rappelle qu’au cours de ces dernières années, faute de marge de manœuvre sur les dons, les pays émergents solvables étaient les principaux bénéficiaires de l’aide, puisqu’en l’absence de dons, ils étaient les seuls à être en mesure de rembourser les prêts : le fait de consentir désormais plus de dons que de prêts va permettre de remédier à cette situation paradoxale en aidant en priorité les pays les plus en difficulté.

Le poste de dépenses « Aide-projet » comprend également les fonds destinés à soutenir l’action de la société civile. Conformément aux engagements que j’avais pris, leur augmentation se poursuivra avec l’objectif d’un doublement des fonds transitant par les organisations de la société civile entre 2017 et 2022. Ainsi, dès 2019, la subvention « Dons aux ONG » mise en œuvre par l’AFD augmentera de 18 millions d’euros pour atteindre 85 millions d’euros, et le soutien aux dispositifs de volontariat sera en hausse pour s’établir à 20 millions d’euros, ce qui représente une hausse de 11 % par rapport à l’année dernière.

Par ailleurs, les crédits de coopération décentralisée augmenteront de 5 % pour atteindre 9,3 millions d’euros, afin d’amorcer la trajectoire de leur doublement à l’horizon 2022. La coopération décentralisée est un relais d’influence important pour notre image dans le monde, mais aussi un canal d’intervention pour notre aide au développement et pour la promotion de l’attractivité de notre territoire à travers le monde. Nous comptons en particulier sur nos collectivités pour la mobilisation en faveur du développement de la zone Sahel et la préparation du sommet Afrique-France de 2020 consacré à la ville durable.

Au titre de nos leviers bilatéraux, je n’oublie évidemment pas nos opérateurs agissant dans le domaine du développement. En 2019, Expertise France bénéficiera d’un soutien renouvelé de l’État à hauteur de 36 millions d’euros, incluant le transfert de la gestion des experts techniques internationaux pour le compte du ministère des affaires étrangères, afin de permettre la consolidation et l’organisation en vue du rapprochement avec l’AFD, qui devrait intervenir dans le courant de l’année 2019. Enfin, les moyens attribués à Canal France International (CFI) s’élèveront à 8,2 millions d’euros en 2019.

Notre aide bilatérale comprend aussi les crédits humanitaires et dédiés à la gestion de crise, qui atteindront 100 millions d’euros en 2019 grâce à une augmentation de 14 millions d’euros, soit 16 %, que j’avais annoncée l’année dernière. Tout cela est conforme à la nouvelle stratégie humanitaire française et aux conclusions du CICID de février 2018, qui prévoient un accroissement significatif de l’aide d’urgence, qu’elle soit humanitaire ou de stabilisation, d’ici 2022.

Dans le domaine de l’aide aux réfugiés, le Centre de crise et de soutien apportera un soutien financier à des projets défendus par des ONG dans différents domaines : l’aide médicale d’urgence, l’accès aux services sanitaires de base, l’amélioration des conditions d’hygiène et le soutien psychologique. Les réfugiés syriens continueront de bénéficier en priorité de l’action de ce centre.

Notre action en matière de développement s’inscrit également dans une logique multilatérale. La semaine dernière, à l’Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République a rappelé que la France était déterminée à préserver un multilatéralisme efficace et responsable. Cela suppose que nous apportions un soutien politique et financier important au système de développement et d’aide humanitaire des Nations unies, dans le cadre de la réforme imaginée par le Secrétaire général. Notre appui volontaire en faveur des organisations internationales atteindra ainsi, en 2019, 194 millions d’euros en crédits de paiement, c’est-à-dire 43 millions de plus que l’an dernier, soit une augmentation de 29 %. Ce soutien aux outils multilatéraux bénéficiera aux agences impliquées notamment dans l’action humanitaire, qu’il s’agisse du Haut-commissariat aux réfugiés, du Fonds des Nations unies pour l’enfance, de l’United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East (UNRWA) – j’ai indiqué, lors de ma participation, jeudi dernier, à New York, à une réunion de mobilisation, présidée par la Jordanie, en faveur de cette agence, qu’en 2019, notre participation financière à l’UNRWA serait doublée pour compenser, au moins en partie, le retrait des États-Unis d’Amérique –, du Programme alimentaire mondial ou de l’Organisation internationale des migrations. Je précise également que, dans ce cadre-là, nous augmenterons de 26 millions notre participation au Programme mondial pour l’éducation, conformément aux engagements pris par le Président de la République à Dakar au mois de février dernier.

Enfin, notre politique de développement s’inscrit dans une logique européenne. La moitié des crédits du programme 209 est ainsi destinée à alimenter, à hauteur de 878 millions d’euros, soit 28 millions d’euros supplémentaires, le Fonds européen de développement, dont les objectifs sont d’éradiquer la pauvreté, de promouvoir le développement durable et d’intégrer dans l’économie mondiale les pays signataires de la convention de Lomé et de l’accord de Cotonou. Il s’agit, de loin, du plus gros poste budgétaire du ministère et, vous l’aurez noté, la forte adéquation entre ses priorités et les priorités françaises participe de la cohérence de notre politique de développement et de solidarité internationale.

Pour fixer la trajectoire à long terme de l’augmentation de notre aide publique au développement, un nouveau projet de loi d’orientation et de programmation, qui vous sera présenté au cours du premier trimestre 2019, sera élaboré sur la base de la consultation des parties prenantes et du rapport remis au Premier ministre, le 24 août dernier, par le député Hervé Berville, lequel souligne notamment, comme la présidente de votre commission, la nécessité de mener une politique d’évaluation exigeante.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. J’ajoute que les co-rapporteurs de notre mission d’information sur l’aide publique au développement, Bérangère Poletti et Rodrigue Kokouendo, sont exactement sur la même ligne.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Nous partageons cette exigence.

Parallèlement à la rénovation du cadre législatif, notre politique d’aide publique au développement bénéficiera d’un pilotage politique renforcé. En effet, le Président de la République a souhaité organiser autour de lui un conseil de développement et, pour ma part, j’ai réactivé le conseil d’orientation stratégique de l’AFD, qui ne se réunissait plus depuis plusieurs années et que j’ai déjà réuni deux fois en moins d’un an. Cela participe de l’évaluation et du suivi politique de cette agence.

J’ajoute que nous aurons, en 2019, deux rendez-vous majeurs en matière d’aide publique au développement. Premièrement, la présidence française du G7 comportera un volet important consacré au développement, le Président de la République ayant fait savoir, dans son discours aux Nations unies, la semaine dernière, que la réduction des inégalités serait la priorité de la présidence française du G7. Dans le même état d’esprit et dans la continuité de la présidence canadienne, nous défendrons une vision engagée des enjeux liés à l’éducation, en promouvant le rôle de Paris comme hub mondial de l’éducation. La priorité sera également accordée aux questions de santé et à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui sera traitée de manière transversale, dans la continuité de la présidence canadienne. Par ailleurs, une réunion ministérielle conjointe éducation-développement sera mise en œuvre au cours de l’année 2019.

L’autre rendez-vous de 2019, c’est la tenue, à Lyon, à l’initiative du Président de la République, de la prochaine conférence de reconstitution du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Les financements que nous y récolterons permettront d’assurer la mise en œuvre de la seconde partie de la stratégie du Fonds mondial pour 2017-2022.

Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, rapidement présentées, les missions « Action extérieure de l’État » et « Aide publique au développement », ainsi que les grandes orientations du projet de loi de finances 2019. Je suis à votre disposition pour vous apporter les précisions nécessaires et répondre à vos questions. Nous aurons, de toute façon, l’occasion d’en reparler en séance publique dans le cadre de la nouvelle procédure budgétaire.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour cet exposé très clair et assez volontariste.

Avant de donner la parole aux représentants des groupes, je tiens à remercier pour la qualité de leur travail les neuf rapporteurs pour avis de notre commission, dont nous avons choisi de pérenniser la fonction, de sorte qu’ils remplissent cette mission pour la deuxième année consécutive.

M. Hubert Julien-Laferrière. Monsieur le ministre, vous l’avez dit, la mission « Aide publique au développement » est conforme à la fois aux engagements du Président de la République et aux conclusions du CICID, puisqu’il définit une trajectoire quantitative, les autorisations d’engagement étant en augmentation d’un milliard d’euros. Celles-ci permettront de programmer des projets utiles et efficaces avec des partenaires présents sur le terrain, avant que soient débloqués les crédits de paiement correspondants.

Mes collègues évoqueront sans doute les questions de gouvernance et de pilotage – je n’y reviens donc pas. J’aborderai, pour ma part, au nom du groupe La République en Marche, la question urbaine dans le monde en développement ; il s’agit en effet de l’un des grands défis du xxie siècle. Le CICID a bien défini les priorités sectorielles de notre aide publique au développement : santé, éducation, gouvernance, climat, égalité femmes-hommes. Mais l’urbanisation du monde en développement est un défi multisectoriel – holistique, diraient certains. De fait, certaines agglomérations gagnent, chaque année, 200 000 à 300 000 habitants, voire 500 000 pour Lagos ou Le Caire.

Cette évolution soulève bien entendu la question de l’accès des habitants aux services essentiels ; notre aide publique au développement et l’ensemble de la solidarité internationale ont un rôle à jouer dans ce domaine. Ces 200 000 habitants supplémentaires sont-ils condamnés à vivre de l’économie informelle dans des bidonvilles ou notre aide publique au développement peut-elle favoriser leur accès à différents services : logement salubre, transports, eau et assainissement ?

Se pose également la question de savoir quelle ville on construit. La France possède une expertise particulière en la matière. Ces villes qui gagnent 200 000 à 300 000 habitants par an doivent-elles s’étaler au détriment des terres agricoles et du monde rural ou peuvent-elles répondre aux exigences définies dans les objectifs de développement durable adoptés par la communauté internationale en 2015 ?

Le Président de la République souhaite consacrer le prochain sommet Afrique-France à la question de la ville durable. Je salue ce choix, car, encore une fois, il s’agit d’un défi essentiel, dont on parle peu bien qu’il concerne l’ensemble des secteurs. Pour relever ce défi, il faudra faire appel aux collectivités locales françaises, qui se sont engagées de longue date dans la coopération décentralisée.

M. Didier Quentin. Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué qu’il était indispensable que notre diplomatie fonctionne dans de bonnes conditions. Or, selon le journal Le Monde du 20 juin 2018, une note interne du Quai d’Orsay vous aurait été remise, dans laquelle il serait notamment écrit : « La paupérisation de la diplomatie française pourrait encore s’aggraver, au point de lui faire risquer le décrochage. » Beaucoup craignent en effet un coup de rabot de 10 % sur le budget pour 2019 consacré aux fonctionnaires français à l’étranger ; cette diminution inquiète évidemment, au premier chef, nos diplomates. Dans cette note interne, il serait souligné que « le bricolage ingénieux ne suffit plus à répondre aux missions d’un ministère qui est censé saisir les multiples opportunités d’un momentum français ».

Je souhaiterais donc, au nom du groupe Les Républicains, que vous nous rassuriez – vous avez commencé à le faire – car, si cette tendance devait se poursuivre, nous risquerions d’être « à l’os », jusques et y compris au sein de notre représentation permanente aux Nations unies à New-York, ce qui pourrait remettre en cause, à terme – je suis peut-être très pessimiste –, notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité…

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Vous exagérez, monsieur Quentin !

M. Didier Quentin. En ce cas, monsieur le ministre, nous voilà rassurés ! Vous savez néanmoins que d’autres configurations – on parle de l’Allemagne – avaient été envisagées pour le Conseil de sécurité ; mais c’est un autre sujet.

… et nuire à notre ambition de parvenir à un multilatéralisme organisé, pour reprendre une expression chère au Président de la République.

Dans le même esprit, je souhaiterais savoir où en est notre présence culturelle. On observe en effet une certaine déflation dans nos instituts et Alliances françaises, au point qu’à chacune de nos missions, nous constatons un recul du français et, par conséquent, de notre influence. Récemment encore, lorsque nous nous sommes rendus, avec notre présidente, à Djibouti, ancien Territoire français des Afars et des Issas, nous avons ressenti une véritable demande de France, ne serait-ce que pour contrebalancer la montée en puissance considérable et impressionnante de la Chine. Or, il nous a semblé que notre présence se réduisait, notamment sur le plan militaire, puisque nous avons observé une moindre présence de nos soldats, au bénéfice des Émirats arabes unis, et une obsolescence de nos matériels.

Enfin, je vous serais reconnaissant de nous indiquer les efforts financiers qui seront consentis en faveur de nos établissements d’enseignement à l’étranger, car beaucoup doivent engager des travaux d’extension pour accueillir toujours plus d’élèves, en particulier en Asie.

M. Bruno Joncour. Monsieur le ministre, le budget pour 2019 traduit les choix et les engagements forts du Président de la République, que vous avez récemment réaffirmés lors d’une intervention à l’Agence française de développement. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) se félicite de la dimension volontariste du budget et de l’augmentation très importante, dès l’année prochaine, du programme 209, qui doit conduire la France à atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé, celui de consacrer 0,55 % de sa richesse à l’aide publique au développement.

Naturellement, l’augmentation spectaculaire de 82 % des autorisations d’engagement doit s’accompagner d’une vision stratégique et d’une rigueur dans l’utilisation de cet argent public. Sur ce point, comme nous l’avons déjà fait remarquer, nous nous réjouissons du renforcement de la coopération bilatérale, qui est, à notre sens, le plus sûr moyen pour la France de contrôler cette aide et d’évaluer son efficacité. Pouvez-vous nous apporter des éléments qui nous aideraient à mieux appréhender la manière dont vos services vont pouvoir évaluer et s’assurer de la bonne utilisation de ces deniers ?

Par ailleurs, l’augmentation, dans une moindre mesure cependant, des crédits du programme 185, « Diplomatie culturelle et d’influence » doit marquer une nouvelle ambition dans ce domaine important pour notre pays. Le réseau des Alliances françaises, si impliquées auprès des populations, voit son budget conforté. À ce propos, notre collègue Frédéric Petit s’associe à moi pour vous demander où en est la réforme du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), si important à nos yeux.

Enfin, je mentionnerai un sujet d’inquiétude : si nous partageons l’objectif de la France en matière de politique de développement et de soutien à la diplomatie culturelle, nous ne pouvons que rappeler que ces missions importantes doivent être soutenues par un réseau consulaire fort, ce qui implique des effectifs en rapport avec les objectifs fixés. À cet égard, ce qui a été dit à l’instant peut être un sujet d’inquiétude. Pouvez-vous nous assurer que votre ministère pourra, à l’avenir, conserver ses capacités à agir et être le relais fort de nos ambitions ?

M. Maurice Leroy. Monsieur le ministre, le groupe UDI, Agir et Indépendants partage votre volonté de faire en sorte que notre diplomatie puisse agir efficacement, notamment pour faire face aux différentes crises, sans parler des dangers qui pèsent sur les fondements du multilatéralisme. Nous souhaiterions donc vous entendre sur la mutualisation des moyens car, si elle peut être une très bonne chose, il ne faudrait pas – nous avons un peu d’expérience… – qu’elle aboutisse à une paupérisation.

Vous avez eu raison d’évoquer le caractère crucial de l’année 2019 pour l’Europe, en raison notamment du « Brexit ». À ce propos, puisque je suis rapporteur pour avis de notre commission sur le prélèvement européen, j’aimerais savoir si l’on a avancé sur la question de la taxation des « GAFA » – Google, Apple, Facebook et Amazon.

S’agissant de la diminution des coûts du maintien des conditions de la paix, on ne peut que se féliciter de la réduction de la quote-part de la France. Nous nous réjouissons également du plan d’investissement, de 200 millions d’euros, sur les deux ans à venir, pour la sécurisation de nos ambassades et lycées et du maintien des moyens de l’AEFE. Tout cela va plutôt dans la bonne direction. Nous sommes en effet tous très attachés à la promotion du français ainsi qu’aux moyens de l’action culturelle, dont nous soutenons l’augmentation des crédits, augmentation qui n’était pas intervenue depuis plusieurs années. Enfin, nous sommes satisfaits de la hausse très importante, à hauteur de 18 %, des crédits de l’AFD que vous avez annoncée et nous saluons la hausse conséquente des crédits de soutien aux outils multilatéraux.

M. Alain David. Monsieur le ministre, la France préside le G7, dont elle organisera le sommet en août 2019. Le 17 septembre dernier, le Président de la République a accueilli des responsables d’organisations non gouvernementales, en affirmant vouloir associer davantage la société civile aux discussions. Rappelons que ces acteurs sont parfois les seuls à être sur le terrain et qu’ils ont une grande connaissance des enjeux et des besoins en matière de développement durable ou d’aide au développement. Le Gouvernement s’est engagé en faveur de cette aide au développement et d’une plus grande intégration des acteurs de la société civile dans les discussions. Le groupe Socialistes et apparentés souhaiterait donc savoir comment cela se traduit concrètement dans votre projet de budget.

Mme Clémentine Autain. Monsieur le ministre, je vous remercie pour cette présentation. Cependant, j’ai ressenti, pendant votre intervention, le besoin de relire les chiffres car, à vous écouter, on aurait pu passer à côté de ce qui est, à mon sens, la caractéristique essentielle de ce budget, à savoir sa baisse de 5,46 % par rapport à 2018, soit presque 130 équivalents temps plein (ETP). En trente ans, le Quai d’Orsay a perdu 30 % de ses effectifs, et le groupe La France insoumise est profondément préoccupé par cette baisse structurelle, qui est un problème pour notre politique et notre diplomatie.

En revanche, pour le budget consacré au G7, ce club des riches qui se réunira à Biarritz l’an prochain, vous trouvez de l’argent, puisqu’il augmente de 8 millions d’euros. Peut-on savoir à quoi cet argent servira ? Peut-être pensez-vous qu’il va ruisseler. Si tel est le cas, je vous invite à lire le livre d’Arnaud Parienty, Le mythe de la « théorie du ruissellement ».

Par ailleurs, je souhaiterais revenir sur la question de l’aide publique au développement. Là encore, vous nous annoncez, à grand renfort d’annonces médiatiques, une hausse de 130 millions d’euros. Or, ce chiffre nous semble erroné car, si on tient compte de l’inflation, cette augmentation n’est plus que de 84 millions. Mais le plus grave est, à mon avis, ailleurs : l’objectif affiché par Emmanuel Macron de consacrer 0,55 % du produit intérieur brut (PIB) à l’aide publique au développement est inférieur, non seulement à l’objectif de 0,9 % que nous défendons, mais aussi au niveau actuel de l’aide publique au développement de l’Allemagne et du Royaume-Uni, qui est de 0,7 % du PIB.

M. Hervé Berville. Ce n’est plus le cas de l’Allemagne !

Mme Clémentine Autain. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il faudrait dégager au moins un milliard d’euros chaque année pour atteindre l’objectif fixé par le Président de la République. Or, j’observe que, pour 2019, l’augmentation n’est que de 84 millions ou, si l’on retient vos chiffres, de 130 millions. En tout cas, nous sommes loin de la trajectoire qui permettrait d’atteindre cet objectif.

Quant au contenu de l’aide au développement, il se compose essentiellement de prêts et non de dons, de sorte qu’un certain nombre de pays non solvables, notamment en Afrique, ne peuvent pas bénéficier de cette aide.

M. Jean-Paul Lecoq. Monsieur le ministre, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine partage beaucoup des positions exprimées par mes collègues. Tout d’abord, nous comprenons la colère des personnels du Quai d’Orsay, qui voit se dégrader non seulement son budget, mais aussi ses statuts. La notion de diplomate, de fonctionnaire d’État, au service de la France commence à s’estomper au profit du développement des contrats à durée déterminée (CDD) ou des contrats à durée indéterminée (CDI) de droit privé, moins chers, et du recours à des personnels locaux, qui permettent de faire des économies sur le budget. Votre ministère paie très cher l’addition ! Vous avez reconnu, il y a quelque temps, qu’il avait beaucoup souffert ces dernières années ; il souffre encore beaucoup ! C’est toujours au Quai d’Orsay que l’on mène les expérimentations en matière d’optimisation, au grand dam de notre pays, de son rayonnement dans le monde et du soutien aux Français de l’étranger.

Par ailleurs, je salue la position de la France sur l’UNRWA. Les États-Unis ayant cessé de contribuer au budget de l’agence, on peut se féliciter que la France ait doublé ses crédits en faveur des réfugiés palestiniens. À ce propos, je ne peux pas ne pas saluer la libération de Salah Hamouri, même si vous ne souhaitez pas en parler. J’espère que vous allez désormais œuvrer pour qu’il soit véritablement libre : libre de circuler comme il l’entend, de s’installer et de travailler dans l’un ou l’autre de ses deux pays. La France a été suffisamment humiliée dans cette affaire ; il faut que cela cesse !

Je tiens à évoquer également la situation de Laurent Fortin qui, depuis dix-neuf mois, subit humiliations et torture psychologique pour des faits qu’il n’a pas commis, et qui est en quelque sorte otage des contrats entre la France et la Chine. On ne parvient pas à le faire sortir de Chine, mais j’espère que l’on pourra prochainement le faire monter dans un avion ministériel et le ramener dans notre pays.

En ce qui concerne les crédits de l’aide au développement, un mécanisme un peu subtil permet d’inscrire une somme importante en autorisations d’engagement – dont les élus locaux savent bien qu’elles doivent être alimentées, à un moment ou à un autre, par des crédits de paiement. Cela reste donc de la mécanique financière. On ne voit pas, dans ce budget, les crédits de paiement qui seront réellement affectés à l’aide au développement dans les années à venir. Ainsi nous n’avons pas la démonstration que les engagements du Président de la République seront tenus. Cela a été dit, une augmentation d’un milliard par an est nécessaire pour parvenir à l’objectif de 0,55 % du PIB, puis au 0,7 % correspondant aux engagements internationaux !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Ma réponse ne sera pas très longue, car j’estime avoir déjà dit beaucoup dans mon propos initial. Certains intervenants ont d’ailleurs bien voulu le reconnaître et reprendre un certain nombre de mes observations.

Monsieur Julien-Laferrière, vous avez tout à fait raison : la ville durable est un défi majeur, qui correspond, du reste, à l’objectif de développement durable n° 11 des Nations unies. Nous sommes tout à fait désireux de mobiliser la nouvelle donne de l’aide publique au développement pour relever ce défi, singulièrement en Afrique. C’est la raison pour laquelle le sommet Afrique-France de 2020 sera consacré aux enjeux de la ville durable. Par ailleurs, je souhaite mobiliser les collectivités territoriales françaises, qui sont directement concernées, pour promouvoir les objectifs de développement des villes durables, car leur savoir-faire et leur expertise seront utiles. Nous allons ainsi augmenter le partenariat avec les collectivités territoriales qui interviennent dans l’aide au développement. Vous savez, en tant que coprésident du Partenariat français pour la ville et les territoires, le rôle majeur qu’elles auront à jouer. J’ajoute que les interventions de l’AFD s’inscrivent également dans ses orientations, car elle est l’une des seules banques de développement à accorder des prêts directs aux collectivités locales dans le cadre de projets de coopération autour de la ville durable. Dans ce domaine, nous devons nous mobiliser pour faire valoir notre expertise et éviter les dérives considérables qui pourraient se produire si nous ne mettions pas en perspective cet enjeu essentiel.

Monsieur Quentin, en évoquant la remise en cause de notre présence au Conseil de sécurité, vous vous êtes un peu laissé aller…

M. Didier Quentin. Cela figurait dans le papier du Monde !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Nous n’en sommes pas là, pas du tout. Il n’est pas question non plus de fusionner, à New-York, les représentations française et allemande. J’ai passé récemment une semaine avec notre représentation à New York, qui comprend beaucoup de collaborateurs de grande qualité. Croyez bien que la France tient son rang et qu’elle est reconnue comme telle. Il n’y a pas de décrochage en la matière.

Je vous remercie de tout l’intérêt que vous portez à certaines notes internes du ministère qui sont publiées dans la presse ; je les lis aussi. Je partage la préoccupation qu’avait exprimée en son temps l’un de mes prédécesseurs, M. Alain Juppé. Il faut conserver des moyens pour notre diplomatie, afin qu’elle soit au rendez-vous et que l’on évite les décrochages. C’est ce que nous faisons. Cette année marque ainsi une grande avancée, puisque seront désormais mutualisés, sous la responsabilité de l’ambassadeur, les supports, l’ensemble du patrimoine immobilier et une bonne partie des services français qui, jusqu’à présent, étaient séparés. Chaque ministère avait en effet sa propre représentation, ses propres services, ses propres systèmes de commande, ses propres méthodes d’acquisition de matériels, ses propres chauffeurs, son propre secrétariat… Mais on ne savait pas s’il était souhaitable ou non de fonctionner ainsi. Nous avons donc décidé d’assurer une unité de fonctionnement, sous la forme d’une espèce d’agence de la France à l’étranger, placée sous la responsabilité de l’ambassadeur et destinée à mutualiser nos moyens.

C’est une grande nouveauté, et je pense que c’est le début d’une grande efficacité. En contrepartie de cette grande nouveauté, j’ai accepté l’effort en termes de réduction de la masse salariale que j’ai évoqué tout à l’heure. C’est aussi une efficacité nouvelle que nous allons retrouver. Je souhaite d’ailleurs que nous portions une grande vigilance sur ce point lors des différents déplacements que vous pouvez faire – ou que nous pouvons faire – dans les postes et sur les territoires auxquels vous rendez visite.

Je vous ferai observer, monsieur. Quentin, à propos de Djibouti, que les Émirats en sont partis aussi. Je suis tout à fait d’accord avec vous sur l’importance de la présence chinoise, mais je mets un petit bémol sur le fait que vous parliez de « la présence des Émirats » : non, il y a eu une situation conflictuelle entre les Émirats et le gouvernement de Djibouti, si bien que les Émiratis ont quitté ce territoire et sont partis en Érythrée.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je crois que M. Quentin faisait allusion au départ d’une partie de la Marine vers les Émirats arabes unis.

M. Didier Quentin. En effet.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je n’avais pas compris…

Nous restons une force importante à Djibouti, et nous regardons de très près les évolutions politiques de la région. En effet, le changement de régime en Éthiopie et la nouvelle relation qui existe entre l’Éthiopie et l’Érythrée va sans doute conduire à des relations d’un autre type entre les différents pays concernés.

Je voulais aussi préciser, puisque la question m’a été posée par plusieurs d’entre vous, que les subventions aux Alliances françaises augmentent de 6 % pour l’année 2019. Cela montre bien la permanence de notre politique de réseau, de notre politique culturelle et de développement du français.

À cet égard, je répondrai, notamment à M. Leroy qui est intervenu sur la promotion du français, le Président de la République a évoqué, lors d’un discours à l’Académie française qui concernait ce sujet, un plan de développement du français, dont l’objectif, très ambitieux, est de doubler le nombre d’apprenants dans les établissements. Aujourd’hui, il y en a 350 000, il faudra donc atteindre 700 000.

C’est un objectif très difficile qu’il nous faudra atteindre, mais c’est dans ce cadre-là que nous avons engagé une réflexion autour de la réforme de l’AEFE. Je serai amené à exposer assez rapidement le plan d’orientation qui portera sur cette nécessaire mobilisation pour le développement du français. C’est une préoccupation que nous partageons, que plusieurs d’entre vous ont mis en valeur et sur laquelle nous considérons qu’il y a une priorité.

L’Institut français recevra 2 millions de plus en 2019 pour financer des actions au titre du plan de la langue française que le Président de la République a annoncé à l’Académie française. Ses subventions dépasseront ainsi 30 millions d’euros. Là aussi, il y a une permanence. Vous avez parlé de volontarisme, mais n’est pas un volontarisme « en l’air », c’est un volontarisme concret et chiffré. Il n’y a que Mme Autain qui ne s’aperçoit pas que le budget est en augmentation, mais nous avons toujours été en désaccord sur les chiffres. Nous allons donc maintenir notre désaccord ce soir encore…

Mme Clémentine Autain. Je parlais du budget global !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Le budget global est en augmentation de 3,19 % : il s’élève à 4,89 milliards. Je suis désolé de vous contredire, mais jusqu’à présent, les chiffres sont ceux-là. Vous pourrez d’ailleurs consulter les documents budgétaires pour vous faire un avis définitif.

Mme Clémentine Autain. On se reverra dans l’hémicycle !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. C’est toujours un plaisir, madame…

À propos du G7, je répondrai à M. Alain David qui s’est excusé de ne pas pouvoir rester plus longtemps, comme à Mme Clémentine Autain qui s’est inquiétée de la faiblesse de son financement, que 12 millions d’euros supplémentaires seront mis sur le chapitre 347 pour assurer l’ensemble de l’organisation du G7 : déplacements, soutien pour l’ensemble des manifestations, qui n’ont lieu que tous les sept ans.

M. David souhait le renforcement des partenariats de la société civile au G7. Le Président de la République s’est engagé sur ce point. Comme je l’ai indiqué dans mon propos initial, des initiatives communes seront prises, dans ce cadre, avec les ONG et les représentants de la société civile, autour des grands thèmes comme les thèmes éducatifs, les thèmes initiés par le Canada sur l’égalité femmes-hommes ou la santé et l’alimentation. Cela se traduira donc concrètement. Une partie de ces 12 millions y sera consacrée.

Monsieur Joncour, je vous ai répondu à propos de l’AEFE. Vous appelez mon attention sur les problèmes liés à la redevabilité, au contrôle et au suivi des actions menées dans le cadre de l’aide publique au développement. Nous sommes très vigilants, mais M. Hervé Berville a fait, dans son rapport, des propositions très concrètes sur ce point. Je pense qu’à l’occasion de la loi d’orientation, il serait opportun de mettre en œuvre les cliquets nécessaires pour que cette vigilance sur la redevabilité soit totalement intégrée. Quoi qu’il en soit, je suis prêt à reprendre – et le Gouvernement est prêt à rejoindre – une bonne partie des propositions qui ont été formulées.

Je ne m’étonne pas que M. Lecoq ait parlé de M. Salah Hamouri. Je me réjouis comme lui de cette annonce du journal Libération, et je formule le souhait que son épouse et son fils puissent rapidement se rendre à Jérusalem pour le retrouver. Quand les nouvelles sont bonnes, on le constate et on s’en réjouit.

Monsieur le député, je suis de près le cas de Laurent Fortin, détenu en Chine pour une affaire de farine. Le procès a eu lieu les 5 et 6 juillet. Nous attendons désormais le verdict, qui devrait intervenir normalement d’ici octobre, et dont le prononcé ne pourra avoir lieu que trois mois après, selon les règles de la procédure chinoise. Chaque fois que j’ai l’occasion de rencontrer les autorités chinoises, ce qui arrive assez régulièrement, j’évoque cette affaire qui nous préoccupe beaucoup. Merci pour votre vigilance.

Concernant les GAFA, nous avons fait une proposition de taxation des entreprises numériques, qui est en discussion à Bruxelles et qui progresse. Nous pensons que l’adoption récente de la directive sur le droit d’auteur est un signal significatif qui devrait nous permettre d’aboutir à un résultat sur la proposition qui est portée par la France. Mais les discussions ne sont pas encore abouties à ce sujet.

Enfin, madame Autain, soyons clairs : l’orientation que je prends, et nous allons être d’accord cette fois-ci, consiste à renforcer les dons par rapport aux prêts. En raison de la diminution successive des budgets concernant l’APD, nous étions rendus à un point où il n’y avait plus de capacité de dons et où on ne faisait plus que des prêts. On ne touchait donc que les pays solvables. Le fait d’accorder la priorité aux dons – deux tiers de la progression en dons, contre un tiers de la progression en prêts – devrait nous permettre de nous retrouver dans une collaboration utile avec les pays les plus déshérités, et singulièrement les pays africains. Nous partageons donc ce point de vue.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Cela répond à une ambition qui avait été exprimée par l’ensemble de la commission lors de nos débats sur l’aide au développement. Je suis heureuse de constater que nous allons pouvoir le réaliser.

Je vais redonner la parole aux députés. Je commencerai par Mme Anne Genetet, rapporteure pour avis de la mission « Action extérieure de l’État », et j’en profite pour dire que je suis très heureuse de l’unification des fonctions support, dont nous avions exprimé le souhait l’année dernière, en particulier à travers l’avis d’Anne Genetet. Je suis très heureuse de constater que, finalement, un certain nombre de messages sont bien passés.

Mme Anne Genetet., rapporteure pour avis sur la mission « Action extérieure de l’Etat » Je pense qu’il faut aussi remercier notre ministre, qui a su faire preuve de détermination pour obtenir gain de cause.

Notre audition étant publique, je voudrais rappeler les missions de nos postes diplomatiques, qui ne sont pas seulement la diplomatie comme on pourrait le croire, mais aussi le rayonnement de la France et la sécurité des Français qu’ils soient de passage, en touristes ou établis. Ces missions sont souvent mal comprises, et je pense que l'une des raisons pour lesquelles on coupe facilement les budgets de ce ministère, tient à la méconnaissance de ce que nous faisons à l’étranger. Je voudrais d’ailleurs saluer ce que font tous nos agents dans les différents pays, un travail remarquable et totalement invisible pour nous qui sommes ici, et sans lesquels la France n’aurait pas la place qu’elle a sur la scène internationale. Je citerai également le cas de la Grande-Bretagne qui, en raison de soucis budgétaires, avait fait le choix, entre 2010 et 2015, de couper son budget par deux et de réduire sa présence universelle du réseau en supprimant des postes. Or, depuis 2017, elle a fait marche arrière. Il serait intéressant de comprendre pourquoi.

Monsieur le ministre, je voudrais déjà vous poser la question suivante : dans le budget tel qu’il a été défini pour le moment, et qui est tout de même assez tendu, quelle marge d’économies avez-vous ? Je sais que Bercy est toujours à l’affût de toutes les économies que l’on pourrait faire, et j’ai compris que notre ministre des comptes publics a deux préoccupations : combien ça coûte, et combien ça rapporte ?

Et si vous ne voyez pas de marge, quel changement de paradigme envisageriez-vous, s’agissant du fonctionnement de nos postes ? Quelle révolution préconiseriez-vous dans les méthodes ? Il ne faudrait pas que parmi les trois missions du ministère, la diplomatie, le rayonnement et sécurité des Français, on en sacrifie une au profit des deux autres. Je vise le fonctionnement des postes dans leur ensemble.

S’agissant plus particulièrement des Français établis ou de passage en France, quelle suite pensez-vous donner à certaines des propositions que j’ai faites dans le rapport que j’ai remis au Premier ministre le 11 septembre, qui visent à rationaliser la mission « sécurité des Français dans le monde » et donc, in fine, à diminuer les coûts ? J’en citerai quatre : un budget informatique spécifique dédié au ministère pour sa transformation numérique ; un observatoire de la mobilité ; une plateforme téléphonique centralisée pour pouvoir accéder à nos consulats ; enfin, un portail d’information dédié à la mobilité internationale, que ce soit pour les Français ou pour nos agents et opérateurs de l’État en France et à l’étranger.

M. Jacques Maire. Monsieur le ministre, nous nous félicitons comme tout le monde de cette première réforme de fond que constitue la montée en puissance de l’APD. En revanche, nous nous inquiétons un peu de la deuxième réforme de fond qui est la mutualisation des postes à l’étranger. J’ai en effet constaté qu’on vous transférait 387 emplois, mais à raison d’environ 30 000 euros par emploi, c’est-à-dire essentiellement des recrutés locaux. Or si on transfère des recrutés locaux et qu’on doit faire des efforts d’ajustement à hauteur de 387 emplois, le compte n’y est pas, et en fin de compte, cette réforme coûtera cher au Quai d’Orsay.

Ensuite, j’observe que vous avez transféré l’intégralité de l’expertise au sein d’Expertise France, et même aux filiales de l’AFD dans les mois qui viennent. De ce fait, les réseaux d’expertise deviennent totalement sous mandat développement. C’est un peu inquiétant parce qu’auparavant, les réseaux d’expertise venaient également en appui de l’économie française et des entreprises.

Vous avez par ailleurs supprimé cet été le réseau innovation, par exemple, qui était présent dans les innovateurs, à San Francisco et ailleurs. Je sais bien que la French Tech a repris le relais ici ou là. Malgré tout, on ne peut pas supprimer d’un seul coup l’ensemble d’une structure d’innovation qui aide les startups et les groupes français.

Enfin, je dirai quelques mots du continuum sécurité-développement. Vous savez très bien, pour l’avoir vécu vous-même, que les opérations extérieures ne règlent pas la question de la sécurité intérieure.

On souhaite consacrer d’importants moyens au développement de projets avec l’AFD au Sahel, dans des conditions de sécurité très dégradée. Mais problème est qu’aujourd’hui le financement de la sécurité intérieure ne relève pas du programme 209, mais du programme 110. Nous avons donc aujourd’hui une montée en puissance des moyens du programme 209 pour des crédits de paiement de l’ordre de 100 et quelques millions d’euros. Si nous avons cette montée en puissance des projets, mais si nous n’avons pas, parallèlement, les moyens d’augmenter les actions en matière de sécurité intérieure, nous allons être bloqués dans ce continuum sécurité-développement qui restera un bon concept, mais pas une réalité sur le terrain.

Mme Bérengère Poletti. Monsieur le ministre, je voudrais tout d’abord exprimer notre satisfaction, puisque vous avez effectivement décidé d’une loi de programmation qui nous semble indispensable ; quand on passe de 8,6 à 15 milliards d’euros pour l’aide au développement, c’est la moindre des choses. Nous aurons donc à discuter et à contrôler cette décision du Gouvernement.

Maintenant, qu’en est-il de la commission indépendante de contrôle des dépenses de crédits d’aide au développement, comme celle que nous avons pu voir en Grande-Bretagne au cours de la mission que j’y ai effectuée avec Rodrigue Kokouendo ? Ce pays dépense 0,7 % de son RNB pour l’aide au développement, sa commission est tout à fait efficace et me semble constituer un exemple intéressant.

Ensuite, vous avez évoqué dans votre propos liminaire la mécanique de la taxe sur les transactions financières (TTF). Mais les ONG sont très inquiètes : elles demandaient 100 % de la TTF sur l’aide au développement et sur la solidarité, or on passe de 50 % à 30 %. Elles n’ont pas compris cette mécanique. Pourriez-vous revenir dessus ?

J’aimerais dire un mot de l’éducation. En 2016, la France, n’a alloué que 25,7 % de son aide bilatérale à l’éducation à l’Afrique subsaharienne, 17, 7 % aux pays prioritaires de l’APD, et 4,2 % aux pays du G5 Sahel. Souhaitez-vous faire progresser cette proportion, qui paraît tout à fait pauvre au vu de l’importance de cette politique ?

Enfin, vous avez évoqué le regroupement des moyens au niveau des ambassades. Je voudrais soulever le problème de l’AFD, surtout avec l’augmentation des moyens dont elle bénéficie. Pourquoi ne pas mutualiser les moyens, dans les pays, entre l’AFD et les ambassades ? En effet, l’AFD a des locaux personnels, des moyens personnels. Quand on se déplace sur le terrain, cela semble tout de même un peu étonnant.

Mme Amal Amélia Lakrafi. Monsieur le ministre, nos postes diplomatiques et consulaires sont invités à participer à l’effort d’assainissement des finances publiques au même titre que toutes les administrations. Il est légitime que ces entités accompagnent le cap ainsi fixé avec de nombreuses marges d’amélioration possibles, pour optimiser leur fonctionnement.

Un objectif de réduction de 10 % de la masse salariale a ainsi été fixé d’ici à 2022. Vous connaissez l’inquiétude exprimée par cette perspective de réduction budgétaire. L’éloignement ajoute, il est vrai, à la crainte déjà éprouvée lorsque de tels objectifs sont fixés. Cette inquiétude est aussi renforcée par le fait qu’en bien des endroits du monde, nos postes sont en situation de surchauffe. Je l’observe lors de mes déplacements dans les pays de ma circonscription, où je ne manque jamais de m’entretenir avec les personnels de nos services consulaires. Mais cette observation vaut aussi pour les chancelleries diplomatiques où les services de coopération et d’action culturelle.

Les moyens de fonctionnement complexifient parfois le quotidien, et nécessitent l’investissement sans faille, au-delà de leur mission première, de tous les agents – agents que je salue et félicite chaleureusement pour leur implication et surtout, pour leur inventivité. Cette réalité ne se retrouve pas partout, heureusement. Mais il serait à mon sens dangereux de le nier totalement. Elle concerne notamment certains pays d’Afrique.

J’aimerais donc, si vous le voulez et si les éléments existent, que vous nous précisiez la méthode et les critères qui seront retenus pour respecter l’objectif de réduction de ces 10 % sans mettre pour autant en péril la capacité de certains postes à travailler efficacement. Je voulais notamment savoir ce qu’il en sera dans les pays d’Afrique où chacun s’accorde à considérer que notre économie devrait trouver de puissants relais de croissance, mais à condition, non seulement de maintenir nos positions, mais encore d’accroître notre influence dans un contexte de forte montée en puissance d’autres acteurs notamment la Chine. J’ai pris bonne note, lors de la Semaine des ambassadeurs, que le Premier ministre a dit que dans certains postes, on pourrait augmenter les effectifs.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je vais essayer de répondre rapidement, mais de manière générale, sur la question de la mutualisation : la mutualisation se fera sous la responsabilité et sous les ordres de l’ambassadeur. C’est lui qui devra définir la réalité de ce qu’il est possible de faire pour mutualiser, pour en tirer une plus grande efficacité. C’est lui qui sera chargé d’évaluer à la fois ses besoins, les gains de productivité et les marges d’économie possibles. Chaque poste a été chargé dès à présent de remplir sa copie, de faire une proposition, et nous serons amenés à vérifier la mise en œuvre. Je crois que cette évolution a bien été comprise par les ambassadeurs.

Madame Genetet, nous étudions actuellement les propositions que vous avez formulées dans votre rapport sur la mobilité internationale. Et parmi ces propositions, la création d’une plateforme d’appel me convient très bien. Nous allons essayer de voir si on peut déjà la mettre en place à titre expérimental, pour en faire un outil efficace. Le portail d’information nous convient également. Nous étudions vos propositions qui sont pertinentes pour la plus grande partie d’entre elles, et devraient nous permettre d’accroître notre efficacité.

Monsieur Maire, il est exact que les fonctions support sont généralement effectuées par des recrutés locaux- et singulièrement les fonctions dans d’autres ministères que le ministère des affaires étrangères. Le nombre de postes vous paraît un peu faible par rapport à l’enveloppe budgétaire parce que ce sont essentiellement les recrutés locaux qu’il faut mutualiser pour assurer les services partagés.

Sur le continuum et le financement de la sécurité intérieure, je n’ai pas compris votre observation sur le passage d’un programme à l’autre…

M. Jacques Maire. Aujourd’hui, l’action en matière de sécurité intérieure, qui est rattachée essentiellement à la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), ne relève pas du programme 209, et elle est assez contrainte. Si on veut augmenter, en particulier dans des zones comme le Sahel, l’action de sécurité intérieure pour permettre le développement de projets, il faudrait pouvoir émarger pour partie à l’augmentation de l’APD telle qu’elle est prévue via le programme 209 et via l’AFD.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Les moyens de la DCSD sont préservés. Pour moi, ce continuum est tout à fait essentiel. Je m’applique à ce que la continuité soit assurée concrètement, en particulier dans certains territoires africains. Mais j’ai mieux compris votre observation.

Madame Poletti, vous m’avez interrogé sur la TTF. Je sais que les ONG craignent qu’ait lieu, au passage, une sorte de rapt de l’enveloppe qui, initialement, allait directement à l’AFD. Ce n’est pas le cas. Je l’ai dit tout à l’heure, il ne s’agit que d’un transfert technique pour aboutir à une mobilisation des autorisations d’engagement qui nécessitent suffisamment de crédits de paiement. Cela rajoute aux crédits de paiement, et rendra plus efficace encore la mission de l’AFD qui d’un côté aura des programmes importants, et de l’autre verra son apport lié à la TTF maintenu. Je fais observer d’ailleurs qu’auparavant, les 270 millions d’euros qui allaient de la TTF à l’Agence n’étaient pas tous mobilisés – il n’y en avait que 55 millions qui étaient mobilisés. Cela va donc nous permettre, en plus, d’accroître l’efficacité de cette action. Merci de m’avoir amené à préciser ce point essentiel pour l’efficacité.

Vous avez par ailleurs soulevé un problème qui concerne l’AFD. Nous allons voir avec elle ce qu’il en est. Je comprends vos interrogations sur la mutualisation. Nous avons demandé à l’Agence de faire un effort important sur sa rémunération, mais je ne vois pas d’inconvénient à l’hypothèse que vous avez soulevée, en particulier dans certains pays.

Madame Poletti, sur le milliard d’euros d’autorisations d’engagement (AE) supplémentaire, 500 millions, soit la moitié, serviront à financer les secteurs éducation-santé. Cela s’ajoutera à ce que l’on fait pour le Partenariat mondial pour l’éducation, 200 millions sur trois ans ayant été décidés lors du Forum sur l’éducation qui s’est tenu à Dakar cet année.

Je ne suis pas opposé aux différentes solutions qui pourront m’être proposées à la suite du rapport Berville, lequel fera l’objet d’une loi. Dans ce cadre, les outils de contrôle me paraissent utiles. Je suis donc ouvert à ces propositions – qui figuraient aussi dans votre rapport.

M. Jacques Maire. Et la suppression du réseau innovation ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je suis désolé, mais je n’ai pas la réponse. Je vais regarder ce qu’il en est.

M. Hervé Berville. Je voudrais en profiter pour saluer, comme tout le monde, l’engagement et la détermination du ministre pour faire en sorte que ce budget augmente. C’est inédit, dans la mesure où ce dernier a diminué de 1998 à 2002, et diminue depuis dix ans. J’ajoute que cette tendance à la hausse est à contre-courant de ce qui se passe dans les autres pays européens, notamment en Allemagne.

Ma question est très simple. À l’occasion de ce PLF, nous assistons à un premier exercice de refonte des documents budgétaires, qui vise à donner un peu plus de lisibilité aux parlementaires comme à tous ceux qui s’intéressent à ces questions. Je trouve que c’est une excellente nouvelle. Cela va contribuer à une meilleure transparence, et cela va nous aider. Quelle est votre position sur le sujet ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette refonte de la maquette budgétaire, et sur l’exercice que vous êtes en train de conduire ?

Mme Delphine O. Je salue à mon tour la hausse de l’aide publique au développement pour 2019 qui reflète véritablement notre engagement pour la solidarité internationale.

Après avoir fait de l’égalité femmes-hommes la grande cause du quinquennat en France, le président Emmanuel Macron a défendu à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies la semaine dernière l’idée d’en faire une grande cause mondiale. Il a également annoncé consacrer 50 % de notre aide publique au développement à des projets permettant de réduire les inégalités de genre. C’est un engagement fort et ambitieux. Pour rappel, le programme 209, géré par le ministère des affaires étrangères, prévoit que 100 % des projets et programmes de l’AFD seront sous le signe du marqueur « genre » de l’OCDE et que 50 % des volumes annuels d’engagement de l’AFD auront un objectif « genre » principal ou significatif. Ce programme prévoit aussi un doublement de la contribution de la France à ONU Femmes. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, les mesures concrètes que le ministère va prendre pour assurer l’effectivité des objectifs définis par le Président de la République en faveur de cette grande cause ?

M. Meyer Habib. Je ne partage pas totalement l’euphorie de mes collègues. Les Français de l’étranger ne veulent pas être traités comme une variable d’ajustement budgétaire ! L’immense majorité d’entre eux n’est faite ni d’exilés fiscaux ni de rentiers ni de cadres expatriés. Le Président de la République a été clair, affirmant que l’enjeu numéro un était l’éducation. Or, le 7 novembre dernier, lors du dernier débat budgétaire, je mettais en garde contre les risques de dépeçage du service public de l’éducation nationale à l’international. Est en cause un décret de régulation pris en catimini le 21 juillet dernier, annulant 33 millions d’euros et dont il résulte une réduction massive du nombre d’enseignants et une explosion du taux de contributions versées par les établissements à l’AEFE – taux qui passe de 6 à 9 % avec les conséquences que l’on peut imaginer sur les frais de scolarité. Cette année encore, on constate une nouvelle réduction de la subvention allouée à cet opérateur majeur qui baisse de 15 millions d’euros. Du côté des bourses scolaires, ce n’est guère mieux : il y a 5 millions d’euros en moins alors que les frais explosent et que des centaines de familles se retrouvent exclues de leur bénéfice. Les plus fragiles d’entre elles sont les premières touchées. J’ai reçu plusieurs courriers d’administrés qui trouvent totalement dissuasifs les frais de scolarité, en particulier au lycée français de Milan. Il y a deux mois, un père désespéré à Rome me déclarait être obligé d’enlever ses enfants de l’école à cause des frais de scolarité.

Monsieur le ministre, vous aviez pris des engagements par la voix de votre secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne, m’assurant qu’aucune famille française résidant à l’étranger et répondant aux critères de bourse scolaire ne serait exclue de son bénéfice, faute de crédits. Le problème réside dans ces critères : souvent, une famille ayant un appartement ne répond pas à ces derniers et est obligée de retirer ses enfants du système scolaire. Êtes-vous prêt à envoyer un signal fort à nos compatriotes établis hors de France et à renouveler et à revoir à la hausse vos engagements ?

M. Frédéric Barbier. Unitaid est une organisation internationale engagée dans la prévention, le diagnostic et l’accès aux traitements contre les trois grandes pandémies que sont le sida, la tuberculose et le paludisme. La France est le premier contributeur à Unitaid. Nous l’avons financée à hauteur d’un milliard et demi d’euros depuis sa création en 2006. Ce financement provient à la fois de la taxe sur les billets d’avion ou « taxe Chirac » et de la taxe sur les transactions financières (TTF). Toutefois, depuis 2015, la contribution française à Unitaid est en diminution continue, ce qui complique ses actions pour le développement et ses actions innovantes. Unitaid gagnerait à bénéficier d’engagements pluriannuels comme le Fonds mondial en faveur duquel la France s’engage pour trois ans. Afin de garantir à Unitaid plus de stabilité dans ses financements et une plus grande prévisibilité de ses programmes, n’envisagez-vous pas de contribuer de façon pluriannuelle à cette institution ?

Mme Samantha Cazebonne. Contrairement à Meyer Habib, je salue le maintien des programmes 185 et 151 et me réjouis de votre impulsion en matière de sécurisation des bâtiments publics à l’étranger, et particulièrement des établissements scolaires. La répartition des subventions aux établissements conventionnés et partenaires, à l’accompagnement et à la formation à la sécurité, à la mise en œuvre de la cybersécurité dans les établissements à gestion directe (EGD) et aux crédits délégués à ces derniers sera-t-elle toujours la même qu’en 2017-2018 ? En effet, l’affectation au programme 723 me laisse un doute sur la formation des personnels à la sécurité qui me semble indispensable.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame Poletti, je voudrais faire une rectification concernant les 110 millions d’euros de réduction d’effectifs et de masse salariale au cours de la période : cette réduction ne concerne pas le seul ministère des affaires étrangères mais l’ensemble de la présence de l’État à l’étranger. La part de la réduction qui affecte notre ministère est donc inférieure à cette somme. En 2019, elle correspondra à 13 millions d’euros.

Mme Bérengère Poletti. Cela concernera-t-il l’AFD ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Non, pas l’AFD.

Il est vrai, monsieur Berville, que les documents budgétaires sont difficiles à lire et qu’on pourrait en renforcer la clarté. Je souhaite qu’on le fasse en en identifiant bien les chapitres de sorte que le programme 209 soit consacré aux dons, le programme 110, aux prêts et le FSD financé par la TTF, aux grands fonds multilatéraux.

Monsieur Habib, vous ne m’avez pas écouté au sujet de l’AEFE. Vous parlez de 15 millions d’euros en moins. Il ne s’agit pas de 15 millions, mais de 14,7 millions, et ce sont des fonds qui, dans la nomenclature antérieure, étaient affectés à la sécurité : je vous ai dit qu’on retrouvait cette somme, intégralement compensée. Quant aux crédits de l’AEFE, ils ont garantis par le Président de la République pour les années 2018 et 2019. Mes engagements sont donc tenus. Ils le sont d’ailleurs aussi concernant les bourses : comme je vous l’ai indiqué, 105 millions d’euros sont affectés aux bourses et il est possible d’aller au-delà de cette somme. Si certaines situations ne sont pas évaluées correctement, je vous prie de nous en faire part mais aujourd’hui, les crédits ne sont pas entièrement consommés si bien qu’on les ramène de 110 à 105 millions d’euros. Nous aurons la possibilité de les porter à nouveau à 110 millions si nécessaire.

Les crédits affectés à Unitaid baissent en effet de 90 à 85 millions d’euros. Ils font l’objet d’une programmation pluriannuelle 2017-2019 de 255 millions d’euros, ce qui leur confère une certaine lisibilité. J’ai eu l’occasion de le dire l’autre jour lorsque je recevais les responsables du Fonds mondial.

J’ai entendu l’observation de Mme Cazebonne sur la formation mais quand je parle des 100 millions pour la sécurisation, il s’agit vraiment de sécurisation physique. Vous parlez, vous, de la formation à la sécurité qui relève d’une autre ligne budgétaire. Il n’y a pas de raison que cette formation ne se poursuive pas.

Mme Samantha Cazebonne. Les 14,7 millions étaient exceptionnellement affectés au programme 185. Désormais, ils le seront au programme 723. Je voulais donc m’assurer que les mêmes critères seraient retenus, et parmi eux, celui de la formation des personnels à la sécurité car la notion d’ « affectation aux bâtiments » ne le laisse pas entendre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je vous remercie de cette précision.

Madame O, vous avez presque répondu à votre propre question par vos propos. Vous avez rappelé que l’un des objectifs de notre stratégie était de faire en sorte que 50 % des projets financés par l’AFD visent à la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes, que nous avons aussi doublé notre contribution à ONU Femmes et que nous avons fait de l’égalité femmes-hommes une des priorités de notre présidence du G7 en 2019. Nous sommes complètement d’accord avec vous pour faire de ce sujet un enjeu majeur. Comme vous le savez, le Président de la République en a fait la grande cause du quinquennat, ce qui se traduit aussi dans notre action pour le développement.

Mme Liliana Tanguy. Monsieur le ministre, vous avez évoqué les progrès à réaliser dans l’organisation de nos réseaux grâce à une gestion unifiée des emplois et des moyens supports qui leur sont alloués. Quelles sont les conséquences de cette réorganisation sur notre diplomatie économique et culturelle dans les pays où la France est peu présente comme en Amérique latine, par exemple ?

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis sur la mission « Immigration, asile et intégration ». Je voudrais revenir sur l’aide publique au développement, en augmentation de 280 millions d’euros pour atteindre 1,36 milliard, soit 41 % du budget du ministère et 54 % de ce même budget, hors dépenses de personnel. Cette hausse massive qui tend vers les objectifs des engagements internationaux de notre pays, s’accompagne-t-elle d’accords avec les pays qu’on aide ? On sait qu’il y a malheureusement une relation non linéaire entre développement et migrations, selon une courbe en J inversée : lorsqu’un pays commence à se développer, l’émigration y augmente car les aspirations des habitants s’accroissent avec le niveau de vie et que ces derniers ont désormais les moyens d’entreprendre une aventure migratoire qui n’était pas possible lorsqu’ils avaient moins de pouvoir d’achat. On constate par exemple une forte immigration en provenance de Côte d’Ivoire, pourtant pays ayant un fort taux de croissance, et non pas de pays beaucoup plus pauvres comme le Niger. Avez-vous prévu ou imaginé des accords avec des pays qui vont bénéficier de cette aide publique au développement ? Avez-vous imaginé des systèmes de réadmission via ces accords afin de pouvoir maîtriser les flux migratoires ? Cette idée est souvent revenue au cours de mes auditions.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, rapporteur pour avis sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation ». En tant que rapporteur pour avis du budget des anciens combattants, je souhaiterais, monsieur le ministre, revenir sur ce que vous avez dit en préambule et féliciter vos services dans la conduite de la politique mémorielle à l’extérieur. Chaque fois que je me rends à l’étranger – la dernière fois, ce fut à Skopje –, je peux voir à quel point cette politique mémorielle, qui correspond à une fonction régalienne de l’État, est assumée par vos services à l’étranger.

Quel est le montant de notre contribution à l’OTAN, si insuffisante soit-elle ?

M. Jean-François Mbaye. Je me félicite à mon tour de cette réforme de l’APD mais souhaiterais revenir sur l’aide multilatérale à la santé. Frédéric Barbier a commencé à l’évoquer en parlant d’Unitaid mais je voudrais pousser plus loin la réflexion. On peut saluer l’accueil et l’organisation par la France de la Conférence de reconstitution du Fonds mondial en 2019, ce qui démontre l’engagement soutenu et constant de notre pays en ce domaine. L’OMS a adopté en mai 2018 son nouveau programme général de travail pour trois ans, dont les priorités sont les mêmes que celles de notre pays et mériteraient d’être financées à hauteur des enjeux. L’aide bilatérale à la santé reste toutefois à un niveau trop faible pour que le niveau global de soutien français à la santé mondiale soit satisfaisant. Les chiffres nous disent que la France consacre à peine 10 % de son APD totale à la santé et seulement 4 % de l’aide bilatérale est allouée à ce secteur. La commission macroéconomique et santé de l’OMS recommande d’allouer 0,1 % du revenu national brut (RNB) à l’APD par des dons à la santé. En complément de nos engagements multilatéraux, une part plus importante de notre aide bilatérale pourrait aller à ce secteur-clef. Les récentes déclarations du Président de la République lors de la conférence des ambassadeurs ainsi que votre allocution devant l’AFD ont réaffirmé la santé comme une priorité stratégique, ce dont nous devons nous réjouir. Toutefois, le contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD ne mentionne à ce stade aucun engagement financier pour le secteur de la santé. Dans un contexte où l’aide publique au développement augmente de 130 millions en crédits de paiement, pouvez-vous nous indiquer si des avancées en matière d’APD bilatérale consacrée à la santé sont prévues ?

M. Christophe Lejeune. Notre pays, par ses actions de lutte contre le terrorisme international, contribue très largement à la stabilité mondiale et fait honneur à nos valeurs. Nos armées interviennent ou sont intervenues dans différentes opérations extérieures. On ne gagne durablement une guerre que si l’on anticipe et si l’on réunit tous les ingrédients nécessaires à la paix, mission qui relève notamment de votre ministère. Votre budget est en hausse. Comporte-t-il des mesures visant spécifiquement à aider à la reconstruction et au développement des territoires qui ont connu ou qui connaissent des conflits ?

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je veux dire à Jean-François Mbaye et aux autres membres de la commission que nous auditionnerons le directeur général de l’OMS le 30 octobre prochain.

M. Jean-Michel Clément. Je salue moi aussi l’augmentation de l’aide publique au développement. Quelque 500 millions d’euros seront consacrés à la lutte contre les inégalités, 200 millions, au climat, 200 autres millions à la gestion des crises et des fragilités et 100 millions à la gouvernance. Quel sera le calendrier du décaissement de ces sommes dans le temps ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame Tanguy, vous m’interrogez sur les évolutions de notre réseau à la suite des mutualisations et à la nécessité de maîtriser la dépense : ce sont les ambassadeurs qui doivent me faire des propositions et établir les ressources dont ils ont besoin en fonction du contexte et de l’ambition. Il ne s’agit de renoncer ni à des missions économiques ni à des missions culturelles, surtout pas en Amérique latine. J’ai pu le constater moi-même en me rendant récemment en Colombie où nous sommes le premier employeur étranger et où notre rayonnement culturel est considérable. Nous n’avons pas la volonté de supprimer le moindre service, mais celle d’assurer une cohérence, territoire par territoire, et de nous fixer des priorités dans les pays où nous considérons que notre présence doit être renforcée. Aucune mission ne sera rognée dans les pays que vous évoquez.

Vous abordez un vaste sujet, monsieur Dumont. Je ne crois pas à l’idée de  conditionner l’aide publique au développement à des réadmissions. Nous avons d’autres moyens d’agir à l’égard des pays concernés pour obtenir ces dernières : en l’absence de coopération, nous jouons sur les visas. C’est un moyen un peu ferme et tonique mais conditionner notre aide à des réadmissions ne correspond pas à ma philosophie.

Vous avez raison de souligner les effets de la hausse du niveau de vie de telle ou telle population dans les différents pays d’Afrique subsaharienne – effets qui ont été décrits dans un livre récent de Stephen Smith que vous avez dû lire, manifestement, puisque j’en entends des passages. Les migrations appauvrissent aussi les pays d’origine et, si j’ai bien compris votre question, il ne faudrait pas que l’aide publique au développement contribue au départ des populations et donc, indirectement, à appauvrir ces populations pendant un certain temps.

M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis sur la mission « Immigration, asile et intégration » Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit, monsieur le ministre. J’ai dit qu’il fallait éviter la fuite des cerveaux.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Cette observation est juste. Nous faisons en sorte, avec l’aide publique au développement, de poursuivre un objectif prioritaire : améliorer les conditions de vie chez nos partenaires du Sud. Il y a un partenariat avec les pays concernés mais nous n’établissons pas de lien de conditionnalité entre l’aide publique au développement et les réadmissions car cela ne me semblerait pas correct ni efficace.

Monsieur Lejeune, nous veillons effectivement à ce qu’il y ait une bonne continuité entre la pacification d’un territoire et la distribution d’une aide au développement. Cela est d’abord assuré par les militaires eux-mêmes et le ministère de la défense qui a des crédits budgétaires pour mener de petites interventions immédiates de soutien humanitaire aux populations concernées puis par le relais immédiat que prend l’Agence française de développement. Nous collaborons avec les états-majors sur place, notamment dans le cadre de l’opération Barkhane où il y a à proximité de l’état-major des représentants de l’AFD. Le but est de faire en sorte que des initiatives soient prises immédiatement pour que les territoires libérés ne soient pas de nouveau repris par tel ou tel groupe terroriste et que les populations se rendent compte que nous avons la volonté d’améliorer leur situation. C’est une préoccupation majeure.

Monsieur Mbaye, la moitié de la hausse d’un milliard d’euros ira à l’éducation et à la santé, soit à l’aide bilatérale. Éducation et santé étant intrinsèquement génératrices d’égalité entre les  hommes et les femmes, nous sommes tout à fait en adéquation avec vos propos. L’aide bilatérale est une orientation que j’ai souhaitée pour ce budget, comme vous avez pu le constater dans mon propos liminaire.

Quant à la contribution financière française à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), elle est de 198 millions d’euros, soit 10 % du budget de l’OTAN. Cela fait de la France le troisième contributeur après les États-Unis et l’Allemagne.

La lutte contre les inégalités fera l’objet de décaissements accélérés car il s’agit de financer des projets dans les zones fragiles comme le Sahel. L’AFD doit s’adapter pour accélérer les procédures. Elle le fait, en particulier dans les zones conflictuelles. Il faut en effet que nous puissions assurer un continuum entre la libération du territoire et les investissements en aide au développement. Cette rapidité des décaissements sera testée lors de la mise en œuvre de l’Alliance Sahel : 7 milliards d’euros seront mobilisés dans ce cadre, ce qui est énorme. Notre capacité à mobiliser ces crédits rapidement et efficacement donnera du sens à cette initiative prise par le Président de la République. Nous ferons le point sur les projets immédiats menés dans le cadre de l’Alliance Sahel au début du mois de décembre lors d’une réunion en Mauritanie.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous vous remercions beaucoup, monsieur le ministre, d’avoir répondu à nos questions avec précision et clarté.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 à 16 h 30

Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, M. Pierre Cabaré, Mme Samantha Cazebonne, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Pierre-Henri Dumont, M. Michel Fanget, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferriere, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nicole Le Peih, M. Maurice Leroy, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, M. Jean François Mbaye, M. Sébastien Nadot, Mme Delphine O, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, Mme Liliana Tanguy

Excusés. - M. Lénaïck Adam, M. Moetai Brotherson, Mme Laurence Dumont, M. Bruno Fuchs, M. Philippe Gomès, M. Jérôme Lambert, Mme Marine Le Pen, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Frédéric Petit, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson, M. Bernard Reynès, M. Joachim Son-Forget, Mme Sira Sylla, M. Guy Teissier, M. Sylvain Waserman

Assistaient également à la réunion. - M. Christophe Lejeune, M. Philippe Michel-Kleisbauer