Compte rendu

Mission d’information sur
les freins à la transition énergétique

Audition, en table ronde, ouverte à la presse, sur la méthanisation :

 Mme [MaBo1]Anne-Florie Coron, sous-directrice de la sécurité d’approvisionnement et des nouveaux produits énergétiques, en charge du développement du biométhane, à la direction générale de l’énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire ;
 M. Marc Cheverry, directeur économie circulaire et déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;
 M. Bertrand de Singly, délégué stratégie à Gaz réseau distribution France (GRDF), Mme Magalie Seron, directrice territoriale du Maine-et-Loire et Mme Sarah Dalisson, chargée d’études affaires publiques ;
 M. Francis Claudepierre, président et agriculteur-méthaniseur de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France ;
 M. Nicolas Bernet, directeur de recherche, directeur du laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et M. Marc Gauchée, conseiller du président-directeur général pour les relations parlementaires et institutionnelles ;
 M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt ;
 Mme MarieJo Hamard, viceprésidente du Conseil départemental, chargée de l’environnement et du développement durable à la direction de l’environnement et du cadre de vie, département de Maine-et-Loire et M. Hervé Martin, conseiller départemental, membre de la commission Environnement et cadre de vie              2


Jeudi
24 janvier 2019

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 15

session ordinaire de 2018-2019

Présidence
de
M. Adrien Morenas,
Vice-président

 


  1 

L’audition débute à onze heures.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Bonjour à tous. Je vais animer provisoirement ce débat, en attendant que le vice-président de la mission nous rejoigne, dans quelques minutes.

Cette table ronde sur la méthanisation s’inscrit dans le cadre des travaux de notre mission d’information sur les freins à la transition énergétique. Cette mission s’articule autour de sept grands thèmes. Le premier concerne les freins liés à la vision ou au manque de vision de ce que sera le paysage de l’énergie, en termes de production comme de consommation, dans dix, vingt ou trente ans. Le deuxième thème, qui nous réunit aujourd’hui, est consacré aux grandes filières de production d’énergies renouvelables, dont la méthanisation. Le troisième volet est dédié aux économies d’énergie, le quatrième à la mobilité et le cinquième à la manière dont les territoires s’emparent de cette question, dans la mesure où il apparaît qu’une grande partie de la production sera décentralisée. La sixième thématique est consacrée à la façon dont les grands groupes de l’énergie envisagent leur situation dans une, deux ou trois décennies, sans le pétrole. Le dernier sujet enfin concerne le rôle de la fiscalité, aujourd’hui « addicte » au pétrole, et son évolution future.

M. Adrien Morenas, vice-président. Nous sommes très heureux de recevoir, pour cette table ronde sur la méthanisation, M. Nicolas Bernet, directeur de recherche, directeur du laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et M. Marc Gauchée, conseiller du président-directeur général de l’INRA pour les relations parlementaires et institutionnelles, Mme Anne-Florie Coron, sous‑directrice de la sécurité d’approvisionnement et des nouveaux produits énergétiques, en charge du développement du biométhane à la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) au ministère de la transition écologique et solidaire, Mme Marie-Jo Hamard, vice‑présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, chargée de l’environnement et du développement durable à la direction de l’environnement et du cadre de vie, département de Maine-et-Loire et M. Hervé Martin, conseiller départemental, membre de la commission environnement et cadre de vie. Nous accueillons également M. Marc Cheverry, directeur économie circulaire et déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), M. Bertrand de Singly, délégué stratégie à Gaz réseau distribution France (GRDF), Mme Magalie Seron, directrice territoriale de GRDF pour le Maine-et-Loire, et Mme Sarah Dalisson, chargée d’études affaires publiques. Nous entendrons enfin M. Francis Claudepierre, président et agriculteur méthaniseur de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France et M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt.

Je rappelle que la mission d’information va organiser à partir du début du mois de février, sur le site internet de l’Assemblée nationale, une consultation publique sur les freins à la transition énergétique et les solutions qui peuvent leur être apportées, à laquelle toutes les personnes qui le souhaitent pourront participer en déposant une contribution.

Je vous remercie, mesdames et messieurs, d’être présents aujourd’hui. La méthanisation est en effet un élément important dans le cadre de la transition énergétique.

Je vous demanderai d’intervenir dans un premier temps pour une durée de cinq minutes, avant de passer à un échange de questions et réponses, limitées à deux minutes chacune.

Mme Anne-Florie Coron. Merci beaucoup d’avoir invité la direction générale de l’énergie et du climat à cette table ronde.

La méthanisation est l’une des filières qui contribuent à la transition énergétique. Elle est importante pour le développement des territoires et peut fournir un complément de revenu aux agriculteurs. Elle permet en outre de répondre aux objectifs fixés par le plan climat adopté par le Gouvernement en juillet 2017 en matière de développement des énergies renouvelables et de transition vers la neutralité carbone. À ce titre, elle bénéficie d’un soutien important de l’État, qui se doit d’être orienté vers les installations les plus efficaces du point de vue énergétique. Priorité est ainsi donnée aux installations produisant du biogaz à injecter dans les réseaux de gaz existants, ainsi qu’à l’utilisation directe sous forme de bio-GNV, c’est-à-dire de carburant pour les véhicules. La production d’électricité à partir de biogaz doit être réservée aux cas où les deux autres usages ne sont pas possibles.

La stratégie française pour l’énergie et le climat présentée le 27 novembre 2018 fixe des objectifs très ambitieux de développement du biogaz, tout en précisant que le rythme de soutien au développement de la méthanisation sera modulé en fonction de la baisse attendue des coûts de production. Le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui sera prochainement soumis à consultation, prévoit une multiplication par un facteur compris entre 35 et 55 de la quantité de biogaz injectée en 2028 par rapport à 2017, avec une production comprise entre 14 et 22 térawattheures, en fonction des baisses de coût observées.

La filière méthanisation est en plein essor, ainsi qu’en témoignent les données chiffrées suivantes : au 30 septembre 2018, on comptait en France 67 installations de production de biométhane qui injectent environ un térawattheure par an dans les réseaux de gaz existants, soit une progression de 51 % par rapport à l’année précédente. 426 installations produisent de l’électricité, pour une capacité totale de 156 mégawattheures, ce qui représente environ 17 mégawatts de nouvelle capacité par an. Il existe ainsi pour le moment beaucoup plus d’installations produisant de l’électricité que du biométhane : c’est essentiellement dû au fait que la filière pour la production d’électricité s’est développée beaucoup plus tôt et a pris de l’avance. La priorité est toutefois désormais au développement du biométhane injecté dans les réseaux de gaz.

Pour accélérer le développement de la méthanisation, un groupe de travail a, comme pour les autres filières, été constitué voici environ un an. Il s’est réuni à quatre reprises déjà, présidé d’abord par Sébastien Lecornu, puis par Emmanuelle Wargon, avec entre temps des séances de travail techniques avec divers acteurs. Du côté de l’État, ce groupe a concerné la direction générale de l’énergie et du climat, mais aussi la direction générale de la prévention des risques, la direction de l’eau et de la biodiversité et d’autres ministères, parmi lesquels celui de l’agriculture, très impliqué dans le sujet de la méthanisation, en partenariat avec des établissements publics, dont l’ADEME. La dernière réunion en date de ce groupe a permis, le 14 janvier 2019, de faire le point sur les quinze mesures retenues en 2018 : il apparaît ainsi que la plupart ont été mises en place ou sont en passe de l’être. Ces mesures avaient été classées en quatre grands axes.

Le premier axe vise à accélérer les projets de méthanisation pour faire baisser les coûts de production et développer une filière française, avec comme mesure phare l’élargissement des gisements pour la méthanisation, tout en conservant la séparation des biodéchets. Cet axe prévoit la simplification de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), mise en place l’été dernier, ainsi que celle de la loi sur l’eau. Il vise également la création d’un droit à l’injection dans les réseaux de gaz naturel, dès lors que l’installation de méthanisation se situe à proximité d’un réseau existant. Cette disposition figure dans la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM, qui va désormais être déclinée dans le cadre d’un décret qui devrait être publié en avril 2019. Cet axe concerne enfin la réfaction des coûts de raccordement des installations de méthanisation aux réseaux de transport de gaz naturel, mesure publiée début janvier.

Le deuxième axe a pour objet de donner aux agriculteurs les moyens de compléter leurs revenus. L’utilisation du bio-GNV pour les engins agricoles est désormais possible. Cet axe prévoit par ailleurs la facilitation d’accès au crédit pour la méthanisation agricole : cette mesure est mise en place par le ministère de l’agriculture avec la Banque publique d’investissement (BPI) et un prêt vient d’être lancé.

Un autre volet concerne la professionnalisation de la filière méthanisation, avec le développement d’une offre dans ce domaine via les formations gérées par le ministère de l’agriculture, dans les lycées agricoles et les centres de formation.

Cet axe vise aussi au renforcement des démarches qualité et à la création d’un portail national de ressources sur la méthanisation, piloté par le syndicat des énergies renouvelables. Il a enfin pour objectif de compléter et sécuriser les dispositifs de soutien, avec la création d’appels d’offres pour les projets de méthanisation qui valorisent la production par injection dans les réseaux de gaz naturel. Cela viendra en complément du dispositif actuel de guichet ouvert pour un tarif d’achat. Il s’agit également, dans ce volet, d’assurer la sécurisation du dispositif d’obligation d’achat à un tarif réglementé.

La dernière disposition concerne la mise en place d’un dispositif de soutien pour le biométhane non injecté, lorsque le réseau de gaz n’est pas à proximité immédiate du méthaniseur et que plusieurs de ces installations souhaitent porter le biométhane pour l’injecter ensuite dans un point mutualisé. Le texte correspondant devrait être publié en février 2019.

Voici, brièvement exposé, les grandes lignes des mesures visant à lever les freins au développement de la méthanisation.

M. Nicolas Bernet, directeur de recherches, directeur du laboratoire de biotechnologie de l’environnement de l’INRA. Je vous remercie de m’avoir invité à participer à cette table ronde. Je dirige à l’INRA un laboratoire qui travaille depuis plus de trente ans sur la méthanisation et qui développe aujourd’hui de façon plus large le concept de bioraffinerie environnementale, visant à valoriser les déchets et résidus organiques pour produire non seulement de l’énergie, mais aussi des molécules d’intérêt, des matières fertilisantes et autres.

Le concept de méthanisation a beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années. Initialement développé dans un objectif de traitement des effluents, par la mise au point de procédés d’épuration, il n’accordait que relativement peu de place à la valorisation du biogaz. Aujourd’hui, le contexte a complètement changé, puisque la méthanisation a pour objectif la production de biogaz, associée à celle d’un co-produit, le digestat, qu’il ne faut pas négliger dans la mesure où l’essentiel de la matière organique qui entre dans un méthaniseur se retrouve non sous la forme de biogaz, mais d’un digestat qu’il convient ensuite de valoriser. Le contexte a également fortement évolué par le biais de la valorisation du biogaz, avec la possibilité de l’injection, qui représente aujourd’hui un booster important du développement de la filière.

Les objectifs fixés passent par un développement important de la méthanisation agricole. Il apparaît ainsi dans les différents scénarios envisagés que l’agriculture fournira l’essentiel des substrats à la méthanisation, non seulement à travers divers co-produits, d’effluents d’élevage notamment, mais aussi via le développement des cultures intermédiaires à vocation énergétique. Le lien entre le développement de la méthanisation et l’agriculture est donc un point très important, non seulement à cause des gisements, qui viendront essentiellement de l’agriculture, mais aussi de la problématique des digestats. C’est dans ce contexte qu’une convention a été signée en 2018 entre GRDF et l’INRA, dans le but de mener des recherches visant à développer la méthanisation.

La modification du contexte conduit parallèlement à une évolution des questions de recherche traitées dans les laboratoires. Il convient de signaler que les laboratoires effectuant des recherches en méthanisation mènent également des recherches plus académiques. Il ne peut en effet y avoir de bonne recherche finalisée sans, en amont, une recherche académique, et sans un continuum entre les deux. Cela permet de proposer des solutions et des améliorations dans le domaine de la méthanisation, avec notamment la mise au point de procédés nouveaux comme la méthanisation en voie sèche, qui pose des questions de recherche assez spécifiques, et tout ce qui concerne la problématique des pré-traitements, le pilotage des installations, la valorisation des digestats et le couplage de procédés.

Ce changement de contexte est également associé à une évolution au niveau des partenariats de la recherche. Le laboratoire de biologie de l’environnement (LBE) que je dirige avait par exemple auparavant pour partenaires essentiellement des industriels de l’assainissement et du secteur agroalimentaire ayant des effluents à traiter. Aujourd’hui, nombre de nos partenaires sont des acteurs de l’énergie et du gaz, notamment GRDF. Il est important de maintenir une collaboration entre les différents partenaires, de la recherche jusqu’aux acteurs de la filière, afin de favoriser son développement.

Il existe aujourd’hui en France une douzaine de centres de recherche et de transfert sur la méthanisation, auxquels ajoutent des laboratoires travaillant en aval, par exemple sur la valorisation agronomique des digestats, notamment à l’INRA. Pour favoriser les interactions entre le monde de la recherche et la filière, sont organisées depuis plusieurs années déjà des journées « recherche et innovation ». Dans cette même logique, un centre technique du biogaz et de la méthanisation a été créé récemment à l’initiative notamment d’un certain nombre d’organismes de recherche et du club biogaz de l’Association technique énergie environnement (ATEE), afin de promouvoir la filière et de favoriser l’émergence d’améliorations et les interactions avec la recherche.

Le rôle de la recherche est également important dans l’évolution des réglementations. Je pense par exemple au statut des digestats.

Elle tient enfin une place considérable en matière d’acceptabilité sociale de la méthanisation. On assiste en effet progressivement à l’émergence de collectifs qui s’opposent aux projets de méthanisation. Or des travaux de recherche sont nécessaires pour apporter des réponses argumentées dans ce débat, concernant notamment l’impact de la méthanisation sur la matière organique des sols, sur la fertilisation, en comparaison avec d’autres types de matière organique non méthanisée, sur la biologie des sols, le développement des cultures intermédiaires ou encore l’analyse environnementale de ces filières. 

M. Marc Cheverry, directeur de l’économie circulaire et des déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Je suis actuellement directeur de l’économie circulaire et des déchets à l’ADEME, mais ai également connu antérieurement l’Agence nationale pour la récupération et l’élimination des déchets (ANRED), si bien que j’ai vécu le développement de la méthanisation depuis les années 1990.

Je souhaiterais tout d’abord souligner le travail considérable, retracé par Mme Coron, effectué au niveau du groupe de travail méthanisation dont nous partageons les mesures et les conclusions : il est le fruit d’une dizaine d’années de mobilisation et de professionnalisation de l’ensemble des acteurs de la méthanisation.

Les enjeux de la méthanisation résident bien évidemment dans une production d’énergie renouvelable à partir de biomasse, mais également dans la possibilité de dégager de la valeur ajoutée sur les territoires. La méthanisation représente en effet un ensemble de filières qui obéissent à des substrats et des modèles économiques différents. Elle ne se limite pas à la filière de méthanisation agricole, bien que cette dernière soit prépondérante et vecteur de développement. Elle comporte aussi le développement de la méthanisation sur les stations d’épuration d’eaux usées urbaines ou industrielles, ce qui constitue un élément de développement fort pour les années à venir. Elle consiste également en la récupération et la valorisation du biogaz provenant des installations de stockage de déchets, notamment dans la partie organique. Elle renvoie enfin aux modèles des industries agroalimentaires et du monde agricole. Tous ces modèles économiques sont différents et il convient à chaque fois d’adapter l’installation et le procédé de traitement à des intrants spécifiques.

Dans ce contexte, l’ADEME a distribué, entre 2007 et 2018, 355 millions d’euros d’aides à la méthanisation, dont plus de 250 millions directement aux projets, c’est-à-dire soit au niveau des études de faisabilité, soit pour les investissements liés à ces projets, essentiellement dans le domaine de la méthanisation agricole. Notez que l’ADEME n’aide pas le dispositif de récupération de gaz sur les installations de stockage de déchets, puisque cela relève d’une obligation réglementaire. Elle intervient par ailleurs de manière ponctuelle sur les stations d’épuration, puisque d’autres acteurs, dont les agences de bassin, s’en chargent majoritairement. Plus de 980 projets ont ainsi été soutenus. Vous constaterez la différence entre le nombre de projets en fonctionnement et le nombre de projets soutenus : cela tient au fait qu’entre l’accord de soutien à un projet et sa mise en fonctionnement, quatre ou cinq années peuvent s’écouler. Même si ce délai tend à diminuer, il reste long, ce qui peut s’expliquer à la fois par l’existence de divers freins sur lesquels je vais revenir et par le fait que la filière est encore en phase d’apprentissage. Les directions régionales de l’ADEME ont recensé, pour 2019, 240 projets matures, dont 200 susceptibles d’être instruits dès cette année, pour un total d’aides demandées d’environ 140 millions d’euros. Or le budget de l’ADEME prévoit d’y consacrer quelque 50 millions d’euros d’aides directes. Cela vous donne un aperçu du décalage qui existe dans ce domaine. Je tiens ce faisant à signaler que l’ADEME a vraiment joué un rôle important pour aider à la construction, l’émergence et la professionnalisation de cette filière ; mais il convient aujourd’hui de trouver d’autres moyens, éventuellement hors de l’ADEME, pour être véritablement en phase avec l’ambition de développement de cette filière.

Notre expérience nous a par ailleurs permis d’identifier différents freins. Le premier concerne le financement de ces projets, essentiellement agricoles. Le principal écueil est lié à une certaine réticence des acteurs financiers habituels à s’engager dans cette filière et à une absence de fonds propres des porteurs de projets du monde agricole. Si je caricaturais, je pourrais dire que les acteurs financiers souhaitent une mise de fonds propres de 20 %, alors que le monde agricole, dans les dossiers aidés par l’ADEME, n’apporte qu’entre 4 % et 10 % : on attend donc que l’ADEME ou un autre organisme apporte le complément sous forme de fonds propres, en subventions. Il existe là un vrai problème et une réflexion à mener, à la fois sur le montage financier de ces opérations, sur le partage de la valeur et sur la façon d’être en cohérence avec les ambitions et le nombre de projets. Je précise que le dispositif de soutien financier de l’ADEME a pour vocation d’attribuer un complément de financement sous forme de subvention, pour faire en sorte que le modèle économique sur dix ans soit rentable, non pour apporter des fonds propres. Notre aide est calculée sur la rentabilité des projets à dix ans, compte tenu des autres soutiens existants, dont les tarifs d’achat. On se trouve donc aujourd’hui dans une situation de dérive ou de perversion du système, qui souhaiterait que l’ADEME, au-delà de l’apport de subventions pour un équilibre économique, apporte également des compléments de financement.

Nous constatons en outre aujourd’hui qu’un certain nombre de projets, y compris dans le monde agricole, compte tenu des tarifs de soutien existants ou des mesures prévues, deviennent rentables et n’auront plus besoin de financements aussi lourds que par le passé pour assurer leur rentabilité à moyen et long terme.

Mme Marie-Jo Hamard, vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire. Je suis vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire, en charge de l’environnement. Le département, déjà doté d’une charte de l’environnement et du développement durable, a souhaité pouvoir relayer cette démarche auprès des territoires et favoriser la mise en réseau des acteurs locaux. Nous entendons ainsi contribuer à ce que notre département prenne le tournant économique des nouvelles énergies, notamment du biogaz. Nous sommes par ailleurs un département agricole, avec une forte orientation vers l’agroalimentaire. Cette démarche vise donc aussi à apporter à l’activité des agriculteurs une certaine valeur ajoutée.

La méthanisation apparaît comme un moyen de participer au maintien de l’élevage, par le traitement des effluents, la production d’énergie, en utilisant les cultures intermédiaires, mais en évitant d’avoir des cultures qui pourraient occuper les terres agricoles destinées à une autre vocation.

Dès 2015, un schéma spécifique a été mis en place par la chambre d’agriculture, à la demande du département et avec l’aide de l’ADEME, considérant qu’il était important d’avoir une vision concrète des capacités de notre territoire à fournir la matière et d’être en mesure de localiser l’ensemble des gisements du département. Ce schéma a fait émerger un fort potentiel de réalisation sur notre territoire départemental, évalué à quelque 49 installations. L’objectif était que ces unités puissent être mises en place à l’horizon 2030. Il était pour ce faire nécessaire de communiquer. Une large diffusion de ce schéma a donc été réalisée sur l’ensemble du territoire, au niveau des collectivités et de la profession agricole, avec le constat qu’il était important de mettre en œuvre une démarche non seulement informative, mais aussi collaborative pour fédérer les énergies.

Nous nous sommes attachés à structurer un réseau de partenaires, avec un comité technique déjà mis en place pour l’élaboration du schéma, avec la participation de la Chambre d’agriculture, de GRDF, de GRT Gaz, du syndicat d’électricité, de l’association AILE et de l’ADEME. Ces travaux ont été encadrés par une charte, qui va être signée sous peu. Cette démarche se fonde donc sur une dynamique forte : en 2018, 21 unités étaient ainsi en production en Maine-et-Loire, et 25 à 30 sont aujourd’hui recensées comme projets en cours. De nouveaux objectifs volontaristes ont donc été inscrits, afin que les 49 unités prévues pour 2030 puissent être réalisées dès 2025.

Sur cette base ont été déterminées de grandes lignes d’action, qui apportent des réponses pragmatiques, en essayant de lever les différents freins identifiés par le biais notamment de coordinations d’interventions, de répondre à un besoin de concertation accru entre les institutions et organismes concernés, mais aussi de disséminer au maximum l’information auprès des porteurs de projets, avec une vision territoriale parcellaire d’un développement réparti par ailleurs sur l’ensemble du territoire.

Une base de données commune a en outre été actualisée lors des revues des projets régulièrement programmées. L’outil que représente cette cartographie nous permet aujourd’hui d’aller à la rencontre des difficultés des porteurs de projets et de les accompagner, mais aussi de favoriser l’appropriation du sujet par les élus locaux.

Nous savons également combien il est important et nécessaire de faciliter la formation et d’accompagner la montée en compétences des acteurs, pour qu’ils soient en mesure de conduire et de réaliser au mieux ces projets.

Nous avons aussi travaillé à améliorer la lisibilité générale de la filière, avec une clarification de l’identification des acteurs, de leurs rôles respectifs, de la manière de les contacter, un accès facilité aux ressources documentaires et l’amélioration de la faculté de s’approprier les évolutions technologiques. Les changements dans ce domaine sont en effet constants et il est important que chacun puisse voir comment inscrire le mieux possible son projet dans ce contexte, pour qu’il devienne un vrai projet économique. Cela doit se doubler d’une levée des freins financiers, afin d’accompagner les porteurs de projets qui ne disposent pas toujours des fonds propres exigés par les banques. Au niveau du département, nous avons ainsi fait en sorte de rapprocher ces porteurs de projets de la société d’économie mixte (SEM) Anjou énergies, qui a vocation à développer les énergies renouvelables.

Voici, rapidement présentée, la démarche conduite par le département de Maine-et-Loire dans le cadre de l’accompagnement de la méthanisation.

M. Hervé Martin, conseiller départemental du Maine-et-Loire, membre de la commission environnement et cadre de vie. Je suis conseiller départemental de Maine-et-Loire et agriculteur : c’est à ce titre que je voudrais témoigner et apporter ma contribution à cette table ronde.

Je suis agriculteur dans la petite région des Mauges, très orientée vers l’élevage, avec des structures souvent familiales, assez modestes. On aurait pu croire que la méthanisation était le bon outil pour ce territoire, permettant d’envisager une diversification des productions, d’améliorer la gestion des effluents, qui peut être un problème dans les exploitations de faible dimension, et d’accompagner la transition énergétique.

Je souhaiterais toutefois mettre l’accent sur trois difficultés d’ordre général auxquelles nous nous sommes trouvés confrontés. La première réside dans la vulnérabilité des conditions financières des entreprises agricoles, auxquelles il est demandé de disposer de capitaux propres parfois bien au-delà de ce qu’elles sont en mesure d’investir.

Le deuxième point concerne la vision sociétale relativement à l’élevage. Nous pourrions ainsi avoir des doutes quant à la manière dont il sera possible d’approvisionner demain nos méthaniseurs, dans la mesure où l’élevage n’a pas actuellement le vent en poupe. Les agriculteurs ont ainsi plutôt tendance aujourd’hui à délaisser l’élevage, à la faveur par exemple de productions céréalières ou maraîchères.

Le dernier point que je souhaite souligner est celui de l’implication et du temps nécessaires pour monter ce genre d’outil, dans un monde agricole déjà soumis à un temps de travail important.

D’une manière plus précise, on s’aperçoit aujourd’hui, lorsqu’il est question de rentabilité et de financement de ces outils, que l’investissement évolue très peu. Ainsi, l’investissement peut être divisé en trois parts égales : un tiers autour de la voirie et réseaux divers (VRD), un tiers relatif au gros œuvre et un dernier tiers consacré au process, le seul quasiment à pouvoir éventuellement évoluer. En l’occurrence, les banques nous demandent globalement entre 20 % et 30 % de capitaux propres. Or lorsque l’enveloppe de subvention est stable et que les projets deviennent de plus en plus nombreux, le pourcentage d’aide par projet diminue mécaniquement. On est ainsi passé de 35 % à 20 % ou 25 % et je crains fort que l’on se situe plutôt, pour les prochains projets, aux alentours de 10 % à 15 %. Cela montre clairement le delta nécessaire pour abonder le capital propre demandé par les banques.

En matière de rentabilité, il apparaît par ailleurs un manque de 5 % à 10 % pour assumer à la fois le développement, l’exploitation et le retour des digestats sur les exploitations. Cela représente une difficulté financière assez importante pour parvenir à rentabiliser réellement ces outils et à trouver un profit dans la nouvelle production.

La deuxième difficulté réside dans la réglementation. Il me semble tout d’abord important de mettre en exergue un point relatif à l’agriculture biologique, pour laquelle il n’existe pas aujourd’hui de certitude quant à la réintégration des digestats dans les exploitations, pourtant indispensable pour l’équilibre des sols, notamment en termes de fertilisation. Je souhaiterais également soulever la question de l’hygiénisation : aujourd’hui, la réglementation n’est pas très précise dans ce domaine. Si toutefois l’évolution allait en ce sens, alors nous serions obligés de porter nos digestats à 70 degrés pour parvenir à les hygiéniser, ce qui représenterait inévitablement une charge supplémentaire.

Le troisième élément que je souhaite aborder est celui de la technique. Les technologies en matière de mobilité, qu’il s’agisse des bus, des voitures ou des tracteurs, ne sont pas suffisamment développées aujourd’hui pour pouvoir consommer en direct cette nouvelle énergie.

Voici les quelques points dont je souhaitais témoigner. Nous avons vécu deux échecs sur notre territoire et sommes actuellement en train de repartir, mais avec à chaque fois une diminution du nombre d’agriculteurs impliqués, dans la mesure où, comme on le comprend aisément, les échecs ne suscitent guère l’enthousiasme.

M. Bertrand de Singly, délégué pour la stratégie à Gaz réseau distribution France (GRDF). Merci de m’avoir convié à cette réunion. Je tiens à préciser en préambule que je suis également président de la commission gaz renouvelable de l’Association française du gaz et membre du syndicat des énergies renouvelables. Je m’exprimerai toutefois aujourd’hui au titre de mes fonctions au sein de GRDF.

Les 11 500 salariés de GRDF sont convaincus que la neutralité carbone est un enjeu essentiel. Notre nouveau projet d’entreprise, qui vient de démarrer, s’appelle « Vers l’avenir » et nous sommes au service des 9 500 communes propriétaires du réseau que nous exploitons pour les accompagner vers la neutralité carbone à long terme.

À nos yeux, parmi les trois filières de gaz renouvelable existantes et technologiquement connues, la méthanisation est celle qui, en 2019, apparaît comme la meilleure méthode de production de gaz renouvelable, puisqu’elle permet de donner de la stabilité aux exploitations agricoles, de gérer les déchets et d’améliorer la biodiversité grâce aux cultures intermédiaires. Cette filière est également la moins chère ; or cet aspect économique constitue un atout majeur pour les pouvoirs publics et est un élément structurant des choix politiques prochains effectués dans le cadre de la PPE.

Nous saluons le travail du groupe « méthanisation » mis en œuvre en 2018 par le ministre Sébastien Lecornu. Grâce à une initiative parlementaire, cela a débouché dans la loi dite EGALIM sur le droit à injection, dont Mme Coron nous a indiqué que le texte réglementaire correspondant serait publié en avril. C’est très important puisque nous avons certes 1 térawattheure d’injection de gaz actuellement dans les réseaux, mais à horizon 2023, les perspectives sont de plus de 10 térawattheures, ce qui suppose non seulement que les projets parviennent au bout de leur financement, mais aussi de préparer la suite. En effet, une fois cet objectif de 10 térawattheures atteint, il faudra, pour aller au-delà, faire évoluer les réseaux. La question se posera alors aux gestionnaires de réseaux, transporteurs et distributeurs de gaz, de savoir comment procéder pour déplacer le gaz renouvelable et le répartir. On peut, comme dans le domaine de l’électricité, imaginer que du gaz soit produit à un moment donné mais ne soit pas consommé sur place. Du gaz pourrait par exemple être produit dans une commune composée essentiellement de clients résidentiels et devoir être transporté dans la commune voisine où existerait un besoin industriel. Faire évoluer un réseau requiert du temps. Nous nous y préparons et avons besoin d’une vision de long terme sur le but visé.

Je salue l’implication forte des agriculteurs, des collectivités locales et des organisations non gouvernementales, tous convaincus que le gaz renouvelable a toute sa place dans la transition énergétique. Nous avons par ailleurs la chance de disposer en France du meilleur laboratoire de recherche en biotechnologies, dont l’un des représentants est présent aujourd’hui.

Les freins rencontrés sont de plusieurs ordres. Certains ont déjà été listés. Parmi les freins transverses, citons notamment le temps entre les annonces et la décision. Nous ignorons par exemple ce que sera la PPE, mais le seul fait d’en discuter depuis un certain temps fait que les gens se posent des questions : croit-on ou non au gaz renouvelable ? Où va-t-on ? Nous estimons pour notre part qu’en termes de processus, réfléchir deux ans tous les cinq ans mobilise beaucoup de ressources, que l’on pourrait utiliser plutôt pour développer la filière. On consacre ainsi beaucoup de temps à la réflexion et peut-être pas suffisamment à l’action, qui supposerait l’existence d’un droit à l’erreur. Il existe de très nombreuses règles et nous ne sommes pas sûrs de pouvoir les modifier et les faire évoluer intelligemment ; mais consacrer plusieurs années à une réflexion visant à définir la meilleure solution freine l’action pendant la période considérée. Depuis mon arrivée chez GRDF, voici un peu plus de trois ans, j’entends parler de certains aspects de façon récurrente, sans qu’il se passe quoi que ce soit : cette inertie s’explique par le fait que l’on n’est pas sûr d’avoir trouvé la meilleure solution. Mais en réalité, personne ne la connaît et il faudrait de temps à autre être en mesure de faire évoluer les choses, quitte à appliquer ensuite des actions de correction si les résultats n’étaient pas ceux escomptés. Attendre la solution parfaite conduit à l’inaction.

Il existe aujourd’hui de grandes incertitudes quant à l’évolution des mécanismes de soutien. L’ADEME a souligné qu’il fallait quatre à cinq ans pour construire un projet. Avant de faire évoluer le type de soutien, il importerait donc de mener une véritable réflexion sur les impacts potentiels de ces modifications. Imaginer que la méthanisation agricole revient au même qu’installer des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques est un raccourci certes sympathique, puisque les trois techniques renvoient à la production d’énergies renouvelables, mais qui ne correspond absolument pas à la réalité. On maîtrise en effet différemment le soleil, le vent et les intrants agricoles. « Copier-coller » les mécanismes est donc très séduisant, mais les choses sont plus compliquées.

Il existe, face à cette situation, divers leviers. On pense par exemple à des vecteurs législatifs : la « petite loi » sur l’énergie est ainsi annoncée, tout comme le projet de loi d’orientation des mobilités avec l’usage pour les collectivités du bio-GNV. Des réflexions sont par ailleurs en cours sur la fiscalité. Aujourd’hui, il n’existe par exemple, concernant les énergies renouvelables (ENR) gaz, aucune fiscalité pour les communes, alors que cela existe pour les ENR électriques. Il convient également d’envisager la question de l’acceptabilité : faut-il repenser la fiscalité pour que les communes qui acceptent d’accueillir des méthaniseurs en bénéficient ?

Mme Magalie Seron, directrice territoriale de GRDF pour le Maine-et-Loire. Bonjour et merci pour cette invitation. Je suis directrice de GRDF pour le Maine-et-Loire, la Mayenne et la Sarthe, et référente institutionnelle biométhane pour la région Pays-de-la-Loire. Je côtoie donc quotidiennement des porteurs de projets et les structures qui, à nos côtés, essaient de faire émerger les projets. Les discussions menées avec eux en préparation de cette audition nous ont permis d’identifier cinq freins, que je vais vous détailler durant les quelques minutes qui me sont imparties.

Le premier frein, dont il a déjà été largement question ce matin, est la question du financement et notamment des fonds propres. Comme il a été souligné précédemment, les porteurs de projets ne sont généralement pas des développeurs professionnels, mais le plus souvent des agriculteurs qui, comme cela vient d’être signalé par M. Martin, sont confrontés à des difficultés en matière de fonds propres. À titre d’exemple, on compte en Maine-et-Loire une vingtaine de projets dont 17 portés par des agriculteurs, un par une collectivité et deux par des développeurs. Je vais illustrer ce point par l’exemple d’un projet mené dans le Maine‑et‑Loire, qui tablait voici deux ans encore sur des subventions de l’ordre de 20 % à 25 %.

Il est toutefois apparu que l’ADEME ne pourrait pas apporter ce niveau de subvention, si bien qu’ont été scénarisées des entrées de tiers au capital. L’ingénierie financière n’étant pas à la portée de tout le monde, nous accompagnons ces porteurs de projet dans leur démarche de scénarisation d’entrée de tiers au capital, notamment auprès de SEM, de collectivités ou de structures privées.

Le deuxième frein réside dans le mécanisme de soutien. Le mécanisme du tarif de rachat, déterminé mensuellement et de façon constante toute l’année, est globalement bon. Il comporte néanmoins trois inconvénients. Ainsi, cette gestion mensuelle pénalise les producteurs en cas d’aléa technique ou de période de maintenance et ne tient pas compte de la saisonnalité des intrants. Or cette saisonnalité est très importante dans les régions d’élevage comme les Pays-de-la-Loire, qui disposent de moins d’intrants l’été, ce qui oblige à rechercher des compléments d’intrants pour maintenir la production constante. Le troisième frein tient à la non prise en compte de la saisonnalité de la consommation sur les réseaux. On est obligé, pour des raisons de contrainte de réseaux, de maintenir la production constante au plus bas niveau l’été. Je vais illustrer ce propos par l’exemple d’un projet du nord du département, pour lequel il existe une contrainte de débit d’injection qui force les porteurs soit à investir plusieurs centaines de milliers d’euros dans le stockage, soit à brider leur production de l’ordre de 30 %, soit à financer le maillage vers une zone de production proche afin d’augmenter la capacité d’injection, pour un montant de 1,5 million d’euros. L’un des leviers que nous avons identifiés consisterait à élargir la période de calcul du tarif d’achat d’un pas mensuel à un pas trimestriel.

Quant au mécanisme d’appel d’offres parfois évoqué, il faut savoir que les agriculteurs ne sont pas forcément habilités à entrer dans ce type de dispositif et que le tarif de rachat leur correspond très bien. Les appels d’offres sont plutôt adaptés à des projets territoriaux ou atypiques de type industriel.

Certains élus locaux sont très engagés en faveur des projets de méthanisation, d’autres plus attentistes, ce qui tient parfois au fait que les agriculteurs ne communiquent pas forcément, par manque de temps et d’habitude. On se trouve ainsi souvent confronté à des quiproquos et à des problèmes en termes d’acceptabilité. J’en donnerai deux exemples. Dans le cas d’un projet en Mayenne, le conseil municipal a donné un avis négatif sur le permis de construire et le dossier d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), alors que la maire avait exprimé un an et demi plus tôt un avis positif. Entre temps, quelques riverains se sont émus de ce projet et les élus ont suggéré de le déplacer, arguant du fait que cela coûterait moins cher avec la clause de réfaction. De même, dans le nord-est du Maine-et-Loire, suite à la plainte de riverains, des porteurs de projet ont dû modifier à plusieurs reprises le lieu d’implantation du projet, ce qui a entraîné un retard d’un an environ et des coûts liés au terrain et à des frais d’études. Outre la poursuite du dialogue territorial, on pourrait imaginer, pour lever ce frein, de repenser la taxation carbone ou de réfléchir à des dispositions financières de maintien de dotation pour les communes nouvelles. Cela pourrait certainement être appliqué pour la transition énergétique, afin d’aider les élus à convaincre les riverains qu’ils pourraient tirer avantage de l’implantation d’un projet de méthanisation ou d’énergies renouvelables sur leur territoire.

Le quatrième élément concerne le marché, très restreint, de la biomasse. Souvent, les producteurs achètent de la biomasse sur des marchés, en complément de leurs intrants. Il faut en effet savoir qu’en matière de production de méthane, plus le cocktail des intrants est diversifié, plus il est efficace. Le problème est que les producteurs ne parviennent pas toujours à produire ces intrants l’été et doivent les acheter sur des marchés, à des prix souvent plus élevés que ceux auxquels un éleveur les achèterait pour ses bêtes. Il en va de même pour les déchets agroalimentaires, dont les prix sont souvent supérieurs aux prix classiques. Il conviendrait donc, pour aplanir cette difficulté, d’élaborer un marché à destination de la méthanisation, qui s’appuierait sur les résidus agricoles et les cultures à vocation énergétique. Ces marchés existent déjà de la part de coopératives agricoles, mais il faudrait les solidifier et les encourager, en créant par exemple une plateforme.

Le dernier point enfin est la question des coûts. La filière méthanisation en France est très particulière et non adaptée à la technologie allemande largement adoptée. Nous avons en effet des mélanges hétérogènes, des fumiers pailleux difficiles à intégrer. Investir en dans la recherche-développement pour faire évoluer la situation pourrait représenter un vrai levier de compétitivité à l’international, notamment vis-à-vis du Japon qui utilise le même type de méthanisation que nous et ne dispose pas de technologies parfaitement adaptées.

M. Marc Jedliczka, porte-parole de l’association Negawatt. Vous connaissez l’importance pour Negawatt du vecteur gaz, qui sera en 2050 à égalité avec l’électricité. Il faut savoir que l’on consomme déjà aujourd’hui quasiment autant de gaz que d’électricité en France. La quantité a diminué, car des efforts d’efficacité ont été réalisés. À horizon 2050, il s’agira toutefois de gaz 100 % renouvelable, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Je me permets d’insister sur le fait que cela ne constitue pas seulement un exutoire pour les effluents de pratiques agricoles, dont on sait pertinemment aujourd’hui qu’elles ne sont pas durables, mais représente également un enjeu agroécologique, qui va entraîner des évolutions dans les pratiques agricoles. Cette démarche est notamment très vertueuse du point de vue du sol. Cet élément essentiel, bien qu’il n’ait ni coût ni prix, mérite d’être intégré à la réflexion.

En termes d’usages, nous pensons que la mobilité doit être prioritaire, contrairement à la production d’électricité. Avoir favorisé la production électrique constitue selon nous une erreur ; l’exemple allemand en témoigne. Concernant le secteur du bâtiment, il existe à terme d’autres solutions pour le chauffage. Il faudra ainsi que les réseaux gaziers « sortent » des bâtiments pour aller vers le secteur des véhicules légers et poids-lourds, dans lequel le gaz est irremplaçable, car il s’apparente beaucoup au pétrole du point de vue de l’usage, contrairement à l’électricité, dont la place est plus modérée.

La méthanisation est aussi, dans une logique systémique de long terme, productrice de CO2. Le biogaz est en effet composé pour moitié de méthane et pour moitié de dioxyde de carbone, qui est un déchet du point de vue de la méthanisation, mais une ressource pour la méthanation, le power-to-gas, en complément de l’hydrogène.

Selon les informations dont je dispose, il semblerait que de grandes inquiétudes pèsent sur les évolutions possibles des mécanismes de soutien. L’appel d’offres constitue selon nous une très mauvaise solution pour la méthanisation, car ce procédé conduit à éliminer les petits opérateurs et à favoriser les grandes structures. Les projets mettent du temps à se développer et ont besoin de stabilité. Si l’on veut prendre en compte les enjeux territoriaux, il est important d’inclure les énergies renouvelables dans la réflexion. Cela impose de disposer de systèmes d’aides adaptés à la typologie des opérateurs. Du reste, l’appel d’offres n’est pas non plus une solution adaptée à l’éolien et au photovoltaïque. Nous pourrons en discuter ultérieurement si vous le souhaitez.

Un autre sujet d’inquiétude réside dans le fait qu’il existerait aujourd’hui des velléités d’augmenter le seuil de 15 % de cultures énergétiques, ce qui serait une grave erreur. On ne parle pas là de cultures intermédiaires, qui permettent au contraire de bénéficier d’un couvert végétal en l’absence de cultures principales, mais bien de cultures dédiées.

On a enfin le sentiment qu’il existe, parmi les objectifs de production de biométhane et plus généralement de biogaz, des doubles comptes entre la production d’électricité et l’injection dans le réseau. Il faut veiller à avoir des objectifs très clairs et distinguer le biométhane injectable ou utilisé en direct pour des usages cohérents de celui utilisé pour la production d’électricité, qui représente le passé et avec laquelle il faut vivre, mais qui ne doit pas être déduite des objectifs de la France en matière de production de biométhane.


M. Francis Claudepierre, président et agriculteur méthaniseur de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France. Bonjour à tous. Je vous remercie de m’avoir invité à cette table ronde. Je suis éleveur de vaches laitières en Meurthe-et-Moselle et pratique la méthanisation et l’agriculture biologique depuis dix-huit ans.

Je représente aujourd’hui l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France, qui regroupe environ la moitié des installations agricoles, dont la plupart sont en cogénération. Nous avons participé au groupe de travail initié par Sébastien Lecornu. Mme Coron en a présenté précédemment les principales mesures, que nous accueillons favorablement. Nous partageons ainsi les priorités d’utilisation du biogaz, à savoir l’injection dans le réseau, la mobilité et la cogénération.

Je souhaiterais profiter de cette tribune pour rappeler les avantages de la cogénération. Les réseaux gaziers de collecte ou de distribution n’arrivent pas partout dans les campagnes, alors que le réseau Enedis est à la portée de toutes les exploitations, où qu’elles soient. Nous y produisons de manière efficace de l’électricité injectée en bout de réseau, ce qui, en électricité répartie, est très important. Par rapport aux deux autres sources de production intermittentes d’électricité renouvelable que sont le solaire et l’éolien, la production d’électricité par cogénération présente la particularité d’être stockable et prévisible, ce qui constitue indéniablement un atout. Bien entendu, chaque agriculteur va, quand il le peut, vers l’injection. Malgré tout, de petits projets de cogénération disséminés dans les campagnes permettent de traiter la matière première sur place, ce qui est parfois plus efficace que de l’acheminer à quinze ou vingt kilomètres de l’exploitation pour pratiquer de l’injection.

Les agriculteurs méthaniseurs cherchent à participer à la transition énergétique, mais n’ont pas l’ambition de changer de métier et souhaitent continuer à travailler pour nourrir la population, grâce entre autres à la méthanisation et malgré toutes les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Il nous est par exemple proposé de baisser les coûts. Or certains coûts sont incompressibles. Nous pensons ainsi que le volet « aides » ne doit pas être diminué, mais réorienté. Les aides à l’investissement sont parfois trop visibles des constructeurs, ce qui empêche la diminution du prix des équipements. Elles pourraient être réorientées vers les financements. Nous accueillons par conséquent favorablement le projet de financement par Bpifrance, même si le taux d’intérêt peut jouer le rôle de repoussoir : nous espérions en effet des taux zéro.

Les aides devraient également être orientées vers la formation et la professionnalisation de la filière. De trop nombreux porteurs de projets manquent encore de visibilité sur leurs projets, ont des difficultés à le formaliser, à l’exprimer lorsque se pose le problème de l’acceptabilité. Nous souhaiterions donc que des formations adaptées soient développées à leur attention.

La baisse des coûts devra aussi certainement être compensée un jour par la monétisation des externalités positives : il faut absolument y travailler. Il importe aussi de veiller à la baisse des coûts ou à l’amélioration des rendements des cultures intermédiaires, auxquelles il conviendra d’octroyer un statut de « vraies cultures » et de supprimer le qualificatif d’« intermédiaires ». Il faudra ainsi acter dans la politique agricole commune (PAC) le principe de base de trois cultures en deux ans.

Les freins administratifs restent considérables, même si nous avons constaté une réelle amélioration au fil du temps. Il est ainsi beaucoup question en ce moment d’hygiénisation obligatoire sur des projets collectifs. Je souhaiterais rappeler que les projets collectifs représentent souvent la possibilité pour de petites et moyennes exploitations de participer à l’enjeu de la méthanisation. Or une obligation d’hygiénisation totale engendrerait des surcoûts insupportables et injustifiés. Notre espoir est que les volontés politiques de voir se développer la méthanisation, qui sont exprimées en haut lieu, soient partagées dans les services administratifs. On se demande parfois qui gouverne.

Les freins à l’acceptabilité constituent une autre limite. Il est important d’imaginer des actions en ce sens, en donnant par exemple aux riverains, aux voisins, la possibilité de s’inscrire dans une démarche de financement participatif, afin de les intégrer dans les projets et de favoriser ainsi une meilleure acceptation. Nous constatons par ailleurs le développement de recours de la part d’associations qui se créent et font preuve de beaucoup d’opportunisme dans la contestation : il devient à la mode de contester un projet de méthanisation. Nous proposons donc que lorsqu’un recours administratif est formulé, les opposants déposent une caution équivalente au préjudice qu’ils entendent subir, de façon à ce qu’ils réfléchissent davantage avant de lancer une telle procédure de façon injustifiée.

M. Adrien Morenas, vice-président. Merci beaucoup. La parole est à présent à M. le rapporteur, puis à nos collègues, qui ont certainement des questions à poser.

M. Bruno Duvergé, rapporteur. Mes questions concernent essentiellement l’expérience du Maine-et-Loire et renvoient à l’un des points importants de notre réflexion, à savoir l’implication des territoires.

Quelles compétences avez-vous utilisées pour vous impliquer, en tant que conseil départemental, dans cette planification ?

J’ai par ailleurs effectué un rapide calcul : vous avez indiqué la présence de 50 méthaniseurs, ce qui, étant donnée la superficie du Maine-et-Loire, représente une installation tous les douze kilomètres. Je crois que Negawatt préconise 5 000 méthaniseurs à l’échelle du territoire national, ce qui correspond globalement à cette densité. Cela me renvoie à la question de l’acceptabilité. Je constate en effet dans ma circonscription l’existence de résistances à l’installation des méthaniseurs de la part des populations. Avez-vous identifié, dans votre étude d’implantation à l’échelle du Maine-et-Loire, les endroits où c’était le plus acceptable ?

Concernant l’intérêt des élus locaux pour ces projets, il faut savoir que, contrairement à l’éolien, il n’existe pas de taxe locale sur la méthanisation, c’est-à-dire aucun effet incitatif. Ainsi, dès que les populations manifestent des réticences, les élus, les maires notamment, s’écartent du sujet. Je souhaiterais vous entendre à ce propos.

Suite au groupe de travail, une nouvelle proposition a émergé de la part de la Caisse des dépôts et de Bpifrance, visant à apporter un complément de financement aux projets : si j’en crois les exposés, cela n’apparaît pas assez incitatif. Qu’en pensez-vous ?

M. Philippe Bolo. Ma première question s’adresse à Mme Coron. Vous avez évoqué dans votre intervention une multiplication du biogaz injecté en fonction des baisses des coûts. J’aimerais en savoir plus sur ce sujet de baisse des coûts et sur le lien entre la capacité à injecter et le coût de production. Il m’apparaît en effet que ce que l’on injecte détermine le coût, lui-même déterminé par ce que l’on injecte. Comment peut-on par ailleurs prétendre atteindre les objectifs du plan climat et de la transition énergétique sachant que l’on est face à une incertitude sur la quantité injectée, déterminée par les coûts ? Je ne vois pas très bien comment relier les deux aspects. L’idée sous-jacente est surtout de ne pas décevoir les porteurs de projets en cours et à venir.

La deuxième question concerne M. Bernet et les travaux de recherche menés en matière d’acceptation sociale. Je pense qu’il faut faire très attention en présentant le sujet : dire que l’on a besoin de recherches supplémentaires pour disposer d’éléments visant à faciliter l’acceptation des projets revient à injecter dans le débat la difficulté que l’on rencontre et accrédite la thèse selon laquelle il faudrait attendre et appliquer le principe de précaution, donc ne pas implanter de méthaniseurs. D’autres recherches ne devraient-elles pas être menées, notamment sur les nuisances, les risques sanitaires et les bénéfices économiques, tant sur territoires qu’au niveau national ? Existe-t-il des travaux dans ces domaines ?

M. Adrien Morenas, vice-président. Quelles sont les contributions de l’Europe au programme de méthanisation ? À quelles aides pouvez-vous prétendre en tant que collectivité ?

Quid, par ailleurs, des collectivités ayant réalisé des investissements en prévision d’un méthaniseur qui, finalement, n’est pas installé ? Certaines villes de France ont en effet prévu des investissements en vue de produire du biométhane, mais une fois l’infrastructure en place, n’ont plus aujourd’hui des moyens financiers de mener ce projet à bien.

Mme Anne-Florie Coron. Concernant la question sur les coûts de production et le lien avec les objectifs, il faut savoir que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit de fixer des objectifs avec des trajectoires de baisse de coûts. Si toutefois ces objectifs ne sont pas atteints, cela ne signifiera pas pour autant l’arrêt du développement de la filière de méthanisation, mais cela se traduira simplement par son ralentissement, de manière à maîtriser les coûts de soutiens publics. Nous disposons d’une enveloppe de soutiens publics pour les dix prochaines années : si le coût au mégawattheure est plus élevé que prévu, alors le volume sera plus faible. Il sera du coup plus compliqué d’atteindre l’objectif fixé à l’horizon 2050, mais la PPE prévoit une trajectoire sur dix ans.

Je souhaiterais rappeler quelques chiffres relativement aux coûts de production du biogaz. Ils sont aujourd’hui de l’ordre de cent euros du mégawattheure pour le biométhane injecté et d’environ 150 euros du mégawattheure pour l’électricité produite à partir de biogaz, ce qui est plus cher que les autres énergies renouvelables. Il est bien évident que les énergies ne sont pas équivalentes et qu’il faut considérer les externalités positives. Nous sommes cependant soumis à une contrainte de maîtrise du soutien public et avons besoin de tracer une trajectoire, de faire en sorte que les coûts de production diminuent.

M. Philippe Bolo. Il s’agit donc d’une question de maîtrise des ressources financières pour accompagner la méthanisation. Ne vaudrait-il mieux pas, dans ce cas, affecter la ressource financière à un nombre de projets, ce qui correspondrait à un coût de production identique et présenterait l’avantage de multiplier les unités de production, donc de structurer une filière industrielle, avant d’envisager dans un deuxième temps une diminution des coûts, à partir du moment où la filière serait suffisamment stable et robuste pour permettre elle-même une réduction des coûts par la massification des productions ?

Mme Anne-Florie Coron. Il faut savoir qu’il n’y a pas, pour les contrats d’achat de biogaz déjà signés, d’évolution des tarifs. Cela ne concerne que les nouveaux projets, qui signeront avec un tarif plus bas dans les dix années à venir.

M. Nicolas Bernet. Peut-être ai-je mal présenté les choses : l’objectif des recherches n’est en effet pas de répondre aux difficultés d’acceptation sociale, mais simplement de disposer d’éléments à apporter au débat et d’être en mesure de répondre aux questions qui se posent, notamment au niveau agricole, sur l’impact de la méthanisation et de son développement sur le modèle agricole sur la fertilisation, le retour aux sols, le risque d’appauvrissement des sols en matières organiques. Les premiers travaux semblent montrer l’inverse.

Des recherches sont en outre menées sur le potentiel risque sanitaire, notamment sur l’impact de la méthanisation, ou au contraire sur l’abattement de ces risques en termes de microbiologie et de pathogènes par exemple. Dans le cas de la méthanisation des boues de stations d’épuration, des études sont également effectuées sur le potentiel abattement de composés comme des micropolluants organiques, grâce à la méthanisation.

Pour ce qui est des aspects économiques, l’INRA ne travaille pas directement sur ces questions, mais certains laboratoires le font.

M. Marc Cheverry. Concernant la baisse des coûts, nous réfléchissons, en tant que soutien ADEME, à des mécanismes de forfait. Aujourd’hui, nous avons, à la différence de la période 2007-2010, une meilleure connaissance des modèles économiques qui fonctionnent. Il existe par ailleurs un message de standardisation des installations par rapport à l’existant. Un gros travail reste toutefois à accomplir sur les coûts liés à la maintenance et aux matériels fournis, afin d’envisager leur diminution par une certaine standardisation, une industrialisation.

En matière de recherche-développement, des travaux de recherche, soutenus notamment par les investissements d’avenir, sont menés actuellement sur des procédés permettant de traiter des substrats pailleux pour s’adapter à certains substrats spécifiques au modèle agricole français, que l’on retrouve également dans d’autres pays. De nombreux travaux concernent par ailleurs les coûts externes ou les externalités de la méthanisation, notamment sur les bénéfices que celle-ci peut apporter soit au monde agricole, soit plus globalement à la maîtrise des produits organiques sur les territoires. Des études sont également en cours et méritent d’être poursuivies sur la meilleure façon de compléter des déchets existant au niveau local, avec les difficultés évoquées en termes de marché, par des cultures intermédiaires, caractérisées par une moins bonne prévisibilité des rendements.

Mme Marie-Jo Hamard. L’une des questions relatives à l’expérience du Maine-et-Loire concernait la compétence. Il faut savoir que la décision de s’engager dans cette démarche avait été prise en 2014. Elle faisait suite à la réflexion que nous avions conduite lors de l’élaboration de notre charte du développement durable et de l’environnement, mise en place en 2010. La volonté d’agir du département s’était notamment traduite par la création, avec le syndicat d’électricité, de la SEM Anjou Energies Renouvelables, devenue depuis Alter Energies. Il s’agissait donc d’inscrire le département dans la transition énergétique. Cela faisait également écho à la volonté de porter un regard sur l’aménagement du territoire et d’avoir une politique volontariste visant à maintenir l’agriculture, en lien avec l’ensemble des partenaires. Le département du Maine-et-Loire avait considéré qu’il pouvait être dans cette logique un véritable relais, en même temps qu’un lien et un partenaire susceptible de fédérer l’ensemble des acteurs susceptibles de travailler autour de la thématique de la méthanisation. C’est dans cet esprit que nous nous sommes engagés dans cette démarche, tout en ayant en tête l’importance et la diversité de l’agriculture dans le département, laquelle représente une réelle source d’emploi. Il nous semblait essentiel de ne pas perdre de vue le fait que la terre a avant tout une vocation nourricière. Rien n’empêche toutefois de valoriser les effluents, tout en permettant une bonne réintégration des digestats au niveau du sol.

Concernant la planification, l’élaboration du schéma nous a permis d’identifier la ressource potentiellement méthanisable. Nous avons ainsi considéré que 30 % à 40 % de la ressource permettraient la mise en place d’une cinquantaine de méthaniseurs, soit effectivement environ un tous les douze kilomètres. Dans ce contexte, l’acceptabilité en Maine-et-Loire est aujourd’hui satisfaisante : nous n’avons pas été confrontés à des levées de boucliers allant à l’encontre du développement de la méthanisation. Il est vrai que les réflexions sont conduites de façon partenariale, collective, ce qui évitera sans doute aussi d’essaimer les méthaniseurs. Le potentiel de ces installations a apparemment été bien compris et accepté. Nous ne sommes toutefois pas à l’abri d’éventuelles résistances de la part d’associations, comme cela a pu être le cas dans le domaine de l’éolien notamment.

Quant aux élus, il est vrai que l’on entend régulièrement parler de l’absence de retombées fiscales pour les territoires. Les choses évoluent toutefois. Sont présents au sein de la SEM Alter Energies le département, le syndicat intercommunal d’énergies de Maine-et-Loire (SIEML) et les financeurs. Dans un premier temps, les projets conduits étaient essentiellement dédiés au photovoltaïque. Aujourd’hui, la volonté est de faire entrer au capital les neuf établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), afin qu’ils deviennent de vrais partenaires en matière de développement des énergies. À partir de là, les élus sont complètement investis et ont une réelle capacité à décider et à porter les projets. Nous sommes aujourd’hui en réflexion sur des projets éoliens dans lesquels la SEM pourra entrer dans une société par actions simplifiée (SAS), en apportant des financements. Ces SAS sont également souvent portées localement par des collectifs de citoyens. Nous voudrions essayer d’avancer de la même manière pour faciliter la mise en place des méthaniseurs, en développant une démarche similaire de collaboration financière, afin de répondre aux préoccupations de bouclage des financements sur de tels projets.

M. Hervé Martin. Je souhaiterais compléter les propos de Marie-Jo Hamard en donnant l’exemple du territoire du Chemillois, commune nouvelle de 22 000 habitants. Nous avons développé à partir de 2009 trois projets dans les domaines du photovoltaïque, de l’éolien et de la méthanisation. Les deux premiers n’ont posé aucun problème : dans ces domaines, l’installation, le financement, la rentabilité se déroulent relativement facilement, de façon presque mathématique, même si d’éventuels recours ne sont pas à exclure. Nous avons monté pour environ 8 millions d’euros de panneaux photovoltaïques et mis en place un groupe participatif, en lien avec les agriculteurs, pour parvenir à acheter un premier parc éolien d’une manière autonome sur le territoire. Nous sommes ainsi, en collaboration avec les collectivités, dans une dynamique d’investissement de plusieurs parcs éoliens.

La même démarche menée dans le domaine de la méthanisation s’est heurtée à davantage de problèmes. Cela s’explique par des effluents parfois difficiles à gérer,  par des  exploitations souvent mises en œuvre via des collectifs et par des projets qui se développent sur quatre ou cinq ans. S’ajoute à cela une communication vraiment difficile, dans un contexte où l’élevage n’est plus forcément considéré comme nécessaire à la santé humaine et est perçu comme ayant un impact carbone important et pouvant avoir des conséquences négatives sur les sols et sur la vie de chacun en raison de l’utilisation de produits pharmaceutiques et chimiques. L’ambiance actuelle ne permet pas une évolution favorable de la méthanisation. Je pense qu’il nous faut avoir aujourd’hui vis-à-vis de cette nouvelle énergie une communication nationale, présentant son intérêt en termes de production d’énergie, mais aussi d’impact carbone. Il faut absolument mettre en exergue cette volonté et cet intérêt de la méthanisation.

M. Bertrand de Singly. J’ai habité de nombreuses années le Maine-et-Loire et suis très fier des initiatives qui s’y développent. Ce département abrite d’ailleurs un siège de l’ADEME.

Nous avons besoin de tous les territoires pour réussir la méthanisation. La première région aujourd’hui pour la méthanisation est les Hauts-de-France : nous comptons sur elle pour poursuivre. Les premiers projets arrivent par ailleurs en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Permettez-moi un commentaire sur le prix des énergies renouvelables. Il s’agit d’un débat extrêmement complexe. Selon les documents fournis par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) concernant les installations nouvelles qui seront mises en service, il apparaît qu’en 2019 le prix moyen du photovoltaïque en France sera plus élevé que celui de la méthanisation en injection. Cela tient au fait que les panneaux photovoltaïques sont installés sur les toitures ; or lorsque l’on parle de prix en euro par mégawattheure on prend souvent l’exemple des meilleures fermes au sol. Si l’on se fonde sur ce seul critère, il faut arrêter le photovoltaïque ailleurs que dans les grandes fermes solaires. C’est un choix, sur lequel je ne me prononcerai pas. J’attire votre attention sur le fait que calculer des moyennes conduit à oublier que les chiffres obtenus recouvrent en réalité des projets différents. On pourrait par exemple ne faire que de la méthanisation de décharge, ce qui coûte moins cher que le photovoltaïque : pour autant, je ne suis pas sûr que l’on souhaite aller dans cette direction.

Les appels d’offres ont été conçus à l’origine, dans la loi du 10 février 2000, pour le cas où les objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI) ne seraient pas atteints. Ensuite, un certain nombre de personnes qualifiées ont estimé que, pour des raisons d’efficacité, il valait mieux généraliser cette procédure. C’est ainsi que cette mesure a été appliquée au photovoltaïque dès 2011, puis à l’éolien. Mais à la base, l’appel d’offres visait à atteindre les objectifs fixés par le pouvoir politique, et n’était pas un instrument global. La filière méthanisation est la dernière arrivée et va être mise à la norme la meilleure. Il est toujours agréable d’être le meilleur élève, mais il nous faut un peu de temps.

On note par ailleurs des contradictions. Le prêt que Bpifrance est en train de structurer est essentiellement conçu pour de tout petits projets agricoles, donc de cogénération. Or j’ai entendu ce matin qu’il était peut-être plus pertinent de faire de l’injection. Nous avons pour ce faire besoin de soutien. Le fait que Bpifrance conçoive un mécanisme n’allant pas dans le sens de ce que recommande le ministère de l’énergie nous interroge.

Au niveau européen, vient d’être adoptée la directive RED II, deuxième directive sur les énergies renouvelables, qui est intéressante car elle pose la question des garanties d’origine en Europe. Nous aurons collectivement un travail à mener pour déterminer ce que nous souhaitons faire. Aujourd’hui, nous bénéficions d’un système de garantie d’origine national, géré par GRDF au titre d’une mission spécifique, pour une durée de cinq ans. Il existe par ailleurs une attente forte des collectivités pour que ces garanties d’origine soient locales. Adopter cette démarche impliquerait de faire évoluer le système vers davantage de traçabilité, ce qui le complexifierait considérablement.

Nous travaillons enfin avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour que la politique agricole commune (PAC) permette des financements spéciaux pour la méthanisation.

Mme Magalie Seron. Concernant la baisse des coûts, il faut savoir qu’il existe plusieurs méthanisations. Les méthaniseurs les plus efficaces utilisent plutôt des déchets de céréales et pas nécessairement des effluents d’élevage. Cette dernière méthode constitue pourtant sans doute le mode de méthanisation apportant le plus d’externalités positives, dans la mesure où le fumier existe, est laissé au sol, se composte naturellement et où le CH4 est libéré dans l’atmosphère, avec un pouvoir de réchauffement que l’on connaît. Elle permet également de créer le plus d’emplois directs et indirects : on parle en Maine-et-Loire d’une quinzaine de projets, représentant 150 à 200 exploitations bénéficiant d’une pérennité de revenus. Combien d’emplois crée-t-on lorsque l’on implante une éolienne ou des panneaux photovoltaïques ?

Maintenir la méthanisation permet en outre de capter le carbone. Le sujet n’est en effet pas seulement de produire des énergies renouvelables, mais aussi de capter le carbone, de diminuer les gaz à effet de serre et de maintenir la biodiversité.

Certes le gouvernement ne peut pas tout payer, mais peut-être la taxation carbone pourrait-elle être réorientée pour ce type de projets, ce qui permettrait de diversifier les sources de revenus pour les méthaniseurs.

Je terminerai en évoquant la question de l’acceptabilité. Il existe deux leviers dans ce domaine. On peut d’une part faire en sorte que les porteurs de projets communiquent mieux, avec l’aide de l’ADEME ou de France Nature Environnement (FNE) notamment. Une charte de bonnes pratiques a ainsi été élaborée dans les Hauts-de-France. La fiscalité est également un aspect important pour convaincre : si les élus pouvaient montrer à leurs concitoyens que ces projets apportent quelque chose aux territoires et ne constituent pas seulement une source de nuisances, alors la situation changerait certainement. On a mentionné la taxation carbone. Un élu de Mayenne m’a récemment informée de l’utilisation de ce dispositif dans le cadre de la fusion des communes nouvelles : cela a très bien fonctionné, sans nécessairement coûter très cher à l’État. Il s’agit d’un signal très positif pour les collectivités et les élus.

M. Marc Jedliczka. Il est beaucoup question ce matin d’agriculture, mais il me semble important de rappeler que la méthanisation ne concerne pas uniquement ce domaine, mais aussi les stations d’épuration, notamment dans les métropoles. C’est très structurant localement, y compris dans les petites villes. J’habite dans un territoire à énergie positive, qui s’appelle le Beaujolais vert, où se développent des projets de méthanisation collective : cela signifie que la collectivité porte le projet, qui a vocation à fédérer notamment les agriculteurs et les industries agroalimentaires, avec une vision territoriale du potentiel de matière méthanisable, mettant en œuvre des éléments scientifiques et techniques. Cela va bien au-delà de la seule production d’énergie et est très structurant en termes de développement local partagé.

M. Francis Claudepierre. Je souhaiterais vous faire partager trois constatations. La première concerne l’acceptabilité : on remarque que les plus gros problèmes proviennent des zones où il n’y a pas encore de méthaniseurs. En revanche, on ne rencontre pas de refus catégorique dans les cantons dans lesquels quelques méthaniseurs sont déjà implantés.

Le deuxième constat est que lors des travaux du groupe mis en place par M. Lecornu, nous nous sommes, en tant qu’agriculteurs, retrouvés face aux ONG, telles que FNE ou le WWF, et étions naturellement sur la défensive. Or au fil des débats, nous avons trouvé un terrain commun autour de la question de la mobilité au GNV et, depuis lors, nous nous parlons, nous faisons mutuellement confiance et travaillons ensemble. Cela a suscité chez nous l’espoir que la méthanisation réconcilie un jour l’agriculture et l’environnement. Nous réfléchissons également avec ces ONG sur la notion de troisième culture en deux ans, qui va nous permettre entre autres d’éviter les épandages de glyphosate.

À l’occasion de ce groupe de travail, nous avons ressenti également une forte pression des acteurs de la dépollution de l’eau, qui voulaient absolument que la méthanisation par le mélange des boues conduise à un changement de statut du digestat en produit. Nous nous sommes élevés contre cette suggestion. Nous ne sommes pas opposés à l’idée de traiter les boues d’épuration, qui sont un concentré de la dépollution de l’eau et qu’il faut bien épandre quelque part. Il s’agit d’un problème de société, société dont nous faisons partie, si bien que nous entendons cette demande. Mais nous sommes avant tout des producteurs de lait, de viande, de fromage, de céréales et notre devoir est de nourrir la population avec toutes les garanties de sécurité alimentaires et de qualité. Un digestat devenant un produit épandu sans répondre aux règles de plan d’épandage constitue de notre point de vue une dérive que nous ne pouvons accepter. Voici vingt ans, nous avons subi la crise de la vache folle, qui nous a énormément perturbés et a conduit à la disparition de nombreuses exploitations. Aujourd’hui, il est difficile pour nous d’envisager d’accepter un risque nouveau. Bien entendu, nous sommes là pour travailler ensemble, trouver des pistes, dont la méthanisation fera partie, puisque les boues sont déjà souvent traitées par des agriculteurs en co-compostage. Le co‑compostage présente l’avantage de pouvoir identifier et séparer des lots, alors qu’en méthanisation il existe un mélange qui rend la démarche plus compliquée, ce qui explique que nous prenions des précautions. Il faut savoir que les boues d’épuration ne présentent pas un grand intérêt méthanogène et que la méthanisation n’est pas une grande lessiveuse qui éliminera les micropolluants organiques et les traces d’éléments métalliques. Tout cela doit donc se faire dans le respect de règles d’épandage, sur des terres bien identifiées.

M. Adrien Morenas, vice-président. Mesdames, messieurs, nous vous remercions.

Je vous rappelle que vous pourrez, dès le mois de février, répondre à la consultation lancée sur le site de l’Assemblée nationale et nous faire part, en complément des échanges que nous venons d’avoir, des différents freins que vous rencontrez et surtout des solutions que vous envisagez

Mes chers collègues, la prochaine table ronde se tiendra jeudi 31 janvier à 9 heures et sera consacrée à la thématique de la voiture propre.

L’audition s’achève à douze heures trente.

 

————


Membres présents ou excusés

Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

 

Réunion du jeudi 24 janvier 2019 à 11 heures

 

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, M. Bruno Duvergé, M. Adrien Morenas

 

Excusés. - M. Éric Alauzet, Mme Nathalie Bassire, M. Stéphane Buchou, Mme Anne-Laure Cattelot, Mme Jennifer De Temmerman, M. Julien Dive, Mme Célia de Lavergne

 

 

 


[MaBo1]Pourrait-on mettre des tirets ? Comme pour le CR précédent ?