Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Examen du rapport de la mission d’information sur l’assujettissement à la fiscalité américaine des Français nés aux États-Unis (MM. Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin, rapporteurs)              2

  Audition de M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement 14

–  Informations relatives à la Commission...............32

–  Présences en réunion...........................33


Mercredi
15 mai 2019

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 72

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence

 

de

 

M. Éric Woerth,

Président

 


  1 

La commission examine le rapport de la mission d’information sur l’assujettissement à la fiscalité américaine des Français nés aux États-Unis (MM. Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin, co-rapporteurs).

M. le président Éric Woerth. Nous commençons nos travaux par la conclusion de la mission menée par nos collègues Marc Le Fur et Laurent Saint-Martin sur ceux que l’on appelle les « Américains accidentels », c’est-à-dire la mission sur l’assujettissement à la fiscalité américaine des Français nés aux États-Unis au titre de laquelle ils ont effectué des déplacements à Washington et à Bruxelles. Nous avons évoqué le sujet lors de notre déplacement l’année dernière à Washington avec le rapporteur général, mais il n’a pas éveillé un grand intérêt chez nos interlocuteurs américains. Nos collègues nous diront si la situation a changé sur ce point extrêmement sensible pour une partie de nos compatriotes. Chacun dans sa circonscription connaît probablement une personne concernée par le sujet.

M. Marc Le Fur, co-rapporteur de la mission d’information. Nous avons ce matin le plaisir de vous présenter les conclusions de la mission que nous avons menée ces derniers mois sur l’assujettissement à la fiscalité américaine des Français nés aux États-Unis.

Notre commission s’est saisie de cette question car nous avons été informés par nos collègues d’un grand nombre de situations compliquées ainsi que par des signalements dans nos circonscriptions. Au terme de nos travaux, nous pouvons affirmer que, malheureusement, les problèmes ne sont qu’à leurs débuts. Nous avons conduit une quarantaine d’auditions, au cours desquelles nous avons pu entendre l’ensemble des acteurs intéressés : le ministère des affaires étrangères, des banques, des juristes spécialisés, le ministère des finances, des parlementaires qui se sont investis et l’Association des Américains accidentels, qui nous a fourni des témoignages précieux. Nous avons effectué deux déplacements, à Bruxelles et à Washington, dont nous tirons un bilan positif, même si beaucoup reste à faire.

Nous avons choisi comme titre final de notre rapport « Les impacts de la législation fiscale américaine à caractère extraterritoriale sur les citoyens français dits "Américains accidentels" ». Cette dernière appellation est sans fondement juridique, mais elle s’est imposée dans l’usage courant et est par ailleurs admise par nos interlocuteurs en Amérique.

Le changement d’intitulé s’explique par deux raisons. D’une part, le problème dépasse le seul fait que les binationaux franco-américains soient redevables de l’impôt sur le revenu américain, puisqu’ils sont également confrontés à d’autres difficultés en amont, en particulier d’ordre bancaire qui sont très sensibles. D’autre part, les personnes concernées ne sont pas toujours nées aux États-Unis, puisqu’elles peuvent être américaines par filiation, voire ne pas posséder la nationalité américaine et être malgré tout gênées dans leur activité, en raison de leurs échanges avec les États-Unis.

M. Laurent Saint-Martin, co-rapporteur de la mission d’information. Il s’agit d’abord de définir qui sont ces « Américains accidentels » et pourquoi ils nous ont alertés ainsi que plusieurs de nos collègues sur leurs difficultés.

Trois particularités juridiques se combinent. En premier lieu, les conditions d’acquisition de la citoyenneté américaine sont particulièrement larges, puisque, en plus du droit du sang, les États-Unis pratiquent un droit du sol intégral, conformément au quatorzième amendement de leur Constitution. Tout individu né sur le territoire possède la nationalité américaine, quelle que soit la durée de son séjour dans le pays, qu’il ait ou non demandé un passeport par la suite ou qu’il soit ou non retourné dans le pays. Les « Américains accidentels » sont donc binationaux par un « hasard » de la vie – ou plutôt de celle de leurs parents –, et beaucoup d’entre eux pensaient ne plus jouir de la nationalité une fois qu’ils avaient atteint l’âge de 18 ans. L’exemple typique est celui de l’enfant né d’une mère qui effectuait un séjour de courte durée aux États-Unis (pour des vacances ou son travail) et qui a quitté le territoire peu de temps après : cet enfant n’a jamais réellement bénéficié de la citoyenneté américaine ou vécu dans ce pays. En matière économique, la notion de « U.S. person » ne comprend pas que les ressortissants américains mais aussi les titulaires d’une « green card », voire parfois des personnes morales. On estime ainsi qu’environ 8,7 millions d’Américains résident en dehors du territoire des États-Unis. Le spectre qui nous intéresse est évidemment plus étroit.

Les États-Unis pratiquent également la « citizenship based taxation » (CBT) : les ressortissants américains sont imposés au titre de leurs revenus de source mondiale, quelles que soient la façon dont ils ont obtenu leur nationalité et la teneur des liens qu’ils entretiennent avec les États-Unis. L’Érythrée est le seul pays qui applique une procédure similaire dans le monde. Tous les autres États assoient ce prélèvement sur un critère de résidence. Ce principe repose sur des sources historiques, fondées sur la peur que la Couronne ne bénéficie de rentrées au titre de richesses produites dans les colonies nouvellement indépendantes. Cette disposition a ensuite été renforcée à l’occasion de la guerre de Sécession, avec les deux lois de 1861 et 1864. La CBT a été constitutionnalisée en 1913, étant inscrite par le seizième amendement, ce qui ne simplifie pas sa remise en question éventuelle.

Toutefois, sa portée est longtemps restée purement théorique. À l’exception des contribuables de bonne foi – qui savaient être redevables –, ou repérés de manière incidente, le fisc américain ne disposait pas des moyens juridiques et techniques de vérifier la situation économique et financière de l’ensemble des Américains vivant hors du sol des États‑Unis.

M. Marc Le Fur, corapporteur. En 2010, dans un contexte marqué par la volonté de lutter contre l’évasion et les fraudes fiscales, l’administration Obama a obtenu du Congrès le vote d’une loi instituant le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), qui fournit au fisc américain des outils pour appliquer les dispositions évoquées par Laurent Saint-Martin. En vertu de ce texte, les institutions financières étrangères (banques, compagnies d’assurance et sociétés de gestion de titres boursiers) hébergeant des comptes d’Américains ou recevant des paiements en provenance des États-Unis soit procèdent par défaut à une retenue à la source de 30 % sur les fonds d’origine américaine – on commence par la sanction –, soit, afin d’exempter les titulaires de ces comptes de cette sanction, acceptent un accord avec le Trésor, signé par les différents gouvernements, pour communiquer au Trésor américain les informations relatives à l’identité des clients, ainsi que les soldes de leurs comptes une fois par an et éventuellement davantage, à la demande.

Cette procédure met en évidence la puissance extraterritoriale du droit américain. Le Congrès a adopté en dehors de tout cadre diplomatique ce texte, étant présenté formellement comme un outil interne, mais dont les conséquences externes sont évidentes.

Les États-Unis ont été conduits à signer des accords intergouvernementaux (IGA) avec les autres pays, afin d’appliquer les règles de FATCA, sachant qu’une application unilatérale et universelle de cette loi n’aurait pas été possible, compte tenu de la complexité informatique du dispositif et des lois spécifiques des autres pays, qui protègent en particulier la vie privée de leurs concitoyens. Une négociation intervenue entre l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie (G5) avec les États-Unis a abouti en 2012 à une solution en deux points : le droit des pays européens se plierait aux exigences américaines et, en échange, nous obtiendrions, au titre de la réciprocité, les mêmes informations sur les comptes détenus aux États-Unis par les ressortissants de ces cinq pays.

La France, comme 113 autres pays, a adopté un texte permettant l’application de ce dispositif, visant à transmettre au fisc américain, par l’intermédiaire de la DGFiP, l’ensemble des données sollicitées. L’ensemble des signataires a adopté un dispositif semblable, une sorte de copier-coller. La ratification est intervenue en France par une loi du 29 septembre 2014, sans que l’on ait pu tout à fait prendre la mesure de certaines difficultés soulevées par quelques‑uns de nos collègues et qui sont évoquées dans les rapports. L’ensemble du débat parlementaire était en effet dominé par la volonté de lutter contre toute forme de fraude, et nous nous sommes donc pliés aux exigences américaines.

M. Laurent Saint-Martin, corapporteur. Les soucis rencontrés par les « Américains accidentels » sont parfois qualifiés de kafkaïens. Sur notre territoire, ils sont d’abord d’ordre bancaire. Dans le cadre de l’application du mécanisme de FATCA, les banques sont devenues de véritables collecteurs supplétifs pour l’Internal Revenue Service (IRS), c’est‑à‑dire le fisc américain, et la DGFiP, qui compile les informations que lui transmettent les banques pour les communiquer à l’IRS, est devenue une sorte d’agence de recouvrement de fait pour les États‑Unis.

Les banques sont simplement tenues par les textes de rapporter lesquels de leurs clients montrent des « indices d’américanité », et il appartient au Trésor de vérifier le respect de leurs obligations au titre de la CBT. Les interlocuteurs que nous avons rencontrés à Washington reconnaissent spontanément que les établissements français font preuve d’une volonté de conformité exagérée (qu’ils appellent « over-compliance ») par rapport à d’autres pays. Nous avons également remarqué dans nos travaux que la France est particulièrement en pointe au regard de l’excès de zèle bancaire.

Le fait que le problème semble présenter une moindre acuité dans d’autres pays a constitué pour nous une véritable surprise, qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Les banques françaises ont été traumatisées par l’affaire BNP Paribas, conséquence de l’extraterritorialité du droit américain, qui a donné lieu à une amende de 9 milliards de dollars. De plus, la structuration des banques autour de grands pôles les expose davantage aux sanctions américaines.

Indépendamment des complexités administratives, trois types de « tracasseries » sont observées. Certaines banques refusent purement et simplement les clients américains, ou ayant un indice d’américanité, en avançant un motif prudentiel simple : éviter toute éventualité d’être en porte-à-faux avec les normes américaines. Les banques en ligne ont ainsi pris des mesures radicales, puisque le simple fait de cocher « États-Unis » dans la rubrique « pays de naissance » bloque le processus d’inscription. Au cours des auditions que nous avons menées, plusieurs banques, telles que Boursorama, du groupe Société générale, ont assumé cette position.

Les « Américains accidentels » se heurtent en pratique à divers cas de restrictions et d’obstacles dans l’accès à un certain nombre de services bancaires et financiers, ainsi que dans l’usage et la gestion de produits. Quand elles ne procèdent pas à la fermeture des comptes et à la liquidation des actifs au gré de leur politique prudentielle – qui peut varier entre les établissements –, elles opposent parfois une « résistance passive ». Cette résistance peut prendre des formes très diverses, allant de délais excessifs dans le renouvellement des moyens de paiement à des difficultés opposées dans la renégociation d’un prêt, le règlement de successions ou la vente de titres en bourse.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons également pu mesurer l’impact pour l’entourage, au sens très large, de l’identification d’un indice d’américanité chez un conjoint, un parent ou un associé. Notre rapport fait part d’un certain nombre d’exemples touchant à l’usage d’un compte joint, à une procuration sur un compte ou à la gestion d’une société civile immobilière. Mais il montre également les entraves engendrées par la surinterprétation des accords FATCA dans le cadre de la vie associative et des entreprises.

Il ressort ainsi de plusieurs témoignages qu’en dehors de l’accès aux services financiers, la contrainte que représente transposition de la législation américaine a pu pousser des « Américains accidentels » à mettre un frein à leurs activités ou à revoir leur position dans les organes dirigeants des entreprises. Une telle contrainte paraît d’autant plus difficilement supportable qu’elle peut menacer le dynamisme et la pérennité des entreprises, notamment en raison des risques financiers liés à toute démarche de régularisation de la situation auprès de l’IRS.

M. Marc Le Fur, corapporteur. D’autres difficultés concernent la fiscalité, vis‑à‑vis de laquelle les « Américains accidentels » ne bénéficient d’aucun accompagnement au regard de la complexité du système.

Cette complexité commence par l’obtention obligatoire d’un identifiant fiscal, le taxpayer identification number (TIN). Or, les personnes nées avant 1986, auxquelles cet identifiant n’est pas délivré automatiquement, doivent entreprendre des démarches pour l’obtenir. Une fois cet identifiant obtenu, elles entrent dans un dispositif de plus en plus exigeant. Elles doivent notamment fournir un certain nombre de déclarations de revenus et de patrimoine, qui requièrent la fourniture d’informations beaucoup plus étendues que celles prévues par la loi française. Les « Américains accidentels » doivent ainsi transmettre des déclarations faisant état de leurs comptes bancaires, des actifs et des produits financiers détenus auprès des banques à l’étranger. En dernier lieu, la régularisation de la situation fiscale peut s’accompagner d’arriérés et de pénalités, sachant que les disparités d’assiette peuvent s’avérer sensibles entre les systèmes fiscaux français et américain.

Les « Américains accidentels » doivent donc payer des impôts en Amérique et peuvent en principe en déduire des impôts payés en France, par le biais d’un crédit d’impôt. Mais les administrations fiscales française et américaine doivent s’accorder sur la nature des taxes éligibles à ce crédit d’impôt. Ce n’est pas le cas pour la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), ou encore la vente d’une résidence principale, qui n’est pas imposée en France au titre des plus‑values, alors qu’elle l’est aux États-Unis.

Une autre difficulté conjoncturelle, mais particulièrement sensible, concerne l’année blanche. Au titre de 2018, les Américains ne peuvent en effet déduire aucune somme de leur impôt, puisque nous ne sommes pas imposés – en théorie tout du moins – sur cette année.

M. Laurent Saint-Martin, corapporteur. En première analyse, l’une des solutions pour ces « Américains accidentels » consisterait à abandonner la citoyenneté américaine. Notre rapport montre que la conception très intégrative du droit de nationalité va de pair avec une procédure de renonciation qui obéit à un formalisme relativement strict. Or, le respect des exigences procédurales et financières n’est pas aisé pour des personnes vivant à l’étranger, qui ne connaissent pas les arcanes du droit américain et qui, pour la plupart d’entre elles, ne parlant pas l’anglais.

Pour les Américains vivant à l’étranger, la procédure de renonciation comporte : un entretien au consulat ou à l’ambassade –souvent qualifié de « moment impressionnant », selon les témoignages recueillis, voire de « véritable interrogatoire » – ; l’établissement d’un dossier nécessitant la fourniture d’un certain nombre d’informations et de justificatifs ; la signature d’un serment contre la remise d’un certificat de perte de la nationalité américaine.

Au moins en droit, les demandeurs doivent être en mesure de justifier de la régularité de leur situation à l’égard du fisc américain. Pour abandonner la nationalité américaine, il faut donc être en conformité avec l’IRS. Or, c’est ce qui constitue précisément la raison de la renonciation à la fiscalité américaine. La situation est donc kafkaïenne pour un certain nombre de ces personnes. Dans la pratique, les informations que nous avons recueillies à Washington sont contradictoires. Certes, la dette éventuelle peut être reportée mais elle ne disparaît pas à l’issue de la renonciation.

Les autorités américaines exigent en outre le paiement de droits administratifs et, selon les montants, d’une « expatriation tax ». Il ne s’agit pas de montants anodins puisque depuis 2014 – année de ratification de l’accord intergouvernemental par la France –, la somme demandée au titre de la renonciation s’élève à 2 350 dollars.

De notre point de vue, ceux de nos compatriotes qui choisissent de conserver la qualité de ressortissants des États-Unis doivent en assumer les conséquences. Mais ceux qui n’entendent maintenir avec ce pays aucune attache ne sauraient être assignés à leur nationalité, comme on assigne d’autres à résidence. C’est dans cet esprit que la proposition numéro 2 de notre rapport préconise de réduire les frais administratifs de renonciation à la citoyenneté américaine, en revenant à leur montant antérieur de 400 dollars et d’exonérer de leur paiement les individus modestes.

M. Marc Le Fur, corapporteur. Le nombre de personnes concernées par ces difficultés bancaires et fiscales est amené à s’accroître, puisque nous sommes au début du processus. Des solutions doivent être trouvées afin de mettre fin à ces injustices patentes.

En premier lieu, certaines garanties dépendent uniquement des pouvoirs publics français. Il s’agit de prévenir les discriminations dans le traitement des établissements bancaires à l’égard des « Américains accidentels ». À cette fin, nous recommandons de rappeler formellement aux établissements financiers, par la voie d’une communication commune du ministère de l’économie et des finances et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), que la retenue de 30 % sur les flux de sources américaines ne serait activée qu’en ultime instance. Bien qu’il suscite des craintes, ce dispositif n’a jamais été activé par les États-Unis et il convient donc de se garder de le mettre en avant. Il convient également d’attribuer à l’ACPR le pouvoir d’enjoindre aux institutions financières de motiver leur décision de rupture ou de refus de relations contractuelles avec les particuliers affichant des « indices d’américanité », en cas d’échec d’une procédure de médiation entre les particuliers et les banques, et la possibilité d’injonction donnée aux autorités françaises.

En deuxième lieu, certaines mesures sont suspendues à l’aboutissement de négociations bilatérales avec les États-Unis. À ce jour, le Gouvernement français s’est borné à saisir les autorités américaines de la question et à proposer des pistes techniques, sans entamer de pourparlers formels, ni évoquer un calendrier concret. À l’évidence, nos interlocuteurs nationaux ne considèrent pas ce sujet comme une priorité à ce stade. Une véritable négociation doit donc être ouverte avec les États-Unis, en rappelant à l’administration américaine son engagement de réciprocité contenu dans cet accord. En effet, nous communiquons systématiquement des informations sur nos compatriotes qualifiés d’« Américains accidentels », mais nous recevons très peu d’informations des États-Unis. Sur la base de demandes, nous sommes informés d’environ quatre‑vingt‑dix situations par an, sans rapport avec la masse d’informations que nous communiquons aux États-Unis.

Une solution simple consisterait aussi à négocier une révision des seuils de revenus et de patrimoine conditionnant la transmission des données FATCA. L’idée est qu’il n’y aucun intérêt à « embêter » les personnes possédant des patrimoines relativement modestes. Les interlocuteurs administratifs que nous avons rencontrés à Washington seraient d’accord sur ce point, évitant ainsi la production d’une grande masse de dossiers. Les stipulations de la convention fiscale franco-américaine de 1994 doit par ailleurs être actualisée, afin de résoudre les problèmes évoqués au regard de la CSG notamment.

En cas d’échec des négociations, il conviendrait d’envisager – Laurent Saint‑Martin et moi partageons ce point de vue – que l’accord FATCA soit dénoncé de façon unilatérale, compte tenu de l’absence de réciprocité. Cela n’est pas notre souhait mais une telle éventualité ne doit pas être écartée si nous ne progressons pas dans la négociation que nous appelons de nos vœux. En effet, l’article 55 de la Constitution dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Cette disposition s’apprécie donc pour chaque accord ou traité et non globalement. Et s’agissant de cet accord, nous considérons que la condition de réciprocité n’est pas remplie de manière convenable.

M. Laurent Saint-Martin, corapporteur. D’un point de vue parlementaire, il est intéressant d’examiner la teneur des échanges qui ont eu lieu en septembre 2014 à la commission des finances, avec Yann Galut en tant que rapporteur pour avis. Je comprends que la majorité précédente ait souhaité signer l’accord intergouvernemental, en préconisant d’attendre la réciprocité de l’accord FATCA. Ce point fait partie des conditions de l’accord, puisque son article 8 propose de modifier, voire de dénoncer cet accord intergouvernemental en cas de non‑réciprocité. En tant que parlementaires, nous pouvons donc tirer des conclusions de ce qui s’est passé il y a cinq ans.

En troisième lieu, nous préconisons de recourir à une négociation bilatérale, ce qui n’interdit pas à la France de chercher à trouver un relais européen à son action. Nous proposons donc que la situation des « Américains accidentels » soit d’abord inscrite à l’ordre du jour du Conseil des ministres des finances de l’Union européenne. Puis, sur le modèle du règlement de 1996 relatif à l’embargo contre l’Iran, nous proposons d’envisager la mise en place d’un dispositif susceptible d’atténuer les effets extraterritoriaux de la législation FATCA pour les établissements bancaires.

En quatrième et dernier lieu, les injustices qui résultent de FATCA pour les « Américains accidentels » ne trouveront de règlement durable qu’à travers une réforme des principes du droit américain. Deux réformes sont à cet égard possibles : d’une part, la réduction des frais administratifs de renonciation évoqués précédemment, pour les ramener à 400 dollars, et l’exonération de leur paiement pour les individus les plus modestes ; d’autre part, la révision à la hausse des seuils de l’expatriation tax.

Toutes ces propositions ne sauraient occulter un problème beaucoup plus fondamental, dont les « Américains accidentels » constituent une illustration : je veux parler ici de la propension des États-Unis à vouloir conférer à certaines de leurs normes internes une portée extraterritoriale. Cette menace appellera de la part des pouvoirs publics, et notamment du Parlement, une vigilance extrême quant aux engagements internationaux souscrits à l’avenir par la France.

M. le président Éric Woerth. Je vous remercie pour votre rapport particulièrement instructif et votre travail méticuleux. Les solutions évoquées dans votre rapport s’avèrent complexes.

La non-réciprocité de FATCA constitue un sujet de grande faiblesse, l’automaticité devant s’appliquer globalement et non dossier par dossier ou à la demande. Notre ambassadeur aux États‑Unis nous avait indiqué que nous étions les seuls à nous inquiéter de cette question, en précisant que les autres pays formulaient peu de demandes sur leurs propres ressortissants. Cela serait dû, d’après vos propos, à l’overcompliance, qui consiste à aller plus loin que l’application pure et simple de FATCA. Cette surtransposition, ou surimplication, pratiquée en France complique la situation.

Votre proposition consistant à diminuer le coût de la démarche pour l’abandon de nationalité s’adresse à l’administration américaine.

Pour clore cette mission, au-delà de la publication d’un rapport, je me demande si la commission des finances ne devrait pas adresser un courrier demandant à Bercy d’ouvrir des discussions officielles sur le sujet – sous des formes restant à définir –, en se fondant sur votre rapport et les propositions excellentes qu’il contient. Si Donald Trump était européen, il aurait dénoncé FATCA depuis longtemps, compte tenu de l’absence de réciprocité et de la surpuissance qu’il implique pour un État, indépendamment des nombreux dommages collatéraux induits pour un certain nombre de nos concitoyens qui ne sont américains que formellement.

M. Joël Giraud, rapporteur général. Merci pour ce travail extrêmement intéressant sur un sujet qui est loin d’être anecdotique. Comme le rappelait le président Woerth, nous avons bien senti lors de notre visite aux États-Unis,l’absence totale de compassion ou d’envie de régler le problème du côté de l’administration américaine. Du côté de l’ambassade française, nous n’avions pas non plus le sentiment que le sujet était vraiment porté.

Je crois donc sincèrement que la saisine officielle de Bercy, comme vient de le suggérer le président, pourrait effectivement relancer le processus. Nous ne pouvons en effet attendre que les derniers « Américains accidentels » soient décédés pour régler la difficulté.

En Italie, le sujet n’est absolument pas évoqué dans les journaux économiques. Or le nombre d’Italiens nés aux États-Unis de façon accidentelle est considérable, compte tenu des relations particulières entre les deux pays. Le fisc italien fonctionne particulièrement bien. Lorsqu’un frontalier rencontre des problématiques de TVA, y compris un professionnel restaurateur, la brigade financière française est directement saisie par la garde des finances italienne. À moins que le ressortissant en question ne soit protégé par ailleurs, le système fonctionne. Je ne comprends donc pas pourquoi nous serions un cas unique, sachant que les services fiscaux de nombreux pays sont tout aussi pointilleux et coopératifs que les nôtres. Je me pose donc la question des comparaisons, notamment européennes, qui peuvent être réalisées en marge de votre rapport.

Vous avez rappelé l’originalité de la situation des « Américains accidentels » et le caractère extraterritorial de la loi FATCA. Quel bilan global tirez-vous de l’application de ce texte dix ans après son adoption, en particulier après la mise en place par l’OCDE d’un nouveau cadre d’échange d’informations entre administrations, qui se sont considérablement développés et qui fonctionnent correctement ? Nous avons d’ores et déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet à la commission des finances.

Les difficultés bancaires évoquées par Laurent Saint-Martin constituent une discrimination incroyable relative à la nationalité et à l’égalité de traitement. Un tel comportement de la part des établissements bancaires contredit le droit au compte institué en 1984, qui permet de saisir la Banque de France en cas de refus d’ouverture de compte. Le défaut de notoriété des « Américains accidentels » semble rejoindre celui de la loi de 1984 sur le droit au compte, qui devrait pouvoir résoudre de telles difficultés.

M. le président Éric Woerth. Cette mission d’information pourrait être poursuivie en élargissant le sujet à l’application de FATCA.

M. Julien Aubert. L’accord franco-américain que vous avez évoqué contient-il une clause compromissoire qui permettrait de saisir un tribunal arbitral ou la Cour internationale de justice en cas de désaccord ?

Par ailleurs, le montant de la taxation actuellement acquittée par les « Américains accidentels » a-t-elle été chiffrée ? Dans le même ordre d’idée, dispose-t-on également d’une évaluation du préjudice subi à cause des difficultés bancaires qu’ils rencontrent ?

Dans la mesure où le Parlement européen a adopté une résolution, je m’interroge sur les possibilités d’action au niveau national, sachant que l’Europe pourrait sans doute peser davantage pour faire entendre raison aux Américains. Joël Giraud a signalé que les Italiens ne réagissaient pas de la même manière. À la suite de la résolution adoptée par le Parlement européen, la Commission et le Conseil ont-ils engagé une action et, dans ce cas, comment peut-elle s’articuler avec notre propre action diplomatique ?

M. Jean-Paul Mattei. Merci pour ce rapport, qui m’intéresse à plusieurs titres, puisque nous travaillons avec mes collègues Éric Coquerel et Dominique David sur l’impôt universel. Vos propositions me semblent difficilement applicables ou réalisables, sur le fond.

Première question : connaissez-vous le nombre approximatif d’« Américains accidentels » ? Je m’interroge en outre sur les discussions parlementaires et sur les réticences exprimées à l’époque de la ratification de FATCA. Les États-Unis s’apparentent à un paradis fiscal, puisque les échanges de données interviennent dans un seul sens. Une personne qui voudrait se « mettre à l’abri » d’une trop grande surveillance pourrait s’installer aux États‑Unis pour éviter de fournir des informations.

Vos propositions pourraient-elles inclure une sorte de guide des bonnes pratiques pour que les personnes qui auraient un enfant aux États-Unis puissent renoncer par anticipation à la nationalité américaine ? En matière de réforme des droits de succession à l’international, certaines méthodes sont préconisées pour éviter l’application d’une réglementation contraignante. Un guide pourrait être édité pour prévenir les personnes concernées, en les informant de cette possibilité et des conséquences que cela pourrait avoir sur leur statut fiscal.

Mme Christine Pires Beaune. En préalable, je voudrais faire une remarque sur le décret d’avance dont nous avons été informés en début de séance. Si je comprends bien, nous prenons 4 millions d’euros sur l’aide au développement aux pays en difficulté pour financer l’organisation d’un congrès en France.

Concernant le rapport, je souhaite d’abord remercier nos deux rapporteurs. Je réitère la question concernant la présentation d’éléments chiffrés, absents de la synthèse, quant au nombre de binationaux franco américains. Disposez-vous en outre d’informations sur leur niveau de revenus et de patrimoine, permettant d’estimer les enjeux ?

Par ailleurs, estimez-vous que les banques françaises font preuve d’un comportement spécifique ? Le zèle exercé pourrait expliquer le fait que seule la France a mis en avant cette question de la de la fiscalité.

M. Éric Coquerel. Jean-Paul Mattei a rappelé que nous travaillons sur le sujet dans le cadre de la mission d’information sur l’impôt universel. Ma première réflexion porte sur la proposition numéro 2 du point 4, consistant à aider les « Américains accidentels » à abandonner leur nationalité américaine. La question de fond est là. Dans le cadre des auditions que nous avons menées, il est apparu que la démarche est excessivement compliquée et coûteuse. Toutefois, certains « Américains accidentels » trouvent des avantages à conserver la double nationalité. Dans ce cas, il ne me paraît pas anormal qu’ils en paient le prix, sur la base des règles américaines au regard du paiement de l’impôt. Pour ceux qui subissent une situation compliquée, nous devons examiner la façon la plus efficace de leur apporter une aide.

Pour le reste, il s’agit d’une question de rapport de force. La pression exercée par les États-Unis sur le système bancaire international ne concerne pas uniquement FATCA, qui représente sur ce point un épiphénomène. Dans le cadre du blocus avec Cuba, par exemple, Donald Trump a décidé de manière unilatérale d’appliquer l’article 3 de la loi Helms-Burton, qui empêche de facto aux grandes entreprises européennes tout commerce avec ce pays, pour des raisons qui sont propres aux États-Unis. Je pourrais également évoquer la problématique de l’Iran. Je crains donc qu’au niveau européen nous ne soyons pas très suivis – si tant est que nous en ayons le souhait – dans le rapport de force qui serait nécessaire vis-à-vis des États‑Unis, dès lors que leur pouvoir économique nous oblige à suivre leurs décisions unilatérales.

M. Charles de Courson. Je remercie nos deux rapporteurs pour ce travail intéressant. Nous sommes beaucoup à avoir reçu l’Association des Américains accidentels, qui subissent effectivement une situation qui pourrait être qualifiée de kafkaïenne.

Parmi les Franco-Américains, estimés à 20 000 environ, avez-vous une idée du nombre de cas qui posent problème ? L’un de mes amis, chef d’entreprise d’une grande société, est né par hasard aux États-Unis, car ses parents y ont travaillé pendant deux ans. Il a reçu un jour une lettre de l’administration fiscale américaine lui demandant de payer ses impôts aux États-Unis. Il s’est donc rendu à l’ambassade pour déposer une demande de renonciation à la citoyenneté américaine, et a dû s’engager pour cela dans une longue procédure. Il serait intéressant de connaître le nombre de cas concernés, sachant que l’association compte près de 400 personnes, qui représentent à peine 2 % des Franco-Américains.

Parmi vos douze propositions, je pense que certaines doivent être abandonnées, telles que la dénonciation unilatérale de FATCA, qui pourrait nous porter préjudice et ne me paraît pas raisonnable. En outre, la proposition de rappeler aux banques qu’elles ne doivent pas appliquer ces règles strictement ne sera pas suivie, compte tenu des risques qu’elles encourent, qui s’élèvent à des centaines de millions, voire des milliards d’euros. Je n’y crois pas du tout.

Il resterait donc à mon sens deux voies possibles. Vous avez évoqué la première, qui est la voie européenne, puisque le Parlement européen s’est prononcé en juin 2018 en faveur d’une négociation globale des pays européens avec les États-Unis sur cette affaire. Ce serait la voie idéale. À défaut, il serait souhaitable d’essayer de modifier la convention ou d’obtenir du Congrès américain une amélioration de la convention bilatérale. Ces deux voies ne sont par ailleurs pas exclusives l’une de l’autre.

M. Fabrice Brun. À mon tour de remercier les rapporteurs pour cet éclairage précieux. Cinq ans après l’approbation de FATCA, votre rapport met en évidence la légèreté avec laquelle notre institution a approuvé cet accord, avec les conséquences qui en découlent.

Je voudrais poser deux questions. Y a-t-il un risque que nous soyons amenés à approuver des accords similaires à ceux conclus avec les États-Unis ? Comment renforcer notre capacité d’information et de contrôle sur ce type d’accords si l’exécutif nous proposait d’en ratifier de nouveaux ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Je voudrais également remercier nos deux rapporteurs, en précisant que Marc Le Fur, qui travaille depuis quelques années sur ce sujet, est le premier qui m’a alerté sur le dispositif. Je voudrais donc lui rendre hommage.

Le Défenseur des droits, très justement, a dénoncé l’illégalité de la situation. Cela doit nous interpeller, puisqu’il a pris fait et cause, à deux reprises, sur ce dispositif.

Je retiens dans votre rapport les six propositions qui correspondent à des mesures inhérentes aux négociations bilatérales avec les États-Unis. La diplomatie française et, plus largement, l’ensemble du Gouvernement doivent engager un effort particulier dans le cadre des relations bilatérales pour faire avancer ce sujet. Sinon, on ne bougera pas ! Préconiser que l’ACPR doit intervenir auprès des banques ne suffira pas à traiter l’ensemble de la problématique. La résolution de ce problème dépendra de la capacité de l’État français à négocier avec les États-Unis.

Quant aux réformes du droit américain, il me semble qu’il ne nous appartient pas de les imposer aux États-Unis, qui sont souverains en la matière.

À l’occasion de la campagne des élections européennes, l’ensemble des pays de l’Union européenne devraient se saisir de ce sujet, sachant que la France est la plus impactée.

M. M’jid El Guerrab. Merci beaucoup aux deux rapporteurs pour leur travail intéressant aussi bien politiquement que techniquement.

Je subis dans ma circonscription un effet collatéral du sujet évoqué, à savoir les fermetures, non pas préventives mais abusives, par les banques des comptes des Françaises et des Français de l’étranger. Nos concitoyens installés aux États-Unis sont également impactés par les grandes banques, françaises ou non, qui veulent se conformer au dispositif et qui les excluent d’office. Des milliers de comptes de Français sont ainsi fermés. N’ayant pu finir la lecture de votre rapport, j’ignore si vous évoquez la possibilité d’éviter ces fermetures abusives.

M. Marc Le Fur, corapporteur. Merci de ces questions et des propos aimables que vous avez eus à notre endroit.

Dès le départ, nous avons été surpris par le fait que ce phénomène, qui devrait être comparable dans tous les pays européens, voire dans les pays tels que le Canada ou le Mexique, ne sont évoqués nulle part ailleurs, ou très peu. Cela s’explique très clairement par l’attitude de nos banques, en raison du traumatisme qui a été créé et parce que nous disposons de grandes banques qui échangent toutes avec les États-Unis. Certains pays, comme l’Italie ou l’Allemagne, dont les banques sont davantage locales, subissent sans doute moins la contrainte. Le sujet commence toutefois à émerger ailleurs également, aux Pays-Bas notamment. Au Mexique et au Canada, on a constaté une augmentation sensible du taux de renonciation à la nationalité américaine.

Concernant le point évoqué par Éric Coquerel, nous avons souhaité apporter des solutions pragmatiques à nos concitoyens qui sont confrontés au sujet, mais aussi montrer cette forme d’« impérialisme » juridique américain, qui peut se déployer sur la question de l’Iran, sur la question du cloud et sur bien d’autres sujets. Nous avons là un exemple concret qui impacte fortement nos particuliers.

Le sujet devrait également concerner l’Italie à brève échéance, car si dans un premier temps les banques ne sont pas très exigeantes, le fisc américain continue lui sa progression sur le sujet. Nous sommes en effet au début du processus, puisque le dispositif FATCA est récent et que les échanges sont amenés à se développer entre les pays.

À ce stade, les instances européennes sont assez peu sensibilisées à ces questions. Le Parlement l’a été quelque peu, la Commission pas du tout, et le Conseil ne s’est jamais saisi du sujet. La question fiscale demeure donc bien une singularité nationale. Mais le sujet concerne également les autres pays et si nous souhaitons peser face aux États-Unis, nous devrons sans doute nous rapprocher. Nous ne devons pas faire preuve d’un grand pessimisme dans ce domaine, puisque tous nos interlocuteurs à Washington, dans l’administration et parmi les politiques, admettent l’existence de la problématique.

La situation peut également évoluer car les Américains qui se rendent à l’étranger sont confrontés à d’importantes difficultés, notamment s’ils souhaitent acquérir une résidence en France, ou en Italie. Les instances politiques américaines ne sont donc pas insensibles au sujet, aussi bien au sein du parti républicain qu’au parti démocrate. Des propositions sont formulées, qui ne seront probablement pas à l’ordre du jour avant les élections de 2020, pour faire évoluer le sujet très sensiblement. Nous pouvons donc espérer des avancées, mais pour cela, notre gouvernement doit s’emparer de cette problématique. Nos diplomates aux États‑Unis ne se sont pas emparés du sujet car ils n’y sont pas confrontés, les Français qui vivent en Amérique n’étant pas des « Américains accidentels ».

M. Laurent Saint-Martin, corapporteur. Éric Woerth et Charles de Courson ont évoqué la non-ratification par le Congrès américain de l’accord intergouvernemental. Dans les comptes rendus des séances de la commission des finances voici cinq ans, le rapporteur pour avis reconnaissait que, dans la mesure où le Congrès était composé d’une majorité opposée au président Barack Obama, en seconde partie de mandat, il n’y avait aucune chance qu’il ratifie l’IGA. Nous avons donc voté un texte pour fournir au fisc américain, par le truchement des banques puis par celui de la DGFiP, l’ensemble des données bancaires et patrimoniales de toute personne ayant un indice d’américanité, en sachant pertinemment que la réciproque ne serait pas avérée. Cela ne signifie pas qu’elle ne sera pas obtenue un jour. Force en tous cas est de constater qu’aujourd’hui, cette condition n’est pas remplie de manière satisfaisante.

Sur la question de Fabrice Brun, visant à prévenir de futurs IGA ou de futures applications de lois à caractère extraterritorial, il convient peut-être de s’assurer, avant de voter, que la réciprocité puisse être appliquée. Nous constatons en effet dans les échanges à la commission des finances et en séance publique une reconnaissance assez assumée que la réciprocité ne pouvait pas être effective au moment du vote. Nous constatons qu’elle n’a pas été réalisée ultérieurement.

Nous sommes peut-être allés trop vite sur la loi FATCA, dont la finalité est en soi louable et positive, puisqu’il s’agit de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Il est donc normal que la France ait vu un intérêt à une réciprocité des échanges de données pour ses propres ressortissants. L’accord n’a toutefois pas rapporté davantage de cas de fraudes et d’exil fiscal au fisc français, contrairement aux Américains, avec des dommages collatéraux extrêmement dommageables pour les « Américains accidentels ».

Concernant votre proposition, monsieur le président, d’adresser un courrier à Bercy, Marc Le Fur sera sans doute d’accord avec moi pour l’approuver. Ce courrier pourrait être également adressé au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dont une délégation se rend à Washington. Il convient donc de la saisir, de l’informer de notre rapport et de l’inviter à poursuivre ses travaux au vu de nos recommandations.

Joël Giraud a posé une question intéressante sur l’OCDE et le bilan de FATCA dix ans après. On peut comprendre pourquoi les États-Unis ne se sont pas intégrés dans le processus de l’OCDE, sachant que leur loi n’aurait pas de caractère extraterritorial s’ils l’appliquaient de façon multilatérale. Nous sommes arrivés à Washington au moment où la « taxe GAFA » commençait à être discutée en France. L’ensemble des parlementaires et des fonctionnaires que nous avons rencontrés ont évoqué cette taxe, en faisant le constat simple suivant : « l’unilatéralisme, c’est nous et le multilatéralisme c’est vous ». L’idée qu’une loi puisse être votée en France de façon unilatérale sur la taxation du chiffre d’affaires des géants du numérique leur paraissait totalement irresponsable. C’est donc une question de rapport de force, comme l’indiquait justement Éric Coquerel. Charles de Courson a peut-être raison de qualifier la dénonciation de l’IGA de démesurée ou disproportionnée, mais si nous l’excluons, il n’y aucun rapport de force. Elle doit donc constituer pour nous une solution en dernier recours. Ce que nous pouvons réaliser, notamment au niveau européen, doit permettre au fisc français de bénéficier de l’échange d’informations, inexistante jusqu’ici.

Concernant le nombre d’« Américains accidentels », le chiffre est difficile à établir car nous ne disposons pas de fichier sur les binationaux. Le registre à Nantes pourrait fournir le nombre de Français nés aux États-Unis, mais ils ne sont pas tous binationaux. Il y a également les Américains par filiation. Les « Américains accidentels » constituent un sous—ensemble des binationaux et tous ne se considèrent pas comme tels. Un grand nombre de binationaux franco-américains assument parfaitement leur double nationalité et acceptent la fiscalité extraterritoriale américaine. Notre rapport se focalise sur des personnes qui considèrent ne rien devoir à la société américaine, pour reprendre leurs termes, puisqu’elles y ont parfois vécu à peine une dizaine de jours. Par ailleurs, elles ne parlent pas anglais et elles ont découvert à la suite de la loi FATCA qu’elles devaient un montant parfois faramineux au fisc américain, uniquement parce qu’elles sont nées là-bas il y a plusieurs dizaines d’années pour certaines. Nous avons recueilli des témoignages de sexagénaires et de septuagénaires qui considèrent avoir une « ardoise terrible » rien qu’avec avec la CSG et la CRDS, et qui viennent de découvrir ce processus engagé par le fisc américain. Nous ne pouvons laisser ces personnes-là dans une telle situation dramatique, sans même évoquer le sujet des banques.

Comment faire la différence entre une vraie pratique discriminatoire liée à la nationalité et une pratique commerciale souveraine à tout établissement bancaire ? C’est, il est vrai, très compliqué : une banque peut refuser un crédit immobilier à quelqu’un pour des raisons de solvabilité, ou d’autres raisons qui lui sont propres et sur lesquelles il n’est rien à dire. Il est donc difficile d’établir des preuves de discrimination directement liées à l’indice d’américanité. Cette discrimination peut aisément être prouvée dans le cadre de l’ouverture d’un compte, mais elle est plus difficile à établir concernant l’accès aux services financiers. Le droit au compte qu’évoquait le rapporteur général constitue un bon exemple, puisqu’il n’offre qu’une fragile protection. Il suffit en effet de posséder un seul compte courant dans une banque, sans avoir droit à aucun produit financier ou placement, pour que le droit au compte soit considéré comme respecté.

En application de l’article 145 du Règlement, la commission autorise la publication du rapport de la mission d’information.

Puis la commission entend M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement.

M. le président Éric Woerth. Avant de commencer l’audition, je rappelle que la commission des finances, avec la collaboration de la Banque de France et de l’INSEE, organise le 7 juin un colloque dans le prolongement de nos rendez-vous réguliers « Au cœur de l’économie ». Nous évoquerons le sujet si important des inégalités, que nous traiterons sur le plan économique, en incluant les inégalités sociales et géographiques. Jean Tirole, ainsi que Stefanie Stantcheva, qui enseigne à Harvard et qui vient d’être honorée du titre de « meilleure jeune économiste de l’année », figurent parmi les intervenants. Merci donc de noter la date et de vous efforcer d’être présents le 7 juin, sachant que notre rendez-vous occupera uniquement la matinée.

Je remercie le directeur général de l’Agence française de développement (AFD), Rémy Rioux, d’avoir bien voulu répondre à notre invitation. Notre commission est tenue de faire le point régulièrement avec les principaux opérateurs de l’État. L’AFD en est un très important, en tant que société de financement chargée, aux termes du code monétaire et financier, d’une mission permanente d’intérêt public.

Vous dirigez cet établissement public industriel et commercial (EPIC) depuis juin 2016. Un premier bilan devant la commission des finances est donc bienvenu, sachant que nous avons peu reçu les directeurs généraux de l’AFD au sein de notre commission.

M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD). Je suis très honoré et très heureux d’être auditionné par votre commission pour la première fois depuis que j’ai pris mes fonctions en 2016. Je me rends souvent à la commission des affaires étrangères et je m’y rendrai prochainement, car mon mandat est soumis à un renouvellement et le Président de la République et le Premier ministre m’ont fait l’honneur de proposer ce renouvellement au Parlement. Je crois à la diplomatie parlementaire et à l’action internationale de nos territoires et, en tant que magistrat à la Cour des comptes, je crois également au contrôle parlementaire.

Huit parlementaires siègent au conseil d’administration de l’AFD : votre voix est donc forte dans la gouvernance de l’Agence, et la commission des finances y joue un rôle singulier. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, nous sommes une société de financement. Notre bilan dépasse les 40 milliards d’euros et nous approcherons probablement en 2019 les 50 milliards d’euros. Nous sommes donc une entreprise publique en forte croissance, qui porte des risques financiers que nous suivons avec beaucoup d’attention, sous le contrôle de notre conseil d’administration et du Parlement.

À la demande du Gouvernement, nous mettons également en œuvre une politique que je crois essentielle à l’heure où, dans le choix entre l’ouverture et le repli, l’action internationale revêt une dimension cruciale pour notre économie. Nous réalisons chaque année un sondage portant sur les Français et l’aide au développement, dont les taux de réponse sont extrêmement positifs. Nos concitoyens sont conscients des enjeux globaux, climatiques, de migration, de biodiversité et de mondialisation économique, et ils soutiennent les instruments permettant de contribuer à leur régulation. L’ensemble des questions reçoivent un taux de 80 % de réponses favorables au soutien à cette politique, et ce taux est en très forte croissance, puisqu’il était de 62 % en 2014 et il est particulièrement élevé chez les jeunes. À l’évidence, il s’est passé quelque chose en 2015 autour du climat et de la COP 21, qui a fortement accru la conscience des enjeux internationaux et globaux.

Le Président de la République s’est saisi de ce sujet et a pris l’engagement de porter l’aide publique au développement de la France à 0,55 % de notre revenu national brut à l’horizon 2022. Une grande séquence s’ouvrira à partir du mois d’août pour évoquer le sujet régulièrement. En outre, lors du sommet du G7 à Biarritz, les questions de développement seront très présentes et une loi d’orientation et de programmation sera annoncée sur ce sujet. En outre, la loi de finances constitue un rendez-vous cardinal pour cette politique, et nous verrons le 10 octobre prochain, à Lyon, la reconstitution du Fonds mondial pour le sida, la malaria et la tuberculose. Le Fonds vert pour le climat, autre instrument financier important, sera également reconstitué avant la fin de l’année. Un sommet entre l’Afrique et la France aura lieu à Bordeaux au printemps 2020 et une grande saison, appelée « Afrique 2020 », se tiendra en France sur les enjeux africains. Nous évoquerons donc ces sujets à de nombreuses reprises, et il nous appartiendra d’apporter les preuves que l’action internationale, et notre coopération avec l’Afrique, produisent des résultats. Notre maison sert une politique régalienne, avec un pilotage politique fort, faisant partie des « trois D », avec la diplomatie et la défense.

À l’image du Conseil de défense, le Président de la République a souhaité réunir périodiquement un Conseil du développement, sans doute moins régulièrement, à l’Élysée, pour présenter les grandes orientations et décider des grands arbitrages. Le Premier ministre est également impliqué, puisqu’il préside le comité interministériel qui fixe les principes et l’organisation de cette politique. L’AFD a trois ministres de tutelle, le ministre de l’économie et des finances, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et la ministre des outre-mer. En outre, son conseil d’administration est pluriel et offre une grande place au Gouvernement et au Parlement.

L’Agence possède une taille critique internationale, étant un instrument de plus grande taille que la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) ou qu’un certain nombre d’organisations multilatérales. Nous finalisons un mouvement similaire à celui accompli en 2012-2013 avec la constitution de Bpifrance, en vue de rassembler dans un seul groupe public l’ensemble des instruments bilatéraux de la politique de développement. Si vous votez, dans ce sens, le projet de loi qui sera présenté prochainement, l’AFD sera alors constituée de trois entités : la maison mère, qui traite avec les partenaires publics de la France (gouvernements, entreprises publiques, banques publiques), la filiale Proparco, qui traite avec les partenaires du secteur privé dans les pays où nous intervenons, et l’établissement public Expertise France, que le gouvernement souhaite intégrer au groupe AFD, pour produire de l’assistance technique et renforcer la partie « soft » de notre métier de développement. Une fois que le groupe AFD sera constitué, il nous appartiendra de trouver l’instrument qui répond le mieux à la commande politique.

Avec ses 2 500 personnes et ses 4 000 projets en cours d’exécution, l’AFD est la plus ancienne maison de développement du monde. La France a accumulé dans l’Agence une expérience unique, notamment technique, avec ses ingénieurs, financiers et économistes, qui connaissent les pays du Sud. Notre ancêtre, la Caisse centrale de la France libre, créée le 2 décembre 1941 par le général de Gaulle à Londres, est devenue progressivement un instrument positif avec le reste du monde.

Nous distinguons quatre zones d’intervention, parmi lesquelles l’Afrique représente la moitié de notre activité. Nous considérons toute l’Afrique, puisque nous avons cessé de diviser l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, et la directrice de ce département peut donc vous présenter les enjeux africains dans leur globalité. Nous avons un département appelé « Orient », qui va des Balkans jusqu’en Chine, et son directeur, compétent sur les « routes de la soie », coordonne nos agences sur le terrain. Il constate notamment l’effort chinois, les résistances et les réactions à l’œuvre, et il pourra vous présenter un avis informé et concret sur le sujet. Nous avons enfin un département « Amérique latine », plus classique, et un quatrième département que nous avons appelé « Trois océans », dans lequel nous avons regroupé les territoires ultramarins de la République française, où nous intervenons depuis quatre‑vingts ans, et leurs voisins. L’action du directeur de ce département consiste à encourager les enjeux de développement durable dans nos outre-mer et leur voisinage, ainsi que, de façon très forte, l’intégration régionale. L’avenir économique de nos outre-mer se joue en effet dans leur relation avec la métropole, mais aussi dans leur environnement océanique, dans le Pacifique, l’océan Indien et l’Atlantique.

Notre activité est en forte croissance. En 2015, notre financement s’élevait à 8,5 milliards d’euros environ. Depuis cette date, nos engagements ont augmenté régulièrement de 1 milliard d’euros par an, pour atteindre 11,5 milliards d’euros à la fin de l’année dernière. Notre cible est encore plus ambitieuse pour 2019, puisque le gouvernement nous a fixé l’objectif d’atteindre 14 milliards d’euros, sachant que l’AFD finance près de 850 projets par an. À titre de comparaison, nos homologues allemands bénéficient d’un financement de 8 milliards d’euros et il s’élève à 50 milliards d’euros pour la Banque mondiale. Notre capacité d’action au sein de l’écosystème du financement du développement s’avère donc particulièrement active.

L’Afrique constitue notre première priorité. La moitié de notre activité est consacrée à la lutte contre le changement climatique, de façon mesurable. Nous avons pris ce virage depuis très longtemps. L’autre moitié de notre activité contribue à l’égalité entre les femmes et les hommes, grande priorité de ce quinquennat.

Enfin, dans un cadre plus technique, nous nous distinguons de nos pairs par le fait que la moitié de notre activité passe par des canaux financiers non gouvernementaux, que nous appelons « non souverains ». Nous avons donc la capacité de passer directement par les entreprises privées du Sud et les collectivités locales, sans demander une garantie de l’État et des entreprises publiques. Nous cherchons ainsi à atteindre les populations et à créer du lien avec la France sans forcément passer par les gouvernements, sachant que ce circuit nous impose une certaine prudence. Nous sommes particulièrement vigilants sur ce point.

Nos instruments sont donc diversifiés, incluant des prêts aux États, aux collectivités et aux entreprises, ainsi que des subventions et des dons, moyennant des crédits que vous votez dans chaque loi de finances. En outre, principalement à travers Proparco, nous disposons d’une capacité de prise de participation, de fonds de garantie et d’instruments plus actifs pour mobiliser le secteur privé du Sud.

Notre ressource principale est constituée par nos emprunts sur les marchés, que nous combinons avec nos ressources publiques : en 2018, vous avez voté environ 1 milliard d’euros en loi de finances. Nous sommes également devenus une « machine » à mobiliser les crédits européens, qui se sont élevés à près de 500 millions d’euros en 2018. Nous avons donc acquis une capacité budgétaire en forte augmentation. La loi de finances pour 2019 comptabilise plus de 2 milliards d’euros de crédits budgétaires, puisque vous avez ajouté 1 milliard d’euros d’autorisations d’engagement, augmentant ainsi notre capacité d’intervention en dons. Une telle dotation nous est précieuse pour intervenir dans le Sahel et sur les sujets sociaux que sont l’éducation, la santé et l’égalité femmes-hommes. Compte tenu de notre objectif ambitieux, nous continuons à mobiliser les crédits européens, sachant que l’accroissement des crédits nationaux nous permet de renforcer notre présence à Bruxelles et facilite notre accès au financement international.

L’AFD ne dispose pas de subventions de fonctionnement, les crédits que vous votez étant transférés à nos contreparties et clients. Sans prétendre à la rentabilité d’une entreprise privée, nous dégageons chaque année un résultat, et nous payons un dividende à hauteur de 20 % à l’État. Notre fonctionnement peut être rapproché du modèle de la Caisse des dépôts, qui est notre alliée en France.

Nos moyens sont concentrés d’abord dans les pays prioritaires, à savoir les pays les plus pauvres, en Afrique et dans les pays du monde émergent. Nous suivons une logique de concentration de nos moyens budgétaires là où ils sont le plus nécessaires, et nous déployons en parallèle, dans une logique plus bancaire, notre capacité financière dans les pays où la France souhaite renforcer son influence et nouer des relations avec le reste du monde. Nous répartissons les pays en trois cercles, où nous intervenons avec des outils financiers différenciés. Les « pays en subvention » sont ceux où l’aide publique au développement de la France est la plus importante, notamment au Niger, à Haïti et au Burkina, avec un effort important dans le Sahel. Nous déployons ensuite l’effort financier de l’État, c’est-à-dire les ressources en dons et les prêts bonifiés à un taux proche de 0 % et de longue durée, principalement dans les pays émergents d’Afrique, le Cameroun, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Maroc et l’Afrique du Nord, pays avec lesquels la France souhaite poursuivre une relation forte et nourrie. Enfin, nous proposons des produits financiers à taux de marché, en levant l’argent sur les marchés et en couvrant nos charges. D’autres pays émergents sont concernés par cette action, tels que la Colombie, le Brésil, l’Indonésie et nos territoires ultramarins. Nous distinguons ainsi notre intervention suivant ces trois « cercles », sur la base d’une logique politique et économique.

Grâce à notre capacité de prêt, nous transformons le milliard d’euros de crédits budgétaires que vous nous allouez chaque année en 11,5 milliards d’euros de financements. En réalité, nous pouvons mobiliser des sommes plus importantes encore, en créant des liens, en coopérant et en cofinançant avec la Banque mondiale et d’autres acteurs internationaux, ce qui nous permet de transformer ces crédits budgétaires en 30 milliards d’euros de financements au total.

La phase de très forte croissance dans laquelle est engagée l’Agence nous impose des enjeux de productivité et d’efficience. L’effet de volume ainsi créé a induit une réduction de notre rémunération. Nous cherchons régulièrement des gains de productivité et, en tant qu’établissement public industriel et commercial à statut, nous allons engager la négociation du statut du personnel de l’AFD dans les mois qui viennent, en vue d’augmenter notre efficacité.

Nous sommes particulièrement attentifs aux impacts de nos actions, sachant que l’Agence peut produire un effet macro, comme le montrent les chiffres que je vous ai présentés. Nous avons contribué à la scolarisation de près de 500 000 jeunes filles l’année dernière, nous avons assuré un accès à l’électricité à 7 millions de personnes et nous avons protégé et restauré 50 000 kilomètres carrés d’espaces naturels.

Nous portons en outre une grande attention à l’évaluation, qui constitue une préoccupation forte de la commission des affaires étrangères et, bien sûr, de votre commission. Nous avons réalisé un grand effort de transparence, avec la production d’un rapport sur notre activité d’évaluation, et nous avons mis en ligne la totalité des évaluations disponibles. Nous les mettrons dorénavant à disposition de façon régulière. Nous réalisons des évaluations à plusieurs niveaux, incluant des évaluations scientifiques, dans une logique d’apprentissage.

J’ai pris des engagements devant le Parlement visant à accroître ces activités, et j’invite fortement les parlementaires à participer à ce travail d’évaluation, sous une forme qu’il vous reviendra de déterminer. Notre programme d’évaluation annuel est à votre disposition. Je vous invite également à vous en saisir et à vous informer sur nos projets, pour qu’ils soient mieux connus, évalués et critiqués le cas échéant, notamment par nos concitoyens. En effet, 80 % des Français considèrent qu’ils ne sont pas informés de la politique de développement. Une information indépendante, reconnue et légitime, comme seul le Parlement peut l’assurer, est donc nécessaire.

Dans le cadre de notre nouvelle stratégie, je mentionne simplement nos cinq engagements, que nous allons dérouler au cours des prochaines années. L’année 2015 s’est révélée cruciale dans notre domaine, avec la tenue de trois grands sommets : le sommet de New York, qui a approuvé les objectifs de développement durable (ODD), le sommet de Paris sur le climat, en décembre, qui a pris des engagements dans la lutte contre le changement climatique à travers un accord international, et le sommet à Addis-Abeba, en juillet, sur le financement du développement.

L’année 2015 a été marquée par l’établissement d’objectifs communs qui transforment nos institutions en profondeur. Il n’y a plus de pays en développement et de pays développés, puisque nous avons souscrit dix‑sept ODD communs à horizon 2030, qui concernent aussi bien le Burkina Faso, la Colombie et l’Indonésie que la France. Un Français sur deux déclare avoir entendu parler des ODD et j’ai pu constater, au salon du Bourget, que les entreprises affichent l’ODD auquel elles contribuent. Le grand message des ODD consiste à rappeler que nous sommes tous en transition vers un monde doté d’un haut niveau d’indice de développement humain et une empreinte écologique soutenable.

Le monde est désormais divisé en deux groupes de pays, à savoir les pays très pauvres qui ne dégradent pas l’environnement et les pays très riches qui dégradent massivement l’environnement. L’ensemble de ces pays doit réaliser des efforts pour permettre à tous d’être en bonne santé et bien éduqués, sans dégrader l’environnement. Les solutions pour assurer cette transition émergent partout dans le monde, y compris, et assez souvent, dans les pays les plus pauvres. Un instrument comme l’AFD peut également contribuer à cet objectif, et c’est la raison pour laquelle nous avons bâti une alliance avec la Caisse des dépôts et consignations, qui constitue la banque de développement interne de notre pays.

Notre nouvelle stratégie vise à échanger davantage et à créer du lien pour réussir cette transition, dans le cadre d’un changement profond de la politique et de la nature de notre intervention. En effet, nous ne sommes plus simplement une caution, ou un simple instrument de solidarité, qui demeure importante et nécessaire dans de nombreux pays du monde. Nous sommes devenus un instrument bien plus important, qui doit créer du lien au sein même de notre pays et contribuer à renforcer, au plan international, les biens communs que nous avons tous en partage.

M. le président Éric Woerth. Les 11,5 milliards d’euros que vous évoquez correspondent-ils à la totalité de vos engagements ?

M. le directeur général de l’AFD. Il s’agit de notre engagement annuel en 2018, composé à 85 % de prêts, le reste étant constitué de dons.

M. le président Éric Woerth. Vous réalisez de nombreuses interventions en multilatéral ou bilatéral. Pouvez-vous dresser un bilan de ces interventions, en lien avec l’évaluation ? La plupart des pays dans lesquels vous intervenez, en particulier en Afrique, représentent des enjeux fondamentaux sur beaucoup de sujets. Une évaluation est-elle réalisée en termes de croissance, de bien-être, ou de pouvoir d’achat vis-à-vis de la capacité de changement de ces projets, qu’il s’agisse de subventions ou de prêts ? Par ailleurs, êtes-vous capables d’intervenir en lien avec d’autres agences, notamment avec l’Allemagne, dans un cadre bilatéral ?

Le rapprochement de l’AFD avec la Caisse des dépôts a été évoqué à plusieurs reprises. Pouvez-vous préciser l’avancement de ce sujet, s’il est encore d’actualité ?

Enfin, comment fonctionnez-vous avec Proparco, auquel vous avez seulement fait référence, et qui concerne plutôt le domaine privé ? Quels sont les enjeux et ce partenariat est‑il utile et efficace ?

M. Joël Giraud, rapporteur général. Je voudrais vous poser une première question sur un sujet que j’ai évoqué lors du précédent projet de loi de finances. Je m’intéresse en effet particulièrement à la façon dont l’AFD relie sa politique d’aide au développement aux enjeux de fragilité et de vulnérabilité des pays à l’origine des grands mouvements migratoires. Ce sujet est extrêmement important pour le continent européen notamment, et sur le plan sociétal.

Sur des sujets financiers, davantage liés à notre commission, je voudrais connaître les conséquences concrètes de la réintégration dans le budget général de l’État de la fraction du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF), autrefois affectée à l’AFD à hauteur de 270 millions d’euros. Je voudrais savoir également quel a été l’impact sur l’AFD de l’interdiction, inscrite à l’article 34 de la loi relative à la lutte contre la fraude, de financer les projets dont l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un État considéré comme non coopératif.

En février dernier, la Cour des comptes a formulé un certain nombre de recommandations concernant l’AFD. Comment pourrez-vous assurer que le besoin de financement à long terme des objectifs de croissance d’activité assignés à votre agence à horizon 2020 ou 2022 est cohérent avec vos contraintes prudentielles ?

M. Marc Le Fur, rapporteur spécial (Aide publique au développement). Monsieur le directeur général, je voudrais d’abord vous saluer et saluer vos équipes sur le terrain, qui réalisent un travail considérable, comme j’ai pu le constater, très étroitement associé avec nos ambassades, bien qu’il s’agisse d’une banque et d’une structure totalement indépendante. Les clivages qui peuvent apparaître depuis Paris sont inexistants sur le terrain.

Votre action s’inscrira dans l’objectif de 0,55 % fixé par le Président de la République et largement partagé, induisant une montée en puissance de l’AFD. Je rappelle que cet objectif a été fixé avant les décisions à fort impact financier de novembre, puis du printemps. La question de savoir si nous pourrons l’atteindre s’adresse plutôt à l’ensemble de nos collègues et intéresse également la commission des finances.

Pour atteindre ce taux, des objectifs clairs ont été définis, avec l’accroissement de la coopération avec l’Afrique, du bilatéralisme et des dons. Votre activité en sera impactée, en raison notamment de l’augmentation du traitement de dossiers de moindre taille et de l’intervention de maîtres d’ouvrage relativement faibles, sachant que l’État est peu présent, voire inexistant, dans certains pays. Votre organisation et vos coûts en seront donc impactés. Vous avez engagé une phase de négociation sur cette question avec le ministère, soucieux de réduire ses coûts, mais devant tenir compte de vos nouvelles contraintes.

Nous devons lier très étroitement notre aide au développement à la logique migratoire, en l’orientant vers des pays à l’origine de flux conséquents et en associant nos entreprises, en évitant de financer des projets qui serviraient à des entreprises turques ou chinoises. Des garanties doivent être apportées dans ce domaine et l’opinion les exige. L’effort national qui sera réalisé doit être suivi d’effets en termes migratoires et pour nos entreprises.

Une loi de programmation est envisagée depuis un certain temps, mais à ce stade, sauf erreur de ma part, aucune date d’examen au Parlement n’a été fixée. Il serait paradoxal qu’elle intervienne après le G7, voire après la loi de finances, car cela impliquerait que notre loi valide des décisions prises antérieurement. Cette question s’adresse plutôt au président de la commission et au rapporteur général. Il semble en effet logique qu’une loi de programmation intervienne avant des décisions plus détaillées.

M. Hervé Pellois. Monsieur le directeur général, vous avez mis en évidence la forte implication de l’AFD sur le continent africain, qui semble logique compte tenu de notre histoire. Vous venez par ailleurs de confirmer votre soutien au Maroc, en apportant pour la quatrième année consécutive une ligne de crédit de 50 millions d’euros sur les projets agricoles et agroalimentaires liés au développement durable et à la protection des ressources naturelles.

Comment se situe la France, et, à travers elle, l’AFD, par rapport aux autres pays de l’Union européenne ? Vous avez abordé le sujet très brièvement dans la présentation. Des partenariats sont-ils établis avec d’autres pays d’Europe ?

Enfin, comment la Chine se situe‑t‑elle en Afrique et comment jugez-vous sa présence actuellement ?

M. Gilles Carrez. Je voudrais d’abord saluer le travail remarquable des équipes de l’AFD, dont l’activité est centrée sur des prêts aux États, aux collectivités locales et au privé, sur la base de projets. Ces prêts sont-ils correctement remboursés ? Quels sont les risques de sinistralité, si toutefois ils existent ? Régulièrement, le budget de l’État procède à des effacements de créances, quoique dans une moindre mesure ces dernières années. Ces opérations sont réalisées de façon peu visible, pour des montants extrêmement importants. Les effacements de créances intervenues à la suite des décisions du Club de Paris concernent‑elles des créances passées par l’AFD ? Cette question est liée au problème rencontré sous la précédente législature, induisant une recapitalisation de l’AFD à hauteur de 2 ou 3 milliards d’euros. Après avoir sollicité la Caisse des dépôts pour opérer cette capitalisation, c’est finalement l’État qui s’en est chargé. Une telle recapitalisation sera-t-elle suffisante au vu de l’augmentation de votre activité ?

Enfin, pour compléter la question du président, la Caisse des dépôts est confrontée à des opérations d’envergure pour le compte de l’État, qu’elle devrait remplacer dans le capital de La Poste et de SFIL. On ne pourra donc plus compter sur la Caisse pour intervenir au capital de l’AFD, comme cela a été envisagé antérieurement. La Caisse des dépôts n’en demeure pas moins un partenaire de l’AFD, en particulier sur l’outre-mer, puisque nous entretenons des relations historiques avec certains pays africains et un certain nombre de territoires sont français, tels que la Guadeloupe, La Réunion et la Martinique. La collaboration entre la Banque des territoires et l’AFD devrait être renforcée dans ce domaine.

Mme Sarah El Haïry. Je voudrais saluer à mon tour le travail de l’AFD et sa qualité. L’objectif de la hausse du budget et la promesse du Président de la République d’atteindre le ratio de 0,55 % étaient suspendus à quelques conditions, consistant à mieux aider les pays jugés prioritaires. Or nous constatons que nous aidons encore davantage la Chine, la Turquie et l’Égypte par rapport aux pays du Sahel ou aux dix‑neuf pays les plus pauvres. Parmi les autres évolutions envisagées, le renforcement du bilatéralisme aurait pour contrepartie la maîtrise des flux migratoires et l’exigence de responsabilité sociale et environnementale des entreprises dans les pays aidés.

Tout cela concerne le fond de ma question, à savoir la conditionnalité des aides. Cette commission en particulier, mais d’autres également, s’est posée la question du conditionnement de l’accompagnement, visant à accentuer la responsabilité, à ne pas aider des pays où nous constatons de la corruption et à faire attention au principe de démocratie et à la maîtrise des flux migratoires. Comment évaluez-vous ces conditionnalités potentielles et quelles sont les pistes que vous mettez en œuvre pour accompagner les pays jugés prioritaires ?

Mme Christine Pires Beaune. Merci, monsieur Rioux, pour votre présentation, et merci à l’ensemble des collaborateurs de l’AFD pour leur action au quotidien.

Vous avez récemment signé avec Arnaud Leroy, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), un accord de partenariat pour les cinq prochaines années, 2019-2023. Ce nouvel accord va beaucoup plus loin en matière de transition écologique, visant notamment à contribuer à l’accès à l’énergie pour tous en Afrique subsaharienne ou à accompagner la lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ses conséquences en outre-mer. Vous intervenez en complémentarité, puisque l’ADEME apporte l’expertise technique, le réseau d’acteurs, et l’AFD est dotée d’une expertise et d’une capacité financière. Nous pouvons néanmoins nous demander de quelle façon ce partenariat prendra forme. Des stratégies seront-elles mises en place chaque année en lien avec le comité d’évaluation de l’AFD pour optimiser et corriger, le cas échéant, les effets des politiques publiques de développement ?

Nous pouvons également nous demander quelle part du budget de l’AFD sera destinée aux partenariats visant à développer les outils de la transition écologique et quelles seront les priorités budgétaires du contrat, pays par pays et secteur par secteur.

Le second point sur lequel je voudrais intervenir concerne la façon dont l’AFD s’assure que son aide cible bien en priorité les populations qui en ont le plus besoin. Je pense notamment aux femmes, aux filles et aux zones les plus pauvres et les plus fragiles.

M. Jean-Paul Dufrègne. Monsieur le directeur général, vous avez fait référence au projet de loi en cours d’élaboration, qui soutiendra la modification de la politique de développement de la France au regard de ses objectifs, de ses moyens et de son impact, dans le cadre d’une trajectoire d’augmentation de l’aide publique au développement pour atteindre 0,55 % du revenu national brut en 2022. Quel sera le rôle de l’AFD dans le cadre de cette réforme ?

Compte tenu du poids croissant de l’AFD dans la gestion de l’aide publique au développement, le poids politique de celle-ci ne risque-t-il pas de s’accroître également ? Des inquiétudes s’expriment par ailleurs sur la réalité de l’objectif des 0,55 % à 2022, compte tenu du rythme de l’augmentation qu’il suppose.

Je voudrais également mettre l’accent sur le fort déséquilibre entre les prêts et les dons, puisque vous avez indiqué que les premiers représentent entre 80 et 85 % des financements, induisant un rééquilibrage majeur de la politique française. La réorientation de l’aide publique au développement des pays les plus pauvres nécessite une augmentation d’envergure des dons. Comment l’AFD travaille-t-elle à cette évolution majeure de la politique de l’aide publique au développement en France ?

Enfin, pouvez-vous préciser le rôle de l’AFD dans les secteurs sociaux tels que l’éducation et la santé, et l’effort pérenne supplémentaire envisagé dans ces domaines ?

M. M’jid El Guerrab. Avant toute chose, je voudrais féliciter M. le directeur général, puisque nous avons appris en début de semaine qu’il était renouvelé dans ses fonctions pour un deuxième mandat. Depuis 2016, grâce à votre action, l’AFD a pris une dimension d’envergure largement reconnue. Le développement que vous nous avez présenté est spectaculaire et joue aujourd’hui un rôle essentiel dans cette politique de développement que l’Europe doit à l’égard des pays du Sud et en voie de développement.

En tant que député des Français résidant au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, je tenais à saluer l’initiative « Choose Africa », lancée récemment. L’Afrique est le continent de demain, avec 450 millions de jeunes qui entreront sur le marché de l’emploi d’ici 2050. Pouvez-vous nous présenter brièvement « Choose Africa » et nous en expliquer les ressorts et son fonctionnement, notamment sur les différents secteurs d’activité ?

Je connais un entrepreneur français qui réside au Sénégal, qui a créé la start-up « C’est mon taxi » et qui souhaite créer de l’emploi, développer le domaine du taxi en offrant des formations, en aidant les jeunes à acquérir des taxis et en renouvelant les parcs actuellement délabrés. Comment cette personne peut-elle avoir accès à « Choose Africa » ?

Ma deuxième question concerne le rapprochement avec la Caisse des dépôts, dont vous avez été l’un des artisans, puisque vous avez rédigé un rapport en ce sens avant d’être nommé à la direction générale de l’AFD. Un blocage est intervenu, monsieur Le Fur, par rapport à ce rapprochement. À l’origine, il n’était pas question de rapprochement, mais de transformer l’AFD en filiale de la Caisse des dépôts ou en l’une de ses sections. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Par ailleurs, j’aurais voulu que vous évoquiez un sujet qui me concerne et me tient fortement à cœur, à savoir l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers. En effet, il a été envisagé de trouver des solutions via l’AFD, en accordant des prêts d’honneur aux étudiants étrangers qui ne pourraient pas s’acquitter de ces frais.

Pour terminer, je voudrais vous poser une question peut-être un peu plus philosophique sur votre vision. On a souvent confronté, en termes de priorité, la démocratie, la gouvernance et le développement économique. Quelle serait pour vous la priorité dans l’aide au développement ? Faut-il aider les pays à se développer économiquement, pour aborder ensuite les aspects de gouvernance, ou à l’inverse, en mettant en place d’abord la démocratie ?

M. Xavier Paluszkiewicz. Comme l’a annoncé le Président de la République dans son intervention à Ouagadougou en 2018, les objectifs pour l’aide publique au développement française ont été relevés à 0,55 % du PIB, en la conditionnant, comme cela a été évoqué, ce dont nous ne pouvons que nous satisfaire.

Un budget supplémentaire suppose une action supplémentaire. Vous venez d’exposer les différents programmes et enjeux de l’AFD. Je souhaiterais que vous nous éclairiez sur les programmes menés au Moyen-Orient, dans un contexte toujours très instable, entre l’apparente éviction de Daech de la zone syro-irakienne et le conflit entre Saoudiens et Iraniens, qui transparaît largement tant en Syrie qu’au Yémen. Cette zone est-elle concernée par des projets de développement soutenus, afin notamment d’offrir des conditions de vie dignes à ses habitants ?

M. Guillaume Larrivé. Ma question porte sur l’articulation entre l’aide publique au développement et les modalités de régulation des flux migratoires. D’un point de vue objectif, existe-t-il des éléments qui permettent d’évaluer la contribution des politiques d’aide au développement à la régulation des flux migratoires ? Les débats publics expriment toujours une sorte de poncif, selon lequel, par nature, l’aide publique au développement permettrait de maîtriser, de réduire ou de contrôler les flux. Or je me méfie parfois de telles affirmations de soi-disant bon sens.

Quels sont en outre les objectifs de votre politique d’allocation des aides au regard de la réduction des flux migratoires, d’accompagnement ou de choix ? Au-delà des poncifs, parfois utilisés comme slogans de programmes électoraux, j’aimerais connaître la réalité de votre appréciation, en apportant peut-être des éléments de comparaison de politiques d’aide au développement conduites par d’autres pays.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je voulais revenir sur la question de la conditionnalité, car vous liez très profondément l’ensemble de votre action à un certain nombre d’objectifs d’intérêt général clairement définis, en termes de climat, de lien social ou de paix, notamment, à fort caractère valorisant.

Comment appréciez-vous concrètement le degré de recevabilité de l’aide par les États concernés, en fonction de leur ouverture politique, du pluralisme, du degré de corruption ou, au contraire, de rigueur dans la gestion financière ? Comment gérez-vous ces problèmes de corruption et de non-conformité à nos valeurs politiques ?

M. Michel Lauzzana. Je voudrais vous interroger en tant que président du groupe d’amitié France-Libéria. Vous avez évoqué la politique que vous menez dans ce pays, qui figure me semble-t-il dans la liste des pays prioritaires pour l’aide au développement. Lors d’une conférence de presse réalisée au début de l’année 2018, à l’occasion de la venue du président George Weah en France, Emmanuel Macron a annoncé une initiative « visant à la création d’une plateforme dédiée à l’Afrique d’incubation, de financement et de partenariat, pour un sport inclusif ». De mémoire, un chiffre de plusieurs millions a été avancé. Pouvez‑vous nous informer sur l’évolution de cette plateforme et, plus largement, sur les secteurs que vous souhaitez privilégier dans l’aide au développement au Libéria ?

M. Michel Castellani. Je n’évoquerai pas ici le débat récurrent sur la nécessité d’une politique internationale de la France en termes de potentiel financier sur le territoire national. Le débat concerne en particulier le fait que 80 % de vos moyens de financement proviennent d’emprunts sur les marchés. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une politique internationale, dans la mesure où nous ne pouvons pas ignorer la situation dans le monde, les immenses besoins qu’imposent les retards de développement et la démographie, d’ailleurs galopante, qui l’accompagne.

Votre rapport fait référence à l’évaluation et aux valeurs que vous vous efforcez de promouvoir. Vous soutenez l’action collective dans les domaines de la santé, de la citoyenneté, du développement durable et de la démocratie, c’est-à-dire dans le sens du codéveloppement, qui constitue une très bonne approche du sujet. Mais dans ce domaine, comme dans d’autres, la concurrence internationale existe, en particulier de la Chine, qui est entrée de façon massive dans le secteur, notamment en Afrique. Indépendamment de son poids économique et de son potentiel financier, la Chine est moins préoccupée par ces valeurs. De plus, un quart de son aide est gratuite, constituée de prêts sans intérêts. Comment intégrez-vous cette concurrence ? Celle-ci influence-t-elle votre approche et vos méthodes de financement et coopérez-vous avec ce pays ? Autrement dit, comment assurer la poursuite de votre politique, incluant des financements, mais aussi la promotion des valeurs de la démocratie ?

Mme Valérie Petit. Ma question porte sur l’action extérieure des collectivités territoriales, et en particulier sur l’action conjointe de ces collectivités avec l’AFD, qui participe au rayonnement et à l’action de la France à l’étranger. Nous avons développé dans ma circonscription un programme d’action conjointe avec l’AFD, la Métropole de Lille et la ville de Johannesbourg, pour faciliter le partage d’expériences sur le renouvellement urbain et le développement durable. Nous proposons dans ce cadre 600 000 euros d’aides techniques et un prêt, consenti par l’AFD, d’un peu plus de 14 millions d’euros. Les sommes sont donc importantes, de même que les projets, qui participent au rayonnement et à un enrichissement mutuel des pratiques de développement.

Les collectivités territoriales sont engagées dans un contexte de maîtrise de la dépense publique. Pouvez-vous nous apporter quelques éléments d’information sur les évolutions de cette coopération entre l’AFD et les collectivités, la trajectoire des investissements et votre stratégie pour soutenir ces actions, qui contribuent à l’action extérieure des collectivités territoriales ?

M. Fabrice Brun. Ma question porte sur l’avenir du financement de l’AFD et plus précisément sur la TTF. En termes d’assiette, cette taxe ne concerne pas le trading haute fréquence, qui représente 40 % du volume quotidien échangé sur les marchés d’actions européens. Cette proportion constitue en soi une réelle question.

L’article 83 de la loi de finances pour 2019 a réintégré la part de la TTF au budget général de l’État, au détriment de l’AFD. Dans ce contexte, considérez-vous opportun de renforcer le régime de la TTF ? La compensation financière de la fin de l’affectation de cette taxe à l’AFD est-elle pérenne et y a-t-il un risque à terme pour le financement de l’AFD ?

M. Saïd Ahamada. Ma première question porte sur la stratégie de l’AFD, consistant à rendre ses investissements 100 % compatibles avec les accords de Paris. Comment les pays tiers accueillent-ils cette stratégie ? Les pays en voie de développement, ou les pays africains, sont-ils prêts à s’engager sur des investissements « verts », sachant qu’ils accusent un retard de développement et pourraient vouloir développer des industries que nous qualifierions de polluantes ?

De manière générale, je constate depuis plusieurs années un problème de lisibilité sur les actions de l’AFD et les lignes directrices de vos interventions. Une nouvelle stratégie semble se dégager autour de cinq axes, pouvant améliorer la lisibilité. Il me semble également que l’AFD n’assume pas le fait qu’elle défend aussi les intérêts de la France, ce qui ne favorise pas la lisibilité de vos actions. L’AFD n’est pas une fondation, ou une association. Elle suppose des choix politiques, qui devraient être assumés en tant que tels.

Enfin, pourquoi l’AFD continue-t-elle à intervenir sur des territoires d’outre-mer, qui sont des départements et des régions français à part entière ? Cela pose une difficulté au niveau du budget de l’État, car il est dès lors difficile de quantifier précisément l’intervention publique dans ces territoires. De plus, cela pose des problèmes sur le plan éthique. J’ignore ce que penseraient les Corses si l’AFD s’occupait des investissements sur leur territoire. Il serait sans doute préférable de réaffecter le budget alloué à ces territoires au budget national.

M. Charles de Courson. Pendant longtemps, au sein de l’opinion publique française, 20 à 25 % des habitants des quartiers dits « à risque » étaient opposés à toute aide au développement, considérant qu’un peuple se développe avant tout par ses propres moyens, d’autant plus que l’aide internationale est souvent considérée comme détournée. Un certain nombre de spécialistes considèrent que les détournements portent à peu près sur 20 % des sommes. Pourriez-vous préciser un ordre de grandeur des détournements et de la corruption selon les pays ?

M. Philippe Chassaing. Votre stratégie pour 2018-2022 repose sur le respect des accords de Paris. Quels sont les moyens dont vous pouvez disposer pour contraindre le secteur financier à les respecter ?

Par ailleurs, quels bénéfices comptez-vous tirer des obligations que vous avez émises récemment ?

M. Christophe Jerretie. Je voudrais d’abord demander une précision complémentaire aux propos de Jean-Louis Bourlanges. Les attributions de fonds et de prêts sont-elles liées à des critères fiscaux, ou budgétaires, des États bénéficiaires ?

Ensuite, le programme « Transformer les systèmes financiers pour le climat » apparaît comme le plus ancien et le plus puissant. Pouvez-vous préciser le sens de cet intitulé ? Par ailleurs, l’eau et l’énergie prédominent-ils au sein des fonds « verts » liés à ce programme ? Enfin, quels sont les pays concernés ?

Mme Véronique Louwagie. Je voudrais aborder deux points. Le premier concerne les flux migratoires et la montée en charge des engagements, dont certains sont probablement pluriannuels. La situation des flux migratoires a-t-elle eu un impact sur vos priorités, sur les zones d’intervention ou sur la nature des engagements ?

Ma seconde question concerne l’éducation, absente des axes prioritaires que vous avez évoqués, avec l’environnement, le climat et l’égalité hommes-femmes. Cette question me semble essentielle pour apporter un soutien à ces pays. Pourquoi n’a-t-elle pas été retenue comme objectif principal ou axe primordial ?

M. le directeur général de l’AFD. Merci pour cet échange et ces questions, parfois difficiles, mais qui marquent un intérêt certain de votre commission pour nos travaux. J’en ferai part à nos collègues, en particulier dans nos 85 agences dans le monde, qui sont au contact sur le terrain. L’AFD est unique de ce point de vue, puisque nous sommes une maison de droit privé, un EPIC.

Vous évoquiez la défense des intérêts de la France. Beaucoup de salariés de l’AFD proviennent du secteur privé et réalisent à l’agence une deuxième, une troisième, voire une quatrième carrière. Le corps social de l’AFD, très technique, connaît la France et les entreprises françaises. L’AFD est composée d’ingénieurs de toutes spécialités, de financiers, de médecins, d’enseignants, l’éducation étant une grande priorité, mais aussi d’halieutes, par exemple. La beauté de notre maison tient à cet ensemble d’experts capables de recevoir les demandes provenant de nos partenaires étrangers, qui doivent parfois être transformées en idées et en projets concrets. Nous devons ensuite être en capacité de nous lier à chacun des écosystèmes professionnels techniques capables d’apporter la prestation. Voyez-nous comme le réseau public, auprès des ambassadeurs, pouvant apporter cette connaissance du tissu économique et social sur des enjeux de transformation dans cent dix pays dans le monde.

Je regrouperai vos questions en vous demandant, si j’en oublie, de me le rappeler afin de vous répondre par écrit.

Le premier groupe de questions ne me sont pas adressées, mais elles me concernent directement, s’agissant du bon format et de la bonne ambition de l’AFD au regard des moyens et des objectifs de la politique de développement, qu’elle met en œuvre dans son volet national et bilatéral. Le Gouvernement pourra répondre aux questions relatives à la loi de programmation, ainsi qu’à celles portant sur les sources de financement et la TTF. Vous avez voté la transformation du produit de la TTF qui nous était affecté en crédits budgétaires, sans conséquences pour nous. Les établissements publics sont parfois attachés à disposer d’une taxe affectée. J’ai longtemps travaillé au ministère des finances et je comprends le désordre que constitue la multiplication des taxes affectées. Le directeur général d’une agence ne peut se prononcer sur ce point, s’agissant d’un choix du Parlement de nous affecter les crédits qu’il juge nécessaires et d’en assurer la pérennité. La loi de programmation, qui donne une vision pluriannuelle, est importante pour le dirigeant d’établissement public que je suis, en vue de conduire une transformation dans la durée. Comme l’a indiqué M. le rapporteur spécial, l’objectif de 0,55 % constitue une forte ambition, qui aura des conséquences budgétaires, comme elle en a eu cette année, et des conséquences financières, compte tenu des règles prudentielles qui s’appliquent à l’AFD, sur les fonds propres de l’agence. Ces sujets doivent être abordés dans le cadre des lois de finances et de cette loi de programmation.

Dans le domaine qui relève de ma responsabilité, nous ferons le meilleur usage des crédits budgétaires que vous déciderez de voter pour porter cette ambition. Cela veut dire, au premier chef, d’en assurer la bonne gestion et la redevabilité vis-à-vis de nos concitoyens et de leurs représentants. Je suis donc à votre entière disposition, au-delà de cet échange initial, pour des échanges plus précis et techniques. Nous respectons l’article 34 de la loi relative à la lutte contre la fraude sur les juridictions non coopératives et nous suivons avec la plus grande attention nos taux et nos équilibres financiers. Nous sommes régulés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, à l’égal de tout établissement financier, et nous rendons des comptes au régulateur sur ce point.

Notre maison est en quelque sorte bicéphale, car nous proposons des prêts aux gouvernements régis par le mécanisme du Club de Paris, pouvant conduire à restructurer la dette et à une reprise par l’État de la propriété des créances. Nous suivons le risque souverain des États de façon très précise et nous pouvons vous rendre des comptes sur le sujet.

Nous sommes également régis par le mécanisme appelé « compte de réserve », qui permet aux finances publiques d’atténuer le choc le cas échéant. Nous mettons de l’argent de côté pour faire face à des éventuelles restructurations. Après l’annulation de la dette des pays pauvres intervenue sous la présidence de Jacques Chirac, dans les années 2000, nous n’avons plus d’impayés à l’heure actuelle sur nos créances souveraines. Une telle situation pourrait néanmoins se reproduire, notamment dans certains pays africains, d’où l’importance de trouver d’autres canaux financiers pour apporter les services et les biens aux populations qui en ont besoin. Il est toutefois important de ne pas cesser de financer ces pays, compte tenu de leur capacité à lever l’impôt et à faire face aux échéances de dettes. Les seuls impayés aujourd’hui proviennent de la Somalie, dont la dette n’a pas été restructurée dans les années 2000. Pour le reste, sur les contreparties non souveraines, l’AFD est en risque au premier euro. En cas de défaut, les comptes de l’AFD, soumis à son conseil d’administration, en seraient impactés. Nous prenons donc un très grand soin à vérifier les lettres et nous n’acceptons aucune tolérance vis-à-vis de la corruption sur les financements de l’AFD. Nous respectons l’ensemble des procédures d’une banque, en termes de conformité et de contrôle du financement, incluant l’ensemble des obligations fixées aux banques commerciales.

Cependant, la corruption existe partout dans le monde, et les risques ne sont donc pas nuls dans les pays où nous intervenons. On estime souvent que l’aide internationale est détournée, mais il est bien plus aisé de détourner les ressources de son propre pays, en commençant par les recettes fiscales, où le contrôle est bien moindre. Nous mettons en place des procédures, et j’ai été alerté à deux reprises pour des détournements, à la suite de quoi mon directeur général adjoint s’est rendu dans le pays concerné. Nous avons obtenu le remboursement des sommes et des poursuites contre les personnes identifiées dans le système judiciaire local, puisque nous n’avons pas de privilège de juridiction dans ces pays. Je ne dispose pas de chiffres de la corruption par pays ou de chiffre global sur des détournements, puisque nous ne les acceptons pas.

Le deuxième point concerne les sommes que vous déciderez de nous confier. Votre ancien collègue, Jean-Marie Tétart, employait souvent une belle formule : « mettre la France en coopération ». Nous nous considérons comme une plateforme permettant de mobiliser les acteurs français et de les orienter vers le Sud, au premier rang desquels les pays d’Afrique. Ces acteurs français, ce sont notamment les collectivités locales, dont l’intérêt réside moins en leurs finances qu’en l’offre de services techniques qu’elles peuvent fournir. Les liens que les élus nouent avec leurs partenaires du Sud, qui ne pourraient être produits par une agence d’État, constituent un véritable trésor d’échanges.

Au cours de mon premier mandat, j’ai réalisé un tour de France, que je n’ai pas pu finaliser, dans dix régions métropolitaines, pour aller à la rencontre des acteurs de cette politique dans nos territoires. Nous favorisons les projets avec des acteurs français, souhaitant que ces sujets soient évoqués et que notre pays reste ouvert et actif dans la coopération internationale. Ce mouvement passe par les collectivités locales et les entreprises.

Nous avons offert plus de 10 milliards d’euros de contrats aux entreprises françaises au cours des quatre dernières années et nous pouvons vous rendre des comptes sur les engagements qui sont pris. Nous nous efforçons d’intervenir sur des secteurs et des financements où l’offre française existe, en créant des liens. Nous nous assurons ensuite que les entreprises françaises contribuent au développement, tout en respectant les normes sociales et environnementales et qu’elles investissent durablement, y compris pour contribuer à l’éducation et à la formation professionnelle, afin de favoriser l’établissement durable des populations dans leurs pays.

Dans le domaine européen, j’ai reçu la semaine dernière un message de notre ambassadrice en Hongrie m’informant du fait que le gouvernement hongrois souhaite créer une institution de développement, et demande à la France de lui faire part de son expérience en la matière, vieille de 80 ans. J’apprécierais beaucoup de pouvoir compter sur un partenaire en Hongrie pour travailler en Afrique, sachant que la totalité des dirigeants européens sont d’accord sur la nécessité d’investir massivement dans ce continent.

Nous avons créé un réseau d’institutions, malheureusement méconnu, dans de nombreux États membres de l’Union européenne. Notre premier partenaire au monde, la KfW allemande, montre que l’axe franco-allemand existe bien dans ce domaine et qu’il est très actif. La Commission européenne a compris l’intérêt de déléguer des crédits et nous sommes les premiers à aller chercher des crédits européens au sein des agences européennes, pour les inciter à travailler en partenariat. Nous faisons donc émerger un système d’aides, sachant que plus de la moitié de l’aide au développement provient d’Europe et que le sujet est au cœur du projet européen depuis la CECA et le Traité de Rome. Nous avons la capacité, avec la Commission comme autorité politique, ainsi que la Banque européenne d’investissement et la BERD, de créer une banque européenne puissante, avec des points d’appui dans chacun des États membres. Je suis ravi qu’il soit possible d’évoquer l’Afrique en Hongrie, plutôt que de tout centraliser depuis Bruxelles ou le Luxembourg. Nous devons réfléchir à un système européen et le mobiliser de la façon la plus pertinente possible.

L’argent que vous nous confiez, nous nous en servons également pour coopérer avec le reste du monde. Je préside l’International Development Finance Club (IDFC), qui réunit les caisses des dépôts et les AFD du monde, y compris la Chine et sa grande banque, la China Development Bank. Nous essayons de coopérer avec celle-ci, dans le respect des bonnes normes des marchés publics, sociales et environnementales, et en essayant de conduire progressivement les Chinois, très présents, vers le développement durable.

Vous avez évoqué l’ADEME et la Caisse des dépôts. Je me sens une responsabilité à aller chercher les acteurs français pour les inciter à se fixer davantage d’ambitions sur le climat et le développement durable. Mon rôle consiste à leur présenter des partenaires internationaux qui peuvent les aider dans la réalisation de leurs missions dans notre propre pays.

Vous avez également beaucoup évoqué l’Afrique. Certains des agents de l’AFD habitent à Dakar depuis 1942, avant même l’installation d’une ambassade dans le pays. Nous connaissons donc très bien le Sénégal et toute l’Afrique. Le continent compte des zones de fragilité, de vulnérabilité, très préoccupantes, sur lesquelles sont focalisés les moyens que vous votez. Nous portons en particulier une très grande attention, en étroite collaboration avec nos diplomates et nos militaires, au Sahel et au Moyen-Orient. Nous agissons dans un sens similaire à l’opération Barkhane dans le domaine du développement, en essayant de disposer de moyens commensurables à notre effort de sécurité. Nous avons bâti une alliance dans le domaine du développement, à l’instar de l’opération Barkhane et de la MINUSMA, qui embarquent des forces d’autres pays, avec les Allemands, la Banque mondiale et la Commission européenne. Le Président de la République a lancé une alliance Sahel pour accroître les efforts et les concentrer dans les zones les plus sensibles.

Concernant l’Afrique, les chiffres témoignent de la forte corrélation entre les difficultés et le décollage de la démographie, sur laquelle beaucoup d’inexactitudes sont colportées. Le revenu par habitant en Afrique augmente continûment depuis 1995. Ce sont donc vingt‑cinq ans de croissance et les niveaux atteints sont sans commune mesure avec la phase précédente. Toutes nos entreprises le savent, puisque dès qu’elles peuvent atteindre les classes moyennes africaines, elles s’y installent durablement. C’est notamment le cas de Canal Plus ou d’Orange et de nos grands groupes, qui ont réussi à trouver des produits à destination du consommateur africain.

Il convient donc de tenir compte des nombreuses réalités positives en Afrique. Vous avez évoqué « Choose Africa », à travers laquelle nous avons revu toute notre offre en direction des petites et moyennes entreprises et des start‑up africaines, dans les secteurs créateurs d’emplois. Les grands groupes ont un rôle à jouer, mais c’est d’abord le tissu national dans chaque pays qui crée des dynamiques. Nous allons mobiliser 2,5 milliards d’euros de financement sur les quatre prochaines années, que nous orienterons vers des domaines plus difficiles, en finançant des contreparties plus risquées, au bénéfice d’entreprises de plus petite taille. Nous devons donc faire attention à nos coûts de gestion et à nos risques, à moins de nous dérisquer et pouvoir proposer des dons, compte tenu la nécessité de toucher ce tissu économique et de l’encourager. L’éducation est une réponse à cet enjeu, et nous appuyons l’enseignement supérieur, notamment. Après avoir diminué notre participation sur ces sujets sociaux, nous nous sommes de nouveau engagés dans leur accroissement.

Je rappelle que la politique de développement française a perdu 50 % de ses crédits depuis dix ans, conduisant à un repli et à un manque de visibilité de notre action et de celle de l’ensemble des acteurs de cette politique. Nous avons donc vécu une période très difficile. Vous nous demandez de redevenir ambitieux, de repartir de l’avant pour des raisons politiques très profondes. L’Agence se transforme, elle devient beaucoup plus visible, et elle va porter l’ambition qui lui est accordée.

Vous êtes intervenus à plusieurs reprises sur le sujet migratoire, préoccupation majeure au sein de notre agence et de la politique européenne de développement depuis le sommet de La Valette. La première action à mener dans ce domaine consiste à apporter une capacité d’analyse et de compréhension sur les phénomènes migratoires. Je suis à votre disposition si vous souhaitez davantage de détails sur le sujet.

Nous préconisons notamment de cesser de diviser le continent entre le Nord et l’Afrique subsaharienne pour comprendre les migrations, désormais orientées vers le Sud, les migrations des pays enclavés étant d’abord dirigées vers les pays côtiers. La région africaine la plus riche, de très loin, correspond à l’Afrique australe. Une telle réalité ne peut être visible à partir des moyennes portant sur l’Afrique subsaharienne, qui n’existe pas en tant que telle. À Harare, à Johannesbourg ou au Cap, la plupart des chauffeurs de taxi sont guinéens, sénégalais ou ivoiriens, venus travailler en Afrique australe, où ils trouvent du travail. Autrefois, ils allaient en Afrique centrale en raison de la présence de pétrole. La situation est moins bonne aujourd’hui, mais ils y retourneront un jour. Les Sahéliens, les Nigériens et les Maliens se rendent d’abord en Côte d’Ivoire ou au Nigeria, car ils y retrouvent leur famille et ils espèrent y trouver un avenir. Nous devons donc sortir d’un face-à-face sur le sujet.

Le terme de « pays de transit » est par ailleurs souvent employé à tort. Lorsqu’un Nigérien se rend en Côte d’Ivoire, il n’y est pas en transit, puisqu’il s’y fixe pour vivre. La question à laquelle nous devons répondre consiste à savoir quelles actions nous pouvons mener au Niger, pour que les personnes, qui ne partent pas de gaieté de cœur, y restent et trouvent un avenir. En Côte d’Ivoire, nous proposons des prêts, avec un facteur dix, puisqu’un don de 1 million d’euros peut produire 10 millions d’euros de prêts. Les emprunts destinés à mettre en œuvre des projets de développement favorisent clairement l’installation durable des populations, comme le confirment les demandes d’aide du président Ouattara pour l’accueil des migrants. Le poncif selon lequel le développement arrête les migrations correspond donc bien à une réalité.

Le poncif qui consiste à dénoncer l’aide aux pays du Sud en prétextant qu’elle accroît les migrations est en revanche absurde. Si nous cessions de soutenir le développement dans ces pays, nous serions amenés à construire un mur avec l’Afrique, pour fermer nos frontières. Il s’agit d’un choix, mais qui ne correspond pas à la mission qui a été confiée à notre agence. Pour remplir cette mission, nous devons choisir les programmes et orienter nos instruments vers les secteurs et les actions qui permettent la création d’emplois, qui constituent des signaux pour la jeunesse et qui permettent d’offrir des choix aux populations, le premier d’entre eux étant généralement de rester dans leur propre pays.

L’aide au développement a donc un effet positif indéniable sur les mouvements de populations. Si nous orientons « Choose Africa » et nos programmes de développement dans les secteurs où le potentiel de création d’emploi local est le plus important, vers la formation professionnelle notamment, nous fixons les populations. Nous travaillons très activement avec la Banque mondiale pour financer le passage à l’identité numérique de l’ensemble des citoyens du Nigeria, au nombre de 200 millions et qui seront 400 millions en 2050. Il est donc important que les citoyens nigérians disposent d’un titre d’identité, qui sera par ailleurs plus moderne que le nôtre, leur permettant d’accéder aux services publics dans leur propre pays, et permettant au gouvernement du Nigéria de gérer les dynamiques extrêmement rapides et complexes de peuplement et de mobilité dans son propre pays et dans son environnement régional.

Il est donc possible d’agir sur les causes de l’immigration et d’orienter nos programmes pour apporter des réponses aux populations. Dans ce domaine, l’éducation est essentielle. Nous devons sans doute aller plus loin pour aider les gouvernements à gérer ce défi, qui est le nôtre également, de répondre aux aspirations à la mobilité de leurs concitoyens. Nous agissons donc dans ce domaine au Nigeria et nous avons une demande similaire en Éthiopie, qui compte 110 millions d’habitants.

Telle est la photographie actuelle, sans nier le caractère inquiétant des dynamiques à l’horizon 2030 ou 2050. Seule une intervention forte de nos différents programmes peut être proposée sur ces sujets, car tel est notre intérêt, et nous y trouverons également de l’innovation.

Je voudrais terminer par l’outre-mer et le 100 % accords de Paris. J’entends les propos de M. Ahamada, mais je crois profondément que nous ne pouvons plus raisonner dans un sens international d’un côté et national de l’autre. Au contraire, toutes nos institutions, nos administrations et nos politiques publiques, doivent faire un lien systématique, actif et positif, entre les deux niveaux, en cherchant à l’international ce qui peut nous aider à conduire nos transformations nationales. Cette recherche s’exprime de la façon la plus manifeste et positive dans l’outre-mer français, qui illustre l’histoire de l’AFD. Nous avons en effet commencé à prêter aux entreprises et aux collectivités locales dans nos territoires d’outre-mer. La technologie, l’expérience que nous avons acquise, notamment dans le contrôle des risques, nous les avons ensuite utilisées dans les pays voisins, plus pauvres, en créant des canaux financiers jusque-là inexistants.

Le mouvement inverse doit être pris en considération désormais, car beaucoup de pays connaissent des évolutions encore inexistantes chez nous. Nous l’avons compris depuis longtemps avec la téléphonie mobile en Afrique. Les Africains qui viennent à Paris s’étonnent que nous payions encore avec des billets et des pièces, ce qui n’est plus le cas à Nairobi, en tout cas à un certain niveau. Dans le domaine de l’énergie renouvelable, ou en matière de gouvernance, des évolutions ont lieu en Afrique avant qu’elles ne s’installent dans nos pays. Nous devons y prêter attention, en essayant de créer des liens et du dialogue dans ces domaines.

Vous avez également beaucoup évoqué la conditionnalité. J’essaie d’éviter ce terme, étant convaincu que notre action internationale doit être dotée de trois instruments : un instrument politique, qui est le travail de notre diplomatie, un instrument de sécurité, qui est le travail de notre défense, qui l’accomplit correctement comme nous avons pu le constater très récemment, et un instrument de développement, que vous avez renforcé après une période d’affaiblissement. Nous devons recourir à ces trois instruments, sans les hiérarchiser. Compte tenu des enjeux des territoires et des pays avec lesquels nous souhaitons établir un partenariat, nos ambassadeurs, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et les autorités françaises doivent recourir aux trois instruments, en créant les relations bilatérales souhaitées par nos concitoyens, leur gouvernement et leurs représentants. Il n’existe pas dans ce domaine des automaticités, mais il convient d’articuler ces trois instruments pour les mettre au service d’une politique. J’espère vous avoir convaincus que nous essayons de nous y attacher.

 

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Informations relatives à la commission

La commission a reçu en application de l’article 12 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) :

– un projet de décret de virement de crédits d’un montant de 4 133 824 euros en autorisations d’engagement (AE) et de 4 126 224 euros en crédits de paiement (CP), du programme 232 Vie politique, cultuelle et associative de la mission Administration générale et territoriale de l’État à destination du programme 307 Administration territoriale de la mission Administration générale et territoriale de l’État.

Ce mouvement vise à financer l’acquisition d’un bâtiment pour la sous-préfecture de Saint-Denis (93) ;

– un projet de décret de transfert de crédits d’un montant de 4 000 000 euros en autorisations d’engagement (AE), du programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement de la mission Aide publique au développement, à destination du programme 111 Paysages, eau et biodiversité de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

Ce transfert matérialise le soutien du ministère de l’Europe et des affaires étrangères à l’accueil du prochain congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui se tiendra à Marseille du 11 au 19 juin 2020.

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

 

Réunion du mercredi 15 mai à 9 heures

 

Présents. – M. Damien Abad, M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Jean‑Noël Barrot, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Fabrice Brun, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, M. Michel Castellani, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Philippe Chassaing, M. Francis Chouat, M. Éric Coquerel, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Damaisin, Mme Dominique David, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. M’jid El Guerrab, Mme Sarah El Haïry, M. Nicolas Forissier, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. Romain Grau, Mme Olivia Gregoire, Mme Nadia Hai, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie‑Ange Magne, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-François Parigi, M. Hervé Pellois, Mme Valérie Petit, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. Benoit Potterie, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Fabien Roussel, Mme Sabine Rubin, M. Laurent Saint-Martin, M. Jacques Savatier, M. Benoit Simian, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. – M. François André, Mme Émilie Bonnivard, M. Daniel Labaronne, M. Olivier Serva

Assistaient également à la réunion. – M. Pierre Cordier, M. Guillaume Larrivé

 

 

 

 

 

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