Compte rendu

Mission d’information de la
Conférence des présidents
sur la révision de la
loi relative à la bioéthique

– Audition de M. Éric Chenut, administrateur de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF),
et de M. Alexandre Tortel, directeur adjoint des affaires publiques...2

– Présences en réunion..............................9

 


Mardi
16 octobre 2018

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 30

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
M. Xavier BRETON,
président


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 16 octobre 2018

(Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission)

La Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l’audition de M. Éric Chenut, administrateur de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), et de M. Alexandre Tortel, directeur adjoint des affaires publiques.

L’audition débute à onze heures.

M. Xavier Breton, président. Nous débutons aujourd’hui nos auditions en accueillant des représentants de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), organisation professionnelle qui regroupe de nombreuses mutuelles. Son président, Thierry Beaudet, n’a pu, pour des raisons de santé, nous rejoindre, mais nous avons le plaisir de recevoir M. Éric Chenut, administrateur, et M. Alexandre Tortel, directeur adjoint des affaires publiques. Je vous remercie d’avoir accepté de venir vous exprimer devant nous.

La FNMF a publié une contribution aux débats menés lors des États généraux de la bioéthique, où vous avez notamment abordé les thèmes de l’intelligence artificielle, des données de santé et de la santé environnementale. Nous souhaiterions connaître votre approche sur ces sujets, qui présentent une importance majeure dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique.

Je vous donne la parole pour un exposé liminaire, après quoi nous en viendrons à un échange sous forme de questions et de réponses. Je rappelle que nos débats sont filmés et enregistrés.

M. Éric Chenut, administrateur de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). Nous vous prions, tout d’abord, d’excuser notre président, Thierry Beaudet, et nous vous remercions pour votre invitation : nous sommes très honorés de venir présenter les positions de la Mutualité française, qui a souhaité, à l’occasion de la révision de la loi de bioéthique, faire part de sa réflexion et de ses positions afin de contribuer au débat social et de participer à l’élaboration de ce que nous espérons être un consensus sur un certain nombre de questions éthiques essentielles dans les champs médical, technique, technologique et scientifique.

Nous avons mené cette réflexion dans le cadre de la FNMF, mais certaines mutuelles ont également conduit leur propre réflexion, comme la Fédération des mutuelles de France (FMF) et la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), par habitude voire par tradition. C’était la première fois que nous organisions un tel exercice au niveau de la FNMF, et nous l’avons prolongé lors de notre congrès, auquel a notamment participé le professeur Delfraissy. Nous entendons continuer sur cette voie bien au-delà de la seule révision de la loi de bioéthique : il nous paraît absolument nécessaire de contribuer à une forme d’éducation populaire, civique et citoyenne, via les 36 millions de personnes que nous protégeons dans le cadre de nos mutuelles de santé et des services de soins et d’accompagnement mutualistes. Un certain nombre de questions éthiques se posent et nous souhaitons contribuer à la réflexion.

Notre contribution est structurée autour de cinq axes qui nous paraissent absolument essentiels.

Le premier principe est de contribuer à l’émancipation de nos concitoyens : qu’ils soient de simples assurés sociaux, des patients ou des personnes malades en situation de handicap ou de dépendance, ils doivent bénéficier de tous les éléments leur permettant de faire ce qu’ils considèrent comme étant le bon choix pour eux, d’avoir le bon soin au bon moment, de se prononcer sur les thérapeutiques qui les concernent, de prendre leurs décisions au sujet de l’usage des données, et d’utiliser ou non l’intelligence artificielle. Sur toutes ces questions, comme sur celle de la fin de la vie, les citoyens doivent être responsables et pleinement maîtres de leurs décisions.

Le deuxième principe est peut-être consubstantiel à ce que nous sommes – nous n’avons pas de but lucratif, mais nous restons des assureurs : il nous paraît absolument fondamental de bien appréhender l’aléa et de réhabiliter la notion de risque. Compte tenu du principe de précaution et de la volonté, bien légitime chez nos concitoyens, d’avoir une société de plus en plus sûre, la question du risque effraie et on ne l’explicite pas suffisamment. Tout progrès génère du risque : c’est par une meilleure maîtrise et par une indemnisation, le cas échéant, qu’il faut traiter le sujet. Un certain nombre de techniques nouvelles, telles que l’intelligence artificielle, sont évidemment porteuses de risques. Il faut les encadrer, en étant conscient qu’elles vont permettre de réaliser des progrès formidables, notamment parce qu’elles nous donnent des possibilités nouvelles, et potentiellement déterminantes, pour accompagner les soins. Il faut retravailler sur la question du risque dans le cadre du débat politique.

Le troisième principe concerne les solidarités. Si l’on ne garantit pas un égal accès aux nouvelles technologies et si le progrès n’est pas partagé et accessible à l’ensemble de la population, ou à tout le moins au plus grand nombre, on va créer des inégalités supplémentaires et le sentiment d’appartenance sociale se délitera encore plus. Ce serait extrêmement dévastateur, notamment sous l’angle de l’appétence démocratique de nos concitoyens.

Le quatrième principe est précisément celui de la démocratie, de la participation à la décision. Notre format mutualiste et notre appartenance à l’économie sociale et solidaire font que nous sommes démocratiques par nature. Les assurés sociaux qui ont adhéré aux mutuelles participent à leur chaîne de décision et à la désignation de leurs représentants. Nous sommes très sensibles à cette dimension : c’est aussi la participation des adhérents à nos instances et à notre gouvernance qui nous permet d’être très directement en prise avec les préoccupations, les interrogations mais aussi les craintes de nos concitoyens. C’est ce qui nous a conduits à nous emparer de certaines questions et à les traiter avec autant de sérénité que possible. Sur des sujets d’éthique tels que la procréation médicalement assistée (PMA), qui a fait l’objet d’une réflexion dans le cadre de certaines mutuelles, en particulier la MGEN, on doit travailler sereinement, sans heurter les uns ou les autres mais au contraire en faisant émerger des lignes de consensus. Il nous paraît absolument fondamental de contribuer, à notre place, qui est celle des acteurs de la société civile, à l’émergence d’un débat apaisé.

Le dernier principe, qui est également consubstantiel aux mutuelles, est celui de la non-lucrativité : à nos yeux, les questions de santé sortent du champ commercial. Il nous paraît tout à fait essentiel de créer les conditions de l’accès du plus grand nombre à la santé et de conforter le droit constitutionnel à la santé dans un cadre non-lucratif.

En ce qui concerne les données, le principe que nous mettons en avant est la garantie du libre choix et du consentement des assurés sociaux. La solidité de leurs connaissances dans ce domaine et celle de leur consentement sont une condition nécessaire pour le bon usage des données. Des expériences d’utilisation « qualitative » ont été réalisées, notamment aux États-Unis avec l’initiative Blue Button. Ce type de solutions nous semble pertinent : il faudrait peut-être réfléchir à les dupliquer, sans que ce soit à l’identique car il faut assurer une adaptation à notre contexte réglementaire et législatif, en particulier la loi « Informatique et libertés » et le règlement général sur la protection des données (RGPD), que nous devons à l’Union européenne. On doit aussi faire en sorte de donner aux élèves et à nos concitoyens en général, dans le cadre de leur formation, la capacité d’utiliser les données d’une manière qui soit aussi éclairée et utile que possible pour leur santé et leurs choix de vie.

Pour ce qui est de l’intelligence artificielle, deux principes nous semblent essentiels. Il y a d’abord celui de la loyauté : ceux qui élaborent les algorithmes doivent s’engager très clairement à ce que les données soient utilisées de la manière qui est annoncée. Il ne doit pas y avoir d’utilisation cachée. Le principe de la transparence nous semble, par ailleurs, absolument nécessaire pour répondre au besoin de confiance. Beaucoup de nos concitoyens sont aujourd’hui inquiets, de manière légitime au regard d’un certain nombre d’éléments. Si l’on veut que les progrès soient bien utilisés, on doit conforter le sentiment de confiance. Sans cela, il ne peut pas y avoir de démocratie, et la relation avec les soignants et d’autres acteurs, comme les mutuelles, risque de se déliter. Il faut créer les conditions d’un écosystème favorable au progrès technique, à la recherche et à tout ce qui pourra être utile pour arriver à de meilleures connaissances et à une meilleure personnalisation des accompagnements, de la prévention et de l’accès au dépistage. Tous ces éléments peuvent être des facteurs formidables de réduction des inégalités, et il faut donc les prendre en compte. En tant que fédération de la mutualité française, nous restons résolument confiants, même si nous sommes très attentifs aux risques potentiels, dans la possibilité d’accompagner nos concitoyens pourvu que l’on mette en place une éducation au numérique et à ses enjeux sur le plan de la santé.

M. le président Xavier Breton. Merci pour votre propos liminaire. Vous nous avez dit qu’il est important de développer la participation citoyenne sur les questions de bioéthique. Dans sa contribution aux débats des États généraux, la FNMF a souligné qu’il est essentiel de développer la formation et la sensibilisation citoyennes à la protection et à la compréhension des données qui sont produites. Selon vous, quelle forme devrait prendre cette formation ? Existe-t-il déjà des expériences en la matière ?

M. Éric Chenut. Le premier élément consiste à former les citoyens en devenir que sont les élèves. Un volet extrêmement important de la stratégie nationale de santé est ainsi consacré au parcours éducatif de santé. On pourrait y inclure un volet relatif à l’éducation au numérique pour faire en sorte que les élèves soient informés et sensibilisés, au fur et à mesure de leur cursus, à la question des données que l’on produit, notamment sur les réseaux sociaux – un certain nombre de données de santé peuvent y être produites sans que l’on s’en aperçoive. La MGEN, que je connais bien puisque j’en suis le vice-président délégué, a développé un programme d’éducation numérique (ProgEN) avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et d’autres acteurs. Ce programme, qui est soutenu par l’Éducation nationale, est développé à titre expérimental dans quelques académies. Le but est d’apprendre aux élèves le bon usage, d’essaimer les bonnes pratiques. C’est un point qui nous paraît absolument essentiel.

Par ailleurs, il n’y a pas que les élèves et les jeunes : on doit faire en sorte qu’il n’y ait pas de rupture numérique dans l’ensemble de la population. Il faut donc imaginer d’autres programmes du même type, en particulier pour ceux qui sont les plus éloignés du numérique. Les initiatives développées par le secrétaire d’État Mounir Mahjoubi nous paraissent aller dans le bon sens – je pense en particulier aux « Pass numériques ». La question de la santé pourrait utilement y être intégrée.

M. le président Xavier Breton. Votre contribution met en avant une initiative américaine de « divulgation intelligente » qui permet aux patients de télécharger leur historique sur un support sécurisé et ensuite, selon les besoins, de choisir de communiquer leurs données de santé aux acteurs de la chaîne de soins. Un tel dispositif nécessite un consentement libre et éclairé des patients, sans qu’il y ait pression sur eux. Comment pourrait-on garantir que ce soit le cas ?

M. Alexandre Tortel, directeur adjoint des affaires publiques de la FNMF. Ce dispositif fait partie de ceux qu’il faudrait adapter à notre contexte, comme l’a souligné M. Chenut. Le Conseil national du numérique a ainsi évoqué le déploiement d’un Blue Button à la française : ce sujet fait partie des réflexions actuelles.

En ce qui concerne le consentement éclairé, la CNIL a mis en place une doctrine au sujet du dossier médical personnel (DMP) : quand des éléments sont versés, il faut vérifier que la personne a librement consenti à leur transmission. Le RGPD, qui est en vigueur depuis peu de temps, a par ailleurs vocation à s’appliquer aux données de santé. Il existe donc un cadre juridique susceptible d’apporter des garanties. Comme ce cadre reste néanmoins assez formel, nous relions cette question à celle de l’éducation. Que veut dire, concrètement, consentir ? Sait-on à quoi vont servir les données que l’on va transmettre, par exemple le nombre de pas parcourus chaque jour ? Il y a un véritable effort à réaliser pour assurer une bonne compréhension de la transmission des données de santé. Cela vaut pour un Blue Button à la française, pour le DMP, mais aussi pour l’ensemble des éléments de prévention. Demain, celle-ci sera intimement liée aux objets connectés et aux applications : l’appréciation de la santé ne pourra pas être déconnectée des enjeux du numérique. L’encadrement juridique est aujourd’hui assez bien établi en France. Il a une dimension extraterritoriale qui fait que la réglementation s’applique aussi à des entreprises non-européennes qui collectent des données de santé en France. Mais au-delà, nous voyons un vrai enjeu en termes de formation et de sensibilisation. Le cadre juridique est plutôt protecteur, mais il faut travailler sur les enjeux de l’éducation et de la compréhension.

M. le président Xavier Breton. Outre les questions relatives à l’intelligence artificielle et aux données de santé, votre contribution aux États généraux traitait de la santé environnementale et de son impact. Est-il nécessaire d’intégrer cette préoccupation dans la loi de bioéthique et de quelle manière faudrait-il s’y prendre ? Avez-vous développé une réflexion sur ce sujet ?

M. Éric Chenut. L’ensemble des acteurs constate que les différences de catégories sociales renforcent les inégalités, notamment en matière d’accès à la santé et d’exposition aux risques. Dans ce contexte, il est d’autant plus important d’aller vers nos concitoyens qui vivent dans les conditions les plus précaires et les plus difficiles : il faut leur donner accès aux meilleures pratiques, à un meilleur environnement en matière de logement et à de bonnes informations, en particulier en ce qui concerne la pollution de l’air et les problématiques liées à l’environnement dans le cadre du travail. Il y a un besoin d’information, mais aussi de mobilisation de l’ensemble de la chaîne des acteurs publics, de l’État jusqu’aux collectivités territoriales, en associant bien sûr à cet effort des acteurs tels que l’assurance maladie et les assureurs complémentaires, notamment les mutuelles, afin qu’un certain nombre de bonnes pratiques puissent essaimer. Le premier élément est l’information : il faut que nos concitoyens soient éclairés et qu’ils puissent ainsi faire les meilleurs choix possibles. Pour celles et ceux qui n’ont pas toujours les moyens économiques de s’extraire de situations difficiles, il faut aussi réfléchir à des dispositifs de solidarité nationale permettant de les accompagner, de faire évoluer leur cadre de vie et de faire en sorte que la première des inégalités, celle qui concerne l’espérance de vie, se réduise. Il y a aujourd’hui 13 ans d’écart entre les différentes catégories socioprofessionnelles, ce qui nous semble difficilement acceptable. Je précise que la dimension environnementale joue un rôle significatif dans ce domaine.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je vous remercie pour votre présentation et pour le travail conduit par la Mutualité. Nous en connaissons la qualité et nous inspirons volontiers de vos rapports.

Je reviendrai tout d’abord sur l’importante question de l’intelligence artificielle et des données de santé. Vous indiquez que le développement du numérique doit être centré sur le patient ; nous sommes tous d’accord. Le climat de confiance doit être réciproque, bien sûr. Mais comment se protéger d’un risque d’exploitation commerciale excessive ? Beaucoup d’objets connectés de toute nature se développent, dont certains sont très utiles, d’autres moins… Bien entendu, ces derniers ne seront pas remboursés, mais la pression des commerciaux sur les patients risque de laisser croire à ces derniers qu’il est indispensable de s’équiper. Un harcèlement risque de se mettre en place, sans doute ciblé sur les personnes atteintes de maladie chroniques, si elles peuvent être identifiées du fait de leurs maladies.

En outre, nous souhaiterions que nos concitoyens soient protégés contre une surveillance excessive et un conditionnement des soins et des remboursements sur la base de critères liés à leur mode de vie, à l’observance thérapeutique ou aux prescriptions d’hygiène de vie. Cela serait contraire à notre conception de la liberté, de l’autonomie et de la responsabilité individuelle. Je sais que vous partagez ces valeurs. Comment concilier l’accès indispensable aux données de santé et cette liberté ? L’accès à ces données n’est pas suffisamment développé dans notre pays. Ainsi, il est préjudiciable que les médecins n’aient pas accès à la totalité du DMP ; cela aboutit à des examens superflus et à l’oubli des données de santé antérieures.

L’exploitation de ces données est donc fondamentale, mais nous souhaiterions éviter les dérives. Deux solutions sont envisageables : un encadrement a priori ou des pénalités appliquées a posteriori, comme dans certains pays du nord de l’Europe, plutôt libéraux mais dans lesquels les sanctions sont extrêmement lourdes, et donc dissuasives, pour ceux qui entravent les règles de protection des individus. Ainsi, si un employeur cherche à se procurer des informations sur un de ses employés, une telle pénalité sera dissuasive. Quelle solution faut-il privilégier selon vous ? Un encadrement a priori ou des sanctions a posteriori ?

M. Éric Chenut. Nous avons parlé de la formation et de l’éducation de nos concitoyens, et plus particulièrement des jeunes. Mais la formation à l’utilisation du numérique et des objets connectés doit également être largement renforcée au sein de la formation initiale et continue des médecins et des professionnels de santé, notamment dans le cadre de leur développement professionnel continu (DPC). Ainsi, ils pourront convenablement conseiller et orienter les patients, en espérant que les dérives que l’on a connues sur les médicaments avec les visiteurs médicaux ne se reproduiront pas.

De telles formations permettront de promouvoir les bons usages et d’éviter les mésusages ou des approches trop marketées. Elles participeront à la bonne information des patients, notamment ceux porteurs de pathologies chroniques, qui sauront ainsi si un équipement est plus intéressant qu’un autre. Les recommandations des agences ou des autorités publiques seront également utiles pour valider l’intérêt de ces dispositifs médicaux.

Un encadrement a priori sur la base de règles claires et fermes me semble nécessaire pour garantir la confiance. Les assurés sociaux doivent être certains que leurs données ne seront pas utilisées péjorativement et que les dispositifs médicaux proposés et remboursés sont sûrs, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui.

La dimension qualitative de l’information est absolument essentielle. Un encadrement a priori n’est probablement pas suffisant : des sanctions sont nécessaires quand les dérives surviennent, quand les mésusages sont péjoratifs pour les patients – une personne qui a besoin d’un prêt, un salarié dans une entreprise, etc. Toutes les récupérations malveillantes de données doivent être sanctionnées très durement, tant au plan civil que pénal, sous peine de rendre impossible la confiance. Un cadre clair et ferme posera les grands principes éthiques de cette nouvelle civilisation de la confiance, tout en prévoyant des sanctions fortes si le cadre n’est pas respecté.

Pour autant, une hyper-réglementation a priori risque de freiner l’innovation, l’expérimentation et la recherche. Donnons-nous la possibilité d’évoluer, afin que notre pays et tous les acteurs économiques et industriels, ainsi que ceux du monde de la recherche et du monde universitaire puissent travailler de concert et trouver de nouvelles solutions.

Le futur projet de loi doit poser les grands principes de cette confiance dans la recherche-développement. Au-delà de la qualité de ses chercheurs et de ses industriels, la France dispose de formidables atouts par rapport à d’autres pays. Elle possède des bases de données exhaustives, administrées par l’assurance maladie. Une utilisation intelligente et bienveillante de ces informations nous permettrait de bénéficier de quelques longueurs d’avance. Il serait dommage de priver notre pays de cette opportunité.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Nous avons assisté aux États généraux de la bioéthique, qui interviennent désormais tous les sept ans, précédant chaque révision de la loi de bioéthique. Nous nous rendons compte que cette périodicité ne correspond plus à la rapidité d’introduction des nouvelles techniques et des nouvelles questions liées à ces innovations.

En outre, nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à se mobiliser lors des États généraux, mais trouvent surprenant que cette mobilisation n’intervienne que tous les sept ans. Le président de la mission et moi-même souhaitons proposer que les révisions interviennent tous les cinq ans – une fois par mandat – mais également créer une structure permanente – de type délégation parlementaire – qui offrirait un cadre à cette réflexion bioéthique, en publiant chaque année un rapport sur un sujet d’actualité. Cela vous parait-il de nature à répondre aux critiques formulées, notamment celle concernant notre approche encore trop paternaliste, empêchant une véritable coproduction législative ? Cette solution permettrait-elle à nos concitoyens de se sentir vraiment acteurs ?

M. Éric Chenut. Tout ce qui permettra d’engager un débat citoyen éclairé et permanent me semble positif. Notre pays manque de culture scientifique et technique. Certains sont informés et éclairés du fait de leur formation ou de leur activité professionnelle, mais l’ensemble de la population l’est insuffisamment. Si l’on veut créer les conditions d’un débat serein et apaisé, ces sujets doivent être constamment évoqués. Je suis d’accord avec vous : tous les sept ou huit ans, c’est bien trop long.

J’estime même que le législateur pourra difficilement tout anticiper tous les cinq ans, compte tenu de l’accélération des techniques. La loi doit donc en rester aux grands principes. Elle sera essentielle pour rassurer nos concitoyens, leur dire dans quel monde nous vivons et tracer celui dans lequel notre société veut évoluer. Ainsi, la santé est-elle un commerce régi par l’accord général sur le commerce et les services, ou est-elle plutôt un droit ? Dans ce cas, nous devons créer les conditions de son accessibilité à tous. Ces questions éthiques fondamentales, ces choix de société doivent revenir dans le débat public.

À l’occasion des dernières élections présidentielles et législatives, la Mutualité française avait lancé un grand débat participatif, « Place de la Santé », afin que nos concitoyens s’emparent à nouveau des questions de santé et qu’ils comprennent qu’elles ne sont pas réservées aux spécialistes, aux médecins, aux soignants ou aux mutuelles. Ces questions leur appartiennent et nous devons faire en sorte de les éclairer le mieux possible. Ils ont des choses à dire et nous ont fait part de leurs propositions.

Avec le président Thierry Baudet, nous avons pris l’engagement auprès du professeur Delfraissy de poursuivre cette réflexion sur l’éthique et d’interroger nos propres pratiques, en tant qu’offreur de soins, acteur de la prévention et assureur complémentaire de la prévoyance et de la perte d’autonomie. Nous souhaitons partager notre réflexion et éclairer les débats contemporains de société, afin que nos concitoyens puissent s’exprimer en connaissance de cause et, si possible, en toute sérénité. Il faut éviter les crispations que nous avons connues sur certaines grandes questions éthiques – mariage pour tous, interruption volontaire de grossesse (IVG), fin de vie ou PMA.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous venez de l’évoquer, certains thèmes importants prêtent parfois à polémique, dans notre pays plus qu’ailleurs. Comme vous, nous recherchons une voie apaisée et rationnelle de les aborder, dans le cadre d’une réflexion globale. Vous avez cité la fin de vie, nous aurons l’occasion de vous entendre dans d’autres circonstances car ce sujet est exclu des lois de bioéthique dont nous parlons aujourd’hui. Mais la PMA en fait partie et c’est souvent la plus médiatisée des thématiques de cette prochaine révision. Quel est le point de vue de la Mutualité sur l’extension de la PMA aux femmes seules et aux femmes en couple homosexuel ?

M. Éric Chenut. Je ne m’exprimerai pas au nom de la Mutualité française, qui n’a pas pris position puisqu’elle vient de lancer la réflexion au sein de ses unions régionales, puis au plan national. Je prendrai ma casquette de vice-président délégué de la MGEN. La MGEN, comme la Fédération des mutuelles de France (FMF), estime qu’il est nécessaire d’ouvrir la PMA à toutes les femmes, plus par souci d’égalité républicaine que d’éthique médicale. En effet, le caractère éthique de la PMA a été tranché il y a une vingtaine d’années. Il s’agit désormais plus d’éthique sociale ou politique. Toutes les femmes qui le souhaitent doivent y avoir accès dans des conditions identiques, y compris en termes de prise en charge.

La MGEN a contribué au débat du comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur la PMA, et plus largement, sur la procréation, l’accès à la personnalité et aux origines, ainsi que sur le don de gamètes. Quelques évolutions sont nécessaires, notamment concernant la conservation des ovocytes et les conditions d’âge et d’accès des donneurs de gamètes. En outre, il est indispensable d’engager de nouvelles campagnes extrêmement volontaristes sur l’utilité sociale du don.

M. Patrick Hetzel. Le rapport exposant la position de la Fédération nationale de la mutualité française en matière de bioéthique portait sur plusieurs aspects. Je souhaite revenir sur la fin de vie. Vous préconisez d’aller plus loin que ce que prévoit la loi du 3 février 2016 créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti, en prônant la légalisation de l’aide active à mourir. Cette position est-elle consensuelle au sein de la Mutualité, ou simplement majoritaire ?

M. Éric Chenut. C’est une position majoritaire, et non unanime. Mais elle a été présentée et adoptée par les instances de la Fédération nationale de la mutualité française, car nous en avons créé les conditions : ceux qui n’y sont pas favorables l’ont accepté car tous les points de vue ont été écoutés et pris en compte.

C’est tout l’intérêt de la démarche que nous avons entreprise et que nous souhaitons prolonger, y compris sur les thématiques sur lesquelles nous n’avons pas encore ou pas suffisamment travaillé, et donc sur lesquelles nous ne nous sommes pas encore prononcés : les positions majoritaires au sein de la fédération doivent pouvoir entraîner une prise de position de l’ensemble du mouvement, au plan national et dans les territoires.

M. Patrick Hetzel. Le débat a-t-il aussi porté sur l’impact potentiel de cette évolution juridique ?

M. Éric Chenut. Quand nous étudions une thématique, nous appréhendons tous les impacts, y compris l’acceptation sociale d’une telle évolution ou les modalités d’accompagnement du consentement. Nous avons pris en compte les études d’application de la loi actuelle et celles de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite première loi Leonetti.

La MGEN a financé une étude avec le centre d’études cliniques de l’hôpital Cochin sur les modalités d’application de la loi Leonetti dans des établissements où elle était bien appliquée. Je pourrai vous transmettre une synthèse de cette étude. Nous avons analysé son impact sur les soignants et les familles. Nous avions organisé une journée de restitution, à laquelle M. Leonetti a participé. À l’aune de ces résultats, nous avons été convaincus de la nécessité absolue de faire évoluer la législation car elle faisait reposer trop de responsabilités sur les équipes médicales et soignantes. Quand un patient affirme et réitère clairement son consentement, y compris s’il s’agit d’une demande active de l’accompagner à mourir, il est légitime et absolument essentiel de respecter sa liberté individuelle jusqu’au bout.

M. le président Xavier Breton. Messieurs, nous vous remercions.

 

L’audition s’achève à onze heures cinquante.

 


Membres présents ou excusés

Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

 

Réunion du mardi 16 octobre 2018 à 11h 00

Présents. – M. Xavier Breton, M. Guillaume Chiche, Mme Élise Fajgeles, M. Patrick Hetzel, M. Jean François Mbaye, M. Jean-Louis Touraine

Excusé. Mme Bérengère Poletti