Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 

 

     Audition (par visioconférence) de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX)                             2

 

 


Mercredi
25 septembre 2019

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 105

session extraordinaire de 2018-2019

Présidence de
Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

 


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La réunion débute à 11 heures 15.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission entend (par visioconférence) M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de lAgence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (FRONTEX).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Pour poursuivre ce cycle d’audition relatif à la préparation du débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, nous auditionnons, en visioconférence, M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Monsieur Leggeri nous vous remercions vivement de vous être rendu disponible pour participer à cette audition. Je vais vous laisser développer un propos liminaire pour repréciser les fonctions et le rôle de Frontex. Ensuite, les députés vous poseront leurs questions.

M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de lAgence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). Je vous remercie de me donner la possibilité de m’adresser devant vous aujourd’hui pour vous présenter le travail de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde‑côtes, ses missions actuelles et ses défis futurs.

La première question qui se pose très souvent est de savoir pourquoi l’Union européenne s’est dotée d’une agence de ce type et quelles sont ses missions essentielles ?

L’Union européenne est constituée d’un espace de liberté, de sécurité et de justice : l’espace Schengen. La liberté de circulation est au cœur du projet de l’Union européenne et le rôle de l’agence Frontex est de contribuer à maintenir des frontières extérieures qui fonctionnent correctement. Ce rôle est nécessaire pour que la liberté de circulation à l’intérieur de l’Europe et de l’espace Schengen fonctionne correctement.

Trois types de grandes missions peuvent servir de cadre général.

Tout d’abord, des frontières extérieures de l’Union européenne qui fonctionnent correctement impliquent – en lien avec le sujet qui vous réunit aujourd’hui – d’être capables de gérer correctement les flux migratoires, notamment les flux d’immigration irrégulière. Cela implique la capacité de reconduire dans leur pays d’origine les personnes qui n’ont pas vocation à recevoir de protection internationale ou de titre de séjour quelque part dans l’Union européenne.

Les frontières extérieures doivent également constituer un filtre contre la criminalité internationale et contribuer à prévenir le risque de terrorisme. Il s’agit d’un domaine dans lequel les missions de l’Agence sont croissantes.

Les frontières extérieures doivent enfin être modernes et équipées d’outils et de technologies d’avenir. En effet, franchir légalement la frontière extérieure, que ce soit à l’entrée comme à la sortie, doit s’avérer être une expérience positive pour les centaines de millions de voyageurs réguliers qui franchissent tous les ans les frontières extérieures de l’Union européenne.

Je souhaite maintenant en venir à la crise migratoire et de l’asile à laquelle a été confrontée l’Union européenne pendant les années 2015 et 2016. Celle-ci a provoqué une importante réforme de l’Agence et l’augmentation de ses missions et de ses moyens.

En 2016, une première extension du mandat de l’Agence – renommée Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – a permis d’affirmer que la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne est une responsabilité partagée entre l’Union et ses États membres.

Dans ce cadre, l’Agence et, demain, le corps européen permanent, sont le bras opérationnel de l’Union européenne pour soutenir les États membres, et, dans certains domaines, pour faire en sorte que les évolutions soient mieux coordonnées et aillent vers davantage d’interopérabilité.

En termes de flux, la situation s’est caractérisée par des entrées irrégulières massives en 2015. Il faut bien comprendre que cela a été, d’une certaine manière, un traumatisme au niveau européen : ont été dénombrées 1,8 million d’entrées ou tentatives d’entrées irrégulières en 2015 et 1,2 million de personnes arrivées illégalement dans l’Union. La situation s’est améliorée puisqu’en 2018, 150 000 entrées irrégulières ont été constatées. Pour le moment, cette année, 70 000 entrées irrégulières ont été relevées, ce qui correspond à une diminution de 26 % par rapport à la même période l’année dernière.

Nous avons observé une diminution très importante des flux irréguliers de la Libye vers l’Europe, en particulier de la Libye vers l’Italie, au cours des deux dernières années. Nous avons également observé une diminution des flux sur la route de la Méditerranée de l’est, mais la Grèce, et en particulier ses îles, se trouve de nouveau sous une pression croissante depuis quelques semaines. Dans les 18 derniers mois, l’Espagne a également fait face à une pression migratoire extrêmement forte, qui semble désormais diminuer, notamment grâce à une coopération très étroite et très efficace avec le Maroc.

Aujourd’hui, l’Agence déploie entre 1 300 et 1 500 garde-frontières et garde-côtes aux frontières extérieures. Ils sont principalement mobilisés dans le cadre des importantes opérations que sont Poséidon en Grèce, Themis en Italie, Indalo en Espagne, et depuis le printemps, une opération est menée en Albanie pour la première fois en dehors du territoire de l’Union européenne. D’autres déploiements dans des postes frontières, moins importants, doivent également être signalés.

À chaque instant, nous déployons en moyenne 25 navires, une dizaine de moyens aériens de surveillance, qu’il s’agisse d’avions ou d’hélicoptères, et une centaine de voitures qui patrouillent aux frontières extérieures terrestres de l’Union européenne. Pour le moment, la plupart de ces moyens sont nationaux et sont mis à la disposition de l’Agence dans le cadre de ses activités. Ce modèle va cependant changer. Nous y reviendrons en parlant du corps permanent.

Aujourd’hui, pour vous donner un autre éclairage sur nos activités, nos moyens de surveillance aérienne sont capables, en temps réel, d’observer la situation à nos frontières extérieures. En particulier, nous avons des moyens déployés en Méditerranée centrale – mais pas seulement – au-dessus des frontières maritimes ainsi qu’au-dessus de certaines frontières terrestres.

Dans les situations de détresse en mer, nous pouvons détecter des cas qui nécessitent un secours en mer. Nous contribuons aussi, très fréquemment, à la saisie de tonnes de drogue, à l’arrestation de mouvements criminels liés aux trafics d’armes, de drogue ou d’autres activités illégales comme des infractions pénales aux réglementations sur l’environnement, pour ne donner que quelques exemples. Voilà à quoi nos moyens déployés peuvent aussi contribuer.

À ce jour, nos missions plus stratégiques peuvent être illustrées par la stratégie de gestion intégrée des frontières extérieures. Il s’agit d’une stratégie européenne, dont l’Agence est gardienne, qui a pour objectif de faire travailler ensemble les États membres et de faire en sorte que tous les services qui contribuent à la surveillance et au contrôle des frontières puissent être mieux coordonnés et harmonisés dans leurs moyens.

Nous assurons, à ce titre, une fonction de prospective, d’anticipation de programmation, de coordination et d’aide à une meilleure cohérence entre les moyens nationaux et les moyens déployés au niveau européen.

Nous asssurons également une fonction de surveillance 24 heures sur 24, avec une capacité à échanger des informations en temps réel avec les services nationaux de contrôle des frontières, des services de police, de douane, mais aussi avec d’autres agences, en particulier Europol, en ce qui concerne la lutte contre la criminalité organisée. Nous travaillons aussi étroitement avec le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), en particulier pour évaluer les mouvements secondaires.

Nous avons réalisé ensemble une étude sur ces mouvements concernant les demandeurs d’asile, enregistrés, qui se déplacent à l’intérieur de l’espace Schengen et vont déposer des demandes récurrentes dans plusieurs États membres.

Au titre de notre fonction stratégique, nous jouons également un rôle en matière d’étude de vulnérabilité. Il s’agit d’une mission d’audit des capacités en place pour le contrôle et la gestion des frontières qui se traduit par des recommandations, obligatoires, faites par l’Agence aux États membres. Le directeur exécutif de l’Agence peut relayer au niveau politique européen les éventuelles persistances de difficultés, soit parce que certains États ne sont pas en mesure de mettre en œuvre les recommandations, soit parce que certains États ne souhaitent pas le faire et donc ne sont pas dans l’application correcte du droit Schengen qui est notre code commun pour les frontières extérieures.

Le contrôle des frontières contribue également, de manière cruciale, à la sécurité intérieure, même si je ne confonds pas cette mission avec les problématiques migratoires. Il existe des groupes criminels et des trafiquants d’êtres humains qui sont à la charnière entre les problématiques d’immigration irrégulière et celles de criminalité.

L’Agence a aussi pour rôle de collecter des données personnelles à des fins d’enquêtes pénales et partage ces informations avec Europol.

Sa coopération est également croissante avec les missions de politique, de sécurité et de défense communes. En matière migratoire, je pense notamment à la coopération avec la mission EUNAVFOR MED Sophia en Méditerranée centrale ou aux coopérations avec d’autres missions moins connues, notamment au Sahel.

Une coopération existe aussi avec d’autres agences européennes que sont l’Agence européenne de contrôle des pêches et l’Agence européenne de sûreté maritime. Avec ces agences et les différentes composantes maritimes des États membres, nous développons des fonctions qui sont à la fois des missions de surveillance des frontières, qui peuvent aboutir à du secours en mer, mais aussi des missions relatives à l’action de l’État en mer, ainsi qu’on les appelle en France.

Les moyens de l’Agence sont en augmentation. Le nouveau mandat et les nouvelles ressources de l’Agence ont fait l’objet d’un accord politique au printemps 2019. À partir vraisemblablement du mois de novembre entrera en vigueur le nouveau règlement relatif aux corps des garde-frontières et garde-côtes européens qui constituera un changement d’échelle par rapport à ce qui existait depuis 2016.

Pour vous donner quelques chiffres, avant la crise migratoire, le budget de l’agence Frontex voté pour l’année 2015 était de 94 millions d’euros. Aujourd’hui, le budget annuel est en moyenne de 330 millions d’euros. Le budget proposé par la Commission européenne sera, en rythme de croisière, d’à peu près un milliard d’euros par an.

Pour le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne 2021‑2027, la Commission européenne a proposé 5,5 milliards d’euros afin de permettre à l’Agence de financer les salaires du corps européen de garde-frontières et garde-côtes et 2,2 milliards d’euros pour qu’elle puisse acquérir des moyens techniques qui seront directement utilisés par le corps permanent. Il s’agit de bateaux, d’avions, de drones et de moyens de patrouilles terrestres déjà acquis en partie et qui sont en train d’être déployés.

Avec le nouveau règlement, le nouveau mandat et surtout la mise en œuvre du corps européen, ce dernier devrait compter à terme jusqu’à 10 000 membres, avec une composante tout à fait particulière qui est celle des agents directement employés par l’Agence et qui seront des agents publics européens sous statut de l’Union européenne.

L’objectif est de compter 3 000 personnes qui seront directement employées par l’Agence et qui seront des personnels régis par le statut de la fonction publique de l’Union européenne. Les autres resteront des employés nationaux mis à disposition par les États. La plus grande partie le sera pour une durée allant de deux à quatre ans. Dans la réalité, il s’agira de détachements puisque l’Agence paiera leurs salaires.

En ce qui concerne les équipements, nous devons arriver progressivement à une situation dans laquelle tous les moyens techniques, de surveillance et de patrouille seront mis à disposition par l’Agence pour être utilisés par le corps européen. Les États membres ne seront plus sollicités pour mettre à disposition ces moyens. Le commandement tactique des États membres, celui des autorités nationales, sera cependant préservé. Ce corps européen est respectueux de la souveraineté et des prérogatives nationales grâce a un plan opérationnel, sorte de contrat convenu entre l’État qui va accueillir des activités et l’Agence.

Dans le commandement quotidien, ce seront évidemment les autorités nationales qui auront le dernier mot sur les instructions qui seront données à tous ces effectifs déployés. Il s’agit d’un défi pour l’Agence qui va devoir mettre en place une chaîne de commandement pour le corps européen avec des commandants qui seront les interlocuteurs des commandements nationaux.

Pour conclure, l’Agence propose d’utiliser trois de ses objectifs stratégiques pour le corps européen.

Tout d’abord – cela fait partie de la stratégie de gestion intégrée des frontières européennes –, il y a la réduction de la vulnérabilité de nos frontières extérieures par le développement d’une information et d’une connaissance approfondie de la situation, y compris en temps réel. Je me réfère ici à l’analyse de risques, à la capacité à mieux anticiper et à mieux prévoir et à l’obtention de renseignements à court terme et à long terme, y compris avec l’étude de vulnérabilité qui est l’audit des frontières extérieures et des capacités en place. Ces éléments recoupent un premier objectif stratégique.

Un deuxième grand objectif est de faire en sorte que le fonctionnement de nos frontières extérieures soit plus fiable, plus sûr, plus sécurisé et plus opérationnel. Cela tient directement de la capacité à déployer sur place, en temps réel, là où il le faut, des personnels et des équipements pour éviter d’avoir des lacunes dans le fonctionnement des frontières, que ce soit pour maîtriser les flux d’immigration irrégulière, qui sont parfois difficilement contrôlés, ou pour mieux gérer des flux de voyageurs qui sont en augmentation constante et qui, parfois, conduisent à des files d’attente et donc à des dysfonctionnements dans les aéroports ou les frontières terrestres.

Le troisième grand objectif stratégique est de permettre un développement durable et soutenable des capacités européennes de garde-frontières et de garde-côtes. Les capacités européennes sont les capacités propres de l’Agence et les capacités nationales des différents États membres puisque la gestion des frontières extérieures est une mission et une responsabilité partagées entre l’Union et ses États membres. Il nous appartient, ensemble, au niveau européen, avec les acteurs nationaux, de faire en sorte que les capacités soient durables, à la fois en termes de développement technologique ou d’équipements en état de fonctionner correctement.

La question de la formation de nos agents, des recrutements et des stratégies pour le remplacement des matériels obsolètes doit également être posée. Il faut réfléchir à ce qui se passe dans certains États où, soudainement, on se rend compte qu’un tiers des équipements devraient ne plus être en service parce qu’ils ont atteint la durée de fonctionnement initialement prévue.

Voilà le cadre des missions et du mandat de l’Agence. Je suis prêt à répondre à des questions sur ce sujet, ainsi que sur celui des migrations qui constitue l’essentiel des préoccupations de l’Assemblée nationale en ce moment.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous remercie. Vous avez raison, votre audition aujourd’hui a pour objectif d’axer notre réflexion sur les problématiques migratoires. Nous allons essayer de concentrer nos questions sur ces thématiques-là.

M. Sacha Houlié. Ma première question concerne les relations que votre agence entretient avec les différents États membres ou acteurs qui interviennent dans le cadre des migrations internes méditerranéennes. Nous savons que la voie migratoire orientale, qui a débouché en Europe par la Hongrie, a été obstruée d’une façon particulière, voire détestable, par le gouvernement hongrois. Quelles sont aujourd’hui les relations de l’Agence avec ce gouvernement ?

Quelles sont également les relations actuelles de l’Agence avec l’Espagne qui enregistre certaines demandes et accueille une partie du flux migratoire sans pour autant enregistrer tous les demandeurs d’asile ou toutes les personnes mettant le pied sur le territoire européen dans leurs administrations ou dans leurs réseaux préfectoraux ?

Par ailleurs, quelles sont les relations de l’Agence avec les bateaux humanitaires qui naviguent, en parallèle des missions Themis, Poséidon et Indalo ?

Vous avez évoqué une montée en charge des effectifs de l’Agence, aujourd’hui compris entre 1 300 et 1 500, qui doit atteindre 10 000 personnes employées directement ou mises à disposition par les États. Il était notamment question de pouvoir offrir un débouché professionnel à une partie des pays de l’Union européenne comptant une surreprésentation de douaniers ou de personnes qui contrôlent les frontières, je pense notamment à la Pologne. Une répartition a-t-elle été fléchée ? Un calendrier a-t-il été préparé par le Parlement européen ? Les travaux ont-ils davantage avancés sur ce sujet et pouvez-vous nous en communiquer les éléments ?

M. Mansour Kamardine. Monsieur le Directeur exécutif, vous avez exclusivement parlé, dans votre exposé, de la politique migratoire sur les sols européens continentaux. L’Europe, c’est aussi nos territoires lointains, les départements d’outre-mer, des Antilles à la Guyane, l’océan Indien, de Mayotte à la Réunion. Pouvez-vous nous dire quels sont les engagements et la politique que vous développez pour ces territoires qui sont, finalement, plus pressés par les questions migratoires que les territoires européens ?

À Mayotte, vous aurez observé que plus de 52 % de la population est d’origine étrangère. Sur les 500 ou 600 millions de populations européennes, c’est comme si l’on disait qu’il y en avait plus de 300 millions qui étaient en situation irrégulière.

Vous avez dit qu’en 2016, nous avons accueilli sur le territoire européen plus d’un million de personnes. Si cela a déstabilisé l’Europe, imaginez les déstabilisations qui se produisent sur ces territoires lointains très fragiles.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Il serait très intéressant d’avoir des indications plus détaillées sur les opérations de retour, dans la mesure où vous jouez un rôle croissant sur le retour des personnes dans leur pays d’origine. Pouvez-vous nous expliquer comment les États membres se coordonnent ? Comment le financement s’organise-t-il ? Comment les avions sont-ils affrétés ? Comment aidez-vous les personnes à obtenir leurs documents de voyage ?

C’est la première fois que nous auditionnons un interlocuteur en visioconférence. Ce fonctionnement est très appréciable et je vous remercie, Madame la présidente, de l’avoir initié.

Mme Marietta Karamanli. Vous avez donné des éléments sur les effectifs actuels de Frontex ainsi que sur ceux de la réserve de réaction rapide. Où en est le déploiement du corps permanent devant être pleinement opérationnel d’ici 2027 ?

Par ailleurs, quelles sont vos relations avec l’Office européen de police, Europol ? Hier, à Bruxelles, nous avons été interrogés sur les différentes relations qui existent entre les agences.

J’aurais souhaité également connaître la part prise par Frontex au sauvetage en Méditerranée.

Dernier élément, vous avez évoqué les difficultés que les îles grecques connaissent. Quelles sont les relations de l’Agence avec la Turquie, les évolutions sur ce territoire inquiétant ses voisins directs que sont la Grèce, Chypre et la Bulgarie ? Comment comptez-vous adapter les dispositifs tout en protégeant les personnes ?

M. Robin Reda. Vous avez indiqué que le budget de Frontex a triplé en quatre ans. Il s’agit d’une chose tout à fait salutaire, parce qu’il y a quelques années, avant la crise migratoire, d’aucuns parlaient de Frontex comme d’un tigre de papier. Nous voyons bien tout le regain d’intérêt de la Commission européenne et des États membres pour le rôle et les missions de l’agence.

Dans cette perspective et au regard des ambitions très fortes qui ont été affichées portant à un milliard d’euros le budget en 2027, pouvez-vous nous éclairer sur la participation attendue des États membres et en particulier celle de la France ?

Par ailleurs, dans l’hypothèse où vous seriez favorable à une surtaxe sur les visas extracommunautaires pour le financement de l’Agence, comment pourrait-elle s’appliquer aux étrangers qui voudraient passer par la procédure de visa ?

M. Fabrice Leggeri. Je vais d’abord répondre sur les relations de l’Agence avec un certain nombre d’États comme la Hongrie et l’Espagne. En Hongrie, nous n’avons pas de réel déploiement mais huit personnes sont présentes sur 350 kilomètres de frontières. On ne peut donc pas vraiment considérer qu’il y a une activité en Hongrie.

De manière générale, l’Agence entretient des relations avec tous les États membres de l’Union européenne. Au-delà des déploiements terrestres sur le territoire ou aux frontières maritimes, d’autres éléments tels que l’analyse des risques ou l’activité du conseil d’administration permettent de les prolonger, y compris avec les États Schengen, c’est-à-dire la Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande, qui font partie du conseil d’administration.

L’Agence a augmenté sa présence sur le sol espagnol. Ces derniers jours, à peu près 300 garde-frontières ou garde-côtes étaient déployés en Espagne, un niveau qui n’a jamais été aussi élevé. Il s’agit de l’opération Indalo qui coexiste également avec l’opération Minerva. Indalo est plutôt centrée sur la surveillance du détroit de Gibraltar et remonte jusqu’à Malaga. Si la côte méditerranéenne est important, la côte atlantique est également concernée quasiment jusqu’à Cadix. L’opération Minerva est une opération de contrôle des ferries qui arrivent du Maroc. Nous aidons les collègues espagnols à contrôler les passagers lors d’entrées régulières. Il s’agit du fonctionnement tout à fait normal d’un poste-frontière maritime.

S’agissant des relations avec les bateaux d’ONG, nous avons des contacts avec certaines organisations dans le cadre d’un forum consultatif qui aide ou conseille l’Agence en matière de protection des droits fondamentaux, en particulier des personnes vulnérables.

De manière plus opérationnelle, en ce qui concerne la présence sur zone, la coordination du secours en mer appartient aux autorités nationales et aux autorités publiques. Lorsqu’il y a des opérations de cette nature, l’Agence se conforme toujours aux instructions des centres de coordination du secours en mer en cas de présence sur zone de bateaux d’ONG.

Nous sommes en train de préparer la première vague de recrutement du corps européen. Le règlement n’est pas encore formellement entré en vigueur mais il est en train d’être traduit dans les langues officielles. Il pourra ensuite être adopté formellement et, 20 jours après sa publication, entrer en vigueur. Nous avons déjà entamé des préparatifs, et, en particulier, une première vague de recrutements de 750 agents qui seront sous statut de la fonction publique européenne.

La question de la provenance de ces agents est une préoccupation partagée entre l’Agence et les États membres. Du point de vue de l’Agence, cette première vague doit nous permettent de recruter des personnels suffisamment expérimentés car la barre est assez haute. Il nous faut pouvoir faire aussi bien que des garde-frontières ou des garde-côtes nationaux. Il y a donc des critères de qualité et de formation. Il faut que ces personnels soient habitués à des missions comparables et à des actions de police. Ceux-ci vont porter un uniforme européen et des armes. Ils doivent donc être triés et sélectionnés avec des critères aussi exigeants que dans les services de police des frontières des États membres.

Une préoccupation que je ne peux pas vous cacher est celle de la rémunération. L’équilibre géographique ne pourra être assuré que si la rémunération offerte permet d’attirer des candidats de façon équilibrée en provenance de toute l’Union européenne. Sans entrer dans les détails techniques, la Commission européenne avait fait une proposition pour gommer les effets d’un coefficient correcteur qui est appliqué en fonction de l’état du déploiement, notamment en fonction du siège qui est à Varsovie. De ce fait, nos employés et nous-mêmes ne percevons que les deux tiers de la rémunération au motif que nous sommes à Varsovie et que le coefficient correcteur est de 70 %.

Le problème qui se pose est que l’Agence risque d’attirer excessivement des candidats venus plutôt des États membres de l’est de l’Union européenne, où les salaires sont inférieurs, voire très inférieurs, à la moyenne européenne. À l’autre extrémité du spectre, c’est à dire à l’ouest de l’Europe, les salaires que nous allons offrir ne seront pas satisfaisants. Je crains fort de ne pas attirer suffisamment de candidats venant de l’Europe de l’ouest.

Cet élément est regrettable car la Commission européenne avait fait une proposition qui permettait techniquement de gommer cet effet. Le Parlement européen avait appuyé et voté cette disposition. Malheureusement, le Conseil, à l’initiative d’États, en particulier de l’ouest, s’est opposé à cette mesure. Nous n’aurons donc probablement pas de représentation géographique équilibrée dans la première vague de recrutements.

Nous recherchons des personnels qui ont une expérience de garde-frontières ou de garde-côtes, mais aussi de policier ou de douanier en général, avec une prédilection pour ceux en fin de contrat dans leur pays d’origine, qui seraient des jeunes retraités. Dans certains États, des personnes, dans la quarantaine, sont à la retraite de leur premier poste. Il s’agit du premier vivier que nous cherchons à attirer.

En ce qui concerne l’outre-mer, la situation juridique est quelque peu complexe car l’outre-mer français ne fait pas partie de l’espace Schengen. Il s’agit d’une décision de la République française lorsqu’elle a adhéré à la convention de Schengen. Elle s’est ensuite perpétuée lorsque la coopération Schengen est devenue institutionnellement une politique de l’Union européenne.

L’agence Frontex n’est compétente que pour le développement de ce que l’on appelle « l’acquis de Schengen ». Aujourd’hui, je suis parfaitement conscient des enjeux migratoires à Mayotte, en Guyane et certainement dans d’autres territoires des départements et collectivités d’outre-mer. Malheureusement, l’agence Frontex ne peut pas intervenir sur ces territoires aujourd’hui.

En matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière ayant fait l’objet d’une décision dans ce sens, le rôle de l’Agence a beaucoup augmenté dans les dernières années, en particulier depuis 2015‑2016. Aujourd’hui, nous effectuons 10 % des éloignements effectifs qui ont lieu de l’Union européenne vers l’extérieur de l’Union. La part de cette activité représentait à peu près 1,5 % au niveau européen en 2015, lorsque j’ai pris mes fonctions. Par exemple, l’année dernière, nous avons éloigné environ 14 000 personnes de façon effective. Pour le moment, en 2019, nous avons déjà dépassé la barre de 10 000 éloignements réalisés.

La décision d’éloignement est prise par les autorités nationales, y compris dans l’ordre administratif français. Nous aidons ces autorités à mettre en œuvre l’éloignement, ce qui inclut l’identification des personnes, c’est-à-dire l’établissement de leur identité véritable et de leur nationalité et l’aide à l’acquisition des documents de voyage.

Pour vous donner un exemple, très récemment, pour la première fois, nous avons pu faire venir à Malte des autorités consulaires marocaines qui ont accepté de reconnaître comme ressortissants de leur pays un groupe de quarante migrants irréguliers. Ils avaient été débarqués par des bateaux humanitaires que Malte avait accueillis. Conséquemment, le Maroc a octroyé des laissez-passer consulaires et nous avons pu procéder à leur éloignement de Malte vers ce pays.

Nous coopérons également avec tous les États membres. En volume d’activité, la France est aujourd’hui le troisième État membre de l’Union européenne utilisateur de Frontex, le premier étant l’Allemagne et le deuxième l’Italie. Cela s’explique par les volumes de personnes à éloigner et par la taille des États. D’autres états comme la Belgique sont très actifs en termes d’activité.

Parmi nos moyens, nous avons la possibilité d’affréter nous-mêmes, par des contrats, des avions qui sont utilisés pour ces éloignements, ceux qui sont appelés charters. Nous avons aussi recours à des moyens nationaux d’avions qui sont parfois mis à disposition par les États. Depuis deux ans, nous avons également développé une politique qui consiste à mettre à disposition des places sur des vols commerciaux. Il s’agit d’un moyen très flexible qui est privilégié par certains États étrangers qui n’acceptent pas les vols charters, tout en étant prêts à coopérer et à recevoir leurs ressortissants à condition qu’ils arrivent sur des vols commerciaux habituels.

Nous assurons également un rôle de coordination car, sur certains vols, des éloignés et leurs escorteurs proviennent de plusieurs États membres. Ils sont parfois accompagnés par des personnels de l’Agence. Le corps européen permanent aura vocation à fournir, lui aussi, des escorteurs et des personnels qui feront des missions d’éloignement vers les pays d’origine.

Aujourd’hui, l’Agence est capable de couvrir une centaine de pays et de destinations, notamment grâce aux vols commerciaux. Ceux-ci ouvrent des niches plus rares où des États n’avaient aucun moyen d’éloigner certaines nationalités.

L’Agence compte 720 employés, contre un peu moins de 200 en 2015. Les effectifs ont plus que triplé. Nous sommes encore en train de recruter sur le contingent qui avait été décidé en 2016. Nos horizons de recrutements vont jusqu’en 2020 avec un objectif de 1 000 employés de l’Agence à la fin 2020 et de 250 pour le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS), une centrale européenne.

Il s’agira d’une autorisation pré‑électronique de voyage que devront demander les 60, et bientôt 61 nationalités non européennes, qui ne sont pas soumises à visa, par exemple les Américains, les Australiens ou les Japonais. Après le Brexit, il est vraisemblable que les Britanniques entreront dans cette catégorie également. Il s’agit d’un système qui ressemble à ce que les États-Unis ont mis en place avec la demande d’autorisation de voyage (ESTA). L’Union européenne a décidé de se doter d’un système semblable. C’est l’agence Frontex qui gérera et accueillera l’unité centrale européenne. 250 personnes y seront affectées et travailleront en trois-huit, c’est-à-dire en permanence, sept jours sur sept.

À ce personnel, plus d’un millier, va venir s’ajouter celui du corps européen. Nous sommes en train de préparer la première vague de recrutements de 750 employés qui auront vocation à être déployés sur le terrain. Ils n’assureront pas de fonctions au siège de l’Agence mais des fonctions opérationnelles de policiers des frontières qui viendront en supplément des personnels de l’Agence.

À terme, nous pouvons envisager environ 3 000 agents de l’Union européenne dans le corps européen, en plus du millier au siège. L’Agence devrait compter 4 000 personnels à l’horizon 2027, sauf décision contraire que je ne connais pas à ce jour.

La relation de l’Agence avec Europol est très étroite. Depuis ma prise de fonction en 2015, j’ai eu à cœur de renforcer cette coopération, ainsi qu’avec les services de police des États. En effet, la gestion de la frontière extérieure de l’Union européenne, la frontière Schengen, ne se focalise pas uniquement sur les questions migratoires, mais implique aussi que l’on puisse utiliser la frontière extérieure, à l’entrée comme à la sortie, pour détecter des mouvements criminels ou terroristes et pour pouvoir les traiter comme il se doit.

La coopération avec Europol est cruciale. Depuis 2016, elle comprend des flux de données personnelles que nous sommes dûment habilités à collecter lors de nos activités aux frontières extérieures et que nous traitons et partageons avec Europol ainsi qu’avec Eurojust. La procédure avec Eurojust est en cours d’élaboration, elle répond à une mission qui nous a été confiée par le législateur européen. Elle implique également le partage de ces données avec les services de police.

La relation avec Europol s’effectue sur le terrain, là où l’Agence est présente et lorsqu’il y a des opérations coordonnées par Europol aux frontières extérieures. Elle s’établit sous l’angle de l’analyse des risques et de l’échange d’informations à caractère général et pas seulement des données personnelles. Elle est également plus stratégique concernant l’évolution de nos technologies que nous pouvons mettre à disposition d’Europol.

Comme nous avons l’habitude de le dire avec ma collègue Catherine de Bolle, la directrice exécutive d’Europol, la communauté des garde-frontières et des garde-côtes peut être les yeux et les oreilles du système d’information sur les visas (VIS). C’est en ce sens que tous les moyens supplémentaires techniques, je citais 2,2 milliards d’euros pour des moyens déployés aux frontières par le corps européen, indirectement, pourraient servir à la sécurité intérieure. Ils pourraient aussi contribuer à fournir de l’information utile pour Europol.

Depuis le début de l’année 2019, 16 000 personnes ont été sauvées en mer par l’agence Frontex et ses opérations, en Italie, en Grèce et en Espagne. En 2016, année de très fortes pressions migratoires avec de nombreux drames en mer, nous avions sauvé 90 000 personnes dans le cadre de nos activités et de nos opérations dans les principales zones géographiques que sont la Grèce, la mer Égée, la Méditerranée centrale et la Méditerranée occidentale, mais aussi l’Atlantique entre le Maroc et l’Espagne.

Frontex a un mandat pour développer la coopération avec des pays non-membres de l’Union européenne. La Turquie fait partie des États avec lesquels l’Agence a noué, de manière opérationnelle, des accords de coopération, et depuis 2012, un mémorandum d’entente. Les relations sont permanentes et constantes, y compris sur le plan opérationnel, avec la mise en œuvre des opérations de réadmission que nous effectuons entre les îles grecques et la Turquie dans le cadre de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie qui a été établi en 2016.

Des officiers de liaison sont déployés au sein des délégations de l’Union européenne. Il s’agit en quelque sorte du même modèle que les attachés de police qui sont déployés dans des ambassades. Dans ce cas, un officier de liaison de l’agence Frontex est présent dans une délégation. Le premier a été déployé en 2016 à Ankara.

Notre activité est évidemment très intense en Grèce. Nous avons également une présence en Bulgarie. En effet, la frontière terrestre entre la Turquie et la Bulgarie, ainsi que celle entre la Turquie et la Grèce, sont des lieux sous pression migratoire avec également des problématiques de sécurité concernant de possibles retours de revenants du Proche-Orient.

Depuis quelques mois, nous sommes également présents à Chypre pour soutenir les autorités du pays dans la gestion de flux migratoires de plus en plus importants, qui soit arrivent par mer, soit sont détectés à Chypre en provenance vraisemblablement de la partie du territoire chypriote qui n’est pas sous le contrôle effectif du gouvernement. Il s’agit d’un élément nouveau. Nous aidons à l’enregistrement et à la prise d’empreintes digitales et nous offrons également des solutions pour l’éloignement de ces migrants irréguliers. Il y a une partie de Syriens, mais la plus grande partie provient, comme en Grèce et dans les Balkans, de l’Afghanistan, d’Iran, du Pakistan et du Bangladesh.

La coopération est excellente avec la France pour la mise en œuvre du corps européen. Les services de la police des frontières et des douanes participent à nos activités. Notre relation s’est aussi beaucoup développée depuis 2016 avec la police nationale.

En effet, les profils des personnels déployés se sont diversifiés, au-delà de la police aux frontières. Par exemple, il y a eu des déploiements de gendarmes pour effectuer des missions d’éloignement d’étrangers en situation irrégulière. Très récemment, j’ai rencontré le directeur général de la gendarmerie nationale, preuve qu’il y a un intérêt très grand à coopérer. La coopération avec les autorités opérationnelles ou politiques de l’exécutif en France est très dense, très forte et très positive.

Sur la mise en œuvre du futur mandat, le défi sera que les autorités françaises puissent réussir à détacher suffisamment de leurs agents nationaux dans le corps européen. Il consistera peut-être à convaincre un certain nombre de Français à être candidats à des postes de catégorie 1 sous statut européen. En termes budgétaires, il n’y a pas de contribution attendue puisque l’ensemble de notre budget vient du budget de l’Union européenne.

En ce qui concerne l’idée d’une surtaxe sur les visas, je crois que l’autorité budgétaire européenne, comme généralement l’autorité budgétaire nationale, est toujours attentive au principe d’universalité budgétaire et se méfie des surtaxes, bien que la question puisse se poser légitimement. La question de l’affectation de la recette budgétaire européenne consécutive à la mise en place d’ETIAS a pu se poser, puisque les ressortissants non européens qui demanderont une autorisation ETIAS devront payer. Cette recette reviendra vraisemblablement dans le pot commun du budget de l’Union européenne. La question pourrait se poser de l’affecter au contrôle des frontières et peut-être, aussi, à la remise en état de notre réseau consulaire.

M. Olivier Marleix. Ma première question porte sur la lutte contre la criminalité. Vous avez évoqué le terrorisme et le trafic de drogue mais pas la lutte contre les réseaux de passeurs. J’ai le souvenir d’une vidéo de Frontex où l’on voyait un faux bateau de pêche traîner des migrants. Très concrètement, combien d’affaires ont été judiciarisées à votre initiative et quel bilan pouvez-vous nous donner en la matière ?

Ensuite, sur les moyens supplémentaires dont vous allez disposer, est‑ce qu’ils feront évoluer votre doctrine d’emploi – si je puis dire – en Méditerranée ? Peut-on imaginer que demain, dans le prochain mandat, vous puissiez mener une patrouille autonome dans les eaux internationales ou est-ce que vous resterez dans le cadre exclusif actuel des opérations menées conjointement avec les États membres ?

Enfin, la politique des hotspots hors Union européenne ne semble pas avoir rencontré un grand succès. D’ailleurs, nous comprenons la réticence des États, notamment sur les côtes africaines, à ne pas accueillir ceux que nous regrettons d’accueillir nous-mêmes à Calais. En revanche, qu’en est-il de l’idée, qui avait été développée par le Président de la République, d’imaginer des hotspots plutôt sur les frontières sud des États, c’est-à-dire sur les frontières entre les pays d’Afrique du Nord et le Sahel ? Cette idée permettrait aussi de mieux protéger nos frontières, puisqu’en général, il y a des enjeux de lutte contre le terrorisme et des intérêts plus convergents avec ces pays d’Afrique du Nord.

M. Éric Diard. Vous suivez comme nous les péripéties de nos confrères britanniques par rapport au Brexit : suspension des travaux parlementaires puis rétablissement de ces travaux par une Cour de justice. À l’heure actuelle, nous ne savons pas si nous allons aboutir à un Brexit avec ou sans accord. Comment s’est préparée l’agence Frontex au futur Brexit ?

Mme Isabelle Florennes. J’ai une question sur vos nouveaux équipements, je parle des drones en l’occurrence, dont vous êtes équipés depuis peu et dont on me dit qu’ils seraient français. Comment ces équipements sont-ils utilisés et sous quelles conditions ? Sont-ils amenés à suppléer une partie des missions de surveillance et de sauvetage en mer ? Dans le cas où les drones seraient utilisés et qu’ils repéreraient une embarcation en difficulté ou un navire en détresse, comment s’opère le sauvetage ? Quel est le régime juridique qui s’applique dans ce cas précis, puisque l’on sait notamment que sur la question des drones, il y a un vide juridique ?

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Je voudrais vous interroger sur la situation en Italie. Si l’on se fie à vos chiffres, il semble que le nombre de passages vers l’Italie et Malte a considérablement diminué. Aujourd’hui, il semble que ce soit vers la Grèce que se concentre l’essentiel des passages. Il y a un regain de passages vers les îles grecques que nous avions vu diminuer ces dernières années. Pouvez-vous nous préciser la situation, les chiffres et ce qui explique ce regain de passages vers la Grèce ?

Vous évoquiez en introduction la mission Themis en Italie. Il existe une autre mission de l’Union européenne dans la même région : l’opération Sophia. Si les missions sont différentes, il semblerait qu’il y ait des champs qui se recoupent, en particulier sur les réseaux de migrants. Comment s’articulent Themis et Sophia sur le terrain ?

Il y a quelques jours, un rapport du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, mettait en cause les moyens aériens européens dans le débarquement des migrants en Libye. Si je me fie au rapport, nous pouvons constater que les embarcations en détresse repérées par les moyens aériens européens ont été débarquées en Libye. Ce fait constitue, au regard du rapport, un désaccord avec l’avis consultatif qui considère que la Libye ne remplit pas les conditions qui lui permettent d’être considérée comme un lieu sûr aux fins de débarquements de migrants. Quelle est la doctrine, ou en tout cas la méthodologie utilisée, lorsque les moyens aériens de Frontex ou d’une autre opération européenne repèrent des migrants en Méditerranée ? Dans quel cas sont‑ils débarqués en Libye ou ailleurs ?

Mme Emmanuelle Ménard. L’an dernier, vous avez contribué à l’expulsion des déboutés du droit d’asile et des migrants économiques illégaux vers leur pays d’origine, à hauteur d’environ 10 % des expulsions. Dans le cadre de cette mission, vous avez indiqué en août 2018 que les États devaient prendre davantage de décisions effectives d’éloignement et mieux les mettre en œuvre. En effet, si l’on continue ainsi – c’est vous qui le dites – un message implicite est envoyé aux migrants potentiels tentés de passer à tout prix en Europe, car même s’ils sont pris, ils ont toutes les chances d’y rester. Qu’en est-il depuis votre déclaration de 2018 ? Sentez-vous une prise de conscience des États et une évolution de leurs actions pour mieux reconduire les déboutés du droit d’asile et les migrants illégaux hors des frontières de l’Europe ? Quelles sont les pistes éventuellement concrètes pour dissuader les migrants potentiels d’entrer en Europe ? De manière plus générale, êtes-vous favorable à une extension des missions de Frontex ? Dans l’affirmative, dans quelle direction ?

Mme Valérie Boyer. Je crois que si rien n’est fait, nous aurons deux millions d’immigrés supplémentaires d’ici la fin du mandat du Président de la République, à peu près un million de légaux et un d’illégaux. Comme le disaient Hobbes et Montesquieu, la raison d’être de toute communauté politique est la protection et si une construction institutionnelle n’apporte pas la démonstration de sa capacité à protéger, elle est condamnée. Cela fait un moment que nous demandons un certain nombre de choses. Le président de la République a fait des déclarations hier. Je n’ai pas bien compris s’il s’agissait de revenir ou non sur la loi Collomb. Dans tous les cas, j’ai plusieurs questions concrètes à vous poser.

Vous avez parlé des retours. Comment ces retours sont-ils coordonnés ? Comment vérifiez-vous les retours, notamment lorsqu’ils sont accompagnés par une aide financière ? Comment vérifiez-vous que ces personnes ne reviennent pas, c’est-à-dire qu’il n’y a pas une sorte d’aller-retour puisque nos frontières sont entièrement poreuses ? Concrètement, quel type de document utilisez-vous pour vérifier que les personnes qui retournent dans leur pays d’origine – alors qu’elles n’auraient jamais dû franchir le seuil de l’Europe et de la France – ne reviennent pas ?

Par rapport aux trafics d’êtres humains et aux passeurs, quelles sont les affaires que vous avez pu faire poursuivre sur le plan judiciaire ? Je pense aux réseaux de prostitution qui sévissent avec des bateaux soi-disant de réfugiés, mais où il y a notamment des femmes, certaines très jeunes, qui sont mises au milieu du bateau pour être protégées et prises en main dès leur arrivée par des réseaux de prostitution. Sur les affaires que Frontex a pu déceler, quelles ont été les suites réservées ?

Mme Danièle Obono. Ma première question concerne les sauvetages en mer. Vous avez indiqué le chiffre de 16 000 personnes qui ont été sauvées par les équipes de votre agence. Je voudrais savoir comment s’est effectuée la relation et surtout dans quels ports ces personnes ont-elles été débarquées ? En effet, de nombreux navires humanitaires qui procèdent également à des sauvetages ne trouvent pas de port d’attache pour pouvoir les débarquer.

Ma deuxième question porte sur les accords conclus par Frontex avec un certain nombre d’États tiers comme la Serbie, le Nigeria ou le Cap-Vert. Selon un article récent, différents rapports émis par votre officier des droits fondamentaux font état d’innombrables dossiers de migrants retrouvés morts aux frontières européennes extérieures par des garde‑frontières, de viols dans les camps de réfugiés et d’agressions par des garde-frontières d’États membres. Or il ne semble pas y avoir eu d’alertes spécifiques faites au niveau de l’Union européenne et l’Agence n’a pas interrompu ses activités avec les États concernés, comme cela est d’ailleurs son droit en cas de violation des droits fondamentaux. Quelle est la portée des rapports de votre officier aux droits fondamentaux et que comptez-vous faire de ces dossiers ?

M. Jean-Pierre Pont. À Boulogne-sur-Mer dans le Pas-de-Calais, nous nous sommes aperçus de passages de plus en plus importants, par voie maritime, par des bateaux gonflables, voire même par vols de bateaux de pêche. Vraisemblablement, cela est dû aux contrôles de plus en plus importants par voie terrestre, mais compte tenu d’un Brexit à l’horizon, est-ce qu’il y a des moyens supplémentaires, en particulier maritimes, qui sont à prévoir ?

M. Fabrice Leggeri. Je vais commencer par la question sur la répartition des 16 000 migrants et celle qui a suivi sur les droits fondamentaux. Les 16 000 migrants qui ont été sauvés en mer en 2019 par l’Agence ont été débarqués conformément à notre plan opérationnel dans les pays hôtes des opérations, à savoir la Grèce, l’Italie et l’Espagne.

Il n’y a pas eu de discussion, parce que, tout simplement, l’Agence est un acteur de droit public qui travaille avec les gouvernements. Elle se conforme aux règles officielles et à celles qui s’appliquent notamment en fonction du droit de la mer, notamment sur la manière de conduire des opérations de secours en mer. À aucun moment nous n’avons eu des difficultés à trouver un port sûr puisque notre mandat est également de contribuer aux sauvetages en mer.

En ce qui concerne les droits fondamentaux et les rapports qui ont été établis par l’officier des droits fondamentaux de l’Agence, il a été question d’informations soumises par des ONG, par différents acteurs et parfois des témoignages individuels de migrants qui ont été auditionnés, mais en d’autres endroits que dans les lieux qui avaient été incriminés. Il s’agit des frontières hongroises – la Hongrie a été mise en cause dans ces rapports et dans une campagne de presse menée au début du mois d’août –, grecques et croates.

L’agence n’est pas présente aux frontières terrestres entre la Grèce et la Turquie et entre la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. En Hongrie, elle dispose de huit personnes qui couvrent 350 000 kilomètres, essentiellement sur les frontières officielles. Elles n’ont pas en charge la surveillance de la frontière verte.

Il est très important de comprendre que ces rapports font état de témoignages directs ou indirects mais ne font absolument pas état de violations des droits fondamentaux qui se seraient produites dans le cadre de nos opérations. Il s’agit d’un élément très important pour contribuer à la bonne information des parlementaires et du public en général.

Nous avons, en 2018, selon notre bilan annuel, contribué à l’arrestation d’environ un millier de trafiquants ou de passeurs. Malheureusement, je ne suis pas toujours en mesure de tirer le bilan des suites judiciaires qui ont pu être données. Notre mission consiste bien à transmettre ces dossiers aux autorités qui vont effectuer les enquêtes.

En ce qui concerne les réseaux de prostitution, les enquêtes sont menées par les services de police à l’intérieur des États. Cependant, nous sommes tout à fait sensibles au fait qu’il y ait des personnes vulnérables et des victimes sur ces moyens de transport qui sont parfois indignes. Notre préoccupation est de faire en sorte qu’il y ait une attention particulière aux personnes vulnérables. Cela fait aussi partie de notre manière de faire en sorte que les droits fondamentaux soient respectés dans le cadre de nos opérations. Les femmes sont souvent victimes à des fins de prostitution et peuvent être instrumentalisées. Les enfants sont également dans des situations de grande détresse.

L’idée, en ce qui concerne les relations avec les pays tiers, des hotspots ou des plateformes de débarquement était présente dans les conclusions du Conseil européen de juin 2018. Cette idée est de nouveau présente dans la déclaration commune faite par la France, l’Allemagne, la présidence finlandaise, Malte et l’Italie il y a deux jours. Il s’agit d’une chose qui est évidemment délicate et qui doit appeler notre attention afin de ne pas déstabiliser les pays de transit et pays tiers qui font eux aussi face à des vagues migratoires qui peuvent parfois devenir très difficiles à gérer chez eux.

Dans le Sahel, il n’y a pour le moment pas de hotspots ou de lieux dans lesquels seraient examinées les demandes d’asile. L’hésitation tient d’abord au fait que peu de pays veulent les accueillir. Il faut aussi veiller à ce que des pays, par exemple le Niger, coopèrent extrêmement bien avec l’Union européenne. Dans le même temps, nous ne pouvons pas installer précipitamment une plateforme qui pourrait déstabiliser ces pays.

L’impact du Brexit pour Frontex est atténué par le fait que le Royaume-Uni n’est pas membre de Schengen. L’Agence ne compte pas réellement de contributions britanniques.

En revanche, j’anticipe deux impacts. D’abord, si les Britanniques sont soumis à ETIAS, il y aura des dizaines de millions de demandes supplémentaires qui vont intervenir au moment du lancement du système. Il s’agit d’un impact très fort.

De plus, à la frontière physique de l’Eurostar, il est possible que la France, peut-être la Belgique et les Pays-Bas, demandent le soutien de Frontex et du corps européen. Lorsqu’il s’agira d’une frontière extérieure, lorsque le Royaume-Uni aura quitté l’Union européenne, Frontex aura à répondre aux demandes de ces pays si elles sont formulées.

Les drones sont des matériels à vocation civile. Ils ont été testés par nos équipes dans des conditions réelles opérationnelles, notamment en Grèce. Nous avons conclu qu’ils étaient tout à fait pertinents pour effectuer de la surveillance maritime à des fins civiles, avec, dans certains cas, des secours en mer. Selon sa doctrine d’emploi, à partir du moment où l’Agence détecte une situation de détresse en mer, elle transfère l’information aux centres de coordination du secours maritime présents dans la région.

Dans certaines régions, il peut y avoir potentiellement plusieurs centres de coordination maritime. C’est notamment le cas de la Méditerranée centrale. Dans les situations où l’autre rive de la Méditerranée est plus proche, pour sauver des vies, la seule solution opérationnelle est de transmettre l’information à d’autres centres qui ne sont pas dans l’Union européenne. La pratique de l’agence Frontex est de toujours veiller à ce que l’information arrive et soit communiquée aux centres de coordination de secours maritime du côté européen, en l’occurrence l’Italie et Malte en méditerranée centrale, l’Espagne et la Grèce respectivement dans les différentes zones.

En ce qui concerne la situation en Libye, la coordination avec l’opération EUNAVFOR MED Sophia a commencé dès le début de l’opération, sous un angle d’échanges d’analyses des risques et d’échanges d’officiers de liaison. Nous accueillons dans notre centre de situation à Varsovie un officier de liaison déployé par EUNAVFOR MED. Un officier de liaison était également présent à Rome. Il reprendra sa mission lorsque l’opération EUNAVFOR MED Sophia aura de nouveau des bateaux à la mer.

Les rapports de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) font état de la situation réservée aux migrants en Libye. Évidemment, ce sont des conditions qui sont préoccupantes, comme cela a été souligné aussi par les autorités de l’Union européenne et de ses États membres.

 Il y a une vraie prise de conscience sur l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Il y a également besoin d’un véritable investissement sur les moyens, notamment de modernisation de l’administration en charge de l’éloignement des étrangers. Dans la plupart des États membres, j’observe que ce ne sont pas toujours des services qui ont été dotés avec les meilleurs moyens et qui travaillent, parfois, très isolément. 

Nous sommes également en train de mettre en place des possibilités d’échanges d’informations au niveau européen pour informer, par exemple, que des possibilités d’éloignement existent, qu’un vol retour se prépare, ou qu’un nombre déterminé de ressortissants de certains pays est prêt à être éloigné dans un futur proche. À ce moment-là, nous pouvons organiser, au niveau européen, les retours en travaillant un peu moins à l’aveugle et un peu moins à tâtons.

Le risque pour des personnes éloignées qui reviennent dans l’Union européenne a été prévu par le législateur européen. Sous peu, dans le système d’information Schengen, les autorités nationales auront l’obligation de signaler les décisions d’éloignement. Si une personne éloignée demande un visa dans un consulat Schengen ou si une personne éloignée se présente à la frontière, et peut-être demain demande une autorisation ETIAS, nous saurons immédiatement que cette personne a déjà fait l’objet d’un éloignement par un État de l’Union européenne. La question dépasse le cadre des opérations de Frontex et se pose à l’échelle de l’Union européenne, puisqu’il s’agit du seul niveau pertinent dans un espace de libre circulation, ne l’oublions pas. C’est donc à cette échelle qu’il faut gérer la problématique de personnes qui reviendraient.

J’estime qu’aujourd’hui le champ des missions de l’Agence est très important. Son mandat a déjà été étendu en 2016 avec la création du corps européen qui va entrer en vigueur. Je pense qu’il est important de stabiliser le champ des missions de l’Agence de façon à ce qu’elle puisse absorber la croissance de ses ressources en termes budgétaires. Nous devons pouvoir construire des modèles opérationnels qui soient efficaces du point de vue de l’Agence et qui puissent répondre aussi aux besoins des États.

Je préconise d’attendre la prochaine évaluation qui est prévue en 2023-2024. Elle portera sur la mise en œuvre du corps européen et du nouveau mandat. Il est très important de gérer la croissance de l’Agence en termes de budget et de ressources, mais aussi en termes d’effectifs. Il faut veiller à mettre en place quelque chose qui soit solide, durable, qui fonctionne de façon compatible avec les principes de bonne administration et qui soit aussi un élément qui aide et qui soutienne les États membres. Il ne faut pas que ce soit un élément d’incertitude qui viendrait déstabiliser le fonctionnement des forces ou des administrations nationales.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur le directeur exécutif, nous vous remercions pour le temps que vous nous avez consacré et pour la précision de vos réponses. Cette audition était extrêmement intéressante. Nous vous souhaitons bon courage pour vos missions, puisqu’elles vont croître dans les années qui viennent. De sacrés défis vous attendent !

 

La réunion sachève à 12 heures 35.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Valérie Boyer, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Vincent Bru, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, Mme Isabelle Florennes, M. Guillaume Gouffier-Cha, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Marietta Karamanli, M. Olivier Marleix, Mme Emmanuelle Ménard, M. Ludovic Mendes, Mme Danièle Obono, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Robin Reda, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, M. Arnaud Viala

 

Excusés. - M. Jean-Félix Acquaviva, Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, M. Christophe Euzet, Mme Paula Forteza, M. Philippe Gosselin, M. Dimitri Houbron, Mme Alexandra Louis, M. Jean-Michel Mis, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Aurélien Pradié, M. Bruno Questel, Mme Maina Sage, Mme Cécile Untermaier, Mme Laurence Vichnievsky, M. Guillaume Vuilletet

 

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, M. Mansour Kamardine