Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

–  « Au cœur de l’économie » : audition de MM. Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et de l’international de la Banque de France, et Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE, sur la conjoncture, ainsi que de M. Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique, sur le thème d’actualité « L’endettement public ʺutileʺ »              2

–  Présences en réunion...........................25


Mercredi
18 septembre 2019

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 102

session extraordinaire de 2018-2019

 

 

Présidence

 

de

 

M. Éric Woerth,

Président


  1 

La commission entend MM. Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et de l’international de la Banque de France, et JeanLuc Tavernier, directeur général de l’INSEE, sur la conjoncture, ainsi que M. Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique, sur le thème d’actualité « L’endettement public ʺutileʺ »

 

M. le président Éric Woerth. Cette réunion est la septième de notre cycle « Au cœur de l’économie ». Ces rendez-vous réguliers sont désormais bien installés dans l’agenda de notre commission et je veux encore une fois remercier les partenaires extrêmement fidèles que sont la Banque de France et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

Au fil de ces séances, en liaison avec la Banque de France et l’INSEE, nous avons associé d’autres intervenants économistes : Xavier Ragot pour l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Denis Ferrand pour le Centre de recherche pour l’expansion de l’économie et le développement des entreprises (Rexecode), Laurence Boone pour l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et nous accueillons ce matin Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique, que je remercie vivement d’avoir accepté cette invitation.

Comme d’habitude, nous procéderons en deux temps : pour commencer, Olivier Garnier et Jean-Luc Tavernier feront un point sur la conjoncture, puis nous entendrons Philippe Martin, la Banque de France et l’INSEE sur le thème de l’endettement public : est-il utile, et dans quelles conditions ? Il s’agit d’un vrai sujet d’actualité.

Nous avons choisi ce thème car l’endettement est désormais au cœur des préoccupations. Les taux négatifs « réveillent les consciences » dans différents sens. Les liquidités sont abondantes, de même que la politique monétaire. Dans ce contexte, les politiques budgétaires se cherchent. Faut-il continuer à s’endetter, et pour quoi faire ? Telle est la question qui est posée aux États, et tout particulièrement à notre pays.

M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’INSEE. Notre point de conjoncture devant paraître début octobre, nous avons assez peu de choses nouvelles à vous apporter. Je vais cependant vous présenter quelques graphiques avant de laisser la parole à Olivier Garnier, car la Banque de France et le système européen de banques centrales ont publié très récemment leurs nouvelles prévisions à horizon 2021.

Le premier graphique montre ce que l’on appelle le consensus forecast, c’est-à-dire le consensus des économistes sur la moyenne annuelle de la croissance dans différents pays de la zone euro. En France, il ne s’est pas passé grand-chose au cours de l’été et la prévision de croissance globale des économistes pour l’année 2019 reste à 1,3 %. Pour autant, on ne peut pas dire que les incertitudes politiques et économiques dans le monde se soient dissipées. Notre principal partenaire, l’Allemagne, connaît des déboires dont le diagnostic complet reste à établir entre phénomènes conjoncturels et tendances plus structurelles.

En tout cas, au fil des mois, la courbe française a assez peu bougé. Depuis longtemps le scénario de croissance moyenne anticipée par les économistes pour l’année 2019 est à 1,3 %. C’est ce qu’indiquait la dernière note de conjoncture de l’INSEE. Finalement, le deuxième trimestre a connu une croissance de 0,3 % comme prévu. Cette prévision reste donc assez centrale.

Le Royaume-Uni n’a pas tellement fluctué, mais le calcul est très compliqué : selon les trimestres, selon que l’on anticipe ou non le Brexit, des comportements de stockage de précaution à la fois des entreprises et des ménages se traduisent par un peu plus de demande tandis qu’au trimestre suivant, c’est l’effet inverse qui se produit. Du fait de ces battements de la croissance, les données ne sont pas aisément lisibles.

En revanche, on discerne bien la dégringolade des anticipations de croissance en Allemagne et en Italie, en phase avec des comptes trimestriels de début d’année très décevants, notamment en Allemagne, où la croissance est de l’ordre de – 0,1 % au deuxième trimestre. Il n’est pas exclu que la croissance soit encore très faible, peut-être nulle, voire légèrement négative au troisième trimestre et que l’Allemagne se trouve techniquement en récession, même si cela n’est pas du tout certain à ce stade. En tout cas, une croissance très faible en cours d’année porte la moyenne annuelle du consensus en Allemagne à 0,6 %, très en deçà du 1,3 % français.

Les climats des affaires tels qu’ils sont exprimés par les entreprises et les ménages font ressortir une sorte de nivellement par le bas. Ils s’effritent dans la plupart des régions du monde, qu’il s’agisse de la zone euro, des autres économies industrialisées ou des économies émergentes. Ils restent un peu au-dessus du seuil d’expansion, mais s’en rapprochent.

Dans la zone euro, par secteur, la différence est très nette entre les branches du secteur abrité (commerce, construction, services), où les indicateurs ne vont pas si mal – ils sont même assez élevés s’agissant de la construction et n’ont pas tellement baissé pour les services et le commerce de détail – et l’industrie, qui, depuis le sommet de 2018, connaît une dégringolade continue du climat des affaires tel que l’expriment les industriels dans la zone euro – dégringolade qui, pour l’instant, n’a pas l’air de s’infléchir.

Si l’on examine la situation pays par pays, on constate que la dégradation du climat des affaires dans le secteur manufacturier de la zone euro concerne au premier chef l’Allemagne. L’indice y était au plus haut en 2018, plus que dans les autres pays, et il est aujourd’hui au plus bas, suivant une pente beaucoup plus rapide qu’ailleurs. De plus, l’Allemagne ne semble pas connaître d’inflexion nette, contrairement aux autres pays et notamment la France, où le climat des affaires dans l’industrie s’est quelque peu stabilisé au cours des derniers mois. C’est d’autant plus remarquable qu’il y a moins de deux ans, l’industrie allemande était au sommet, avec des difficultés de recrutement exceptionnelles.

En France, nos enquêtes de conjoncture montrent que le bâtiment se porte bien. Le commerce de détail et les services ont connu un petit rebond et l’industrie est relativement stabilisée ; ce n’est pas du tout la baisse durable, prolongée et continue que connaît l’Allemagne.

J’en viens à la question de la confiance des consommateurs et de l’arbitrage entre consommation et épargne. On assiste depuis la fin de l’année dernière à un afflux de revenus et de pouvoir d’achat des consommateurs, si bien que l’on se demande régulièrement dans quelles proportions cette augmentation sera dirigée vers la consommation ou vers l’épargne. À cet égard, la courbe de l’indicateur de confiance des consommateurs dans les principaux pays de l’Union européenne est intéressante. En France, cet indicateur a connu une dégradation très forte du printemps 2017 à fin 2018, au pic du mouvement des gilets jaunes, alors même que l’on disait que du revenu supplémentaire devrait être perçu par les ménages au troisième et surtout au quatrième trimestre de l’année 2018. Le rebond après l’épisode des gilets jaunes a été très brutal et l’indicateur de confiance des consommateurs en France est remonté à un niveau assez élevé.

C’est moins le cas dans les autres pays, qui n’ont pas connu le mouvement des gilets jaunes et l’à-coup qui en a résulté, et dont les courbes sont assez stables, parfois légèrement orientées à la baisse comme en Allemagne.

Alors que l’on perçoit en Allemagne presque autant de revenus qu’en France, la confiance des consommateurs allemands a plutôt tendance à s’étioler. La perspective est beaucoup moins favorable qu’en France pour deux raisons. La première est que le secteur industriel est exposé au ralentissement mondial, aux perspectives de guerre commerciale et peut-être au Brexit, à la baisse des investissements en Chine… La seconde raison est un problème d’arbitrage entre la consommation et l’épargne. Peut-on s’attendre à ce qu’il y ait un peu plus de demande venant du consommateur allemand ?

En France, comment le pouvoir d’achat alimente-t-il ou non l’épargne et le revenu ? Et surtout, à quelle vitesse et à quelle échéance peut-il alimenter une augmentation du revenu ?

Entre la variation du taux d’épargne sur un an et la variation du pouvoir d’achat du revenu des ménages sur un an, on observe une forte corrélation : quand le pouvoir d’achat accélère, l’épargne accélère, ce qui signifie que la consommation n’accélère pas aussi vite et qu’un comportement de lissage fait que l’évolution du revenu ne se traduit pas aussi vite en évolution de la consommation.

Un graphique que j’ai emprunté à mes collègues du Trésor fait apparaître, au cours de différents épisodes de l’année 2017 et des années 2009 et 2010 – années de la relance –, les pics de pouvoir d’achat et l’évolution de la consommation par rapport au même trimestre de l’année précédente. On s’aperçoit que les pics de croissance du pouvoir d’achat sont suivis avec un certain délai par les pics de croissance de la consommation. En termes économiques, cela signifie en gros qu’il faut plusieurs trimestres pour que la croissance du pouvoir d’achat se traduise par une croissance globale de la consommation, ce qui nous a fondés à dire que la croissance du pouvoir d’achat de la fin de l’année 2018 et du début de l’année 2019 allait graduellement passer en consommation et en baisse du taux d’épargne ; c’est ce qui s’est produit, avec une baisse du taux d’épargne au deuxième trimestre 2019. On peut penser qu’au cours de la fin de l’année, une partie de la consommation sera à nouveau liée aux augmentations antérieures de pouvoir d’achat du revenu.

Nous avons demandé aux ménages leur opinion sur leur situation financière future, s’ils trouvaient plus opportun de faire des achats importants ou d’épargner. Concernant la situation financière future, on constate un rebond depuis la fin de l’année 2018, de même que s’agissant de l’opportunité de faire des achats importants. Mais les opinions sur l’opportunité d’épargner ont également rebondi : lorsque les ménages vont mieux, ils trouvent opportun à la fois d’acheter et d’épargner, ce qui relativise l’information que nous en tirons.

L’inflation reste faible, autour de 1 %, avec une très nette baisse de la contribution de l’augmentation du prix de l’énergie par rapport au pic de 2018. Cette baisse explique à elle seule la plus grosse partie de la diminution de l’inflation. À présent, la contribution de l’énergie sur un an est nulle et l’inflation est assez proche de l’inflation sous-jacente, elle-même toujours légèrement inférieure à 1 %.

La hausse de l’emploi en début d’année nous a surpris. Comme le montre la courbe du climat de l’emploi tel qu’il est issu des enquêtes de conjoncture, le glissement annuel d’emploi, c’est-à-dire le nombre d’emplois créés en taux de croissance sur quatre trimestres, a rebondi au début de 2019. Le climat de l’emploi est bon, sans pour autant connaître d’accélération. La vigueur des créations d’emplois en début d’année, je l’ai dit, nous a surpris. À ce stade, une piste possible est que la bascule du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) sur les cotisations sera porteuse de création d’emplois supplémentaires, dans la mesure où l’on baisse les cotisations sociales.

Je fais partie de ceux qui pensent que le CICE est un instrument assez sous-optimal pour réduire le coût du travail. On peut estimer que la bascule a un effet favorable, mais c’est pour l’instant pure conjecture. Il faudra du recul et des travaux économétriques pour le vérifier.

La conséquence de cette forte création d’emplois est que la productivité apparente du travail a baissé au point d’être nulle en glissement. Si l’on regarde les quatre derniers trimestres (du troisième trimestre 2018 au deuxième trimestre 2019), le chiffre est le même pour la croissance de l’emploi et la croissance du produit intérieur brut (PIB), ce qui indique une absence de productivité apparente de l’emploi au cours des derniers trimestres. On rejoint en cela un phénomène observé depuis plusieurs années en Italie ou au Royaume-Uni et qui est un réel défi pour les économistes. Dans un contexte de chômage élevé, on se réjouit de l’autre face de cette baisse de la productivité, à savoir la croissance en emplois ; mais si cela devait se prolonger, cela poserait un problème durable s’agissant de l’évolution de la croissance potentielle.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de raison significative de remettre en cause la prévision de croissance de 0,3 % par trimestre qui figurait dans la note de conjoncture parue au mois de juin.

On ne trouve pas vraiment trace, dans les réponses des entreprises françaises sur le climat des affaires, de l’accumulation d’incertitudes politiques et économiques qui sévit partout dans le monde, si bien qu’on pourrait même atteindre un chiffre un peu plus élevé. Mais notre prévision centrale reste à ce jour de 0,3 % par trimestre pour la fin de l’année, ce qui porte la prévision de croissance moyenne annuelle à 1,3 % en 2019.

M. Olivier Garnier, directeur général des statistiques, des études et de l’international de la Banque de France. Le calendrier nous est favorable puisque les prévisions pour l’ensemble de la zone euro ont été présentées par la Banque centrale européenne (BCE) jeudi dernier à l’issue du conseil des gouverneurs. De son côté, la Banque de France a publié hier soir ses nouvelles prévisions à l’horizon 2021, dont la presse se fait d’ailleurs l’écho ce matin.

Le message qui se dégage pour la France et que M. Tavernier a commencé à évoquer, c’est que, sur le plan international – nous l’avons vu pendant l’été –, les risques baissiers par rapport à notre prévision centrale se sont accrus. Pour autant, ce qui est remarquable, par rapport à juin, c’est que notre prévision de croissance à l’horizon 2020-2021 est quasiment inchangée pour l’économie française, laquelle fait preuve d’une très grande résistance à ce qui se passe dans l’économie internationale.

Je commencerai par la montée des risques au niveau international. Alors qu’en 2017, le commerce mondial augmentait en volume à un rythme d’environ 5 % par an, il est aujourd’hui complètement à l’arrêt, ce qui a notamment un rapport avec les incertitudes liées aux tensions entre les États-Unis et la Chine. C’est un freinage brutal. Quant aux hausses de tarifs sur les importations en provenance de Chine après les annonces et les tweets du président Trump et aux mesures de représailles du côté chinois, si l’on cumule la hausse moyenne des tarifs depuis le début, on arrive à un peu plus de 15 points des deux côtés, ce qui est tout à fait significatif. Alors qu’on était aux alentours de 5 points en 2018, l’augmentation s’est accélérée et l’on perçoit de plus en plus les effets de ces hausses de tarifs et la diversion que cela peut entraîner sur le commerce mondial. Mais le point important est que de nombreux effets restent à venir.

Nous avons pris en compte toutes les mesures annoncées, sauf le dernier tweet du président Trump le 23 août, postérieur à la date à laquelle nous avons arrêté les prévisions. Cela étant, au-delà des effets directs sur le commerce international, on observe aussi des effets indirects, notamment via l’incertitude que la situation engendre. Un peu partout dans le monde, l’investissement des entreprises tend à ralentir, y compris aux États-Unis. Dans une situation incertaine, les entreprises diffèrent les décisions à long terme et en particulier les investissements, ce qui a des répercussions sur le marché des biens d’équipement par exemple, qui tend lui aussi à ralentir.

Le deuxième risque est lié au Brexit. Le risque d’une sortie du Royaume-Uni sans accord a augmenté. Je veux rappeler l’asymétrie qui existe entre le Royaume-Uni et la zone euro. Pour le Royaume-Uni, les exportations vers la zone euro représentent 12 % du PIB, ce qui est considérable, tandis que pour la zone euro, les exportations vers le Royaume-Uni sont de l’ordre de 3,5 % du PIB. Le chiffre est même inférieur pour la France, avec 2,3 % du PIB. Si je compare la France au Royaume-Uni, ce dernier est six fois plus exposé à la zone euro que la France ne l’est au Royaume-Uni en termes de pourcentage de PIB, ce qui signifie qu’en cas de Brexit désordonné, c’est bien sûr l’économie britannique qui sera la plus affectée.

D’ailleurs, on en voit déjà les effets. Je citais l’investissement des entreprises ; si l’on en croit l’analyse de la Banque d’Angleterre, du fait de l’incertitude créée par le Brexit depuis le référendum, l’investissement des entreprises au Royaume-Uni aujourd’hui est de l’ordre de 20 à 25 points en dessous de ce qu’il aurait été sans cette incertitude. Le risque est présent, sachant que la prévision de l’Eurosystème comme celle de la Banque de France intègrent plutôt un scénario de sortie « ordonnée ».

La prévision a également pris en compte des contrepoids au niveau mondial : la dégradation du commerce international et de l’environnement et la baisse des taux d’intérêt dans le monde. Depuis le début de l’année, les taux à 10 ans ont ainsi diminué 100 points de base. En France, le taux de l’obligation assimilable du Trésor (OAT) à 10 ans est passé en dessous de zéro.

Le même mouvement s’est opéré aux États-Unis face aux craintes de ralentissement. Les marchés anticipent ce ralentissement ainsi qu’une baisse des taux de la part des banques centrales. La baisse des taux d’intérêt a ainsi un effet amortisseur pris en compte dans la prévision économique.

Un autre cas intéressant est celui de l’Italie. Depuis le début de l’année, le taux italien à 10 ans a baissé significativement (de 200 points de base). On avait constaté une forte hausse des taux à partir du printemps 2018, au moment des élections italiennes, au rebours de ce qu’on observait dans le reste de la zone euro. Depuis, avec la constitution du nouveau gouvernement, ces taux ont connu une très forte réduction. Aujourd’hui, le spread – l’écart de taux entre l’Italie et l’Allemagne – est quasiment revenu au niveau qui prévalait avant les élections. C’est un cas d’école qui montre que lorsque l’on crée une situation d’incertitude politique, notamment en matière de politique budgétaire, une sanction s’applique immédiatement avec un coût élevé pour l’économie. On ne peut pas dire que le phénomène était lié au commerce international ; c’est l’Italie qui s’est un peu flagellée elle-même en créant cette situation.

Le pétrole joue aussi un rôle compensateur : lors de nos prévisions de juin, le pétrole était à un niveau plus élevé et a connu depuis une baisse de 10 %. Or nous faisons nos prévisions sur la base du dernier cours connu du pétrole et de la courbe des taux à partir des taux futurs sur le pétrole, qui tablaient sur une baisse – et la baisse du prix du pétrole soutient la croissance.

Le week-end dernier, vous le savez, des drones ont attaqué des infrastructures pétrolières saoudiennes. Le baril est alors monté à plus de 70 dollars, et il est revenu à 64 dollars ce matin. On constate un repli, notamment après les annonces saoudiennes selon lesquelles les puits pourraient redémarrer plus rapidement que prévu.

Cela appelle deux remarques.

Ce choc concerne le marché du pétrole, où la demande était plutôt en train de s’affaiblir, notamment avec le ralentissement de la Chine, grosse consommatrice de pétrole. Il n’y avait pas de tension entre l’offre et la demande. Il y a quelques mois, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie avaient même annoncé une réduction de leurs quotas de production. Ce marché n’est donc pas très tendu.

En outre, depuis l’apparition des producteurs de pétrole « non conventionnel » aux États-Unis, l’offre est beaucoup plus flexible et réagit beaucoup plus aux prix, car aux États-Unis par exemple, lorsque le prix augmente, de nouveaux puits de pétrole qui n’étaient pas rentables à 60 dollars le deviennent à 70 dollars, ce qui limite la hausse des prix.

Cela dit, tout dépend de la durée de la hausse des prix du pétrole. Pour donner un ordre de grandeur, nous estimons à partir de nos modèles qu’une hausse permanente du prix du pétrole de 5 euros par rapport au niveau qui figure dans la projection engendrerait 0,1 % de croissance en moins en 2020 et à nouveau en 2021, soit – 0,2 % en cumulé. En faisant une règle de trois, 10 euros de plus correspondraient à – 0,2 % l’an prochain, et se répercuteraient également sur l’indice des prix à la consommation (de l’ordre de 0,1 %).

Notre prévision tient compte de l’effet de la baisse du prix du pétrole, qui joue un rôle amortisseur dans le contexte un peu déprimé de l’économie mondiale. Des tensions persistantes sur le prix du pétrole seraient bien sûr un aléa négatif par rapport à nos prévisions.

Les taux de change sont eux aussi importants. Il est assez remarquable que dans un contexte très agité sur les marchés, le marché des changes soit relativement calme, sans choc fort. L’euro suit toujours une tendance légèrement baissière face au dollar, ce qui d’ailleurs tend à irriter le président américain, qui trouve que le dollar est trop fort.

Du point de vue de l’impact économique, il ne faut pas seulement considérer le taux de change de l’euro contre le dollar, mais contre toutes les monnaies, – ce qu’on appelle le taux de change effectif, qui est à peu près stable sur moyenne période. Certes, l’euro s’est déprécié par rapport au dollar, mais il s’est apprécié par rapport à la livre britannique. En outre, les devises émergentes (celle de la Chine par exemple) ont eu plutôt tendance à se déprécier par rapport aux monnaies des pays développés, ce qui, pour nous, contrebalance le bénéfice d’un dollar fort. Le dollar, quant à lui, subit de plein fouet à la fois la baisse de l’euro et la baisse des devises émergentes.

À partir de ces hypothèses, j’en arrive à la prévision pour la zone euro. Les prévisions ont été présentées par la Banque centrale européenne le 12 septembre, avec une révision assez sensible pour l’année 2020 : d’une prévision de croissance de 1,4 % pour l’ensemble de la zone euro en 2020, on est passé à 1,2 %. Auparavant, l’hypothèse était plutôt un raffermissement progressif de l’activité au deuxième semestre 2019. Aujourd’hui, la prévision ne comporte plus ce redressement, qui est reporté vers 2020. Par effet d’acquis, cela joue principalement sur l’année 2020. La croissance reste modeste, avec une révision à la baisse de l’évolution des prix à la consommation. La prévision d’inflation actuelle est à 1,5 %, aussi bien pour l’indice des prix énergie et alimentation compris que hors énergie et alimentation. Ce taux de 1,5 %, sensiblement inférieur à l’objectif que s’est fixé la Banque centrale européenne, explique aussi les mesures supplémentaires d’assouplissement monétaire annoncées jeudi dernier.

Concernant la France, nous n’avons quasiment pas modifié notre prévision. La seule petite modification porte sur 2020, année pour laquelle le taux prévisionnel est passé de 1,4 % à 1,3 %. Il est toutefois relativement stable : 1,3 % en 2019, 1,3 % en 2020 et 1,4 % en 2021.

Pourquoi ce paradoxe français ? Pourquoi, alors que l’univers autour de nous se dégrade, la situation de la France ne se dégrade-t-elle pas ?

L’une des raisons est que la France est moins exposée que l’Allemagne par exemple à tout ce qui se passe hors de la zone euro. Pour vous donner un ordre de grandeur, les exportations allemandes à l’extérieur de la zone euro représentent 30 % du PIB, contre 15 % pour les exportations françaises.

Par ailleurs, bien que la demande extérieure adressée à la France ait été révisée à la baisse, la demande intérieure a encore été revue à la hausse, aussi bien en termes de consommation que d’investissement des entreprises, avec de bonnes surprises sur l’emploi qui augmentent le pouvoir d’achat. Dès le mois de mars, nous avions parlé ici des gains de pouvoir d’achat. À l’époque, c’était encore quelque peu hypothétique, certains d’entre vous avaient encore des doutes quant à la réalité de ces gains de pouvoir d’achat en 2019. En mars, notre prévision d’évolution du pouvoir d’achat du revenu par tête s’élevait à 1,9 %. En juin, nous l’avons révisée à 2,1 % et en septembre, nous en sommes à 2,3 %. Quand on prend le revenu disponible total, la hausse du pouvoir d’achat est de l’ordre de 2,5 %. Une bonne partie est épargnée mais, dans la prévision, ce pouvoir d’achat est consommé progressivement et la consommation des ménages accélère même entre 2019 et 2020.

Pour en venir à la question de l’emploi, un million d’emplois auront été créés entre 2016 et 2019. On peut faire le même calcul sur la base des comptes trimestriels entre mi-2015 et mi-2019, sur quatre années glissantes : un million de créations nettes d’emplois également.

Comme M. Tavernier l’a évoqué, la contrepartie est le ralentissement des gains de productivité, mais, dans notre prévision, les gains d’emplois vont diminuer à l’horizon 2020-2021, avec moins de créations nettes, mais plus de productivité et donc plus de salaire moyen par tête.

Je fais miennes les explications de M. Tavernier sur les créations d’emplois jusqu’à la fin 2018 par rapport au modèle que nous utilisons, avec des surprises positives début 2019. À cet égard, M. Tavernier a évoqué un certain nombre de pistes.

En 2019, le gain annuel moyen pour l’emploi total serait de 271 000, dont 264 000 pour l’emploi salarié marchand. Le gain principal provient donc de l’emploi marchand ; le non-marchand est d’ailleurs en légère baisse. Les emplois non salariés connaissent quant à eux une légère hausse.

Concernant les gains de pouvoir d’achat, je voudrais insister sur un point : ces gains viennent avant tout de l’emploi et du salaire moyen par tête. Des mesures comme celle qui est intervenue en fin d’année 2018 contribuent à hauteur de 0,7 point environ au gain de pouvoir d’achat qui s’élève à 2,3 points. Bien sûr, la faiblesse de l’inflation y contribue également.

Comment ces gains sont-ils dépensés ? Entre le troisième trimestre 2018 et mi-2019, on observe sur la base des comptes trimestriels qu’un peu plus de 40 % des gains de revenu disponible ont été dépensés. En projection, on estime qu’à peu près les trois quarts auront été dépensés à la fin de 2021. Parallèlement à l’accélération de la consommation, nos prévisions annoncent une stabilisation du taux d’épargne.

Si je compare à nouveau la France à la zone euro, la France a, une fois n’est pas coutume, une croissance légèrement supérieure, sachant que la zone euro est quelque peu hétérogène puisque deux des pays qui la forment, l’Allemagne et l’Italie, sont atypiques pour différentes raisons. Nous sommes moins atypiques si nous nous comparons non pas à l’Allemagne et à l’Italie, mais au reste de la zone euro.

M. le président Éric Woerth. Merci beaucoup pour ces deux interventions passionnantes qui permettent de bien préciser les choses alors que nous sommes sur le point d’examiner le projet de loi de finances.

Nous passons au thème de notre réunion d’aujourd’hui, celui de l’endettement public.

M. Jean-Luc Tavernier. Le niveau très bas des taux d’intérêt change-t-il la donne en matière de soutenabilité des finances publiques et de recours à l’endettement ? Sur ces sujets, c’est Philippe Martin qui aura la part du lion. De mon côté, avec Didier Blanchet, je mettrai l’arithmétique à contribution pour vous faire part de quelques considérations sur la soutenabilité des finances publiques.

Le déficit qui stabilise la dette est le ratio de la dette sur le PIB multiplié par le taux de croissance du PIB nominal en euros courants. On retrouve le calcul qui avait présidé aux critères de Maastricht. Avec une dette représentant 60 % du PIB et une croissance nominale du PIB de 5 %, la dette est stabilisée dès lors que le déficit public n’excède pas 3 % du PIB. Cette arithmétique donnait leur cohérence aux critères de Maastricht. Au passage, si la croissance nominale n’est plus que de 3 %, parce que la croissance en volume est plus faible que ce que l’on pensait il y a vingt ou trente ans et l’inflation elle-même a du mal à atteindre la cible de 2 %, à 3 points de déficit public, la dette converge vers 100 % du PIB.

Si l’on raisonne en termes de solde primaire – c’est-à-dire de solde défalqué des charges d’intérêts –, on voit qu’apparaît le facteur taux d’intérêt moins taux de croissance. Si le taux d’intérêt apparent sur la charge de la dette est supérieur au taux de croissance du PIB nominal, on risque d’avoir un effet boule de neige qu’il faut compenser par un excédent primaire. Le solde des recettes publiques doit excéder celui des dépenses primaires.

C’est la situation qui a prédominé jusqu’à présent : le taux d’intérêt apparent de la dette a été très généralement supérieur au taux de croissance nominale du PIB. Mais cette situation s’est inversée récemment et – avec ce que sont censées être les anticipations des marchés – cela doit perdurer en 2020 : l’écart devient négatif, le taux de croissance étant désormais supérieur au taux d’intérêt, et risque de s’accroître. Dans un tel cas, on n’a plus forcément besoin d’un excédent primaire pour stabiliser la dette ; on peut avoir un déficit primaire et utiliser les moindres charges d’intérêt aux fins d’autres dépenses sans mettre en péril la soutenabilité des finances publiques.

Lorsque l’on compare la courbe de la dette publique en parts de PIB et celle des charges d’intérêts en parts de PIB, on voit que les charges d’intérêts en parts de PIB ont connu un maximum au milieu des années 1990 et que la baisse continue des taux d’intérêt qu’on a connue a bien excédé le taux de croissance de la dette elle-même, d’où des charges d’intérêts en parts de PIB à peu près deux fois plus basses aujourd’hui qu’à leur pic au milieu des années 1990. En gros, on passe de 3,5 à un chiffre compris entre 1,5 et 2 points de PIB pour les charges d’intérêts en parts de PIB, en dépit de la croissance quasi continue de la dette publique.

On peut calculer le solde qui stabilise la dette pour chaque année et le comparer au solde effectif. En règle générale, le solde public effectif, qui est toujours négatif, a été plus élevé en valeur absolue que le déficit qui aurait stabilisé la dette. Mais, sur les deux années 2017 et 2018, on a atteint le solde qui stabilisait la dette. On y est arrivé parce que le déficit effectif s’est réduit, d’une part, et parce que le solde stabilisant s’est lui-même modifié, d’autre part.

On peut comparer la situation que je viens de décrire en France à celle des autres pays. Pour la France, le déficit effectif en 2018 en parts de PIB a stabilisé la dette courante. Si on avait voulu passer à un déficit qui stabilise la dette à 60 points de PIB, ce qui est plus exigeant, le déficit public aurait dû être inférieur de 1 point de PIB.

Certains pays sont dans la même situation que nous : en Italie, le solde effectif stabilise la dette. Il est un peu supérieur en Espagne. Avec un excédent très élevé, l’Allemagne est très loin de cette situation : 3,5 à 4 points de PIB au-delà du solde qui stabiliserait la dette. On voit la différence de marge de manœuvre d’un pays à l’autre. La Grèce, du fait de l’histoire et de ce qu’on a requis d’elle, a un excédent qui lui permet de réduire la dette. Les différences sont très notables d’un pays à l’autre dans cette question de soutenabilité des finances publiques, ce qui conduit à signaler au passage qu’il faudrait que le sujet qui nous réunit aujourd’hui soit surtout débattu en Allemagne.

À partir du moment où le taux d’intérêt nominal continue de baisser par rapport à la situation où on stabilisait la dette en 2018 et passe, comme on peut le prévoir d’après les anticipations des marchés, durablement et significativement en dessous du taux de croissance nominale du PIB, on peut s’accommoder d’un déficit primaire et dépenser ou réduire les prélèvements à hauteur de l’économie prévisible sur les charges d’intérêts sans remettre en cause la soutenabilité des finances publiques.

Toutefois, on n’est pas obligé de faire ce choix. En maintenant le solde primaire, on voit que la dette publique se réduit de manière assez puissante. Avec le même taux de croissance nominale qu’en 2018, si on maintenait le solde primaire à son niveau, c’est-à-dire si on ne dépensait pas, si on n’utilisait pas les économies de charges d’intérêt pour faire moins de prélèvements ou davantage d’autres dépenses, on stabiliserait la dette à long terme. C’est l’effet contraire de l’effet boule de neige : la boule de neige prend du temps à fondre, mais au bout du compte les taux convergent et on peut stabiliser le ratio dette sur PIB à 53 % si le taux d’intérêt apparent descend durablement à 1 %. Si le taux d’intérêt devient nul durablement, on peut même stabiliser le ratio dette sur PIB à 32 % à condition de ne pas utiliser les économies de charges d’intérêt. On peut aussi choisir de conserver le même déficit en recyclant ces économies de charges d’intérêt soit en dépenses additionnelles, soit en baisse de prélèvements.

Quelques précautions s’imposent : il faut être sûr que la nouvelle donne, c’est-à-dire « r < g », ou « taux d’intérêt apparent inférieur au taux de croissance du PIB », soit durable. Pondérer, même légèrement, le risque de remontée des taux d’intérêt conduit à plus de précaution.

On peut également imaginer – d’où les débats sur la stagnation séculaire – que cette baisse, ou les conséquences que les économistes attribuent à l’aplatissement ou à l’inversion de la courbe des taux, avec des taux d’intérêt à long terme très bas, provient juste de l’anticipation que les taux de croissance eux-mêmes vont baisser. Dans de tels cas, on a l’illusion que r devient inférieur à g, mais il faut se méfier parce que c’est peut-être simplement dû au fait que nous allons vers de mauvais jours concernant g.

À l’inverse, on pourrait imaginer profiter de la circonstance pour soutenir que des dépenses publiques porteuses d’avenir ont été évincées, contenues, bridées du fait de la situation des finances publiques. Disposer d’un peu plus de marge de manœuvre permet de faire des dépenses qui préparent davantage l’avenir, ce qui augmentera la croissance potentielle et, par suite, déplacera complètement les curseurs et réduira la contrainte de soutenabilité des finances publiques. C’est le thème de la croissance endogène et des dépenses d’avenir, et c’est un peu ce qu’on a voulu faire avec les investissements d’avenir à un certain moment ; c’est aussi ce que les Néerlandais ont annoncé avoir l’intention de faire. Sur le papier, on a envie d’y adhérer. Pour ma part, je sais qu’identifier des dépenses réellement porteuses d’avenir et parvenir à dépenser à la fois beaucoup et intelligemment n’est pas si facile car on bute souvent sur des contraintes d’offre.

M. Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique. Je voudrais rendre compte de différents débats qui ont lieu parmi les économistes au sujet de l’impact des taux d’intérêt bas sur la dynamique de la dette et de la façon dont cela modifie notre approche de la question de la dette. Un débat très important a lieu aux États-Unis et je souhaiterais qu’il arrive en Europe, car il change la donne à différents égards.

Je commencerai par les origines de la baisse des taux d’intérêt, car il est important de faire le diagnostic de cette baisse : est-ce une baisse à court terme qui peut être renversée rapidement, ou bien à l’inverse est-elle persistante ou très durable ? quelles sont ses implications mécaniques sur la dette ? M. Tavernier a déjà abordé le sujet, mais je pense qu’il est essentiel de revenir sur la manière dont, dans cette mécanique d’accumulation de la dette publique, la soutenabilité est affectée par les taux d’intérêt bas.

Je reviendrai ensuite sur les arguments pour et contre l’accumulation de dette publique, sujet de débat entre les économistes, et sur la manière d’utiliser la baisse des taux. Je soulèverai sans doute plus de questions que je n’apporterai de réponses, à votre goût. Il s’agit d’une forme de teasing, puisque le Conseil d’analyse économique publiera prochainement une note visant à apporter des réponses.

Nous considérons ici la baisse des taux à 10 ans de la France, de l’Allemagne et des États-Unis sur une longue période : de 1960 à aujourd’hui. Cette baisse des taux n’est pas récente : elle remonte, s’agissant des taux nominaux, au début des années 1980. Elle est due en partie à la forte baisse de l’inflation, que les taux ont suivie. Mais même si l’on retient les taux d’intérêt réels, soit les taux d’intérêt nominaux à 10 ans moins l’inflation, on constate que la baisse ne date pas d’hier : nous connaissons une baisse forte des taux d’intérêt réels depuis le début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, où l’on constate des taux d’intérêt réels négatifs.

Cette baisse des taux n’affecte pas que la France : tous les pays de l’OCDE sont concernés. Cela nous incite à penser qu’elle comporte un élément très structurel.

Dans la mesure où ce n’est pas un phénomène nouveau, je crois l’on se trompe dans le débat public lorsque l’on en attribue l’origine à la politique monétaire, à la BCE, au quantitative easing et aux taux négatifs à court terme. Certes, la toute dernière baisse depuis 2014-2015 est sans nul doute liée en partie à la politique monétaire de la BCE, mais le graphique ne révèle pas de cassure en 2014-2015. Sachant que l’année 2014 correspond à l’annonce du quantitative easing par la BCE et l’année 2015 à sa mise en place, on voit qu’il y a continuation et non pas accélération forte de la baisse des taux.

On lie trop la politique monétaire et la baisse des taux d’intérêt, alors que l’évolution des taux est beaucoup plus durable et structurelle que simplement la politique monétaire, même si celle-ci a joué un rôle au cours des deux ou trois dernières années.

J’espère vous avoir démontré que la baisse des taux n’est ni de court terme ni très récente. On peut penser que c’est un phénomène persistant, car on trouve parmi ses causes de nombreux éléments structurels. S’il est trop tôt pour affirmer que cette baisse est permanente, il est en revanche important d’insister sur ses origines structurelles.

Un peu de théorie pour essayer de comprendre d’où viennent cette baisse des taux et le débat des économistes sur le sujet. Le taux d’intérêt est un prix qui équilibre l’offre totale de l’épargne et la demande, car nos marchés de capitaux sont aujourd’hui quasiment totalement intégrés. Ce qui compte au niveau des taux d’intérêt, ce ne sont pas l’épargne et l’investissement en France, mais au niveau mondial. De ce point de vue, il faut examiner ce qui a changé du côté de l’offre et de la demande.

Pourquoi l’offre d’épargne a-t-elle augmenté ? Les facteurs structurels sont nombreux. Ces facteurs sont présents depuis un certain temps et ne vont pas changer demain. Il s’agit du vieillissement de la population, qui amène les ménages à épargner plus, avec en particulier l’augmentation des fonds de pension, de l’augmentation des inégalités, qui a aussi eu un impact sur l’épargne car les revenus élevés épargnent davantage. Par ailleurs, après les crises financières des années 1990, beaucoup de pays n’ont plus voulu se retrouver dans une situation où ils sont attaqués par les marchés ; par conséquent, de nombreux pays émergents, que ce soit en Asie ou en Amérique latine, ont épargné davantage sous la forme de réserves de change, ce qui a contribué à l’augmentation de l’épargne globale. Enfin, un certain nombre de politiques mercantilistes (en Chine, en Allemagne) visent à produire plus et consommer moins, et donc à avoir des comptes courants excédentaires, ce qui génère de l’épargne supplémentaire au niveau mondial.

Tous ces facteurs augmentent l’offre d’épargne et ont donc un effet dépressif sur les taux d’intérêt.

Au même moment, certains facteurs diminuent la demande d’investissement, donc la demande d’emprunt, et ont un impact sur les taux d’intérêt :

– la baisse de la productivité et le débat sur la stagnation séculaire, très important aux États-Unis et de mon point de vue insuffisamment présent dans le débat économique français ;

– une potentielle baisse anticipée de la croissance, ce qui sera important lorsque nous parlerons de g - r puisque le taux de croissance diminué du taux d’intérêt est primordial pour la soutenabilité de la dette : une baisse conjuguée du taux de croissance et du taux d’intérêt n’a pas d’impact sur la dynamique de la dette ; cependant, en tout cas au cours des dernières années, le taux d’intérêt a, a priori, davantage baissé que le taux de croissance ;

– le phénomène de désindustrialisation des pays avancés : certains services sont moins capitalistiques et requièrent moins d’investissements ;

– la chute de la démographie et donc de l’investissement résidentiel.

Tout cela va dans le même sens : plus d’offres d’épargne, moins de demandes d’investissement. Ces facteurs génèrent une baisse des taux d’intérêt au niveau mondial, dont on a vu que tous les pays de l’OCDE font l’expérience. Sans aller jusqu’à dire que c’est un phénomène permanent, si l’on examine son origine, on constate qu’il est assez structurel et de long terme.

Quelles en sont les conséquences pour la soutenabilité de la dette ? D’abord un changement des conditions de la stabilité de la dette publique en pourcentage du PIB. En effet, la dette n’est soutenable que si l’on parvient à stabilité du ratio dette publique sur PIB.

À quel niveau ? Soyons francs, les économistes n’ont pas grand-chose à dire quant à savoir s’il devrait être de 20, 50, 60, 100 ou 200 %. Ce qui est essentiel, c’est qu’il soit stable à long terme, mais le niveau auquel il conviendrait de stabiliser la dette en pourcentage du PIB est très arbitraire. Ni la théorie ni les travaux empiriques ne nous disent que le niveau de 60 % choisi par l’Europe, par exemple, est un niveau optimal. Les travaux empiriques ne nous disent pas qu’à partir d’un certain niveau de dette, la croissance ralentirait, qu’il y aurait un impact négatif de la dette publique sur la croissance à long terme. Aucun ne va vraiment dans ce sens.

D’un point de vue quelque peu mécanique et comptable, l’évolution de la dette publique est assez simple : elle dépend du taux de croissance du PIB (le ratio se calcule en divisant la dette publique par le PIB). Si le PIB croît plus rapidement, ce ratio, toutes choses égales par ailleurs, va diminuer.

Quant à la dette, elle va croître en fonction de deux éléments : les paiements d’intérêts, qui vont nous intéresser en particulier, et le solde primaire.

Prenons l’exemple d’une dette à 100 % de PIB (nous n’en sommes pas très éloignés en France) pour bien montrer la mécanique d’accumulation et l’éventuel effet boule de neige lorsque les paiements d’intérêts augmentent tellement que la dette devient non soutenable. Un scénario où le taux de croissance et le taux d’intérêt sont à peu près égaux et un scénario où le taux de croissance est un peu supérieur au taux d’intérêt aboutissent à des dynamiques de dette très différentes. Pour cette raison, le débat est extrêmement important.

Dans une situation où le taux de croissance réel est d’environ 1 % chaque année, de même que le taux d’intérêt, il faut, pour stabiliser le ratio de dette, un équilibre primaire, c’est-à-dire ni déficit ni surplus au niveau primaire, soit hors paiement d’intérêts.

Dans une situation qui est à peu près celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, où il existe un écart approximatif de 1 point entre le taux de croissance et le taux d’intérêt, pour stabiliser le ratio de dette, toujours à 100 points de PIB, il est assez facile de voir qu’il n’est besoin que d’un déficit primaire de 1 point de PIB. Bien sûr, cela relâche la contrainte et change assez fortement l’équation d’accumulation de la dette. La relation entre dette et déficit est modifiée, ce qui implique potentiellement, pour le même objectif de stabilisation de la dette, que l’on peut avoir un déficit primaire. Cela signifie aussi que, potentiellement, le ratio de dette soutenable à long terme est plus élevé puisque les paiements d’intérêts correspondent au taux d’intérêt multiplié par le niveau de dette. On peut donc soutenir un niveau de dette plus élevé et stabiliser à long terme la dette à 100 % ou même à un niveau plus élevé de dette en proportion du PIB.

Pour résumer, la baisse des taux d’intérêt a un impact très important sur la question de la soutenabilité de la dette. Les différents scénarios d’écart entre taux d’intérêt et taux de croissance modifient fortement la dynamique de la dette. En France, la dette publique s’élève presque à 100 % de PIB. Dans une situation où le solde primaire est nul et où le taux d’intérêt est égal au taux de croissance, la dette publique sera stabilisée, mais dans une situation où le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance, la dette publique en pourcentage du PIB va diminuer assez rapidement, simplement avec un solde primaire nul. Nous retrouvons le calcul que faisait M. Tavernier pour montrer que dès que le taux d’intérêt passe en dessous du taux de croissance, la dette publique peut diminuer très fortement.

Évidemment, l’autre scénario permettant de stabiliser la dette publique est tout simplement d’avoir un équilibre primaire.

Pour la France, la différence entre r et g (taux d’intérêt et taux de croissance) est primordiale pour réfléchir à la dynamique de la dette. La confrontation entre le taux d’intérêt réel à 10 ans et le taux de croissance – lissée sur 5 ans pour éviter d’avoir des éléments trop volatils à court terme – permet de distinguer trois périodes :

– une période très favorable qui va jusqu’au début des années 1980, où les taux d’intérêt sont inférieurs aux taux de croissance ;

– une période moins favorable, des années 1980 à très récemment, où le taux de croissance est inférieur au taux d’intérêt, ce qui n’est pas bon pour la dynamique de la dette ;

– depuis 2015, une situation à nouveau favorable, avec un taux d’intérêt inférieur au taux de croissance. Le phénomène est récent même si la baisse des taux d’intérêt n’est pas récente, car les taux diminuent fortement en France depuis le début des années 1990.

Cela étant, certains arguments anti-dette publique me paraissent valides. Il faut en effet stabiliser la dette publique en pourcentage du PIB. L’objectif est complètement légitime et il faut être prudent sur cette question.

Le contexte spécifique de la zone euro joue également, car nous nous endettons dans une monnaie que nous partageons avec d’autres pays : contrairement aux États-Unis ou au Japon, nous ne nous endettons pas dans notre propre monnaie. Cela pose question, comme nous l’avons vu lors de la crise de la zone euro avec la Grèce et l’Italie : il peut arriver que les marchés financiers paniquent et considèrent qu’un pays pourrait être obligé de sortir de la zone euro et de financer sa dette en dévaluant très fortement, non pas l’euro puisqu’il n’en bénéficierait plus, mais la lire, la drachme, etc. Cela signifie que le niveau de la dette peut avoir un impact sur la prime de risque. Quand les marchés financiers ont anticipé qu’un pays pourrait sortir de la zone euro et dévaluer très fortement, le coût de l’endettement a significativement augmenté. Cette fragilité spécifique tient au fait que le pays appartient à la zone euro et s’endette dans une monnaie qui n’est pas vraiment la sienne, mais qui est partagée avec d’autres pays.

Cela dit, les marchés financiers considèrent aujourd’hui qu’il n’y a pas de risque sur la dette publique, que ce soit en termes de défaut ou de sortie de la zone euro. En outre, la BCE a changé assez radicalement sa manière de voir les choses pour s’orienter vers le whatever it takes, puisqu’elle a déclaré qu’elle ferait le nécessaire pour qu’il n’y ait pas d’anticipation d’éclatement de la zone euro. Évidemment, cela dépend maintenant de ce que feront Mme Lagarde et ses successeurs à la tête de la BCE, mais si cette politique consistant à ne pas laisser la panique s’installer sur les marchés financiers est appliquée, je pense que la question de la dette perdra en importance.

Pour en venir à la question de l’économie politique, à laquelle M. Tavernier a fait allusion, et sans vouloir y insister, on sait qu’il existe un cycle électoral de la dette publique. Il est facile d’augmenter les dépenses et de réduire les impôts pour augmenter ses chances de réélection. Il y a donc un biais politique potentiel en faveur de la dette publique et je pense que tous ces arguments plaident pour l’existence d’une règle en matière de dette publique.

D’autres arguments me paraissent moins valides en tant qu’économiste, par exemple l’analogie entre la dette individuelle et la dette de l’État, que beaucoup d’hommes politiques utilisent et que nous, économistes, considérons comme fausse. On entend très souvent les responsables politiques dire qu’il ne faut pas laisser la dette à nos enfants et petits-enfants et que ce n’est pas à eux de la rembourser. Pour moi, cette analogie entre un individu et l’État est fausse et trompeuse. Pardonnez-moi de le dire, mais quand vous mourrez, vous ne pourrez pas laisser une dette à vos enfants ou petits-enfants, tandis que l’État, lui, peut renouveler et contracter de la dette nouvelle de manière continue. L’État a une durée de vie infinie, ce qui, hélas, n’est pas notre cas individuellement. Ce parallèle entre la dette publique d’un État et la dette des individus est incompréhensible pour les économistes. Peut-être estime-t-on que les économistes sont dans le faux lorsqu’ils considèrent que l’État français est quelque chose qui a priori a une vie indéfinie. Vous pensez que l’État va mourir, pas nous. La dette publique sera renouvelée de manière constante, c’est ce qui s’est toujours passé et ce qui se passera à l’avenir. Je rappelle que la dette publique au Japon s’élève à 240 points de PIB sans que cela pose de problème.

Je passerai très rapidement sur les arguments pro-dette publique portant sur la relance de la demande. Un ralentissement de la zone euro s’opère actuellement. La politique monétaire a atteint ses limites et ce n’est pas complètement par hasard que tous les économistes plutôt orthodoxes, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne, etc., recommandent une politique budgétaire qui, en partie dans la zone euro, fasse sa part du travail, justement parce que la BCE est dans une situation « limite » où elle ne peut plus baisser ses taux d’intérêt.

Soyons clairs : la France a déjà initié et consommé un plan de relance. Notre dette est élevée. Pour ma part, je ne demande pas un plan de relance supplémentaire en France, mais il est très important d’élargir le débat à la zone euro. Le point aberrant de la zone euro est clairement l’Allemagne, où la dette publique est en train de chuter très fortement à un moment où le pays a besoin de dépenses publiques en termes d’investissement et de relance de la demande – ce qui est moins le cas en France.

Le débat a été très fortement relancé aux États-Unis par le discours d’Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, qui délivrait deux messages :

– quand r < g, l’État peut augmenter la dette sans que cela implique ultérieurement une augmentation des impôts ou une baisse des dépenses ;

– le coût économique de la dette est plus faible, en particulier parce que le rendement du capital privé a baissé, d’où un coût d’éviction des dépenses publiques ou de l’investissement public sur de l’investissement privé plus faible ; en d’autres termes, certains investissements publics ont peut-être des rendements plus élevés que le taux d’intérêt, aujourd’hui extrêmement faible.

Pour terminer, comment utiliser la baisse des taux ? Faute d’apporter beaucoup de réponses, je poserai des questions. Si l’on interprète que cette baisse est de court terme et peut être complètement relancée ou renversée en quelques mois ou en un ou deux ans, il faut épargner la totalité des gains financiers de la baisse des taux et réduire la dette. Vous avez compris que ce n’est pas mon interprétation. Je pense avec la plupart des économistes que la baisse des taux est assurément persistante, mais certainement pas permanente, ce qui signifie qu’il faut réviser notre approche de la trajectoire de la dette. M. Tavernier y a fait allusion : il faudrait mener un débat sur les investissements que nous pourrions financer aujourd’hui grâce à ces taux d’intérêt bas, afin d’augmenter la croissance potentielle ainsi que la croissance soutenable, laquelle est liée à la question du changement climatique. Nous savons que nous aurons à réaliser un certain nombre d’investissements. Mieux vaut les faire au moment où les taux d’intérêt sont bas, plutôt qu’attendre une remontée éventuelle. Si l’objectif est d’augmenter la croissance potentielle, il faut faire des investissements qui vont dans ce sens plutôt que d’augmenter en permanence les dépenses courantes, a fortiori si l’on pense que la baisse des taux est persistante mais pas permanente.

Cet endettement, les générations futures, vos enfants et petits-enfants, pourront en bénéficier, en particulier si le rendement social de l’investissement – dans le changement climatique par exemple – est supérieur au taux d’intérêt. Nous allons laisser une dette financière à nos enfants, mais aussi une dette climatique. D’où l’importance de savoir si ce n’est pas maintenant qu’il faut faire des investissements qui vont « rapporter » aux générations futures en termes climatiques : en investissant aujourd’hui, nous laisserons des dettes à nos enfants, mais aussi des actifs.

La prudence s’impose toutefois : la dette actuelle en France est élevée, l’économie politique de la dépense n’est pas parfaite, nous avons besoin de capacités budgétaires en cas de ralentissement – même si ce n’est pas le cas aujourd’hui. De plus, la relance a déjà été faite avec les mesures répondant à la crise des gilets jaunes. Une telle prudence n’est pas forcément nécessaire au niveau de la zone euro et en particulier de l’Allemagne. Il serait bon d’organiser un débat sur le pacte de stabilité, car celui-ci est complètement muet sur la question des taux d’intérêt et celle-ci devient essentielle. Les règles budgétaires sont loin d’être optimales.

J’ai posé beaucoup de questions, mais nous allons mener un travail au Conseil d’analyse économique, avec François Geerolf et Jean Pisani-Ferry, qui apportera des réponses. 

 M. le président Éric Woerth. L’idée est bien de recueillir des observations techniques et des opinions d’économistes afin de nourrir le débat que nous aurons durant les semaines qui viennent.

M. Fabrice Le Vigoureux. Vous montrez de manière assez nette que les chiffres de l’économie française sont bons et que notre économie résiste fortement, est remarquablement stable et s’installe désormais au-dessus de la moyenne de la zone euro. De façon inédite, en tout cas dans notre histoire économique récente, on a à la fois un climat des affaires qui est bon, significativement supérieur à celui de nos voisins, une confiance des consommateurs élevée grâce à une hausse du pouvoir d’achat constatée, mesurée et bien ancrée dans les chiffres, s’expliquant par l’amorce de la baisse du taux de prélèvements obligatoires, le relèvement de dispositifs comme la prime d’activité et des créations nettes d’emplois à un rythme très élevé, y compris dans l’industrie.

Ma remarque est d’ordre général : pour nous, commissaires aux finances, il semble que vos analyses valident l’hypothèse raisonnable de croissance projetée pour 2019 et 2020, autour de 1,3 % ou 1,4 %.

Une question plus particulière : jusqu’à quel point les banques – notamment les banques françaises – ont avantage à détenir de la dette publique ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Je trouve pertinente l’explication selon laquelle la baisse de l’industrie en Allemagne résulte de sa trop forte exposition à l’exportation. En France, compte tenu de notre déficit commercial, nous courons beaucoup moins ce risque.

Vous avez affirmé que le bâtiment se portait bien en France, ce qui me fait craindre, dans le prochain PLF, des mesures qui auront un impact direct sur le secteur qui bénéficie aujourd’hui d’une stabilité importante.

Ma première question s’adresse à la Banque de France et porte sur la synthèse des projections pour notre pays. Il est indiqué que l’investissement public en 2019 s’est maintenu à un niveau très élevé. Si l’investissement des ménages est plutôt en déclin par rapport à ce qu’on a pu connaître en 2016, 2017 et 2018, cette baisse est compensée par l’investissement des entreprises. J’aimerais avoir une explication concernant ce schéma en 2019, 2020 et 2021.

Ma deuxième question porte sur la consommation des ménages. Je suis très étonnée de voir que vos prévisions de consommation des ménages à partir de 2020 sont en pleine décroissance. Comment l’expliquez-vous ?

Ma dernière remarque concerne la dette. Le Gouvernement a fait le choix de recycler les économies sur les intérêts en dépenses additionnelles, avec des guichets ouverts dans la perspective d’une réélection. C’est exactement ce que vous avez analysé tout à l’heure. J’aimerais donc que nous soyons précis quant à l’exposition au risque de remontée des taux. J’ai bien compris que le risque reste faible, mais le stock de dettes progresse trop vite.

M. Jean-Louis Bourlanges. Premièrement, je voudrais demander à M. Tavernier, qui a analysé les effets de l’augmentation du pouvoir d’achat sur la consommation et l’épargne, à quoi cette tendance correspond en termes d’échanges extérieurs. Dispose-t-on d’indications sur la façon dont cela agit sur la balance extérieure ?

Deuxièmement, il a été rappelé que les taux d’intérêt réels ont commencé à baisser très fortement dans les années 1990. J’ai le souvenir qu’au moment de la qualification de l’euro, les taux d’intérêt – mais peut-être était-ce les taux à court terme – étaient extraordinairement élevés, autour de 15 ou 16 %, avec des pics extravagants. Mon information statistique est-elle erronée ?

Ma troisième question s’adresse à M. Martin. J’ai compris qu’on pouvait s’endetter puisque, si je puis dire, le roi ne meurt jamais, mais qu’il y a quand même un intérêt à limiter l’endettement car celui-ci réduit nos marges d’action budgétaire : il faut payer tout cela ! Ne nous trouvons-nous pas justement, et contrairement à ce que dit M. Blanchard et à ce que vous semblez indiquer, au bon moment pour se désendetter, avec cette situation où les taux de croissance sont supérieurs aux taux d’intérêt ?

Mme Christine Pires Beaune. Devant la double impasse, qui est aussi un double enjeu social et écologique, il me semble que nous devrions réfléchir à intégrer les capitaux naturels dans la comptabilité financière. Quand je dis « capitaux naturels », je pense bien sûr à l’air, à l’eau, au sol, qui ne sont pas éternels. Or, dans le bilan des sociétés, qui pourtant les utilisent abondamment, ils n’apparaissent jamais au passif en tant que capital et ne pèsent donc pas sur les choix stratégiques que les entreprises sont amenées à faire. À quoi sert une stabilité de la dette en pourcentage du PIB si, en même temps, le réchauffement climatique continue au rythme soutenu actuel ? Autrement dit, le malade va-t-il mourir guéri ?

M. Michel Castellani. Cette problématique est essentielle et nourrit d’innombrables débats, notamment entre les macroéconomistes. Sur le plan mécanique, il y a une relation directe entre croissance de la dette, croissance économique et taux d’intérêt. C’est l’évolution de la croissance de la dette multipliée par le taux d’intérêt et divisée par la croissance économique qui dicte la soutenabilité à long terme.

Se pose également la question de l’objet de la dette. Une dette, pour quoi faire ? Pour quel effet de levier ? Du point de vue de la dynamique, la différence est majeure entre le fonctionnement, qui est une consommation immédiate, et l’investissement, qui est une mise en mouvement de l’économie. La question n’est pas simple. Quand on investit dans une école, un lycée, une université ou un hôpital, l’effet n’est pas direct, il est impalpable, mais il est indispensable. Quand on investit dans une infrastructure ou dans de l’énergie renouvelable, une fois accompli, l’investissement disparaît dans la formation brute de capital, mais il met en dynamique la productivité, qui est aussi un élément essentiel de l’évolution à long terme. Pour résumer, une gestion durable et utile de la dette passe, à nos yeux, par une priorité accordée à l’investissement structurel.

Mme Sabine Rubin. L’Allemagne, qui était un modèle vanté, est dans le rouge : croissance en berne, investissement et confiance des consommateurs en baisse. Face à cette situation, elle cherche à son tour à contourner les règles budgétaires, notamment européennes, qu’elle-même a imposées à chacun.

Dans ce que vous avez dit, nous relevons trois bonnes nouvelles.

D’abord, nous nous félicitons qu’après la doxa économique qui faisait de la réduction de la dette une règle sacro-sainte, on puisse reconnaître son utilité en termes d’investissements d’avenir tout à fait urgents en matière économique et pour une croissance soutenue de la consommation.

La deuxième bonne nouvelle est que les taux d’intérêt inférieurs au taux de croissance permettent d’ouvrir une fenêtre de tir pour investir.

Troisième bonne nouvelle : l’Allemagne, qui décide un peu de tout dans nos pays et dans nos vies économiques, peut elle-même contourner ces règles. J’ai bien compris que chaque pays était différent, mais je voudrais vous poser une question : n’est-ce pas l’occasion de remettre en cause les fameuses règles européennes qui sont le carcan des budgets des États ?

Mme Catherine Osson. La BCE fait depuis cinq ans des efforts extraordinaires à base de rachats d’actifs et de baisses de taux pour relancer l’inflation et faire que les banques prêtent aux entreprises. Les banques ont beaucoup profité de ces liquidités pour renforcer leurs fonds propres mais elles n’ont pas ouvert plus que cela les vannes du crédit aux petites et moyennes entreprises.

En relançant l’endettement public, aussi utile soit-il pour les comptes publics grâce aux primes à l’émission, ne risque-t-on pas d’aspirer encore plus les capitaux vers de la dette publique et de limiter le financement des très petites entreprises ainsi que des petites et moyennes entreprises (TPE-PME), ce qui serait préjudiciable à leurs investissements et donc à notre économie ?

M. Fabrice Brun. Je profite de la présence de nos trois experts pour revenir sur la politique des taux zéro, voire négatifs, et ses conséquences sur les États et les ménages, car dans ce contexte, certains suggèrent aux États d’emprunter, de s’endetter davantage, par exemple pour financer la transition écologique.

Ma première question est la suivante : ces États seront-ils solvables le jour où la politique des taux négatifs ne sera plus tenable ? Cette politique, à mon sens, est intenable. D’où ma deuxième question, qui concerne son impact financier sur le pouvoir d’achat des ménages. On peut imaginer que la politique des taux négatifs va finir par mettre en difficulté les banques commerciales ; d’ailleurs les plus pessimistes évoquent les risques de faillite bancaire qui pèsent sur l’Europe. Les banques, n’ayant plus les moyens de se rémunérer au vu de cette courbe des taux, vont nous faire payer les dépôts des particuliers et vont devoir les facturer. Cela a déjà commencé dans d’autres pays et ce sont toujours les mêmes qui vont trinquer : ceux qui travaillent, ceux qui entreprennent, le retraité qui a mis quelques sous de côté. Nous connaissons cela par cœur. Je souhaite donc vous interroger sur ce tour de passe-passe, ce véritable transfert organisé des frais financiers des États vers les particuliers, qui est, à mon sens le scandale bancaire à venir.

M. Charles de Courson. Traditionnellement, en France, le soutien au pouvoir d’achat aboutit immédiatement à une forte hausse des importations et à la dégradation de la balance commerciale. Pourriez-vous développer ce point ?

Je suis très étonné que la dette publique ne soit pas analysée par les représentants de la Banque de France en distinguant le déficit de fonctionnement et les investissements. La grande différence avec certains pays, c’est qu’en France il n’y a pratiquement plus d’investissement public de l’État – 20 milliards d’euros. Cela n’a pas du tout la même incidence qu’une dette publique ayant financé des investissements durables, à tel point d’ailleurs que l’actif net négatif de l’État est maintenant colossal, avec grosso modo 1 700 à 1 800 milliards de dette publique de l’État français, contre à peine 500 milliards d’actifs en face. Avez-vous fait des analyses à ce sujet en distinguant en déficit la part de fonctionnement et la part d’investissement ?

M. Michel Lauzzana. Le thème de ce matin était celui de la dette utile. En tant qu’ancien élu local, j’aurais tendance à dire que la dette utile est celle qui finance l’investissement. Nous avons parlé de dette publique toute la matinée et je voudrais vous poser une question sur l’endettement privé. En France, on observe une croissance très importante de l’endettement privé. La Cour des comptes ainsi que la Banque de France nous ont alertés avant l’été sur cet accroissement et sur les risques qu’il pouvait faire courir à notre économie. Nous n’avons parlé que de la dette publique, mais pensez-vous que cet endettement privé peut nous fragiliser et impacter la maîtrise que nous voulons avoir de la dette publique ?

M. Daniel Labaronne. Dans votre tableau de l’évolution des salaires et de la productivité dans le secteur marchand, vous notez que la progression des salaires est supérieure aux gains de productivité. Selon vous, n’existe-t-il pas un risque de dégradation de la compétitivité des entreprises ou de leurs marges ?

Ma deuxième question rejoint celle qui vient d’être posée : notre dette privée représente actuellement 133 % du PIB. Quelles sont les interactions entre dette publique et dette privée ? Des montants de dette privée et publique aussi élevés ne présentent-ils pas un risque pour notre économie ?

M. Jean-Louis Bricout. Ma question concerne l’activité dans le secteur du bâtiment, un secteur beaucoup moins exposé au contexte géopolitique mais qui a partie liée avec les taux d’intérêt. On observe actuellement que ce secteur se porte plutôt bien malgré tout, avec de bonnes perspectives et des permis en hausse, surtout pour la construction neuve. Dans le secteur de la rénovation, en revanche, on s’interroge, car malgré des taux d’intérêt bas et les aides accordées, se pose la question du reste à charge pour certaines familles. Parfois, les bailleurs n’engagent tout simplement pas les travaux de rénovation, car ils sont plus soucieux de toucher les loyers de la caisse d’allocations familiales (CAF) que de s’assurer de la bonne installation de leurs locataires.

Compte tenu des enjeux écologiques et sociaux, mais aussi de la manne d’activité que cela pourrait représenter, pensez-vous qu’il est opportun, à un moment où les taux d’intérêt sont très bas, d’opérer une relance dans le bâtiment autour de ces enjeux de rénovation des logements ?

Vous avez parlé des mesures de pouvoir d’achat et de la manière dont elles se répartissent en consommation et en épargne. Bien sûr, il y a un ratio entre les deux, mais, dans la consommation, quelle est la part des produits importés par rapport à ceux qui sont produits en France ? L’impact n’est pas du tout le même sur l’emploi.

M. Philippe Chassaing. Monsieur Tavernier, s’agissant du pouvoir d’achat, avez-vous mené des études ? Disposez-vous d’éléments concernant l’évolution du pouvoir d’achat par décile ? Est-ce quelque chose que vous avez étudié ces dernières semaines ?

J’évoquerai ensuite la question de la baisse des taux. Vous ne semblez pas hostile à un accroissement de l’investissement et éventuellement au recours à de l’endettement. Effectivement, vous avez fait une sorte de teasing en ne nous informant pas exactement des types d’investissements qui seraient susceptibles d’être menés pour répondre aux deux enjeux que sont, d’une part, un effet multiplicateur sur l’économie et, d’autre part, l’enjeu climatique. Nous aimerions connaître votre opinion à ce sujet.

Enfin, parmi les éléments qui expliquent que, structurellement, le taux d’intérêt a tendance à baisser, quelles sont selon vous les variables qui seraient potentiellement à observer avec vigilance pour être sûr que les taux se maintiennent assez bas ?

Mme Émilie Bonnivard. Que l’on soit un éminent économiste ou un simple petit élu, nous sommes d’accord sur le fait que la bonne dette publique dépend de deux choses :  l’objet qu’elle finance – infrastructures de transport, hôpitaux, tout ce qui contribuera à renforcer l’attractivité du pays et à générer des recettes supplémentaires par la création de croissance – et la capacité de l’État à maîtriser ses dépenses publiques.

En outre, je crois que nous nous accorderons tous à considérer qu’une mauvaise dette est celle qui vise à combler indéfiniment un déficit sans aucune perspective de diminution des dépenses ou qui sert avant tout à financer des dépenses courantes.

Or, c’est essentiellement la situation dans laquelle nous nous trouvons et l’exemple emblématique d’Aéroports de Paris (ADP) montre bien que la France ne s’engage plus dans des dépenses d’investissement structurel par de la dette : la dette sert au comblement de son déficit. C’est ce qu’indique la Cour des comptes dans son rapport annuel : « L’augmentation de notre dette en France résulte essentiellement d’une réduction insuffisante des déficits publics. »

Ma question est la suivante : quels investissements seraient réellement générateurs de croissance pour mieux armer notre pays dans une concurrence économique mondiale, notamment avec la Chine et l’Inde ?

Votre analyse du pouvoir d’achat est globale et nationale. Pourrait-on obtenir une analyse plus fine, notamment par déciles, mais aussi une analyse territoriale du pouvoir d’achat afin d’examiner plus avant les fractures territoriales et adapter l’action et la dépense publiques en fonction de ces différences ?

M. Jacques Marilossian. Vous avez évoqué les taux bas qui déterminent notre environnement depuis plus de dix ans maintenant. J’ai noté que l’endettement des ménages et des entreprises non financières atteint plus de 130 % du PIB. La France vient d’émettre un emprunt à 15 ans à taux négatif alors que, comme vous l’avez souligné, notre dette est proche de 100 % du PIB.

Ma question est simple : nous avons parlé d’endettement public utile. Devons-nous systématiquement ignorer l’endettement privé des particuliers et des entreprises, qui semble devenir tout aussi dangereux, notamment lorsqu’il est à l’origine d’une inflation malsaine d’actifs financiers et immobiliers, comme lors de la crise de 2008 ?

M. Éric Alauzet. La règle des 3 % est caduque non seulement pour ceux qui contestent l’orthodoxie, mais aussi pour les défenseurs de l’orthodoxie puisque le taux de 3 % s’appliquait à une époque où la croissance, l’inflation et la dette étaient différents. Si j’en crois vos explications, ce n’est plus 3 % qu’il faut, mais 2,5 % si on ne veut pas augmenter la dette, voire 1,5 % si on veut la baisser. Pourriez-vous confirmer ce point ?

Le deuxième point concerne les marges financières pour investir et la question de la dette utile, sachant que l’investissement ou les dépenses utiles ne sont pas forcément les mêmes pour les uns et les autres. Il faudrait déjà se mettre d’accord sur ce qui est utile ou ce qui ne l’est pas. Si l’utilité est de réduire la dette écologique, il faut tenir une comptabilité globale de l’impact de l’ensemble des investissements à la fois sur le climat et sur la biodiversité. Si ce n’est pas le cas, on fera certes plus d’investissements pour l’écologie, mais on continuera à faire les autres investissements et non seulement le bilan global sera neutralisé, mais nos capacités de financement ultérieur seront épuisées. Je m’interroge sur les repères dont nous disposons sur les investissements utiles dans le cas où l’écologie primerait.

M. Jean Luc Tavernier. M. Bourlanges et M. Bricout ont abordé la question des importations, dont nous avons assez peu parlé. L’augmentation du pouvoir d’achat pose deux questions : à quel moment cela se traduit en consommation et est-ce que cette consommation porte sur des produits locaux ou sur des produits importés ? De fait, je ne vois pas à ce stade d’alerte particulière sur les importations et nous prévoyons grosso modo une contribution extérieure nulle en 2019.

Je ne vous livrerai pas de prévision de l’évolution du pouvoir d’achat par déciles. À l’INSEE, l’analyse est toujours rétroactive, dans le document « France, portrait social ». Un article faisant le bilan des mesures et de l’évolution du pouvoir d’achat jusqu’à l’année 2018 doit paraître en fin d’année. Il nous faut un peu de temps pour obtenir les données.

S’agissant de la conjoncture, M. Labaronne a parlé de la différence de progression entre les salaires et la productivité. Si la productivité devait stagner durablement, ce serait un vrai sujet. Or, il s’agit d’un phénomène quelque peu exceptionnel. Bien sûr, si le niveau de productivité est nul, la progression du salaire l’excède, mais je ne pense pas que ce soit durable. Dans le cas d’espèce, cela n’a pas de conséquence néfaste sur les marges des entreprises et leur capacité à financer l’investissement, car le taux de marge est singulièrement élevé du fait de la bascule sur les cotisations, qui a un effet exceptionnel particulier sur le taux de marge de l’année. Au-delà de ces éléments, les marges des entreprises ont été restaurées durablement. Les chiffres restent à surveiller, mais à ce stade ils sont trop ponctuels pour être source d’une inquiétude profonde.

Pour en revenir aux questions budgétaires, je suis assez sensible au fait qu’il faut avoir de la marge de manœuvre en matière budgétaire. C’est quelque chose que l’on doit pondérer dans cette question, surtout quand la politique monétaire se trouve un peu au bout du rouleau et qu’on lui a déjà tellement demandé qu’elle ne peut plus trop délivrer – on le voit dans le débat sur les dernières mesures. Face à un risque éventuel de récession, il faut que chaque pays, individuellement, ait des marges de manœuvre budgétaires. Par conséquent, il faut regarder la situation pays par pays.

Assurément, l’Allemagne a ces marges de manœuvre. Comme elle est en quasi‑récession, c’est le moment ou jamais de les utiliser. La France, qui n’a pas restauré les marges de manœuvre dans les mêmes conditions que l’Allemagne – c’est peu de le dire –, est dans une situation proche de la croissance potentielle. Le taux de chômage continuant à baisser graduellement, le moment est peut-être venu de ne pas prélever sur ces marges, mais plutôt de les restaurer en prévision d’un éventuel épisode négatif ultérieur.

Pour répondre à Mme Rubin, dans notre débat d’aujourd’hui, le « carcan » des règles européennes n’est pas vraiment en cause. Savoir comment recycler les économies de charges d’intérêt, soit en baisse de dépenses, soit en baisse de prélèvements, n’est pas une question contrainte aujourd’hui par les règles européennes. En témoigne ce que nous avons fait, qui a plutôt consisté à recycler les économies de charges d’intérêt en baisse de prélèvements et qui n’a pas été sanctionné par les règles européennes. Et si l’Allemagne se mettait à dépenser davantage, ce ne serait absolument pas contraire aux règles européennes, bien au contraire.

Quant à savoir si le malade va mourir guéri, c’est fondamental. Au-dessus de tout cela planent les questions de réchauffement climatique et de soutenabilité. Dans de tels cas, il ne s’agit plus de soutenabilité financière. S’il faut investir pour sauver la planète, ce ne sont plus nos calculs arithmétiques qui l’emportent. La question ne se pose pas au niveau national, mais mondial. Encore une fois, on retrouve le cas de l’Allemagne : ce serait passer un cap que d’engager des dépenses particulières pour financer la sortie du lignite et du charbon. Si l’on est planificateur européen ou si l’on se place au niveau supranational, c’est la priorité, bien plus que des dépenses particulières dans notre pays.

M. Olivier Garnier. Un intervenant demandait pourquoi les banques détiennent de la dette publique. Les banques françaises détiennent très peu de dette publique française, moins de 7 %, essentiellement en bons du Trésor, car elles sont soumises à des exigences réglementaires en termes de ratio de liquidités qui les obligent à avoir des actifs liquides à court terme. Ce sont plutôt les non-résidents et les caisses de retraite ou les assureurs qui ont des contraintes de passif qui détiennent la dette publique.

Dire que la politique monétaire ne se traduit pas par un accroissement des prêts des banques aux PME est inexact. Lorsque l’on regarde les chiffres de crédit bancaire aux entreprises, c’est en France que la hausse est la plus élevée, à près de + 7 % l’an. Pour les seules PME sur un an, la hausse du crédit bancaire est de 6,6 %.

Nous réalisons aussi une enquête régulière auprès des PME et TPE pour savoir si elles obtiennent ou non les crédits qu’elles demandent. Dans la dernière en date, 96 % des PME déclarent obtenir en totalité ou dans la plus grande partie le crédit à l’investissement qu’elles sollicitent. Nous ne sommes pas du tout dans une situation où la plupart des entreprises auraient des problèmes d’accès au crédit.

Concernant les prévisions, une question portait sur l’investissement public. Il est vrai qu’en 2019 il est en hausse de près de 3 %. L’explication, vous le savez, est que l’investissement public est essentiellement le fait des collectivités locales. On observe une régularité résultant du cycle électoral : en général, au cours de l’année qui précède les élections municipales, on voit plutôt une accélération des dépenses d’investissement.

M. Charles de Courson a posé une question sur le commerce extérieur. En 2020, on observe une accélération de la consommation tandis que la contribution de l’extérieur devient négative (– 0,3 %). Comme le disait M. Tavernier, le reste du monde est plutôt en ralentissement, tandis que notre demande intérieure est soutenue. Une partie du gain est donc reperdue en contributions négatives. Ceci dit, cela se rééquilibre à l’horizon 2021.

Concernant le taux de marge, vous verrez dans les annexes du document qui vous a été distribué qu’il y aura un peu plus de salaires, mais aussi un peu plus de productivité. Dans notre prévision, le taux de marge des entreprises est à peu près stable.

M. Philippe Martin. Plusieurs questions concernent les taux d’intérêt et les risques d’un retournement de ces taux. J’ai insisté sur les facteurs structurels et démographiques qui expliquent la baisse des taux d’intérêt. Quant à savoir ce qui serait un signal de retournement, on peut prendre l’exemple de la Chine, dont le taux d’épargne est aujourd’hui très élevé, ce qui explique en partie ses taux d’intérêt. Dans l’hypothèse d’un renversement du taux d’épargne de la Chine, on pourrait se poser des questions sur le taux d’intérêt au niveau mondial, mais ce n’est pas ce que l’on observe pour le moment.

Quand les taux d’intérêt sont bas, a-t-on demandé, n’est-ce pas le bon moment pour se désendetter ? À mon avis, tout dépend du diagnostic réalisé sur la nature de cette baisse des taux d’intérêt. Si vous pensez que les taux d’intérêt vont augmenter très rapidement d’ici six mois, un an ou deux ans, alors vous avez raison, c’est maintenant qu’il faut agir et se garder de dépenser les marges dégagées par la baisse. Si vous considérez, au contraire, comme je le crois, qu’il y a quelque chose d’assez structurel et persistant, cela change la dynamique de la dette et il ne faut pas utiliser la marge pour se désendetter, en tout cas pas entièrement. Le débat peut porter sur la proportion dans laquelle utiliser la baisse des taux pour diminuer la dette et pour faire des investissements, par exemple. De mon point de vue, la partie structurelle est importante et cela doit changer le débat sur la soutenabilité de la dette.

Quant aux types d’investissement concernés, j’ai en effet fait du teasing sur un travail que nous allons mener. Je ne vais pas vous donner des réponses précises, mais l’enjeu climatique sera au centre de nos réflexions. La question de la dette financière ou de la dette publique au regard de la dette climatique est extrêmement importante.

Certaines questions portaient sur le niveau élevé de l’endettement privé. C’est bien le signe que les investisseurs ont du mal à trouver des rendements élevés, et un des effets potentiellement délétères des taux d’intérêt négatifs.

M. Jean-Luc Tavernier. Personne n’a parlé du Brexit. Je vous signale juste que le no deal est un cauchemar pour beaucoup de monde, y compris pour les conjoncturistes, car il comporte des éléments qui ne sont absolument pas quantifiables, comme la rupture des échanges commerciaux et la proportion d’entreprises qui seraient empêchées de produire au Royaume‑Uni ou sur le continent. Naturellement, tout le monde élabore des scénarios dans lesquels cela ne se passe pas si mal, dans lesquels il n’y a jamais de no deal. Pour nous, fatalement, le no deal serait un énorme choc très difficile à anticiper.

 

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Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 18 septembre 2019 à 9 h 40

 

Présents. - M. Damien Abad, M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. Julien Aubert, M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Bonnivard, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, M. Fabrice Brun, Mme Émilie Cariou, M. Gilles Carrez, M. Michel Castellani, Mme Anne‑Laure Cattelot, M. Jean-René Cazeneuve, M. Philippe Chassaing, M. Francis Chouat, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. M'jid El Guerrab, Mme Sarah El Haïry, Mme Sophie Errante, M. Olivier Gaillard, Mme Perrine Goulet, M. Romain Grau, Mme Olivia Gregoire, Mme Nadia Hai, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, M. Vincent Ledoux, M. Marc Le Fur, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, M. Benoit Potterie, M. François Pupponi, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Jacques Savatier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. François André, M. Joël Giraud, Mme Véronique Louwagie, M. Fabien Roussel, M. Olivier Serva, M. Benoit Simian

 

Assistait également à la réunion. - M. Jacques Marilossian

 

 

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