Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

      Examen de la proposition de loi visant à soutenir le fonctionnement des services départementaux d’incendie et de secours et à valoriser la profession de sapeur-pompier professionnel et volontaire (n° 1649) (M. Arnaud Viala, rapporteur)                             2

      Examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre la sur-réglementation (n° 101) (M. Pierre Cordier, rapporteur)                             40

      Examen du projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française (n° 1695) et du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (n° 1696) (M. Guillaume Vuilletet, rapporteur)                            51

 

 

 

 

 


Mercredi
27 mars 2019

Séance de 8 heures 30

Compte rendu n° 59

session ordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


—  1  —

La réunion débute à 8 heures 30.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission examine la proposition de loi visant à soutenir le fonctionnement des services départementaux d’incendie et de secours et à valoriser la profession de sapeur-pompier professionnel et volontaire (n° 1649) (M. Arnaud Viala, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui deux propositions de loi inscrites dans la journée réservée au groupe Les Républicains ainsi que deux projets de lois portant sur la Polynésie.

Pour commencer, nous examinons la proposition de loi visant à soutenir le fonctionnement des services départementaux d’incendie et de secours et à valoriser la profession de sapeur-pompier professionnel et volontaire, dont M. Arnaud Viala est le rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Le groupe Les Républicains a choisi d’inscrire à l’ordre du jour cette proposition de loi visant à soutenir le fonctionnement des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) et à valoriser la profession de sapeurs-pompiers professionnels et l’engagement de sapeurs-pompiers volontaires. Ce texte est l’aboutissement d’un long travail mené avec plusieurs de mes collègues ; à cet égard, je tiens à saluer particulièrement Valérie Lacroute qui m’a accompagné tout au long de ce travail en assistant à l’ensemble des auditions que nous avons organisé, et qui a même animé des auditions auxquelles moi-même je n’ai pas pu participer.

Avec cette proposition de loi, nous souhaitons alerter sur une situation grave et urgente et proposer des solutions. Notre système de sécurité civile repose sur le dévouement de 40 000 sapeurs-pompiers professionnels, 195 000 sapeurs-pompiers volontaires et 11 250 personnels administratifs et techniques (PATS). Chaque année, les interventions des sapeurs-pompiers viennent au secours d’environ 5 % de la population française. Pourtant depuis plusieurs années, l’équilibre qui faisait des services d’incendie et de secours français un modèle a été fragilisé par plusieurs phénomènes. En premier lieu, on observe une perte de reconnaissance et un manque de protection des intéressés : en 2017, les sapeurs-pompiers ont été victimes de 2 800 agressions et 382 de leurs véhicules ont été endommagés. Alors que le nombre d’interventions croît sans cesse, nous ne prenons pas suffisamment en compte la fatigue et les risques qu’encourent nos sapeurs-pompiers dans l’exercice de leurs missions. En outre, on ne peut que constater un manque de moyens et d’investissement en faveur de la modernisation de certains SDIS dont le matériel se dégrade et les systèmes d’information sont désormais dépassés.

Il en résulte une difficulté croissante à recruter. Cette crise des vocations est aggravée par la démographie de notre pays dont le vieillissement de la population conduit inévitablement à davantage interventions dans des zones où demeurent de moins en moins de personnes actives susceptibles d’être volontaires.

Qui plus est, le droit européen ne prend pas correctement en compte les spécificités du volontariat. Le 21 février 2018, dans un arrêt dit « Matzak », la Cour de Justice de l’Union européenne, a estimé que la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail s’appliquait aux sapeurs-pompiers volontaires belges. Or les implications de cette directive rendent quasiment impossible la conciliation du volontariat avec un emploi, menaçant ainsi l’existence même du volontariat. Il est urgent que le Gouvernement intervienne, même s’il est difficile pour la France de demander la renégociation d’une directive dont elle a été à l’initiative…

Mais notre pays n’est pas le seul dans cette situation. En Europe, 2,2 millions de sapeurs-pompiers ont un statut comparable à celui de nos sapeurs-pompiers volontaires. À titre d’exemple, en Allemagne, 94 % des sapeurs-pompiers sont des volontaires. Il est donc indispensable d’engager de toute urgence une initiative européenne sur ce point.

Le défi qui se présente à nous est prioritaire : il y va de la sécurité de nos concitoyens et de l’égalité entre les territoires. Dans ce domaine plus que dans tout autre, le maillage territorial se doit d’être le plus fin possible. Il s’agit aussi par la garantie de la présence des secours de proximité de préserver nos territoires ruraux, leur attractivité et leur activité économique.

Le Gouvernement annonce des rapports et des groupes de réflexion, mais la mise en œuvre des propositions est sans cesse reportée. Comme le disait Clemenceau, si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission… Cela ne doit pas être la stratégie du Gouvernement. Au-delà des divergences politiques, il est donc urgent d’agir pour répondre à l’inquiétude de nos sapeurs-pompiers et obtenir de nouvelles avancées.

La volonté qui sous-tend ce texte est d’améliorer le quotidien des personnes qui chaque jour risquent leur vie pour sauver celles des autres. La présente proposition de loi est donc composée de quatorze articles visant à accroître l’attractivité du volontariat en accompagnant les entreprises qui emploient des sapeurs-pompiers volontaires, en soutenant la formation et en permettant à davantage d’étudiants d’effectuer des stages au sein des SDIS pour susciter les vocations. Ensuite, elle tend à protéger et à soutenir les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, aussi bien en matière de protection sociale, en réduisant leur durée de cotisation, qu’en matière de sécurité en renforçant les sanctions pour les outrages dont ils peuvent faire l’objet. Enfin, elle entend faciliter la modernisation des SDIS afin d’améliorer les conditions de travail des sapeurs-pompiers professionnels, en particulier par la mutualisation des systèmes d’information et la mise en œuvre du numéro unique d’urgence.

Ainsi, nous pourrons garantir une meilleure conciliation entre l’exigence des missions, la vie personnelle et la vie professionnelle des sapeurs-pompiers. Hier a été adoptée la proposition de loi relative à la représentation des personnels administratifs, techniques et spécialisés de notre collègue Catherine Troendlé ; je souhaite que nous abordions ce texte dans le même esprit constructif, car cette proposition de loi porte sur un sujet qui nous concerne tous et dépasse les clivages politiques. Il s’agit d’un véritable enjeu de société : la promotion de l’engagement des citoyens. Notre objectif est également d’interpeller le Gouvernement sur les inquiétudes des sapeurs-pompiers. J’espère donc que nous aurons un vrai débat en séance publique le 4 avril prochain.

M. Fabien Matras. Le sujet de l’engagement citoyen est au cœur du quinquennat actuel : valorisation de l’engagement associatif, service civique, gestes qui sauvent, proposition de loi relative à la représentation des PATS au sein des conseils d’administration des services départementaux d’incendie que nous avons adoptée hier, autant de sujets qui font l’objet de travaux et de propositions tant du Gouvernement que de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Le volontariat chez les sapeurs-pompiers n’échappe pas à cette volonté de mettre en avant l’implication de nos compatriotes pour une société plus altruiste et plus fraternelle. Rappelons que certaines avancées ont déjà été obtenues grâce à un travail en commun de la majorité et l’opposition, je pense particulièrement à la gratuité des péages pour les services de secours, à la présence de PATS au sein des conseils d’administration des SDIS ou à la proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations adoptée hier.

En 2017 et 2018, à la demande de M. Gérard Collomb, alors ministre de l’intérieur, j’ai participé aux travaux de la mission pour la relance du volontariat. Un rapport comportant 42 propositions avait alors été rendu ; la présente proposition de loi en reprend un certain nombre et je me félicite de constater la volonté de collaboration dont fait preuve le groupe Les Républicains pour mettre en œuvre les préconisations que j’ai défendues.

Le ministre s’était d’ailleurs engagé à donner corps à l’ensemble des propositions qui relèvent du domaine réglementaire. Ce travail se poursuit au ministère de l’intérieur : M. Christophe Castaner a confié au Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires (CNSPV) le soin de travailler sur certains sujets abordés par cette mission pour la relance du volontariat. Parallèlement, un travail de concertation est en cours, auquel participent la fédération des sapeurs-pompiers, le ministère de l’Intérieur et moi-même afin de trouver un consensus sur les sujets législatifs dont beaucoup sont abordés dans votre proposition de loi.

Il est très heureux que vous puissiez ainsi mettre sur la table des propositions portant sur ces sujets : cela permettra d’entamer ce débat dans notre assemblée, d’autant plus que la récente création d’un groupe d’études sur les sapeurs-pompiers volontaires, que je coprésiderai avec M. Pierre Morel-À-L'Huissier, doit nous permettre d’aller encore plus loin dans cette nécessaire consultation. Votre proposition de loi aborde des sujets majeurs comme les violences envers les sapeurs-pompiers, clairement intolérables – elles ont d’ailleurs fait l’objet d’un durcissement du régime pénal il y a peu. Sont aussi visées les disponibilités des sapeurs-pompiers volontaires, qui s’ajoutent à leur activité professionnelle, ce qui complique souvent cette forme d’engagement, surtout en cas de départ intempestif durant les heures de travail ; il y a là une difficulté à laquelle nous devons remédier.

Les mécanismes de compensation pour les employeurs qui font l’effort d’embaucher des sapeurs-pompiers volontaires devront être traités. Nous ne devons pas oublier que le sapeur-pompier volontaire est impliqué dans une relation contractuelle tripartite avec son employeur et le SDIS, même si une éventuelle baisse des charges sociales me semble davantage relever de la loi de finances. Par ailleurs, la protection sociale des sapeurs pompiers volontaires, qui fait à l’heure actuelle l’objet d’un double régime, mérite d’être réexaminée ; elle doit toutefois être abordée en gardant à l’esprit la nécessité de préserver un haut niveau de protection pour les intéressés. Enfin, la mise en place d’un numéro d’appel unique, que vous abordez également, constitue un sujet extrêmement important. Il fait l’objet d’un travail intense en interministériel, comme l’avait demandé le Président de la République.

Cette proposition de loi est à saluer et même si les solutions proposées ne suffisent pas à régler les difficultés rencontrées par les sapeurs-pompiers, elle nous oblige à nous interroger collectivement et sans approche partisane, vous l’avez dit et je partage cette volonté, sur l’une des exceptions françaises que constitue son modèle de sécurité civile. Nous devons bien cela à ceux qui s’engagent pour leurs compatriotes au risque de leur vie, qui donnent sans compter et qui font notre fierté collective. Je crois néanmoins que ce texte mérite d’être travaillé davantage avec le Gouvernement et l’ensemble des groupes de notre assemblée afin de parvenir à des solutions plus efficientes et conformes aux attentes et besoins des sapeurs-pompiers. Nombre de sujets sont encore en discussion, et le groupe La République en Marche estime prématuré de voter ce texte sans laisser la concertation se poursuivre.

Mme Valérie Lacroute. Je vous remercie, madame la présidente, de m’accueillir au sein de votre Commission aujourd’hui.

Les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels ainsi que les PATS des SDIS sont les piliers de notre modèle de sécurité civile. Par leur courage, leur rigueur, leur dévouement, leur engagement volontaire et désintéressé, ces hommes et ces femmes incarnent, à plus d’un titre, les valeurs de notre République. En plus d’être chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies, ils assurent un maillage territorial inégalé, de multiples missions, concourent à la protection et à la lutte contre les accidents, sinistres et catastrophes, à l’évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu’aux secours d’urgence.

Les sapeurs-pompiers sont les garants de l’un des services publics les plus appréciés des Français et pourtant, ils sont menacés par une certaine précarité, notamment due à d’importantes baisses d’effectifs, ainsi qu’à leurs conditions d’exercice parfois extrêmes.

Comme l’a souligné le rapporteur, cette proposition de loi résulte d’un travail commun réalisé ces six derniers mois avec plusieurs de nos collègues, M. Patrick Hetzel, M. Stéphane Viry et M. Jean-Louis Thieriot. Elle représente l’essence de nos cinq propositions de loi initiales enrichies des consultations et auditions que nous avons menées tant dans nos départements respectifs qu’auprès d’experts. Comme l’a souligné le contrôleur général Éric Faure, ancien président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), ce texte contient des avancées nouvelles et participe d’une démarche ambitieuse. Il propose treize mesures très concrètes et constitue l’amorce d’un travail minutieux et de longue haleine qu’il faudra bien évidemment poursuivre.

L’objectif prioritaire est de consolider les moyens octroyés à cette force d’intervention, mais aussi de renforcer la protection de ceux qui administrent les premiers secours. Le groupe Les Républicains a souhaité qu’une attention toute particulière soit portée aux volontaires. Dans un pays en pleine mutation, force est de noter que des jeunes, des adolescents et des adultes prennent de leur temps pour les autres, souvent en marge de leur vie professionnelle et au détriment de leur vie personnelle et familiale à travers un engagement citoyen qui fait honneur à notre Nation.

Si la baisse des effectifs des volontaires peut-être imputable à la montée de l’individualisme et de l’égocentrisme, le volontariat est soumis aux mouvements démographiques dus à la désertification rurale, au renforcement des contraintes professionnelles, au regroupement des centres de secours, à la diminution de leur nombre, à la judiciarisation de l’action des sapeurs-pompiers et aux actes de violence auxquels ils peuvent être confrontés. Des mesures doivent être prises sans tarder pour endiguer ce phénomène. L’ambition est donc de développer une véritable culture du partenariat, en adaptant le management aux besoins et aux contraintes spécifiques de l’engagement volontaire, ce qui suppose une formation adaptée, la reconnaissance des acquis, l’organisation de la disponibilité opérationnelle, la nomination aux grades et fonctions d’officier supérieur.

Il est donc urgent de faire prendre conscience à nos concitoyens du caractère infiniment précieux et irremplaçable des services rendus par les sapeurs-pompiers volontaires ; la noblesse de leur engagement ne doit jamais être sous-estimée.

Évoquer les volontaires, c’est également pointer la menace que constituerait l’application de la directive européenne du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil, dite directive européenne du temps de travail (DETT), sur l'exercice de leurs missions par les sapeurs-pompiers volontaires. Si les sapeurs-pompiers volontaires étaient assimilés à des travailleurs au sens de la directive européenne du temps de travail, ses dispositions leur deviendraient applicables, notamment le repos de sécurité quotidien entre deux séances de travail, la durée maximale hebdomadaire de 48 heures, et un repos hebdomadaire minimal de 24 heures consécutives. Il en résulterait que l'engagement en qualité de sapeur-pompier volontaire ne serait plus compatible avec une autre activité professionnelle.

Or le modèle français d'organisation de la sécurité civile repose en grande partie sur cet engagement. L’application de la directive dégraderait ainsi le niveau d’efficacité des SDIS.

L’inquiétude n’est pas que française : nombreux sont nos voisins européens dont le modèle de secours repose aussi sur le volontariat. Cette problématique avait déjà été évoquée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019 au cours duquel notre groupe, par la voix d’Éric Ciotti, avait alerté sur le coût insoutenable que devraient supporter les finances publiques.

Le second axe sur lequel il nous est apparu nécessaire de renforcer l’arsenal juridique est celui des agressions. Les incivilités prennent différentes formes – les guets-apens constituant le type d’attaques le plus fréquent – mais les sapeurs-pompiers doivent faire face à de plus en plus de violences individuelles. C’est pourquoi il est proposé de qualifier de manière uniforme toute atteinte morale à la dignité et au respect d’un sapeur-pompier.

M. Vincent Bru. C’est la deuxième fois en quelques jours que l’on aborde la question des SDIS et c’est une très bonne chose, comme ce fut le cas la semaine dernière pour la représentation des PATS dans leur conseil d’administration.

La proposition de loi que nous examinons ce matin a pour but de soutenir le fonctionnement des services départementaux d’incendie et de secours et de valoriser la profession des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Selon le groupe MODEM, ce texte poursuit un objectif très noble : nous savons la difficulté qu’il y a à recruter des sapeurs-pompiers volontaires et ceux-ci soulignent régulièrement la précarité de leur situation. Il convient donc de réfléchir à la manière dont on peut rendre plus attractive cette fonction essentielle pour la vie en société, mais également leur offrir des possibités d’évolution significativement plus intéressantes.

Dans cette proposition de loi, un certain nombre de thèmes extrêmement séduisants sont abordés : l’allégement des charges patronales pour favoriser l’engagement des employés comme pompiers volontaires, mais également la possibilité de bénéficier d’autorisations d’absence pour des activités dans la réserve. La volonté de lutter contre les violences exercées dans de nombreuses villes et de nombreux quartiers à l’encontre de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires par une partie de la population est aussi bienvenue, de même que la mise en place d’un numéro unique d’appel. Tout cela va effectivement dans le bon sens.

Le projet de loi aborde encore un certain nombre d’autres sujets – le régime des retraites des sapeurs-pompiers volontaires par bonifications, les dérogations pour l’attribution de logements sociaux habituellement destinés à des emplois réservés dans la fonction publique ou encore le problème des restes à charge de frais médicaux, qu’il est proposé de faire supporter par les SDIS – dont nous ne contestons pas l’intérêt : ils méritent à l’évidence d’être mis sur la table, mais les solutions proposées ne sont peut-être pas forcément appropriées ni suffisamment évaluées dans leurs conséquences financières. Il serait préférable, nous semble-t-il, de les appréhender de manière plus globale, en concertation avec le Gouvernement et les groupes de travail qui vont être organisés à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

Nous restons donc extrêmement réservés sur cette proposition de loi, quand bien même, je le répète, elle a le mérite de poser un certain nombre de problèmes réels. Mais les solutions proposées ne sont pas forcément de nature à les résoudre. Nous devons donc repenser d’une manière beaucoup plus globale le fonctionnement des SDIS, la valorisation du métier de sapeur-pompier, et notamment le statut des sapeurs-pompiers volontaires.

C’est la raison pour laquelle le groupe MODEM ne soutiendra pas ce texte, même si cette proposition de loi aura le mérite d’appeler l’attention des parlementaires sur la nécessité qu’il y a de légiférer ou de prendre des décrets afin de toujours mieux attirer les jeunes, en particulier, vers cette activité d’intérêt général dont les sapeurs-pompiers volontaires ont la charge.

Mme Cécile Untermaier. Le groupe Socialistes et apparentés félicite le rapporteur et son équipe pour le travail accompli.

Nous tenons à rappeler que les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires effectuent un travail formidable sur l’ensemble du territoire. Ces hommes, ces femmes, qui font montre d’un sens supérieur du devoir et de l’intérêt général et n’hésitent pas à mettre leur vie en péril pour protéger celle de leurs concitoyens, ont été mis à rude épreuve ces dernières années à travers des crises exceptionnelles, attentats et catastrophes naturelles, mais aussi au quotidien. Comme sous d’autres majorités, nous avons cherché lors de la précédente législature à améliorer leur situation, notamment par la loi du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires, qui avait reçu le soutien de l’ensemble des syndicats des sapeurs-pompiers. Comme votre proposition de loi, ce texte s’attachait à préserver le modèle français reposant sur la complémentarité entre professionnels et volontaires.

Toutefois, cette complémentarité est sérieusement interrogée par la récente décision de la Cour de Justice de l’Union européenne qui, dans l’arrêt Matzak du 21 février 2018, a considéré que les sapeurs-pompiers volontaires ne pouvaient être totalement exclus de l’application de la directive du 4 novembre 2003 relative à l’aménagement du temps de travail. Cette préoccupation est largement partagée au niveau local par l’ensemble des professionnels et des volontaires.

La proposition de loi examinée aujourd’hui répond à l’objectif de valoriser l’engagement des sapeurs-pompiers, auquel, bien sûr, nous souscrivons. Certains articles vont dans le bon sens et méritent toute notre attention. Nous soutenons notamment les mesures visant à lutter contre le manque d’effectifs – la France a en effet perdu plus de 11 000 volontaires en un peu plus d’une décennie. La proposition de loi prévoit non seulement des allégements de charges patronales lors de l’embauche d’un sapeur-pompier volontaire, mais aussi la facilitation des absences en entreprise. Quant à l’article visant à ouvrir aux sapeurs-pompiers volontaires l’accès aux emplois réservés de la fonction publique, nous ne pouvons qu’y être favorables. Remarquons toutefois, sans malignité, que l’application de cette proposition serait rendue difficile par la suppression des 500 000 postes de fonctionnaires défendue par Les Républicains au cours de la campagne présidentielle…

Toutefois, l’ensemble des syndicats auditionnés par vos soins a exprimé quelques réserves sur certaines des dispositions proposées. La bonification de trimestres de retraite proposée à l’article 6 pourrait conduire à assimiler l’engagement volontaire du sapeur-pompier à un travail : au moment où l’on veut contredire la directive européenne relative à l’aménagement du temps de travail, mieux vaut rester prudent… D’autres moyens doivent donc être mis en œuvre pour encourager et reconnaître l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Par ailleurs, la nomination à un certain emploi d’un sapeur-pompier professionnel d’un autre grade, prévue à l’article 8, est dénoncée par les sapeurs-pompiers professionnels comme un recul de la réforme de leur filière mise en œuvre en 2012, et appréciée comme telle.

Enfin, certaines mesures proposées gagneraient à être encadrées et approfondies. La volonté de faciliter l’hébergement des professionnels à proximité des centres de secours part d’une bonne intention ; il faudrait cependant garantir l’accès prioritaire des personnes pouvant prétendre à un logement social, en particulier dans les zones tendues où, précisément, la question du logement se pose aussi pour les sapeurs-pompiers.

Par ailleurs, l’article 9 relatif à la possibilité pour des étudiants en médecine de faire un stage dans un SDIS est tout à fait louable, mais elle se voit compliquée par le fait que les SDIS ne disposent pas toujours, hélas, de médecins professionnels, ce qui pose la question de l’encadrement. Enfin, ce dispositif pourrait être utilement élargi à l’ensemble des professionnels de santé ; rien ne nous interdit de le faire dans le cadre de cette commission ou dans l’hémicycle.

Cette proposition de loi procède d’une intention que nous partageons tous : soutenir les sapeurs-pompiers dans leur dévouement à l’intérêt commun. Il faut encourager l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires. Ce volontariat est le socle d’un dispositif d’exception auquel nous sommes tous très attachés. Mais à ce stade il me semble que des précisions et des modifications doivent être apportées à ce texte ; c’est précisément le rôle de cette commission et tout l’intérêt du travail dans l’hémicycle.

Je souhaite à ce propos vous alerter sur le mouvement de concentration des services de secours que nous constatons dans plusieurs départements, particulièrement en Saône-et-Loire. Cette tendance à la réduction de services publics de proximité, ces centres de premières interventions, se poursuit malgré les appels incessants de la population locale et des sapeurs-pompiers volontaires à les maintenir au plus près des besoins. Ce n’est pas non plus le meilleur moyen, me semble-t-il, de favoriser l’engagement des volontaires qui ont plaisir à se retrouver dans leurs communes ou dans la commune voisine, à partager des moments de convivialité, à faire du sport le samedi ou en soirée et à trouver un lieu de vie et d’engagement près de chez eux. L’engagement volontaire passe sans doute par cela aussi. La loi ne peut pas tout et les autorités départementales devraient davantage en tenir compte.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, je souhaite remercier notre collègue Arnaud Viala de son heureuse initiative.

Toutefois, contrairement à ce que l’on entend ici ou là, le problème n’est pas nouveau. Une commission « Ambition volontariat », constituée en 2009, a produit un travail considérable que j’ai soutenu pendant deux ans et qui a abouti à la loi du 20 juillet 2011 relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires, laquelle a fixé un cadre juridique qui n’existait pas jusqu’alors. L’article 1er, qui définit le sapeur-pompier volontaire, a nécessité près de quatre heures de travail au Conseil d’État, en Assemblée générale.

Le problème n’est donc pas nouveau et la directive européenne sur le temps de travail date de 2003. En revanche, ce qui est nouveau, c’est l’arrêt de la Cour de Justice européenne qui est venu dernièrement fixer un cadre et un statut de travailleur. C’est bien cela qui pose problème aujourd’hui, mais le sujet avait déjà été largement abordé en 2011. Prenons garde, du reste, à ne pas confondre dans des propositions de loi sapeurs-pompiers professionnels et sapeurs-pompiers volontaires : contrairement au sapeur-pompier professionnel, le statut de sapeur-pompier volontaire n’est pas une profession, c’est un engagement, et nous avions essayé de trouver une définition à même de passer sous les fourches caudines de la Commission européenne.

Ensuite en 2013 a été adopté le plan d’action pour les sapeurs-pompiers volontaires, signé par M. Valls, et en 2018, une mission a été confiée à quelques parlementaires, qui ont formulé un certain nombre de propositions. En 2017, la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR), élément de la retraite des sapeurs-pompiers, a été réformée, non sans mal. La Cour des comptes vient de remettre un rapport sur la situation des SDIS. Elle est très critique au sujet de ce qui s’y passe et souligne d’ailleurs un problème entre sapeurs-pompiers volontaires au sens strict du terme et ceux que l’on appelle les « pro-vos », autrement dit qui ont la double qualité de sapeur-pompier professionnel et de sapeur-pompier volontaire. Ce double statut n’est pas sans poser une difficulté sur le plan juridique. Il serait utile de demander au Conseil d’État de se pencher sur ce texte. C’est d’ailleurs ce que j’avais fait en 2011, à la demande de M. Jean-Luc Warsmann, alors président de la commission des Lois, et bien m’en avait pris…

Plusieurs dispositifs prévus dans cette proposition de loi sont très intéressants, notamment en ce qui concerne les employeurs ; encore conviendra-il d’en évaluer les incidences sur le plan financier.

Enfin, il faudra bien, à un moment donné, sortir de l’ambiguïté et savoir ce que veut faire l’État s’agissant des SDIS, dont le financement incombe aux départements. L’État pourrait par exemple financer de grandes campagnes de promotion à l’adresse des citoyens ou encore des écoles de jeunes sapeurs-pompiers (JSP) – il y en a quelques-unes dans l’éducation nationale.

Plus généralement, le problème est de savoir ce que l’on veut faire de l’engagement citoyen. Une réflexion doit être engagée. Aujourd’hui se pose le problème du statut juridique au sens communautaire. Dès lors qu’il y a un lien de subordination et que les sapeurs-pompiers volontaires perçoivent des indemnités – auparavant, on parlait de vacations –, ne serait-ce qu’un euro, l’Europe les considère comme des travailleurs. À un moment ou un autre, il va falloir « crever l’abcès ». Le travail que nous allons mener, avec M. Fabien Matras, dans le cadre du groupe d’études sur les sapeurs-pompiers volontaires, devrait permettre de trouver des solutions juridiques.

M. Ugo Bernalicis. Pour les membres du groupe La France insoumise, cette proposition de loi est la bienvenue. Elle permet de poursuivre le débat, sachant que le législateur se penche sur ce sujet depuis déjà plusieurs années. Force est de constater que les difficultés perdurent... Notre attention s’est focalisée sur l’arrêt Matzak qui pose la question du statut de sapeur-pompier volontaire ; mais il faut savoir que, sans sapeurs-pompiers volontaires, beaucoup de casernes ne pourraient plus fonctionner tout simplement parce que nous manquons de sapeurs-pompiers professionnels. Qui plus est, je n’en ai pas tellement entendu parler ici, 50 % des sapeurs-pompiers professionnels sont aussi des sapeurs-pompiers volontaires, ce qui a des effets pervers, notamment en termes de temps de repos où l’on est à la limite de l’acceptable. Dans certains départements, des chefs de caserne ont même pris l’initiative d’installer un compteur commun pour avoir une vision du nombre d’heures que chaque pompier volontaire ou professionnel effectue, afin d’éviter d’aller trop loin. Finalement, on en vient à se demander quelle est la cible du volontariat, à qui on permet de devenir sapeur-pompier volontaire. Il faudra à l’évidence adapter l’arrêt Matzak, mais on ne peut ignorer que le nombre de sapeurs-pompiers professionnels a baissé de 5 500 entre 2005 et 2015 et que les casernes comme les matériels souffrent du manque d’investissements. Qui plus est, ma collègue Cécile Untermaier l’a souligné, les procédures de rationalisation et de mutualisation des casernes ont mis à mal ce maillage territorial qui permettait d’avoir un vivier de volontaires à proximité : les astreintes sont plus supportables quand on vit à proximité du centre de secours. Désormais, les temps d’intervention qui s’allongent obligent à caserner de plus en plus les volontaires, avec toutes les difficultés que cela entraîne en termes de rémunération, de contraintes familiales, etc.

Les sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires sont parfois, avec la police et les urgences, le dernier service public présent sur un territoire. Tout le reste a disparu. On sait que si le nombre des interventions des sapeurs-pompiers volontaires a augmenté massivement, c’est parce qu’ils font davantage d’interventions sociales, qu’ils sont amenés à gérer la misère qui gagne du terrain en raison du recul du tissu associatif et des politiques des départements, et du fait que certains services publics ne sont plus rendus. Les pompiers finissent par être les derniers à intervenir dans des domaines qui ne sont pas leur cœur de métier, en tout cas pas leur vocation principale.

J’ai entendu des syndicats parler d’incohérences vis-à-vis du système ambulancier. On est tellement en recul en matière de volontariat que si demain on devait activer le plan blanc à cause d’une catastrophe sanitaire, comme il y a beaucoup de volontaires parmi les personnels soignants, je ne sais pas comment on ferait puisqu’on ne peut pas puiser deux fois dans le même vivier… Il va donc falloir se pencher sur cette question.

Pour en revenir au texte, nous sommes favorables au dispositif d’autorisation d’absence prévu, mais défavorables à l’exonération des charges patronales proposées : je ne vois pas bien ce que cette mesure vient faire ici. Vous souhaitez ouvrir aux sapeurs-pompiers volontaires l’accès aux emplois réservés de la fonction publique ; pour notre part, il nous semble qu’il serait préférable de prévoir des mesures visant à faciliter l’accès aux concours. Enfin, vous proposez de faciliter l’accès des sapeurs-pompiers volontaires aux logements sociaux situés à proximité des centres de secours ; mieux vaudrait, je crois, signer des conventions avec des bailleurs sociaux, privés ou publics, afin de leur réserver des places.

M. Paul Molac. Le système de secours, dont la pierre angulaire est le volontariat, est très important. Comme on l’a dit tout à l’heure, 80 % des interventions en milieu rural sont faites par des volontaires. Ma circonscription compte quinze centres de secours, ce qui permet d’intervenir en vingt minutes. Pour visiter régulièrement les centres de secours, je peux dire qu’ils sont bien entretenus. Il convient de conserver ce système très efficient, y compris dans des territoires relativement peu peuplés. Nous avons la chance d’avoir des personnes qui s’engagent en tant que pompiers volontaires.

Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi a le mérite d’exister. Pour sa part, M. Pierre Morel-À-L’Huissier a rappelé les différentes lois qui existent déjà. Lors de la précédente législature, nous avons voté une loi, parce que la nature du volontariat change. En effet, concilier à la fois vie professionnelle et vie privée, loisirs et engagement volontaire, procède d’une alchimie parfois difficile à mettre en place. Les chefs de centre de secours me disent régulièrement que si autrefois l’engagement volontaire passait avant le reste, parfois même avant la famille ou les loisirs, aujourd’hui il leur faut négocier, ce qui crée une difficulté supplémentaire pour trouver des volontaires.

Votre proposition de loi comporte des mesures concrètes visant à encourager les volontaires à s’engager en contrepartie d’un certain nombre d’avantages, ce qui paraît assez normal au vu des services qu’ils rendent à la collectivité. Toutefois, vos mesures sont parfois imprécises et incomplètes : ainsi, l’article 9 prévoit de donner automatiquement le statut de sapeur-pompier à une personne qui aura effectué des stages au sein d’un SDIS. Peut-être faudrait-il attendre qu’elle en fasse la demande, et prévoir un engagement du stagiaire. Quant à l’article 4 qui prévoit d’ouvrir aux sapeurs-pompiers volontaires l’accès aux emplois réservés de la fonction publique, nous y sommes favorables à condition de le subordonner à un engagement pérenne, faute de quoi il pourrait être tentant de rompre son engagement de pompier une fois l’emploi réservé intégré… Certaines collectivités ont déjà mis en place des postes qui sont réservés à condition d’avoir un engagement citoyen et d’être pompier.

Je crains que la future loi sur les retraites ne rende caduc l’article 6. Nous avons déjà été interpellés par l’association Sauvegarde Retraites : elle estime que les fonctionnaires sont trop bien rémunérés à la retraite et pointe certaines catégories comme les militaires, les policiers et les pompiers… On se demande donc à quelle sauce seront mangés ces derniers.

À l’article 7, vous proposez de donner aux pompiers la priorité d’accès aux logements sociaux situés à proximité des centres de secours. Je crains qu’ajouter une catégorie à une liste déjà assez longue ne serve plus à grand-chose : au final, le public prioritaire correspondra quasiment à toute la population…

L’article 13 pose, à juste titre, la question du volontariat chez les pompiers. La Cour européenne de justice, on l’a dit, a requalifié le volontariat en l'assimilant pratiquement à du travail dissimulé. Je sais que le Gouvernement travaille sur cette question : peut-être avez-vous, madame la présidente, des informations en la matière ? Si ces pistes ne sont pas secrètes, il serait bon que la représentation nationale en soit informée.

Le groupe Liberté et Territoires pense voter cette proposition de loi en espérant que l’ensemble des députés ici présents contribueront à l’améliorer.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons aux questions des députés.

Mme Emmanuelle Ménard. Que ferions-nous sans nos sapeurs-pompiers ? Prévention, évaluation des risques de sécurité civile, organisation des moyens de secours, lutte contre les incendies, protection des personnes, des biens et de l’environnement sont autant de domaines dans lesquels nos sapeurs-pompiers volontaires œuvrent au quotidien et bien souvent au péril de leur vie.

Si nous avons besoin d’eux, aujourd’hui ce sont eux qui ont besoin de nous car ils sont inquiets pour deux raisons notamment.

D’abord, à cause des agressions dont ils sont victimes et qui sont malheureusement en progression constante. C’est inadmissible. Il y a encore quelques années, on n’entendait jamais parler d’agression ou de guet-apens à l’encontre des sapeurs-pompiers ; ils étaient quasi sanctuarisés pour nos concitoyens. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui : pas une semaine ne passe sans que les médias ne se fassent l’écho de telles agressions. Nous ne devons pas laisser faire. Cet engrenage de la violence doit être combattu avec fermeté.

Deuxième sujet d’inquiétude, la menace de la directive européenne sur le temps de travail qui considérerait le sapeur-pompier volontaire comme un travailleur et non comme un citoyen engagé et altruiste pour la population et nos territoires. L’article 13 de ce texte est donc le bienvenu.

Cette proposition de loi doit être soutenue pour ces deux raisons principales. En tout cas, c’est ce que je ferai bien volontiers.

M. Dino Cinieri. Je veux tout d’abord rendre hommage aux sapeurs-pompiers volontaires et professionnels qui accomplissent chaque jour un travail formidable sur le terrain, parfois au péril de leur vie. Ils sont en première ligne pour porter assistance et aide aux personnes confrontées à des situations d’urgence et de détresse. La sécurité civile de notre pays, particulièrement en zone rurale, repose en grande partie sur les sapeurs-pompiers volontaires et rien de ce qui touche à la sécurité des personnes et des biens ne pourrait se faire sans eux.

Depuis que j’ai été élu député, j’ai cosigné toutes les propositions de loi permettant de valoriser ou faciliter l’action des sapeurs-pompiers volontaires. En 2011, avec notre collègue Pierre Morel-À-L’Huissier, nous avons longuement travaillé sur une proposition de loi relative à l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique, qui a été inscrite à l’ordre du jour et votée dans l’hémicycle le 30 mai 2011. Ce très bon texte a permis d’améliorer encore la qualité de notre système de sécurité. Mais il faut désormais aller plus loin pour soutenir l’engagement des sapeurs-pompiers et susciter des vocations chez les jeunes.

Le dispositif de sécurité civile en France, fondé principalement sur les SDIS et les sapeurs-pompiers volontaires, est probablement l’un des meilleurs au monde. Sa qualité, son efficacité et son rapport qualité-prix s’expliquent par la présence de près de 200 000 sapeurs-pompiers volontaires aux côtés des 40 000 sapeurs-pompiers professionnels et militaires. En effet, 68 % de l’activité opérationnelle est assumée en France par les sapeurs-pompiers volontaires qui assurent 80 % de la couverture territoriale.

Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre très bonne présentation. Bien évidemment, nous soutiendrons sans réserve cette excellente proposition de loi.

M. Éric Diard. Je voudrais saluer le pragmatisme de notre rapporteur sur ce dossier. Cette proposition de loi est le fruit d’un certain nombre d’auditions et d’un travail collectif, notamment avec Mme Valérie Lacroute. Les desiderata des sapeurs-pompiers ont été entendus.

Chacun s’accorde ici à reconnaître qu’il y a une crise de vocation, notamment de sapeurs-pompiers volontaires. Le volet de cette proposition de loi qui concerne la protection sociale me semble intéressant. De même, je suis favorable à l’article 10 qui prévoit de qualifier toute atteinte à la dignité ou au respect d’un sapeur-pompier d’une sanction relevant du délit d’outrage. Nous avons été nombreux ici à rappeler que beaucoup trop de sapeurs-pompiers font l’objet de violences, sont agressés – plusieurs d’entre eux ont même trouvé la mort.

La directive européenne mettant à mal le travail de nos sapeurs-pompiers volontaires, l’article 13 nous paraît également le bienvenu.

Pour conclure, nous sommes en présence d’un texte qui se veut pragmatique et peut encore être retravaillé, comme le reconnaît le rapporteur. N’attendez donc pas les ordres de l’exécutif, chers collègues de la majorité ! (Protestations sur les bancs des commissaires de la République en Marche.) Si la loi anti-casseurs a été adoptée, c’est parce que le Premier ministre a donné son feu vert. Je vous fais ce clin d’œil sympathique : soyez comme les pompiers, allez de l’avant et faites preuve de courage ! (Mêmes mouvements.)

M. Arnaud Viala, rapporteur. Je remercie tous les orateurs qui viennent de s’exprimer. On peut constater, au travers de leurs interventions, à quel point la sécurité de nos concitoyens, et singulièrement de nos sapeurs-pompiers, préoccupe les députés puisque nous sommes au contact des territoires sur lesquels nous sommes élus et sollicités en permanence pour essayer d’apporter des solutions aux risques qui pèsent sur ce modèle de sécurité civile.

Cher collègue Pierre Morel-À-L’Huissier, je connais votre engagement sur ce sujet. Je n’ai jamais prétendu que le problème était nouveau et que les solutions que nous souhaitions apporter avec Mme Valérie Lacroute étaient révolutionnaires ou extraordinaires, au sens premier du terme. C’est justement parce que le problème est ancien et qu’il est resté longtemps sans solution que nous avons jugé opportun d’essayer de rassembler des propositions qui répondent à des enjeux globaux. À cet égard, j’en citerai quatre.

Le premier point tient tout simplement au modèle français de sécurité civile. Si celui-ci fait reposer sur un engagement bénévole ou volontaire une grande partie de la sécurité de nos concitoyens et de leurs biens, ce n’est pas par volonté de faire des économies. C’est l’héritage d’un passé qui s’est constitué au fil des décennies, et c’est cela qui fait que, dans chacune de nos casernes de pompiers, cohabitent, coexistent, travaillent ensemble des professionnels et des volontaires. Les sapeurs-pompiers eux-mêmes, quel que soit leur statut, sont très attachés à la pérennité de ce modèle. Les Français dans leur ensemble, qui connaissent parfaitement bien la nuance entre les sapeurs-pompiers professionnels et les sapeurs-pompiers volontaires, tiennent absolument à ce qu’il perdure et notre volonté a été de trouver des garde-fous pour ce faire.

Bien évidemment, l’arrêt Matzak, qui fait suite à l’application de la directive sur le temps de travail de 2003, met en question la capacité de la France à maintenir ce dispositif. Nous voulons, au travers de cette proposition de loi, faire en sorte que la prise de conscience politique soit la plus large possible et qu’une solution soit rapidement trouvée afin d’éviter que l’application de la directive « temps de travail » stricto sensu n’aboutisse à une crise, autrement dit à l’arrêt immédiat du volontariat dans nos casernes. Cet élément me paraît suffisamment fédérateur, même si la tâche ne sera peut-être pas facile pour notre Gouvernement dans la mesure où c’est la France qui est à l’origine de cette directive sur le temps de travail – on n’en avait alors peut-être pas mesuré tous les contours. En tout état de cause, n’attendons pas qu’un arrêt de la Cour de Justice nous tombe dessus pour allumer un contre-feu.

Le deuxième point concerne la réalité de l’exercice des fonctions de sapeurs-pompiers dans nos territoires. Le département de l’Aveyron a la chance de compter un grand nombre de centres de secours, dont dix-sept dans ma circonscription. Chaque année, j’essaie d’assister aux dix-sept fêtes de la Sainte-Barbe de ma circonscription, et chaque fois j’entends parler de l’augmentation constante du nombre d’interventions, essentiellement en matière de secours à personnes. Cela montre un besoin accru de sapeurs-pompiers dans les territoires. Cette évolution est probablement amenée à s'accélérer dans la mesure où, globalement, notre population vieillit ; mais d’autres facteurs entrent en ligne de compte : la discussion dans l’hémicycle, la semaine dernière, du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, laisse à penser que l’organisation des secours de proximité se traduira par un recours accru aux sapeurs-pompiers volontaires et professionnels dans de nombreux cas. Nous avons donc le devoir d’apporter une réponse à cette question.

Tout à l’heure, M. Paul Molac a souligné que le nombre de vocations était en diminution parce que les gens devraient arbitrer entre leur vie privée et leur vie professionnelle. C’est probable, mais ce genre d’engagement a toujours supposé de faire des choix et de trouver un équilibre entre différentes activités. Il n’est pas du tout question de remettre en cause le volontariat, et les mesures que l’on pourrait prendre doivent d’abord être considérées comme la manifestation d’une reconnaissance de la société à l’égard de bénévoles volontaires, et non comme une forme de compensation en réponse à une demande qui, du reste, n’a jamais été exprimée. Et si nous proposons un dispositif d’allégement des charges patronales sur les entreprises, monsieur Bernalicis, c’est tout simplement pour que l’entreprise accepte que son salarié puisse partir en intervention. Mme Valérie Lacroute et moi-même pensons que le terme « entreprise » recouvre différentes réalités et que ce dispositif s’adresse principalement aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME). Par exemple, lorsqu’un des deux salariés d’une TPE doit partir en intervention, le chantier sur lequel ils travaillent est au mieux retardé, au pire totalement arrêté.

J’en viens à mon troisième point. Cette proposition de loi intervient alors que le maillage territorial est plus que jamais indispensable, comme l’a dit Mme Cécile Untermaier, et que les finances publiques des collectivités territoriales sont on ne peut plus tendues. En effet, les conseils départementaux, auxquels sont adossés les SDIS qu’ils financent en grande partie avec les autres collectivités locales, rencontrent parfois des difficultés pour faire face aux besoins de modernisation des équipements. Ils seraient pour la plupart dans l’incapacité totale de salarier l’intégralité des effectifs si d’aventure on devait remettre en cause le principe même du volontariat.

Enfin, et c’est mon quatrième point, si le groupe Les Républicain fait le choix de défendre cette proposition de loi dans le cadre d’une journée réservée, c’est tout simplement parce qu’il considère que le moment est venu de passer à l’acte. Une mission sur les sapeurs-pompiers a été mise en place depuis le début du quinquennat, mais elle n’a jusqu’à présent produit aucune mesure concrète. Nous souhaitons que cette proposition de loi soit un véhicule à la disposition des parlementaires que nous sommes, par-delà les sensibilités politiques, pour mettre en œuvre un certain nombre de mesures qui revêtent un caractère d’urgence.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier a fait allusion, de manière courtoise, à la terminologie, et je l’en remercie. C’est un point que nous avons noté d’emblée. Je présenterai un amendement pour éviter tout amalgame et ne laisser planer aucune équivoque entre la profession de sapeur-pompier professionnel et l’engagement de sapeur-pompier volontaire.

Monsieur Bru, vous dites que les mesures que nous proposons devraient être abordées de manière globale mais que notre proposition de loi est trop exhaustive. Il me semble que cela ne va pas ensemble… Nous avons souhaité avoir une approche globale et proposer plusieurs mesures qui balaient l’essentiel des problèmes – pas tous car il ne faut pas être prétentieux – qui se posent aujourd’hui au modèle de sécurité civile français.

Monsieur Molac, je suis conscient qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre des avantages et une rémunération. Ce que nous voulons, c’est tout simplement une reconnaissance par la loi de l’engagement de sapeur-pompier volontaire.

Enfin, la majorité nous a interrogés sur les allégements de charges que nous proposons. Si cette proposition de loi est adoptée, il faudra en tirer les conséquences dans la prochaine loi de finances, mais il est important que la nation consente un effort budgétaire lorsque des Français s’engagent volontairement et quasiment bénévolement pour assurer la sécurité de nos concitoyens et de leurs biens. Je crois que « le jeu en vaut la chandelle ».

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Chapitre Ier
Mesures sociales pour pallier le manque d’effectif

Article 1er (art. L. 241-13 du code de la sécurité sociale) : Allègement des cotisations à la charge des employeurs de sapeurs-pompiers volontaires

La Commission est saisie de l’amendement CL28 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit d’un amendement de suppression, en cohérence avec ce que j’ai expliqué dans la discussion générale. Nous nous opposons à l’affaiblissement de notre sécurité sociale, qui est basée sur la solidarité et les cotisations. L’efficacité d’une baisse des cotisations patronales pour les employeurs de salariés exerçant l’activité de sapeur-pompier volontaire n’est pas démontrée. Vous nous expliquez, chers collègues, que, lorsqu’un volontaire salarié d’une petite entreprise part en mission, le chantier de l’entreprise doit s’arrêter, mais même avec une exonération de cotisations patronales, le travail s’arrêtera. Un allègement représente peut-être une compensation, bien maigre, mais cela ne me semble pas être une justification suffisante : en tout état de cause, cela ne changera rien. Du reste, cette exonération n’existait pas jusqu’à présent, et l’on trouvait tout de même des volontaires.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Vous nous prêtez des intentions que nous n’avons pas. Il ne s’agit pas du tout, par cette disposition, de compenser « au sou le sou » le fait d’avoir dans une entreprise un ou plusieurs sapeurs-pompiers volontaires. C’est précisément la logique inverse qui nous conduit à proposer cette disposition, qui recueille d’ailleurs le soutien tant des syndicats de sapeurs-pompiers que des représentants des employeurs : il s’agit d’être sûr de pouvoir compter dans tous les territoires sur un vivier suffisant de sapeurs-pompiers volontaires pour continuer de faire fonctionner notre modèle. On se rend compte aujourd’hui – vous vous en rendrez compte si vous organisez des auditions dans votre circonscription – qu’il peut se présenter un obstacle au moment de l’embauche car, lorsqu’un salarié est obligé de s’absenter de manière récurrente pour aller en intervention, cela pose des problèmes. L’allégement de charges n’est qu’une maigre reconnaissance de l’engagement de l’employeur pour le bien collectif des citoyens. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL37 de M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Cet amendement vise à aller plus loin que ce que propose le rapporteur, en prévoyant que les entreprises qui recrutent des sapeurs-pompiers volontaires bénéficient d’une exonération de cotisations patronales totale pour les heures du salarié effectuées hors de l’entreprise, dans l’hypothèse bien sûr où aucune convention particulière ne suspendrait toute rémunération.

Pour moi, il ne s’agit pas, comme pour M. Ugo Bernalicis, d’aborder la question sous l’angle pratique ou sous celui d’une compensation. C’est une simple question de justice : on ne voit pas pourquoi les entreprises paieraient des cotisations patronales pour des heures qui ne sont pas effectuées dans le contexte de l’entreprise mais pour une mission de service public – on pourrait évidemment gloser sur une possible substitution de l’État. Quoi qu’il en soit, c’est tout simplement une mesure rationnelle qui vise à mieux délimiter ce qui relève de l’activité professionnelle et ce qui relève de l’activité volontaire ; elle pourrait aussi nous aider dans le différend que nous avons avec la CJUE, en montrant clairement que, lorsque le sapeur-pompier est en dehors de l’entreprise, il n’est salarié de personne.

M. Arnaud Viala, rapporteur. J’en profite pour remercier Julien Aubert du travail qu’il accomplit sur ce sujet, puisqu’il a lui-même récemment déposé une proposition de loi.

Comme je l’ai exposé, notre souhait est d’apporter une reconnaissance à la fois aux sapeurs-pompiers volontaires engagés et aux chefs d’entreprise qui, lorsqu’ils ont dans leur entreprise des sapeurs-pompiers volontaires, sont parfois eux-mêmes sapeurs-pompiers volontaires ou en tout cas très engagés en faveur de notre modèle de sécurité civile. Vous proposez, cher collègue, d’aller plus loin que nous ; je souhaiterais que nous puissions en discuter d’ici à la séance. Je vous invite ainsi à retirer votre amendement pour que nous ajustions « nos violons ».

M. Julien Aubert. Dans tout bon orchestre, il y a un premier violon. N’ayant pu fusionner ma proposition de loi avec celle de mes collègues, je retire cet excellent amendement, en espérant que cela permettra d’aboutir à une harmonie plutôt qu’à une cacophonie.

L’amendement est retiré.

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2 (art. L. 723-11 du code de la sécurité intérieure, art. L. 3142-89 du code du travail) : Fixation d’une durée minimale d’autorisation d’absence

La Commission est saisie de l’amendement CL43 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Certains d’entre vous ont fait valoir que des précisions méritaient d’être apportées à l’article 2. C’est l’objet de cet amendement, qui vise à définir précisément les activités pour lesquelles les sapeurs-pompiers volontaires peuvent bénéficier d’une autorisation d’absence.

Pour rappel, l’article 2 consiste à fixer une durée minimale d’autorisation d’absence aux salariés, même s’ils ne sont pas couverts par une convention de disponibilité. Par définition, ces autorisations d’absence ne peuvent concerner les opérations habituelles pour lesquelles le sapeur-pompier volontaire est inscrit sur un planning et ne part que s’il est appelé. Il nous a donc semblé nécessaire de préciser que ces autorisations d’absence sont valables pour participer à des formations ou encore en situation de crise – consécutive à des évènements climatiques, par exemple.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL22 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Le présent amendement vise à étendre aux sapeurs-pompiers volontaires, pour les interventions liées aux situations de crise, le régime légal d’autorisation d’absence à l’égard des employeurs applicable aux réserves opérationnelles composées de citoyens chargés d’appuyer les forces armées et formations rattachées, notamment à l’occasion d’événements exceptionnels ou de crises de toutes natures sur le territoire national.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Votre amendement prévoit de restreindre le champ d’application de l’autorisation d’absence aux seules situations de crise. Je vous demande de le retirer pour que nous nous accordions sur la rédaction de l’article d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

La Commission rejette l’article 2.

Article 3 (art. L. 6313-3, L. 6323-4, L. 6323-6, L. 6331-1, L. 6331-3 du code du travail) : Formation des sapeurs-pompiers volontaires

La Commission rejette l’amendement rédactionnel CL44 du rapporteur.

Puis elle rejette l’article 3.

Après l’article 3

La Commission est saisie de l’amendement CL2 de M. Rémi Delatte.

M. Rémi Delatte. Il s’agit de permettre à un volontaire en service civique auprès d’un centre d’incendie et de secours de recevoir la formation initiale permettant d’intégrer le corps des sapeurs-pompiers volontaires, sous réserve de la souscription d’un engagement. Cela permettrait de dispenser une formation rapide, alors qu’aujourd’hui celle-ci est généralement très longue et exige une grande disponibilité qui peut parfois décourager des candidats.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Nous comprenons parfaitement l’objectif de votre amendement mais l’article L. 1424-37 du code général des collectivités territoriales dispose déjà que : « Tout sapeur-pompier volontaire ou tout volontaire en service civique des sapeurs-pompiers bénéficie, dès le début de sa période d’engagement, d’une formation initiale et, ultérieurement, d’une formation continue. » Votre amendement me semble donc satisfait. Je vous propose que nous le vérifiions ensemble d’ici à la séance, si vous le retirez.

M. Fabien Matras. L’idée est intéressante. Il y a d’autres sujets, plus larges, sur le service civique et une discussion a actuellement lieu avec le ministre en charge de ces questions. Ce que vous proposez fait déjà l’objet d’une expérimentation dans le SDIS du Morbihan, qui pourrait être élargie. Il faut parvenir à une solution concertée qui s’inscrive pleinement dans le service national universel (SNU) à venir. Nous ne voterons pas cet amendement car ce n’est pas le moment, mais cela peut être évoqué dans un débat futur.

Mme Valérie Lacroute. Même si une réflexion plus large a été engagée sur les sapeurs-pompiers volontaires, cette proposition est l’occasion d’adopter des mesures sans tarder. Voyez ce qu’il en est de la décision de rendre les péages gratuits pour les véhicules prioritaires, prise il y a plusieurs mois : elle n’est toujours pas mise en œuvre. Cette proposition de loi, même si elle n’est ni parfaite ni complète, devrait être adoptée car cela permettrait des avancées non négligeables, notamment sur la formation, sans attendre, compte tenu de l’inquiétante longueur des délais de publication des décrets, que vous ayez terminé ce travail minutieux et de longue haleine qui englobe beaucoup d’autres sujets.

M. Julien Aubert. Mme Valérie Lacroute vous l’a dit de manière très aimable, mais il faut savoir mettre les pieds dans le plat : sur plusieurs textes, par exemple sur l’agriculture, on nous a expliqué que notre idée était excellente, mais qu’il est urgent d’attendre et que nous aurons un « véhicule » adapté dans les mois à venir. C’est très mauvais en termes d’image car cela donne le sentiment que le Parlement n’est qu’un lanceur d’alerte, sans jamais entrer dans les aspects concrets et pratiques. Cela donne en outre à penser que la réflexion n’a pas lieu entre la majorité et l’opposition mais au sein de la seule majorité ou, pire, en dehors du Parlement, au sein de l’administration. J’appelle votre attention sur ce point : les Français ne continueront pas longtemps à payer une danseuse qui ne danse pas…

Il peut nous arriver de nous opposer sur des sujets très politiques, mais l’idée de M. Rémi Delatte est de bon sens : permettre à quelqu’un qui signe un contrat de service civique de bénéficier d’une formation initiale de sapeur-pompier volontaire peut donner lieu à consensus. Si vous ne pouvez pas voter pour, il vous est toujours possible de vous abstenir ; cela permettrait que nous ayons dans l’hémicycle un véritable débat sur ce sujet qui intéresse les Français.

M. Rémi Delatte. Je maintiens l’amendement.

M. Rémy Rebeyrotte. Il me semble que notre objectif à tous est d’échapper à la logique de la directive européenne ou plutôt, et c’est le travail engagé par le ministère de l’intérieur, de travailler avec l’Union européenne afin d’être en mesure, ou bien de continuer à déroger à la directive, ou bien de faire reconnaître le statut spécifique du sapeur-pompier volontaire, pas seulement en France mais aussi en Belgique et dans d’autres pays. L’enjeu est là, et déstabiliser notre droit à ce moment serait prendre le risque de ne pas pouvoir plaider dans le bon sens pour aboutir à une solution efficace. Cette solution demande quelques mois. Le ministère de l’intérieur travaille avec les instances de l’Union européenne, notamment la Commission, pour aboutir à un accord.

Cette proposition de loi comporte des mesures intéressantes mais il s’agit aujourd’hui de temporiser et de sortir par le haut d’une situation qui, rappelons-le, est un « effet de bord » d’une directive européenne de 2003 sur les conditions de travail qui avait été voulue par la France… Je ne souhaite pas polémiquer mais cela montre comment de bonnes idées peuvent parfois créer des situations impossibles. Stabiliser le droit et prendre le temps de la négociation avec l’Union européenne me paraît donc essentiel ; et une fois le moment venu, il faudra avancer sur ce terrain et reprendre ces propositions très intéressantes.

M. Arnaud Viala, rapporteur. La discussion sur cet amendement en dépasse largement la portée. Nous ne pouvons pas être taxés, monsieur Rebeyrotte, de vouloir déstabiliser le modèle français de sécurité civile : nous souhaitons au contraire contribuer à sa pérennisation et à l’optimisation des moyens mis à sa disposition pour qu’il fonctionne correctement. Si nous avons choisi, et c’est délibéré, de déposer cette proposition de loi maintenant, c’est pour deux raisons. Nous voulons tout d’abord apporter notre soutien et celui du Parlement à la France pour qu’elle obtienne gain de cause dans la reconnaissance du statut de sapeur-pompier volontaire auprès de l’Europe, avec cette difficulté que la directive est issue de notre pays, ce qui nous s'oblige à faire preuve de subtilité… Ensuite, il nous semble qu’en complément de ce débat sur le statut de sapeur-pompier volontaire et donc le modèle de sécurité civile, partout s’exprime l’urgence de reconnaître et d’encourager le volontariat si nous voulons, sans modification du droit européen, que le modèle tienne dans la durée, car le nombre de sollicitations augmente, celui des volontaires stagne ou diminue, et la plupart des SDIS sont « dans le rouge ».

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL9 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Cet amendement vise à prendre en compte l’engagement de sapeur-pompier volontaire comme critère prioritaire dans les procédures de mutation des fonctionnaires, au même titre que le rapprochement familial ou les situations de handicap.

M. Arnaud Viala, rapporteur. L’amendement me semble très pertinent car il répond aux trois objectifs que nous nous fixons : reconnaître les exigences du volontariat, valoriser et récompenser les sapeurs-pompiers volontaires, inciter le plus grand nombre à s’engager comme volontaires. Toutefois, il serait utile d’aller un peu plus loin dans l’analyse car les différentes catégories de fonction publique n’ont pas les mêmes critères de mise en œuvre des mutations. Énoncer simplement le principe de priorité pourrait conduire, là encore, à des effets de bord. Je souhaiterais donc que nous précisions l’amendement d’ici à la séance.

M. Fabien Matras. Vous ne pouvez reprocher à la majorité de renvoyer systématiquement la discussion à des travaux en cours : dans le cas de la gratuité des péages, nous l’avons votée avec M. Ciotti, et certains d’entre vous présents ce matin avaient d’ailleurs cosigné ma tribune parue dans le journal Le Monde au mois de février pour dire que la faute incombait aux sociétés d’autoroute et non au Gouvernement, qui essaye de la mettre en œuvre. Nous avons en outre adopté hier une proposition de loi sur les PATS venant du Sénat et des Républicains. Mais le présent texte mérite selon nous un travail plus approfondi, de même que cet amendement, qui me semble intéressant mais qui implique de prévoir quelques conditions sur ces facilités de mutation plutôt que de poser un principe général qui s’appliquerait de la même manière à tout le monde.

M. Raphaël Schellenberger. Vous avez beau vous réfugier derrière toutes les approximations juridiques et politiques possibles, le problème est bien celui de l’incapacité du Gouvernement à faire appliquer la loi. Nous avons voté la gratuité des péages dans le consensus, et l’on peut s’en satisfaire, mais une fois que la loi est votée, c’est au Gouvernement de l’appliquer. On peut espérer des acteurs, que ce soient des citoyens, des entreprises, des porteurs d’initiatives, etc., qu’ils anticipent les règles d’application de la loi, ce serait une bonne chose pour la qualité du vivre-ensemble. On peut regretter que les sociétés d’autoroute n’aient pas décidé d’elles-mêmes d’appliquer la loi ; reste que ce qui manque aujourd’hui au texte sur la gratuité des autoroutes pour nos sapeurs-pompiers, ce sont les décrets d’application, qui sont à la charge du Gouvernement.

À raconter tout et n’importe quoi, on contribue à créer la confusion dans l’esprit des Français sur le fonctionnement de nos institutions. Notre rôle est d’être responsables, d’expliquer comment se passent les choses et où sont les blocages. Nous avons voté un texte que le Gouvernement refuse d’appliquer.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Monsieur Matras, il ne faut pas faire l’amalgame entre le travail de fabrique de la loi que nous sommes en train de conduire et la mise en application de la loi une fois celle-ci votée. Placer sur le même plan notre travail sur la présente proposition et la non-application d’un texte adopté il y a plusieurs mois n’est pas de bon aloi.

Par ailleurs, la promesse du « nouveau monde », c’était l’ouverture et ce que les Français ont compris comme devant être la prise en compte de points de vue pragmatiques et allant dans le bon sens, d’où qu’ils viennent. Vous démontrez une fois de plus que cette promesse, loin d’être tenue, est totalement reniée, alors même que, par notre travail, nous vous tendons la main pour accompagner des dynamiques portées par le Gouvernement qui nous paraissent devoir être soutenues, en particulier sur le modèle de sécurité civile française. Nous montrons dans ce travail que nous ne faisons preuve d’aucun parti-pris idéologique ; j’émets par exemple des avis sur les amendements sans faire de différence entre ceux de mes amis politiques et les autres.

La Commission rejette l’amendement.

Article 4 (art. L. 241-5 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre) : Accès aux emplois réservés

La Commission est saisie de l’amendement CL29 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement prévoit un dispositif différent de celui proposé en améliorant la possibilité pour les sapeurs-pompiers volontaires d’accéder à la fonction publique sans passer par le dispositif des emplois réservés. Il s’agirait de passer, à partir d’un minimum d’ancienneté en tant que sapeur-pompier volontaire, des concours par la voie interne dans les trois fonctions publiques. Nous pensons que le statut des emplois réservés doit rester restreint à la liste actuellement en vigueur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Je ne suis pas certain que votre présentation soit l’exact reflet du contenu de votre amendement… Quoi qu’il en soit, j’émets un avis défavorable pour deux raisons. Tout d’abord, tout en partageant votre volonté de favoriser l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires, je pense que les autoriser à participer aux concours internes de la fonction publique, alors que nous voulons distinguer volontariat et statut de travailleur, serait un mauvais signal. Ensuite, vous proposez de revenir sur la durée d’engagement minimal ; alors que vous venez de gloser sur le fait qu’il ne fallait pas récompenser outre mesure un engagement par essence volontaire, votre proposition n’est guère cohérente avec ce point de vue.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL45 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision. L’article 4 permet à tous les sapeurs-pompiers volontaires de postuler aux emplois réservés de la fonction publique à titre non prioritaire. Actuellement, seuls les sapeurs-pompiers volontaires blessés en service y ont accès, à titre prioritaire en ce qui les concerne.

Cette disposition ne présente aucun coût supplémentaire et facilitera l’accès à l’emploi des sapeurs-pompiers volontaires et la conciliation entre leur vie professionnelle et leur engagement.

Le présent amendement vise à éviter tout risque d’abus en prévoyant une durée d’engagement minimale de cinq ans pour pouvoir candidater à ces emplois.

M. Fabien Matras. Encore une fois, l’idée est intéressante, mais je crois que ce n’est pas suffisamment encadré, même avec une durée de cinq ans ; il faudrait poser d’autres conditions. Ce sont des sujets évoqués dans la discussion que je mène avec la Fédération nationale des sapeurs-pompiers. Nous ne sommes pas encore assez avancés dans les travaux pour prendre une décision définitive.

M. Julien Aubert. Puisque vous parlez d autres conditions, monsieur Matras, quelles conditions devraient selon vous être incluses, et pourquoi ?

M. Fabien Matras. On pourrait par exemple réserver aux sous-officiers les concours d’accès aux grades de catégorie B et aux officiers ceux aux grades de catégorie A… Ce sont des discussions qu’il faut avoir avec les représentants des sapeurs-pompiers volontaires, mais également avec les syndicats de la fonction publique, qui ont aussi leur mot à dire sur ces questions.

M. Arnaud Viala, rapporteur. À ceci près que que ce que vous évoquez, monsieur Matras, ne relèvera pas de la loi, puisque c’est de niveau réglementaire…

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 4.

Après l’article 4

La Commission examine l’amendement CL8 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri. Cet amendement vise à généraliser le bénéfice des emplois publics réservés aux sapeurs-pompiers volontaires ayant au moins cinq années d’engagement – et non plus seulement à ceux qui ont été victimes d’un accident ou d’une maladie –, à l’instar des anciens militaires ayant accompli au moins quatre ans de service.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Je comprends parfaitement le sens de l’amendement mais nous avons un sujet de préoccupation sur le 2°, visant les « sapeurs-pompiers volontaires servant ou ayant servi en France à titre étranger ». Il n’existe pas à l’heure actuelle de condition de nationalité pour être sapeur-pompier, ni volontaire ni professionnel, et nous n’avons pas réussi à identifier les cas où un sapeur-pompier aurait exercé à l’étranger. Je vous demande de retirer votre amendement pour que nous y retravaillions ensemble.

L’amendement est retiré.

Article 5 (art. 2 de la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d’accident survenu ou de maladie contractée en service) : Extension de la couverture sociale des sapeurs-pompiers volontaires

La Commission est saisie de l’amendement CL46 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. L’article 5 garantit l’intégralité de la couverture des frais de santé liés au service pour les sapeurs-pompiers volontaires.

Cet amendement supprime l’article 19 de la loi du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires, en vertu duquel les sapeurs-pompiers volontaires, qu’ils soient fonctionnaires – titulaires ou stagiaires – ou militaires, bénéficient de la protection liée à leur emploi en cas d’accident survenu ou de maladie contractée dans leur service de sapeur-pompier.

Cette distinction entre les sapeurs-pompiers volontaires est importante : selon qu’ils sont salariés du secteur privé ou des collectivités publiques, leur couverture sociale n’est pas identique. Les salariés des collectivités publiques sont couverts par ces dernières lorsqu’ils ont un accident dans le cadre de leur mission de sapeur-pompier, non par le SDIS.

Mais cet article 19 prévoit également qu’un sapeur-pompier volontaire peut se tourner vers son SDIS pour être couvert.

Offrir un tel choix conduit à faire porter le risque financier lié aux frais de santé du sapeur-pompier volontaire à la fois sur le SDIS et sur son employeur. Si bien que l’employeur public, notamment dans de petites collectivités territoriales, est inquiet d’employer un sapeur-pompier volontaire et que le SDIS s’assure au cas où le sapeur-pompier volontaire se tournerait vers lui, ce qui entraîne une double couverture dans bien des cas.

La suppression de l’article 19 placerait l’ensemble des sapeurs-pompiers volontaires dans la même situation : ils seraient couverts par leur SDIS pour les frais de santé liés à leur service.

Lors des auditions, nous avons approfondi ce point avec les représentants des responsables des SDIS. Deux cas de figure coexistent : soit le SDIS est assuré, auquel cas l’assurance porte sur la totalité de son personnel sans distinction de statut ; soit il ne l’est pas, auquel cas le nombre de sapeurs-pompiers salariés des collectivités est très faible et le surcoût facilement absorbable par les SDIS.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 5.

Article 6 (art. 12 de la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers) : Bonification de trimestres de retraite

La Commission examine l’amendement CL48 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Cet amendement apporte une précision au dispositif qui octroie aux sapeurs-pompiers volontaires une bonification des cotisations pour la retraite à partir de quinze ans d’engagement. Les sapeurs-pompiers qui atteindraient quinze ans d’engagement bénéficieraient de trois trimestres, soit un an de cotisation supplémentaire, puis de deux trimestres supplémentaires pour chaque période de cinq ans. Un sapeur-pompier dont l’engagement durerait trente ans pourrait ainsi partir trois ans plus tôt à la retraite, ce qui nous semble tout à la fois mérité et raisonnable compte tenu de la lourdeur de l’engagement.

M. Fabien Matras. C’est une idée intéressante, et le Président de la République ainsi que M. Jean-Paul Delevoye, qui est en charge de la réforme des retraites, se sont prononcés en faveur de la prise en compte de l’engagement comme sapeur-pompier volontaire dans le nouveau système. Cette mesure va voir le jour, mais faut-il prévoir une bonification aujourd’hui, alors que la réforme des retraites est imminente ? Il est plus pertinent d’attendre la présentation de cette réforme et d’y intégrer ces avantages. Nous pourrions voter cette mesure aujourd’hui pour donner un signal, mais le temps qu’elle soit appliquée, la réforme des retraites sera présentée.

M. Éric Diard. Non, je ne crois pas !

M. Fabien Di Filippo. Permettez-moi de douter de la dernière affirmation de notre collègue : vu la situation, la réforme des retraites est très loin d’aboutir… Quoi qu’il en soit, il n’est pas simplement question de régler une situation liée à la directive « travail » de 2003 et à son interprétation par la CJUE, mais d’encourager le bénévolat et le volontariat. Il est urgent d’aider les petits centres de secours dans les petites communes – qui assurent une proximité permettant parfois de sauver des vies – à continuer de recruter.

Cette mesure va dans le bon sens, et j’ai rédigé une proposition de loi qui étendrait son champ d’application à l’ensemble des bénévoles reconnus dans différents dispositifs. Il n’est pas nécessaire d’attendre un, deux ou cinq ans un engagement hypothétique qui n’est pas tenu aujourd’hui. Si vous étiez d’accord là-dessus, votre engagement moral devrait vous amener à voter en votre âme et conscience et soutenir cette disposition.

M. Julien Aubert. L’argumentation de notre collègue Fabien Matras révèle un problème tenant à l’organisation de nos institutions. La loi est soit à l’initiative des parlementaires, soit à l’initiative du Gouvernement. Mais la part de l’initiative des parlementaires est résiduelle.

En filigrane, M. Fabien Matras laisse entendre que lorsque le Gouvernement réfléchit à un projet, le Parlement devrait s’abstenir de légiférer sur le même sujet car le moment est mal choisi. Or la démarche actuelle consiste à ouvrir tous les chantiers en même temps. Dès lors, à l’échelle d’un quinquennat, le Parlement ne doit consacrer sa part résiduelle de l’initiative des lois qu’aux sujets qui n’ont pas été abordés par le Gouvernement, ce qui, de facto, réduit les propositions de lois à des sujets tout à fait mineurs.

Autre argument : le Parlement serait bien inspiré de s’abstenir d’intervenir lorsqu’un sujet est débattu entre la Commission européenne et le Gouvernement pour ne pas fragiliser notre position à Bruxelles… C’est oublier le caractère politique que peut donner un Parlement : à travers lui, c’est la Nation française, qui est souveraine, qui émet un signal. Je pense que cela aide nos négociateurs, que cela peut montrer que le sujet n’est pas uniquement administratif et qu’il existe un consensus politique sur cette question, nonobstant la remarque du rapporteur sur l’effet boomerang d’une directive voulue par la France sur le statut des sapeurs-pompiers volontaires.

Pour que les journées réservées aient un intérêt, encore faut-il qu’elles ne soient pas réduites à la portion congrue, sinon il suffirait à un gouvernement de prendre la parole sur un sujet pour nous réduire au silence :

M. Fabien Matras. Ce n’est pas ce que j’ai dit : je maintiens que l’idée peut être intéressante, mais qu’elle devrait s’inscrire dans une réforme globale à venir. C’est ma conviction, non celle du Gouvernement, qui ne s’est du reste pas prononcé sur cette proposition de loi. Je pense que nous devrions attendre de discuter du texte consacré aux retraites pour discuter de la retraite des sapeurs-pompiers volontaires.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 6.

Chapitre II
Mesures structurelles pour faciliter l’exécution des missions

Article 7 (art. L. 441-1 du code de la construction et de l’habitation) : Accès aux logements sociaux

La Commission rejette l’article 7.

Article 8 (art. L. 1424-9 du code général des collectivités territoriales) : Dérogation à la correspondance grade-emploi

La Commission est saisie de l’amendement CL47 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Cet amendement restreint le champ de la dérogation à la correspondance entre les grades et les emplois prévue à l’article 8.

La réforme de 2012 a fait correspondre à chaque emploi un grade, et elle permet aux sapeurs-pompiers d’aligner leur grade sur la fonction qu’ils occupent sur une période courant jusqu’en 2020.

Permettre cette dérogation pour les non-officiers reviendrait à récompenser les SDIS qui n’ont pas joué le jeu de la réforme de 2012 et n’ont pas fait monter en grade leurs effectifs.

La dérogation reste en revanche pertinente pour les officiers, car les effectifs d’officier sont plus restreints, et certains SDIS éprouvent de réelles difficultés à disposer du nombre d’officiers suffisant pour pourvoir tous les emplois.

Mme Valérie Lacroute. De nombreux SDIS sont effectivement confrontés à des difficultés pour confier certaines fonctions à des sapeurs-pompiers professionnels officiers, du fait de la carence d’effectifs pour certains grades. Cette situation résulte d’une révision récente des correspondances entre les grades et les fonctions, et de la fin de la période transitoire de sept ans. Les décrets récemment adoptés ne permettent pas de résoudre les problèmes rencontrés.

Le législateur peut cependant agir pour prévoir des dérogations à l’exigence de correspondance entre la fonction et le grade. Deux conditions cumulatives sont nécessaires pour ne pas affecter le bon fonctionnement du service des sapeurs-pompiers professionnels. Sans entrer dans le détail, cet article ouvre au président du conseil d’administration du SDIS et à l’autorité compétente de l’État la possibilité de nommer à un certain emploi un sapeur-pompier professionnel d’un autre grade, dès lors que la formation nécessaire a été reçue, afin de pallier les manques d’effectif.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 8.

Article 9 (art. L. 6153-1-1 [nouveau]) : Stage d’étudiants en médecine au sein des SDIS

La Commission est saisie de l’amendement CL51.

M. Arnaud Viala, rapporteur. L’article 9 étend la possibilité d’effectuer des stages dans des SDIS pouvant être comptabilisés comme des stages obligatoires à tous les étudiants en santé.

Cette possibilité doit être ouverte au-delà des seuls étudiants en médecine car d’autres professions peuvent être utiles aux services de santé et de secours médical. L’amendement CL51 mentionne donc l’ensemble des étudiants en santé tels qu’ils sont définis à l’article L. 6153-1 du code de la santé publique, à savoir les étudiants en médecine, odontologie, maïeutique et pharmacie.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL52 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Cet amendement adapte le dispositif au fonctionnement des études de médecine. Nous avons consulté le président de la conférence des doyens des facultés de médecine ; il a jugé l’idée très intéressante, mais nous a signalé que le stage ne pouvait pas durer six mois. Je propose donc de ne pas prévoir de durée, afin de laisser plus de souplesse à ce dispositif dont nous fixons ici uniquement le principe.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 9.

Après l’article 9

La Commission examine en discussion commune les amendements CL36 de M. Julien Aubert, CL13 de M. Éric Pauget, et CL1 de M. Rémi Delatte.

M. Julien Aubert. Mon amendement CL36 tend à exonérer les SDIS de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Les SDIS sont redevables de plein droit de cette taxe alors que la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 rend possible une exonération partielle pour certaines utilisations, notamment les ambulances.

En zone rurale, faute de prestataires privés, les sapeurs-pompiers prennent en charge le transport sanitaire dit « non urgent ». Le remboursement aux SDIS des frais d’intervention s’effectue sur la base d’un forfait dont le montant est très éloigné du coût réel de la prestation, ce qui affecte évidemment l’équilibre financier des SDIS.

M. Éric Pauget. Je propose également par mon amendement CL13 d’exonérer les SDIS de la TICPE, à l’instar d’un certain nombre de professions. Je rappelle que les marins-pêcheurs, par exemple, bénéficient de cette exonération. Un certain nombre de professions bénéficient d’un taux réduit, notamment dans le domaine de l’agriculture. Les navires, autres que ceux de loisirs et de plaisance, bénéficient aussi de cette exonération, de même que les avions.

Au vu des contraintes financières et budgétaires qui pèsent sur les SDIS et de leurs missions de secours républicain, cette exonération est justifiée, d’autant qu’elle permettrait de dégager des marges de manœuvre pouvant être investies dans la mise à niveau du parc de véhicules.

M. Rémi Delatte. Mon amendement CL1 prévoit également d’exonérer de TICPE le carburant utilisé par les SDIS, au même titre que les ambulances et les véhicules militaires. Ce serait une manière efficace de soutenir les capacités d’investissement de nos services départementaux d’incendie et de secours. Les volumes concernés sont importants, ces véhicules consomment beaucoup et eu égard à l’importance des missions confiées à nos sapeurs pompiers, il paraît juste d’accorder cette exonération.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Notre groupe a proposé à plusieurs reprises cette exonération, et à chaque fois le Gouvernement se cache derrière le droit européen ou d’autres arguments. Pourtant le carburant utilisé par les forces armées est exonéré de TICPE au moyen d’un remboursement. L’article 5 de la directive autorise aussi des dérogations pour les transports publics locaux. On ne voit donc pas du tout pourquoi les SDIS ne pourraient pas en bénéficier.

Cette exonération est d’autant plus urgente que la TICPE augmente régulièrement, ce qui grève les budgets des SDIS, et indirectement les finances des départements. En somme, ce sont les contribuables des départements qui vont, une fois de plus, payer pour des décisions de l’État. Avis favorable à ces amendements.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL32 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. En octobre 2017, un amendement, que j’avais déposé et qui a été sous-amendé à l’initiative de M. Fabien Matras, a été adopté à l'unanimité dans le cadre de l’examen de la loi de finances. Il a prévu la gratuité des péages pour « les véhicules d’intérêt général prioritaires » du SAMU, de la gendarmerie, de la police et des pompiers. Dix-huit mois après son vote, le décret d'application de cette mesure n’a toujours pas vu le jour. Nous sommes confrontés à un véritable scandale qui traduit un mépris profond du Parlement et affaiblit la valeur normative de la loi, expression de la volonté générale.

J’ai entendu dire que cela ne relevait pas de la compétence du Gouvernement. Au contraire, cela relève de la capacité du Gouvernement à faire respecter la loi. Seul le Gouvernement, aujourd’hui, peut faire respecter la loi aux concessionnaires d’autoroutes qui refusent de le faire.

Ce scandale, je le répète, affaiblit le Parlement, humilie les parlementaires, et démontre la faiblesse du Gouvernement à l’égard des intérêts financiers. Il traduit le manque de respect pour nos grands services publics : policiers, gendarmes et pompiers qui accomplissent une mission d’intérêt général reconnue systématiquement sitôt qu’un drame se produit. Mais lorsqu’il s’agit de témoigner de la considération, la détermination s’amoindrit. De grands groupes financiers ont tiré des profits considérables de la privatisation des concessions autoroutières et refusent aujourd’hui le moindre effort en faveur de nos sapeurs-pompiers. Nous ne pouvons l’accepter.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Je souscris entièrement à la demande d’Éric Ciotti. Il est ahurissant qu’une disposition adoptée par le législateur il y a dix-huit mois ne soit toujours pas suivie d’effets, surtout qu’elle était le fruit d’un compromis avec la majorité.

La demande adressée au Gouvernement de remettre un rapport est très pertinente : ce n’est certes qu’un pis-aller, mais cela va permettre de faire la lumière sur la situation et au Gouvernement d’expliquer ce qu’il a réellement demandé aux concessionnaires d’autoroutes. Il permettra aussi à la majorité d’obtenir des réponses sur ce point, puisqu’elle avait voté ces dispositions et devrait, autant que nous, se demander pourquoi elles ne sont pas appliquées. Avis favorable.

M. Fabien Matras. Analysons la question en droit. Nous avons voté la gratuité des péages pour les véhicules d’urgence prioritaires en intervention. Mais les concessions d’autoroutes, signées en 2003 sous une majorité différente, prévoient des compensations dans ce cas. L’État pourrait imposer cette gratuité, mais les sociétés d’autoroutes menacent alors de faire un recours et d’exercer les voies de droit à leur disposition. C’est pourquoi j’avais proposé la cosignature d’une tribune, publiée dans Le Monde, et je remercie encore les nombreux députés Les Républicains qui l’ont signée.

Il ne faut pas se tromper de cible : le problème ne vient pas du Gouvernement, qui est confronté à une difficulté légale car les concessions prévoient des compensations financières. En votant la gratuité, nous ne voulions pas que l’État paye à la place des départements…

Les sociétés d’autoroutes doivent jouer le jeu et faire preuve d’un minimum de civisme en s’abstenant de brandir la menace d’un recours devant le Conseil d’État. C’était le sens de la tribune publiée dans Le Monde, que vous avez été nombreux à signer. Je regrette aujourd’hui qu’au sein de cette commission, on en revienne à imputer la responsabilité au Gouvernement plutôt qu’aux sociétés d’autoroutes. D’un point de vue juridique, il est clair que le blocage vient des sociétés d’autoroutes.

Mme Valérie Lacroute. Qu’il s’agisse de l’amendement sur la TICPE ou de la gratuité des péages, nous voyons que la discussion porte sur des aspects budgétaires, et sur les transports. Le projet de loi d’orientation des mobilités, actuellement en discussion au Sénat, viendra dans quelques semaines devant l’Assemblée nationale. Nous pouvons espérer que ces deux dispositions, qui ne seront malheureusement pas votées aujourd’hui, pourront y trouver leur place.

Leur mise en œuvre relève du Gouvernement, et particulièrement de la ministre des transports. Monsieur Matras, vous évoquiez la possibilité d’un recours de la part des sociétés d’autoroutes ; je pense que la discussion se situe au niveau de la ministre des transports, qui entretient des relations fréquentes avec ces sociétés. Elle peut revenir sur la question des péages dans le cadre plus global de ces échanges.

La loi d’orientation des mobilités sera bientôt débattue à l’Assemblée nationale, et les députés Les Républicains reviendront sur ces questions. J’invite le Gouvernement à accepter les amendements qui permettront d’exonérer de TICPE les sapeurs-pompiers et de mettre en œuvre concrètement la gratuité des péages pour les SDIS.

M. Julien Aubert. Pour une fois, je rejoins M. Fabien Matras : nous avons conclu des accords avec les sociétés concessionnaires des autoroutes extrêmement avantageux, bétonnés juridiquement, et du coup créé un État dans l’État. Après quatre ou cinq ans, l’emprunt que ces sociétés avaient contracté pour acheter ces concessions a été remboursé, elles sont désormais assises sur une rente et s’abritent derrière ces contrats pour exciper différents arguments. La majorité précédente avait tenté de rectifier le tir, elle s’était cassé les dents, je ne vous jette donc pas la pierre.

J’observe néanmoins que pendant la crise des gilets jaunes, la gratuité s’est installée parfois et nous sommes arrivés à faire reculer les sociétés d’autoroutes lorsqu’elles ont eu la très bonne idée de prétendre qu’elles allaient rattraper le montant perdu. C’est la preuve que lorsque la pression est suffisamment importante, elles comprennent vite où est leur intérêt.

Je rappelle par ailleurs que vous êtes en train de négocier la privatisation d’Aéroport de Paris (ADP), que nous avons combattue, dossier dans lequel certains concessionnaires d’autoroutes sont quémandeurs. Peut-être qu’en plus du rapport demandé par Éric Ciotti, qui serait un excellent signal pour montrer que nous ne rigolons pas sur la question de la gratuité, nous pourrions ouvrir un débat sur l’avenir de ces concessions : faudrait-il en raccourcir la durée si les sociétés concessionnaires ne comprennent pas que pour un motif d’intérêt général, elles devraient gagner un petit peu moins ? Ce sacrifice ne remettrait pourtant nullement en cause leur équilibre financier, et montrerait qu’il n’y a pas un État dans l’État en France.

M. Rémy Rebeyrotte. Je rejoins M. Aubert lorsqu’il a la dent dure à l’égard des conditions de concession qui ont été faites à l’époque. Nous sommes nombreux à partager ce point de vue, et cette expérience doit nous instruire en vue des futurs contrats de concession. Il faudra vraiment que nous fassions attention à la dimension « intérêt général » dans les futurs contrats de concession. Lorsque cette dimension n’est pas suffisamment prise en compte, il est extrêmement difficile de revenir en arrière sur des contrats aussi bétonnés et extrêmement bien calibrés, car ces sociétés savent s’entourer des meilleurs experts du droit. Cette situation doit nous pousser à être extrêmement vigilants pour l’avenir.

M. Paul Molac. Je ne suis pas sûr que notre acte de contrition intéresse véritablement nos concitoyens. Ils vont nous dire que tout cela, c’est de l’histoire, et que nous devons maintenant assumer les erreurs passées et faire revenir dans l’ordre normal des choses cette situation qui leur semble incompréhensible.

Nous sommes tout de même face au capitalisme aux dents longues : les sociétés d’autoroutes ne veulent même pas comprendre que le secours à personnes suppose de leur part un petit effort. Vu les bénéfices substantiels et juteux qu’elles font – de l’ordre de 20 %, je ne sais pas quelle autre entreprise peut se targuer de tels résultats, s’il s’agissait d’un prêt on parlerait d’usure... je trouve passablement écœurant de les voir pleurer de la sorte.

M. Éric Ciotti. Toutes les interventions vont dans le même sens : nous devons émettre un signal. La Cour des comptes assimile la situation des sociétés concessionnaires des autoroutes à une rente. C’est une question parfaitement symbolique : nous parlons de 15 millions d’euros à la charge des services d’urgence alors que les sociétés en question réalisent quelque 3 milliards de bénéfices annuels dans la plus grande opacité ! Au-delà de leur contrat, ces concessionnaires ne font même pas le geste de comprendre à quel point leur comportement est immoral. La tribune de M. Fabien Matras était très bien, mais il faut selon moi aller au-delà. Cette demande de rapport n’est qu’une légère marque de rébellion du Parlement face à cette inaction. Il appartiendra ensuite au Gouvernement de faire son travail et j’imagine qu’il s’y emploie malgré les difficultés juridiques. Mais mettons-nous au moins d’accord pour envoyer ce message : nous voulons que la loi que nous avons votée à l’unanimité s’applique d’ici à la fin de l’année et que ceux qui sont chargés de son application rendent des comptes. Ce n’est tout de même pas un acte d’opposition frontale au Gouvernement !

M. Arnaud Viala, rapporteur. J’ajoute, pour conclure, qu’il faut considérer ce rapport comme une aide apportée au Gouvernement afin de faire entendre cette voix. Le simple fait que ce débat ait lieu, ce dont je me réjouis, alertera non seulement nos concitoyens mais aussi les sociétés autoroutières quant au caractère inadmissible de leur volonté de refuser la gratuité du passage des véhicules de secours. Je ne comprendrais pas que nous ne votions pas à l’unanimité en faveur de la remise de ce rapport.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie pour vos interventions ; vous avez tous raison. Au-delà de la demande de rapport, nous devons nous saisir de cette question. J’interrogerai le Gouvernement pour savoir où en sont ses négociations avec les sociétés autoroutières ; nous pourrions également les convoquer pour qu’elles viennent s’expliquer devant nous. En tout état de cause, nous ne pouvons pas nous désintéresser de l’application des lois que nous votons, a fortiori lorsqu’elles sont adoptées à l’unanimité. Je m’engage à revenir vers vous pour vous indiquer ce que la commission des Lois peut faire en la matière.

M. Fabien Matras. Nous vous remercions pour votre initiative, madame la présidente. Nous ne voterons donc pas en faveur du rapport, mais nous attendons avec impatience de pouvoir auditionner les sociétés autoroutières ici même.

La Commission rejette l’amendement.

Article 10 (art. 433-5 du code pénal) : Sanction des outrages adressés aux sapeurs-pompiers

La Commission examine l’amendement CL4 de M. Rémi Delatte.

M. Rémi Delatte. L’article 10 vise à étendre le délit d’outrage aux menaces et écrits portant atteinte à la dignité des sapeurs-pompiers. En l’état du droit, la qualification du délit d’outrage est liée au fait que ces atteintes ne sont pas rendues publiques. Dès qu’elles le sont, d’une manière ou d’une autre et quelle qu’en soit l’ampleur, elles relèvent alors du régime applicable à l’injure publique qui est beaucoup moins sévère et ne permet pas d’adopter certaines mesures procédurales comme la comparution immédiate, par exemple.

C’est pourquoi mon amendement CL4 vise à étendre la qualification d’outrage indépendamment de son caractère public ou non. Je ne vous cache pas que cette mesure prendrait un relief particulier en cette période troublée et enverrait un signal fort aux pompiers et, plus largement, à toutes les personnes dépositaires de l’autorité publique.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Avis favorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements identiques CL49 du rapporteur et CL40 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier.

M. Arnaud Viala, rapporteur. L’amendement CL49 vise à intégrer dans ce texte la proposition de loi de M. Patrick Kanner relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, qui a été adoptée par le Sénat le 6 mars dernier et qui a été transmise le lendemain à l’Assemblée nationale.

L’objectif initial consistait à permettre aux sapeurs-pompiers de porter plainte anonymement, car ils font parfois l’objet de menaces dans les quartiers où ils interviennent. Nous y sommes naturellement très favorables mais le Sénat est d’avis que ce dispositif présente des difficultés d’ordre constitutionnel et conventionnel.

Dans sa rédaction issue du Sénat, la proposition de loi ouvre la possibilité aux témoins d’une infraction commise sur un sapeur-pompier de garder l’anonymat lors de son audition et dans le dossier de procédure. C’est une avancée qui nous semble essentielle. Nous gagnerions beaucoup de temps en l’adoptant.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. L’amendement CL40 est identique ; il vise à étendre aux sapeurs-pompiers l’anonymisation des plaintes, déjà prévue pour les policiers et les gendarmes.

M. Éric Diard. L’anonymisation des plaintes est une bonne chose : elle permettrait de mettre fin aux abus de ces voyous qui font la loi dans certains quartiers difficiles et aux côtés desquels les sapeurs-pompiers doivent hélas intervenir. Cette mesure serait un pas dans la bonne direction.

M. Julien Aubert. Je constate qu’au fil de l’examen des derniers amendements, la majorité est devenue bien silencieuse… Je regrette que nous passions à côté du débat, d’autant plus que je pressens la présentation d’une motion de renvoi dans l’hémicycle, qui empêchera toute discussion intéressante sur le fond. Il serait donc préférable que nous puissions l’avoir en commission, en particulier sur la question de l’anonymat. D’excellents amendements ont été proposés tout à l’heure ; ils ont été rejetés en bloc. Ceux-ci n’affectent ni la réforme des retraites ni celle de la fonction publique. C’est une mesure de bon sens : l’anonymisation des témoins permettrait de mieux protéger les sapeurs-pompiers.

M. Fabien Matras. Je ne suis pas silencieux, cher collègue. L’anonymisation peut effectivement être une bonne solution, peut-être même plus efficace que le durcissement des peines sanctionnant les agressions commises à l’encontre des sapeurs-pompiers. Ma seule interrogation – je n’ai pas encore la réponse – porte sur la constitutionnalité de cette mesure. Le droit de la défense suppose qu’un plaignant puisse connaître l’identité de son agresseur. La commission des Lois doit avoir ce débat, y compris avec le ministère de la justice, pour trouver une solution.

Évitons les caricatures : tous les membres de cette Assemblée et toutes les majorités précédentes ont essayé de régler le problème des agressions de sapeurs-pompiers et adopté plusieurs textes à ces fins sans toujours y parvenir. La volonté est donc unanime. Je crois cependant que nous ne sommes pas prêts à voter une telle mesure dont je crains qu’elle ne passe pas le filtre du Conseil constitutionnel.

M. Julien Aubert. Elle n’aura aucune chance de le passer si nous ne l’adoptons pas…

M. Raphaël Schellenberger. Au fond, ou bien nous discutons de sujets déjà examinés ailleurs et nous n’avons donc pas de légitimité pour le faire, ou bien il faudrait en discuter davantage, mais le moment n’est pas venu de le faire… C’est invraisemblable ! M. Fabien Matras vient de nous demander de nous saisir de ce sujet au sein de la commission des Lois : c’est ce que nous faisons ! Allons-y, prenons ce risque ! La mesure risque d’être anticonstitutionnelle ? Contraire aux droits de la défense ? Peut-être. Discutons-en, prenons même un risque juridique et politique en adoptant ce texte. Si la majorité estime que c’est trop risqué pour elle, elle n’aura qu’à déposer un recours auprès du Conseil constitutionnel pour obtenir une réponse ferme et définitive ; nous serons alors fixés. Allons-y : votons ce texte !

M. Stéphane Peu. Je souscris à ces remarques ; j’observe que si ce risque d’inconstitutionnalité avait été invoqué au titre de la loi dite anti-casseurs, celle-ci n’aurait pas été examinée, et finalement le Président de la République l’a déférée devant le Conseil constitutionnel. L’argument ne saurait valoir dans un sens sans valoir dans l’autre ! Il ne nous appartient ni de préjuger ni de présager de la décision du Conseil. J’ai moi-même défendu avec plusieurs collègues notre cause auprès du Conseil sur la loi relative à la justice, dont plusieurs articles ont été censurés. Je n’ai pas entendu la majorité refuser de s’aventurer dans tel ou tel article en raison du risque de censure, qui s’est pourtant avéré la semaine dernière !

Mme Valérie Lacroute. Au-delà des aspects juridiques, rappelons les chiffres : les agressions visant les pompiers ont connu une augmentation de plus de 44 % entre 2015 et 2018. Il ne vous a d’ailleurs pas échappé que la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France a lancé en janvier 2018 une campagne intitulée « Touche pas à mon pompier » afin que chaque citoyen puisse témoigner de sa solidarité et de son soutien à l’égard des pompiers. Ces agressions ne se produisent pas seulement dans les quartiers sensibles éligibles à la politique de la ville mais un peu partout sur le territoire. Il me semble important que l’État et notre commission prennent pleinement conscience de cette situation et que la réaction soit immédiate, grâce à cet amendement et, tout simplement, à cette proposition de loi.

M. Fabien Matras. Votre proposition est intéressante mais elle mérite d’être étudiée davantage. Je ne vous dis pas qu’il ne faut pas en discuter, bien au contraire : c’est ce que nous faisons. Vous avez-vous-même résumé le problème : faut-il ou non prendre le risque ? À mon sens, mieux vaut poursuivre la concertation et trouver une solution dont nous serons sûrs qu’elle passera le filtre du Conseil constitutionnel ou d’une éventuelle question prioritaire de constitutionnalité que prendre un risque en adoptant un texte qui ne servira finalement à rien parce qu’il aura été censuré. Un groupe d’études sur les sapeurs-pompiers volontaires a été créé ; tous les groupes politiques y sont représentés. La question des violences commises à l’égard des sapeurs-pompiers mérite d’y être traitée. Je suis d’accord sur l’urgence, mais sommes-nous à deux ou trois mois près pour trouver une solution sûre pouvant être appliquée directement ? Je n’en suis pas certain.

Mme Valérie Lacroute. Il ne s’agit pas de trois mois, mais de bien plus !

M. Arnaud Viala, rapporteur. En effet, il n’appartient pas au Parlement de se substituer au Conseil constitutionnel – à moins que la majorité ne nourrisse le désir de le supprimer lui aussi pour en confier les missions à l’Assemblée nationale, auquel cas nous deviendrions nos propres censeurs.

J’ajoute, monsieur Matras, que vous avez induit la commission en erreur : nous ne discutons pas de l’anonymisation des plaintes, mais de l’anonymisation des témoins. Le Sénat, dont on ne peut guère supposer que les travaux ne sont ni sérieux ni juridiquement étayés, a jugé que l’anonymisation des plaintes pouvait constituer un élément de fragilité mais que celle des témoins, en revanche, ne l’était pas. Les amendements que nous examinons en ce moment visent donc à entériner la mesure adoptée par le Sénat, à savoir l’anonymisation des témoins d’actes commis à l’égard de sapeurs-pompiers. Ne nous trompons pas de débat. Nous viendrons dans un instant aux amendements que d’autres députés ont déposés pour aller plus loin et anonymiser les plaintes ; mais pour l’heure, nous débattons de l’anonymisation des témoins.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle rejette l’article 10.

Après l’article 10

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL23 de Mme Laurence Trastour-Isnart et les amendements CL34 et CL33 de M. Éric Ciotti.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Nous assistons depuis plusieurs années à une recrudescence des agressions de sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Pour l’année 2018, le ministère de l’intérieur a fait état de 153 jets de projectiles, 346 agressions simples et 66 agressions avec arme à l’encontre des sapeurs-pompiers. Le département des Alpes-Maritimes n’est hélas pas épargné par ce fléau puisqu’il a connu l’an dernier une hausse de 42 % de ces violences. Ces agressions sont tout simplement inacceptables. Elles visent des femmes et des hommes dont la mission est de secourir, de protéger et de sauver des vies. En les agressant, ce n’est pas seulement leur vie que l’on met en danger mais aussi celle des victimes prises en charge.

Il convient donc de prendre des mesures fermes et répressives à l’encontre de ces agresseurs. Il faut inscrire dans la loi des indications claires quant à la volonté du législateur de ne plus les tolérer. C’est pourquoi l’amendement CL23 vise à rétablir un système de peines minimales de privation de liberté en cas de crime ou de délit puni de plus de cinq ans d’emprisonnement lorsqu’il a été commis à l’encontre de sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires. Il reprend partiellement le dispositif de la loi de 2007 sur les peines plancher en le recentrant sur les agressions des sapeurs-pompiers. Il vise également à aller plus loin en appliquant les seuils dès la première comparution, et non plus seulement en cas de récidive, et en prévoyant en matière criminelle des peines minimales plus élevées qu’en 2007. Toutefois, pour respecter le principe de l’individualisation des peines, il est suggéré de laisser une marge d’appréciation au juge.

M. Éric Ciotti. Mon amendement CL34 s’inscrit dans le même esprit : nous devons affirmer dans la loi une volonté générale de sanctionner plus et mieux ceux qui portent atteinte à l’autorité publique, à l’intégrité physique d’un policier, d’un gendarme ou d’un pompier – en clair, de quiconque porte un uniforme de la République et, de ce fait, est dépositaire d’une parcelle de l’autorité publique. Porter atteinte à un uniforme, c’est porter atteinte à la République tout entière. Si nous connaissons, dans certains territoires de la République, les dérives actuelles et l’explosion de violences qui, hélas, augmentent depuis de trop nombreuses années, c’est sans doute parce que nous n’avons pas su y donner un coup d’arrêt. Le premier coup d’arrêt à donner consisterait à faire respecter ceux qui sont chargés de faire respecter la loi. Nous devons être extrêmement fermes et déterminés pour protéger ceux qui nous protègent. Tel est l’esprit de cet amendement qui rétablit des peines plancher pour les crimes et délits commis à l’encontre des policiers, des gendarmes et des sapeurs-pompiers.

M. Arnaud Viala, rapporteur. J’émets un avis favorable au rétablissement de peines plancher en cas de crimes commis à l’encontre de sapeurs-pompiers et de personnes dépositaires de l’autorité publique. Il va de soi qu’il est indispensable d’affirmer la spécificité de ces infractions qui doivent être sanctionnées avec plus de sévérité. J’ajoute que dans le contexte que nous connaissons depuis plusieurs semaines, je ne peux qu’encourager les commissaires aux lois à adopter ces amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Pouvons-nous considérer que votre amendement CL33 est défendu, monsieur Ciotti ?

M. Éric Ciotti. C’est un amendement de repli, qui ne concerne plus que les sapeurs-pompiers. Je regrette sincèrement que la majorité refuse systématiquement tous les actes concrets qui vont dans le sens d’une meilleure protection des policiers et des gendarmes. La violence augmente depuis plusieurs mois. Or, dès que nous proposons une mesure visant à mieux protéger ceux qui portent l’uniforme de la République et, ce faisant, à leur signifier notre respect, notre reconnaissance et notre considération, la majorité s’y oppose. Nos concitoyens devront mesurer et apprécier en toute clarté que la majorité En Marche s’oppose à mieux protéger les pompiers, les policiers et les gendarmes !

M. Rémy Rebeyrotte. Tout ce qui est excessif est insignifiant.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Avis favorable.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CL14 de M. Éric Pauget.

M. Éric Pauget. Dans le prolongement de ce qui vient d’être dit, je rappellerai à mon tour quelques chiffres : les Alpes-Maritimes ont connu en 2017 et 2018 une hausse de 42 % des agressions commises à l’encontre des pompiers. La succession des samedis montre malheureusement que ces acteurs du secours républicain sont constamment et de plus en plus souvent agressés. Pour remédier à cet état de fait, le présent amendement tend à accroître le quantum de peines visées par des circonstances aggravantes. Surtout, il intègre une catégorie de sapeurs-pompiers trop souvent oubliée, celle des sapeurs-pompiers militaires, qui s’ajoute à Marseille et à Paris à celles des professionnels et des volontaires.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Avis favorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL39 de M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert. Cet amendement sera l’occasion d’avoir le débat que M. Fabien Matras a évoqué tout à l’heure, puisqu’il a fusionné l’anonymisation des témoins avec ce dont il est question ici, à savoir l’anonymisation du sapeur-pompier lorsqu’il dépose plainte. Cette anonymisation ne serait pas automatique : elle ferait l’objet d’une autorisation nominative délivrée par le procureur de la République ou par le juge d’instruction statuant par une décision motivée sur proposition d’un responsable hiérarchique de niveau suffisant, défini par décret. L’agent concerné pourrait ainsi être identifié par un numéro d’immatriculation administrative.

À titre préventif et pour parer à d’éventuels arguments, je souligne que lors d’une confrontation faisant suite au dépôt d’une plainte, la victime se retrouve face à son agresseur et le policier décline son nom, son prénom et son adresse. Or on n’a pas forcément envie de s’exposer à d’éventuelles représailles, notamment dans certains quartiers. D’où l’intérêt de l’anonymat.

Se pose ensuite la question constitutionnelle. On nous a dit que nous ne pouvions en débattre en raison du rôle de la commission, parce que le Gouvernement y réfléchit ou à cause d’un risque de sanction par le Conseil constitutionnel. Je ne plussoie pas cet argument pour la simple et bonne raison que refuser de voter la loi par peur de la sanction du Conseil constitutionnel revient à refuser de jouer un match de football par peur de l’arbitre – ou à commettre un suicide par peur de la mort, comme le disait Bismarck à sa manière. C’est en effet un suicide législatif puisque l’épée de Damoclès du Conseil constitutionnel pèse toujours au-dessus de la tête du législateur : si nous n’attendons même plus la sanction pour nous censurer nous-mêmes, c’est de l’autocensure et nous ne saurons finalement jamais si la mesure en question est constitutionnelle ou pas.

M. Arnaud Viala, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat par anticipation ; avis favorable.

M. Fabien Matras. Je réitère quant à moi la position que j’ai déjà exprimée tout à l’heure – dans un mauvais français, sans doute. Je me répète donc : je ne prétends pas qu’il ne faille pas débattre de la mesure au motif qu’elle est anticonstitutionnelle, bien au contraire : il faut en débattre.

M. Éric Ciotti. Voilà la différence entre vous et nous : vous, vous parlez, nous, nous agissons !

M. Fabien Matras. Il existe toutefois une différence entre débattre et voter. En ce moment, nous débattons ; tout à l’heure, peut-être nous opposerons-nous à votre proposition.

M. Éric Diard. Ce n’est jamais réciproque !

M. Fabien Matras. J’espère que le groupe Les Républicains se ralliera à ma proposition de tenir un débat élargi au sein d’un groupe d’études dans lequel tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale sont représentés. Je ne souhaite pas que vous meniez votre concertation dans votre coin pour ensuite nous présenter vos solutions et, si nous ne les adoptons pas, nous reprocher de refuser la discussion.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je signale que cela fait deux heures et demie que nous débattons de ce texte. Prétendre que nous ne discutons pas de ces dispositions est d’une mauvaise foi absolue !

M. Arnaud Viala, rapporteur. Le groupe majoritaire encourage souvent les groupes d’opposition, monsieur Matras, à apporter leur soutien aux textes par un vote favorable à l’issue des débats, en commission comme en séance publique ; souffrez que nous fassions de même. Par ailleurs, je trouve ahurissant d’entendre un responsable de la majorité nous dire que le débat doit désormais avoir lieu dans le cadre des groupes d’études ! Je n’ai rien contre ces instances mais elles ne se substitueront jamais aux commissions permanentes de l’Assemblée nationale ni aux travaux en séance publique.

M. Julien Aubert. Ne coupons pas le débat alors qu’il débute ! M. Fabien Matras craint le risque d’anticonstitutionnalité. Sur la base de quelle décision du Conseil constitutionnel et de quel principe juridique inscrit dans la Constitution a-t-il cette certitude ?

M. Fabien Matras. Sur la base des droits de la défense.

M. Julien Aubert. D’autre part, je vous rappelle, chers collègues, qu’en novembre 2018, ce Parlement n’a pas hésité à s’opposer au Gouvernement en votant pour l’anonymisation des officiers de police recevant les plaintes : c’est la preuve que nous sommes parfois capables de nous écarter de la voie indiquée par l’Exécutif.

Enfin, le débat doit se poursuivre, nous dit-on. Je sais que le mot est à la mode, mais permettez-moi une fois de plus de vous rafraîchir la mémoire : le 4 décembre 2017, M. Gérard Collomb, alors ministre de l’intérieur de La République en Marche, s’était déclaré favorable à l’anonymisation du dépôt de plainte par des sapeurs-pompiers. Nous sommes en mars 2019 : je ne peux pas croire qu’en deux ans, vous n’ayez pas progressé sur ce point. Ou alors, discutons-en et expliquez-nous pourquoi c’est impossible ! J’ai compris le principe juridique que vous avez soulevé, mais des exceptions sont parfaitement possibles au nom de l’intérêt général. En l’occurrence, il me semble possible d’invoquer un motif d’intérêt général.

M. Rémy Rebeyrotte. Cette institution rencontre parfois des problèmes de méthode. Je m’explique : un groupe d’études est créé pour mener un travail de fond en associant les différents groupes politiques de l’Assemblée ; en l’espèce, c’est la première fois qu’il se crée un groupe d’études sur les sapeurs-pompiers volontaires. La logique voudrait que l’on laisse travailler le groupe d’études, qu’il formule des propositions – sur lesquelles nous serions d’accord ou non – et que nous élaborions nos textes à partir de ce travail. Ce n’est pas la première fois que ce problème se pose : lorsqu’un groupe est créé pour travailler sur un sujet, nous avons tendance à nous saisir en cours de route de textes qui portent sur le même sujet, et il nous faut alors demander que l’on laisse le groupe de travail, puisqu’il existe, travailler avant que nous ne tranchions…

M. Pierre Cordier. Cela fait deux ans qu’il travaille !

M. Rémy Rebeyrotte. Cette logique semble imperturbable : nous pourrions peut-être même nous mettre d’accord sur l’intérêt qu’il y aurait à étudier le sujet dans un premier temps pour, ensuite, formuler des propositions et, dans un troisième temps, voter.

M. Julien Aubert. C’est ce qu’on appelle des études longues…

M. Rémy Rebeyrotte. Non, au contraire, cette maison se caractérise par une certaine efficacité – comme d’autres, d’ailleurs : je souligne souvent la qualité du travail effectué par le Sénat dans le cadre des études préalables. Appuyons-nous sur ces travaux pour délibérer dans de bonnes conditions ! C’est ce que propose M. Fabien Matras ; il me semble que cela peut aboutir à un certain consensus !

M. Arnaud Viala, rapporteur. Dans ce cas, monsieur Rebeyrotte, mieux vaudrait voter l’allongement des mandats présidentiel et législatif à trente ou quarante ans afin de laisser une chance aux mesures d’aboutir au cours d’une même législature !

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je précise, chers collègues, que nous venons de consacrer deux heures et demie à ce texte, qu’il nous reste quelques amendements à examiner puis une proposition de loi de M. Pierre Cordier que j’aurais souhaité examiner ce matin et, enfin, deux textes sur la Polynésie dont chacun connaît l’importance. Je ne crois pas que nous ayons bâclé les débats relatifs à cette proposition de loi, et je vous invite désormais à accélérer un peu.

Article 11 (art. L. 33-1 du code des postes et des communications électroniques) : Utilisation du 112 comme numéro unique d’urgence

La Commission examine l’amendement CL50 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. L’article 11 a trait au numéro unique pour les appels d’urgence. L’amendement vise à définir les conditions dans lesquelles le traitement du numéro unique d’urgence sera mis en œuvre. À l’issue des auditions que nous avons menées avec Valérie Lacroute, il nous a semblé préférable que le traitement des appels se fasse au niveau des plateformes départementales associant les sapeurs-pompiers et les membres des autres services de secours, comme le Samu, que certains SDIS ont déjà mis en place avec succès. Il nous semble important que cela soit pris en compte dans la rédaction du décret en Conseil d’État, qui organisera la mise en œuvre progressive du numéro unique.

M. Raphaël Schellenberger. Ce sujet est trop important pour ne pas en discuter et laisser passer les propos cyniques de M. Rémy Rebeyrotte…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Schellenberger, votre intervention ne concerne pas l’amendement CL50 !

M. Raphaël Schellenberger. Nous avons droit à deux minutes !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Pour discuter des amendements !

M. Raphaël Schellenberger. Vous ne pouvez pas avoir une façon de donner la parole à la majorité et une autre pour l’opposition ! C’est scandaleux !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL53 du rapporteur.

M. Arnaud Viala, rapporteur. L’amendement CL53 vise à différer au 1er janvier 2020 l’entrée en vigueur de l’article 11.

M. Raphaël Schellenberger. Ce débat sur la temporalité est d’autant plus intéressant qu’il se trouve qu’un nouveau groupe d’études sur les sapeurs‑pompiers est né au sein de notre assemblée, voilà quelques jours, comme pour anticiper ce débat… À peine créé, ce groupe d’études devient un argument de la majorité pour ne pas discuter d’un texte sur lequel nous avons travaillé. Les groupes d’études n’ont pas le monopole du travail législatif ! Si son existence est une très bonne chose, commencer par régler certains problèmes identifiés par notre groupe et le rapporteur permettrait de lui dégager du temps, qu’il pourrait consacrer à d’autres sujets pour faciliter le travail et l’engagement des sapeurs‑pompiers volontaires.

M. Fabien Matras. La question du numéro unique est un sujet fondamental qui a été abordé plusieurs fois par le Président de la République et le ministre de l’intérieur. Un travail est d’ailleurs en cours entre le ministère de la santé et celui de l’intérieur.

M. Raphaël Schellenberger. Vous ne parlez pas de l’amendement ! C’est hors‑sujet !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en sommes à l’amendement CL53, monsieur Matras.

M. Fabien Matras. Mais l’amendement CL53 porte bien sur l’article 11… Je considère qu’il faut différer encore plus l’application de cet article, dans la mesure où un travail est mené actuellement dans un cadre interministériel. Il fallait me laisser finir ! Je ne crois pas à l’omniscience des députés, des sénateurs ni de quiconque. Sur ce sujet, les professionnels de la santé et du monde des secours ont des propositions à nous faire, plus que nous n’avons de solutions à leur apporter.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 11.

Article 12 (art. L. 1424-36-2 du code général des collectivités territoriales) : Dotation en faveur du projet NexSIS

La Commission rejette l’article 12.

Article 13 (art. L. 723-4 du code de la sécurité intérieure) : Statut des sapeurs-pompiers volontaires au regard du droit européen

La Commission rejette l’article 13.

Article 14 (art. 575 et 575 A du code général des impôts) : Gage de charges

La Commission examine les amendements identiques CL5 de M. Dino Cinieri et CL38 de M. Julien Aubert.

M. Dino Cinieri. L’amendement CL5 vise à conférer aux sapeurs-pompiers volontaires un statut juridique stable et protecteur, en leur permettant de bénéficier du statut de collaborateur occasionnel du service public, comme le prévoyait l'article 5 de l’excellente proposition de loi déposée par notre collègue M. Julien Aubert le 6 mars 2019. Du fait de leur mission, les sapeurs-pompiers volontaires doivent pouvoir bénéficier du statut protecteur de collaborateur occasionnel du service public, comme les réservistes.

M. Julien Aubert. Tout à l’heure, notre collègue Rémi Rebeyrotte, qui a été maire d’Autun, citait une phrase de Talleyrand, en disant que tout ce qui est excessif est insignifiant. J’ai l’impression qu’il fallait mieux citer ses Mémoires : « Mieux vaut remettre au lendemain ce que l’on ne peut bien faire aujourd’hui. » Bien faire aujourd’hui, ce serait envoyer un signal juridique. Le Parlement français peut encore choisir la façon dont il veut caractériser les sapeurs‑pompiers volontaires ! La seule manière de sortir du piège de l’approche professionnalisante et perverse, qui est celle de la juridiction européenne, c’est bel et bien de les qualifier de collaborateurs occasionnels du service public, comme le propose mon amendement CL38. Ainsi, pour plagier Sieyès, nous pourrons dire : « Qu’est-ce que le Parlement ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À être quelque chose. »

M. Arnaud Viala, rapporteur. Avis favorable.

M. Fabien Matras. Monsieur Aubert, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre amendement, parce que je n’avais pas du tout pensé à ce statut de collaborateur occasionnel du service public. Néanmoins, je crains qu’il ne pose plus de problèmes qu’il n’en résolve. Les indemnités, par exemple, sont pour l’instant nettes de toute charge ; si le statut changeait, le SDIS devrait régler certaines cotisations, ce qui alourdirait sensiblement ses charges. À la suite de l'arrêt Matzak de la CJUE du 21 février 2018, ne faudrait-il pas plutôt réfléchir à une directive européenne consacrée à toutes les formes d’engagement citoyen afin qu’elles n’entrent plus dans le champ de la directive sur le temps de travail ?

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Cette question a déjà été tranchée, puisque le Conseil d’État avait émis, en 1993, un avis faisant des sapeurs‑pompiers volontaires des collaborateurs occasionnels du service public. Lorsque le débat a eu lieu, en 2011, sur ma proposition de loi relative à l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et à son cadre juridique, on a essayé de tordre le statut comme on le pouvait, afin qu’ils ne relèvent ni du statut de la fonction publique, ni du statut de droit privé. Votre proposition est donc très dangereuse.

M. Julien Aubert. À mon sens, la question n’est pas seulement juridique. S’agissant de la proposition de M. Fabien Matras, si j’étais commissaire européen, je me dirais que la solution la plus simple serait de prendre une directive pour corriger la directive actuelle, qui traite de ces cas spécifiques. Mais nous sommes le Parlement, et notre rôle est politique : nous devons montrer que nous ne souhaitons pas que le statut du sapeur-pompier volontaire soit professionnalisant. L’argument de M. Pierre Morel-À-L’Huissier se défend tout à fait sur le plan juridique : en votant la loi, nous risquons de nous retrouver en contradiction avec une directive. Mais, alors qu’on ne cesse d’expliquer aux gens que leurs élus ne peuvent prendre aucune décision, parce qu’ils ne peuvent pas s’opposer à un droit dérivé, qui est en réalité une réglementation élaborée par des fonctionnaires, et que nous, élus de la Nation, sommes les derniers à nous exprimer sur le modèle que nous souhaitons dans notre pays, ce serait un pied de nez juridique assumé. Si le Parlement français se montre droit dans ses bottes, cela nous permettra d’engager un bras de fer politique.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle rejette l’article 14.

Titre

La Commission examine les amendements identiques CL42 du rapporteur et CL21 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier.

M. Arnaud Viala, rapporteur. L’amendement CL42 vise à corriger l’équivocité du titre actuel, en insérant après la dernière occurrence du mot « et », « l’engagement de sapeur-pompier ».

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. L’amendement CL21 a le même objet. La notion de « profession », présente dans le titre, est une bévue qu’il faut corriger. Le volontariat s’est créé en France par le biais d’amicales, qui se sont ensuite associées sous la forme d’unions départementales. Aujourd’hui, c’est ce système associatif qui constitue le corps même de la sécurité civile.

Pour revenir sur ce qu’a dit Dino Cinieri, qui nous a beaucoup aidés ces dernières années sur la question des pompiers volontaires, le dispositif actuel ne coûte pas cher : cinquante‑huit euros par habitant, bien moins que les redevances d’ordures ménagères, par exemple.

S’agissant de la question communautaire, le problème qui se pose aujourd’hui, et qui s’était posé lorsque l’on avait discuté de l’aspect juridique, c’est l’évolution du volontariat dans notre pays. Il y a une quarantaine d’années, les volontaires ne touchaient pas d’argent. Depuis, sociologiquement, les choses ont bien changé. Aujourd’hui, ils touchent des indemnités. Or participer à un système qui instaure des rapports de subordination et des indemnités fait de vous un travailleur. La France devra se positionner sur ce problème juridiquement très complexe. Je ne pense pas qu’il faille faire le procès du Gouvernement. Cela fait dix ans que la France, l’Allemagne ou l’Italie tentent d’expliquer à la Commission européenne qu’il faut trouver un système sui generis pour les pompiers volontaires. C’est loin d’être gagné !

La Commission rejette ces amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés, il n’y a pas lieu de procéder à un vote sur l’ensemble du texte. Celui-ci sera examiné en séance le jeudi 4 avril, dans sa version initiale.

*

*     *

La Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre la sur-réglementation (n° 101) (M. Pierre Cordier, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons à l’examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre la sur-réglementation, également inscrite à l’ordre du jour de la prochaine journée réservée du groupe Les Républicains et présentée par M. Pierre Cordier.

M. Pierre Cordier, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président du groupe Les Républicains, M. Christian Jacob, qui m’a confié le soin de vous présenter cette proposition de loi constitutionnelle, qui porte sur un sujet d’actualité : lorsque vous discutez avec des chefs d’entreprise, des artisans, des commerçants ou des agriculteurs, ils vous parlent de ces normes qui pèsent toujours plus sur leurs entreprises, leurs commerces ou leurs exploitations.

Cette proposition de loi constitutionnelle a pour objectif de mettre fin à la surproduction normative qui entraîne des surcharges administrative et financière pour les entreprises et, partant, pèse sur leur compétitivité. Certains – plutôt du côté de l’administration  affirment qu’il n’y a pas de problème de sur-réglementation ou de surtransposition. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la charge administrative qui pèse sur les entreprises représente en France un coût supérieur à 3 % du produit intérieur brut, soit environ 60 milliards d’euros par an.

Les témoignages des acteurs de l’économie productive – chefs d’entreprise, représentants du MEDEF et de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)  vont également tous dans le même sens : il y a trop de textes, lesquels, empilés les uns après les autres, conduisent à une complexité inutile et surtout nuisible à l’économie. Je pense que, comme moi, vous rencontrez régulièrement des chefs d’entreprise qui vous font part de leur exaspération, de leur découragement voire de leur colère face à toutes ces normes qu’ils doivent affronter.

Le Premier ministre a pris, comme certains de ses prédécesseurs, notamment MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean-Marc Ayrault, une circulaire afin de maîtriser le flux des textes réglementaires et leur impact, dans laquelle il interdit les surtranspositions. Il prévoit, par ailleurs, que si un décret crée une norme contraignante, il doit en supprimer deux équivalentes.

Toutefois, la portée de ce texte est nécessairement limitée : tout d’abord, une circulaire n’a pas de portée normative ; ensuite, son champ d’application est restreint aux seuls décrets, à l’exclusion des lois ; par ailleurs, les évaluations des charges administratives concernées ne font pas l’objet d’un contrôle par un organisme indépendant ; enfin, pour ce qui concerne plus particulièrement l’interdiction des surtranspositions, des exceptions sont prévues, dès lors qu’un dossier est présenté au cabinet du Premier ministre afin de les justifier. Qui plus est, alors que le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) avait été présenté comme le texte de la non-surtransposition, y a été incluse une disposition, en l’occurrence relative au ratio d’équité des rémunérations des dirigeants, qui vise précisément à surtransposer une directive européenne !

Le Premier ministre a également pris une circulaire dans laquelle il écarte les projets de loi de simplification fourre-tout au profit de la prise en compte, dans chaque projet de loi sectoriel, d’un volet de mesures de simplification des normes législatives. Toutefois, l’objectif est de simplifier les normes législatives et non d’en réduire ou d’en maîtriser le nombre, comme l’attestent la loi de programmation et de réforme pour la justice ou le projet de loi PACTE. On ne peut donc que constater qu’un fossé se creuse entre les discours sur la simplification du droit et la réalité sur le terrain.

La surproduction normative est-elle un mal spécifiquement français ? Il semblerait bien que cela le devienne, au regard du retard pris par la France par rapport à des États comparables, qui s’en sortent d’ailleurs beaucoup mieux sur le plan économique. Ainsi, la méthode de la compensation de la création de normes – le « budget de normes » – est pratiquée sous des formes diverses chez certains de nos voisins : par exemple, en Allemagne, sous la forme du « un pour un » – la règle supprimée doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de ceux générés par la règle créée ; au Royaume-Uni, sous la forme du « trois pour un », à savoir la compensation à hauteur de trois livres sterling pour une livre sterling de dépense supplémentaire imposée aux entreprises.

De même, le principe de la non-surtransposition est appliqué en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Ce dernier pays semble d’ailleurs être le seul dans lequel le principe du « copy out », ou « copie à l’identique », qui consiste à retranscrire le texte de la directive en droit interne sans ajout ni changement, a été érigé en méthode de droit commun. Aussi, au vu de ces exemples étrangers, apparaît-il impératif d’aller au-delà des mesures prises jusqu’à présent. C’est pourquoi je vous propose une mesure forte, à même de mettre fin aux comportements de surproduction normative : inscrire dans notre Constitution deux principes destinés à lutter contre la sur-réglementation et la surtransposition.

Prenant appui sur le dispositif du Premier ministre, l’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle propose de lui donner une portée beaucoup plus large. Il pose le principe selon lequel tout texte de niveau législatif ou réglementaire qui introduit une norme contraignante pour les entreprises doit corrélativement en supprimer une. L’inscription de cette règle au niveau constitutionnel devrait permettre son application à l’ensemble des lois et des textes réglementaires.

La mise en œuvre de cette règle devrait s’entendre d’un point de vue qualitatif – des normes de même valeur doivent être concernées – et quantitatif – la suppression de la règle doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de ceux qu’implique la règle créée. Elle devrait en outre s’accompagner d’une amélioration significative de la qualité des études d’impact qui accompagnent les projets de textes. Ayant pour objectif de contraindre les producteurs de normes à mesurer le poids des charges que leur activité impose aux tiers et à ne pas dépasser le plafond qui leur est alloué, cet article propose un dispositif efficace pour lutter contre les effets négatifs de la sur-réglementation sur les entreprises.

Quant à l’article 2, il définit la règle selon laquelle aucune loi ni aucun texte réglementaire ne peuvent poser, en droit interne, des exigences qui vont au-delà de celles définies par le texte européen. Il s’agit ainsi de mieux lutter contre les écarts réglementaires issus de la transposition de directives ou, le cas échéant, de règlements européens, qui pénalisent la compétitivité des entreprises françaises.

Cette proposition de loi constitutionnelle peut faire avancer les choses et encourager toutes celles et tous ceux qui veulent investir dans notre pays à le faire plus facilement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes.

M. Ludovic Mendes. En guise de préambule, je tiens à vous assurer que le Gouvernement et la majorité partagent votre objectif de maîtrise de l’inflation normative. La majorité travaille déjà à lutter contre la sur-réglementation. Ce mouvement s’inscrit dans la droite ligne des différentes mesures de simplification prises depuis plusieurs décennies, que nous devons poursuivre. La maîtrise du flux des textes réglementaires est un enjeu important, notamment pour nos entreprises et nos collectivités. Traduction d’une politique publique, la norme peut aussi être une contrainte pour la compétitivité des entreprises, l’administration des collectivités territoriales, le fonctionnement des services déconcentrés et la vie quotidienne de nos concitoyens.

Si la complexité, l’empilement et le nombre des normes font de la maîtrise de la production réglementaire un enjeu d’efficacité de l’action publique et de la démocratie, la proposition de loi constitutionnelle pose toutefois plusieurs questions. Sur la forme, nous considérons qu’il ne s’agit pas d’une disposition de niveau constitutionnel. De plus, ses deux articles sont rattachés à l’article 37‑1 de la Constitution, lequel n’entretient pas de lien avec leur objet. Le texte ne permet pas d’assurer la sécurité juridique dont doivent bénéficier nos entreprises, ce qui n’est pas sans paradoxe, dans la mesure où il prétend vouloir faciliter leurs activités quotidiennes. Son application en l’état créerait une situation hautement défavorable pour ces dernières, qui ont avant tout besoin de stabilité et de lisibilité du cadre juridique qui les entoure. L’objectif initial est louable ; mais nous devons nous attacher à garantir aux acteurs économiques une réglementation lisible et stable, et travailler avec méthode.

Il ne s’agit pas de supprimer aléatoirement des règlements ou des textes de loi. La suppression pure et simple ne permet d’ailleurs pas d’assurer la sécurité juridique que demandent nos entreprises. Le préalable nécessaire, c’est d’abord d’évaluer l’impact et l’efficacité du texte que l’on envisage de supprimer. Le projet de réforme constitutionnelle que nous avons commencé à examiner propose, à ce titre, de rénover les missions d’évaluation du Parlement. La maîtrise du flux des textes réglementaires constitue la première étape d’un exercice de simplification normative plus large, qui a vocation à porter également sur les textes de loi.

Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, il reviendra au Parlement de définir les modalités d’un meilleur encadrement de la production législative, en accord avec la volonté que le groupe Les Républicains exprime dans cette proposition de loi constitutionnelle.

Sur le fond, le Gouvernement et la majorité sont déjà au travail pour lutter contre la sur-réglementation.

La circulaire relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact, signée par le Premier ministre le 26 juillet 2017, prévoit en effet très clairement que « l’entrée en vigueur d’un décret réglementaire comportant des mesures constitutives de normes nouvelles contraignantes […] est désormais conditionnée par l’adoption simultanée d’au moins deux mesures d’abrogation ou, de manière subsidiaire, de deux mesures de simplification de normes existantes. » La circulaire couvre donc les dispositions prévues à l’article 1er de cette proposition de loi constitutionnelle.

De la même manière, le projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français est en cours de discussion ; adopté par le Sénat le 7 novembre 2018, il répond exactement à l’article 2 de votre proposition de loi constitutionnelle.

Pour toutes ces raisons, et considérant que la lutte contre la sur-réglementation est déjà engagée, le groupe La République en marche n’est pas favorable à cette proposition de loi.

M. Raphaël Schellenberger. Je me réjouis que le groupe Les Républicains ait choisi d’utiliser sa journée réservée pour discuter d’un texte relatif à ce fléau que représente, pour nos entreprises, nos collectivités territoriales, nos associations et nos concitoyens, l’inflation législative et normative, la prolifération de toutes ces règles dont on peine parfois à comprendre la cohérence. Cette proposition de loi constitutionnelle vient remettre en question la longévité inédite de notre système institutionnel et juridique, à laquelle nous n’avons finalement pas su nous adapter. Du coup, les normes et les règlements ont fleuri et, avec eux, les jurisprudences. Or, l’inflation jurisprudentielle, la complexification jurisprudentielle et, parfois même, la contradiction jurisprudentielle sont aussi un frein au développement de nos entreprises et de nos territoires.

Ce texte propose une nouvelle manière de concevoir le rôle de l’État, puisqu’il invite à inverser la logique qui prévaut aujourd’hui. En France, on est très tatillon au moment où un projet voit le jour, on est très tatillon lorsqu’il s’agit de délivrer une autorisation, d’accompagner un projet de rupture ou d’innovation. Mais, une fois qu’un projet a été autorisé, il n’y a presque plus de contrôle et on ne vérifie que très rarement s’il correspond effectivement aux autorisations qui ont été délivrées. Il va nous falloir changer de logique et passer à un système qui allie confiance et responsabilité : nous devons faire davantage confiance aux entreprises et moins les embêter lorsqu’elles veulent innover. En contrepartie, nous devons en appeler davantage à leur responsabilité : si elles sortent du cadre qui leur a été fixé, si elles outrepassent les autorisations qui leur ont été accordées, il faut être plus ferme, donner plus de poids à nos choix politiques, à nos textes, et les faire respecter.

Je voudrais, pour finir, souligner à quel point ce texte correspond aux réalités concrètes de notre territoire. J’ai la chance d’être le député d’un espace frontalier, en Alsace, ce qui me permet d’observer de près le fonctionnement du système allemand. Prenons l’exemple de l’apprentissage. En France, on voudrait développer l’apprentissage, mais on n’y arrive pas, et on observe avec une certaine jalousie le modèle allemand, sans comprendre ce qui ne va pas chez nous. Mais quand on y regarde de près, on comprend très bien ! En France, quand une entreprise prend un apprenti à sa charge, avec le risque financier que cela représente, elle ne peut lui faire faire que peu de choses, parce qu’une loi, un règlement ou une norme interdit par exemple à l’apprenti de changer une ampoule ou de monter sur un tabouret. En Allemagne, où le système juridique européen est pourtant le même qu’en France, rien ne s’oppose à ce qu’un apprenti fasse quasiment les mêmes tâches qu’un salarié, parce qu’un apprenti est là pour apprendre un métier.

C’est notre système normatif, notre logique de surtransposition systématique des directives européennes qui crée ces difficultés et qui suscite, chez nos concitoyens, une incompréhension croissante. Comment peuvent-ils comprendre que ce qui est possible en Allemagne ne l’est pas en France ? Pourquoi nous explique-t-on que ce sont des règles européennes qui interdisent certaines choses en France, alors qu’elles sont possibles en Allemagne ? Il faut réaffirmer, et ce texte a le mérite de le faire, que c’est notre système français qui introduit tous ces freins.

Ce texte donne une nouvelle occasion au Parlement de se saisir d’un outil de contrôle de l’action du Gouvernement. Pour garantir l’équilibre de nos institutions, le temps est venu de réaffirmer le rôle de notre assemblée en matière de contrôle et d’évaluation de l’action du Gouvernement : ce texte nous en donne la possibilité.

M. Philippe Latombe. Cette proposition de loi constitutionnelle, qui compte deux articles et qui vise à lutter contre la sur-réglementation, a été déposée par le groupe Les Républicains le 18 juillet 2017. Par principe et par fidélité à sa position politique historique, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés est opposé, dans le plus grand respect des usages pratiqués par nos institutions, à toute proposition de loi constitutionnelle, estimant que ce type de réforme doit être laissé à l’initiative du Gouvernement, qui est mieux à même d’en formaliser la substance.

Sur le fond, pour réaliser une véritable politique de simplification, le Conseil d’État préconise trois objectifs : premièrement, la responsabilisation des décideurs publics ; deuxièmement, la maîtrise de l’emballement de la production normative, grâce à des études d’option avant la poursuite des projets de réforme ; enfin, la facilitation de l’application concrète de la norme par une accessibilité accrue de la loi.

L’inflation législative affecte en premier lieu les personnes les plus fragiles et compromet la cohésion sociale. Elle obère également la capacité des pouvoirs publics à conduire des politiques publiques dans des conditions satisfaisantes de sécurité juridique. Nul ne remet en cause les objectifs de cette proposition de loi, mais les mesures proposées ne semblent pas de nature à stopper cette inflation, et elles contribueront même à l’aggraver inutilement, alors que le Gouvernement a déjà pris des mesures en ce sens.

En effet, le Premier ministre a signé, en juillet 2017, une circulaire sur la maîtrise du flux des textes réglementaires et leur impact. Ce texte pose plusieurs principes essentiels pour lutter contre l’inflation normative, notamment la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes pour l’adoption de toute norme réglementaire nouvelle et l’introduction d’une évaluation du stock de normes dans chaque ministère. Cette mesure a été suivie, en septembre 2017, d’une circulaire qui impose aux ministères de construire un plan de transformation, dans lequel figurent la simplification administrative et l’amélioration de la qualité du service. En janvier 2018, enfin, a été signée une circulaire relative à la simplification du droit et des procédures en vigueur. Elle a confié à la Direction interministérielle de la transformation de l’action publique (DITP), qui a pris la suite du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), une action résolue de simplification.

Enfin, la surtransposition des normes européennes peut causer des distorsions de concurrence au sein du marché unique et pénaliser les entreprises françaises. Toutefois, le fait de figer dans la Constitution l’interdiction d’un tel principe risque, en pratique, de se révéler peu fonctionnel, puisqu’il réduira la nécessaire marge de manœuvre du Gouvernement en ce domaine, alors même que ce dernier s’est clairement engagé dans cette lutte. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés, même s’il partage les objectifs de ce texte, considère que ce dernier ne constitue pas un corpus de règles permettant d’atteindre les objectifs énoncés.

Mme Cécile Untermaier. Dans son rapport sur l’insécurité juridique et la complexité du droit, le Conseil d’État faisait état de 10 500 lois et 120 000 décrets en vigueur en France et, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous évoquez, pour votre part, « 400 000 règles issues du processus de réglementation ». Vous dénoncez à juste titre les conséquences de cette sur-réglementation sur la compétitivité des entreprises, puisqu’on estime qu’elle coûte entre 48 et 61 milliards d’euros par an.

Le groupe Socialistes et apparentés considère qu’il s’agit effectivement d’une question fondamentale, mais il n’est pas certain que les solutions que vous proposez soient les bonnes. Il faudrait, selon moi, élargir cette problématique à tous les professionnels, notamment aux magistrats, aux femmes et aux hommes de loi qui doivent sans cesse vérifier que le dispositif législatif n’a pas connu de nouvelle modification. Il faudrait également prendre en compte le point de vue des citoyens et des usagers, eux aussi victimes de cette inflation normative. Elle crée une insécurité juridique, puisque l’instabilité de la loi nous éloigne de l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi ».

Toutes les majorités, quelles qu’elles soient, se sont un jour saisies de ce problème, avec plus ou moins de bonheur, mais toujours avec la même volonté. Notre assemblée avait mené une importante mission d’information sur la simplification législative, présidée par Mme Laure de La Raudière. Estimant que nous votions trop de lois, elle avait proposé une série de bonnes pratiques, dont certaines ont été introduites dans notre Règlement. Elle préconisait notamment, pour tout projet ou toute proposition de loi, de renforcer le travail en amont, avec une étude d’impact faisant le bilan de la législation existante et identifiant la charge administrative qu’une nouvelle disposition impliquerait pour les entreprises et les administrations. À ce bilan en amont devait s’ajouter, en aval, un rapport d’évaluation au bout de six mois. Ces dispositions ont été introduites dans notre Règlement intérieur : il ne nous reste plus qu’à les mettre en œuvre.

Je souhaite, enfin, émettre une petite réserve au sujet de cet élan de simplification, qui résonne favorablement dans tous les cercles d’intérêts. Nous devons nous méfier des messages simplificateurs, face à une société qui ne cesse de se complexifier en réclamant toujours davantage de sécurité sanitaire et juridique. Je ne prendrai qu’un exemple, celui du code de l’environnement : bien qu’il soit apparu récemment, il est devenu l’un de nos codes les plus imposants et il répond, de fait, à des exigences de la société. Pour reprendre une formule de la professeure Mireille Delmas-Marty, préférons toujours à la démagogie de la simplification la pédagogie de la complexité…

Ce texte se présente comme une entreprise de simplification. Les solutions qu’il propose nous semblent trop radicales, mais il est important de débattre de ces questions.

Le principe que vous affirmez à l’article 1er a l’apparence du bon sens, mais il n’en a que l’apparence. En effet, vous n’appréhendez la question que d’un point de vue comptable et purement mécanique : une règle contre une règle. Or la simplification doit davantage passer, aujourd’hui, par un exercice de codification des règles existantes, afin de mieux garantir leur accessibilité, sans considération du nombre de règles affectées. En effet, c’est la multiplication des sources du droit qui a conduit à la dispersion des règles entre de multiples codes. Pour répondre au défi de l’inflation et de l’insécurité juridiques, c’est une logique qualitative qu’il faut désormais adopter. Or ce texte n’envisage la question que du point de vue quantitatif.

Il me semble que c’est lors de l’examen préalable de l’étude d’impact que cette réflexion devrait être menée par le législateur. Il faudrait que la démonstration soit apportée qu’il s’agit d’une loi utile, qui n’introduit pas de charge supplémentaire. Un rapporteur spécialement chargé de cette analyse pourrait d’ailleurs utilement être nommé par notre Commission avant l’examen de tout projet de loi et notre Commission devrait être en capacité d’exiger du Gouvernement une telle analyse. Cette pratique devrait également s’appliquer aux propositions de loi.

L’article 2 porte sur la surtransposition des directives européennes. C’est une vraie question mais, en l’état de l’élaboration des directives et des règlements, et compte tenu du fait que les parlements nationaux ne sont pas associés en amont, il me semble préjudiciable pour le législateur de renoncer à sa souveraineté.

M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI, Agir et Indépendants est favorable à cette proposition de loi : toute démarche de simplification nous semble bienvenue. La sur-réglementation concerne les entreprises, mais pas seulement. Tous ceux qui ont été ou qui sont encore un élu territorial constatent chaque jour que les réglementations coûtent très cher à nos collectivités, qu’elles nous font perdre du temps et qu’elles compliquent la compréhension même de la loi.

Il est certain que la transposition excessive des normes européennes est un problème. Cela étant, le rapport de notre collège Jean-Luc Warsmann a contribué à nuancer cette idée, sans oublier que certaines surtranspositions nous sont favorables : je songe par exemple au congé de maternité. Si nous nous en étions tenus à la directive européenne, nous aurions un congé de maternité moins favorable. Il importe donc, selon moi, d’étudier les choses au cas par cas.

Mais la question de fond, c’est la manière dont nous faisons la loi : en tant que législateur, nous avons aussi une part de responsabilité. Arrêtons de faire des lois bavardes, d’écrire des textes à la va-vite, en adoptant des amendements de dernière minute qui bouleversent l’équilibre du texte, entraînent la multiplication des circulaires et des décrets et font que les lois sont de moins en moins applicables. Depuis dix ou quinze ans, tous les gouvernements, toutes les commissions des Lois ont essayé d’améliorer les choses, mais ils se sont toujours heurtés à la haute administration, dont la raison d’être est précisément la création de normes. Nous n’arriverons pas à mettre fin à cette situation tant que le Gouvernement ne fera pas un choix politique clair.

Ce texte va dans le bon sens et nous le soutiendrons, mais rien ne changera tant que le Gouvernement n’affirmera pas clairement que ce n’est pas la haute administration qui dirige ce pays, mais les politiques. Un tel discours aurait le mérite de valoriser ce que nous sommes : des parlementaires. Il a beaucoup été question de la Constitution ; mais notre mission est de faire la loi, et nous souhaiterions que les textes que nous votons ne soient pas dénaturés par des décrets ou des circulaires.

M. Stéphane Peu. En guise de préambule, je tiens à dire que cette proposition de loi part d’un sentiment partagé et relève du bon sens. Qui dit inflation de la norme et de la loi dit, bien souvent, dévalorisation de la norme et de la loi. Comme l’a très bien dit Cécile Untermaier, l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est un pilier de l’État de droit, mais plus la loi est complexe, plus il est difficile de la connaître. Du reste, le problème de l’inflation législative n’est pas nouveau : Montesquieu écrivait déjà que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».

Cela étant, je reste, face à cette proposition de loi, dans un état d’esprit que je qualifierai de défavorablement dubitatif – si cette expression a un sens. Pour prolonger l’intervention de Cécile Untermaier, les choses iraient déjà mieux si nous disposions d’études d’impact bien faites avant de légiférer et si le Gouvernement n’avait pas pour habitude – et cela valait pour les précédents – de déposer, au beau milieu de l’examen d’un texte de loi, un amendement que personne n’a étudié et qui modifie profondément l’ensemble du texte.

Parce que je suis moi aussi un élu local et que je suis en contact avec le monde économique sur mon territoire, je peux témoigner que la demande qui s’exprime le plus fortement est une demande de stabilité : les gens n’ont pas envie de passer leur temps à s’adapter. Cela étant, il est vrai aussi que cette société de plus en plus complexe nous oblige à définir, pour chaque enjeu nouveau, un cadre législatif et normatif. Les choses ne sont pas simples, je le reconnais.

Mais ce qui suscite mon désaccord le plus vif, c’est le sentiment que cette proposition de loi constitutionnelle introduirait, dans les débats parlementaires, une sorte d’article 40 de la norme et de la loi. Or ce serait, pour moi, une entrave au pouvoir législatif. L’article 40 de la Constitution en est déjà une : je ne vois pas pourquoi le législateur devrait absolument, en toutes circonstances et sur tous les sujets, ne proposer que des mesures dont le coût serait compensé par une recette équivalente. Ce n’est pas ainsi qu’on doit faire la loi !

Michel Zumkeller a évoqué, à juste titre, l’exemple du congé de maternité. Mais, pour ma part, je suis très attaché à la souveraineté nationale, à la souveraineté de la France, et je n’ai pas envie que les transpositions des directives européennes s’imposent à nous sans que nous ayons notre mot à dire et sans que nous puissions les ajuster. La France a un modèle social, un pacte républicain et une organisation territoriale tout à fait singuliers. Je ne nie pas qu’il faille les réformer, mais nous devons exercer notre souveraineté et ne pas nous laisser imposer un modèle européen sans avoir la possibilité de l’amender. Repousser la surtransposition revient, dans les faits, à renoncer au droit d’amender ou d’adapter les directives européennes à notre histoire, à notre droit, à notre culture. C’est le point qui me choque le plus dans cette proposition de loi et, pour tout dire, je suis surpris que le groupe Les Républicains défende ce que je considère comme une entrave à la souveraineté nationale.

Enfin, si nous devons rendre la loi plus lisible, moins obèse, moins bavarde, ne limitons pas ce projet aux seules entreprises. La loi, c’est la loi commune pour tout le monde, les entreprises et les citoyens : l’orientation de ce texte me semble donc beaucoup trop restrictive.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons aux questions des orateurs.

M. Pacôme Rupin. Je partage en tout point les propos de notre collègue Stéphane Peu. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir réalisé ce travail et d’avoir ouvert ce débat, qui est important pour nombre de nos concitoyens et de nos entreprises. Les contraintes administratives sont toujours trop lourdes. Pour avoir moi-même été entrepreneur, je dois dire que le « choc de simplification » qui s’est produit sous la précédente législature a surtout permis de supprimer des dispositifs qui n’étaient pas utilisés, beaucoup moins d’alléger le quotidien des entrepreneurs. Nous devons donc réfléchir à la manière de simplifier les démarches administratives qui viennent de notre propre pays, de notre propre réglementation : ce serait déjà un progrès important.

Je pense également que nous légiférons trop et que la loi est trop bavarde. Cela fait des années que c’est le cas et nous ferions mieux d’adopter des projets de loi qui simplifient radicalement les lois précédentes, qui les rendent plus synthétiques.

Si nous légiférons trop, nous devons en revanche garder souverainement la possibilité d’amender les directives européennes : c’est pourquoi votre article 2 me laisse perplexe. Il est important de débattre de ces questions, mais je ne suis pas sûr que les solutions que vous proposez constituent une réponse adaptée. Vous risquez de manquer votre cible, même si je partage votre objectif.

Mme Laurence Vichnievsky. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les différentes interventions de mes collègues. Ce sujet me touche particulièrement, parce que j’ai été confrontée à la difficulté d’appliquer des lois quasiment inapplicables.

Cette question mérite d’être débattue, mais la façon dont elle est abordée ne me semble pas être la bonne. Notre collègue Cécile Untermaier a dit très justement qu’une codification de textes épars et peu maniables présenterait un intérêt pour les utilisateurs. Mais une autre méthode à laquelle nous devrions tous réfléchir est celle de la feuille blanche, car un texte qui se superpose à un autre devient illisible. Non seulement tout le monde ignore la loi, mais tout le monde l’applique et l’interprète mal… Nous devrions avoir en tête l’idée de rédiger un texte in extenso lorsque nous avons matière à légiférer, ce qui n’est pas toujours le cas – d’où l’importance des études d’impact.

M. Pierre Cordier, rapporteur. Monsieur Mendes, j’aimerais citer une phrase que M. Jean-Marc Sauvé a prononcée lorsqu’il était vice-président du Conseil d’État, en 2016 : « Les maux qui affectent la production et la mise en œuvre de notre droit […] n’ont pas été traités et ils se sont aggravés faute d’une posologie suffisante, faute d’une médication efficace, faute surtout d’une volonté constante, claire et déterminée de guérir ». Ce témoignage d’un vice-président du Conseil d’État, que sa fonction plaçait au-dessus de la mêlée, montre à quel point il est nécessaire de franchir une étape supplémentaire. Vous avez évoqué la circulaire du Premier ministre, mais le projet de loi, voté par le Sénat, auquel vous avez fait référence, n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Si je vous comprends bien, il est urgent de ne rien faire ! J’imagine que, comme nous tous ici, vous rencontrez des chefs d’entreprise sur le terrain. Je serais très étonné si vous me disiez que tout va bien pour eux, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu’ils n’ont aucun problème en matière d’environnement, d’extension de bâtiments, de création d’emplois.

Vous nous parlez de la circulaire du Premier ministre, mais j’ai rappelé celles de Jean-Pierre Raffarin et de Jean-Marc Ayrault : tous les gouvernements ont voulu progresser sur cette question. Pour ma part, je vous propose un véritable choc : ce n’est plus le choc de simplification, mais l’inscription de quelques principes dans notre Constitution. Il faut arrêter de « tourner autour du pot » : à ce rythme-là, nous n’aurons pas progressé d’un iota dans dix ans.

Notre collègue Raphaël Schellenberger a utilisé le terme de « fléau » et je partage son point de vue. Je suis, comme lui, l’élu d’un département frontalier, avec la Belgique ; l’exemple allemand qu’il a donné est tout à fait éclairant. Les chefs d’entreprise et les patrons de PME nous disent qu’ils sont écrasés par toutes ces normes, et qu’il est urgent de franchir une nouvelle étape. Il y va aussi de la responsabilité du Parlement : tout comme lui, je pense que la Ve République mériterait d’être un peu dépoussiérée afin que nous puissions gagner en efficacité.

Plusieurs d’entre vous ont posé la question de l’efficience des études d’impact. Lorsque j’ai déposé une proposition de loi sur le démarchage téléphonique, on m’a répondu qu’il fallait faire une étude d’impact pour en mesurer les conséquences en termes de création et de destruction d’emplois. Mais le démarchage continue de pourrir la vie de nos concitoyens et l’étude d’impact, je l’attends toujours… C’est une jolie expression, qui consiste en réalité à reporter à demain ce que l’on pourrait faire aujourd’hui. Madame Untermaier, monsieur Peu, vous avez beaucoup insisté sur ces études d’impact, mais je crois qu’il faut passer à la vitesse supérieure : c’est ce que demandent les représentants des chefs d’entreprise et des PME que nous avons auditionnés.

Madame Untermaier, vous dites qu’il faut associer les citoyens aux interrogations sur l’inflation normative, mais les chefs d’entreprise sont aussi des citoyens. Ce sont des gens qui vivent leur métier à fond et qui sont eux aussi soucieux de respecter des règles. Leur intention n’est pas de faire n’importe quoi dans une zone protégée autour d’un bâtiment classé ou une zone humide. Et notre but n’est pas de mettre en place un système anarchique où chacun ferait ce qu’il veut, quand il veut, où il veut mais de simplifier. Nous posons le principe suivant : à partir du moment où une norme nouvelle est créée, une autre doit disparaître.

Nous ne prétendons pas faire une œuvre révolutionnaire en la matière. Les exemples du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l’Allemagne parlent d’eux-mêmes. Quand on regarde le taux de chômage dans ces pays, la manière dont leurs entreprises y investissent et savent se défendre à l’étranger en termes d’exportations, nous voyons bien que nous avons encore beaucoup de progrès à faire en France.

Monsieur Zumkeller, vous avez appelé à raison à étendre cette démarche aux collectivités locales. J’ai eu la chance d’être maire, vice-président de conseil général et d’agglomération, pendant plus de quinze ans. Ce sont des problèmes auxquels nous sommes confrontés au quotidien, en particulier dans nos petites communes. Quand on est maire d’une commune de 1 000, 1 500 ou 2 000 habitants et qu’on doit faire face à cet enchevêtrement de normes, les choses ne sont pas simples, qu’il s’agisse des ressources humaines, de la réglementation routière ou de la défense incendie. Comme j’ai aussi eu la chance de présider pendant six ans un service départemental d’incendie et de secours (SDIS), j’en profite pour faire une parenthèse, madame la présidente : la proposition de loi d’Arnaud Viala était riche en propositions intéressantes et je trouve vraiment dommage que la majorité se soit arc-boutée sur certains principes au seul motif que ce texte provenait du groupe Les Républicains.

Ma proposition de loi est effectivement centrée sur l’économie et la vie des entreprises car j’estime que le projet de loi PACTE n’a pas répondu aux objectifs qui lui étaient fixés au départ. Les intentions étaient bonnes mais vous n’êtes pas allés jusqu’au bout de votre logique, ce que je regrette.

Monsieur Peu, vous soulignez avec justesse que le constat qu’il y a trop de normes n’a rien de nouveau ; votre citation de Montesquieu était très pertinente. Je vous rejoins aussi sur la nécessaire stabilité : les chefs d’entreprise sont soumis à une telle instabilité législative et réglementaire qu’ils ne savent plus où donner de la tête, d’où notre volonté de « dépoussiérer ».

Madame Vichnievsky, je suis heureux de vous entendre dire que vous avez vous-même été confrontée à ces problèmes. Nous sommes sur la même ligne s’agissant des études d’impact. Vous proposez d’aller plus loin. Je précise que si je me suis focalisé sur le domaine économique, c’est parce que cela me semblait le plus urgent.

De manière générale, il me semble inquiétant de vouloir en rester au statu quo. Quand vous rentrerez dans vos circonscriptions, mes chers collègues, vous rencontrerez des chefs d’entreprise qui continueront à vous dire qu’ils sont freinés par les lois et les règlements. Lors des auditions, M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Gouvernement, ou des représentants du secrétariat général des affaires européennes, nous ont expliqué que les chefs d’entreprise avaient peut-être le « sentiment » de subir trop de normes, mais que ces normes étaient heureusement là pour encadrer certaines pratiques. Il est évident qu’il faut des normes car on ne peut se contenter de l’anarchie. Il n’en demeure pas moins que les chefs d’entreprise demandent à respirer pour pouvoir investir, créer de l’activité et embaucher. C’était précisément la philosophie de ce texte…

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er (article 37-1 de la Constitution) : Lutter contre la sur-réglementation

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2 (article 37-2 de la Constitution [nouveau]) : Lutter contre la surtransposition des textes européens

La Commission rejette l’article 2.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La Commission ayant rejeté la totalité des articles de la proposition de loi constitutionnelle, celle-ci est donc rejetée dans son ensemble. Elle sera examinée le jeudi 4 avril, dans sa version initiale, en séance publique.

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La Commission examine le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française (n° 1695) et le projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (n° 1696) (M. Guillaume Vuilletet, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous examinons le projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française et le projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française. Je donne la parole à M. Guillaume Vuilletet, rapporteur.

M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, comme j’ai eu l’occasion de le souligner lorsque nous avons reçu, ici-même, la ministre des outre-mer il y a deux semaines, ces deux projets de loi s’inscrivent dans la volonté d’insuffler une nouvelle dynamique entre l’État et la Polynésie française.

Après cinq années de récession économique et financière sévère, 2016 a marqué le retour au niveau d’avant la crise et à la stabilité politique. La consolidation de l’autonomie statutaire doit permettre d’encourager et d’accompagner le territoire dans un développement harmonieux et durable.

Cette nouvelle dynamique se manifeste également dans la volonté de donner aux Polynésiens les moyens d’exercer pleinement et efficacement leurs compétences par une rénovation significative de leur fonctionnement institutionnel. Cette consolidation doit permettre la reconnaissance de la responsabilité des élus par une clarification, une simplification et un assouplissement de leurs champs d’intervention. Le régime des lois du pays caractérise d’ores et déjà, il faut le souligner, une autonomie importante. Comme me l’a confié hier le vice-président polynésien, M. Teva Rohfritsch, « dans ce toilettage, nous passons à une autonomie renforcée ».

Il s’agit aujourd’hui de prendre acte de l’apaisement et de la stabilisation du territoire en mettant fin à la période d’incertitude durant laquelle les institutions ont connu de profondes remises en question. Fruits d’un travail considérable de coconstruction au sein même de la société polynésienne, entre gouvernement territorial et gouvernement de la République, ces deux textes ont fait l’objet de discussions approfondies avant même le début de leur discussion parlementaire. Les débats qui se sont tenus au Sénat ont permis d’en nourrir la rédaction. Il en ressort, sur un nombre important de dispositions, le constat d’un assez large consensus.

Je me dois de reconnaître la maturité du débat public au sein de la société polynésienne et de souligner le travail des groupes de l’assemblée de Polynésie dans leur diversité, travail porteur de sens.

Je tiens à saluer le rôle qu’ont joué la ministre des outre-mer ainsi que la garde des sceaux qui a négocié le fond et la forme des propositions en matière de droit civil des successions pour en parfaire les mécanismes. Je salue également la manière dont ont œuvré les sénateurs et notamment mon homologue rapporteur M. Mathieu Darnaud.

La volonté de consensus a été non seulement approfondie mais également confirmée tout au long des dernières semaines. Je pense pouvoir témoigner, mes chers collègues, de la conjonction de nos volontés lors de l’audition de Mme la ministre. Sans nier la diversité de nos positions, je crois pouvoir dire qu’il existe une volonté commune d’avancer.

Je souhaite que nous puissions trouver une très forte majorité pour approuver ces aménagements attendus par tous les Polynésiens. Une adoption rapide de ces textes serait la bienvenue pour le développement du territoire. La nécessité de leur mise en application prochaine doit être prise en compte.

Le projet de loi organique modifie le statut d’autonomie de la Polynésie française. Comme l’a dit joliment notre collègue Maina Sage il y a quelques jours, c’est un peu la « petite Constitution du territoire ». Il faut y porter un soin très particulier. Je distinguerai trois éléments dans ce texte.

Il y a d’abord un aspect symbolique et fédérateur avec la mention dans le statut d’autonomie du fait nucléaire. Il s’agit, non seulement de reconnaître le fait nucléaire sur le territoire polynésien et la contribution du territoire à la construction de la dissuasion française, mais aussi d’en comprendre les conséquences à long terme en matière sanitaire, du point de vue social et sur le plan du développement du territoire. Cet article a suscité de nombreuses discussions. J’ai reçu les commentaires des divers groupes de l’assemblée de la Polynésie et je sais que le débat se poursuit. Comme l’a rappelé la ministre, des engagements forts ont été pris : augmentation du budget consacré à l’indemnisation des victimes, ouverture du centre de mémoire sur les essais nucléaires, attribution de moyens pour la dépollution des atolls. Je crois, pour ma part, que nous sommes arrivés à une forme d’équilibre.

Ce texte est ensuite marqué par une ambition en matière locale afin de faciliter la coopération entre le pays, les communes et d’autres personnes publiques, notamment grâce à une clarification des compétences communales, à la sécurisation de l’existence des syndicats mixtes ouverts comprenant la Polynésie française ou encore à l’amélioration du fonctionnement du fonds intercommunal de péréquation.

Enfin, le projet de loi organique comprend des aménagements techniques et des corrections de malfaçons ponctuelles dans le fonctionnement des institutions et la mécanique administrative. Ce sont des points qui ne font pas débat et pour le détail desquels je vous renvoie à l’état d’avancement des travaux qui vous a été communiqué.

Même si ce texte requiert un assentiment commun, il peut pécher par ce qui n’y figure pas. Une question n’est pas abordée : la limitation du nombre de collaborateurs du gouvernement polynésien inscrite à l’article 86 de la loi organique. J’y reviendrai dans la discussion sur l’amendement déposé par notre collègue Maina Sage, mais je voudrais faire auparavant un rapide rappel historique.

Dans les années 2000, la Polynésie française a connu une situation extrêmement instable aux conséquences complexes. Le nombre des collaborateurs des cabinets des membres du gouvernement a atteint un niveau record. Cette prolifération a conduit à une réaction du législateur organique. Un amendement à l’article 86 du statut d’autonomie de la Polynésie française a ainsi prévu de limiter l’enveloppe des crédits destinés à la rémunération des collaborateurs de cabinet en la fixant à un pourcentage de la masse salariale de l’administration de la Polynésie française – 5 % en 2012 puis 3 % à partir de 2014. On peut comprendre la volonté de stabilisation qui s’est manifestée alors, mais cette époque est aujourd’hui derrière nous : le redressement opéré par la Polynésie, y compris sur le plan budgétaire, témoigne encore une fois de la maturité de ses institutions.

Cette disposition est objet de débat. D’aucuns, et j’en suis, considèrent qu’elle ternit la confiance sincère et affirmée du Gouvernement dans les institutions polynésiennes. Surtout, nous devons constater qu’elle constitue un frein dans leur fonctionnement. Le gouvernement polynésien exerce des compétences complètes, complexes, exigeantes, qui ont des conséquences fortes sur la réalité du pays. Il s’appuie sur une administration efficace et compétente mais qui, évidemment, n’a pas la même ampleur qu’au niveau national. Les cabinets des ministres jouent un rôle fondamental et il est clair que leur configuration actuelle ne suffit plus. Cette limitation est de surcroît dérogatoire par rapport au droit commun de l’article 74 de la Constitution. J’aimerais que le débat se poursuive sur ce point, au-delà de nos discussions en commission des Lois, avec le Gouvernement et les autorités polynésiennes.

Je considère que le projet de loi organique est arrivé à une forme d’aboutissement et, si nous mettons à part ce point, que nous pourrions parvenir à une adoption conforme.

Le projet de loi ordinaire appelle, quant à lui, quelques améliorations.

Sur proposition de la sénatrice Lana Tetuanui, à laquelle j’adresse un salut amical, a été introduit un article 1er A transformant la dotation globale d’autonomie en prélèvement sur recettes afin d’en sanctuariser l’évolution. Bien que le Gouvernement ait considéré que cette disposition avait, par nature, davantage sa place en loi de finances, il s’était montré ouvert à cette transformation. D’autres prélèvements sur recettes ayant déjà été institués par le passé par une loi ordinaire, je vous propose de ne pas revenir sur cette disposition.

S’agissant du volet communal et intercommunal, le Sénat, s’appuyant sur l’initiative des autorités polynésiennes, a réalisé un important travail de redéfinition des compétences des communautés de communes et d’agglomération qui semble satisfaire le plus grand nombre. Il en va de même de la question de la participation des communes à des syndicats mixtes ouverts, même si certains points appellent de menus ajustements.

En ce qui concerne, enfin, les dispositions relatives au foncier, les élus polynésiens et la Chancellerie ont présenté au Sénat un travail de très grande qualité, largement inspiré de celui réalisé par notre collègue Maina Sage. Je vous recommanderai de l’avaliser moyennant une précision rédactionnelle. La proposition de loi de notre collègue Serge Letchimy, devenue la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, a institué un dispositif limitant les indivisions qui paralysent le foncier en outre-mer. Nous avions convenu lors de son examen qu’il faudrait des adaptations particulières pour la Polynésie française, notamment concernant le partage par souche. Un point d’accord a été trouvé et c’est une très bonne chose.

Enfin, deux demandes de rapport ont été adoptées. Je me tiendrai scrupuleusement à la règle de notre Commission en recommandant leur suppression et en invitant les instances compétentes des deux assemblées parlementaires à exercer leur mission de contrôle de l’exécutif sans tenter de la déléguer au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous invite à ouvrir au plus tôt nos travaux, que j’espère toujours placés sous le signe d’une volonté commune d’avancer vers le meilleur pour la Polynésie française.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Dans la discussion générale, nous allons commencer par entendre les représentants des groupes.

M. Philippe Gosselin. Vos vœux devraient être exaucés, monsieur le rapporteur : ce n’est pas parce que le groupe Les Républicains est dans l’opposition qu’il est obligé de s’opposer à tous les textes. Votre rapport montre l’intérêt de la réforme portée par le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Il s’agit, pour être très clair, de remplir les engagements de l’accord de l’Élysée du 17 mars 2017 qui s’inscrivait dans un processus remontant à la loi organique du 27 février 2004 qui avait accordé un statut d’autonomie à la Polynésie française. Je comprends que certains de nos concitoyens trouvent ces sujets très lointains ; ils ont tort, car la Polynésie, c’est la France, c’est la diversité des outre-mer.

Il me semble bon ici de rappeler quelques chiffres. La Polynésie française est composée de 118 îles ou îlots qui couvrent une surface de 2,5 millions de kilomètres carrés, soit la taille de l’Europe. Elle représente près de 50 % de la zone économique exclusive (ZEE) de la France, avec plus de 5 millions de kilomètres carrés.

Or, ce territoire lointain a besoin d’une administration du quotidien. C’est l’objet des deux textes qui nous sont soumis : ils définissent les compétences et les modes d’action respectifs de l’État et de la collectivité ; ils déterminent les conditions d’application des lois et règlements en Polynésie ; ils établissent le mode de désignation et de fonctionnement des institutions locales. Ce n’est pas rien : la Polynésie est confrontée à des difficultés et à des blocages matériels. Nous l’avions déjà vu à l’occasion d’autres textes concernant la création ou l’extension de compétences d’autorités administratives indépendantes : les initiatives concernant la Nouvelle-Calédonie ont été un premier pas dans la bonne direction.

Il s’agit également de créer des sociétés publiques locales et des syndicats mixtes ouverts, de placer davantage la Polynésie française dans son environnement international en permettant à ce pays d’outre-mer de représenter la France et d’être plus en phase avec les États voisins.

Le projet de loi organique comprend un point très important : la reconnaissance par la France du rôle essentiel jouée par la Polynésie dans la dissuasion nucléaire. N’oublions pas que c’est cette force qui a permis à notre pays de se placer parmi les grandes puissances, de disposer d’un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies et d’assurer le respect de la paix dans le monde et des grands équilibres – la France n’est pas un pays qui veut la guerre. Tout cela, nous le devons aussi à la Polynésie française. L’histoire du nucléaire sur ce territoire a été compliquée, parfois douloureuse, et elle a été la source de diverses rancœurs. Ce texte veut aussi solder cette période en assurant la pérennité des indemnisations et le respect des engagements liés à nos responsabilités. C’est un acte de maturité dans les relations entre la Polynésie française et l’État dans l’intérêt collectif.

Ces deux textes comportent aussi des mesures plus modestes, de nature technique, comme l’identification de certains navires – le problème ne se pose pas dans les mêmes termes sur nos côtes normandes, sans vouloir faire offense à nos voisins et amis d’outre-Couesnon…

M. Erwan Balanant. Il vaut mieux… Cela nous fâcherait !

M. Philippe Gosselin.… ou encore l’indivision successorale et le partage judiciaire, qui empoisonnent la vie des habitants dans nombre de territoires d’outre-mer.

Ce sont autant de questions essentielles sur les statuts, les relations entre Paris et la Polynésie française, l’organisation des pouvoirs.

Vous avez enfin, monsieur le rapporteur, insisté à juste titre sur la limitation des collaborateurs inscrite à l’article 86. Il va nous falloir effectivement entrouvrir la porte et montrer un geste de bienveillance : ce sera une manière de reconnaître la maturité, la majorité de cette collectivité. Il importera aussi de nous assurer que les montants d’indemnisation sont corrects.

Vous le voyez, monsieur le rapporteur : nous sommes animés des meilleurs sentiments et prêts à satisfaire vos vœux de rassemblement.

M. Philippe Latombe. Ces deux projets de loi relatifs à la Polynésie française sont le fruit d’un long travail de concertation entamé sous le précédent quinquennat et poursuivi par le Gouvernement actuel qui a réuni l’ensemble des acteurs concernés, en particulier les élus de la Polynésie française, pour convenir d’une actualisation de son statut.

Ces textes sont porteurs de réelles avancées pour cette collectivité qui bénéficie aujourd’hui de la plus large autonomie à l’égard de l’État, si l’on excepte la Nouvelle-Calédonie qui a un statut constitutionnel à part. Ils permettront de faciliter l’exercice de leurs compétences par le pays et les communes et de renforcer leur stabilité institutionnelle.

De plus, le projet de loi organique a une forte portée symbolique puisqu’il entérine la reconnaissance de la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire française. Il consacre les engagements de l’État pour assumer les conséquences des essais. Cette disposition qui figure à l’article 1er est particulièrement importante ; le groupe Mouvement démocrate et apparentés tient à saluer l’ensemble des acteurs ayant travaillé à sa rédaction dans le but d’emporter l’adhésion du plus grand nombre.

S’agissant du projet de loi ordinaire, nous tenions à saluer l’ajout par le Sénat de dispositions permettant de remédier aux difficultés liées à l’indivision successorale, qui se posent de manière particulièrement prégnante outre-mer. Lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi de notre collègue Serge Letchimy, vous nous aviez fait part, Mme Maina Sage, des problématiques propres à la Polynésie française qui n’étaient pas celles de la Martinique ou de La Réunion. Le groupe Modem étant attaché au principe de différenciation territoriale, il voit tout l’intérêt de s’adapter au mieux aux besoins de chacun des territoires.

Ces textes ayant été longuement discutés et négociés aux différentes étapes de leur élaboration, le groupe Modem et apparentés se satisfait de l’équilibre trouvé ; il les votera avec conviction.

Mme George Pau-Langevin. Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra également ces textes qui mettent en forme l’Accord de l’Élysée et qui ont fait l’objet de mises au point précises entre les élus de Polynésie française et l’État.

Nous approuvons notamment la déclaration de principe qui figure dans le projet de loi organique sur la reconnaissance de la contribution de la Polynésie française à la construction de la puissance nucléaire française. Certes, on peut s’interroger sur la portée normative d’un tel article ; toujours est-il qu’il a une portée symbolique forte et qu’il importe de le maintenir.

Les dispositions du projet de loi ordinaire permettent de régler des questions depuis longtemps en suspens, notamment celle de l’indivision. En 2015, un tribunal foncier a été mis en place, mais nous sommes malheureusement encore loin du compte. Il est important que des dispositions soient prises concernant la manière de régler le fond des litiges. L’État – et c’est là que la colonisation se rappelle à nous – avait posé le principe qu’il était propriétaire de toutes les terres sauf si les propriétaires privés rappelaient leur droit de propriété. Nous trouvons que c’est une excellente chose que nous puissions sortir de cette situation compliquée et quelque peu injuste.

Ces textes sont aussi l’occasion de rappeler que, grâce à la Polynésie française, la France peut se prévaloir d’une zone économique exclusive extrêmement étendue : elle représente 44 % de la surface totale de notre ZEE.

Ensuite, je tiens à souligner une innovation intéressante dans la manière de régler les relations entre les collectivités et l’État : la Polynésie française comme beaucoup de collectivités ou de départements d’outre-mer jouera désormais un rôle propre en matière de relations internationales. Cela se traduira par des avantages réciproques : il est important pour le territoire de pouvoir discuter d’égal à égal avec ses voisins, mais cela l’est tout autant pour la France d’être considérée comme un État de la zone Pacifique alors que son territoire hexagonal est très éloigné de cette région du monde.

Enfin, ce texte traite de sujets d’avenir comme la valorisation des terres rares : nous saluons la solution qui a été trouvée pour régler ce problème.

Pour toutes ces raisons, nous soutiendrons ces textes.

Mme Maina Sage. Je voulais vous remercier, chers collègues, pour vos interventions qui ont su rappeler l’historique et l’importance de cette réforme.

Le projet organique est né du bilan des dix ans d’application de la dernière grande réforme qui a eu lieu en 2004. Depuis 2014, des travaux de concertation ont eu lieu, d’abord au sein de l’administration locale, puis de manière interministérielle au niveau du gouvernement polynésien et bien évidemment en relation avec l’État. Les projets de loi que nous examinons émanent des propositions de la Polynésie française, présidée par M. Édouard Fritch, et de sa majorité à l’assemblée de la Polynésie, en partenariat avec les cinq parlementaires de Polynésie dont quatre sont issus de cette majorité. Je remercie le rapporteur d’avoir entendu l’ensemble des groupes politiques, y compris les représentants de l’opposition en Polynésie française, qu’il a auditionnés. De larges consultations ont été organisées : nous avons notamment recueilli l’avis du Conseil économique, social et culturel (CESC) et du syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française – rappelons que ce texte comporte un important volet communal.

Notre souhait a été de consolider ce projet de loi avec l’ensemble des parties prenantes. Bien évidemment, il est toujours perfectible et certains ont des avis plus nuancés, mais le groupe UDI, Agir et indépendants s’associera avec force à son adoption.

Ce texte comprend un article à haute charge symbolique : celui qui concerne le nucléaire. Nous avons tous été touchés par l’intérêt que vous avez porté à cette thématique au cœur de notre histoire commune avec la République française – et je crois pouvoir associer Mme Nicole Sanquer à cette remarque. Certes, il reste encore beaucoup de choses à régler, certains diront que ce ne sont que des mots, mais le fait d’écrire à l’article 1er que la République reconnaît avoir utilisé la Polynésie française afin de mener ses essais pour raison d’État et qu’il en assumera les conséquences est un pas important. Il s’engagera sur le plan sanitaire pour indemniser les victimes de ces essais et sur le plan environnemental en surveillant les deux atolls où ces essais ont eu lieu, il accompagnera bien sûr la reconversion économique. Il faut savoir que, durant toute la période des essais, la Polynésie française a vu son produit intérieur brut tripler : pendant trente ans, il a crû de dix points par an. Cela a évidemment bouleversé la structure économique même du territoire, les habitudes de vie et de consommation. À partir de l’arrêt des essais, l’État a organisé un plan de reconversion ; à cette époque, on ne mesurait pas encore les impacts sur le plan sanitaire et environnemental. J’aimerais insister sur ce point : il faut bien distinguer les conséquences économiques, qui appellent compensation, de la fin de cette économie nucléaire qui avait dopé la Polynésie française pendant trente ans, et les conséquences sanitaires et environnementales qui appellent une autre forme de réparation. L’article 1er du projet de loi organique non seulement consacre la reconnaissance de la contribution de la Polynésie française à la dissuasion nucléaire, mais il définit aussi les trois domaines – sanitaire, environnemental et économique – dans lesquels devra se traduire le nécessaire accompagnement de l’État. Rappelons que c’est à la suite du rapport d’une commission d’enquête de l’assemblée de la Polynésie française en 2007 que les Polynésiens ont pris pleinement conscience des diverses conséquences des essais nucléaires.

Je ne reviens pas sur le foncier ou sur la meilleure coordination entre l’État, la Polynésie et les communes : nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles.

Nous vous proposerons enfin un amendement d’appel qui vise à attirer l’attention sur un sujet de fond : la relation de confiance entre l’État et la Polynésie, le respect de son autonomie.

Je vous remercie tous d’être restés nombreux pour examiner ces textes et je serai ravie d’échanger avec vous sur l’ensemble de ces sujets.

Mme Naïma Moutchou. Au nom du groupe La République en Marche, je tiens à remercier notre rapporteur qui a travaillé avec constance et dans un esprit de dialogue sur un sujet important, car il est vrai que nous portons un intérêt marqué à l’évolution institutionnelle de nos outre-mer, et particulièrement à celle de la Polynésie française.

Ces deux textes, très attendus, ont fait l’objet de longues concertations entre élus polynésiens, gouvernement territorial et Gouvernement national pendant plusieurs années. Un réel travail de co-construction en a émergé. Le débat est arrivé à maturité : nous pouvons légiférer. Les sénateurs ont enrichi le texte en reprenant un certain nombre des engagements pris ; notre rôle est désormais de nous assurer que le cadre posé sera préservé.

Ces deux textes ambitieux marqueront un tournant historique : pour la première fois, l’État français va formellement reconnaître le rôle joué par la Polynésie française dans la politique de dissuasion nucléaire. C’est un pas symbolique dont il faut se féliciter.

Ces textes sont aussi importants sur le plan technique, singulièrement la loi ordinaire dont les dispositions ont vocation à améliorer la gouvernance de la Polynésie.

Nous sommes donc en mesure de faire évoluer le statut de la Polynésie française. Nous serons très attentifs aux propositions d’amendements ; le groupe majoritaire s’engage à poursuivre ce dialogue au sein de la commission des Lois.

Mme Mathilde Panot. Le groupe La France insoumise souhaite tout d’abord réagir sur la reconnaissance du fait nucléaire : les essais en Polynésie français ont sali l’histoire de notre pays trente ans durant. Consciente des impacts sur la population et sans en informer la population, la France a procédé à 193 essais nucléaires. Il est impossible de ne pas y voir un mépris terrible de la France métropolitaine où la honte de ce qu’elle pratiquait se mêlait à l’indifférence la plus absolue à l’endroit de nos concitoyens polynésiens. À cet égard, il est important qu’à la reconnaissance des dommages sur la santé des victimes s’ajoute la reconnaissance des préjudices sociaux, économiques et environnementaux causés à la Polynésie française.

Je souhaitais réagir fortement à ce sujet, car le terme « contribution » nous pose problème. Nous voudrions y substituer celui de « participation ». En effet, comment appeler « contribution » un fait politique imposé dans l’ignorance de ceux qui avaient à le subir ? Comment appeler « contribution » des cancers imposés sans qu’aucun citoyen ne connaisse les risques que l’État lui faisait courir ? Pour ma part, je crois qu’il existe de plus grands bonheurs humains que celui d’œuvrer à la construction de notre capacité de dissuasion nucléaire ; notre groupe, vous le savez, est attaché au désarmement nucléaire multilatéral. Voilà pourquoi, si cette reconnaissance est extrêmement importante, nous tenons à utiliser le terme de « participation », et non de « contribution », dans la mesure où ces essais nucléaires ont bel et bien été imposés à une population laissée dans une méconnaissance totale.

Par ailleurs, le groupe la France insoumise a déposé un certain nombre d’amendements sur ce texte ; dès février dernier, nous avons sollicité des associations polynésiennes afin de connaître leurs revendications et leurs attentes. Tous ces amendements respectent strictement la répartition des compétences actuelles entre l’État et la Polynésie française – nous y sommes extrêmement attachés. Ils ne prétendent qu’à appuyer, sur demande de la Polynésie française, les politiques que celle-ci pourrait mener dans le domaine de la planification écologique, devenue indispensable en raison du dérèglement climatique, comme dans celui de l’égalité réelle et notamment de la lutte contre la vie chère et la pauvreté.

M. Paul Molac. Deux textes, soixante articles, un large consensus qui a commencé à prendre corps avec les déclarations du Président François Hollande en 2016, à l’occasion de son déplacement en Polynésie : c’est un long cheminement. Rappelons que la Polynésie française relève des dispositions de l’article 74 de la Constitution, que certains souhaiteraient étendre non seulement à La Réunion, mais bien évidemment à la Corse, voire à la Bretagne… (Sourires.)

M. Raphaël Schellenberger. Et à l’Alsace !

M. Paul Molac. Le groupe Libertés et Territoires est tout à fait favorable à la différenciation territoriale : nous estimons que les collectivités locales ne sont pas forcément tenues d’avoir le même menu, elles doivent par moments pouvoir commander à la carte en fonction de leurs besoins et de leurs désirs. Et du reste, dès lors qu’elles demandent et obtiennent de prendre en charge un certain nombre de compétences, comme nous l’avons fait pour ce qui concerne la Bretagne, elles ont montré qu’elles savaient les mettre en œuvre au plus près des citoyens.

La première chose est effectivement la reconnaissance par l’État du fait nucléaire imposé à ces populations avec, disons-le, une certaine légèreté, dans la mesure où jamais on ne les a mises au courant des risques et des dangers qu’elles prenaient – pas plus d’ailleurs que les militaires et les marins qui ont participé à ces essais. On me permettra toutefois un petit bémol : je crois savoir que, depuis la reconnaissance du fait nucléaire, seulement vingt Polynésiens ont été indemnisés… Ils devraient logiquement être un peu plus nombreux.

Ce texte vise également à prévenir les blocages institutionnels avec, par exemple, le renouvellement de l’assemblée locale, qui a posé problème pendant un certain temps. Il s’agit également de permettre aux Polynésiens de prendre place dans certaines missions et représentations au niveau international ; car si l’ONU a classé ces territoires parmi ceux dont elle considère le statut proche de l’autonomie, je ne suis pas sûr que la Polynésie française soit inscrite comme région ayant droit à l’indépendance.

Pour ce qui est de l’indivision, elle pose d’énormes problèmes dans ces territoires, le même qu’en Corse où c’est le cas de 80 % des propriétés : on se retrouve ainsi à habiter dans une maison dont on n’est pas propriétaire alors que l’on y effectue les travaux.

Enfin, bien que cela excède le champ de ces projets de loi, il me semble que l’État aurait tout intérêt à reconnaître les peuples qui composent la République. Je pense évidemment aux Polynésiens, mais pas seulement puisque Breton je suis, Breton, je resterai : citoyen français, certes, mais de nationalité bretonne, car je ne confonds pas les deux… J’espère qu’un jour nous pourrons dépasser cette vision étriquée de l’État, de la nation et de la République, pour arriver à quelque chose qui soit une véritable reconnaissance des peuples. Ce ne serait pas si révolutionnaire qu’on le croit : après tout, la plupart des pays du monde fonctionnent ainsi. C’est la France qui fait figure d’anomalie.

M. Raphaël Schellenberger. Monsieur Molac, vous avez oublié que l’Alsace méritait aussi un statut bien particulier dans l’administration de son territoire…

M. Paul Molac. Vous avez tout mon soutien !

M. Raphaël Schellenberger. Je le sais, monsieur le député breton !

Si l’on ne peut comparer les enjeux de l’administration territoriale en métropole et dans les outre-mer, nous avons tout intérêt à laisser les outre-mer conduire certaines réflexions dont nous pourrions ensuite nous inspirer pour organiser les collectivités de droit commun. En balayant les différents articles du projet de loi ordinaire, je me suis particulièrement arrêté sur l’article 16 que je trouve très intéressant : il prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les conditions dans lesquelles la Polynésie française et ses établissements publics pourraient placer leurs fonds libres autrement qu’en valeurs d’État ou garanties par l’État. Cela pourrait nous conduire à réfléchir sur la gestion des finances pour la Polynésie française, pour les outre-mer, et plus largement pour nos collectivités territoriales.

M. Guillaume Vuilletet, rapporteur. Je remercie les orateurs pour leurs interventions qui montrent une volonté commune d’aboutir rapidement en suivant la direction tracée dès l’origine avec les Polynésiens eux-mêmes.

Je ne reviendrai pas sur les propos de M. Gosselin auxquels s’applique particulièrement mon propos précédent.

Monsieur Latombe, comme vous l’avez dit, le projet de loi entérine la reconnaissance de la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire française. Ce sujet été évoqué par tous les orateurs ; je ne reviendrai pas sur chacune des interventions. Nous aurons l’occasion, madame Panot, de discuter de la différence sémantique entre les mots « participation » et « contribution ». Je ne suis pas certain d’être d’accord avec vous sur leur sens exact. Nous en parlerons lors de l’examen des amendements.

Mme Sage a expliqué très largement les origines et les motivations de ce texte. Sa connaissance est incomparable et ses réflexions nous ont beaucoup inspirés.

Mme Pau-Langevin est revenue sur la question du foncier qui représente un enjeu global par rapport à ce qu’est aujourd’hui la Polynésie française. Là encore, nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.

Je salue la capacité dont fait montre M. Paul Molac à mettre en avant la Bretagne en toutes occasions et à vouloir étendre l’article 74 de la Constitution à des territoires qui sortent à l’évidence du champ de ce débat, au point que M. Schellenberger lui-même a cédé à cette contagion… Cela dit, il me permettra une petite correction factuelle : il n’y a pas eu une vingtaine, mais entre 100 et 150 indemnisations ; surtout, les règles ont été beaucoup assouplies en 2017. On peut espérer une accélération en la matière.

Monsieur Schellenberger, vous avez tout à fait raison : on pourrait s’inspirer de certaines mesures. Revenons un instant sur la proposition de loi de notre collègue Serge Letchimy sur les indivisions successorales, particulièrement prégnantes outre-mer : cela arrive aussi en Europe… J’espère qu’en l’espèce cette histoire qui se raconte et se construit outre-mer permettra aussi d’irriguer partout. C’est dire à quel point la direction que nous avons tracée est positive.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous aborderons l’examen des articles des deux projets de loi cet après-midi, à l’issue de l’audition des ministres de l’intérieur et de la justice.

La réunion s’achève à 12 heures 45.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, M. Vincent Bru, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Pierre Cordier, Mme Typhanie Degois, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Christophe Euzet, Mme Élise Fajgeles, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Philippe Gosselin, Mme Émilie Guerel, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Olivier Marleix, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Rémy Rebeyrotte, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, Mme Maina Sage, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann, Mme Hélène Zannier, M. Michel Zumkeller

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Jean-François Eliaou, Mme Paula Forteza, Mme Catherine Kamowski, Mme Marietta Karamanli, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel

Assistaient également à la réunion. - M. Julien Aubert, M. Dino Cinieri, M. Rémi Delatte, M. Fabien Di Filippo, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Valérie Lacroute, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Mathilde Panot, M. Éric Pauget, Mme Nicole Sanquer, Mme Laurence Trastour-Isnart