Compte rendu

Délégation aux outre-mer

 Audition de M. Franck RIESTER, Ministre de
la Culture.....................................2

 

 


Mercredi
21 Novembre 2018

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 1

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de M. Olivier Serva, Président

 


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La séance débute à 16 heures 35.

Présidence de M. Olivier Serva, président.

La Délégation procède à l’audition de M. Franck Riester, ministre de la culture.

 

M. le président Olivier Serva. Chers collègues, mesdames et messieurs de la presse et autres, soyez les bienvenus à cette réunion de la délégation aux outre-mer. L’ordre du jour appelle différents points, mais puisque le ministre est arrivé et que son temps est compté, je vous propose de commencer par le troisième point, à savoir l’audition de M. Franck Riester, ministre de la culture.

Monsieur le ministre, cher Franck Riester, je suis heureux de vous accueillir au nom de mes collègues de la délégation aux outre-mer et des personnes venues assister à cette réunion. J’ai vivement souhaité cette audition car, de tous les défis que pose la pleine considération de la réalité vivante de nos territoires, le défi culturel n’est pas le moindre et, dans la vaste palette de vos attributions, les problématiques ultramarines vont prendre une grande place au cours des mois à venir.

À votre arrivée au ministère, vous avez trouvé sur votre bureau le dossier de la transformation de France Ô. Nous en avons discuté au printemps avec M. Walles Kotra, le directeur exécutif en charge de l’outre-mer à France Télévisions, et avec les représentants de l’intersyndicale de France Ô. Quelle que soit leur analyse sur ce sujet délicat, les membres de la délégation ont en commun une préoccupation majeure – qui est aussi la vôtre, je n’en doute pas : la visibilité des outre-mer dans l’audiovisuel public.

Une autre préoccupation se fait également sentir, celle des personnels de la chaîne, qui me confiaient, ce matin encore, la détresse dans laquelle les plonge leur ignorance quant à leur devenir. Nous espérons qu’à l’occasion de cette audition par la délégation aux outre-mer, vous pourrez les rassurer à ce sujet.

Sur le même thème de la visibilité, entendue comme la condition de la contribution effective des outre-mer à la culture nationale, j’évoquerai également la question de la connaissance au sein de l’Hexagone des cultures des outre-mer dans leur riche diversité.

Notre délégation a tenu, le 12 octobre dernier, un colloque ayant pour thématique « L’Archipel France – Cultures plurielles, enjeux et représentativités ». De ce colloque, je retiens surtout que nous avons un défi collectif à relever, propre au caractère mondial de la France : faire entendre sur l’ensemble du territoire de la République toutes les cultures de la République. Dans les réponses à ce défi, nous trouverons, je pense, des éléments qui viendront en complément de la définition de la notion d’exception culturelle française.

Dans un tout autre esprit, la préservation du patrimoine, et singulièrement du patrimoine architectural, est une question qui doit aboutir à conjuguer les actions menées par votre ministère et celles conduites par le ministère du logement en vue de redynamiser les cœurs de ville. Je pense par exemple au classement de certains édifices réalisés par l’architecte Ali Tur, au lendemain du cyclone de 1928 en Guadeloupe.

Mais le patrimoine vernaculaire doit aussi être regardé avec une attention particulière. À ce titre, il arrive bien souvent que nos populations soient polyglottes, comme en Polynésie ou encore en Guyane. Les outre-mer foisonnent d’innovations linguistiques et sont, à cet égard, des espaces que la recherche se doit d’investir. Je pense notamment au cas du créole. Ces espaces doivent être valorisés. Ils doivent être les fers de lance de la francophonie et de l’influence culturelle française dans leurs zones géographiques respectives. Je rappelle d’ailleurs qu’à l’heure actuelle, 60 % des francophones sont des populations noires ou métissées et qu’à l’horizon 2050, ce sera le cas de 80 % des francophones.

Enfin, la sauvegarde de la mémoire entretient avec la protection du patrimoine, dans nos territoires, une interaction spéciale sur laquelle nous aimerions connaître votre perception, et qui est particulièrement sensible en cette année où nous commémorons le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage.

Monsieur le ministre, cher Franck Riester, en vous renouvelant nos remerciements pour votre disponibilité, je vous donne maintenant la parole.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Cher Olivier Serva, mesdames et messieurs les députés, c’est pour moi un grand plaisir d’être avec vous aujourd’hui. J’ai accepté avec bonheur votre invitation parce que je suis, comme vous, convaincu que l’outre-mer est une priorité pour le ministère de la culture. Dans ma vie passée de parlementaire, notamment ces derniers mois, j’ai eu la chance de travailler en tant que président d’un groupe qui comptait quatre députés ultramarins qui, pour deux d’entre eux, sont d’ailleurs présents aujourd’hui. Cette sensibilité ultramarine a été au cœur de toutes nos réflexions au sein de ce groupe que j’ai eu l’honneur de présider pendant plus d’un an et demi. Sachant, pour en avoir alors évoqué certains, le nombre de dossiers importants qui touchent mon ministère en matière d’outre-mer, c’est avec un grand plaisir et une grande motivation que je suis devant la délégation aux outre-mer aujourd’hui. M’exprimer devant vous au sujet de la politique que je conduis avec mon ministère en faveur des outre-mer est, je le répète, prioritaire à mon sens, même si vous comprendrez bien – et je demande votre indulgence –, que je n’aurai peut-être pas toutes les réponses précises à tous les dossiers que vous voudrez me soumettre aujourd’hui. L’engagement que j’ai pris devant les commissions des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat est que je reviendrai vers vous régulièrement, soit à très court terme pour apporter une réponse précise ou technique que je n’aurais pas pu vous délivrer lors de nos échanges, soit, plus largement, pour vous faire part de l’avancée des différents sujets qui nous concernent.

Cet « Archipel de France », comme on a parfois l’habitude de l’appeler, ces territoires de la République qui sont autant de territoires uniques, ces territoires qui se servent de leurs contraintes et de leur insularité pour nourrir leur créativité et font la diversité de nos outre-mer, sont à la fois une chance et un défi.

Une chance, car les territoires ultramarins sont les berceaux d’une jeunesse bouillonnante, car la vie culturelle y est foisonnante, car y résonne un multilinguisme riche et ancestral en même temps qu’une francophonie vibrante. Vous avez fait référence à la francophonie, monsieur le président : grâce à ces terres ultramarines, nous sommes les voisins du monde entier. Elles sont nos points de contact avec d’autres continents que l’Europe, avec d’autres océans que l’Atlantique. L’outre-mer nous relie au monde.

Un défi aussi, car chaque territoire ultramarin est unique et demande que nous adaptions nos politiques à ses spécificités. Chacun d’entre eux ne fait pas qu’enrichir notre culture nationale, il en est constitutif. Pour cette raison, il nous revient, collectivement, de plus montrer, de plus représenter, de donner plus de visibilité à l’outre-mer, à ses territoires et à ses habitants.

L’accès à la culture et la représentation de l’outre-mer – notamment, comme vous l’avez dit, dans l’audiovisuel public – sont deux questions majeures qui s’imposent à nous au moment d’évoquer notre politique culturelle ultramarine.

Les inégalités d’accès à la culture entre l’Hexagone et l’outre-mer sont une réalité. Il ne faut pas se le cacher. Pour autant, je refuse de m’y résoudre. Je vous l’ai dit dès mon propos liminaire, je suis engagé pour les combattre. La grande diversité des outre-mer appelle des réponses adaptées à chaque territoire et à chaque population. On ne conduit pas la même politique culturelle en Hexagone qu’outre-mer, en Seine-et-Marne qu’en Guyane, à Coulommiers qu’à Papeete, chères Naïma Sage et Nicole Sanquer. Parce que la géographie est différente, parce que les équipements culturels et les moyens de transport sont différents, parce que, tout simplement, on n’y vit pas totalement de la même façon, nous adapterons nos façons de faire. Mais, partout, nous porterons les mêmes priorités et le même niveau d’ambition.

Il s’agit donc tout à la fois de penser les politiques culturelles et des modes d’action et d’organisation spécifiquement adaptés aux outre-mer et d’inscrire, de manière systématique, les territoires ultramarins dans les dispositifs nationaux en prenant en compte leurs spécificités. Je suis persuadé que si nous voulons résorber les inégalités d’accès à la culture, cela signifie que nous devons agir outre-mer plus encore qu’ailleurs.

C’est tout sens de la stratégie du ministère de la culture en outre-mer. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de la loi de programmation du 28 février 2017 relative à l’égalité réelle outre-mer (ÉROM) et s’articule parfaitement avec le Livre bleu issu des Assises des outre-mer, dans lesquelles le ministère de la culture s’est fortement impliqué par l’intermédiaire des directions des affaires culturelles (DAC). Je souhaite que nos établissements publics et les réseaux du ministère inscrivent leur action dans cette stratégie. Ils seront invités à développer des partenariats avec l’outre-mer, à mieux faire connaître les cultures ultramarines et à donner plus de visibilité aux productions issues de ces territoires.

Pour mettre en œuvre cette stratégie, des moyens spécifiques sont dédiés aux territoires ultramarins. Je rappelle qu’en 2018 une enveloppe de 500 000 euros a été mobilisée par le ministère de la culture pour des actions en leur faveur. Cette année, le Fonds d’aide aux échanges artistiques et culturels (FEAC) a été abondé à parité avec le ministère des outre-mer pour atteindre 800 000 euros. Il aide à la circulation des artistes d’outre-mer. Il a permis d’aider plus de 125 projets dans tous les domaines, que ce soit en musique, en théâtre, en danse, en matière de patrimoine, de métiers d’art, de livres et de lecture. C’est un outil essentiel, me semble-t-il, pour la mobilité et la diffusion de la création.

C’est la raison pour laquelle, en 2019, nous le porterons, conjointement avec Annick Girardin, à 1 million d’euros, comme le prévoit le Livre bleu. Dans ce même objectif de mobilité, une subvention supplémentaire a été attribuée à l’Office national de diffusion artistique (ONDA). L’objectif est que ce dernier puisse renforcer ses actions en outre-mer, développer des aides à la mobilité et organiser des rencontres entre acteurs culturels ultramarins et hexagonaux.

Le soutien du ministère de la culture s’incarne dans de nombreux projets concrets et structurants pour l’accès à la culture outre-mer. Je pense au projet du musée de Mayotte (MuMa) qui passera dans deux jours devant le Haut Conseil des musées de France. Il est emblématique d’une collaboration réussie entre l’État et le conseil départemental de Mayotte.

Je pense au projet d’une école autonome d’architecture à La Réunion dont le protocole d’accord a été signé en octobre 2017 entre l’université de La Réunion et l’école d’architecture de Montpellier.

Je pense aussi au projet de Maison des cultures et des mémoires de Guyane, dont la livraison du nouveau bâtiment à Rémire-Montjoly est prévue pour la fin de l’année.

Je pense au projet de la Cité des outre-mer, issu du Livre bleu et des Assises. Elle associera des professionnels de la culture, des décideurs et des financeurs publics au sein d’une structure dématérialisée.

Je pense au forum « Entreprendre dans la culture », qui existe déjà dans l’Hexagone et devrait être décliné dès cette année en Guyane. Il doit permettre de former des Ultramarins à l’entreprenariat culturel.

Toujours en Guyane, je pense enfin à l’expérimentation du « Pass culture » qui débutera prochainement. Je suis convaincu que ce Pass culture est une formidable opportunité, qui mérite d’être évaluée mais qui doit auparavant être définie et expérimentée. Pour que ce soit un succès, il doit s’adresser à tous les Français, et il ne s’agit pas de proposer de la culture à des milliers de kilomètres de l’utilisateur, dans l’Hexagone, ni d’avoir des propositions éloignées des réalités dans le travail, il s’agit d’avoir des propositions à proximité de chaque citoyen, à Saint‑Laurent‑du‑Maroni ou à Sinnamary. C’est la raison pour laquelle l’application est une application géolocalisée, cette offre devant prendre en compte les spécificités locales, que ce soit en matière d’activités, d’infrastructures culturelles ou de mobilité géographique. Des propositions fortes doivent s’inscrire dans cette application. C’est ce que la phase d’expérimentation permettra de vérifier et d’ajuster.

Parce que, comme ailleurs, nous voulons résorber outre-mer les inégalités d’accès à la culture, nous agissons pour développer la lecture, même là où les bibliothèques sont rares. De très belles initiatives m’ont été présentées, que je souhaite étendre pour développer l’éducation artistique des enfants – y compris là où il n’y a pas de musée ou de théâtre – et pour accompagner les artistes ultramarins avec des formations et des soutiens adaptés aux enjeux locaux.

S’agissant du patrimoine, je pense que la richesse du patrimoine français doit beaucoup au patrimoine ultramarin. Pour le préserver tout en tenant compte de spécificités locales, les directions des affaires culturelles mènent une politique active de protection et de conservation des monuments. Vous y faisiez référence, monsieur le président. Cette année, elles ont consacré 5,4 millions d’euros aux monuments ultramarins, soit 2,7 % du total des crédits déconcentrés alors que ces monuments ne représentent qu’1 % du parc national. La mosquée de Tsingoni à Mayotte, les vestiges du bagne de Cayenne et les fortifications de la Martinique en ont bénéficié.

Mais le patrimoine ultramarin, c’est aussi un patrimoine immatériel : des traditions orales, des fêtes, des danses, de l’artisanat traditionnel, des rituels. Nous soutenons sa préservation au travers d’un portail de ressources en ligne, lancé cette année, et du renforcement de la formation spécialisée, très importante, pour l’inventaire et la sauvegarde de ce patrimoine immatériel.

Le deuxième sujet que je souhaite aborder avec vous est celui de la transformation de l’audiovisuel public.

Cette transformation doit nous permettre de donner une meilleure représentation, une meilleure visibilité aux outre-mer. Je sais qu’elle a suscité les craintes et les inquiétudes d’une partie entre vous, et continue de le faire. Je pense néanmoins que, sur ce sujet, nous partageons une même ambition, une même conviction ; la conviction que l’audiovisuel public doit montrer la France telle qu’elle est, qu’il doit être fidèle à notre pays, il doit refléter sa vitalité. Cette vitalité est partout, elle est le cœur même des outre-mer.

Pour que l’audiovisuel public parle à tous, il faut un audiovisuel public qui parle de tous. Le constat qui a été fait est que nous n’y sommes pas aujourd’hui. Les territoires d’outre-mer et leurs habitants sont insuffisamment représentés à l’écran et, malgré les efforts de toutes les équipes de France Ô, l’existence d’une chaîne dédiée dans l’Hexagone n’a pas apporté de réponse à la hauteur de l’enjeu. Il ne faut pas se le cacher.

France Ô a servi d’alibi à l’absence de programmes dédiés aux outre-mer et à leurs habitants sur les autres chaînes de France Télévisions. Je le dis très clairement. Elle a cantonné l’outre-mer à la périphérie au lieu de le placer au centre des programmes nationaux, des programmes que les Français regardent, qu’ils soient ultramarins ou non.

Notre objectif est donc, précisément, de placer l’outre-mer au centre de l’audiovisuel public. Cela signifie, par exemple, d’intégrer aux journaux télévisés de France 2 des sujets à propos de la rentrée scolaire en Guyane, de l’actualité culturelle de Saint-Pierre‑et‑Miquelon et bien d’autres sujets encore. C’est parler de l’outre-mer comme on parle de l’Hexagone. C’est rendre les outre-mer plus visibles à la télé, mais aussi dans l’univers numérique.

Un portail dédié sera développé comprenant bien plus de programmes sur les outre‑mer et une meilleure mise en avant des « outre‑mer premières », ces chaînes si importantes pour les territoires ultramarins. À l’horizon 2020, lorsque France Ô cessera d’émettre, tous les Français verront sur le service public, des programmes produits en outre-mer, qui évoquent l’outre-mer avec des Ultramarins à l’écran.

Tels sont les décisions. Ensuite, elles doivent être mises en œuvre. Pour y parvenir, des engagements ont été pris. Le Président de la République s’y est engagé lors des Assises de l’outre-mer en juin dernier ; le Gouvernement dans son ensemble s’y est également engagé par la voix d’Annick Girardin, la ministre des outre-mer, et celle de ma prédécesseure, Françoise Nyssen, le 19 juillet, lors de la restitution de la mission de concertation. France Télévisions s’est également engagée, et j’en remercie sa présidente, Delphine Ernotte.

Pour passer des engagements aux actes, une nouvelle fois, nous travaillerons ensemble. Un groupe de travail a été installé à cet effet mercredi dernier. Il rassemble un certain nombre d’entre vous, que je salue, et se réunit demain pour la deuxième fois ; il s’est déjà réuni, je n’ai malheureusement pas pu y assister mais Annick Girardin, le patron de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) ainsi que mon chef de cabinet étaient présents.

Nous voulons des résultats visibles à l’antenne dans les meilleurs délais. Nous y parviendrons grâce à vous. Les députés qui participent à ce groupe de travail coopéreront avec France Télévisions pour mesurer concrètement les avancées nécessaires pour établir les indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Ces indicateurs, qui seront ensuite inscrits dans le cahier des charges de France Télévisions, nous permettront de suivre l’amélioration de la représentation de l’outre-mer dans l’audiovisuel public. L’idée n’est pas de réinventer la programmation des chaînes, le déroulé des journaux télévisés et de recruter des nouveaux animateurs, mais de réfléchir collectivement aux moyens d’améliorer la visibilité des territoires ultramarins et leurs habitants dans l’Hexagone. Mais, in fine, comme je le disais précédemment, cela devra se voir dans les différentes émissions et programmes.

Je me réjouis que le groupe du travail soit représentatif de tous les territoires et de toutes les sensibilités, car si nous voulons la diversité à l’écran, nous devons d’abord avoir la diversité dans les rangs de ce groupe de travail. Avec la ministre des outre-mer, Annick Girardin, nous retrouverons les parlementaires qui y participent en janvier. Ce sera l’occasion de faire le point sur les indicateurs choisis, que nous suivrons tout au long de l’année.

De surcroît, comme vous le savez, un texte sur l’audiovisuel est en préparation. Bien évidemment, nous ferons en sorte d’introduire des dispositions au moment de l’élaboration de ce texte pour parvenir à cette présence forte de l’outre-mer dans la télévision publique.

Avant de vous céder la parole, je tiens également rappeler qu’il y aura toujours des personnels et des moyens engagés par France Télévisions au niveau central pour les offres ultramarines. Vous y faisiez référence, monsieur le président. Je sais combien cet aspect est très important. La question de l’avenir des personnels de France Ô doit évidemment être étudiée avec beaucoup de sérieux et de responsabilité. Se pose aussi, plus largement, la question du suivi des acteurs de l’outre-mer, notamment ceux qui sont en France – les parlementaires, mais pas seulement eux –, afin de s’assurer que des équipes tournées spécifiquement vers l’outre-mer sont bien présentes au sein des équipes de France Télévisions.

Actuellement, 10 millions d’euros sont alloués par France Télévisions aux coproductions ultramarines. Cette enveloppe budgétaire sera au minimum maintenue, tout comme l’équipe éditoriale dédiée aux outre-mer dans l’Hexagone. Je viens de vous le dire. Ces moyens serviront notamment à l’animation du futur portail numérique dédié aux outre-mer.

Mesdames et messieurs les députés, mon ambition est que la culture devienne pour les outre-mer un levier de développement. Elle l’est déjà, mais je souhaite que nous y travaillions ensemble pour que ce levier devienne plus important. Je pense réellement que nous avons les moyens d’étendre dans les territoires ultramarins l’accès à la culture en travaillant avec les différentes collectivités, institutions et associations. Ce ne sont ni les initiatives ni les bonnes volontés qui manquent ; mon ministère saura les accompagner.

S’agissant de l’audiovisuel, nous avons les moyens de mieux représenter l’outre-mer sur nos écrans, d’en parler comme l’on parle de l’Hexagone. Il faut le reconnaître, ce n’est pas suffisamment le cas aujourd’hui. Croyez-moi, c’est ce qu’ensemble nous allons réussir à faire.

Sur tous ces sujets, je n’aurai de cesse de travailler en étroite collaboration avec ma collègue ministre des outre-mer, Annick Girardin, et de coopérer avec l’ensemble des collectivités territoriales ultramarines. Je tiens à le réaffirmer à nouveau, à le marteler : sur tous ces sujets, vous pouvez compter sur ma détermination totale !

Monsieur le président, je suis maintenant disposé à répondre à toutes les questions.

M. le président Olivier Serva. Merci, monsieur le ministre, cher Franck Riester, pour cette intervention liminaire qui traduit déjà une connaissance pointue des problématiques ultramarines. Vous avez évoqué l’archipel France. Vous avez indiqué, avec humilité, que si cela se révélait nécessaire, vous reviendriez à très court terme sur les sujets sur lesquels vous n’auriez pas encore de réponse. Vous avez cité très concrètement des projets touchant divers territoires, en insistant sur l’effort patrimonial et culturel. Vous avez également parlé du patrimoine immatériel. Vous avez dit, comme nous le pensons, que France Ô était un alibi de bonne conscience, et précisé que vous étiez tout disposé à ce que les personnels de France Ô ainsi que des acteurs ultramarins puissent trouver toute leur place dans l’espace médiatique français.

Avant de donner la parole à Lénaïck Adam, à Frédérique Dumas et à l’ancienne ministre George Pau-Langevin, je relaie la question de notre vice-président Jean-Philippe Nilor, qui regrette de ne pouvoir être parmi nous et m’a enjoint de poser pour lui la question de l’inscription au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO des yoles, ces bateaux traditionnels martiniquais, du classement de la baie des Saintes, une des îles guadeloupéennes, ou encore de la cuisine antillaise.

Monsieur le ministre, d’ores et déjà, je donne la parole aux collègues députés pour qu’ils puissent poser toutes les questions qu’ils souhaitent.

M. Lénaïck Adam. Monsieur le ministre, je suis très content de vous entendre.

Vous avez longuement évoqué la Guyane et je vais y revenir, notamment à propos du Pass culture, mais permettez-moi tout d’abord de rappeler que, depuis septembre 2017, le ministère de la culture a établi une cartographie des équipements culturels publics par territoire. La décision a été prise de faire des régions qui comptaient moins d’un équipement culturel public pour 10 000 habitants des territoires culturels prioritaires. Au nombre de ces territoires figure la Guyane dont les équipements culturels ont été évalués, à Saint‑Laurent‑du‑Maroni que vous citiez, à quatre pour une population de 43 600 habitants.

S’agissant du Pass culture, il nous est difficile, en Guyane, quand on sait les problèmes rencontrés en termes de numérique, de parler de ces applications qui, logiquement, ne fonctionneront pas puisque la couverture n’est pas acceptable aujourd’hui. J’expliquais à votre collègue du Gouvernement, M. Mahjoubi, qu’aujourd’hui, en Guyane, nous connaissons un véritable problème de couverture puisque, même sur les routes nationales – nous  sommes en France et en 2018 ! – il n’y a aucune couverture. La situation est grave, puisqu’il peut arriver que l’on fasse jusqu’à 3 heures de route sans pouvoir appeler quand on rencontre une difficulté.

Parler du Pass culture me permet d’évoquer ce qui se passe dans l’Ouest. Vous avez parlé de Sinnamary et de Saint-Laurent-du-Maroni. Là encore, il n’y a pas véritablement de cinéma, pas de bibliothèque, et encore moins de musée. Il est donc très intéressant pour ces territoires de pouvoir faire l’expérience du Pass culture. Mais à mon avis, il faudrait davantage d’accompagnement, notamment pour les écarts. Car dans ces endroits, monsieur le ministre, la culture est peu encadrée et elle est, majoritairement, le fruit d’initiatives privées. Cela constitue incontestablement un frein à la démocratisation culturelle. Comme je le disais : pas de théâtre, pas de bibliothèque ni de complexe culturel. Or, vous le savez mieux que moi, la culture a pour mission principale de permettre à tous de se retrouver et, donc, de créer un sentiment d’appartenance.

En ma qualité de député de la Guyane, je me permets donc d’appeler votre attention sur la nécessité d’adapter ce programme à la problématique des écarts. Les habitants des écarts sont isolés du reste de la population guyanaise, tout en étant administrativement rattachés aux villages et aux communes. Ils doivent donc, je pense, bénéficier d’un accès privilégié à la culture. La culture doit donc venir à eux. Aussi, monsieur le ministre, avez‑vous d’ores et déjà des pistes de réflexion pour adapter cette volonté politique à la réalité de certains territoires, et notamment à celle de la Guyane ?

Mme Frédérique Dumas. Monsieur le ministre, pour ma part, je ne veux absolument pas faire de procès d’intention car, dans notre groupe, nous connaissons votre engagement pour l’outre-mer. De plus, vous arrivez à votre ministère. Donc, évidemment, vous n’êtes pas responsable de ce qui s’est passé avant vous.

En revanche, je souhaiterais malgré tout revenir sur l’adéquation des intentions et des déclarations à la réalité objective. Le Président de la République a évoqué le fait qu’il fallait davantage de décrochages sur ce qu’il appelait les chaînes « nobles », France 2 et France 3, avec de véritables garanties. Ce sont des mots forts. Le Premier ministre a, lui, parlé de cahier des charges, en évoquant l’information, la météo, les documentaires, les magazines, les émissions politiques, la fiction et en prenant l’engagement de travailler dès la rentrée pour présenter une feuille de route dès la fin de cette année. Nous sommes donc déjà en dehors de tout cela pour le moment !

Je voudrais toutefois souligner que, lorsque l’on parle de France Ô qui ne va pas – et nous le notons également dans notre rapport –, la responsabilité est aussi celle de la tutelle, car l’offre éditoriale était peu lisible. On sait pertinemment que France 4 a amélioré son audience dès lors qu’elle a été consacrée uniquement aux enfants. Cela n’a pas été le cas de France Ô. On fait donc le procès de quelque chose qui n’a jamais eu vraiment l’occasion de se mettre en place.

Par ailleurs, vu l’ambition fixée par le Président, le Premier ministre et vous-même, je constate que l’on passe de cinq à trois chaînes ! Il a été demandé à ces trois chaînes d’augmenter leurs obligations de diffusion, que ce soit sur les programmes ultramarins, les programmes jeunesse ou les programmes régionaux. Je pense donc qu’il n’y aura plus beaucoup de place pour tout cela et que l’atterrissage finira par devenir compliqué.

Pour le numérique, on a évoqué le fait que France Ô se trouvait reléguée à la périphérie. C’était déjà le cas sur le hertzien mais, sur le numérique, ce ne sera plus à la périphérie, mais vraiment aux confins. Car vous connaissez maintenant les audiences numériques. Les exemples étrangers ont été mis en avant, mais a priori, on ne peut en tenir compte car, en réalité, une audience numérique ne tient que si l’offre hertzienne est suffisamment forte – comme une vitrine qui pousserait l’offre numérique. Certes, Netflix sait assurer cette audience mais en investissant des millions et des millions dans sa communication, ce qu’à l’évidence, ne pourra pas faire le service public. Il semble donc essentiel de conserver un linéaire fort pour développer une offre numérique.

On parle de 2020. Or, vous le savez, des émissions sont d’ores et déjà supprimées sur France Ô. Cela a commencé dès juin et septembre. Rien n’est prévu pour les remplacer. Certes, on pourra suivre au jour le jour. Néanmoins, pour programmer des émissions, il faut s’y prendre à temps. Nous connaissons donc aussi un problème de décalage dans le temps, face à ce qui va arriver.

Je ne parlerai pas du Pass culture aujourd’hui, car ce sujet nécessiterait une audition en soi. Je pense effectivement que ce qui est compliqué s’agissant du Pass culture, c’est la fracture numérique et ces lieux où il n’y a pas accès au numérique et où, comme vient de le dire notre collègue, il n’y a pas d’accès à une offre culturelle. Il est difficile de proposer une offre culturelle sans numérique et sans offre culturelle. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler.

Mme George Pau-Langevin. Monsieur le ministre, vous arrivez à votre ministère. Nous avons donc envie de vous faire crédit et de croire que la situation va s’améliorer pour les Ultramarins à partir de maintenant. Je ne vous cache pas qu’au cours des mois qui viennent de s’écouler, nous avons eu le sentiment de voir s’accumuler des signaux très négatifs quant à l’intérêt porté aux Ultramarins et aux cultures ultramarines.

Nous avons tout d’abord vu la Cité des outre-mer, dont le projet était quasiment bouclé, disparaître. J’ai compris à l’issue de la consultation et du Livre bleu que ce projet allait devenir un portail internet. Après vingt ans de promesses, c’est une décision extrêmement difficile à accepter. La région parisienne est un espace qui compte de très nombreux lieux culturels, où la diversité des cultures est grande et où chaque composante de la population peut avoir le sentiment qu’il existe un endroit où elle se voit. La seule composante de la population qui ne dispose d’aucun lieu où se rencontrer, ce sont les Ultramarins, et notamment les jeunes issus de parents ultramarins, qui n’ont nulle part où trouver la culture, l’histoire qui les concerne. Par conséquent, ces jeunes sont considérés comme des immigrés comme des autres – et ce ne sont même pas des immigrés, puisqu’ils n’ont aucun lieu où se retrouver.

À mon sens, c’est non seulement une erreur en matière culturelle, mais une erreur en matière sociétale. C’est une décision que nous allons devoir assumer et qui sera très mal perçue par toute cette jeunesse. Comme vous êtes un élu de la banlieue parisienne, je sais que c’est quelque chose que vous pouvez comprendre. Vous savez que, dans nos banlieues, nombre de jeunes, qui n’habitent pas les outre-mer mais ici, à Paris ou en région parisienne, ont besoin d’avoir quelque chose à quoi se raccrocher. Je ne comprends pas que pour économiser une somme relativement modeste, l’on ait tué ce projet qui avait été porté par toutes les composantes de la société et du Gouvernement.

Le signal donné par la décision frappant France Ô est le deuxième signal extrêmement négatif. Certes, nous l’avons dit également, ce n’était pas forcément la bonne solution de devoir avoir une chaîne spécifique ; tout le monde aurait préféré que l’outre-mer soit visible sur les grands médias. Mais il est heureux que des films ou des séries américains soient diffusés pour que nos jeunes sachent qu’il y a des Noirs dans la société, car si l’on s’en tenait aux autres films ou séries, ce serait extrêmement difficile !

La disparition de France Ô, sans savoir comment nous allons être plus présents dans le reste de la société française, est extrêmement inquiétante. Les actrices originaires des outre‑mer ont, elles aussi, protesté, demandant où est leur place dans les médias et dans les films. Là encore, un gros effort reste à faire pour que chacun prenne bien conscience qu’au cinéma et dans les séries, on a envie de voir la société française dans toute sa diversité. Les Ultramarins sont une partie, non négligeable, de cette diversité.

Enfin, un dernier point me soucie. À l’extérieur, il y a une prise en compte de l’apport des Ultramarins à la culture française. Le dernier exemple est le fait que le prix Nobel alternatif ait été décerné à Maryse Condé, immense romancière depuis des années. Ce qui me préoccupe, c’est que nulle part n’a été repris le fait que le Nobel alternatif décerné à Maryse Condé était une manière de gratifier et d’honorer la diversité de la société française. Ce silence assourdissant pose question sur la présence des Ultramarins dans notre société.

J’espère donc que, sur tous ces points, vous allez nous aider à rectifier le tir et, pour en finir sur Maryse Condé, l’un de ses derniers ouvrages a justement trait à la radicalisation des jeunes. Il pose la question de leur place dans notre société. Je pense que c’est un problème qui est clairement devant nous.

M. le président Olivier Serva. Merci, chère George Pau-Langevin, pour cette intervention passionnée.

La parole est à M. le ministre, pour répondre à cette première série de questions.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Concernant l’inscription des yoles martiniquaises au Patrimoine mondial de l’UNESCO, vous le savez mais je voulais le redire, le dossier de candidature est l’une des six candidatures françaises en cours d’instruction par les services au titre du Patrimoine culturel immatériel. Je rappelle que l’UNESCO permet l’inscription d’un dossier national, pour la France, tous les deux ans.

Le dossier martiniquais porte sur l’inscription au Registre des bonnes pratiques de sauvegarde de l’Unesco. Un autre dossier sur les six accompagnés en 2017 et 2018 concerne aussi les outre-mer. Ils sont donc potentiellement deux sur six. Ce dernier concerne la reconnaissance du ori Tahiti, danse de Tahiti et de l’archipel de la Société. Alors, madame Sage, vous ne m’avez pas fait de démonstration d’ori Tahiti, mais j’y compte bien, prochainement et avec grand plaisir, si je me rends en Polynésie – ou pas, d’ailleurs, car la démonstration peut aussi se faire ici, à Paris ! (Sourires.)

Son inscription est donc proposée à inscription sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Le comité du patrimoine ethnologique et immatériel (CPEI) rendra un avis sur ces deux dossiers, entre autres, vendredi 23 novembre. Il s’agit d’un avis obligatoire, préalable à la décision ministérielle de transmission à l’UNESCO. Sachant que la pratique de la yole de Martinique a d’ores et déjà fait l’objet d’une inscription à l’Inventaire français en juin 2018, il s’agit bien évidemment d’un dossier que je suis et que je vais continuer de suivre de près, tout comme celui concernant la Polynésie. Je vous tiendrai informés de la suite donnée à ces dossiers.

Monsieur Adam, les spécificités importantes de la Guyane doivent conduire à y modifier et adapter la politique de l’État en matière culturelle. Parmi les expériences et initiatives que je trouvais assez remarquables, et dont je parlais précédemment, je citerai les bibliothèques, les bibliobus. Je ne sais pas où cela en est, nous devrons en reparler. Vous m’avez proposé tout à l’heure dans l’hémicycle que nous puissions en discuter prochainement afin que je sache où cela en est, comment les aider et les accompagner davantage, si cela se révèle nécessaire. Des projets sont lancés à Saint-Georges-de-l’Oyapock, à Mana, à Saint‑Laurent‑du‑Maroni, à Kourou. Je pense vraiment qu’il faut adapter ces dispositifs : la bibliothèque est souvent la tête de proue de la culture pour nos compatriotes, partout. Nous devons donc mettre en place des dispositifs et accompagner les collectivités dans ces dispositifs particuliers, bien spécifiques.

Je pense au festival Mapa buku Festi qui a été, en 2018, l’occasion pour la bibliothèque municipale de Maripasoula d’emmener en pirogue pendant quatre jours une dizaine de dessinateurs de bandes dessinées dans les villages amérindiens du Haut-Maroni, où ont été organisés de nombreux ateliers. Vous devez connaître cela par cœur. Il ne faut pas ce soit anecdotique, mais je pense que cela ne l’est pas. Je suis vraiment demandeur de vous appuyer et d’appuyer les collectivités sur d’autres projets de ce type, en travaillant en contractualisation entre l’État et les collectivités. Un dispositif existe déjà : le contrat territoire‑lecture. Il a été relancé en 2017 avec Saint-Georges-de-l’Oyapock. À mon avis, il faut poursuivre ces contrats à l’avenir si vous pensez que c’est le meilleur dispositif.

Plus largement, à propos du Pass culture, il est vrai que, dès lors que se posent des questions de fracture numérique, l’application pose problème dans la mesure où il s’agit d’une application numérique. Mais c’est justement pour cela que le choix a été fait de la Guyane, afin que nous soyons confrontés à des problèmes auxquels on ne pense pas forcément à Paris, à des problèmes d’accès numérique et d’accès aux contenus culturels.

Chère Frédérique Dumas, effectivement, pour pouvoir utiliser les 500 euros mis à disposition des jeunes, encore faut-il avoir des offres culturelles à proximité et, pour cela, il faut trouver des dispositifs spécifiques et il ne faut pas que pour avoir l’information, la seule possibilité soit internet. Mais c’est tout l’intérêt de l’expérimentation faite en Guyane. Je suis très preneur d’échanges avec vous sur le sujet et je souhaite que l’équipe du Pass culture puisse travailler avec vous pour adapter celui-ci aux spécificités de la Guyane et, plus largement, aux territoires ultramarins.

Par ailleurs, je pense que nous pouvons partager le constat – et vous l’avez dit, d’une certaine façon – que la réponse apportée par France Ô n’était pas à la hauteur de l’ambition que l’on peut avoir. Je suis pour ma part convaincu que, même s’il y a moins de chaînes, il est possible d’avoir une présence plus forte de l’outre-mer dans les programmes de France Télévisions et de Radio France. Les efforts sont faits spécifiquement pour Radio France, mais il doit être possible également de faire bien mieux au niveau de France Télévisions. C’est un enjeu majeur pour nous.

Plus largement, madame Pau-Langevin, c’est l’objectif de la diversité qui est associé à cet enjeu. Croyez-moi, je suis intimement convaincu de la nécessité de faire en sorte que la culture et les politiques culturelles soient des moyens pour que notre République soit davantage en paix avec sa diversité et pour que chaque citoyen, quels que soient son histoire, son parcours et l’endroit où il vit, dans l’Hexagone ou bien outre-mer, puisse se sentir un citoyen comme un autre, considéré et respecté comme un autre, visible comme un autre. L’audiovisuel public est un levier exceptionnel pour cela. Soyez convaincue lorsque j’affirme que je mettrai toute mon énergie pour que, concrètement, les choses changent en la matière.

Pour revenir sur le Pass culture, celui-ci sera expérimenté et il faudra qu’il puisse être utilisé y compris dans les zones dites « blanches », où l’accès numérique est difficile. Car, à terme, l’objectif est de ne plus avoir de zones blanches. Ce sera sans doute très compliqué dans certains territoires. L’accès au très haut débit doit être possible pour toutes et pour tous ; c’est un engagement très fort de l’État, un engagement qui est souvent relayé par les collectivités territoriales, tant dans l’Hexagone qu’en outre-mer. Il n’est donc pas question de faire le Pass culture sans application parce qu’il n’y aurait pas d’accès numérique. Cette application est une bonne application ; nous verrons après l’expérimentation si ce que l’on imagine se conclut vraiment, si ce Pass culture est perçu comme un outil qui trouve ses publics et si cette application est utilisée de façon pertinente par les jeunes. Cela reste à démontrer mais on ne peut, en tout cas, censurer préalablement cet outil au prétexte que certaines zones ne sont pas desservies. Mieux vaut se battre pour qu’il y ait de moins en moins de zones qui ne soient pas desservies par le numérique.

Puis, il est vrai que dans un certain nombre de cas, il faut trouver des dispositifs parallèles pour informer les jeunes sur les différentes offres culturelles et veiller à ce qu’il y ait le maximum d’offres culturelles partout. C’est ce dont nous avons parlé précédemment.

Concernant la diversité, je vous en ai dit un mot avec beaucoup de force, et je suis vraiment convaincu de ce que j’ai dit.

Le nom de Maryse Condé, cela m’évoquait quelque chose. On me dit effectivement que nous avons publié un communiqué de presse félicitant Mme Condé pour cette récompense amplement méritée. Peut-être la nouvelle n’a-t-elle pas été suffisamment relayée, vous avez raison. Il faudra peut-être aller plus loin. Je suis tout disposé à réfléchir avec vous aux voies et moyens pour y parvenir.

Pour ce qui est de la Cité des outre-mer, tout d’abord, je vais entrer plus avant dans le dossier. Il est vrai que je n’ai pas étudié en détail ce qu’était le projet… les projets, puisque vous dites que cela dure depuis vingt ans. Nous en avons, en effet, entendu parler en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Mais je vais examiner la question très précisément pour avoir un avis plus affûté. Je peux d’ores et déjà vous dire en tout cas, que l’idée d’une Cité des outre-mer qui s’entende autour d’un dispositif numérique ne me paraît pas devoir être mise de côté. Aujourd’hui, le numérique, internet, les réseaux sociaux sont des espaces publics où les jeunes vont beaucoup – et pas seulement les jeunes ! Parfois, mieux vaut mettre beaucoup de moyens dans le numérique plutôt que de mobiliser des moyens lourds pour des lieux ou des sites qui, en termes de fréquentation, ne sont pas à la hauteur de ce qu’on pourrait obtenir, à budget égal, avec le numérique.

Je vais donc étudier le dossier de près et je vous en reparlerai. Je suis tout disposé à organiser une réunion au ministère pour traiter spécifiquement de cette question, avec celles et ceux d’entre vous qui seraient intéressés afin que nous ayons une belle ambition autour de ce projet.

M. le président Olivier Serva. Merci, monsieur le ministre, pour ces premières réponses. Le temps passe vite en bonne compagnie, il ne nous reste plus qu’une vingtaine de minutes et, d’ores et déjà, trois collègues au moins se sont inscrits pour une deuxième série de questions.

Mme Maina Sage. Monsieur le ministre, merci pour cette première série de réponses. Je profite de cette audition, puisqu’elle n’est pas consacrée à la seule question de France Ô, pour vous parler plus globalement de l’accès à la culture, et des cultures ultramarines. Nous avons abordé cette question, pour la première fois, au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer (CNEPEOM). Je vous encourage à vous replonger dans ces travaux riches, qui ont démontré que la culture est plus que notre ADN. La culture est pour nous un vecteur d’épanouissement, un vecteur de promotion ; elle est l’occasion pour les territoires d’outre-mer d’exprimer une identité et, pour leurs populations, notamment leur jeunesse, de se retrouver.

Pour des populations ultramarines, rattachées à cette grande nation qu’est la France, située à des milliers de kilomètres de nos îles de nos lieux de naissance, il n’est pas toujours évident de s’inscrire dans un schéma global, national. Il n’est pas plus évident de comprendre cette difficulté au niveau de l’Hexagone. Il me semble donc fondamental d’établir et de renforcer les échanges, monsieur le ministre.

Nous avions pointé du doigt, par exemple, le fait qu’au sein du ministère de la culture s’organisent des politiques, des procédures de détection de talents à l’étranger, en zone internationale. Jamais ces structures ne se sont penchées sur l’offre ultramarine qui est juste à côté. Des établissements dédiés, bénéficiant d’un personnel spécialisé, travaillent aujourd’hui, en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, à l’offre internationale qui sera produite dans l’Hexagone. Il faudrait, dans l’avenir, lorsque, dans l’Hexagone, on s’intéresse à une offre culturelle étrangère internationale dans l’océan Indien, dans les Caraïbes ou en Amérique du Sud, qu’on regarde aussi un peu en direction des territoires d’outre-mer.

J’insiste sur le fait que la réalité de ces territoires n’est pas suffisamment perçue dans son aspect géographique. Nous ne sommes pas proches de l’Europe. Pour la plupart, à part la Guyane, nous ne sommes pas des zones continentales. Nous sommes dans des régions très différentes et le melting-pot fait aussi, souvent, notre richesse.

Pour nous, il est essentiel que nos territoires soient mieux pris en compte par le ministère de la culture et ses établissements publics, en partenariat avec le ministère des affaires étrangères, et que, plus que d’avoir le réflexe de nous mettre au centre – nous ne demandons pas d’être le centre du monde ! –, vous puissiez avoir celui de nous reconnaître dans nos places, qu’a minima nous soyons considérés et que vous étudiiez l’offre culturelle de nos territoires, leurs expressions artistiques, leur richesse, dans le chant, la danse, l’expression littéraire et tous les arts qui s’y déploient.

Il faut aussi bien saisir que, malgré cette richesse, nous connaissons des handicaps, des freins. Ces freins sont d’abord géographiques, liés à la distance, mais ils sont aussi liés aux moyens humains et aux moyens financiers, car nous ne sommes pas très nombreux. Aussi, quand il faut investir dans des salles ou dans de la formation, nos territoires ne disposent pas des mêmes moyens que la métropole, d’autant qu’ils ne peuvent pas faire jouer les synergies entre régions. Cet aspect est également à prendre en compte.

Enfin, puisque le temps nous est compté, je me bornerai à vous dire que le principe de l’exception culturelle, qui est un principe ancré dans l’Hexagone, n’existe pas en outre-mer. Je puis vous l’assurer. À la limite, je veux bien comprendre la différence entre l’Hexagone et les collectivités d’outre-mer (COM), mais entre l’Hexagone et les départements et régions d’outre-mer (DROM), je ne comprends pas. L’exception culturelle fait qu’en France, où que vous soyez, le livre est partout au même prix. Ce n’est pas le cas outre-mer !

Voilà les sujets sur lesquels j’aimerais que nous puissions travailler en vue de votre futur texte. C’est la raison pour laquelle je profite de votre présence pour soulever toutes ces questions. À mon sens, les demandes des Ultramarins sont classiques. Nous ne demandons pas la lune, nous demandons seulement le minimum – et peut-être quelques avantages, comme notre collègue Raphaël Gérard l’a demandé à propos du cinéma. Mais nous connaissons un tel déficit qu’il vaut la peine de s’interroger sur les moyens de compenser la distance et les surcoûts.

Sur la Cité des outre-mer, je travaillerai avec plaisir avec vous. Je vous dirai simplement : ne pensez pas à notre place, pensez avec nous ! Car ce qui s’est passé sur France Ô est malheureusement révélateur d’un manque de prise en considération. La décision était tranchée avant même que l’on s’interroge. Je rejoins ma collègue Frédérique Dumas. Au fond, c’est ce qui nous dérange, c’est ce qui nous blesse : vous avez décidé du sort de cette chaîne avant même de partager avec nous pour voir s’il n’existait pas des solutions. Je suis convaincue que nous aurions pu faire de France Ô la grande chaîne « France mondiale » ou « France Archipel », celle qu’Emmanuel Macron a proposée, la France mise en valeur à l’international par les Français de l’étranger, par ceux qui vivent à l’étranger, nous inclus parce que, finalement, nous nous rejoignons dans nos bassins régionaux.

En conclusion, parce que nous nous efforçons de rester constructifs, monsieur le ministre, je veux vous féliciter pour votre nomination. Je connais votre engagement. Je sais que vous serez sincèrement à notre écoute et que vous n’êtes pas responsable de la situation actuelle. Mais aujourd’hui, votre responsabilité vous engage à prendre en compte ce que nous disons. S’agissant de France Ô, nous avons un gros regret. Nous allons sauver l’essentiel mais nous vous demandons d’aller un peu plus loin. Les propositions du groupe de travail constitué à votre initiative, et auquel j’ai participé, sont nettement insuffisantes : un prime-time par mois sur l’ensemble du groupe ! Un feuilleton ultramarin, dont on nous dit bien qu’il ne passera pas sur les chaînes du groupe mais sur le numérique ou sur les « premières » dans nos territoires ! Vraiment, entre vos objectifs, vos ambitions, et la réalité de la solution qui nous est proposée, il y a un gouffre.

J’ai décidé de participer à ce groupe de travail dans un esprit constructif. Mais, de grâce, soutenez-nous et comprenez que nous ne pourrons pas nous satisfaire de propositions limitées qui nous font rester à la périphérie de l’audiovisuel, ou, pire encore, dans le deuxième périphérique, celui du numérique.

Je sais que le numérique a un fort potentiel, je sais que c’est l’avenir mais, dans l’immédiat, c’est le télévisuel qui compte. Notre présence en télévision est fondamentale. C’est une fenêtre. J’ajouterai, et je terminerai là-dessus, que cela tire une filière économique dans tous nos territoires. Derrière, il y a des producteurs, des spécialistes et des professionnels. C’est tout cela qu’il faut prendre en compte.

C’est une lourde tâche. Bon courage à vous !

M. le président Olivier Serva. Merci pour cette intervention qui vient du cœur, chère Maina Sage. Tout était important, mais c’était trop long ! (Sourires.) Le ministre doit partir dans dix minutes et nombre de collègues doivent encore intervenir !

M. Raphaël Gérard. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de vous remercier d’être avec nous aujourd’hui. Je vais sans doute revenir sur des sujets déjà abordés et sur un aspect que vous avez, à ma grande satisfaction, vous-même souligné dans votre propos liminaire, à savoir l’importance de la culture dans le sentiment d’appartenance à la communauté nationale.

Aujourd’hui, vous parlez de l’« archipel France ». Le Président de la République l’a lui-même évoqué, et je pense que nous serons tous d’accord ici pour dire que nous comprenons bien ce que cette expression signifie. Mais si cet archipel France est une évidence pour nos compatriotes ultramarins, il est bien moins évident pour nos compatriotes hexagonaux. Aujourd’hui, le véritable enjeu est de faire en sorte que nous apprenions à mieux nous connaître et à mieux valoriser ces cultures ultramarines pour que l’ensemble de nos concitoyens se reconnaissent dans cet archipel France et fassent de cette diversité et de notre présence sur tous les bassins océaniques un réel atout de rayonnement culturel.

Je reviendrai donc sur deux exemples : la Cité des outre-mer qui est, il est vrai, un serpent de mer, un vieux projet. C’est sans doute mon côté « en même temps », mais je pense que l’un n’est pas incompatible avec l’autre. Je ne voudrais pas voir se reproduire l’erreur de France Ô dans le traitement de la  Cité des outre-mer, et que l’on se donne bonne conscience en pensant que, dès lors que les Ultramarins auraient un lieu culturel, on aurait traité le sujet : ce serait aller à l’inverse du but recherché. En revanche, traiter ce projet en considérant que l’approche digitale est la réponse n’est pas non plus une solution satisfaisante aujourd’hui. Car elle risque à nouveau de renvoyer les cultures ultramarines à la marge.

À mon avis, la Cité des outre-mer doit plutôt s’inventer autour d’un réseau qui s’appuierait sur des établissements existants : si l’on parle de visibilité des cultures ultramarines sur les grandes chaînes du service public audiovisuel, on doit aussi penser à leur visibilité dans les grands établissements culturels, les musées et les théâtres par exemple. Je ne comprends pas pourquoi, aujourd’hui, une compagnie de danse ou une compagnie de théâtre ultramarine serait systématiquement renvoyée vers le ministère des outre-mer pour ses demandes de subventions et n’entrerait pas dans le domaine naturel de compétence du ministère de la culture ; pourquoi une compagnie ultramarine de danse contemporaine n’aurait pas accès au théâtre de Chaillot ou à d’autres grands établissements pour ses résidences et ses créations. Je pense que la réponse passe par le traitement de cette question.

Le numérique peut permettre de donner du lien et de la lisibilité à cette politique, mais celle-ci ne peut être impulsée que par le ministère de la culture, en lien évidemment avec votre collègue des outre-mer. Le ministère de la culture doit se réapproprier la culture ultramarine comme étant une des composantes de la culture nationale.

Sur ces mêmes aspects, je dirai également un mot à propos de France Ô. Je partage complètement l’analyse de Maina Sage : les propositions faites dans le cadre du groupe de travail, la semaine dernière, sont non seulement insatisfaisantes mais, de plus, ne font que reproduire le problème. Le problème de France Ô n’est pas la qualité de ses programmes, car elle reste une des très bonnes chaînes du service public, proposant des programmes de qualité – on ne le dit pas assez. Penser que créer une semaine des outre-mer ou une case ultramarine permettra de régler la question de la visibilité des ultramarins sur les chaînes de service public me semble une bien mauvaise approche, qui ne fait que reproduire le problème rencontré par France Ô.

M. le président Olivier Serva. Si vous voulez entendre la réponse du ministre, j’invite les prochains intervenants à la plus grande concision.

Mme Cécile Rilhac. Pour être concise, monsieur le président, je ne reviendrai pas sur France Ô, et me contenterai simplement d’indiquer que je partage à 200 % les propos de mes collègues Raphaël Gérard, Maina Sage et Frédérique Dumas. Cela vous montre, monsieur le ministre, que nous sommes tous d’accord sur cette question. Que nous soyons des députés ultramarins ou hexagonaux, à la délégation aux outre-mer, nous partageons tous ces mêmes constats.

Je voudrais évoquer d’un mot le Pass culture : ne serait-il pas possible d’y inclure un volet transport ? Le transport est bien, en effet, l’une des difficultés qui se posent particulièrement dans les territoires ultramarins : pour pouvoir accéder à la culture, il faut pouvoir se déplacer. Une prise en charge financière du transport, au niveau du Pass culture serait positive.

Dernier point, je reviens sur les propos de mes collègues Raphaël Gérard et Maina Sage relatifs à l’importance d’une culture partagée. Il est vrai que si on veut « faire nation », la France doit enfin prendre en compte son multiculturalisme et l’importance de ses territoires ultramarins dans sa culture. Celle-ci doit être complètement partagée ; or elle ne l’est pas aujourd’hui. Je ne sais pas si cela doit passer par l’école ou par la culture, mais il va véritablement falloir se poser la question de savoir comment l’on fait pour partager cette culture, à la fois sur le territoire de la France hexagonale, mais surtout dans nos territoires ultramarins qui sont, en effet, géographiquement éloignés – et cet éloignement fait que l’on en a parfois oublié le lien culturel, le lien historique, l’histoire commune que nous avons ensemble.

M. le président Olivier Serva. L’idée de concision est tout à fait subjective. Je suis sûr que notre cher collègue Mathiasin nous démontrera sa capacité à être synthétique et efficace…

M. Max Mathiasin. Cher collègue président, je peux être concis tout en étant bref ! (Sourires.) Je ne fais pas la confusion entre les deux.

Je reprendrai pour ma part deux éléments.

Le premier, je ne comprends pas que l’on puisse aujourd’hui traiter France Ô d’alibi. Quand France Ô a été créée, il n’était pas question d’alibi. Lorsque je me réveille le matin, que je peux voir le journal et ce qui se passe en Polynésie et un peu partout dans les outre-mer, ce ne sont pas des alibis, mais peut-être ma seule occasion d’une liaison avec l’ensemble des outre-mer.

Je suis en parfait accord avec mes collègues qui ont parlé de France Ô en disant que ce n’est pas assez et que nous pourrions en faire quelque chose de bien plus grand. Mais je sais que nous sommes soumis à des questions budgétaires et financières et je sais aussi que chaque fois que nous parlons des outre-mer, d’une manière générale, on décide et on fait sans nous. Cela explique les grands débats auxquels nous assistons ainsi qu’un certain ressentiment qui s’est exprimé après l’examen du projet de loi de finances.

Le deuxième élément, c’est cette notion de culture partagée. C’est précisément la meilleure façon de partager la culture : avant que nous ayons à partager quelque chose, il faut précisément que nous soyons considérés, pris en compte, et savoir que, dans chaque outre-mer, la culture est quelque chose de très fort et de très spécifique. Donc, donnons les moyens d’expression à nos cultures ! Je reste volontairement bref, monsieur le président, mais M. le ministre, qui connaît parfaitement le sujet, a très bien compris mon propos.

Mme Justine Benin. Certes, M. le ministre connaît très bien le sujet. Mais en venant ici, il savait aussi très bien qu’il allait l’entendre à répétition, des centaines et des centaines de fois, car la question de France Ô et la question de la culture en outre-mer représentent un véritable enjeu pour son ministère.

J’ai bien entendu votre exposé, monsieur le ministre. Je tiens d’abord à vous féliciter à propos du portail de ressources en ligne. C’est la preuve que vous avez compris que les outre-mer offrent des particularités, mais aussi permettent aussi une diversité de la culture en outre-mer.

Sur France Ô, je partage l’ensemble des propos exprimé mes collègues, sur cette question ô combien importante de la diversité culturelle, mais aussi de la lisibilité des outre-mer. Nous l’avons exprimé rapidement au ministère de la culture ; il était alors 11 heures 30. Puis, lorsque le Premier ministre a fait son communiqué de presse pour dire que France Ô allait disparaître, il était, me semble-t-il, 14 heures. Je le répète : nous étions en réunion au ministère de la culture pour nous exprimer sur le devenir de France Ô à 11 heures 30, et le communiqué de presse du Premier ministre est intervenu à 14 heures. C’est la preuve d’un réel manque de partage, dirai-je pour rester élégante.

Enfin, monsieur le ministre, je vous ai entendu parler de l’accompagnement des artistes outre-mer. J’espère que vous aurez un véritable plan à ce sujet, parce que nos artistes souffrent beaucoup du manque d’accompagnement et du manque de formation. Nos petites télés souffrent aussi d’un manque d’accompagnement. Nous l’avons exprimé à votre prédécesseur et à Mme la ministre des outre-mer : nos petites télés sont en manque de moyens, mais réalisent un travail remarquable dans l’ensemble de nos territoires.

J’en ai terminé, monsieur le président. Je pense que M. le ministre aura compris l’ensemble des enjeux – et je sais qu’il dispose d’un canal spécial pour lui donner l’ensemble des ressorts de cette affaire ! (Sourires.)

M. le président Olivier Serva. Sans transition, monsieur le ministre, vous avez tout le temps que vous souhaitez pour répondre à ces nombreuses et intéressantes questions !

M. Franck Riester. Merci, monsieur le président !

Je vais tout d’abord répondre à Justine Benin et, ce faisant, revenir sur l’une des interpellations de Frédérique Dumas concernant la télévision à laquelle j’avais oublié de répondre : cela ne vous a pas échappé, je n’étais pas en fonction au moment de l’annonce concernant le plan de réforme de France Télévisions. Toutefois, d’après ce que j’ai cru comprendre, cette réunion était une réunion d’annonce et non de concertation.

Cela me permet de rebondir directement sur l’interpellation de Maina Sage, que je trouve formidable et que j’ai d’ailleurs notée : ne pensez pas à notre place, pensez avec nous ! Le message est bien passé. Je le savais déjà, mais vous avez eu raison de le rappeler, car la communication est aussi dans la répétition. Sachez que c’est ma façon de concevoir ma responsabilité avec l’outre-mer, mais aussi plus largement. Un responsable politique que je connaissais bien disait toujours que l’on est moins bête à plusieurs que tout seul. J’en suis vraiment convaincu. Au-delà du respect et de la considération vis-à-vis des personnes qui, d’une certaine façon, subissent les décisions, il s’agit aussi de s’enrichir des réflexions et des idées des autres. Vous pouvez compter sur moi pour être à l’écoute et de décider avec vous plutôt que sans vous.

Deuxième élément concernant la télévision, il y a France Ô évidemment, mais je demeure convaincu que si c’était une réponse, elle n’était pas la réponse optimale nécessaire par rapport à tout ce que vous avez dit sur la diversité et sur la présence de la culture et des cultures ultramarines dans l’Hexagone et, plus largement, la présence des cultures ultramarines dans l’expression, la représentation et la diffusion de la culture française à l’étranger. Je pense qu’il y a mieux à faire avec les outils de l’audiovisuel public. Parfois, ce n’est pas simplement une question de nombre de programmes ou de durée de programme sur une antenne qui fait la différence. C’est aussi l’audience qui va avec, et c’est l’impact de cette audience dans le public.

J’entends bien le message, nous devons y travailler. C’est pour cela que je tiens absolument à ce que vous soyez très présents. Annick Girardin est totalement en phase avec moi et souhaite vivement que vous soyez très présents dans la discussion et la réflexion avec l’audiovisuel public et avec France Télévisions. Mais regardons aussi l’audience : une émission en prime-time ou en première partie de soirée sur France 2 a un impact considérable, sans doute plus que je ne sais combien d’émissions jusqu’à ce jour sur France Ô. Il ne faut pas que ce soit une anecdote, il ne s’agit pas de dire : « Voilà votre émission, vous êtes contents. C’est bon, on passe au sujet suivant. » Cela ne doit pas être. La puissance de l’audiovisuel public sur les grandes chaînes, les grandes antennes, doit être davantage mise au service de la diffusion de la création et de la représentation de la culture ultramarine.

Pour ce faire, nous disposons de deux outils. Le premier est un outil public, ce sont les « outre-mer premières ». Formidable vitrine outre-mer, elles doivent avoir un relais numérique. J’aime bien cette idée de vitrine, mais il est vrai que les « outre-mer premières », qui connaissent des audiences très fortes dans les outre-mer, constituent une belle vitrine de ce qui pourrait, par la suite, être démultiplié au niveau du numérique. Nous devons avoir une réflexion très forte sur la présence numérique des « outre-mer premières », qui sont à la fois de la télévision et de la radio.

Mais nous ne devons pas oublier les chaînes privées. Ces petites chaînes privées qui, on le sait, connaissent des difficultés et sont aujourd’hui aidées par France Télévisions, peuvent être le second outil. Nous devons réfléchir collectivement à des modèles économiques renouvelés et repensés pour ces chaînes qui se projettent dans l’avenir.

Voilà ce que je voulais vous redire sur l’audiovisuel.

Ensuite, vous avez évoqué la question de la place de l’outre-mer dans la géographie mondiale. C’est un aspect très important, en effet. Dans la réflexion sur le rayonnement culturel de notre pays, nous devons voir comment les cultures ultramarines ont une place à part, notamment chez les voisins des différents territoires ou départements d’outre-mer. Je suis très volontariste pour le rayonnement culturel de notre pays, qui passe, à mes yeux, par le rayonnement des cultures ultramarines.

Pour le reste, j’ai entendu votre message, vous l’avez suffisamment martelé ! Je savais, en venant ici, que vous alliez le marteler, mais il est important. Croyez-moi, tout d’abord, si j’avais besoin d’une piqûre de rappel, je reviendrais régulièrement pour que vous me l’administriez. Mais je n’en aurai pas besoin, car je suis convaincu qu’en tenir compte est important pour notre communauté nationale et pour l’image de la France dans le monde.

Monsieur Gérard, j’achète, pour ma part, l’idée du réseau pour la Cité des outre-mer ! Il me faut étudier en détail le projet qui est pour l’instant sur la table afin de mesurer cette dimension de réseau, de labellisation, de circulation des œuvres, des spectacles, mais je pense qu’elle est intéressante. Je pense qu’il est possible de créer quelque chose d’assez original sans que ce soit forcément un site figé à tel endroit à Paris ou région parisienne.

L’idée du transport dans le Pass culture mérite également d’être approfondie. De prime abord, cela me semble une bonne idée. Il faut en étudier la faisabilité, mais cela a du sens. Combien de fois m’a-t-on parlé – n’est-ce pas, mesdames Sage et Sanquer ?– de ces questions de transport pour les députés ultramarins, dans le cadre des réflexions conduites à l’Assemblée nationale sur le statut du député et des moyens mis à leur disposition ! Des problématiques spécifiques se posent en matière de transport outre-mer. Pourquoi ne pas aller vers la solution du Pass culture ? Cela rejoint ce que disait Frédérique Dumas sur les offres culturelles, qui sont parfois à distance. Il faut essayer de les rapprocher des publics, mais parfois il est aussi nécessaire de déplacer les publics vers les offres.

Monsieur Mathiasin, comme vous, je suis convaincu qu’un enjeu majeur pour mon ministère est de prendre à bras-le-corps les problématiques ultramarines. Je me répète un peu, mais vous vous êtes répétés également. Avec des arguments légèrement différents, vous avez tous martelé ce message. Je l’entends. C’est pour moi aussi l’un des grands enjeux.

Au fur et à mesure de nos réunions, je voudrais que nous puissions dire de façon très concrète que, sur tel point, nous avons avancé ; que sur tel autre, en revanche, nous n’avons pas avancé, mais qu’au moins, je puisse vous expliquer pourquoi nous n’avons pas avancé. Et ainsi, de façon très itérative, nous construisions ensemble l’amélioration des dispositifs que l’outre-mer mérite.

M. le président Olivier Serva. Merci beaucoup, monsieur le ministre de la culture, cher Franck Riester, pour ces réponses claires, franches, précises et engagées, à la mesure et au niveau des attentes des députés de la délégation aux outre-mer.

 

La séance est levée à 18 heures.

 

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