Compte rendu

Mission d’information de la
Conférence des présidents
sur la révision de la
loi relative à la bioéthique

– Audition de Mme Clotilde Brunetti-Pons, maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université de Reims Champagne-Ardennes, responsable du centre sur le couple et l’enfant (CEJESCO)              2

– Présences en réunion..............................9

 


Mardi
9 octobre 2018

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 27

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
M. Xavier BRETON,
président
 

 


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 9 octobre 2018

(Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission)

La Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l’audition de Mme Clotilde Brunetti-Pons, maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’Université de Reims Champagne-Ardennes, responsable du centre sur le couple et l’enfant (CEJESCO).

L’audition débute à douze heures quinze.

M. le président Xavier Breton. Nous accueillons maintenant Mme Clotilde Brunetti-Pons, maître de conférences habilitée à diriger des recherches (HDR) à l’Université de Reims Champagne-Ardennes, responsable du centre sur le couple et l’enfant (CEJESCO). Madame, nous vous remercions d’avoir accepté d’intervenir devant nous aujourd’hui. Parmi vos nombreux travaux, vous avez notamment dirigé, entre 2015 et 2017, une recherche sur le droit à l’enfant et à la filiation en France et dans le monde. Un ouvrage est paru à cette occasion, qui étudie ce que le développement de la gestation pour autrui et de l’assistance médicale à la procréation implique sous l’angle du droit à l’enfant et à la filiation.

Les sujets de l’assistance médicale à procréation, de la gestation pour autrui et de la filiation sont régulièrement soulevés au cours de nos auditions, aussi nous souhaiterions connaître votre approche de ce sujet.

Mme Clotilde Brunetti-Pons, maitre de conférences HDR à l’Université de Reims Champagne-Ardennes. La mission « Droit et Justice », organisme indépendant rattaché au ministère de la justice, a retenu le projet que mon équipe a présenté à la suite d’un appel d’offres de la mission qui a été formalisé en 2014. La mission a financé, validé et publié les résultats de cette recherche sur son site en mai 2017. Le rapport final a également été publié chez Lexis-Nexis en mars 2018.

Ce rapport rend compte d’une recherche réalisée sur plus de deux ans par vingt-six chercheurs – vingt-trois rédacteurs et trois chercheurs associés à l’étranger – pour évaluer les manifestations et les conséquences des récentes pratiques de droit à l’enfant.

Dans le cadre de cette recherche, l’expression « droit à l’enfant » renvoie à une demande se situant en dehors du cadre légal français de la biomédecine. Le domaine de l’étude recouvre ainsi trois hypothèses : tout d’abord, celle d’une assistance médicale à la procréation (AMP) à but non thérapeutique, interdite sur le territoire français ; en second lieu, l’hypothèse d’une convention de gestation pour le compte d’autrui (GPA), interdite sur le territoire français ; et enfin le cas d’une adoption prononcée à la suite de la réalisation à l’étranger d’une de ces deux pratiques interdites en droit français.

Avant d’approfondir la question, il est nécessaire de rappeler une définition. Le droit de la filiation établit le lien juridique entre l’enfant et ceux dont il est issu, ascendance maternelle et ascendance paternelle. Deux remarques en découlent. Tout d’abord, le droit de la filiation repose sur la sexuation – maternité, paternité – et non pas sur des choix de vie qui peuvent relever du droit des couples, autre branche du droit de la famille. En second lieu, il est impossible en toute rigueur juridique de parler des parents de l’enfant avant l’établissement de la filiation. La qualité de père ou de mère découle de l’établissement de la filiation.

Dans ce contexte, de quoi est-il question ? Commençons par souligner qu’il ne s’agit pas ici de parler de moi, de vous, d’une personne ou de couples en particulier, ni a fortiori de mode de vie. Il est question du droit de la filiation, autrement dit des règles qui fondent la filiation de chaque enfant, donc l’identité de ce dernier. Tout le monde est concerné.

Pour que l’AMP soit compatible avec les règles de droit qui structurent la société pour tous, il faut lui fixer des limites. Le droit joue ce rôle. À défaut, l’enfant serait abandonné à la toute-puissance des adultes par contrat, tractations, échanges et arrangements de toutes sortes. Cela pourrait-il constituer un progrès ? Non.

Il est en conséquence indispensable de poser des limites à l’AMP. Or le but thérapeutique est en ce domaine la seule limite objectivement opérante et fiable.

Notre droit de la filiation ayant pour rôle d’établir l’ascendance maternelle et paternelle d’un enfant, évoquer la question de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules revient à poser, juridiquement, la question de savoir si la suppression de la filiation paternelle, consécutive à l’AMP avec donneur, avec création d’une deuxième filiation maternelle dans le premier cas, est compatible avec notre ordre juridique ; ou bien si une telle réforme remet en cause le droit de la filiation en général.

Deux grandes catégories de solutions sont avancées. Première hypothèse : en marge de notre système de droit, on pourrait créer une sous-catégorie de filiation pour autoriser l’AMP sans père. Les principes et règles du droit de la filiation seraient alors écartés et l’enfant privé du droit d’exercer une action en recherche de paternité. La création d’une telle sous-catégorie permettrait de ne pas abroger directement nos principes et règles du droit de la filiation, mais instituerait des inégalités entre enfants.

Une deuxième hypothèse consisterait à abroger nos principes et règles du droit de la filiation et à y substituer une filiation créée par la volonté, sans lien avec la filiation telle qu’elle existe aujourd’hui. Mais dans ce cas, la filiation de tous les enfants serait immédiatement fragilisée car dépendante de la volonté, fluctuante par nature. En outre, des conflits de filiation inextricables en résulteraient. Toutes les règles actuelles seraient remises en cause. Une situation d’insécurité pour l’enfant serait instituée par la loi. Une telle réforme supposerait de ne pas tenir compte des conséquences, pourtant clairement identifiées, d’une transformation aussi radicale de la filiation.

La première hypothèse envisagée conduirait d’ailleurs également à ce résultat, les principes directeurs qui protègent tous les enfants étant, de fait, progressivement abrogés. Mener à terme une telle réforme conduirait à déconstruire des principes intemporels et essentiels selon la Cour de cassation : le principe selon lequel la filiation se situe en dehors du domaine des contrats et donc selon lequel la volonté n’a pas de prise sur la filiation ; le principe selon lequel un enfant ne peut se voir attribuer deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles ; le principe selon lequel l’enfant a le droit de rechercher sa filiation maternelle ou sa filiation paternelle, etc.

Sur quel fondement le législateur pourrait-il envisager de toucher à ces principes essentiels du droit privé ? Une éthique de conviction prend ici le pas sur l’éthique de responsabilité qui domine chez les juristes. Cela explique que les partisans de telles déconstructions soient rarement des juristes, car ces derniers sont habituellement soucieux de prendre en compte les conséquences des réformes envisagées.

Réfléchir sérieusement à la question posée suppose de bien différencier la situation de fait – individuelle – de la question de droit : dans certaines situations de fait, un enfant se trouve privé de père ou de mère. Ces situations sont peu nombreuses, mais elles existent. Est-il possible d’y apporter des réponses juridiques ? Tel est bien le cas ; le rapport y a travaillé. Face à de telles situations de fait, il est important que le professionnel, au cas par cas, soit animé par la bienveillance et trouve des solutions concrètes adaptées.

Envisager la suppression de la filiation paternelle consécutive à l’AMP avec donneur, c’est tout autre chose : cela consiste à toucher aux modèles législatifs et immanquablement à la filiation puisqu’il s’agit de supprimer une filiation paternelle et d’autoriser la création d’une deuxième filiation maternelle.

Notre droit de la filiation s’y oppose. Faut-il, comme y invite la réforme envisagée, supprimer notre droit de la filiation ou créer une sous-catégorie de filiation à laquelle ne seraient pas appliqués nos principes essentiels ? Là est la question qui vous est soumise, mesdames et messieurs les députés, lorsque la suppression du but thérapeutique de l’AMP est abordée juridiquement.

Dès lors que l’on touche aux modèles législatifs, la responsabilité du législateur, celle de l’État, peuvent être engagées. L’enfant pourrait reprocher à l’État de l’avoir privé de père. Il pourrait bien sûr agir d’abord contre celles qui ont intentionnellement effacé toute possibilité d’établir une paternité, puis mettre en œuvre la responsabilité des médecins et de l’État.

Quels sont les enjeux ? Quelques pays, peu nombreux – ce sont toujours les mêmes qui sont cités –, ont choisi par un vote de satisfaire des revendications individuelles d’AMP sans père. Ces pays ont choisi de créer une sous-catégorie de filiation. La recherche sur le droit à l’enfant et la filiation en France et dans le monde met en évidence les incohérences qui en résultent au sein des ordres nationaux concernés. Notre équipe de chercheurs a notamment observé des manipulations de femmes ou de couples en grande détresse, des incohérences textuelles fragilisant le statut de l’enfant, des abandons d’enfants physiquement trop différents de ce qui était attendu au vu des catalogues, des actions en justice de plus en plus nombreuses, des risques d’enlèvements, d’échanges et de ventes d’enfants – nous avons été confrontés à deux ventes. En corrélation avec la substitution du but lucratif à la finalité médicale, nous avons également noté le développement d’un marché qui profite à des sociétés à but lucratif affiché, organisées en réseaux, avec leurs médecins, leurs psychologues, des cliniques privées et leurs intermédiaires. Les conflits d’intérêts émergent également lorsque l’avis des professionnels engagés dans ces pratiques ou en lien avec ces réseaux est pris en compte dans les débats. Enfin, on constate une augmentation des difficultés pour l’AMP en général, donc aussi pour des couples confrontés à une stérilité médicalement constatée ou à une maladie grave, la fragilisation de l’identité des personnes, celle de la paternité, de la maternité et du principe de binarité des sexes.

À l’échelle internationale et en corrélation avec ces pratiques, la marchandisation d’éléments ou de produits du corps humain, puis in fine de l’humain, se développe, de même que les pratiques eugéniques.

Quels remèdes proposer ? Des solutions précises sont développées par notre équipe. Elles ont été exposées le 18 mai 2018 au Conseil supérieur du notariat et seront publiées en novembre aux éditions Mare et Martin. Tout d’abord, à l’international, nous pourrions favoriser la conclusion de conventions bilatérales ou internationales prévoyant qu’un pays qui accepte des pratiques libérales de « droit à l’enfant » ne peut pas les autoriser au profit de ressortissants français ou de ressortissants dont le pays interdit ces pratiques.

Nous pourrions mieux informer sur ces questions en rappelant le contenu de notre droit et les sanctions pénales, de façon à prévenir les fraudes. Ensuite, dans les situations de fait constituées à l’étranger, nous pourrions organiser un suivi de l’enfant sur le territoire français comme lors d’une adoption internationale.

Nous proposons également de renforcer les principes directeurs protecteurs de la filiation, de proclamer en droit français les principes de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, mais aussi de protéger le maternage et le paternage par des mesures d’information, de prévention et d’accompagnement des familles.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. le président Xavier Breton. Madame, je vous remercie pour votre exposé. Je n’aurai qu’une question. Avez-vous étudié l’impact juridique d’une levée du critère d’infertilité pathologique, actuellement opposé aux couples homme-femme pour l’accès à l’AMP ? Le président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), que nous avons interrogé, n’est pas favorable à la suppression de ce critère. À l’inverse, le Défenseur des droits, qui était à votre place il y a quelques instants, y est favorable. Les positions ne sont donc pas stabilisées. Nous nous interrogeons sur les limites qui pourraient être imposées à une assistance médicale à la procréation ouverte à tous les couples.

Mme Clotilde Brunetti-Pons. L’impact de la suppression de ce critère serait important. Actuellement, l’assistance médicale à la procréation pour les couples homme-femme atteints d’une stérilité pathologique ou d’une maladie grave renvoie au droit de la filiation. Notre système de filiation fait de la femme qui va accoucher la mère de l’enfant à naître et de l’homme qui a accepté la procréation médicalement assistée de sa compagne le père. Sur ce point, le droit de la bioéthique renvoie expressément au droit de la filiation.

Si l’on supprimait le but thérapeutique, il faudrait supprimer ce renvoi, notre droit de la filiation étant totalement incompatible avec une AMP à destination des couples de femmes ou pour les femmes seules. Le lien entre l’AMP et le droit de la filiation serait alors supprimé. L’étude d’environ trente-cinq pages que j’ai rédigée et qui vous a été transmise envisage toutes ces options. L’expliquer en quelques instants est vraiment délicat, car chaque option emporte des conséquences différentes. Dans mon propos liminaire, j’ai essayé d’exposer les conséquences valables quelle que soit l’option choisie. Si le législateur choisit de supprimer la filiation paternelle post-AMP, il sera obligé d’écarter tous les principes directeurs précédemment énumérés.

M. le président Xavier Breton. Mais la suppression du but thérapeutique ne revient-elle pas également à ouvrir aux couples homme-femme l’assistance médicale à procréation pour convenance ?

Mme Clotilde Brunetti-Pons. Je me suis focalisée sur l’aspect juridique mais vous avez raison : en pratique, la suppression du but thérapeutique ouvrirait également la possibilité aux couples homme-femme de bénéficier d’AMP de convenance.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vous remercie pour ces explications très précises et la description de ce que vous appelez le « droit à l’enfant ». Je respecte parfaitement votre choix de ne pas souhaiter l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, comme je respecte votre précédent choix de vous opposer au mariage homosexuel. Cependant, l’évolution a eu lieu…

Quand vous utilisez l’expression « droit à l’enfant », qualifiez-vous ce que certains solliciteraient, ou est-ce votre jugement ? Aucun des groupes que nous avons auditionnés ne revendique un droit à l’enfant. Je connais seulement des personnes qui désirent avoir des enfants et s’engagent à leur apporter amour, éducation et tout le nécessaire. Est-ce le regard porté sur ceux qui désirent des enfants par ceux qui veulent les priver de cette éventuelle satisfaction ?

Au-delà de la sémantique, un autre sujet m’importe bien plus. Nous venons d’ailleurs d’en discuter avec le Défenseur des droits. Tous les enfants doivent bénéficier de la totalité de leurs droits et nous n’avons pas à faire peser sur eux une quelconque différence selon leur mode de procréation. Or nous devons constater qu’actuellement, les enfants nés de PMA sauvages – effectuées en France dans des conditions sanitaires et juridiques qui laissent à désirer entre un donneur de gamètes et une femme seule ou en couple –, mais aussi les enfants nés de PMA ou de GPA à l’étranger, sont relativement nombreux et n’ont pas tous les mêmes droits que les enfants nés de façon traditionnelle.

Il nous paraît difficile de l’accepter, quel que soit le jugement que l’on porte sur les choix parentaux. Selon vous, comment ces enfants pourraient-ils bénéficier de droits équivalents aux autres ?

Tous ici, nous sommes d’accord pour bannir l’éthique de conviction, surtout quand elle s’écarte de l’éthique de raison. Actuellement, les couples de femmes homosexuelles ou les femmes seules peuvent adopter et ont la possibilité de recourir aux différentes PMA que je viens de décrire. Notre éthique de raison n’est donc pas de conviction, mais liée à un fait qui doit nous conduire à adapter notre droit, même sans extension de la législation.

Enfin, vous évoquez le risque de poursuite contre l’État, au motif qu’il priverait ces enfants de pères. Le risque est plus théorique que pratique : l’État n’a pas été poursuivi quand il a privé quelques millions d’enfants français de père, dans des conditions beaucoup plus discutables, du fait des deux guerres mondiales.

Mme Clotilde Brunetti-Pons. Je n’ai pas choisi personnellement le terme « droit à l’enfant ». C’est la mission « Droit et Justice » qui a formulé le sujet et utilisé cette expression, sans doute en partenariat avec la direction des affaires civiles et du Sceau. On m’a demandé d’envisager les conséquences de l’évolution vers un « droit à l’enfant ». Il n’y a là aucun choix personnel.

Vous avez également évoqué ma position concernant le mariage homosexuel. J’avais expliqué les différentes conséquences de la suppression de la différence de sexe dans le mariage, notamment devant des sénateurs. Là encore, il ne s’agissait pas d’ennuyer mes interlocuteurs, mais simplement d’expliquer les conséquences juridiques d’une telle réforme.

Je me souviens que les sénateurs avaient eu l’air très étonnés, comme vous aujourd’hui. Or, ces conséquences sont désormais toutes avérées, et même des journalistes l’ont relevé : le lien entre le mariage et la filiation ne pouvait pas être occulté des débats sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dit « mariage pour tous ». Finalement, ce lien n’a pas été clairement mis en évidence. C’est la technicienne qui vous parle.

Vous m’avez posé une question plus grave, qui souligne que je n’ai pas suffisamment expliqué la différence entre situations de fait et de droit. En France, comme dans le monde, il existe des situations de fait très différentes : un enfant peut ainsi être totalement privé de son père et de sa mère à la suite d’un accident de voiture ; il peut n’avoir qu’une filiation maternelle ou être né sous X. Mais l’égalité en droit est affirmée à l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : tous les enfants naissent donc libres et égaux en droit. Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement que même les enfants qui naissent dans des circonstances très difficiles ont les mêmes droits.

Or la réforme envisagée priverait certains enfants de la possibilité d’exercer une action en recherche de paternité. Alors qu’ils ont à l’origine tous les mêmes droits, on leur enlève une partie de ces droits. Il ne s’agit plus ici de comparer des situations de fait, mais d’une question de droit !

S’agissant de la protection des enfants, il y a bientôt trente ans, j’ai commencé à travailler dans les services de la protection de l’enfance, à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. J’ai vu passer toutes sortes de situations de fait et j’ai tenté de toutes les accompagner, au mieux, avec un maximum de bienveillance. On trouve toujours des solutions concrètes. L’enjeu actuel est totalement différent, d’autant qu’il est juridique : doit-on créer un modèle de filiation sans père ? Avec une deuxième mère ? Ce n’est pas anodin puisque mater semper certa est – l’identité de la mère est toujours certaine. Normalement l’enfant sait qui est sa mère.

Laissons les questions de fait aux professionnels de l’enfance. Tous, y compris ceux qui se situaient à gauche, s’étaient prononcés contre la loi sur le mariage pour tous pour cette raison. Que s’est-il passé en 2013 ? Contre quoi les professionnels de la protection de l’enfance comme moi nous mobilisons-nous ? Il y a désormais deux types d’adoption. Pour permettre à deux personnes du même sexe d’adopter, une partie du droit de l’adoption a été séparée de la filiation, afin de ne pas supprimer « père » et « mère » de tous les codes et, en conséquence, tous les principes du droit de la filiation. Une telle solution avait été initialement envisagée, mais n’a pas abouti du fait de la mobilisation. Quelle solution a-t-on trouvé ? Elle est prévue par l’article 6-1 du code civil. Vous pouvez le relire, c’est terrible… Les enfants adoptés par deux personnes du même sexe ne relèvent pas du droit de la filiation. Peut-on d’ailleurs parler de droit de la filiation pour ces enfants ? Cela engendrera probablement dans quelques années différents types de conflits, par exemple avec des enfants d’un premier lit, pour savoir qui a droit à quoi dans un héritage.

Pour la première fois depuis que le doyen Carbonnier avait posé le principe d’égalité des enfants en 1972, on a réintroduit en 2013 des inégalités profondes de droits entre enfants. Par ailleurs, cela a eu d’autres conséquences sur le droit de l’adoption : certains pays avec lesquels nous avions de très bonnes relations en matière d’adoption ont revu à la baisse leurs accords avec la France ; les conseils de famille des pupilles de l’État nous demandent de plus en plus de consultations juridiques car ils sont confrontés à de nouvelles questions, ne savent que faire, paniquent, se demandent s’ils peuvent confier un bébé à deux hommes qui n’ont pas toujours d’expérience avec des bébés.

Mesdames et messieurs les députés, il est très important de bien faire la différence entre les situations de fait – personne n’a de baguette magique pour faire en sorte que tous les enfants aient les mêmes familles et la même vie, même en travaillant à la protection de l’enfance – et les situations de droit. On peut faire en sorte que tous les enfants soient égaux en droit et que l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 soit respecté. On peut faire en sorte de ne pas retirer à un enfant le droit de faire établir sa filiation paternelle.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Madame, dans les documents que vous nous avez fait parvenir et que j’ai étudiés, vous indiquez entre autres : « notre droit de la filiation ayant pour rôle d’établir l’ascendance maternelle et paternelle d’un enfant… ». Vous partez donc du principe que la filiation n’établit que l’ascendance maternelle et paternelle d’un enfant. Cette définition de la filiation n’est pas correcte car cette dernière désigne le rapport de famille qui lie un individu à une ou plusieurs personnes dont il est issu. L’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation établit que, dorénavant, en présence d’une possession d’état conforme au titre, seule la mère, le père prétendu, l’enfant ou, selon le cas, le mari ou l’auteur de la reconnaissance, peuvent agir. Depuis 2013, d’ailleurs, si la mère sociale qui a épousé celle qui a porté l’enfant adopte ce dernier, à l’issue d’un long processus d’adoption qui met en danger la mère sociale, les deux filiations apparaissent sur l’acte de naissance et un livret de famille mentionnant « mère n° 1 » et « mère n° 2 » est remis aux heureux parents.

En revanche, vous proposez deux types de solution pour établir ces filiations, notamment de créer une sous-catégorie de filiation pour autoriser l’AMP sans père en marge de notre système de droit. Or l’article premier de notre Constitution assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Même si la population lesbienne, gay, bi et trans (LGBT) est largement minoritaire, il est anormal qu’elle soit encore considérée comme une sous-catégorie de citoyens…

Mme Clotilde Brunetti-Pons. L’idée ne vient pas de moi… C’est simplement le résultat de la législation de 2013. Pour éviter de créer cette sous-catégorie, comme je l’ai expliqué, il faudrait abroger toutes nos règles du droit de la filiation. Mais vous avez raison, créer une sous-catégorie pose problème.

La définition de la filiation que j’ai donnée est parfaitement exacte et renvoie à tous les articles du titre VII du code civil. Vous la trouvez dans tous les ouvrages de droit. Elle est issue d’une notion, certes un peu désuète, de « filiation par le sang ». Ces termes de 1804 désignent la filiation véritable de l’enfant. Aucun spécialiste du droit de la filiation ne remettra en cause cette définition.

En ce qui me concerne, je ne souhaite absolument pas la création d’une sous-catégorie de filiation, même si le rapport du Conseil d’État la propose, tout en étant extrêmement prudent. Il souligne que toutes les autres solutions vont plus loin et que c’est celle qui aurait le moins de conséquences, tout en ayant des conséquences graves…

M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour cet échange et je donne rendez-vous cet après-midi à mes collègues pour de nouvelles auditions.

L’audition s’achève à treize heures cinq.


Membres présents ou excusés

Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

 

Réunion du Mardi 9 octobre 2018 à 11 h 45

Présents. – M. Xavier Breton, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Brigitte Liso, M. Jean François Mbaye, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal

Excusée. – Mme Bérengère Poletti

Assistait également à la réunion. – M. Daniel Fasquelle