Compte rendu

Mission d’information de la
Conférence des présidents
sur la révision de la
loi relative à la bioéthique

– Audition du Dr. François Hirsch, directeur de recherche à l’INSERM, membre du comité d’éthique de l’INSERM 2

– Présences en réunion..............................10

 


Mardi
23 octobre 2018

Séance de 19 heures 15

Compte rendu n° 41

session ordinaire de 2018-2019

 

Présidence de
M. Xavier BRETON,
président


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MISSION D’INFORMATION DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 23 octobre 2018

(Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission)

La Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l’audition du Dr. François Hirsch, directeur de recherche à l’INSERM, membre du comité d’éthique de l’INSERM.

L’audition débute à dix-neuf heures quinze.

 

M. le président Xavier Breton. Nous achevons notre séquence d’auditions de ce jour en accueillant le docteur François Hirsch.

Monsieur Hirsch, vous êtes directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et membre du comité d’éthique de l’INSERM sur l’édition génique, c’est-à-dire les technologies permettant de modifier, réduire ou augmenter de façon ciblée l’expression d’un ou plusieurs gènes. La technologie de « ciseaux génomiques » CRISPR-Cas9, que vous connaissez particulièrement bien, est la technologie d’édition du génome bénéficiant de la plus forte visibilité, car il s’agit d’un outil peu coûteux, précis, facile à utiliser et qui rend possible l’introduction simultanée de plusieurs modifications du génome. Face aux nouvelles potentialités médicales et environnementales apportées par les technologies d’édition du génome, nous sommes amenés à nous interroger sur l’opportunité d’une évolution du cadre législatif sur ce sujet. Nous souhaiterions donc connaître vos arguments sur cette thématique.

Je vous donne maintenant la parole pour un court exposé et nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses.

M. François Hirsch, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et membre du comité d’éthique de l’INSERM sur l’édition génique. Merci de m’avoir convié à cette audition. J’ai souhaité faire un exposé un peu technique afin de nourrir votre réflexion sur cette technologie. Il est rare qu’un chercheur soit le témoin d’une révolution technologique aussi importante.

Il existe plusieurs techniques d’édition du génome, dont le Zinc Finger Nucleases-ZFNs, TALENs et le fameux CRISPR. Les trois découvertes sont à peu près concomitantes. Pour des raisons variées, les deux premières avaient été développées par différents laboratoires. Des essais cliniques sont maintenant réalisés chez l’homme, utilisant la technique TALENs sur des cellules modifiées, mais j’évoquerai principalement la technologie CRISPR.

L’Espagnol Francisco Martínez Mojica a découvert ce phénomène chez la bactérie, qu’il a nommé Clustered Regurlarly Interspaced Short Palindromic Repeat (CRISPR). Les travaux fondateurs ont donc été menés en Europe. Durant une vingtaine d’années, la technologie a été observée et décryptée par d’autres, jusqu’à la véritable révolution, en 2012, date clé à laquelle Jennifer Doudna, en Californie, Emmanuelle Charpentier, qui travaillait à l’époque en Autriche et qui depuis est partie en Allemagne, George Church et Feng Zhang, de Harvard-MIT, à l’est des États-Unis, améliorent la technique et l’adaptent à d’autres génomes, dont les génomes des cellules de mammifères.

L’édition du génome par la méthode CRISPR-Cas – d’autres enzymes que CRISPR-Cas 9 ont été décrites depuis – est porteuse des espoirs suivants : corriger les déficits génétiques ; armer des cellules contre les maladies, dont le cancer et le sida ; éradiquer les animaux « nuisibles », tels que les moustiques responsables de maladies infectieuses en Afrique ou dans les pays du Sud ; modifier les animaux d’élevage ; modifier les micro-organismes et modifier les plantes.

Cela suscite toutefois des tensions. Corriger les déficits génétiques pourrait conduire à une sorte d’eugénisme. Armer des cellules contre les maladies peut provoquer des effets secondaires non attendus : dans le cas du cancer, d’importantes inflammations ont été observées chez des patients à qui on avait injecté des cellules modifiées par un outil CRISPR-Cas. L’éradication des animaux dits nuisibles peut entraîner des effets sur l’environnement, car certains entrent dans l’écosystème : certains moustiques favorisent la pollinisation de plantes et des larves servent de nourriture à des poissons. Modifier les micro-organismes peut avoir des effets dévastateurs et modifier des plantes peut aussi avoir des effets sur l’environnement.

En termes de résultats, je brosserai un panorama actualisé de ce que l’on sait faire et de ce que l’on a fait jusqu’à présent.

Chez l’animal, des avancées spectaculaires et intéressantes pourraient conduire à la reprise des xénotransplantations animal-humain, après le moratoire, décidé il y a quelques années, de l’utilisation d’organes porcins pour une transplantation chez l’homme. Concernant l’éradication des maladies parasitaires, il a été démontré récemment en laboratoire qu’il était possible d’éradiquer une population entière de moustiques, les Anophèles gambiae.

D’autres avancées sont plus contestables. Le magazine Paris Match révélait que des scientifiques chinois, très présents dans la technologie CRISPR-Cas, avaient « fabriqué » des chiens surpuissants. Cet article rapporte une conversation avec le président du comité d’éthique de l’INSERM, M. Hervé Chneiweiss, qui commente cette technologie de confort. Des scientifiques chinois ont réussi à changer la couleur de moutons, ce qui ne présente guère d’autre intérêt que d’affirmer la maîtrise de la technologie. Dans le monde végétal, on a pu éviter, en inactivant un gène, que des champignons blancs noircissent à l’étal. La Food And Drug Administration (FDA) a décidé qu’il n’était pas nécessaire de réguler cette démarche technique, tandis que le Département de l’agriculture des États-Unis a récemment confirmé que la mise en œuvre de l’édition du génome n’a rien à voir la production d’organismes génétiquement modifiés (OGM). En revanche, en juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie par la Confédération paysanne française, a estimé que les techniques d’édition du génome devaient être tenues pour identiques à celles, plus classiques, mises en œuvre dans la production d’OGM. Une tension apparaît déjà entre les scientifiques des pays européens et nos collègues des États-Unis, sans parler de la Chine, qui n’a pas du tout réglementé ce domaine.

Chez l’humain, l’article 13 de la Convention d’Oviedo du Conseil de l’Europe, ratifiée par la France en 2011, stipule qu’« une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques, et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance ». Tout cela étant désormais possible avec la technologie CRISPR, on peut s’interroger sur la validité de cet article.

Le premier exemple, publié en 2015, a fait frémir la communauté scientifique. Une équipe chinoise a montré qu’il était possible de manipuler des embryons humains par la technique CRISPR. Ces publications figurent dans des revues à l’impact assez réduit, et ces équipes chinoises ont peut-être des difficultés à publier dans les grandes revues.

En 2016, la Human Fertilisation And Embryology Authority, l’équivalent britannique de notre Agence de la biomédecine, a approuvé une demande d’utilisation d’édition du génome dans le cadre de la recherche en vue de manipuler des embryons humains.

En 2016, toujours, le National Institute of Health américain (NIH) a donné un avis favorable au lancement d’un essai clinique utilisant des cellules modifiées par l’édition du génome.

Entre 2012 et 2016, les cas de mise en œuvre de cette technique se multiplient. Le site américain ClinicalTrials.gov, qui répertorie tous les essais cliniques conduits dans le monde, indique qu’à ce jour, 21 études reposant sur l’utilisation de CRISPR ont été déposées. Elles portent essentiellement sur le cancer et certaines maladies génétiques. En dehors d’une équipe allemande, toutes les demandes sont faites par des équipes chinoises et américaines. Quand j’avais fait une capture d’écran pour une conférence, en février dernier, il n’y avait que 14 études. Le nombre de demandes d’études cliniques utilisant la technologie d’édition du génome est donc croissant.

En 2017, des chercheurs américains essaient de reprendre le leadership en montrant par une autre approche qu’ils sont capables d’utiliser la technique CRISPR-Cas9 sur les embryons humains.

En 2018, une présentation devant un congrès, qui ne s’est pas encore traduite par un article, a montré qu’il était possible d’utiliser la technologie CRISPR pour modifier des spermatozoïdes. Chaque mois, des nouveautés sont annoncées. Des travaux intéressants ont été publiés sur le chien myopathe, montrant qu’il était possible de restaurer sa marche par édition du génome et modification de certains gènes. Il y a florès de publications et de travaux. Nous apprenons ainsi qu’il est possible, par édition du génome in utero, de corriger des maladies métaboliques.

Tout cela conduit à la création de nombreuses compagnies – chaque co-inventeur de la technologie a la sienne, qu’il s’agisse de Jennifer Doudna, d’Emmanuelle Charpentier ou de George Church – et donne lieu à une bataille de brevets, qui commence à s’éclaircir. Récemment, l’Office des brevets des États-Unis a donné l’avantage à l’équipe de Harvard-MIT contre l’Université de Californie. En revanche, l’Office européen des brevets, à Munich, a donné l’avantage à l’équipe californienne sur l’équipe de Harvard-MIT. Bien entendu, des recours sont déposés. Nous, Européens, sommes très peu présents dans cette bataille. J’ai vu que l’université de Vilnius se battait pour un brevet relatif à la technologie CRISPR. À ma connaissance, aucune équipe française ne revendique de brevets autour de cette technologie.

Les techniques d’édition du génome donnent lieu à des résultats et suscitent des craintes.

Des craintes sont exprimées dès 2016 par le directeur de l’US Intelligence Community, aux États-Unis, qui assimile l’édition du génome à une arme potentielle de destruction massive. Cela a été confirmé en 2017 dans le rapport du Conseil national consultatif pour la biosécurité (CNCB), sous le titre Risques associés à un usage dual des techniques de synthèse et de modification programmée des génomes. De réelles craintes sont exprimées à l’égard de l’utilisation non contrôlée de l’édition de génomes.

J’ai découvert hier qu’un grand distributeur par internet, Amazon, vendait au prix de 169,99 dollars un kit CRISPR. Sur la photo de présentation, il est écrit : BioHack The Planet. C’est effrayant. Un tel teasing donne à réfléchir sur les incroyables possibilités de cette technologie accessible à un prix défiant toute concurrence.

J’en arrive au cœur de notre réflexion, la saisine du comité d’éthique de l’INSERM, en juin 2015, par notre président-directeur général, M. Yves Lévy, qui a posé trois questions : quelles sont les questions soulevées par la technologie en tant que telle ? La rapidité de son développement soulève-t-elle des problèmes particuliers ? Sa simplicité d’utilisation appelle-t-elle un encadrement de sa mise en œuvre en laboratoire ?

M. Lévy, qui avait eu vent de l’énorme engouement pour cette technologie, souhaitait savoir ce qu’il fallait faire au sein de l’Institut. Nous avons rédigé une note en novembre 2015, actualisée en février 2016.

Nous avons fait quelques recommandations, avec pour mot d’ordre : pas de moratoire général. Il était trop tard. La technologie s’est diffusée dans le monde entier. Un moratoire nous paraît peu réaliste. En revanche, nous souhaitons : encourager une recherche dont l’objectif est d’évaluer l’efficacité et l’innocuité de la technologie CRISPR dans des modèles expérimentaux ; évaluer les effets potentiellement indésirables du guidage de gène avant toute utilisation hors d’un laboratoire ; respecter l’interdiction de toute modification du génome nucléaire germinal à visée reproductive dans l’espèce humaine ; participer à toute initiative nationale ou internationale qui traiterait les questions de liberté de la recherche et d’éthique médicale ; construire un processus de réflexion pour acculturer les chercheurs à ces questionnements.

Notre démarche a d’abord consisté à nous tourner vers nos collègues européens. Nous avons organisé une réunion à Paris, en mars 2016, suivie de la publication d’une note dans Nature afin de clarifier notre point de vue. Nous avons publié un livre blanc européen, avec une vingtaine de collègues de pays membres de l’Union européenne. Nous sommes ensuite allés vers nos collègues à l’international, notamment en réunissant à Vienne des collègues d’Afrique de l’Ouest pour réfléchir sur « CRISPR et paludisme ». Puis nous sommes allés en Amérique latine pour échanger avec nos collègues sur ce qu’ils attendaient de CRISPR et sur ce que cela évoquait pour eux. Nous avons d’ailleurs constaté, en 2016, à l’Institut Pasteur de Montevideo, en Uruguay, qu’un chercheur utilisait déjà CRISPR pour faire des chèvres musclées dans son laboratoire. En 2017, nous sommes partis pour l’Inde. En février 2018, nous sommes allés en République démocratique du Congo pour savoir comment nos collègues d’Afrique centrale percevaient ces nouvelles technologies sur le point d’arriver dans leurs pays.

À la suite de toutes ces réflexions avec nos collègues internationaux et européens, nous avons lancé l’Association internationale pour une recherche et innovation responsable sur l’édition du génome (ARRIGE), en mars 2018, en présence de 140 personnes d’une trentaine de pays. À ce jour, plus de 400 experts de tous les continents suivent nos travaux. L’ARRIGE a fait l’objet de nombreuses publications, telles que Nature Biotech, Science et CRISPR J., en Europe et au Canada. L’ARRIGE sera domiciliée au Centre de recherches interdisciplinaires, au cœur de Paris, dans le quartier de la Bastille, dans un superbe local offert par la Ville de Paris.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. L’article publié le 8 octobre 2018 sur l’application in utero de gènes métaboliques, donc l’édition thérapeutique de gènes, porte-t-il sur le fœtus humain ou animal ?

M. François Hirsch. Uniquement sur le fœtus animal.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. J’ai posé précédemment la question à M. Alain Fischer, qui n’avait pas connaissance de travaux sur ce sujet.

Vous avez cité les différences d’approches entre l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie, et même entre les pays européens. Comment pourrait-on aller vers une approche plus homogène, donc une meilleure efficacité et un meilleur respect entre des pays qui ont une culture comparable mais qui, pour des raisons diverses n’ont pas la même approche ?

Les OGM font peur et nous sommes tous prompts à les dénoncer, mais parfois, il n’existe pas d’alternative à l’utilisation de quantités importantes de pesticides ou d’autres produits chimiques cancérigènes, tératogènes, perturbateurs endocriniens, etc. De ces deux maux, lequel vous apparaît le moindre ? Vaut-il mieux encourager l’approche génétique ou l’approche chimique ?

Avec la question suivante je vais être encore plus politiquement incorrect. Il est actuellement interdit d’utiliser pour la reproduction humaine des cellules germinales génétiquement modifiées. En cherchant à éradiquer les gènes d’une maladie sans connaître les effets potentiels de telle ou telle correction sur les générations à venir, on jouerait les apprentis sorciers. Il est donc prudent d’avoir prévu un moratoire sur ce sujet. Mais pensez-vous que celui-ci perdurera ou bien qu’à terme, la possibilité de faire disparaître ainsi des maladies génétiques graves deviendra une option raisonnable ? Il est incorrect d’en parler maintenant, parce que ce n’est sûrement pas envisageable dans cette révision de la loi relative à la bioéthique ni probablement dans la prochaine, mais dans un futur plus lointain. Je rappelle que cette évolution était déjà évoquée par Sir Peter Medawar bien avant toutes ces avancées, à partir du simple constat de l’augmentation de la fréquence des maladies génétiques chez l’espèce humaine. Ces malades vivant maintenant jusqu’à l’âge où ils peuvent se reproduire, la fréquence des gènes de pathologie ne fait que croître. Un jour ou l’autre, il faudra se préoccuper de savoir comment contrôler cette fragilisation de notre espèce. Pensez-vous qu’à terme, même lointain, ce moratoire puisse être remis en question ?

M. François Hirsch. Comment homogénéiser les réflexions au niveau européen ? C’est ce que nous tentons de faire depuis mars 2016, où nous avions réuni autour de la table des représentants du Wellcome Trust, au Royaume Uni, du Nuffield Council on Bioethics, le bras armé du Wellcome Trust, des représentants d’institutions allemandes, de l’Académie des sciences d’Allemagne – deux pays qui n’ont pas ratifié la Convention d’Oviedo –, ainsi que des Espagnols, des Italiens, des Portugais, et des membres du Conseil européen de la recherche (ERC) préoccupés par l’augmentation phénoménale du nombre de demandes de financement pour des projets utilisant CRISPR. J’en ai discuté avec le président, M. Bourguignon, pour savoir quelle serait la position de l’ERC.

Grâce à la production du livre blanc, nous sommes parvenus à un consensus sur la nécessité d’observer ce qui se passe, de favoriser les recherches permettant d’améliorer la technologie et d’éviter le off-target, c’est-à-dire le ciblage qui n’atteint pas l’endroit désiré du génome. Nous étions tous d’accord pour favoriser ce type de recherches.

Concernant l’application chez l’homme, il n’y a pas de raison que l’édition du génome ne devienne pas l’un des outils de la thérapie cellulaire, comme cela se pratique dans les nombreux essais que j’ai évoqués. On manipule des cellules par édition du génome en dehors de l’organisme, ex vivo, et on les réinjecte au patient. S’agissant de cellules somatiques, cela ne gêne personne.

S’agissant de la possibilité, ou plutôt de la certitude, de pouvoir manipuler des embryons et des cellules germinales par édition du génome, le consensus n’existe pas. Les Anglais veulent aller vite, en accord avec la plupart des associations de patients européens, surtout ceux atteints de maladies rares. En mars 2016, à Paris, nous avons entendu le témoignage vibrant de représentantes d’associations anglaises de patients évoquant des enfants qui auraient pu être guéris par édition du génome. Nous ne sommes pas d’accord avec les Allemands qui ont une position extrême. Pour le moment, ils se refusent à toucher aux cellules germinales et à l’embryon humain, mais cela va évoluer. D’ici quelque temps, nous aboutirons à un consensus européen, au moins sur l’observation de cette technologie, son accompagnement et la volonté d’éviter qu’elle tombe en de mauvaises mains. J’ai montré un exemple qui m’a choqué.

J’aurais pu vous parler du fameux biohacker californien, premier homme à s’être injecté une construction CRISPR, il y a deux ans. Sans doute avait-il acheté le kit chez Amazon. Sur YouTube, une vidéo montre ce bodybuilder qui a voulu enrichir sa masse musculaire. Nous suivons son blog et nous le voyons un peu inquiet de ce qui va se passer. Les fameux Fab Labs, avec le do it yourself, le fameux concept selon lequel chacun doit pouvoir s’approprier la technologie, font leur chemin avec CRISPR.

Avant d’en venir aux OGM, j’enchaîne sur la troisième question concernant la correction de traits génétiques. Beaucoup le demandent, notamment pour les maladies monogéniques, comme la drépanocytose et la maladie de Duchenne. L’exemple des chiens myopathes qui remarchent fait réfléchir les associations de patients myopathes. Je pense que cela se fera, parce que d’autres pays le font et le feront. La Chine, qui publie dans des journaux de seconde zone, se positionne fortement sur l’utilisation de l’édition du génome, ainsi que les États-Unis, où tous les verrous éthiques sont en train de sauter. Nous l’avons malheureusement constaté avec la décision de la FDA et du Département de l’agriculture considérant que les technologies de mutagenèse par édition du génome n’ont rien à voir avec les OGM. Ce sont des choix : il faut aller vite, l’industrie américaine doit être la plus performante possible, etc. Ce verrou sautera un jour. Vous le savez, des réflexions sont en cours au Conseil de l’Europe en vue d’un réaménagement du fameux article 13 de la Convention d’Oviedo interdisant la manipulation des cellules germinales.

En ce qui concerne les OGM et les technologies génétiques, la CJUE a décidé que c’était la même chose. Je ne me prononcerai pas sur ce point. Ma position sur l’OGM est personnelle. Les technologies sont différentes. Dans un cas, les OGM, on apporte une séquence génétique, dans l’autre cas, on la modifie. On peut même changer un seul acide nucléique avec les technologies CRISPR. Assimiler les deux risques de peser fortement sur notre industrie.

M. le président Xavier Breton. Vous dites qu’il faut éviter que cela tombe entre de mauvaises mains. En matière législative, comment pourrait-on empêcher que de tels dispositifs tombent entre de mauvaises mains ? Existe-t-il à l’étranger des exemples de réglementation ? Un peu initiateurs en ce domaine, jusqu’où pouvons-nous aller dans l’encadrement réglementaire et législatif ?

M. François Hirsch. Je ne connais pas de réglementation visant à empêcher l’utilisation malveillante de la technologie d’édition du génome. Depuis 2016, date à laquelle les États-Unis ont tiré la sonnette d’alarme, ces produits sont toujours en vente libre sur internet. C’est une réflexion que nous conduirons au sein de l’ARRIGE. Il faudrait déjà avoir une idée de ce qui se fait dans nos propres laboratoires, au moins en ce qui concerne la recherche publique, un peu comme pour les OGM. L’accompagnement de l’utilisation des OGM en laboratoire a été difficile mais désormais, tous les laboratoires de recherche, publics et privés, ont l’obligation de déclarer au ministère de la recherche les OGM qu’ils utilisent. Une première étape pourrait se limiter à une simple demande faite chaque année aux équipes de recherche.

Cela dit, il est peut-être ambitieux d’assimiler le risque CRISPR au risque nucléaire. Le jour où il y aura un accident grave, quand des terroristes auront utilisé un micro-organisme modifié par CRISPR pour infecter des terres, de l’eau ou autre, on se dira peut-être qu’il faut prendre les mesures nécessaires, du type de celles que l’on a prises pour éviter la prolifération de substances nucléaires. Pour le moment, règne l’attentisme. On pense que les choses peuvent arriver mais on a du mal à les matérialiser.

Mme Annie Vidal. Les tests disponibles à faible prix sur internet m’interpellent. Dans nos établissements hospitaliers, dans nos centres hospitaliers universitaires (CHU), dans les laboratoires de l’INSERM, les services de génétique ont considérablement augmenté au cours des quinze dernières années, tant pour la recherche que pour la génétique clinique. Les consultations et examens sont mis en place avec une grande rigueur. Nous disposons aujourd’hui de séquenceurs à haut débit qui permettent de faire des examens de haute qualité. Il existe donc une grande différence d’approche entre les tests que nous pratiquons de manière très encadrée par des conseillers en génétique et ceux remis directement au public sans accompagnement ni explication. Cette différence pourrait-elle nous être utile pour limiter au maximum leur recours ?

M. François Hirsch. On est ici très loin des tests génétiques que l’on peut effectuer via des sites internet. S’agissant de kits livrés à domicile pour réaliser soi-même l’édition du génome, le contrôle me semble difficile. On pourrait en interdire la vente libre, mais de nombreux Français achètent à l’étranger des tests génétiques interdits en France. On pourrait réglementer au moins l’utilisation de cette technologie par les laboratoires de recherche. Pour le moment, j’ai du mal à imaginer un encadrement strict, à moins d’assimiler l’utilisation de la technologie CRISPR à ce qui se fait dans le domaine de l’atome et de la prolifération des produits nucléaires. Pour le moment, rien ne se fait. On est un peu dans l’anarchie. Tous les chercheurs qui ont recours à cette technologie s’y engouffrent car, pour publier, il faut démontrer qu’on en a la maîtrise, un peu comme lors de la mise sur le marché des premiers anticorps monoclonaux ou de l’analyse par amplification génique. Il y a un effet de mode et les choses deviennent incontrôlables.

Comme je l’ai suggéré, le législateur pourrait déjà demander que l’on ait une vision de ce qui se fait dans nos laboratoires publics et privés. Le prévoir au niveau européen serait déjà un pas important. Pour les OGM, on demandait à chaque laboratoire de déclarer chaque année ce qu’il utilisait. J’étais directeur de labo, nous trouvions cela rébarbatif, cela prenait beaucoup de temps, mais les gens prenaient conscience que les éléments qu’ils manipulaient n’étaient pas anodins. On pourrait le faire avec l’édition du génome en demandant chaque année aux chercheurs quels types de cellules ils ont modifié avec la technologie CRISPR, pour leur faire prendre conscience de l’impact de cette technologie.

M. le président Xavier Breton. Merci de nous avoir initiés aux réflexions sur ce sujet et pour votre éclairage.

 

L’audition s’achève à dix-neuf heures quarante.

 


Membres présents ou excusés

Mission d’information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

 

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 19h15

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, M. Patrick Hetzel, Mme Marie Tamarelle‑Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Excusée. – Mme Bérengère Poletti

Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, Mme Valérie Boyer, M. Maxime Minot